Les trois dimensions
constitutives du droit
Nous commençons par la dimension naturaliste du droit.
Il nous faut donner une vue d'ensemble en planchant sur les trois dimensions
constitutives du droit, du point de vue de la théorie
générale du droit ou de la philosophie du droit.
Nous pouvons dire qu'un des enjeux de la philosophie du droit
depuis cinq siècles reste l'avancement de la théorie du droit
naturel depuis le XVII e siècle qui a été gravement
arrêté par le positivisme et l'historicisme.
Dans l'ordre des normes, le paradigme admet que le droit
positif est nécessaire pour réaliser le droit naturel. Mais ce
droit est composé des normes. D'où la nécessité de
connaître la spécificité des normes en tentant de
répondre à la question suivante : « Quelle
est l'autorité qui gouverne les normes ? ». La
contribution de la tradition analytique se fait spécialement par
l'entremise de Hart. Pour lui la spécificité des normes se trouve
dans la structure d'ensemble du système juridique.
Dans l'ordre de fait, la tradition analytique est
exploitée sous forme de thématisation par John Searle avec
l'hypothèse de « fait institutionnel »,
destiné à combler l'hiatus de la tradition humienne (entre le
is et le ought) avec une ontologie. Le fait institutionnel
est un fait dont l'existence présuppose les systèmes des
règles constitutives qu'on nomme institutions. En effet, les normes
juridiques créent la réalité avec l'idée des faits
institutionnels.
Dans l'ordre des valeurs enfin pour le jusnaturalisme, une
grande question est au centre du problème : par où passe
la réalisation de la justice et de l'ordre juste, étant
donné que le droit naturel veut se confondre à la notion de
justice ? Il y a certes une réponse avec des nuances multiples
liées : aux rapports entre individus, entre individus et groupes,
à l'organisation de groupe (Cité, Etat), au rapport entre la
philosophie du droit elle-même et la philosophie politique. C'est la
toile de fond de notre discussion ici.
Brève historique
théorique du droit moderne à la suite de Jürgen Habermas
Le jusnaturalisme qui s'est développé dans les
milieux protestants est une sorte de code supra-positif dont l'expression la
plus visible est dans les Déclarations des droits de l'homme.
Les droits de l'homme sont les droits du chrétien qui exige de l'Etat
les différentes formes de liberté nécessaire pour assumer
sans Etat la responsabilité de son destin. La vie meilleure provient de
la Grâce, l'individu qui est orienté vers sa destinée
surnaturelle transcende les compétences de l'Etat. Il n'attend de l'Etat
que la liberté de diriger sa vie en fonction de ses fins suprêmes.
Contre la nécessité de l'institutionnalisation de la Religion
(catholicisme médiéval), la Reforme exige la re-individualisation
du christianisme.
L'histoire du droit moderne s'enracine dans les idées
aussi bien morales que politiques. Sa conceptualisation aujourd'hui doit
répondre de l'expérience contemporaine, de processus de la
mondialisation par exemple.
Au cours des trois siècles passés selon
Jürgen Habermas, le statut de la catégorie du droit a varié
dans l'analyse de l'Etat et de la société, au gré des
conjonctures scientifiques. De Hobbes à Hegel, le droit naturel moderne
s'est servi de cette catégorie comme d'une clé médiatrice
de tous les rapports sociaux. La société juste semblait devoir
être instituée suivant un programme juridique rationnel.
Plusieurs éminents auteurs seront à la base de ce changement,
notamment à travers la théorie de l'économie politique et
des lois économiques.
En effet, à la suite d'Adam Smith et de David Ricardo,
on voit se développer une économie politique comme une
sphère sociale, dominée par des lois anonymes de la circulation
des marchandises et du travail social. La société civile est
dominée par des lois anonymes de la circulation des marchandises et du
travail social, où les individus sont privés de liberté
réelle. Karl Marx retient de tout cela, après que Hegel ait
tiré cette même leçon, la privation de la liberté et
le fait que la société est fondée sur les
échanges, tout en maintenant paradoxalement le concept classique de la
société comme une totalité.
De ce modèle systémique fondé sur
l'échange, on oppose le modèle issu du structuralisme
génétique d'une société décentrée,
éclatée en de nombreux systèmes et fonctionnellement
différenciée.
Plusieurs critiques sont évoquées contre la
théorie du droit, dans une perspective systémique : la
différenciation du droit au cours de l'évolution peut se
comprendre comme une autonomisation qui finit par conférer au droit
devenu positif l'indépendance d'un système (juridique)
autopoïetique autoréférentiel. Devenu autonome, le
système juridique n'a plus de relations d'échange directes avec
les environnements qu'il rencontre à l'intérieur de la
société et n'exerce plus sur eux d'effet régulateur. Toute
fonction de régulation à l'échelle de la
société dans son ensemble lui est interdite. D'où
l'émergence des mécanismes économiques : C'est alors le
mécanisme du marché, découvert et analysé par
l'économie politique, qui prend les commandes, y compris dans la
théorie sociale.
En effet, l'analyse économique de la
société civile, issue de la philosophie morale écossaise,
a profondément ébranlé la tradition du droit rationnel.
La tradition (avec Rousseau et Hobbes comme ténors) place la
catégorie du droit au centre de la théorie de la
société. Les contractualistes des temps modernes en
général, sauf Locke, Kant, et Thomas Paine, ont défini
l'état de nature en termes d'une théorie du pouvoir (du droit
rationnel) et non de l'analyse économique.
L'anatomie de la société bourgeoise,
appréhendée par le biais des concepts de l'économie
politique, produit un effet démystificateur ; selon cette critique,
l'ossature qui assure la cohésion de l'organisme social est
constituée non par des rapports juridiques mais par les rapports de
production comme infrastructure. Le droit remplacé par l'analyse
économique ne joue plus dès lors un rôle central dans la
théorie sociale. Il y a changement de perspective et de paradigme.
Décrit en tant que système autopoïetique,
ce Droit marginalisé ne peut réagir qu'à des
problèmes qui lui sont propres, tout au plus occasionnés par des
influences extérieures. C'est pourquoi il ne peut percevoir ni traiter
les problèmes qui pèsent sur le système social dans son
ensemble. En même temps, sa structure autopoïetique l'oblige
à réaliser toutes ses opérations à partir des
ressources qu'il a lui-même à produire.
La position du droit et son importance seront
problématisées.
Ramené à un système autopoïetique, le
droit vu sous l'angle distanciant de la sociologie, est dépouillé
de toute connotation normative, en dernière instance relative à
l'auto- organisation d'une communauté juridique. De la sorte, le droit
n'a pu jouer de tout temps un rôle central dans la théorie
sociale, il a été supplanté par le paradigme qui met
l'analyse économique au centre de la théorie sociale. Il y avait
eu en ce sens changement de perspective et de paradigme. Pourtant, à
penser à la crise de la modernité qui se manifeste aujourd'hui
dans la crise du capital, le salariat devait en subir le coup et le droit
privé subséquent.
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