2- Les faiblesses de l'Etat malien et leurs
conséquences
Le multiplication des actions armées des groupes
djihadistes au Nord a favorisé le rejaillissement des problèmes
géopolitiques internes qui fragilisent davantage l'Etat malien et
l'entraine vers une grande instabilité. Il s'agit, d'une part des
revendications politico-territoriales des groupes rebelles du Nord et, d'autre
part, de l'insurrection de l'armée régulière malienne.
En ce qui concerne les revendications politico-territoriales
des rebellions du Nord, il est à noter que celles-ci sont à
l'origine de la résurgence dès janvier 2012 des tensions
intra-étatiques causées par des groupes rebelles touaregs du
MNLA. En effet, ces derniers, qui occupent la partie septentrionale du pays,
réclament une action politique fondée sur
l'autodétermination et l'indépendance de l'Azawad
constitué par les trois régions maliennes de Kidal, Tombouctou et
Gao. Ces idées irrédentistes qui ne concordent pas avec celles
défendues par le pouvoir de Bamako du fait du principe de
l'indivisibilité du territoire malien, provoquent un rapport de force
entre le mouvement rebelle et les armées régulières. Ce
rapport de force qui se définit par un affrontement militaire entre les
deux groupes, alimente un malaise politique qui enfonçait davantage le
Mali dans la crise. Selon Drissa Malle, conseiller diplomatique de l'Ambassade
du Mali à Libreville, ces revendications apparaissent comme l'une des
plus anciennes contradictions politiques qui déstabilisent l'Etat depuis
les indépendances, et dont les enjeux sont la« prise de pouvoir
des peuples blancs touaregs aux autorités politiques noires du Sud et le
désir du contrôle de toute sorte de transactions
économiques des régions nord qui sont des no man's land
». Profitant de ce qu'Afrique Magasine appelle la «
fragilité des institutions maliennes »54 et des
difficultés auxquelles l'armée régulière fait face,
pour assurer pleinement la sécurité dans la partie Nord,
54R. Michel, la grande guerre du Sahel,
Afrique Magazine, n° 329, Février 2013, p.48.
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l'insurrection spécifiquement touareg, a
cédé à plusieurs alliances qui ont, non seulement
entrainé le Mali dans la « zone rouge »55,
mais aussi ont permis aux groupes armés de se doter d'une puissance de
feu, qui leur permettait d'affronter directement le pouvoir malien au Nord.
Dès lors, le rapprochement tactique du MNLA, des groupes terroristes et
rebelles d'AQMI, du MUJAO et Ançar-Eddine qui provenaient de l'ensemble
des pays déstabilisés de la région
sahélo-saharienne, a conduit l'Etat dans une situation conflictuelle
irréversible. Usant de la violence, notamment des exactions sur les
populations et sur les forces armées, ces groupes djihadistes qui
étaient doté « d'un armement sophistiqué,
composé de canons antiaériens et de fusils mitrailleurs, puis des
pick-up et des blindés »56, échappaient
à la régulation et au contrôle du pouvoir
politico-militaire du Mali. Cette faiblesse de l'appareil étatique
malien a été le fondement de la proclamation de
l'indépendance de l'Azawad (région septentrionale du Mali) par le
MNLA. Elle a permis l'occupation du territoire par les groupes terroristes, le
développement des violences sur les populations et le massacre des
soldats dont le plus important a été celui
d'Aguelhok57, qui a provoqué l'assassinat par
décapitation et par fusillade de cent cinquante-trois soldats
maliens58. Ces pertes ont provoqué une insurrection militaire
au sud en maintenant plus longuement l'Etat dans une incertitude
sécuritaire.
L'insurrection militaire a également fragilisé
l'Etat ; elle a véritablement causé la déstabilisation de
l'Etat malien. En effet, le soulèvement de l'armée qui nait
après l'assassinat des soldats d'Aguelhok, a conduit à une crise
politique majeure qui se solda par la destitution en mars 2012, de
l'exécutif malien par un par putsch organisé par des soldats de
l'armée de terre sous la direction du capitaine Amadou Sanogo. Ce
dernier accusait l'exécutif malien d'être en « collusion
avec les djihadistes »59et les groupes rebelles lourdement
armés dans la partie septentrionale du pays. L'organisation de ce coup
d'Etat militaire ayant ainsi entrainé le déséquilibre
géopolitique territorial, il s'en est suivi un enlisement total de
l'Etat avec la démultiplication criarde d'actions terroristes et
rebelles d'une part, et l'avancée vers le centre et le sud du Mali de
ces différents combattants islamistes, d'autre part.
L'instabilité de l'Etat malien découlait, en
résumé d'une combinaison des forces centripètes et des
forces centrifuges. On peut affirmer qu'à partir des pressions externes
de déstabilisation des pays frontaliers, l'effet de « contagion
des conflits africains»60a entrainé la
résurgence des problèmes internes au Mali. Cette combinaison des
facteurs crisogènes a directement entrainé le Mali dans un chaos,
qui a suscité l'intervention militaire française.
55J-C. Notin, op.cit., p.55.
56Afrique Magazine, n° 329, op.
cit., p.49.
57Rapport de la Fédération
internationale des ligues des droits de l'Homme(FIDH), (Juillet 2012), p.12.
58Ibidem
59J-C. Notin, op. cit., p.57.
60P. Hugon, op. cit., p.146.
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Pour conclure sur ce point, nous pouvons observer que
l'instabilité géopolitique des Etats frontaliers du Mali et la
déstabilisation de celui-ci, démontrent la fragilité,
l'instabilité des Etats et l'insécurité d'une
région placée sous tension. Cette insécurité, qui
constitue un enjeu majeur pour la France, est à l'origine du
déploiement militaire de la France au Mali. Cette intervention a fait
l'objet d'un jeu d'alliance, elle pose d'importantes questions sur les
réelles motivations de la France.
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