L'EXPLOITATION SOCIO-ECONOMIQUE DES
ENFANTS DE LA RUE COMME NOUVELLE FORME D'ESCLAVAGE A BUKAVU
Par : Aksanti Cirhibuka Dieu Merci et
Tombola Rugina Jacques
Assistants aux facultés des Sciences
Sociales, Politiques et Administratives et Sciences Economiques et de Gestion
de l'Université Officielle de Bukavu
INTRODUCTION
. L'enfant constitue l'avenir de demain. De ce fait, il doit
bénéficier d'une protection spéciale pour garantir son
bien-être. La famille et la communauté restent des endroits
privilégiés et favorables pour la protection de l'enfant en
dépit de toutes les autres formes d'avantages que peuvent offrir
d'autres institutions de protection avec des bons cadres d'hébergement
et de substitution. Hélas, confrontés aux difficultés
socioéconomiques de divers ordres liées à la
dégradation du système dans son ensemble, les gouvernements, les
familles et les organisations non gouvernementales parviennent difficilement
à subvenir aux besoins des groupes vulnérables dont les femmes et
les enfants. La vulnérabilité de l'enfant est due à son
immaturité, à son inexpérience et à son inaptitude
physique. La communauté se retrouve, de ce fait, face aux immenses
défis de dégradation sociale, parmi lesquels il faut noter les
difficultés d'assurer la protection des enfants contre toute forme
d'exploitation surtout à de multiples abus notamment leur exploitation
pour des fins économiques. . Dans la plupart des Etats ayant pris part
à la convention relative aux droits de l'enfant, le respect de certains
droits qu'ont les enfants de la rue n'est pas effectif.
S'il nous faut remonter dans l'histoire, l'on
notera qu'au 19è siècle interviendra une prise de conscience au
sein de la communauté internationale en ce qui concerne la
nécessité de protéger les enfants contre toutes les formes
de graves violations (recrutement dans les forces combattantes,
enlèvements et trafics, proxenètisme, etc) ; bref contre
toutes les pires formes de maltraitances, de traitements dégradants,
cruels et inhumains.
Cependant, la fin du 20è siècle
marque l'aboutissement d'un long processus inhérent à
l'impérieuse nécessité de la reconnaissance des droits de
l'enfant quant à la protection de celui-ci et du statut spécial
de l'enfance ; cela avec l'adoption à l'unanimité par
l'Assemblée Génerale de Nations Unies le 20 Novembre 1989 de la
Convention relative aux Droits de l'Enfant et de sa mise en vigueur le 02
septembre 1990.
Tout compte fait, divers travaux scientifiques sur la
situation des groupes vulnérables et particulièrement les enfants
de la rue ont été produits de par le monde. Ainsi :
-Ilunga Kayombo Bernard1(*)dresse un constat alarmant et une
alerte en direction de la communauté nationale congolaise relatifs
à la situation de plusieurs enfants qui envahissent chaque jour les
marchés, les abords des salles de fête et les places publiques
à la quête de leur survie. Pour lui, toute société
qui accepte de déverser dans la rue ses propres enfants tels les
déchets, se disqualifie et se condamne, par le fait meme, à la
déchéance.Il en est de meme de toute personne adulte qui se
decharge sur d'autres de ses responsabilités de parent car estime t-il
que l'avenir appartient à ceux qui auront su donner aux
générations présentes des raisons de vivre et
d'esperer.
-Ann Veneman et Bellamy2(*) estiment qu'en adoptant la
convention relative aux droits de l'enfant, le monde a compris que
l'humanité ne pouvait progresser qu'a condition que tous les enfants
bénéficient d'une enfance saine et protégée. Cela
en effet car la qualité de la vie d'un enfant dépend des
décisions qui sont prises tous les jours dans les familles, les
communautés et dans les bureaux des gouvernements. Il s'avère
donc impérieux de prendre judicieusement ces décisions tenant
compte de l'interet supérieur de l'enfant du fait que si la
communauté n'arrive pas à protèger les enfants, elle ne
parviendra non plus à atteindre les objectifs mondiaux les plus
généraux ayant trait aux droits humains et au
développement. Ils font remarquer que combler le fossé entre une
enfance idéale et la réalité que connaisse la
moitié des enfants du monde est une question de choix et proposent
ainsi à la communauté internationale une thérapie à
la question du comment protéger les enfants articulée autour de
trois pistes principales dont :
*L'adoption d'une approche de
dévéloppement économique et social qui soit fondé
sur les questions des droits humains, en s'efforçant tout
particulièrement d'aider les enfants les enfants les plus
vulnérables;
*La priorisation de tous les domaines de
développement des politiques équitables qui tiennent compte des
enfants ;
*L'obtention de l'engagement des particuliers, des
organisations de protection de l'enfance, des familles, des entreprises et des
communautés à prenre active et continuellement à
l'amélioration des conditions des enfants et à mobiliser leurs
ressources de façon à promouvoir et à défendre les
droits des enfants.
- Faustin Muliri3(*)démontre que toutes les
sociétés du monde espèrent que leurs enfants grandiront et
deviendront des citoyens dignes, capables et responsables qui contribueront au
bien-etre de leur communauté. Pourtant dans de nombreux pays en crises
comme la RDC, les enfants se voient refuser le respect de leurs droits ;
celui de protection surtout, qui leur permettront de survivre, de se
développer au mieux et de participer activement à la vie
communautaire. De son étude, il fait ressortir qu'à Bukavu lors
des guerres dites de libération et de rectification respectivement en
1996 par la coalition armée AFDL et en 1998 par le RCD -Goma, la
situation des enfants ne faisait que s'empirer de telle sorte que des cas de
déplacement des populations, d'exode rural, de polygynie, de chomage des
parents ou d'impaiement de salaires, de pauvrété et
d'insécurité généralisée, des divorces, de
déscolarisation affectent dangereusement et plus que jamais les enfants.
A cause ce lot de faits ignobles laissant transparaitre un tableau sombre sur
la situation des enfants, naquirent plusieurs organisations non
gouvernementales avec comme mission de rectifier le tir: redonner de l'espoir
à des milliers d'enfants abandonnés à la merci de la rue
avec des corollaires comme les maladies, la malnutrition, la toxicomanie, la
prostitution et le banditisme.
Tout compte fait, l'on remarque même que
depuis la nuit des temps et jusqu'en ces jours, les enfants ont
été et continuent à etre victimes de plusieurs maux
sociaux qui handicapent leur croissance physique, morale et leur
épanouissement social. Ainsi, la République Démocratique
du Congo en général et la ville de Bukavu en particulier n'ont
pas dérogé à cette règle cruelle. Parmi les
problèmes sociaux les plus frappants dont les enfants sont victimes dans
la ville de Bukavu, nous citons la non l'analphabétisme, les
catastrophes naturelles, les coutumes et pratiques rétrogrades,
l'enrôlement dans l'armée, les dislocations familiales, les
décès de l'un des parents, etc.La conjonction de ces
différents maux rend propensifs les enfants dan un élan de
recherche des antidotes envue de leur maintien. Hélas, ces
mécanismes de résilience dont adoptent ces enfants les laissent
croire que seule la rue offrirait une alternative ; ainsi naitront les
tristement célèbres phénomènes « enfants
de la rue » et « enfants dans la rue »
Conscientes de la gravité de ces
phénomènes et de leurs corollaires, de la passivité du
gouvernement à travers ses structures spécialisées, des
familles et des communautés dont sont originaires ces enfants, plusieurs
organisations privées prolifèrent actuellement dans la ville de
Bukavu et son hinterland mais leurs actions paraissent moins efficaces au vu
de l'ampleur du problème (nombre d'enfants de la rue qui croit du
jour le jour). Au regard de ce qui précède, certaines
interrogations méritent d'etre soulevées :
· Quels sont les facteurs explicatifs du
phénomène « enfants de la rue » dans la
ville de Bukavu et ses périphéries ?
· Quels sont leurs moyens de subsistance ? En
d'autres termes comment subviennent-ils à leurs besoins ?
· Peut-on envisager de nouvelles alternatives pour
éradiquer ce fléau et humaniser ainsi notre milieu ?
Les considérations suivantes peuvent etre retenues en
guise d'hypothèses :
1. Les difficultés familiales traduites par la faillite
de l'entreprise économique familiale au cours de laquelle les parents
n'arrivent plus à subvenir aux besoins vitaux de leurs enfants(
habillement décent, alimentation suffisante, scolarisation,
etc) ,la séparation des parents qui engendre la dislocation et
l'ébranlement de l'unité familiale où chaque enfant est
appelé à se debrouiller à sa guise, la
déscolarisation, les naissances précoces et le manque
d'occupation appropriée aux enfants pendant les vacances ;les
fausses accusations de sorcellerie seraient des facteurs explicatifs du
phénomène «enfants de la rue » .
2. Les moyens de subsistance de ces enfants seraient la
vacation à certaines activités pouvant leur rapporter le revenu
(transport des colis, travaux de manutention et dans les chantiers de
construction,...), le vol, la mendicité, le lavage des véhicules,
le recours aux organisations non gouvernementales dont la mission est
l'encadrement des enfants de la rue.
3. Pour redresser la situation et humaniser notre milieu, des
solutions nouvelles sont possibles notamment l'acceuil à bras ouverts de
tous les enfants jadis coupés de la chaleur familiale et communautaire
et longtemps plongés dans une vie désespérement
indescriptible et ce, en les épargnant de la marginalisation, de la
stigmatisation, des préjugés et stéréotypes ainsi
que de la discrimination - signe de non
intégration ;l'attente, le dialogue et l'écoute active entre
les parents en vue d'éviter aux enfants des drames traumatisants(
querelles des parents, divorces) qui les poussent à fuir le toit
familial cherchant refuge et calme ailleurs.
I. Enfants de la rue : Perceptions et
problèmes
Aujourd'hui, le terme
« enfant » est beaucoup plus largement entendu puisqu'il
est défini par la Convention relative aux Droits de l'Enfant en son
article 1er comme « tout être humain
âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte
plus tôt ». C'est dans ce sens que nous utilisons ce terme,
tout en signalant que le seuil d'âge n'a rien d'absolu : à
certains égards, on cesse d'être enfant plus tôt par exemple
si l'on est émancipé. Mais, on peut le rester plus tard (par
exemple certaines mesures d'assistance sociale et éducative peuvent
durer jusqu'à 21ans). Le terme d'enfant sert aussi à
désigner une relation familiale : dans ce second sens, il n'y a pas
de limite d'age. L'enfant est dorénavent pensé comme un sujet de
droit, une personne dotée de liberté, contrairement à la
vision la plus traditionnelle qui voyait dans l'enfant l'objet de la puissance
paternelle et l'avenir de la lignée4(*).
Tout compte fait, les perceptions de l'enfant
diffèrent selon les pays et les communautés, quoique les
étapes fondamentales de développement demeurent les memes.
Parfois, l'élement pris en considération est soit l'age, le
statut marital, le rite initiatique, le niveau d'éducation, le
degré de responsabilité, etc. Ceci fait que face à la
diversité des manières de définir l'enfance, les normes
juridiques internationales tendent à définir des règles
minimales universelles dans le but de protéger les enfants.
De cette même large
compréhension, l'on note que « les enfants de la
rue » sont ceux qui, pour des raisons diverses ont fuit le toit
familial en préférant se réfugier dans les rues, les
marchés, les aéroports, les beachs ; bref dans les places
publiques où ils se débrouillent pour trouver de quoi manger et
satisfaire d'autres besoins de la vie sociale. Selon
Rolland5(*), « les enfants de la rue » sont
ceux qui vivent, jouent, travaillent, mangent et dorment dans la rue ; ils
ont donc pris la rue comme leur milieu de vie tandis que « les
enfants dans la rue » sont ceux-là qui, à cause de la
misère de leurs parents, cherchent de quoi manger pendant la
journée dans la rue, et le soir, ils rentrent à la maison. Dans
un cas comme dans un autre, il s'agit des enfants livrés à eux-
memes, vivant en rupture des liens familiaux et considérant la rue comme
leur milieu de vie temporel ou permanent en y construisant une structure de vie
propre à eux. Ils viennent en majorité des familles
démunies ou des familles déchirées par des multiples
crises mais ils entretiennent des relations sporadiques avec l'un ou l'autre
de leurs parents voire certains membres familiaux ou de l'entourage. Quant
à Françoise Dekeuwer-Défossez6(*), les enfants de la rue
sont dans la catégorie d'enfants en dangers permanents et imminents. Il
s'agit donc des enfants dont la santé, la sécurité, ou la
moralité paraissent ménacées ; enfants dont les
conditions d'éducation sont gravement compromises.D'où, l'optique
de l'intervention socio-judiciaire devrait être plus thérapeutique
que repressive, c'est-à-dire qu'il faudrait prendre ce genre d'enfants
de prime abord comme des personnes ménacées et non comme des
personnes ménaçantes. C'est justement cette perspective poursuit
l'auteur, qui renforce le prolongement de toutes les règles de
protection et d'éducation des enfants ; règles qui, une fois
mises en pratique, permettront à l'enfant de grandir, car de la bonne
réussite de l'éducation de l'enfant dépendent, non
seulement son avenir propre, mais encore celui de toute la
société où il s'insérera, et les droits des enfants
se modifient au cours de leur croissance.
Qui plus est, dans certains coins de la ville de
Bukavu, on note une forte tendance à traiter tout « enfant de
la rue et dans la rue » comme un délinquant actuel ou
potentiel. En assimilant les autres catégories lorsque des infractions
ou des voies de faits sont commises dans la rue, on les qualifie d'actes
d'enfants de la rue, meme si ce n'est pas toujours le cas. Aussi, il est
très courant d'entendre parler d'enfants de la rue ou de marchés
pour se referer, sans distinction d'age, tant aux petits enfants qu'aux jeunes
adultes sans abris qui vivent dans la rue. D'où, les « enfants
de la rue »jouent hélas un role de « boucs
émissaires » pour des désordres et actes de
délinquance commis par ces « jeunes adultes de la
rue » désoeuvrés ou par des jeunes de quartiers
organisés très souvent en gangs criminels. L'exemple de
l'intervention très musclée des forces de l'ordre dans la ville
de Mbuji-Mayi en date du 20 au 25 septembre 2004 contre des jeunes et enfants
de la rue confondus est éloquent et illustratif meme de cet amalgame
dans l'esprit des gens entre des jeunes délinquants
désoeuvrés et des enfants développant des
stratégies de survie dans les rues et sur des places publiques.
II. Moyens de subsistance des enfants de la rue et leur
exploitation à des fins économiques comme nouvelle forme
d'esclavagisme.
Les enfants de la rue développent des
stratégies de survie pour subvenir eux-mêmes à leurs
besoins alimentaires et vestimentaires. Ainsi, certains d'entre eux s'adonnent
à des activités génératrices des revenus telles que
les travaux de manutention, l'entretien et la garde des véhicules. Ces
derniers se placent dans les places publiques où ils attendent les
éventuelles « offres » de la part soit de ceux qui
viennent des marchés ou de ceux qui veulent charger ou décharger
les biens de consommation. D'autres exercent dans le cirage des souliers, etc.
Dans tous les cas, l'argent reçu juste après le service rendu
à des tiers n'est pas hélas proportionnel à ce service car
de temps en temps, l'activité exercée nécessite la
mobilisation de l'énergie physique et du temps suffisant comme le prouve
le tableau illustratif ci-après :
N°
|
Nombre d'enquêtés
|
Activités exercées
|
Lieu d'exercice du travail
|
Durée de travail
|
Rémunération
|
Risques en courus
|
1
|
12
|
Manutention, chargement et déchargement des
véhicules
|
Tous les arrêts-bus, les carrefours et grands
marchés de la ville
|
Tous les jours de 7h30 jusque vers la tombée de la
nuit
|
-200FC à 500FC pour les colis légers et à
des distances moins longues,
-700FC à 1000FC pour les colis lourds et à des
distances longues
|
-Altération et affectation des la santé de
l'enfant et du rythme normal de développement physique.
|
2
|
3
|
Cirage des souliers
|
A Nyawera et à la place feu- rouge
|
De 08h jusque vers 16h30
|
200FC par paire de souliers
|
Malaises dorsales et musculaires
|
3
|
11
|
Entretien (lavage) des véhicules
|
A Nguba au rond point, à Funu, au beach Muhanzi et
autres points d'eau aménagés
|
De 6h30 jusque vers 18h
|
1500FC à 3000FC par véhicule
|
Idem.
|
4
|
4
|
Coulage des dalles
|
Partout dans la ville de Bukavu dans les chantiers de
construction
|
De 7h jusqu'à la fin de l'opération.
|
2,5 à 3 dollars
|
-Maladies vasculaires et hémorragiques
|
5
|
8
|
Evacuation des déchets et autres ordures
ménagères vers les poubelles publiques
|
Dans les familles partout dans la ville de Bukavu,
principalement au centre ville.
|
De 10h jusque vers 18h
|
1000FC
|
-Maladies de mains sales comme le paludisme, le
choléra, etc.
|
Source : Nos enquêtes.
De ce tableau, il ressort donc que les
enfants de la rue sont surexploités par ceux qui les emploient au regard
des travaux exercés. Par exemple pour la première
catégorie des enfants enquêtés, c'est-à-dire celle
qui concerne les enfants exerçant dans la manutention, la nature des
colis à transporter sur la tête ou sur le dos laisserait croire
que la rémunération réellement reçue ne devrait pas
être ainsi quand on s'en tient seulement à la grandeur de la
tâche, aux conséquences et autres dangers encourus. Cette
situation est la même pour les autres catégories où
l'énergie déployée- physique surtout- n'est pas
compensée au prorata.
C'est justement cette situation
d'exploitation de l'homme par l'homme qui traduit en fait la dimension de
l'esclavagisme contre les enfants de la rue. De plus, l'on note que beaucoup
d'organisations se disant oeuvrer en faveur des enfants de la rue n'affectent
pas le gros de ressources allouées pour la cause de ces enfants ;
ressources devenues alors des moyens sûrs d'enrichissement des
responsables de ces organisations. Ceci a fait que les problèmes des
enfants de la rue sont devenus un fond de commerce de plusieurs personnes
à Bukavu ; d'où, prolifération à Bukavu des
organisations de protection des enfants vulnérables.
III. Enfants de la rue :
récupération-encadrement, réinsertion-intégration
Comme ci-haut, la ville de Bukavu connait un foisonnement des
organisations non gouvernementales ayant à leur sein des programmes
dits de« Protection de l'Enfance ». Ces organisations
procèdent par stratégies et approches différentes mais
celles-ci ont en commun une même source d'inspiration à savoir les
standards internationaux relatifs à la défense et la promotion
des droits de l'enfant. Ainsi, dans le cadre de ce travail, nous
considérons les approches développées par deux
organisations dont le Programme Diocésain d'Encadrement des Enfants de
la Rue (PEDER) et la Solidarity Action for Children in
Destress (SACD).
Pour la première organisation(le centre
PEDER), la procédure qui aboutit à la récupération,
à l'encadrement et à la réinsertion des enfants de la rue
suit les étapes suivantes :
a) Ciblage des coins où sont disséminés
tous ces enfants ;
b) Inventaire du nombre d'enfants par coins retenus ;
c) Dialogue et entretien avec les enfants ;
d) Récupération des enfants ayant
été convaincus par le message des encadreurs et animateurs
sociaux au service du centre ;
e) Mise en train et écoute des enfants
récupérés ;
f) Hébergement effectif de ces enfants ;
g) Processus de réinsertion
socio-professionnelle : ce processus met en face trois acteurs dont le
centre, l'enfant lui-meme et sa communauté d'origine car une fois que
l'enfant rentre dans sa famille et partant dans sa communauté, le
programme veut que la communauté, au-délà de l'acceuil
qu'elle reserve à l'enfant réinseré puisse lui permettre
de retrouver une vie normale dans la société et de participer aux
activités de survie et de développement comme membre de cette
meme communauté à part entière.
Cette disposition de la communauté à faire
participer l'enfant lui permettrait d'etre restauré dans son corps
social d'antan à travers une intégration à quatre niveaux
selon Landerker7(*):
*L'intégration culturelle qui
est la concordance entre les valeurs au sein du système culturel d'une
société. Ici, l'enfant réinseré intériorise
de nouveau les valeurs culturelles longtemps bafouées et foulées
aux pieds lorsque cet enfant était encore sous l'emprise de la
rue ;
*L'intégration normative entendue
comme une conformité aux normes sociales. A ce niveau, l'enfant agit et
se comporte dorénavent en harmonie avec le corpus de
préscriptions et proscriptions telles qu'édictées par la
communauté ou la société ;
*L'intégration communautaire comprise
et mesurée par la densité des relations interpersonnelles au sein
d'un corps social ; ce sont donc des contacts entre les sous-groupes d'une
population. Ici, l'enfant réinseré renoue encore les relations
avec ses frères, ses parents et son environnement ; relations jadis
rompues par la « vie de la rue ».
*L'intégration
fonctionnelle prise comme l'interdépendance
résultant des échanges des services entre les élements du
système où il ya division sociale du travail. A ce titre,
l'enfant sorti de la rue met à profit, pour la communauté, la
formation reçue dans le centre d'encadrement socioprofessionnel avant
son intégration et obtenir aussi d'autres compétences de la part
des membres de sa communauté.
Cependant, l'approche de réinsertion
économique consiste à définir pour chaque enfant un plan
professionnel en vue de son accès à des revenus durables ;
plan qui passe soit par l'orientation professionnelle soit par la formation
professionnelle et par l'apprentissage à travers l'emploi, l'auto-emploi
et les activités génératrices des revenus. Quant à
l'approche de réinsertion sociale, elle se résume en deux axes
dont la réinsertion scolaire et la réinsertion communautaire
renforcée par la réunification familiale. Elle consiste pour
l'enfant à retrouver socialement sa place dans un environnement et un
système qui favorisent son développement et le respect de ses
droits. Dans ces deux axes, la communauté jouera plusieurs rôles
notamment la participation au travail de mise en place et de la canalisation du
soutien social et économique aux familles et communautés
d'origine de ces enfants pour qu'elles soient en mesure de les accompagner,
s'assurer de leur participation à des structures de scolarisation en
sollicitant la gratuité ou la subvention des frais scolaires
(école formelle, centre de rattrapage, etc). Mais, il reste
impérieux de mentionner que l'idéal de toute réinsertion
est de ramener les enfants à l'école et à la vie normales,
mieux les aider à retrouver leurs environnements naturels.
Pour la deuxième organisation (la SACD),
l'approche de réinsertion-intégration suit la procédure
suivante :
· La recherche et l'identification de l'enfant :
cette étape consiste pour le centre en un répérage et une
récupération des enfants concernés par ses
activités et de là, on procède par leur orientation au
centre.
· L'encadrement psychosocial et éducatif
consistant à des séances de détraumatisation et de remise
en forme des enfants récupérés pour les permettre de
retrouver tant soit peu un nouveau climat de paix interieure.
· Le tracing familial (recherche familiale) qui
consiste à localiser la famille de l'enfant étant donné
que la famille reste toujours le meilleur cadre d'épanouissement de
l'enfant
· La préparation de l'enfant à sa
réinsertion qui est une étape importante dans le processus
d'intégration familiale et communautaire surtout quand la
séparation de l'enfant avec sa famille était motivée par
un climat familial permanemment tumultueux et émaillé des longues
péripéties malheureuses. Ici, on doit préparer l'enfant
avec trop de tacts pour le rassurer que depuis son départ de la famille,
il ya eu des changements positifs.
· La sensibilisation familiale et communautaire pour
l'acceuil de l'enfant : celle-ci consiste à obtenir des parents ou
de tout autre membre de la communauté un accord de principe traduit par
des garanties sécuritaires en faveur de l'enfant à
réinsérer.
· La recherche et l'obtention du consentement tripartite
entre le centre, l'enfant et sa famille comme préalable à la
réinsertion : cette étape est également capitale car
elle permet de recréer des nouveaux liens de confiance entre l'enfant,
sa famille ou sa communauté et le centre.
· La remise de l'enfant à sa famille
accompagnée de l'octroi d'un kit par rapport à la formation
réçue par l'enfant. A ce niveau, le centre organise une
cérémonie solennelle au cours de laquelle la famille atteste par
écrit avoir réçu l'enfant et s'engage de prendre soin de
lui et cela, devant une autorité du milieu qui, à son tour se
résoud de faire des suivis pour se rendre compte de l'effectivité
de la réinsertion-intégration de cet enfant.
Il sied hélàs de dégager un constant
selon lequel certains enfants avant d'être réinsérés
préfèrent déserter le centre et retourner dans les rues,
les marchés et les places publiques avancant des raisons
suivantes :
a) La restriction de leur liberté dans les
centres ;
b) La recherche de l'indépendance ;
c) Le goût effréné de l'aventure ;
d) L'hébergement difficile ;
e) Une alimentation peu copieuse et
routinière ;
f) Un traitement disproportionné au centre.
Etat comparatif des actions des agences de
récupération-intégration-réinsertion des enfants de
la rue.
Même si certains enfants
récupérés et réinsérés parviennent
à retrouver la vie normale jadis perdue dans les rues et dans les
pratiques criminelles, il ressort de nos enquêtes que les actions de ces
agences ne sont pas durables car la plupart d'entre elles répondent
à des logiques de projets financés pour une durée bien
déterminée. Ceci fait que certains de ces enfants retombent
pirement dans leur situation d'antan.
Anthony Oberschall8(*) fait remarquer que
l'absence des liens de décomposition des réseaux d'interaction
sont un obstacle à la mobilisation. La capacité de mener une
action concertée et donc synergique dépend étroitement du
dégré et du type d'organisation inhérent à la
collectivité. Quant à Herman9(*), l'action sociale est
un construit symbolique qui fait intervenir les attentes, les anticipations et
les évolutions des agents sociaux face à des situations
contraignantes qui les forçent à élaborer des
interprétations originales inspirées des codes culturels
dominants. Ainsi dans l'ensemble, on note que la logique et le souhait
même des interventions synergiques semblent écartés au
point que les actions de ces agences paraissent disparates et laconiques par
manque d'une unité de coordination efficiente et efficace sur le
terrain.
CONCLUSION ET SUGGESTIONS
Au terme de cette étude, il
ressort que les enfants de la rue sont en ces jours victimes de l'exploitation
de la part même de ceux qui sont censés les protéger.L'on a
noté à travers cette recherche que le déclenchement des
guerres dites de libération et de rectification, la résurgence
des groupes armés ainsi que l'insécurité grandissante
causant ainsi le déplacement des populations et l'exode rural vers des
zones urbaines qui semblent garantir la sécurité, le
déchirement des familles par les cas de divorces, de polygynie et de
décès de l'un ou de deux parents sont autant de facteurs
explicatifs du phénomène des enfants de la rue. On a
constaté aussi que les enfants de la rue s'adonnent à plusieurs
activités pour leur survie mais les rémunérations obtenues
à l'issue de ces travaux sont très dérisoires et certains
responsables des organisations de protection des enfants vulnérables
s'enrichissent sur le dos des enfants de la rue en demandant des fonds qui ne
profitent pas à ces enfants. Enfin, les actions de ces organisations
demeurent inefficaces et moins durables que possibles car elles suivent les
logiques des projets conçus d'avance et ne tiennent pas compte des
secteurs clés comme l'éducation et la santé. Ces
organisations procèdent par stratégies différentes au
point que leurs actions sont disparates et laconiques avec comme
conséquence directe une dispersion des moyens et d'efforts.
Eu égard de tout ceci et en vue d'humaniser notre
milieu, les solutions suivantes peuvent être proposées :
1. La restauration des familles déchirées
même si cela reste un travail de longue haleine car le divorce et les
séparations précoces des parents comme l'une des manifestations
les plus illustratives de ces déchirements sont des
phénomènes sociaux plus complexes ;
2. Le découragement des options pro natalistes moins
réfléchies au sein des familles à travers un appel
pathétique et pressant au contrôle des naissances qui, en
revanche, évitera en premier lieu aux parents de faire face aux besoins
des enfants dépassant la capacité financière de la famille
et en second lieu aux enfants de ne pas se lancer précocement dans la
débrouillardise ;
3. Aux organisations de protection de l'enfance et surtout
celles qui s'occupent de la récupération, de l'encadrement et de
la réinsertion des enfants de la rue de repenser leur logique de travail
car certaines des approches et stratégies dont elles adoptent ne
répondent plus efficacement au vues des multiples attentes et exigences
voire de l'urgence.
BIBLIOGRAPHIE FINALE
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social et la recherche scientifique, Bruxelles, De Boeck, 2003.
2. AKSANTI CIRHIBUKA, DM., L'éducation des enfants en
RDC : Droit ou Faveur ? in « La voix de la jeunesse du
Congo », No1, 2005.
3. AKSANTI CIRHIBUKA, DM. , Mécanismes d'action des
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Licence, Sociologie, 2010-2011.
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éd. Larousse, 2006.
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7. COOMBS, P, La crise mondiale de l'éducation,
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8. DEKEUWER-DEFOSSEZ, D ., Les droits de
l'enfant , Paris, PUF,5e éd .,1982,
Collection « Que sais-je? ».
9. ILUNGA, K., Quand les enfants crient misère,
Kinshasa, Médiaspaul, 1997.
10. LAROSA, Comment les enfants apprennent et
désapprennent les préjugés, S.v, S.e., 2000.
* 1 Bernard Ilunga KAYOMBO,
Quand les enfants crient misère, Médiaspaul, Kinshasa, 1997
.
* 2Ann Veneman et Bellamy.,
Les enfants d'abord, New- York, UNICEF,2006
* 3 Faustin Muliri,
Directives sur les Droits de l'Enfant, Bukavu, Juillet 2002
* 4 Convention des Nations-
Unies relative aux Droits de l'Enfant, New-York, 1989.
* 5 Rolland cité par
Aksanti Cirhibuka, Mécanismes d'action des agences de
protection de l'enfance à Bukavu, Mémoire
inédit, Sociologie, UOB, 2010-2011.
* 6 F.
Dekeuwer-Défossez, Les droits de l'enfant, PUF 5e
éd, , Paris, 1982, collection « Que
sais-je ? »
* 7 Landerker cité par
Raymond Boudon et al, Dictionnaire de sociologie, éd.
Larousse-Bordas, 1999,p127.
* 8 A. Oberschall cité
par R. Boudon, Op Cit.
* 9 Herman, Op cit,
p18.
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