La persistance des sciences sociales coloniales en Afrique( Télécharger le fichier original )par Jean Barnabé MILALA LUNGALA Université de Kinshasa RDC - Doctorat 2009 |
CONCLUSION GENERALEUne commission vérité- réconciliation mondialeLe père De Haes (assassiné au Congo), d'heureuse mémoire a lancé cette idée qui doit avoir fait l'effet d'une bombe : l'instauration d'une commission vérité-réconciliation à l'échelle mondiale à propos de tant de méfaits commis par l'Occident sur l'Afrique. Elle est de loin un projet humaniste que celui de John Ralws. La décennie 2010 -2020 est une période propice en Afrique noire en général qui nous permet, Heure de bilan, de proposer pendant le cinquantenaire des indépendances africaines un agenda épistémologique pour des nouvelles perspectives de recherche et de reconciliation. De ce tournant politique, nous pourrons y voir , comme lors de la période coloniale ,la convergence de deux champs : savant et impérialiste qui se conjuguait différemment (tel que l'ethnologie catholique et celle des libres penseurs maçonniques au Congo- Kinshasa). En effet, à la suite de Pierre Bourdieu, et de sa sociologie de connaissance, nous pouvons dire que «la genèse de la science coloniale nous offre (...) l'occasion rare de saisir le processus de constitution d'un « champ », espace social distinct et propre à la production de biens symboliques » .912(*) Le besoin en ontologie sociale (l'exigence de remonter à la naissance des sciences sociales classiques nous met en face des présupposés ontologiques de l'action sociale : la rationalisation des images mythico-religieuses déterminent l'action (M. Weber, J. Habermas), nous renvoie également à la visitation de débat sur la « pensée sauvage »,la pertinence de l'approche structuralisme, etc. Le besoin en épistémologie nous renvoie à la question de fondement des sciences sociales au Congo qui se confond souvent en une demande de reconstruction de méthodologie qualitative, attestée par une demande formulée en termes d'interdisciplinarité, et en termes de clarification et de reconstruction théorique et conceptuelle. Pour les plus théoriques et les plus conceptuels des spécialistes des sciences sociales au Congo, on peut dire que l'interdisciplinarité qui est demandée est plutôt un appel à la reconstruction des théories de systèmes (approches structuro-fonctionnaliste) et des théories de l'action (la praxéologie, le constructivisme, le cognitivisme), et à la compréhension de théories comme celle de l'habitus de Pierre Bourdieu qui se situe entre les deux tendances ci-haut. Ou encore de l'individualisme méthodologique de la théorie de choix pur dominant en sciences économiques. Le tournant pragmatique en sciences sociales est un autre nom des théories de l'action qui a polarisée les recherches en sciences sociales en Occident ces quarante dernières années. Ce point de vue est reconduit en Afrique souvent sans une explication suffisante. Les jeunes chercheurs africains armées des nouvelles approches pragmatico -cognitives se plaignent de manque de souplesse des anciennes générations de les intégrer. Le refus de débat épistémologique et conceptuel en sciences sociales. L'ancienne génération des chercheurs au Congo semble plutôt privilégier les théories des systèmes dans une sorte de mimétisme scientifique. Les enquêtes sur terrain, sommes toutes fort utiles, sont devenues la clé passe partout, des sciences sociales à la médecine sans un travail théorique et conceptuel mené quelque peu en profondeur. Les nations unies ont même le kilo d'inventer de méthodologie du genre , matrice de fragilité sans qu'elle soit portée par des hypothèses théoriques et conceptuels claires. En fait, les chercheurs africains sont quelques fois affublés par des publications étrangères abondantes qui ne leur donnent pas le temps de réagir en conséquence. Il y a plusieurs raisons à cet état des choses, une des raisons est que le tournant pragmatique en science sociale s'est opérée dans la pratique des sciences sociales en Occident sans qu'elle ne soit accompagnée d'un exerce épistémologique (ou philosophique) de reconstruction systématique, historique ni créatrice clair. En Afrique le manque préjudiciable d'intérêt que l'on voue à la philosophie à tord ou à raison y est pour beaucoup. Les praticiens en sciences sociales en Afrique ne sont pas souvent préparés à un tel travail à proprement épistémologique ou métaphysique, c'est souvent la besogne des philosophes-théologiens - c'est la tendance dominante en RD Congo - qui, souvent sont accusés de spéculer sur d'autres priorités, ne s'occupent pas de la même façon des faits sociaux tels qu'ils opèrent et sans le souci préalable d'assainir une terminologie réputée abstraite suspendue dans les nuages. L'épistémologie elle-même au Département de philosophie à l'Université de Kinshasa ,et d'autres Etablissements similaires , s'est beaucoup plus longtemps développée dans le sillage des présupposés de la proto-physique, de la physique théorique ,des mathématique , et des sciences expérimentales, i.e.la médecine. Pour tenter justement d'y remédier dans la perspective d'une analyse intégrative de la métaphysique, de l'épistémologie et de l'éthique, il s'agira de nous introduire dans l' « épistémologie des sciences sociales » qui est plutôt une discipline plus récente, elle est une épistémologie particulière.913(*) Elle permet de reconstruire les points de départ des sources théoriques et conceptuelles en sciences sociales914(*). On pourra pratiquer ici une Histoire des sciences sociales. L'agenda ou le programme épistémologique de cette nature pour être comprise demanderait justement une reconstruction de certains concepts et des actions qui portent les sciences sociales. Il faut pour cela trouver des repères pour penser un tel programme épistémologique ,notamment savoir montrer dans cette réflexion le passage des théories de connaissances aux théories de l'action, ou leurs actions combinées et de montrer comment les sciences sociales qui donnent priorité aux structures et à l'action - la rupture épistémologique du point de vue structuraliste est faite d'abord par Karl Marx915(*) - ont rejoint les théories de connaissances qui alimentent les théories constructivistes en sciences sociales. Nous essayons de rappeler un agenda épistémologique millénaire de traditions africaines qui restitue les points de départ et des repères épistémologiques dont nous avons certainement besoin pour reconstruire la question de méthode qualitative en sciences sociales. Devant des changements profonds de la réalité sociale et la recherche consécutive des grilles de lecture scientifiques des phénomènes sociaux, le retour à la philosophie première, qu'on le veule ou pas, est devenu aujourd'hui une des voies attitrée. Il s'agit ainsi de reconstruire les présupposés théorique et pratique. Notre hypothèse parmi d'autres à propos de la rénovation des sciences sociales en Afrique et dans le monde est le modèle des images mythico-religieuses et métaphysico-cosmologiques. Les images telles celles de « scarabée sacré »que nous exploitons pour les sciences sociales. Dans la perspective des sciences déductivo- nomologique (naturelle, exactes) nous proposerons l'image de diamant. La psychanalyse peut être vu de plusieurs cotés comme l'analyse de ces images vécues dans les rêves ( i.e.le vautour de Leonard de Vinci). Il ne s'agit pas à proprement parler d'inventer les sciences africaines, c'est nous qui avons contribué de façon décisive à son invention, il s'agit maintenant de les rénover. A propos de la rénovation des sciences, semblablement, comme Rudolf Carnap s'était donné pour un de ses buts la recherche de « reformer les concepts de tous les domaines et donc des sciences du réel ».916(*) Dans la perspective qui était la sienne, il le faisait en choisissant « en premier lieu quelques concepts de base simples ».917(*) Sa méthode est celle qu'il dénomme reconstructive, nous nous sommes référés à son propre projet : « j'entends, dit-il, par reconstruction rationnelle la recherche des nouvelles définitions pour d'anciens concepts. (...) Les nouvelles définitions doivent l'emporter sur les anciennes en clarté et en exactitude et surtout mieux s'intégrer dans un édifice conceptuel systématique. Une telle clarification conceptuelle, souvent nommée aujourd'hui « explication », me semble demeurer l'une des tâches les plus importantes de la philosophie, notamment lorsqu'elle se rapporte aux principales catégories de la pensée humaine ».918(*) Retenons qu'il y a ici deux notions importantes : celle de la définition des concepts et celle de leur relation pour rénover les sciences. Il s'agit en fait de partir des concepts fondamentaux qui sont au coeur des sciences. Notre méthodologie a fait l'inverse : clarifier les nouveaux concepts par les plus anciens, des concepts architectoniques pour ainsi dire. Justement, c'est le versant conceptuel de notre analyse : l'icône et le symbole de « scarabée » nous a servi pour ce faire, (c'est non seulement pris comme un des concepts centraux de reconstruction des sciences sociales sinon un des modèles généraux de la représentation de la « réalité sociale »). Notre enquête discute et vérifie un certain nombre des thèses de Carnap présentées ici, une des thèses est celle énoncée comme suite : « la représentation du monde dans la science est au fond une description structurale ».919(*) Bien sûr, ici il faut reconstruire tout en le dépassant le présupposé du modèle structural fondamental en sciences sociales classiques (voir le structuralisme de Claude Lévi-Strauss). La théorie organiciste à la base de l'approche structuro-fonctionnaliste est conçue à partir de ce modèle (Emile Durkheim) ou les parties avec Adam Smith. Le kheper symbolisé par le scarabée, comme notion architectonique est scientifique et philosophique, il signifie également le Devenir : comme on le sait, c'est ce modèle dit de Tout et de ses parties qui occupe une place centrale dans la construction des sciences sociales classiques et contemporaines. La théorie économique de choix rationnel qui théorise les utilités est individualiste (elle recourt aux parties du Tout) alors que la théorie holistique qui privilégie le Tout est sociologique. Sont ici les deux grandes disciplines qui polarisent les sciences sociales et humaines. D'où la série de dichotomies ci-dessous dans l'analyse en sciences sociales : structure-acteur, système-agent, etc. L'habitus de Pierre Bourdieu se situant entre le Tout et ses parties. La détermination causale, celles structurale et fonctionnelle qui se systématisent dans le fonctionnalisme d'Emile Durkheim, dans le structuralisme de Claude Lévi- Strauss, dans le fonctionnalisme de Talcott Parsons ,dans les théories de l'action ( les sciences de la communication sont nées après la deuxième guerre mondiale sont ainsi globalement praxéologiques à la suite des théories de l'action), et autres théories innombrables , peuvent être expliquées justement par la notion du Devenir qui donne le modèle de Tout et de ses parties. Nous avons tenté d'étudier quelque peu en profondeur face à la nécessité de rénover les sciences sociales dans certains de ses aspects, les arguments des spécialistes des sciences sociales et leurs présupposés. Le but est de décrypter les mérites des uns et des autres mais aussi de surprendre certaines faiblesses dont la principale est le manque de traçabilité de modèle de base qui sert de tremplin comme en physique (voir le modèle de diamant ). Nous allons ensuite tenter son dépassement par la clarification qu'apporte l'image de scarabée ou kheper. La réflexion a deux grandes orientations : nous entreprenons de montrer la nécessité de la rénovation des sciences sociales en Afrique. Nous recourons au modèle épistémologique des sciences sociales parmi les plus avancés, l'épistémologique analytique et cognitiviste, situer en l'occurrence le constructivisme pragmatique dans le paradigme onto-théologique au moyen du concept de kheper issu de traditions africaines. Ce concept est justement reconstruit dans l'approche structuro-fonctionnaliste, d'une part, et d'autre part, dans l'approche pragmatique et cognitiviste. Enfin, nous initions dans le contexte de l'Afrique une auto- critique de l'ordre institutionnel de la doctrine de Kheper. Cette partie se veut ici résolument dialectique entre la théorie et la pratique. Sur le plan pratique et institutionnel, il s'agit de parer au mépris que représentent les vues ethnologiques de savants encore actuels d'une science sociale qui s'élabore dans les arcanes de visées de domination qui continue par ailleurs, pour la restauration de la justice et des normes communes de vie. Le programme de liquidation de tous les facteurs métaphysique dans la science sociale moderne n'a pas totalement abouti pour camper l'Afrique dans les mythes (voir les relations d'incertitudes de Heisenberg). Les mythes sont à interpréter et non à évacuer (Tshiamalenga Ntumba). Ces analyses supposent donc une indispensable auto - critique nécessaire de programme épistémologique de rationalisation sociale. Le lecteur peut bien le remarquer, nous voulons donc tant soit peu contribuer à l'effort de saisie plus critique et davantage constructive de la « réalité sociale » qui débouchera sans doute à l'exigence de la justice, d'auto -critique et des normes de rationalité pour éviter son effondrement que nous vivons aujourd'hui. La réalité sociale n'est pas naturelle, elle est historique. L'étude tente de montrer que l'image de Kheper (la loi de la transformation du Devenir) donne des variantes tels l'apeiron d'Anaximandre ou le Devenir infini, et l'hylémorphisme de Stagirite, et bien d'autres. Ce kheper pourrait aider à remettre à l'endroit spécialement l'approche fonctionnaliste d'Emile Durkheim et le structuralisme de Claude Lévi-Strauss. Car le concept de Kheper peut être aussi pensé pour construire un ordre institutionnel à la hauteur de la complexité des sociétés contemporaines. Disons que les institutions sociales mondiales actuelles, mutatis mutandis, se trouvent dans l'urgence de se redéfinir face au processus complexe que nous appelons la mondialisation. A ce propos, les questions de la philosophie du droit occupent dans notre analyse une place centrale. Notre objectif de recherche est finalement celui de tenter de voir clair en disposant des repères et des points de départs d'une discussion fort tentaculaire qui doit être bien plus ratissée, c'est-à-dire, dans le cas d'espèces de resituer dès le point de départ la question de la naissance des sciences sociales. D'un point de vue de la philosophie africaine, nous avons voulu faire nôtre cet appel de Crispin Ngwey qui pense que nous devons maintenant penser autrement : « la philosophie africaine sortie des revendications de sa possibilité, fatiguée d'ethnophilosophie ne se sent-elle pas obligée ces derniers temps de prendre à bras le corps le vécu réel des africains.( ...) Plus fondamentalement, ne sera-t-elle pas obligée de s'esquisser systématiquement en termes de révision, de métaphysique, de l'éthique, de l'épistémologie et même de la cosmologie plus élargies et plus susceptibles de nous offrir un cadre conceptuel, spéculatif et même métaphorique susceptible de permettre de penser l'homme de cette fin de XX è siècle à nouveau frais ? »920(*) Le cadre métaphorique est la ressource fondamentale de rénovation, nous proposons l'image de scarabée sacré et de diamant (d'où a émergé en partir de l'épistémologie de troisième voie d'Ernest Cassirer, la figure de la toile, de la réfraction, de la réflexion, de la polarisation, et de la communication. Une partie de notre analyse avait l'ambition de participer à un tel élan. Pour nous, d'un point de vue théorique, l'onto-théologie est le suppôt à partir de quoi reposer le problème de l'Afrique. Il s'agit aussi de montrer les dessous des sciences sociales. Nous avons tenté de reconstruire et dégager les schèmes, les concepts centraux, les notions et structures sous-jacentes et finalement d'aller à la genèse de cette science pour identifier justement les acteurs, le leitmotiv, la nature, la valeur de cette connaissance, les intérêts en jeu, etc. En sciences sociales au Congo, la première période pourrait être caractérisée par la science du lointain. Ces sciences sont parties des grands travaux géographiques des découvertes du bassin du fleuve Congo, dont notre destin en tant que pays va dépendre ; ceci offre la structure et les conditions de possibilités pour l'émergence de la science coloniale : l'ethnologie, la colonisation comparée, l'administration indirecte, le droit indigène, etc. La science sociale congolaise est pourtant globalement désajustée par rapport aux problèmes du pays. Déjà, selon Poncelet, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, et à la suite d'un important activisme scientifique au Congo, l'ensemble du dispositif métropolitain des savoirs coloniaux avouera son extrême indigence quant à son accès sur le terrain. Face à une crise sociale sans précèdent et à la nouvelle attention internationale sur les colonies, on découvrira un Congo dépourvu de toute possibilité d'appareillage scientifique susceptible de reconfigurer l'image de la colonie, de donner à ses responsables publics le sentiment qu'une direction nouvelle est à donner à l'évolution sociale. Ce n'est guère qu'entre 1950 et 1955 que les universités descendront sur le terrain921(*). En fait, déjà dans les années 1920-30, durant ce que Poncelet appelle l'âge d'or de la science coloniale, seuls professaient des notables coloniaux, les diplômés proprement dits portant le titre de licenciés sont très peu nombreux. L'indépendance du Congo fut en n'en point douter ce moment qui consacra enfin la catastrophe épistémologique du dispositif colonial savant. Le travail de la déconstruction à entreprendre était, déjà alors, fort immense parce que « dans les universités (belges), les centres de recherche, les filières de cours, les diplômes, (aujourd'hui) les dispositifs de coopération, etc., sont les héritiers directs de l'institutionnalisation de sciences coloniales ».922(*) Après la décennie 60 au Congo, les gros travaux lancés furent une occasion manquée pour entamer collectivement une reconstruction des présupposés théoriques et idéologiques de cette science sociale coloniale qui a élu domicile chez nous. Aujourd'hui, les gros travaux de reconstruction sociale devraient être ce lieu d'évaluation du chemin parcouru et de l'orientation théorique à prendre.923(*) Seulement ce genre d'enjeux ne semble pas présent dans le processus d'élaboration de notre science. Et qu'en dire pour un Etat qui octroie à la recherche une allocation modique déjà difficile à décaisser sauf pour des programmes bidons du secrétariat général au Ministère de la recherche scientifique et technologique, qui se l'est appropriée longtemps, un Etat qui ne prend pas en compte, avec son Ministère , la vision de la science qui devait être élaborée par le Conseil Scientifique National comme partout au monde, un Conseil qui par ailleurs n'a même pas de bureaux. A se référer aux administratifs entêtés, la science semble répondre plutôt à une exigence exclusivement spéculative, éparse et venue d'ailleurs ou de nulle part. Quelle leçon faudrait-il tirer du travail et des revers d'une bonne partie des sciences ? Ecoutons un avis pertinent : « même une civilisation scientifique ne se trouve pas dispensée de résoudre les problèmes pratiques, ajoute Habermas ; c'est pourquoi l'on court un risque certain lorsque le processus de scientifisation dépasse les limites des questions pratiques sans se libérer pour autant de la rationalité bornée qui caractérise une réflexion technologique. (...) La théorie, lorsqu'elle se rapportait encore à la pratique en son sens original, concevait la société comme l'ensemble composé par les actions de sujets parlants qui intégraient leurs relations sociales à un contexte communicationnel conscient et devaient s'y constituer en sujet collectif apte à l'action ; sinon leur destin, au sein d'une société qui dans le détail est de plus en plus rigoureusement rationnalisée, échapperait à la discipline rationnelle dont ils ont justement le plus besoin. Mais une théorie qui confond le pouvoir d'agir et le pouvoir de manipuler les choses est incapable de se placer dans cette perspective ».924(*) Nous avons pris la question des « sociétés sans écriture » comme prétexte pour aborder les présupposés épistémologiques généraux des sciences sociales en Afrique à al suite de paradigme de la texture (texte et écriture). Il y a lieu de montrer la trame discontinue des traditions théoriques des sciences sociales telles qu'elles structurent et déstructurent nos sociétés. A ce moment là, il faudra identifier les différentes conceptions théoriques à partir de quoi reconstruire philosophiquement. Plusieurs théories de la société se chevauchent, l'effort de les distinguer à partir de certains concepts opératoires ou schèmes théoriques distincts liés à chaque école théorique, se ferait justement sous le nom générique de « reconstruction philosophique ». C'était notre méthodologie. Avant même de procéder à reconstruire une approche théorique à travers ses schèmes généraux, ses concepts principaux, il était logique de par notre méthodologie, de dire les problèmes qu'elle pose. Les problèmes épistémologiques (théoriques et idéologiques) des sciences sociales sont de plusieurs ordres, nous nous sommes contenté d'en esquisser quelques uns, du moins concernant quelques approches dominantes des études africanistes.925(*) Il était aussi possible de constater les innovations qui ont permis des ruptures ou des continuités plus opératoires de ces notions. Ces notions théoriques centrales sont, hélas restées, les mêmes mais leur signification peut différer, on peut s'en douter, selon les champs d'application ce qui veut dire selon qu'il s'agissait de l'Occident ou de l'Autre de l'humanité. Notre explicitation devait avoir pour but de tenter de montrer l'innovation qui survient avec chaque concept opératoire et être ainsi une matrice théorique capable de présenter plusieurs niveaux d'analyse et de donner des traits généraux aux adaptations théoriques. Finalement il nous faudra dire en liminaire à propos des sciences sociales qu' « il devient presque banal de le rappeler -, les données relèvent d'une mise en forme à travers des catégories et des relations déterminées : répartition statistiques, descriptions d'interactions, les récits d'histoires (...), les matériaux du chercheur peuvent être aussi bien « données »-dans des archives, par exemple -que « construits »- par observation, entretien, questionnaire, etc. Dans les deux cas, ils sont structurés, « parlent », suggèrent des raisons, des mécanismes ; ils sont déjà porteurs d'une intelligibilité qui n'est pas foncièrement différente de celle du chercheur. »926(*) Et :« Le travail de l'analyse n'est pas de « faire parler » une nature muette, ( ) mais d'opérer les confrontations entre les données, déjà signifiantes et organisées, et une structure d'explication possible. (...) L'expérience des sciences sociales prouve que le résultat - c'est-à-dire la structure explicative proposée, quels que soient sa forme et ses ressorts - est considérée comme recevable dès lors qu'il peut être soumis à la discussion argumentative et empirique, c'est - à- dire être confrontée à une explication autre, qui paraisse plus raisonnable, et à des données complémentaires et nouvelles ».927(*) Ceci est notre hypothèse, pour autant que, de ce qui précède dépend le statut même épistémologique des schèmes reconstructeurs. En effet, les problèmes épistémologiques en sciences sociales et humaines ne sont pas liés qu'aux problèmes théoriques, ils sont aussi de problèmes de leur l'origine. Il a fallu par exemple interroger le fondement des découpages disciplinaires : ils ne résultent ni d'une segmentation « naturelle » de l'ordre des choses, ni d'un plan rationnel de connaissance ; ils sont les héritiers et les produits continûment retravaillés d'une histoire , qui n'est pas seulement une histoire des idées , mais également une histoire de la production sociale des connaissances et des savoirs , de la construction de dispositifs pratiques de connaissance, dans lesquels se sont moulées des procédures , se sont dessinés de schèmes de pensée et d'action , et qui, par-delà leur renouvellement et leurs frottements permanents , continuent d'être vivants. Que de théories et de paroles ! Voilà le reproche qui nous sera adressé si nous en restons à une approche théorique. La réflexion a commencé par l'ontologie du droit et la nécessité de penser l'opérationnalisation de la pensée africaine, comme des institutions. Il reste à construire une autre Afrique dans la pratique aussi. Bien entendu, déjà cette attitude ethnologique que nous avons stigmatisée est aujourd'hui fortement nuancée dans plusieurs domaines : l'herméneutique, l'anthropologie et la sociologie des catégories, etc. Sur le terrain africain, cela est bien utile, mais il faut passer à l'action. Nous avons présenté un essai de reconstruction de quelques aspects des sciences sociales sur l'Afrique ;tout cela s'est avéré nécessaire et pertinent parce que , aujourd'hui encore, nous pouvons continuer d'affirmer qu'il existe une relation étroite, par ailleurs nouée il y a bien longtemps, dans le cas d'espèce entre la science coloniale et une construction et les institutions actuelles chez nous : « les institutions...qui survivent aux confins de quelques disciplines ou filières universitaires,...étaient des héritages des sciences coloniales, ou, plus généralement, étaient de l'institutionnalisation des rapports politico -savants entre la métropole et l'Afrique belge ».928(*) Concluons que notre recherche nous a fait découvrir le concept de kheper que l'on remonte à l'Égypte pharaonique qui correspond au Signe ou à l'image de « scarabée sacré »: « C'est moi le Devenir de khepra, lorsque devint pour moi le Devenir des Devenirs après mon Devenir, car nombreux ont été les désirs sortant de ma bouche... »929(*) Comment, en plus, repenser la question de la dépendance et de la dérivation de ce genre de corpus théorique de base, entre l'Afrique et l'Occident, en sciences sociales ? La plupart des concepts centraux sont puisés dans de plusieurs foyers de civilisation et de culture. A propos, il y a un mal entendu qui porte sur cette question - des concepts centraux qui sont au coeur des sciences sociales classiques. Le corpus théorique de base en sciences sociales provient de l'Occident, c'est la position officielle. Nous tentons de montrer, ici, que ce corpus provient dans le cas d'espèce, aussi et avant tout de l'Afrique Antique. Ainsi, il ne faut pas demander à devenir africain ce qui l'ai déjà, à propos de ce qu'il convient de dire à la suite de Jean Copans , l'impossibilité d'existence des sciences sociales africaines. Notre position à ce sujet ce qu'on ne peut pas africaniser ce qui est déjà africain. Une partie de notre analyse avait l'ambition de participer à un tel élan. Pour nous, d'un point de vue théorique, les présuppositions des images onto-théologiques est le suppôt à partir de quoi reposer le problème des sciences et les problèmes de paradoxes grandissant qui se trouvent au coeur de la société. Il s'agit justement de revenir aux sources et montrer les dessous des sciences sociales. Nous aimerions présenter les résultats auxquels nous sommes arrivé après l'application de notre méthode de reconstruction philosophique au-delà du fait qu'une bonne partie de notre exposé a tout simplement été réflexive. Notre réflexion a voulu après la présentation de l'exigence de rénovation des sciences sociales en Afrique, restituer la double doctrine du « réalisme et du constructivisme ». L'objectif était d'étudier la réalité sociale, telle que reprise en sciences sociales aujourd'hui, à partir des traditions philosophiques antiques, et de sa reconstruction comme philosophie de la Nature, de sa reprise dans l'approche structuro-fonctionnaliste. En effet, ceci importe car le fonctionnalisme d'Emile Durkheim et l'anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss ont constitué une double approche est restée paradoxalement encore dominante en Afrique ; et leur réplique dans la double approche pragmatique et cognitive chez John Searle nous a servi de réflecteur. Dans le prolongement des approches structuro-fonctionnaliste et dialectique en sciences sociales, le débat essentiel actuellement est entre l'holisme et le naturalisme, dans la mesure où il s'agit bien là de deux formes de « causalisme (externe /interne) ».930(*) En effet, « le débat avec les sciences cognitives et le naturalisme a pris beaucoup d'ampleur (...) l'holisme lui-même réapparaît ou tend à réapparaître, au moins dans nombre d'études philosophiques...le contexte d'une critique des sciences cognitives ...cela veut dire aussi que le débat avec (...) le constructivisme social n'est pas le seul débat actuel ».931(*) Tel a été le contexte actuel de notre discussion. Pour une étude plus approfondie, nous avons abordé plusieurs questions théoriques, en l'occurrence, la construction scientifique ad hoc tant bien sur la causalité que concernant les quatre méthodes dominantes en sciences sociales (le structuralisme, le fonctionnalisme et/ou systémique et la dialectique). Ces quatre méthodes peuvent être subsumées en sociologie, en démographie, en ethnologie ou anthropologie structurale et en psychologie sociale, tout cela avec un statut explicatif problématique pour l'Afrique Noire. Cette situation appelle une vision relativisée des sciences sociales qu'une approche réaliste réfute. Nous sommes tout de même parti de la théorie du relativisme avec pour fond ou filigrane cette autre théorie de la mentalité primitive de Lucien Lévi -Bruhl dans un contexte de philosophie du langage. Chemin faisant, nous nous sommes particulièrement attelé à l'étude critique de la pensée d'Emile Durkheim dans son livre intitulé : Les règles de la méthode sociologique. Justement le chapitre IV qui se focalise sur : les règles relatives à la constitution des types sociaux. Ce chapitre vise à montrer les parties constitutives dont est formée toute la société. Ainsi, pour Durkheim « l'évolution sociale commence par de petits agrégats simples ; qu'elle progresse par l'union de quelques-uns de ces agrégats en agrégats plus grands, et d'après s'être consolidés, ces groupes s'unissent avec d'autres semblables à eux pour former des agrégats encore plus grands ».932(*) Il s'agit des fameux éléments minimaux qui structurent le mental, le langage et l'interaction au moyen des systèmes de règles et de l'Arrière-plan intentionnellement ou pas. Comme on pourra l'apercevoir, à la lecture de ce chapitre, Durkheim n'en donne qu'une ébauche sommaire, tout en affirmant le fait que « ce problème trop complexe pourrait pouvoir être traité ainsi (tel qu'il le fait), comme en passant ; il suppose, au contraire, tout un ensemble de longues et spéciales recherches ».933(*) Searle tente de continuer justement ces recherches, nous par ailleurs aussi. Jean-Michel Berthelot présente une périodicité topologique des repères chronologiques à propos des sciences sociales. En effet, «l'histoire des sciences sociales donne le spectacle d'un passage d'une polarité à l'autre (par exemple de structuralisme (pôle II) à l'individualisme méthodologique et au « au retour de l'action» (pôle II) dans les années 1970- 1990 ; de ces dernières à un possible retour au naturalisme causal ou fonctionnel (pôle I) (Van Parijs, 1981 ; Kincaide, 1996 ; Sperber ,1996) dans la période actuelle ».934(*) Toutefois, notre thèse est partie de ce que nous appelons les limites institutionnelles actuelles face à l'enjeu de domestication des crises sociales, et de la nécessité pour nous de recourir à l'anthropologie naturelle et onto-théologie pour saisir le changement drastique de la réalité sociale. Aujourd'hui, le contexte général des théories de « réel social » comme procès multiforme ou de la « construction de la réalité sociale » se situe à notre sens dans la recherche de ce genre de ressources onto-théologiques. Notre thèse s'est ressourcée fondamentalement dans les traditions africaines millénaires et plus ou moins récentes qui ont un impact certain sur la philosophie et la science sociale. Nous avons présenté les aspects aussi bien ontologiques qu'épistémologiques parce que la philosophie des sciences sociales, par rapport à quoi nous nous situons, contient en son sein une ontologie sociale, une épistémologie sociale et une méthodologie. Une des idées sous-jacentes à notre position fait prévaloir, c'est que la philosophie et la science restent inextricablement liées. Notre exposé a présenté ainsi les différents aspects, liés l'anthropologie sociale, aux phénomènes sociaux, de l'existence de la « réalité sociale » en général. Il a fallu définir le « réel social » comme un procès multiforme ou le constructivisme social en opposition avec le réalisme, le fameux dualisme entre la forme et la matière, les particularités du constructivisme et du réalisme. Le livre de John Searle intitulé La redécouverte de l'esprit qui se penche sur la question de la philosophie des sciences sociales en problématisela question du dualisme cartésien, la question se développe aussi dans d'autres de ses livres : L'Intentionnalité et dans La construction de la réalité sociale. Les chapitres VII et VIII de La construction de la réalité sociale sont consacrés à cette question particulière du réalisme, Searle y réfute les autres conceptions concurrentes du réalisme pour présenter sa propre conception, étayant « l'un des buts de ce livre (...) montrer comment cela est possible, comment le monde des institutions fait partie du monde « physique » ».935(*) Ainsi, le réalisme est chez lui un outil méthodologique sur l'analyse de la réalité sociale, le réalisme nous renseigne sur l'Arrière-plan qui est une condition d'intelligibilité de la réalité sociale. Pour arriver à montrer l'apport et la faiblesse de John Searle, nous avons tenté de déconstruire sa pensée en la démontant pour la reconstituer enfin ; nous avons démontré « les théories dont on entreprend l'appropriation critique » et « sa pensée propre se retrouvant à l'horizon d'une (interprétation) des théories critiquées ».936(*) La méthodologie de la reconstruction que John Searle a utilisée ne lui est pas exclusive ;elle a été thématisée et pratiquée abondamment par plusieurs auteurs dont Rudolf Carnap dans son livre La construction logique du monde et Jürgen Habermas. Il a fallu expliquer le concept de la réalité sociale en le redéfinissant. Rudolf Carnap : « entends, par reconstruction rationnelle la recherche des nouvelles définitions pour d'anciens concepts. ( ...) Les nouvelles définitions doivent l'emporter sur les anciennes en clarté et en exactitude et surtout mieux s'intégrer dans un édifice conceptuel systématique. Une telle clarification conceptuelle, poursuit-il, souvent nommée aujourd'hui « explication », me semble demeurer l'une de tâches les plus importantes de la philosophie, notamment lorsqu'elle se rapporte aux principales catégories humaines. »937(*)Une telle clarification peut se faire soit avec un concept unique soit avec plusieurs concepts. John Searle a utilisé plusieurs concepts au niveau théorique et conceptuel, les règles constitutives, l'intentionnalité, l'intentionnalité collective, l'Arrière-plan, etc. Nous avons tenté un dépassement par le concept de kheper en faisant l'inverse, présenter une clarification des nouveaux concepts par des anciens. C'est justement dans la ligne de l'ontologie sociale que les chercheurs en sciences sociales, John Searle compris, tentent une reprise à nouveau frais de l'étude la « réalité sociale » avec la notion centrale de back ground ou d'Arrière-plan. La transformation épistémologique searlienne de plusieurs approches en sciences sociales et humaines, tient à l'opérationalité et à la fécondité de ce concept et outil central qu'il utilise, tel qu'il se trouve être au centre de son entreprise programmatique. L'effort épistémologique que nous déployons tente de dégager les lignes de force des constructions théoriques de l'approche analysée. Notre explicitation devait avoir pour but de tenter de montrer aussi son innovation. Il s'agissait également de chercher des relations soit observables soit conceptuelles : il s'agit en fait de réduire les concepts des choses à des concepts psychiques ou d'autres concepts des choses au moyen des artifices mathématico-logiques. John Searle passe du langage organiciste au langage logique à l'instar de Charles Sanders Peirce à l'instar de ses trois grandes catégories de priméité, secondéité et de tierceité. Les règles de coordination liant les termes théoriques aux termes observationnels, ceux du psychisme à ceux du monde vécu dans son approche pragmatico- cognitiviste. Jürgen Habermas utilise également cette méthode. Chez lui la méthodologie a deux acceptions. La première acception se comprend comme une recherche du caché et comme une mise en évidence de l'implicite. 938(*) Elle fonctionne à cette étape comme une restitution. La deuxième acception de la méthode de la reconstruction est liée à tous les philosophes de génie qui ont pratiqué pareille reconstruction systématique et/ou historique des philosophies et des traditions scientifiques antérieures. A cette étape l'auteur utilise les concepts centraux restitués ou construits. La reconstruction philosophique se fait en Egypte ( à l'école Memphitique ou Héliopolitainne ou autres Amarna ) avec la concept de kheper, chez Anaximandre avec l'apeiron, chez Aristote autour du couple Matière et Forme, René Descartes dans la philosophie de la Nature autour de l'espace homogène et de mouvement local, chez Leibniz avec le concept d'entéléchie , la force qui remplace la forme , Placide Tempels en philosophie africaine autour de la « force vitale », John Searle avec la bipolarité de « forme et matière » ou du constructivisme /réalisme qui traverse sa logique illocutoire , sa théorie de direction d'ajustement de l'esprit vers le monde ou vice-versa, son réalisme non relativiste, son Arrière-plan, en tant que capacité , aptitude non représentationnelle, etc. L'intérêt d'une réflexion de ce genre, à notre avis, rejoint, pour le rappeler une fois de plus, les contributions parues en 2007 réunies dans le livre intitulé Les sciences sociales au Congo -Kinshasa : Cinquante ans après : quel apport ?939(*) En effet, les spécialistes en sciences humaines au Congo-Kinshasa en appellent aujourd'hui à une recherche urgente de l'innovation sur le terrain africain. Pour nous, repenser fondamentalement les sciences sociales devrait revenir à subsumer leurs présupposés philosophiques. Ces liens ne semblent suffisamment pas pris au sérieux par beaucoup de scientifiques pour rénover leurs approches. Des problèmes épistémologiques des sciences sociales en Afrique sont de plusieurs ordres, nous nous sommes contenté d'en esquisser quelques uns, du moins quelques concepts centraux des études sociales africaines en mettant au clair, dans le cas d'espèce, les structures théoriques sous- jacentes ou l'ontologie sociale de ces courants et écoles. Plusieurs théories de la société se chevauchent, l'effort de les distinguer à partir de certains concepts opératoires ou schèmes théoriques distincts liés à chaque école théorique, se ferait justement sous le nom générique de la reconstruction philosophique. Une telle tâche que nous nous sommes assignée a demandé de dialoguer avec d'autres experts de la théorisation sociale afin de prendre acte de la multidimentionnalité d'une telle recherche. Au demeurant, la philosophie telle qu'elle se pratique globalement encore dans notre Université est perçue globalement par les autres collègues enseignants comme un discours « dépassé » ; philosopher serait s'enfermer dans des concepts que seuls nous philosophes comprenons. Le contexte dans lequel prend forme la réflexion que nous proposons. Nous trouvons à propos qu'il y avait un besoin d'échange théorique réel qui demandait de jeter des ponts pour relier les sciences sociales et humaines à la philosophie. En général - le travail de Pierre Bourdieu par exemple offre un modèle de ce genre. Pierre Bourdieu n'est pas très connu chez nous au département de philosophie dans une tradition où l'essentiel du personnel vient des grands séminaires. Un tel contexte contrastait avec l'épistémologie telle qu'elle s'enseigne dans notre Université qui semble rester plutôt « générale », alors que autres chercheurs semblent attendre un échange théorique « compréhensible » de notre part pour qu'ils se dédouanent des multiples « impasses » qui ont jeté leurs sciences dans une véritable routine, en même temps que si de notre côté leurs calculs statistiques et méthodes quantitatives pour les enquêtes sociales de tous ordres nous laissaient pantois. En témoigne leur cri de coeur ; qu'il suffise pour cela de citer plus récemment Bongeli Yeikelo Ya Ato : « Le moment présent, marqué par une crise multiforme et en apparence cyclique, se prête le mieux à la réflexion épistémologique ».940(*) Et : « L'impasse dans laquelle se trouve plongées les connaissances produites face à une crise rebelle et le blocage actuel en sciences sociales sur l'Afrique en général et le Congo en particulier nécessitent que l'on s'interroge sur la validité des méthodes classiques »941(*). Et : « Les réalités sociales africaines, par exemple, peu ou mal étudiées sont difficiles à reconstituer à partir de ses seules techniques dominantes de recherche ».942(*) Sans avaliser l'ensemble de ces propos, il faut dire que là gisait notre motivation. C'est avec la volonté de tenter de rencontrer ces multiples attentes que nous avons, bien au delà de ces trois années de thèse de Doctorat, ces recherches diverses qui attendaient une hypothèse adéquate pour les mettre en ordre : le kheper. Le thème de notre étude a été justement La problématique de rénovation des sciences sociales, lecture et reprise critique de la théorie searlienne de la construction de la réalité sociale. Il faut avouer que les différents sous- titres de cette dissertation que nous proposons devenaient, au fil des recherches et par la force de développement de la réflexion, des chapitres. Nous voulions traiter du statut des normes dans le contexte de la mondialisation, le thème s'est retrouvé en arrière-plan par rapport à un examen critique nécessaire de la doctrine du constructivisme ; l'essai de reconstruction des thèses de John Searle est un thème qui s'est retrouvé « mis en minorité » par la profondeur des traditions africaines qu'il contribue à illustrer qui le justifient en « arrière-plan ». Notre démarche a consisté donc à déployer critiquement la théorie la reconstruction de John Searle. Le défi était de taille devant la pluralité des théories : évolutionnisme, fonctionnalisme, structuralisme, la mouvance marxienne à laquelle Searle s'oppose, le constructivisme radical, etc. Cette pluralité des démarches en sciences sociales entraîne à coup sûr ce que Marc Maesschalck appelle la « recomposition des cadres théoriques ».943(*) Sans être exempte d'indéterminations, notre hypothèse a été de montrer que toute reconstruction épistémologique et rationnelle des sciences sociales dépend des outils théoriques indispensables qui appellent chaque fois une évaluation. Le problème c'est que, à la suite de Marc Measschalck, nous sommes à « la fin de l'ordre conventionnel (qui) se marque par la multiplicité des conflits de frontières entre les régimes de justification ».944(*) C'est « l'aboutissement naturel de la modernisation sociale caractérisée par le polythéisme des valeurs et la différenciation du monde vécu en fonction de cette pluralisation des régimes axiologiques ».945(*) Ceci nous ouvre à d'autres formes de recherches : dans ce contexte on peut mesurer le sens réel du temps social, le régime historique capable de réaliser un ordre juridique durable et les conditions cognitives. En fait, démocratie et formation juridique par exemple pourraient supposer un régime historique au niveau génétique. Nous pouvons nous référer au concept de réciprocité et de répétition dans l'arbre conceptuel de la normativité des normes chez Marc Maessschalck.946(*) Notre approche a été ainsi globale, par rapport à la conception continentale de l'épistémologie d'inspiration cartésienne. La question concerne les différentes distinctions de critiques intra et extra- épistémologiques. La critique extra -épistémique touche les domaines suivants947(*): L'Histoire des sciences qui tente de retracer la succession, le développement des interprétations, le déroulement et/ou la croissance des idées et des débats scientifiques, et même des ruptures théoriques ; la Sociologie des sciences qui ouvre l'enquête autour des questions sociales, des options politiques d'exigence des normes de rationalité, des discussions sur le financement et la recherche scientifique, de la localisation des sociétés savantes ou des clubs des savants ; la Psychologie de la connaissance qui s'occupe de l'origine subjective des formes de la connaissance. La question rejoint aussi la critique intra -épistémique de la Méthodologie qualitative et de la Philosophie des sciences. Cette réflexion peut donc faire partie de la philosophie des sciences qui comprend outre la méthodologie, l'Ethique des applications scientifiques et l'ontologie. Le Professeur Marc Measschalck résume le cadre pour repenser ces enjeux : il englobe la situation des conditions institutionnelles nouvelles en tant que conditions d'une démocratie d'acteurs collectifs, telles qu'elles se structurent sur l'approche pragmatique, cognitive, génétique et dans le domaine épistémologique. Il pose au niveau génétique la question de la sortie de la colonialité du pouvoir, question de la modernité/colonialité, la question des rapports intergroupes dans la création du droit social, de l'épistémologie frontalière, et donc de la construction des nouvelles arènes publiques, de l'apprentissage comme coopération intellectuelle et auto-gouvernante au niveau cognitif, c'est-à-dire des ressources cognitives qui accompagnent la génétisation ( une génétisation de l'agir ,de l'activation de puissance ou de l'immanence de l'action recherchée) des acteurs collectifs, de l'intelligence collective des formes de vie possibles, et du temps social dans lequel elles peuvent se réaliser, et enfin au niveau épistémologique ,c'est-à-dire de l'interprétation de la normativité propre à l`identification des ressources , du point de vue immanent et de la transformabilité des affects.948(*) Epistémologiquement parlant, l'heure parait à plusieurs égards comme le moment de sauvetage général qui est propice à la définition d'une nouvelle réalité sociale : « dans la position constructiviste, l'organisation du réel fait appel à l'équilibre entre les extrêmes. Ainsi, elle reconnait une gamme de possibilités entre la séparation et la connexion, entre l'inclusion et l'exclusion ; c'est la pensée intégrée ».949(*) Et : « Les constructivistes valorisent les stratégies objectives et les stratégies subjectives dans leur façon de connaître selon les contextes et les situations (...) (et) deux aspects distinguent la position constructiviste des autres positions : l'intégration des voix intérieures et extérieures et l'émergence d'une parole authentique ».950(*) Fabrice Clément et Laurence Kaufmann concluent au fait qu' une fois réagencé, le système de Searle peut malgré tout rendre de grands services aux sciences sociales en permettant de réconcilier des démarches souvent conçues comme radicalement antagonistes. 951(*) Les concepts principaux sont moulés dans un seul réceptacle théorique. Ce réceptacle est élaboré par John Searle sur plus de trois décennies en suivant l'évolution de la science sociale et humaine. « Bien que, pensent Fabrice Clément et alii, pendant fort longtemps, Searle n'ait pas véritablement organisé ses interrogations dans une démarche systématique, il est néanmoins possible de décomposer son oeuvre en une série d'étapes qui, sans avoir été nécessairement planifiées, dessinent en creux une construction théorique qui se révèle remarquable à plus d'un titre ».952(*) Nous nous sommes attelé à cette tâche. Cette façon de procéder a rejoint la question de la fondation théorique des connaissances, en partant des sciences sociales. Tiercelin, dans le post face de l'ouvrage de John Searle intitulé La construction de la réalité sociale signale sans ambages le fait que Searle rappelle toutes les sciences humaines à l'ordre de leur fondation.953(*) Tout cela parce que, « dépourvues d'une fondation théorique (...), les diverses recherches tendent à générer leur propre typologie et à faire coexister les instruments d'analyse qui, force de se régler sur leur objet, deviennent des « simples » outils descriptifs ».954(*) L'effort épistémologique que nous avons déployé en tant que critique de l'objectivité scientifique a tenté de dégager les lignes de force des constructions théoriques de chaque approche analysée. Cette activité de recherche essaie ainsi de mettre au clair, par ricochet, la structure théorique sous - jacente ou l'ontologie sociale des courants et écoles. Au demeurant , d'un point de vue concret et pratique, nous sommes parti du fait que le constructivisme social en général est un démenti d'une longue tradition des sciences sociales et humaines qui ont élu domicile ,sous le prétexte d'une réponse aux mutations sociales et culturelles profondes aussi bien en Europe qu'en Afrique (la décomposition des normes et leurs différents modes de gestion qui appelle des médiations diverses, la différenciation de mondes vécus et de systèmes, le désajustement des classes sociales ,les sociétés très différenciées, la rationalisation téléologique selon le terme de Jürgen Habermas que Lukacs assimile au capitalisme, le passage des institutions aux dispositions, l'exclusion sociale, bref, le désordre social et culturel, etc.). Le constructivisme est une réponse aux problèmes liés au statut épistémologique des savoirs, entendez (l'absolutisation des savoirs et des normes venus de l'Europe).955(*) A la question théorique et conceptuelle de dépassement de la double approche structuro-fonctionnaliste, le concept de kheper est notre paradigme de dépassement du conflit réalisme -constructiviste. John Searle s'inscrit dans ce programme, il le reconstruit ou l'enveloppe au point de vue de la double approche linguistico-pragmatique et cognitiviste. L'icône ressemble au mode de reproduction de la symbolique de « scarabée égyptien » qui exprime le Devenir et le sacré. Le constructivisme searlien est donc un programme a priori dans un contexte onto- théologique au quel on fait recours et qui prend en compte théoriquement les concepts centraux de : matière, forme, langage, parole, actes de langage, états mentaux, et enfin le divin. En Afrique, spécifiquement, il s'est agi des problèmes de l'ethnocentrisme occidental persistant, de la « pauvreté », du déficit interne de la gestion publique, etc. Les mutations sus - évoquées forment le prétexte du renouvellement des théories et des approches en sciences sociales :la norme est dès lors analysée dans une approche globale qui implique la philosophie de droit, la philosophie politique et la philosophie morale. En somme, le constructivisme apparaît dans son usage dominant comme une reconstruction épistémologique complexe de reprise critique des acquis méthodologique, conceptuelle et théorique à propos de la réalité sociale. Tout part de la nécessité de la reconstruction de l'espace théorique qui joue le rôle de fondement théorique pour saisir la nature profonde de ces mutations, afin de considérer finalement sous un nouveau jour l'ensemble des démarches antérieures. Il faut cadrer le monde social bien plus complexe, on peut schématiquement le présenter en trois sphères, toutes traversées par une raison processuelle : - La sphère stratégique des marchés, de l'Etat lié au droit positif (positivisme juridique), de la connaissance objective scientifique et de la technique, un monde qui se situe dans une position de colonisateur par rapport à ces autres sphères ; - la sphère normative du monde vécu (appropriation symbolique, production culturelle et institutions traditionnelles et sociales), où nous trouvons la société civile (tissu associatif, communautés, personnalités, espace public), et ses usages sociaux : les droits de l'homme (jusnaturalisme), l'opinion publique, la coutume, etc. et son arrière plan de mémoire culturelle ; - la sphère intentionnelle de la subjectivité, le monde dramaturgique esthétique de l'art. * 912 Marc PONCELET,op.cit., p.49. * 913 Michel Berthélot , * 914 Qu'est-ce qui peut être qualifié des sciences sociales. * 915 Marc Maesschalck * 916 Rudolf CARNAP, La construction logique du monde, Introduction de Elisabeth SCHWARTZ, Traduction de Thierry RIVAIN, Librairie Philosophique J.VRIN, Paris,2002, p.47. * 917 Rudolf CARNAP, La construction logique du monde, Introduction de Elisabeth SCHWARTZ, Traduction de Thierry RIVAIN, Librairie Philosophique J.VRIN, Paris,2002, p.47. * 918 Rudolf CARNAP, La construction logique du monde, Introduction de Elisabeth SCHWARTZ, Traduction de Thierry RIVAIN, Librairie Philosophique J.VRIN, Paris,2002, p.45 (Préface de la seconde édition). * 919 Rudolf CARNAP, La construction logique du monde, Introduction de Elisabeth SCHWARTZ, Traduction de Thierry RIVAIN, Librairie Philosophique J.VRIN, Paris, 2002, p.302. * 920 Crispin NGWEY NGOND'A NDENGE, « Pour une pensée et une praxis autonomes des sociétés africaines », dans Philosophie et destins des peuples, Actes des journées philosophiques de Canisius, Mars 1999, Editions Loyola, 2000, p.109. * 921 Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation et développement, p.365. * 922Ibidem. * 923 Les recommandations de la Conférence Nationale Souveraine se focalisent sur la réhabilitation du Conseil Scientifique National comme « intelligence nationale » pour piloter tous les Instituts et Centres de Recherche en RD Congo. * 924 Jürgen HABERMAS, Théorie et pratique, p.321. * 925 Cette notion est évoquée ici sans connotation péjorative, il s'agit tout simplement des études sur l'Afrique. * 926 Jean-Michel BERTHELOT, « Programmes, paradigmes », p.488. * 927Ibidem, p. 488. * 928 Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation et développement, p.25. * 929 Voir Paul BARGUET, Le livre des morts des anciensEgyptiens, Editions du Seuil, Paris, 1979 ; cité par Cheikh MOCTAR BA, Etudes comparatives entre les cosmogonies grecques et africaines, L'Harmattan, Paris, p.251. * 930 Alban BOUVIER, La philosophie des sciences sociales, Puf, Paris,1999, p.107. * 931Ibidem, p.107. * 932Emile DURKHEIM, op.cit.,p.81. * 933Ibidem, p.84. * 934Ibidem,p.460. * 935 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.158. * 936 Jürgen HABERMAS, Après Marx, Fayard, 1985, Paris, p.9. * 937 Rudolf CARNAP, La construction logique du monde, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 2002, p.45. * 938 Voir Jürgen HABERMAS, Après Marx, p.11. * 939 Voir Sylvain SHOMBA KINYAMBA (Dir.), Les sciences sociales au Congo -Kinshasa : Cinquante ans après : quel apport ?, L'Harmattan, Paris, 2007. * 940 BONGELI YEIKELO YA ATO, Sociologie et sociologues africains: pour une recherche sociale citoyenne au Congo- Kinshasa, L'Harmattan, Paris, 2007 ,p.43. * 941Ibidem, p.44. * 942Ibidem, p.61. * 943 Marc MEASSCHALCK, Normes et contextes, p.7. * 944Ibidem,p.2. * 945Ibidem. * 946 MAESSCHALCK Marc, Démocratie et acteurs collectifs ou « comment construire les conditions d'une démocratie d'acteurs collectifs ?», Note interne, CPDR, UCL, 2009, p.23. * 947 Ceci corrobore la topologie de Joseph N'KWASA BUPELE, Cours d'épistémologie des sciences de la communication, Unikin ,2008. * 948 MAESSCHALCK Marc, Démocratie et acteurs collectifs ou « comment construire les conditions d'une démocratie d'acteurs collectifs ?», Note interne, CPDR, UCL, 2009, pp.14-16. * 949Ibidem, p.90. * 950Ibidem, p.89. * 951 Voir Fabrice CLEMENT et Laurence KAUFMANN, « Esquisse d'une ontologie des faits sociaux », p.125. * 952Ibidem, (Avant-propos). * 953 Voir John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p. 1995. * 954 Fabrice CLEMENT et alii, op.cit., p.125. * 955 Ces mutations affectent par ailleurs l'Afrique. |
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