CHAP V :DISCUSSION ET COMMENTAIRES
Nous avons mené une étude rétrospective,
descriptive transversale qui a portésur les facteurs étiologiques
de la dépression au sein du service de neuropsychiatrie de
l'hôpital Sendwe ; et au sein du Centre Neuropsychiatrique Joseph
Guislain durant la période allant du 1er avril 2009 au 31
mars 2012 (soit une durée de 3 ans). Au terme de notre étude nous
avons trouvé que :
La prévalence hospitalière de la
dépression par rapport aux autres pathologies psychiatriques est de 5,2
% (tableau I). La prévalence de l'Afrique du Sud est de 846 cas de
dépression sur un échantillon de 8630, soit 9,8% (BROMET et al,
2011) ; et celle de la Belgique de 17% (MENDLEWICZ J., 2006) soit une
différence statistiquement significative en comparaison avec celle de
notre étude (p=0,000). En effet, il est aussi possible que le diagnostic
soit méconnu dans nos milieux surtout lorsque la dépression
s'exprime par des symptômes somatiques ou autres n'ayant pas de rapport
avec une tristesse, des pleurs, des idées de la série noire.
Alors que dans les pays industrialisés l'importance des facteurs sociaux
comme le mariage sous contrat, le célibat,... les facteurs liés
au stress, et aux saisons (dépression saisonnière) peuvent
expliquer cette disparité ; mais aussi le déficit en
personnel qualifié pour le diagnostic d'affections psychiatriques dans
notre milieu, et partant la méconnaissance des critères
diagnostiques sous-estime la prévalence de la dépression.
Nous avons noté une prédominance
féminine (58,8 %) avec un sexe ratio de 1,4 (tableau II). Une
étude menée en Afrique du Sud a trouvé aussi une
prédominance féminine avec un sexe ratio de 1,75 (TOMLISON et al,
2009) ;une autre en Europe (PATTEN S. et coll., 2005) a trouvé
aussi une prédominance du sexe féminin avec un sexe ratio de 2.
Cette incidence moins élevée chez les hommes pourrait bien
dériver de la tendance masculine à nier les malaises, à
surveiller et traiter eux-mêmes les symptômes, et à
éviter d'avoir recours aux professionnels de santé comme
façon de manifester et de préserver leur virilité. Tandis
que les femmes sont susceptibles environ deux fois plus que les hommes d'avoir
une dépression au cours de leur vie. Les différences entre les
sexes dans les taux de dépression surviennent à l'âge de la
puberté et s'atténuent après la ménopause, ce qui
souligneles interactions complexes et réciproques qui surgissent entre
les facteurs biologiques, psychologiqueset socioculturels(STEWART D.E et
coll.,2001). Une raison hormonale est avancée par certains
auteurs : les changements cycliques de la quantité
d'oestrogènes ont une influence sur la gestion chimique sur les hormones
qui ont une influence sur l'humeur comme la sérotonine ; pour
d'autres ce sont les androgènes qui sont en petite quantité chez
la femme.
La classe d'âge la plus atteinte a été
celle comprise entre 30 et 40 ans (tableau III). Ce qui est très proche
des résultats trouvés enOuganda qui ont montré la
prédominance de la classe d'âge comprise entre 25 et 44 ans
(KINYANDA et al, 2011) ; et en France (Institut National de
Prévention et d'Education pour la Santé) (CHAN CHEE C et coll.,
2005) qui ont montré la prédominance de la classe d'âge
comprise entre 35 à 45 ans. Pour ce qui est de l'âge moyen notre
étude a trouvé 36,4 ans ; ce qui est similaire à la
moyenne trouvée en Tunisie (YOUSRI et coll., 2009) qui était de
35,4 ans. La plus forte dépressivité chez les Jeunes
s'expliquerait dans nos milieux par une situation conjugale moins stable et
une situation professionnelle plus précaire.
La commune de Lubumbashi a été la plus
représentée avec 38,8 % (tableau IV). Nous pensons que cette
situation est due à la proximité de la commune de Lubumbashi par
rapport aux deux hôpitaux (Sendwe et le Centre Neuropsychiatrique Joseph
- Guislain).
En ce qui concerne le statut marital, nous avons
trouvé une prédominance de célibataires avec 55,3 %
(tableau V). Une étude en Tunisie (YOUSRI et coll., 2009)a
trouvé aussi une prédominance chez les célibataires avec
41,2 %. Une autre étude menée au Canada (STEWART D.Eet coll.,
1998)avait trouvé que les gens mariés sont moins à risque
d'être dépressifs que les célibataires, bien que la
direction de la relationne soit pas claire : il se peut que ce soit parce que
les gens heureux sont plus susceptibles de trouver etde conserver un partenaire
ou que le soutien qu'apporte le mariage ait un effet protecteur. Nous pensons
en plus que dans notre milieu, le mariage permet de partager les
problèmes en couple, et parfois la femme peut seconder son mari en ce
qui concerne l'appui financier du foyer, etc.
Pour ce qui est du niveau d'étude, nous avons
trouvé que les niveaux les plus représentés sont le
secondaire (25,9%) et universitaire (25,9%) dans notre étude en ce qui
concerne la dépression (tableau VI). Les résultats de la Tunisie
(YOUSRI et coll., 2009) ont montré aussi un pourcentage
élevé pour les femmes instruites avec 74,4 % contre 25,6 % des
analphabètes ; contrairement à l'Afrique du Sud où le
plus grand pourcentage (62,7%) concernait ceux qui avaient moins de 12 ans de
scolarité (TOMLISON et al., 2009) (p=0,0001). Cette différence
avec les résultats de notre étude pourrait s'expliquer par le
taux élevé de chômagedans nos milieux qui fait que les
personnes instruites, contrairement à leur attente après la fin
de leurs études, ont du mal à trouver de l'emploi.
Certains patients ont présenté un épisode
antérieur de dépression avant l'épisode dépressif
les ayant emmenés à consulter et ils ne représentent pas
une proportion minimisable (21,2%). La plupart n'a présenté
aucun antécédent (78,8%). En Tunisie les résultats ont
montré 75 malades sur 160, soit 46,9 % qui avaient un
antécédent de dépression (YOUSRI et coll., 2009).
(p=0,0001).Les antécédents dépressifs avaient
été retrouvés comme multipliant le risque de survenue de
dépression par 2,3 dans la méta-analyse de Cole (CATHERINE H. et
coll., 2004). Cette différence est probablement due au fait que ces
auteurs ont mené leur étude chez 160 femmes hospitalisées
toutes pour épisode dépressif majeur (selon les critères
DSM-IV-TR) alors que dans notre étude nous avons seulement 18 cas
d'épisode dépressif majeur sur un total de 85 malades (soit
21,2%). Une autre possibilité serait la méconnaissance de
l'antécédent par le patient,et qui n'ait pas été
documenté par le médecin.
Concernant le tableau clinique, nous avons trouvé un
nombre non négligeable des patients avecidées suicidaires (11,8%)
et 6 patients sur 85 (7,1%) ont même tenté de se suicider.Yousri
et coll. ont trouvé dans leur échantillon (n = 160), 53 cas de
tentative de suicide soit 11,3% ; (p=0,0001). Nous pensons que cette
différence peut être due au fait que ces auteurs ont mené
leur étude chez des femmes qui présentaient toutes une
dépression majeure. Par ailleurs certaines formes d'idées
suicidaires passives seraient méconnues du personnel soignant. Nous
trouvons que dans notre milieu le comportement suicidaire dû à la
dépression n'est pas vraiment négligeable.
Pour ce qui est des facteurs étiologiques de la
dépression, nous avons trouvé une prédominance nette des
facteurs environnementaux, notamment les facteurs psycho-sociaux : la
perte d'un être cher dans 21,2 % des cas, la déception amoureuse
dans 12,9 % des cas, les difficultés financières dans 10,6 % des
cas, le divorce des parents dans 9,4 % des cas, le manque d'affection dans 9,4
% des cas, le divorce/la rupture des relations amoureuses dans 8,2 %, les
échecs scolaires dans 8,2 % des cas, les tensions familiales dans 7,1 %
des cas, le conflit conjugal dans 5,9 % des cas, les troubles sexuels dans 2,4
% des cas, la maltraitance dans 2,4 % des cas, la grossesse non
désirée dans 1,2 % des cas.Une étude
réalisée en Ouganda sur un échantillon des patients VIH
positifs, a trouvé 11,2% des cas pour les facteurs sociaux :
notamment l'incertitude alimentaire et 75,6% du fait de la connaissance de leur
état sérologique (KINYANDA et al, 2011a). Une autre étude
réalisée toujours en Ouganda la même année par
lemême auteur, a trouvé comme facteurs socio-économiques
liés à la dépression : la privation (manque
d'instruction, manque d'emploi, rupture familiale par le décès
d'un des deux parents, le divorce des parents, ) et la pauvreté (statut
socio-économique bas) (KINYANDA et al, 2011b) ; Une
troisième réalisée en Australie, a trouvé la
prédominance des facteurs sociaux, notamment les problèmes
liés à l'emploi (manque, mauvaise rémunération,
instabilité etc.) suivi des événements de vie
négatifs, le surpoids, etc. (PHILIP J., 2009).
Pour ce qui est desco-morbidités (pathologies
associées à la dépression), nous avons trouvé dans
notre étude les pathologies chroniques, notamment, le VIH/SIDA dans 7,1
% de cas et le diabète dans 4,7 % des cas ; les pathologies
invalidantes : la stérilitéchez la femme dans 4,7 %,
l'amputation des deux membres inférieurs pour cause de gangrène
dans 2,4 %.
La présence des antécédents familiaux de
dépression chez 10 des nos 85 malades (11,8%), nous a fait
évoquer la présence des facteurs probablement
génétiques et la différence n'est pas statistiquement
significative avec une étude réalisée en Ougandaqui a
trouvé l'antécédent de dépression dans la famille
dans 19,6% des cas(120 sur 618 patients) (KINYANDA et al, 2011a)
(p=0,1199).
En effet ce n'est pas un seul facteur qui est responsable de
la dépression dans notre milieu, mais c'estplutôt l'association de
plusieurs facteurs à la fois. Mais parmi les facteurs sociaux, c'est la
perte d'un être cher qui a été le plus retrouvé
chez la plupart de nos patients : un parent qui le prenait en charge, une
mère qui lui donnait de l'affection, etc. Dans notre milieu, les
relations humaines étant très fortes, ceci expliquerait que toute
rupture de celles-ci puisse être un grand facteur de dépression
chez nos malades. Nous pensons aussi que les facteurs dépendent des
milieux d'étude et des sujets sélectionnés pour
l'étude. C'est ainsi que nous justifions cette différence avec
les différences constatées entre notre étude et celle
réalisée par Kinyanda sur un échantillon de personnes avec
VIH chez qui le facteur prédominant est la connaissance de leur
état sérologique ; Alors qu'une autre étude
réalisée par lemême auteur dans la population
générale a trouvé la prédominance des facteurs
socio-économiques comme c'est le cas dans notre étude.
La comorbidité était représentée
par le VIH/SIDA en tête. L'étude Ougandaise a trouvé 75,6%
(KINYANDA et al, 2011a). Soit une différence statistiquement
significative d'avec notre étude (p=0,0000). En effet ces auteurs ont
réalisé leur étude exclusivement sur un échantillon
de 680 patients HIV positifs ;Ceci ne nous empêche pas de remarquer
à quel point cette pathologie est un grand problème de
santé publique dans notre continent, et de façon
particulière dans notre milieu où en plus d'être une grande
cause de mortalité, elle est également un grand facteur de risque
de dépression.
Pour la forme clinique de dépression c'est le trouble
dépressif non spécifié qui a
étéretrouvé dans 74% (et dans cette forme c'est le trouble
dépressif mineur qui prédomine avec 79,4% des cas) ;
l'épisode dépressif majeur dans 21,2 %.Les résultats d'une
étude récente réalisée sur un échantillon 77
adolescents (âge moyen 15,5 ans) suivis au service de
pédopsychiatrie du CHU HédiChaker de l'université de Sfax
pour troubles dépressifs (critères DSM-IV-TR) et qui ont
été recrutés durant une période de 9 ans a
montré les résultats suivants : 23 cas (29,8%) pour le
trouble dépressif majeur isolé ; 6 cas (7,8%) pour le
trouble dépressif majeur récurent ; 31 cas(40,26%) pour le
trouble dysthymique ; et 17 cas 22,07% pour le trouble dépressif
non spécifié (HADJKACEM I. et coll., 2013). Ces résultats
sontsimilaires aux nôtres, néanmoins en ce qui concerne
l'épisode dépressif majeur(p=0,275), mais la différence
est statistiquement significative pour le Trouble dépressif non
spécifié (p=0,0000).Ceci pourrait résulter du fait de la
facilité de poser le diagnostic de trouble dépressif non
spécifié (peu de critères) et partant, d'une
possibilité de le confondre avec d'autres pathologies psychiatriques
à l'exemple du trouble dépressif post-psychotique de la
schizophrénie.
Pour ce qui est du traitement pharmacologique, la classe
d'antidépresseurs la plus utilisée était les tricycliques
dans 57,6% des cas avec la molécule comme
l'amitriptyline(Laroxyl®). Des études approfondies ont
indépendamment permis d'étendre le champ des indications des
tricycliques(Imipramine,Amitriptyline,Maprotiline etc.)qui demeurent encore
généralement le choix de première intention dans la
dépression parce qu'ils donnent des bons résultats dans les deux
tiers de cas (SENON J. L., 2003). En effet ce sont des molécules qui
sont plus accessibles dans notre milieu avec nos moyens financiers
limités, et disponibles en comparaison aux nouvelles classes comme les
inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine
(ISRS).Tous les malades avaient bénéficié de la
psychothérapie de soutien.
La durée moyenne du traitement était de 62
jours. Il est pourtant recommandé une durée d'au moins 8 semaines
pour la phase aigüe du traitement et 6 mois pour la phase de continuation
(MENDLEWICZ J., 2006). Ceci nous fait constater que le traitement de la
dépression en termes de durée n'était pas correctement
donné chez les patients.Le problème de la prise en charge de la
dépression ne se pose pas seulement dans notre milieu. Par ailleurs,
selon les résultats d'une étude en Europe (MENDLEWICZ J.,
2006):Sur 100 patients dépressifs, seulement 57 consultent un
médecin, 31 % reçoivent un traitement (soit plus ou moins 18
patients). Notons ici que ces 18 patients ne reçoivent pas tous
unantidépresseur. D'autres médicaments sont souvent prescrits
pour dessymptômes liés à la dépression:
somnifères, calmants, antidouleurs...Sur les 18 patients pour lesquels
un traitement a été prescrit, seuls 25 % (soit plus ou moins 5
patients) reçoivent un antidépresseur, traitementadéquat
pour leur état.
En effet dans notre milieu plusieurs raisons peuvent
expliquer le non-respect de la prise d'antidépresseurs telle que
recommandée, notamment les problèmes liés aux
personnels : manque d'expertise, etc. ; les problèmes
liés aux patients : moyens financiers limités, la
négligence, le manque de compréhension de la maladie et du
pronostic expliquant la non adhérence, même le manque de
compliance au traitement ; enfin ceux liés aux effets secondaires
des antidépresseurs :somnolence, prise de poids, palpitations,
nausées, dysurie, sécheresse buccale et oculaire, etc.
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