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Mémoire de Maîtrise / juin 2013
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Diplôme national de master
Domaine - Sciences Humaines et Sociales
Mention - Sciences de l'information et des bibliothèques
Spécialité - Cultures de l'écrit et de l'image 1ère
année.
Le regard porté sur les femmes par le
franciscain Jean Benedicti à travers
son manuel de confession La somme
des pechez et le remede d'icevx...
(1595, rééd.).
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Lucie Humeau
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Sous la direction de Philippe Martin
Professeur d'histoire moderne - université Lyon 2
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Remerciements
Je souhaite ici remercier tous les gens qui m'ont
accompagnée dans ce travail.
Merci à Philippe Martin, mon directeur de
mémoire, pour ses conseils tout au long de l'année et son aide
dans mes recherches.
Merci à Valérie Humeau, pour avoir relu ce
mémoire et apporté une aide sans faille durant ce travail. Sa
patience et la pertinence de ses remarques ont grandement contribué
à l'élaboration de ce mémoire.
Merci enfin à toutes les personnes qui ont
répondu à mes interrogations, mes nombreux mails et mes appels et
qui m'ont apporté des conseils, de nouvelles pistes et parfois
même des réponses inespérées. Je pense ici à
M. Pierre Moracchini, conservateur de la bibliothèque franciscaine des
Capucins à Paris, à M. Xavier Villebrun, responsable du service
patrimoine de Laval, à M. Julian Wawro, prêtre catholique, et au
personnel des bibliothèques auxquelles j'ai adressé des
requêtes.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 3 -
Résumé :
Le regard que l'Église catholique a porté
sur la femme pendant des siècles est visible dans les nombreux
écrits qui nous sont parvenus. L'étude du manuel de confession de
Jean Benedicti, franciscain de la seconde moitié du XVIe
siècle, permet d'éclairer la vision qu'avait un
ecclésiastique sur son époque. En effet, cette somme
théologique développe point par point quels péchés
nécessitent de faire pénitence. À travers ces
énumérations et les études de cas les accompagnant, il est
possible de saisir une vision personnelle, mais largement documentée,
sur la société du XVIe siècle dans son
ensemble. La somme des pechez et le remede d'icevx... offre un
matériau abondant afin de comprendre comment les religieux voyaient la
femme et sa place aux côtés des hommes.
Descripteurs : manuel de confession, histoire des femmes,
XVIe siècle, péché, franciscain, Jean
Benedicti.
Abstract :
It is possible to understand the Catholic Church's views
on women through the Centuries by studying the numerous written works that
exist. By studying Jean Benedicti's (Franciscan) book of confession from the
second half of the XVIth Century, we are able to see the vision of
an ecclesiastic of his time. This comprehensive theological survey illustrates,
step by step, which sins need penitence. Through these listings and the case
studies, it is possible to attain a personal and also well documented view of
the XVIth Society. La somme des pechez et le remede d'icevx...
presents an abundance of material, enabling us to understand how religious
people perceived a women's place in society compared to that of a man.
Keywords : confession book, women history, XVIth
century, sin, Franciscan, Jean Benedicti.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 4 -
Droits d'auteurs
Cette création est mise à disposition selon le
Contrat :
Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de
Modification 2.0 France
disponible en ligne
http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/
ou par courrier postal à Creative Commons, 171 Second Street, Suite
300, San Francisco, California 94105, USA.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 5 -
Sommaire
INTRODUCTION 9
CADRES GÉNÉRAUX : PENSER L'HISTOIRE DES
FEMMES AU XVIE
SIÈCLE. 13
La place de la femme dans la société du
XVIe. 13
Les manuels de confession : un genre en pleine expansion.
30
Vie et oeuvre du franciscain Jean Benedicti.
49
La somme des pechez et le remede d'icevx, un
regard particulier sur la condition
des femmes au XVIe siècle. 60
FEMMES ET SOCIÉTÉ DANS LE MANUEL DE
CONFESSION DU PÈRE JEAN
BENEDICTI. 75
La jeune fille et la vierge : un modèle de
sainteté que peu atteindront. 75
La femme et l'homme. 90
Droits et devoirs de la femme mariée 90
La femme adultère et son partenaire. 109
La concubine : pécheresse à divers
degrés 116
La veuve : une femme toujours prête à
pécher. 120
La femme et l'enfant. 127
Porter un enfant et le mettre au monde. 128
Le bébé en nourrice. 138
Éduquer son enfant. 144
La femme en société. 150
La coquette. 150
Danse et tentation : la femme vecteur du péché.
159
Péchés de bouche : bavarde et menteuse.
167
La prostituée et ses hommes. 173
La femme hors de l'Église : sorcière et
huguenote. 183
La religieuse, une femme dans l'Église.
194
CONCLUSION 207
SOURCES 211
BIBLIOGRAPHIE 213
ANNEXES 219
GLOSSAIRE 221
TABLE DES ILLUSTRATIONS 225
TABLE DES MATIÈRES 227
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 7 -
Introduction
Au XVIe siècle, les remous provoqués
par la réforme protestante puis par la réforme catholique
introduisent un nouvel élan religieux en France. Le clergé
décide, voire est contraint, d'agir auprès des populations pour
insuffler les valeurs catholiques réaffirmées. Pour ce faire, il
est nécessaire que les religieux soient eux-mêmes formés
à la direction de conscience. La formation du clergé est
approfondie et l'ouverture de séminaires après le concile de
Trente permet en partie de mieux contrôler les connaissances des
prêtres. Les canons du concile de Trente revalorisent la place de ces
derniers dans le quotidien des croyants en leur attribuant un véritable
rôle dans la vie et le salut des âmes catholiques. Les
prêtres doivent dès lors pouvoir assumer leur tâche en ayant
une véritable culture afin d'aider chaque croyant à régir
sa vie comme il se doit.
Le bagage culturel proposé par l'Église passe
par la possession, imposée par certains évêques aux
prêtres de leur diocèse, d'une bibliothèque minimale
composée entre autres d'un manuel de confession. Ces livres ont pour but
d'accompagner le prêtre dans sa tâche en étudiant les uns
après les autres divers cas de conscience et en explicitant la peine
encourue ou la pénitence à faire pour racheter chaque
péché détaillé. Ces livres sont écrits par
des ecclésiastiques, à destination d'ecclésiastiques
même si leur public a pu être parfois plus large. Leur lecture
révèle un puissant désir normatif. Chaque acte de la vie
quotidienne est analysé pour déceler le péché
sous-jacent. Chaque parole doit être contrôlée afin de
s'assurer une place au Paradis. Ces manuels révèlent les normes
comportementales attendues par l'Église catholique qui s'est à
nouveau penchée sur les textes fondamentaux pour en extraire leur
essence. Il est visible, dans ce type d'écrits, que le XVIe
siècle fut une période de reprise en main des populations par le
clergé dans le but d'atteindre une société acquise aux
idéaux catholiques.
La multiplication des manuels de confession ne pourrait se
faire sans une attention plus grande portée à l'exercice de la
confession en elle-même. Cette dernière devient un incontournable
de la pratique catholique. Tous les croyants sont contraints à se
confesser une fois par an auprès du prêtre de leur paroisse. La
confession doit permettre au prêtre de s'assurer de la correspondance
entre les comportements du croyant et les normes édictées par
l'Église. Ce long travail d'écoute, réimposé avec
force par le concile de Trente, a été difficile à
exécuter, tant du fait de la réticence des populations à
confesser leurs péchés au prêtre, que du fait de la
pénibilité même de la tâche pour ce dernier.
Néanmoins, cette pratique fut suivie plus attentivement et permis ainsi
de contrôler plus efficacement les croyances et les actes des
paroissiens.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 9 -
Si le XVIe siècle est un temps de
reconquête religieuse, il est aussi une période où la place
de la femme dans la société est à nouveau définie.
Mise sous une tutelle plus grande par la législation des juristes, son
rôle en tant que vecteur du péché est mis en lumière
avec plus de force par l'Église catholique. De nouveaux discours tentent
de dénoncer son action maléfique et de mettre en garde les hommes
contre ses appâts. Le fait que les gens d'Église aient
été invités à tenir leur voeu de chasteté a
pu jouer dans la violence de certains discours misogynes. La femme du
XVIe siècle, qui occupe déjà une place mineure
dans la société française, est encore repoussée par
une grande majorité des clercs à des rôles
subordonnés, dans l'espace domestique de préférence. Les
manuels de confession sont un observatoire de choix pour examiner le discours
et les attentes des prêtres à l'égard des femmes.
Dans l'objectif d'étudier un regard particulier sur la
femme au XVIe siècle, nous avons choisi de nous pencher sur
un manuel de confession unique mais assez riche pour aborder toutes les figures
féminines de l'époque. Le manuel de confession du franciscain
Jean Benedicti est un livre imposant par sa taille et la variété
des sujets qu'il aborde. Il a été écrit par un homme de
grand savoir, qui a voyagé et a occupé un rang important au sein
de son ordre. Ce texte est riche des comparaisons qu'il fait avec d'autres
cultures mais aussi parce que son auteur prouve une connaissance aiguë en
matière juridique, politique et médicale. Les nombreuses
références marginales qui accompagnent le texte permettent au
lecteur de se référer aux ouvrages sur lesquels s'est
appuyé le franciscain. Jean Benedicti offre dans son oeuvre une
explication argumentée des attentes de l'Église envers les
femmes. La somme des pechez et le remede d'icevx..., son manuel de
confession à destination des ecclésiastiques, dépasse ce
simple cadre et offre une vision subjective qui tend à
l'objectivité sur la condition des femmes au XVIe
siècle.
Si Jean Benedicti est déjà un auteur
éminent par son seul parcours, son oeuvre a été reconnue
par ses contemporains comme étant un chef-d'oeuvre. En effet, sa
Somme des pechez... a été rééditée
de multiples fois et utilisée par la Sorbonne comme un manuel de
référence. Offrant un plan très détaillé,
Jean Benedicti énonce dans la plus grande rigueur l'ensemble des
péchés pour lesquels pénitence doit être faite s'il
n'est pas trop tard. Les nombreuses subdivisions de l'ouvrage ne laissent
aucune place au doute : chaque fait et geste, chaque parole, chaque
manière d'être est passé au crible des textes fondamentaux
de l'Église catholique mais aussi de l'ensemble des livres que
connaît le franciscain afin de déceler le péché
partout où il pourrait être. Ce faisant, le religieux
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 10 -
Introduction
dresse un tableau, peut-être plus accusateur que
l'original, d'une société qu'il connaît à tous les
niveaux et qu'il dissèque sans complaisance, ce qu'exige d'une certaine
manière l'art du manuel de confession. Les franciscains se livrent
depuis des siècles aux activités intellectuelles et pastorales
dont fait partie la confession. C'est cette connaissance de la pratique de la
confession qui a rendu ce manuel si populaire de la fin du XVIe
siècle au premier tiers du XVIIe siècle. Son influence
importante dans le temps et la reconnaissance de ses pairs nous ont
semblé être des indicateurs de la justesse des propos tenus par
Jean Benedicti.
La première édition de La somme des pechez
et le remede d'icevx date de 1584. Ce n'est néanmoins pas sur cette
édition que nous avons choisi de travailler. En effet, pour des raisons
pratiques, il est apparu essentiel de pouvoir travailler sur le texte
lui-même et donc de pouvoir l'imprimer. L'édition de 1595, sur
laquelle nous avons choisi de nous arrêter, a été
numérisée par Google et elle est, parmi les éditions
numérisées, l'édition la plus proche du texte voulu par le
franciscain. En effet, le manuel de confession a été
retouché par Jean Benedicti dès sa première parution et ce
jusqu'à sa mort. Après son décès, l'oeuvre a
été reprise par les théologiens en Sorbonne, qui ont
continué à faire évoluer le texte. L'édition de
1595 semble avoir été à la fois la version finale du texte
voulu par le franciscain et celle la plus simple d'accès.
Afin d'avoir une idée de l'évolution du texte de
La somme des pechez, nous avons étudié plusieurs
éditions de ce texte. Pour cela, nous avons travaillé à la
fois sur des éditions numérisées et sur un exemplaire de
1584 présent dans la collection jésuite des Fontaines
conservée à la bibliothèque municipale de Lyon. Ce fonds
contient de plus un exemplaire de l'édition de 1595 au nom de
l'imprimeur Sébastien Nivelle, ce qui nous a permis de prendre
connaissance des pages non numérisées par Google, certainement le
fait d'une inattention humaine. Lorsque nous avons eu besoin de faire des
vérifications sur les ouvrages mêmes, nous avons parfois
été amenées à nous déplacer dans des
bibliothèques possédant d'autres éditions ou à
contacter d'autres bibliothèques afin d'obtenir les renseignements
manquants.
La tâche qui a demandé le plus de
démarches fut très certainement la poursuite d'indices concernant
la biographie de Jean Benedicti. Nous avons pour cela contacté de
nombreuses personnes, amateurs ou professionnels de la culture, afin d'obtenir
des informations ou des pistes pouvant nous mener à découvrir des
traces du franciscain
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 11 -
dans des archives locales ou nationales. Nous avons pour cela
aussi pris contact avec de nombreuses bibliothèques afin d'obtenir des
renseignements.
Enfin, afin de prendre conscience de l'objectivité de
Jean Benedicti dans ses déclarations sur les femmes, nous avons
étudié d'autres ouvrages de la fin du XVIe
siècle. Ces ouvrages ont été choisis du fait de leur
notoriété ou parce que le franciscain affirme lui-même y
avoir cherché des informations. Nous avons pu ainsi vérifier une
grande partie de ses assertions et voir que son témoignage est un reflet
assez fidèle de la pensée de son temps. La confrontation de
certains ouvrages a aussi permis de mettre en évidence la pensée
propre au franciscain sur certains sujets et les ambiguïtés d'un
discours qui s'est parfois construit sur le principe de confrontation de
théories.
Cette démarche nous permet de présenter un
travail qui veut offrir un éclairage sur la condition des femmes au
XVIe siècle en France aux yeux de l'Église et plus
largement de ses fidèles. Pour ce faire, nous nous proposons
d'étudier en détail le manuel de confession du franciscain Jean
Benedicti, La somme des pechez et le remede d'icevx. Dans un premier
temps, nous étudierons les cadres généraux permettant de
penser l'histoire des femmes au XVIe siècle : nous verrons
quelle était la place de la femme dans cette société,
l'importance de la confession et du livre qui la permet avant de nous pencher
plus précisément sur la vie de Jean Benedicti et sur son oeuvre.
Dans un deuxième temps, nous aborderons chaque figure type auxquelles
pense le franciscain lorsqu'il écrit son ouvrage. La jeune fille, la
femme mariée, la mère mais aussi les divers visages de la femme
en société et la figure particulière de la religieuse sont
étudiés. Nous nous demanderons d'une part si le discours du
franciscain est bien le reflet des pensées de son temps mais aussi
quelles sont les particularités de sa propre sensibilité.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 12 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
LA PLACE DE LA FEMME DANS LA SOCIÉTÉ DU
XVIE .
L'histoire des femmes au XVIe siècle est
longtemps restée dans l'ombre, tout comme l'histoire des femmes, d'une
manière plus générale. La gender history, en tant
que sujet d'étude, n'est apparue aux États-Unis que dans les
années soixante. Le développement des mouvements
féministes a permis de revenir sur une histoire pensée
essentiellement à travers un regard masculin. « Le souci de mettre
fin à l'invisibilité et à la marginalité des femmes
»1 voit le jour. Un long travail de recherches se met alors en
place afin de donner ou de redonner aux femmes leur rôle dans l'histoire,
de faire revivre leur statut d'actrices de l'histoire. Dans les
premières années de ce mouvement, le désir de mettre en
lumière la condition de la femme a conduit à produire une
histoire misérabiliste s'appuyant essentiellement sur l'étude de
la domination de l'homme sur la femme. L'étude des rapports hommes /
femmes s'est ensuite élargie pour tenter de comprendre la place de la
femme dans la société et dans l'histoire. La gender history
s'est exportée des pays anglo-saxons vers la France dans les
années 1970. Michelle Perrot et Fabienne Bock donnent, en 1973, un cours
intitulé « Les femmes ont-elles une histoire ? ». Le courant
de la gender history se diffuse en France et Michelle Perrot semble
trouver une réponse à sa question dans la publication d'une
Histoire des Femmes en Occident en 2002, en collaboration avec Georges
Duby.
L'époque moderne est un temps où la
supériorité masculine est reconnue et celle-ci est, comme le
rappelle Joël Cornette, « solidement fondée, dans les
pratiques et plus encore dans les représentations »2. Le
discours dévalorisant sur la femme et la féminité est
toujours plus important. Malgré le néoplatonisme et sa vision
positive de la beauté, l'humanisme est porteur d'un
anti-féminisme patent. La femme, depuis Ève, est le moyen par
lequel Satan fait pécher l'homme. L'Église s'est
appropriée cette idée de la femme comme un être dangereux
pour l'homme et pour elle-même. C'est pourquoi elle tente de
contrôler la femme au plus près. Néanmoins, il faut bien
rappeler, comme le fait Marcel Bernos3 que la religion catholique
n'est pas à la base de la misogynie. En effet, la misogynie ambiante,
qui caractérise l'époque moderne, voit son apparition des
siècles
1Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes
à l'époque moderne (XVIe-XVIIIe
siècles), Paris, Belin, 2003 (coll. Sup histoire), p.3.
2Joël CORNETTE (dir.), 1453-1559 : Les
renaissances, Paris, Belin, 2010 (coll. Histoire de France), p.570.
3Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église
dans la France classique : XVIIe-XVIIIe
siècle, Paris, Éditions du Cerf, 2003 (coll. Histoire
religieuse de la France), p.11.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 13 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 14 -
avant le catholicisme. Marcel Bernos s'appuie sur quatre
héritages qui expliquent, selon lui, l'apparent phallocentrisme de
l'Église à l'époque moderne. Il montre tout d'abord que
l'héritage biblique apporte une image de soumission de la femme,
principalement à son mari. « La femme juive n'avait, pratiquement,
de valeur que mariée, fertile et bonne gestionnaire du ménage,
telle qu'elle apparaît dans le chapitre 31 des Proverbes
»4. Aussi, le christianisme en lui-même n'introduit pas
l'idée de domination de l'homme sur la femme mais il a pu au contraire
être vécu comme une révolution en acceptant que les femmes
ne se marient pas, les libérant par là même de leur
fonction reproductrice. Néanmoins, comme le rappelle Scarlett
Beauvalet-Boutouyrie, « [c]'est tout d'abord la question de l'origine de
la femme qui a fait naître ce phénomène de
dévalorisation »5. En effet, la Genèse explique
que, si l'homme a été fait « à l'image de Dieu »
(I, 27), la femme, elle, est façonnée dans la côte de
l'homme (II, 22)6. Selon Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, «
[p]resque tous les auteurs font mention de cette origine, et en tirent
d'éloquentes conclusions sur la supériorité masculine
»7.
Mais Marcel Bernos voit trois autres héritages qui
poussent les sociétés de l'époque moderne, et donc aussi
les clercs et l'Église romaine, à dévaloriser la femme et
la féminité. Selon lui, l'aristotélisme, le platonisme et
le stoïcisme seraient des systèmes de pensée ancrés
dans la culture de l'époque moderne et très peu favorables aux
femmes. En effet, Marcel Bernos rappelle que l'aristotélisme
considère la femme comme « un homme manqué, incomplet
»8. Le platonisme introduit quant à lui une distinction
entre la matière et l'esprit. Or la femme, « figur[ant]
l'élément corporel, [...] devenait par là forcément
inférieure »9. Enfin, le stoïcisme et son «
pessimisme dans le domaine de la sexualité »10
était à son tour défavorable à la
féminité. Il faut donc bien souligner que la place des femmes
dans la religion catholique n'est pas celle d'une infériorité qui
surgirait ex-nihilo. Cette apparente misogynie de l'Église catholique
est une construction sociale qui prend racine bien des siècles avant
même la naissance du catholicisme.
L'étude de la place des femmes dans la
société de l'époque moderne doit prendre en compte la
pauvreté des sources utilisables. Les discours portés sur les
femmes sont toujours des discours orientés, qui visent quelque chose.
Les proverbes doivent être étudiés avec précaution.
Le théâtre est, selon Marcel Bernos, un « prisme
déformant »11.
4Ibid., p.14.
5Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes
à l'époque moderne..., op. cit. [note
n°1], p.7. 6Bible de Jérusalem, Paris,
Éditions du Cerf / École biblique de Jérusalem, 1961,
p.10-11.
7Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes
à l'époque moderne..., op. cit. [note
n°1], p.8. 8Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.16.
9Ibid., p.16. 10Ibid.,
p.16. 11Ibid., p.18.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 15 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
Finalement, ce même auteur souligne que « la femme
en tant que telle est peu présente dans les écrits des clercs
à l'époque moderne »12. Dans les manuels de
confession de l'époque, la femme est peu évoquée dans la
globalité du genre féminin. « Lorsqu'elle est mise en cause,
par exemple à propos de ses excès de luxe ou sa
sensualité, elle appartient à une catégorie très
spécifique et limitée : la "mondaine", ce qui devrait nous
interdire de généraliser les remarques faites à son propos
à tout le "sexe" »13. Les livres publiés par des
femmes et qui pourraient nous renseigner sur la place qu'elles trouvent dans la
religion catholique sont trop rares pour pouvoir établir des
généralités et surtout ces dernières publient peu
sur des sujets religieux. Enfin, les livres écrits
particulièrement sur des femmes, souvent des femmes exemplaires, par des
clercs proposent une vision déformante et déformée de la
réalité. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, prenant en exemple les
biographies exemplaires de veuves chrétiennes, en conclut : « La
plupart de ces récits à vocation édifiante se rapprochent
plus du panégyrique ou du traité de vertus chrétiennes que
de la biographie au sens propre du terme »14. Il faut de plus
souligner avec Marcel Bernos que « [l]es clercs sont d'ailleurs loin
d'être les membres les plus misogynes de la société
d'Ancien Régime, leurs écrits sont souvent outrepassés,
jusqu'au coeur du XIXe siècle, par ceux de la plupart des
juristes, réduisant les femmes à l'état de mineures, de
nombreux philosophes [...] ou de médecins [...] »15.
L'étude de la vision qu'a la société de l'époque
moderne des femmes doit donc aborder toute source avec une précaution
accrue afin de ne pas faire de contresens sur la signification d'un
écrit ou d'une image.
Le discours des clercs de l'époque moderne sur la femme
est fréquemment, comme le rappelle Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, un
discours de la peur. « Cette peur a des origines lointaines, l'attitude
masculine à l'égard de la femme ayant toujours été
contradictoire, oscillant entre attirance et répulsion,
émerveillement et hostilité »16. Une partie des
auteurs appartenant à l'Église catholique souligne
l'identification de la femme à Satan. Cette identification « n'est
donc pas nouvelle mais, formulée avec une malveillance
particulière dès le début du XVIe
siècle, elle est diffusée comme jamais auparavant grâce
à l'imprimerie »17. De cette identification
découle une justification de la subordination de la femme au mari, c'est
pourquoi il est très important de comprendre les origines de
l'assimilation de la femme au diable. Ève, la mère de
l'humanité, est
12Ibid., p.18. 13Ibid.,
p. 19. 14Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à
l'époque moderne..., op. cit. [note n°1],
p.19. 15Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église...,
op. cit. [note n°3], p.21.
16Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes
à l'époque moderne..., op. cit. [note
n°1], p.7. 17Ibid., p.7.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 16 -
tenue par beaucoup de clercs comme la responsable de la chute
du genre humain. Dès le IIIe siècle, Tertullien, dans
le De cultu feminarum, énonce sentencieusement : « C'est
toi la porte du diable [...]. C'est toi qui la première as
déserté la loi divine ; c'est toi qui as circonvenu celui auquel
le diable n'a pu s'attaquer ; c'est toi qui es venue à bout si
aisément de l'homme, l'image de Dieu »18. Ève
porte ici l'unique responsabilité du péché originel, cause
de la déchéance des hommes. Pour cette raison, l'auteur « la
condamne à toujours porter le deuil, à être couverte de
haillons et à s'abîmer dans la pénitence
»19. De nombreux théologiens et prédicateurs
reprennent ce topos : Ève, la femme, est la cause du mal. Le Marteau
des Sorcières puise ses démonstrations dans de grands
auteurs tels Platon, Aristote, Galien ou encore Cicéron. Tertullien, au
livre II du De cultu feminarum, se plaint d'une manière
virulente des femmes qui se fardent, c'est-à-dire qui ajoutent « le
factice [qui] est l'affaire du Diable » à la « nature, oeuvre
de Dieu »20. Il s'avère en effet que l'apparat est, dans
la culture occidentale de l'époque moderne, un signe d'orgueil et donc
de connivence avec le diable. La femme serait donc en contact, pour ainsi dire
constant, avec les forces maléfiques. Marcel Bernos affirme qu'il y a
« dans l'attitude de l'homme, y compris de l'homme d'Église,
à l'égard des femmes, une ambivalence que la psychanalyse
contemporaine permet d'élucider quelque peu »21. L'homme
de l'époque moderne serait tiraillé entre deux visions de la
femme, deux couples opposés. Ève serait l'image de la mère
mauvaise tandis que Marie serait la représentation de la bonne
mère. De la confrontation entre ces deux images de la femme
naîtrait « [l]a peur spontanée, physique de la femme [qui]
est dramatisée par un instinct incompris et donc par la crainte
surnaturelle d'être perdu par elle, comme le furent Adam, David, Salomon,
Samson et tant d'autres »22.
Nous pouvons nous arrêter quelques instants sur ces
grandes figures de la Bible qui ont péché par la femme. Adam tout
d'abord, le premier homme, qui aurait péché par un trop grand
amour pour sa femme, Ève. Deux théories s'opposent, au sein de
l'Église catholique, afin de déterminer qui d'Ève ou
d'Adam a réellement commis le dommage irréparable qui
entraîna la chute de l'homme hors du Paradis. Ainsi, Sprenger, dans son
Malleus Maleficarum, soutient que « [s]i le Diable conduisit
Ève au péché, c'est Ève qui séduisit Adam
[...]. Le péché d'Ève ne nous aurait pas conduits à
la mort de l'âme et du corps, s'il n'avait pas été suivi
par la faute d'Adam à laquelle l'entraîna Ève et non le
18Cité dans Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.75.
19Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes
à l'époque moderne..., op. cit. [note
n°1], p.9.
20Cité dans Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.75.
21Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.73.
22Ibid., p.74.
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
diable »23. Néanmoins, un des plus
grands théologiens de l'Église catholique, saint Thomas d'Aquin,
affirme lui que « [l]e péché n'est pas entré dans le
monde par la femme mais par l'homme »24. Sa
démonstration est simple et s'appuie sur les croyances de son temps : si
l'homme est supérieur à la femme, il était en sa
responsabilité de détourner Ève du péché ou
tout du moins, de ne pas se laisser aller à la tentation du
péché pour lui-même. Adam est donc au moins tout autant
responsable de la chute de l'humanité que sa compagne Ève. Cette
idée est reprise en 1566 dans le catéchisme du concile de Trente
qui parle du « péché du premier homme »25,
c'est-à-dire d'Adam.
Les autres grandes figures qui ont été
tentées par la Bible ne sont pas moins importantes qu'Adam. En effet,
David, deuxième roi d'Israël, est un grand personnage de l'Ancien
Testament. Il est protégé de Dieu mais ne réussit pas
à éviter la tentation du péché,
représentée dans la femme d'un de ses soldats, Bethsabée.
David, voyant cette très belle femme depuis sa terrasse, envoie des
hommes la chercher et couche avec elle. Mais Bethsabée se trouve
enceinte suite à ce viol. David, afin de cacher cet acte, fait chercher
Urie le Hittite, le mari de Bethsabée, qui est parti en guerre. Son
dessein est qu'il couche avec sa femme afin de faire croire à sa
paternité de l'enfant à naître. Mais, Urie ne descend pas
dans sa maison. « Il dormit dehors ce soir-là pour partager de loin
la misère de ses camarades de combat »26. David, de
dépit, envoie ce soldat seul au front, afin qu'il meure. Mais Dieu
connaît le péché de David et punit le couple
adultère en faisant mourir l'enfant du péché.
Néanmoins la grâce divine revient sur le couple puisque
Bethsabée « mit au monde un fils auquel elle donna le nom de
Salomon »27.
Salomon, ce roi de sagesse loué par la Bible,
sème la discorde dans son royaume en acceptant la polygamie et en se
mariant avec des femmes qui introduisent des cultes païens dans son
État. Il semble donc que la femme ait réussi à faire
pécher l'homme dont la sagesse est reconnue par Dieu même. Nul
homme ne semble à l'abri des tentations des femmes. Celles-ci
influencent le coeur de ceux qui les aiment en les détournant du chemin
de la gloire de Dieu.
Enfin, Samson, une force de la nature, un homme qui ne se
laisse tromper par aucun ennemi, est trompé par Dalila, une femme qui
l'avait séduit. En effet, il révèle à cette
dernière, qui travaille contre lui, le secret de sa force. Samson est
pourtant présenté comme un homme rusé puisqu'il
déjoue par trois fois les pièges que Dalila lui tend.
23Cité dans ibid., p.77.
24Cité dans ibid., p.78.
25Cité dans ibid., p.77.
26Jacqueline KELEN, Les femmes de la Bible : les
vierges, les épouses, les rebelles, les séductrices, les
prophétesses, les
prostituées..., Paris, Éditions du
Relié, 2007 (coll. Sagesses), p.40.
27Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], 2 Samuel 12, 24.
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maîtrise | juin 2013 - 17 -
Néanmoins, à la quatrième fois, la ruse
de la femme l'emporte. Dalila lui dit : « Comment peux-tu dire que tu
m'aimes, alors que ton coeur n'est pas avec moi ? Voilà trois fois que
tu te joues de moi et tu ne m'as pas fait connaître d'où vient que
ta force est si grande »28. La trahison de cette femme ne
s'arrête pas à l'extorsion de son secret puisqu'elle va
jusqu'à couper les cheveux de son amant, le privant ainsi de toute
force. Nous voyons donc que la Bible, et particulièrement l'Ancien
Testament, est plein d'histoires mettant en scène des femmes perverses
ou provoquant le péché des hommes, même les meilleurs. Il
peut donc sembler légitime que « très tôt, des
moralistes chrétiens se soient méfiés de la femme
considérée comme une menace pour l'homme, et donc pour
eux-mêmes »29.
L'homme « est tout ensemble attiré par la femme,
vers laquelle le pousse son instinct ; et il éprouve une
répulsion que peuvent motiver des principes inculqués, des
traumatismes de son histoire personnelle inconsciente, ou encore la force
même de l'attirance ressentie, dont il constate qu'elle est capable de
lui faire "perdre la raison" »30. Afin de se protéger de
la femme, les hommes d'Église vont formaliser des règles qui
doivent régir la vie de toute chrétienne. Ils vont tenter de
structurer la vie des femmes et de leur imposer un cadre dans lequel elles
pourront se mouvoir. Les clercs, dans cette tentative d'ordonner la vie du sexe
féminin, s'appuient sur des cadres préexistants dans la
société civile dans laquelle ils vivent, pensent et
écrivent. Ils ne sont pas les seuls instigateurs de la subordination des
femmes. Néanmoins, nombreux sont ceux qui théorisent que les
chrétiennes doivent « être, dans tous les domaines, passives,
discrètes et obéissantes »31. La modestie est
l'attitude « réputée la plus convenable et conforme à
leur nature »32. La modestie est définie dans le
Furetière, grand dictionnaire du XVIIe siècle comme un
« substantif féminin. Pudeur, retenue. La modestie sied bien sur le
visage d'une jeune fille »33. Aussi, la modestie est
assimilée à la femme sans détour.
Une autre attitude demandée à la femme est celle
de la subordination à l'homme et notamment à son mari. Ainsi,
saint Paul a-t-il pu commander : « Que les femmes soient soumises à
leur mari comme au Seigneur : en effet, le mari est chef de sa femme, comme le
Christ est chef de l'Église, lui le sauveur du Corps ; or
l'Église se soumet au Christ ; les femmes doivent donc, et de la
même manière, se soumettre en tout à leurs
28Ibid., Livre des Juges 16.
29Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.74.
30Ibid., p.74.
31Ibid., p.26.
32Ibid., p.26.
33Antoine FURETIERE, Dictionnaire universel,
contenant généralement tous les mots françois tant vieux
que modernes et les
termes de toutes les sciences et les arts,Tome II, La
Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, p.646 [disponible sur le
site <
http://books.google.fr/books?id=4iAlACqi88cC&printsec=frontcover#v=onepage&q&f=false>]
(consulté le 12 novembre
2012 pour l'article « Modestie »).
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maîtrise | juin 2013 - 19 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
maris »34. Nous pouvons nuancer de suite ce
propos repris comme tel par de nombreux théologiens de l'époque
voire jusqu'aujourd'hui, afin de présenter l'Église catholique
comme vecteur de la misogynie. En effet, saint Paul semble revendiquer pour les
femmes une contrepartie à cette soumission. Il poursuit de fait son
discours par ces mots : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a
aimé l'Église : il s'est livré pour elle [...]. De la
même façon les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs
propres corps »35. Mais les théologiens ont
manifestement plus souvent repris la première allégorie conjugale
que son pendant. Cette affirmation de saint Paul « est devenue le
fondement du dogme de la subordination de la première au second
»36 comme le souligne Scarlett Beauvalet-Boutouyrie. Cette
subordination est justifiée de plus par la faiblesse de la femme qui, si
elle devait se diriger seule, tomberait dans le péché tout comme
Ève. Cette faiblesse des femmes serait due aux défauts qui leur
sont traditionnellement attribués : elles seraient « instables
», « bavardes », « vaines », « impulsives, voire
agressives » et « finalement, plus grave peut-être, dans la
mesure où l'attitude qu'on attend d'elles reste la soumission, un esprit
"libertaire" [...], c'est-à-dire revendiquant leur autonomie, voire leur
indépendance par rapport à l'autorité masculine »
37. Ces défauts attribués au sexe féminin
viennent d'une lecture de la Bible orientée mais aussi des
représentations des femmes dans la société de
l'époque moderne. Néanmoins, Marcel Bernos rappelle que certains
clercs « tiennent un discours plus favorable sur les femmes, leur
reconnaissant piété, douceur, patience »38. De
plus, les femmes auraient selon lui « intériorisé les
préjugés masculins sur leurs qualités et leurs
défauts, sur leur "nature", sur les rôles qu'elles étaient
capables de jouer, les fonctions qu'elles pouvaient exercer
»39.
Il faut donc, afin de contrôler cette « nature
» féminine, que les jeunes filles trouvent un mari, qui pourra les
diriger dans leur vie. Le mariage est un acte social qui engage toute la vie de
l'homme. Il a, dès l'Ancien Testament, deux visages. Dans les Proverbes,
nous pouvons voir une vision élogieuse du mariage : « Trouver une
femme, c'est trouver le bonheur, c'est obtenir une faveur de Yahvé
»40 dit le texte. Mais quelques pages plus loin, nous trouvons
ces avertissements : « Mieux vaut habiter en un pays désert qu'avec
une femme acariâtre et chagrine »41. Le mariage est donc
un passage
34Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Épître aux Éphésiens. 5,
22-24.
35Ibid., Épître aux
Éphésiens. 5, 25-28.
36Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes
à l'époque moderne..., op. cit. [note
n°1], p.8.
37Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.51.
38Ibid., p.52.
39Ibid., p.54.
40Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Proverbes, 18, 22.
41Ibid., Proverbes, 21, 19.
obligé pour qui veut atteindre le bonheur mais il
comporte des risques importants pour celui qui choisirait mal sa partenaire. Sa
vision évolue au XVIe siècle, sous la poussée
de plusieurs courants. Sara Matthews Grieco affirme que « [l]a
réhabilitation de la vie maritale par les humanistes et les
réformateurs eut comme conséquence un élargissement des
buts qu'on lui attribuait. La procréation d'enfants et le soulagement de
la concupiscence - pendant longtemps les fins premières reconnues au
mariage - firent place à une promotion de l'amitié au sein du
couple et à une conception de l'épouse comme une consolatrice
»42. L'Église catholique pose les jalons que doivent
suivre les couples désirant se marier. Déterminant les interdits
et le rituel du mariage, elle cherche à contrôler nettement ce
sacrement car « [m]ariage signifie aussi famille, cellule de base de la
société »43.
Les interdits concernent les degrés de parenté
auxquels les futurs époux doivent se conformer. André
Burguière précise : « À côté des
interdits produits par la consanguinité et par l'affinité (la
parenté avec les consanguins du conjoint) auxquels [la doctrine
chrétienne] donne beaucoup plus d'extension que le droit romain ancien,
elle a inventé d'autres catégories de parenté interdisant
le mariage : comme la parenté d'honnêteté contractée
par une relation illégitime ou l'affinité spirituelle
»44. Le même auteur explique que «
[l]'affinité spirituelle constitue un apport original de la vision
chrétienne à l'idéologie de la parenté. [...] Le
rituel du baptême [...] crée entre le prêtre qui baptise, le
parrain et leurs proches parents une parenté d'un type nouveau qui
concurrence la parenté charnelle »45.
Au XVIe siècle, un événement
de taille vient affiner les positions de l'Église catholique sur le
mariage. En effet, la réforme protestante impulse une réforme de
l'Église catholique qui cherche alors à réaffirmer, et
parfois à redessiner, ses fondements afin de mieux se distinguer de ceux
qui sont considérés comme des hérétiques. Ce besoin
de réforme donne naissance au concile de Trente qui se déroule de
1545 à 1563 et qui constitue une pierre angulaire de la doctrine
chrétienne. Le concile de Trente confirme la proscription des mariages
entre des parents sous le quatrième degré de parenté
inclus, ce qui avait déjà été décidé
en 1215, lors du concile de Latran IV. Lucien Bély souligne que «
les questions de la publicité du mariage et du consentement
42Sara F. MATTHEWS GRIECO, Ange ou Diablesse :
la représentation de la femme au XVIe siècle,
Paris, Flammarion, 1991 (coll. Histoires), p.212.
43Ibid., p.218.
44André BURGUIERE, Le Mariage et l'Amour
: en France, de la Renaissance à la Révolution, Paris,
Seuil, 2011 (coll. L'univers historique), p.221.
45Ibid., p.221-222.
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mémoire | juin 2013 - 20 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
des parents ne furent abordées qu'en 1563 au cours de
la XIVe session »46, signe que ces questions
soulèvent de nombreux débats. Il existe notamment un point
d'achoppement sur ces questions entre le roi de France Henri II et la
papauté. En effet, le roi de France souhaite la nullité des
mariages clandestins, ce que le concile ne reconnaîtra pas. Cependant,
« [a]près de longs débats, conduits sous la pression des
prélats français et des ambassadeurs du Roi très
chrétien, les Pères adoptèrent le fameux décret
Tametsi qui, rompant avec la doctrine classique, faisait du mariage un
acte solennel. Le décret rappelait les exigences déjà
formulées par le concile de Latran : la publication des bans
destinés à annoncer le mariage et à révéler
d'éventuels empêchements pendant trois dimanches
consécutifs, puis la célébration publique devant le
"propre curé" (celui de la paroisse des époux) et en
présence de deux témoins. Mais cette fois le défaut de ces
formes constituait un empêchement dirimant qui permettait l'annulation du
mariage. En outre, le décret prescrivait à chaque curé de
tenir un registre dans lequel il enregistrerait le nom des conjoints pour
servir de preuve »47. Le curé se trouve donc au coeur de
cette union qu'est le mariage et cela malgré le fait que
l'autorité royale tente d' « empiét[er] sur le terrain des
règles canoniques »48. Les conditions pour
accéder au sacrement du mariage sont précisées et durcies.
De plus, « le concile de Trente qui entend appliquer avec plus de rigueur
les dispositions canoniques sans modifier pour autant la doctrine des
empêchements, a cherché à réduire la pratique des
dispenses et même à la supprimer complètement pour les
parentés proches »49. André Burguière
souligne qu'« [à] partir du XVIe siècle, la mise
en place d'un nouvel encadrement religieux de la vie familiale permet à
ce qui n'était alors qu'un corps de doctrine de se transformer en un
dispositif d'interdictions assez strictement respectées. Les
réformes religieuses du XVIe siècle placent la vie
sexuelle et familiale de l'ensemble de la population sous le contrôle du
clergé et de l'autorité civile »50. En effet,
même si les dispositions du concile de Trente n'ont pas été
reçues officiellement en France, elles sont rapidement appliquées
dans les diverses paroisses françaises. Un clergé
renouvelé et à nouveau conscient de sa mission prend à
coeur de restaurer son autorité, notamment dans le domaine du
mariage.
Cette mise au point formelle n'empêche pas de nombreux
débats autour du mariage, et notamment autour de l'amour conjugal. Paul
a comparé l'amour conjugal à l'amour qui liait le Christ à
l'Église. En effet, il dit : « Maris, aimez vos femmes comme
46Lucien BELY (dir.), Dictionnaire de l'Ancien
Régime : royaume de France XVIe-XVIIIe
siècle, Paris, PUF, 2010 (rééd.) (coll.
Quadrige), article « Mariage ».
47Ibid., article « Mariage ».
48Ibid., article « Mariage ».
49André BURGUIERE, op. cit. [note
n°44], p.225.
50Ibid., p.226-227.
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maîtrise | juin 2013 - 21 -
le Christ a aimé l'Église [...]
»51. Marcel Bernos pense que « [c]ette comparaison a
pesé lourdement sur le mariage chrétien. Positivement, elle a
donné au mariage une dignité quasi sacrée qui fait que
même les clercs les plus méfiants à l'égard de la
sexualité ne peuvent condamner le lieu de son exercice devenu sacrement.
[...] Négativement, cette relation a été placée
à un tel niveau d'exigence que la situation des gens mariés est
apparue difficile à assumer intégralement et qu'elle a
été ressentie comme un enfermement par l'opinion
générale, surtout profane. »52. L'amour conjugal
pose aussi problème aux gens d'Église pour qui il existe une
rivalité entre l'amour éprouvé pour son conjoint et
l'amour de Dieu, qui prime à leur yeux. Cette vision s'exprime jusque
dans les dictionnaires de l'époque puisque le Furetière affirme
que « L'amour divin est le seul qui doit nous enflammer
»53. L'amour conjugal est vu comme un danger car il peut faire
glisser le couple dans le péché. De plus, Marcel Bernos remarque
que « lorsqu'ils parlent de l'amour conjugal, les clercs, presque
inconsciemment, centrent leur réflexion, on pourrait dire - au double
sens du terme - leur appréhension, sur la sexualité
»54. Le deuxième temps de la définition du mot
« amour » dans le dictionnaire d'Antoine Furetière est lui
aussi centré sur cet aspect, il y est dit en effet : « AMOUR, se
dit principalement de cette violente passion que la nature inspire aux jeunes
gens de divers sexes pour se joindre, afin de perpétuer l'espèce
»55. Or l'amour-passion doit à tout prix être
évité puisqu'il est déjà en lui-même une
marque du péché.
La sexualité dans le couple est une question qui
dérange les clercs de l'époque, « qu'une obsédante
pédagogie de la continence [...] a rendus plus méfiants à
l'égard du "sexe" (féminin), principalement chez ceux qui
gardaient la plus haute idée de la chasteté et voulaient y
conformer strictement leur vie »56. Néanmoins, cette
question n'est pas un thème central dans les manuels de confession. Elle
est abordée principalement aux chapitres concernant les sixième
et neuvième commandements : « Luxurieux point ne seras » et
« OEuvre de chair ne désireras qu'en mariage seulement ».
Marcel Bernos précise : « Dans l'Enchiridion, de Navarre,
l'un des plus grands casuistes du XVIe siècle, les passages
touchant de près ou - le plus souvent - de loin au "sexe"
représentent moins de 4% des 830 pages de l'ouvrage »57.
Malgré cette
51Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Épître aux Éphésiens. 5,
25.
52Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.120.
53Antoine FURETIERE, Dictionnaire universel,
contenant généralement tous les mots françois tant vieux
que modernes et les
termes de toutes les sciences et les arts, Tome I, La
Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690. [disponible sur le site
<
http://books.google.fr/books?id=4FU_AAAAcAAJ&printsec=frontcover#v=onepage&q&f=false>]
(consulté le 14 novembre
2012 pour l'article « Amour »).
54Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.122.
55Antoine FURETIERE, Dictionnaire universel...,
Tome I, op. cit. [note n°53], article « Amour
».
56Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.74.
57Ibid., p.135.
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maîtrise | juin 2013 - 23 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
« peur » des clercs face à la
sexualité conjugale, « [l]'instinct sexuel [...] est reconnu par
les théologiens »58. La sexualité est
acceptée de plus en tant que passage obligé de la
procréation. Cela entraîne, de la part des clercs, de nombreuses
recommandations afin que la finalité procréatrice de l'acte
sexuel soit observée. Néanmoins, ces recommandations suivent
toujours le principe de discrétion qui s'impose à l'époque
dans le confessionnal. Il ne faut pas risquer en effet d'en apprendre plus que
de raison à un être « innocent ».
La femme mariée, c'est enfin, la femme au foyer, la
mère, qui perd le caractère inquiétant de la femme seule,
sans guide pour ainsi dire. Selon Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « [l]e
modèle féminin qui [...] est présenté - une
épouse associée aux intérêts de son mari, alliant
douceur et activité, dévouement et chasteté, et qui,
épouse et mère, trouve ses satisfactions et son
épanouissement dans le cadre familial - connaît une diffusion
croissante dès la première moitié du XVIe
siècle »59. De plus, la diffusion large des idées
du concile de Trente permet de propager l'idée d'une union spirituelle
des époux. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie peut donc dire que « [l]es
clercs faisant du couple Christ-Église le modèle que tout couple
humain doit suivre, les époux sont appelés à être
chastes, charitables, fidèles, patients, indulgents »60.
Les guides ou les manuels de vie diffusent ces idéaux d'un mari qui est
« invité à renoncer à jouer les injustes tyrans
» et de femmes qui « pourront tirer de leur soumission un moyen de
sanctification, même lorsque cette voie apparaît difficile
»61. Ces thèmes sont repris dans l'iconographie de
l'époque. Sara F. Matthews Grieco remarque qu'au cours du
XVIe siècle, « l'iconographie des mois connaît une
transformation significative à ce propos car elle devient domestique.
[...] Les représentations du "Mois de janvier", par exemple, occultent
la vie à l'extérieur pour évoquer la chaleur du foyer et
l'intimité conjugale »62.
Une autre figure de la femme que l'Église cherche
à normer pour la contrôler est celle de la veuve. En effet, le
statut de la veuve n'est pas bien délimité. Elle n'est plus sous
le contrôle d'aucune tutelle. Or « [l]a totale liberté d'une
femme semblait suspecte aux mentalités du temps, et la porte de la
licence »63. Selon Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « [o]n
la devine alors capable de transgresser l'ordre établi et de remettre en
cause la norme. De plus, en tant que femme, la veuve est d'autant plus
redoutée qu'elle a connu la chair »64. Si ce même
auteur affirme que la veuve a « la réputation d'une femme
58Ibid., p.136.
59Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes
à l'époque moderne..., op. cit. [note
n°1], p.14.
60Ibid., p.13.
61Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.146.
62Sara F. MATTHEWS GRIECO, op. cit. [note
n°42], p.216-217.
63Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.175.
64Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes
à l'époque moderne..., op. cit. [note
n°1], p.17.
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mémoire | juin 2013 - 24 -
sensuelle dont il faut canaliser les instincts
»65, Marcel Bernos, lui, souligne que les veuves sont
surreprésentées dans les déclarations de grossesses
illégitimes. Il en conclut que « cela explique peut-être
pourquoi les confesseurs se montrent soupçonneux sur leur vie sexuelle
»66. L'Église catholique se soucie donc
particulièrement de contrôler la vie sexuelle des veuves. Elle
leur offre pour cela de nombreux modèles de veuves qui ont fait de leur
état « un progrès sur le chemin de la perfection
chrétienne, la mort du mari [...] permettant de s'élever de la
terre vers le ciel »67. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie souligne
de plus qu'une identification a lieu entre la figure de la Vierge Marie et la
veuve. « Libérée des devoirs conjugaux, elle renoue avec la
pureté des vierges »68. Marcel Bernos analyse que «
[l]es veuves continentes ont un mérite plus grand que les vierges en ce
qu'elles se privent volontairement d'un plaisir qu'elles ont pu connaître
et goûter »69. Cela amène les clercs à
célébrer « les "vraies veuves", c'est-à-dire celles
qui, après la dissolution de leur mariage, se détachent du monde
et renoncent à tout autre engagement pour se consacrer à leur
famille, à l'éducation de leurs enfants et à leur
avancement spirituel »70. Mais les contemporains voient bien
que ce modèle ne peut s'appliquer à toutes les femmes veuves du
fait de la difficulté à survivre et à subvenir aux besoins
de leurs enfants seules. Lucien Bély souligne : « Ne vivent
guère isolément d'une manière habituelle que les veuves ;
elles sont souvent pauvres, voire dans la misère »71. La
nécessité du remariage est donc présente dans la
société de l'époque moderne. L'Église catholique a
une position pragmatique à ce sujet, et si « elle ne recommande pas
le remariage, elle ne le condamne pas non plus, s'adaptant aux circonstances
»72. La veuve doit donc pleurer son époux un temps puis
envisager le remariage.
Si l'Église cherche à contrôler la
sexualité et la liberté de la veuve, elle a aussi un rôle
protecteur non négligeable et fortement présent dans les
écrits dès les origines du catholicisme. En effet, il existe dans
l'Ancien Testament de nombreuses figures de veuves : Judith, Tamar,
Bethsabée ou encore Ruth. Selon Jacqueline Kelen, « [e]lles
apparaissent comme des terres désertées, souvent stériles
; elles se tiennent dans le silence mais non dans le désespoir, et
souvent ce sont elles qui témoignent de la foi, qui apportent la
consolation »73. L'auteur choisit dans ses exemples (la veuve
de Sarepta et
65Ibid., p.17.
66Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.175.
67Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes
à l'époque moderne..., op. cit. [note
n°1], p.17.
68Ibid., p.17.
69Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.181.
70Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes
à l'époque moderne..., op. cit. [note
n°1], p.17.
71Lucien BELY (dir.), op. cit. [note
n°46], article « Familles ».
72Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes
à l'époque moderne..., op. cit. [note
n°1], p.21.
73Jacqueline KELEN, op. cit. [note
n°26], p.85.
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
le prophète Élie, Ruth et Booz, Sarra et ses
sept maris) de mettre en exergue la piété des veuves dans la
Bible et l'aide qui leur est accordée par un prophète ou
directement par Dieu. L'Église a de la compassion pour cette veuve qui
se trouve « sans l'appui masculin du père ou du mari, [...]
désarmée, vulnérable, en péril aussi bien sur le
plan matériel que moral »74. Dans l'épître
de Jacques, nous pouvons voir cette compassion : « La dévotion pure
et sans tache devant Dieu notre Père consiste en ceci : visiter les
orphelins et les veuves dans leurs épreuves, se garder de toute
souillure du monde »75. La solitude de la veuve et la lourde
charge qui lui incombe sont reconnues par les clercs qui ont donc fait en sorte
de la protéger. Depuis le concile de Mâcon en 585,
l'évêque a même comme mission officielle de défendre
les veuves. En effet, l'article 12 du concile note : « Défense aux
juges laïques, sous peine d'excommunication de juger les causes des veuves
et des orphelins, sinon en présence de l'évêque ou de son
archidiacre, ou de quelque prêtre de son clergé
»76. Cette compassion amène parfois l'official à
recevoir « avec bienveillance leurs demandes de dispense pour
consanguinité en vue d'un remariage, surtout lorsque la veuve [...] a
des enfants d'un premier lit et peut difficilement les élever seule
»77. Néanmoins, « [l]e meilleur destin qui s'impose
à ces femmes, aux yeux des clercs, c'est depuis longtemps
l'entrée au couvent »78.
Les femmes qui entrent en religion représentent une
minorité de femmes par rapport au reste de la population
féminine. Néanmoins, leur rôle n'est pas à
négliger car elles ont parfois une action dans la société
supérieure à celle de leurs congénères. Un point
est souligné par de nombreux auteurs : les femmes qui ont choisi de
s'engager en religion, qui ont donc fermé la porte du mariage, ne
peuvent pourtant pas vivre sans contact avec les hommes. L'intervention
masculine est souvent celle d'un religieux du même ordre que celui choisi
par ou désigné à la femme qui prend l'habit de religieuse.
Les auteurs de l'Histoire des femmes en Occident soulignent que «
[l]eur intervention avait un caractère disciplinaire et organisateur,
mais [qu']elle concernait avant tout le fonctionnement du ministère
sacerdotal, donc la célébration de la messe et l'administration
des sacrements, et la direction spirituelle de la collectivité aussi
bien que celle de l'individu »79. Les femmes «
n'appartiennent pas à proprement parler au clergé, mais mises
à part du monde comme lui, elles ne peuvent être
considérées comme
74Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.173.
75Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Épître de Jacques I, 27.
76Cité dans Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.174.
77Ibid., p.176.
78Ibid., p.177.
79Natalie ZEMON DAVIS, Arlette FARGE (dir.), Georges
DUBY (dir.), Michelle PERROT (dir.), Histoire des femmes en
Occident : tome III : XVIe-XVIIIe
siècle, Paris, Perrin, 2002 (coll. Tempus), p.194.
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des femmes ordinaires par les gens d'Église
»80. Marcel Bernos distingue trois types de relations
entretenues par le clergé avec les religieuses. Nous allons mettre en
lumière chacune d'entre elles.
L'auteur de Femmes et gens d'Église dans la France
classique. XVIIe-XVIIIe siècle signale en
premier lieu la relation de collaboration « pour une grande oeuvre comme
une fondation ou une réforme d'ordre ou de congrégation
»81. La nomination des abbesses a été soumise
à l'autorité royale à l'époque moderne. Le concile
de Trente se permet cependant de redéfinir les conditions que doit
remplir la postulante. Celle-ci doit « être âgée de
quarante ans au moins et avoir huit ans de profession. Le concile insista aussi
sur l'obligation d'un strict examen des vocations, afin de garantir leur
liberté, la nécessité de la clôture et le
rétablissement de la discipline »82. Lucien Bély
souligne néanmoins que « cette prescription du concile de Trente ne
fut guère appliquée »83. Les abbesses semblent se
trouver dans une position d'égalité avec leurs équivalents
masculins. En effet, tout comme eux, « [e]lles portaient la croix
pectorale, l'anneau et la crosse »84. Pour la fondation d'un
ordre de séculières, « l'intervention d'un prêtre,
séculier ou religieux, devient vite nécessaire. Cet homme est
impérativement utile, ne serait-ce que pour rédiger les
constitutions ou les présenter aux autorités supérieures
[...] »85. Lucien Bély met en valeur le fait que les
« premières fondatrices sont souvent des veuves appartenant
à la robe ou à la finance parisienne ou provinciale [...]
»86. Néanmoins, « la plupart des
évêques tiennent expressément à garder les
religieuses en leur obédience » ce qui mène à des
conflits dès lors que ce dernier « tente d'introduire ou de
soutenir une réforme dans un monastère »87.
Le deuxième type de relation que distingue Marcel
Bernos est celle « d'autorité, parce qu'ils [les clercs] sont leurs
"chefs" »88. Cet auteur dresse un portrait de la vision que
semblaient avoir ces derniers à l'époque : «
Enfermées, elles courent moins de risques que leurs soeurs
demeurées dans le monde. Mais elles n'ont probablement pas perdu
totalement leur caractère congénitalement instable, ni
l'inaptitude propre à leur sexe, si ce n'est d'acquérir des
connaissances, du moins d'en supporter moralement le poids sans sombrer dans la
vanité »89. L'application des décrets du concile
de Trente
80Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.205.
81Ibid., p.205.
82Lucien BELY (dir.), op. cit. [note
n°46], article « Abbayes ».
83Ibid., article « Abbés,
abbesses ».
84Ibid., article « Abbés,
abbesses ».
85Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.205.
86Lucien BELY (dir.), op.cit. [note n°46], article
« Séculières ».
87Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.212.
88Ibid., p.205.
89Ibid., p.240.
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maîtrise | juin 2013 - 27 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
change profondément le rapport des clercs et des
religieuses, notamment celles vivant dans les monastères. En effet, ces
derniers « fonctionnèrent de plus en plus au profit de la politique
ecclésiastique centrale, aux dépens de la communauté de
leur ville et de la politique familiale. [...] Les monastères devinrent
de véritables "instituts de perfection" »90. La
contrainte exercée par l'Église romaine et relayée par le
clergé français se fait de plus en plus forte. Les
monastères avaient une fonction régulatrice en absorbant en
quelque sorte le surplus de femmes qui ne trouvaient pas à se marier
dans le monde et qui étaient donc dirigées par leur famille vers
le mariage spirituel. Or « [d]ès l'ère moderne,
marquée du début jusqu'à la fin par une violence
guerrière non seulement locale mais européenne, la demande de
femmes sur le marché matrimonial se ralentit, parallèlement au
pouvoir d'achat des hommes »91. De nombreuses femmes sont donc
entrées dans les ordres, sans vocation réelle. Elles se sont
installées dans les couvents en y amenant leurs habitudes et parfois de
la compagnie. Elles ne suivent pas les mêmes règles que l'ensemble
des moniales. De plus, il existait « un contact vivant entre religieuses
et population citadine »92 du fait de l'ingérence
financière des pères des femmes placées dans les couvents
et parfois de la manière dont les religieuses subvenaient à leurs
besoins : la quête. Le concile de Trente va tenter de réguler ces
contacts avec le monde en imposant la clôture. Lucien Bély affirme
que « [d]es tentatives pour échapper à cette contrainte
tournent court »93. Le concile de Trente impose de plus que les
religieuses dorment « seules ou à plusieurs, mais jamais plus
à deux. Par là même disparut la possibilité de
cultiver des liens intimes et affectifs, et ce fut assurément une perte
considérable »94 notent Natalie Zemon Davis et Arlette
Farge. Ces auteurs montrent de plus que « [m]urs élevés,
lourdes portes, serrures et barreaux nombreux, prescrits dans leurs moindres
détails, ne laissaient planer aucun doute sur les adieux
définitifs faits au monde par les épouses du Christ
»95. Le troisième type de relation entre les clercs et
les religieuses, à savoir « d'écoute, lorsqu'ils sont
amenés à les entendre en confession »96 sera
abordé plus loin.
Dans ce mouvement de reprise en main des mouvements religieux
féminins, le mysticisme fait figure de sacrifié. En effet, ce
mouvement, qui a rencontré un grand écho chez les femmes, a
été assez brutalement évincé de la scène
religieuse. Ce courant tire ses racines d'une femme, Catherine de Gênes,
morte en 1510. Sa diffusion en Europe
90Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.192.
91Ibid., p.191.
92Ibid., p.192.
93Lucien BELY (dir.), op. cit. [note
n°46], article « Séculières ».
94Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op. cit. [note n°79], p.194.
95Ibid., p.193.
96Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.205.
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se fait dans un temps de tolérance et de retour
à un contact plus étroit avec Dieu. Les femmes ont tout
particulièrement investi ce courant qui faisait surgir une union
physique avec Dieu. « Les mystiques, hommes ou femmes, se distinguent par
le désir irrésistible d'un contact le plus intense possible avec
le divin plutôt qu'avec la société qui les entoure
»97 expliquent Natalie Zemon Davis et Arlette Farge. Elles
affirment que « [d]ans nul autre secteur de la culture spirituelle
occidentale les femmes n'ont joué un rôle aussi incontestable que
dans celui du mysticisme, dans nulle autre branche de la science que dans celle
de la "science divine" »98. La « relation d'amour directe
avec un Dieu personnel »99 et la « grande importance
[accordée] à l'imagination et à la faculté de
perception des sens » vont « à l'encontre du processus de
"civilisation" en cours dans la culture bourgeoise [...] »100.
Les mystiques gênent par leurs démonstrations de
piété trop ardentes et elles sont renvoyées à des
activités moins spectaculaires.
Le dernier secteur de la vie féminine qui subit
l'influence de l'Église catholique est l'éducation des filles et
des jeunes femmes. La XXIVe session du concile de Trente, du 11
novembre 1563, établit « la base de l'instruction religieuse de la
jeunesse »101 à savoir, le catéchisme, «
véritable tronc commun pour les enfants, riches ou pauvres,
garçons et filles »102. Natalie Zemon Davis et Arlette
Farge considèrent que « [l]es vérités de la religion
et les rudiments de l'alphabétisation qu'elle colporte ne sont pas
présentés sous des jours radicalement différents aux
filles et à leurs frères »103. Les manuels
peuvent être considérés comme "unisexe". Néanmoins,
« le catéchisme effectivement enseigné aux filles se
développe à part de celui des garçons
»104. Les auteurs soulignent tout d'abord une séparation
physique, la non mixité étant respectée dans la mesure du
possible, même si elle est restée illusoire dans les campagnes.
Marcel Bernos montre de plus que la formation intellectuelle des femmes «
est distincte de celle des garçons par le contenu, les méthodes
et les lieux où elle est dispensée »105. Le
contenu s'appuie sur les objectifs prévus de la formation, à
savoir, préparer la jeune fille à son futur rôle
d'épouse et de mère. Ainsi, « [e]n dehors de savoir lire,
écrire et compter pour pouvoir lire des livres de piété et
tenir la gestion de la famille, il suffisait de les entraîner à la
modestie, d'exercer leur docilité et de leur apprendre la couture et
quelques autres activités "seyant à leur sexe", afin qu'elles
deviennent des épouses soumises
97Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op. cit. [note n°79], p.200.
98Ibid., p.199.
99Ibid., p.200.
100Ibid, p.201.
101Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.108.
102Ibid., p.108.
103Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op. cit. [note n°79], p.151.
104Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.108.
105Ibid., p.101.
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Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
capables de tenir le ménage, des mères
dévouées ou des nonnes obéissantes »106.
Scarlett Beauvalet-Boutouyrie insiste sur le fait que « la confrontation
des deux confessions a activé la prise de conscience. Le concile de
Trente rappelle aux évêques et aux curés la
nécessité d'ouvrir des écoles, mais là aussi
l'enseignement des matières profanes n'est pas l'objectif fondamental.
Il n'est que le moyen d'amener les enfants à la connaissance de la
doctrine chrétienne et à la piété. En ce sens, un
effort important a été fait pour l'éducation des filles,
celles-ci, une fois mères, ayant à leur tour la charge
d'éduquer leurs enfants »107. Nous voyons bien ici que
l'éducation des filles est un enjeu du fait de leur futur rôle de
mère, qui les amènera à inculquer à leurs enfants
les premiers rudiments de la foi. Or, si elles-mêmes ne les connaissaient
pas, elles auraient pu « mettre en péril leur âme, et celle
des personnes dépendant d'elles, par indifférentisme, en
cédant aux superstitions ou, au contraire, en adhérant aux
"idées nouvelles" plus ou moins hérétiques, ou encore en
péchant par méconnaissance de ce qu'est le péché
»108.
Un des lieux spécifiques de la formation intellectuelle
des femmes est le couvent. Natalie Zemon Davis et Arlette Farge soulignent
premièrement que « [l]es tarifs en vigueur permettent seulement aux
filles d'une infime frange de nantis, aristocrates ou grand bourgeois, d'entrer
au couvent »109. Ainsi, ce lieu n'est pas représentatif
de l'éducation des filles dans l'ensemble de la société du
XVIe siècle. Néanmoins, il joue comme un modèle
et comme un précurseur de l'éducation des filles. Marcel Bernos
affirme que le « couvent constitue finalement une expérience, qui
ne représente souvent pour l'enfant qu'un moindre mal
»110. Les filles y entrent plus ou moins tôt selon les
stratégies mises en place par leurs parents. Si ces derniers les
destinent à la vie monastique, elles peuvent y entrer très
jeunes. Pour d'autres, des séjours plus ou moins courts sont
censés leur enseigner les rudiments de la foi chrétienne et la
morale catholique. Ce n'est qu'à la fin du XVIe siècle
que se développent de véritables stratégies
éducatives dans les couvents. Marcel Bernos peut alors dire que les
« religieuses s'occupant d'elles ont, pour beaucoup, choisi l'enseignement
par vocation et gardent un réel souci sinon du bien-être
matériel de leurs élèves, qui reste souvent sommaire, du
moins de leur salut [...] »111. Autre lieu de
l'éducation des filles, les petites écoles, qui sont «
presque exclusivement l'affaire de congrégations »112
enseignantes féminines. Celles-ci commencent à se
développer à la fin du XVIe siècle et voient
une très forte
106Ibid., p.101.
107Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes
à l'époque moderne..., op. cit. [note
n°1], p.57.
108Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.108.
109Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op. cit. [note n°79], p.146.
110Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.106.
111Ibid., p.106.
112Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op. cit. [note n°79], p.155.
expansion au XVIIe siècle. Enfin, il ne faut
pas oublier que , « [o]utre l'influence de l'école et de leurs
catéchistes, les filles et les femmes ont d'autres formateurs
très présents et souvent très actifs : les prêtres
de leur paroisse »113. Ces derniers, lors des sermons qu'ils
prononcent à la messe, des lectures qu'ils donnent et des
homélies qu'ils font assurent une formation continue des femmes, tout au
long de leur vie. Marcel Bernos nous rappelle de plus qu'au «
confessionnal, qu'elles fréquentent plus assidûment que les
hommes, le prêtre leur transmet forcément certaines connaissances,
au moins pour tout ce qui relèverait d'une théologie morale
pratique »114.
Ce rapide tableau montre donc que l'Église interagit
avec les femmes à chaque moment de leur vie. Nous allons à
présent nous pencher sur la pratique de la confession au XVIe
siècle.
LES MANUELS DE CONFESSION : UN GENRE EN PLEINE
EXPANSION.
Les origines de la confession semblent bien remonter à
la Bible, et plus précisément au Nouveau Testament, même si
la présence de cette pratique dans le texte fait débat. En effet,
selon Philippe Rouillard, dans la Bible, « d'une part, il existe un
pouvoir de remettre les péchés, exercé fréquemment
par Jésus, donné aux hommes (Mt 9,8) et confié
solennellement aux Apôtres (Jn 20,22) ; d'autre part, un pouvoir de lier
et de délier est confié à Pierre (Mt 16,19), mais pas
seulement à lui (Mt 18,18) ; et Paul, tout en proposant une haute
théologie de la réconciliation, met plutôt en pratique une
discipline de l'excommunication et de la réintégration
»115. Les théologiens ont donc dû, au cours des
siècles, tenter de structurer et de normer la pratique de la confession,
laissée assez floue dans les textes de référence. Il
semble que le pouvoir de remettre les péchés, d'absoudre le
pénitent, fut tout d'abord concédé à Pierre puis
à tous les Apôtres par le Christ le soir de Pâques voire
à tous les hommes selon Matthieu. En effet, il est dit à la fin
du passage racontant la guérison d'un paralytique : « À
cette vue, les foules furent saisies de crainte et rendirent gloire à
Dieu d'avoir donné un tel pouvoir aux hommes »116. Ce
paralytique vient de se faire absoudre par Jésus suite à sa
confession silencieuse, contenue dans son humilité face au fils de Dieu
qui lui dit : « Confiance,
113Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.110.
114Ibid., p.111.
115Philippe ROUILLARD, Histoire de la
pénitence des origines à nos jours, Paris, Éditions
du Cerf, 1996 (coll. Histoire), p.23. 116Bible de
Jérusalem, op. cit. [note n°6], Matthieu, 9, 8.
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Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
mon enfant, tes péchés sont remis
»117. Il existe un second point d'achoppement dans la
nécessité d'avoir recours à un représentant de
l'Église catholique pour se faire absoudre de ses péchés.
Bernard Sesboüé souligne dans son ouvrage que « dans la
discipline secrète, la pénitence devient avant tout
intérieure ; elle échappe à l'autorité de
l'Église et apparaît comme un acte privé de la vertu de
pénitence. [...] Pourquoi se confesser au prêtre de
l'Église ? »118. Il semble que la réponse ait
été apportée par l'exemple de Lazare ou encore par celui
du lépreux qui « guéri par le Christ, était
envoyé au prêtre pour que sa guérison soit
déclarée selon la loi de Moïse (Mc 1, 41-44)
»119. L'Église reçoit donc le pouvoir
d'entériner la guérison du malade, de valider sa confession.
Lors du concile de Latran IV, la confession est en
débat et elle y trouve la plupart des traits caractéristiques qui
vont la définir au cours des siècles suivants. En 1215 est
décidé, par le canon 21, que « tout fidèle doit
confesser tous ses péchés au moins une fois par an
»120. De plus, « il est dit avec insistance que le
chrétien se confesse à son propre prêtre,
c'est-à-dire à son curé ou au chapelain de sa
communauté »121. Une autorisation est nécessaire
pour contrer cette obligation. Philippe Rouillard rappelle qu'à cette
époque, « [l]a préoccupation majeure de Latran IV n'est donc
pas de proposer à la chrétienté une nouvelle
législation pénitentielle, mais d'utiliser la confession comme un
moyen de pression pastorale sur les chrétiens hésitants, comme un
moyen d'assurer la cohésion et la fidélité de la
communauté chrétienne face aux sollicitations des "sectes" plus
ou moins hérétiques. [...] Instituée à l'origine
pour distinguer le catholique de l'hérétique, la confession
annuelle servira [ensuite] de critère pour distinguer le catholique
pratiquant du catholique non pratiquant ou indifférent
»122. Jean Delumeau souligne que « la
généralisation de cette contrainte, déjà en vigueur
auparavant dans plusieurs diocèses, modifia la vie religieuse et
psychologique des hommes et des femmes d'Occident, et pesa
énormément sur les mentalités jusqu'à la
Réforme »123.
Au XVIe siècle, Luther, dans ses 95
thèses, remet en cause certains des fondements de la confession
catholique. En effet, il soutient que « [l]a confession n'est pas de droit
divin ; elle n'est pas nécessaire à la rémission et doit
rester libre. Une confession de tous les péchés est impossible et
n'est qu'une tradition humaine (4, 5, 6). [...] Tous les chrétiens
peuvent être ministres de l'absolution. La réservation des cas
est
117Ibid., Évangile selon Matthieu, 9,
2.
118Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS
(dir.), Paul TIHON (dir.), Histoire des dogmes, tome 3 : Les signes du
salut,
Les sacrements. L'Église. La vierge Marie, Paris,
Desclée, 1995, p.171.
119Ibid., p.172.
120Philippe ROUILLARD, op. cit. [note
n°115], p.67.
121Ibid., p.67.
122Ibid., p. 68-70.
123Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon : les
difficultés de la confession. XIIIe-XVIIIe
siècle, Paris, Fayard, 1992 (rééd.) (coll.
Livre de poche), p.11.
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illégitime (7, 8, 9) »124. Philippe
Rouillard dit que « [f]ace à ces positions contestataires, le
concile de Trente va insister sur trois points : nécessité pour
tout chrétien de confesser au moins une fois par an tous ses
péchés graves ; nécessité pour le pénitent
de présenter ses fautes au ''jugement'' du confesseur, qui peut donner
ou refuser l'absolution ; effort théologique pour prouver que ces
exigences ne sont pas de simples règles fixées par
l'Église, mais qu'elles sont de ''droit divin'', c'est-à-dire
viennent de Dieu lui-même »125. Une distinction est
à nouveau clairement établie entre le baptême, marque d'une
première justification du chrétien et la pénitence pour
celui qui est retombé dans le péché, pénitence qui
« a été et demeure pour tous les hommes une vertu
nécessaire pour parvenir à la grâce et à la justice
»126. Ainsi, comme le montre Bernard Sesboüé :
« Si le baptême est une naissance, la pénitence est une
guérison »127. Philippe Rouillard souligne enfin que
« le concile de Trente, par ses prises de position et par son
retentissement, a donné plus de vigueur, ou de rigueur, à la
pratique du sacrement dans l'Église catholique, qu'il s'agisse de la
confession annuelle, dont se satisfont beaucoup d'hommes, ou de la confession
plus ou moins fréquente en honneur dans les milieux dévots et
surtout féminins »128.
Nous allons maintenant étudier le déroulement du
sacrement de pénitence dans l'ordre chronologique repéré
dans les actes du concile de Trente : « poussé par la
contrition de son péché, le pénitent vient s'en
confesser, il reçoit l'absolution qui le
réconcilie avec Dieu et se soumet à la satisfaction qui
lui est imposée »129. Il existe tout d'abord à
l'époque moderne de grands débats autour de la contrition. Lucien
Bély remarque que « [c]e dernier point est un de ceux qui ont
été le plus discutés, longtemps encore après le
concile [...] : faut-il, pour être pardonné, que le pécheur
regrette ses fautes par amour de Dieu (contrition parfaite) ou suffit-il qu'il
soit mû par la peur de l'enfer (contrition imparfaite ou attrition) ?
»130. Le concile de Trente adopte une nouvelle position face au
sacrement de pénitence en considérant, à rebours de saint
Thomas par exemple, que « dans le cas le plus fréquent, le
pénitent se présente avec une contrition imparfaite
»131. Or « [l]es motifs de l'attrition sont imparfaits
parce que le pénitent reste enfermé dans une considération
de lui-même et des conséquences fâcheuses de ses actes
»132. Néanmoins, le concile de Trente lit dans
l'attrition une
124Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS
(dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.174.
125Philippe ROUILLARD, op. cit. [note n°115], p.78.
126Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS
(dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.174.
127Ibid., p.176.
128Philippe ROUILLARD, op. cit. [note
n°115], p.80.
129Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS
(dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.176.
130Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article
« Sacrements ».
131Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS
(dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.177.
132Ibid., p.177.
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
disposition du pécheur favorable à Dieu. Les
canons du concile établissent donc que « celle-ci "suffit à
la constitution de ce sacrement" et dispose à obtenir "plus facilement"
la grâce [...] »133.
Le concile de Trente s'attache ensuite à définir
le moment même de la confession, le moment de l'aveu. Marc Vénard
et Anne Bonzon insistent sur le fait que, sur le plan psychologique, le premier
temps, l'aveu, est le plus marquant. C'est pourquoi selon eux, « le
langage courant a retenu le terme de confession pour désigner l'ensemble
du sacrement »134. Philippe Rouillard remarque lui aussi que
« [l]e nom même de "sacrement de pénitence" ne correspond
plus guère à la réalité, car les deux
éléments essentiels de la démarche sont désormais
la confession et l'absolution, tandis que la "pénitence", souvent
réduite à quelques prières, n'est accomplie qu'ensuite et
n'a plus qu'une valeur symbolique ; les fidèles ne s'y trompent pas, qui
disent couramment : "Je vais me confesser" ou "Je vais à confesse"
»135. Le Catéchisme romain, publié en
français en 1567, consacre un long chapitre « au sacrement de la
pénitence, qui insiste aussi bien sur l'importance de la contrition que
sur la nécessité d'une confession détaillée et de
la réparation des dommages causés »136. Lucien
Bély signale que « les exigences ne cessent de croître en ce
qui concerne l'exhaustivité et la précision de la confession
»137. Cela entraîne des débats concernant
l'étendue de ce qui doit être dévoilé au confesseur.
Les péchés mortels et les péchés véniels
doivent-ils être mis sur un pied d'égalité ? À ce
propos, le concile de Trente précise que les « péchés
véniels qui n'excluent pas de la grâce de Dieu et en lesquels nous
tombons souvent (encore que la confession en soit utile), ils peuvent
être tus sans faute et expiés par de nombreux autres
remèdes [...]. Rien d'autre dans l'Église ne peut être
exigé du pénitent [...], sinon que chacun confesse les
péchés par lesquels il se souviendra d'avoir offensé
mortellement son Dieu et Seigneur »138. Néanmoins, le
canon 8 de ce même concile semble imposer la confession de
l'intégralité des péchés. Sur cette brèche
doctrinale vont se construire deux courants, l'un rigoriste, l'autre plus
ouvert, parfois qualifié de « laxiste ».
Après l'aveu vient l'absolution. Il faut souligner que
les insuffisances du clergé romain au XVIe et la
pénibilité du sacrement de pénitence avaient mené
à des dérives de la part des deux parties. En effet, « [l]e
pénitent [...] obtient rapidement l'absolution et
133Ibid., p.178.
134Marc VENARD, Anne BONZON, La religion dans la
France moderne XVIe-XVIIIe, Paris, Hachette
supérieur, 1998 (coll. Carré
histoire), p.50.
135Philippe ROUILLARD, op. cit. [note
n°115], p.73.
136Ibid., p. 80-81.
137Lucien BELY (dir.), op. cit. [note
n°46], article « Sacrements ».
138Session XVI, chapitre V, cité dans Jean
DELUMEAU, L'aveu et le pardon..., op. cit. [note n°123],
p.13.
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le confesseur, qui fait payer ses services, a
intérêt à donner beaucoup de pardons »139.
Ainsi, les statuts de certaines paroisses mentionnent les tarifs pour les
différentes célébrations. « Rien pour les confessions
mais les curés peuvent recevoir une somme modique, à la
discrétion des fidèles »140 est la conclusion que
tire Vladimir Angelo de l'étude des statuts des paroisses parisiennes au
XVIe. Le concile de Trente interdit ce commerce des sacrements et a
aussi « fixé la formule d'absolution que doit dire le prêtre
: "Je t'absous au nom du Père", etc., et non pas "Que Dieu t'absolve".
Car le rite objectif l'emporte désormais sur les sentiments du
pénitent »141. Enfin, la satisfaction doit être un
signe extérieur de la repentance du pécheur, une "conversion".
Cette satisfaction prend de plus en plus souvent la forme de la
récitation de prières. Néanmoins, le concile de Trente
« souligne la dimension christologique de la satisfaction : par elle "nous
devenons conformes au Christ Jésus qui a satisfait pour nos
péchés" [...] »142. La satisfaction n'est donc
pas minorée mais les peines spectaculaires, visibles, disparaissent
puisqu'elles sont en contradiction avec le secret de la confession, exigence
qui prend une grande importance dès le concile de Latran IV mais qui est
réaffirmée avec force par le concile de Trente, s'appuyant sur
l'exemple de saint Jean Népomucène, confesseur de la reine Sophie
de Bohême qui refusa de révéler le contenu des confessions
de la reine à son mari jaloux. Il fut pour cela torturé et
jeté à l'eau.
Le secret de la confession est un des aspects plus «
matériels » abordés par le concile de Trente. La question de
la fréquence de la confession est elle aussi abordée.
François Lebrun montre que « pour le plus grand nombre, la
confession pascale est la seule de l'année et se ramène à
un simple aveu de leurs péchés suivi, immédiatement ou
non, de l'absolution »143. Néanmoins, il semble que
« la pratique de la confession [soit] devenue plus fréquente
à mesure des progrès de la dévotion : mensuelle, ou
même hebdomadaire chez les plus fervents ou les plus scrupuleux
»144. Une évolution qui a suivi de près le
concile de Trente est celle de l'introduction du confessionnal dans les
églises. Cette invention serait due à Charles Borromée,
évêque italien et grand promoteur du concile de Trente. Le
confessionnal est « destiné à séparer le confesseur
du pénitent, et surtout de la pénitente : entre les deux, une
grille laisse passer la voix mais à peine le regard
»145. Ce meuble permet de s'isoler du reste des croyants mais
il
139Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon...,
op. cit. [note n°123], p.15.
140Vladimir ANGELO, Les curés de Paris au
XVIe siècle, Paris, Éditions du Cerf, 2005 (coll.
Histoire religieuse de la France),
p.108.
141Lucien BELY (dir.), op. cit. [note
n°46], article « Sacrements ».
142Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS
(dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.179.
143François LEBRUN, Être
chrétien en France sous l'Ancien Régime 1516-1790, Paris,
Seuil, 1996 (coll. Être chrétien en
France), p. 149.
144Lucien BELY (dir.), op. cit. [note
n°46], article « Sacrements ».
145Marc VENARD, Anne BONZON, op. cit. [note
n°134], p.50.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 34 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
semble avoir été institué du fait de la
« difficulté » supposée de la confession des femmes.
Selon Natalie Zemon Davis et Arlette Farge, « la confession et la
direction spirituelle exigeaient des précautions extraordinaires quand
il s'agissait de femmes. [...] En raison des dangers spécifiques
attribués à la confession féminine, on introduisit la
grille qui empêchait tout échange de regards entre la
pénitente et son confesseur »146.
Il existe donc une spécificité de la confession
féminine, bien repérée et dont on a tenté de
limiter les effets. En effet, le confesseur est un personnage très
important dans la vie d'une femme pieuse et un attachement réciproque
peut avoir lieu. Pour contrer cet inconvénient, Charles Borromée
préconise la séparation physique du confesseur et de la
pénitente. Si cette séparation est impossible,
l'évêque italien donne des instructions précises aux
confesseurs de sa ville en 1576 : « On ne doit point entendre les
confessions des femmes dans les maisons des laïcs, si ce n'est en cas de
maladie. Et, en ce cas, celui qui confesse des femmes doit tenir la porte du
lieu où il est ouverte de telle sorte qu'il puisse être vu. Et
hors ce cas de maladie, on ne doit entendre les confessions des femmes que dans
les églises et les confessionnaux. Et on doit même éviter
de le faire avant le soleil levé, ni après qu'il sera
couché »147. Une autre particularité
repérée chez les femmes est la honte qu'elles
éprouveraient lors de la confession. Elle est citée dans
plusieurs ouvrages de confession et c'est pourquoi Jean Delumeau peut dire que
« [l]es observateurs d'autrefois remarquèrent que la honte se
manifestait surtout à l'occasion de péchés sexuels et
paralysait tout particulièrement les femmes »148. Cette
honte doit être adoucie par la charité et la compassion dont
doivent faire preuve les prêtres lors de la confession.
L'évolution des sommes de casuistique
médiévales est, au XVIe siècle, le manuel de
confession. Selon Pierre Michaud-Quantin, « [l]e seul
élément qui se transforme d'une façon suivie est l'examen
de conscience proposé au pénitent, qui se développe et se
complique en même temps qu'il vient toujours davantage au premier plan
des préoccupations de l'auteur »149. De cette tendance
observée découlerait « la création d'un nouveau type
de manuel - réduit à sa plus simple expression - qui se compose
uniquement d'un examen de conscience constitué par une liste de tous les
péchés possibles ; les manuscrits le désignent sous le nom
de confessio generalis quand ils
146Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op. cit. [note n°79], p.195.
147Charles BORROMEE, Instructions de S. Charles
Borromée cardinal du titre de sainte Praxède, archevêque de
Milan, aux confesseurs de sa ville, et de son diocèse,
Besançon, Marquiset, 1839 (rééd.) [disponible sur le site
<
https://play.google.com/books/reader?
id=sqt5RAL1ydMC&printsec=frontcover&output=reader&authuser=0&hl=fr&pg=GBS.PP7>]
(consulté le 25 novembre 2012). 148Jean DELUMEAU, L'aveu
et le pardon..., op. cit. [note n°123], p.19.
149Pierre MICHAUD-QUANTIN, Sommes de
casuistique et manuels de confession au Moyen-Âge,
(XIIe-XVIe siècles), Louvain, Nauwelaerts,
1962 (coll. Analecta Mediaevalia Namurcensia), p.69.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 35 -
pensent à son emploi par le pénitent,
quaestiones faciendae in confessione, interrogatorium, s'ils
envisagent l'emploi qu'en fera le prêtre »150. Si
Philippe Rouillard estime que « du XVIe au XVIIIe
siècle, paraissent d'innombrables manuels pour les confesseurs
»151, Marcel Bernos quant à lui chiffre « la
production des manuels de confession [...] à plus de 600 dans le
siècle qui a suivi le concile de Trente (15631660) »152.
Cette explosion de la production de manuels de confession s'explique en partie
par la grande importance donnée à la confession à
l'époque moderne et au fait que « la "technique" de la confession
est complexe »153 selon les confesseurs de l'époque. En
effet, ces derniers « consacrent souvent une bonne partie de leurs manuels
à en expliquer les devoirs, la procédure, les dangers,
l'importance de ce qu'ils définissent comme l' ars artium
»154. Marcel Bernos rappelle dans ce même ouvrage
qu'il faut être attentif à la manière d'étudier ces
textes que sont les manuels de confession. Il conseille : « Comme toutes
les sources, les livres touchant à la morale ont des
caractéristiques et un mode d'emploi propres. Un manuel de confession
paraît à une date donnée [...]. Il est écrit par un
auteur particulier. L'origine de celui-ci, son appartenance au clergé
séculier ou régulier, sous clôture ou dans le monde, son
adhésion à une "école" morale rigoriste ou non, ne peuvent
pas ne pas influencer la formulation de ces écrits. Il arrive qu'un
manuel soit commandé par un évêque en vue d'un usage
exclusif en son diocèse. La personnalité de cet
évêque ne doit pas être négligée car elle joue
un rôle dans la destinée de la publication
»155.
Les manuels de confession se développent au
XVIe siècle en réponse à une attente des
croyants mais aussi pour éduquer les prêtres et les aider dans
leur lourde tâche de confesseur. Le format des manuels de confession
indique clairement qu'ils sont destinés à être
diffusés assez largement. Marcel Bernos souligne en effet que, «
[c]ontrairement aux Summae Confessorum des XIVe et
XVe siècles qui sont souvent d'énormes in folio
destinés aux seuls prêtres, les manuels de confession, de format
plus pratique (généralement in-8°, jusqu'au livre de poche
in-16), s'adressent et donc s'adaptent à un public plus varié,
éventuellement désigné dans le titre même, et
d'abord pour les ministres du sacrement »156. L'angoisse du
salut qui caractérise le début du XVIe siècle
et ses répercussions sur l'Église de France vont menées
à un resserrement des exigences
150Ibid., p.69.
151Philippe ROUILLARD, op. cit. [note
n°115], p.84.
152Marcel BERNOS, Les sacrements dans la France
des XVIIe et XVIIIe siècles : pastorale et
vécu des fidèles, Aix-en-Provence,
PUP, 2007 (coll. Le temps de l'histoire), p.21.
153Ibid., p.15.
154Ibid., p.15.
155Ibid., p.23-24.
156Ibid., p.24-25.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 36 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
religieuses à la fin de ce même siècle. Le
plus grand contrôle que l'Église souhaite exercer sur les
fidèles se concrétise dans le renouvellement de l'obligation
à tous de se confesser au moins une fois par an. Les grands
événements du milieu du XVIe siècle ont de plus
favorisé le développement de formes intenses de
piété. Les chrétiens de la fin du XVIe
siècle sont inquiets face aux déchaînements de violence qui
ont eu lieu sur le territoire français. Certains cherchent alors
à améliorer leur confession, pensant peut-être que le
retour de l'Antéchrist est proche. Les confesseurs essaient de
vulgariser leur message en utilisant parfois le français dans leurs
écrits, face au latin, langue de l'Église. À
côté des potentielles préoccupations pastorales des
prêtres et des curés, le concile de Trente et certains statuts
synodaux exigent la possession d'une bibliothèque minimale par le
clergé. Comme le soulignent les auteurs de l'Histoire du
christianisme, « [l]es statuts synodaux exigent ordinairement que les
curés aient chez eux une Bible, les statuts du diocèse, un
manuel, un recueil de sermons et une somme de confession »157.
La réforme catholique vise aussi, selon les mêmes auteurs,
à approfondir les relations entre le pénitent et le confesseur.
Selon eux, « [t]oute une littérature y contribue, dont la
production remonte au XVe siècle, mais ne cesse de se
développer dans les deux siècles suivants. Elle comprend, pour
les fidèles, des examens de conscience et des manières de se
confesser ; pour les prêtres, des instructions pour confesseurs ; pour
les uns et les autres, des sommes de confession qui sont des manuels de morale
très fouillés, avec analyse des "cas de conscience" et des
situations concrètes liées à chaque état de vie
»158.
Marcel Bernos rappelle que « [l]a fonction
première des manuels de confession est de provoquer l'examen de
conscience individuel et à faciliter l'aveu, le plus précis
possible, des fautes rendues répertoriables par le pénitent
»159. Afin que cette confession se déroule dans les
meilleures conditions possibles, les manuels de confession relèvent les
qualités nécessaires du confesseur. Il faut souligner tout
d'abord que les manuels présentent le confesseur « dans ses
différentes fonctions possibles : père, juge, instructeur,
médecin »160. Le confesseur est un
médecin de l'âme et cela lui « donne des
responsabilités, mais aussi des droits, au moins égaux à
ceux de son collègue soignant les corps »161. Le concile
de Trente et les manuels de confession, à sa suite mais aussi anticipant
les canons du concile, demandent au confesseur une certaine connaissance de la
théologie si ce n'est tout premièrement une connaissance du
Décalogue et des grandes
157Jean-Marie MAYEUR (dir.), Charles PIETRI (dir.),
André VAUCHEZ (dir.), Marc VENARD (dir.), Histoire du
christianisme,
tome 8 : Le temps des confessions (1530-1620), Paris,
Desclée, 1992, p.885.
158Ibid., p.968.
159Marcel BERNOS, Les sacrements..., op.
cit. [note n°152], p.31.
160Ibid., p.74.
161Ibid., p.74.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 37 -
interdictions liées à la religion catholique. Le
confesseur doit donc être « "savant", connaître les
matières de la théologie morale et les cas de conscience, ce qui
s'acquiert par une étude persévérante recommandée
par les évêques »162. Mais ces connaissances
doivent s'accompagner de qualités qui faciliteront la confession. Jean
Delumeau souligne en effet que « [p]sychologiquement, une des
difficultés de la confession auriculaire est créée non
seulement par le fossé entre un juge et un coupable, mais par le fait
qu'il n'y a confidence que d'un seul côté »163.
Les manuels de confession insistent donc sur la nécessité pour le
confesseur « de traiter avec bienveillance, patience et compassion, les
pénitents, et particulièrement les personnes affligées de
cette cruelle inclination à se croire toujours en faute, et sans
rémission possible »164. Du fait de la difficulté
de leur tâche et de l'importance de leur mission, dont la conscience
croît peu à peu, les confesseurs se doivent donc d'acquérir
des qualités morales et intellectuelles. Ces qualités seront de
plus en plus contrôlées par l'Église lors de l'examen des
prétendants. Lors de leur recrutement, prêtres comme
évêques seront en effet questionnés sur leurs connaissances
théologiques et pastorales.
Les femmes seraient peu présentes en tant que telles
dans les manuels de confession. Marcel Bernos souligne en effet que ces
derniers « ne consacrent jamais un chapitre particulier aux femmes.
Lorsqu'elles sont expressément mentionnées, c'est toujours
associées à un personnage masculin correspondant. Ainsi, on
traitera des "pères-et-mères", des
"maîtres-et-maîtresses", des
"serviteurs-et-servantes", des "religieux-et-religieuses",
etc »165. Néanmoins, nous pouvons voir dans ces manuels
des représentations de la femme, élogieuses tout comme
dépréciatives. Marcel Bernos attire l'attention de ses lecteurs
sur le fait que « les données fournies ne constituent en aucune
manière des matériaux "bruts" et purs. Ils sont
déjà interprétés, parfois profondément, par
les rédacteurs, chacun étant ce qu'il est et subissant des
influences extérieures non négligeables »166. Il
faudra donc s'interroger prudemment sur la fiabilité des manuels de
confession et sur l'image de la femme qui en ressort.
L'étude du plan des manuels de confession montre leur
désir d'attirer les fidèles. En effet, « [c]ertains [...]
consacrent des chapitres entiers à une réflexion sur les
péchés spécifiques d'une catégorie définie
de fidèles, clercs ou laïcs, aristocrates ou gens du peuple [...].
Ils insistent [...] sur les particularités des métiers
»167. Ainsi, un corps social
162Ibid., p.75.
163Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon...,
op. cit. [note n°123], p.31.
164Marcel BERNOS, Les sacrements..., op.
cit. [note n°152], p.76.
165Ibid., p.144.
166Marcel BERNOS, « Les manuels de confesseurs
peuvent-ils servir à l'histoire des mentalités ? », dans
Histoire sociale,
sensibilités collectives et mentalités,
mélanges Robert MANDROU, Paris, PUF, 1985, p.91.
167Marcel BERNOS, Les sacrements..., op.
cit. [note n°152], p.16.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 38 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
ou un corps de métier sera-t-il peut-être
incité à lire un manuel de confession traitant
spécifiquement de ses traits caractéristiques. Nous allons
à présent étudier plus précisément le plan
du manuel de confession que nous nous proposons d'analyser par la suite. Ce
manuel a été rédigé par Jean Benedicti et
publié pour la première fois en 1584. La version
étudiée est celle de 1595, cette version est celle qui sera
diffusée largement grâce à l'approbation de l'Église
catholique. Cette oeuvre, intitulée La somme des pechez, et le
remede d'icevx, essaie de présenter de la manière la plus
exhaustive possible l'ensemble des péchés des chrétiens et
le moyen d'en faire pénitence.
Plan du manuel de confession de Jean Benedicti, La somme
des pechez et le remede d'icevx .
Plan du manuel.
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Descriptif.
|
Nombre de pages.
|
Page de titre.
|
Titre complet, destinataires visés, frontispice, ours.
Une
inscription manuscrite donne le nom d'un couvent,
peut-être un des lieux où a été conservé
l'ouvrage.
|
1
|
Épître
dédicatoire.
|
À la Vierge Marie. Benedicti place son livre et
lui-même sous la protection de la Vierge Marie. Datée de 1584.
|
47
|
Estampe :
la Vierge en prière.
(voir
annexe 1)
|
La Vierge, les mains jointes, est en prière. Des
étoiles et des fleurs l'entourent. Une inscription latine est
placée dans un
cartouche sous le portrait : « Foeminei tu sola
chori pulcherrima Virgo, / Vna Dei pariter filia, sponsa, parens » :
« Très glorieuse Vierge, toi seule parmi la foule des femmes /
Seule également fille, épouse et mère de Dieu »
(proposition de traduction).
|
1
|
Estampe :
Adoration de l'Enfant Jésus par les bergers et les
Mages.
(voir
annexe 2)
|
Dans un bâtiment dont le toit est à ciel ouvert
pour partie, Jésus est couché dans de la paille. Présence
d'un ange à la tête du berceau qui resplendit. Des hommes en tenue
d'époque (du
XVIe siècle) se tiennent autour de l'enfant,
certains sont agenouillés en prière. Nous pouvons penser que
les hommes sur la droite du Christ sont les rois Mages, décrits dans
l'évangile de Matthieu, tandis que l'homme à sa gauche serait un
berger, présent dans l'évangile de Luc. Marie est elle aussi en
train d'adorer son fils tandis que Joseph, en arrière plan,
reconnaissable à sa barbe, semble en méditation. La
présence d'un agneau au pied du berceau peut sembler traditionnelle. Or,
il est ici ligoté. Il s'agit d'un agneau immolé qui annonce la
mort future du Christ et sa Résurrection (évangile de Jean). Nous
pouvons aussi supposer que la masse sombre qui est à l'arrière de
la scène au centre soient un âne et un boeuf. Dans
l'angle supérieur gauche, un ange apparaît,
porteur d'un message. Il est possible que cette scène soit une
représentation de l'annonce aux bergers (Luc, 2, 9).
|
1
|
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 39 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 40 -
Plan du manuel.
|
Descriptif.
|
Nombre de pages.
|
Estampe : la montée de Marie au ciel.
(voir
annexe 3)
|
Marie, entourée d'anges et le visage auréolé
d'un nimbe
semble monter au ciel. Elle rejoint, tout en leur
étant inférieure, Jésus, reconnaissable à son
nimbe crucifère et à la croix qu'il porte, et Dieu le
Père, à droite, porteur des attributs de la puissance : l'orbe et
peut-être, posé sur ses genoux, un bâton. Dieu porte une
sorte de tiare, représentation peu fréquente mais
acceptée. Dieu et son fils tiennent, chacun d'une main, un grand livre
ouvert qui est sans doute la Bible. Le saint Esprit, sous la forme d'une
colombe, complète cette représentation de la Sainte
Trinité. Une multitude d'anges peuple la scène. En bas du tableau
sont présents sept apôtres qui, pour la plupart ont un livre en
main et un végétal qui ressemble à la palme des martyres.
Une foule d'hommes est en contemplation devant Marie montant au ciel. Les
personnages représentés dans les médaillons de chaque
côté de la scène pourraient être les parents de
Marie, Anne et Joachim. Les nombreuses grappes de raisin, les boucliers et les
pics font que la scène a une teinte antique.
|
1
|
Estampe : l'Assomption.
(voir
annexe 4)
|
Marie, bras ouverts, reçoit la gloire de Dieu, elle
monte au ciel entourée d'anges cachés dans les nuages qui
l'entourent. Au bas de la scène, des hommes sont en admiration ou en
prière. Un autel semble occuper le centre du tableau, au pied de cet
autel, un livre est au sol.
|
1
|
Épître.
|
À Monseigneur Pierre de Gondi, qui ne semble pas
être le
commanditaire de l'oeuvre mais uniquement une
figure protectrice, un porte-voix pour l'oeuvre. À noter : Chaque
tête
|
1
|
de page de ce qui est considéré comme une
nouvelle partie par Benedicti est ornée d'un bandeau. De plus, chaque
première lettre de chapitre est une lettrine. (voir annexe 5).
|
Neuf poèmes.
|
-In svmmam. D. Ioan. BENEDICTI.
-Un poème en grec.
-Ad pientissimam sapientiae parentem Sorbonam,
Theologici
aetheris Aquilam. Ianus Edoardus du Monin.
-Un poème en grec.
-Ejusdem,Ioan Edouard du Monin .
-Av lectevr benevole, sonnet. Leonard de la Ville,
Charolloys.
-In svmmam, R.P.F. IO. BENEDICTI. Hier.
Cavellatvs, Parisinus.
-Svr l'espitre à la Vierge Marie, de R.P.F.I.
BENEDICTI. Hier, Cauellat Parisien.
-Sonnet d'vn certain gentil homme, sur l'Epistre de
l'Autheur, dediee à la Vierge Marie.
|
4
|
Argvment et
sommaire de
tous les cinq
livres, et de
|
Livre par livre et chapitre par chapitre, une courte phrase
renseigne sur le sujet abordé.
À noter : Certaines pages comportent des réclames
ou des
|
3
|
signatures facilitant l'assemblage ultérieur des feuillets
ou des
|
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
Plan du manuel.
|
Descriptif.
|
Nombre de pages.
|
leurs
chapitres.
|
cahiers.
Un cul de lampe orne la fin de cette table des chapitres et de
certaines autres parties.
|
|
Le catalogve
des avthevrs,
et des liures
dont s'est aydé
l'Autheur de cette Somme.
|
-Et premierement les noms Hebrieux, Syriens, Chaldeens &
Arabes, qui ont esté de l'Eglise d'Israel, dicte la Synagogue. -Les
Conciles, tant generaux, que particuliers.
-Les Peres de l'Eglise Grecque et Orientale.
-Les Peres de l'Eglise Latine et Occidentale.
-Les historiens tant Ethniques, que Chrestiens.
-Les Autheurs prophanes du Paganisme, tant Poëtes, que
Philosophes.
-Les Docteurs de la Theologie Scolastique avec les Canonistes et
Iurisconsultes, desquels cest oeuvre a esté pour la plus part
recueilly.
|
4
|
Advertisse- ment
av lectevr. F.François Iary Chartreux.
|
Explication rapide du plan et des objectifs de l'ouvrage. Le
Père François Jary loue les qualités de Benedicti et
apporte sa caution à l'ouvrage.
|
1
|
Table tres
vtile povr les jevnes
Predicateurs,
qui pourront
appliquer la
doctrine de
cest oeuure à leurs
Predications
du Caresme, enseignans au peuple à fuyr les pechez, et
cognoistre l'enormité d'iceux.
|
Reprenant les grands moments de l'année liturgique
catholique, Benedicti donne des indications bibliographiques
afin de construire de bons sermons. Les propositions de sermons sont toutes
tirées de passages de l'Évangile. Benedicti donne des indications
extrêmement précises aux prédicateurs
qui le liraient. En effet, pour le « Vendredy apres
les Cendres », il propose une lecture de l'Évangile de saint
Matthieu et indique : « Soit amplement traicté de l'aumosne &
circonstances d'icelle, ainsi qu'il se pourra veoir au chap.7.du 4 liure,
fueillet 485.& autres suyuans ».
|
14
|
Aduertisse-
ment de l'Autheur aux Lecteurs.
|
Explication très rapide des deux abréviations
types utilisées dans l'ouvrage : PM pour péché mortel, PV
pour péché véniel.
|
1
|
Le premier
livre de la cavse,
definition,
|
-Chapitre I : Dieu n'est point Autheur de Peché.
-Chapitre II : Des Causes du Peché. -Chapitre III : Du
Peché Remissible & Irremissible. -Chapitre IIII : Diuision
des Pechez.
|
89
|
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 41 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 42 -
Plan du manuel.
|
Descriptif.
|
Nombre de pages.
|
malice et
decision des
pechez.
|
-Chapitre V : La Distinction des Pechez. -Chapitre
VI : De l'horreur des Pechez. -Chapitre VII : De l'Excellence du
Decalogue.
-Chapitre VIII : Les dix Commandemens. Le
premier Commandement. Pechez contre Esperance. Pechez contre
Charité.
-Chapitre IX : Ne pren en vain le Nom de Dieu. Du
Blaspheme. Des Voeus. Dispensation des voeus.
-Chapitre X : Le III. Commandement. Sanctifie le
dimanche.
|
|
Le second
livre, ov il est
traicte des commande-
mens de la seconde table, et des Pechez commis
contre iceux.
|
-Chapitre I : Le IIII. Commandement.
-Chapitre II : Les pechez des Peres et meres envers
leurs
enfans, contre ce quatriesme Commandement.
-Chapitre III : Les pechez des maris envers leurs
femmes, qui
se commettent contre ce quatriesme Commandement.
-Chapitre IIII : Le V. Commandement.
-Chapitre V : Le VI. Commandement.
-Chapitre VI : De Adultere.
-Chapitre VII : Traité du stupre, inceste, rapt
et sacrilege.
-Chapitre VIII : Du péché contre
nature.
-Chapitre IX : De l'excez des gens mariez.
-Chapitre X : Le VII. Commandement.
-Chapitre XI : Le VIII. Commandement.
-Chapitre XII : Le IX & X. Commandement.
|
102
|
Le troisiesme livre, ov il est
traicte des commande-
mens de l'Eglise, et des
sept pechez
Mortels, de
Simonie, vsures, changes, rentes,
venditions, & achapts.
|
-Chapitre I : Le I. Commandement de l'Eglise.
-Chapitre II : Le II. Commandement de l'Eglise.
-Chapitre III : Le III. Commandement de l'Eglise.
-Chapitre III : Le IIII. Commandement de l'Eglise.
-Chapitre V : Le V. Commandement de l'Eglise.
-Chapitre VI : Des sept pechez mortels. Du
péché d'Orgueil, et
des pechez commis par iceluy.
-Chapitre VII : Les pechez commis par Avarice.
-Chapitre VIII : Les pechez qui se commettent par
simonie.
-Chapitre IX : De l'usure.
-Chapitre X : De Luxure.
-Chapitre XI : D'envie.
-Chapitre XII : D'Ire.
-Chapitre XIII : Gourmandise.
-Chapitre XIII : Paresse.
|
189
|
Le
Qvatriesme livre qvi traite des sacremens
de l'Eglise,
des oevvres
de
misericorde,
|
-Chapitre I : Les pechez commis contre les sept
Sacremens de l'Eglise en general. Du Baptesme, et les sept pechez commis contre
iceluy.
-Chapitre II : Du Sacrement de Confirmation.
-Chapitre III : Les pechez qui se commettent
touchant l'Eucharistie. De la Messe.
-Chapitre IIII : De l'Extreme Onction.
-Chapitre V : Les pechez qui se commettent touchant
le
|
177
|
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
Plan du manuel.
|
Descriptif.
|
Nombre de pages.
|
des pechez
contre le
Sainct Esprit,
des cinq sens de nature, des
pechez de la langue, &c.
|
Sacrement des Ordres.
-Chapitre VI : Les pechez qui se commettent contre
le Sacrement de Mariage.
-Chapitre VII : Des oeuures de Misericorde.
-Chapitre VIII : Des Pechez contre le sainct Esprit.
-Chapitre IX : Des cinq sens de nature, et de leurs
pechez. -Chapitre X : Des pechez de la Langue.
|
|
Le cinquiesme livre traicte de l'aneantisse-
ment & destruction des pechez, &
de la justification
de l'ame
pecheresse &
purgation d'icelle, qui se
fait par le
moyen du
sacrement de
penitence.
|
-Chapitre I : Du Sacrement de Penitence.
-Chapitre II : Du Ministre du sacrement de penitence.
-Chapitre III : De la Contrition.
-Chapitre IIII : De la confession.
-Chapitre V : De la satisfaction, troisieme partie de
penitence.
-Chapitre VI : En quels cas on doit bailler ou
denier l'Absolution au Penitent.
-Chapitre VII : De la penitence que doit imposer
le Confesseur.
-Chapitre VIII : De l'absolution sacramentale.
-Chapitre IX : Du Seau de Confession.
|
120
|
Aux stvdievx
des cas de conscience. Salvt.
|
Courte préface de Benedicti pour introduire son
traité des
restitutions. Il y explique que ses affaires courantes
l'ont contraint à repousser le moment d'écrire ce
traité, qu'il aurait souhaité plus long. Cette introduction est
datée de 1586.
|
1
|
Sixième
livre : Des Restitutions.
|
-Chapitre I : Des Restitutions. -Chapitre II :
Quis. -Chapitre III : Quid. -Chapitre IIII : Cur.
-Chapitre V : Cui. -Chapitre VI : Vbi. -Chapitre VII
: Per quos. -Chapitre VIII : Quomodo. -Chapitre IX :
Quando.
|
55
|
Privilège du
roi et accord
de la censure.
|
Fr. Stephanus de Salazar Q.S. approuve la parution de ce
manuel de confession dans un court texte en latin.
Lavrencin, Vicaire Substitut & Official ordinaire
de Monseigneur le Reverendissime Archevesque de Lyon, Primat des Gaules, en
français, rappelle le privilège donné par le roi pour
éditer ce livre.
Ces deux approbations officielles datent de 1584.
|
1
|
Table des
principavx
|
Liste très détaillée des
différents points abordés par l'ouvrage avec un renvoi aux pages
correspondantes.
|
31
|
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 43 -
Plan du manuel.
|
Descriptif.
|
Nombre de pages.
|
poincts et
matieres
contenves en ce livre, selon l'ordre Alphabetique.
|
|
|
Réitération de l'approbation de l'ouvrage.
|
Trois religieux (Frater Baltasar Brochet, Frater Clodius
Groffus et De Bening S.) donnent un avis positif sur l'ouvrage
de Benedicti et approuvent sa diffusion du fait qu'ils n'ont rien trouvé
de contraire à la théologie dans ce livre.
À noter : le bandeau de cette page est très
recherché.
|
1
|
|
Marque de
l'imprimeur.
|
À Paris, de l'Imprimerie de Denis Binet, pres la porte
sainct Marcel. M. D. XCV.
À noter : La page de garde de l'ouvrage porte le nom de
|
1
|
l'imprimeur Sébastien Nivelle. Nous pouvons penser que
celui-ci a acheté à l'imprimeur Denis Binet des exemplaires
déjà imprimés par les soins de ce dernier et qu'il y a
apposé son nom. Cela semble être confirmé par le fait qu'un
autre ouvrage paru en 1595 porte le nom de Denis Binet en dernière page
mais la mention : « A Paris, chez Gabriel Buon : au Clos Bruneau, à
l'Image Sainct Claude » sur la page de garde.
|
Nous pouvons donc remarquer grâce à cet ouvrage
qu'un type de manuel de confession consiste à répertorier les
péchés possibles en étudiant tour à tour les dix
commandements et les commandements de l'Église. Les thèmes qui
posent question aux confesseurs se remarquent par le volume qu'ils occupent
dans l'ouvrage. Il est intéressant par exemple de remarquer que
soixante-et-une pages sont consacrées aux qualités requises pour
être un bon confesseur. Les péchés sont abordés de
manière systématique et claire grâce à la fois aux
nombreuses subdivisions des chapitres168 et à la table des
matières169 qui permet de s'y reporter rapidement. Les
diagrammes présentés ci-dessous montrent les différentes
répartitions des sujets traités par Jean Benedicti.
168Voir Annexes 5 et 6. 169Voir Annexe
7.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 44 -
|
1er commandement.
2ème commandement.
3ème commandement.
4ème commandement.
5ème commandement.
6ème commandement.
7ème commandement.
8ème commandement.
9 et 10ème commandements.
|
Illustration 1: Le traitement des dix commandements, en
pourcentage.
Les Dix Commandements selon Benedicti, La somme des
pechez et le remede d'icevx, page 33.
|
1. Croy un seul Dieu & l'adore, fuyant toute idolatrie &
superstition.
|
2. Ne iure point son nom en vain.
|
3. Sanctifie le septiesme iour.
|
4. Honore ton Pere & Mere.
|
5. Ne sois point homicide.
|
6. Ne sois point paillard ne adultere.
|
7. Ne sois point larron.
|
8. Ne sois point faux tesmoing.
|
9. Tu ne convoiteras point la femme d'autruy.
|
10. Tu ne desireras point la maison de ton prochain, ne chose
qui luy appartienne.
|
|
Ce premier diagramme explicite l'intérêt de
Benedicti pour les péchés concernant le deuxième et le
sixième commandements. L'auteur est en effet particulièrement
intéressé par les questions de blasphème et de voeux,
points qu'il développe longuement. À propos du sixième
commandement, de nombreux points sont abordés : l'adultère
premièrement, puis le stupre, l'inceste, le rapt, les rapports
sacrilèges, le péché contre nature ou encore
l'excès des gens mariés. Tous ces rapports autour du mariage et
de la sexualité sont en débat à l'époque de
Benedicti, ce qui peut expliquer leur forte présence dans son
ouvrage.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 45 -
|
1er commandement de l'Eglise.
2ème commandement de l'Eglise.
3ème commandement de l'Eglise.
4ème commandement de l'Eglise.
5ème commandement de l'Eglise.
6ème commandement de l'Eglise.
|
Illustration 2: Le traitement des six commandements de
l'Église, en pourcentage.
Les six commandements de l'Église selon
Benedicti, La somme des pechez et le remede d'icevx, p.
194.
|
1. Tu orras la Messe aux festes et Dimanches, et garderas les
festes qui te sont commandees.
|
2. Tu ieusneras les vigiles, quatre temps, et le Caresme
entierement.
|
3. Tu payeras les dismes et premices à l'Eglise, et aux
ministres d'icelle.
|
4. Tu te confesseras à tout le moins une fois l'an.
|
5. Tu receuras la saincte communion à tout le moins une
fois l'an.
|
6. Tu ne celebreras le mariage au temps prohibé. Et
t'abstiendras de manger chair le vendredy et samedy.
|
|
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 46 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
Ce deuxième diagramme permet de se rendre compte que
Benedicti s'est particulièrement attaché aux questions de
jeûnes et de mariage, auquel il dédie un traité entier.
Encore une fois, la question du mariage est en débat lorsque Benedicti
commence à écrire. Le concile de Trente a cherché à
redéfinir ce sacrement ce qui provoque des réactions dans
l'ensemble de la société française. Le problème des
jeûnes pose aussi question par son caractère contraignant et
souvent peu respecté par les croyants.
|
Orgueil. Avarice. Luxure. Envie. Ire. Gourmandise. Paresse.
|
Illustration 3: Le traitement des sept péchés
capitaux, en pourcentage.
Les questions d'argent concernent manifestement Benedicti qui
traite en profondeur les péchés de simonie, d'usure, de change,
de « censes, rentes, venditions & achapts »170
lorsqu'il aborde le péché d'avarice. C'est ce que nous montre
l'illustration 3. Nous étudierons plus avant dans ce travail en quoi
Benedicti est intéressé par ces questions et comment il les
traite lorsqu'il se penche sur les péchés spécifiques aux
femmes.
170Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx. Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des
doubtes touchant les Pechez, Simonies, Vsures, Changes, Commerces, Censures,
Restitutions, Absolutions, & tout ce qui concerne la reparation de l'ame
pecheresse par le Sacrement de Penitence, selon la doctrine des saincts
Conciles, Theologiens, Canonistes & Iurisconsultes, Hebrieux, Grecs &
Latins, Paris, Sébastien Nivelle, 1595 (rééd.),
Argvment et sommaire de tous les cinq liures, et de leurs chapitres.
[disponible sur le site <
https://play.google.com/books/reader?
id=C0A57BaQHTIC&printsec=frontcover&output=reader&authuser=0&hl=fr&pg=GBS.PP58>]
(consulté le 30 décembre 2012).
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 47 -
|
Baptême. Confirmation. Eucharistie. Extrême Onction.
Ordres.
Mariage. Pénitence.
|
Illustration 4: Répartition du traitement des
sacrements dans l'oeuvre de Jean Benedicti.
Enfin, le quatrième diagramme montre à quel
point Jean Benedicti est un homme de son temps, un homme concerné par le
sacrement de pénitence, ses différentes étapes et les
possibles difficultés que peuvent rencontrer confesseurs et
pénitents. Il consacre en effet plus de 54% de la somme des pages
concernant les péchés commis contre les sacrements à
parler de la pénitence et de la confession. Le tableau
présenté aux pages précédentes montrait
déjà les points qui méritaient, selon Jean Benedicti,
d'être approfondis et traités séparément. Sur les
119 pages analysant ce sacrement, soixante-et-une sont dédiées au
"bon confesseur". Ce chapitre, intitulé « Du ministre du sacrement
de penitence », est une somme de courts traités qui concernent
entre autres « la science requise au ministre du sacrement de penitence
», les « cas reseruez », « la bonté du confesseur
» et « la prudence du confesseur ». Puis sont abordés
dans l'ordre la contrition, l'attrition, la confession, la satisfaction, la
pénitence, l'absolution et le sceau de confession.
En conclusion, il faut souligner que les manuels de confession
permettent à l'historien de s'informer sur la mentalité d'une
époque, sur les préjugés et les ressentis à un
moment donné. Leur étude peut aider, tout en restant prudent,
à déterminer les normes comportementales et les schémas de
pensée d'une société à une époque
donnée. Marcel Bernos ajoute de plus que « le manuel de confession
se comporte à la fois comme un "récepteur" retransmettant des
schémas mentaux ambiants et comme un
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 48 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
"émetteur" proposant des comportements modèles
»171. Ainsi, le pouvoir potentiel de ce livre est
décuplé. Informant sur les comportements et les mentalités
d'une époque, il influence aussi les comportements et les
mentalités à venir. La répétition des dogmes
contenus dans les manuels de confession oriente les actes des croyants. Cet
enseignement des dogmes se fait lors des sermons ou lors de la confession, a
minima lors de la confession pascale obligatoire. Les manuels de confession
deviennent alors une source importante pour l'étude des
sociétés de l'époque moderne. Afin d'essayer de savoir si
le franciscain Jean Benedicti est un homme qui peut nous donner une image assez
nette de la situation des femmes en France à la fin du XVIe
siècle, il paraît important d'étudier son parcours.
VIE ET OEUVRE DU FRANCISCAIN JEAN BENEDICTI.
Les grandes lignes de la vie de Jean Benedicti sont difficiles
à tracer du fait d'un manque de sources. Afin de déterminer la
biographie de ce frère franciscain, nous nous appuierons principalement
sur les éléments qu'il donne lui-même dans ses ouvrages
ainsi que sur diverses biographies plus tardives.
Le passage de l'oeuvre de Benedicti qui apporte le plus de
pistes biographiques est l'extrême fin de son Epistre Dedicatoire
à la Vierge Marie qui ouvre la Somme des pechez, et le remede
d'icevx, éditée pour la première fois en 1584. Voici
ce que l'auteur dit de lui-même : « Au reste ie vous [la Vierge
Marie] requiers tres-humblement qu'il vous plaise m'impetrer la grace de garder
mon estat, de correspondre à la profession que i'ay faite en l'ordre de
vostre seruiteur S. François au monastere à Ansenis, et de
retenir la bonne doctrine que i'ay apprise en ma ieunesse au monastere de
nostre Dame des Anges de la Province de Touraine en Poitou, ainsi vulgairement
appelee, lequel lieu est dedié à vostre honneur : où i'ay
esté instruit és meurs & és primitiues sciences, de
ces bons maistres qui sont devant Dieu & vous : entre lesquels il y en a eu
de martyrs, comme un frere Pierre Odion occis par la fureur Caluinisque pour la
foy Catholique [...] »172. Nous pouvons de suite souligner que
la grande importance de la Vierge Marie dans l'ouvrage est due à la
sensibilité franciscaine de son auteur. En effet, les franciscains ont
pour patronne la mère de Jésus.
171Marcel BERNOS, « Les manuels de confesseurs...
», op. cit. [note n°166], p.95.
172Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], dernière
page de l'« Epistre Dedicatoire A Tres Haute, Tres Grande, et Tres
Pvissante Royne, Mere de Dieu, la Glorieuse vierge Marie, Imperatrice du ciel
& de la terre, honneur & gloire ».
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 49 -
Sur la naissance de Jean Benedicti, nous ne savons rien.
Prosper Levot le dit breton173. Cela peut venir du fait qu'au
XVIe siècle, Ancenis, aujourd'hui commune de
Loire-Atlantique, appartenait à la Bretagne. Nous pouvons remarquer de
plus que Prosper Levot classe le cordelier, dans son dictionnaire biographique,
à l'entrée « BENOIT » tout comme Alphonse
Angot174 et D.-L.-O.-M. Miorcec de Kerdanet175. Jean
Benedicti fait une deuxième référence à ce
monastère d'Ancenis où il aurait fait sa profession de foi. Il
dédie en effet la Triomphante victoire De la vierge Marie sur sept
malins esprits finalement chassés du corps d'une femme dans l'eglise des
Cordeliers de Lyon. Laquelle histoire est enrichie d'vne belle doctrine pour
ente[n]dre l'astuce des diables à « Monseignevr Monsievr Le
Reverendissime Philippes du Bec Euesque de Nantes & Conseiller de sa
Maiesté, en son conseil d'estat &c. »176 à
qui il rappelle qu'il a « fait profession de l'ordre de S.
Fra[n]çois, au monastere d'Ancenis, qui est en vostre diocese
»177. Un couvent de Cordeliers existait effectivement à
Ancenis depuis 1448. Il avait été fondé grâce
à Jeanne d'Harcourt, veuve de Jean III de Rieux, baron d'Ancenis.
Philippe du Bec, évêque de Vannes de 1559 à 1566 et
évêque de Nantes de 1566 à 1594 a bien eu ce
monastère sous sa juridiction.
Jean Benedicti a peut-être effectué son noviciat
dans ce couvent d'Ancenis. Au XVIe siècle, l'âge
minimum requis pour être admis au noviciat était de 16 ans mais,
ne connaissant pas la date de naissance du futur franciscain, nous ne pouvons
déterminer la date approximative de son entrée au couvent.
Lázaro Iriarte explique que le « travail de l'année
probatoire consistait surtout dans l'explication de la Règle aux
novices, avec ses préceptes et les déclarations pontificales, les
règles d'éducation religieuse sur la base du Speculum
disciplinae et autres livres classiques, les règles
ascétiques, la récitation de l'office divin, le
cérémonial de l'Ordre et en particulier - chez les conventuels et
les observants - le chant liturgique »178. Le Speculum
disciplinae (Miroir de la discipline), a été
écrit par Bernard de Besse, mort vers 1300, disciple de saint
Bonaventure. Lázaro
173Prosper LEVOT, Biographie bretonne, recueil de
notices sur tous les bretons qui se sont fait un nom, soit par leurs vertus ou
leurs crimes, soit dans les arts, dans les sciences, dans les lettres, dans la
magistrature, dans la politique, dans la guerre, etc., depuis le commencement
de l'ère chrétienne jusqu'à nos jours, tome I,
Vannes, Cauderan, 1852, entrée « BENOIT (Jean) ».
174Alphonse ANGOT, Dictionnaire historique, topographique et
biographique de la Mayenne, Laval, Imprimerie-Librairie Adolphe Goupil,
1903, entrée « Benoît (Jean) ».
175Daniel-Louis-Olivier-Mathurin MIORCEC DE
KERDANET, Notices chronologiques sur les théologiens,
jurisconsultes, philosophes, artistes, littérateurs, poètes,
bardes, troubadours et historiens de la Bretagne, depuis le commencement de
l'ère
chrétienne jusqu'à nos jours ; Avec deux
Tables : la première présentant, dans l'ordre
alphabétique, tous les Personnages dont il est fait mention dans ces
Notices ; la seconde les rapportant aux villes et lieux auxquels ils
appartiennent, Brest, Guillaume-Marie-François Michel, mars 1818,
entrée « Benoit (Jean) ».
176Jean BENEDICTI, La triomphante victoire De
la vierge Marie sur sept malins esprits finalement chassés du corps
d'une femme dans l'eglise des Cordeliers de Lyon. Laquelle histoire est
enrichie d'vne belle doctrine pour ente[n]dre l'astuce des diables, Lyon,
Benoist Rigavd, 1583, p.41 [disponible sur le site <
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k79084f>]
(consulté le 05 décembre 2012).
177Ibid., p.41.
178Lázaro IRIARTE, Histoire du
franciscanisme, Paris, Éditions du Cerf, 2004 (coll. Les
Éditions franciscaines), p.306.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 50 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
Iriarte précise que son « contenu est
exclusivement disciplinaire ; l'objectif du livre est de modeler le jeune
religieux selon un type idéal de discipline conventuelle, non seulement
dans la tenue corporelle et dans les comportements spirituels, mais aussi en
donnant les directives les plus élémentaires de politesse et de
propreté »179. Lors de sa profession de foi, Jean
Benedicti décide d'intégrer les Frères mineurs de
l'Observance. En 1517, les franciscains se divisent en effet en deux branches,
les conventuels et les observants. La particularité des observants est
d'essayer de respecter au plus près le testament laissé par saint
François tandis que les conventuels ne rejettent pas l'idée d'une
évolution de l'Ordre des Frères Mineurs. Après sa
profession de foi à Ancenis, Jean Benedicti serait allé
étudier au monastère de Notre-Dame-des-Anges. En effet,
après leur profession de foi, les jeunes franciscains poursuivaient
leurs études auprès d'un ou de plusieurs maîtres
qualifiés, « ''jusqu'à 25 ans accomplis'',
déterminaient les Constitutions de Benoît XII (1336) ; mais
l'habitude de limiter ce temps à trois ans prévalut »180
souligne Lázaro Iriarte. Benedicti parle du « monastere de nostre
Dame des Anges de la Province de Touraine en Poitou »181. Ce
dernier est assez difficile à localiser. Il pourrait peut-être
correspondre au couvent de franciscains fondé par Pierre
Rohan-Gié au tout début du XVIe siècle à
la frontière entre la Mayenne et le Maine-et-Loire. Gérard Danet,
dans un document traitant de l'abbaye Notre-Dame des Anges à
Landéda dans le Finistère, parle de ce « couvent du nom de
Notre-Dame des Anges desservi par les Cordeliers Observantins dits de Touraine
»182 fondé par Pierre Rohan-Gié, selon lui, vers
1505. Il appuie ses dires sur les archives du Maine-et-Loire. Mais Christophe
Paillard, dans un document assez détaillé sur la vie de
Benedicti, affirme qu'il pourrait avoir fait ses études dans l'abbaye
Notre-Dame des Anges de Landéda183. C'est ici, dans le
Finistère, qu'il aurait peut-être rencontré le Père
Christophe de Cheffontaines, personnage important dans son parcours dont nous
parlerons un peu plus loin.
Dans ce monastère, Jean Benedicti affirme avoir
été « instruit és meurs & és primitiues
sciences, de ces bons maistres qui sont deuant Dieu & vous
»184. Les études ont une place importante dans la vie
des franciscains. Des leçons publiques étaient
179Ibid., p.149.
180Ibid., p.150.
181Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], dernière
page de l'Epistre Dedicatoire A Tres Haute, Tres Grande, et Tres Pvissante
Royne, Mere de Dieu, la Glorieuse vierge Marie, Imperatrice du ciel & de la
terre, honneur & gloire.
182Gérard DANET, Notre-Dame des Anges,
Landéda - Finistère, 2008, p.34 [disponible sur le site <
http://www.abbayedesanges.com/archives/rapport_danet.pdf>]
(consulté en décembre 2012).
183Christophe PAILLARD, Jean Benedicti ou la
stigmatisation du fatum calvinisticum, Encyclopédie de l'Agora,
avril 2012.
[disponible sur le site <
http://agora.qc.ca/documents/jean_benedicti-- jean_benedicti_ou_la_stigmatisation_du_fatum_calvinisticum_par_christophe_paillard>]
(consulté le 06 décembre 2012). 184Jean BENEDICTI,
La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note
n°170], dernière page de l'Epistre Dedicatoire A Tres Haute,
Tres Grande, et Tres Pvissante Royne, Mere de Dieu, la Glorieuse vierge Marie,
Imperatrice du ciel & de la terre, honneur & gloire.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 51 -
données dans les couvents. Lázaro Iriarte
indique que « [t]ous les clercs, y compris les gardiens, les
prédicateurs et les confesseurs, étaient tenus d'assister aux
explications du lecteur installé dans chaque communauté
»185. Les matières étudiées étaient
diverses : grammaire, logique, philosophie ou encore théologie.
Néanmoins, il semble que « [d]ans l'Ordre, les études de
philosophie et de théologie n'étaient pas aussi nombreuses que
celles des arts »186. Les franciscains devaient donc avoir une
culture assez large et variée. Benedicti cite plus
précisément le nom d'un de ses maîtres : « frere
Pierre Odion occis par la fureur Caluinisque pour la foy Catholique
»187. Nous avons pu retrouver deux occurrences de ce nom dans
d'autres ouvrages. En 1609, Barezzo Barezzi Cremon, dans son ouvrage La
Qvatriesme partie des chroniqves des freres mineurs, diuisee en dix liures
explique les massacres perpétrés par les protestants en
France. Il raconte : « A vn lieu appellé Osan, ils massacrerent le
bienheureux fr. Pierre Odio[n], signalé Predicateur, & Lecteur en la
sacree Theologie, au conuent de Chasteau-roux. Ils le virent arriuer en ce lieu
d'Osan, & apres l'allerent tuer, vsans d'vne grande meschanceté
& cruauté. Son ame s'en allant au Ciel, auec la palme de martyre
»188. La deuxième occurrence est plus tardive, de 1864,
et dit que « les féroces religionnaires attirèrent,
près du château d'Orsan, le lecteur des Cordeliers, Pierre Odion,
et le massacrèrent en embuscade »189. Le texte
précise que ces événements datent de 1560. Il existe
toujours aujourd'hui, à une cinquantaine de kilomètres de
Châteauroux, un prieuré Notre-Dame d'Orsan, lieu où le
lecteur Pierre Odion chercha peut-être à se réfugier
après la mise à sac de son couvent de Châteauroux par les
calvinistes.
Après ces études, Jean Benedicti serait devenu,
pour certains, « élève de CHEFFONTAINES »190
ou encore « secrétaire du P. Christophe de Cheffontaines,
général de son ordre »191. Selon Prosper Levot,
« Cheffontaines consacrait ordinairement onze heures par jour à
l'étude. Versé dans la langue française, il savait en
outre le latin,
185Lázaro IRIARTE, op. cit. [note
n°178], p.195.
186Ibid., p.196.
187Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], dernière
page de l'Epistre Dedicatoire A Tres Haute, Tres Grande, et Tres Pvissante
Royne, Mere de Dieu, la Glorieuse vierge Marie, Imperatrice du ciel & de la
terre, honneur & gloire.
188Barezzo Barezzi CREMON, La Qvatriesme partie
des chroniqves des freres mineurs, diuisee en dix liures, Paris, Vesue G.
Chaudiere, 1609, p.523 [disponible sur le site <
http://books.google.fr/books?id=Yd23trICIZAC&pg=PR32&lpg=PR32&dq=fr
%C3%A8re+pierre+odion&source=bl&ots=BadlDilVKw&sig=l19UZSYjcSYcebxvZrIqTNi3jBw&hl=fr&sa=X&ei=HA6_UN2Q
Eq7K0AXwhIHYAQ&ved=0CDkQ6AEwAg#v=onepage&q=fr%C3%A8re%20pierre%20odion&f=false>]
(consulté le 06 décembre 2012).
189Alexandre DESPLANQUE, Essai sur les
vicissitudes des institutions monastiques dans le Bas-Berri, Paris,
Imprimerie Impériale, 1864, p.17. [disponible sur le site <
http://bibnum.enc.sorbonne.fr/gsdl/collect/tap/archives/HASH0123/ec89e5a0.dir/0000005561797.pdf>]
(consulté le 06 décembre 2012).
190Daniel-Louis-Olivier-Mathurin MIORCEC DE KERDANET,
op. cit. [note n°175], entrée « Benoit (Jean)
».
191Alfred VACANT (dir.), Eugène MANGENOT
(dir.), Émile AMANN (dir.), Dictionnaire de théologie
catholique contenant l'exposé des doctrines de la théologie
catholique, leurs preuves et leur histoire, tome 2, Paris, Librairie
Letouzet et Ané, 1923, entrée « BENEDICTI Jean ».
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 52 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
le grec, l'hébreu, l'italien, l'espagnol, et avait une
connaissance approfondie du bas-breton »192. C'est donc
auprès d'une personne très cultivée que va se trouver
Benedicti, pendant un temps de sa vie. Si Jean Benedicti a bien
été secrétaire de Christophe de Cheffontaines alors que
celui-ci était général de l'Ordre des Frères
Mineurs observants, nous savons que cela ne peut être qu'entre 1571 et
1579, dates du généralat de Cheffontaines. Puisque Jean Benedicti
est dit prédicateur de Lyon à partir de 1574 environ, cela
réduit encore cet intervalle et affine la chronologie. Les auteurs du
Dictionnaire de théologie catholique... précisent que
Benedicti « l'accompagna dans ses visites à travers l'Europe
»193. Il est intéressant de remarquer une nouvelle fois
que, parmi la dizaine de notices biographiques étudiées, une
seule souligne ce fait tout comme deux seulement mentionnaient la
présence de Benedicti auprès de Cheffontaines. Les indications
peu précises ou floues sont nombreuses. L'exemple de Louis-Philippe Joly
montre d'une manière flagrante certaines incohérences. En effet,
ce dernier défend longuement la nationalité française de
Benedicti et le fait qu'il ait écrit son manuel en langue
française et non en latin. Il semble s'emporter contre Bayle qui, dans
son dictionnaire, « prétend » des choses fausses et contre
« Jean-Albert Fabricius [qui] a copié la faute de Bayle, & a
crû que l'Auteur étoit Italien »194. Il s'appuie,
pour démontrer ses dires, sur les écrits de Benedicti. Puis,
à la fin de la démonstration, il écrit : « Benedicti
étoit François, comme je l'ai dit. Mais dans quelle Province
étoit-il né ? [...] Je crois qu'il étoit Provençal
»195. Nous voyons donc que les biographes laissent parfois
libre cours à leurs interprétations personnelles. En effet, de
nombreux textes, et Benedicti lui-même, laissent à penser que son
enfance s'est déroulée en Bretagne.
Après avoir été secrétaire de son
ordre, Benedicti aurait occupé la charge de « commissaire
général en France »196 selon Alphonse Angot.
Lázaro Iriarte explique la mission de ce dernier : « Depuis 1517 le
ministre général devait être élu tous les six ans,
alternativement par les deux familles, cisalpine et transalpine197.
Quand le ministre général appartenait à l'une, l'autre
était gouvernée par un commissaire général
»198. Si donc Benedicti a assuré cette charge, il aurait
eu la mission de diriger l'ensemble de la famille franciscaine de France
pendant un temps. Seul Alphonse Angot lui donne ce titre
192Prosper LEVOT, op. cit. [note n°173],
entrée « CHEFFONTAINES (Chritophe DE) ».
193Alfred VACANT (dir.), Eugène MANGENOT
(dir.), Émile AMANN (dir.), op. cit. [note n°191],
entrée « BENEDICTI Jean ».
194Louis-Philippe JOLY, Remarques critiques sur le
dictionnaire de Bayle, première partie, Paris, Hyppolite-Louis
Guerin,
Dijon, Hermil-Andrea, 1748, p.712.
195Ibid., p.713.
196Alphonse ANGOT, op. cit. [note
n°174], entrée « Benoît (Jean) ».
197Les familles cisalpines correspondent aux
franciscains vivant « en deçà des Alpes »,
c'est-à-dire en Italie, tandis que la famille
transalpine rassemble les franciscains vivant au nord des Alpes,
en France ici.
198Lázaro IRIARTE, op. cit. [note
n°178], p.215.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 53 -
tandis que Benedicti se dit lui-même « Pere
Provincial de Touraine Pictauienne »199. Christophe Paillard
date cet événement pour 1593 au plus tard puisqu'il signale que
l'édition de la Somme des pechez de 1593 porte la mention de
cet honneur200. Néanmoins, un document émanant des
autorités franciscaines de la Touraine pictavienne date l'entrée
en charge de Benedicti pour le 15 juillet 1587, à « Clissii
»201 c'est-à-dire à Clisson (Loire-Atlantique).
La charge de père provincial, de ministre provincial, est de trois ans
au XVIe siècle. Cette charge donne à celui qui la
reçoit la mission de s'assurer que les couvents de sa province
respectent bien la règle de saint François. Un
custode202 le seconde dans cette mission. Quatre définiteurs
l'assistent aussi ainsi que « ceux qui, dégagés de leurs
charges à la Curie générale, jouissaient dans leur
Province des prérogatives de "définiteurs perpétuels" ;
tous ensemble ils formaient le discrétoire de la Province [...]
»203. Benedicti a donc participé durant sa
carrière ecclésiastique à l'administration d'une province
franciscaine. Cette charge lui aurait été attribuée
à la fin de sa vie, signe de son importance au sein de l'ordre des
Franciscains. Lucien Bély précise que la Touraine
pictavienne204 est l'une des « quatre petites » provinces
observantes (France parisienne, Touraine pictavienne, Aquitaine ancienne et
Saint-Louis), à côté des quatre « grandes provinces
» que sont la France, la Touraine, l'Aquitaine récente et
Saint-Bonaventure205.
Entre les différentes charges importantes et
honorifiques que semble avoir occupé Benedicti, ce dernier affirme
être « Professeur en Theologie »206 dans sa
Somme des pechez... ou, dans La triomphante victoire De la Vierge
Marie sur sept malins esprits..., « lecteur en Theologie et
Predicateur en la ville de Lyon »207. Le grade de lecteur
pouvait être acquis dans les universités ou dans les écoles
franciscaines. Chaque province de l'Ordre pouvait accueillir un maximum de
trois lecteurs : deux en théologie et un en philosophie. Lázaro
Iriarte précise que « [l]a connaissance de [la langue
hébraïque] était obligatoire pour tous les
élèves des études générales et pour tous les
lecteurs de théologie. Les langues orientales furent aussi
enseignées dans les divers collèges fondés dans un but
missionnaire »208. Cela pourrait permettre de comprendre
199Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], page de garde.
200Christophe PAILLARD, op. cit. [note
n°183].
201Odoric-M. JOUVE, ofm, « Vicaires
généraux des observants ultramontains et vicaires provinciaux des
observants deTouraine-
Pictavienne de 1415 à 1517. Ministres Provinciaux des
observants de Touraine-Pictavienne de 1517 à 1678 », FF,
15, 1932,
p.107-117.
202Dans l'ordre franciscain, les provinces sont
subdivisées en « custodie » et le « custode » est le
moine chargé de l'inspection
d'une custodie.
203Lázaro IRIARTE, op. cit. [note
n°178], p.291.
204Est « pictavien » ce qui est relatif
à Poitiers, Pictavis étant l'ancien nom cette ville.
205Lucien BELY (dir.), op. cit. [note
n°46], article « Franciscains ».
206Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], page de garde.
207Jean BENEDICTI, La triomphante
victoire..., op. cit. [note n°176], page de garde.
208Lázaro IRIARTE, op. cit. [note
n°178], p. 406-407.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 54 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
pourquoi Christophe Paillard qualifie Benedicti d' «
orientaliste »209. Benedicti était « très
versé dans la connaissance de l'hébreu, du grec et du latin
»210 et, selon Christophe Paillard, « il possédait
des rudiments d'arabe »211. Les notes qui entourent le texte de
la Somme des pechez, et le remede d'iceux montrent ses connaissances,
si ce n'est sa pratique de ces langues. Ainsi, à la page 107 de cet
ouvrage, nous pouvons remarquer quelques notes en hébreu, d'autres en
grec, tandis que la grande majorité sont en latin 212. De plus, il cite
dans son manuel de confession des vers italiens, ce qui laisse à penser
qu'il connaissait, au moins en partie, cette langue213.
Lázaro Iriarte explique que la charge de lecteur dans les couvents
« durait sept ans, soit trois de philosophie et quatre de théologie
; chaque fois que naissait un nouveau groupe d'étudiants, on nommait le
lecteur respectif qui devait enseigner successivement toutes les
matières »214. Après sa charge de lecteur, le
cordelier Jean Benedicti est nommé par son Ordre prédicateur de
la ville de Lyon. Jean Benedicti est chargé d'annoncer la parole de
Dieu, de transmettre au peuple son message. Cette mission est
réservée, au sein des franciscains, aux clercs les plus
instruits. Benedicti met son verbe au service de la défense de la foi
catholique contre la réforme protestante, ce qui se ressent très
bien dans ses écrits, qui deviennent parfois de virulents pamphlets
contre la « secte Caluinienne »215, les « esprits
Huguenotiques »216. Selon Christophe Paillard, Jean Benedicti
exerce sa charge de prédicateur à Lyon d'environ 1574 «
à au moins 1584 »217.
Durant cette période, il fit un voyage à
Jérusalem. L'oeuvre La triomphante victoire De la vierge Marie sur
sept esprits malins... commence par ces mots « En l'an de nostre
Seigneur 1582 [...] »218. Plus haut dans la préface,
Jean Benedicti dit « ie l'ente[n]dy l'a[n]nee passee en Hierusale[m]
»219. Nous pouvons donc dater ce voyage pour l'année
1581. Il alla en Terre-Sainte pour accomplir un voeu que nous ne connaissons
pas mais qui est peut-être lié à son activité de
prédicateur, de confesseur ou encore à celle d'exorciste. En
effet, nous pouvons lire dans son ouvrage de 1583 qu'il fait trois voeux en cas
de guérison de sa patiente : « La premiere [promesse] fut que
nous
209Christophe PAILLARD, op. cit. [note
n°183].
210Alfred VACANT (dir.), Eugène MANGENOT
(dir.), Émile AMANN (dir.), op. cit. [note n°191],
entrée « BENEDICTI Jean ».
211Christophe PAILLARD, op. cit. [note
n°183].
212Voir annexe 8.
213Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.348.
214Lázaro IRIARTE, op. cit. [note
n°178], p. 407-408.
215Le terme de « secte caluinienne » renvoie
à Calvin, maître à penser du protestantisme
français. Quant à « huguenotique », il
s'agit d'un adjectif formé sur le nom « huguenot
», qui servait à désigner les protestants
français.
216Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.32 de l'Epistre
Dedicatoire A Tres
Haute, Tres Grande, et Tres Pvissante Royne, Mere de Dieu, la
Glorieuse vierge Marie, Imperatrice du ciel & de la terre, honneur
& gloire.
217Christophe PAILLARD, op. cit. [note
n°183].
218Jean BENEDICTI, La triomphante
victoire..., op. cit. [note n°176], p.17.
219Ibid., p.7.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 55 -
enuoyerions en Italie, faire vn voyage a nostre Dame de
Lorette. La 2. que nous ferions processions publiques à nostre Dame de
l'Isle, qui n'est pas loing de Lyon. La 3. que la patie[n]te iroit vestue
l'espace d'vn an de l'habit & cordon, de l'ordre de S. Fra[n]çois en
signe de penitence »220. Son voyage ne dure pas plus d'un an
puisqu'il était à Lyon en 1582 pour effectuer deux exorcismes.
Nous savons aussi que Benedicti se trouvait en Anjou, au monastère de la
Baumette en 1586. En effet, il signe son épître à Pierre de
Gondi de ces mots : « d'Angers en vostre Monastere de la Balnette, ce
neufieme iour d'Aoust, 1586 »221. Si l'on ajoute les voyages
faits ou supposés en compagnie de Christophe de Cheffontaines et son
déplacement en Terre-Sainte pour lequel il serait passé «
via Chypre, Tunis et Tripoli »222, ce franciscain semble avoir
eu une existence faite de voyages. Il aurait de plus été «
visitateur de plusieurs provinces en Italie »223 selon Alphonse Angot et
Christophe Paillard224. Ce terme signifie qu'un couvent principal
lui avait donné la charge de visiter des monastères
inférieurs de l'Ordre. Les dates auxquelles il aurait eu cette mission
ne sont mentionnées nulle part.
Une autre des activités de Jean Benedicti, qui l'a
rendu célèbre en son temps, est celle, déjà
évoquée, d'exorciste. Sur ce sujet, les sources sont plus
précises puisque nous disposons en premier lieu d'un ouvrage
écrit en partie par Benedicti lui-même, qui retrace les deux
exorcismes qu'il fit à Lyon en 1582 : La triomphante victoire De la
vierge Marie sur sept malins esprits finalement chassés du corps d'vne
femme dans l'eglise des Cordeliers de Lyon. Laquelle histoire est enrichie
d'vne belle doctrine pour ente[n]dre l'astuce des diables. Ce petit
ouvrage d'une centaine de pages contient trois parties. La première est
la description, par Benedicti lui-même, de l'exorcisme qu'il fit sur
Perinette Pinay, une veuve de 57 ans. La deuxième est le récit
par le « Frère Gerard Grudius de la prouince de Brabant
»225 de l'exorcisme d'une jeune femme de 22 ans, Catherine
Pontet, récit suivi de quatre avis de médecins lyonnais attestant
de la possession de la jeune femme. Enfin, le dernier ensemble de cet ouvrage
est composé d'une longue formule d'exorcisme livrée par Jean
Benedicti à destination de ses confrères. Cette formule est
entièrement écrite en latin. L'exorcisme raconté par
Benedicti permet d'exalter la figure de la veuve vertueuse et de
dénoncer les thèses calvinistes. En effet, le diable Frappan, qui
seul parmi les sept diables est resté attaché
220Ibid., p.37-38.
221Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], dernière
page de l'Epistre A
Monseignevr Le Reverendissime Evesqve De Paris, Messire Pierre de
Gondy, Conseiller du Roy en son Conseil Privé & d'Estat,
& Commandeur en l'ordre du S. Esprit.
222Christophe PAILLARD, op. cit. [note
n°183].
223Alphonse ANGOT, op. cit. [note
n°174], entrée « Benoît (Jean) ».
224Christophe PAILLARD, op. cit. [note
n°183].
225Jean BENEDICTI, La triomphante
victoire..., op. cit. [note n°176], p.41.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 56 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
au corps de Perinette Pinay, reconnaît la
supériorité de cette veuve de laquelle il n'a rien obtenu :
« Elle est vray vefue dit-il, ô la vray vefue, ô la vray
vefue, repliquoit-il souuent elle est vrayement vefue : car depuis que ie suis
icy, ie n'ay rien gaigné sur elle »226. À la fin
du récit, Jean Benedicti tente de prouver, du fait du succès de
l'exorcisme, que la vierge Marie et Jésus-Christ ont de larges pouvoirs.
Il essaie de porter les Lyonnais à l'enthousiasme et à la
piété devant le miracle qui vient de s'accomplir. « Quelle
puissance voyla Recorde toy, Lyon, du miracle demonstré a tes yeux,
& ne preste l'oreille a ces nouueaux Pharisiens calomniateurs des miracles
de Iesus Christ [...] »227. Au cours de son récit, il
s'appuie sur les discours tenus par le diable Frappan pour affirmer les dogmes
de l'Église catholique, contre les hérésies. Ainsi,
lorsque le diable semble avouer qu'il n'y a pas d'absolution possible pour lui
mais « ouy bien pour vous », Jean Benedicti dit : « ie cogneu
alors, qu'il rembarroit deux heresies contraires l'vne à l'autre celle
d'Origene, ou pour mieux dire des Origenistes pardonna[n]s aux obstinez, &
celle de Nouatus denia[n]t aux penitens remission »228. Pour
les deux femmes, une sorcière est la cause de l'entrée d'au moins
un démon en leur corps. Les trois diables de Catherine Pontet « luy
furent donnés par le moien d'vne sorciere »229 tandis
que le septième diable possédant Perinette Pinay lui est
administré « par vn morceau de beuf, qui luy auoit esté
donné d'vne sorciere »230. Il est significatif de voir
que les six premiers diables « y estoient entrez au temps des vendanges en
vne po[m]me »231. Les images du péché originel
semblent très présentes ici. Ce récit montre les
activités de Benedicti et ses objectifs : chasser le mal et faire
régner la foi catholique en France.
Cet ouvrage permet enfin de situer l'écriture du manuel
de confession La somme des pechez... puisque Jean Benedicti affirme
qu'il démontre « de quelle inconstance est le peché [...] en
vn traité des cas de conscience que i'escry maintenant ». Cela
signifie qu'en 1582, il était en train d'écrire son manuel.
Peut-être l'avait-il commencé dès 1581 puisque Prosper
Levot232 et D.-L.-O.-M. Miorcec de Kerdanet233 affirment
que c'est à Jérusalem qu'il compose ce livre. Les titres
donnés à ce second ouvrage du cordelier Jean Benedicti sont
multiples : si Antoine Péricaud (Somme des
pechez)234, François-
226Ibid., p.41.
227Ibid., p.41.
228Ibid., p.41.
229Ibid., p.41.
230Ibid., p.41.
231Ibid., p.41.
232Prosper LEVOT, op. cit. [note n°173],
entrée « BENOIT (Jean) ».
233Daniel-Louis-Olivier-Mathurin MIORCEC DE KERDANET,
op. cit. [note n°175], entrée « Benoit (Jean)
».
234Antoine PERICAUD, Notes et documents pour
servir à l'histoire de la ville de Lyon : tome II : 1594 à
1643, Lyon, [s.n.], [s.
d.], année 1611, p.87.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 57 -
Xavier Feller (La Somme des péchés, et le
Remède d'iceux)235, Alfred Vacant (Somme des
péchez et le remède d'iceulx)236, Louis-Philippe
Joly (Somme des Péchés)237 et Christophe
Paillard (Somme des pechez)238 semblent bien avoir eu en
main en quelque sorte des exemplaires de l'ouvrage de Benedicti, d'autres
auteurs sont plus fantaisistes dans les titres attribués à ce
manuel de confession. Ainsi, Prosper Levot239 et D.-L.-O.-M. Miorcec
de Kerdanet240 affirment tous deux que Benedicti a composé
une Somme des péchés, des vices et des vertus tandis
qu'Aphonse Angot s'éloigne le plus en annonçant une Somme de
Théologie morale241. Tous néanmoins ne soulignent
l'existence que de deux ouvrages tandis que Jean Benedicti annonçait
dans La triomphante victoire De la vierge Marie... à un
calviniste fictif : « Tu feras bien d'autres grimaces, quand tu verras la
Grande Mariade, que ie medite, à son honneur & gloire
»242. Benedicti ne semble pas avoir eu le temps d'écrire
cette louange en l'honneur de la vierge. Le titre de son deuxième
ouvrage voit aussi une variation intéressante qui montre le
caractère subjectif de certaines notices biographiques. En effet,
toujours associés, Prosper Levot et D.-L.-O.-M. Miorcec de Kerdanet
parlent de la Victoire Triomphante de la B. Vierge Marie sur sept esprits
immondes chassés du corps d'une femme. Deux remarques peuvent
être faites. Premièrement, nous pouvons souligner que ces deux
auteurs sont les seuls à affirmer que ce qu'ils appellent la Somme
des Péchés, des Vices et des Vertus a été
écrite à Jérusalem et ils font la même erreur de
titre tant sur le manuel de confession que sur l'ouvrage portant sur
l'exorcisme de Catherine Pontet et Perinette Pinay. D.-L.-O.-M. Miorcec de
Kerdanet écrit ses Notices chronologiques... en 1818 tandis que
la Biographie bretonne... de Prosper Levot est de 1852. Il semble donc
que ce dernier ait pu recopier les informations données par le premier
sans chercher à les vérifier. De plus, il apparaît que
D.-L.-O.-M. Miorcec de Kerdanet a laissé parler sa sensibilité
plus que sa rigueur d'historien quand il rapporte les titres des ouvrages du
franciscain Jean Benedicti. En effet, il n'hésite pas à changer
l'ordre des mots dans le titre des ouvrages (Victoire triomphante au
lieu de La Triomphante victoire) voire à ajouter des mots : B.
Vierge Marie, certainement le « b » de « bienheureuse ».
Nous pouvons remarquer de
235François-Xavier FELLER, Dictionnaire
historique ou Biographie universelle des hommes qui se sont fait un nom par
leur
génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou
leurs crimes, depuis le commencement du monde jusqu'à nos jours, tome
III,
Paris, Étienne Houdaille, 1836, à l'entrée
"BENEDICTI (Jean)''.
236Alfred VACANT (dir.), Eugène MANGENOT
(dir.), Émile AMANN (dir.), op. cit. [note n°191],
entrée « BENEDICTI Jean ».
237Louis-Philippe JOLY, op. cit. [note
n°194], p.713.
238Christophe PAILLARD, op. cit. [note
n°183].
239Prosper LEVOT, op. cit. [note n°173],
entrée « BENOIT (Jean) ».
240Daniel-Louis-Olivier-Mathurin MIORCEC DE KERDANET,
op. cit. [note n°175], entrée « Benoit (Jean)
».
241Alphonse ANGOT, op. cit. [note
n°174], entrée « Benoît (Jean) ».
242Jean BENEDICTI, La triomphante
victoire..., op. cit. [note n°176], p.41.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 58 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
plus qu'il transforme le terme « malins » en «
immondes » ce qui change le sens du titre en dévoilant les opinions
de celui qui l'a modifié.
Enfin, Jean Benedicti semble avoir fini sa vie dans le couvent
franciscain de Laval. Selon Alphonse Angot, il « fut inhumé dans la
salle capitulaire des Cordeliers, où l'on voyait son tombeau quand le P.
Wadding écrivit sa Bibliothèque franciscaine (1650)
»243. Sa date précise de décès reste
floue. Elle fait même débat puisque d'après l'ouvrage
dirigé par Alfred Vacant, « [l]e P. Benedicti était mort en
1600 »244. Or Christophe Paillard dit que Roman d'Amat,
biographe, défendait le fait que Benedicti serait mort en
1611245. Mais le document de Jouve cité
précédemment est très précis en ce qui concerne le
décès du franciscain : il serait mort le 09 août 1592
à Laval246. Nous pouvons penser que ce témoignage est
le plus digne de confiance puisqu'il émane directement des
autorités franciscaines de la province de Touraine pictavienne.
Néanmoins, une erreur humaine est possible. En ce qui concerne les
mentions portées sur les frontispices des livres de Benedicti, il semble
que les éditeurs aient eu connaissance de son décès entre
1595 et 1597. En effet, sur le frontispice de l'édition de la Somme
des pechez datant de 1597 et recensée par le SUDOC (Système
universitaire de documentation), l'auteur est signalé comme « feu
R. P. F. I. BENEDICTI »247. Dans la version datée de
1595 que nous avons étudiée, il n'est fait aucune mention de la
mort de Benedicti. De même pour la version de 1596 imprimée par
Pierre Landry à Lyon et conservée à la bibliothèque
de Grenoble248. Néanmoins, sur une autre version de
l'ouvrage, elle aussi datée de 1596, la mention « feu R. P. F. I.
Benedicti »249 apparaît. Cette dernière version
est celle de Jean Pillehotte, imprimeur lyonnais lui aussi. L'exemplaire est
actuellement conservé à Avignon. Du fait que le livre de ce
franciscain ait été utilisé en Sorbonne «
après la mort de son auteur comme livre d'enseignement universitaire
»250, nous pouvions imaginer que la précision des dates
des frontispices ait été plus précise que dans un ouvrage
moins officiel. Ce ne semble toutefois pas être le cas. Aujourd'hui,
malgré la subsistance de l'église des Cordeliers à Laval,
la salle capitulaire n'existe plus. Les recherches que nous avons faites ne
nous ont pas permis d'être plus affirmatifs sur la date exacte de sa
mort. Néanmoins, il semble certain que la
243Alphonse ANGOT, op. cit. [note
n°174], entrée « Benoît (Jean) ».
244Alfred VACANT (dir.), Eugène MANGENOT
(dir.), Émile AMANN (dir.), op. cit. [note n°191],
entrée « BENEDICTI Jean ».
245Christophe PAILLARD, op. cit. [note
n°183].
246Odoric-M. JOUVE, ofm, op. cit. [note
n°201], p.107-117.
247Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx, Paris, Georges Lombart, 1597 (rééd.).
[disponible sur le site
<
http://www.sudoc.abes.fr/DB=2.1/SRCH?IKT=12&TRM=094304653>]
(consulté le 20 décembre 2012).
248Jean BENEDICTI, La somme des péchez, et
les remèdes d'iceux, Lyon, Pierre Landry, 1596
(rééd.), frontispice.
249Jean BENEDICTI, La somme des
péchez, Lyon, Jean Pillehotte, 1596 (rééd.),
frontispice.
250Christophe PAILLARD, op. cit. [note
n°183].
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 59 -
biographie utilisée par les catalogues des
bibliothèques françaises soit fautive puisque ces derniers
indiquent les dates (15..-161.).
Nous pouvons penser que cet homme au parcours flatteur au sein
de son ordre et qui était de plus un voyageur avéré, ait
eu un regard assez juste, ou plus juste que d'autres, sur la condition
féminine en France au XVIe siècle. Nous allons
à présent passer à l'étude de l'ouvrage qui a
permis de le faire connaître à la postérité,
véritable somme théologique sur les problèmes posés
par son époque.
LA SOMME DES PECHEZ ET LE REMEDE D'ICEVX, UN REGARD
PARTICULIER SUR LA CONDITION DES FEMMES AU XVIE
SIÈCLE.
La somme des pechez, et le remede d'icevx. Comprenant tous
les cas de conscience, & la resolution des doubtes touchant les Pechez,
Simonies, Vsures, Changes, Commerces, Censures, Restitutions, Absolutions,
& tout ce qui concerne la reparation de l'ame pecheresse par le Sacrement
de Penitence, selon la doctrine des saincts Conciles, Theologiens, Canonistes
& Jurisconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins est un manuel de
confession écrit par Jean Benedicti à la fin du XVIe
siècle. Cet ouvrage montre que les manuels de confession écrits
à cette époque sont des témoins valables pour celui qui
cherche à étudier l'histoire des femmes. Cette oeuvre, dont nous
allons abréger le titre en « La somme des pechez, et le remede
d'icevx », a été rééditée
plusieurs fois après sa première impression à Lyon en 1584
par Charles Pesnot. Les différentes rééditions sont dues
tant au franciscain qu'à des professeurs de la Sorbonne ayant
continué d'étudier son oeuvre après sa mort. Le moteur de
recherche Worldcat251 recense un certain nombre d'éditions,
référencées dans le tableau présenté
ci-dessous. Nous avons croisé les résultats obtenus sur Worldcat
avec une recherche sur le Catalogue Collectif de France (CCFr)252.
Les éditions présentes uniquement sur le CCFr sont
précédées d'un astérisque. Bien que le tableau
ci-dessous cherche à être le plus exhaustif possible, il est
probable que d'autres éditions existent qui n'aient pas
été référencées dans les moteurs de
recherche utilisés.
251[disponible sur le site <
http://www.worldcat.org/search?
q=benedicti+somme&fq=&dblist=638&start=1&qt=page_number_link>]
(consulté le 02 janvier 2013).
252Catalogue Collectif de France, Question: Titre
[''somme''] et Auteur [''benedicti''][disponible sur le site <
http://ccfr.bnf.fr/portailccfr/>]
(consulté le 17 janvier 2013).
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 60 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
Tableau présentant diverses éditions de
l'ouvrage de Jean Benedicti dans un ordre
chronologique .
Précisions :
· Les ouvrages précédés de ce
symbole sont ceux qui n'étaient référencés ni sur
Worldcat ni sur le Catalogue Collectif de France mais dont nous avons
connaissance.
· Le format in-folio correspond à une feuille de
tirage pliée une fois ; le format in-quarto, ou in-40,
correspond à une feuille de tirage pliée deux fois. La feuille de
tirage d'un in-octavo, ou in-80, a quant à elle
été pliée trois fois et ainsi de suite.
· Toutes les notices bibliographiques que nous avons
étudiées ne comportent pas la mention du format de l'ouvrage.
Nous l'avons reporté dans le tableau suivant uniquement quand
l'information était donnée.
· Certaines notices portent le nom d'un «
éditeur commercial ». Cet acteur de la chaîne de diffusion du
livre achète à l'imprimeur des oeuvres déjà
imprimées, applique son nom sur la page de garde de ces dernières
et se charge de la publication des documents.
· Les abréviations présentes dans ce
tableau sont : - R. P. F. J. (ou I.) pour Révérend Père
Franciscain Jean ; - F. ou F. F. pour Frère et Frère Franciscain
; - O.F.M. pour Ordre des Frères Mineurs et Le P. pour Le
Père.
Auteur.
|
Titre : sous-titre.
|
Lieu.
|
Éditeur.
|
Date.
|
Pages.
|
Notes.
|
Jean
Benedicti.
Auteurs
secondaires : Charles Pesnot ; Thibaud Ancelin.
|
La somme des péchez, et le remède d'iceux
: comprenant tous les cas de conscience, et la résolution des
douttes touchant les péchez, simonies, usures, changes, commerces,
censures, restitutions, absolutions, et tout ce qui concerne la
réparation de l'âme pécheresse par le sacrement de
pénitence, selon la doctrine des saincts
conciles, théologiens, canonistes et jurisconsultes,
hébrieux, grecs & latins : traité tresutile
aux ecclésiastiques, prédicateurs et pénitens, au
magistrat et troisiesme estat et en somme à tous ceux qui veulent
obtenir salut.
|
Lyon.
|
Charles Pesnot.
|
1584
|
1326.
|
|
Jean
|
La somme des péchez et le
|
Rouen.
|
Manesses
|
1584.
|
794.
|
Enregistré
|
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 61 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 62 -
Auteur.
|
Titre : sous-titre.
|
Lieu.
|
Éditeur.
|
Date.
|
Pages.
|
Notes.
|
Benedicti.
|
remede d'icevx : comprenant tous les cas de conscience
& la resolution des doutes touchant le pechez... /
premierement recueillie par feu R.P.F.I. Benedicti... ; de l'ordre des
F. Mineurs & puis nouvellement abregee, & extraict des
points plus notables & necessaires pour le fait de la
conscience...
|
|
de
Preavlx
|
|
|
comme un exemplai- re datant de 1584, ce
dernier ne peut dater que d'une dizaine d'années de
plus. En effet, la mention « feu R.P.F.I. Benedic- ti
» indique que cette édition est postérieu- re
à sa mort.
|
Jean
Benedicti.
Auteurs
secondaires : Charles Pesnot ; Thibaud Ancelin.
|
La somme des péchez, et le remède d'iceux
: comprenant tous les cas de conscience, et la résolution des
doutes touchant les péchez, simonies, usures, changes, commerces,
censures, restitutions, absolutions, et tout ce qui concerne la
réparation de l'âme pécheresse par le sacrement de
pénitence, selon la doctrine des saincts
conciles, théologiens, canonistes et jurisconsultes,
hébrieux, grecs & latins : traité très utile
aux ecclésiastiques, prédicateurs et pénitens, au
magistrat et troisièsme estat et en somme à tous ceux qui
veulent obtenir salut.
|
s.l.
|
s.n.
|
1584.
|
|
In-40.
|
Jean
Benedicti.
Auteur secondaire : Charles Pesnot.
|
La somme des pechez et le remede d'iceux.
Comprenant tous les cas de conscience, & la résolution des
douttes touchant les pechez, simonies, usures, changes, commerces,
censures, restitutions, absolutions, & tout ce qui concerne la
reparation de l'ame pecheresse par le sacrement de penitence, selon
la doctrine des saincts conciles,
|
Lyon.
|
Charles Pesnot.
|
1584.
|
1326.
|
In-40.
|
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
Auteur.
|
Titre : sous-titre.
|
Lieu.
|
Éditeur.
|
Date.
|
Pages.
|
Notes.
|
|
theologiens, canonistes & jurisconsultes, Hebrieux,
Grecs & Latins. Traité très utile
aux ecclésiastiques, prédicateurs et pénitens, au
magistrat et troisiesme estat et en somme à tous ceux qui veulent
obtenir salut. Nouvellement recueillie par R.P.F.I. Benedicti.
|
|
|
|
|
|
Jean
Benedicti.
Auteur secondaire : Charles Pesnot.
|
La somme des péchez et le remède d'iceux :
comprenant tous les cas de conscience, et la résolution des
douttes touchant les péchez, simonies...
|
Lyon.
|
Charles Pesnot.
|
1584.
|
|
In-4°.
|
F J
Benedicti.
|
La Somme Des Pechez, Et Le Remede d'Icevx :
Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doubtes
touchant les Pechez, Simonies, Vsures ... selon la doctrine des
saincts Conciles, Theologiens, ... Hebrieux, Grecs & Latins.
|
Paris.
|
Sittart.
|
1586.
|
737.
|
|
Jean
Benedicti.
|
La somme des pechez et le remede d'iceux. :
Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doubtes
touchant les pechez.
|
Paris.
|
Arnold Sittart.
|
1587.
|
737.
|
In-folio.
|
Jean
Benedicti.
Auteur secondaire : François Jary.
|
La Somme des péchés et le remède
d'iceux ... : premièrement recueillie, et puis nouvellement
reveuë, corrigée, augmentée ... : par
R.P.F.I. Benedicti.
|
Paris.
|
A. Sittart.
|
1587.
|
738.
|
In-folio.
|
|
F J
Benedicti.
|
La somme des péchés et le remède
d'iceux.
|
s.l.
|
s. n.
|
1587.
|
|
In-folio.
|
*Benedicti, Jean
(O.F.M.).
|
La Somme des pechez et le remede d'iceux.
|
Paris.
|
Denis Binet.
|
1592.
|
|
|
*Bénédicti, Jean.
Auteurs secondaires : Arnold Sittart, Imprimeur
; L. Molin, propriétaire
|
La Somme des pechez, et le remede d'iceux / Jean
Bénédicti.
|
Paris.
|
Arnold Sittart.
|
1593.
|
726.
|
In-8°,
reliure ancienne, veau brun.
|
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 63 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 64 -
Auteur.
|
Titre : sous-titre.
|
Lieu.
|
Éditeur.
|
Date.
|
Pages.
|
Notes.
|
précédent.
|
|
|
|
|
|
|
*Benedicti, Jean.
Auteur
secondaire : Landry Pierre, éditeur
commercial.
|
La somme des pechez, et les remedes
d'iceux...premierement recueillie, & puis nouvellement reveuë,
corrigee, augmentee & amplifiee, par R. P. F. J. Benedicti...
|
Lyon.
|
Pierre Landry.
|
1593.
|
1104.
|
In-4°.
|
Jean
Benedicti.
|
La somme des pechez, et le remède d'iceux :
comprenant plusieurs cas de conscience, et la résolution des
doubtes touchant les pechez, simonies, usures, changes,
commerces, censures, restitutions, absolutions et tout ce qui concerne
la reparation de l'ame pecheresse par le sacrement de penitence, selon la
doctrine des saincts conciles, théologiens, canonistes et
jurisconsultes, hebrieux, grecs & latins : traité tres-utile
aux prestres, curez, confesseurs, predicateurs et penitens : au magistrat
et troisiesme estat, et en somme à tous ceux qui veulent
obtenir salut.
|
Lyon.
|
Pierre Landry.
|
1594.
|
1104.
|
In-4°.
|
F J
Benedicti.
|
La Somme des Pechez et les Remedes d'iceux.
|
Lyon.
|
s. n.
|
1594.
|
|
|
*Benedicti, Jean.
Auteur secondaire : La
Nouë, Guillaume de, imprimeur.
|
Somme des péchez, et le remède d'iceux.
Comprenant tous les cas de conscience, et la résolution des
doubtes... Premièrement recueillie, et puis
nouvellement reveuë, corrigée, augmentée
et amplifiée, par révérend P. F.
I. Benedicti.
|
Paris.
|
Guillau- me de la Nouë.
|
1595.
|
737.
|
Seul exemplai- re référencé en
latin. In-folio.
|
Jean
BENEDICTI
.
|
La Somme des Pechez, et le remede d'iceux.
Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doubtes
touchant les pechez...Premierement recueillie, & puis
nouuellement reueuë, corrigee, augmentee... & amplifiee, par...
I. Benedicti.
|
Paris.
|
H. de Marnef, & la Vefue G. Cauellat.
|
1595.
|
737.
|
In-folio.
|
*Jean Benedicti.
|
La somme des pechez, et le remede d'icevx.
Comprenant
|
Paris.
|
Sébastien Nivelle.
|
1595.
|
737.
|
|
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
Auteur.
|
Titre : sous-titre.
|
Lieu.
|
Éditeur.
|
Date.
|
Pages.
|
Notes.
|
|
tous les cas de conscience, & la resolution des
doubtes touchant les Pechez, Simonies, Vsures, Changes, Commerces,
Censures, Restitutions, Absolutions, & tout ce qui concerne la
reparation de l'ame pecheresse par le Sacrement de Penitence, selon la
doctrine des saincts Conciles, Theologiens, Canonistes
& Iurisconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins
|
|
|
|
|
|
*Benedicti, Jean.
|
Somme des péchez.
|
Paris.
|
Sonnius.
|
1595.
|
|
In-folio.
|
*Benedicti, Jean (Le P.).
Auteur secondaire
: Gabriel Buon, éditeur commercial.
|
La somme des pechez, et le
remede d'iceux. comprenant tous les cas de conscience, &
la
resolution des doubtes [...] Par Reverend P. F. I.
Benedicti.
|
Paris.
|
Gabriel Buon.
|
1595.
|
|
In-folio.
|
J Benedicti.
|
La somme des pechez et les remèdes d'iceux,
contenant plusieurs cas de conscience et la résolution des doutes
touchant les péchez, simonies, usures, changes, commerce,
censures, restitutions... recueillie, revue, corrigée et
augmentée par J. Benedicti.
|
Lyon.
|
P. Landry
.
|
1596.
|
|
In-4°.
|
I Benedictus.
|
La somme des pechez, et le remede d'iceux.
Premierement recueillie par feu r. p. f. I Benedicti... ; &
puis nouuellement abbregee... ; augmentee d'un examen
de conscience...
|
Lyon.
|
Iean Pillehotte
.
|
1596.
|
874.
|
In-12.
Aussi imprimé en in-8°.
|
*Jean Benedicti.
|
La somme des pechez, et le remede d'iceux.
Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doutes
touchant les pechez, simonies, usures, changes, commerces,
censures, restitutions, absolutions, & tout ce qui concerne la
reparation de l'ame pecheresse par le sacrement de penitence, selon
la doctrine des S. conciles, theologiens, canonistes,
& jurisconsultes, hebrieux, grecs,
|
Paris.
|
Georges Lombart.
|
1597.
|
775.
|
In-8°.
|
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 65 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 66 -
Auteur.
|
Titre : sous-titre.
|
Lieu.
|
Éditeur.
|
Date.
|
Pages.
|
Notes.
|
|
& latins. Premierement recueillie par feu R. P. F.
J. Benedicti... & puis nouvellement abregee, & extraict les
poincts plus notables & necessaires pour le fait de la
conscience, pour la plus grande commodité des curez,
predicateurs, confesseurs, & autres ayant charges d'ames. Augmentee
d'un examen de conscience, tres-utile aux confesseurs &
penitens. Avec un index des chapitres & matieres contenues audit
livre.
|
|
|
|
|
|
*Jean Benedicti.
|
La somme des pechez, et le remede d'icevx.
|
Tournon
.
|
Claude Michel.
|
1599.
|
876.
|
In-12°.
|
Jean
Benedicti, Le
P.
|
La Somme des péchez et le
remède d'iceux ... premièrement recueillie par
feu R.P.F.J.
Benedicti, ... puis nouvellement abrégée ...
augmentée d'un
examen de conscience...
|
Paris.
|
Jamet et P.
Mettayer.
|
1600.
|
775.
|
In-8°.
|
Jean
Benedicti, père.
|
La Somme des péchez, et le remède d'icieux
...
|
Paris.
|
Michel Sonnius.
|
1600.
|
775.
|
|
*Benedicti, Jean.
Auteur secondaire : Lucas Bruneau, imprimeur.
|
La Somme des pechez et le remede d'iceux.
|
Paris.
|
Lucas Bruneau.
|
1600.
|
|
In-8°.
|
Jean
Benedicti, Le
P.
|
La Somme des péchez et le remède d'iceux ...
premièrement recueillie et puis nouvellement revue ... par
Révérend P. F. J.
Benedicti.
|
Paris.
|
C.
Chappe- let.
|
1601.
|
827.
|
In-4°.
|
Jean Benedicti, (Le P. ; O.F.M.).
|
La Somme des péchez et le remède d'iceux,
comprenant tous les cas de conscience ... premièrement recueillie
et nouvellement reveuë, corrigée, augmentée ... par
... P.F.I. Benedicti.
|
Paris.
|
G. de La Noue.
|
1601.
|
827.
|
In-4°.
|
Benedicti, Jean.
|
La somme des péchez et le remède
d'iceux...
|
Paris.
|
Guillau-
me
Chaudiè-
re.
|
1601.
|
|
|
Benedicti,
|
La Somme des péchez et le
|
Rouen.
|
J.
|
1602.
|
|
In-8°.
|
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
Auteur.
|
Titre : sous-titre.
|
Lieu.
|
Éditeur.
|
Date.
|
Pages.
|
Notes.
|
Jean.
|
remède d'iceux...premièrement recueillie
par feu R. P. F. J. Benedicti,... puis
nouvellement abrégée...augmentée d'un examen de
conscience.
|
|
Osmont.
|
|
|
|
Jean
Benedicti.
|
La somme des pechez, et le remede d'iceux, comprenant
tous les cas de conscience, et la resolution des doubtes touchant les
pechez ... selon la doctrine des saincts conciles, theologiens,
canonistes et jurisconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins.
|
Paris.
|
Chez Abraham Saugrain, & Guillau- me
des- Rues.
|
1602.
|
840.
|
|
*Benedicti, Jean.
|
La somme des péchez et
le remède d'iceux...abrégée...Augmentée d'un
examen de conscience...
|
Rouen.
|
T. Daré.
|
1602.
|
|
|
*Benedicti, Jean (Le P.)
|
La Somme des péchés et le remède
d'iceux, comprenant tous les cas de conscience, et la résolution
des doutes, touchant les péchés, simonies, usures, changes,
commerce, censures, restitutions etc.
|
Paris.
|
Ger
Lombard.
|
1602.
|
|
In-folio.
|
Jean
Benedicti.
|
La somme des Péchés et le remède
d'iceux...
|
s. l.
|
s. n.
|
1607.
|
|
In-8°.
|
*Benedicti, Jean.
|
La somme des péchez et le remède d'iceux...,
abrégée... Augmentée d'un examen de conscience...
|
Rouen.
|
L. Corté.
|
1607.
|
|
|
Jean Benedicti.
|
La somme des pechez, et le remede d'icevx.
|
Rouen.
|
Thomas Daré.
|
1607.
|
769.
|
|
Jean
BENEDICTI
.
|
La somme des pechez, et le remede d'iceux.
Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doutes
touchant les pechez ... Premierement recueillie par feu
R.P.F.I. Benedicti ... Augmentée d'un Examen de conscience, tres
utile aux confesseurs & penitens, etc.
|
Rouen.
|
Romain de
Beauvais.
|
1608.
|
526.
|
In-8°.
|
Benedicti, Jean.
Auteur secondaire
: Osmont, éditeur commercial.
|
La somme des pechez et le remède
d'iceux...
|
Rouen.
|
Osmont.
|
1608.
|
|
|
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 67 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 68 -
Auteur.
|
Titre : sous-titre.
|
Lieu.
|
Éditeur.
|
Date.
|
Pages.
|
Notes.
|
*Benedicti.
|
La Somme des péchez.
|
Lyon.
|
Poyet.
|
1609.
|
|
|
*Benedicti, Jean.
|
La Somme des péchez et le remède
d'iceux...premièrement recueillie par feu R. P. F. J. Benedicti,
... puis nouvellement abrégée...augmentée
d'un examen de conscience...
|
Rouen.
|
A.
Morront.
|
1610.
|
|
In-8°.
|
*Benedicti, Jean.
|
La Somme des péchez et le remède
d'iceux...premièrement recueillie par feu R. P. F.
J. Benedicti,...puis
nouvellement abrégée...augmentée d'un examen de
conscience...
|
Rouen.
|
J.
Osmont.
|
1610.
|
|
In-8°.
|
Jean Benedicti, (Le P. ; O.F.M.).
|
La Somme des péchez et le remède d'iceux
comprenant tous les cas de conscience ... premièrement recueillie
par feu R.P.F.J. Benedicti ... et puis nouvellement abrégée
... augmentée d'un examen de conscience...
|
Rouen.
|
L. du Castel.
|
1620.
|
759.
|
In-8°.
|
Jean
Benedicti.
|
La somme des pechez : et le remede d'icevx.
Comprenant
tous les cas de conscience, & la
resolution des doutes touchant les pechez, simonies,
vsures,
changes, commerces, censures, restitutions, absolutions,
...
|
Roven.
|
Chez Manassez de Preavlx.
|
1620.
|
759.
|
|
*Benedicti, Jean.
|
La Somme des péchés et le remède
d'iceux...par feu R.P.F.J. Benedicti des F. F. Mineurs.
|
Rouen.
|
J. Auber.
|
1620.
|
|
In-8°.
|
*Benedicti, Jean (Le P.).
Auteur secondaire : J. Auber, imprimeur.
|
La Somme des péchés et le remède
d'iceux...par feu R. P. F. J. Benedicti des F. F. Mineurs.
|
Rouen.
|
J. Auber.
|
1620.
|
|
In-8°.
|
*Benedicti, Jean.
|
La Somme des péchez et le remède
d'iceux..premièrement recueillie par feu R. P. F.
J. Benedicti,...puis
nouvellement abrégée...augmentée d'un examen de
conscience...
|
Rouen.
|
L.
Loudet.
|
1620.
|
|
In-8°.
|
Jean
Benedicti.
|
La somme des péchez et les remèdes d'iceux
... recueillie ... corrigée, augmentée ... par R. P. F. J.
Benedicti.
|
Lyon.
|
s. n.
|
1693.
|
1104.
|
In-4°.
|
R P Jan le Benedicti.
|
La Somme des péchez, et le remède d'iceux
... nouvellement
|
Paris.
|
A. Sittart.
|
1807.
|
737.
|
Il s'agit peut-être
|
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
Auteur.
|
Titre : sous-titre.
|
Lieu.
|
Éditeur.
|
Date.
|
Pages.
|
Notes.
|
|
reveuë, corrigée,
augm. et ampl.
|
|
|
|
|
ici d'une
|
|
...
|
|
|
|
|
erreur dans le
|
|
|
|
|
|
|
référence- ment de l'ouvrage.
|
|
|
|
|
|
|
En effet, l'impri- meur
|
|
|
|
|
|
|
Arnold
|
|
|
|
|
|
|
Sittart, s'il s'agit bien
de lui,
aurait travaillé à
la fin du
|
|
|
|
|
|
|
XVIe - début
|
|
|
|
|
|
|
XVIIe et non début
|
|
|
|
|
|
|
XIXe.
|
Ce long tableau montre que le manuel de confession du
franciscain Jean Benedicti a été lu et beaucoup demandé
depuis sa première impression en 1584 jusqu'au premier tiers du
XVIIe siècle. Une cinquantaine d'éditions
différentes sont ici référencées et d'autres
peuvent exister. Les franciscains ont été très actifs en
cette fin de XVIe et sur tout le XVIIe siècle dans
la reconquête spirituelle des catholiques français. Leur pastorale
proche des fidèles leur a permis d'obtenir une large audience tout comme
d'autres ordres mendiants. La notoriété du franciscain Jean
Benedicti, due à ses voyages, à ses activités d'exorciste
et à son influence au sein de l'ordre des Frères mineurs, a
conduit à la diffusion de son oeuvre dans une grande partie du
territoire français. La somme des pechez, et le remede d'icevx
a subi de légères variations au cours du temps. En effet, de
son vivant, Jean Benedicti a constamment retouché son ouvrage, le
complétant et s'adaptant dit-il aux critiques qui lui ont
été faites. Dans l' « Epistre a Monseignevr le
reverendissime evesqve de Paris », il affirme à propos de son livre
« croyez qu'il a esté à ces fins, veu, reueu,
fueilleté & recherché co[m]me Hierusale[m] auec la
cha[n]delle ». Plus loin, il précise : « Finalement,
Monseigneur, quant à ceste seconde edition, elle est de beaucoup plus
augme[n]tee & amplifiee, elle est aussi mieux polie, agencee, & reduite
en meilleur ordre & forme que n'estoit la premiere. Et touchant le sixieme
commandement, duquel on a tant voulu quaqueter par l'aduis de quelques gra[n]ds
personnages, & mesmes Docteurs de la Sorbonne, i'en ay adoucy &
mesme
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 69 -
changé quelques mots & sente[n]ces pour contenter
vn chacun, ce qui est toutesfois bien difficile »253.
Nous avons donc cherché à savoir si le contenu
des diverses éditions de La somme des pechez, et le remede
d'icevx... voyait une réelle modification. Pour cela, nous avons
choisi trois éditions de ce texte : l'original de 1584, le texte de 1595
que nous avons étudié plus précisément pour ce
mémoire et une édition de 1607, présentant un intervalle
de temps à peu près équivalent. Les titres présents
sur la page de titre de chacun de ces ouvrages montrent une sorte de tronc
commun qui est le suivant : « La Somme des pechez, et le remede d'icevx.
Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doubtes touchant
les Pechez, Simonies, Vsures, Changes, Commerces, Censures, Restitutions,
Absolutions, & tout ce qui concerne la reparation de l'ame pecheresse par
le Sacrement de Penitence, selon la doctrine des saincts Conciles, Theologiens,
Canonistes & Iurisconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins ». La suite
du titre de l'édition de 1584 est « Traité tresutile aux
Ecclesiastiques, Predicateurs & penitens : au Magistrat & troisiesme
estat & en somme à tous ceux qui veulent obtenir salut. Nouuellement
recueillie par R. P. F. I. Benedicti, Professeur en Theologie de l'ordre des
freres Mineurs de l'Obseruance ». Le colophon indique « A Lyon, par
Charles Pesnot, M. D. LXXXIIII, avec privilege dv roy »254.
L'édition de 1595 porte : « Traicté tres-vtile aux
Ecclesiastiques, aux Prestres, Curez, Confesseurs, Predicateurs & Penitens
: au Magistrat & troisieme Estat, & en somme à tous ceux qui
veulent obtenir salut. Premierement recueillie, & puis nouuellement
reueuë, corrigee, augmentee & amplifiee, Par Reuerend P. F. I.
BENEDICTI, Professeur en Theologie, de l'ordre des Freres Mineurs de
l'Obseruance, & Pere Prouincial de la Prouince de Touraine Pictauienne
». Le colophon porte quant à lui les indications suivantes : «
A Paris, Chez Sebastien Nivelle, demeurant en la rue sainct Iacques, aux
Sicognes. M. D. XCV. »255. Enfin, l'édition de 1607 fait
mention du décès du franciscain et du remaniement de l'ouvrage
postérieur à sa mort : « Premierement recueillie par feu R.
P. F. I. Benedicti. Professeur en Theologie de l'ordre des F. Mineurs. &
puis nouuellement abregée, & extraict des points plus notables &
necessaires pour le fait de la conscience, pour la plus grande
253Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Epistre a
Monseignevr le Reverendissime evesqve de Paris, Messire Pierre de Gondy,
Conseiller du Roy en son Conseil Priué & d'Estat, & Commandeur
en l'ordre du S. Esprit ».
254Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx : comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des
douttes touchant les pechez, simonies, usures, changes, commerces, censures,
restitutions, absolutions & tout ce qui concerne la reparation de l'ame
pecheresse par le sacrement de penitence, selon la doctrine des saincts
Conciles Theologiens, Canonistes & Iuriconsultes, Hebrieux, Grecs &
Latins. Traité tresutile aux Ecclesiastiques, Predicateurs &
penitens : au Magistrat & troisiesme estat & en somme à tous
ceux qui veulent obtenir salut. Nouuellement recueillie par R. P. F. I.
Benedicti, Professeur en Theologie de l'ordre des freres Mineurs de
l'Obseruance, Lyon, Charles Pesnot, 1584, page de titre.
255Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], page de titre.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 70 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
commodité des Cures, Predicateurs, Confesseurs, &
autres ayant charges d'Ames. Augmentée d'vn Examen de conscience,
tres-vtile aux Confesseurs & Penitens. Auec un Indice des Chapitres &
Matieres contenuës audit liure ». Le colophon de cette
troisième édition indique qu'elle a été
imprimée « A Roven, Chez Thomas Daré, Libraire tenant sa
boutique au premier degré du Palais. 1607 »256. Nous
présentons dans le tableau ci-dessous une étude de la place
occupée par certains sujets dans les diverses versions de La somme
des pechez, et le remede d'icevx....
Tableau comparant le contenu de trois versions de
l'ouvrage de Jean Benedicti .
Précisions :
· Les pourcentages ont été
réalisés de la manière suivante : nous avons relevé
le nombre de pages consacrées, par exemple, aux dix commandements de la
loi puis le nombre de pages traitant plus spécifiquement du premier
commandement. Le pourcentage obtenu est donc le reflet de la place qu'occupe le
premier commandement de la loi dans le discours sur les dix commandements.
· La colonne « Évolutions »
présente l'évolution globale du traitement d'un sujet entre 1584
et 1607, en points de pourcentage. Les évolutions significatives, de
plus ou moins de 4 points de pourcentage, sont mises en valeur.
|
Édition
|
Édition
|
Édition
|
Évolutions
|
|
de
|
de
|
.
|
|
1595 .
|
1607 .
|
|
|
|
|
|
|
|
|
« Croy vn seul Dieu & l'adore, fuyant toute
idolatrie & superstition ».
|
12,23%
|
10,82%
|
13,66%
|
+1,43.
|
« Ne iure point son nom en vain ».
|
16,61%
|
16,56%
|
21,46%
|
+4,85.
|
« Sanctifie le septiesme iour ».
|
5,96%
|
5,73%
|
7,80%
|
+1,84.
|
« Honore ton Pere & Mere ».
|
3,13%
|
7,64%
|
9,27%
|
+6,14.
|
« Ne sois point homicide ».
|
11,91%
|
6,37%
|
7,32%
|
-4,59.
|
« Ne sois point paillard ne adultere ».
|
28,53%
|
28,66%
|
19,02%
|
-9,51.
|
« Ne soint point larron ».
|
9,72%
|
9,55%
|
9,76%
|
+0,04.
|
« Ne sois point faux tesmoing ».
|
6,58%
|
7,01%
|
8,78%
|
+2,2.
|
« Tu ne conuoiteras point la femme d'autruy ».
« Tu ne desireras point la maison de ton prochain, ne chose
|
4,08%
|
4,46%
|
2,93%
|
-1,15.
|
|
256Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx. Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des
doutes touchant les Pechez, Simonies, Vsures, Changes, Commerces, Censures,
Restitutions, Absolutions, & tout ce qui concerne la reparation de l'Ame
pecheresse par le Sacrement de Penitence, selon la doctrine des S. Concile
Theologiens, Canonistes, & Jurisconsultes, Hebrieux, Grecs &
Latins, Rouen, Thomas Daré, 1607 (rééd.), page de
titre.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 71 -
|
Édition
|
Édition
|
Édition
|
Évolutions
|
|
de
|
de
|
.
|
|
1595 .
|
1607 .
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Les six commandements de l'Église.
|
|
|
|
|
« Tv orras la Messe aux festes & Dimanches, &
garderas les festes qui te sont commandees ».
|
14,94%
|
13,30%
|
10,87%
|
-4,07.
|
« Tu ieusneras les vigiles, quatre temps, & le
Caresme entierement ».
|
28,74%
|
28,90%
|
23,91%
|
-4,83.
|
« Tu payeras les dismes & premices à
l'Eglise, & aux ministres d'icelle ».
|
10,34%
|
8,90%
|
10,87%
|
+0,53.
|
« Tu te confesseras à tout le moins une fois l'an
».
|
16,09%
|
17,80%
|
17,39%
|
+1,3.
|
« Tu receuras la saincte communion à tout le
moins une fois l'an ».
|
27,57%
|
26,70%
|
34,78%
|
+7,21.
|
« Tu ne celebreras le mariage au temps prohibé.
Et
t'abstiendras de manger chair le vendredy & samedy
».
|
1,15%
|
2,20%
|
2,17%
|
+1,02.
|
Les sept péchés capitaux.
|
|
|
|
|
« Orgueil ».
|
3,23%
|
13,20%
|
3,21%
|
-0,02.
|
« Auarice ».
|
68,35%
|
55,60%
|
76,28%
|
+7,93.
|
« Luxure ».
|
6,12%
|
6,30%
|
4,49%
|
-1,63.
|
« Enuie ».
|
3,23%
|
3,50%
|
3,21%
|
-0,02.
|
« Gourmandise »
|
6,47%
|
6,30%
|
3,21%
|
-3,26.
|
« Ire ».
|
7,55%
|
7,60%
|
6,41%
|
-1,14.
|
« Paresse ».
|
4,32%
|
3,50%
|
3,21%
|
-1,11.
|
Les sept sacrements de l'Église.
|
|
|
|
|
« Baptesme ».
|
6,21%
|
2,30%
|
2,70%
|
-3,51.
|
« Confirmation ».
|
1,38%
|
2,70%
|
2,03%
|
+0,65.
|
« Eucharistie ».
|
17,93%
|
18,70%
|
8,11%
|
-9,82.
|
« Penite[n]ce ».
|
54,94%
|
54,30%
|
65,54%
|
+10,6.
|
« Extreme onction ».
|
1,38%
|
1,40%
|
3,38%
|
+2,0.
|
« Ordres ».
|
6,67%
|
4,10%
|
2,03%
|
-4,64.
|
« Mariage ».
|
11,26%
|
13,70%
|
14,19%
|
+2,93.
|
|
Ce tableau montre que la plupart des changements
effectués dans l'oeuvre de Benedicti ont été faits
après sa mort. En effet, Jean Benedicti ne modifie pas réellement
l'amplitude de son propos sur le deuxième commandement de la loi entre
1584 et 1595. En revanche, les docteurs de Sorbonne qui ont repris l'ouvrage
après sa mort y ont vu plus d'intérêt et en ont
augmenté le texte. Il en est de même pour le sacrement de
pénitence, déjà très présent dans les
éditions dirigées par Benedicti mais encore amplifié
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 72 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 73 -
Cadres généraux : penser l'histoire des
femmes au XVIe siècle.
dans l'ouvrage de 1607. Deux sujets voient une
évolution inverse : peu retouchés par Jean Benedicti, les
docteurs de Sorbonne jugent qu'ils occupent trop de place. C'est le cas pour la
question du jeûne, deuxième sacrement de l'Église, mais
surtout pour la question du sixième commandement de la loi, portant sur
l'adultère. Nous pouvons penser que les successeurs de Benedicti ont
préféré moins insister sur les détails relatifs au
péché de chair. De plus, le jeûne est une pratique
contraignante sur laquelle les docteurs de Sorbonne n'ont pas jugé utile
de s'appesantir : elle n'est pas en grâce auprès des catholiques
français. Le sacrement d'eucharistie, auquel Benedicti accordait plus de
place dans sa deuxième édition est aussi repoussé à
un rang moindre dans l'édition contrôlée par les docteurs
de la Sorbonne. Le cas du péché d'avarice est lui aussi
très intéressant puisque nous pouvons voir qu'il occupe une place
prépondérante dans le traitement des péchés
capitaux dans l'ouvrage de 1584. Jean Benedicti amenuise l'espace
accordé à ce péché dans sa deuxième
édition, en 1595. Néanmoins, en 1607, une nette augmentation du
discours autour de ce péché est visible : il semble donc que ce
sujet intéresse particulièrement l'Église, ce qui est
réaffirmé par les corrections apportées par les docteurs
de Sorbonne. Il en va de même pour la communion. Les sujets restants,
où Benedicti et les docteurs de Sorbonne ont la même opinion
semble-t-il, sont : le respect dû aux parents, qui prend plus de poids
dans l'ouvrage ; le cas de l'homicide, qui s'efface quelque peu ; l'assistance
à la messe et le sacrement de l'ordre qui occupent eux aussi une moindre
place dans le discours remanié du franciscain. Les évolutions du
discours, qui semblent donc être postérieures à la mort de
Jean Benedicti, prouvent que sa Somme des pechez, et le remede d'icevx...
est un discours particulier qui, bien qu'approuvé par
l'Église, révèle une vision particulière de la
société qui l'entoure et de ses moeurs. Ce discours particulier
sur la société est aussi un discours sur la femme. Nous allons
donc tenter à présent d'étudier les différentes
figures de la femme rencontrées dans l'ouvrage majeur de Benedicti afin
d'éclairer le regard particulier que ce franciscain a porté sur
elle.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Dans cette deuxième partie, nous allons étudier
les diverses figures de femmes pour lesquelles Benedicti a émis un
discours particulier. Nous aborderons tout d'abord la question de la place de
la jeune fille dans la société puis les rapports divers
entretenus avec les hommes avant de nous pencher sur le problème de la
relation particulière que la femme entretient avec l'enfant. Nous
verrons ensuite quels rôles occupent les femmes en société
selon le franciscain et comment ces rôles qui leur sont attribués
sont le reflet des attentes masculines concernant le comportement
féminin. Enfin, nous étudierons comment Benedicti perçoit
la place de la religieuse dans la société du XVIe
siècle.
LA JEUNE FILLE ET LA VIERGE : UN MODÈLE DE
SAINTETÉ QUE PEU ATTEINDRONT.
Le pouvoir de la pucelle est une croyance populaire
ancestrale qui a encore toute sa force au XVIe siècle. La
virginité est valorisée dans la société terrestre
tout comme dans la société divine où les vierges «
suivent immédiatement les martyrs » comme le fait remarquer
Aurélie Godefroy257. Jean Benedicti fait allusion à
cette croyance quand il aborde la question des superstitions. Il accepte que
les croyants se munissent de billets258 portant des prières
ou des inscriptions à condition « qu'on ne regarde à la
maniere de l'escriture, en disant qu'ils les faut escrire en parchemin vierge,
ou quand le Soleil se leue, ou qu'on les attache auec tant de filets, &
qu'ils soyent attachez d'vne pucelle, ou escrits d'vn enfant vierge, &c.
»259. La virginité, à laquelle il fait trois fois
allusion ici, semble bien trouver un écho auprès du peuple
catholique. La pucelle n'est pas une simple jeune fille. Mais qu'est-ce tout
d'abord qu'une « jeune fille » ? L'introduction au livre
dirigé par Gabrielle Houbre nous la présente ainsi : elle «
se définit par sa virginité et son rapport au mariage. Elle n'est
''jeune'' que lorsqu'elle en a l'âge - douze ans ou plus - mais
''vieille'' quand elle s'obstine dans le célibat et une virginité
qui n'importe plus à aucun soupirant »260. Que
pouvons-nous savoir de sa condition d'après l'oeuvre de Benedicti ? Nous
aborderons ci-après trois aspects de la vie d'une jeune fille
exposés dans La somme des pechez et le remede d'icevx.
Premièrement, nous verrons quelle est la place de la vierge dans la
société de la fin du XVIe siècle et quels
dangers pèsent sur
257Aurélie GODEFROY, Les religions, le
sexe et nous, Paris, Calmann-Lévy, 2012, p.54.
258Certains croyants portaient sur eux de petits
papiers sur lesquels était écrite une prière censée
leur apporter protection.
259Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.44.
260BRUIT ZAIDMAN, Louise (dir.), HOUBRE, Gabrielle
(dir.), KLAPISCH-ZUBER, Christiane (dir.), SCHMITT PANTEL,
Pauline (dir.), Le corps des jeunes filles de
l'Antiquité à nos jours, Paris, Perrin, 2001 (coll. Pour
l'histoire), p.12.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 75 -
elle. Puis nous nous pencherons sur la question des
modèles de virginité proposés aux jeunes filles. Enfin,
nous montrerons que la majorité d'entre elles sont destinées au
mariage, que nous étudierons en nous appuyant sur la vision qu'en a Jean
Benedicti.
Jean Benedicti consacre une sous-partie de son ouvrage
à la défense de la virginité. En effet, au chapitre VII du
livre I, « Du stupre & defloration d'une pucelle, espece de luxure
», il s'adresse directement aux jeunes filles vierges, dans un passage
à tonalité lyrique : « O ieunes filles regardez icy à
vostre honneur, & vous rementeuez de ce que l'Apostre dit que vous portez
ce beau thresor de virginité en vaisseaux de terre, c'est à dire,
en vos corps fragiles, lesquels estans rompus & deflorez demeurent
irreparables, ne plus ne moins que le verre ou le vaisseau de terre. [...]
Regardez donc chastes pucelles de ne croirez à ces pipeurs qui vous
veule[n]t rauir ce beau thresor, qui vo[us] fait paroistre en toutes bonnes
compaignies la teste leuee & sans rougir, autreme[n]t vous perdrez ce que
tous les Roys Empereurs & Monarques ne sçauroie[n]t iamais vous
re[n]dre. Aussi le Poëte le dit bie[n], que la virginité est
irreparable, & ne se perd qu'vne fois. Ce qu'estant consideré par
vne ieune fille, elle deuint en si grande tristesse & mela[n]cholie d'auoir
perdu, par vn seul plaisir de si peu de duree ce gra[n]d thresor de
virginité, qu'elle en mourut de regret »261. Nous
pouvons nous demander dans quelle mesure la virginité est un état
qui paraît si enviable à Benedicti. Il semble qu'il soit fait un
parallèle entre la virginité des jeunes filles et la
virginité de l'Église elle-même. Ainsi, Dietrich von
Hildebrand affirme : « Seules les personnes qui lui ressemblent à
ce point de vue capital peuvent développer sans limites en
elles-mêmes la vie sainte de l'Église. C'est à cause de la
ressemblance et de la conformité avec l'Église vierge, la propre
épouse du Christ, que la virginité signifie d'une façon si
marquée la relation de chaque personne avec le Christ
»262. Saint Paul pense quant à lui que la femme vierge,
celle qui n'est pas mariée, est plus proche de Dieu que les autres. Il
dit : « la femme sans mari, comme la jeune fille, a souci des affaires du
Seigneur, elle cherche à être sainte de corps et d'esprit. Celle
qui s'est mariée a souci des affaires du monde, des moyens de plaire
à son mari »263. La vierge a plus de chances de se
préoccuper de Dieu, elle a donc plus de chances de trouver grâce
à ses yeux. La supériorité de la virginité est
réaffirmée par le concile de Trente, qui tente de combattre les
positions protestantes sur la question. Ces derniers ont notamment
rétabli la
261Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.133.
262Dietrich von HILDEBRAND, Pureté et
virginité, Paris, Desclée de Brouwer, 1947, p.140.
263Bible de Jérusalem, op. cit. [note
n°6], I Cor. VII, 34.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 76 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
possibilité de se marier pour les
prêtres264. Les pères de l'Église s'attachent
donc à défendre le célibat et la chasteté. Yvonne
Knibiehler souligne que la « virginité en soi ne fait l'objet
d'aucun débat, mais des signes forts révèlent qu'elle est
revalorisée dans la pastorale. Ainsi les vierges martyres des premiers
siècles sont-elles mises à l'honneur. L'Église encourage
les fouilles pour retrouver leurs ossements et organiser leur culte. Ici et
là, elles supplantent des saints locaux »265.
Les jeunes filles désirant rester vierges sont
invitées par Benedicti à vouer leur virginité à
Dieu afin de clarifier cette situation et de la sacraliser. Dans son paragraphe
sur les « voeus », Benedicti affirme que « la fille qui a fait
voeu de garder virginité & la garde, merite plus que celle qui l'a
garde sans l'auoir vouee », puis, « une vierge merite plus, estant en
religion, que celle qui demeure au monde »266. La
cérémonie de la consécration d'une vierge est essentielle
puisqu'elle permet de faire passer la jeune fille de l'autorité de son
père à l'autorité de l'évêque. En effet,
« sur le plan juridique, le voeu de chasteté porte atteinte
à l'autorité paternelle, puisqu'il empêche le père
de marier sa fille à son gré »267 remarque Yvonne
Knibiehler. Des noces mystiques sont donc organisées qui permettent
à la vierge de se soumettre à un nouvel homme. La
virginité peut cependant être une forme de résistance de
certaines filles à l'autorité paternelle. Elles y trouvent
parfois un refuge contre le mariage non désiré.
Les vierges ont plus de chances selon Benedicti de
réaliser l'idéal chrétien. Il soutient en effet «
qu'il est beaucoup plus facile à vne pucelle de garder co[n]tine[n]ce
qu'à vne veusue : plus facile à vne veusue qu'à vne qui
est mariee absente de son mary : plus facile à vn religieux qu'à
celuy qui est marié : plus facile à celuy qui n'a iamais
experimenté ce plaisir qu'à ceux qui l'ont appris
»268. Benedicti insiste sur le fait qu'il faut garder la vierge
dans l'innocence de sa condition. Au paragraphe traitant de l'«
attouchement », il conseille : « le sage & bien aduisse
confesseur pourra interroger prudemment sur cest articles les penitens d'aage
competent, & rarement les ieunes enfans, & sur tout les filles &
pucelle [sic], de peur de leur apprendre ou occasionner vn desir de
sçavoir le péché, qu'ils ignorent »269. De
plus, les jeunes filles semblent devoir être surveillées de plus
près que leurs frères, peut-être afin de vérifier
qu'elles sont toujours dans l'état d'innocence attendu. En effet, Jean
Benedicti pense « sous correction
264Si l'interdiction du mariage pour les
ecclésiastiques fait jour dès le IVe siècle,
les prêtres catholiques gardent l'habitude de se
marier jusqu'à la réforme grégorienne du
XIe siècle.
265Yvonne KNIBIEHLER, La virginité
féminine : mythes, fantasmes, émancipation, Paris, Odile
Jacob, 2012 (coll. Histoire),
p.114.
266Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.65.
267Yvonne KNIBIEHLER, La virginité
féminine..., op. cit. [note n°265], p.71.
268Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.344.
269Ibid., p.528.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 77 -
toutesfois, qu'il seroit bon de communier les filles enuiron
douze ans & les fils à 14.ans au plus tard, consideré que les
esprits sont auiourd'huy plus aigus que iamais »270. La peur
d'une déviance plus précoce de la jeune fille est-elle
présente ? Serait-elle considérée plus apte à
pécher, ce qui justifierait sa communion prématurée ?
L'auteur n'explique pas cette différence d'âge.
Si l'on cherche tant à préserver l'innocence de
la jeune fille, c'est aussi que celle-ci est constamment en danger, ce qui
transparaît dans les écrits de Jean Benedicti. La violence des
hommes sur les femmes est palpable dans son ouvrage et les allusions au viol
sont multiples. Georges Vigarello tient à souligner dès le
début de son Histoire du viol le « parallèle avec
la violence familière et quotidienne [...]. Le viol, dans la France
ancienne, est en cohérence avec l'ensemble d'un univers de violence
»271. Si la jeune fille est parfois accusée d'être
consentante voire tentatrice, cela n'est en aucun cas une excuse à sa
défloration selon Jean Benedicti. Ce dernier affirme en effet que «
la fille ne peut bonneme[n]t consentir à tel acte. Pourquoy : Pour
auta[n]t qu'elle n'est pas maistresse de son corps, de son honneur, ny de sa
virginité, non plus que de ses membres »272. Dans ce
même chapitre traitant du « stupre & defloration d'une pucelle,
espece de luxure », le franciscain développe sa pensée sur
le viol d'une jeune fille : « Qviconqve deflore vne fille vierge, &
rompt le seau de sa virginité, peche griefuement : car premierement il
des-honnore la fille : secondement, il est occasion qu'elle ne trouuera pas bon
mariage : tiercement il la met au desespoir & au chemin de perdition :
quartement il fait des-honneur au pere & mere, freres & soeurs, &
parens de la fille »273. Selon Yvonne Knibiehler, la «
défloration est perçue comme un acte magique : à la fois
blessure sanglante et révélation du plaisir, elle est
supposée provoquer une mue décisive de la femelle humaine.
Consciemment ou non, le mâle humain attend avec émotion, la
métamorphose de la fille en femme, et tout l'imprévu qui pourrait
s'ensuivre... »274. Cette atteinte à la virginité
de la jeune fille fait basculer son statut social. De la vierge
valorisée ne reste qu'une femme corrompue, prête à
pécher à nouveau du fait de ce premier acte sexuel. Jean-Louis
Flandrin remarque que le « choix - courant - du terme "corrompue" pour
qualifier la fille qui a perdu son pucelage est lui-même significatif
»275. Vigarello rappelle quant à lui que les «
victimes demeurent physiquement stigmatisées,
dépréciées comme un fruit corrompu, blessure d'autant
plus
270Ibid., p.232.
271Georges VIGARELLO, Histoire du viol
XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998 (coll.
L'univers historique), p.15.
272Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.132.
273Ibid., p.132.
274Yvonne KNIBIEHLER, La virginité
féminine..., op. cit. [note n°265], p.106.
275Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes :
XVIe-XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1993
(rééd.) (coll. Folio / Histoire), p.224.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 78 -
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maîtrise | juin 2013 - 79 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
grave que la virginité peut faire la différence
entre les femmes qui comptent et celles qui ne comptent pas
»276. L'expression « fruit corrompu » est très
forte et renvoie aux espoirs que pouvait placer la famille en ses enfants. Un
fruit « abîmé », « souillé », n'a plus
les mêmes chances qu'avant et prend donc un mauvais départ. En
effet la victime d'un viol est mise en marge de la société
d'Ancien Régime. C'est pourquoi il importe que restitution soit
faite.
La restitution fait souvent l'objet d'un accommodement entre
les parties. Georges Vigarello souligne « la volonté
d'éviter le recours à une justice trop lointaine ou
inquiétante en multipliant les procédés infrajuridiques
»277. Jean Benedicti revient par deux fois, et assez
précisément, sur les moyens accordés au séducteur
pour restituer son honneur et sa dignité à une jeune fille
violée. Au chapitre concernant le « stupre & defloration d'une
pucelle, espece de luxure », il affirme : « A tout le moins il est
obligé de la prendre à femme, si les parens la luy veulent
bailler : & s'ils ne veulent il la doit doüer, & luy donner aussi
bon mariage que si elle n'eust point esté violee : & outre cela
satisfaire aux parens. Que s'il ne la veut prendre il doit estre chastié
corporelleme[n]t selon les loix, outre le douaire qu'il luy doit bailler
»278. Puis, au paragraphe concernant la « Restitution des
biens de l'ame, du corps, de l'honneur, & de fortune », il aborde en
tout premier le cas de la pucelle déflorée : « Quant aux
biens de l'Esprit, celuy qui a seduit vne pucelle, il est tenu de la prendre en
mariage, ou s'il ne la peut prendre de luy bailler douaire compete[n]t qui a
acoustumé d'estre donné aux filles du pays, & s'il ne la veut
espouser, il doit estre puny corporellement. Et si c'est vn prestre, il faut
pareillement qu'il la douë, & qu'il soit puny. Que si la fille
à volontairement sans aucune deception279 consenty à
sa defloration, il ne sera point tenu au fait de la co[n]science de la
doüer selon aucuns : mais ouy bien au iugeme[n]t politique, auquel on
presume tousiours qu'elle à esté desbauchee. Et s'il dit qu'elle
n'estoit pas vierge il ne sera pas creu, (sinon qu'il en feist preuue
suffisante) car le droit presume qu'elle est pucelle puisqu'elle est en l'estat
: & ainsi on presumera tousiours qu'elle aura esté seduite : car
comme dit la loy, n'estoit la malice des ho[m]mes, vn si grand peché ne
se co[m]mettroit pas Voyez icy vous autres qui debauchez les ieunes filles,
sous couleur de les prendre en mariage, en quoy vostre conscience est obligee.
Que si les lois estoient bien obseruees vous seriez forbannis du pays, la
moytié de vos biens co[n]fisquez, & fustigez : & si vous les
auez rauis par force vous serez pe[n]dus au gibbet »280. En
cela, Jean Benedicti
276Georges VIGARELLO, op. cit. [note
n°271], p.39.
277Ibid., p.29.
278Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.132.
279Une déception est une tromperie, une
ruse.
280Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.697.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 80 -
semble suivre les décisions prises par l'ordonnance de
Blois de mai 1579, ordonnée par Henri III. En effet, l'article 42 de
cette ordonnance stipule que « ceux qui se trouveront avoir suborné
fils ou fille mineurs de vingt-cinq ans, sous pretexte de mariage ou autre
couleur, sans le gré, sçù vouloir ou consentement
exprès des pères, mères et des tuteurs, soient punis de
mort, sans espérance de grace et pardon : nonobstant tous consentemens,
que lesdits mineurs pourroient alléguer par après, avoir
donné audit rapt lors d'icelui ou auparavant [...] »281.
La peine de mort était donc autorisée dans ce cas, même si
elle semble avoir été très peu fréquente. La
dotation de la jeune fille était plus commune dans les cas où
cette dernière obtenait gain de cause. Selon Jean-Louis Flandrin, la
pression villageoise suffisait parfois à la réparation mais les
tribunaux jouaient aussi leur rôle en fixant le montant de la dot si la
jeune fille « établissait la vraisemblance de son accusation et
s'il [le séducteur] ne pouvait prouver qu'elle avait connu d'autres
hommes avant lui »282. Néanmoins, tous les historiens
soulignent que la jeune fille sortait souvent souillée d'un
procès où sa bonne foi était remise en cause, où un
examen délicat par une sage-femme lui était infligé mais
surtout où le regard était focalisé « sur la luxure
et le péché, aggravant sourdement la compromission de la victime,
un état d'indignité que la sentence pénale ne parvient pas
à effacer »283.
Il semble que Jean Benedicti pensait, comme la
société de son temps, qu'une jeune fille déflorée
allait suivre un chemin de débauche. Il écrit en effet : «
Celuy qui desbauche vne ieune fille, il peche doubleme[n]t, premiereme[n]t en
co[m]mettant le peché de luxure : secondement en faisant offenser ceste
pauure fille, & la mettant en voye de perdition »284.
Néanmoins, il semble qu'ait existé une sorte de commerce de la
virginité, ce que met en lumière Benedicti lorsqu'il dit : «
Item si le pere ou la mere, voulans vendre la pudicité de leur fille,
luy commandant de s'abando[n]ner pour leur gaigner quelque chose : la fille ne
leur doit aucunement obeir, ains plustost endurer la mort, quelque
pauureté que puissent auoir ses parens, & ainsi des autres enfans
»285. Aussi, si les parents et la famille de la victime d'un
viol sont atteints dans leur intégrité par cet acte, ils semblent
être parfois à l'origine d'un marchandage de cette denrée
rare qu'est la virginité. Le viol d'une vierge est dans tous les cas
dans La somme des pechez, et le remede d'icevx... soumis à
restitution et l'origine d'un discours désapprobateur car
281Ordonnance de mai 1579, citée dans
Georges VIGARELLO, op. cit. [note n°271], p.65.
282Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes..., op.
cit. [note n°275], p.292.
283Georges VIGARELLO, op. cit. [note
n°271], p.40.
284Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.113.
285Ibid., p.91.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
« il appert que ce n'est pas petit peché de
deflorer vne ieune pucelle, qui est le te[m]ple du sainct Esprit, &
l'honneur de ses parens »286.
Afin de soutenir les jeunes filles dans leurs efforts pour
sauvegarder leur virginité, Jean Benedicti met à leur disposition
un certain nombre de modèles et de repoussoirs. Yvonne Knibiehler
rappelle que les pucelles « sont bien présentes dans la
littérature hagiographique. Les exempla et les miracula, récits
destinés à l'édification des fidèles, invoquent de
préférence les témoignages de très jeunes filles :
dès leur douzième année, leur nom est
précisé, elles sont écoutées avec attention, leurs
paroles sont retranscrites »287. Le modèle le plus fort
qui est proposé aux jeunes filles est bien sûr celui de la Vierge
Marie, mère de Dieu qui a su préserver sa chasteté tout au
long de sa vie malgré sa grossesse. Les débats qui entourent le
mystère de la conception virginale de Marie sont très
présents dans l'ouvrage de Benedicti et notamment dans l' « Espitre
Dedicatoire » qui précède La somme des pechez, et le
remede d'icevx... Sur deux pages seulement de cette épître,
nous pouvons relever vingt-cinq mentions de la virginité de Marie ; ce
thème est une sorte de leitmotiv. En effet, cette conception virginale
du Christ pose problème au sein même de l'Église
catholique. Jean Benedicti relate l'histoire de Siméon, qui accueillit
Marie au temple lors de la présentation de Jésus. Il est de
coutume à l'époque de présenter les enfants au temple
quarante jours après l'accouchement. La femme, purifiée, peut
alors offrir son enfant avec des présents. Siméon « tomba en
doute, s'il estoit possible en nature qu'vne Vierge enfantast : encores
quelques uns adioustent qu'il effaça ce mot de Vierge, & y
mis le mot fille iusques à trois fois, mais autant de fois il
trouua le nom de Vierge remis en son lieu »288. Jean
Benedicti prend tout l'espace de cinq pages de son « Espitre Dedicatoire
» pour défendre la thèse de la virginité mariale. Il
commence son discours par un appel à tous ceux qui remettent en cause
cette virginité : « Or venez ça Payens, Iuifs, Epicuriens,
Athees & Heretiques, qui calomniez la religion Chrestienne, apprenez que ce
que nous croyons de la pudicité de la mere de nostre Dieu n'est pas tant
esloigné de raison, qu'on n'ait creu autres choses aussi difficiles que
celle-cy »289. Puis il recense toutes les mentions connues de
lui à propos de l'annonce d'une vierge enfantant ou à propos de
vierges qui ont enfanté selon les croyances attribuées à
chacun de ces groupes qu'il interpelle. Ce travail accompli, il peut
réaffirmer la grandeur de Marie, la femme la plus admirable selon ce
fervent
286Ibid., p.133.
287Yvonne KNIBIEHLER, La virginité
féminine..., op. cit. [note n°265], p.92.
288Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Espitre
Dedicatoire ». 289Ibid., « Espitre Dedicatoire
».
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maîtrise | juin 2013 - 81 -
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franciscain : « Voilà le premier miracle, ô
sacree Royne des Cieux, que nous remarquons, c'est que vous estes demeuree
vierge deuant l'enfantement, en l'enfantement, & apres l'enfantement
»290. Jean Benedicti réaffirme donc que Marie n'a pas
connu charnellement son époux Joseph : ce sont des époux
virginaux. Marie est restée vierge durant sa grossesse puisqu'elle a
été enfantée par l'Esprit saint. Enfin, Jésus
« sortit de sa mere comme les rayons du Soleil à trauers une vitre,
sans y faire ouuerture & fraction »291 : Marie est donc
toujours vierge après son accouchement. La figure de la Vierge Marie est
exaltée en de nombreux passages de l'oeuvre de Jean Benedicti et ce
dernier compte peut-être sur le renouveau des dévotions
consacrées à Marie pour faire d'elle un modèle de la
virginité accomplie. Yvonne Knibiehler souligne qu'à cette
époque « [l]'art baroque délaisse les représentations
de l'Annonciation et même celles de la Vierge à l'Enfant,
naguère si populaires ; il leur préfère l'image de
l'Immaculée Conception, où la Vierge est seule, Reine du Ciel,
plus vierge que mère »292.
Si la Vierge Marie est tant prise comme modèle,
d'autres jeunes femmes ont elles aussi ce rôle. Ainsi, il est important
de souligner que l'immense majorité des saintes approuvées par la
religion catholique sont de véritables vierges. Jean Benedicti fait
allusion à « saincte Catherine de Senes, & [...] saincte
Christine, lesquelles ne pouuoient endurer la puanteur des pecheurs &
pecheresses parlans & co[n]uersans auec eux » à l'image de la
Vierge Marie qui elle non plus « ne pouuoit co[n]uerser auec vne creature
en peché »293. En ce qui concerne l'histoire des vierges
citées par Benedicti, nous nous appuierons sur le texte de La
légende dorée, de Jacques de Voragine, afin de
connaître les croyances des gens du XVIe siècle
à leur propos. En effet, ce texte est l'une des oeuvres les plus
imprimées à l'époque. Jacques de Voragine, au
XIIIe siècle, s'est proposé de recueillir en cet
ouvrage l'histoire de tous les saints de la religion chrétienne. Son
oeuvre s'est véritablement imposée comme une
référence avant d'être mise quelque peu à distance
au XVIIe siècle. Sainte Catherine est citée comme une
personne très pieuse qui communie tous les jours294. Si elle
est appelée aux côtés de sainte Christine, c'est que toutes
deux entrèrent en religion contre le voeu de leurs parents. Elles
menèrent toutes deux une vie très pieuse faite de souffrances
physiques : sainte Catherine de Sienne du fait de ses pénitences
extrêmement sévères, sainte Christine par l'énergie
que mirent ses tyrans à essayer de lui faire abjurer la foi
chrétienne. Christine est une grande figure de vierge martyrisée.
Jacques de Voragine raconte ses multiples supplices : son père lui
fait
290Ibid., « Espitre Dedicatoire
».
291Ibid., « Espitre Dedicatoire
».
292Yvonne KNIBIEHLER, La virginité
féminine..., op. cit. [note n°265], p.114.
293Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.27.
294Ibid., p.236.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
déchirer les chairs et rompre les membres puis il la
fait attacher à une roue et allume un bûcher sous son corps, il
tente même de la jeter à la mer avec une pierre au cou. Elius, qui
devient son bourreau à la mort de son père, « la fit plonger
dans une chaudière allumée avec de l'huile, de la résine
et de la poix ; et il ordonna à quatre hommes de secouer la
chaudière, pour activer la flamme »295. Son dernier
tyran fut Julien, qui la fit plonger dans une fournaise ardente, lui trancha
les seins, « d'où jaillit du lait au lieu de sang
»296 puis lui coupa la langue avant de la faire transpercer de
flèches297. « [C]este bonne Vierge S. Christine
deplorant la corruption des corps humains »298 est un
modèle tout trouvé de persévérance dans sa foi et
dans ses convictions pour de jeunes demoiselles en quête d'un
idéal. Benedicti fait aussi référence à sainte
Marthe299, vierge qui accueillit chez elle le Christ lui-même.
En développant assez longuement l'histoire de sainte Marine, le
franciscain fait l'apologie de la patience qui caractérise les personnes
réellement pieuses. Il raconte en effet comment cette vierge,
placée en temps que garçon chez les moines par son père,
fut faussement accusée de la paternité de l'enfant d'une
villageoise mais récompensée de sa longue patience par la
reconnaissance tardive de son innocence : « car on trouua apres sa mort
qu'elle estoit fille & pucelle, & par conseque[n]t qu'vne fille ne
pouuoit pas auoir engrossé vne fille : & le tout fut descouuert
à la grande confusion de ses ennemis : car quoy qu'on attende, Patience
finalement gaigne »300. Enfin Benedicti assure que les jeunes
filles vierges peuvent compter sur le soutien de la Vierge Marie dans les
épreuves qui les attendent. Il attribue en effet la fin heureuse de
l'histoire de sainte Justine à l'intervention de Marie. Le mage Cyprien,
figure du séducteur peu scrupuleux, tente de s'attirer les bonnes
grâces de Justine, qui repousse ses attaques grâce au signe de
croix. La virginité de la jeune fille est mise en valeur dans le manuel
de confession de Jean Benedicti et « l'intercessio[n] de la glorieuse mere
de Dieu »301 est soulignée par deux fois : à ce
moment mais aussi dans l'« Espitre Dedicatoire » où Benedicti
interpelle la Vierge Marie ainsi : « saincte Iustine, que vous deliurastes
des charmes & enchantemens de Cyprian »302. Il semble donc
que les jeunes filles désireuses de persévérer dans leur
foi peuvent trouver des modèles dans
295Jacques de VORAGINE, La légende
dorée, Paris, Seuil, 1998 (rééd.) (coll. Points
Sagesses), p.351.
296Ibid., p.352.
297Le martyre est considéré comme un
« témoignage ». Sylvie Barnay affirme que le « martyr est
identifié au Crucifié, son sang
versé au sang versé par le Christ sur la Croix
». Les nombreux supplices endurés par les saints sont
justifiés par le lien qu'ils
créent avec Dieu. Ce sont des modèles à
contempler et à vénérer. (Sylvie BARNAY, Les Saints :
des êtres de chair et de ciel,
Paris, Gallimard, 2004 (coll. Découvertes Gallimard,
Religions)).
298Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.142.
299Ibid., « Espitre Dedicatoire
».
300Ibid., p.361.
301Ibid., p.50.
302Ibid., « Espitre Dedicatoire
».
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maîtrise | juin 2013 - 83 -
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les saintes dont elles connaissent les histoires mais aussi
une protection auprès de la plus sainte des femmes dans le discours de
Benedicti, la Vierge Marie.
Jean Benedicti mêle aussi à son discours des
figures qui doivent servir de repoussoir aux jeunes filles qui seraient sur le
point de pécher. Ainsi, il met en scène une jeune fille en danger
de pécher mortellement : « la pucelle qui desire sçauoir,
combien la delectation charnelle est grande, & cherche les moye[n]s de le
sçauoir, toutesfois sans volo[n]té d'auoir co[m]pagnie d'ho[m]me,
elle peche. Et si elle a le vouloir d'accomplir l'oeuure, pour en auoir
l'experience, elle commet deux pechez, l'vn de curiosité & l'autre
de luxure. Et si elle met la volonté en effect, c'est encores plus
gra[n]d peché »303. Les filles de Loth, figures
bibliques, sont elles aussi prises en exemple comme de mauvaises vierges
puisqu'elles n'ont pas foi en Dieu. Selon Benedicti, c'est en effet du fait
qu'elles « pensoient, voyans Sodome & Gomorre abismees, que le monde
estoit finy »304 qu'elles couchèrent avec leur
père, pensant perpétuer une espèce qui leur semblait en
danger. Néanmoins, elles commettent l'inceste, fortement
dénoncé par l'Église. Ces deux jeunes filles sont donc un
contre-exemple de l'espérance que tout croyant devrait placer en Dieu.
Enfin, Benedicti s'appuie sur la parabole des dix vierges pour mettre en garde
les jeunes filles. Cette parabole fait référence à une
coutume qui voulait que dix jeunes filles vierges raccompagnent les
époux nouvellement mariés chez eux où a lieu une grande
fête en l'honneur de leur union. Dans cette histoire racontée par
Matthieu (25, 113), dix jeunes vierges attendent donc le passage de
l'époux. Lorsque ce dernier arrive enfin, en retard, cinq des vierges
n'ont déjà plus assez d'huile pour l'éclairer sur le
chemin du retour. Seules les cinq vierges sages, qui avaient prévu de
l'huile en quantité, sont invitées à partager la
fête en l'honneur du mariage. Benedicti fait un parallèle entre un
vendeur d'huile et un séducteur qui cherche à inciter une jeune
fille à pécher : « les flatteurs sont les vendeurs d'huile,
qui deceurent & tromperent les cinq vierges folles »305. Il
peut être remarqué que dans la parabole de Matthieu, les vendeurs
d'huile ne sont pas présents, les cinq vierges folles, qui ont
oublié de se munir d'huile pour la veillée, ne doivent s'en
prendre qu'à elles-mêmes : elles sont exclues de la fête du
mariage du fait de leur manque de préparation. Ici, Jean Benedicti
introduit un nouveau paramètre : les cinq vierges folles auraient pu,
non pas seulement oublier de se munir d'huile, mais être trompées
par les vendeurs d'huile qui prennent un visage de séducteur. De
même, quelques pages plus tôt, Benedicti forgeait
déjà les traits de cette nouvelle parabole en affirmant : «
Or ceux qui s'addonne[n]t au plaisir d'iceux [des sens] sont les
303Ibid., p.249.
304Ibid., p.451. 305Ibid., p.530.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
cinq folles vierge [sic] qui sont
forcluses306 du Royaume celeste, lesquelles seront tourmentees par
les mesmes cinq sens és prisons infernales »307. Le
franciscain semble ici se réapproprier une parabole biblique en la
travaillant selon le message qu'il désire faire passer auprès des
vierges de la société du XVIe.
Malgré la place laissée à la figure de
la vierge dans La somme des pechez, et le remede d'icevx, la
majorité des jeunes filles au XVIe siècle suivent les
voies du mariage. Cette union semble être pour Jean Benedicti l'issue la
plus naturelle pour une jeune fille. En effet, il présente le «
mariage de quelque pauure orpheline »308 comme un acte
charitable capable de racheter un voeu qu'on a fait sans pouvoir l'accomplir.
Or le franciscain est extrêmement sévère avec ceux qui ne
tiennent pas leurs voeux. De même, il affirme que « marier les
pauures filles »309 est possible pour le pécheur qui
souhaite faire pénitence. Ce mariage lui permettrait d'être
libéré du poids de son péché. Il semble donc que,
tout du moins pour les gens de basse catégorie, les pauvres, le mariage
soit une voie vers le salut, ce qui pourrait arriver de mieux à une
jeune fille guettée par le désespoir et, peut-être, par la
tentation du péché. Sous l'Ancien Régime, le mariage
était une sorte d'échange, un pacte entre les familles. C'est
pourquoi Jean Benedicti trouve mal placé pour un jeune homme de refuser
de « prendre la femme sage & ho[n]neste que son pere luy veut bailler,
& signamment pour quelques bons respects, comme de faire paix & accord
entre les maisons & familles, assopir les vielles [sic] querelles
»310. Jean-Louis Flandrin souligne quant à lui que
« [d]ans le français d'autrefois, les mots "alliance" et "mariage"
étaient quasiment synonymes, ce qui ne saurait être sans
signification. La fonction politique du mariage, primordiale dans la plupart
des sociétés, l'était aussi dans l'aristocratie
européenne - c'est évident - et elle n'était sans doute
pas ignorée dans des milieux plus modestes »311. Au vue
de cette fonction attribuée au mariage, de nombreuses personnes essaient
de le réglementer.
L'Église au XVIe siècle entame un
bras de fer avec le pouvoir royal français sur cette question. Les rois
successifs tentent d'imposer leur juridiction concernant les modalités
du mariage. La papauté quant à elle résiste et veut
montrer qu'elle est la véritable autorité en la matière.
Tout commence en 1556 alors que Diane de France, fille légitimée
du roi Henri II, doit épouser François de Montmorency, fils d'un
puissant
306Forclore signifie exclure, écarter
quelqu'un de quelque chose.
307Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.523.
308Ibid., p.75.
309Ibid., p.658.
310Ibid., p.93.
311Jean-Louis FLANDRIN, Les amours
paysannes..., op. cit. [note n°275], p.31.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 85 -
connétable, c'est-à-dire du chef souverain des
armées de France. Or, la veille du mariage, on apprend que ce dernier
avait déjà épousé en secret Jeanne de Halluin,
demoiselle de Piennes et fille d'honneur de la reine Catherine de
Médicis. Jacques Poumarède explique : « Sous l'effet du
scandale, et face au refus opiniâtre du pape Paul IV d'accorder une
dispense pour non consommation du mariage, Henri II fit publier l'édit
de février 1556 sur les "mariages clandestins" qui pose le principe
d'une majorité matrimoniale de trente ans pour les fils et de vingt-cinq
ans pour les filles. [...] À titre de sanction, l'édit permettait
aux parents d'exhéréder les enfants mariés sans leur
consentement, et envisageait même contre les coupables et leurs complices
des peines laissées à l'arbitraire des juges
»312. Or le « droit canon313 avait fait du
mariage un contrat consensuel, fondé donc sur le seul consentement des
époux, pour diminuer le nombre des unions illicites en facilitant la
conclusion du mariage »314. Il existe alors une friction, une
distorsion entre la juridiction de l'Église et celle que tente d'imposer
le pouvoir royal français, entre le droit canonique et le droit civil.
Cela se ressent grandement dans La somme des pechez, et le remede
d'icevx. En effet, Jean Benedicti est nourri de ces deux juridictions et
ne semble pas à première vue avoir tranché en faveur de
l'une plus que l'autre.
Ainsi, le franciscain affirme à la fois le pouvoir du
père et plus largement des parents dans le mariage de leur fille mais
aussi l'importance du consentement de cette dernière. Benedicti affirme
au début de son ouvrage : « l'enfant est tenu de pre[n]dre la femme
que son pere luy a choisie, quand elle est digne de luy. Et iaçoit que
le pere ne puisse des-heriter sa fille qui se marie à son plaisir
co[n]tre sa volonté, toutesfois elle peche en cela, à raison de
son inobedience enuers le pere, & le peu de respect qu'elle luy porte.
Voire mais les mariages des enfans de famille contractez contre le gré
& consentement de leurs peres, sont-ils vallables ? »315.
En ces quelques phrases, Benedicti soulève les problèmes
discutés à son époque. Il dit savoir que les familles ne
peuvent déshériter leur fille si elle leur a
désobéi en choisissant son époux alors qu'il cite
l'édit de 1556 qui stipule « Nous auons dit, statué, &
ordonné, disons, statuons & ordonno[n]s per edict, loy, statut,
& ordonnances perpetuels & irreuocables que les enfans de famille ayans
contracté, & qui contracteront cy apres mariages cla[n]destins
contre le gré, vouloir & consentement, & au desceu de leurs
peres & meres, puissent pour telle
312Lucien BELY (dir.), op. cit. [note
n°46], article « Mariage ».
313Le droit canon ou canonique est l'ensemble des
lois adoptées par l'Église catholique auxquelles doivent se
conformer tous les croyants. Depuis l'avènement du pouvoir royal, le
droit canon se heurte au désir des rois de définir
eux-mêmes les lois dans leur royaume.
314Jean-Claude BOLOGNE, Histoire du mariage en
Occident, Paris, Hachette, 1995 (coll. Pluriel), p.213.
315Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.94.
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mémoire | juin 2013 - 86 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 87 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
irreuerence & ingratitude, mespris & contemnement de
leurs dits peres & meres, transgression de la loy, & commandement de
Dieu, & offense contre le droit de l'honnesteté publique,
inseparable d'auec l'vtilité, estre par leurs dicts peres & meres,
& chacun d'eux exheredez & exclus de leurs successions, sans esperance
de pouuoir quereller l'exheredation que ainsi aura esté faite
»316. Benedicti pose aussi la question de la nullité des
mariages faits sans le consentement des parents. Il souligne que « la
question est fort agitee par plusieurs, Iurisconsultes & Theologie[n]s,
entre lesquels il y en a qui tiennent que ce n'est point mariage, les autres en
douttent fort, & croient plustost que le mariage est nul qu'autrement. Ie
mettray icy en bref leurs raisons et puis j'e[n] bailleray la resolution
»317. Il commence par affirmer qu'au « nouueau Testament
il est dit qu'il est en la volonté du pere de marier sa fille, ou de la
garder ainsi »318. Puis il cite « le decret d'Euariste
Pape par cy deuant allegué, qui dit, le mariage n'estre legitime si la
fille n'est demandee à ceux qui sur elle ont seigneurie & puissance,
comme sont les parens, & les nopces autrement contractees doyuent estre
appellees adulteres, stupres & fornications »319. Il en
arrive donc à la conclusion que « personne n'attente de rauir ou
prendre la fille d'autruy, sans le consentement de ses parens
»320. À ce point de sa démonstration, il
insère le décret promulgué par Henri II en 1556
déclarant qu'une fille sous l'âge de vingt-cinq ans ne peut se
marier sans l'accord de ses parents. Il faut ici remarquer que, tout comme pour
l'âge de la première communion, la jeune fille est soumise plus
précocement que ses frères à certains devoirs ou obtient
plus tôt qu'eux certains droits. De même, elle peut se marier
à « [v]nze ans & demy au moins » tandis qu'un jeune homme
doit patienter en quelque sorte jusqu'à « treize ans & demy
»321. La conclusion de Benedicti est donc qu'« il n'y a
aucun doutte que tels enfans qui n'estans encores emancipez, se marient ainsi
contre la volonté de leurs parens n'offensent mortellement, comme ie
l'ay dit au lieu cotté : mais quant au second, à sçauoir
si le mariage ainsi contracté demeure valide, ie dy que ouy, sans qu'il
se puisse aucunement ro[m]pre, ne separer, au moyen qu'il ayt esté
celebre par vn prestre en presence de tesmoings »322. Le
franciscain semble donc se ranger à l'avis de l'Église et
finalement nier la nullité d'un mariage clandestin que veut obtenir
à tout prix le pouvoir royal français. Il pourrait
s'arrêter là et pourtant, il réintroduit l'idée du
libre consentement des enfants qui vont se marier en citant « le Pape
Luce, qui declare celuy qui a raui vne
316Ibid., p.480.
317Ibid., p.479. 318Ibid., p.479.
319Ibid., p.480. 320Ibid., p.480.
321Ibid., p.473. 322Ibid., p.481.
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mémoire | juin 2013 - 88 -
femme & l'a espousee de son consentement ne deuoit estre
appellé rauisseur, puis qu'il a le consentement de la femme : & dit
que c'est vray mariage, encores que les parens y contredisent. Voilà vne
constitution Canonique qui doit preualoir à la ciuile en matiere de
mariages : la connoissance desquels appartient à l'Eglise & non pas
au Magistrat. L'escriture monstre que le consentement de ceux qui se marient
est requis, comme il se lit des parens de Rebecca qui dirent qu'il failloit
auoir le consentement de la fille pour faire le mariage : & l'Apostre le
monstre clairement aux Corinthie[n]s »323. Ainsi, malgré
un discours qui se veut assez consensuel, Jean Benedicti réaffirme la
primauté des canons de l'Église sur les lois civiles et il tente
de clore le débat sur ces mots : « Et ne me faut alleguer les loix
ciuiles : car en ce point elles cedent au droit Ecclesiastique
»324.
Le manuel de confession présente les
différentes étapes qui doivent rythmer le mariage de deux jeunes
gens : « il faut, à fin que le mariage soit legitime, que celuy
qui veut auoir la famme en mariage qu'il la demande à ses parens, &
ceux qui ont charge d'elle : & puis au temps des nopces qu'elle soit
beniste (auec son mary) par le prestre, comme nous l'auo[n]s appris
des Apostres & de leurs successeurs : & puis faut que le mary & la
femme vaque[n]t deux ou trois iours à prieres & oraisons deuant que
de coucher ense[m]ble, afin qu'ils engendrent des enfans beaux & agreables
à Dieu. Que si les mariages se contractent autrement, sçachez
qu'ils sont plustost adulteres & fornicatio[n]s, que vray mariage, &c
»325. Jean Benedicti n'offre aucune description plus
précise de la cérémonie qui se déroule dans
l'église, de l'échange de voeux entre les mariés et du don
d'un anneau du mari à sa femme. Le franciscain n'insiste pas non plus
sur les récents traités qui imposent la présence de
témoins lors du mariage. Ainsi, la XXIVe session du concile
de Trente, du 11 novembre 1563 avait insisté sur la
nécessité de la présence d'un curé et de deux
témoins, sorte de concession au pouvoir royal français.
Néanmoins, les articles du concile de Trente n'ont jamais
été reçus en France, du fait des grandes tensions existant
entre la papauté et la royauté. Une ordonnance royale s'inspire
cependant du décret conciliaire : « La grande ordonnance de
réformation dite de Blois (1579), prise à la suite des
États du même nom, exigea (art.40) la publication préalable
de trois bans successifs, sans qu'aucune dispense ne puisse être
accordée, sauf motif légitime, puis une célébration
par le curé devant quatre témoins, et non pas deux seulement
»326.
323Ibid., p.481-482.
324Ibid., p.482.
325Ibid., p.456.
326Lucien BELY (dir.), op. cit. [note
n°46], article « Mariage ».
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maîtrise | juin 2013 - 89 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Benedicti s'intéresse surtout aux questions de dot mal
acquise ou aux raisons de casser des fiançailles. Ainsi, il affirme par
deux fois la nécessité de restituer une dot acquise grâce
à un père usurier : « la fille qui a receu son douaire que
son pere luy a donné de ses vsures est tenuë à restitution,
elle & son mary, s'ils sçauent bien que cela est mal acquis
»327 dit-il. Puis, il réaffirme : « la fille qui a
receu douaire de son pere, sçacha[n]t bien qu'il est acquis par vsure,
& que son Pere n'a aucun moyen de restituer, tant elle que son mary, sont
obligez à restituer »328. Ces deux allusions à la
dot, ou douaire, d'une fille mettent en relief le problème que cette
dernière constituait dans les familles, quel que soit leur degré
d'aisance. Afin de conserver intact le patrimoine foncier, une somme d'argent
était donnée à la jeune épouse. Or, s'il y avait
trop de filles dans une même famille, cela déséquilibrait
les plans de leurs parents. Le placement des cadettes, ou des filles les moins
gracieuses, dans des couvents était une pratique fréquente dans
les hautes strates de la société afin de libérer des
possibilités financières pour marier les autres filles. Jean
Benedicti tente aussi de réguler la pratique des fiançailles.
Ainsi, il développe longuement les possibilités offertes à
un homme qui « par faintise a ainsi contracté »329
de se dégager de ses promesses. Ce dernier devra réparer
l'honneur de la demoiselle à qui il a promis le mariage et les jeunes
gens devront se présenter à un confesseur qui seul pourra
décider s'ils sont aptes à se remarier chacun de leur
côté. Dans ce passage, nous pouvons retrouver un des arguments
utilisés par les séducteurs pour obtenir les faveurs d'une jeune
fille. En effet, Benedicti dit : « une autre coniecture, est quand il y a
grande disparité entre luy & la femme, comme s'il est gentilhomme
riche & opulent, & la femme soit roturier, pauure ou de bas estat, de
sorte qu'il est vray semblable qu'il n'a iamais eu intention de l'espouser,
sinon pour auoir iouissance d'elle : ce que arriue souuent entre ces
gentilshommes & gens riches qui dissimulent de contracter mariage auec les
filles des marchands & laboureurs, à fin de iouyr de leur
beauté »330. La jeune fille n'a ici qu'un rôle
secondaire puisqu'il revient à l'homme qui lui a promis le mariage de
faire les démarches s'il veut casser les fiançailles. Jean
Benedicti n'adopte pas de plus un ton réellement désapprobateur
face à ces hommes qui promettent le mariage afin de coucher avec une
jeune fille. Cela peut dénoter une certaine banalité ce qui est
visible dans l'ouvrage de Jean-Louis Flandrin Les amours paysannes :
XVIe-XIXe siècle. En effet, l'auteur y montre
la fréquence de telles déclarations dans les archives judiciaires
: afin d'obtenir dédommagement pour les frais de grossesse, les
327Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.318.
328Ibid., p.706. 329Ibid., p.473.
330Ibid., p.473.
jeunes filles déclarent souvent que leur
séducteur leur avait promis le mariage331. Le jeune homme
peut aussi faire marche arrière s'il « connoit auoir fiancé
vne corrompuë, laquelle il pensoit estre vierge, ou la trouue heretique,
sorciere ou magicienne, il n'est pas tenu de la prendre, nonobsta[n]t les
fia[n]çailles »332. Se trouvant dans la situation
inverse, la jeune fille ne semble pas avoir son mot à dire. Ici
réapparaît le thème de la virginité, finalement
indissociable du mariage. En effet, selon Yvonne Knibiehler, « [d]ans le
cadre du mariage chrétien, déflorer une épouse vierge est
le droit et le devoir du mari durant la nuit de noces. Ce n'est pas une simple
prise de possession de la femme par l'homme, c'est la confirmation charnelle
d'une union sacrée, bénie par Dieu, indissoluble. C'est
l'inauguration de la vie d'un couple qui se propose de procréer
»333. Virginité et mariage semblent se rejoindre pour
inaugurer une nouvelle vie, celle d'une femme mariée.
LA FEMME ET L'HOMME.
Dans l'ouvrage de Benedicti, la place de la femme est
essentiellement déterminée à l'aune de celle qu'occupe
l'homme. La somme des pechez, et le remede d'icevx traite avec
insistance de ce couple qui semble à tout moment pouvoir glisser sur la
pente du péché. Nous pouvons aussi penser que, lorsque le
franciscain écrit son oeuvre, il se la représente à
destination de la composante la plus naturelle de la société de
son temps : le couple catholique. Jean Benedicti aborde cette relation homme -
femme sous quatre aspects que nous développerons ci-après. Nous
verrons tout d'abord comment ce dernier insiste longuement sur les droits et
devoirs de la femme mariée. Mais le couple se décline aussi sous
d'autres facettes que nous étudierons : la femme adultère semble
particulièrement crainte tandis que la concubine est quasiment
exclusivement abordée dans sa relation avec des gens d'Église.
Enfin, nous mettrons en lumière la vision qu'a Benedicti du
problème spécifique que pose la veuve : désormais
maîtresse provisoire de ses biens, cette femme « libre »
saura-t-elle vivre décemment sans la tutelle d'un homme ?
Droits et devoirs de la femme mariée.
La femme mariée peut entamer une nouvelle existence,
qui ne semble pas moins dangereuse que celle de la vierge. Passée sous
la tutelle de son mari, elle reste un être
331Jean-Louis FLANDRIN, Les amours
paysannes..., op. cit. [note n°275], p.283-284.
332Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.475.
333Yvonne KNIBIEHLER, La virginité
féminine..., op. cit. [note n°265], p.105.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 90 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
inférieur à qui Jean Benedicti rappelle les
nombreux devoirs. Néanmoins, ce dernier n'hésite pas à lui
accorder certains droits qui relativisent quelque peu cette position de
soumission extrême dans laquelle nous imaginons la femme du
XVIe siècle. Malgré ces concessions, nous verrons dans
un premier temps qu'une majorité des références que le
franciscain fait à la femme mariée est tournée vers son
rapport au sexe. Nous nous pencherons ensuite sur la question de la faiblesse
supposée de la femme, qui doit entraîner sa sujétion
à tout prix. Enfin, nous montrerons que de cette faiblesse
découlent des devoirs mais aussi des droits que Benedicti accorde plus
libéralement que bien des hommes de son temps.
La femme a toujours été perçue comme un
être ambivalent. Jean Delumeau donne cette explication à la
méfiance exprimée envers cette dernière : « Mal
magnifique, plaisir funeste, venimeuse et trompeuse, la femme a
été accusée par l'autre sexe d'avoir introduit sur terre
le péché, le malheur et la mort. Pandore grecque ou Ève
judaïque, elle a commis la faute originelle en ouvrant l'urne qui
contenait tous les maux ou en mangeant du fruit défendu. L'homme a
cherché un responsable à la souffrance, à l'échec,
à la disparition du paradis terrestre, et il a trouvé la femme.
Comment ne pas redouter un être qui n'est jamais si dangereux que
lorsqu'il sourit ? La caverne sexuelle est devenue la fosse visqueuse de
l'enfer »334. La femme qui sécrète tous les mois
du sang par cette même « caverne sexuelle », dont le corps se
déforme sous l'effet de la grossesse, qui donne la vie à un
nouvel être et qui pourra nourrir son bébé grâce au
lait qu'elle produit ne pouvait-elle pas n'être qu'une personne
mystérieuse et inquiétante ? Le sang, qui dans beaucoup de
civilisations symbolise l'impureté, lui interdit de participer trop
activement à certains cultes. Son rapport à la vie, qu'elle
donne, mais aussi à la mort, dont elle semble plus proche, l'ont
repoussée du côté de la nature tandis que l'homme
s'attribuait la sagesse, la raison. Sa proximité avec la nature la
laisse nécessairement plus gouvernée par ses instincts que
l'homme. Les médecins de l'Antiquité attribuent à sa
« matrice » une vie propre qu'elle-même ne peut contenir. Et
d'après eux, cette matrice incontrôlable peut subitement se
trouver assoiffée de sexe. Ainsi, Jean Delumeau précise : «
Dans l'inconscient de l'homme la femme suscite l'inquiétude, non
seulement parce qu'elle est le juge de sa sexualité, mais encore parce
qu'il l'imagine volontiers insatiable, comparable à un feu qu'il faut
sans cesse alimenter, dévorante comme la mante religieuse
»335. Le discours que tiennent les gens d'Église peut
parfois sembler terroriste
334Jean DELUMEAU, La peur en Occident,
Paris, Fayard, 1978 (coll. Pluriel Histoire), p.403.
335Ibid., p.402-403.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 91 -
envers la femme mais il faut rappeler que ces derniers ont
fait voeu de continence et que la femme représente, presque
nécessairement, une menace, une tentation incessante.
Jean Benedicti aborde assez longuement les questions de
sexualité au sein du couple. Rappelons dans quel cadre ces rapports
sexuels pouvaient se dérouler au XVI e siècle. Les
conjoints ne se sont pas forcément choisis l'un l'autre et, du moins
dans les couches les plus aisées de la société, ne se
connaissent pas encore très bien. L'écart d'âge peut
être important. Le mariage doit être consommé pour
être reconnu. Marcel Bernos rappelle que, même « [e]n
l'absence de témoignages nombreux et précis sur les gestes
communs de l'amour ordinaire, [...] l'impression domine, selon une formule de
Jacques Solé, que les actes conjugaux sont "relativement rares, brefs et
privés de chaleur" »336. Le mari est censé faire
l'éducation sexuelle de sa femme, ce qui est plus facile si cette
dernière est assez jeune, mais, comme le rappelle Maurice Dumas, «
en matière de sexualité, les conseils qu'on lui adresse se
résument à la nécessité de modérer ses
propres ardeurs »337. Jean Benedicti tente donc de parer aux
dangers potentiels auxquels les femmes sont exposées dans ce « lieu
occupé par les forces du mal »338 qu'est le lit conjugal
en délimitant précisément les conditions de l'acte sexuel.
Afin de voir quels conseils donne Benedicti aux couples, nous suivrons point
par point son chapitre intitulé « De l'excez des gens mariez
».
Jean Benedicti rappelle tout d'abord la position de saint
Paul. Ce dernier affirme : « Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la
femme. Toutefois, en raison du péril d'impudicité, que chaque
homme ait sa femme et chaque femme son mari. Que le mari s'acquitte de son
devoir envers sa femme, et pareillement la femme envers son mari. La femme ne
dispose pas de son corps, mais le mari. Pareillement, le mari ne dispose pas de
son corps, mais la femme. Ne vous refusez pas l'un à l'autre ; si ce
n'est d'un commun accord, pour un temps, afin de vaquer à la
prière ; puis reprenez la vie commune, de peur que Satan ne profite,
pour vous tenter, de votre incontinence ». Il ajoute « mieux vaut se
marier que de brûler »339. Ce passage a une très
grande importance dans la doctrine chrétienne du mariage puisqu'il
institue le devoir de mariage et qu'il reconnaît une sorte de
nécessité physique à l'acte sexuel. Benedicti explicite
immédiatement ce propos en affirmant : « il ne s'e[n]suit pas
toutesfois qu'il doiuent commettre aucu[n]s excez en leur mariage qui desplaise
à Dieu »340. Le franciscain prend ici en modèle
Sarra. Cette
336Marcel BERNOS, « Le temps des mises en
ordre », dans Le fruit défendu : les chrétiens et la
sexualité de l'Antiquité à nos jours, Marcel BERNOS,
Charles de LA RONCIERE, Jean GUYON, Philippe LECRIVAIN, Paris, LE Centurion,
1985 (coll. Chrétiens dans l'histoire), p.160.
337Maurice DUMAS, Le mariage amoureux : histoire
du lien conjugal sous l'Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 2004,
p.135. 338Ibid., p.134.
339Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], I Cor. VII, 1-9.
340Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.150.
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Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 93 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
jeune femme, qui est veuve de sept époux sans
même avoir eu le temps de les connaître, finit par épouser
le valeureux Tobie. Benedicti rappelle que le démon Asmodée est
responsable de la mort des époux successifs de Sarra. Il
interprète l'action du démon pour appuyer son propos. En effet,
tandis que les raisons d'Asmodée ne sont pas développées
dans le texte biblique341, Benedicti affirme qu'il « tua les
sept marys de la ieune dame Sara, à raison qu'ils l'auoient espousee,
plustost pour vaquer à leur concupiscence & appetis desordonnez,
comme bestes brutes, que pour auoir lignee »342. Nous ne savons
pas si cette interprétation était commune à
l'époque mais il est intéressant de remarquer qu'ici « ce
diable Asmodee » semble avoir horreur du péché et va
jusqu'à commettre plusieurs meurtres pour protéger l'honneur
d'une jeune mariée vertueuse. Quelques lignes plus loin, le franciscain
détourne à nouveau un texte biblique pour appuyer son propos. Il
affirme que le prophète Osée a dit : « Pour-autant [...]
qu'ils ont esté impudiques en leurs amours, ie feray que les femmes
seront steriles, ou que si elles viennent à conceuoir, elles
enfantero[n]t des mo[n]stres & ie leur tariray les mammelles, &c
»343. La note à laquelle renvoie l'astérisque mis
devant le mot « Prophete » invite le lecteur à se
référer à « Osee c. 9. ». Or dans ce passage, si
Osée annonce effectivement une punition divine impliquant « plus
d'enfantement, de grossesse, de conception [...] des entrailles stériles
et des seins desséchés »344, il s'agit du crime
d'idolâtrie qui est en cause et non celui d'incontinence. Nous voyons ici
que Benedicti adapte assez librement la Bible pour illustrer son propos.
Il semble néanmoins que son premier conseil soit la
modération. Tout rapport doit être mesuré en vue de son but
ultime : la procréation. Jean Benedicti conseille : « il ne faut
pas que l'ho[m]me vse de sa femme comme d'vne putain, ne que la femme se porte
enuers son mary, comme auec vn amoureux : car ce sainct Sacrement de mariage se
doit traicter auec toute honnesteté & reuerence
»345. Nous pouvons ici rapprocher ce propos de ce que pense un
contemporain, Michel de Montaigne. Ce dernier affirme en effet à la
même époque : « Aussi est-ce une espèce d'inceste
d'aller employer à ce parentage vénérable et sacré
les efforts et les extravagances de la licence amoureuse. Il faut, dit
Aristote, toucher sa femme prudemment et sévèrement, de peur
qu'en la chatouillant trop lascivement le plaisir la fasse sortir hors des
gonds de raison. Ce qu'il dit pour la conscience, les médecins le disent
pour la santé : qu'un plaisir excessivement chaud, voluptueux et assidu
altère la semence et empêche la conception. [...] Aucune
341Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Tobie, 3, 8.
342Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.
343Ibid., p.151.
344Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Osée, 9, 11-14.
345Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.
femme ne voudrait tenir lieu de maîtresse et d'amie
à son mari. Si elle est logée en son affection comme femme, elle
y est bien plus honorablement et sûrement logée
»346. Nous voyons ici que les religieux ne sont pas en
opposition avec les pensées de l'époque.
Benedicti aborde ensuite la question des positions sexuelles
acceptées ou non. Le rapport sexuel devant avoir pour but premier la
procréation, il doit la faciliter par tous les moyens. Le cas contraire,
il ne s'agirait que de chercher la volupté, ce qui est un
péché en soi. Scarlett Beauvalet affirme que cette question de la
« position naturelle » est « toujours posée lors de la
confession »347. Selon elle, « les clercs n'en admettent
qu'une seule, qui met l'homme au-dessus de la femme allongée sur le dos.
[...] Outre l'intérêt de faciliter la procréation, cette
position est symbolique de la domination masculine et rappelle le cycle naturel
de la terre fécondée par le laboureur »348.
Toutes les autres postures sont interdites car elles ne seraient pas naturelles
et ne seraient pas propices à la conception. Les médecins de
l'époque sont quasiment tous unanimes sur ce point. Or, Benedicti
apparaît plus conciliant. Il ajoute en effet à la fin de son
paragraphe : « Ie dy toutesfois, qu'au moye[n] que la femme puisse
co[n]ceuoir, en quelque maniere que le mary la cognoisse, ce n'est le plus
souuent que peché veniel »349. Le franciscain
réintroduit une infime marge de manoeuvre dans les rapports du couple.
En ce qui concerne ce qui est « co[n]tre l'ordre de nature »,
à savoir la sodomie, aucune dérogation n'est possible. La femme
mariée a le droit voire même le devoir de s'y opposer. Benedicti
va jusqu'à accorder à la femme le droit de se séparer de
son conjoint « s'il n'y a autre moyen de le corriger. Et pour autant
celles qui craignant Dieu, ne doiuent iamais consentir en choses si
destestables, ains plustost doiuent crier à la force, nonobstant le
scandale qui en pourroit arriuer. Et en cela le des-honneur ny la crainte de
mort, ne les doit intimider : car il vaut mieux mourir, dit la loy, que de
consentir à mal. Ie croy bie[n] que ce vice n'a pas lieu en France. Dieu
en soit loüé »350. La sodomie avait
déjà été longuement dénoncée quelques
pages auparavant montrant du doigt « les demons qui subuertirent Sodome,
& Gomorrhe auec leurs habitans, qui outre leur prodigieuse luxure estoint
plus qu'heretiques, voulans en ta[n]t qu'il estoit en eux possible, abolir le
gente [sic] humain, en delaissant l'vsage naturel des femmes
»351. Benedicti accorde de plus le droit de se toucher entre
époux, afin de « s'inciter à se
346Michel de MONTAIGNE, Essais III,
cité dans François LEBRUN, La vie conjugale sous l'Ancien
Régime, Paris, Armand
Colin, 1975 (coll. U), p.88.
347Scarlett BEAUVALET, Histoire de la
sexualité à l'époque moderne, Paris, Armand Colin,
2010, p.88.
348Ibid., p.88-89.
349Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.
350Ibid., p.151.
351Ibid., p.149.
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mémoire | juin 2013 - 94 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 95 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
rendre le deuoir de mariage »352. Ce point
faisant débat au sein de l'Église, du fait des possibles
dérives de ces gestes, qui peuvent même mener à une
satisfaction mutuelle des conjoints sans possibilité de
procréation, Benedicti décide de se reporter au texte biblique.
Il cite en effet Genèse 26 où l'on voit « Isaac qui
caressait Rébecca »353, sa femme.
Jean Benedicti s'attache à décrire les moments
physiologiques qui seraient les plus propices à un rapport sexuel. Il
affirme tout d'abord : « Le mary qui cognoist sa femme lors qu'elle a ses
purgations, peche mortellement, sinon que l'ignorance l'excusast en partie,
comme celuy qui iamais ne[n] auroit esté aduerty »354.
En effet, la croyance est bien ancrée à l'époque que
« les enfans en deuienne[n]t ladres355, monstres,
contre-faicts, souuent ils meure[n]t au ventre de leurs meres, ou sont tachez
de quelque autre maladie, pourtans la marque de l'incontinence de leurs
geniteurs, ainsi que l'experience nous l'enseigne »356. Le
Lévitique insiste sur l'impureté de la femme qui a ses
règles : « Lorsqu'une femme a un écoulement de sang et que
du sang s'écoule de son corps, elle restera pendant sept jours dans
l'impureté de ses règles. [...] Si un homme couche avec elle,
l'impureté de ses règles l'atteindra. Il sera impur pendant sept
jours. Tout lit sur lequel il couchera sera impur »357. Ce
même passage préconise de se laver après tout contact avec
un meuble ou un objet touché par la femme impure. Benedicti ne suit pas
à la lettre ces indications de l'Ancien Testament mais il
considère que son « indisposition » doit la tenir
écartée de tout rapport sexuel. Guy Bechtel rappelle que «
[d]epuis Pline (23-79), on avait la certitude que le sang menstruel
était venimeux. [...] La femme était supposée
immunisée contre son propre venin. Cependant un être humain
capable de produire plusieurs jours par mois un tel poison était
fondamentalement mauvais, pernicieux, diabolique, et toute conjonction
charnelle avec lui relevait du défi»358. Il faut donc
éviter particulièrement un rapport durant cette période.
Benedicti, tout comme les autres théologiens de son temps, laisse
à la femme le soin d'informer ou non son mari de sa situation. Cette
dernière peut en effet choisir de « luy signifier so[n]
indispositio[n], si elle voit que le mary la poursuiue, mais auec prude[n]ce
à celle [sic] fin qu'il ne l'ait point en horreur pour cela,
& le prier hu[m]bleme[n]t d'atte[n]dre encores vn peu. Que s'il ne veut,
elle luy peut obeyr sans scrupule de conscie[n]ce : car
352Ibid., p.151.
353Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Genèse, 26, 8.
354Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.152.
355Ladre signifie « lépreux » au
sens propre mais, par extension, désigne aussi une personne paresseuse,
fainéante ou folle.
356Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.152.
357Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Lévitique, 15, 19-24.
358Guy BECHTEL, La chair, le diable et le
confesseur, Paris, Plon, 1994 (coll. Le doigt de Dieu), p. 133.
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elle est subiecte au mary [...] »359.
Cependant, la femme pécherait si elle demandait elle-même à
son conjoint de lui rendre le devoir de mariage pendant ce temps. Benedicti
donne à cela un argument qui semble en décalage avec les
croyances de la fin du XVIe siècle puisqu'il affirme «
qu'elle n'est point si necessitee qu'elle ne puisse bien attendre, veu qu'en
tel accide[n]t elle n'est pas tant espoinçonnee des aiguillons de la
chair, ne par consequent tant subiecte au peril, que pourroit estre le mary
»360. Jean Benedicti propose ensuite aux mariés de
rester continents le temps de la grossesse afin de ne pas « suffoquer le
fruit ia co[n]ceu »361. De même, un temps de sept jours
devrait être respecté après l'accouchement, afin de laisser
la matrice se refermer. Il confirme aussi qu'il « y a mesme vne loy au
droit canon qui dit que le mary s'abstienne de sa femme iusques à tant
qu'elle ait seuré l'enfant de la mammelle »362 mais
n'insiste pas sur le sujet, et ne demande pas aux femmes de suivre ce
précepte. En cela, Benedicti est plus indulgent, ou plus pragmatique,
que bien des hommes de son temps.
Les paragraphes suivants traitent la question du moment
temporel le plus adéquat pour avoir des relations sexuelles avec son
conjoint. Il affirme que « [c]eux qui vaquent à l'oeuure de chair
au temps qu'ils communient & reçoiuent le Sainct Sacrement peche[n]t
au moins venieleme[n]t »363. Benedicti rappelle qu'un minimum
de trois jours de continence est évoqué en plusieurs textes mais
adoucit aussi le propos de personnes plus rigoureuses que lui à ce
sujet. Il précise que « quand quelques gloses & Docteurs disent
que c'est peché de le rendre [le devoir de mariage] en telles
sole[n]nitez, il se doit entendre qua[n]d c'est plustost pour volupté,
ou irreuerence & mespris de la feste, que pour auoir lignee. Et par ainsi
quand ils disent qu'en tels iours il faut que le mary & la femme viuent en
continence, il s'entend de conseil »364. De même,
Benedicti recommande la continence « aux grandes festes & solennitez
»365 mais ne l'impose pas tandis que Charles Borromée,
à la même époque, conseillait aux personnes mariées
de s'abstenir l'un de l'autre même le dimanche, jour du
Seigneur366. En ce qui concerne le lieu où peuvent avoir lieu
les rapports sexuels, Benedicti hiérarchise sa phrase selon un ordre de
péché décroissant : « La partie qui rend à
l'autre le deuoir de mariage en l'Eglise ou en lieu sacré, ou bien en
public au scandale du peuple peche »367. Néanmoins, s'il
s'agit d'éviter « vn plus gra[n]d mal, comme pollution volontaire,
&c », il existe,
359Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.153.
360Ibid., p.153.
361Ibid., p.153. 362Ibid., p.154.
363Ibid., p.154. 364Ibid., p.154.
365Ibid., p.154. 366Guy BECHTEL, La
chair..., op. cit. [note n°358], p. 154.
367Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.155.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
selon l'expression de Guy Bechtel, des « accommodements
possibles avec la religion ». Ainsi, selon lui, « [l]es gens
pressés avaient [...] toujours le loisir de se réfugier dans le
clocher, voire dans la sacristie »368.
Ce même auteur rappelle que « l'amour doit
être fait. Les confesseurs avaient en même temps que la mission
d'empêcher le plaisir d'un coït trop luxurieux, le devoir de
s'assurer de son existence, de sa répétition
»369. Le devoir de mariage n'est pas à prendre à
la légère, et comme le dit Benedicti, « [c]eluy ou celle qui
denie le deuoir de mariage sans occasion à sa partie il viole le droit
de iustice, qui commande de rendre à vn chacun ce que luy appartient
»370. Ainsi, faire un voeu de continence est impossible
à l'un des conjoints si sa partie n'est pas consentante. À ce
propos, Benedicti rapporte l'histoire de femmes qui furent excommuniées
pour avoir abandonné leurs maris sous couvert d'un voeu de
continence371. Une femme renvoyée puis rappelée par
son mari a obligation de lui rendre le devoir de mariage372 mais
c'est à elle de choisir si elle désire rendre ce même
devoir à un mari adultère dont la faute est
publique373. Dans le même ordre d'idées, « la loy
de mariage oblige la femme de coucher auec son mary qui est excommunié,
& luy rendre le deuoir de mariage, & ce sans encourir censure aucune,
& à l'opposite le mary doit habiter auec la femme excommuniee
»374. Si le mari peut demander à sa femme d'avoir des
rapports sexuels avec lui, elle aussi a des droits sur sa partie. En effet, le
mari qui se fait ordonner « au desceu de sa partie, peche mortellement,
& si doit estre restitué à sa femme si elle le dema[n]de,
pour luy rendre le deuoir de mariage »375.
L'impossibilité de rendre le devoir de mariage entraîne la
dissolution de celui-ci. Le franciscain est formel sur ce point : « quant
à la femelle vierge qui ne peut endurer la co[m]pagnie du mary, on y
peut remedier par l'art de chirurgie, comme aussi celle qui est de matrice trop
estroitte. Que s'il n'y a point de remede, & que l'homme ne la puisse en
aucune façon cognoistre, on les pourra separer : car s'est vn
empeschement perpetuel qui dissoult le mariage »376. Pierre
Darmon a étudié dans son ouvrage Le tribunal de l'impuissance
: virilité et défaillance conjugale dans l'ancienne
France377 les divers recours des conjoints en cas
d'impuissance.
368Guy BECHTEL, La chair..., op. cit.
[note n°358], p. 153.
369Ibid., p. 254.
370Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.155.
371Ibid., p.68.
372Ibid., p.127. 373Ibid., p.128.
374Ibid., p.601. 375Ibid., p.450.
376Ibid., p.472. 377Pierre DARMON, Le
tribunal de l'impuissance : virilité et défaillance conjugale
dans l'ancienne France, Paris, Seuil, 1979. Il faut souligner que cet
auteur affirme que les « canonistes ont mis longtemps avant de
s'apercevoir de l'existence de l'impuissance féminine » (p.48).
Alors qu'un homme qui ne répond pas au triptyque « Dresser, entrer,
mouiller » était reconnu impuissant et incapable de se marier
depuis le XIIe siècle, les femmes n'ont fait l'objet de
procès en impuissance que dans 5% des cas étudiés
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Enfin, Benedicti conseille de mentionner lors de la
confession, toutes les pensées qui ont eu trait à un rapport
sexuel désiré. Guy Bechtel explique que « [l]'amour commence
bien avant l'amour, et l'Église l'a toujours su. C'est pourquoi elle a
prévu, en confession, d'interroger non seulement sur les actes de la
chair, mais sur toutes les anticipations en esprit, les fantasmes qui les
précèdent, les délectations préalables
»378. Ainsi la femme mariée pèche « laquelle
pensant en la compagnie qu'elle aura de son mary quand il sera de retour
à la maison se delecte en telle cogitatio[n], & se senta[n]t
enflammer en icelle ne la repousse point : Et peche encores plus griefuement si
pour cela elle tombe en pollution »379. Si les conseils
donnés aux mariés sont regroupés en un seul chapitre, les
diverses fautes qui peuvent émailler une relation sexuelle sont
disséminées tout au long de l'ouvrage, au fil des exemples pris
par Benedicti pour illustrer son propos. Benedicti affirme qu'il faut confesser
toutes les facettes de l'acte de chair afin de déterminer
précisément le degré de la faute commise. Ainsi, «
[l]a femme qui consent au peché de luxure pressee de pauureté ou
de crainte peche bien mortellement, mais non pas tant que celle qui n'a
esté contrainte par telles circonstances »380, «
celuy qui abuse d'vne femme roturiere, offense aussi bie[n] que celuy qui abuse
d'vne damoiselle : le peché toutesfois de l'vn est plus grief que celuy
de l'autre. Item celuy qui abuse d'vne vieille ou laide femme, offense plus que
celuy qui peche auec vne belle, caeteris paribus, c'est à dire
quand les deux sont de mesme qualité »381. Benedicti
semble ici plus traiter de rapports sexuels hors mariage. Lorsque ce dernier
traite dans le détail les circonstances qu'il faut préciser
à son confesseur lors de l'aveu d'un péché de luxure, la
femme est citée à chaque circonstance mais elle n'est jamais
active. Elle semble n'être qu'un objet qui a mené à
pécher mais ce n'est pas son péché à elle qui
semble intéresser Benedicti dans cette partie. Il affirme même que
« le mary adultere peche plus griefuement (i'ay dit ailleurs
intensiuement) que la femme, pour autant que le sexe feminin est plus fragile,
& plus violentement agité que non pas le masculin
»382. S'il se met ici en contradiction avec ce qu'il avait
affirmé plus tôt dans son ouvrage, Benedicti semble faire porter
la plus lourde charge sur les épaules masculines. Il rappelle enfin la
charge incestueuse du rapport sexuel entre un religieux et une
laïque383 et condamne la polygamie384.
par Pierre Darmon.
378Guy BECHTEL, La chair..., op. cit.
[note n°358], p. 173.
379Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.158.
380Ibid., p.577.
381Ibid., p.577.
382Ibid., p.581.
383Ibid., p.134.
384Ibid., p.123-124.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Les autres références à la femme
mariée les plus présentes dans l'ouvrage La somme des pechez,
et le remede d'icevx, sont celles relatives à sa faiblesse et
à sa sujétion au mari, qui a quasiment toute puissance sur elle.
La sexualité de la femme fait peur, la vie propre de sa matrice est
redoutée et il faut, tout comme les enfants, la mettre sous le joug
d'une puissance qui pourra éviter tout débordement. De plus,
selon l'Ecclésiastique, « [c]'est par la femme que le
péché a commencé / et c'est à cause d'elle que tous
nous mourons »385. Ève pèse lourd sur le sort qui
est réservé aux femmes à toutes les époques. Sa
naissance même semblait impliquer une soumission de la femme, sa faute
lui a attiré les foudres des juristes et des clercs durant des
siècles. En effet, Ève aurait été tirée
d'une côte de l'homme386. Cette naissance est la plus
communément admise tandis que plus haut dans le texte, nous pouvons lire
: « Dieu créa l'homme à son image, / à l'image de
Dieu il le créa, / homme et femme il les créa
»387. Cette première naissance simultanée du
principe masculin et féminin a été occultée par la
deuxième naissance d'un être purement féminin, Ève.
L'infériorité de cette dernière a souvent
été justifiée par le fait qu'elle a été
formée à partir d'Adam. Néanmoins, il faut souligner
qu'elle n'a pas été tirée de ses pieds, ce qui aurait pu
mettre en valeur son caractère inférieur, ni de sa tête, ce
qui aurait pu impliquer une supériorité, mais de sa côte,
de son côté, symbole d'égalité. Malheureusement,
cette « premiere mere estant deceue par ces esprits malings
»388, l'homme et la femme furent chassés du Paradis.
Benedicti attribue cette déchéance au « te[n]dre cerueau
»389 de cette femme qui n'a pas su contrer la ruse du serpent.
Ce dernier tient un discours trompeur à Ève et celle-ci se laisse
convaincre que Dieu lui fait du tort à elle et à son
mari390. Aussi, Ève n'aurait-elle peut-être agi que par
amour pour son mari, afin que celui-ci ne subisse aucun tort. Le fait qu'elle
donne du fruit défendu à Adam pourrait être une preuve de
son esprit de partage et non le signe de sa volonté de pervertir son
partenaire. Néanmoins, c'est ainsi que le récit de la chute de
l'humanité hors du Paradis fut interprété. Agnès
Walch explicite : « Son caractère diabolique avait plongé
l'humanité dans la détresse puisque par sa faute, le premier
couple avait été chassé du paradis terrestre. Les
médecins ajoutaient que la femme était de constitution faible,
voire débile, et que son développement était bien lent et
imparfait. Ils avançaient pour preuve cette vérité bien
connue que Dieu insuffle l'âme au foetus au
385Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Ecclésiastique, XXV, 24.
386Ibid., Genèse, 2, 21.
387Ibid., Genèse, 1, 27.
388Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Epistre
dedicatoire ».
389Ibid., p.1.
390Ibid., p.2.
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quarantième jour pour un mâle et au
cinquantième pour une fille dont les organes génitaux sont, en
outre, internes parce qu'elle n'a pas eu la force de les amener à
maturité. Au mieux, ces médecins, parmi lesquels le très
sérieux Ambroise Paré, conseillaient au mari de l'indulgence pour
cet être si médiocre, en grande partie irresponsable de ses
malheurs, mais coupable d'être un poids pour son partenaire
»391. Nous allons voir que Benedicti n'échappe pas
à cette image de la femme.
Ses allusions à la faiblesse d'esprit des femmes
ponctuent son ouvrage. La femme ne peut pas témoigner en justice car
elle « est le plus souuent fragile, muable & variable & subiette
au mary »392, en cela, Benedicti s'accorde avec l'opinion des
juristes de son temps. La femme écoute la messe en latin, bien qu'elle
ne le comprenne pas, tout comme les idiots393. Mais la marque
réelle de sa faiblesse d'esprit sont les superstitions auxquelles elle
donne foi. Les femmes croient qu'elles peuvent avoir des relations sexuelles
avec leur mari le jour de leur communion. Elles pensent même pouvoir
travailler ce jour-là394. D'autres sont si superstitieuses
qu'elle ne veulent « filer au Samedy » au lieu de quoi elles «
s'applique[n]t à quelques autres negoces de vanité
»395. Benedicti reconnaît le droit des femmes de
s'arrêter de filer après le dîner « en l'honneur de la
vierge Marie, à laquelle le Samedy est volontiers dedié »
mais se moque des femmes qui prétendent reporter leur ouvrage sous
couvert de superstition. De même, les femmes pensent qu'il faut
réitérer la confession. Elles ne voient pas qu'elles se font
abuser par « des co[n]fesseurs, peu experime[n]tez en cure d'ames
»396. Les « deuotes femmes » sont aussi
raillées pour leurs croyances397 en des rites surnaturels. Le
désespoir semble de plus se remarquer plus facilement chez les
femmes398 tandis que c'est lors de la confession que Benedicti dit
voir le mieux leur faiblesse d'esprit. En effet, les « pauures femmes
» n'osent confesser leurs péchés, principalement celles
« qui sont tombees au peché de la chair »399. Dans
une longue série de questions oratoires, Benedicti essaie de ramener les
femmes à une confession entière de leurs péchés et
finit son discours ainsi : « Proposez vo[us], ie vous prie vne Magdelene,
vne Samaritaine, vne Marie Egyptienne, vne Thais, vne Pelagie, & plusieurs
autres femmes pecheresses, qui ont bien enduré la honte de ce monde en
confessant leurs pechez, pour euiter la honte
391Agnès WALCH, Histoire du couple en
France de la Renaissance à nos jours, Rennes, Éditions Ouest
France, 2003, p.18-19.
392Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.176.
393Ibid., p.85.
394Ibid., p.236-237.
395Ibid., p.48.
396Ibid., p.622.
397Ibid., p.44.
398Ibid., p.379.
399Ibid., p.648.
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maîtrise | juin 2013 - 101 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
perpetuelle, & l'eternel reproche »400.
Néanmoins, cette même faiblesse de la femme devrait
entraîner selon le franciscain une pudeur dans l'examen du
confesseur401. En effet, il s'agit de ne pas apprendre à la
femme des choses que sa simplicité ne lui laissait pas imaginer.
Le mariage est pour la femme un moyen de sanctification.
Benedicti cite un apôtre qui dit « que la femme de bien sera sauuee
par la generation des enfans, si elle demeure en la foy Catholique auec
charité, sanctification, & sobrieté »402. La
femme doit obéissance à son mari et sera « seuerement
puni[e] & chati[ée] » « la femme desobeyssante à
son mary en choses iustes & qui concernent le mesnage »403.
Si ce propos peut paraître dur, il faut néanmoins remarquer que la
désobéissance est punie si elle concerne des choses « iustes
». Nous verrons par après les droits de la femme si son conjoint
agit d'une manière contraire aux Évangiles. De plus, tout comme
le souligne Agnès Walch, « les clercs insistent sur la
réciprocité des devoirs. Cette soumission est la contrepartie de
la protection que le mariage apporte à la femme. Le mari doit
fidélité irréprochable à son épouse, doit
lui complaire et supporter les faiblesses du sexe. »404.
Benedicti consacre un chapitre aux « pechez des maris enuers leurs femmes,
qui se commettent contre ce quatriesme Commandement ». Il montre alors que
le mari a obligation de nourrir « sa femme & sa famille, & leur
pourueoir des choses necessaires selon sa puissance »405. Ce
dernier est responsable du comportement de sa femme et il « est tenu de la
corriger, attendu que selon l'escriture, l'homme est le chef de la femme
»406. Néanmoins, « [c]eluy qui seuerement &
atrocement bat ou corrige sa femme, encor que soit pour quelque faute, il
peche. Il doit la corriger doucement, & non pas auec cruauté
»407 rappelle le franciscain. Le mari doit ajuster son
comportement à l'importance de sa femme dans son propre salut. En effet,
prendre soin de sa femme est considéré comme digne de louanges
et, tout comme le roi s'occupe de ses sujets pour accéder au Paradis, le
mari a besoin de sa femme pour obtenir la sanctification. De plus, Benedicti
souligne que « combien qu'elle soit inferieure, toutesfois elle n'est pas
esclaue ne chambriere : mais compagne, & la chair & les os du mary
»408. Il se rapporte ici à saint Paul et saint Pierre
qui « exhortent les hommes à aymer leurs espouses comme
400Ibid., p.648.
401Ibid., p.626.
402Ibid., p.459-460.
403Ibid., p.256-257.
404Agnès WALCH, Histoire du
couple..., op. cit. [note n°391], p.58.
405Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.98.
406Ibid., p.98.
407Ibid., p.98.
408Ibid., p.98.
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Iesus-Christ aime son Eglise »409. La femme,
qui n'est donc pas une servante, doit cependant « obeyr à son mary,
en ce qui co[n]cerne le gouuerneme[n]t de la famille & de la maison, &
en ce qui concerne les vertus & bonnes moeurs [...] car la fe[m]me non
seuleme[n]t est obligee de faire le co[m]mandement de son mary, ains aussi de
receuoir sa doctrine si elle est bonne, selon S. Paul, qui dit, que les femmes
interrogent leurs maris à la maison »410. La femme doit
suivre son mari là où il désire aller sauf si cela la met
dans un danger quelconque. Il conclue : « comme il y en a assez qui se
monstrent plustost bourreaux de leurs femmes que marys ». Benedicti semble
donc bien dénoncer toute violence déplacée envers les
femmes. Le silence est de mise pour l'épouse qui désire le
bien-être de son mari. Benedicti clôt son chapitre en affirmant que
« tout ainsi que celle, qui auec humilité se submet au joug du mary
pour accomplir la sentence de Dieu en la remission de ses pechez, merite
grandement, au contraire celle qui ne veut obeyr, resiste à la puissance
de Dieu, & peche grandement »411.
Cette soumission au mari entraîne un ensemble de droits
pour ce dernier mais tout premièrement un devoir. Ainsi, saint Augustin
dit : « ô toy mary au premier choc de la sensualité tu
tombes, & tu veux que ta femme soit victorieuse, veu que tu es le chef de
ta femme, elle te precede deuant Dieu, de laquelle tu es le chef. Le mary se
doit porter plus vertueusement que la femme. Et quand la femme vit mieux que
l'ho[m]me, la maison est renuersee »412. Selon Benedicti,
qui reprend ces propos de saint Augustin à son compte, le mari doit
donner l'exemple à sa femme. Il rappelle plus haut dans cette même
page « Mais quoy ? Le mauuais de portement des marys, n'est-il pas souuent
occasion de la desbauche des femmes, lesquelles bien souuent taschent à
se venger du tort qu'elles voyent leur estre fait ? ». Sous réserve
d'un bon comportement envers leurs femmes, les maris se voient attribuer un
certain nombre de droits sur leurs épouses. Ils ont par exemple le droit
de révoquer un voeu qu'elles auraient fait sans les en informer ou
« quand elles vouent au preiudice du mariage »413. Cette
révocation du voeu ne tient que le temps du vivant du mari, une fois ce
dernier décédé, sa veuve est tenue de l'accomplir.
Benedicti va jusqu'à affirmer que la femme n'a pas « liberté
de vouer »414. Dans certains passages de La somme des
pechez, et le remede d'icevx, il accepte cependant des voeux
féminins. La femme ne peut pas voyager seule sans l'accord de son
mari415. Son mari peut l'empêcher de sortir de chez elle. Dans
ce cas, « elle ne peche pas
409Ibid., p.98.
410Ibid., p.98-99. 411Ibid., p.99.
412Ibid., p.118. 413Ibid., p.74.
414Ibid., p.78. 415Ibid., p.69.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
en n'oya[n]t point Messe, ouy bien le mary s'il le luy
prohibe sans cause legitime : mais non pas si pour quelque bonne & iuste
raison il le luy defend »416. Benedicti s'interroge : les
femmes « qui esta[n]s souz la puissance d'autruy, sont contraint[e]s par
crainte ou autrement, de trauaillez à tels iours, pechent [elles] ? Ie
repo[n]s que non »417 affirme-t-il. La question du jeûne
est aussi abordée. La femme se voit « excusee des ieusnes qu'elle
à vouez de son fra[n]c arbitre, si le mary y co[n]tredit : mais si elle
est bien obligee à garder les autres ieusnes comma[n]dez de l'Eglise.
Que si son mary par viole[n]ce l'empesche de les obseruer, co[m]me par noises,
menaces, percussion418 & autres desordres, troubla[n]t la paix
& repos matrimonial, elle est excusee de peché, mais no[n] pas le
mary qui l'e[m]pesche, sino[n] qu'il le face pour quelque bonne raison,
laquelle il doit declarer au Confesseur »419. Enfin, les maris
peuvent ouvrir le courrier de leur femme s'ils n'ont aucune mauvaise
intention420. Nous voyons ici que la puissance du mari sur sa femme
est assez importante mais que néanmoins ce dernier a une grande
responsabilité dans ce qu'il autorise ou non à sa femme. Cette
dernière, du fait de son infériorité, semble devoir
obéir en tout point à son mari. Celui-ci est responsable sur son
salut des actions de son épouse.
Nous allons voir à présent quels sont les
droits et les devoirs de la femme, découlant de cette
infériorité. Benedicti insiste très pesamment sur
l'infériorité de la femme en ce qui concerne la possession
d'argent. Marie-Françoise Hans rappelle que le XVIe
siècle remet le droit romain à l'honneur et elle explique :
« Appliquer le droit romain, c'est priver la femme de toute
capacité civile, la reléguer au dernier rang dans
l'héritage, l'asservir. Si on ne lui déniche pas un époux,
on l'expédie au couvent ; si on la marie, le monsieur prend le pas sur
elle. Tant qu'il vit, elle n'a aucun droit de regard sur le capital. Petite
consolation : elle n'est pas responsable des dettes du couple
»421. Cette dernière précise que la travailleuse
est aussi mise sous une plus grande tutelle. Néanmoins Benedicti
n'aborde pratiquement pas la question du travail des femmes sauf pour la
prostituée. François Lebrun affirme que le droit coutumier, et
plus précisément la coutume de Paris, stipule que « [l]e
mari administre sans le concours de sa femme, frappée
d'incapacité légale, non seulement ses propres et les biens de la
communauté, mais aussi les propres de sa femme, dont les revenus tombent
dans la communauté »422.
416Ibid., p.196.
417Ibid., p.82.
418Coup, contusion.
419Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.201.
420Ibid., p.249.
421Marie-Françoise HANS, Les femmes et
l'argent, Paris, Grasset, 1988, p.37.
422François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.75.
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maîtrise | juin 2013 - 103 -
Ainsi, bien qu'il y ait une différence juridique entre
les propres du mari et ceux de sa femme, cela ne change rien quant à
l'administration de ces derniers : le mari s'en charge. Le franciscain rappelle
en plusieurs endroits de son ouvrage que les femmes n'ont pas de biens propres.
Ainsi, il faut restituer l'argent perdu au jeu par une femme mariée
puisque cette dernière n'avait pas la capacité de jouer cet
argent423. Ce n'est d'ailleurs pas à elle qu'il faut rendre
l'argent qu'elle aurait pu perdre. En effet : « Il ne faut non plus
restituer à vne femme mariee ce qu'elle a perdu au ieu424, ou
la donné, non plus au pupille, ou mineur, ou seruiteur, ou religieux :
Car alors il le faut re[n]dre à son mary, à son Tuteur, à
son maistre, à son monastere & ainsi des autres selon la
qualité des personnes »425. De même, « [l]a
femme qui donne notable quantité des biens de son mary, ou des bie[n]s
co[m]muns de la maison, soit par aumosne ou autrement, outre le gré de
son espoux offense. Voire mais la femme ne pourra elle donner l'aumosne aux
pauures ? On respond que non, si c'est contre la volonté expresse de son
mary : hors mis en huict cas. Le premier, quand la coustume du pays porte que
les femmes puissent donner l'aumosne aux pauures, il leur est licite de ce
faire, sinon que par expres commandement le mary le prohibast. Cecy a plus de
lieu és femmes Fra[n]çoises, lesquelles ont plus de
liberté en l'administration des biens de la maison, que n'o[n]t les
Italiennes & Espanolles qui ne se meslents de rien. Le second, qua[n]d
quelqu'vn seroit en extreme necessité, lors la femme luy doit suruenir,
voire plustost desrober à son mary pour le luy bailler, encores que ce
fust contre sa volonté : car extreme necessité n'a point de loy,
& qui plus est, faict que les biens particuliers sont communs : car le
droit naturel deroge en cela du droit ciuil, par lequel les biens sont diuisez.
Le troisiesme pour se preseruer le mary & sa famille de quelque danger ou
infortune, elle peut bailler des bie[n]s du mesnage. »426.
Benedicti cite ici l'exemple d'Abigaïl qui donna des vivres à David
contre l'avis de son mari Nabal. Lorsqu'elle l'apprit à ce dernier, il
mourut sous l'effet de l'indignation427. Le franciscain
reconnaît donc que la coutume peut donner plus ou moins de droits
à la femme et qu'elle a la faculté de déterminer parfois
si elle peut donner les biens de son mari.
423Ibid., p.268.
424Élisabeth Belmas indique cependant que
les archives du temps « n'apportent guère de renseignements sur la
criminalité ludique féminine » (p.201). Il semble donc
difficile d'évaluer si les femmes jouaient de l'argent et dans quelles
proportions. Néanmoins, les moralistes de l'époque soulignent que
« les femmes sont prédisposées par les imperfections de leur
nature à tomber dans les pièges du jeu » (p.52). Les jeux
d'argent les plus communs à l'époque sont des mises sur les
dés ou les cartes. Élisabeth BELMAS, Jouer autrefois : essai
sur le jeu dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Seyssel,
Champ-Vallon, 2006 (coll. Époques).
425Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.723.
426Ibid., p.162.
427Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], I Samuel, 25.
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maîtrise | juin 2013 - 105 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Les points suivants abordent encore plus
précisément la faculté de la femme à administrer
des biens selon Benedicti. Ainsi, le quatrième cas où la femme
peut faire l'aumône de son propre chef : « Le quatriesme, si le mary
est absent elle peut donner l'aumosne : car en l'absence du mary elle doit
auoir l'administration des bie[n]s, sinon qu'il en eust ordonné
autrement. Mais elle ne doit pas plus donner qu'elle estime que so[n] mary eust
donné s'il eust esté présent. Le cinquiesme, quand le mary
seroit fol, insensé & priué de son iugement, alors elle peut
aussi suruenir aux indige[n]s. Le sixiesme, si le mary luy depute quelque
certaine quantité pour son viure & entretien, & qu'elle en face
vn [sic] espargne, comme en ieusnant, viuant sobrement & laissant
ses superfluitez, elle peut donner le residu aux pauures. Le septiesme elle
peut donner aussi de ses biens parapharnaux, & de ce qu'elle a
apporté outre le douaire, & de ce qu'elle peut gaigner
particulierement de son art & industrie, & des lets & donnations
que ses amis luy pourroient auoir legué »428. Ici,
Benedicti reconnaît que la femme a le gouvernement de la maison en
l'absence de son mari. Il faut souligner par ailleurs que de nombreux
historiens affirment que la femme a un réel pouvoir dans l'espace qui
lui est attribué. Ainsi, François Lebrun dit que « [s]i,
théoriquement, l'autorité appartient sans partage au mari, les
tâches du ménage se répartissent entre mari et femme. Dans
les classes populaires, l'une des motivations profondes de la formation du
couple réside précisément dans la nécessité
d'associer à la gestion de la maison, c'est-à-dire de la
famille et de l'exploitation agricole ou artisanale, la force de travail de
deux personnes de l'un et l'autre sexe »429. Si le mari n'est
pas en possession de toute sa raison, la femme devient alors la maîtresse
des biens selon Benedicti. Ce dernier propose de plus, plus tard dans son
ouvrage : « qua[n]d il se trouue ainsi de ses hommes perdus [...] il
seroit bon de restituer à leurs femmes qui sont bonnes mesnageres pour
ayder a entretenir leur famille »430. Les femmes peuvent donc
parfaitement assumer la gestion des biens de la famille. Le septième
argument du franciscain quant à la possibilité pour la femme de
faire l'aumône l'amène à distinguer
précisément les diverses parties constituant le capital du
couple. Ce dernier est constitué de tous les biens du mari, qui lui
appartiennent à lui seul, des biens communs à la femme et au
mari, qui sont gouvernés par le mari, et des biens propres de la femme,
dont cette dernière est censée pouvoir disposer à sa
guise. Les biens propres de la femme sont : son salaire et les biens dits
« paraphernaux », qui sont laissés sous son administration,
par contrat le plus souvent, par opposition aux biens « dotaux », qui
passent sous le contrôle du mari. Les diverses coutumes accordent
428Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.162.
429François LEBRUN, La vie conjugale..., op.
cit. [note n°346], p.82.
430 Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170],p.723.
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à la femme des droits différents quant à
la gestion de ses biens propres. Benedicti quant à lui reconnaît
à la femme le droit de posséder et d'administrer à sa
guise un capital personnel. Le huitième et dernier cas où la
femme est autorisée à donner l'aumône sans l'accord de son
mari est lorsqu'elle donne une très petite quantité de vin ou de
pain car en ce cas, « il est presupposer que son mary n'en seroit ou n'en
deuroit estre fasché quand il le sçauroit
»431.
Dans son traité sur la restitution, Benedicti affirme
à plusieurs reprises que les femmes qui ont donné de l'argent
sans l'accord de leur mari doivent le restituer : il cite celles qui le donnent
« à leurs parens, ou à autres »432 ou celles
qui jouent l'argent de leur mari433. Benedicti s'attarde plus
particulièrement sur le cas des femmes des usuriers ou de ceux qui
jouent leur argent. Les premières doivent avoir pour objectif de
restituer l'argent mal acquis par leur mari si elles ne désirent pas
quitter leur conjoint. Benedicti dit ainsi par deux fois que « la femme
qui n'aya[n]t douaire, ou autre moyen de gaigner sa vie, vit des biens du mary,
qu'il a acquis par vsure, & n'e[n] à point d'autres, ils doyuent
restituer entant [sic] qu'il est en eux possible. Que si la femme n'a
moyen quelconque de viure, sinon de tels biens de son mary vsuraireme[n]t
acquis, elle ne sera pas tenue à restitution : Mais il est bo[n] qu'elle
impetre vne dispense de l'Euesque, pour en pouuoir vser en saine conscience,
ayant toutesfois tousiours la volonté de restituer, la commodité
s'y offra[n]t »434. Il leur conseille de plus l'épargne
et propose même, si la femme le désire, une séparation de
biens afin de pouvoir vivre des revenus de son douaire. Cette séparation
de biens ne l'excuse nullement de rendre le devoir de mariage à son
conjoint435. Cette pratique est attestée car en effet,
à « compter du XVIe siècle, la femme
mariée bénéficie d'une protection accrue de ses
intérêts pécuniaires. L'épouse, craignant
d'être entraînée dans la ruine de son mari, peut obtenir la
séparation de biens, prononcée après enquête par la
justice »436 précise la société Jean
Bodin. Cette décision permet à la femme de jouir de ses propres
et de ses biens meubles (déplaçables) comme elle l'entend. Elle
doit néanmoins « avoir l'autorisation de son mari ou celle de la
justice pour aliéner ses immeubles »437
c'est-à-dire tous les biens qui ne peuvent pas être
déplacés tels les bâtiments ou les terres. Elle dispose
toujours du droit de renoncer aux biens communs afin de ne pas avoir à
rembourser les dettes contractées par son mari. François Lebrun
rappelle aussi qu'elle « a droit à une compensation, dite
récompense, si
431Ibid., p.163.
432Ibid., p.710.
433Ibid., p.707.
434Ibid., p.706, discours similaire
p.318.
435Ibid., p.318.
436La femme, recueil de la
société Jean Bodin, Bruxelles, Éditions de la librairie
encyclopédique, 1962, p.251.
437Ibid., p.251.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
un de ses propres est vendu par l'époux ; elle a, sur
les propres de celui-ci, une hypothèque légale qui lui permettra
de recouvrer son dû avant tout autre créancier
»438. Benedicti est très dur envers les maris joueurs
qui dépensent l'argent qu'ils auraient dû utiliser pour subvenir
aux besoins de leur famille. Il affirme : « le ioüeur qui oste
à sa famille ce qui est necessaire, ou est cause par son ieu que sa
femme & filles font quelque folie [...] ne doit aucunement estre absous,
s'il ne desiste de tel abus »439. Plus tôt dans son
ouvrage, il dénonçait le mauvais exemple donné par le mari
joueur à sa femme et à ses enfants : le joueur qui a perdu
décharge sa colère sur eux, s'il n'a plus un sou, il joue sa
femme et il est la cause de leur désespoir. Benedicti raconte à
ce sujet l'histoire d'une femme qui se voyant sans argent pour nourrir ses
enfants va en réclamer à son mari. Celui-ci la bat tellement
qu'il la laisse pour morte. Rentrant chez elle, cette dernière
égorge ses enfants de désespoir avant de tuer à son tour
son mari qui rentre ivre et ruiné. Cette femme condamnée meurt
après avoir fait une remontrance avertissant les maris « de ne
consummer ainsi la substance de leur pauure famille aux ieux et aux tauernes
»440. Cet exemple sanglant donne plus de force à la
démonstration de Benedicti qu'un sermon religieux. La femme est ici
coupable de meurtre mais modèle du courage, comparée à
Judith qui égorgea Holopherne afin de sauver sa ville
assiégée.
Les droits attribués précisément
à la femme mariée par Benedicti sont assez limités mais
lui reconnaissent néanmoins une liberté qu'elle n'a pas dans la
grande majorité des textes juridiques de l'époque. Ainsi,
Benedicti accorde une réciprocité de droits en ce qui concerne la
séparation des conjoints. Dix cas sont pour lui causes suffisantes
« pour lesquelles la separation se fait quant à la cohabitation,
& conuersation matrimoniale, tant de la part du mary, que de la femme, mais
non pas quant au lien »441. Ces causes sont l'adultère ;
l'hérésie, la sorcellerie et la magie ; le désir de l'un
des conjoints de pousser l'autre à offenser Dieu ; « pour la
cruauté & mauuais traitteme[n]t du mary » ; « [q]uand vne
des parties veut tuer ou empoisonner l'autre, ou l'emmener en vn pays estrange
pour la tuer, &c » ; « la femme peut laisser son mary qui est
larron, & qui ne se veut point amender. Auta[n]t de celuy qui est vsurier,
homicide ou infame d'autres vices enormes » ; « pour la sodomie,
bestialité ou autre peché co[n]tre nature, qui est encores plus
gra[n]d qu'adultere » ; le voeu d'entrer en religion d'un des conjoints si
le mariage n'a pas encore été consommé ; en cas de «
disparité de pechez » (ici Benedicti affirme que toute personne,
même coupable d'un péché important, peut se
438François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.75.
439Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.664.
440Ibid., p.271.
441Ibid., p.130.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 108 -
séparer d'un conjoint huguenot) et enfin, dans le cas
ou « le mary est fol & insensé, telleme[n]t qu'il veut à
tous momens tuer sa femme, laquelle pour euiter le da[n]ger manifeste de la
mort, se peut separer, quand il n'y auroit autre moyen de se garder
»442. Trois causes sont ici explicitement en faveur de la
femme. Le franciscain va jusqu'à défendre que, si la femme peut
quitter un homme fou, ce dernier ne le peut pas dans le cas inverse. En effet,
« il n'y a pas si grand da[n]ger en son endroit, veu que l'ho[m]me se peut
mieux defendre de la femme, que la femme de l'homme »443. De
même, Benedicti affirme que le mari ne peut pas se séparer comme
il l'entend de sa femme car « [c]eluy qui repudie sa femme sans suffisante
& legitime occasio[n] est en estat de da[m]nation » et « si le
mary apres qu'il a fait separatio[n] vie[n]t à paillarder, il est
obligé sur peine de peché mortel de rappeler sa femme, & de
se reco[n]ciler [sic] auec elle : car par son
peché il a perdu l'autorité de la punir pour ce fait
»444. Ainsi, la femme a une certaine puissance sur son mari
pécheur ou du moins, celui-ci en perd face à elle. Cela se voit
aussi en cette occasion : « la femme innocente sans autre authorité
de l'Eglise peut denier au mary adultere son corps, & en cela, ne luy tenir
promesse puis qu'il n'a tenu la sienne »445. Le franciscain
accorde ici assez de raison à la femme pour qu'elle puisse
déterminer d'elle-même la conduite à tenir face à
son mari. Si les hommes semblent disposer de tous les droits sur leur femme, il
est certaines choses que ce dernier ne doit pas se permettre. Ainsi, le mari
qui refuse à sa femme d'accomplir un voeu alors même qu'il lui
avait permis auparavant pèche mortellement446. La femme
étant entrée en religion après avoir été
répudiée par son mari n'est pas obligée de
réintégrer le domicile conjugal si celui-ci la rappelle.
Néanmoins, si elle n'a fait qu'un voeu de continence, ne pouvant pas
juridiquement faire de voeu sans l'accord de son mari, elle est obligée
de rendre le devoir de mariage. Le mari doit aussi respecter le secret de la
confession et Benedicti affirme que « [s]i quelqu'vn ialoux
menaçoit de mort d'espee au poing le prestre, s'il ne luy declaroit les
pechez de sa femme qu'il a ouis en confession, il deuroit plustost mourir alors
q[ue] de violer le secret sacrame[n]tal »447 et « celuy
là qui se deguise en forme de prestre pour escouter sa femme en
confession, il est aussi bien tenu de garder le seau de confession, comme vn
confesseur, & outre ne la pourroit punir, ou luy porter mauuais visage pour
tous ses pechez sur peine d'offense mortelle »448. Enfin,
l'épouse est parfois autorisée à mentir, ou à
déguiser la vérité, afin d' « acquerir &
442Ibid., p.130-131.
443Ibid., p.131.
444Ibid., p.129.
445Ibid., p.131.
446Ibid., p.68.
447Ibid., p.676.
448Ibid., p.679.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
entretenir amitié »449 avec son mari.
En effet, il est plus important pour Benedicti de sauvegarder la paix du
ménage que de s'avouer des péchés plus ou moins graves.
Nous pouvons donc dire que la vie de la femme mariée
est déterminée quasiment exclusivement par les droits que lui
accorde son mari. La peur qu'inspire sa « matrice » légitime
sa soumission à son conjoint qui doit cependant garder à l'esprit
que son salut dépend de celle à qui il est lié par le
sacrement du mariage.
La femme adultère et son partenaire.
Dans La somme des pechez, et le remede d'iceux,
Benedicti aborde les questions de l'adultère et de ses
conséquences, notamment pour les enfants qui pourraient naître de
cette union illégitime. Le fait que la femme adultère soit
particulièrement visée par le discours de Benedicti sur ce
péché est lié aux représentations que les hommes de
l'époque se font des désirs sexuels féminins. Le chapitre
« De Adultere », d'une quinzaine de pages, explicite les
différents degrés de péché inhérents
à ce vice.
Jean Benedicti commence par rappeler la différence qui
existe entre l'adultère simple et l'adultère double : « Le
simple, c'est quand vn des deux qui commette[n]t le peché est
marié, l'autre ne l'est pas : L'adultere double, c'est quand ils sont
tous deux liez par mariage : ce qui est encores plus grief que l'autre
»450. Les premiers coupables évoqués sont les
maris « qui tiennent une concubi[n]e auec leur femme, ou qui abusent de
leurs seruantes, & doiuent pour ce peché estre par l'Euesque
Diocesain excommuniez »451. Benedicti commence donc par accuser
la partie qui, d'un point de vue juridique, n'a aucun tort à commettre
l'adultère. En effet, comme le rappelle Pierre Darmon, la
législation du XVIe siècle ne connaît «
qu'une seule victime, le mari ; qu'une seule plainte, la sienne ; qu'un seul
coupable, la femme infidèle »452. Si cette vision
s'affirme pleinement dans le domaine juridique, le monde religieux
défend une certaine égalité dans le couple.
L'adultère est ensuite assimilé à un parjure puisqu'en
effet, le conjoint coupable agit en contradiction avec le serment fait lors de
la cérémonie du mariage de garder fidélité à
son époux. Ce parjure, rappelle Benedicti, entraînait la peine du
bûcher ou la lapidation dans des temps plus anciens453. Le
rôle de l'eau d'amertume
449Ibid., p.56.
450Ibid., p.116.
451Ibid., p.116.
452Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices : misogynes et féministes en France
(XVIe-XIXe siècles), Bruxelles,
André
Versaille éditeur, 2012, p.156.
453Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.117.
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mémoire | juin 2013 - 110 -
est souligné comme « vn grand miracle pour
descouurir l'adultere de la femme »454. En effet, cette
cérémonie ancienne est explicitée dans la Bible. La femme
qui est amenée au prêtre sur un soupçon d'adultère
doit boire de l'eau contenue dans un vase tandis que le prêtre
énonce cette formule : « S'il n'est pas vrai qu'un homme ait
couché avec toi, que tu te sois dévoyée et
déshonorée, alors que ton mari a pouvoir sur toi, que ces eaux
d'amertume et de malédiction te soient inoffensives ! Mais s'il est vrai
que tu te sois dévoyée, alors que ton mari a pouvoir sur toi, que
tu te sois déshonorée en partageant la couche d'un homme autre
que ton mari... [...] Que Yahvé te fasse servir, dans ton peuple, aux
imprécations et aux serments, en faisant flétrir ton sexe et
enfler ton ventre ! »455. Benedicti rappelle l'existence de
cette pratique bien qu'elle ne soit plus en cours au XVIe
siècle. La Bible ne fait pas mention d'un rite similaire pour les hommes
adultères. En effet, dans l'Ancien Testament, la polygamie est
acceptée : les hommes n'ont pas à se justifier d'avoir des
rapports sexuels avec plusieurs femmes, du moins lorsqu'il s'agit d'un
adultère simple. Le confesseur interprète pourtant le
déluge comme une punition, entre autres, des adultères commis et
présente aux lecteurs les passages de la Bible, mais aussi de son
histoire contemporaine, où des milliers d'hommes meurent en punition
d'un adultère. Il fait ensuite le parallèle entre l'histoire de
Bethsabée et David et celle d'hommes de son temps, qui « n'ont
point d'e[n]fans auiourd'huy, ou s'ils en ont ils se meurent & leurs races
& maisons viennent de rabais à decadance »456.
Bethsabée, mariée à Urie le Hittite, couche avec David et
tombe enceinte de ce dernier. L'enfant né du péché meurt
cependant d'une grave maladie. Le couple peut alors concevoir dans la
légitimité car le péché a été
lavé457.
Benedicti emploie ensuite une métaphore qui peut
laisser penser qu'il n'approuve pas la différence de traitement entre la
punition de l'adultère féminin et masculin. Il explique en effet
qu'en certains lieux, « on punit la femme trouuée en adultere, la
faisant fouetter & puis enclorre en vn monastere à faire penitence :
mais de la punition des hommes il ne s'en parle point, afin que le dire de ce
Philosophe soit verifié, qui comparoit les loix des hommes à la
toile des araignees, laquelle attrappe bien les petits moucherons, mais les
grosses mouches la rompent & passent tout outre »458.
Maurice Dumas souligne en effet que l'accusation de l'adultère
féminin est un mythe qui « saute aux yeux, tant ce tableau n'a
guère de rapports avec les comportements réels. Toutes les
études sur la criminalité le confirment : ce sont les hommes qui
commettent
454Ibid., p.117.
455Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Nombres, 5, 19-22.
456Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.117.
457Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], II Samuel, 11-12.
458Ibid., p.117.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
massivement l'adultère. Les femmes auxquelles le
mariage donne des ailes ou qui se vengent de l'injustice d'une union
forcée sont bien moins nombreuses que celles qui cèdent à
la pression physique ou morale d'un homme. On répute la femme d'un
appétit sexuel insatiable, mais c'est la "concupiscence" de l'homme que
révèlent les archives, autrement dit un comportement sexuel
abusif, rendu possible par sa position dominante »459. Ainsi,
même si les hommes semblent être les plus largement coupables de ce
crime qu'ils dénoncent chez leur femme, ce sont ces dernières qui
subissent les peines prévues par la loi. Ces peines sont
extrêmement lourdes au XVIe siècle et Benedicti est au
fait des coutumes et lois en ce domaine. Les femmes peuvent être
fouettées avant de subir la peine de l'« authentique »
c'est-à-dire d'être enfermées dans un monastère
pendant deux ans. Les textes précisent que si « au bout de deux
ans, le mari ne l'en a pas retirée ou vient à
décéder, elle est rasée, voilée, vêtue comme
les autres religieuses et cloîtrée à vie
»460. L'accusation d'adultère semble avoir
été un des moyens utilisés par un mari en
difficulté financière pour sauver sa fortune. En effet, si le
tribunal reconnaît l'adultère et tranche pour la réclusion
monacale, la femme perd en faveur du mari « son douaire, sa dot, son
préciput461 et tous les autres avantages stipulés par
le contrat de mariage. Seul inconvénient, il doit payer la pension de la
recluse »462. Les tribunaux sont donc assez prudents dans le
jugement de ces cas.
Benedicti rappelle que c'est « vne folie aux hommes de
se promettre impunité, veu que deuant Dieu ils sont autant ou plus
coulpables que les femmes. C'est aussi folie [...] à l'homme de requerir
chasteté en sa femme, luy estant plongé au bourbier de
paillardise »463. Il pense en effet que c'est pousser les
femmes à vouloir se venger que de les tromper. Ici surgit le
débat sur les différences de culpabilité entre la femme et
l'homme. En effet, pour certains « [m]oralistes et théologiens de
la période post tridentine [...] le mari commet un péché
d'autant plus grave qu'il est chef de famille et doté de raison. La
femme, faible et fragile a l'excuse de l'infantilisme »464.
Mais le franciscain précise : « En matiere d'adultere les femmes
offensent plus griefuement & plus perilleusement que les hommes, à
raison premierement pour le regard du dehonneur & infamie : secondeme[n]t
à raison de l'incertitude des enfans qui en sont procreez, & qui
succedent aux biens du mary. Voire mais l'homme qui est creé à
l'image de Dieu, & qui est le chef de la femme, n'offense-il pas plus
griefueme[n]t ? ouy bien intensiuement,
459Maurice DUMAS, op. cit. [note
n°337], p.24.
460Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.163.
461Le préciput est le droit pour
l'époux survivant de prélever un bien ou une somme d'argent sur
l'héritage laissé par le conjoint
décédé, avant tout autre partage.
462Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.164.
463Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.117.
464Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.159.
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mais non pas extensiuement, (ce sont termes de
Theologie) c'est à dire, que l'adultere de l'homme n'est pas de si
grande estendue, & ne traine pas tant d'inconueniens apres soy, que celui
de la femme »465. C'est donc parce que son péché
a plus de conséquences dans le temps que la femme est la plus coupable.
Jean Benedicti énonce alors les diverses conséquences de
l'adultère de la femme et les moyens qu'a cette dernière de faire
réparation de son péché.
La première conséquence dénoncée
par Benedicti est « l'infamie d'vne maison »466. Si Pierre
Darmon rappelle que le « discrédit jeté sur la famille peut
entraîner sa ruine matérielle »467, les auteurs de
l'Histoire des femmes en Occident soulignent que « l'on
considérait la femme comme un bien dont la valeur diminuait lorsqu'il
était utilisé par un autre que son propriétaire
légitime. L'honneur masculin dépendait alors de la
chasteté de la femme »468. Les autres
conséquences sont toutes liées à la possibilité
d'introduire dans la maison des enfants illégitimes. Ces enfants
illégitimes peuvent en effet « succéder aux biens, qu'ils
[sic] ne leur appartienne[n]t point »469. Maurice
Capul décrit les incapacités juridiques qui frappaient les
bâtards connus comme tels : « inhabileté à obtenir des
bénéfices ecclésiastiques, impossibilité de
succéder ab intestat à leur père, ni même
généralement à leur mère, annulation
fréquente par les cours des legs faits en leur faveur, etc. Longtemps,
les bâtards furent exclus de nombreux métiers pour lesquels on
exigeait la naissance de "loyal mariage" »470. Ceci est dans le
cas où l'illégitimité de l'enfant était connue mais
qu'en est-il si la mère tait ce fait et élève ce dernier
avec ses enfants légitimes ? Benedicti rappelle à plusieurs
reprises la nécessité pour les bâtards de restituer le bien
qu'ils ont soustrait aux enfants légitimes du couple. De même, si
la femme adultère a reçu quelque chose de ses oeuvres ou si elle
a donné un bien à son amant, elle est tenue à
restitution471. Benedicti fait aussi peser sur le
péché féminin la possibilité d'une «
commixtion de sang »472 entre des personnes qui ne savent pas
qu'elles sont de la même famille. L'inceste devient alors possible.
Enfin, le franciscain ajoute que « bien souuent l'enfant illegitime sera
promeu aux ordres, & obtiendra benefice, esta[n]t estimé legitime,
& contre les saincts canons & decrets de
465Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.118.
466Ibid., p.118.
467Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.156.
468Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op. cit. [note n°79], p.107.
469Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.118.
470Maurice CAPUL, Abandon et marginalité :
les enfants placés sous l'Ancien Régime, Toulouse, Privat,
1989 (coll. Racines),
p.114.
471Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.265.
472Ibid., p.118.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 112 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
l'Eglise »473. La « femme adultere
participe à tous ces pechez là, ou pour mieux dire, en est la
cause & le motif »474.
Benedicti développe ensuite au cours de quatre longues
pages les solutions que peuvent apporter les mères adultères aux
inconvénients découlant de leur péché. Dix
solutions sont offertes à la femmes adultère. La première
est, « si elle ose bien sans le danger de sa vie, le reueler à son
mary, elle le doit faire, afin ou qu'il empesche de succeder à ses
biens, ou bien qu'il adopte & le face son heritier »475.
Benedicti précise cependant bien qu'elle ne doit pas se diffamer
elle-même en faisant cela et qu'il vaut mieux cacher son adultère
que de risquer mourir476. En effet, au XVIe
siècle, la législation autorise le meurtre de la femme et de
l'amant trouvés en flagrant délit d'adultère. Pierre
Darmon précise que « lorsque meurtre il y a, ce sont plutôt
les amants qui sont tués, ou émasculés, que les
épouses infidèles »477. Dans ce cas, il n'y
aurait pas de flagrant délit mais il est admis que l'homme, au
récit de sa femme, pourrait être pris d'une telle colère,
qu'il en tue sa femme. De plus, le secret est admis car « [i]l vaut [...]
mieux que les biens soient occupez par cest enfant que la bonne renommee se
perde »478. La deuxième solution pour la femme
adultère est de révéler sa naissance à son enfant
illégitime. Ce dernier n'est pas obligé de la croire mais s'il le
fait, il doit refuser de succéder à son prétendu
père. La troisième solution est de « persuader à son
adultere (sans toutesfois continuer le peché auec luy) de satisfaire
à son mary par quelque bo[n] moyen, ou payer les frais à
l'Hopital, si l'enfans y a esté exposé479 : car il ne
doit pas viure aux despens des membres de Iesus Christ, qui sont les pauures
»480. Ici ressort la place particulière du bâtard,
même au sein d'établissements de charité tels que les
hôpitaux. Ces derniers craignent en effet ces « pauvres
abandonnés qu'une sinistre légende chargeait de tous les dangers
du péché et notamment de la vérole, la vraie, la syphilis
»481. L'amant peut cependant arguer de bien des choses afin de
se décharger de cette tâche. La quatrième solution est de
« persuader au mary de preferer les autres enfans, qui sont legitimes
& leur ordonner ses bie[n]s par son testament ou autrement
»482. Si elle pense trop attirer l'attention par ce moyen, elle
peut choisir de
473Ibid., p.119.
474Ibid., p.119.
475Ibid., p.121.
476Ibid., p.119.
477Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.161.
478Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.119.
479L'exposition des enfants consistait à
placer le nouveau-né non désiré dans un lieu visible afin
qu'il soit pris en charge par une
institution de charité.
480Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.121.
481Jean-Pierre BARDET (dir.), L'enfant
abandonné, Paris, CDU/SEDES, Histoire économie et
société, 3ème trimestre 1987,
p.295.
482Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.122.
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maîtrise | juin 2013 - 113 -
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mémoire | juin 2013 - 114 -
donner libéralement tout son bien à son mari et
à ses enfants légitimes. Le bâtard ne reçoit rien
mais son origine n'est pas dévoilée : il peut donc rester
auprès de sa « famille ». Si la femme ne possède aucun
bien, elle « doit le plus qu'elle pourra augme[n]ter les bie[n]s de la
maison, plus trauailler qu'elle n'est pas obligee, ieusner, & ma[n]ger
moins, pour espargner le bien, laiser [sic] les
bo[n]bans483, dorures, ornemens, atours & autres superfluitez
d'habillement, afin que par telle parcimonie elle puisse récompenser le
do[m]mage qu'elle fait auec son bastard à la maison
»484. Une autre solution est de placer l'enfant « en
quelque monastere & religio[n], ou il n'y ait moye[n] de iouyr d'aucuns
benefice »485. Elle peut aussi léguer tout son bien
à son mari et à ses enfants légitimes ou encore charger au
moment de sa mort un religieux d'avertir son mari. Cela est plus prudent selon
Benedicti que de l'annoncer elle-même à son mari car « elle
peut retourner à conualescence, & par consequent encourir son
indignation, & s'exposer aux mesmes dangers que dessus »486
à savoir la mort. Enfin, le dernier conseil de Benedicti est de s'en
remettre à Dieu si aucune des solutions développées
précédemment n'était possible.
Le franciscain emploie dans ce passage le vocabulaire de la
pitié en interpellant « la pauure miserable » ou « la
pauuvre infortunee »487 : « O pauuvres femmes que
abandonnez ainsi vostre honneur, regardez en quel labirinthe vo[us] estes
enuelopees. Voyez en quels precipices vous fait tomber ce peché
»488 leur lance-t-il puis, plus loin, « O vous autres
femmes Chrestie[n]nes qui prete[n]dez vostre part au ciel, vous vous deuez bien
tenir sur vos gardes, à fin de ne croire au siffle du serpe[n]t
tortueux, qui a trompé jadis vostre premiere mere Eue, & ne vous
donnez en proye à ses pipeurs mondains, lesquels apres qu'ils ont iouy
de la despouille de vostre ho[n]neur s'en gaussent, & en dressent leur
risee »489. Benedicti tente de sensibiliser les femmes à
leurs devoirs en leur rappelant la manière dont Ève a
chuté mais aussi en leur proposant des modèles féminins de
vertu : « Proposez vous vne Sara, vne Rachel, vne Judith, vne Suzanne,
& si vous aimiez mieux les Paye[n]nes, mirez vous à une Penelope,
à vne Arthemise, à vne Lucresse, qui ont preferé leur
ho[n]neur à tous plaisirs mo[n]dains »490. Toutes ces
femmes ont mené une vie d'épouse parfaite. Suzanne est
évoquée en plusieurs autres passages de La somme des pechez,
et le remede d'icevx. En effet, cette magnifique
483Les « bobans » signifient des
festivités, avec une idée d'ostentation.
484Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.122.
485Ibid., p.122. 486Ibid., p.120.
487Ibid., p.120. 488Ibid., p.121.
489Ibid., p.123. 490Ibid., p.123.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
jeune femme, mariée à Ioakim, est
accusée injustement d'adultère par deux vieillards avec qui elle
a justement refusé de pécher. Elle est finalement
innocentée grâce au prophète Daniel qui est alors un tout
jeune garçon491. Cette histoire montre la force de la foi en
Dieu. Suzanne, prête à être mise à mort pour un crime
qu'elle n'a pas commis s'en était en effet remise à sa
toute-puissance.
Benedicti affirme enfin qu'il revient au mari de faire cesser
l'adultère de sa femme. Ce dernier, s'il ne veut se séparer de
« sa femme perseuerante en adultere public, & habite auec elle en luy
rendant le deuoir de mariage, consent au peché de sa femme, laquelle il
doit chasser plustost de sa maison, & se separer d'auec elle, pour euiter
le souspeçon de luy fauorizer, & le scandale du peuple
»492. Agnès Walch rappelle que « [p]uisque c'est
à l'époux de maintenir l'autorité dans sa famille contre
toute incursion étrangère, puisqu'il est censé surveiller
et maîtriser le comportement de son épouse, il est le premier
responsable de ses débordements »493. Néanmoins,
certains maris gardent leurs femmes adultères, ne seraient-ce que pour
assurer la subsistance du ménage. De plus, le remariage étant
interdit au cocu, il est admis que « si le mary veut ou qu'il ne se puisse
contenir, il la peut rappeller, au moye[n] qu'elle se soit corrigee de so[n]
peché, & par ainsi se reconciliant auec elle, luy demander &
rendre le deuoir de mariage sans offense »494. La femme
adultère rappelée n'a aucune objection à apporter ici.
Cependant, Benedicti accorde à la femme en retour le droit de quitter
son mari adultère si cela se sait, ainsi que le droit de lui refuser le
devoir de mariage. Le franciscain donne aussi les raisons qui peuvent pousser
le mari à garder auprès de lui sa femme adultère : si la
chose est secrète, si son épouse s'est corrigée
d'elle-même et s'en est excusée, s'il était possible
qu'elle agisse d'une pire manière en étant loin de lui et enfin,
par charité, afin de la « reduire en la voye de salut
»495. Nous pouvons donc conclure que ce chapitre sur
l'adultère nous présente une femme dont le crime est plus grave
que celui de l'homme. Selon Pierre Darmon, cette « sévère
répression qui frappe les épouses infidèles cache la
hantise d'une domination de la femme dans le cadre du mariage. [...] On
retrouve cette crainte d'un univers où la hiérarchie est
bafouée jusque sous la plume des juristes les plus éminents
»496, affirme-t-il. Ainsi, même si les rituels festifs du
XVIe siècle
491Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Daniel, 13.
492Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.127.
493Agnès WALCH, Histoire de
l'adultère : XVIe-XIXe siècle, Paris,
Perrin, 2009 (coll. Pour l'histoire), p.37.
494Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.127.
495Ibid., p.129.
496Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.166-167.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 115 -
continuent à se moquer des maris cornus, la
sévérité est de mise lors des procès de femmes
adultères.
Si Benedicti admet que l'adultère a la même
gravité qu'il soit commis par l'épouse ou par son conjoint, son
discours reflète la pensée de son époque :
l'adultère de la femme est plus dangereux car ses conséquences
s'étalent dans un temps long. En affirmant néanmoins que l'homme
sera reconnu plus coupable que sa femme dans l'autre monde, le franciscain
contrebalance leur impunité aux yeux de la loi du XVIe
siècle. Nous allons à présent nous pencher sur la question
de la place de la concubine dans la société d'après les
mentions qu'en fait Benedicti.
La concubine : pécheresse à divers
degrés.
Jean Benedicti fait plusieurs fois référence au
péché de la concubine dans son ouvrage. Le concubinage est
quasiment exclusivement abordé dans la relation d'une femme avec un
clerc tandis que nous savons qu'il en existe de multiples formes au XVI
e. La concubine pèche à divers degrés car,
outre la fornication voire l'adultère que comprend son acte, elle commet
aussi l'inceste. En effet, « [c]elle qui a affaire auec celuy qui est
prestre ou religieux, commet inceste & sacrilege »497. La
concubine est « sacrilege : car elle a affaire auec vne personne consacree
à Dieu. Quant au prestre ou religieux, il peche bien mortellement, mais
il n'est pas sacrilege de son costé ; n'aya[n]t affaire sinon à
vne femme laye »498. Le concubinage des prêtres est en
passe de disparaître lorsque Benedicti rédige La somme des
pechez, et le remede d'icevx. Néanmoins, ses remarques virulentes
à l'égard des religieux qui le pratiquent montrent que la
chasteté absolue n'est pas encore acquise en cette fin de
XVIe siècle. Jean-Louis Flandrin précise que les
femmes qui sont les plus susceptibles de devenir les concubines d'un clerc sont
les servantes et les veuves499.
La lutte pour la chasteté du clergé est un
combat qui a commencé dès le IVe siècle quand
le concile d'Elvire (306) impose le célibat aux clercs dans les ordres
sacrés. Adhémar Esmein explique que, pendant que le droit
canonique se fixait, « l'idée [...] se fit jour que le concubinat,
impliquant chez les concubins une volonté suivie de se placer
497Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.134.
498Ibid., p.140.
499Jean-Louis FLANDRIN, Les amours
paysannes..., op. cit. [note n°275], p.272.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 116 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
en dehors du mariage, était plus délictueux que
la simple fornication, fait transitoire et isolé. Ainsi, ce fut
longtemps une question de savoir si un clerc devait être
déposé ou privé de son bénéfice à
raison d'une "simplex fornicatio", alors que cela ne faisait aucun doute
lorsqu'il vivait publiquement en état de concubinage
»500. La réforme grégorienne (XIe
siècle) demande aux clercs d'être irréprochables aux yeux
de la société ce qui entraîne une condamnation violente du
concubinage : les fidèles ne sont pas tenus d'assister à la messe
d'un prêtre concubinaire et sa complice doit être réduite en
servage par les seigneurs. Puis, au XIIe siècle, les clercs
des ordres majeurs qui ont une épouse ou une concubine sont
privés des offices et des bénéfices ecclésiastiques
tandis que le IIe concile de Latran (1139) fait du sacrement d'ordre
un empêchement dirimant au mariage501. Jusqu'au XVe
siècle, le concubinage des clercs est tacitement admis. Il fait
même débat au sein de l'Église : certains, voyant
l'éradication du concubinage impossible, pensent qu'il faudrait
plutôt autoriser le mariage des clercs. Un flou juridique et
théologique existe donc sur ce point. C'est au XVIe
siècle que va s'opérer le changement décisif en la
matière. Les querelles entre théologiens catholiques et
théologiens protestants mènent à une redéfinition
plus nette des droits et devoirs des prêtres ainsi que des conditions du
mariage, ce que nous avons déjà abordé
antérieurement. Les protestants ne voient aucune interdiction biblique
au mariage des prêtres, qu'ils réintroduisent donc
légitimement. Dans leur désir de se différencier des
protestants, les Pères de l'Église vont exiger avec force lors du
Concile de Trente que les clercs catholiques observent la chasteté. Si
le concordat de Bologne de 1516 avait menacé les clercs concubinaires de
la privation totale ou partielle de leur bénéfice502,
les décrets du concile de Trente proposent des mesures
échelonnées. Pierre-Toussaint Durand de Maillane décrit
les décisions prises lors de la XXVe session du concile sur
la manière de procéder contre les clercs concubinaires : «
après une première monition503, ils sont seulement
privés de la troisième partie des fruits [de leurs
bénéfices] ; après la seconde, ils perdent la
totalité des fruits et sont suspendus de toutes fonctions ; après
la troisième, ils sont privés de tous leurs
bénéfices et offices ecclésiastiques, et
déclarés incapables d'en posséder aucun ; en cas de
rechute, ils encourent l'excommunication »504.
500Adhémar ESMEIN, Le mariage en droit
canonique, 2e édition, mise à jour par R. GENESTAL et J.
DAUVILLIER, tome II, Paris, Libraire du recueil Sirey, 1929, p. 137.
501Amandine DUVILLET, « Du péché
à l'ordre civil, les unions hors mariage au regard du droit
(XVIe-XXe siècle) », thèse sous la
direction de Françoise FORTUNET, professeur à l'Université
de Bourgogne, soutenue en 2011 [disponible en ligne sur <
http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/69/70/10/PDF/these_A_DUVILLET_Amandine_2011.pdf]
(consulté le 24 février 2013). 502Le
bénéfice est la partie du bien de l'Église qui est
affectée à un clerc en récompense du service et du
ministère qu'il remplit au sein de l'Église.
503Une monition est un avertissement de type
disciplinaire.
504Pierre-Toussaint DURAND DE MAILLANE,
Dictionnaire de droit canonique et de pratique
bénéficiale, 2e édition, tome I, Lyon,
Duplain, 1770, p. 645, cité dans Amandine DUVILLET, op. cit. [note
n°501].
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 117 -
C'est ce que rappelle Benedicti lorsqu'il interpelle ainsi
ses coreligionnaires : « Notez cecy Euesques & Curez, & vous
autres qui habitez auec vos concubines, au grand scandale du populat. Quittez
vostre peché, ou quittez vostre benefice, si vous ne voulez estre de la
confrairie des ames damnees & perdues, desquels sont tapissees les rues
d'enfer »505. La notion de « scandale »
détermine de plus à l'époque par quel tribunal vont
être jugés les clercs qui se rendent coupables de concubinage. En
effet, depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), tout ce qui est
considéré comme un crime grave, c'est-à-dire pour lequel
il y a un scandale public, est jugé par les tribunaux séculiers,
royaux et non par les officialités c'est-à-dire les tribunaux
diocésains aux mains d'ecclésiastiques. Les deux justices en
cours dans le royaume de France sont souvent en conflit autour de ce qu'elles
pensent être de leur ressort propre. Ainsi, le concile de Trente veut
faire juger les cas de concubinage d'ecclésiastiques par
l'évêque506 tandis que la justice
séculière pense qu'il lui appartient de punir ces comportements
qui troublent l'ordre public.
Daniel Jousse précise que le concile de Trente «
ajoute, qu'à l'égard des Ecclésiastiques qui n'ont ni
bénéfices, ni pensions, s'ils perséverent dans leur crime,
& qu'ils refusent d'obéir aux monitions qui leur sont faites, ils
seront punis par la prison, ou par la suspense, ou déclarés
incapables de posséder à l'avenir aucuns bénéfices,
suivant les Canons de l'Eglise »507. Benedicti n'est pas aussi
précis à propos de la peine infligée à ces
pécheurs. Il explique le principe des trois avertissements suivis de
l'excommunication en cas de non réforme de la conduite du clerc mais
indique ensuite que « s'ils perseuerent l'espace d'vn an sans se soucier
des censures ils doiue[n]t estre seuerement punis par les superieurs selon la
qualité du faict »508. Il confirme que le système
de monitions s'applique à la fois pour les prêtres concubinaires
et pour les femmes qui vivent avec eux. Après ces trois avertissements,
ces dernières « outre les autres peines canoniques doiuent estre
chassees hors des villes & Eueschez, leurs bie[n]s estans appliquez aux
hospitaux »509. Cela est en accord avec les canons du concile
de Trente. Les autres peines canoniques comportent notamment
l'impossibilité de recevoir l'absolution de leurs péchés
« si elle ne laissent leurs concubinaires »510. Si ses
biens semblent pouvoir être confisqués et redistribués aux
hôpitaux, la concubine doit aussi
505Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.692.
506Daniel JOUSSE, Traité de la justice
criminelle de France, tome III, Paris, Debure Père, 1771, p.292
[disponible en ligne sur
<
http://books.google.fr/books?
id=gAZDAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false]
(consulté le 24
février 2013).
507Ibid., p.292.
508Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.140.
509Ibid., p.140.
510Ibid., p.140.
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mémoire | juin 2013 - 118 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
restitution pour les biens qu'elle aurait pu acquérir
par ce moyen. En effet, les gens d'Église n'ont aucun bien propre selon
Benedicti car ce qu'ils n'utilisent pas pour subvenir à leurs propres
besoins doit être donné aux pauvres511. Selon Jousse,
la femme condamnée peut être enfermée en plus d'avoir
interdiction de fréquenter le clerc avec qui elle
péchait512. Deux mentions de Benedicti montrent pour quelle
raison l'enfermement ou l'exil hors de la ville était parfois
nécessaire. Il prend en exemple la « concubine qui ne se veut
retirer & quitter son paillard »513 et un peu plus loin
« les prestres & gens d'Eglise qui retiennent femmes suspectes &
concubines en leurs maisons ou dehors, & principalement ceux qui les
appellent apres qu'ils ont esté contraincts de les chasser
»514. Cela peut mener à penser que les mesures visant
à enrayer la fréquentation de concubins étaient peu
suivies. Dans ce cas où l'entêtement d'une des deux parties, ou
des deux, est visible, la femme qui se livre au concubinage risque, tout comme
le clerc, l'excommunication.
Deux mentions seulement font l'état d'un concubinage
entre laïcs dans La somme des pechez, et le remede d'icevx. La
première se trouve au chapitre concernant le sixième commandement
et dit : « L'homme & la femme concubinaires pechent mortellement,
& s'ils ne promettent de s'amender & de se separer l'vn de l'autre, ils
ne doiuent estre absous »515. La deuxième, plus
étrange, est un exemple démontrant comment un chrétien
peut tomber dans l'irrégularité : « Celuy qui feroit monter
vne concubine en haut par vne fenestre pour abuser d'elle, si elle vient en
tombant à se tuer, ou rompre quelque membre, il est irregulier, pour
autant qu'il vaque à vne chose illicite : car celuy qui vaque à
vne chose illicite dont la mort de quelqu'vn s'en ensuit, ou ruptures de
membres, il est homicide, & par consequent irregulier »516.
Benedicti fait ici référence à des modèles de
concubinage qu'il n'explicite pas. Or, Jean-Louis Flandrin montre qu'il existe
encore au XVIe siècle de nombreuses formes de concubinage. Il
explique que les jeunes gens vivent parfois en cohabitation afin de tester
« leur goût l'un pour l'autre »517 avant de se
fiancer. De même, il existe en Corse et au Pays basque des concubinages
avant d'officialiser l'union par un mariage. Le célèbre adage
« Boire, manger, coucher ensemble, c'est mariage, ce me semble »
paraît légaliser les unions libres. Néanmoins, ce dernier
est complété par l'expression « mais il faut que
l'Église y passe » qui modifie
511Ibid., p.216.
512Daniel JOUSSE, op. cit. [note
n°506], p.293.
513Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.601.
514Ibid., p.609.
515Ibid., p.115.
516Ibid., p.613.
517Jean-Louis FLANDRIN, Les amours
paysannes..., op. cit. [note n°275], p.243.
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profondément le sens premier du proverbe. Maurice
Dumas précise que la « pression exercée par les
autorités ecclésiastiques a fait pratiquement disparaître
le concubinage au XVIIe siècle »518. La
dénonciation virulente des couples concubinaires en chaire par les
prédicateurs et les prêtres est peut-être la cause pour
laquelle ces derniers sont si peu mentionnés dans l'ouvrage de
Benedicti.
Le confesseur Benedicti trouve dans son manuel destiné
à d'autres confesseurs entre autres un moyen propre à leur
rappeler leurs obligations en tant que clercs. En réexpliquant les
peines lourdes auxquelles les concubins s'exposent, il souhaite les dissuader
de persévérer dans le péché.
La veuve : une femme toujours prête à
pécher.
Après avoir abordé les diverses relations
qu'entretient la femme avec l'homme, nous allons à présent nous
pencher sur les discours que suscite cette femme qui, pour un temps plus ou
moins long, n'est plus sous la puissance de l'homme. La veuve pose
problème du fait de sa capacité juridique et financière
retrouvée mais aussi par son possible remariage. Comme le rappellent les
auteurs de l'Histoire des femmes, un des problèmes auxquels se
trouve confrontée l'Église est celui des conséquences du
remariage sur la résurrection519. Dans un temps où la
polygamie est pourfendue, qu'adviendra-t-il des femmes remariées au
temps du retour de leurs maris ? Scarlett Beauvalet-Boutouyrie souligne de plus
qu' « alors que les rôles de la jeune fille et de la femme
mariée sont bien délimités, celui de la veuve est mal
fixé, si bien qu'elle dérange et inquiète
»520. Nous allons tenter de voir comment le franciscain Jean
Benedicti perçoit la place de la veuve dans la société
d'Ancien Régime en voyant tout d'abord quelle doit être la
conduite de la veuve, puis quel est son nouveau statut financier et enfin sa
position face au remariage.
Le discours tenu sur la veuve nous montre l'ambivalence
fondamentale de cette femme libérée de la tutelle de l'homme :
dangereuse car elle acquiert une indépendance qu'elle ne saura
prétendument pas gérer seule, elle est aussi privée de
l'appui masculin et elle serait donc « désarmée,
vulnérable, en péril aussi bien sur le plan matériel
que
518Maurice DUMAS, op. cit. [note
n°337], p.64.
519Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.98-99.
520Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être
veuve sous l'Ancien Régime, Paris, Belin, 2001 (coll. Histoire et
société : essais d'histoire moderne), p.21.
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mémoire | juin 2013 - 120 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 121 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
moral »521. Ce double visage que peut prendre
la veuve entraîne deux types de discours : l'un moralisateur, l'autre,
bienveillant. Benedicti n'échappe pas au désir des hommes de son
siècle de canaliser cette indépendance potentielle des veuves
mais il semble connaître les difficultés qu'elles rencontrent. La
veuve est dangereuse car, ayant connu les plaisirs de la chair, il lui est
difficile de garder la continence prêchée par l'Église. Le
discours clérical insiste sur la libération que devrait
représenter l'état de viduité : l'acte sexuel mettant
grandement les deux partenaires en danger de pécher, la veuve devrait se
réjouir de ne plus avoir à se soucier de cela. Néanmoins,
Benedicti montre que l'Église est consciente que son idéal de
continence est difficile à respecter. Il affirme que pèche la
veuve qui « se rementant de la cohabitatio[n] charnelle qu'elle a euë
auec son defunct mary, pre[n]d si grand plaisir en cela, qu'elle en sent les
aiguillo[n]s de la chair s'esmouuoir, sans se soucier de les repousser. Elle
doit chasser cela de sa fantaisie & inuoquer la grace de Dieu. Que si elle
ne s'en soucie pas, elle tombe au peché de paresse : outre qu'elle
s'expose par telle delectation & pensee, au danger de tomber en quelque
autre peché plus grief »522. Louée lorsqu'elle
garde sa chasteté retrouvée, elle serait même plus
méritante que les vierges qui elles n'ont aucun élément de
comparaison auquel se référer523. Mais la tentation
guette comme le montre l'histoire de cette « ieune veusue, laquelle estant
quelquesfois eschauffee de vin, auquel elle estoit subiette (chose bien
da[n]gereuse aux veusues, qui veule[n]t seruir à leur espoux Iesus
Christ) faisoit coucher auec elle vn petit enfant qu'elle auoit adopté.
Mais qu'arriua il ? Ce petit garçon esta[n]t incité par les
impudiques attoucheme[n]s de ceste veusue, il l'engrossa, n'aya[n]t encores que
dix ans »524. Cette anecdote, qu'elle soit véridique ou
inventée, présente divers comportements attendus de la part d'une
veuve. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie rappelle que les clercs « proposent
aux veuves de centrer leur existence autour de quatre points, qui concernent
aussi bien leurs attitudes que leurs actes : le retrait du monde et l'adoption
d'une conduite irréprochable, le gouvernement de la maison et
l'éducation des enfants, la prière et l'oraison, et enfin, la
pratique des bonnes oeuvres »525. Cette « ieune veusue
» était sur le chemin de la sanctification. Elle pratiquait en
effet les bonnes oeuvres puisqu'elle avait adopté un enfant et elle
devait de plus s'appliquer à son éducation. Néanmoins,
elle n'est pas parvenue à appliquer l'ensemble du programme puisque sa
conduite n'est pas irréprochable : enivrée, elle a des gestes
« impudiques ». Sa punition est d'afficher aux yeux de tous son
incontinence.
521Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.173.
522Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.158.
523Ibid., p.344.
524Ibid., p.137.
525Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être
veuve..., op. cit. [note n°520], p.33.
La pudeur, « consubstantielle à la femme
»526 selon Jean-Claude Bologne, doit être d'autant plus
exacerbée chez ces femmes seules de qui dépend maintenant leur
propre honneur. Ainsi, cette nouvelle épouse de Jésus-Christ, qui
trouve en lui une nouvelle autorité masculine, ne doit pas se farder ni
s'habiller de manière provocante : « que dira le peuple de ces
veusues tant piaffeuses, qui disent ne se vouloir iamais marier, &
temps-pendant elles vous marchent atteintees comme vne autre Venus ? A qui
pretendent-elles complaire ? A leur espoux Iesus Christ ? Il ne demande point
la beauté corporelle, qui n'est que l'ombre de celle de l'esprit,
laquelle il desire ardemment dit Dauid »527. Au XVIe
siècle se développe l'usage de porter le deuil en noir « la
première année de leur veuvage, puis les années suivantes
[de s'habiller] de noir et de blanc ou de couleurs sombres telles que le gris,
le bleu foncé ou le violet pour les bas par exemple
»528. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie explique que le «
souhait que la veuve se pare simplement et choisisse des couleurs sombres
repose sur la conviction que la modestie dans le vêtement est
nécessaire à la conservation de la pureté
»529. Cette modestie souhaitée s'oppose aux femmes qui
font de la piaffe, c'est-à-dire qui exposent un luxe exprimant la
vanité.
Pour ce qui est de l'importance de la prière et de
l'oraison, Benedicti montre qu'il faut que les veuves fréquentent
assidûment les bancs de l'Église. Elle sont les seules à
qui est autorisée la communion quotidienne530 tandis que nous
avons vu précédemment que le franciscain se moque des femmes
mariées qui croient devoir réitérer leur communion
fréquemment. La charité est un des attributs de la veuve et
celle-ci est exaltée dans l'exemple de la veuve de Jérusalem
louée par Jésus-Christ dans l'évangile de
Marc531. Benedicti raconte ainsi son histoire : « Iesus Christ
parlant de la veusue qui n'auoit ietté que deux deniers au tro[n]c de
l'Eglise, dist qu'elle auoit plus baillé que tous les autres pour ce
qu'elle auoit do[n]né no[n] pas du superflu de son estat, ains de ce
qu'elle auoit bie[n] affaire »532. Cet exemple montre que la
charité d'une veuve est très bien vue mais cela met aussi en
exergue la grande misère qui touche bien des femmes seules. Marcel
Bernos explique que ce « n'est pas un hasard si, dans les
déclarations de grossesses illégitimes, les veuves sont
fréquemment surreprésentées »533. La
solitude
526Jean-Claude BOLOGNE, Pudeurs féminines
: Voilées, dévoilées, révélées,
Paris, Seuil, 2010 (coll. L'univers historique),
p.147.
527Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.253.
528Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être
veuve..., op. cit. [note n°520], p.133. Ce même auteur
rappelle qu'avant le début
du XVIe siècle, le blanc était la
couleur du deuil en France.
529Ibid., p.133.
530Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.237.
531Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Marc, 12, 38-44.
532Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.490.
533Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.175.
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mémoire | juin 2013 - 122 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
dans laquelle vivent ces dernières peut les mener
à se prostituer pour assurer leur survie ou à se laisser
séduire plus facilement par un homme qui leur ferait des promesses de
mariage ou de soutien financier. Leur vulnérabilité les met plus
facilement à la merci de personnes peu scrupuleuses. C'est pourquoi
Benedicti rappelle que « l'opression des vesues, orphelins, pelerins &
autres pauures gens »534 est un péché mortel.
Pèche aussi celui qui « pend le proces au croc535, ne
voulant donner la sentence, ce qui se fait souuent au detrime[n]t des pauures
veusues, & orphelins, qui n'ont dequoy payer »536. Cette
remarque montre qu'il est souvent difficile pour une veuve sans moyen d'obtenir
une issue favorable dans un procès.
Ces quelques réflexions sur la pauvreté des
veuves nous permettent d'aborder l'aspect financier du veuvage. De quelles
ressources disposent-elles et dans quelle mesure peuvent-elles gérer
leurs biens ? La pauvreté des veuves est rappelée à
plusieurs occasions dans le texte de La somme des pechez, et le remede
d'icevx. Ainsi, il est recommandé de « secourir les vesues
»537 en leur faisant l'aumône et Bénédicti
affirme que les biens de l'Église leur appartiennent538.
L'évêque qui les dilapiderait à autre chose
pécherait et serait obligé à restitution. De plus, ceux
« qui sont commis pour egaller les tailles, tributs, & imposts, &
greuent plus les pauures que les riches, comme les veusues & orphelins,
outre le peché mortel qu'ils commettent, ils sont tenus à
restitution, de l'exces qu'ils ont imposé sur eux »539.
Il ressort de ces exemples une vulnérabilité des veuves et une
image de grande misère. Il ne faut pourtant pas oublier que la
pauvreté peut se transformer en signe d'élection dans le
catholicisme. C'est pourquoi Benedicti peut affirmer : « ceux qui sont
pauures des biens de ce monde, & les vesues, orphelins, pelerins &
autres semblables sont de la part des predestinez : car ils sont membres de
Iesus Christ, comme dit l'Euangile »540. La richesse les attend
donc au Paradis. Il faut bien cependant que les veuves vivent et
élèvent leurs enfants en ce monde.
À la mort du mari, la femme peut percevoir deux types
de biens. Dans les coutumes du Nord de la France, la veuve reçoit «
la moitié de la masse commune des meubles et acquêts mobiliers et
immobiliers, tandis que les héritiers du défunt (ses enfants ou
à défaut les collatéraux) reçoivent l'autre
»541. Le douaire coutumier
534Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.574.
535Cesser de poursuivre un procès.
536Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.184.
537Ibid., p.658.
538Ibid., p.684.
539Ibid., p.703.
540Ibid., p.638.
541Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être
veuve..., op. cit. [note n°520], p.196.
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maîtrise | juin 2013 - 123 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 124 -
correspond quant à lui à « la jouissance en
usufruit de la moitié des héritages que le mari possède au
jour du mariage et de ceux qu'il a reçus, en ligne directe, pendant la
durée de l'union »542. Si le mari souhaite fixer
précisément ce qui reviendra en douaire à sa veuve, il
doit le signifier dans le contrat de mariage. Il s'agit alors d'un douaire
« préfix ». Dans les régions du Sud de la France, qui
suivent le droit romain en matière juridique, la veuve «
récupère sa dot, ainsi que les linges et hardes qui
étaient en son usage pendant la durée de l'union
»543. Certaines précautions sont prises pour que le mari
ne dilapide pas la dot de sa femme. Aussi, le mari qui s'approprie les fruits
du placement de la dot de sa femme est tenu à restitution car il commet
l'usure544. Si les conjoints sont pauvres, la veuve a peu de chances
d'obtenir quelques moyens de subsistance malgré l'aide que lui doivent
les héritiers de son mari. Afin de recevoir son douaire, la veuve doit
aussi se plier à certaines contraintes sans quoi, il peut lui être
retirer. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie explique que « [n]on seulement la
veuve est tenue de porter le deuil pendant la première année de
son veuvage, mais elle doit aussi se montrer honnête, décente et
chaste dans sa conduite »545 si elle ne veut pas perdre ses
avantages. C'est pourquoi Benedicti explique que « la veusue à
laquelle son mary a laissé des biens, à la charge qu'elle viue en
continence, vient à forniquer [...], elle ne peut retenir [ces biens] en
saine conscie[n]ce, si elle ne vit chastement »546.
Le confesseur préconise aux veuves de placer leurs
biens « en fonds, ou en commerce, ou en association, ou en autres choses
licites »547. En effet, afin de subvenir à leurs besoins
et à ceux de leurs potentiels enfants, les veuves, si elles n'occupaient
avant que des tâches domestiques, doivent trouver rapidement un emploi.
Pour les veuves de maître artisan, la possibilité de garder
l'atelier de leur mari était déterminée par la
corporation. Celle-ci pouvait lui autoriser ou non de conserver des apprentis,
la main-d'oeuvre la moins chère, ce qui déterminait dans les
faits sa capacité à continuer son activité. Si la
corporation lui refusait cela, elle devait « leur trouver de nouveaux
maîtres et ne bénéficiait plus de leurs services. Elle se
trouvait ainsi dans la quasi-obligation de fermer boutique
»548. Il apparaît que « la nécessité
de remplacer le travail du mari défunt par une main-d'oeuvre
salariée empêchait sans doute plus de 90% des veuves d'artisan de
rentabiliser pleinement l'affaire de leur mari »549. Les veuves
se trouvaient donc dans une
542Ibid., p.200.
543Ibid., p.209.
544Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.294.
545Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être
veuve..., op. cit. [note n°520], p.219.
546Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.116.
547Ibid., p.306.
548Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.61.
549Ibid., p.62.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
situation financière très difficile. Les
activités qui paraissent les plus à même de les accueillir
sont celles hors des corporations. Les petites entreprises, telles que les
« tavernes, les cafés, les commerces de victuailles, la fabrication
de gâteaux, de pâtés ou de beignets, ainsi que les locations
de meublés »550 leur permettaient de percevoir une
rémunération. Néanmoins, dans les registres des Bureaux
des Pauvres, oeuvre de charité, « les veuves représentent un
fort contingent »551.
La solution que trouvent certaines veuves à cette
misère est le remariage. Au XVIe siècle, bien que
« le mariage suppose une obligation à vie, il était souvent
considéré comme une union temporaire interrompue par la mort d'un
des deux époux. Peu de couples vieillissent ensemble, et les jeunes
pères ou mères, restés seuls avec une ribambelle d'enfants
en bas âge ne tardent pas à se remarier »552.
L'Église cependant a une position double sur cette question. Il semble
que l'entrée au couvent et une vie de prière soit le
modèle idéal proposé aux veuves. Cependant, bien des
théologiens savent que ce modèle est inaccessible pour beaucoup.
Tout d'abord, la présence de jeunes enfants ou le désir des
familles de nouer une nouvelle alliance peuvent être des facteurs
d'empêchement à l'entrée au couvent. Selon Scarlett
Beauvalet-Boutouyrie, « 80% des veuves les plus jeunes,
c'est-à-dire celles qui ont moins de 30 ans à la mort de leur
époux, se remarient »553. Benedicti reconnaît de
plus qu'il « vaut mieux se marier que de brusler par fornication, ou de
faire pis »554. La nécessité pour certaines
femmes d'avoir des relations sexuelles, idée commune aux hommes de ce
siècle, est acceptée. Néanmoins, trop d'empressement
à se remarier est mal vu car cela suppose « qu'elle garde des
besoins sexuels pressants »555. De plus, plus elle se remarie,
plus le soupçon d'incontinence pèse sur elle. L'Église
requiert donc un délai d'un an avant toute nouvelle union. Si la femme
n'est pas assurée du décès de son mari, dans le cas
où celui-ci aurait brusquement disparu sans donner de nouvelles,
Benedicti conseille un délai de cinq ans avant un éventuel
remariage556.
Scarlett Beauvalet-Boutouyrie rappelle que jusqu'au
XVIe siècle, certains clercs ont refusé de «
donner la bénédiction nuptiale aux mariés dans le cadre de
secondes noces »557. Cette pratique montre bien les
résistances au remariage. La « vraie veuve »
550Ibid., p.62.
551Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être
veuve..., op. cit. [note n°520], p.311.
552Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit.
[note n°79], p.97. 553Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE,
Être veuve..., op. cit. [note n°520], p.338.
554Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.461.
555Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église...,
op. cit. [note n°3], p.176. 556Jean BENEDICTI, La
somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note
n°170], p.469. 557Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE,
Être veuve..., op. cit. [note n°520], p.48.
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maîtrise | juin 2013 - 125 -
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mémoire | juin 2013 - 126 -
est en effet depuis saint Paul celle qui ne se remarie pas et
qui se consacre à la prière et à l'oraison. Jean Benedicti
énumère longuement les noms de ces veuves exemplaires afin
d'édifier les fidèles et de porter les veuves à
s'identifier à ces figures. Néanmoins, les diverses figures qu'il
évoque se mettent parfois en contradiction avec son affirmation initiale
disant que c'est « chose certain que la vesue qui se contente du premier
mary est plus honorable & merite plus que celle qui se marie plusieurs fois
»558. Ainsi, la romaine « Porcia » a eu deux
époux, Bibulus et Brutus. « Martia fille de Caton »
était en réalité la femme de ce dernier qui la donna en
mariage à un autre homme avant de la reprendre comme épouse
à la mort de celui-ci. « Anne » est un prénom que
portèrent beaucoup de femmes mais, s'il s'agit là de la
mère de Marie, la Légende dorée la crédite
de trois époux successifs : Joachim, père de la Vierge Marie,
Cléophas et Salomé559. Si « la belle Dido »
(Didon) est louée pour avoir refusé d'épouser le souverain
local après le départ d'Énée, il faut souligner
qu'elle n'était pas mariée à ce dernier et qu'elle est par
ailleurs dénoncée en d'autres endroits de l'ouvrage pour
s'être immolée par « inconsidération ». Aussi,
parmi ces modèles, il en reste quatre qui présentent
réellement l'histoire de veuves ayant refusé de se remarier et
remarquables par leurs actes. Valeria était la fille de l'empereur
Dioclétien, qui la maria à Galère. À la mort de ce
dernier, elle reçut des offres. Néanmoins, elle « ne voulut
iamais prendre vn second mary, dist-elle, que le premier viuoit encores en son
coeur, bien qu'il fust decedé »560. Ses refus à
Maximilius la vouent à l'exil et à la confiscation de ses biens.
Sa mort est ordonnée quelques années plus tard et bien qu'elle
réussît à se cacher durant un an, elle fut
découverte et décapitée avec sa mère sur une place
publique. La « Royne Arthemise » est connue quant à elle pour
avoir fait bâtir « vn monument si richement elabouré qu'il
fut mis entre les sept merueilles du monde : dequoy n'estant contenté
feist rediger561 les propres ossemens en poudre (ô
l'incomparable amour d'vne vesue [sic] !) pour les boire &
incorporer en son estomach »562. Son mari était Mausole
et le Mausolée d'Halicarnasse fait effectivement partie des sept
merveilles du monde. Elle aurait en effet avalé quotidiennement les
cendres de son mari, mêlées à sa boisson. « Saincte
Iudith » est peut-être la figure la plus légendaire parmi ces
veuves. Cette dernière, jeune et belle, délivra sa ville
(Béthulie) de l'oppresseur Holopherne. Elle utilise pour cela la ruse,
s'introduit dans le camp ennemi sous le prétexte d'apporter des
renseignements au général qu'elle séduisit, enivra et
décapita. Cette dernière « vesquit cent cinq ans :
voylà comme Dieu
558Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.460.
559Jacques de VORAGINE, op. cit. [note n°295],
p.494.
560Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.461.
561Ramener, réduire à quelque chose.
562Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.461.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
reco[m]pense la chasteté viduelle
»563. Enfin, « Anne fille de Phanuel » est une
prophétesse qui est restée veuve alors qu'elle avait vécu
seulement sept ans mariée. La Bible raconte que « parvenue à
l'âge de quatre-vingt-quatre ans, elle ne quittait pas le Temple, servant
Dieu nuit et jour dans le jeûne et la prière »564.
C'est donc l'idéal d'une vie longue et glorieuse qui est proposé
à ces veuves qui hésitent à se remarier. Il faut
néanmoins souligner qu'au « début des Temps modernes, un
mariage sur trois ou quatre est un remariage »565.
En conclusion, nous pouvons donc dire que le discours sur les
rapports que doivent entretenir les femmes avec l'homme est abondamment fourni
et qu'il constitue une part majoritaire du discours que tient Benedicti sur la
femme. Il ne faut pas s'étonner de cette proportion si l'on
considère que cette relation homme / femme est la plus évidente
dans une société et qu'elle est de plus, au XVIe
siècle, le lieu toujours possible du péché. Le franciscain
rappelle à la femme ses devoirs d'obéissance envers son mari mais
lui confère toutefois certains droits. La femme adultère est
quant à elle honnie, essentiellement pour le risque qu'elle fait courir
de dilapider l'héritage entre des bâtards. La concubine fait
surgir la figure du clerc incontinent et des problèmes que ce dernier
pose. Enfin, la veuve, malgré ses difficultés financières,
est appelée à vivre dans une chasteté qui la mène
sur le chemin de la sanctification. Nous allons à présent nous
pencher sur le rapport particulier que la mère entretient avec son
enfant.
LA FEMME ET L'ENFANT.
Saint Paul affirme que la femme « sera sauvée en
devenant mère »566 malgré la faute commise par
Ève. Il semble que la maternité soit le seul moyen qui permette
à la femme de réparer, ou du moins de ne pas aggraver, la faute
de la première mère de l'humanité. La femme entretient un
rapport très étroit avec l'enfant qu'elle met au monde, qu'elle
nourrit dans la majorité des cas, et qu'elle doit éduquer dans
ses premières années. Benedicti accorde une place à la
figure de la mère dans son discours. Il dévoile quelles sont les
difficultés de la grossesse et les comportements déviants
à proscrire selon lui. Le confesseur insiste aussi sur l'attitude
à avoir lors de l'allaitement de son enfant et il présente ses
inquiétudes face à la pratique de la mise en nourrice des
563Ibid., p.461.
564Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Luc, 2, 37.
565Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.98. 566Bible de
Jérusalem, op. cit. [note n°6], ITm 2, 15.
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maîtrise | juin 2013 - 127 -
nourrissons. Enfin, les devoirs de la mère
éducatrice sont soulignés. En effet, c'est à elle qu'est
de plus en plus confié le soin d'éduquer chrétiennement
ses enfants et les théologiens catholiques du XVIe
siècle sont conscients des enjeux de cette mission.
Porter un enfant et le mettre au monde.
La femme qui veut porter un enfant dans de bonnes conditions
doit tout d'abord respecter les interdits prescrits pour les rapports sexuels.
Ces derniers déterminent non seulement la fertilité mais aussi la
bonne issue de la grossesse. Durant cette dernière, certaines
règles doivent être suivies, que rappelle Jean Benedicti. Des
modèles bibliques sont présentés aux futures mères
afin de les sensibiliser à leurs responsabilités. L'accouchement
et le baptême de l'enfant sont plus longuement détaillés du
fait des problèmes que peuvent rencontrer les mères à ce
moment. La mortalité des femmes en couches et celle des
bébés est très importante. Le confesseur connaît les
nombreuses superstitions qui ont cours dans ces moments et ressent le besoin de
délimiter strictement les pratiques acceptables aux yeux de
l'Église de celles du peuple. Enfin, la question des pratiques
anticonceptionnelles est abordée d'une manière virulente par le
franciscain.
Les critères d'optimisation des rapports sexuels,
développés auparavant, sont : une position facilitant la
procréation, un moment propice, c'est-à-dire hors des temps
d'interdits imposés par l'Église, et un lieu qui n'entraîne
pas le scandale des autres croyants. En dehors de ces critères, les
rapports sont considérés comme « impudiques
»567 et la punition divine pour ce péché est tout
d'abord la stérilité de la femme, empêchant la
lignée de se poursuivre. La stérilité était
considérée comme « un bouleversement de l'ordre naturel des
choses, peut-être dû à un péché ou à
l'impossibilité de remplir son devoir sexuel, bouleversement qui
risquait de se répercuter négativement sur toute la
communauté »568, précise Léa Wynne Smith.
En effet, l'enfant a un rôle important dans la société du
XVIe siècle. Il apporte une aide précieuse aux classes
populaires par sa force de travail et représente un héritier
potentiel et la continuité de la lignée dans les classes sociales
plus aisées. Lui seul peut soutenir ses parents dans leur vieillesse et
prier pour leur âme après leur trépas. Léa Wynne
Smith souligne enfin que « dans l'univers essentiellement agricole de la
France du début de l'époque moderne, un
567Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.
568WYNNE SMITH, Lisa, « La raillerie des
femmes ? Les femmes, la stérilité et la société en
France à l'époque moderne », dans Femmes en fleurs,
femmes en corps : sang, santé, sexualités, du Moyen Âge aux
Lumières, Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN (dir.),
Saint-Étienne, Publications de l'Université de
Saint-Étienne, 2010 (coll. L'école du genre), p.206.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 128 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
lien étroit était établi entre la
fertilité d'un couple, la santé du bétail et l'abondance
des moissons, et un couple stérile pouvait être porteur de
malchance »569. Jacques Gélis met aussi l'accent sur la
correspondance effectuée à l'époque entre la Terre et la
femme. La « Terre-Mère », la Terre « nourricière
» « conserve et transforme, ébauche et parfait ; son ventre
plantureux s'acharne à assurer la permanence du cycle vital
»570. Une femme stérile pourrait entraîner une
stérilité des sols et toute la communauté villageoise se
soude pour la pousser à entreprendre les démarches qui devaient
lui permettre de remédier à cette situation. Benedicti n'aborde
pas la question des rites de fertilité car l'Église du
XVIe siècle cherche avant tout à les voir
disparaître : on tait leur existence afin de ne pas donner des
idées à des personnes trop crédules. Néanmoins,
nous savons que des « méthodes plus ou moins magiques consistaient,
entre autres, à rendre visite à une femme qui venait d'enfanter
ou à porter ses vêtements, à toucher des animaux ou des
plantes fertiles, à frotter ou à toucher des pierres
dressées, à porter des amulettes ou à recourir à
des sortilèges »571. Benedicti pense que l'oraison
offerte à Dieu peut fléchir sa position. En effet, dans la Bible,
ce n'est pas la femme, ni l'homme, qui est responsable de la
stérilité. Elle est une décision divine. Aussi, c'est
à Dieu et non à quelque superstition qu'il faudrait se fier pour
obtenir un enfant. Anne, stérile depuis de longues années, tombe
enceinte de Samuel, un prophète biblique, après une longue
oraison mentale offerte à Dieu572. Benedicti rappelle cette
histoire573 et, par là, peut vouloir conseiller aux femmes de
l'époque de se tourner vers Dieu dans l'épreuve de la
stérilité.
Lorsque la grossesse est avérée, la future
mère doit à tout prix protéger le fruit qu'elle porte. De
nombreux conseils lui sont prodigués à la fois par la
communauté des femmes qui l'entoure et par des manuels
spécialisés. Benedicti les reprend en partie dans son ouvrage. Il
rappelle ainsi que certains mouvements sont à proscrire afin
d'éviter la perte de l'enfant. Pèche donc « celle qui
s'expose au manifeste peril d'auorter, encor qu'elle ne le face pour mauuaise
intention, comme en sautant, dansant, ballant574, portant de gros
& pesant fardeaux, se lassant par trop, courant indiscrettement par les
ruës »575. Ainsi, la femme enceinte semble avoir une place
à part dans la société. Il ne faut pas qu'elle « se
blesse », c'est-à-dire qu'elle perde son enfant, et pour cela, on
lui évite les lourdes charges. Dans la réalité, peu de
femmes du peuple peuvent se ménager durant
569Ibid., p.206.
570GELIS, Jacques, L'arbre et le fruit : la
naissance dans l'Occident moderne XVIe-XIXe
siècle, Paris, Fayard, 1984, p.21.
571Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN (dir.),
op.cit. [note n°568], p.213.
572Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], I Samuel, 1.
573Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.87.
574Le terme « baller » signifie «
piétiner, danser, sauter, s'agiter ».
575Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.110.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 129 -
leur grossesse et, malgré des conseils tels que «
ne pas se coiffer soi-même, ne pas hausser trop les bras
»576, nombreuses sont celles qui continuent leur
activité jusqu'au moment critique de l'accouchement. Benedicti leur
accorde certains privilèges tel celui de ne pas jeûner. Il admet
en effet que « les femmes enceintes so[n]t excusees, ensemble les
nourrices, ausquelles il conuient manger pour deux personnes, sçauoir
est, pour elles & pour leurs enfans : mesmes elles pourroie[n]t bien
offenser en voula[n]t s'opiniastrer à ieusner, sinon qu'elles fussent si
robustes, qu'vne seule refectio[n] leur suffist à elles & à
leurs nourrissons »577.
Le régime proposé aux femmes qui le peuvent est
celui de la « médiocrité » c'est-à-dire de la
modération en toute chose. Benedicti propose ainsi de «
prude[m]ment gouuerner les femmes enceintes, & ne leur permettre de vaquer
par trop à leur plaisir, ne les affliger aussi toute l'a[n]nee qu'elles
portent leur fruit au ve[n]tre, afin qu'elles viue[n]t en tranquillité
& repos »578. Il faut donc que la femme enceinte dorme
bien, demeure dans des endroits tempérés, évite les odeurs
fortes ou les « spectacles effrayants ou seulement insolites qui
risqueraient de provoquer la naissance d'un monstre »579. Les
bruits trop forts sont à proscrire car ils peuvent provoquer
l'avortement. « Une frayeur, une colère, une
contrariété peuvent avoir le même résultat. La femme
enceinte a le devoir, pour son enfant, de dompter et de modérer ses
passions. Son entourage ne doit pas lui faire peur, ni lui annoncer subitement
des nouvelles qui puissent l'attrister ou la tourmenter »580
analyse Catherine Fouquet. La femme enceinte doit enfin manger
modérément mais suivre ses « envies » « sous peine
de voir le corps de l'enfant marqué de ces envies
rentrées, taches de vin ou de fruit par exemple
»581. Les relations sexuelles sont elles strictement interdites
durant la grossesse. Le « peril de suffoquer le fruit ia co[n]ceu
»582 est trop important selon Benedicti pour que les
mariés se permettent de vaquer « à l'oeuure de mariage
». Plus le moment de l'accouchement approche, plus le péché
est grand et les risques pour l'enfant importants d'après le franciscain
qui prend en exemple la continence dont sont supposés faire preuve les
éléphants et les cerfs « auec la femelle ta[n]dis qu'elle
est pleine »583.
576KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine,
L'histoire des mères du Moyen-Âge à nos jours,
Paris, Éditions Montalba,
1980, p.47.
577Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.201.
578Ibid., p.153.
579François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111.
580KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine,
L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576],
p.47.
581François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111.
582Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.153.
583Ibid., p.153.
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mémoire | juin 2013 - 130 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Si la femme enceinte peut paraître en état de
grâce aux yeux de la société de l'époque, Benedicti
rappelle néanmoins que sa nature funeste la poursuit. En effet, la
mère marque son enfant de la macule du péché originel.
Benedicti insiste sur le fait que « nous co[n]tractons au ventre de nos
meres » ce « peché de nature »584 dont seule
la Vierge Marie a été exemptée585. Il combat en
un autre endroit de son ouvrage la croyance calviniste selon laquelle les
enfants sont justifiés, c'est-à-dire qu'ils retrouvent leur
innocence originelle, au ventre même de leur mère. Seul le
baptême peut permettre aux enfants catholiques de retrouver cette
innocence selon Benedicti qui appuie sur le fait que « les vns & les
autres sortent du ve[n]tre de leurs meres tachez de peché originel,
& tous enfans d'ire & de perditio[n] »586. Benedicti se
désole lui-même d'être un « pauure enfant d'Eue
»587 et remercie la Vierge Marie de l'avoir aidé «
depuis que le ventre maternel [l]'a ietté sur la terre
»588. Son discours oppose l'image d'une Vierge bienveillante,
au ventre protecteur qui accueille le sauveur de l'humanité, à la
simple femme dont le ventre fourbe expulse un enfant déjà
marqué du péché. Benedicti oppose sans cesse Ève
pécheresse à Marie, sainte femme. Deux modèles de
maternité sont proposés aux femmes enceintes. Marie est
constamment louée, elle qui dit : « Voicy la seruante de Dieu,
me soit fait, o sainct Gabriel, selon vostre parole
»589. Au contraire, Ève, « la pauure mesquine
», qui croit être enceinte du fils de Dieu promis à Adam, est
tournée en dérision : « Ah pauure Eue, tu estois bien
trompee, pensant estre celle qui porteroit le Sauuer [sic], ceste
prerogatiue estoit bien reseruee à une plus digne que toy
»590. Benedicti l'accuse même, ayant mis au monde
Caïn, d'avoir « plustost enfanté vn petit Antechrist, que non
pas le fils de Dieu »591. En effet, le fils aîné
d'Adam et Ève tue Abel, son petit frère, et devient par là
le tout premier meurtrier de l'humanité. La période de la
grossesse a donc un double visage : la femme assure une descendance et est
louée pour cela ; néanmoins, elle porte le poids de la
malédiction originelle et croiser une femme enceinte semble même
inquiéter les plus superstitieux592.
Au chapitre concernant la fréquence de la confession,
Benedicti indique que peuvent se confesser hors de la période de
Pâques ceux qui sont « au peril de leur vie.
584Ibid., p.14.
585Jean BENEDICTI, La Somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op.cit. [note n°170], « Epistre
dedicatoire ». Nous signalons
que le confesseur franciscain fait ici un dogme d'une croyance
qui ne sera officiellement reconnue par l'Église qu'en 1854
(dogme de l'Immaculée Conception).
586Ibid., p.388.
587Ibid., « Epistre dedicatoire
».
588Ibid., « Epistre dedicatoire
».
589Ibid., « Epistre dedicatoire
».
590Ibid., « Epistre dedicatoire
».
591Ibid., « Epistre dedicatoire
».
592Ibid., p.39.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 131 -
De là vie[n]t que les femmes enceintes & prestres
[sic] d'accoucher, & principalement les ieunes, qui n'ont encores
porté enfant, se doiuent confesser & en bon estat
»593. Benedicti semble donc connaître les
difficultés, voire les dangers, de l'accouchement au XVIe
siècle et il demande aux femmes près de leur terme de prendre
leurs précautions afin qu'elles ne meurent pas sans s'être
confessées. Un proverbe gascon de l'époque disait « Femme
grosse a un pied dans la fosse »594. Tous les historiens
soulignent la difficulté qu'il y a à évaluer
précisément les taux de mortalité en couches, tant pour
les mères que pour les enfants. François Lebrun estime que la
mortalité maternelle « transparaît dans la
surmortalité féminine entre 25 et 40 ans, alors que la
surmortalité masculine est la règle, hier comme aujourd'hui dans
toutes les autres tranches d'âge »595. Les risques sont
importants et, comme il est courant dans ce cas, les superstitions sont
nombreuses entourant la délivrance de la femme. Benedicti cite
l'utilisation de la pierre d'aigle portée par les femmes « pour se
rendre plus larges [...] en leur enfantement »596.
Significativement, cette pratique n'est pas décriée. Benedicti
évoque aussi la croyance en une action maléfique de sorciers.
Ainsi le sorcier Cyprien aurait lié « les femmes enceintes
telleme[n]t, qu'elles ne pouuoie[n]t enfanter »597. Si le
confesseur franciscain n'évoque que la pierre d'aigle, bien d'autres
remèdes étaient utilisés afin de faciliter la venue au
monde de l'enfant. Les nombreuses femmes présentes lors de
l'accouchement entourent la parturiente et peuvent « lui mettre sur le
ventre le bonnet de son mari ou, aux pieds, ses chaussures, lui entourer la
cuisse droite d'une peau de vipère ou lui faire boire des tisanes
à base de sauge, de fenouil ou d'eau-de-vie, voire d'eau de
tête-de-cerf ou de morceau de peau de loup »598. Les
pratiques les plus communes seraient le « port d'une ceinture bénie
par la Vierge ou de sainte Marguerite, ou [un] pèlerinage, fait
soi-même ou par personne interposée, aux sanctuaires
spécialisés qui existent dans toutes les provinces et sont
dédiés à Notre-Dame-de-Délivrance, de Bon-Secours
ou des Sept-Douleurs ou à sainte Marguerite »599. Les
sages-femmes sont incriminées lors des accouchements qui se finissent
mal et Benedicti conseille de se méfier d'elles600.
François Lebrun rappelle qu'elles ne peuvent théoriquement «
exercer que si elles ont subi deux examens, l'un devant le curé de la
paroisse, l'autre devant un chirurgien ». Néanmoins, seul le
premier est observé et les connaissances des sages-femmes ne sont
593Ibid., p.219.
594François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111.
595Ibid., p.117.
596Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.560.
597Ibid., p.46.
598François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement et de l'éducation, tome II : De
Gutenberg
aux Lumières (1480-1789), Paris, Perrin, 2003
(coll. Tempus), p.45.
599François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111-112.
600 Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170],p.46.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 132 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
pas contrôlées. Jacques Gélis souligne
donc que l'« empirisme était la règle, avec tout ce que cela
impliquait de spontanéité heureuse et de conduite aberrante. Une
présentation vicieuse, un bassin trop étroit, conséquence
du rachitisme de la petite enfance, et tout basculait. L'accoucheuse perdait
son assurance. Marquée par la souffrance, la femme s'épuisait au
fil des heures et les compagnes qui l'assistaient se laissaient gagner par le
doute »601. La mortalité néonatale,
c'est-à-dire survenue au cours du premier mois de l'enfant, serait
comprise entre 10 et 20% du total des naissances602.
Les fréquentes difficultés lors de
l'accouchement imposaient au moins un savoir aux sages-femmes : « les
sages femmes qui ne sçauent pas la forme de baptiser »603
étaient en état de péché mortel. C'est cette
compétence, et leur moralité, qui étaient
vérifiées par les curés de l'époque. Il fallait en
effet éviter à tout prix que l'enfant meure sans baptême.
Les conséquences dans ce cas étaient lourdes pour lui. Jacques
Gélis explique que « le nouveau-né qui mourait avant qu'on
ait pu lui conférer le sacrement du baptême était
doublement pénalisé. Son âme était vouée
à des souffrances éternelles, puisqu'elle était
privée de la vision de Dieu : c'était la peine du dam. Quant
à son corps, il ne pouvait rejoindre la communauté des morts ; il
n'avait pas sa place en terre consacrée, auprès des
ancêtres »604. L'enfant mort dans ces conditions erre
dans les Limbes, espace proche de l'Enfer. Il n'a pas pu en effet être
lavé du péché originel par le sacrement du baptême.
C'est pour cette raison qu'il est impropre à entrer au Paradis et
à contempler Dieu. Benedicti précise qu'on « ne permet qu'on
enterre les enfans decedez sans le Baptesme en terre saincte
»605. Cette règle était très durement
ressentie par les parents de l'époque. Jean Benedicti développe
les raisons pour lesquelles les enfants ne devaient pas être
enterrés en terre sainte en introduisant ainsi son discours : « ie
vien satisfaire à la demande d'aucuns Catholiques : lesquels conduits
d'vne cruelle misericorde trouuent estrange que l'enfant d'vn bon pere &
d'vne bonne mere qui meurt sans baptesme soit priué du ciel
»606. Il semble donc que les parents et leur entourage aient
exprimé un sentiment d'injustice face à ce drame. Le
développement des sanctuaires à répit607 peut
être interprété comme la réponse des parents,
pères et mères, à l'angoisse suscitée par la mort
de leur enfant. Les enfants morts-nés étaient en effet
emmenés par une femme proche des parents, ou payée par eux, dans
ces sanctuaires où,
601Jacques GELIS, Les enfants des Limbes :
mort-nés et parents dans l'Europe chrétienne, Paris, Louis
Audibert, 2006, p.18-19.
602François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.118.
603Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.392.
604Jacques GELIS, Les enfants des Limbes...,
op. cit. [note n°601], p.26.
605Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.391.
606Ibid., p.388.
607Ces sanctuaires sont souvent des églises,
parfois des lieux consacrés où des miracles auraient
déjà eu lieu. Les enfants sont
déposés de préférence sur l'autel
des églises, qui sont censés contenir les restes de saints
personnages, au pied d'une statue ou
devant une image sainte.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 133 -
au prix de ferventes prières, l'animation du corps de
l'enfant pendant un court instant permettait d'en déduire son retour
à la vie et de lui faire bénéficier du sacrement du
baptême. L'Église cherche à réguler cette pratique
mais Benedicti souligne que « la foy du pere & de la mere, & les
prieres, oraisons, jeusnes, aumosnes, voyage & autres deuotions
»608 peuvent aider leur enfant à recevoir le
baptême dans l'au-delà, grâce à la miséricorde
divine.
Afin d'éviter des pratiques superstitieuses qui
menaient à l'exposition du corps d'un enfant mort dans un sanctuaire
pendant plusieurs jours, les clercs acceptaient que les femmes baptisent les
enfants qu'elles pensaient être en danger de mort. L'ondoiement est le
nom de ce baptême fait par la sage-femme au moment de l'accouchement.
François Lebrun explique qu'il « doit être fait en
présence de deux témoins qui attesteront devant le curé
que les formes prescrites ont été respectées. Le rite est,
d'ailleurs, volontairement réduit au minimum, puisqu'il est seulement
demandé à la personne qui baptise, de verser de l'eau naturelle,
à défaut d'eau bénite, sur la tête ou sur quelque
autre partie du corps de l'enfant en disant "distinctement et avec attention",
en latin ou en français : "Je te baptise au nom du Père et du
Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il" »609. Benedicti montre
que les femmes ont usé de ce droit lorsqu'il affirme qu'il est
inacceptable que le confesseur ne sache pas « les paroles sacramentales de
l'absolution [...] veu mesme que les femmes sçauent bien celles du
Baptesme »610. Si les sages-femmes sont normalement les plus
habilitées, parmi les femmes, à délivrer ce sacrement,
toute femme611 le peut selon Benedicti. L'eau n'est pas même
nécessaire puisque « quand vne femme seroit massacree pour la foy
Catholique, & son enfant auec elle, il seroit baptisé en son sang
»612. Il est néanmoins préférable que la
cérémonie se fasse à l'église et c'est là
qu'elle a dû avoir lieu dans la majorité des cas. En 1547, le
concile de Trente conseille que les enfants soient baptisés «
quamprimum », c'est-à-dire le plus tôt possible après
leur naissance. En effet, plus les parents attendent, plus le risque que
l'enfant décède avant d'avoir reçu le sacrement du
baptême augmente.
Les douleurs de l'accouchement expliquent sûrement les
deux principaux modèles proposés aux femmes en couches. Ils
présentent en effet des accouchements sans difficulté
peut-être afin de rassurer les parturientes ou du moins de les porter
à espérer la même issue pour elles-mêmes et donc
à prier Dieu en ce sens. La Vierge Marie,
608Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.391.
609François LEBRUN, La vie conjugale..., op.
cit. [note n°346], p.118.
610Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.618.
611Ibid., p.389.
612Ibid., p.389.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 134 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
« contraincte de [se] retirer en vne estable exposee
à tous vents »613 est néanmoins
préservée des douleurs de l'enfantement puisque Jésus
« sortit de sa mere comme les rayons du Soleil à trauers une vitre,
sans y faire ouuerture & fraction »614. Sa foi en Dieu a
été récompensée. L'histoire de l'accouchement
d'Élisabeth doit aussi porter les futures mères à prier
pour la Vierge. En effet, lorsque Marie rejoint sa parente, enceinte de
Jean-Baptiste615, plusieurs miracles se produisent. L'enfant «
se mit à bondir de joie dans le ventre de sa mère, comme pour
saluer par ses mouvements celui qu'il ne pouvait pas encore saluer par la voix
»616, c'est-à-dire Jésus, dont Marie est
enceinte. Jean-Baptiste est ensuite un des rares enfants à être
justifié « au ventre de sa mere »617. Cela signifie
qu'il n'a pas besoin dans l'absolu d'être baptisé pour être
lavé du péché originel. Enfin, c'est Marie elle-même
qui accoucha Élisabeth et le reçut dans ses « sacrees mains
virginales »618.
Si nous avons vu que la stérilité était
particulièrement mal vécue au XVIe siècle, les
nombreuses grossesses n'étaient pas non plus désirées. Le
risque qu'elles faisaient courir aux femmes, mais aussi la pauvreté de
certaines, les ont parfois poussées à utiliser des
méthodes de contraception voire à tenter l'avortement. Benedicti
pense que l'argument utilisé par certains parents pour justifier les
moyens contraceptifs, à savoir qu'ils auraient trop de bouches à
nourrir, est la preuve d'un manque de foi en Dieu car selon lui « iamais
Dieu ne met vne creature sur terre qu'il ne luy baille les moyens de viure
& gaigner sa vie »619. Néanmoins, le franciscain se
montre indulgent, ou réaliste : « Si toutesfois les mariez
craignent d'auoir trop d'enfans, qu'ils viuent en contine[n]ce mutuelle,
implorans la grace de Dieu, & fuyans tous villains attouchemens,
immodicitez & ordures »620. La continence comme moyen de
contraception est donc la seule voie acceptée. En effet, il est
précisé que ceux « qui par potion, breuuages ou autre
maniere que ce soit, empesche[n]t la conception & la generation, craignans
d'auoir trop d'enfans, pechent mortellement »621. Divers moyens
contraceptifs nous sont connus. Catherine Fouquet souligne l'utilisation de
pessaires622, de « morceaux de liège de la grosseur
d'un
613Ibid., « Epistre dedicatoire
».
614Ibid., « Epistre dedicatoire
».
615Jean-Baptiste devient par la suite un
prophète qui annonce la venue de Jésus et baptise ce dernier. Il
a donc un rôle très
important dans la Bible.
616Jacques de VORAGINE, op. cit. [note
n°295], p.305.
617Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.391.
618Ibid., « Epistre dedicatoire
».
619Ibid., p.152.
620Ibid., p.152.
621Ibid., p.152.
622Dispositif introduit dans le vagin servant de
préservatif anticonceptionnel pour la femme.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 135 -
oeuf, ou encore des éponges »623. Elle
note de plus que le « recours aux breuvages réputés abortifs
était très ordinaire. Le persil était ainsi censé
faire venir les règles. D'autres plantes encore et, d'une façon
générale, toute substance provoquant des coliques étaient
jugées susceptibles d'entraîner l'effet recherché
»624.
Contraception et avortement sont largement assimilés
au XVIe siècle. Cette assimilation « est fondée
sur le cumul de trois fautes jugées très graves. La
première est l'adultère, car tout acte conjugal accompli sans
intention procréatrice est à mettre sur le même pied que la
prostitution. La seconde faute est le meurtre, car, dans les deux cas, on
empêche un enfant de venir au monde, ce qui est considéré
comme la mise à mort de l'être qui aurait pu et dû venir au
monde. La troisième faute est l'idolâtrie, car on se sert de
moyens contraceptifs ou abortifs souvent liés à des pratiques
magiques ou superstitieuses »625. L'avortement est jugé
si grave qu'il est placé parmi les cas dont la pénitence et
l'absolution sont réservées à
l'évêque626. Ainsi, un simple prêtre ne peut
décider des pénitences à accomplir afin de réparer
la faute commise. Il existe deux degrés de péché
liés à l'avortement selon Benedicti. Il précise en effet :
« Quant à celuy qui procure l'auortement d'vne femme enceinte, si
le fruit estoit des ia animé, il a commis homicide, lequel ne pouuant
estre reco[m]pensé par peine pecuniaire, il le doit estre par vne longue
& grande penitence, pour auoir esté cause de la mort corporelle
& spirituelle, sçauoir, de la damnation de l'ame de l'enfant mort
sans Baptesme »627. Benedicti fait la différence entre
l'avortement commis sur un embryon non encore animé et sur un enfant qui
a reçu une âme : « L'enfant masle reçoit l'ame
quarante iours apres la conception, & selon aucuns soixa[n]te, & la
femelle octante iours apres »628. Ces conceptions sont
conformes aux croyances de l'époque. Si le Lévitique ne donne
qu'une période d'impureté post-accouchement qui diffère
selon le sexe de l'enfant (quarante jours s'il s'agit d'un garçon, plus
de quatre-vingt jours si l'enfant est une fille629), les
théologiens ont formé à partir de ce texte les
théories concernant l'infusion de l'âme à l'embryon, qu'ils
calquent sur le texte biblique. L'avortement avant le quarantième jour
est « un acte contre nature, dans la mesure où il détruit un
dynamisme à l'oeuvre dans l'embryon et s'oppose au principe de
finalité inscrit dans le produit de la conception »630.
De plus, l'être humain est créé à l'image de Dieu.
Avorter, c'est s'opposer à Dieu qui, de
623KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine,
L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576],
p.123.
624Ibid., p.124.
625Guy BEDOUELLE, Jean-Louis BRUGUES, Philippe
BECQUART, L'Église et la sexualité : repères
historiques et regards
actuels, Paris, Éditions du Cerf, 2006 (coll.
Histoire du christianisme), p.95.
626Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.589.
627Ibid., p.699-700.
628Ibid., p.110.
629Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Lévitique, 12.
630Guy BEDOUELLE, Jean-Louis BRUGUES, Philippe
BECQUART, op. cit. [note n°625], p.150.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 136 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
plus, choisit parfois ses prophètes alors qu'ils
« ne sont encore que des embryons [...], ce qui signifie qu'ils sont des
êtres habités, bien avant leur naissance, par une âme
spirituelle proprement humaine »631. Nous avons vu
précédemment l'exemple de Jean-Baptiste. Après les
quarante jours, l'avortement est purement un crime, un homicide « corporel
» contre « un être humain pleinement constitué
»632. Aussi, « celuy ou celle qui baille quelque breuuage
pour faire mourir le fruict au ventre d'vne femme, ou pour la faire auorter,
co[n]tracte irregularité »633. François Lebrun
estime que « l'appel à la faiseuse d'anges est le fait de filles,
femmes ou veuves soucieuses de faire disparaître les conséquences
d'amours illégitimes. L'avortement dans le mariage, comme moyen de
limiter le nombre des enfants, ne semble guère avoir été
pratiqué »634. Dans ce dernier cas, il semble
néanmoins que « des femmes n'ont reculé devant rien, souvent
au risque de leur vie, afin d'avorter »635. Benedicti
présente l'image d'une femme « qui se iette du haut en bas & se
tourme[n]te le corps, pour se faire auorter »636. Il exprime
néanmoins une sorte de pitié envers ces « malheureuses
» qui « apres auoir abandonné leur pudicité aux
ruffiens637, uiennent à défaire leur propre fruit,
pour euiter le deshonneur du monde »638. Il les apostrophe
ainsi : « O Dieu que sera-ce de vous ? Vos enfants crieront au grand iour
du iugement vengeance contre vous »639. Benedicti espère
peut-être que la peur de se trouver face à leurs enfants lors du
Jugement dernier, les dissuadera de telles pratiques. Néanmoins, la
republication périodique de l'édit de 1556 d'Henri II montre que
la justice royale a jugé bon d'intervenir dans ces pratiques qu'elle
jugeait contraires à la moralité. Cet édit stipule que les
femmes enceintes doivent déclarer leur état au curé ou
à un juge. Si leur enfant mourait sans avoir été
baptisé et sans avoir été déclaré, la
mère était jugée coupable d'infanticide. Elle pouvait
dès lors être condamnée à mort. Cet édit
montre que les risques d'avortement ou d'infanticide étaient pris en
considération par les justices tant civile qu'ecclésiastique.
Malgré ces pratiques, la majorité des
grossesses aboutissent à la venue au monde d'un enfant. Nous allons
à présent nous pencher sur sa destinée durant les premiers
mois de sa vie et sur le rôle essentiel de la femme auprès du
bébé.
631Ibid., p.135.
632Ibid., p.150.
633Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.613.
634François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.150.
635KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine,
L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576],
p.123.
636Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.110.
637Un ruffian est un débauché, un
entremetteur.
638Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.109.
639Ibid., p.109.
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maîtrise | juin 2013 - 137 -
Le bébé en nourrice.
Après avoir été baptisé, le
bébé entre dans la « première enfance »,
période qui s'étend jusqu'à son sevrage. L'importante
mortalité des enfants à cet âge montre que cette
étape est un passage difficile. La mère a un rôle vital
dans la survie du nourrisson. C'est en effet elle qui « l'emmaillote,
veille à son sommeil et à son hygiène, et surtout
l'allaite »640. L'allaitement est perçu comme une
étape cruciale dans le développement de l'enfant, dans le
façonnage de son caractère futur. C'est pourquoi de nombreux
auteurs du XVIe siècle ont écrit sur les bienfaits de
l'allaitement mais surtout de l'allaitement maternel. Benedicti prend part au
débat et donne des conseils tant aux mères qu'aux
inévitables nourrices. Ces dernières, femmes d'artisan puis
presque exclusivement paysannes, sont louées par les soins des parents
afin de nourrir et de prendre soin de leur enfant. Choisies à
l'aveuglette sur les marchés ou grâce à un
intermédiaire par les parents les plus pauvres, elles font
néanmoins l'objet d'un discours moralisateur important au
XVIe siècle.
Le paragraphe dédié à l'allaitement est
un des premiers mais surtout un des plus développés du chapitre
« Les pechez des Peres & meres enuers leurs enfans, contre ce
quatriesme Commandement ». Benedicti commence son propos ainsi : «
Les meres qui n'ont cure de nourrir leurs enfans, ou à tout le moins de
leur pourueoir de bo[n]nes nourrices, iusques à l'aage de trois ans,
apres lesquels les peres sont tenus par droit naturel, de les aua[n]cer &
leur bailler ce qui est necessaire, peche »641. La durée
d'allaitement peut aller jusqu'à l'âge de deux ou trois ans au
XVIe siècle, même si la diversification alimentaire
intervient assez tôt. Catherine Rollet souligne qu'au fur et «
à mesure que l'enfant grandit, la fonction alimentaire du sein
décline : il est de plus en plus nourri de nourritures solides, mais le
sein reste nécessaire pour apaiser les peurs et les tensions
»642. Ainsi, jusqu'à quatre ans, certains enfants
peuvent téter leur mère de temps à autre. Benedicti
dénonce le fait que toutes les femmes ne souhaitent pas allaiter :
« Pourquoy est-ce que nature leur a baillé deux mammelles co[m]me
deux petites bouteilles, sino[n] pour cest effect ; mais cruelles marastres
qu'elles sont, ce leur est assez d'auoir tiré leurs enfans hors de leurs
entrailles & mis sur terre, & puis les enuoyer aux tristes villages,
pour les faire nourrir par femmes estrangeres, mal saines, &
640François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.59.
641Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.95.
642Catherine ROLLET, « Histoire de
l'allaitement en France : pratiques et représentations », mai 2006
(rééd.) [disponible en ligne sur <
http://www.co-naitre.net/articles/histoireallaitementCRmai2006.pdf>]
(consulté le 19 mars 2013).
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mémoire | juin 2013 - 138 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
mal complexionnees : chose si co[n]tagieuse aux pauures
petits enfans, qu'il leur seroit meilleur d'estre nourris de quelque beste
brute, comme vn Cyrus & Romulus643, que d'estre commis à
la misericorde de telles nourrices »644. Il semble en effet que
si l'allaitement « par la mère est de règle dans les
campagnes, c'est-à-dire dans l'immense majorité des familles
»645, « le recours à une nourrice est une pratique
courante dans les villes, petites ou grandes »646. Cette
demande est le fait de trois raisons selon le père franciscain Pierre
des Gros, religieux du XVIe siècle : « La
première, pour ce que ce n'est pas la coutume de nourrir. La seconde,
pour plus garder leur beauté et frescheté. La tierce pour plus
prendre esbatement à leurs maris, et c'est incontinence
»647. Dans les milieux aisés, la femme a une fonction de
représentation qui s'accorde mal avec le système de
tétée à la demande qui est la règle au
XVIe siècle. Le docteur Laurent Joubert (1529-1583) souligne
avec aigreur que certains maris « ne veulent permettre à leur femme
de nourrir, afin que leurs tétins demeurent plus jolys, qu'ils se
plaisent à manier, non pas des tétins mols »648.
La fonction esthétique des seins est mise en avant pour éviter
l'allaitement aux femmes des milieux aisés. Enfin, les contraintes dues
à l'allaitement sont mises en valeur par les couples pour placer leurs
enfants en nourrice. Ceci vaut surtout pour les hautes classes de la
société car, pour une partie des mères, le placement en
nourrice est la seule solution afin de pouvoir poursuivre une activité
professionnelle vitale pour l'ensemble du groupe familial.
Nous allons tout d'abord voir quels conseils étaient
donnés aux femmes allaitantes. Benedicti rappelle que le mari doit
« s'abst[enir] de sa femme iusques à tant qu'elle ait seuré
l'enfant de la mammelle »649. Plusieurs raisons expliquent ces
recommandations : on pense qu'une nouvelle grossesse priverait le
nouveau-né de lait, que « l'acte vénérien excite les
passions et trouble toutes les humeurs, dont le lait est la plus fragile
»650 et que « l'incontinence & copulation charnelle
fait bie[n] souuent perdre le laict aux nourrices, non sans le dommage des
enfans »651. Le temps de l'allaitement étant très
long à l'époque, « de nombreux maris préfèrent
reporter le tabou sexuel sur une nourrice et reprendre sans tarder avec leur
épouse des relations trop longtemps
643Cyrus le Grand, fondateur de l'Empire perse, fut,
selon une légende, nourri par une chienne. Romulus, fondateur de Rome
avec
son frère Remus, aurait été allaité
par une louve.
644Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.95.
645François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.63.
646François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.126.
647Pierre DES GROS, cité dans Nourrices et
nounous : une histoire des « femmes allaitantes », Bernadette de
CASTELBAJAC,
Paris, Cosmopole, 2007, p.8.
648Laurent JOUBERT, cité dans Ibid.,
p.13-14.
649Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.154.
650Didier LETT, Marie-France MOREL, Une histoire
de l'allaitement, Paris, Éditions de la Martinière, 2006,
p.85.
651Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.154.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
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interrompues du fait de la grossesse »652. En
effet, en ajoutant les neuf mois de la grossesse aux deux ans d'allaitement,
c'est une longue période d'abstinence sexuelle que seraient
censés s'imposer les couples. La femme qui allaite doit aussi surveiller
son alimentation afin que son lait soit assez abondant pour l'enfant, et de
bonne qualité. Elle doit, tout comme la femme enceinte, ne pas «
éprouver d'émotions trop violentes, ni travailler trop dur, car
cela pourrait faire tourner son lait et empoisonner l'enfant
»653. Une des légendes entourant une grotte miraculeuse
où Marie se cacha dit que cette dernière « ayant dû se
séparer un instant de son nouveau-né le confia à Joseph.
Quand elle le reprit, son trouble fut si grand qu'avant de lui présenter
le sein, elle fit comme les femmes du pays, convaincues qu'une émotion
trop forte nuisait à la qualité du lait : elle exprima à
terre un peu de lait de ses seins avant de faire téter à nouveau
l'enfant »654. Benedicti pense quant à lui que Marie eut
« une si grande abondance de laict en [ses] sacrees mammelles »,
qu'elle en répandit sur le sol de la grotte, « à cause
dequoy la terre d'icelle porte medecine [...] de sorte que si les nourrices,
voire mesme les brebis & autres animaux qui n'ont point de laict, prennent
de ceste terre detrempee en eau, le laict leur vient en abondance
»655. Le commerce de cette pierre qui aurait reçu le
lait de Marie était extrêmement développé au
XVIe siècle : réduite en poudre, elle était
mélangée à de l'eau et bue par les femmes qui craignaient
de manquer de lait. La Vierge Marie est le symbole par excellence de la
mère allaitante. Yvonne Knibiehler souligne que « les relations de
Marie avec son divin enfant ont contribué à la structuration de
la conscience maternelle en Occident »656. Le dévouement
de la mère se lit dans l'allaitement et le lait de la Vierge devient le
symbole du pouvoir d'intercession de Marie auprès de
Dieu657.
L'allaitement par la mère de l'enfant n'est toutefois
pas toujours possible comme nous l'avons vu plus haut. Aussi, si Benedicti
s'outrage que les mères puissent confier leurs enfants à ces
« femmes estrangeres, mal saines, & mal complexionnees », il ne
s'oppose par à ce que les parents leur pourvoient « de bon[n]es
nourrices ». Quelle est la nourrice idéale selon les
critères du XVIe siècle ? Il faut tout d'abord
souligner que, d'après les théories de l'époque, le
caractère de l'enfant dépend de la qualité du lait et de
la femme avec qui ce dernier est en contact physique. Benedicti décrie
les mauvaises nourrices car, selon lui, « non seulement les corps en
demeurent interessez658 & gastez,
652François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.65-66. 653Didier LETT, Marie-France MOREL,
op. cit. [note n°650], p.81.
654Marie-Claude DELAHAYE, Bébés au
biberon, Paris, Éditions Hoëbeke, 2003, p.20.
655Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Epistre
Dedicatoire ». 656Yvonne KNIBIEHLER, Histoire des
mères et de la maternité en Occident, Paris, PUF, 2000
(coll. Que sais-je ?), p.30. 657Didier LETT, Marie-France MOREL,
op. cit. [note n°650], p.27. 658« Intéresser »
s'entend ici dans le sens de « faire tort à quelqu'un ; causer du
dommage à quelqu'un ».
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mémoire | juin 2013 - 140 -
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maîtrise | juin 2013 - 141 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
[...] ains aussi qui est bien le pis, il demeure quelque
impression & charactere du vice des nourrices aux esprits des enfans
»659. Le choix de la nourrice devrait donc être
extrêmement attentif, même si cela est difficile pour certaines
familles. Dans les faits, seules les familles aisées peuvent se
permettre de choisir la femme qui allaitera leur enfant. Les qualités de
la bonne nourrice sont diverses. Elle doit avoir entre vingt-cinq et
trente-cinq ans et être en bonne santé c'est-à-dire
n'être « ni trop grasse, ni trop maigre »660. Les
jeunes femmes brunes ou châtains sont plus appréciées. En
effet, les blondes auraient une odeur désagréable661
tandis que « les rousses passent pour aimer trop les hommes
»662. Ses seins sont examinés : ils ne doivent
être « ni trop gros, ni trop petits, ses mamelons en forme de
noisette, son lait ni trop épais, ni trop séreux
»663. Son caractère importe aussi, comme nous l'avons
vu. Elle ne doit pas être bavarde et avoir des moeurs
irréprochables. Les parents aisés peuvent payer les gages d'une
telle nourrice qui s'installe parfois au domicile du nouveau-né.
François Lebrun souligne que le « bourgeois propriétaire
place son enfant dans la paroisse où il a ses terres, chez la femme de
son fermier ou chez quelques voisines qu'il connaît »664.
Pour les familles pauvres, qui placent leurs enfants par
nécessité, le hasard est la règle. Les enfants sont
souvent emmenés dès les premières heures de la vie loin du
domicile des parents « par tous les temps, à pied ou dans de
mauvaises voitures »665. Benedicti qualifie ces nourrices de
« femmes estrangeres » car elles habitent parfois très loin
des centres urbains qui leur envoient des enfants. La mortalité pendant
le transport est importante. Puis, le manque d'hygiène des maisons
paysannes voire le manque de lait des nourrices « sèches »
effectue un nouveau tri parmi les nouveaux-nés. Quand la nourrice a du
lait, celui-ci est mal adapté à l'enfant qui vient de
naître car il est trop épais pour lui. En effet, la plupart ont
attendu quelques semaines avant de se louer comme nourrice, le temps de sevrer
leur propre nourrisson. Durant cette période, le lait s'épaissit
naturellement et est donc moins assimilable pour les nouveaux-nés qui
n'ont souvent que quelques jours voire quelques heures à leur
arrivée chez la nourrice. De plus, les « nourrices
mercenaires666 » ont souvent plusieurs enfants ou ont d'autres
travaux à effectuer. Peu d'enfants revoient leurs parents, qui ignorent
en grande partie les risques de la mise en nourrice.
659Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.95.
660Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit.
[note n°650], p.100.
661François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.66.
662Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit.
[note n°650], p.100.
663François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.66.
664François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.127.
665Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit.
[note n°650], p.116.
666Le mot « mercenaire » signifie
exclusivement qu'elle reçoit un salaire en échange d'un service
rendu.
Selon Benedicti, « iamais l'enfant n'est si bien nourry
d'vn laict estra[n]ger, co[m]me de celuy de la propre mere, lequel n'est autre
chose (si nous croyo[n]s aux Physiciens) que le sang duquel l'enfant a
esté formé au ventre de sa mere qui est cuict par la chaleur
naturelle & conuerti en laict, pour donner alime[n]t au fruict
»667. Les médecins du XVIe siècle, qui
ont remarqué l'absence de règles chez les femmes enceintes, l'ont
interprétée comme étant la preuve que l'enfant
était façonné de ce sang et nourri par lui. Il y aurait
« une continuité totale entre le sang du placenta, dont l'enfant
est nourri dans la matrice pendant la grossesse, et le lait qui est produit
après la naissance. Les traités anciens d'anatomie expliquent
qu'après l'accouchement, on assiste au procédé de
déalbation : le sang, qui allait au cordon, remonte jusqu'aux mamelles
par une veine spéciale qui relie l'utérus aux seins
»668. C'est cette théorie du sang « blanchi »
qui réglemente les temps de l'accouchement. En effet, « les
mères ne peuvent fabriquer en même temps du sang et du bon lait
»669. Il est donc recommandé à la mère de
ne pas allaiter de suite après l'accouchement. Les relevailles sont la
« cérémonie religieuse de purification »670
qui permet aux mères de pouvoir réintégrer la
société normale après avoir « garder la couche
quelque espace de temps sans habiter auec leurs maris »671.
Cette cérémonie avait lieu, dans la tradition juive, quarante
jours après l'accouchement. La durée d'« impureté
» est réduite à vingt jours par les médecins du
XVIe siècle. En attendant de pouvoir allaiter, et pour
éviter les douleurs dues à l'engorgement des seins, les
mères « se font dégorger les seins par des servantes ou des
petits chiens »672 tandis que les enfants sont allaités
par une autre femme ou nourris de « vin sucré, d'huile d'amandes
douces, de sirop de chicorée ou encore d'eau miellée
»673. Ces pratiques peuvent expliquer pourquoi Benedicti
affirme qu'il « seroit donc bien meilleur & plus sea[n]t, à ces
ieunes dames, ta[n]t poupines, de tenir vn enfant entre les bras, fruit de leur
mariage, que non pas vn petit chie[n] »674.
Afin d'inciter les mères à allaiter, Benedicti
allie le nom de grandes figures de la Bible à un traitement de faveur
pour ce qui est de certaines obligations religieuses. Il conseille ainsi de
« se mirer à l'exe[m]ple de Sarra, Rebecca,
Rachel, Anne, & autres matrones de l'ancien testament, &
mesme du Paganisme, comme à Hecuba, Royne de
667Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.96.
668Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit.
[note n°650], p.65.
669Ibid., p.66.
670François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.123.
671Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.154.
672Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit.
[note n°650], p.66.
673Marie-Claude DELAHAYE, op. cit. [note
n°654], p.24.
674Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.96.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
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Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 143 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Troye, lesquelles ont mieux aimé nourrir leurs enfans,
que les bailler à nourrices mercenaires »675. Il est
encore une fois visible que le franciscain utilise de grands noms afin
d'appuyer son propos : Sara, femme d'Abraham et Anne, femme d'Elqana, sont
effectivement présentées dans la Bible en train d'allaiter leurs
enfants Isaac676 et Samuel677. Nous n'avons cependant
trouvé aucune mention d'allaitement pour Rébecca ou Rachel.
Benedicti mêle les noms de femmes célèbres pour leur
descendance. Il place, intentionnellement ou non, les noms de Rébecca et
de Rachel, dont l'allaitement n'est pas mentionné, entre les noms de
Sara et d'Anne : le lecteur peut ainsi se persuader de la
véracité de tous les exemples. Le cas d'Hécube est plus
surprenant. Reine de Troie et femme de Priam, elle aurait eu dix-neuf enfants
de son mari. Tout comme Rébecca et Rachel, nous n'avons pas pu trouver
la preuve qu'elle aurait allaité ses enfants. Néanmoins, une
légende connue dit que Pâris, son cadet, fut allaité par
une ourse après avoir été abandonné par ses parents
dans la montagne. Les modèles donnés aux femmes semblent donc
être des figures d'autorité. Ils ne devraient pas être remis
en cause. Leur utilisation montre cependant que la vérité
biblique ou historique est parfois forcée pour justifier le propos.
Benedicti complète l'exemple de ces modèles par la
présentation de certains droits qui devraient encourager les femmes
à allaiter. En effet, il excuse « les nourrices qui ne peuuent
laisser leurs nourrissons »678 si ces dernières manquent
la messe. De même les nourrices n'ont pas obligation de
jeûner679. Il est remarquable ici que le franciscain emploie
le mot de « nourrice » tandis qu'il cherche par ailleurs à
encourager les femmes à accepter leurs responsabilités
maternelles. Cela est peut-être dû au fait qu'il connaisse bien les
usages de la société de son temps. Il existe une interdiction qui
est néanmoins faite aux mères comme aux nourrices : mettre son
enfant à dormir à côté d'elles pour ne pas
être réveillées par ses cris ou pour ne pas avoir froid au
moment de l'allaiter. Benedicti rappelle que les femmes risquent par cette
pratique de « suffoquer » leur enfant680. François
Lebrun explique que « [l]'insistance avec laquelle les autorités
civiles et ecclésiastiques rappellent cette interdiction, du
XVIe à la fin du XVIIIe, prouve qu'il s'agit d'une
habitude très enracinée, en dépit des risques
évidents qu'elle fait courir aux nourrissons »681. Si
cette pratique est vue par certains historiens comme une forme d'infanticide
acceptée, d'autres y décèlent la preuve de l'amour de la
mère, qui préfère garder son enfant au chaud contre elle
plutôt que de le laisser dans un
675Ibid., p.96.
676Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Genèse, 21, 7.
677Ibid., 1 Samuel, 1, 23.
678Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.196.
679Ibid., p.201.
680Ibid., p.109.
681François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.60.
berceau que bien des familles ne possèdent d'ailleurs
pas. De plus, lorsque l'enfant pleure, sa mère le prend tout de suite
dans ses bras. En effet, les parents redoutent les convulsions qu'on ne sait
pas soigner. Les enfants sont donc toujours proches de la femme, de jour comme
de nuit.
Après le temps de l'allaitement vient celui de
l'éducation du jeune enfant.
Éduquer son enfant.
Jusqu'à l'âge de sept ans, les enfants,
garçons comme filles, restent aux mains des femmes, qui initient leur
éducation. De nombreuses femmes peuvent entourer l'enfant : les
gouvernantes, servantes, soeurs, nourrices voire parfois les
grands-mères apportent leur aide. Néanmoins, la mère a un
rôle prépondérant et l'Église cherche, à
partir du XVIe siècle, à la responsabiliser, notamment
dans le domaine de l'éducation religieuse. Si Benedicti emploie les
termes de « pères et mères », il faut souligner que la
grande majorité des exemples donnés se focalisent sur la relation
entre la mère et ses enfants ou la mère et sa fille. En effet,
après sept ans, âge de raison, les garçons passent aux
mains des hommes mais les filles terminent leur apprentissage auprès de
leur mère qui doit être pour elles un exemple à suivre mais
surtout, dans bien des milieux, une habile professeure capable de lui enseigner
les bases élémentaires de la survie. Nous allons voir quels sont
les deux modèles que Benedicti met en concurrence dans son oeuvre :
celui de la mauvaise mère, haïssable en bien des points, et celui
de la bonne mère, qui recevra la sanctification grâce à son
dévouement.
La première faute que Benedicti attribue aux
mères est l'incontinence qui fait, selon les croyances de
l'époque, que « les enfans sont souuent maladifs ou contre faicts
»682. L'incontinence est supposée entraîner des
troubles physiques et psychiques qui mettent en péril toute tentative de
bonne éducation. La femme doit veiller elle-même à ne pas
mettre son enfant en danger en rappelant à son mari ses obligations : ce
dernier ne doit pas tenter d'avoir des rapports sexuels avec elle tant qu'elle
est enceinte ou qu'elle allaite. Deux autres grandes fautes sont aussi
attribuées plus spécifiquement à la mère : maudire
ses enfant et blasphémer devant eux. Marcel Bernos souligne que les
« pédagogues et moralistes s'accordent habituellement sur ce que la
bonne éducation
682Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Table
», « Le Mercredy du quatrieme Dimanche ».
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 144 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
commence par le bon exemple ». Les mères
devraient donc « surtout témoigner par leur propre vie
»683. Ainsi, la mère qui donne à sa fille un
mauvais exemple « co[m]met vne espece d'homicide : car tout cela est
homicide spirituel »684. Si inculquer les bonnes valeurs
morales et les bonnes lignes de conduite est de la responsabilité des
deux parents, « progressivement, les théologiens et moralistes se
persuadèrent que la moralité, féminine du moins,
était un héritage maternel. Une fille était ce que sa
mère en avait fait »685. Benedicti rappelle donc que la
« Mere [...] qui blaspheme, qui paillarde, qui tue, qui yurongne, qui
desrobe, qui detracte, & en somme qui fait mal deuant ses [...] enfans
[...] offens[e] plus griefueme[n]t qu'vn autre »686. Elle
devrait au contraire lui apporter les rudiments du catéchisme ce qui
aurait été facilité « par la présence en
toutes les maisons, même les plus modestes, d'un crucifix, avec son buis
béni le jour des Rameaux, de quelques images pieuses représentant
le Christ, la Vierge ou un saint, d'un récipient avec un peu d'eau
bénite »687. Benedicti s'élève aussi
contre « les meres transportees d'impatience, lesquelles fulminent contre
le fruit de leur ventre ces beaux mots, le cancre688 te
vienne, la bosse689, le tac690,
la peste t'estrangle, le diable, la male rage te puisse
emporter, &c »691. Ces mots sont plus sûrement
le fait des classes populaires pour qui « l'emploi de la crainte et de
l'ironie, doublé parfois de châtiments corporels, a pour but
d'inculquer aux enfants un minimum d'habitudes de disciplines assez
élémentaires sans lesquelles la vie en commun au sein de la
famille serait vite insupportable »692. Dans les plus hautes
strates de la société en effet, l'apprentissage de la «
discipline y est beaucoup plus poussé et aboutit à un
véritable conditionnement du corps et de l'esprit »693,
qui rendent plus improbable peut-être le type de comportement
évoqué ci-dessus.
Benedicti développe son propos et argumente ainsi :
« Si telles maudissons694 se disent de coeur & de bouche,
c'est peché mortel : si elles lés [sic] proferent
seulement de bouche & par le premier mouuement de cholere, per
inaduertance, par moquerie, pour passé temps ou pour faire rire, c'est
peché veniel. Si est ce qu'elles deuroient penser que souue[n]t leur
imprecation arriue à leurs enfans, comme elles le leurs requiere[n]t,
ainsi
683Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.165.
684Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.113.
685Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.57.
686Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.579.
687François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.97.
688Nous n'avons pas trouvé de
définition pour le mot « cancre », peut-être s'agit-il
d'une faute de l'imprimeur et le mot original
aurait été « chancre »
c'est-à-dire une ulcération qui a tendance à
s'étendre.
689La « bosse » peut être à la
fois la bosse du bossu mais aussi une tumeur, un abcès ou encore le
bouton de la peste.
690Le « tac » est le nom d'une maladie
proche de la coqueluche.
691Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.62.
692François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.95.
693Ibid., p.95.
694Malédiction.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 145 -
qu'il se lit en l'histoire de Laon, où il est dit, que
Beelzebub [sic] estoit entré dedans le corps de Nicole Obry,
à raison que sa mere l'auoit donnee au diable, despitee dequoy elle
auoit perdu vn chappellet. Et pour autant, dit l'escriture, que la malediction
de la mere fait esbranler & renuerser sens dessus-dessous les fondemens de
la maison des enfans »695. L'histoire de Nicole Aubry est bien
connue à l'époque car elle a fait beaucoup de bruit et a
été racontée dans de nombreux ouvrages. En 1565 ou 1566,
une jeune fille de seize ans, fille d'un boucher de Vervins et mariée
à un tailleur, se recueillant sur la tombe de son grand-père mort
sans confession, crut le voir sortir de son tombeau. L'âme du
grand-père Vieilliot « lui demanda des messes, des prières
et des bonnes oeuvres pour la tirer du purgatoire, où elle souffrait
depuis le jour de son décès »696. La jeune femme
exécute les ordres du spectre qui se manifeste plusieurs fois à
elle. Elle est de plus en plus malade et plusieurs clercs essaient de
l'exorciser sans succès. Vingt-six démons seraient sortis d'elle
sous la forme de chats aussi gros que des moutons mais les plus virulents
dirent qu'ils ne partiraient que par l'action de l'évêque de Laon.
Ce dernier intervient, d'autant que l'affaire donnerait raison aux
thèses catholiques contre des thèses protestantes, que le diable
possédant Nicole Aubry propose de dénoncer. Celle-ci est donc
libérée des trois derniers démons qui la tourmentaient :
Astaroth, qui prit la forme d'un porc, Cerberus, celle d'un chien et
Belzébut en taureau. Nicole Aubry rencontra par la suite le roi Charles
IX et Catherine de Médicis, qui avaient été mis au courant
de l'affaire. Le fait que la jeune femme ait été
possédée à cause d'une malédiction de sa
mère n'est pas précisé dans les récits dont nous
avons pris connaissance mais il est probable que de nombreuses rumeurs aient
circulé autour de cette histoire à l'époque. Une autre
histoire est connue qui raconte comment la malédiction d'une mère
entraîne de graves conséquences pour ses enfants. Cette
mère veuve aurait eu dix enfants, sept garçons et trois filles.
Les mauvais traitements que lui font subir les garçons, l'injuriant et
la frappant, et l'absence de réaction de la part de ses filles leur
attirent une malédiction « de coeur & de bouche
»697 : « & tout incontine[n]t ils furent saisis d'vn
tremblement de tous leurs membres à leur grande confusion, laquelle ne
pouuans plus supporter deuant le peuple furent contraints de quitter le pays
& vagabonder par le monde »698. Ici, selon l'injonction du
quatrième commandement (« Tes pères et mères
honoreras »), les enfants sont appelés à respecter leurs
parents, et
695Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.62.
696Joseph BIZOUARD, Des rapports de l'homme
avec le démon ; essai historique et philosophique, Paris, Gaume
frères et Joseph Duprey, 1863 [disponible sur <
http://www02.us.archive.org/stream/desrapportsdelho02jose/desrapportsdelho02jose_djvu.txt>]
(consulté le 21 mars 2013).
697Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.545.
698Ibid., p.94.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 146 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
notamment leur mère mais cette dernière est
aussi invitée à la clémence et à une certaine
retenue envers ses enfants.
Benedicti aborde plus en détail l'éducation que
doit donner une mère à sa fille. Jusqu'à l'époque
de ses règles, qui annonce la possibilité de son mariage, la
jeune fille reste très proche de sa mère, qui doit lui enseigner
son futur rôle d'épouse. Marcel Bernos indique que la mère
« ne peut que répéter ce qu'elle sait elle-même : de
la piété, des pratiques, quelques recettes, l'habitude de la
soumission. La fillette apprend par ouï-dire et voir-faire, dans un
apprentissage précoce, parce que très tôt, dès
l'âge de sept ou huit ans, elle doit aider sa mère
»699. Ces savoirs sont vitaux pour la jeune fille qui pouvait
alors trouver un travail nécessaire à sa survie si elle savait
bien cuisiner ou si sa mère l'avait formée aux travaux
d'aiguille. L'association mères filles est très visible dans le
monde rural où elles effectuent ensemble toutes les activités
dédiées aux femmes : s'occuper de la basse-cour, nourrir les
bêtes, chercher des baies ou des champignons pour agrémenter les
plats, cuisiner et s'occuper des enfants en bas âge. L'apprentissage de
ces activités devrait suffire selon Benedicti qui déplore qu'il
« y en à auiourd'huy des meres, par le mo[n]de, qui font comme
Herodias, qui apprennent à leurs filles à danser,
rhetoriquer, hanter les compagnies, farder, peindre, plastrer700
leur visage, à se charger de bagues & ioyaux, co[m]me si elles
estoient mercieres à esleuer vn [sic] boutique
»701. Plus loin, il affirme aussi que la « mere qui
apprend sa fille à se farder, baller702, danser aux dimanches
& piaffer, porter habillemens dissolus pour complaire au monde par mauuaise
intention, en luy donnant mauuaise exemple, elle est homicide de l'ame de son
fruit, faisant non comme vne vraye mere, ains comme vne Herodias ou marastre
»703. Hérodias, ou Hérodiade, princesse juive,
est ici vivement critiquée en tant que mauvaise mère. Cette femme
est la mère de Salomé, à qui elle aurait demandé
d'obtenir la tête du prophète Jean-Baptiste. Salomé va
alors charmer par sa danse le second mari de sa mère, Hérode
Antipas. Ce dernier lui promet de lui accorder ce qu'elle souhaite et
Salomé réclame alors la tête de Jean-Baptiste sur un
plateau. Hérode Antipas s'incline704. Les «
traités d'éducation écrits par des hommes, religieux ou
non, [...] stigmatisent la futilité de l'éducation donnée
aux filles [...]. [Ils] critiquent l'importance trop grande attachée
à l'apparence physique des filles, bien qu'ils admettent que c'est
essentiellement d'après ce
699Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.160.
700« Plâtrer » est un synonyme de « farder
».
701Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97. 702«
Baller » signifie « danser, sauter, s'agiter ».
703Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97.
704Bible de Jérusalem, op. cit. [note
n°6], Marc, 6, 14-29.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 147 -
critère qu'une femme est appréciée ou
non »705. Benedicti fait de toute femme enseignant des gestes
futiles une pécheresse coupable d'emmener sa fille en Enfer à sa
suite.
Les modèles présentés aux mères
sont multiples mais deux particulièrement devraient l'aider à
investir leur mission : l'éducation de Jésus par la Vierge Marie
et l'attitude de Dieu envers les croyants. Si l'Église est dite «
mère »706 des catholiques, les représentations de
Dieu sous un visage humain permettent de donner aux femmes l'exemple de ce que
devrait être leur pitié envers leurs enfants. Dieu, « qui
plus nous ayme que la tendre mere n'aime son enfant »707 ne
laisse pas les innocents « dans la fornaise [sic] ardante
»708. Il est empli de miséricorde envers les croyants.
La bonne mère doit s'appuyer sur cet exemple et avoir de la compassion
pour ses enfants. Elle « ne se courrouce pas contre son enfant qu'elle
voit estre agité de fureur, & rompre, briser, getter, &
re[n]uerser tout, imputa[n]t plustost cela à la violence du mal, que non
pas à l'enfant ». Benedicti présente un exemple de cette
miséricorde féminine qui fait que la «
pitoyable709 mere, laquelle voyant le pere animé co[n]tre
l'enfant s'interpose entre les deux, pour apaiser le courroux paternel, &
receuoir en soy la peine destinee pour son fils ». Pitié n'est pas
laxisme puisque « la mere voyant sa fille faire chose desorbitante »
doit la reprendre et la châtier « quand elle a la puissance
»710. Il semble en effet que « tout laxisme compromettrait
la formation morale, donc humaine et chrétienne, de leurs enfants et
serait une faiblesse coupable, préparant un triste avenir à leur
descendance. [...] La sévérité, quand elle ne s'exerce pas
injustement, passe pour l'expression normale d'un amour authentique
»711. Afin de se faire obéir, les petits serments non
tenus sont autorisés. Ainsi, les « meres & nourrices, qui
iurent de bailler des verges à leurs enfans, ou de leur donner vne pomme
s'ils ne crient point, ne sont pas coulpables de peché mortel, si elles
ne tiennent leur serment, car la chose est de petite consequence
»712.
La Vierge, « mere de Dieu »713, est
louée pour son dévouement envers son fils, Jésus.
Benedicti s'adresse à elle en ces termes : « vous retournastes en
vostre ville de Nazareth, là où vous traitastes cherement vostre
petit nourrisson, iusques à l'aage de douze ans, lors que l'aya[n]t
perdu, vous le cherchastes auec sainct Ioseph trois iours & trois nuicts
auec pleurs, regrets & douleurs inenarrables. Ce fut bien alors que vous
705KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine,
L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576],
p.106-107.
706 Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170],p.49.
707Ibid., p.28.
708Ibid., p.27.
709Est « pitoyable » la personne
portée à la pitié.
710Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97.
711Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.159.
712Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.56.
713Ibid., p.38.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 148 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
experimentastes vn des glaiues de douleur que vous auoit
predit S. Simeon. L'ayant retrouué vous le gardastes bien chereme[n]t
(comme le vray holocauste du monde) iusques à ce que vous
l'accompagnastes au mont de Caluaire, là où il fut mis en croix
pour nous, lors qu'en mourant il vous recommanda à S. Iean qui vous
prist pour sa mere »714. Marie est donc une bonne mère
qui prend soin de son bébé puis de son jeune garçon. Elle
est inquiète de le savoir absent et le réprimande quand elle le
retrouve au milieu des docteurs du Temple de Jérusalem715.
Elle l'accompagne ensuite patiemment dans tous ses déplacements et reste
auprès de lui alors qu'il est mis en croix.
Benedicti encourage l'enfant à rendre à sa
mère ce qu'elle lui a apporté. Il cite à ce propos saint
Ambroise : « Regarde, dit il, mon enfant que si tu suruiens
à ta mere, tu ne luy a pas rendu les douleurs qu'elle a enduré
pour toy, le laict qu'elle t'a donné, non la faim qu'elle a pour toy
enduré. Elle a ieusné pour toy, elle a veillé pour toy,
elle a pleuré pour toy, elle a beaucoup enduré pour toy. Tu lui
dois tout ce que tu as, & tu te dois toy-mesme à elle. Et tu lairras
endurer & auoir disette ? »716. Les enfants sont
poussés à aider leur mère quand elle est dans le besoin.
Benedicti rapporte l'histoire racontée par Pline l'Ancien selon laquelle
une « ieune fille [...] n'ayant aucun moyen de porter à manger
à sa mere, condamnee de mourir de faim en prison, sous couleur de la
visiter, luy bailloit la mammelle, la nourrissant de son propre laict
»717. Benedicti peut ici à la fois s'adresser aux
enfants, en les encourageant à rendre à leurs parents, dans les
limites du possible, ce qu'ils leur ont donnés, mais aussi aux bonnes
mères, qui peuvent attendre du secours des enfants qu'elles ont
élevés correctement. Benedicti pense que « les peres &
meres sont dieux visibles, lesquels nous voyons deuant nos yeux, ausquels nous
sommes grandement obligez, comme tenans d'eux trois choses apres Dieu, c'est
à dire, l'estre, la nourriture & l'instruction »718.
Les enfants qui ne respecteraient pas leur mère sont appelés
à se remémorer les histoires d'Oreste et de
Néron719. Oreste est assez jeune lorsque son père est
assassiné par l'amant de sa mère. Il est alors
éloigné d'elle pendant de longues années mais il revient
afin de venger son père en tuant sa mère Clytemnestre et son
amant Egisthe. Malgré l'aspect de juste vengeance que revêt ce
crime, Oreste, devenu matricide, est assailli par les Érinyes,
divinités grecques de la vengeance qui poursuivent les grands criminels
et notamment les enfants ingrats.
714Ibid., « Epistre dedicatoire
».
715Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Luc, 2, 48.
716Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.95.
717Ibid., p.95.
718Ibid., p.94.
719Ibid., p.92.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 149 -
L'empereur Néron aurait quant à lui fait
assassiner sa mère, Agrippine, qui cherchait à renverser son fils
pour garder une influence prépondérante dans les affaires de la
cité. Il aurait envoyé des centurions de sa garde la passer au
fil de l'épée. Malgré la personnalité
contestée d'Agrippine, avoir commandé son meurtre entache
irrémédiablement la réputation de l'empereur. Benedicti
attribue le suicide de Néron au poids du matricide exécuté
sous ses ordres. En effet, il aurait été poussé à
cet acte par la menace de subir le supplice destiné aux parricides :
être jeté dans le Tibre cagoulé après qu'un animal
vivant ait été introduit dans la cagoule. Les mères
semblent donc pouvoir espérer vengeance des entreprises que leurs
enfants pourraient entreprendre contre elles.
En conclusion, les mères ont un grand rôle
à jouer dans le devenir de leurs enfants. C'est pourquoi Benedicti
s'attache à leur montrer la voie qui lui semble être la bonne tant
dans le domaine de l'allaitement que dans celui de l'éducation. Par les
multiples exemples qu'il prend, il tente d'encourager les mères à
élever leur progéniture dans une optique chrétienne. Loin
de ces préoccupations et du modèle de la bonne mère, nous
allons voir à présent comment Benedicti pense la place de la
femme en société.
LA FEMME EN SOCIÉTÉ.
Le franciscain fait de nombreux commentaires sur la place que
devraient tenir les femmes en société. Il démontre par
là même quelles attitudes étaient attendues d'elles mais
aussi quels préjugés étaient en cours au XVIe
siècle. En effet, les comportements reprochés à la femme
sont très stéréotypés : elle serait coquette,
vecteur de tentation notamment par le biais de la danse mais aussi menteuse et
bavarde. Ces traits de caractère sont attribués à toutes
les femmes indifféremment. De plus deux catégories de femmes sont
plus spécifiquement identifiées comme étant dangereuses :
les prostituées et les sorcières, parmi lesquelles sont
présentes quelques huguenotes. Nous allons étudier tour à
tour ces divers péchés dont se rendent coupables les femmes.
La coquette.
Le Sieur de la Serre, écrivain français,
dénonce ainsi la coquetterie des femmes : « Dites moy donc un peu
à quoy servent ces pots à pommade, ces boites à poudre,
ces fiolles à eau distillée et ces papiers à vermillon que
je voy sur vos toilettes ? Est-ce une partie des artifices que vous mettez en
oeuvre pour vous faire plus belle que vous n'êtes ?
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 150 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
O que ces affettes [choses superflues] vous coûteront
des larmes si vous avez le loisir de vous en repentir !
Il est vray que vos corps demandent tous les jours la
charité d'une pommade de senteur pour corriger les défauts de
leur infection ; que vos cheveux ne peuvent cacher leur graisse qu'avec la
poudre ; que vos visages basanez, après s'estre savonnez à la
fontaine de l'alambic [cosmétique] cherchent du vermillon afin que leur
couleur mourante ne paroisse. Mais vous ne considérez pas qu'en ces
occupations vous remplissez des cruches percées comme les Danaïdes.
Où trouvera-t-on de la pommade à l'épreuve de votre
puanteur ? Quelle poudre desséchera la graisse gluante de vos testes ?
Et quel vermillon peut faire paroistre sur vos joues les roses que la nature
n'y a point plantées »720.
Benedicti paraît bien modéré par rapport
à son contemporain quand il aborde le péché de
coquetterie. Néanmoins, c'est contre ce dernier qu'il s'insurge le plus
auprès des dames. La femme serait futile, frivole et vaine. Elle
chercherait par divers artifices à se rendre plus belle qu'elle n'est.
Nous verrons tout d'abord quels types de comportements sont
considérés comme de la coquetterie par Benedicti avant de montrer
quelles en sont les conséquences selon lui.
Le confesseur voit trois domaines dans lesquels la femme
pèche par coquetterie : l'habillement, le maquillage et la coiffure.
Dans son discours, Benedicti associe fréquemment coquetterie et
vanité. En effet, le souci de plaire et l'envie de se montrer
complaisamment vont ensemble. Ainsi, la « femme qui se met à la
fenestre, pour estre regardee, ou va à l'Eglise, pour veoir & estre
veuë, ou qui s'habille pompeusement721 pour estre desiree &
aymee charnellement n'vn [sic] autre, peche mortellement, noobstant
[sic] que son intention ne fust effectuee »722. Tout
habillement superflu est susceptible de faire pécher son possesseur
selon Benedicti. Il s'avoue plus clément que certains de ses
contemporains en faisant une distinction entre les femmes qui savent qu'elles
sont en tort lorsqu'elles portent ces vêtements, et les femmes qui n'en
auraient pas conscience. Il affirme en effet : « car si elles croyent que
cela soit peché mortel, & nonobta[n]t en portent, elles offensent
mortelleme[n]t : la raison c'est que, celuy qui fait vn peché veniel,
croyant qu'il est mortel, offense autant comme s'il commettoit vn peché
mortel »723. Benedicti dénonce l'extravagance de
certains habits. Il déclare : « C'est
720Sieur de LA SERRE, Le Réveil-matin des
dames, 1588 cité dans Femme, repaire de tous les vices...,
op. cit. [note n°452],
Pierre DARMON, p. 262.
721« Pompeusement » signifie ici d'une manière
fastueuse, avec ostentation.
722Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.156-157.
723Ibid., p.250.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 151 -
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mémoire | juin 2013 - 152 -
grand cas dit Tertullian de la vanité des femmes du
iourd'huy, lesquelles sont si ornees & atteintees, que vous diriez
prompreme[n]t724 [sic] qu'elles porte[n]t de grandes
forests sur vn petit col. Ie croy qu'il vouloit parler de ces godero[n]s (si
dés ce temps-là ils estoient en vsage) & fraises à la
confusion »725. Les « godrons » ou « goderons
» sont les plis ronds qui donnaient leur forme aux fraises. La fraise,
attribut vestimentaire caractéristique du XVIe siècle
en France, tant féminin que masculin, prend des largeurs
démesurées dans les années suivant son apparition
(1550-1560). Sa taille maximale aurait été atteinte peu avant
1580 ce qui explique pourquoi Benedicti en parle dans son ouvrage. La «
fraise à confusion » n'est pas empesée et se rabat donc en
partie sur le vêtement de celui qui la porte. Elle remplace peu à
peu la fraise à godrons en France, qui s'attirait de nombreuses
moqueries et marques de désapprobation. Ce n'est sûrement pas de
ces habits dont parlait Tertullien, né vers 150 ou 160 et mort en 220
mais le citer permet à Benedicti d'ancrer son propos dans une plus
longue durée et de s'appuyer sur des figures d'autorité. Le
franciscain se penche aussi sur le port d'une « robe dissoluë
»726 ou d'« habits dissoluts »727. Il
explique longuement ce qu'il entend par là dans un paragraphe
détaillé qui précise ce qui suit : « La fille ou
femme qui descouure sa poitrine, ses mammelles & tetins sans volonté
de mal faire, mais seulement pour estre veuë plus belle, & pour
co[m]plaire à son mary, ou pour en chercher vn, peche venieleme[n]t. De
faire paroistre les autres parties vergogneuses, comme en portant des vestemens
minses & subtils à ceste fin ce seroit peché mortel
»728. Jean-Claude Bologne analyse l'apparition d'une
véritable différenciation sexuelle dans les costumes au
XVIe siècle. Il affirme qu'en effet à cette
période, la femme « dissimule de plus en plus le bas du corps pour
exalter les parties supérieures »729. Il explique que
malgré les dénonciations virulentes des moralisateurs et des
prédicateurs, « la focalisation du désir sur le haut du
corps va imposer durablement le décolleté dans le costume
féminin occidental »730. Enfin, il souligne qu'il s'agit
bien là « d'une coquetterie publique, puisqu'en privé elles
recouvrent leur sein d'un linge ou d'un mouchoir »731. Ces
vêtements qui découvrent la poitrine des femmes sont
attaqués avec force car ils serviraient « à capturer le
corps et l'âme des hommes »732 selon l'expression de
Scarlett Beauvalet-Boutouyrie. Cette manière de s'habiller est
réprouvée car elle est vue comme
724Proprement signifie véritablement,
vraiment, réellement.
725Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.250.
726Ibid., p.250.
727Ibid., p.251.
728Ibid., p.252.
729Jean-Claude BOLOGNE, Pudeurs
féminines..., op. cit. [note n°526], p.152.
730Ibid., p.152.
731Ibid., p.152.
732Scarlett BEAUVALET, Histoire de la
sexualité..., op. cit. [note n°347], p.24.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 153 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
une arme de séduction. La femme est
soupçonnée « de vouloir attirer les regards masculins,
d'éveiller leur concupiscence et de les attirer dans l'abîme de la
luxure »733. Benedicti fait à nouveau une distinction
entre les divers objectifs qui poussent la femme à s'habiller ainsi. Il
accepte en effet que les femmes usent de ce moyen afin de plaire à leur
mari ou pour en trouver un. Mais il semble aussi accepter une sorte de
coquetterie « naturelle » aux femmes puisque celles voulant
être vues plus belles qu'elles ne sont, ne sont pas réellement
blâmées. Cela rend un moment ambiguë la position de Benedicti
à ce propos. Néanmoins, le fait que ce comportement soit
considéré comme un péché véniel montre qu'il
ne le cautionne pas tout à fait.
Dans la suite de son discours, il défend en quelque
sorte le droit de la femme de s'habiller comme elle le souhaite. Il donne en
effet ces arguments : « Voire mais, me direz-vous, cela est cause
d'attirer les hommes à concupiscence. Ie respons que le peché ne
vient pas de la femme, qui fait cela sans mauuaive intentio[n], ains il procede
de celuy, qui prend l'occasio[n] de luy-mesme »734. Il estime
cependant que la femme ne doit pas provoquer un « scandale
»735 par la manière dont elle s'habille. Elle doit donc
porter des vêtements qui suivent la mode de son pays et s'adapter aux
modes vestimentaires des endroits où elle se rend. Benedicti pense
néanmoins qu'il vaudrait mieux « que ceste coustume d'aller ainsi
les tetins descouuerts seroit du tout abolie, pour les maux qui en peuuent
arriuer : car le diable est caut736 & subtil
»737. Le franciscain en appelle-t-il à une sorte de bon
sens des femmes ou à leur pudeur supposée naturelle ? Il leur
propose ici de s'abstenir de porter des vêtements pouvant pousser les
hommes à commettre un péché. Ailleurs dans l'ouvrage,
Benedicti se montre plus persuasif en menaçant « ces femmes
dissoluement habillees, lesquelles corrompent le monde auec leurs vanitez
»738, d'aller en Enfer pour cause d'homicide spirituel sur la
personne atteinte par leurs traits.
Lorsque Benedicti décrie l'utilisation de trop de
maquillage par les femmes de son époque, il emploie le mot « fard
». Il est intéressant de remarquer avec Catherine Lanoë que ce
mot est très peu employé tant dans les livres de recettes de
cosmétiques que par les contemporains de Benedicti. Il semble que cela
soit dû au fait que, « [d]ès son apparition en
français en 1190, le vocable fard est employé au
figuré avec une forte connotation péjorative, destiné
à désigner tout "ce qui constitue une apparence
733Ibid., p.24.
734Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.252.
735Ibid., p.252.
736« Caut » signifie « rusé ».
737Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.252.
738Ibid., p.698.
trompeuse", une feinte ou une dissimulation "dans les paroles
et l'attitude". Au fard est attachée l'idée du masque,
de l'artifice, de la pratique nocturne et dérobée...
»739. Lorsque Benedicti emploie ce mot, il est dès lors
immédiatement dans la condamnation de son utilisation. Cette
condamnation est forgée à partir des textes bibliques, que
rappelle le franciscain. Il cite en effet « vne constitution des Apostres
qui dit [...] ne te farde point le visage ô femme, c'est celuy que
Dieu a fait. Et s'il n'y a rien en toy qui doiue estre fardé : car tout
ce qu'a fait Dieu, il est bien fait »740. Puis, Benedicti
s'appuie sur saint Ambroise, qui aurait tenu ce discours : « O pauure
fe[m]me dit-il, tu effaces la peinture de Dieu, si tu te fardes.
Di-moy [sic] si tu fais venir quelqu'vn pour repaindre &
recolorer l'image & le pourtrait que tu as, le peintre excellent & bien
expert qui l'a faite, ne sera-il pas courroucé contre toy, voyant son
image adulteree & changee ? Donne toy donc garde, toy qui es fait à
l'image du Createur, d'effacer la peinture de Dieu, pour prendre celle d'vne
putain. Tu commets vn grand crime, si tu penses de te mieux peindre que Dieu
»741. Le port de fards serait contraire aux désirs
de Dieu pour ses créatures. Pèche donc véniellement toute
« femme ou fille, qui se farde auec blanc d'Espagne ou autres couleurs,
seulement pour paroistre plus belle »742. Catherine Lanoë
explique que « dès le XVIe et jusqu'à la fin du
XVIIIe, la quête de la blancheur s'impose en France à
la manière d'une véritable tyrannie, car l'albâtre de la
peau constitue le fondement même de la beauté, son origine et son
principe »743. Le blanc, symbole de pureté dans le
catholicisme même, est très recherché dans les hautes
strates de la société. Deux types de produits sont
utilisés à cette fin : les fards qui assurent un blanchiment
passif et des remèdes censés « agir directement sur
l'épiderme, dans le cadre d'un blanchiment actif »744.
Benedicti ne mentionne que le « blanc d'Espagne » qui, appelé
aussi blanc « de Meudon, ou encore blanc de Troyes,
était un carbonate de calcium naturel, de la craie broyée tout
simplement »745. Quand Benedicti dénonce le fait pour
une mère d'apprendre à sa fille à « farder, peindre,
plastrer leur visage »746, il nous montre dans le même
temps quels pouvaient être les gestes d'une femme à sa toilette.
Le terme « plastrer » peut sembler péjoratif mais il renvoie
aussi à la consistance même du fard, décrit comme « un
enduit plus ou moins épais, sec et couvrant »747 par
Catherine
739Catherine LANOE, La poudre et le fard : une
histoire des cosmétiques de la Renaissance aux Lumières,
Seyssel, Champ
Vallon, 2008 (coll. Époques), p.33-34.
740Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.250.
741Ibid., p.252.
742Ibid., p.251.
743Catherine LANOE, op. cit. [note
n°739], p.28.
744Ibid., p.29.
745Anne-Marie MOMMESSIN, Femme à sa
toilette : beauté et soins du corps à travers les
âges, Levallois-Perret, Éditions
Altipresse, 2007, p.97.
746Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97.
747Catherine LANOE, op. cit. [note
n°739], p.30.
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mémoire | juin 2013 - 154 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Lanoë. Les femmes du XVIe siècle usent
aussi de fards rouges, afin de souligner la blancheur de leur teint. «
S'il s'agit d'un rouge végétal, la poudre peut être
étendue sur le visage au doigt ou au pinceau, telle quelle ou bien
diluée dans une eau parfumée et gommée. S'il s'agit d'un
rouge minéral en revanche, sa faible solubilité dans l'eau oblige
le consommateur à le mélanger à une huile ou à de
la gomme arabique748, comme le font les peintres
»749. Ainsi, le verbe « peindre », employé par
Benedicti peut renvoyer à la fois au pinceau utilisé par les
femmes pour se maquiller ou à la ressemblance existant entre les gestes
de la femme qui se maquille et les gestes du peintre. Il faut enfin souligner
que si le fard peut être dérobé « à vne femme
qui s'en farde pour en abuser »750, la pratique est cependant
acceptée « pour couurir quelque deformitié & laydeur,
qu'elle pourroit auoir contracté de quelque maladie, ou autre
inconuenient »751.
Enfin, Benedicti aborde la question des « femmes qui
portent les cheuelures de quelques trespassees pour estre plus belles & non
pour autre fin »752 et de celles qui « dore[n]t leur
tresse & entortille[n]t leurs cheveux pour attraper les hommes, comme
l'araignee les mousches à sa toyle »753. De nouveaux
canons définissent les soins à apporter aux cheveux au
XVIe siècle. Dans la haute société, les femmes
sont très influencées par les modes étrangères qui
introduisent des coiffures travaillées, « nattées à
la Toscane ou à l'Italienne, quand ce n'est pas à l'Espagnole
»754. La comparaison des femmes à des araignées
attirant leur proie montre qu'une fois encore, la peur du franciscain est
qu'elles incitent les hommes à pécher. Depuis les origines du
christianisme, les femmes « se paraient de faux cheveux
confectionnés à partir de chevelures humaines ou de poils animaux
»755. Au XVIe siècle, ces pièces de
faux cheveux sont appelées des « coins ». Ils permettent aux
femmes de multiplier les possibilités de coiffure. Les perruques et
postiches sont aussi utilisés bien que l'Église ait
condamné leur usage dès le Haut Moyen Âge756.
Les perruques servaient essentiellement à « recouvrir de trop
brunes crinières »757. En effet, la mode est au «
blond vénitien », ce que rapporte Benedicti quand il dit : «
celle, laquelle par artifice fait deuenir ses cheueux qu'elle a naturelleme[n]t
noirs, iaulnes, blonds, ou d'autre
748La gomme arabique est obtenue à partir de
la sève de l'acacia. Glucide naturel, elle est utilisée pour
solidifier, coller et donner
du brillant.
749Catherine LANOE, op. cit. [note
n°739], p.58.
750Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.172.
751Ibid., p.251.
752Ibid., p.252.
753Ibid., p.250.
754Paul GERBOD, Histoire de la coiffure et des
coiffeurs, Paris, Larousse, 1995, p.67.
755Anne-Marie MOMMESSIN, op. cit. [note
n°745], p.118.
756Ibid., p.130.
757Ibid., p.130.
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maîtrise | juin 2013 - 155 -
couleur, elle offense venielement »758.
Anne-Marie Mommessin explique que, « [p]lus rare que la teinte brune, le
blond a dû symboliser très tôt les forces
bénéfiques ; la couronne solaire, le blé mûr, la
croûte dorée du pain, tandis que le brun renvoyait à la
terre, à la glèbe, à l'automne, à la tristesse si
bien que chez les Romains comme pour l'Église catholique, le brun
était symbole d'humilité, de pauvreté, couleur
déterminante de la rude bure des moines »759. Les
Vénitiennes réussissent au XVIe siècle «
grâce à des préparations complexes et subtiles (teintures
et séchage au soleil), [à] obtenir une nuance très
appréciée »760. De multiples recettes sont
données dans des recueils ou des traités à destination
d'un public féminin. Ces préparations demandent de nombreux
ingrédients tels de la cendre de vigne, du bois de réglisse, du
citron ou encore des lupins. Benedicti dénonce un péché
véniel ici encore alors qu'il affirme « qu'aucuns voudroyent dire
que ce seroit mortel[...] »761.
Quelles peuvent être les conséquences directes
de ce péché de coquetterie chez les femmes ? Il faut rappeler
tout d'abord un passage de la Bible explicitant nettement à quoi les
coquettes s'exposent. Dans le livre d'Isaïe, une prophétie concerne
particulièrement les femmes qui apportent trop de soins à leur
toilette : « Yahvé a dit : À cause de l'orgueil des filles
de Sion, parce qu'elles vont la tête haute et les yeux provocants, parce
qu'elles vont à pas menus, faisant sonner les anneaux de leurs pieds, le
Seigneur rendra galeux le crâne des filles de Sion et découvrira
leur nudité. Ce jour-là, le Seigneur enlèvera parure de
chevilles, croissants, pendentifs, bracelets, voiles, bandeaux, coiffures,
chaînettes de pieds, ceintures, boîtes à parfums et
amulettes, bagues, anneaux de nez, vêtements précieux, manteaux,
capes, aumônières, miroirs, linges fins, turbans et mantilles. En
fait de parfum, la pourriture ; en fait de ceinture, la corde ; en fait de
coiffure, tête rase, et comme robe splendide, un sac ; au lieu de
beauté, une marque au fer rouge »762. Si Benedicti ne
les menace pas de telles choses, la toxicité de certains produits de
beauté devait se charger d'offrir un spectacle similaire à
certaines femmes. Évelyne Berriot-Salvadore décrit le
châtiment qui « vient justement frapper celles qui s'y adonnent :
rides, puanteur d'haleine, noirceur et chute des dents, rougeur des yeux, perte
de la vue, surdité sont les marques infamantes d'un mauvais usage du
758Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.251.
759Anne-Marie MOMMESSIN, op. cit. [note n°745],
p.128.
760Paul GERBOD, op. cit. [note n°754],
p.67.
761Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.252.
762Bible de Jérusalem, op. cit. [note
n°6], Isaïe, 3, 16-24.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
sublimé763, de la céruse et autres
produits "aussi dangereux que peste" »764. En effet, de
nombreux fards sont composés de céruse, ingrédient
utilisé en peinture également et dont les effets néfastes
ne sont réellement dénoncés qu'au XVIIIe
siècle. Ce pigment blanc est fabriqué à base de plomb, ce
qui lui donne un caractère extrêmement toxique. Les femmes du
XVIe siècle s'exposent donc à des maladies
ophtalmiques, salivation, sécheresse excessive de la bouche ou
inflammation des gencives. Deux siècles plus tard, les médecins
lui attribuent « l'occurrence de maladies de poitrine, d'affection des
poumons [...], l'apparition de taches, la sécheresse de la peau, voire
des "douleurs aiguës et des convulsions effroyables" ou la mort par
affection pulmonaire »765. Les symptômes aujourd'hui
connus du saturnisme, maladie provoquée par l'intoxication au plomb, se
retrouvent dans ces commentaires médicaux. Les femmes ont donc parfois
payé chèrement leur désir de se conformer à la mode
du temps. Selon Benedicti, la faute la plus grave que commettent les coquettes
est qu'elles en oublient d'aller à la messe. Il dénonce en effet
les « femmes qui sont si rauies à se vestir, orner, parer qu'elles
en perdent la Messe aux festes & Dimanches »766. De
même la « femme qui s'applique si long temps à s'accoustrer,
diaper767, attinter768 & orner, & par ce moyen
perd la Messe aux festes & Dimanches, peche mortelleme[n]t
»769. Aucune différence n'est faite ici sur les motifs
qui la poussent à prendre soin de sa toilette. Benedicti stigmatise
aussi « celle qui est cause que son mary faict ba[n]queroute par la
superfluité des atours & habits dissoluts, ou empesche par ce moyen,
que les dettes soie[n]t acquittees »770. En effet, certaines
recettes demandent l'achat de « coûteuses substances
d'épicerie ou de fruiterie » et Catherine Lanoë souligne que
« c'est bien désormais d'une boutique entière que devrait
disposer une femme pour se farder, y puisant céruse et sublimé,
rouge d'Espagne et alun zaccharin, mie de pain et vinaigre distillé,
fèves et amandes, eaux de fleur et fientes de boeuf...répartis en
mille boîtes différentes »771. Ces coûts,
selon Benedicti, peuvent être la cause d'un grave
déséquilibre dans le budget du ménage, voire d'une «
ba[n]queroute ». De plus, la femme est accusée de prendre de son
propre chef « à son mary quelque chose notable pour entretenir ses
jeux, atours, fards, & autres
763Le sublimé est un remède fait
à base de mercure, élément chimique hautement toxique.
764Évelyne BERRIOT-SALVADORE, « De
l'ornement et du gouvernement des dames : esthétique et hygiène
dans les traités
médicaux des XVIe et XVIIe
siècles », p.37-58, dans Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN
(dir.), op.cit. [note n°568],
p.49.
765Anne-Marie MOMMESSIN, op. cit. [note
n°745], p.94.
766Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.251.
767« Diaper » viendrait du nom commun « diaspre
» désignant un drap de soie à fleurs, à ramages ou
arabesques.
768« Atinter » signifie « se préparer
».
769Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.196.
770Ibid., p.251.
771Catherine LANOE, op. cit. [note
n°739], p.139.
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superfluitez »772, ce qui est contraire
à l'idée selon laquelle c'est l'homme qui gère
l'économie familiale.
Benedicti ne semble pas dénoncer la coquetterie
seulement pour elle-même mais surtout parce qu'elle entraîne
potentiellement une suite d'autres péchés plus importants. Ainsi
la femme qui se maquille est souvent qualifiée de « piaffeuse
»773 c'est-à-dire d'orgueilleuse, qui souhaite se
montrer à tout prix. Or, l'orgueil fait partie des sept
péchés capitaux. L'envie, autre péché capital, est
elle aussi soeur de la coquetterie dans le discours de Benedicti. Il semble
régler une querelle entre femmes, un chagrin de coquette, lorsqu'il dit
: « [l]a femme qui porte enuie à sa voisine, dequoy elle est plus
belle qu'elle, elle a grand tort, car la beauté de sa voisine n'empesche
par la sienne. Qu'il soit ainsi, si sa voisine n'eust esté iamais nee,
elle ne seroit pas plus belle qu'elle est, & n'auroit pas d'auantage
qu'elle a »774. La coquetterie serait aussi une dangereuse
incitation à la luxure. Ainsi, la « fille ou femme laquelle
s'habille pompeusement, soit en allant à l'Eglise, aux compagnies ou
ailleurs, pour complaire charnelleme[n]t à d'autres qu'à son
mary, nonobstant que l'effect ne s'ensuyue, peche mortellement pour ce que son
intention est sinistre & peruerse »775. De même,
« la fille ou femme, qui de guet à pend se met aux fenestres, &
se presente en la compagnie des hommes pour estre veüe & souhaitee
d'eux charnellement, peche »776. Plus loin, le confesseur
dénonce « les femmes mondaines & piaffeuses, lesquelles par
leurs habillemens excessifs, par leurs gestes lascifs, bal & risee
prouoquent les autres à mal »777. Il s'appuie aussi
à ce sujet sur saint Jean Chrysostome qui aurait dit que la femme «
qui s'orne pompeuseme[n]t, pour estre desiree de quelqu'vn, peche
mortelleme[n]t, scandaliza[n]t son prochain, & luy offrant le venin pour
boire »778. La femme venimeuse incite par sa coquetterie
à des comportements transgressifs. Le blâme est étendu
à ceux qui fabriquent « des fards pour les femmes mondaines
»779 et aux « marchands qui veulent trancher des
gentils-hommes, & les habillemens, colliers, carquans780,
ioyaux, bombans, pompes & autres vanitez de leurs femmes
»781. Benedicti propose certains remèdes à
cela.
Au chapitre portant sur la restitution, le franciscain
exprime l'opinion qu'« [o]n n'est pas tenu de rendre [...] le fard
à la femme piaffeuse »782. Benedicti souhaite aussi
772Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.164.
773Ibid., p.169, p.254, p.720, p.735.
774Ibid., p.355.
775Ibid., p.190.
776Ibid., p.190.
777Ibid., p.720.
778Ibid., p.17.
779Ibid., p.719.
780Collier de pierreries.
781Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.169.
782Ibid., p.735.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
responsabiliser la mère qui enseignerait ces gestes en
lui faisant prendre conscience que, donnant à sa fille un « mauuais
exemple, elle est homicide de l'ame de son fruit »783. Le
franciscain rappelle aussi que l'excommunication punissait les femmes grecques
de tels comportements784. Il tente de montrer que les hommes sont
parfois plus responsables que la femme coquette qui n'a pas de mauvaise
intention785 mais il sait la faiblesse des religieux même et
il conseille au « pere confesseur [... de recevoir] le pecheur doucement
& benignement, sans toutesfois le regarder en face lors qu'il se confesse,
ne permettre aussi d'estre regardé de luy principalement si c'est vne
femme »786. Ainsi, pour éviter toute tentation, il est
recommandé d'éviter tout regard qui pourrait la faire
naître.
Il semble donc que la coquetterie soit mal vue par le
confesseur Benedicti. Ce dernier la condamne modestement pour elle-même
mais il souligne qu'elle incite à de nombreux péchés
mortels. Cet art de l'illusion, utilisé pour séduire et
conquérir, n'est qu'une des facettes des moyens dont les femmes usent
pour tenter les hommes. Nous allons voir à présent quelles autres
figures se présentent à l'esprit de Benedicti quand il pense au
pouvoir de séduction des femmes.
Danse et tentation : la femme vecteur du
péché.
Dans certaines expressions de Benedicti, la peur de la femme
tentatrice transparaît. Au-delà de sa beauté, dont nous
venons de voir qu'elle est mise en valeur, c'est par diverses attitudes
corporelles que la femme semble menaçante. Menaçante et
dangereuse tant pour elle-même, qui pèche dans ces attitudes, que
pour ceux qu'elle entraîne à sa suite dans la chute. Nous allons
voir ci-après que Benedicti se méfie du contact avec la femme
mais aussi simplement des regards échangés avec elle par les
hommes. Il semble que la danse soit particulièrement condamnable du fait
même de l'alliance de ces diverses tentations.
Au chapitre intitulé « De l'attouchement »,
Benedicti aborde la question du danger que représente pour l'homme tout
contact physique avec une femme. Les « baisers & attouchemens
impudiques, ils sont illicites & dangereux & principalement
783Ibid., p.97.
784Ibid., p.250. 785Ibid., p.252.
786Ibid., p.627.
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maîtrise | juin 2013 - 159 -
ceux qui se font en la personne d'vne femme
»787. Jean-Claude Bologne souligne que «
[l]'étreinte et le baiser deviennent plus fréquents, et plus
explicites »788 au XVIe siècle.
Néanmoins, ces contacts sont dangereux car « qui taschera de
retenir [la femme], fait co[m]me celuy qui apprehe[n]de789 le
scorpion, ou le serpent ». La femme apparaît donc comme un animal
dangereux susceptible de piquer et d'insuffler son venin dans les veines de
l'homme. La femme est vénéneuse aux yeux de Benedicti et les
hommes doivent s'en protéger. Le franciscain donne l'exemple notamment
d'un « Ermite estant vne fois co[n]traint de porter sa mere pour la passer
le fleuue, couurit ses mains de mitaines de peur de toucher sa chair lequel
estant d'elle interrogé, pourquoy il auoit fait cela, il respondit que
la chair de la femme est vn feu, & les mains de l'homme
l'estoupe790, pour autant dit il à sa mere, ie craignoye en
vous touchant qu'il ne me suruint quelque mauuaise pensee des autres femmes
»791. Il s'appuie ensuite sur l'exemple de saint Léon
Pape qui se serait coupé une main après qu'une « femme lui
déposa un baiser sur la main, ce qui fit naître en lui une
véhémente tentation charnelle »792. Sa main lui
est ensuite heureusement « restituee par le moye[n] de la vierge Marie
»793. Cette histoire semble proposer aux hommes de se mutiler
plutôt que de céder au péché, tout en ayant l'espoir
de retrouver leur intégrité physique par la suite. Le
récit du martyre d'un homme introduit un nouveau degré de
violence fait à son corps. En effet, « ce triomphant martyr, lequel
estant attaché par le commandement du tyran sur vn beau lict orné
& tapissé, & se voyant impudiquement touché &
manié par vne femme qui esmouuoit sa chair à luxure, ayma mieux
(autrement il ne se pouuoit defendre) se trancher à belles dents la
langue, & la ietter contre la face de la putain, que de se laisser
emflamber par attouchemens impudiques »794. La gradation
introduite par Benedicti cherche à montrer que plus le contact est en
quelque sorte impur, plus l'auto-pénitence que s'infligent ces hommes
est grande car, hommes de Dieu, ils connaissent la véritable nature de
la femme et du péché. En effet, l'ermite a choisi de s'isoler
dans un monde plus spiritualisé, l'évêque est un ministre
du culte tandis que le martyr est prêt à mourir pour
défendre sa foi. L'histoire de l'ermite Martinien de
Césarée est aussi
787Ibid., p.526.
788Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la
conquête amoureuse de l'Antiquité à nos jours, Paris,
Seuil, 2007 (coll. L'univers
historique), p.128.
789Appréhender a le sens de « se saisir
de ».
790L'étoupe est de la filasse de chanvre ou de
lin.
791Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.526.
792Jacques de VORAGINE, op. cit. [note
n°295], p.310.
793Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.527.
794Ibid., p.527. Benedicti attribue ce
martyre à Nicétas de Goth (p.105) mais nous n'avons pas
trouvé de récit confirmant cette
association. L'histoire est néanmoins racontée
dans La Légende dorée. Le martyre de ce chrétien
aurait incité saint Paul, connu
comme étant le tout premier ermite, à se retirer du
monde, afin de ne pas subir les mêmes tourments. (Jacques de VORAGINE,
op. cit. [note n°295], p.83).
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
racontée afin de montrer le pouvoir de
séduction de la femme et le danger qu'il y a à se laisser toucher
par elle. Ce dernier, « voyant qu'vne femme estoit venuë en son
ermitage pour le desbaucher, se ietta dedans le feu ardant, mieux aimant estre
bruslé de feu materiel qui prend fin, que d'estre tourme[n]té au
feu infernal, qui est inextinguible »795. Cette femme
s'était introduite dans l'ermitage de Martinien sous prétexte de
s'être perdue. Elle était en réalité envoyée
par le diable et Martinien, se recommandant à Dieu avant de
pécher avec elle, reçoit du secours de sa part. Les hommes
peuvent donc recourir à Dieu lorsqu'une femme les tente dans le but de
les faire déchoir.
Ici, le contact était en quelque sorte provoqué
par la femme. Néanmoins, afin de se prémunir de toute mauvaise
pensée et de toute tentation, l'homme doit soigneusement éviter
les occasions de toucher le corps de la femme. Benedicti accepte « qu'on
peut bien licitement se resiouyr en la veue d'vne belle femme, sans toutesfois
la desirer : mais non pas en l'attouchement d'icelle, lequel est bien plus
perilleux que la veue »796. Le franciscain explique donc au
prêtre qui « a de coustume de fouëtter les espaules toutes
nües du penitent pe[n]dant qu'on dit le Pseaume, les oraisons & qu'il
donne l'absolution » que « [c]ela n'est pas toutesfois tant
necessaire, qu'on ne le puisse bien obmettre, principalement si c'est vne femme
qu'on absout »797. Se voient ici une sorte de charité de
la part du confesseur, qui réprouve peut-être les pratiques trop
violentes de pénitence, mais aussi la peur que le prêtre voit les
épaules nues de la pénitente et qu'il en ressente une tentation
propre à le faire pécher. Contact indirect par le biais du fouet
et interaction du regard rendent cette pratique dangereuse. De même,
l'absolution du fidèle, lorsqu'il est pardonné de ses fautes,
suppose d'« imposer la main ou bie[n] les deux, comme font aucuns, sur la
teste du penitent ». Benedicti précise : « Il est bien vray
que telle imposition de mains n'est pas necessaire : signamment quand c'est vne
femme ieune, belle, delicate & bien ornee [...] »798. Le
contact direct avec la pénitente est ici aussi réprouvé
afin de prévenir toute tentative de séduction de la part de la
femme mais aussi toute tentation du prêtre.
Si le contact tendait plus à la faute selon une
citation précédente de Benedicti, de nombreuses mentions montrent
que le regard est bien défini comme un vecteur de tentation et donc de
péché. L'avis du franciscain est que « la plus dangereuse
[occasion de luxure], c'est la trop grande familiarité &
conuersation auec les femmes : ce qui a esté la ruyne de plusieurs : car
comme dit l'autre Poëte, La femme brusle en regardant : ce
795Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.142.
796Ibid., p.527. 797Ibid., p.670.
798Ibid., p.671.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 162 -
qui s'entend actiueme[n]t & passiuement, c'est à
dire, elle se brusle, & brusle les autres, elle en regardant, &
l'ho[m]me en la voyant ». Ainsi, parler avec une femme, c'est s'exposer
à son pouvoir de séduction. La femme semble introduire le feu du
péché en l'homme par le biais de son regard. C'est pourquoi
pèche « l'homme qui regarde attentiuement la femme pour la
conuoiter, & la femme l'homme, il laisse entrer la mort en son ame par la
fenestre de ses yeux »799. Ève elle-même avait
péché par le regard « qui voya[n]t le fruict deffendu en eut
enuie »800. Plusieurs exemples d'hommes ayant
péché en regardant une femme sont pris par le confesseur. Ainsi,
« Dauid, qui ayant ietté ses yeux sur Bethsabee l'a voulu auoir, en
[sic] deux vieillards qui par leurs yeux desirerent la belle Susanne
»801 mais aussi « Ruben le premier enfant de Jacob [qui]
offensa grandement par la veue, lors qu'il apperceut Bala concubine de son
Pere, qui toute nue se lauoit en vn bain, dequoy estant par apres griefuement
tenté, il chercha tous les moyens d'auoir afaire auec elle : ce qu'il
accomplit vn iour qu'il la trouua prise de vin. Ainsi il souilla la couche de
son Pere, duquel il receut malediction, à cause dequoy il perdit le
droit de primogeniture qui fut baillé aux enfans de Joseph son frere
»802. Toutes ces histoires sont issues du texte biblique et
rappellent aux lecteurs comment furent punis les protagonistes. David qui
envoie le mari de Bethsabée à la mort paie son
péché par la perte de leur premier enfant. Les deux accusateurs
de Suzanne sont mis à mort après la découverte de leur
fausse accusation. Enfin, Ruben perd son droit d'aînesse et sa
descendance est condamnée à rester limitée. Ces
récits doivent inciter les hommes à réfléchir aux
conséquences qu'un seul regard peut entraîner.
Les remèdes à ces tentations sont les
mêmes que pour ce qui est du toucher : il faut absolument éviter
de regarder une femme. C'est pourquoi le confesseur est invité à
ne pas « regarder [le pénitent] en face lors qu'il se confesse, ne
permettre aussi d'estre regardé de luy principalement si c'est vne femme
»803. Benedicti se méfie en effet de la femme « qui
viendroit à confesse pour tenter le prestre, & l'inciter à
mauuais desirs »804. S'il est déjà trop tard, les
hommes peuvent suivre le modèle d'« Auianus Euesque d'Alexandre qui
s'arracha vn oeil, par lequel il auoit desiré vne femme
»805. Benedicti rappelle en plusieurs endroits de son ouvrage
qu'afin d'éviter toute tentation, il faut « [e]uiter la co[m]pagnie
& familiarité des femmes »806. Si les regarder
pousse à pécher,
799Ibid., p.524.
800Ibid., p.524. 801Ibid., p.524.
802Ibid., p.525. 803Ibid., p.627.
804Ibid., p.679. 805Ibid., p.105.
806Ibid., p.105.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 163 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
les toucher semble plus dommageable mais leur parler aussi
peut faire glisser l'homme vers la chute. Il ne faudrait « nous arrester
au milieu des fe[m]mes car leurs paroles [...] sont plus coula[n]tes que
l'huyle : mais en la fin sont des fleches asserees pour tuer dit Dauid »,
il y a un réel danger à « pre[n]dre trop gra[n]d plaisir
à iazer, rire & caqueter auec la femme, soit bonne, ou mauuaise
»807. Benedicti présente ici un tableau sombre de la
femme et insiste auprès des hommes : « Que si les saincts Peres
nous admonnestent d'euiter la familiarité de celles qui sont vertueuses,
combien deuons nous soigneusement fuyr la conuersation de celles qui sont
mondaines & desbauchees ? Ce sont les Sirenes, lesquels par leur chant
melodieux & attractif enchantent les hommes, & finalement les
precipite[n]t en vn dangereux naufrage »808. La peur de la
femme séductrice se reflète ici. Elle peut s'expliquer par les
divers modèles de tentatrices qui existent dans le livre de
référence des catholiques.
Ève est bien sûr la figure par excellence de la
tentation : à la fois tentée, séduite puis tentatrice,
elle incarne le mal qui mène à la chute de l'homme.
L'interprétation qui a été faite de la Genèse
explique en grande part la place de la femme dans la société du
XVIe siècle. Benedicti, inventant le discours tenu par le
serpent à Ève, montre comment cette dernière a pu
être tentée par lui : « Dieu ne vous aime pas, ains il vous
hait, il vous porte enuie, ayant peur que vous soyez participa[n]s de sa
science. Et pour autant qu'il sçait que tout ente[n]dement raisonnable
peut compre[n]dre tout ce qui est intelligible, il veut vous empescher de
paruenir au souuerain de la science, comme aussi il m'a voulu empescher moy
estant au ciel auec luy. Ainsi tu peux connoistre dit-il à Eue le tort
qu'il fait à toy & à ton mary »809. Benedicti
présente ici un discours de la séduction, jouant sur le sentiment
d'injustice et de curiosité du destinataire. Ève ainsi
séduite, tentée par le serpent, commet plusieurs
péchés : « Nostre mere Eue commist premierement le
peché en son coeur, en presumant de soy & desirant du fruict, qui
fut le peché du coeur, & puis persuada à son mary d'en
ma[n]ger, disant qu'il n'y auoit tant de mal comme il pensoit, ains que s'il en
mangeoit il auroit le sçauoir du Pere & du Fils & du sainct
Esprit : ce que veut signifier le mot Elohim : car notez que Satan la
feist tomber en heresie pour la persuader à son mary, qui fut le
peché de la bouche, & finalement en mangea, qui fut le peché
de l'oeuure »810. Le chemin de la tentation est donc bien
déterminé. Il passe par le coeur, séduit, puis par l'acte
qui fait tomber totalement dans le péché. Si Ève n'avait
été que séduite, la faute aurait été moins
grande. Néanmoins, Adam se résout à « manger du
807Ibid., p.347.
808Ibid., p.348. 809Ibid., p.2.
810Ibid., p.187.
fruict defendu, pour complaire à vne creature, qui
estoit Eue »811. Cette dernière a réussi assez
facilement à convaincre Adam de croquer lui aussi dans la pomme.
Trompée par les diables812, elle devient diable à son
tour lorsqu'elle trompe Adam. D'autres figures connues sont aussi
appelées par Benedicti quand il interpelle les hommes ainsi, citant
saint Jérôme : « Ne demeure point, dit-il, auec
la femme en vne mesme maison, en te confiant de ta chasteté. Es tu plus
fort que Sanson ? Plus sainct que Dauid ? Plus sage que Salomon, &c
»813. Samson s'amourache de Dalila, à qui il
révèle le secret de sa force. Celle-ci use de séduction
avec lui car il ne souhaite pas lui apprendre d'où vient sa force.
Néanmoins, après plusieurs tentatives, elle obtient de lui ce
qu'elle veut et elle le fait livrer à ses ennemis, ce qui entraîne
sa mort. David, père de Salomon, pécha avec Bethsabée et
en fut puni. Salomon subit lui aussi les foudres divines pour s'être
laissé séduire par des femmes. Benedicti dit à son propos
: « Il est escrit de luy que son esprit deuint tout aliené par
ceste pestilence [sic] luxure qu'il exerçoit auec ses putains :
voire iusques à delaisser la vraye religion, & en embrasser vne
fausse, comme ont fait nos ministres de France814
»815. Salomon aurait eu « sept cents épouses de
rang princier et trois cents concubines »816. Ces femmes
apportent le culte de leur pays d'origine. Le roi accepte et favorise ces
cultes dont celui de la déesse Astarté, divinité à
l'origine des figures d'Aphrodite et de Vénus. Son culte aurait abouti
à des prostitutions sacrées, ce qui attire la colère
divine sur Salomon. Des modèles non bibliques sont aussi utilisés
afin d'inciter l'homme à se méfier des tentatrices. Ainsi, Venus
est constamment dénigrée comme étant la divinité de
l'amour, de la séduction. Elle est associée au nom de Didon, qui
s'est tuée de désespoir après le départ de son
amant, Énée. La séductrice Venus, à qui Benedicti
reconnaît un rôle dans la procréation817, est
cependant abaissée au rang de « dangereuse paillarde
»818. Le spectacle de ces femmes tentatrices qui ont
mené à la perte de beaucoup d'hommes devrait inciter ces derniers
à être plus prudents à leur abord.
Une des activités dénoncées par
Benedicti est la danse, qui joint tout à la fois le contact physique
auquel la sévère morale de l'époque « donne du prix
»819 et l'échange de regards. Le confesseur rappelle que
« les femmes feroie[n]t mieux de filler à leur
811Ibid., p.186.
812Ibid., p.249.
813Ibid., p.348.
814Allusion aux « ministres du culte »
protestants.
815Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.346.
816Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], I, Rois, XI, 3.
817Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.375.
818Ibid., p.345.
819Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la
conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788],
p.133.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 164 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
quenouille le iour du Dima[n]che, que de sauter & danser
impudiquement »820. Jean-Claude Bologne explique que la «
danse s'érotise au XVIe siècle, permettant des baisers
... ou des visions subreptices ! "On sautille et gambade, lançant sa
cavalière si haut qu'on voit ses jambes, sans parler d'autre chose"
»821. De plus, aux « XVe-XVIe
siècles apparaissent des danses de couple, basses danses, pavanes,
allemandes, voltes ... Même si le couple est ouvert et que l'on ne peut
enlacer sa cavalière, il s'agit d'une évolution dans les rapports
entre les sexes que permet la danse, "seule occasion régulière
pour les jeunes gens de s'approcher et de se toucher en simulant un
couple" »822. C'est peut-être pourquoi Benedicti
précise qu'il « faut danser honnestement, & non point à
la façon du iourd'huy, lors qu'on fait faire la volte &
madrigalle à ces dames et damoiselles, qui monstrent bien souue[n]t
leur braguettes & haut de chausses : chose du tout indecente à
personnes d'honneur »823. La volte est une « danse
populaire, d'origine provençale, qui pourrait être l'une des
premières formes de la valse. Elle est donc à trois temps de
tempo rapide, et fait partie des hautes danses, entendons des danses
sautées »824. Jean-Claude Bologne souligne de plus qu'il
s'agit d'une « danse de couple fermé, enlacée et rapide
»825. Le madrigal est une sorte de poème chanté,
issu de la tradition des troubadours médiévaux, et qui eut un
grand succès à la Renaissance. La braguette est un vêtement
qui recouvre les parties génitales de la personne qui le porte mais il
s'agissait d'un attribut essentiellement masculin au XVIe
siècle. Les hauts de chausses étaient quant à eux de
courts pantalons qui allait de la ceinture aux genoux. Le fait que les hommes
puissent voir aussi haut sous les robes des femmes était
considéré comme une chose indécente. La volte
provençale est aussitôt vue par l'Église comme « une
danse de sorciers, symbole de l'accouplement avec Satan »826.
Benedicti accepte une danse sage et précise qu'« [i]l n'y faut pas
vser de chansons d'amour & d'impudicité : abus qui se commet le plus
souue[n]t, & qui donne occasio[n] à plusieurs d'entrer en vaines
pe[n]sees, & mauuais desirs »827. Dans les madrigaux,
« la musique est entonnée par un meneur, mais le refrain est repris
par les danseurs. Un regard appuyé, une mimique suggestive, persuadent
la partenaire que l'on partage les sentiments qui y sont exprimés
»828. Un autre conseil est de ne « pas danser par mauuaise
intention, sçauoir
820Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.583.
821Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la
conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788],
p.134.
822Ibid., p.134.
823Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372.
824Pierre-Paul LACAS, « VOLTA ou VOLTE, danse
», Encyclopaedia Universalis, [disponible en ligne sur
<
http://www.universalis.fr/encyclopedie/volta-volte/>]
(consulté le 02 avril 2013). Ce lien mène à une
vidéo du groupe Lei
Tambourinaire de Sant Sumian interprêtant une volte : <
http://www.youtube.com/watch?v=RJanisNOajs>
825Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la
conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788],
p.135.
826Ibid., p.135.
827Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372.
828Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la
conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788],
p.134.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 165 -
est, pour attirer les personnes à concupiscence, ou
pour quelqu'autre mauuaise fin, co[m]me feit la fille d'Herodias, pour occasion
de laquelle fut decapité sainct Iean »829. La vision
qu'a l'Église de la danse est donc en décalage avec ces danses
qui permettent « de toucher l'épaule de la cavalière, de lui
faire du pied, de converser avec elle »830. Le meurtre que
Salomé obtint par sa danse reste dans les mémoires des religieux
et permet de montrer un exemple flagrant des conséquences possibles de
cette pratique. Afin d'écarter les femmes du bal, ou d'inciter leurs
maris à les y surveiller, Benedicti conclut : « Plusieurs
auiourd'huy dressent le bal, mais c'est pour attraper la proye : & Dieu
sçayt le bel honneur qu'en rapportent les dames & ieunes filles qui
s'y trouuent : Il y en a eu autres fois qui ne s'en sont pas retournees si
pucelles que quand elles sortirent du ventre de leurs meres
»831. Le bal est donc présenté comme un lieu de
débauche où les femmes séductrices trouveront des hommes
prêts à pécher mais aussi où elles sont
elles-mêmes en danger de se laisser aller à la tentation. Les
hommes y sont incités à pécher par le regard, eux qui
viennent « veoir curieusement les femmes & les desirer
»832 . Bien que « l'homme doi[ve] estre plus vertueux que
la femme »833, « si esta[n]t vaincu par force de la
tentation, il vint à co[n]sentir au peché qu'il eut à tout
le moins patience deuant que de commettre le peché, afin de dire
quelques oraisons, si par aduenture Dieu auroit pitié de luy
»834. L'homme a pour lui un argument qui l'empêche
d'être si coupable s'il cède à la femme tentatrice : cela
serait inscrit dans son nom latin même : « M.V.L.I.E.R. M.1. La
femme mauuaise est le mal des maux V. la vanité des vanitez. L. luxure
des luxures. I. la cholere des choleres. E, la furie des furies & R. la
ruyne des Royaume »835.
Ainsi, tout contact avec la femme apparaît dangereux
dans le discours de Benedicti car nécessairement porteur d'une
tentation. La femme séductrice ne saurait que trop bien comment attirer
l'homme à elle et le pousser à pécher. Le regard, la
parole, le contact physique semblent tous pouvoir brûler sur place
l'homme peu prudent face à une tentatrice sans scrupule. La pudeur qu'on
lui accorde si facilement est donc le véritable comportement que l'on
attend d'elle. De même, le silence serait une qualité rare chez la
femme comme nous allons le montrer.
829Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372.
830Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête
amoureuse..., op. cit. [note n°788], p.134-135.
831Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372.
832Ibid., p.249. 833Ibid., p.652.
834Ibid., p.674. 835Ibid., p.348.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 166 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Péchés de bouche : bavarde et menteuse.
La femme est appelée à garder le silence car sa
parole est considérée comme nécessairement vaine. Elle ne
semble en effet capable que d'un bavardage futile qui la mène souvent
à la calomnie voire au mensonge. Nous allons voir comment sont
étudiés ces péchés par Benedicti et sur quels
modèles s'appuie ce dernier pour démontrer le danger qu'il y a
à ne pas tenir sa langue.
Le franciscain relate l'histoire qu'un « sainct Pere
» a écrit à propos « d'vne femme chaste toutesfois,
mais par trop addonnee au cacquet, laquelle apres sa mort fut apperceuë du
Secretain836 [sic] de l'Eglise, couppee d'vne scie par le
milieu du corps. Il refere encore le mesme d'vne ieune fille nommee
Muse, qui fut punie aussi pour ce mesme vice, auquel le sexe feminin
est communeme[n]t plus subiet que le masculin. Ces pauures femmes ne faisoient
conscience des petits pechez au commenceme[n]t, lesquels finalement vinrent
à grande consequence »837. Les préjugés
sur la nature bavarde des femmes sont ici présents. Verena Aebischer
affirme que le bavardage était considéré comme une oeuvre
du diable838. Puisque les femmes sont plus susceptibles d'être
tentées par le diable dans les mentalités du XVIe
siècle, nous pouvons y voir une explication à ce
préjugé. L'image de la femme coupée en deux peut renvoyer
aux deux tranchants du langage. En effet, Benedicti reprend à son compte
les affirmations du « sage Hierosolymitain839 Sidrach »
qui aurait dit : « La langue double a dechassé plusieurs femmes
de vertu, & les a priuees de leurs labeurs »840. La
langue double est celle qui « porte l'amer avec le doux, & le
venin auec le miel »841. L'homme qui entre dans le jeu du
bavardage avec une femme « se destourne de la co[n]te[m]plation des
choses celestes, & finalement tombe en enfer »842.
Cela peut se comprendre en étudiant la croyance selon laquelle « le
bavardage provoque la dissipation de l'intériorité : celui qui
parle beaucoup se disperse dans une multiplicité de communications avec
le monde et n'est plus capable de revenir à la vraie connaissance, qui
est purement intérieure »843. La femme, bavarde par
essence, peut donc difficilement se voir accorder un caractère
raisonnable puisqu'elle peine à se recentrer sur elle-même dans le
silence.
836Il s'agit peut-être ici d'une erreur de
l'imprimeur ou d'une faute de Benedicti qui parle sûrement du «
sacristain », personne
chargée de l'entretien de l'église et des objets
liturgiques.
837Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.552.
838Verena AEBISCHER, Les femmes et le langage :
représentations sociales d'une différence, Paris, PUF, 1985
(coll. Sociologie
d'aujourd'hui), p.19.
839Hierosolymitain signifie, « qui vient de
Jérusalem ».
840Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.529.
841Ibid., p.528.
842Ibid., p.347.
843Carla CASAGRANDE, Silvana VECCHIO, Les
péchés de la langue, Paris, Éditions du Cerf, 1991,
p.292.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 167 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 168 -
Il faut souligner aussi qu'en « s'abandonnant au flux des
mots, on en arrive à dire des paroles oiseuses et que de là on
passe inévitablement aux propos nuisibles. Lorsqu'on parle beaucoup, on
parle des faits concernant autrui, on tombe dans la calomnie, on en arrive
même aux injures »844. C'est ce que reproche Benedicti
aux femmes quand il raconte l'histoire d'une femme « qui esta[n]t
extremement ialouse de son mary, dit que sa voisine est mauuaise femme, en la
diffama[n]t sans aucun suffisant fondement »845. La calomnie
est ici le fruit de la jalousie, mais elle est permise par les bavardages
féminins qui entraînent cette diffamation. Les femmes sont
tellement bavardes qu'elles révèlent le contenu de leur
confession et cherchent à se faire révéler celle des
autres. Elles usent de ruses pour cela rappelle Benedicti qui fait le tableau
de ces « femmes assez malignes, qui vous diront, I'ay esté
à confesse à vn tel, lequel dit cecy & cela, ou m'a
interrogee des choses que iamais ie n'auoye ouyes, &c
»846. La calomnie est personnifiée sous la figure
d'une femme « laquelle demo[n]trant vn courroux furieux, traine de sa
main dextre vn pauure ieune garçon, qui te[n]d les bras au ciel,
implorant l'ayde des dieux, & en sa main senestre elle tient vne torche
ardente »847. La scène se poursuit
présentant « deux chambrieres qui viennent apres, qui sont
fallace848 & astuce »849. Ce sont donc les
femmes qui représentent le mieux ces défauts selon les hommes de
l'époque. Benedicti explique que le diable se mêle de porter le
désordre par le biais des femmes. Il raconte « qu'vne fois le
diable voyant qu'il n'auoit peu [sic] mettre debat entre vn mary &
sa femme, qui auoie[n]t demeuré l'espace de trente ans ensemble en bonne
paix, s'addressa à vne vieille maquerelle, laquelle paracheua ce qu'il
n'auoit peu [sic] faire. Et ente[n]dez comment. Cest instrument de
Lucifer rapporta au mary que sa femme ne luy estoit pas fidele, & puis va
rapporter tout le mesme à la femme, luy disant que son mary en aymoit
vne autre qu'elle. Or le soir estant venu, le mary comme[n]ce à regarder
sa femme d'vn mauuais oeil, & la femme aussi le mary : de sorte qu'ils
demeurere[n]t quelque temps sans auoir vne belle parole l'vn de l'autre.
Finalement la vieille voyant ceste pauure femme triste, luy conseilla de mettre
vn cousteau auec de l'eau beniste sous le coussin de son mary, luy faisant a
croire qu'apres qu'il auroit dormy dessus qu'il l'aymeroit pl[us] que iamais.
Ce qu'aya[n]t esté fait par la femme simple & trop credule, ceste
vieille (ô mescha[n]t organe du diable !) s'en va dire au mary que sa
femme machinoit sa mort : & qu'ainsi fust, qu'elle auoit à
844Ibid., p.293.
845Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.664.
846Ibid., p.679.
847Ibid., p.532.
848Fallace signifie « tromperie, fausseté
».
849Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.532.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
ceste fin caché vn cousteau sous son oreiller pour le
tuer auec de l'eau beniste pour l'enterrer. Qu'arriua-il ? Le mary y va voir,
lequel trouuant le fait verifié, prend le cousteau & en couppa la
gorge à sa propre femme. De ce crime si detestable le mesme diable en
eut horreur : car il dist par apres à ceste vieille, retire toy
maqurelle, car tu es plus mescha[n]te que moy »850. Ainsi, la
calomnie, fille de bavardage, pousse elle-même à de grands
péchés. Elle est instillée en l'esprit des femmes par le
diable lui-même mais ce dernier semble ici sous-estimer la
méchanceté de la femme prise dans l'engrenage d'une parole
futile.
La femme qui ne garde pas le silence est aussi amenée
à mentir. Le mensonge est « une parole dont le sens est faux [...],
prononcée dans l'intention de tromper »851. Introduit
par le diable sous la forme du serpent, le mensonge est lié à la
chute des Hommes du Paradis et à une nature diabolique. De même
que pour le bavardage, ce lien avec le diable semble avoir permis d'attribuer
le mensonge plus facilement aux femmes qu'aux hommes ce qu'exprime Benedicti
lorsqu'il dit de certaines femmes qu'elles « mentirent
voirement852, aussi le naturel du sexe le porte ». La femme qui
bavarde au lieu de garder le silence se met en danger de mentir lorsque
quelqu'un vante sa virginité, qu'elle a perdue. Aussi pèche la
« femme impudique, qui se vante d'estre chaste & s'appelle femme de
bien : & la fille de sa virginité qu'elle a perdu
»853. Benedicti ne leur demande pas de s'accuser mais « si
on les loüe de chasteté & continence, elles ne doiue[n]t ne
approuuer ne reprouuer ce qu'o[n] dit, ains dissimuler baissans la teste sans
faire sembla[n]t de rien, & penser en leur coeurs, qu'elles ne merite[n]t
pas telles loüanges »854. S'abstenir de bavarder les
empêcherait de se trouver dans ces situations. Rien ne justifie un
mensonge, pas même sauver une vie comme le montre l'exemple du «
pasteur de brebis qui mentit à Dioscorus payen, qui cherchoit sa propre
fille saincte Barbe855 pour la tuer »856 et qui
offense par là véniellement. En effet, selon Benedicti, « il
est plus licite de laisser tuer mil hommes, voire soy-mesme que de mentir vne
seule fois »857. Si mentir est si grave, c'est que, depuis
Augustin, « [l]'identification Dieu-Verbe-Vérité et le
mystère de l'incarnation du Verbe divin [...] définissent [...]
le
850Ibid., p.554.
851Carla CASAGRANDE, Silvana VECCHIO, op. cit.
[note n°843], p.193.
852Voirement signifie « assurément,
véritablement ».
853Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.245.
854Ibid., p.245.
855Barbe, fille de Dioscore, est
persécutée par ce dernier pour ses convictions
chrétiennes. Nous n'avons pas trouvé de récit
faisant mention du mensonge du berger. Certains textes ne le
mentionnent pas, d'autres font plutôt état de sa délation
auprès de
Dioscore, après qu'il ait découvert la cachette de
Barbe, tentant d'échapper à son père.
856Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.542.
857Ibid., p.542.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 169 -
caractère théologiquement central de la
vérité comme valeur »858. Tout mensonge est un
affront à la Vérité que Dieu a voulu offrir à
nouveau aux humains en envoyant sur Terre l'incarnation de son Verbe.
Néanmoins, le mensonge a une place ambivalente dans la
Bible. Benedicti rappelle ces cas où le mensonge n'a pas
été châtié par Dieu, voire a été
récompensé : « On allegue Abraham qui dist sa femme estre sa
soeur, Isaac qui dist le mesme de la sienne, de Iacob859 qui trompa
son pere et son frere, se disant estre Esau, des Sages femmes d'AEgypte qui
mentirent au Roy Pharaon, pour sauuer les petits enfans d'Israël, de
Ioseph qui vsa de dissimulation à l'endroit de ses freres, de Raab, de
Rachel, de Iudith, de Michol qui mentirent bel & bien [...]
»860. Benedicti continue la liste des mensonges racontés
dans la Bible. Il défend que certains ont plutôt «
celé la vérité » que menti. Par exemple, «
Abraham disant que Sara estoit sa soeur, il ne mentit pas : car elle estoit sa
niepce, laquelle selon le langage du pays s'appelloit soeur
»861. Cela est un péché aussi, mais moins
important. Néanmoins, il affirme : « Et quant est de
Rachel862, des Sages femmes d'AEgypte863, de
Raab864, de Thamar865 & de Michol866,
elles mentirent voirement [...]. Et de Iudith867 il n'y a point de
doutte qu'elle ne pechast venielement (d'autres osent bien dire d'auantage)
lors qu'elle mentit aux Assyriens, & trompa Holofernes. Et pourquoy donc
est-ce, me direz-vous, que l'Escriture la loüe, elle & les autres qui
ont menty pour vn bien ? Ie respons qu'elle les loue du bon desir, &
affection qu'elles ont eu à leur patrie, à l'honneur de Dieu
& au profit de leur prochain : mais non pas de la menterie qu'elles ont
commise, laquelle comme dit est, ne se peut aucunement dispenser ne tourner en
bien »868.
858Carla CASAGRANDE, Silvana VECCHIO, op. cit.
[note n°843], p.190.
859Jacob, malgré son mensonge, soutenu par
la complicité de sa mère, eut une longue descendance et acquit de
nombreuses richesses. Il ne fut nullement puni d'avoir usurpé
l'identité de son frère Esaü afin d'obtenir le droit
d'aînesse. Bible de Jérusalem, op. cit. [note
n°6], Genèse, 27.
860Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.543.
861Ibid., p.543.
862Rachel, qui s'enfuit avec son époux
Jacob, dérobe les idoles de son père Laban. Ce dernier vient les
chercher. Rachel les cache alors « dans le palanquin du chameau » et
s'assoit dessus. Elle trompe son père en lui disant : « Que
Monseigneur ne voie pas avec colère que je ne puisse me lever en ta
présence, car j'ai ce qui est coutumier aux femmes ». Laban repart
sans avoir trouvé ses idoles. Bible de Jérusalem,
op. cit. [note n°6], Genèse, 31, 34-35.
863Deux sages-femmes ont ordre de tuer tous les
nouveaux-nés mâles. Elles ne s'exécutent pas et disent au
Pharaon : « Les femmes des Hébreux ne ressemblent pas aux
Égyptiennes. Elles sont vigoureuses. Avant que l'accoucheuse n'arrive
auprès d'elle, elles se sont délivrées ». Le texte
biblique dit qu'elles furent favorisées. Ibid., Exode, 1,
19-20.
864Rahab cache des espions israélites dans
sa maison et ment aux soldats venus les chercher affirmant qu'ils sont
déjà partis de chez elle. Elle est la seule, avec sa famille,
à échapper à la destruction de la ville de Jéricho,
grâce à la protection accordée par les espions.
Ibid., Josué, 2.
865Thamar couche par ruse (elle se déguise
en prostituée) avec son beau-père, Juda, qui avait refusé
de lui donner un nouveau mari, ce qu'il aurait dû faire selon la loi
hébraïque. Néanmoins, elle est pardonnée et donne
naissance à des jumeaux. Ibid., Genèse, 38.
866Mikal tombe amoureuse de David et devient son
épouse. Mais son père, Saül, veut sa mort. Elle
prévient alors son mari qui prend la fuite et ment aux soldats qui
viennent le chercher pour le tuer en prétextant qu'il est malade.
Ibid., I Samuel, 19, 10-17. 867Judith, afin de
défendre sa cité, se fait passée pour une traîtresse
auprès d'Holopherne, général des troupes ennemies, le
séduit et le tue pendant son sommeil. Elle est louée par la
Bible. Ibid., Judith.
868Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.544.
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mémoire | juin 2013 - 170 -
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maîtrise | juin 2013 - 171 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Il ne faut donc pas suivre ces modèles et penser
plutôt aux femmes qui furent durement punies pour avoir commis un
péché de bouche. Les femmes qui mentent doivent avoir à
l'esprit l'exemple de Salomon qui « cognut à laquelle des deux
meres appartenoit l'enfant »869. Dans cette histoire, deux
femmes disent au roi être la mère d'un enfant. Ce dernier, afin de
les tester, demande une épée et affirme clore le débat en
tranchant l'enfant en deux afin que chacune puisse en avoir une moitié.
La vraie mère préfère alors donner son enfant à
l'autre femme qui, elle, encourage le roi dans son jugement. Le mensonge est
alors rendu public par Salomon qui rend le bébé à sa
véritable mère870. Les femmes qui murmurent et
calomnient dans le dos des autres sont invitées à contempler
l'exemple de Marie qui « murmura contre son frere Moyse, & en fut bien
punie : car elle deuint lepreuse »871. Marie ou Myriam, soeur
de Moïse, avait en effet parler contre « la femme kushite qu'il avait
prise »872. Elle devint lépreuse pendant sept jours,
durant lesquels elle est « séquestrée hors du camp
»873 puis elle est à nouveau admise dans la
communauté. Les femmes peuvent néanmoins compter sur l'indulgence
de Dieu qui « pardonna [...] à Marie soeur de Moyse le peché
de detraction »874 mais elles devraient plutôt prendre
d'autres modèles, plus élevés. Lorsque Benedicti prend
l'exemple des femmes maudites après leur mort pour avoir
été bavardes durant leur vivant, il conclue ainsi : « Elles
eussent mieux fait de n'auoir point tant babillé, ains d'auoir
gardé le silence de la vierge Marie, de laquelle les Euangelistes ne
racontent que cinq paroles qu'elle a proferees : d'auoir gardé silence
d'vne Marie Magdaleine, qu'elle a obserué trente ans au desert, &
d'vne Marie Egyptiaque, qui le garda quarante sept ans : le silence d'vne
saincte Clere »875. Marie est en effet très peu
citée dans la Bible, ce qui explique son relatif silence. Nous ne savons
en réalité que peu de choses à propos de la mère de
Jésus. Marie-Madeleine, « désireuse de contempler les choses
célestes, se retira dans une grotte de la montagne, que lui avait
préparée la main des anges, et pendant trente ans elle y resta
à l'insu de tous »876 selon Jacques de Voragine. Marie
l'Égyptienne, prostituée repentie tout comme Marie-Madeleine,
« mena pendant quarante-sept ans, au désert, une vie de repentir et
de privations »877 qui fut interrompue par un prêtre
nommé Zosime à qui elle conta son histoire et qui pu la confesser
de ses péchés. Plusieurs saintes portent le nom de Claire mais
nous n'avons pas trouvé trace, ni
869Ibid., p.508.
870Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], I Rois, 16-18.
871Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.547.
872Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Nombres, 12, 1.
873Ibid., Nombres, 12, 14.
874Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.654.
875Ibid., p.552.
876Jacques de VORAGINE, op. cit. [note
n°295], p.343.
877Ibid., p.212.
dans la Légende dorée, ni dans
d'autres supports, d'une sainte Claire ayant respecté un silence plus ou
moins long. Il s'agit peut-être ici encore d'un effet d'accumulation
utilisé par Benedicti pour appuyer son propos.
Enfin, le franciscain incite les hommes à se
méfier des paroles féminines. Il affirme que « maudire Dieu,
c'est le peché de blaspheme, & le peché le plus grief de
tous, comme est ainsi la haine de Dieu, auquel peché Satan vouloit
precipiter Iob par le moyen de sa femme. Le plus gra[n]d que sceut imposer
ceste impie Iezabel au bon Naboth, ce fut de dire qu'il auoit maudit Dieu
»878. Les femmes semblent ainsi vouloir entraîner les
hommes à leur suite dans l'engrenage des péchés de langue.
En effet, Job, testé par le diable, est ainsi interpellé par sa
femme : « Vas-tu encore persévérer dans ton
intégrité ? Maudis donc Dieu et meurs ! »879.
Néanmoins, Job n'écoute pas sa femme, la traite de folle et
persévère dans sa foi, pour laquelle il sera grandement
récompensé. Quand à Jézabel, elle accuse Nabot
d'avoir maudit Dieu afin que son mari, Achab, puisse s'emparer des vignes de ce
dernier, qu'il n'avait pu obtenir par négociations. Nabot est
lapidé par le peuple, suite à l'accusation de
blasphème880. De plus, s'il faut se méfier des femmes
et de leur langage, il ne faut jamais leur confier un secret car elles ne
peuvent tenir leur langue. Benedicti prend à ce propos l'exemple d'un
certain Papyrus : « le ieune enfant Papyrius n'est il pas
immortalizé par les Historiographes pour n'auoir voulu descouurir le
secret du Senat Romain à sa mere ? Iaçoit que tantost elle le
flattast luy promettant monts et vaux, ores elle le menaçast, iamais ne
luy voulut fier, (elle estoit femme) ce qu'il auoit ente[n]du au Capitole :
exemple assurement memorable à toute la ieune posterité
»881. Il est assez amusant de remarquer qu'après avoir
dit que Papyrus ne voulut pas révéler le secret à sa
mère, il prend le soin de préciser qu'elle « estoit femme
», ce qui semble expliquer selon lui la réserve de son fils.
En conclusion, les femmes sont considérées
comme bavardes et menteuses par le franciscain Benedicti. Elles sont
invitées à réguler leur langage et à prendre
exemple sur la Vierge ou encore Marie-Madeleine qui ont su surmonter leur
nature féminine en se murant dans le silence. Les hommes devraient se
méfier d'elles et ne rien leur confier d'important s'ils ne veulent voir
leurs secrets ébruités. Nous pouvons conclure avec Verena
Aebischer, qu'« [i]ci et là, hier et aujourd'hui, le bavardage
comme trait
878Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.544-545.
879Bible de Jérusalem, op. cit. [note
n°6], Job, 2, 9.
880Ibid., I Rois, 21.
881Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.675-676.
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mémoire | juin 2013 - 172 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
caractéristique des femmes prend dans la tête
des gens une réalité palpable et inéluctable. Pour
l'homme, il est une option parmi d'autres, alors que la femme ne semble pouvoir
faire que cela. [...] La représentation du parler-bavardage
féminin s'oppose à celle du parler masculin, auquel est reconnu
le privilège de constituer la norme, la bonne façon de parler. En
conflit avec cette norme, le parler féminin s'inscrit en défaut,
en négatif, en trop et en moins »882.
La prostituée et ses hommes.
Au XVIe siècle, la condition des
prostituées change radicalement. En effet, le mouvement de
Réforme puis de Contre-Réforme catholique entraîne, sur
tout le siècle, une tentative de purification de la
société qui passe par la traque des péchés et
notamment le péché de luxure. Les prostituées, bien
intégrées dans la société médiévale,
sont alors repoussées hors des villes, mises en marge par des textes de
loi répressifs. Benedicti, en tant que religieux acquis aux idées
d'« assainissement » de la société, parle toujours
d'elles d'une manière péjorative. Son discours laisse
néanmoins voir quels sont les débats entourant le métier
de la prostituée à l'époque moderne. Nous allons examiner
comment ce dernier voit l'avenir des prostituées et ce qu'il nous laisse
savoir de leur vie à la fin du XVIe siècle. Nous
verrons dans un deuxième temps que ce qui préoccupe le plus le
franciscain est la question de l'utilisation des revenus de la prostitution.
Enfin, nous montrerons qu'il présente des modèles totalement
opposés de « prostituées » : Circé et
Vénus qui se complaisent dans leurs vices tandis que Marie-Madeleine est
placée en parangon de la repentance.
Benedicti a un avis qui peut sembler ambivalent sur la
question de la prostitution. En effet, il affirme à la fois que les
prostituées ont une utilité sociale et qu'elles doivent
être bannies de la société. Ces opinions sont en
réalité le reflet de deux courants de pensée qui ont pu
influencer Benedicti. Ce dernier, quand il dit que « les putains [sont
permises] pour euiter vn plus grand mal »883, pense
sûrement à saint Augustin, qu'il cite ailleurs ainsi : « S.
Augustin qui escrit qu'il vaut mieux permettre vn petit mal pour en euiter vn
plus grand »884. En effet, ce grand penseur du
IVe-Ve siècle « ne rejette pas le fait ; il
le justifie comme moyen d'apaisement social et prétend que la
disparition des
882Verena AEBISCHER, « Bavardages : sens
commun et linguistique », dans Parlers masculins, parlers
féminins ?, Verena AEBISCHER (dir.), Claire FOREL (dir.), Paris,
Delachaux et Niestlé, 1983, p.175-179.
883Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.504.
884Ibid., p.115.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 173 -
prostituées sèmerait un grand désordre
»885. Néanmoins, à partir du milieu du
XVIe siècle, « les progrès de l'ordre en place et
le succès des Réformes, protestante et catholique, mettront de
plus en plus la vertu et le rigorisme à l'ordre du jour
»886. C'est pourquoi, malgré cet arrière-plan
théologique augustinien, Benedicti pense qu'il vaut mieux prendre de
sévères mesures plutôt que « de permettre les bordeaux
& femmes abandonnees »887.
Dans l'énumération des raisons qui permettent
à Benedicti de pencher en faveur de la fermeture de tels
établissements de prostitution, ce dernier nous donne une réelle
vision de la condition des prostituées au XVIe siècle
et du mode de fonctionnement des « bordeaux ». Il souligne en effet
que certains sont prêts à permettre aux prostituées de
s'installer « en quelque canton de la ville » mais « qu'il ne
leur faut bailler aucun ayde ne patro[n]s, ny protecteurs, ne louer maisons ne
logis »888. Ces quelques mots dévoilent que les
prostituées, du moins durant toute l'époque
médiévale, avaient une place réservée au sein de la
cité. En effet, au Ve siècle avant J.-C., « sous
l'impulsion législative de Solon, l'initiateur de la démocratie
athénienne, les femmes dévouées sexuellement aux dieux
quittent les lieux sacrés pour des maisons à destination
spécifique et publique »889. Jusqu'au XVIe
siècle, il existe donc des maisons publiques, connues de tous et
identifiées au sein de la cité grâce à une enseigne,
comme tous les autres commerces de l'époque. Des personnalités du
conseil municipal peuvent même s'occuper de la gestion s'il manque un
responsable pour ces maisons de plaisirs, considérées comme
essentielles à la tranquillité de la ville. Si certains
contemporains de Benedicti pensent qu'il ne faut pas que des « protecteurs
» louent les maisons au bénéfice des prostituées,
c'est que cette pratique existait à l'époque. Il semble aussi
exister des gens « qui leur baille[n]t à louage leurs maisons, pour
y exercer leur bordelage »890. Ces gens qui favorisent la
prostitution sont des pécheurs aux yeux de Benedicti.
Ce dernier feint de croire que le public fréquentant
les maisons de prostitution est essentiellement composé de « ieunes
gens » qui sont ensuite incités « à desbaucher les
filles & femmes de bonne maison, apres qu'ils ont apprins les subtilitez
d'amour au bordeau »891. Il développe longuement les
dangers qu'il y a à encourager les jeunes gens
885Brigitte ROCHELANDET, Histoire de la
prostitution du Moyen Âge au XXe siècle,
Divonne-les-Bains, Cabédita, 2007 (coll.
Archives vivantes), p.14.
886Lucien BELY (dir.), op. cit. [note
n°46], article « Déviances sexuelles ».
887Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.115.
888Ibid., p.115.
889Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note
n°885], p.9.
890Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.116.
891Ibid., p.115.
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maîtrise | juin 2013 - 175 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
à aller faire leur première expérience
sexuelle avec une prostituée. Cette coutume, pratiquée largement
au Moyen Âge, se basait sur la croyance que deux mariés puceaux
donneraient naissance à un enfant mal formé si une grossesse
devait survenir dès le premier rapport. Benedicti pense que «
[c]'est donner occasion à beaucoup de ieunes hommes chastes et vertueux
de se desbaucher, voyant la porte ouuerte, & liberté donnee à
vn chacun de paillarder & mal faire, à quoy de nostre naturel ne
sommes que trop enclins »892. Le franciscain introduit ici un
« penchant naturel » qui pousserait les hommes vers les femmes. Les
prostituées ne sont donc pas les seules responsables de ce qu'il
considère comme une débauche. Lorsque l'auteur explicite quelles
catégories sociales sont susceptibles d'avoir recours aux
prostituées, il parle « des religieux & ge[n]s d'Eglise
»893. La loi « proscrit [aux prostituées] de mettre
en péril les voeux de chasteté des religieux et de forniquer avec
eux »894. Néanmoins, il semble que les « clients
interdits les plus présents dans les archives so[ient] pourtant les
hommes de Dieu, provoquant des critiques de la population ou des municipaux ;
cette sur-présence dans les archives est compréhensible, les
autres clients "normaux" ne sont jamais inquiétés, sauf en cas de
violences »895. En effet, les historiens s'accordent sur le
fait qu'une large partie de la population masculine pouvait côtoyer le
monde de la prostitution, à un moment ou à un autre, et cela
malgré le fait que les prostituées aient fréquemment eu
interdiction « de ramener des hommes mariés, pour lutter contre
l'adultère »896. Certains religieux, à la fin du
XVIe siècle, et malgré le passage du Concile de
Trente, acceptent manifestement mal le voeu de chasteté qu'ils ont
dû faire, au vu des remarques que fait Benedicti à leur sujet.
Dans les « bordeaux », les filles sont sous la
direction d'un ruffian ou d'une maquerelle. La majorité des femmes
exerçant ce métier ont « entre 16 et 30 ans
»897. Certaines filles sont encore des enfants quand elles sont
vendues par leurs parents. Benedicti dit à ce propos que « si le
pere ou la mere, voulans vendre la pudicité de leur fille, luy
commandant de s'abando[n]ner pour leur gaigner quelque chose : la fille ne leur
doit aucunement obeir, ains plustost endurer la mort, quelque pauureté
que puissent auoir ses parens, & ainsi des autres enfans
»898. La présence de fillettes dans les « bordeaux
» est donc possible mais cela est assez mal vu. De plus, Benedicti
mentionne
892Ibid., p.115.
893Ibid., p.115.
894Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note
n°885], p.59.
895Ibid., p.59.
896Ibid., p.59.
897Ibid., p.58.
898Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.91.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 176 -
des hommes qui « prostitue[n]t filles & femmes en
leur presence »899. Cela est sans doute le fait d'une grande
misère. Passé 35 ans, les femmes sont considérées
sur le déclin. Quand elles « ne sont plus désirées,
elles sont chassées du bordel et tentent de vivre de la prostitution
illicite ou de mendicité. Elles peuvent aussi être accueillies
dans des hospices. Les plus chanceuses deviennent tenancières quelque
temps »900. C'est ce qu'explique Benedicti lorsqu'il dit :
« Telles publiques, apres qu'elles ont passé la fleur de leur aage,
ne pouuans plus rien faire, sont inuentrices de dix mille maux, & bonnes
maquerelles pour desbaucher les ieunes filles, & autres femmes honnestes
»901. Les femmes qui dirigent les « bordeaux » sont
considérées comme des incitatrices à la débauche.
Elles sont qualifiées de « vieilles maquerelles qui precipite[n]t
les ieunes filles en la voye de perdition »902 et sont tenues
à une restitution spirituelle par de nombreuses pénitences selon
Benedicti. Si le ruffian peut entretenir un lien « d'affection amoureuse
» avec son associée, les rapports entre la prostituée et sa
maquerelle sont soit affectueux, soit violents903. Les maquerelles
possèdent les chambres où officient les filles et leur font payer
un loyer qui leur permet de vivre et de s'accorder la protection de certains
personnages. Les prostituées peuvent soit dormir dans la maison
où elles exercent, soit posséder ou louer une chambre hors de
leur lieu de travail. Leur recrutement est difficile à connaître.
Il s'appuierait sur l'exploitation, par le ruffian ou la maquerelle de «
la misère, la souffrance, la solitude, la naïveté et le
découragement »904. Lucien Bély souligne de plus
que « [l]'accroissement de la paupérisation populaire » au
XVIe siècle a sans doute amené « de plus en plus
de filles ou de femmes (de jeunes hommes aussi, en milieu urbain en
particulier) à se livrer à cette activité
»905.
En ce qui concerne la pratique en elle-même, il semble
que les prostituées « ne se cachent pas, ne rasent pas les murs,
mais invectivent les passants, leur font des signes, des sourires, des
oeillades ; leur dessein est de ramener un homme en désir ou besoin
sexuel, afin de gagner de quoi vivre, payer leur chambre et les taxes
»906. Benedicti parle des « paillardes, qui attirent &
seduisent les ieunes ge[n]s à peché »907. Nous ne
savons rien des positions sexuelles adoptées par les clients mais le
franciscain pense que « ceux qui ont apprins de faire l'amour au
[sic] putains, seront encore plus enflambez, & hardis
899Ibid., p.97.
900Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note
n°885], p.67.
901Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.115.
902Ibid., p.697.
903Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note
n°885], p.149.
904Ibid., p.148.
905Lucien BELY (dir.), op. cit. [note
n°46], article « Déviances sexuelles ».
906Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note
n°885], p.59.
907Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.115.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
à faire le mesme à l'endroit des sages &
honnestes femmes »908. En plus des violences auxquelles les
prostituées sont exposées, les risques de grossesse et les
tentatives d'avortement rendent leur vie dangereuse. En effet, « avalant
des potions dangereuses, ou usant de baguettes de bois pour provoquer des
saignements »909, les prostituées risquent de se blesser
gravement. En 1560, la fermeture officielle des « bordeaux »
municipaux rend leur quotidien encore plus difficile, vivant dès lors
« dans la clandestinité, en tentant d'échapper à la
traque perpétuelle engagée contre leur personne. Leurs conditions
de travail se dégradent sévèrement, n'étant plus
protégées »910.
Les prostituées n'ont plus de droits dans la
société répressive du XVIe siècle. S'il
est déjà difficile pour une femme quelconque de faire
reconnaître son viol ou son rapt, Benedicti dit à propos d'un
homme accusé de rapt : « Mais quoy s'il a raui vne putain publique
? Doit-il estre puny de mort ? On respond que non : puis qu'elle est infame
& exposee à vn chacun »911. Un homme qui aurait
donné sa parole est délié de son voeu s'il s'agit «
de prendre vne putain pour espouse »912. Le voeu si
sacré que Benedicti défend durant de longues pages n'a pas de
valeur s'il est fait en faveur d'une prostituée. De plus, elles sont
exclues de la communauté des chrétiens, ce qui n'avait jamais
été tenté de telle sorte, au vu du texte biblique. En
effet, Matthieu raconte que Jésus a déclaré aux grands
prêtres de Jérusalem que « les prostituées arrivent
avant [eux] au Royaume de Dieu »913. Si l'Ancien Testament
offre une vision assez sombre des prostituées, le « Nouveau
Testament leur ouvre un espoir ; les prostituées ayant la foi seront
accueillies dans le Royaume de Dieu grâce à Jésus, le
rédempteur annoncé »914. Or, au XVIe
siècle, Pie V (1566-1572), « chantre de la lutte contre
l'immoralité », met « les filles publiques hors la loi en leur
interdisant de se faire inhumer dans une sépulture chrétienne,
tout comme les suicidés ou les criminels, les vouant au diable et son
royaume de feu. À cette époque, la tradition affirme que celle
qui n'est ni confessée, ni enterrée dans le cimetière ne
peut monter au Ciel »915. Benedicti connaît et encourage
ces mesures. En effet, il affirme que le « Curé ou Prelat [...]
peut & doit denier la communio[n] aux heretiques, adulteres, putains [...]
»916. Ces dernières ne peuvent donc pas se joindre
à la communauté des croyants lors de la cérémonie
de l'eucharistie. Puisqu'elles « se donnent au diable
»917,
908Ibid., p.115.
909Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note
n°885], p.67.
910Ibid., p.72.
911Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.137.
912Ibid., p.67.
913Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Matthieu, 21, 31.
914Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note
n°885], p.12.
915Ibid., p.19.
916Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.229.
917Ibid., p.504.
elles iront passer le reste de leurs jours dans les feux de
l'Enfer. Benedicti ne leur dénie pas seulement la communion : « Les
femmes publicques qui sont au bordeau ou ailleurs, pechent griefueme[n]t, &
sont iournellement en estat de damnation : Et par consequent ne doiuuent
receuoir les saincts Sacremens, si elles n'en sortent, & si elles ne
promettent de s'amender & faire penitence »918 dit-il. Or,
quitter le métier est difficile car prouver sa bonne foi et
réussir à trouver un travail qui permette de s'installer et de
survivre est quasiment impossible pour une prostituée dans le contexte
économique du XVIe siècle. En leur déniant le
droit au sacrement de pénitence, Benedicti éloigne ces femmes des
confessionnaux. En leur déniant la communion, il les exclue de la messe.
En leur refusant l'extrême-onction, il les repousse hors du Paradis et
cela malgré l'indulgence biblique à leur égard.
Une des principales préoccupations de Benedicti quand
il aborde la question de la prostitution est de savoir d'où viennent les
gains et comment ces derniers peuvent être utilisés par les
prostituées. Le franciscain pense qu'il est illicite de « donner
l'aumosne à vne ieune fille pour auoir jouïssance d'elle
»919. Ce qui est condamné fermement par Benedicti, ce
n'est pas tant le fait que les hommes paient les prostituées, mais que
certains d'entre eux n'aient aucun droit sur l'argent qu'ils leur offrent.
Ainsi, il explique que les « femmes desbauchees qui prennent argent, ou
autre chose des ieunes enfans de familles, des religieux & ge[n]s d'Eglise,
co[m]mette[n]t outre le peché, larrecin & si sont obligees à
restituer, comme chose desrobee & mal aquise : car premierement l'enfant
n'a rien au bien de son pere viuant, & par conseque[n]t ne peut rien
donner, & encores moins le religieux : & aussi l'homme d'Eglise ne peut
faire donation des biens de son benefice, sinon aux pauures. Elles doiuent
do[n]c restituer au pere, si elles ont prins de l'enfant, au monastere, si
elles ont prins du religieux, à l'Eglise, si elles ont prins du
beneficié »920. Que devraient faire les
prostituées avec cet argent ? Au paragraphe intitulé « Du
gaing des putains » Benedicti explique que « [c]eux qui gaignent par
oeuure de peché, comme font les ruffia[n]s & putains & autres
semblables personnes, outre le peché, ils sont obligez (ie ne dy pas de
necessité de conseil) de donner le gain aux pauures
»921. Ainsi, les prostituées, malgré le fait que
l'immense majorité exerce du fait de leur grande misère, sont
incitées à donner leurs gains aux pauvres afin de racheter le
péché dont elles se rendent coupables en exerçant la
prostitution. Une question très
918Ibid., p.115.
919Ibid., p.72. 920Ibid., p.115-116.
921Ibid., p.266.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
présente dans le discours de Benedicti sur les
prostituées est celle de la possibilité ou non pour elles de
faire des dons à l'Église. Le Deutéronome,
cinquième livre de l'Ancien Testament, est très clair à ce
sujet : « Il n'y aura pas de prostituée sacrée parmi les
filles d'Israël, ni de prostitué sacré parmi les fils
d'Israël. Tu n'apporteras pas à la maison de Yahvé ton Dieu
le salaire d'une prostituée ni le paiement d'un chien, quel que soit le
voeu que tu aies fait : car tous deux sont en abomination à Yahvé
ton Dieu »922. Néanmoins, saint Thomas d'Aquin, au
XIIIe siècle, « insiste à nouveau sur la vilenie
de la prostituée mais consent à ses dons et aumônes envers
l'Église »923. Benedicti affirme quant à lui :
« Ceux qui reçoyuent dons, presens & oblations924
pour l'Eglise du bien acquis par les putains font contre prohibition de
l'Eglise, laquelle defend de receuoir telles offrandes en detestation de leur
bordelage : ce qui est conforme a la loy de Moyse925 qui le defend.
Il est bien vray que les loix leur concedent de pouuoir donner & faire
testament de ce qu'elles ont gaigné ou [sic] bardeau
[sic], mais il ne faut pas que les Ecclesiastiques le doyuent receuoir
pour le donner à l'Eglise. Nous auions dit ailleurs que la putain peut
bien vouer de do[n]ner ce qu'elle a gaigné, à
l'Eglise926 : mais pour cela il ne le faut pas receuoir
»927. Les propos de Benedicti sont ici ambigus : les
prostituées ont le droit de donner, légalement, mais les
ecclésiastiques ne pourraient pas recevoir ce don. Ailleurs, une
nouvelle affirmation peut préciser quelque peu la pensée du
confesseur : « On demande si la putain qui a gaigné quelque chose
de son corps, en peut donner l'aumosne. On respond qu'ouy, nonobstant qu'elle
ayt acquis illicitement : car puis qu'elle n'est pas tenue à restituer,
si elle a gaigné de celuy qui pouuoit donner, elle en peut faire
à son plaisir. Il est bien vray qu'elle n'en peut pas faire dire des
Messes, ne autre service diuin : car l'Eglise, en detestation du peché,
refuse telles oblatio[n]s & presens, co[m]me ie l'ay escrit par cy deuant
»928. Nous pouvons donc penser que les ecclésiastiques
peuvent recevoir aumônes et dons de la part des prostituées mais
non pas se servir de cet argent publiquement, par exemple en disant une messe
en l'honneur de la donatrice.
Une chose est plus claire dans le propos de Benedicti : les
prostituées qui ont reçu de quelqu'un qui ne pouvait pas
légalement donner doivent restituer ce bien mal acquis. Entre autres,
les « putains & concubines qui reçoiue[n]t les biens
Ecclesiastiques, sont tenuës à restitution »929.
Néanmoins, « les paillardes & maquereaux, ne doiuent pas
922Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Deutéronome, 23, 18-19.
923Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note
n°885], p.16.
924Une oblation désigne toute offrande
à l'Église.
925Le Deutéronome cité auparavant.
926Voir Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et
le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.72.
927Ibid., p.265.
928Ibid., p.486.
929Ibid., p.216.
rendre les biens qu'ils ont receus aux mesmes Ecclesiastiques
qui les leur ont baillez, si tels biens estoient la part des pauures & la
fabrique930, mais ils les doiuent restituer à leurs
successeurs Ecclesiastiques, ou bie[n] les employer au profit des Eglises d'ou
ils sont venus, & ce auec l'autorité du penitencier ou bie[n] si
l'Eglise n'est pas necessiteuse, il les faut bailler aux pauures
»931. Celui qui « paillarde[...] & baille[...]
à sa putain »932 doit s'en accuser clairement au
confesseur qui décidera alors quelle pénitence celui-ci devra
exécuter afin de se racheter. La faute est d'autant plus grave pour les
ecclésiastiques qu'ils ont dilapidé un bien qui ne leur
appartenait pas mais qui revenait de droit aux pauvres. Ceux qui sont coupables
d'avoir pris de l'argent à de jeunes gens ou à des
ecclésiastiques sont invités à rééquilibrer
d'eux-mêmes la situation en restituant à bon escient l'argent mal
acquis. Ces invitations sont sûrement restées lettre morte au vu
de la situation économique des prostituées du XVIe
siècle mais nous pourrions y voir la preuve que Benedicti, tout comme le
Christ, ne pense pas que les pécheresses soient condamnées
à le rester jusqu'à la fin de leurs jours.
Les modèles proposés par Benedicti aux
prostituées sont de deux natures : les femmes totalement perverties et
celles qui, après une subite conversion, atteignent un idéal de
pureté peu commun.
Deux femmes sont associées à la prostitution
selon Benedicti : « ceste gra[n]de putain Circe
»933 et Venus, « vne dangereuse paillarde, qui
deçoit & trompe l'esprit »934. Circé,
magicienne de la mythologie grecque, procure des filtres d'amour à ceux
qui lui en demandent. Au chant X de l'Odyssée d'Homère,
Circé séduit les marins d'Ulysse et les transforme en pourceaux.
Benedicti rappelle qu'elle « co[n]uertissoit les ho[m]mes en pourceaux,
lyons, ours, & autres bestes sauuages, c'est à dire, que
lubricité change les ho[m]mes en bestes brutes »935.
Circé ne couche pas avec eux et n'attribue pas le sortilège
qu'elle leur lance à l'effet de leur lubricité. Néanmoins,
Ulysse accepte de coucher avec elle lorsqu'il vient délivrer ses
compagnons et cela fait d'elle un être dangereux aux yeux du franciscain.
De nombreuses liaisons lui sont attribuées avec des Olympiens mais,
Benedicti ne développant pas son propos, nous ne pouvons pas savoir
quelle connaissance il avait du mythe grec ou latin. Venus, associée
à la conception, est « nécessairement » liée
à la volupté et le glissement est facile vers l'image de la
930La fabrique est l'ensemble des biens et revenus
affectés à une église, à son édification et
à son entretien.
931Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.724.
932Ibid., p.582.
933Ibid., p.25.
934Ibid., p.345.
935Ibid., p.348.
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mémoire | juin 2013 - 180 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
« paillarde », d'une femme dissolue936.
Mêlée à de nombreuses histoires d'amour dans la mythologie
grecque et latine, elle infléchit le cours des choses au gré de
ses humeurs : femme implacable lorsqu'elle est jalouse de la beauté des
autres, elle peut cependant aider des couples qui désirent s'unir. Afin
de montrer la bassesse des prostituées, Benedicti rappelle l'histoire
d'Athanase d'Alexandrie, évêque de cette même ville et
défenseur du catholicisme face à l'hérésie
arienne937. Le franciscain explique que « les Arriens, qui
composerent diuerses calomnies contre cest inuincible Euesque Athanase, tantost
l'accusant d'auoir couppé la main d'Arsenius pour exercer la magie, ores
en subornant vne putain à somme d'argent pour luy faire dire qu'Athanase
l'auoit violee »938 sont les précurseurs des calvinistes
français. Nous pouvons voir avec cet exemple que les prostituées
ont pu être utilisées pour décrédibiliser des
personnalités. Le statut de ces dernières semble permettre de les
exploiter à des fins de tromperie. Les prostituées sont donc
associées à la fourberie mais aussi au bavardage comme le
montrait l'exemple utilisé plus haut de la maquerelle allant du mari
à sa femme afin de les fâcher l'un contre l'autre.
Trois modèles positifs sont utilisés par
Benedicti afin d'inciter les femmes qui se prostituent à arrêter
leurs activités et à se recentrer sur la religion. Le plus
anecdotique est celui de Thaïs. Benedicti raconte que « l'Hermite
Pafnuce co[n]uertit vne femme pecheresse dite Thais, luy donnant
à entendre qu'en nul lieu de la terre, tant escarté fust-il, elle
ne se pouuoit bien cacher, que Dieu ne la regardast, pour autant, dit il, vous
ne deuez estre si impudente & outrecuidee939, que de co[m]mettre
vn si vilain peché en la presence d'vn si grand Seigneur. Et bien,
encores que Dieu ne nous comtempleroit, si ne faudroit-il pas pourtant
commettre ce peché, tant il est sale, & des-honneste de soy-mesme
»940 ajoute-t-il. La Légende dorée
raconte comment cette riche courtisane brûla tous ses biens à
l'instigation de Paphnuce, venu pour la convertir. Après avoir fait
cela, « elle rejoignit Paphnuce, qui la conduisit dans un couvent de
femmes. Il l'enferma dans une étroite cellule, en mura la porte, et ne
laissa qu'une petite fenêtre par où l'on devait, tous les jours,
lui apporter un peu de pain et d'eau »941. Après trois
ans de prières dans cette cellule, elle est délivrée et
meurt peu après. Les deux autres figures de converties, mises quant
à elles parfois conjointement sous les yeux du lecteur, sont celles de
Marie-
936Ibid., p.50.
937L'arianisme postule l'infériorité de
Jésus et du Verbe par rapport à Dieu. Les catholiques, à
l'inverse, pensent que Jésus, le
Verbe et Dieu sont d'une seule et même substance, faute de
quoi, rendre un culte à Jésus et à Dieu reviendrait
à une sorte de
polythéisme.
938Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.532.
939Présomptueuse, arrogante.
940Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.350.
941Jacques de VORAGINE, op. cit. [note
n°295], p.576.
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maîtrise | juin 2013 - 181 -
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Madeleine et de Marie l'Égyptienne. Benedicti dit
d'elles qu'elles ont apaisé « l'ire de Dieu »942 et
qu'elles sont mortes « és deserts contrit[e]s »943.
Si l'histoire de Marie l'Égyptienne est peu développée,
Marie-Madeleine a quant à elle fait l'objet de nombreux discours. Son
parcours est peu commun. Marie-Madeleine a été assimilée
à la femme qui verse des larmes sur les pieds du Christ lors du
dîner chez Simon. En réalité, rien n'indique qu'il s'agisse
bien de Marie-Madeleine. Le récit biblique est ainsi : « Un
Pharisien l'invita [Jésus] à sa table ; il entra chez le
Pharisien et prit place. Survint une femme, une pécheresse de la ville.
Ayant appris qu'il était à table chez le Pharisien, elle avait
apporté un vase de parfum. Se plaçant alors en arrière,
tout en pleurs, à ses pieds, elle se mit à lui arroser les pieds
de ses larmes ; puis elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de
baisers, les oignait de parfum. [...] "Tu vois cette femme ? dit-il à
Simon. Je suis entré chez toi, et tu ne m'as pas versé d'eau sur
les pieds ; elle, au contraire, m'a arrosé les pieds de ses larmes et
les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as pas donné de baiser ;
elle, au contraire, depuis que je suis entré, n'a cessé de me
couvrir les pieds de baisers. Tu n'as pas répandu l'huile sur ma
tête ; elle, au contraire, a répandu du parfum sur mes pieds.
C'est pourquoi, je te le dis, ses péchés, ses nombreux
péchés, lui sont remis, puisqu'elle a montré beaucoup
d'amour." Puis il dit à la femme : "Tes péchés son remis."
Et ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en
eux-mêmes : "Quel est cet homme qui va jusqu'à remettre les
péchés ?" Mais il dit à la femme : "Ta foi t'a
sauvée ; va en paix." »944. C'est grâce à
ce passage de la Bible que Benedicti peut affirmer que « l'acte d'vne
excellente charité, peut estre si grand qu'il satisfera pour la coulpe
& la peine, comme on le tie[n]t de Marie Magdelene, laquelle ayma Iesus
Christ d'vn amour parfait : suyuant ce que dit sainct Pierre, que
charité couure la multitude des pechez quant à la coulpe, &
quelquesfois qua[n]t à la peine »945. Grâce
à Marie-Madeleine, ancienne prostituée repentie, les
chrétiens peuvent croire que « la vraye contritio[n] efface toute
la coulpe du peché »946. La peine quant à elle
est réduite en fonction du degré de contrition atteint par le
pécheur, dont Marie-Madeleine est le modèle. Par son immense
contrition, ses péchés ont été remis par
Jésus, sans même qu'elle ait à les exprimer à haute
voix. En effet, « la Magdelaine obteint pardon par vne parfaite
dilection947 »948. Ceux qui sont dans
l'incapacité de se confesser peuvent donc s'appuyer sur son
modèle et y puiser un soutien. Marie-Madeleine, la pécheresse
repentie qui suivit
942Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.563.
943Ibid., p.628.
944Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Luc, 7, 36-49.
945Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.659.
946Ibid., p.636.
947Grand amour porté à quelqu'un.
948Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.639.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Jésus et fut la première à
connaître sa Résurrection, est un modèle à suivre
pour les prostituées qui exercent. Elle montre comment une
prostituée peut décider de se convertir par elle-même et
faire repentance de telle sorte qu'elle serait redevenue vierge au moment de la
Résurrection selon saint Ambroise de Milan et saint Jean Chrysostome,
deux éminents penseurs catholiques.
Le modèle de Marie-Madeleine introduit une touche
d'espoir dans le tableau assez noir que dresse Benedicti de la prostitution.
Les femmes qui s'y adonnent seraient pécheresses au plus haut
degré mais aussi voleuses lorsqu'elles prennent de l'argent à des
hommes qui n'en possèdent normalement pas en propre. Néanmoins,
le modèle de la pécheresse repentie est très
présent dans les esprits du XVIe siècle et
contrebalance peut-être l'exclusion de plus en plus visible des
prostituées en marge d'une société répressive.
La femme hors de l'Église : sorcière et
huguenote.
Benedicti présente plusieurs modèles de femmes
de mauvaise vie, autres que les prostituées. Il fait tout d'abord
quelques allusions aux femmes qui adoptent un comportement
considéré comme étant déplacé pour leur
sexe. Il s'attache aussi à mettre en garde les bons chrétiens
contre les sorcières, pourchassées en cette fin de
XVIe siècle. Enfin, il se penche sur le problème des
huguenotes ou des femmes de huguenots et leurs attitudes
hérétiques.
Le franciscain dénonce « ces
riotteuses949 de femmes, qui font blasphemer leurs maris
»950. Cette dénonciation concerne les femmes qui
provoquent la colère de leur mari sciemment. Si cela peut être une
simple allusion au contexte de la vie privée du couple, nous pouvons
souligner que les femmes apparaissent dans les sources policières comme
celles qui poussent les hommes à la révolte, qui appellent
à la manifestation par leurs cris. Le fait qu'elles préparent les
repas implique qu'elles se sentent les premières concernées en
cas de crise frumentaire951. Elles sont donc en première
ligne des revendications populaires et entraînent à leur suite
leurs maris et leurs enfants. Benedicti dénonce aussi l'ivresse des
femmes qui, tout comme les cris, ne sied pas à leur supposée
pudeur. Ainsi il affirme que le péché d'ivresse « est
encores plus indecent aux femmes
949Riotteuse a le sens de querelleuse ou de «
femme qui crie beaucoup ».
950Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.514.
951Les crises frumentaires, provoquées par
des récoltes insuffisantes en blé, touchent
régulièrement la France au XVI e siècle et
menacent toute l'économie du pays, menant parfois à des
révoltes populaires.
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maîtrise | juin 2013 - 183 -
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mémoire | juin 2013 - 184 -
qu'aux hommes : car celle qui est prise de vin est exposee
à beaucoup de dangers. C'est pourquoy les ancie[n]s Romains auoient
totalement prohibé l'vsage du vin à leurs femmes, au recit de
Valere Maxime : lequel adiouste que la femme yurette ferme la porte à
toute vertu, & l'ouure à tous vices. De la est que la loy des douze
Tables pour espouuanter les femmes qui seroient subiectes à ce vice,
ordo[n]na que celle qui seroit trouuee prise de vin fust punie comme vne
adultere. Et de fait vn citoyen Romain tua la sienne pour ce qu'elle s'estoit
enyuree »952. Les Romains auraient en effet interdit aux femmes
de boire du vin, et cela pour plusieurs raisons. Le vin était
considéré comme un abortif et comme dangereux pour la
qualité du lait, comme nous l'avons déjà dit. Aussi, la
femme, chargée de perpétuer l'espèce, ne doit pas en
boire. De plus, les femmes, à qui l'on a toujours attribué des
pouvoirs magiques, n'auraient pas besoin de boire du vin, ce que faisaient les
hommes lors des rituels sacrificiels aux dieux. Les femmes sont donc
éloignées des banquets et de la boisson. L'ivresse
féminine est très mal vue chez les Romains même si elle a
sûrement existé dans l'intimité du domicile. Benedicti la
condamne car elle conduit selon lui à la luxure. Afin d'accentuer le
lien causal entre ivresse et débauche, la première était
punie selon les mêmes règles que la seconde d'après le
franciscain. Ainsi, un homme trouvant sa femme en état d'ivresse aurait
le droit de tuer cette dernière comme si elle avait été
trouvée en situation d'adultère. Les premières lois
écrites romaines, les Douze Tables, encourageraient cette peine, ce que
nous n'avons pas pu vérifier.
Autre comportement qui semble indécent à
Benedicti pour une femme, la violence. Celle-ci affleure dans la mention d'une
« femme chaste & pudique qui frappe vn prestre ou religieux qui luy
veut oster son ho[n]neur »953. Celle-ci n'est pas
excommuniée. Néanmoins, cette mention montre qu'une violence
féminine existe bel et bien au XVIe siècle,
malgré le confinement auquel les hommes veulent la contraindre et
malgré sa supposée « pudeur ». D'après Nicole
Castan, les altercations « naissent toujours peu ou prou d'un honneur
outragé »954. Elle souligne de plus que «
malgré les efforts des Églises prônant la
miséricorde et la paix, la violence fait partie de la culture populaire
»955. Cette forme de violence serait le fait d'une
réappropriation de l'espace malgré le désir des hommes de
voir leurs épouses rester entre les murs de la maison. Benedicti
condamne plus particulièrement la violence à l'encontre des
ecclésiastiques mais sous-entend que les femmes peuvent se
défendre s'il est question de leur honneur.
952Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.370.
953Ibid., p.605.
954Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.545.
955Ibid., p.545-546.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
En effet, le franciscain répète
fréquemment dans son ouvrage que l'honneur d'une personne vaut plus que
tout aveu d'une faute, même grave.
Les modèles présentés sont ceux de
femmes dominatrices, qui renversent le schéma socialement accepté
à l'époque. Ainsi, la femme de Putiphar, maîtresse, au sens
d'employeuse, du « bon patriarche Ioseph [...] laquelle luy promettoit de
faire mourir son mary pour l'espouser, & se rendre de sa religion, s'il
voulloit coucher auec elle »956. Le fait qu'une femme propose
à haute voix, et plusieurs fois, à un homme de coucher avec elle
entre en contradiction avec la croyance selon laquelle la naturelle pudeur
féminine l'empêche de faire le premier pas en ce domaine.
L'impératrice Eudoxie est dénoncée du fait de sa
domination sur son mari, Arcadius. Cette impératrice du IVe
siècle « incita son mary Arcadius à
forba[n]nir957 ceste langue doree, S. Iea[n] Chrysostome : à
cause dequoy elle fut par Innocence [sic] Pape premier de ce nom
exco[m]muniee : ce qui luy abbregea finalement sa vie. Et qui plus est Dieu
monstra en euidence combien ce glaiue est à craindre : car elle estant
trepassee en ceste ce[n]sure & inhumee, son tombeau (ô terrible
foudre de l'excommunie !) ne cessa de trembler iusques à tant que son
fils le ieune Theodose impetra958 son absolutio[n] du sainct siege
Apostolique »959. Si la vie de l'impératrice Eudoxie est
assez mal connue, l'histoire a retenu d'elle l'image d'une femme dominatrice
qui décida des actes politiques à mener à la place de son
mari et élimina les personnes qui la gênaient dans ses ambitions.
Elle aurait obtenu l'exil du patriarche de Constantinople et père de
l'Église Jean Chrysostome qui avait dénoncé son amour du
luxe et sa soif de pouvoir960. Hérodias est aussi
présentée comme une femme diabolique, apprenant à sa fille
comment danser afin de charmer son mari et d'obtenir la tête de saint
Jean961. Enfin, « Brune-haut »962,
modèle de la femme orgueilleuse, est blâmée par le
franciscain. Cette dernière, princesse wisigothique, est accusée
d'avoir « commandité plusieurs meurtres au terme d'une faide qui
dura une trentaine d'années et l'opposa à Chilpéric Ier,
roi de Neustrie - lequel avait ordonné le meurtre de sa soeur Galswinthe
et s'était remarié avec Frédégonde -, puis à
Frédégonde qui avait commandité le meurtre de son mari,
Sigebert Ier en 575. Après la mort de son fils Childebert, en
595, Brunehaut se trouve régente de toute la Gaule de l'Est et du
Sud-Est, au nom de ses deux petits-fils »963. Son
caractère autoritaire et le
956Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.466.
957Bannir, expulser, reléguer.
958Impétrer signifie « essayer d'obtenir
» ou « obtenir ».
959Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.599.
960Benedicti fait allusion à cette «
correction fraternelle » à la page 503 de son ouvrage.
961Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97.
962Ibid., p.261.
963Myriam TSIKOUNAS (dir.), Éternelles
coupables : les femmes criminelles de l'Antiquité à nos
jours, Paris, Éditions
Autrement, 2008, p.138.
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maîtrise | juin 2013 - 185 -
meurtre de plusieurs membres de sa famille l'isolent de
l'aristocratie. En 613, le roi de Neustrie « fait tuer les
héritiers et Brunehaut lui est livrée pour subir une mort
ignominieuse à Renève, près de Dijon. On raconte que la
vieille reine a été promenée sur un chameau avant
d'être attachée par les cheveux, un bras et une jambe à un
cheval fougueux qui a mis son corps en lambeaux »964. Ce
châtiment est infiniment rare, et d'autant plus pour une femme, à
cette époque. « Au fil des récits, son portrait s'est
enrichi d'attitudes diaboliques qui la présentent comme une femme d'une
sensualité démesurée. Son corps mi-nu et sa poitrine
abondante évoquent effectivement la luxure. Ainsi se construit une sorte
de damnatio memoriae dont le but est de justifier la cruauté du
châtiment final »965. Benedicti répète que
Dieu punit les orgueilleux. Nous pouvons souligner que, dans le châtiment
subi, la nature royale de Brunehaut était mise à l'épreuve
: si elle avait réellement été choisie par Dieu, celui-ci
lui aurait donné le pouvoir de contrôler la nature et les animaux.
Le fait qu'elle ait été emportée par le cheval sans
pouvoir l'en empêcher devait montrer à l'assistance que Dieu ne
lui était pas favorable.
Au-delà de ces « sorcières domestiques
», le XVIe siècle voit une réelle chasse aux
démons et trouve dans l'imaginaire lié aux femmes de
véritables inquiétudes.
Les sorcières connues dont parle Benedicti sont
Circé, Médée et Mégère. Édith
Hamilton souligne que, dans la mythologie grecque, « [a]ucun homme et deux
femmes seulement sont pourvues de pouvoirs effrayants et surnaturels. Les
ensorceleurs démoniaques et les vieilles sorcières hideuses, qui
hantaient l'Europe et l'Amérique jusqu'à une époque bien
récente, ne jouent aucun rôle dans ces récits. Les deux
seules sorcières, Circé et Médée, sont jeunes et
d'une beauté ravissante - des enchanteresses et non des créatures
horribles »966. Circé est connue comme la
sorcière qui transforma les « compagnons d'Vlisses en porceaux
»967 grâce à un breuvage magique.
Médée est citée lorsque Benedicti dénonce le crime
d'infanticide968. « Fille du roi de Colchide, dotée de
pouvoirs magiques, elle aide Jason et ses compagnons, les Argonautes à
conquérir la toison d'or. Elle suit ensuite Jason à Iolcos puis
à Corinthe, où celui-ci décide de la répudier et
d'épouser Créuse, la fille du roi. Pour se venger,
Médée offre à sa rivale un péplos969
empoisonné qui provoque sa mort et celle de son père, puis elle
tue les deux
964Ibid., p.138.
965Ibid.., p.138.
966Édith HAMILTON, La mythologie : ses
dieux, ses héros, ses légendes, Alleur, Marabout, 1997
(rééd.), p.12.
967Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.41.
968Ibid., p.109.
969Un péplos est un vêtement
féminin formé d'une grande pièce d'étoffe
rectangulaire maintenue sur les épaules par deux agrafes,
avec un rabat retombant à l'extérieur.
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mémoire | juin 2013 - 186 -
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maîtrise | juin 2013 - 187 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
fils qu'elle a eus de Jason pour priver celui-ci de toute
descendance »970. Enfin, Mégère, une des trois
Furies poursuivant les criminels, se trouve associée à
Médée dans la dénonciation de l'infanticide bien que rien
ne semble expliquer ce choix. Les Furies, aussi appelées Érinyes,
n'ont pas de pouvoir magique mais leur apparence physique les désigne
comme des femmes extrêmement dangereuses : leurs cheveux sont des
serpents, des larmes de sang coulent de leurs yeux, elles ont de grandes ailes
et poursuivent les coupables armées de fouets et de torches.
Benedicti dédie un long paragraphe à la
sorcellerie dans lequel il accuse « plusieurs Turcs, Iuifs, infideles,
heretiques charnels & mondains, & sur tout les sorciers & sorcieres
fruits du Caluinisme »971 de s'adonner aux sciences occultes.
Le franciscain ne pointe pas particulièrement du doigt les femmes dans
son propos sur les sorciers mais les actes qu'il décrit sont tous plus
susceptibles d'être exécutés par une femme dans les
mentalités de l'époque. La longue liste des « horribles
& abominables crimes » commis par les sorciers pour Satan commence
ainsi : « Le premier desquels, c'est qu'ils l'adorent comme leur Dieu. Le
2. Ils desauoue[n]t leur Baptesme & lareligion [sic]
Chrestie[n]ne, laquelle co[n]tient les hommes en la crainte de Dieu. Le 3. Ils
blasphement & contemnent le createur. Le 4. Ils sacrifient au diable
»972. Tous ces crimes sont ceux d'une abjuration de foi. Or,
selon Jacob Sprenger, auteur d'un célèbre traité de
démonologie, « femina vient de fe et minus, car
toujours elle a et garde moins de foi »973. De plus, depuis
« l'Antiquité, la femme est traditionnellement
réputée froide et humide, c'est-à-dire infirme et
débile, tandis que l'homme, sec et chaud, incarne la force et la
constance »974. La femme, qui n'a pas les capacités
physiques suffisantes pour réfléchir, a nécessairement
plus de mal à garder foi en Dieu quand un discours séducteur
s'offre à elle. La preuve en est avec Ève, qui fut séduite
par Satan sous la forme du serpent. De plus, « c'est à partir de la
côte d'Adam qu'Ève fut créée. La côte
étant un os courbe, l'esprit de la femme ne pouvait être que torve
et pervers »975. Tout concourt à se tourner vers la
femme quand on cherche un bouc émissaire. Pierre Darmon souligne que la
« chasse aux sorcières, qui s'exacerbe entre 1580 et 1630,
correspond encore à la grande vague de froid qui s'abat sur l'Europe,
aux disettes et à la période de violence engendrée par les
guerres de religion, la Réforme et la Contre-Réforme en des temps
de souffrance, le diable est aux aguets et le peuple désemparé
demande des boucs
970Myriam TSIKOUNAS (dir.), op. cit. [note
n°963], p.55.
971Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.
972Ibid., p.46.
973Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.42.
974Ibid., p.40.
975Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.524.
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mémoire | juin 2013 - 188 -
émissaires. La sorcière fait dès lors
figure de coupable idéale, et bien des accusations de sorcellerie
recouvrent de simples règlements de comptes »976.
D'autres « horribles & abominables crimes »
font pencher les croyances populaires vers l'idée d'une sorcellerie
d'origine féminine : « Le 5. Ils luy voüent & dedient
leurs propres enfans, les esleuant en l'air apres qu'ils sont nez. Le 6. Ils
luy consacrent ceux qui ne sont encores nez. [...] Le 9. Ils tasche[n]t de tuer
les petits enfa[n]s des Chrestiens, & de les faire auorter au ventre des
meres, deuant le S.Baptesme, au souhait de Satan qui les veut priuer du ciel :
co[m]me il les priue du Baptesme. Pour auta[n]t il se faut bien garder que ces
vieilles sorcieres sous couleur de sages femmes, n'approchent de la femme
accouchee. [...] Le 10. Ils s'efforcent aussi de cuire les petits enfans qu'ils
desrobe[n]t deua[n]t le baptesme, afin de les manger »977. Le
responsable des enfants en très bas âge à l'époque
est la femme. Au milieu de ces généralités asexuées
en apparence apparaît l'expression « vieilles sorcieres » qui
montre que Benedicti a une image en tête lorsqu'il écrit ce
paragraphe. Le stéréotype de la sorcière à
l'époque est le suivant : « vieille femme, vivant parfois un peu
isolée du reste de sa communauté mais le plus souvent
résidant dans celle-ci, où elle est née ; pauvre sans
être dans la plus noire misère ; redoutée pour ses
pouvoirs, sa mauvaise langue ou ses menaces envers de plus prospères
qu'elle, lorsqu'un service lui est refusé ; un peu déviante, au
sens sociologique du terme, ne serait-ce que parce qu'elle est veuve, qu'elle
s'est mariée plusieurs fois, qu'elle a vu mourir une partie de sa
famille, bref qu'elle n'est pas protégée par les puissants liens
de solidarité qui permettent une vie "normale" dans une telle
société rurale et patriarcale où la sociabilité et
l'entraide jouent un rôle fondamental »978. Pierre Darmon
souligne néanmoins que « [c]e sont aussi les plus jolies femmes qui
sont jetées dans les flammes. Enviées, désirées,
génératrices de frustrations, on les accuse d'induire au
péché pour plaire au diable. Entre les deux extrêmes, il
n'y a pas de nuance. Pour se protéger du bûcher, mieux vaut
être une épouse doublée d'une mère quelconque
»979. Le fait que les sorcier sont censés promettre
« d'induire le plus de gens qu'ils pourront à leur secte damnable
»980 penche aussi en faveur de l'image d'une sorcière.
En effet, la femme, bavarde mais dissimulatrice, propagatrice de rumeur, est la
mieux à même dans l'imaginaire des gens du XVIe
siècle de séduire de nouvelles recrues pour le Prince des
Ténèbres.
976Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.46.
977Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.
978Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice
et société aux 16e et 17e
siècles, Paris, Imago, 1987, p.12-13.
979Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.47.
980Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Les actions des sorciers sont décrites ainsi : «
Le 11. Ils taschent de tuer les Chrestiens par la poyson que le diable leur
baille. Le 12. Ils font mourir le bestiail [sic] par leurs charmes. Le
13. Ils suscitent la gresle, orages, & tempestes par le moyen des diables,
Dieu par vn iuste iugement le permetta[n]t. Le 14. Ils enchante[n]t & font
mourir les bleds & fruits de la terre, pour induire la femine
[sic] au pays, & font croistre des chenilles, hannetons &
chate-pelues981, pour ronger les fruits & les arbres
»982. Les philtres d'amour sont aussi craints : « Celuy
qui s'ayde de charmes, herbes, malefices, à ceste intention [commettre
fornication], & cherche deuines, sorcieres, ou malefiques, pour ses
maquerelles, offense doublement »983 dit Benedicti. Plus
tôt dans le texte, il affirmait que les « femmes, qui bailleront en
breuuage aux hommes, ce que ie n'oseroye no[m]mer : c'est pour plus ardemme[n]t
se faire aimer d'eux, chose assureme[n]t horrible et perilleuse, peut etre pour
faire mourir la perso[n]ne ou la faire enrager »984. Robert
Muchembled explique que « [p]our les démonologues du
XVIe et du XVIIe siècle, comme pour la plupart de
leurs contemporains, les causes de la sorcellerie sont claires : le diable agit
en ce monde contre le plan divin d'organisation de l'univers. Il initie des
humains à ses mystères, les convoque au sabbat pour se faire
rendre un culte secret, nocturne et sulfureux, puis il leur ordonne de faire le
plus de mal possible autour d'eux, grâce à des poudres et à
des onguents maléfiques qu'il leur délivre à l'issue d'une
véritable messe satanique »985. Grâce à ces
poudres et à ces onguents, les sorcières se vengeraient de leur
position d'infériorité dans la société. Elles
deviennent les boucs-émissaires de tout malheur frappant la
communauté. Pierre Darmon montre comment les populations du
XVIe siècle ont vu les femmes : « Les faibles femmes
sont les proies rêvées du diable. Cette faiblesse fait le berceau
de leur crédulité, de leur infidélité, de leur
violence et de leur malice ou méchanceté. Leur oisiveté
les condamne à cette insatiable lascivité qui les place sous la
dépendance de Satan »986. De plus, un changement
intervient au XVIe siècle dans le regard porté sur la
sorcière : « si la tradition populaire croit qu'elle réalise
toute sorte de maléfices - le dépècement des enfants ; le
recours au sang menstruel dans la préparation des sorts et des "formules
magiques" ; l'empoisonnement des eaux et de la terre -, les inquisiteurs la
définissent surtout par son pacte secret avec Satan. Dorénavant
ce pacte sera scellé par des rapports
981Une chatepelose est une sorte de chenille ou de
charançon.
982Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.
983Ibid., p.157.
984Ibid., p.50-51.
985Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice
et société..., op. cit. [note n°978], p.13.
986Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices...,
op. cit. [note n°452], p.47.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 190 -
charnels, pervers, de soumission, et par une jouissance
insatiable des plaisirs de la chair »987.
Benedicti affirme que, parfois, les sorciers « se
trouue[n]t bie[n] loin de leur pays, au sabbath, là où ils
adorent à la renuerse le gra[n]d diable Satanas, en forme de taureau, ou
de bouc, luy faisant l'honneur qui appartient à Dieu
»988. Les sorcières commencent à être
représentées sur un balai au début du XVIe
siècle. Cela peut s'expliquer par le fait que le balai soit un attribut
féminin dont le détournement pourrait montrer la
dangerosité de la femme, maîtresse de son intérieur.
Grâce à sa capacité à voler, elle peut rejoindre le
lieu du sabbat à n'importe quel moment de la journée mais c'est
bien sûr la nuit qui est privilégiée dans les récits
des démonologues. La nuit est diabolisée par les
théologiens qui tentent de rechristianiser ou tout simplement de
christianiser les masses populaires à la sortie de la querelle entre
protestants et catholiques. Ces mêmes théologiens construisent le
mythe du sabbat, qu'ils imaginent comme « une liturgie chrétienne
à l'envers, qui copie trait pour trait la messe, en affectant chaque
élément d'un coefficient négatif, d'une coloration noire
et morbide »989. Robert Muchembled explique comment, vers
1550-1570, le décalage entre le monde campagnard des croyances et «
le monde des élites chrétiennes apparaît plus nettement
qu'auparavant. Le dynamisme missionnaire d'Églises restructurées,
réorganisées, conquérantes, amène un heurt brutal,
un contact permanent de deux cultures. La culture populaire n'offre à ce
choc qu'une énorme force de résistance passive, qui
exaspère plus encore les missionnaires protestants et catholiques,
conscients de l'importance de leur tâche, puisque le règne de Dieu
est proche »990. Afin de conquérir ces esprits
superstitieux, les théologiens auraient « utilis[é] la peur
du diable pour structurer des mentalités plutôt
polythéistes et pour faire émerger la figure unique d'un Dieu
terrible »991. Plusieurs raisons peuvent expliquer le fait que
80% des victimes des bûchers aient été des femmes. Elles
possèdent premièrement un grand savoir médical : «
guérisseuse, concurrente du prêtre dans la religion domestique,
elle diffuse aussi la culture populaire aux enfants à une époque
où les écoles rurales sont rares »992. De plus,
la sorcière serait « une femme vaincue, au temps de l'adaptation
à la modernité de la société paysanne
traditionnelle, dont elle porte comme guérisseuse, comme mère,
comme fille et comme épouse la continuité. Une continuité
que veulent interrompre les
987Esther COHEN, Le corps du diable : philosophes
et sorcières à la Renaissance, Paris, Éditions
Léo Scheer, 2004, p.48.
988Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.
989Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice
et société..., op. cit. [note n°978],
p.228.
990Ibid., p.48.
991Ibid., p.21.
992Ibid, p.21.
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maîtrise | juin 2013 - 191 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
détenteurs du savoir et du pouvoir, pour
agréger à la modernité en marche, à une Europe en
expansion, un monde rural trop immobile à leur gré
»993. Afin d'évincer en quelque sorte les femmes, les
théologiens construisent donc le mythe du sabbat qui est « une
catégorie de pensée étrangère aux acteurs paysans
de ces drames. Les témoins qui se présentent contre les
prétendues sorcières n'en parlent jamais. Quant aux
accusés, ils n'en font état qu'en avouant sous la torture et
généralement en étant guidés par les questions
très précises de leurs juges, lesquels leur fournissent les
précisions démonologiques nécessaires pour pouvoir
rédiger une sentence de facture classique. Celle-ci contient, on le
sait, le rappel de l'initiation diabolique, concrétisée par une
marque insensible aux piqûres et par la copulation avec le démon
[...] »994.
Benedicti dénonce ces crimes : « Le 15
commette[n]t prodigieuses paillardises comme d'inceste, le fils auec la mere,
soeur, parents, &c. Le. 16 Les ho[m]mes sorcières se couplent auec
le diable en forme feminine, appellé des Hebrieux Lilith, &
les sorcieres auec vn autre en forme d'ho[m]me. Et peut estre que de là
vienne[n]t les incubes & succubes, question fort agitee entre les anciens
& modernes. Tout cecy ne semblera pas estrange, à ceux qui croyent
que Dieu permet beaucoup de choses aux diables & sorciers, pour le
peché des ho[m]mes »995. Ainsi, plusieurs formes peuvent
être prises par le diable : animale avec le bouc ou le taureau
cités plus haut, féminine sous la forme d'une succube et
masculine avec les incubes. La sensualité débordante des femmes
est utilisée par le diable pour s'unir à elles. Elles peuvent
s'accoupler avec un incube, c'est-à-dire un démon mâle, ou
avec le diable sous une forme animale. Malgré les descriptions de ces
sabbats comme des fêtes orgiaques par les démonologues, les
témoignages des sorcières « laissent nettement entendre que
ces unions ne sont guère voluptueuses. Le diable se montrerait un amant
médiocre, pressé ou mal pourvu, puisque son membre [...] n'est
guère plus long, ni plus gros qu'un doigt, moindre, en l'occurrence, que
celui des maris. À moins qu'il ne soit, au contraire, énorme,
couvert d'écailles, barbelé, dont la pénétration
est ressentie douloureusement »996. La présence des
succubes « démons femelles se donnant à des hommes, est
compliquée. Leur implication peut n'avoir qu'une finalité
fonctionnelle. En effet, le diable - dépourvu de sperme - est
obligé, s'il veut procréer, d'en emprunter en recueillant celui
d'un homme par cette ruse qui consiste à se comporter en femme avec un
"donneur" volontaire »997. Lilith est quant à elle un
mythe juif qui en fait la première femme d'Adam. Aux deux
993Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice
et société..., op. cit. [note n°978], p.24.
994Ibid., p.228.
995Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.
996Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église...,
op. cit. [note n°3], p.86.
997Ibid., p.87.
récits de la création des hommes
correspondraient deux femmes. Lilith serait la première femme,
créée en même temps qu'Ève. Elle « abandonne
son époux parce qu'il se refuse à inverser la "position
naturelle" de l'acte sexuel. Lilith insiste pour monter son mari, dans
une subversion de l'ordre hiérarchique »998. Elle se
transforme en démon et certains récits la montrent prenant la
forme d'un serpent pour séduire Ève. Le diable imposerait aussi
une marque à ses fidèles, celle-ci étant activement
recherchée lors de l'interrogatoire des suspectes. Enfin, il faut
souligner que Benedicti affirme dans le passage cité
précédemment que c'est Dieu lui-même qui accepte la
présence des sorcières puisqu'il « permet beaucoup de choses
». Il est en effet impossible que quelque chose arrive sans le
consentement de Dieu et l'existence des sorcières n'est donc
peut-être qu'une des manières de tenter les hommes.
Les persécutions subies par les sorcières
présumées au XVIe siècle s'accentuent dans un
contexte de grande tension religieuse et d'importants changements
sociétaux. Tout commence par « une rumeur concernant
généralement une vieille paysanne. Une information voit
défiler des témoins qui précisent les accusations. Alors
s'ouvre le procès proprement dit : interrogatoire du suspect,
récolement et confrontation des témoins, torture et aveux,
sentence et exécution publique du suppôt de Satan. Puis, sur la
base des déclarations de ce dernier, d'autres suspects sont mis en
accusation et les bûchers s'allument à nouveau
»999. En dehors des femmes âgées
détentrices des savoirs ancestraux, une autre catégorie est
susceptible d'être l'objet de graves accusations : les huguenotes.
Accusées par Benedicti de faire légion parmi
les sorcières1000, les huguenotes ont une place
particulière au sein de la société du XVIe
siècle. Le franciscain distingue clairement deux catégories de
femmes : celles qui sont catholiques mais mariées à un huguenot
et celles qui ont adhéré à la religion de leur conjoint.
Les deuxièmes seulement sont dénoncées par Benedicti. Il
s'exclame contre les « belles Huguenottes » qui portent « en
Geneue les medailles, pourtraits & images de Caluin, voire bien cherement
entre leurs ma[m]melles. Il est bie[n] vray que c'est pour leur rafraichir la
douce memoire de leur bie[n] aimé Patriarche, preferé par elles
à la Royne des cieux, aussi bien que fut Barrabas à Iesus Christ
»1001. Benedicti essaie de montrer ici l'hypocrisie des
protestantes. Il affirme que malgré le rejet des images de culte par la
doctrine calviniste,
998Esther COHEN, op. cit. [note n°987],
p.66.
999Robert MUCHEMBLED, La sorcière au
village (XVe-XVIIIe siècle), Paris,
Éditions Julliard / Gallimard, 1979 (coll. Archives),
p.86.
1000Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.
1001Ibid., p.50.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
les huguenotes portent sur elles des images de Calvin
qu'elles semblent honorer comme un dieu plutôt que comme un simple
théologien. Le fait qu'elles portent ces images dans le creux de leur
poitrine introduit une dimension sexuelle dans cette pratique. Les calvinistes
accordent une importance bien moindre à la figure de Marie que les
catholiques. Benedicti accuse d'iniquité les huguenotes qui
préfèrent Calvin, simple mortel, à Marie, mère de
Dieu qui est montée au ciel. Il compare cette situation à un
épisode biblique durant lequel Ponce Pilate, pouvant libérer un
prisonnier selon son libre désir, demande à la foule de faire un
choix : la libération de Jésus ou bien la libération de
Barabbas, possible criminel accusé d'avoir participé à une
révolte dans la ville. La foule choisit alors de libérer le
criminel. Les huguenotes sont aussi accusées d'avoir «
imposé aux prestres & confesseurs mille farfanteries1002
[sic] & impostures, qui sont aussi bien veritables que celles de
la femme de Putiphar contre Ioseph »1003. Joseph fut
injustement emprisonné suite à l'accusation lancée contre
lui par la femme de Putiphar. Les huguenotes tenteraient de même de
séduire les prêtres afin peut-être de mieux les attirer
à leur religion. En effet, les pasteurs protestants peuvent se marier.
Tous les huguenots peuvent aussi divorcer sous certaines conditions. Benedicti
dénonce ces mesures et accuse indirectement les huguenotes de pratiquer
la polygamie. « Et par ce moyen voilà comme vne femme en moins de
trois ans pourra auoir pleusieurs [sic] marys tous viua[n]s : chose
maudite à tous les siecles passez »1004
s'exclame-t-il.
Pour ce qui est des femmes catholiques qui doivent vivre aux
côtés d'un huguenot, Benedicti fait preuve d'une grande
clémence. Il affirme que ne sont pas obligés d'aller se confesser
« [c]eux qui sont en danger de perdre la vie, les biens, l'honneur, ou
encourir quelqu'autre grand danger comme ceux qui habite[n]t entre les
infideles & heretiques. En quoy aucunesfois les femmes de ceux qui sont
Huguenots pourroient estre excusees, si elles ne se confessent tousiours
à Pasques, quand leurs maris les batte[n]t, frappent & persecutent
pour ce regard : car le commandeme[n]t de l'eglise n'oblige pas la personne au
danger de sa vie, de son desho[n]neur, comme i'ay escrit par cy deua[n]t. Il
est bien vray qu'elles doiuent tousiours auoir ceste bonne intention de
satisfaire au commandement de l'Eglise à la premiere commodité,
& ce pendant demander dispense aux superieurs s'il [sic] elles
peuue[n]t aussi faire separation d'auec leurs maris, quand ils les empeschent
de faire leur salut »1005. La femme qui vit avec un huguenot
est donc une des seules à pouvoir demander le divorce auprès
des
1002Forfanterie : caractère d'une personne qui
se montre impudemment vantarde.
1003Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.224.
1004Ibid., p.126.
1005Ibid., p.218.
autorités catholiques. Elle n'est pas tenue de
respecter les grandes obligations religieuses telles aller à la messe ou
se confesser à Pâques. Néanmoins, « la femme
Catholique, qui vit & couche auec son mary Huguenot » peut «
demeurer, seruir & obeyr » s'il ne l'empêche pas « de
suyure leur religion, autreme[n]t en tel cas il le faudroit quitter : car il
faut plustost obeyr à Dieu qu'aux hommes »1006.
Benedicti adopte une position plutôt souple car beaucoup de catholiques
n'acceptent pas la fréquentation des « hérétiques
».
En conclusion, nous pouvons dire que les femmes en dehors de
l'Église apparaissent comme plus dangereuses que les hommes dans la
même situation car leur pouvoir de séduction pourrait leur
permettre d'attirer d'autres personnes à elles. C'est pourquoi les
sorcières doivent être brûlées. Les femmes qui ont un
mauvais comportement ou cherchent à renverser la hiérarchie
acceptée sont montrées du doigt tandis que les femmes de
huguenots devraient chercher à rentrer dans le rang si elles ne veulent
pas être dénoncées comme huguenotes.
LA RELIGIEUSE, UNE FEMME DANS L'ÉGLISE.
Après avoir abordé la question des femmes qui
semblent « hors de l'Église », nous allons nous pencher sur le
discours que porte Benedicti sur les religieuses, femmes à qui est
donné un rôle, fut-il minime, au sein de l'Église. Le
franciscain leur montre la voie qu'elles doivent suivre en s'appuyant sur les
décisions du concile de Trente à leur sujet. Il affirme notamment
son désir de ne voir que des vocations volontaires et non
forcées. Benedicti tient de plus à bien circonscrire la place des
femmes au sein de l'Église et se montre particulièrement inquiet
du respect de leur voeu de chasteté.
Durant de nombreuses années, le placement des filles
dans des couvents fut le fruit non pas d'une piété
particulière chez ces jeunes personnes mais de calculs à la fois
politiques, matrimoniaux et financiers. De nombreuses femmes restent
célibataires en France au XVIe siècle. Que faire
d'elles ? En France, « les couvents continuaient d'exercer la fonction
d'établissements de tranquillité sociale, spécialement au
service de l'élite urbaine. L'union avec le Christ nécessitait
une dot sensiblement moins élevée qu'un mariage profane et le
père de la "mariée" avait son mot à dire dans la gestion
de la maison où sa fille faisait son entrée
»1007. Guy Bechtel souligne que les abus dont sont
1006Ibid., p.602.
1007 Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.191.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
accusés les couvents ou les
monastères1008 sont dus à ces vocations forcées
que les filles subissent plus qu'elles épousent. Ces abus sont divers :
non observance de la règle, de la morale et de la clôture,
différences de mode de vie selon la fortune personnelle de la
religieuse, enfants à la tête de grands monastères etc. Les
religieuses fortunées « conservaient d'étroites relations
avec leurs parents, elles disposaient de cellules confortablement
aménagées qu'elles léguaient par la suite à un
membre de leur famille. Elles y vivaient selon leur rang, souvent en compagnie
d'une jeune soeur ou d'une nièce prise comme élève, et les
veuves pouvaient même avoir une fille auprès d'elles. Elles
prenaient leurs repas à part, possédaient leur propre poulailler,
leur potager, et écrasaient leurs congénères pauvres de
leur luxe »1009. Le concile de Trente tente de mettre un terme
à ces abus. Guy Bechtel remarque que les religieux de l'époque
avaient « parfaitement compris que leur tiédeur et leur
laisser-aller provenaient d'abord et avant tout de leur peu de vocation
»1010. Benedicti énonce quant à lui : « Et
à ce propos voyez l'ordonnance de l'Eglise donnee au sainict
[sic] Concile, lequel excommunie tous ceux & celles de quelque
co[n]dition qu'ils soient clers [sic] ou lays, reguliers ou seculiers,
qui en aucune maniere co[n]traignent vne fille, vesue [sic] ou autre
femme entrer contre son gré en religion, & faire professio[n] en
icelle, hors-mis les filles repe[n]ties 1011, qu'o[n] appelle, &
autres femmes coulpables exprimees au droit. Et à l'opposite excommunie
aussi ceux qui empeschent aucune fille ou femme, de vouer continence ou
d'entrer en religion, laquelle censure s'estend aussi sur ceux qui prestent
ayde, conseil & faueur à les y co[n]treindre ou empescher
»1012. Benedicti se montre au fait de la situation dans
certaines familles quand il dit à propos des parents que ceux qui
contraignent leurs enfants « par force, menaces,
circonuentio[n]s1013, tromperies ou autres voyes illicites d'entrer
en religion, pechent de mesme. C'est vn abus qui se trouue quelquesfois entre
les gentils ho[m]mes, pour faire leurs maisons grandes, & laisser tout au
fils aisné, de mettre leurs fils & filles és monasteres : ce
que i'ay veu estre plus vsité en Italie, Espagne & Portugal, que non
pas en France. De là vie[n]t qu'au lieu de prier Dieu pour leurs peres
& meres, bie[n] souuent ils les maudissent »1014. En effet,
une des missions de ces femmes placées au couvent était de prier
« tous les jours pour le salut de leurs
1008Le couvent accueille, tout comme le monastère, une
communauté de religieuses ou de religieux. Si les deux
établissements
suivent une règle définie, le couvent est plus
ouvert sur le monde.
1009Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.192.
1010Guy BECHTEL, Les quatre femmes de Dieu : la
putain, la sorcière, la sainte & Bécassine, Paris, Plon,
2000, p.199.
1011On appelait « fille repentie » une fille qui,
après avoir vécu dans le tumulte du monde, venait se retirer ou
était placée dans un
établissement pour faire pénitence.
1012Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.74.
1013Une circonvention est une tromperie avec
artifice.
1014Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.96.
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maîtrise | juin 2013 - 195 -
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parents et de leur ville »1015. C'est pourquoi
ces établissements avaient une place de choix au sein de la cité
et que les pouvoirs locaux leur accordaient des exemptions d'impôts et
des privilèges multiples.
Benedicti explique comment les familles aisées, afin
de concentrer leurs chances pour un mariage haut placé, mettaient leurs
enfants au couvent. L'aîné pouvait ainsi bénéficier
d'une dot importante qui augmentait ses chances pour un bon mariage. Les cadets
devaient servir aux desseins de l'aîné, notamment en choisissant
une vie hors du monde. Les hommes assurant la passation du nom et du titre, les
filles étaient d'autant plus susceptibles d'être
reléguées de force dans un établissement religieux.
Benedicti prononce l'excommunication « contre ceux ou celles soient
religieux ou seculiers qui prennent ou baillent, qui font paction ou
marché pour receuoir quelque nouice en religio[n], outre la pension
ordinaire. Si c'est vne fille, on peut bien librement offrir quelque
chose, mais non pas par conuention, & la receuoir aussi, mais non pas par
acception de personne, comme preferant vne nouice insuffisante à vne
plus digne »1016. En effet, « l'usage de réclamer une dot se
multiplia à partir du XVIe siècle
»1017. Puisque les couvents étaient connus de tous comme
des établissements permettant d'éviter aux parents de marier
leurs enfants, les filles, futures « épouses du Christ »,
recevaient en moyenne cinq à six milles livres « soit
l'équivalent de dix ans d'un salaire d'ouvrier agricole
»1018, pour entrer dans les ordres. Il faut souligner que cette
pratique s'appliquait uniquement pour les femmes tout comme le fait de
sélectionner les postulantes, autre pratique non conforme aux
préceptes bibliques, dénoncée par Benedicti dans ce
même passage. Guy Bechtel explique que du fait de l'abondance de filles
offertes à l'Église, celle-ci « refusa les malades, les
infirmes, les enfants sans père »1019. Les filles
entrent ordinairement au couvent à l'âge de douze ans. Le concile
de Trente relève l'âge auquel elles peuvent faire leur profession
de foi à seize ans. Nous rappelons ici que les décrets du concile
de Trente n'ont pas été reçus en France bien qu'ils aient
été appliqués par certains évêques dans leurs
diocèses. Néanmoins, l'ordonnance de Blois de 1579 s'aligne sur
cette décision du concile de Trente, prise « au cours de sa
dernière session dans le décret sur les réguliers et les
moniales qui exigea (canon XV) au moins un an de noviciat au préalable
»1020. Marie-Élisabeth Henneau décrit
l'entrée de la novice dans le couvent : « La
cérémonie de la vêture ou de la prise d'habit consacre
l'entrée au noviciat. Le corps
1015Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.192.
1016Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.606.
1017Guy BECHTEL, Les quatre femmes de
Dieu..., op. cit. [note n°1010], p.200.
1018Ibid., p.200.
1019Ibid., p.200.
1020Lucien BELY (dir.), op. cit. [note
n°46], article « Voeux de religion ».
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
de la jeune fille, d'abord paré d'un habit de noce,
est dépouillé, à l'abri des regards, puis revêtu des
"livrées de la pénitence", qui en dissimulent les formes et en
transcendent les attraits. L'événement suscite
généralement une grande émotion, d'autant qu'aux
épousailles succède une mise au tombeau1021. [...] Le
noviciat est un temps d'épreuve pour la future religieuse, ainsi
engagée dans un long processus de conversion. Tel une "cire molle" entre
les mains de leurs accompagnatrices, le corps des débutantes doit
s'adapter aux nécessités de la vie religieuse. Le port de l'habit
avec lequel elles doivent se familiariser participe à sa mise en forme
à des fins régulières et liturgiques. Le voile des
novices, souvent blanc, manifeste leur consécration au Christ, en
même temps qu'il protège des regards indiscrets et réduit
le champ visuel. L'ampleur de la robe masque désormais, des pieds
à l'encolure, les caractéristiques du corps féminin. Le
plissé du tissu accompagne et amplifie tous les gestes posés en
l'honneur de Dieu. Le tout ne laisse qu'une infime surface de peau
découverte »1022.
Une fois entrée dans le couvent, la jeune novice va
s'initier à la liturgie et à la règle de l'ordre dans
lequel elle passera peut-être le reste de ses jours. Une petite cellule
froide sera sa chambre. Les journées se passent en silence et sont
entrecoupées par les offices : « [a]u lever, on court d'habitude
à celui de laudes, puis de prime, tierce et sexte le matin.
L'après-midi voit les filles réunies pour nones, puis
vêpres vers 15 heures, et pour complies en fin de journée. Le
reste du temps, il est proposé plus de travail, variable selon les
établissements, que de distraction ou d'éducation
»1023. La nourriture est maigre d'autant plus qu'il «
existait de nombreux couvents, surtout en milieu rural, où
régnait la pire des misères »1024. Certains
couvents, qui vivaient d'aumônes, se révoltent contre la
clôture, réimposée avec force par le concile de Trente.
Voici ce que dit Benedicti à ce sujet : « les moniales &
religieuses qui sortent hors de leurs cloistres & monasteres sans
permission, encores que ce soit pour peu de temps sous couleur quelconque, sont
excommuniez comme infractrices de leurs voeu de closture : auquel elles ne
sont pas moins obligées, qu'au veu [sic] de chasteté. Au
parauant l'Euesque ou le Prelat pouuoit donner congé à vne
Religieuse de sortir, quand il y auoit cause raisonnable, mais depuis le mesme
Pape Pie cinquieme a reserué ceste puissance au S. Siege Apostolique,
excommuniant toutes Abbesses & Religieuses qui sorte[n]t de leur cloistre,
sous pretexte de quelque maladie, ou necessité que soit, sinon en ces
trois
1021Cette expression peut faire
référence à la mise au tombeau du Christ (Marc 15, 42-47
et Jean 19, 38-42), moment où ce dernier est placé dans une
grotte creusée à même la roche et fermée par une
pierre. L'entrée au couvent peut ressembler à une fermeture au
monde du même ordre.
1022Marie-Élisabeth HENNEAU, « Corps
sous le voile à l'époque moderne », p.59-100 dans Cathy
McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN (dir.), op. cit. [note n°568],
p.64-65.
1023Guy BECHTEL, Les quatre femmes de
Dieu..., op. cit. [note n°1010], p.204.
1024Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.192.
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maîtrise | juin 2013 - 197 -
poincts. Le premier, est le feu. Le
deuxieme, la peste. Le troisieme, la lepre. Il excommunie aussi
tous ceux qui attentent de leur bailler licence, & ceux qui les
accompagnent, & ceux qui les reçoyuent. Outre ces trois cas, il n'en
voulut iamais dispe[n]ser auec Religieuse quelconque, de quelque sang qu'elle
fust. Et mesme vne fois ayant esté instamment supplié par grands
Seigneurs qu'il permist à vne certaine dame Religieuse de Naples,
d'aller vn peu aux baings pour recouurer santé d'vne grosse maladie, il
n'y voulut iamais ente[n]dre : adioustant qu'il luy estoit bien plus profitable
de mourir ainsi, auec la grace de son espoux Iesus Christ, que de violer le
sainct voeu de closture. Or regardez vous autres Dames, Abbesses, Prieures
& Religieuses de France, la responce d'vn vicaire de vostre espoux Iesus
Christ »1025. Cette dernière phrase montre la tension
sous-jacente qui existe entre les réformateurs et les couvents de
femmes.
À seize ans, les jeunes novices deviennent des
religieuses à part entière après la
cérémonie de la profession de foi. La pression familiale
était toujours importante et peu de jeunes filles osaient s'opposer aux
décisions de leurs parents. Guy Bechtel signale que, «
conformément aux prescriptions du concile de Trente qui accordait cinq
ans aux jeunes filles pour revenir sur leurs voeux, [quelques religieuses]
furent, si l'on ose dire, relâchées. Le cas fut rare. En effet,
celles qui avaient été placées au couvent par leur famille
ne savaient que devenir, une fois rendues à la vie
séculière, sans métier monnayable et sans secours d'un
entourage qui, naturellement, ne voulait pas les reprendre. Un échec au
couvent signifiait un déshonneur familial. Aux velléités
de se retirer, la supérieure liée aux familles opposait une
question terrible : pour quel avenir ? »1026. Les autres
s'engageaient à suivre, à vie, les voeux solennels
formulés lors de leur profession religieuse : pauvreté,
chasteté et obéissance. Benedicti définit quels
étaient les droits et les devoirs des religieuses de son
siècle.
Les « religieuses, qui à leur escient delaissent
leurs matines, heures canoniales & diuin seruice, pechent mortellement
»1027 affirme-t-il. Les matines font partie de ces heures
canoniales, qui sont des temps de prière organisés en dehors du
temps imparti à la messe, le divin service. Les heures canoniales
comptent sept temps forts : les matines au milieu de la nuit, les laudes
à l'aurore, prime à la première heure du jour, tierce
à la troisième heure du jour, sexte à la sixième
heure du jour, none à la neuvième heure du jour, vêpres le
soir et enfin complies avant de se coucher. Les religieuses sont
invitées à se recueillir dans la prière en permanence. Si
elles sont tenues d'assister au divin service,
1025Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.607. 1026Guy
BECHTEL, Les quatre femmes de Dieu..., op. cit. [note
n°1010], p.208.
1027Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.85.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
elles ne peuvent en aucun cas y être impliquées
de manière active. Benedicti dit à ce sujet : « qui celebre
Messe sans seruiteur, ou permet qu'vne femme luy respo[n]de à la Messe
[pèche]. Ie ne sçay d'où est venue ceste coustume en
Flandres, que les religieuses seruent au prestre à la messe, comme ie
l'ay veu moymesme : cela est contre les Rubriques »1028. Les
Rubriques sont les règles qui président à l'office divin.
Elles interdisent à une femme de prendre part de façon active
à cet office. De même, les femmes ne peuvent être
ordonnées prêtres. Voici ce que dit Benedicti à ce sujet :
« Que les Euesques, Roys, Princes & autres Collateurs, qui confere[n]t
les dignitez à gens du tout incapables, & qui pis est à des
femmes, voire mesme à des Heretiques, regardent co[m]bien leur
conscience est blessee, & comme ils pourro[n]t satisfaire & reparer les
maux spirituels & corporels dont ils sont cause »1029. Du
fait de leur infériorité supposée, les femmes catholiques
se sont jusqu'à aujourd'hui vues refuser le droit d'être
ordonnées. Cet argument est même utilisé pour
dénoncer les huguenots français « qui ont attribué
l'ordre de prestrise, & l'authorité de lier & deslier aussi
bie[n] aux gens lays, & mesme aux femmes, qu'à ceux qui sont
co[n]sacrez par l'impositio[n] des mains »1030. Cela est
à relativiser car si les femmes ont pu obtenir une certaine
liberté au début du mouvement protestant, elles ont très
vite été priées de reprendre leurs activités
traditionnelles. Dans la religion catholique, les femmes, même celles qui
ont choisi de vivre au plus près des préceptes divins, ne peuvent
délivrer les sacrements ni prendre une décision importante
d'elles-mêmes. Ainsi, si les religieuses, comme les religieux, « ne
peuuent vouer aucune chose sans le congé tacite ou expres de
leur prelat, autrement ils offensent »1031, Benedicti insiste sur le fait
que les femmes doivent rester d'autant plus discrètes dans les affaires
de religion qu'elles appartiennent au sexe faible. Il affirme : « Quant
aux femmes Abbesses & Prieures, tous demeurent d'accord, qu'elles ne
peuuent ne excommunier ne absoudre d'aucune excommunie : attendu que la femme
estant selon l'escriture en estat de subiection, elle ne peut auoir aucune
iurisdiction ne la puissance des clefs, donnee non pas mesmes à la
vierge Marie, ains aux Apostres. Elles peuuent toutesfois bie[n] corriger leurs
subiettes, ce qui leur est permis pour le danger qu'il y auroit si les hommes
conuersoient auec elles »1032. Aussi, même les grandes
figures à la tête des couvents ne peuvent accorder l'absolution,
n'ont la puissance d'ouvrir les portes du Paradis car elles n'en
possèdent pas les clefs. Néanmoins, elles peuvent corriger leurs
sujettes, non pas qu'elles soient aptes à le faire mais du fait que ces
dernières semblent
1028Ibid., p.426.
1029Ibid., p.690. 1030Ibid., p.566.
1031Ibid., p.70. 1032Ibid., p.223.
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être de dangereuses tentatrices pour leurs homologues
masculins. Les femmes peuvent aussi entendre en confession des hommes dans
certaines situations extrêmes : « Il y a mesme vn Docteur qui tient
qu'en defaut d'vn homme lay, [un homme] se pourroit accuser à vne femme.
Et vn autre dit, que le meilleur seroit en tel laccident [sic] que les
hommes se confessassent aux hommes, & les femmes aux femmes, si elles
pouuoient receuoir autant de co[n]seil & exhortation entre elles comme des
hommes lays »1033. Un homme, même laïc,
apparaît toujours préférable à une femme, même
religieuse mais Benedicti n'exclut pas totalement cette possibilité.
Aussi, la confession peut être faite à une femme si le
confessé estime qu'il est à l'article de la mort.
La confession et la communion sont des temps essentiels de la
vie des religieuses. Le concile de Trente a organisé ces temps dans le
« Décret de réformation touchant les réguliers et les
religieuses » en décembre 1563. Il y est écrit qu'elles
doivent « se confesser et recevoir la Sainte Eucharistie au moins tous les
mois, afin que, munies de cette sauvegarde salutaire, elles puissent surmonter
courageusement toutes les attaques du démon. Outre le confesseur
ordinaire, l'évêque ou les autres supérieurs, en
présenteront deux ou trois fois l'an un autre extraordinaire, pour
entendre les confessions de toutes les religieuses »1034. Les
femmes semblent ici avoir particulièrement à craindre le diable.
Benedicti, dans sa relation de ce canon, est plus métaphorique et
précis à propos de la communion des religieuses sous
l'espèce du pain : « selon l'ordonnance du Concile de Trente il
s'entend aussi des nonnes & religieuses, lesquelles doyue[n]t deuoteme[n]t
de mois en mois receuoir leur Createur, afin de se munir, fortifier & armer
co[n]tre les assaux & incursions du serpent tortueux Satanas, qui est leur
ennemy mortel, comme il a esté de leur mere Eue »1035.
Parce qu'elles sont susceptibles d'être plus souvent tentées, les
religieuses devaient s'assurer une protection par la communion
fréquente. Si les laïcs du XVIe siècle communient
au minimum une fois par an, à Pâques, les religieuses sont
invitées à communier tous les mois. La pratique de la confession
est plus complexe chez les femmes que chez les hommes. C'est peut-être
pourquoi Benedicti affirme à propos de la contrition que « les
religieux & religieuses, & autres qui sont en estat de perfection
doiuent plus souuent procurer ceste contrition que non pas les seculiers, &
ceux qui sont au monde : & ce à raison de leur reigle & statuts.
Et non seulement ils se doiuent repentir, ains aussi se confesser à tout
le moins deux fois la sepmaine [sic], & les religieuses vne ou
deux fois le mois, & receuoir la
1033Ibid., p.223.
1034Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.219-220.
1035Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.232.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
communion »1036. La communion est normalement
précédée de la confession puisqu'on ne peut accueillir le
corps du Christ qu'en étant lavé de ses péchés.
Néanmoins, la confession est délicate dans les couvents de femmes
car ces dernières ne peuvent se confesser qu'à un homme. C'est
donc à un religieux du même ordre qu'incombait la tâche de
confesser toutes les religieuses d'un couvent chaque fois qu'une communion
s'annonçait. Or, le contact avec des femmes, quelles qu'elles soient,
est estimé dangereux. De plus, les femmes sont réputées
bavardes, comme nous l'avons vu précédemment, et les religieuses
sont accusées de passer trop de temps au confessionnal. Marcel Bernos
souligne que « [c]ette mauvaise habitude est assez
généralement reprochée à toutes les femmes, mais
elle prend chez des cloîtrées des aspects spécifiques
»1037. Il semble que ce soit à cause « de ce temps
perdu et du risque d'attache affective que la confession des femmes,
fussent-elles des religieuses, et plus encore leur direction spirituelle n'ont
jamais enthousiasmé les religieux des branches masculines
correspondantes »1038. Cela peut peut-être expliquer
pourquoi les religieux doivent se confesser et communier plus
fréquemment que les religieuses, pourtant plus susceptibles de
pécher selon les croyances de l'époque. Le sacrement de
confirmation n'est quant à lui pas discuté pour les religieuses
comme pour les femmes. Cette onction de chrême1039 faite par
l'évêque est un complément du baptême que les
fidèles peuvent recevoir une fois qu'ils ont atteint l'âge de
raison qui est lui-même fluctuant selon les époques. « Et les
femmes peuuent-elles receuoir ce sacrement ? Ouy, aussi bien que les hommes. Ne
s'est il pas trouué des femmes, voire filles & pucelles qui se sont
mo[n]strees valeureuses guerrieres contre le serpent tortueux, & la
puissance des tyrans ? Et d'où procedoit cela, sinon qu'elles estoient
confirmees en la foy par le moyen de ce sacrement ? »1040, se
demande Benedicti. Ici, une certaine estime est montrée envers les
femmes courageuses, mais ce courage ne peut provenir d'elles-mêmes sinon
d'un sacrement catholique.
Les religieuses ont un statut à part dans les discours
de Benedicti. Ainsi sont protégées « toutes religieuses
& nonnains, professes, nouices ou conuerses1041, tellement
1036Ibid, p.631.
1037Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.223.
1038Ibid., p.224.
1039Le chrême est un mélange d'huile d'olive et de
parfum appliqué sur une ou plusieurs parties du corps des fidèles
catholiques
lors de la cérémonie du baptême, de la
confirmation et de l'ordination.
1040Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.394.
1041La « professe » a prononcé les voeux par
lesquels elle s'engage dans un ordre religieux. La novice n'a pas encore
prononcé ses
voeux tandis que la converse est une personne qui adopte un
style de vie religieux sans jamais prononcer de voeux. La converse
aide au monastère dans les tâches domestiques et
effectue divers travaux.
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que quiconque les frappe, il est excommunié
»1042. Les religieuses restent cependant des femmes, même
sous le voile. De nombreuses occurrences révèlent donc dans le
discours de Benedicti que ce dernier s'inquiète non pas tant du respect
du voeu d'obéissance ou de pauvreté mais surtout de celui de
chasteté. Benedicti explique « que celle qui auroit esté
connue, soit deuant ou apres la consecration1043, soit publiquement
ou en secret, se doit abstenir d'exercer les offices du monastere, qui
appartiennent aux moniales qui sont vierges, sinon qu'autrement elle fust
dispensee pour les exercer. Or de ce point il en a esté touché en
la matiere du sacrilege, science qui ne doit estre ignoree de ceux qui sont
Confesseurs des nonnains : ce que i'ay bie[n] voulu repliquer encores plus
amplement pour donner à connoistre aux Dames religieuses (Dames ie les
appelle, puis qu'elles sont mariees au fils de Dieu & de la vierge, de
laquelle elles sont belles filles : dignité non pareille) en quelle
purité elles doiuent receuoir le voile sacré de religion
»1044. Les religieuses sont donc considérées
comme les « épouses du Christ » et cet honneur leur impose une
ligne de conduite stricte. C'est pourquoi Benedicti leur interdit d'officier
dans des monastères si elles ont perdu leur chasteté. Au
paragraphe traitant du sacrilège, le franciscain détaille en
effet les divers cas où les religieuses sont en danger de céder
au péché de luxure. Si le péché de sacrilège
peut aussi bien être commis par un religieux que par une religieuse,
c'est essentiellement de ces dernières dont il est question. Benedicti
rappelle que le mariage avec une religieuse est strictement interdit dans la
religion catholique. Il en profite pour dénoncer sans appel les
huguenots qui auraient « esté les premiers, qui apres auoir
ietté le froc és orties, espouserent des nonnains pour engendrer
des enfans de fornication »1045. Le franciscain raconte
l'histoire « de saincte Clere de Geneue, laquelle (co[m]me m'ont
recité les mesmes religieuses, qui esta[n]t chassees de la ville
à lors [sic] prinse des heretiques, vindrent [sic]
demeurer à Nisy en Sauoye) aima mieux se marier à vn moyne
renié, que de suiure ses co[m]pagnes & perdre la douceur de sa
patrie : mais la fille de perdition qu'elle estoit, receut bonne reco[m]pense
de sa desloyauté, car son faux mary desfroqué par apres
l'escorcha toute viue, & fut le bourreau de la iustice diuine
»1046. Nous n'avons pas pu trouver de description plus
précise à propos de ce fait divers que relate Benedicti.
Néanmoins, il apparaît de suite étonnant qu'il qualifie
cette femme de « saincte ». En effet, bien qu'elle ait subi ce qui
ressemble à un martyre dans la religion catholique, elle est
accusée de divers péchés : elle a renié sa foi et
commis un sacrilège en forniquant avec un homme
1042Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.605. 1043La
consécration est la cérémonie durant laquelle la
religieuse se voue au service de Dieu. 1044Jean BENEDICTI, La somme des
pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170],
p.144. 1045Ibid., p.138.
1046Ibid., p.138-139.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
qui avait fait voeu de chasteté. Le qualificatif
pourrait donc renvoyer à une note ironique de l'auteur.
Afin de protéger la chasteté des religieuses,
Benedicti préconise une stricte clôture. Marie-Élisabeth
Henneau explique que « [d]epuis longtemps, les ecclésiastiques ont
imaginé quantité de dispositifs destinés à
protéger l'intégrité des religieuses : murailles, grilles
et volets clos, bien sûr, mais aussi trame serrée des rideaux et
des voiles, opacité des paupières baissées et
maîtrise totale du comportement, en vue d'un parfait retrait du monde. Il
n'empêche que régulièrement les yeux, comme les portes,
s'entrouvrent »1047. C'est pourquoi, Benedicti rappelle que
« pour obuier à ces sacrileges, l'Eglise a prohibé sur peine
d'excommunie à toutes personnes d'entrer és monasteres de
religieuses, & aux religieuses d'e[n] sortir»1048. Si ces
diverses précautions sont prises, c'est pour éviter quelque grand
péché. En effet le franciscain explique que « l'acte charnel
commis auec vne religieuse, pourroit comprendre en soy toutes les cinq especes
de luxure. Exemple. Celuy qui abuse d'vne no[n]nain, il commet
premierement sacrilege : secondement adultere, aya[n]t à faire auec
l'espouse d'autruy, c'est à dire, auec celle qui est espousee à
Iesus Christ : tiercement inceste, car il pourra estre que telle religieuse
sera sa parente, & aussi est elle sera pare[n]te spirituelle, esta[n]t
mariee au fils de Dieu, qui est nostre frere, voire Seigneur & pere commun
de tous : quarteme[n]t il commet stupre, car il deflore vne vierge :
quintement, il commet rapt, s'il la prend par force »1049. Le
« peché d'inceste, quand on a eu affaire auec son sang, ou auec vne
religieuse & nonnain »1050 fait partie des cas
réservés à l'évêque c'est-à-dire que
seul ce dernier peut décider de la pénitence à accomplir
pour racheter ce péché ou de l'excommunication du ou des
pécheurs. De même, « ceux qui attentent de contracter mariage
auec vne religieuse »1051 devront en répondre devant
leur évêque. Néanmoins, Benedicti explique que cette
pratique peut avoir lieu grâce à une dispense du pape « quand
la necessité le requert [sic], comme pour euiter la guerre
entre les Royaumes, entretenir la paix entre les Pri[n]ces : pour establir
l'estat d'vn Royaume, afin qu'il ne defaille de legitime heritier : & que
c'est pour vn plus grand bien, soit public ou priué, & aussi pour
euiter vn plus grand mal, ou autres raisons pertinentes & legitimes
»1052. Benedicti loue le dévouement de telles personnes qui se
marient, préférant le salut d'un Royaume plutôt que le leur
avant d'expliquer que « Celestin Pape 3. dispensa auec
1047Marie-Élisabeth HENNEAU, « Corps sous
le voile à l'époque moderne », p.59-100 dans Cathy McCLIVE
(dir.), Nicole
PELLEGRIN (dir.), op. cit. [note n°568], p.87.
1048Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.139.
1049Ibid., p.139.
1050Ibid., p.589.
1051Ibid., p.589.
1052Ibid., p.77.
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maîtrise | juin 2013 - 203 -
Consta[n]ce religieuse fille de Roger Roy d'Espagne, pour
estre mariee auec Henry 6.Empereur »1053. Constance de
Hauteville, fille de Roger II de Sicile et de Béatrice de Rethel fut en
effet mariée à Henri de Hohenstaufen, futur Henri VI, en 1186
alors qu'elle était âgée de 32 ans. Nous n'avons pas
trouvé de mention précise du fait qu'elle était religieuse
auparavant mais la coutume à l'époque était effectivement
de placer les jeunes filles au couvent et de les en sortir au moment de leur
mariage. L'âge de Constance de Hauteville au moment de son mariage peut
laisser penser qu'elle avait déjà prononcé ses voeux
solennels.
Un point qui inquiète Benedicti est la prise du voile
de virginité par des femmes qui l'ont perdue. « La religieuse, qui
sans dispense ou sans tres necessaire & urge[n]te cause presume de prendre
le voile sacré, ayant perdu sa virginité, peche : car puis
qu'elle n'est pucelle, elle ne doit estre voilee comme vierge. Il est bien vray
que pour euiter le scandale & ne descouurir point son peché secret,
celuy qui la consacre, s'il en est aduerty peut changer les mots de vierge aux
mots de continence ou chaste. Et aussi ce peut dire le mesme de celle qui
seroit maculee par quelque maniere que ce soit : car ayant par ceste pollution
volontaire perdu sa virginité, elle ne doit point estre consacree comme
vierge »1054. Toute « souillure » sexuelle semble
être un crime aux yeux du franciscain qui veut que les femmes
consacrées à Jésus soient les plus pures possible. Toute
forme d'attouchement sur soi-même est prohibée : les religieuses
ne devraient rien connaître de leur corps et l'avoir pour ainsi dire en
horreur. Néanmoins, Benedicti admet que « celle, qui auroit
esté violee par force, & contre sa volonté
»1055 peut recevoir une dispense afin de devenir religieuse. En
effet, la faute n'est pas ici de son fait, à l'inverse de la
masturbation. De plus, il insiste à nouveau sur l'importance de
l'honneur de la personne, qui lui indique de prendre le voile afin de le
sauvegarder.
Le modèle de pureté religieuse
évoqué par Benedicti pourrait être sainte Catherine de
Sienne dont nous allons donner ici une courte biographie. Le franciscain donne
à son propos deux descriptions : elle ne pouvait « endurer la
puanteur des pecheurs & pecheresses parlans & co[n]uersans
»1056 avec elle et elle faisait partie des personnes qui ont pu
« atteindre le sentier de vertu, qui co[n]duit les hommes aux astres
»1057 en fuyant le sommeil. Catherine est née le
dimanche des Rameaux, 25 mars 1347 à Sienne. Son père
était un artisan réputé et sa mère, Lapa, «
était considérée
1053Ibid., p.77-78.
1054Ibid., p.140. 1055Ibid., p.143.
1056Ibid., p.27. 1057Ibid., p.382.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
comme une des femmes les plus prolifiques de la ville
»1058 puisqu'en mettant Catherine au monde, c'était
à son vingt-quatrième enfant qu'elle donnait le jour. À
six ans, elle a sa première vision, dans laquelle Jésus, Pierre,
Jean et Paul lui apparaissent, flottant dans le ciel. Elle adopte dès
lors une attitude ascétique, décidant de parler le moins
possible, de se flageller pour faire pénitence et de restreindre son
régime alimentaire. Sa vie est parsemée d'extases durant
lesquelles elle flotte au-dessus du sol et ne ressent aucune douleur. Emilia
Granzotto dit à son sujet que « [s]a vie n'a été
qu'une aspiration, sans cesse renouvelée et sublimée, à se
conformer toujours, et quoi qu'il arrive, à la volonté de Dieu
»1059. Elle fait voeu de virginité à Jésus
alors qu'elle n'est encore qu'une enfant. Lorsque sa mère décide
de la marier, « Catherine pense qu'en sortant ainsi, coiffée et
pomponnée, "lissée", comme on dit alors, elle commet un gros
péché. Cette sorte de honte l'accompagnera toute sa vie, avec la
conviction d'avoir été malgré elle, pendant une
brève période et en fin de compte par obéissance à
sa mère, une des plus grandes et des plus abominables
pécheresses. Par la suite, jusqu'à ses derniers jours, elle ne
cessera de faire pénitence pour cette déviation
»1060. Sa famille finit par accéder, à
contrecoeur, à son désir de devenir Soeur de la Pénitence,
c'est-à-dire une tertiaire dominicaine. Elle reçoit l'habit
à 16 ans grâce à sa grande détermination. En 1370,
Catherine aurait vécu des « noces mystiques avec le Christ, qui
l'épouse "dans la foi" en présence de sa mère, Marie, de
Madeleine et de quelques saints, lui faisant même cadeau d'un anneau d'or
orné de "quatre pierres précieuses avec un diamant au milieu"
»1061. Cet anneau, qu'elle aurait porté toute sa vie,
n'a jamais pu être vu par quiconque en dehors d'elle-même.
Catherine passe la plus grande partie de son temps dans la contemplation et
comme toutes les mystiques, elle subit des épreuves de tentation par le
diable. Afin de lutter contre ces tentations, elle redouble son traitement
ascétique et la flagellation. De plus, elle ne dort pas, elle « va
jusqu'à éliminer entièrement tout repos substantiel,
s'accordant seulement quelques petits sommes »1062. Catherine
raconte aussi à son confesseur l'épisode de «
l'échange des coeurs ». « Il s'agit de l'offrande que
Catherine aurait faite à Jésus, dans un premier temps, de son
propre coeur physique, organe de son corps. L'arrachement, c'est-à-dire
l'acte physique d'extraire le coeur de la poitrine selon le témoignage
ultérieur de Catherine, se serait produit au cours d'une extase. Au
cours d'une autre extase, quelques jours plus tard, la jeune tertiaire aurait
reçu de l'Époux céleste un autre coeur en échange,
celui même de Jésus, qu'il lui aurait personnellement
1058Emilia GRANZOTTO, Catherine de Sienne : une
sainte et son temps, Paris, Médiaspaul, 1999, p.11.
1059Ibid., p.6. 1060Ibid., p.21.
1061Ibid., p.31. 1062Ibid., p.43.
placé dans la poitrine à la place du sien
»1063. Nous n'avons que le témoignage de Catherine
à ce sujet mais nous savons par contre qu'elle a écrit trois cent
soixante-dix lettres à l'intention des grands de l'époque, les
exhortant à changer leur comportement afin de suivre au plus près
les enseignements du Christ. À l'âge de 30 ans, elle aurait
miraculeusement commencé à écrire alors qu'elle n'avait
jamais tenu une plume avant cela. Ses précédentes lettres avaient
été écrites sous la dictée par ses disciples.
Catherine revendique qu'elle n'est pas l'auteure de ces lettres mais que son
divin Époux parle à travers elle. Elle meurt « à Rome
dans l'après-midi du dimanche de Pâques, le 29 avril 1380
»1064 et a laissé dans l'esprit de ses contemporains
l'image d'une femme très pieuse, touchée par la grâce de
Dieu et suivant le véritable message de ce dernier.
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mémoire | juin 2013 - 206 -
1063Ibid., p.43.
1064Ibid., p.5.
Conclusion
Le XVIe siècle est une époque de
reconstruction théologique pour l'Église. Ce travail passe par
l'élaboration d'un nouveau discours logique sur la place de la femme
dans la société. Le développement des manuels de
confession en tant que genre littéraire dans la deuxième
moitié du XVIe siècle a permis de diffuser une
idéologie réaffirmée par le concile de Trente. Jean
Benedicti présente dans son ouvrage une vision triplement biaisée
de la femme : celle que l'Église catholique veut voir, celle que lui
renvoie la société de son temps et celle qu'il s'imagine
lui-même. La synthèse de ces trois visions permet de
dégager l'ambivalence d'une pensée où se mêlent peur
de la femme et discours égalitaire d'un religieux qui sait qu'hommes et
femmes sont égaux lors du Jugement dernier.
Le discours du franciscain est précieux par la
multitude de sources sur lesquelles il appuie ses démonstrations. La
reproduction dans le corps de son oeuvre de certains textes législatifs
de son temps et la profusion des notes marginales permettent de retracer le
cheminement de sa pensée. Aucune source ne semble avoir
été ignorée. À côté des textes
fondamentaux de l'Église, Benedicti s'est intéressé aux
textes juridiques et médicaux. Il utilise aussi les diverses cultures
qu'il a pu côtoyer voire même les superstitions de son temps. Les
grands auteurs anciens ne sont pas oubliés ni les thèses
hérétiques qu'il combat avec ardeur. Ses connaissances visibles
en latin, en grec et en hébreu sont associées à son
expérience personnelle en tant que confesseur, prédicateur et
exorciste afin de livrer un discours qui se veut objectif puisqu'il
présente fréquemment des thèses opposées afin d'en
proposer une synthèse. Il faut néanmoins avoir présent
à l'esprit que le texte de Jean Benedicti fut retouché
après sa mort par les professeurs de la Sorbonne : les modifications
qu'ils ont jugées nécessaires à l'oeuvre du franciscain
sont la preuve qu'au-delà d'un texte normatif reconnu par
l'Église, La somme des pechez et le remede d'icevx est le
reflet d'une pensée singulière.
Dans l'oeuvre du franciscain, la femme est
présentée comme un être ambivalent : à la fois
fondamentalement pécheresse et tentatrice, elle n'en est pas moins un
être infiniment faible et qui a constamment besoin d'être
protégée, notamment contre elle-même. La jeune fille est
pure car vierge mais facilement séduite par des hommes malveillants.
Elle doit donc être mariée rapidement si elle ne souhaite pas se
faire religieuse. Sa virginité est louée mais elle ne suffira pas
à la protéger des assauts du monde si ses parents ne la placent
pas sous la tutelle d'un mari. Une fois mariée, la
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femme acquiert une place reconnue dans la
société du XVIe siècle. Elle a donc des devoirs
mais aussi certains droits. Soumise à son mari en tout point, elle devra
lui obéir en silence et le laisser gouverner la maison à sa
guise. Néanmoins, devant un péché trop visible, Benedicti
charge la femme de sortir de son mutisme pour corriger son conjoint.
Malgré cette nouvelle protection, c'est toujours la sexualité de
la femme qui pose question au religieux. La question des rapports sexuels entre
les conjoints est assez détaillée pour que tout confesseur puisse
trancher entre un rapport légitime ou non. Pour ce qui est des rapports
illégitimes, Jean Benedicti semble plus modéré que
certains de ses contemporains. En effet, il place l'homme et la femme
adultère sur un plan d'égalité pour ce qui est de la faute
commise. De même, lorsqu'il aborde le sujet du concubinage, ce ne sont
pas tant les femmes qui sont dépréciées comme tentatrices
que les hommes, et notamment les religieux, qui ne peuvent contenir leurs
désirs sexuels. Les veuves sont représentées dans le
manuel de confession telles qu'elles apparaissent dans les sources judiciaires
de l'époque : misérable jusqu'au point de se livrer parfois
à quelque séducteur qui leur aurait promis un soutien moral ou
financier. Redevenue maîtresse de ses biens et de sa destinée,
elle est cependant un atome libre et donc dangereux aux yeux des moralistes du
temps.
Le moyen de sanctification par excellence pour la femme est
de porter des enfants et de les élever dans la foi chrétienne.
Benedicti intègre dans son discours les conseils reçus lors du
concile de Trente : responsabiliser et sensibiliser les femmes à leur
rôle primordial d'éducatrices. Un grand nombre d'enfants ne doit
pas être vu comme un fardeau mais comme une chance selon Benedicti. C'est
pourquoi il dénonce toute pratique anti-conceptionnelle ou abortive. Ce
rôle de mère devrait tenir les femmes au foyer et donc
éviter qu'elles ne s'adonnent à leurs vices, d'autant plus
visibles si elles sont en société. Le franciscain s'inscrit dans
une longue lignée de discours misogynes lorsqu'il attribue aux femmes un
caractère bavard et mensonger ainsi qu'une coquetterie qui les
mène à une ruine non seulement terrestre et matérielle
mais aussi dans l'éternité de l'au-delà. Puisque l'attrait
de la tentation la poursuit, la femme devrait par-dessus tout éviter les
pratiques corporelles jugées trop lascives telle la danse. Benedicti met
en garde les hommes contre un contact prolongé avec les femmes. Il
dénonce de plus les prostituées qui incitent les hommes à
pécher par leurs attitudes et leurs paroles. Ces dernières sont
exclues avec force de la société du XVIe siècle
mais Benedicti conserve une clémence relative à leur égard
en mettant en exergue des modèles de repenties telles Marie-Madeleine ou
Marie l'Égyptienne. Aucune pitié n'est par contre
décelable dans
Conclusion
son discours sur les sorcières et les huguenotes qui
pervertissent la société catholique en acceptant un pacte avec le
diable, qu'il s'agisse de Satan ou de Calvin. Même la religieuse, qui
semble être dévouée à Dieu par essence, doit
être surveillée en vertu de sa nature pécheresse.
C'est donc un tableau assez réducteur de la femme que
donne Benedicti. Le fait qu'il n'aborde pratiquement pas la vie professionnelle
des femmes de son époque est révélateur : aucune
compétence spécifique ne semble être reconnue à la
femme à part celle de mettre au monde des enfants. L'oeuvre de Benedicti
présente un tableau réaliste des attentes des religieux, mais
plus largement des hommes de l'époque, en ce qui concerne le rôle
de la femme. Cette dernière doit élever ses enfants dans la foi
chrétienne et se contenir pour le reste : ne pas parler, ne pas chercher
à se mettre en avant, ne pas prendre de décision seule, ne pas
croire que Dieu pourrait décider de communiquer ses désirs
à une femme. Une fois mises bout à bout les diverses
interdictions faites aux femmes, il semble que leur espace de liberté
soit extrêmement restreint.
Nous pouvons nous interroger sur la réception de ce
discours au XVIe siècle. En effet, il est très
difficile de savoir comment fut reçue l'oeuvre du franciscain et si tous
ses conseils furent retenus par les confesseurs. La pratique de la confession
annuelle s'est assurément développée à la fin du
XVIe siècle et sur tout le XVIIe siècle.
Néanmoins, la difficulté de la tâche n'a permis aux
confesseurs d'entrer dans de tels détails lors de l'examen de conscience
qu'avec certaines dévotes. Les nombreuses rééditions de
l'ouvrage laissent à penser qu'il a été beaucoup lu, du
moins chez les religieux si ce n'est par les croyants. L'évolution de
certains comportements religieux au XVIIe siècle, et
notamment, comme nous venons de le souligner, la pratique plus fréquente
de la confession, peut laisser penser qu'une partie du discours religieux de la
fin du XVIe siècle a influencé nettement la vie des
populations. Cependant, il faut aussi souligner la persistance de coutumes ou
superstitions dans certaines régions de France qui remettent en cause
l'acculturation voulue par l'Église catholique après le concile
de Trente.
Lors de ce travail, il nous est apparu évident qu'un
double mouvement était à l'oeuvre dans l'ouvrage de Jean
Benedicti. Il existe en effet une tentative d'acculturation par la
présentation de modèles indiscutables mais aussi le rejet de
superstitions entourant certains personnages. Ces derniers, pris comme
modèles mais cependant dénigrés par
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 209 -
l'Église catholique, sont parfois remis à une
place moins importante. Il nous semblerait intéressant, en prenant
exemple sur les travaux d'Eric Suire1065, de nous pencher sur les
figures de saints proposés par Jean Benedicti dans les deux ouvrages
qu'il a écrit à la fin du XVIe siècle. Ce
travail nous permettrait de mettre en relief les idéaux de cette
époque et de voir comment les croyants sont invités à
s'identifier à de pieuses figures afin de faire régner les
valeurs catholiques.
1065Éric SUIRE, La sainteté
française de la Réforme catholique (XVIe-XVIIIe siècle
d'après les textes hagiographiques et les procès de
canonisation), Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2001.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 210 -
Sources
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· BENEDICTI, Jean, La somme des pechez, et le remede
d'icevx. Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doutes
touchant les Pechez, Simonies, Vsures, Changes, Commerces, Censures,
Restitutions, Absolutions, & tout ce qui concerne la reparation de l'Ame
pecheresse par le Sacrement de Penitence, selon la doctrine des S. Concile
Theologiens, Canonistes, & Jurisconsultes, Hebrieux, Grecs &
Latins, Rouen, Thomas Daré, 1607 (rééd.).
· BENEDICTI, Jean, La somme des pechez, et le remede
d'icevx : comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des
douttes touchant les pechez, simonies, usures, changes, commerces, censures,
restitutions, absolutions & tout ce qui concerne la reparation de l'ame
pecheresse par le sacrement de penitence, selon la doctrine des saincts
Conciles Theologiens, Canonistes & Juriconsultes, Hebrieux, Grecs &
Latins. Traité tresutile aux Ecclesiastiques, Predicateurs &
penitens : au Magistrat & troisiesme estat & en somme à tous
ceux qui veulent obtenir salut. Nouuellement recueillie par R. P. F. J.
Benedicti, Professeur en Theologie de l'ordre des freres Mineurs de
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· BENEDICTI, Jean, La somme des péchez, et
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· MIORCEC DE KERDANET, Daniel-Louis-Olivier-Mathurin,
Notices chronologiques sur les théologiens, jurisconsultes,
philosophes, artistes, littérateurs, poètes, bardes, troubadours
et historiens de la Bretagne, depuis le commencement de l'ère
chrétienne jusqu'à nos jours ; Avec deux Tables : la
première présentant, dans l'ordre alphabétique, tous les
Personnages dont il est fait mention dans ces Notices ; la seconde les
rapportant aux villes et lieux auxquels ils appartiennent, Brest,
Guillaume-Marie-François Michel, mars 1818.
Nous attirons l'attention sur le fait que ne sont pris en
compte dans les sources que les ouvrages que nous commentons dans le corps du
mémoire.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 212 -
Bibliographie
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Adolphe Goupil, 1903.
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siècle, Paris, PUF, 2010 (rééd.) (coll.Quadrige).
· Encyclopaedia Universalis, [disponible sur le
site <http://www.universalis.fr/>] (consulté le 21 mai 2013).
· FELLER, François-Xavier, Dictionnaire
historique ou Biographie universelle des hommes qui se sont fait un nom par
leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes,
depuis le commencement du monde jusqu'à nos jours, tome III, Paris,
Étienne Houdaille, 1836.
· GRANZOTTO, Emilia, Catherine de Sienne : une
sainte et son temps, Paris, Médiaspaul, 1999.
· VACANT, Alfred (dir.), MANGENOT, Eugène (dir.),
AMANN, Émile (dir.), Dictionnaire de théologie catholique
contenant l'exposé des doctrines de la théologie catholique,
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Ané, 1923.
Ouvrages généraux .
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Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
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Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 216 -
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Paris, Perrin, 2002 (coll. Tempus).
Les initiales ou l'absence de nom propre qui peuvent rester
dans cette bibliographie sont celles dont nous n'avons pas pu retrouver la
signification.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 217 -
Annexes
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 219 -
Les annexes sont présentées dans un volume
séparé.
Glossaire
Ce glossaire reprend les termes d'époque que nous
avons définis dans les notes de ce mémoire. Il n'existe pas de
dictionnaire spécifique au XVIe siècle. Nous avons
donc fait nos recherches à partir du Dictionnaire du Moyen
Français (1300-1500) proposé en ligne sur le site du Centre
National de Ressources Textuelles et Lexicales, créé en 2005 par
le CNRS. Le Dictionnaire du Moyen Français est un projet évolutif
dont la quatrième version est actuellement en ligne.
· Appréhender : Saisir quelqu'un.
· Atinter : Préparer, parer quelqu'un.
· Billet : Écrit bref portant la reconnaissance
de quelque chose ou la recommandation de quelqu'un. Des billets étaient
parfois portés par les croyants qui souhaitaient se protéger
d'une quelconque mauvaise fortune.
· Boban : [Souvent au pluriel]. Faste, festivité,
magnificence (souvent avec une idée d'ostentation, d'étalage).
· Bosse : Grosse tumeur, abcès mais aussi bubon
de la peste.
· Carcan : collier de fer servant à attacher un
condamné au pilori ; collier de pierreries.
· Caut : Subtile, rusé, malicieux, habile.
· Chancre : Ulcération qui a tendance à
s'étendre.
· Chatepeleuse : Chenille.
· Circonvention : Fait de circonvenir quelqu'un,
tromperie (en particulier dans une formule juridique qui énonce les
tromperies et artifices auxquels on renonce).
· Consécration : Action de consacrer quelqu'un,
de reconnaître à quelqu'un un caractère sacré.
· Convers : Religieux qui n'est pas soumis à la
règle majeure d'un ordre mais seulement à un règlement
mineur, et qui assure les tâches matérielles de la
communauté.
· Déception : Tromperie, ruse.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 221 -
· Diaper : Du nom « diaspre » : Soierie aux
nuances, aux couleurs et aux motifs divers, drap de soie à fleurs,
à ramages ou arabesques.
· Dilection : Grande affection, amour porté à
quelqu'un (ou à Dieu).
· Étoupe : Partie la plus grossière de la
filasse (de chanvre, de lin).
· Fabrique : Ensemble des biens et revenus affectés
à une église, à son édification, à son
entretien, temporel.
· Fallace : Propension à la tromperie,
fausseté.
· Forclore : Exclure quelqu'un, écarter ou priver
quelqu'un de quelque chose.
· Impétrer : Essayer d'obtenir quelque chose (de
quelqu'un).
· Intéresser : Faire du tort à quelqu'un,
léser quelqu'un, causer du dommage à quelqu'un, toucher quelqu'un
dans ses intérêts.
· Ladre : Au sens propre, lépreux. Par extension,
paresseux, fainéant, fou.
· Maudisson : Malédiction.
· Nonnain : Femme appartenant à une
communauté religieuse, religieuse, nonne.
· Novice : (Celui/celle) qui a pris nouvellement l'habit
religieux et s'éprouve un certain temps avant de faire profession.
· Oblation : Offrande.
· Outrecuidé : Téméraire,
présomptueux, arrogant.
· Percussion : Coup, contusion.
· Pitoyable : Qui suscite, qui inspire la compassion, la
pitié.
· Plastrer : Farder.
· Pompeusement : D'une manière fastueuse, riche ;
avec ostentation.
· Profès : (Celui) qui a prononcé les voeux
par lesquels il s'engage dans un ordre religieux.
· Proprement : Vraiment, véritablement,
réellement.
· Rédiger : Ramener, réduire à /
en.
· Religieux : Celui qui appartient à un ordre
ecclésiastique régulier, moine.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 222 -
Glossaire
· Rioteur : Qui fait du tapage, qui crie beaucoup.
· Sacristain : Celui qui est chargé de l'entretien
de l'église, de la sacristie, des vases sacrés et des ornements
liturgiques (dans une église, dans une abbaye).
· Tac : Maladie proche de la coqueluche.
· Voirement : Vraiment, véritablement,
assurément.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 223 -
Table des illustrations
Index des illustrations
Illustration 1: Le traitement des dix commandements, en
pourcentage. 45
Illustration 2: Le traitement des six commandements de
l'Église, en pourcentage 46
Illustration 3: Le traitement des sept péchés
capitaux, en pourcentage. 47
Illustration 4: Répartition du traitement des
sacrements dans l'oeuvre de Jean Benedicti.
48
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 225 -
Table des matières
INTRODUCTION 9
CADRES GÉNÉRAUX : PENSER L'HISTOIRE DES
FEMMES AU XVIE
SIÈCLE 13
La place de la femme dans la société du
XVIe. 13
Les manuels de confession : un genre en pleine expansion.
30
Vie et oeuvre du franciscain Jean Benedicti.
49
La somme des pechez et le remede d'icevx, un
regard particulier sur la condition
des femmes au XVIe siècle. 60
FEMMES ET SOCIÉTÉ DANS LE MANUEL DE
CONFESSION DU PÈRE JEAN
BENEDICTI. 75
La jeune fille et la vierge : un modèle de
sainteté que peu atteindront. 75
La femme et l'homme. 90
Droits et devoirs de la femme mariée 90
La femme adultère et son partenaire. 109
La concubine : pécheresse à divers
degrés 116
La veuve : une femme toujours prête à
pécher. 120
La femme et l'enfant. 127
Porter un enfant et le mettre au monde. 128
Le bébé en nourrice. 138
Éduquer son enfant. 144
La femme en société. 150
La coquette. 150
Danse et tentation : la femme vecteur du péché.
159
Péchés de bouche : bavarde et menteuse.
167
La prostituée et ses hommes. 173
La femme hors de l'Église : sorcière et
huguenote. 183
La religieuse, une femme dans l'Église.
194
CONCLUSION 207
SOURCES 211
BIBLIOGRAPHIE 213
ANNEXES 219
GLOSSAIRE 221
TABLE DES ILLUSTRATIONS 225
TABLE DES MATIÈRES 227
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 227 -
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