Analyse sociopolitique de la crise de l'enseignement supérieur au Burkina Faso: Cas de l'université de Ouagadougou( Télécharger le fichier original )par SIDI BARRY Université de Ouagadougou (UO) - DEA Droit Public: Option: Science Politique 2011 |
B. L'Université et la contestation politiqueL'Université à travers le monde entier a toujours été un haut lieu de contestation, un espace où s'affrontent en permanence plusieurs groupes sociaux animés par des courants politiques et idéologiques divers. La forte surveillance policière des campus universitaires et le désir des pouvoirs publics de maitriser et contrôler ce lieu sont autant d'indices qui révèlent le caractère stratégique des campus. Ainsi, de nombreux auteurs placent les élèves, étudiants et enseignants dans une sorte de «front anti-pouvoir ». Analysant les mobiles profonds de l'agitation estudiantine Alain TOURAINE7(*) s'interroge en ces termes : « la lutte étudiante n'est-elle qu'une agitation où se manifeste la crise de l'université, où porte-t-elle en elle un mouvement social capable de lutter au nom d'objectifs généraux contre une domination sociale ? » Quant à Pierre Bourdieu à travers une lecture sociologique du phénomène de la contestation estudiantine, il affirme sans détour que la «révolte étudiante » s'apparente plutôt à un conflit de génération, qui a pour enjeu réel et symbolique la lutte pour le pouvoir. Pour LEFEBVRE, la contestation estudiantine inaugure la grande contestation, à savoir celle de la société entière, de ses institutions, de ses idéologies. Cette alchimie politique qui aboutit à ce stade l'amène à accepter «la théorie de l'étincelle » qui met le feu aux matériaux inflammables. C'est ainsi que selon lui, les étudiants à travers la contestation politique s'attaquent violemment à la forme de l'enseignement qu'ils accusent de masquer les défauts du système. A ce stade, le mot d'ordre d' « université critique » devient essentiel. Les évènements de Mai 1968 qui ont ébranlé les pouvoirs à travers le monde ont révélé la force du mouvement étudiant. A travers une lecture marxiste de ce mouvement de contestation parti de Nanterre, Henri LEFEBVRE8(*), reconnait que la «révolution de mai 68 » marque l'année de la contestation étudiante à travers le monde. Selon lui, « le mouvement étudiant de 1968 est allé de la réflexion critique à la revendication, de la revendication à la contestation et de la contestation théorique à la pratique contestante ». Il est évident que les analyses faites par ces différents auteurs ne traduisent pas forcément la réalité dans les Université Africaines et précisément au Burkina Faso. C'est ainsi que, Diouf et Diop9(*) , analysant les causes profondes des évènements de Mai 1968 admettent que la volonté des étudiants est «de renverser le cours des choses en vue de favoriser l'avènement d'un contexte leur permettant de jouer leur rôle d'élite moderne de l'avenir, rôle traditionnel des étudiants africains ». Mais quoique indispensable à un éclairage et à une bonne compréhension sur le phénomène de la contestation politique en milieu universitaire, ces analyses demeurent insuffisantes car survolant les présupposés idéologiques et politiques qui dominent l'orientation des mouvements des acteurs universitaires notamment au Burkina Faso. Mamadou COULIBALY10(*) dans un ouvrage consacré à la place de l'enseignement supérieur dans le processus de démocratisation en Afrique admet qu'il faut « «établir une liaison claire entre l'activité cognitive de l'homme et sa prétention à s'opposer au politique. ». Selon lui, l'opposition permanente des intellectuels aux pouvoirs s'expliquerait du fait de leur vocation qui réside essentiellement dans l'affirmation de leur indépendance vis-à-vis du monde politique et qui leur permet de se consacrer à la recherche permanente de la vérité scientifique. Cette position confère aux Universitaires une autonomie de penser et d'action. L'auteur va plus loin dans son analyse et affirme que «l'application ou l'imposition de la politique dans les universités, par la suppression des franchises universitaires et les libertés contingentes, par des régimes non démocratiques, bloque inévitablement l'enseignement et la recherche et donc s'oppose à la méthode scientifique de ces centres d'excellence. » Ainsi, au nom de la dégradation de leur condition de vie et d'étude et des franchises universitaires bafouées, les universitaires dont les étudiants et les enseignants vont revendiquer des libertés, parmi lesquelles la liberté politique. Et selon COULIBALY, «lorsque ces revendications rencontrent l'ajustement structurel et le contexte de crise généralisée dans un univers d'analphabétisme et d'ignorance rationnelle, cela assure des prétentions de politiciens aux universitaires et chercheurs ». Analysant les raisons du contrôle accru des autorités publiques sur l'espace universitaire Pascal Bianchini11(*) soutient que : «La faiblesse de la légitimité des autorités politiques sur les campus et le caractère stratégique que revêt le contrôle de cet espace pour ces autorités les ont souvent conduits à développer une gestion policière et militaire de cet espace. De leur côté, les étudiants par leur activisme organisé (réunions, activités culturelles, sportives) tendent à occuper cet espace à leur manière ». En effet, selon les acteurs du monde universitaire, le campus demeure un « sanctuaire », un « territoire » où s'opèrent les alliances politiques, idéologiques et les stratégies de luttes. Ainsi, il existe une tradition conflictuelle entre les autorités et les acteurs du monde universitaire pour le contrôle de l'université qui constitue le lieu où s'élaborent les stratégies du mouvement enseignant et étudiant et le point de départ de la contestation. * 7Alain Touraine Lutte étudiante, Seuil, Paris 1978, p18. * 8 Henri LEFEBVRE, L'irruption de Nanterre au sommet, édition Anthropos, Paris, 1971 ; P28 * 9 La revanche des élèves et étudiants sur l'Etat et la société civile, AKUT Conférence UPPSALA, oct. 1989. * 10 MAMADOU COULIBALY in Démocratisation, économie, et développement : la place de l'enseignement supérieur ; colloque 12-14 nov. 1991, Paris. * 11Pascal BIANCHINI, Crises de la scolarisation, mouvements sociaux et reformes des systèmes d'enseignement en Afrique noire : cas du Burkina Faso et du Sénégal (1966-1995), thèse de doctorat, Université, Paris VII, 1997, 395cm, 30cm |
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