B. PRECARITE ET PAUVRETE, LA SPIRALE INFERNALE :
Face à l'état de crise sociale dans
laquelle se trouve l'Europe toute entière, un constat visible et
prévisible est à faire : les pauvres sont de plus en plus
pauvres, et le seront de plus en plus. Alors que l'année 2010
était, pour l'Union Européenne, l'année de la lutte contre
la pauvreté et l'exclusion sociale, on observe partout des politiques de
rigueurs et des coupes budgétaires dans les domaines de la santé,
du logement et de l'aide sociale.
Cette crise d'ampleur générale affecte
particulièrement les familles pauvres, et leur dignité, en tant
que personne à part entière, est souvent mise à mal.
L'état de précarité dans lequel elles se trouvaient
déjà, ne cesse alors de s'accroître. C'est un fait. Mais
qu'est réellement la pauvreté ? Repose-t-elle sur des
critères particuliers ? Comment est-elle définie ? La
pauvreté et la précarité sont-elles indissociables l'une
de l'autre ?
I. DEFINITIONS GENERALES ET SPECIFIQUES DES DEUX TERMES :
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Dans cette partie, je tâcherai de recenser les
différentes définitions qui englobent les termes de
pauvreté et de précarité. Je partirai
des définitions les plus communément admises par la
société, pour arriver à celles qui, sur le plan
sociologique, sont les plus illustratrices du point de vue du sujet qui
m'intéresse.
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1. PRECARITE :
Si l'on se penche sur les définitions du dictionnaire
« Larousse », on peut lire :
? Précarité : État,
caractère de ce qui est précaire : La
précarité des moyens d'existence.
Ce qui nous amène à :
? Précaire : Qui n'offre nulle
garantie de durée, de stabilité, qui peut toujours être
remis en cause : Santé précaire. Emploi précaire.
Qui est d'une sécurité douteuse : Un abri
précaire.
La précarité est donc ici synonyme d'état
instable, où lorsqu'une personne ou une famille toute entière se
trouve amputée d'une ou plusieurs des sécurités qui leur
permette de pouvoir bénéficier de leurs droits les plus
fondamentaux. Ces sécurités sont nombreuses et englobent le
travail, les revenus, le logement, l'accès aux soins, à
l'école et à l'instruction, l'accès à la culture,
le lien familial, le lien social en somme.
Cependant, la précarité la plus
récurrente est encore et toujours celle de l'emploi. Il est donc
important de préciser le lien étroit qui unit la
précarité de l'emploi à la pauvreté et aux autres
difficultés qui en découlent. Patrick Cingolani l'explique
d'ailleurs très bien : « la précarité, traduite
en revenus insuffisants et aléatoires, est l'antichambre de la
pauvreté, le début de la désocialisation,
l'impossibilité de faire des projets, le début d'un parcours
où il devient possible de passer de tout à rien, parce que la
maladie ou la séparation ajoutent leur lot de problèmes à
celui des difficultés monétaires d'existence. »2
Ainsi, c'est le cumul des diverses situations de
précarité vécues par une personne ou une famille toute
entière qui peut conduire à un état de pauvreté
latent. On peut donc vivre dans une société pauvre sans
précarité comme on peut vivre précaire dans une
société riche. La précarité serait plus à
considérer comme un facteur
2 CINGOLANI Patrick, Coll. Que Sais-Je ?, éd. PUF,
2005.
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de risque de pauvreté. Pour le Père
Wrésinski3, la
précarité est « l'absence d'une ou plusieurs
des sécurités, notamment celle de l'emploi, permettant aux
personnes et familles d'assumer leurs obligations professionnelles, familiales
et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux.
L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins
étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et
définitives. Elle conduit à la grande pauvreté, quand elle
affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle devient persistante, qu'elle
compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de
reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir
prévisible ».
Ainsi, la précarité peut engendrer la
pauvreté, et la pauvreté peut engendrer la
précarité.
2. PAUVRETE : ABSOLUE OU RELATIVE ?
La vision de la pauvreté dans les moeurs est souvent
directement liée à l'insuffisance de revenu monétaire.
Ainsi, une personne est considérée comme pauvre lorsqu'elle n'a
pas de ressources suffisantes pour vivre dignement dans la
société dans laquelle elle se trouve. Il s'agit ici de vivre dans
un état de pauvreté, c'est d'ailleurs la façon dont
le dictionnaire français Larousse définit ce terme :
? « Pauvreté, nom féminin (latin
paupertas,-is). État de quelqu'un qui est pauvre : Vivre
dans la pauvreté. »
Aujourd'hui, les économistes et les sociologues
affinent cette définition et répertorient, deux types
particuliers de pauvreté : la pauvreté « absolue », et
la pauvreté « relative ».
La pauvreté dite « absolue », ou «
grande pauvreté » désigne la difficulté totale ou
partielle d'accéder aux besoins les plus fondamentaux : se nourrir
convenablement, avoir accès à l'eau potable, avoir un logement
décent, etc. Ces personnes sont dans une lutte continue pour survivre.
Et si ce type de pauvreté touche plus particulièrement les pays
en voie
3 WRESINSKI Joseph, fondateur d'ATD Quart Monde, Rapport :
Grande pauvreté et précarité économique et
sociale, 1987.
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de développement, l'Union Européenne n'est pas
en reste : c'est le cas par exemple des sans-abris ou des populations Roms.
En revanche, si l'on poursuit, dans ce même
dictionnaire, la recherche à partir de l'adjectif « pauvre »,
on retrouve, en première position, une vision directement liée au
principe de richesse :
? « Pauvre, adjectif (latin pauper, -eris). Qui
a peu de ressources financières, peu de biens : Ses parents
étaient trop pauvres pour qu'il fasse des études.
C'est sur base de ce type de définition, qui
considère qu'une personne n'est pauvre qu'à partir de son revenu,
qu'Eurostat, statisticien en chef de l'Union Européenne, mesure le seuil
de pauvreté dans les pays de l'UE. Celui-ci part du principe qu'il y a
pauvreté lorsqu'une personne se trouve en dessous de 60% du revenu
médian européen (revenu séparant la population en deux,
c'est-à-dire que la moitié de la population a un revenu plus
élevé, et l'autre moitié, un revenu inférieur). La
gravité du problème varie donc fortement d'un pays à
l'autre en fonction du niveau de vie de la majorité des citoyens. C'est
ce que l'on appelle la « pauvreté relative ».
Enfin, une définition officielle a été
retenue par l'Union Européenne : sont pauvres « les personnes dont
les ressources matérielles, culturelles et sociales sont si faibles
qu'elles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables dans l'État
membre où elles vivent ».
Néanmoins, ces définitions «
officielles » ne reflètent pas la réalité quotidienne
des personnes en situation de pauvreté, et se limitent à l'aspect
purement économique en omettant les difficultés humaines et
sociales qui en découlent. Il est donc très important de cumuler
les indicateurs de logements, d'emplois, de santé, et
d'intégration sociale, qui ensemble, peuvent alors donner une
idée précise des caractéristiques des familles
touchées par la pauvreté.
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