I.2.2. L'explosion spatiale à Kinshasa
Toute ville tant à grandir lorsque la fonction pour
laquelle elle a été créée prend de l'ampleur,
d'autres fonctions viennent automatiquement s'y incruster. La ville devient
plurifonctionnelle car chaque fonction a besoin du personnel et de la main
d'oeuvre de plus en plus nombreuse ; cette plurifonctionnalité fait
éclater les limites du territoire urbain.
Lors de sa création en 1884, la ville de
Léopoldville (actuelle Kinshasa) ne s'étalait que sur 115 ha et
Kinshasa occupe une superficie de 9 965 000 Km2, en 2011. Cette
croissance est due à plusieurs facteurs :
En 1898 à l'arrivée du rail, le petit poste de
Léopoldville se transforme, mais demeure encore un archipel de petits
villages disséminés dans la plaine alluviale. Sa mutation en une
porte d'entrée et de sortie du territoire national marque le
début de la croissance spatiale effrénée. Rapidement la
ville se transforme en un haut lieu de convergence et d'échange,
c'est-à-dire en un important point de rupture de charge entre la
navigation fluviale et les transports terrestres ouvrant ainsi le
débouché vers la mer.
En 1912, débute L'extension proprement dite de
Léopoldville lorsque Moulaert entreprend la réunification des
agglomérations de Léopoldville, Kalina et Ndolo. En 1914 Il y a
eu construction des toutes premières infrastructures, les bungalows sur
pilotis pour européens et les cases en pissé et en briques adobes
pour les populations indigènes. Plus au Sud vivent entre 12 000 et 13
000 personnes dans ce qu'on nomme la « Cité Africaine », sous
l'appellation Kinshasa.
Cinq ans après soit en 1919, la ville va vite
déborder de son `'site d'origine» : d'abord en 1920 après la
réunification de Léopoldville et de Kinshasa en une seule
circonscription urbaine sous l'appellation de Léopoldville pour le
transfert de la capitale de Boma à Léopoldville,
décidé en 1923. Cela conduit à la construction les grandes
infrastructures et les habitations appelées à accueillir 2500
européens et plus de 30 000 congolais. (Hôtel de ville de
Kinshasa, 2007). En 1929, Léopoldville n'est qu'une petite bourgade,
avec les cités Kintambo, Gombe, Kinshasa, Barumbu et Saint Jean. Comme
les Européens et les Africains ne peuvent pas cohabiter, le plan
d'urbanisme conçoit un habitat séparé, mais avec comme
conséquence la grande consommation de l'espace urbain.
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Léopoldville est donc, en 1950, une petite et coquette
ville de 201 905 habitants sur 2331 ha. Mais, déjà
l'administration coloniale ambitionne d'en faire une métropole de la
sous-région d'Afrique centrale. Elle voit tout en grand et dote la ville
d'imposants équipements. La même année (1950) la mise en
oeuvre du plan d'urbanisme oriente les quartiers africains de la ville vers
l'Est. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'administration coloniale
crée trois nouvelles cités : Kasa-Vubu, Ngiri-Ngiri et
partiellement Kalamu.
Cela a des conséquences sur la consommation de l'espace
bâti qui atteint 5 512 hectares (Nzofo, 2002) en 1957. Entre 1954 et
1960, les cités Matete, Bandalungwa, Kintambo, Lemba, Ndjili et Kalamu
voient le jour dans le tissu urbain. En 1959 la ville n'a que onze communes,
mais devient spacieuse. Les périphéries des nouvelles
cités indigènes (Ngiri-Ngiri) et des nouvelles cités
planifiées indigènes (Lemba, Matete, Ndjili) seront construites.
En 1960, les constructions se sont étendues dans la plaine et sur les
collines du Sud, et plus récemment vers l'Est à Kimbanseke et
Masina, et vers l'Ouest en direction de Kinsuka. La ville connaît un
développement spontané des villages en chapelet le long de la
Nationale N°1 à l'Est en direction de la Province de Bandundu :
Kinkole, Nsele, Kimpoko. Elle compte aussi d'autres villages agricoles dont
Matadi-Kibala, Mbenseke-Mfuti, Mitendi sur la même route nationale
n°1 à l'Ouest en direction de la province du Bas-Congo.
Le plan de développement élaboré en 1967
par l'administration qui traçait les grandes lignes de fonctionnement de
la structure urbaine jusqu' à la fin de l'année 1975 se retrouve
donc vite débordé par la rapide croissance urbaine. Pour preuve,
ce plan prévoyait 12 000 ha de surface urbanisable en 1967, curieusement
19 000 ha de superficie étaient urbanisés en 1975 alors que la
ville abritait à peine 1 679 091 habitants (Léon de Saint Moulin,
op.cit). Vers les années 80 il y a eu l'érection des nouvelles
cités planifiées collinaires pour répondre aux besoins en
logements de cette ville de 2 664 309 habitants en 1984 (Lelo Nzuzi et
Tshimanga Mbuyi, 2004).
La croissance récente de la ville s'est donc faite par
bons successifs, chaque bond correspond à une occupation importante en
surface mais à faible densité de population, la densification
apparaissant à la période suivante. Après l'occupation de
Kimbanseke et de Masina, il ne restait qu'à franchir la coupure de
l'aéroport et des Forces Armées Zaïroises pour atteindre la
ville - Est seul exutoire possible à la poussée de
l'urbanisation. Etant construite sur une vaste plaine, Kinshasa
présentait un potentiel facilement urbanisable qui constituait un
avantage déterminant
pour la ville. C'est ainsi que la ville de Stanley a vu
rapidement débordé de son site primitif par agglutination des
villages voisins.
Le processus de l'urbanisation de cet espace devrait
être
contrôlé et dirigé afin d'éviter le
« gâchis » ; mais il est lotis non conformement aux normes
urbanistiques et il y a plusieurs quartiers dont l'extension n'est pas
dirigée mais spontanée. On ne se retrouve plus en ville avec les
références de jadis, une cité de 115 ha en 1881 a vu sa
superficie s'étaler de 650 ha en 1919, à l'indépendance,
celle-ci est montée à 5500 ha et en 2010, la ville s'étend
sur une superficie de 9965,2 Km2 10 000Km2.
Ce changement d'échelle de 115 ha qui permettait
à un piéton de connaitre toute la ville et de suivre son
évolution, elle est en 2011 de 9965,2 Km2, « l'espace
vécu » s'étend sur des kilomètres linéaires et
une grande partie des quartiers anciens et des quartiers
périphériques absorbés sont méconnus. Il sied de
signaler que la croissance de la ville province de Kinshasa s'est faite dans
toutes les directions sauf à l'Ouest et Nord où elle rencontre
une barrière naturelle qu'est le fleuve Congo.
La mesure de l'étalement de la ville de Morton reste
difficile à connaitre, les limites sont remises en causes
régulièrement, on ne sait pas exactement où
s'arrêtent-t-elles ? Il suffit de regarder la carte des années
1950 et la superposer avec celle de 2011 pour se rendre compte de la croissance
spatiale de la ville de Kinshasa. Ce sont des quartiers nouveaux d'auto
construction voire des communes entières (Kisenso, Mont Ngafula,
Kimbanseke, Masina, Kingabua, Matete, Lemba, Ngaba, Makala, Selembao, et
actuellement Mpasa I et II...) qui entourent le noyau initial (Gombe, Ngaliema,
Kinshasa, Barumbu, Lingwala, Ngiri-Ngiri, Kasavubu, Bandalungua,
Kintambo....).
Devant une telle expansion, il faut remettre chaque
année le plan à jour et comme la machine administrative est lente
et lourde, personne ne le fait, ce qui conduit à vivre dans un monde
toujours en retard sur la réalité et ceci a pour
conséquence, que toutes les actions et projets en rapport avec la
gestion des décharges urbaines sont quasiment voués à
l'échec à cause de l'étalement démesuré de
la ville de Kinshasa et un manque criant d'infrastructures.
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