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Le regard porté sur les femmes par le franciscain Jean Benedicti à  travers son manuel de confession "la somme des pechez et le remede d'icevx" (1595, réédition )

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par Lucie HUMEAU
Lyon  - Master 1 2013
  

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Mémoire de Maîtrise / juin 2013

Diplôme national de master

Domaine - Sciences Humaines et Sociales

Mention - Sciences de l'information et des bibliothèques Spécialité - Cultures de l'écrit et de l'image 1ère année.

Le regard porté sur les femmes par le
franciscain Jean Benedicti à travers
son manuel de confession La somme
des pechez et le remede d'icevx...
(1595, rééd.).

 

Lucie Humeau

 
 

Sous la direction de Philippe Martin

Professeur d'histoire moderne - université Lyon 2

 
 
 
 
 
 

Remerciements

Je souhaite ici remercier tous les gens qui m'ont accompagnée dans ce travail.

Merci à Philippe Martin, mon directeur de mémoire, pour ses conseils tout au long de l'année et son aide dans mes recherches.

Merci à Valérie Humeau, pour avoir relu ce mémoire et apporté une aide sans faille durant ce travail. Sa patience et la pertinence de ses remarques ont grandement contribué à l'élaboration de ce mémoire.

Merci enfin à toutes les personnes qui ont répondu à mes interrogations, mes nombreux mails et mes appels et qui m'ont apporté des conseils, de nouvelles pistes et parfois même des réponses inespérées. Je pense ici à M. Pierre Moracchini, conservateur de la bibliothèque franciscaine des Capucins à Paris, à M. Xavier Villebrun, responsable du service patrimoine de Laval, à M. Julian Wawro, prêtre catholique, et au personnel des bibliothèques auxquelles j'ai adressé des requêtes.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 3 -

Résumé :

Le regard que l'Église catholique a porté sur la femme pendant des siècles est visible dans les nombreux écrits qui nous sont parvenus. L'étude du manuel de confession de Jean Benedicti, franciscain de la seconde moitié du XVIe siècle, permet d'éclairer la vision qu'avait un ecclésiastique sur son époque. En effet, cette somme théologique développe point par point quels péchés nécessitent de faire pénitence. À travers ces énumérations et les études de cas les accompagnant, il est possible de saisir une vision personnelle, mais largement documentée, sur la société du XVIe siècle dans son ensemble. La somme des pechez et le remede d'icevx... offre un matériau abondant afin de comprendre comment les religieux voyaient la femme et sa place aux côtés des hommes.

Descripteurs : manuel de confession, histoire des femmes, XVIe siècle, péché, franciscain, Jean Benedicti.

Abstract :

It is possible to understand the Catholic Church's views on women through the Centuries by studying the numerous written works that exist. By studying Jean Benedicti's (Franciscan) book of confession from the second half of the XVIth Century, we are able to see the vision of an ecclesiastic of his time. This comprehensive theological survey illustrates, step by step, which sins need penitence. Through these listings and the case studies, it is possible to attain a personal and also well documented view of the XVIth Society. La somme des pechez et le remede d'icevx... presents an abundance of material, enabling us to understand how religious people perceived a women's place in society compared to that of a man.

Keywords : confession book, women history, XVIth century, sin, Franciscan, Jean Benedicti.

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Droits d'auteurs

Cette création est mise à disposition selon le Contrat :

Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France

disponible en ligne http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/ ou par courrier postal à Creative Commons, 171 Second Street, Suite 300, San Francisco, California 94105, USA.

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Sommaire

INTRODUCTION 9

CADRES GÉNÉRAUX : PENSER L'HISTOIRE DES FEMMES AU XVIE

SIÈCLE. 13

La place de la femme dans la société du XVIe. 13

Les manuels de confession : un genre en pleine expansion. 30

Vie et oeuvre du franciscain Jean Benedicti. 49

La somme des pechez et le remede d'icevx, un regard particulier sur la condition

des femmes au XVIe siècle. 60

FEMMES ET SOCIÉTÉ DANS LE MANUEL DE CONFESSION DU PÈRE JEAN

BENEDICTI. 75

La jeune fille et la vierge : un modèle de sainteté que peu atteindront. 75

La femme et l'homme. 90

Droits et devoirs de la femme mariée 90

La femme adultère et son partenaire. 109

La concubine : pécheresse à divers degrés 116

La veuve : une femme toujours prête à pécher. 120

La femme et l'enfant. 127

Porter un enfant et le mettre au monde. 128

Le bébé en nourrice. 138

Éduquer son enfant. 144

La femme en société. 150

La coquette. 150

Danse et tentation : la femme vecteur du péché. 159

Péchés de bouche : bavarde et menteuse. 167

La prostituée et ses hommes. 173

La femme hors de l'Église : sorcière et huguenote. 183

La religieuse, une femme dans l'Église. 194

CONCLUSION 207

SOURCES 211

BIBLIOGRAPHIE 213

ANNEXES 219

GLOSSAIRE 221

TABLE DES ILLUSTRATIONS 225

TABLE DES MATIÈRES 227

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 7 -

Introduction

Au XVIe siècle, les remous provoqués par la réforme protestante puis par la réforme catholique introduisent un nouvel élan religieux en France. Le clergé décide, voire est contraint, d'agir auprès des populations pour insuffler les valeurs catholiques réaffirmées. Pour ce faire, il est nécessaire que les religieux soient eux-mêmes formés à la direction de conscience. La formation du clergé est approfondie et l'ouverture de séminaires après le concile de Trente permet en partie de mieux contrôler les connaissances des prêtres. Les canons du concile de Trente revalorisent la place de ces derniers dans le quotidien des croyants en leur attribuant un véritable rôle dans la vie et le salut des âmes catholiques. Les prêtres doivent dès lors pouvoir assumer leur tâche en ayant une véritable culture afin d'aider chaque croyant à régir sa vie comme il se doit.

Le bagage culturel proposé par l'Église passe par la possession, imposée par certains évêques aux prêtres de leur diocèse, d'une bibliothèque minimale composée entre autres d'un manuel de confession. Ces livres ont pour but d'accompagner le prêtre dans sa tâche en étudiant les uns après les autres divers cas de conscience et en explicitant la peine encourue ou la pénitence à faire pour racheter chaque péché détaillé. Ces livres sont écrits par des ecclésiastiques, à destination d'ecclésiastiques même si leur public a pu être parfois plus large. Leur lecture révèle un puissant désir normatif. Chaque acte de la vie quotidienne est analysé pour déceler le péché sous-jacent. Chaque parole doit être contrôlée afin de s'assurer une place au Paradis. Ces manuels révèlent les normes comportementales attendues par l'Église catholique qui s'est à nouveau penchée sur les textes fondamentaux pour en extraire leur essence. Il est visible, dans ce type d'écrits, que le XVIe siècle fut une période de reprise en main des populations par le clergé dans le but d'atteindre une société acquise aux idéaux catholiques.

La multiplication des manuels de confession ne pourrait se faire sans une attention plus grande portée à l'exercice de la confession en elle-même. Cette dernière devient un incontournable de la pratique catholique. Tous les croyants sont contraints à se confesser une fois par an auprès du prêtre de leur paroisse. La confession doit permettre au prêtre de s'assurer de la correspondance entre les comportements du croyant et les normes édictées par l'Église. Ce long travail d'écoute, réimposé avec force par le concile de Trente, a été difficile à exécuter, tant du fait de la réticence des populations à confesser leurs péchés au prêtre, que du fait de la pénibilité même de la tâche pour ce dernier. Néanmoins, cette pratique fut suivie plus attentivement et permis ainsi de contrôler plus efficacement les croyances et les actes des paroissiens.

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Si le XVIe siècle est un temps de reconquête religieuse, il est aussi une période où la place de la femme dans la société est à nouveau définie. Mise sous une tutelle plus grande par la législation des juristes, son rôle en tant que vecteur du péché est mis en lumière avec plus de force par l'Église catholique. De nouveaux discours tentent de dénoncer son action maléfique et de mettre en garde les hommes contre ses appâts. Le fait que les gens d'Église aient été invités à tenir leur voeu de chasteté a pu jouer dans la violence de certains discours misogynes. La femme du XVIe siècle, qui occupe déjà une place mineure dans la société française, est encore repoussée par une grande majorité des clercs à des rôles subordonnés, dans l'espace domestique de préférence. Les manuels de confession sont un observatoire de choix pour examiner le discours et les attentes des prêtres à l'égard des femmes.

Dans l'objectif d'étudier un regard particulier sur la femme au XVIe siècle, nous avons choisi de nous pencher sur un manuel de confession unique mais assez riche pour aborder toutes les figures féminines de l'époque. Le manuel de confession du franciscain Jean Benedicti est un livre imposant par sa taille et la variété des sujets qu'il aborde. Il a été écrit par un homme de grand savoir, qui a voyagé et a occupé un rang important au sein de son ordre. Ce texte est riche des comparaisons qu'il fait avec d'autres cultures mais aussi parce que son auteur prouve une connaissance aiguë en matière juridique, politique et médicale. Les nombreuses références marginales qui accompagnent le texte permettent au lecteur de se référer aux ouvrages sur lesquels s'est appuyé le franciscain. Jean Benedicti offre dans son oeuvre une explication argumentée des attentes de l'Église envers les femmes. La somme des pechez et le remede d'icevx..., son manuel de confession à destination des ecclésiastiques, dépasse ce simple cadre et offre une vision subjective qui tend à l'objectivité sur la condition des femmes au XVIe siècle.

Si Jean Benedicti est déjà un auteur éminent par son seul parcours, son oeuvre a été reconnue par ses contemporains comme étant un chef-d'oeuvre. En effet, sa Somme des pechez... a été rééditée de multiples fois et utilisée par la Sorbonne comme un manuel de référence. Offrant un plan très détaillé, Jean Benedicti énonce dans la plus grande rigueur l'ensemble des péchés pour lesquels pénitence doit être faite s'il n'est pas trop tard. Les nombreuses subdivisions de l'ouvrage ne laissent aucune place au doute : chaque fait et geste, chaque parole, chaque manière d'être est passé au crible des textes fondamentaux de l'Église catholique mais aussi de l'ensemble des livres que connaît le franciscain afin de déceler le péché partout où il pourrait être. Ce faisant, le religieux

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Introduction

dresse un tableau, peut-être plus accusateur que l'original, d'une société qu'il connaît à tous les niveaux et qu'il dissèque sans complaisance, ce qu'exige d'une certaine manière l'art du manuel de confession. Les franciscains se livrent depuis des siècles aux activités intellectuelles et pastorales dont fait partie la confession. C'est cette connaissance de la pratique de la confession qui a rendu ce manuel si populaire de la fin du XVIe siècle au premier tiers du XVIIe siècle. Son influence importante dans le temps et la reconnaissance de ses pairs nous ont semblé être des indicateurs de la justesse des propos tenus par Jean Benedicti.

La première édition de La somme des pechez et le remede d'icevx date de 1584. Ce n'est néanmoins pas sur cette édition que nous avons choisi de travailler. En effet, pour des raisons pratiques, il est apparu essentiel de pouvoir travailler sur le texte lui-même et donc de pouvoir l'imprimer. L'édition de 1595, sur laquelle nous avons choisi de nous arrêter, a été numérisée par Google et elle est, parmi les éditions numérisées, l'édition la plus proche du texte voulu par le franciscain. En effet, le manuel de confession a été retouché par Jean Benedicti dès sa première parution et ce jusqu'à sa mort. Après son décès, l'oeuvre a été reprise par les théologiens en Sorbonne, qui ont continué à faire évoluer le texte. L'édition de 1595 semble avoir été à la fois la version finale du texte voulu par le franciscain et celle la plus simple d'accès.

Afin d'avoir une idée de l'évolution du texte de La somme des pechez, nous avons étudié plusieurs éditions de ce texte. Pour cela, nous avons travaillé à la fois sur des éditions numérisées et sur un exemplaire de 1584 présent dans la collection jésuite des Fontaines conservée à la bibliothèque municipale de Lyon. Ce fonds contient de plus un exemplaire de l'édition de 1595 au nom de l'imprimeur Sébastien Nivelle, ce qui nous a permis de prendre connaissance des pages non numérisées par Google, certainement le fait d'une inattention humaine. Lorsque nous avons eu besoin de faire des vérifications sur les ouvrages mêmes, nous avons parfois été amenées à nous déplacer dans des bibliothèques possédant d'autres éditions ou à contacter d'autres bibliothèques afin d'obtenir les renseignements manquants.

La tâche qui a demandé le plus de démarches fut très certainement la poursuite d'indices concernant la biographie de Jean Benedicti. Nous avons pour cela contacté de nombreuses personnes, amateurs ou professionnels de la culture, afin d'obtenir des informations ou des pistes pouvant nous mener à découvrir des traces du franciscain

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dans des archives locales ou nationales. Nous avons pour cela aussi pris contact avec de nombreuses bibliothèques afin d'obtenir des renseignements.

Enfin, afin de prendre conscience de l'objectivité de Jean Benedicti dans ses déclarations sur les femmes, nous avons étudié d'autres ouvrages de la fin du XVIe siècle. Ces ouvrages ont été choisis du fait de leur notoriété ou parce que le franciscain affirme lui-même y avoir cherché des informations. Nous avons pu ainsi vérifier une grande partie de ses assertions et voir que son témoignage est un reflet assez fidèle de la pensée de son temps. La confrontation de certains ouvrages a aussi permis de mettre en évidence la pensée propre au franciscain sur certains sujets et les ambiguïtés d'un discours qui s'est parfois construit sur le principe de confrontation de théories.

Cette démarche nous permet de présenter un travail qui veut offrir un éclairage sur la condition des femmes au XVIe siècle en France aux yeux de l'Église et plus largement de ses fidèles. Pour ce faire, nous nous proposons d'étudier en détail le manuel de confession du franciscain Jean Benedicti, La somme des pechez et le remede d'icevx. Dans un premier temps, nous étudierons les cadres généraux permettant de penser l'histoire des femmes au XVIe siècle : nous verrons quelle était la place de la femme dans cette société, l'importance de la confession et du livre qui la permet avant de nous pencher plus précisément sur la vie de Jean Benedicti et sur son oeuvre. Dans un deuxième temps, nous aborderons chaque figure type auxquelles pense le franciscain lorsqu'il écrit son ouvrage. La jeune fille, la femme mariée, la mère mais aussi les divers visages de la femme en société et la figure particulière de la religieuse sont étudiés. Nous nous demanderons d'une part si le discours du franciscain est bien le reflet des pensées de son temps mais aussi quelles sont les particularités de sa propre sensibilité.

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Cadres généraux : penser l'histoire des femmes
au XVIe siècle.

LA PLACE DE LA FEMME DANS LA SOCIÉTÉ DU XVIE .

L'histoire des femmes au XVIe siècle est longtemps restée dans l'ombre, tout comme l'histoire des femmes, d'une manière plus générale. La gender history, en tant que sujet d'étude, n'est apparue aux États-Unis que dans les années soixante. Le développement des mouvements féministes a permis de revenir sur une histoire pensée essentiellement à travers un regard masculin. « Le souci de mettre fin à l'invisibilité et à la marginalité des femmes »1 voit le jour. Un long travail de recherches se met alors en place afin de donner ou de redonner aux femmes leur rôle dans l'histoire, de faire revivre leur statut d'actrices de l'histoire. Dans les premières années de ce mouvement, le désir de mettre en lumière la condition de la femme a conduit à produire une histoire misérabiliste s'appuyant essentiellement sur l'étude de la domination de l'homme sur la femme. L'étude des rapports hommes / femmes s'est ensuite élargie pour tenter de comprendre la place de la femme dans la société et dans l'histoire. La gender history s'est exportée des pays anglo-saxons vers la France dans les années 1970. Michelle Perrot et Fabienne Bock donnent, en 1973, un cours intitulé « Les femmes ont-elles une histoire ? ». Le courant de la gender history se diffuse en France et Michelle Perrot semble trouver une réponse à sa question dans la publication d'une Histoire des Femmes en Occident en 2002, en collaboration avec Georges Duby.

L'époque moderne est un temps où la supériorité masculine est reconnue et celle-ci est, comme le rappelle Joël Cornette, « solidement fondée, dans les pratiques et plus encore dans les représentations »2. Le discours dévalorisant sur la femme et la féminité est toujours plus important. Malgré le néoplatonisme et sa vision positive de la beauté, l'humanisme est porteur d'un anti-féminisme patent. La femme, depuis Ève, est le moyen par lequel Satan fait pécher l'homme. L'Église s'est appropriée cette idée de la femme comme un être dangereux pour l'homme et pour elle-même. C'est pourquoi elle tente de contrôler la femme au plus près. Néanmoins, il faut bien rappeler, comme le fait Marcel Bernos3 que la religion catholique n'est pas à la base de la misogynie. En effet, la misogynie ambiante, qui caractérise l'époque moderne, voit son apparition des siècles

1Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Belin, 2003 (coll. Sup histoire), p.3.

2Joël CORNETTE (dir.), 1453-1559 : Les renaissances, Paris, Belin, 2010 (coll. Histoire de France), p.570.

3Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église dans la France classique : XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Éditions du Cerf, 2003 (coll. Histoire religieuse de la France), p.11.

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avant le catholicisme. Marcel Bernos s'appuie sur quatre héritages qui expliquent, selon lui, l'apparent phallocentrisme de l'Église à l'époque moderne. Il montre tout d'abord que l'héritage biblique apporte une image de soumission de la femme, principalement à son mari. « La femme juive n'avait, pratiquement, de valeur que mariée, fertile et bonne gestionnaire du ménage, telle qu'elle apparaît dans le chapitre 31 des Proverbes »4. Aussi, le christianisme en lui-même n'introduit pas l'idée de domination de l'homme sur la femme mais il a pu au contraire être vécu comme une révolution en acceptant que les femmes ne se marient pas, les libérant par là même de leur fonction reproductrice. Néanmoins, comme le rappelle Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « [c]'est tout d'abord la question de l'origine de la femme qui a fait naître ce phénomène de dévalorisation »5. En effet, la Genèse explique que, si l'homme a été fait « à l'image de Dieu » (I, 27), la femme, elle, est façonnée dans la côte de l'homme (II, 22)6. Selon Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « [p]resque tous les auteurs font mention de cette origine, et en tirent d'éloquentes conclusions sur la supériorité masculine »7.

Mais Marcel Bernos voit trois autres héritages qui poussent les sociétés de l'époque moderne, et donc aussi les clercs et l'Église romaine, à dévaloriser la femme et la féminité. Selon lui, l'aristotélisme, le platonisme et le stoïcisme seraient des systèmes de pensée ancrés dans la culture de l'époque moderne et très peu favorables aux femmes. En effet, Marcel Bernos rappelle que l'aristotélisme considère la femme comme « un homme manqué, incomplet »8. Le platonisme introduit quant à lui une distinction entre la matière et l'esprit. Or la femme, « figur[ant] l'élément corporel, [...] devenait par là forcément inférieure »9. Enfin, le stoïcisme et son « pessimisme dans le domaine de la sexualité »10 était à son tour défavorable à la féminité. Il faut donc bien souligner que la place des femmes dans la religion catholique n'est pas celle d'une infériorité qui surgirait ex-nihilo. Cette apparente misogynie de l'Église catholique est une construction sociale qui prend racine bien des siècles avant même la naissance du catholicisme.

L'étude de la place des femmes dans la société de l'époque moderne doit prendre en compte la pauvreté des sources utilisables. Les discours portés sur les femmes sont toujours des discours orientés, qui visent quelque chose. Les proverbes doivent être étudiés avec précaution. Le théâtre est, selon Marcel Bernos, un « prisme déformant »11.

4Ibid., p.14.

5Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne..., op. cit. [note n°1], p.7. 6Bible de Jérusalem, Paris, Éditions du Cerf / École biblique de Jérusalem, 1961, p.10-11.

7Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne..., op. cit. [note n°1], p.8. 8Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.16.

9Ibid., p.16. 10Ibid., p.16. 11Ibid., p.18.

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Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

Finalement, ce même auteur souligne que « la femme en tant que telle est peu présente dans les écrits des clercs à l'époque moderne »12. Dans les manuels de confession de l'époque, la femme est peu évoquée dans la globalité du genre féminin. « Lorsqu'elle est mise en cause, par exemple à propos de ses excès de luxe ou sa sensualité, elle appartient à une catégorie très spécifique et limitée : la "mondaine", ce qui devrait nous interdire de généraliser les remarques faites à son propos à tout le "sexe" »13. Les livres publiés par des femmes et qui pourraient nous renseigner sur la place qu'elles trouvent dans la religion catholique sont trop rares pour pouvoir établir des généralités et surtout ces dernières publient peu sur des sujets religieux. Enfin, les livres écrits particulièrement sur des femmes, souvent des femmes exemplaires, par des clercs proposent une vision déformante et déformée de la réalité. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, prenant en exemple les biographies exemplaires de veuves chrétiennes, en conclut : « La plupart de ces récits à vocation édifiante se rapprochent plus du panégyrique ou du traité de vertus chrétiennes que de la biographie au sens propre du terme »14. Il faut de plus souligner avec Marcel Bernos que « [l]es clercs sont d'ailleurs loin d'être les membres les plus misogynes de la société d'Ancien Régime, leurs écrits sont souvent outrepassés, jusqu'au coeur du XIXe siècle, par ceux de la plupart des juristes, réduisant les femmes à l'état de mineures, de nombreux philosophes [...] ou de médecins [...] »15. L'étude de la vision qu'a la société de l'époque moderne des femmes doit donc aborder toute source avec une précaution accrue afin de ne pas faire de contresens sur la signification d'un écrit ou d'une image.

Le discours des clercs de l'époque moderne sur la femme est fréquemment, comme le rappelle Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, un discours de la peur. « Cette peur a des origines lointaines, l'attitude masculine à l'égard de la femme ayant toujours été contradictoire, oscillant entre attirance et répulsion, émerveillement et hostilité »16. Une partie des auteurs appartenant à l'Église catholique souligne l'identification de la femme à Satan. Cette identification « n'est donc pas nouvelle mais, formulée avec une malveillance particulière dès le début du XVIe siècle, elle est diffusée comme jamais auparavant grâce à l'imprimerie »17. De cette identification découle une justification de la subordination de la femme au mari, c'est pourquoi il est très important de comprendre les origines de l'assimilation de la femme au diable. Ève, la mère de l'humanité, est

12Ibid., p.18. 13Ibid., p. 19. 14Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne..., op. cit. [note n°1], p.19. 15Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.21.

16Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne..., op. cit. [note n°1], p.7. 17Ibid., p.7.

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tenue par beaucoup de clercs comme la responsable de la chute du genre humain. Dès le IIIe siècle, Tertullien, dans le De cultu feminarum, énonce sentencieusement : « C'est toi la porte du diable [...]. C'est toi qui la première as déserté la loi divine ; c'est toi qui as circonvenu celui auquel le diable n'a pu s'attaquer ; c'est toi qui es venue à bout si aisément de l'homme, l'image de Dieu »18. Ève porte ici l'unique responsabilité du péché originel, cause de la déchéance des hommes. Pour cette raison, l'auteur « la condamne à toujours porter le deuil, à être couverte de haillons et à s'abîmer dans la pénitence »19. De nombreux théologiens et prédicateurs reprennent ce topos : Ève, la femme, est la cause du mal. Le Marteau des Sorcières puise ses démonstrations dans de grands auteurs tels Platon, Aristote, Galien ou encore Cicéron. Tertullien, au livre II du De cultu feminarum, se plaint d'une manière virulente des femmes qui se fardent, c'est-à-dire qui ajoutent « le factice [qui] est l'affaire du Diable » à la « nature, oeuvre de Dieu »20. Il s'avère en effet que l'apparat est, dans la culture occidentale de l'époque moderne, un signe d'orgueil et donc de connivence avec le diable. La femme serait donc en contact, pour ainsi dire constant, avec les forces maléfiques. Marcel Bernos affirme qu'il y a « dans l'attitude de l'homme, y compris de l'homme d'Église, à l'égard des femmes, une ambivalence que la psychanalyse contemporaine permet d'élucider quelque peu »21. L'homme de l'époque moderne serait tiraillé entre deux visions de la femme, deux couples opposés. Ève serait l'image de la mère mauvaise tandis que Marie serait la représentation de la bonne mère. De la confrontation entre ces deux images de la femme naîtrait « [l]a peur spontanée, physique de la femme [qui] est dramatisée par un instinct incompris et donc par la crainte surnaturelle d'être perdu par elle, comme le furent Adam, David, Salomon, Samson et tant d'autres »22.

Nous pouvons nous arrêter quelques instants sur ces grandes figures de la Bible qui ont péché par la femme. Adam tout d'abord, le premier homme, qui aurait péché par un trop grand amour pour sa femme, Ève. Deux théories s'opposent, au sein de l'Église catholique, afin de déterminer qui d'Ève ou d'Adam a réellement commis le dommage irréparable qui entraîna la chute de l'homme hors du Paradis. Ainsi, Sprenger, dans son Malleus Maleficarum, soutient que « [s]i le Diable conduisit Ève au péché, c'est Ève qui séduisit Adam [...]. Le péché d'Ève ne nous aurait pas conduits à la mort de l'âme et du corps, s'il n'avait pas été suivi par la faute d'Adam à laquelle l'entraîna Ève et non le

18Cité dans Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.75.

19Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne..., op. cit. [note n°1], p.9.

20Cité dans Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.75.

21Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.73.

22Ibid., p.74.

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

diable »23. Néanmoins, un des plus grands théologiens de l'Église catholique, saint Thomas d'Aquin, affirme lui que « [l]e péché n'est pas entré dans le monde par la femme mais par l'homme »24. Sa démonstration est simple et s'appuie sur les croyances de son temps : si l'homme est supérieur à la femme, il était en sa responsabilité de détourner Ève du péché ou tout du moins, de ne pas se laisser aller à la tentation du péché pour lui-même. Adam est donc au moins tout autant responsable de la chute de l'humanité que sa compagne Ève. Cette idée est reprise en 1566 dans le catéchisme du concile de Trente qui parle du « péché du premier homme »25, c'est-à-dire d'Adam.

Les autres grandes figures qui ont été tentées par la Bible ne sont pas moins importantes qu'Adam. En effet, David, deuxième roi d'Israël, est un grand personnage de l'Ancien Testament. Il est protégé de Dieu mais ne réussit pas à éviter la tentation du péché, représentée dans la femme d'un de ses soldats, Bethsabée. David, voyant cette très belle femme depuis sa terrasse, envoie des hommes la chercher et couche avec elle. Mais Bethsabée se trouve enceinte suite à ce viol. David, afin de cacher cet acte, fait chercher Urie le Hittite, le mari de Bethsabée, qui est parti en guerre. Son dessein est qu'il couche avec sa femme afin de faire croire à sa paternité de l'enfant à naître. Mais, Urie ne descend pas dans sa maison. « Il dormit dehors ce soir-là pour partager de loin la misère de ses camarades de combat »26. David, de dépit, envoie ce soldat seul au front, afin qu'il meure. Mais Dieu connaît le péché de David et punit le couple adultère en faisant mourir l'enfant du péché. Néanmoins la grâce divine revient sur le couple puisque Bethsabée « mit au monde un fils auquel elle donna le nom de Salomon »27.

Salomon, ce roi de sagesse loué par la Bible, sème la discorde dans son royaume en acceptant la polygamie et en se mariant avec des femmes qui introduisent des cultes païens dans son État. Il semble donc que la femme ait réussi à faire pécher l'homme dont la sagesse est reconnue par Dieu même. Nul homme ne semble à l'abri des tentations des femmes. Celles-ci influencent le coeur de ceux qui les aiment en les détournant du chemin de la gloire de Dieu.

Enfin, Samson, une force de la nature, un homme qui ne se laisse tromper par aucun ennemi, est trompé par Dalila, une femme qui l'avait séduit. En effet, il révèle à cette dernière, qui travaille contre lui, le secret de sa force. Samson est pourtant présenté comme un homme rusé puisqu'il déjoue par trois fois les pièges que Dalila lui tend.

23Cité dans ibid., p.77.

24Cité dans ibid., p.78.

25Cité dans ibid., p.77.

26Jacqueline KELEN, Les femmes de la Bible : les vierges, les épouses, les rebelles, les séductrices, les prophétesses, les

prostituées..., Paris, Éditions du Relié, 2007 (coll. Sagesses), p.40.

27Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], 2 Samuel 12, 24.

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Néanmoins, à la quatrième fois, la ruse de la femme l'emporte. Dalila lui dit : « Comment peux-tu dire que tu m'aimes, alors que ton coeur n'est pas avec moi ? Voilà trois fois que tu te joues de moi et tu ne m'as pas fait connaître d'où vient que ta force est si grande »28. La trahison de cette femme ne s'arrête pas à l'extorsion de son secret puisqu'elle va jusqu'à couper les cheveux de son amant, le privant ainsi de toute force. Nous voyons donc que la Bible, et particulièrement l'Ancien Testament, est plein d'histoires mettant en scène des femmes perverses ou provoquant le péché des hommes, même les meilleurs. Il peut donc sembler légitime que « très tôt, des moralistes chrétiens se soient méfiés de la femme considérée comme une menace pour l'homme, et donc pour eux-mêmes »29.

L'homme « est tout ensemble attiré par la femme, vers laquelle le pousse son instinct ; et il éprouve une répulsion que peuvent motiver des principes inculqués, des traumatismes de son histoire personnelle inconsciente, ou encore la force même de l'attirance ressentie, dont il constate qu'elle est capable de lui faire "perdre la raison" »30. Afin de se protéger de la femme, les hommes d'Église vont formaliser des règles qui doivent régir la vie de toute chrétienne. Ils vont tenter de structurer la vie des femmes et de leur imposer un cadre dans lequel elles pourront se mouvoir. Les clercs, dans cette tentative d'ordonner la vie du sexe féminin, s'appuient sur des cadres préexistants dans la société civile dans laquelle ils vivent, pensent et écrivent. Ils ne sont pas les seuls instigateurs de la subordination des femmes. Néanmoins, nombreux sont ceux qui théorisent que les chrétiennes doivent « être, dans tous les domaines, passives, discrètes et obéissantes »31. La modestie est l'attitude « réputée la plus convenable et conforme à leur nature »32. La modestie est définie dans le Furetière, grand dictionnaire du XVIIe siècle comme un « substantif féminin. Pudeur, retenue. La modestie sied bien sur le visage d'une jeune fille »33. Aussi, la modestie est assimilée à la femme sans détour.

Une autre attitude demandée à la femme est celle de la subordination à l'homme et notamment à son mari. Ainsi, saint Paul a-t-il pu commander : « Que les femmes soient soumises à leur mari comme au Seigneur : en effet, le mari est chef de sa femme, comme le Christ est chef de l'Église, lui le sauveur du Corps ; or l'Église se soumet au Christ ; les femmes doivent donc, et de la même manière, se soumettre en tout à leurs

28Ibid., Livre des Juges 16.

29Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.74.

30Ibid., p.74.

31Ibid., p.26.

32Ibid., p.26.

33Antoine FURETIERE, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les

termes de toutes les sciences et les arts,Tome II, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, p.646 [disponible sur le

site < http://books.google.fr/books?id=4iAlACqi88cC&printsec=frontcover#v=onepage&q&f=false>] (consulté le 12 novembre

2012 pour l'article « Modestie »).

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maris »34. Nous pouvons nuancer de suite ce propos repris comme tel par de nombreux théologiens de l'époque voire jusqu'aujourd'hui, afin de présenter l'Église catholique comme vecteur de la misogynie. En effet, saint Paul semble revendiquer pour les femmes une contrepartie à cette soumission. Il poursuit de fait son discours par ces mots : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Église : il s'est livré pour elle [...]. De la même façon les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps »35. Mais les théologiens ont manifestement plus souvent repris la première allégorie conjugale que son pendant. Cette affirmation de saint Paul « est devenue le fondement du dogme de la subordination de la première au second »36 comme le souligne Scarlett Beauvalet-Boutouyrie. Cette subordination est justifiée de plus par la faiblesse de la femme qui, si elle devait se diriger seule, tomberait dans le péché tout comme Ève. Cette faiblesse des femmes serait due aux défauts qui leur sont traditionnellement attribués : elles seraient « instables », « bavardes », « vaines », « impulsives, voire agressives » et « finalement, plus grave peut-être, dans la mesure où l'attitude qu'on attend d'elles reste la soumission, un esprit "libertaire" [...], c'est-à-dire revendiquant leur autonomie, voire leur indépendance par rapport à l'autorité masculine » 37. Ces défauts attribués au sexe féminin viennent d'une lecture de la Bible orientée mais aussi des représentations des femmes dans la société de l'époque moderne. Néanmoins, Marcel Bernos rappelle que certains clercs « tiennent un discours plus favorable sur les femmes, leur reconnaissant piété, douceur, patience »38. De plus, les femmes auraient selon lui « intériorisé les préjugés masculins sur leurs qualités et leurs défauts, sur leur "nature", sur les rôles qu'elles étaient capables de jouer, les fonctions qu'elles pouvaient exercer »39.

Il faut donc, afin de contrôler cette « nature » féminine, que les jeunes filles trouvent un mari, qui pourra les diriger dans leur vie. Le mariage est un acte social qui engage toute la vie de l'homme. Il a, dès l'Ancien Testament, deux visages. Dans les Proverbes, nous pouvons voir une vision élogieuse du mariage : « Trouver une femme, c'est trouver le bonheur, c'est obtenir une faveur de Yahvé »40 dit le texte. Mais quelques pages plus loin, nous trouvons ces avertissements : « Mieux vaut habiter en un pays désert qu'avec une femme acariâtre et chagrine »41. Le mariage est donc un passage

34Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Épître aux Éphésiens. 5, 22-24.

35Ibid., Épître aux Éphésiens. 5, 25-28.

36Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne..., op. cit. [note n°1], p.8.

37Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.51.

38Ibid., p.52.

39Ibid., p.54.

40Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Proverbes, 18, 22.

41Ibid., Proverbes, 21, 19.

obligé pour qui veut atteindre le bonheur mais il comporte des risques importants pour celui qui choisirait mal sa partenaire. Sa vision évolue au XVIe siècle, sous la poussée de plusieurs courants. Sara Matthews Grieco affirme que « [l]a réhabilitation de la vie maritale par les humanistes et les réformateurs eut comme conséquence un élargissement des buts qu'on lui attribuait. La procréation d'enfants et le soulagement de la concupiscence - pendant longtemps les fins premières reconnues au mariage - firent place à une promotion de l'amitié au sein du couple et à une conception de l'épouse comme une consolatrice »42. L'Église catholique pose les jalons que doivent suivre les couples désirant se marier. Déterminant les interdits et le rituel du mariage, elle cherche à contrôler nettement ce sacrement car « [m]ariage signifie aussi famille, cellule de base de la société »43.

Les interdits concernent les degrés de parenté auxquels les futurs époux doivent se conformer. André Burguière précise : « À côté des interdits produits par la consanguinité et par l'affinité (la parenté avec les consanguins du conjoint) auxquels [la doctrine chrétienne] donne beaucoup plus d'extension que le droit romain ancien, elle a inventé d'autres catégories de parenté interdisant le mariage : comme la parenté d'honnêteté contractée par une relation illégitime ou l'affinité spirituelle »44. Le même auteur explique que « [l]'affinité spirituelle constitue un apport original de la vision chrétienne à l'idéologie de la parenté. [...] Le rituel du baptême [...] crée entre le prêtre qui baptise, le parrain et leurs proches parents une parenté d'un type nouveau qui concurrence la parenté charnelle »45.

Au XVIe siècle, un événement de taille vient affiner les positions de l'Église catholique sur le mariage. En effet, la réforme protestante impulse une réforme de l'Église catholique qui cherche alors à réaffirmer, et parfois à redessiner, ses fondements afin de mieux se distinguer de ceux qui sont considérés comme des hérétiques. Ce besoin de réforme donne naissance au concile de Trente qui se déroule de 1545 à 1563 et qui constitue une pierre angulaire de la doctrine chrétienne. Le concile de Trente confirme la proscription des mariages entre des parents sous le quatrième degré de parenté inclus, ce qui avait déjà été décidé en 1215, lors du concile de Latran IV. Lucien Bély souligne que « les questions de la publicité du mariage et du consentement

42Sara F. MATTHEWS GRIECO, Ange ou Diablesse : la représentation de la femme au XVIe siècle, Paris, Flammarion, 1991 (coll. Histoires), p.212.

43Ibid., p.218.

44André BURGUIERE, Le Mariage et l'Amour : en France, de la Renaissance à la Révolution, Paris, Seuil, 2011 (coll. L'univers historique), p.221.

45Ibid., p.221-222.

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Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

des parents ne furent abordées qu'en 1563 au cours de la XIVe session »46, signe que ces questions soulèvent de nombreux débats. Il existe notamment un point d'achoppement sur ces questions entre le roi de France Henri II et la papauté. En effet, le roi de France souhaite la nullité des mariages clandestins, ce que le concile ne reconnaîtra pas. Cependant, « [a]près de longs débats, conduits sous la pression des prélats français et des ambassadeurs du Roi très chrétien, les Pères adoptèrent le fameux décret Tametsi qui, rompant avec la doctrine classique, faisait du mariage un acte solennel. Le décret rappelait les exigences déjà formulées par le concile de Latran : la publication des bans destinés à annoncer le mariage et à révéler d'éventuels empêchements pendant trois dimanches consécutifs, puis la célébration publique devant le "propre curé" (celui de la paroisse des époux) et en présence de deux témoins. Mais cette fois le défaut de ces formes constituait un empêchement dirimant qui permettait l'annulation du mariage. En outre, le décret prescrivait à chaque curé de tenir un registre dans lequel il enregistrerait le nom des conjoints pour servir de preuve »47. Le curé se trouve donc au coeur de cette union qu'est le mariage et cela malgré le fait que l'autorité royale tente d' « empiét[er] sur le terrain des règles canoniques »48. Les conditions pour accéder au sacrement du mariage sont précisées et durcies. De plus, « le concile de Trente qui entend appliquer avec plus de rigueur les dispositions canoniques sans modifier pour autant la doctrine des empêchements, a cherché à réduire la pratique des dispenses et même à la supprimer complètement pour les parentés proches »49. André Burguière souligne qu'« [à] partir du XVIe siècle, la mise en place d'un nouvel encadrement religieux de la vie familiale permet à ce qui n'était alors qu'un corps de doctrine de se transformer en un dispositif d'interdictions assez strictement respectées. Les réformes religieuses du XVIe siècle placent la vie sexuelle et familiale de l'ensemble de la population sous le contrôle du clergé et de l'autorité civile »50. En effet, même si les dispositions du concile de Trente n'ont pas été reçues officiellement en France, elles sont rapidement appliquées dans les diverses paroisses françaises. Un clergé renouvelé et à nouveau conscient de sa mission prend à coeur de restaurer son autorité, notamment dans le domaine du mariage.

Cette mise au point formelle n'empêche pas de nombreux débats autour du mariage, et notamment autour de l'amour conjugal. Paul a comparé l'amour conjugal à l'amour qui liait le Christ à l'Église. En effet, il dit : « Maris, aimez vos femmes comme

46Lucien BELY (dir.), Dictionnaire de l'Ancien Régime : royaume de France XVIe-XVIIIe siècle, Paris, PUF, 2010 (rééd.) (coll.

Quadrige), article « Mariage ».

47Ibid., article « Mariage ».

48Ibid., article « Mariage ».

49André BURGUIERE, op. cit. [note n°44], p.225.

50Ibid., p.226-227.

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le Christ a aimé l'Église [...] »51. Marcel Bernos pense que « [c]ette comparaison a pesé lourdement sur le mariage chrétien. Positivement, elle a donné au mariage une dignité quasi sacrée qui fait que même les clercs les plus méfiants à l'égard de la sexualité ne peuvent condamner le lieu de son exercice devenu sacrement. [...] Négativement, cette relation a été placée à un tel niveau d'exigence que la situation des gens mariés est apparue difficile à assumer intégralement et qu'elle a été ressentie comme un enfermement par l'opinion générale, surtout profane. »52. L'amour conjugal pose aussi problème aux gens d'Église pour qui il existe une rivalité entre l'amour éprouvé pour son conjoint et l'amour de Dieu, qui prime à leur yeux. Cette vision s'exprime jusque dans les dictionnaires de l'époque puisque le Furetière affirme que « L'amour divin est le seul qui doit nous enflammer »53. L'amour conjugal est vu comme un danger car il peut faire glisser le couple dans le péché. De plus, Marcel Bernos remarque que « lorsqu'ils parlent de l'amour conjugal, les clercs, presque inconsciemment, centrent leur réflexion, on pourrait dire - au double sens du terme - leur appréhension, sur la sexualité »54. Le deuxième temps de la définition du mot « amour » dans le dictionnaire d'Antoine Furetière est lui aussi centré sur cet aspect, il y est dit en effet : « AMOUR, se dit principalement de cette violente passion que la nature inspire aux jeunes gens de divers sexes pour se joindre, afin de perpétuer l'espèce »55. Or l'amour-passion doit à tout prix être évité puisqu'il est déjà en lui-même une marque du péché.

La sexualité dans le couple est une question qui dérange les clercs de l'époque, « qu'une obsédante pédagogie de la continence [...] a rendus plus méfiants à l'égard du "sexe" (féminin), principalement chez ceux qui gardaient la plus haute idée de la chasteté et voulaient y conformer strictement leur vie »56. Néanmoins, cette question n'est pas un thème central dans les manuels de confession. Elle est abordée principalement aux chapitres concernant les sixième et neuvième commandements : « Luxurieux point ne seras » et « OEuvre de chair ne désireras qu'en mariage seulement ». Marcel Bernos précise : « Dans l'Enchiridion, de Navarre, l'un des plus grands casuistes du XVIe siècle, les passages touchant de près ou - le plus souvent - de loin au "sexe" représentent moins de 4% des 830 pages de l'ouvrage »57. Malgré cette

51Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Épître aux Éphésiens. 5, 25.

52Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.120.

53Antoine FURETIERE, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les

termes de toutes les sciences et les arts, Tome I, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690. [disponible sur le site

< http://books.google.fr/books?id=4FU_AAAAcAAJ&printsec=frontcover#v=onepage&q&f=false>] (consulté le 14 novembre

2012 pour l'article « Amour »).

54Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.122.

55Antoine FURETIERE, Dictionnaire universel..., Tome I, op. cit. [note n°53], article « Amour ».

56Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.74.

57Ibid., p.135.

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« peur » des clercs face à la sexualité conjugale, « [l]'instinct sexuel [...] est reconnu par les théologiens »58. La sexualité est acceptée de plus en tant que passage obligé de la procréation. Cela entraîne, de la part des clercs, de nombreuses recommandations afin que la finalité procréatrice de l'acte sexuel soit observée. Néanmoins, ces recommandations suivent toujours le principe de discrétion qui s'impose à l'époque dans le confessionnal. Il ne faut pas risquer en effet d'en apprendre plus que de raison à un être « innocent ».

La femme mariée, c'est enfin, la femme au foyer, la mère, qui perd le caractère inquiétant de la femme seule, sans guide pour ainsi dire. Selon Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « [l]e modèle féminin qui [...] est présenté - une épouse associée aux intérêts de son mari, alliant douceur et activité, dévouement et chasteté, et qui, épouse et mère, trouve ses satisfactions et son épanouissement dans le cadre familial - connaît une diffusion croissante dès la première moitié du XVIe siècle »59. De plus, la diffusion large des idées du concile de Trente permet de propager l'idée d'une union spirituelle des époux. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie peut donc dire que « [l]es clercs faisant du couple Christ-Église le modèle que tout couple humain doit suivre, les époux sont appelés à être chastes, charitables, fidèles, patients, indulgents »60. Les guides ou les manuels de vie diffusent ces idéaux d'un mari qui est « invité à renoncer à jouer les injustes tyrans » et de femmes qui « pourront tirer de leur soumission un moyen de sanctification, même lorsque cette voie apparaît difficile »61. Ces thèmes sont repris dans l'iconographie de l'époque. Sara F. Matthews Grieco remarque qu'au cours du XVIe siècle, « l'iconographie des mois connaît une transformation significative à ce propos car elle devient domestique. [...] Les représentations du "Mois de janvier", par exemple, occultent la vie à l'extérieur pour évoquer la chaleur du foyer et l'intimité conjugale »62.

Une autre figure de la femme que l'Église cherche à normer pour la contrôler est celle de la veuve. En effet, le statut de la veuve n'est pas bien délimité. Elle n'est plus sous le contrôle d'aucune tutelle. Or « [l]a totale liberté d'une femme semblait suspecte aux mentalités du temps, et la porte de la licence »63. Selon Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « [o]n la devine alors capable de transgresser l'ordre établi et de remettre en cause la norme. De plus, en tant que femme, la veuve est d'autant plus redoutée qu'elle a connu la chair »64. Si ce même auteur affirme que la veuve a « la réputation d'une femme

58Ibid., p.136.

59Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne..., op. cit. [note n°1], p.14.

60Ibid., p.13.

61Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.146.

62Sara F. MATTHEWS GRIECO, op. cit. [note n°42], p.216-217.

63Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.175.

64Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne..., op. cit. [note n°1], p.17.

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sensuelle dont il faut canaliser les instincts »65, Marcel Bernos, lui, souligne que les veuves sont surreprésentées dans les déclarations de grossesses illégitimes. Il en conclut que « cela explique peut-être pourquoi les confesseurs se montrent soupçonneux sur leur vie sexuelle »66. L'Église catholique se soucie donc particulièrement de contrôler la vie sexuelle des veuves. Elle leur offre pour cela de nombreux modèles de veuves qui ont fait de leur état « un progrès sur le chemin de la perfection chrétienne, la mort du mari [...] permettant de s'élever de la terre vers le ciel »67. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie souligne de plus qu'une identification a lieu entre la figure de la Vierge Marie et la veuve. « Libérée des devoirs conjugaux, elle renoue avec la pureté des vierges »68. Marcel Bernos analyse que « [l]es veuves continentes ont un mérite plus grand que les vierges en ce qu'elles se privent volontairement d'un plaisir qu'elles ont pu connaître et goûter »69. Cela amène les clercs à célébrer « les "vraies veuves", c'est-à-dire celles qui, après la dissolution de leur mariage, se détachent du monde et renoncent à tout autre engagement pour se consacrer à leur famille, à l'éducation de leurs enfants et à leur avancement spirituel »70. Mais les contemporains voient bien que ce modèle ne peut s'appliquer à toutes les femmes veuves du fait de la difficulté à survivre et à subvenir aux besoins de leurs enfants seules. Lucien Bély souligne : « Ne vivent guère isolément d'une manière habituelle que les veuves ; elles sont souvent pauvres, voire dans la misère »71. La nécessité du remariage est donc présente dans la société de l'époque moderne. L'Église catholique a une position pragmatique à ce sujet, et si « elle ne recommande pas le remariage, elle ne le condamne pas non plus, s'adaptant aux circonstances »72. La veuve doit donc pleurer son époux un temps puis envisager le remariage.

Si l'Église cherche à contrôler la sexualité et la liberté de la veuve, elle a aussi un rôle protecteur non négligeable et fortement présent dans les écrits dès les origines du catholicisme. En effet, il existe dans l'Ancien Testament de nombreuses figures de veuves : Judith, Tamar, Bethsabée ou encore Ruth. Selon Jacqueline Kelen, « [e]lles apparaissent comme des terres désertées, souvent stériles ; elles se tiennent dans le silence mais non dans le désespoir, et souvent ce sont elles qui témoignent de la foi, qui apportent la consolation »73. L'auteur choisit dans ses exemples (la veuve de Sarepta et

65Ibid., p.17.

66Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.175.

67Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne..., op. cit. [note n°1], p.17.

68Ibid., p.17.

69Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.181.

70Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne..., op. cit. [note n°1], p.17.

71Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Familles ».

72Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne..., op. cit. [note n°1], p.21.

73Jacqueline KELEN, op. cit. [note n°26], p.85.

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le prophète Élie, Ruth et Booz, Sarra et ses sept maris) de mettre en exergue la piété des veuves dans la Bible et l'aide qui leur est accordée par un prophète ou directement par Dieu. L'Église a de la compassion pour cette veuve qui se trouve « sans l'appui masculin du père ou du mari, [...] désarmée, vulnérable, en péril aussi bien sur le plan matériel que moral »74. Dans l'épître de Jacques, nous pouvons voir cette compassion : « La dévotion pure et sans tache devant Dieu notre Père consiste en ceci : visiter les orphelins et les veuves dans leurs épreuves, se garder de toute souillure du monde »75. La solitude de la veuve et la lourde charge qui lui incombe sont reconnues par les clercs qui ont donc fait en sorte de la protéger. Depuis le concile de Mâcon en 585, l'évêque a même comme mission officielle de défendre les veuves. En effet, l'article 12 du concile note : « Défense aux juges laïques, sous peine d'excommunication de juger les causes des veuves et des orphelins, sinon en présence de l'évêque ou de son archidiacre, ou de quelque prêtre de son clergé »76. Cette compassion amène parfois l'official à recevoir « avec bienveillance leurs demandes de dispense pour consanguinité en vue d'un remariage, surtout lorsque la veuve [...] a des enfants d'un premier lit et peut difficilement les élever seule »77. Néanmoins, « [l]e meilleur destin qui s'impose à ces femmes, aux yeux des clercs, c'est depuis longtemps l'entrée au couvent »78.

Les femmes qui entrent en religion représentent une minorité de femmes par rapport au reste de la population féminine. Néanmoins, leur rôle n'est pas à négliger car elles ont parfois une action dans la société supérieure à celle de leurs congénères. Un point est souligné par de nombreux auteurs : les femmes qui ont choisi de s'engager en religion, qui ont donc fermé la porte du mariage, ne peuvent pourtant pas vivre sans contact avec les hommes. L'intervention masculine est souvent celle d'un religieux du même ordre que celui choisi par ou désigné à la femme qui prend l'habit de religieuse. Les auteurs de l'Histoire des femmes en Occident soulignent que « [l]eur intervention avait un caractère disciplinaire et organisateur, mais [qu']elle concernait avant tout le fonctionnement du ministère sacerdotal, donc la célébration de la messe et l'administration des sacrements, et la direction spirituelle de la collectivité aussi bien que celle de l'individu »79. Les femmes « n'appartiennent pas à proprement parler au clergé, mais mises à part du monde comme lui, elles ne peuvent être considérées comme

74Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.173.

75Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Épître de Jacques I, 27.

76Cité dans Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.174.

77Ibid., p.176.

78Ibid., p.177.

79Natalie ZEMON DAVIS, Arlette FARGE (dir.), Georges DUBY (dir.), Michelle PERROT (dir.), Histoire des femmes en

Occident : tome III : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Perrin, 2002 (coll. Tempus), p.194.

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des femmes ordinaires par les gens d'Église »80. Marcel Bernos distingue trois types de relations entretenues par le clergé avec les religieuses. Nous allons mettre en lumière chacune d'entre elles.

L'auteur de Femmes et gens d'Église dans la France classique. XVIIe-XVIIIe siècle signale en premier lieu la relation de collaboration « pour une grande oeuvre comme une fondation ou une réforme d'ordre ou de congrégation »81. La nomination des abbesses a été soumise à l'autorité royale à l'époque moderne. Le concile de Trente se permet cependant de redéfinir les conditions que doit remplir la postulante. Celle-ci doit « être âgée de quarante ans au moins et avoir huit ans de profession. Le concile insista aussi sur l'obligation d'un strict examen des vocations, afin de garantir leur liberté, la nécessité de la clôture et le rétablissement de la discipline »82. Lucien Bély souligne néanmoins que « cette prescription du concile de Trente ne fut guère appliquée »83. Les abbesses semblent se trouver dans une position d'égalité avec leurs équivalents masculins. En effet, tout comme eux, « [e]lles portaient la croix pectorale, l'anneau et la crosse »84. Pour la fondation d'un ordre de séculières, « l'intervention d'un prêtre, séculier ou religieux, devient vite nécessaire. Cet homme est impérativement utile, ne serait-ce que pour rédiger les constitutions ou les présenter aux autorités supérieures [...] »85. Lucien Bély met en valeur le fait que les « premières fondatrices sont souvent des veuves appartenant à la robe ou à la finance parisienne ou provinciale [...] »86. Néanmoins, « la plupart des évêques tiennent expressément à garder les religieuses en leur obédience » ce qui mène à des conflits dès lors que ce dernier « tente d'introduire ou de soutenir une réforme dans un monastère »87.

Le deuxième type de relation que distingue Marcel Bernos est celle « d'autorité, parce qu'ils [les clercs] sont leurs "chefs" »88. Cet auteur dresse un portrait de la vision que semblaient avoir ces derniers à l'époque : « Enfermées, elles courent moins de risques que leurs soeurs demeurées dans le monde. Mais elles n'ont probablement pas perdu totalement leur caractère congénitalement instable, ni l'inaptitude propre à leur sexe, si ce n'est d'acquérir des connaissances, du moins d'en supporter moralement le poids sans sombrer dans la vanité »89. L'application des décrets du concile de Trente

80Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.205. 81Ibid., p.205.

82Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Abbayes ».

83Ibid., article « Abbés, abbesses ».

84Ibid., article « Abbés, abbesses ».

85Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.205. 86Lucien BELY (dir.), op.cit. [note n°46], article « Séculières ».

87Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.212. 88Ibid., p.205.

89Ibid., p.240.

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change profondément le rapport des clercs et des religieuses, notamment celles vivant dans les monastères. En effet, ces derniers « fonctionnèrent de plus en plus au profit de la politique ecclésiastique centrale, aux dépens de la communauté de leur ville et de la politique familiale. [...] Les monastères devinrent de véritables "instituts de perfection" »90. La contrainte exercée par l'Église romaine et relayée par le clergé français se fait de plus en plus forte. Les monastères avaient une fonction régulatrice en absorbant en quelque sorte le surplus de femmes qui ne trouvaient pas à se marier dans le monde et qui étaient donc dirigées par leur famille vers le mariage spirituel. Or « [d]ès l'ère moderne, marquée du début jusqu'à la fin par une violence guerrière non seulement locale mais européenne, la demande de femmes sur le marché matrimonial se ralentit, parallèlement au pouvoir d'achat des hommes »91. De nombreuses femmes sont donc entrées dans les ordres, sans vocation réelle. Elles se sont installées dans les couvents en y amenant leurs habitudes et parfois de la compagnie. Elles ne suivent pas les mêmes règles que l'ensemble des moniales. De plus, il existait « un contact vivant entre religieuses et population citadine »92 du fait de l'ingérence financière des pères des femmes placées dans les couvents et parfois de la manière dont les religieuses subvenaient à leurs besoins : la quête. Le concile de Trente va tenter de réguler ces contacts avec le monde en imposant la clôture. Lucien Bély affirme que « [d]es tentatives pour échapper à cette contrainte tournent court »93. Le concile de Trente impose de plus que les religieuses dorment « seules ou à plusieurs, mais jamais plus à deux. Par là même disparut la possibilité de cultiver des liens intimes et affectifs, et ce fut assurément une perte considérable »94 notent Natalie Zemon Davis et Arlette Farge. Ces auteurs montrent de plus que « [m]urs élevés, lourdes portes, serrures et barreaux nombreux, prescrits dans leurs moindres détails, ne laissaient planer aucun doute sur les adieux définitifs faits au monde par les épouses du Christ »95. Le troisième type de relation entre les clercs et les religieuses, à savoir « d'écoute, lorsqu'ils sont amenés à les entendre en confession »96 sera abordé plus loin.

Dans ce mouvement de reprise en main des mouvements religieux féminins, le mysticisme fait figure de sacrifié. En effet, ce mouvement, qui a rencontré un grand écho chez les femmes, a été assez brutalement évincé de la scène religieuse. Ce courant tire ses racines d'une femme, Catherine de Gênes, morte en 1510. Sa diffusion en Europe

90Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.192.

91Ibid., p.191.

92Ibid., p.192.

93Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Séculières ».

94Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op. cit. [note n°79], p.194.

95Ibid., p.193.

96Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.205.

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se fait dans un temps de tolérance et de retour à un contact plus étroit avec Dieu. Les femmes ont tout particulièrement investi ce courant qui faisait surgir une union physique avec Dieu. « Les mystiques, hommes ou femmes, se distinguent par le désir irrésistible d'un contact le plus intense possible avec le divin plutôt qu'avec la société qui les entoure »97 expliquent Natalie Zemon Davis et Arlette Farge. Elles affirment que « [d]ans nul autre secteur de la culture spirituelle occidentale les femmes n'ont joué un rôle aussi incontestable que dans celui du mysticisme, dans nulle autre branche de la science que dans celle de la "science divine" »98. La « relation d'amour directe avec un Dieu personnel »99 et la « grande importance [accordée] à l'imagination et à la faculté de perception des sens » vont « à l'encontre du processus de "civilisation" en cours dans la culture bourgeoise [...] »100. Les mystiques gênent par leurs démonstrations de piété trop ardentes et elles sont renvoyées à des activités moins spectaculaires.

Le dernier secteur de la vie féminine qui subit l'influence de l'Église catholique est l'éducation des filles et des jeunes femmes. La XXIVe session du concile de Trente, du 11 novembre 1563, établit « la base de l'instruction religieuse de la jeunesse »101 à savoir, le catéchisme, « véritable tronc commun pour les enfants, riches ou pauvres, garçons et filles »102. Natalie Zemon Davis et Arlette Farge considèrent que « [l]es vérités de la religion et les rudiments de l'alphabétisation qu'elle colporte ne sont pas présentés sous des jours radicalement différents aux filles et à leurs frères »103. Les manuels peuvent être considérés comme "unisexe". Néanmoins, « le catéchisme effectivement enseigné aux filles se développe à part de celui des garçons »104. Les auteurs soulignent tout d'abord une séparation physique, la non mixité étant respectée dans la mesure du possible, même si elle est restée illusoire dans les campagnes. Marcel Bernos montre de plus que la formation intellectuelle des femmes « est distincte de celle des garçons par le contenu, les méthodes et les lieux où elle est dispensée »105. Le contenu s'appuie sur les objectifs prévus de la formation, à savoir, préparer la jeune fille à son futur rôle d'épouse et de mère. Ainsi, « [e]n dehors de savoir lire, écrire et compter pour pouvoir lire des livres de piété et tenir la gestion de la famille, il suffisait de les entraîner à la modestie, d'exercer leur docilité et de leur apprendre la couture et quelques autres activités "seyant à leur sexe", afin qu'elles deviennent des épouses soumises

97Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op. cit. [note n°79], p.200.

98Ibid., p.199.

99Ibid., p.200.

100Ibid, p.201.

101Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.108.

102Ibid., p.108.

103Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op. cit. [note n°79], p.151.

104Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.108.

105Ibid., p.101.

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capables de tenir le ménage, des mères dévouées ou des nonnes obéissantes »106. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie insiste sur le fait que « la confrontation des deux confessions a activé la prise de conscience. Le concile de Trente rappelle aux évêques et aux curés la nécessité d'ouvrir des écoles, mais là aussi l'enseignement des matières profanes n'est pas l'objectif fondamental. Il n'est que le moyen d'amener les enfants à la connaissance de la doctrine chrétienne et à la piété. En ce sens, un effort important a été fait pour l'éducation des filles, celles-ci, une fois mères, ayant à leur tour la charge d'éduquer leurs enfants »107. Nous voyons bien ici que l'éducation des filles est un enjeu du fait de leur futur rôle de mère, qui les amènera à inculquer à leurs enfants les premiers rudiments de la foi. Or, si elles-mêmes ne les connaissaient pas, elles auraient pu « mettre en péril leur âme, et celle des personnes dépendant d'elles, par indifférentisme, en cédant aux superstitions ou, au contraire, en adhérant aux "idées nouvelles" plus ou moins hérétiques, ou encore en péchant par méconnaissance de ce qu'est le péché »108.

Un des lieux spécifiques de la formation intellectuelle des femmes est le couvent. Natalie Zemon Davis et Arlette Farge soulignent premièrement que « [l]es tarifs en vigueur permettent seulement aux filles d'une infime frange de nantis, aristocrates ou grand bourgeois, d'entrer au couvent »109. Ainsi, ce lieu n'est pas représentatif de l'éducation des filles dans l'ensemble de la société du XVIe siècle. Néanmoins, il joue comme un modèle et comme un précurseur de l'éducation des filles. Marcel Bernos affirme que le « couvent constitue finalement une expérience, qui ne représente souvent pour l'enfant qu'un moindre mal »110. Les filles y entrent plus ou moins tôt selon les stratégies mises en place par leurs parents. Si ces derniers les destinent à la vie monastique, elles peuvent y entrer très jeunes. Pour d'autres, des séjours plus ou moins courts sont censés leur enseigner les rudiments de la foi chrétienne et la morale catholique. Ce n'est qu'à la fin du XVIe siècle que se développent de véritables stratégies éducatives dans les couvents. Marcel Bernos peut alors dire que les « religieuses s'occupant d'elles ont, pour beaucoup, choisi l'enseignement par vocation et gardent un réel souci sinon du bien-être matériel de leurs élèves, qui reste souvent sommaire, du moins de leur salut [...] »111. Autre lieu de l'éducation des filles, les petites écoles, qui sont « presque exclusivement l'affaire de congrégations »112 enseignantes féminines. Celles-ci commencent à se développer à la fin du XVIe siècle et voient une très forte

106Ibid., p.101.

107Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Les femmes à l'époque moderne..., op. cit. [note n°1], p.57.

108Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.108.

109Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op. cit. [note n°79], p.146.

110Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.106.

111Ibid., p.106.

112Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op. cit. [note n°79], p.155.

expansion au XVIIe siècle. Enfin, il ne faut pas oublier que , « [o]utre l'influence de l'école et de leurs catéchistes, les filles et les femmes ont d'autres formateurs très présents et souvent très actifs : les prêtres de leur paroisse »113. Ces derniers, lors des sermons qu'ils prononcent à la messe, des lectures qu'ils donnent et des homélies qu'ils font assurent une formation continue des femmes, tout au long de leur vie. Marcel Bernos nous rappelle de plus qu'au « confessionnal, qu'elles fréquentent plus assidûment que les hommes, le prêtre leur transmet forcément certaines connaissances, au moins pour tout ce qui relèverait d'une théologie morale pratique »114.

Ce rapide tableau montre donc que l'Église interagit avec les femmes à chaque moment de leur vie. Nous allons à présent nous pencher sur la pratique de la confession au XVIe siècle.

LES MANUELS DE CONFESSION : UN GENRE EN PLEINE EXPANSION.

Les origines de la confession semblent bien remonter à la Bible, et plus précisément au Nouveau Testament, même si la présence de cette pratique dans le texte fait débat. En effet, selon Philippe Rouillard, dans la Bible, « d'une part, il existe un pouvoir de remettre les péchés, exercé fréquemment par Jésus, donné aux hommes (Mt 9,8) et confié solennellement aux Apôtres (Jn 20,22) ; d'autre part, un pouvoir de lier et de délier est confié à Pierre (Mt 16,19), mais pas seulement à lui (Mt 18,18) ; et Paul, tout en proposant une haute théologie de la réconciliation, met plutôt en pratique une discipline de l'excommunication et de la réintégration »115. Les théologiens ont donc dû, au cours des siècles, tenter de structurer et de normer la pratique de la confession, laissée assez floue dans les textes de référence. Il semble que le pouvoir de remettre les péchés, d'absoudre le pénitent, fut tout d'abord concédé à Pierre puis à tous les Apôtres par le Christ le soir de Pâques voire à tous les hommes selon Matthieu. En effet, il est dit à la fin du passage racontant la guérison d'un paralytique : « À cette vue, les foules furent saisies de crainte et rendirent gloire à Dieu d'avoir donné un tel pouvoir aux hommes »116. Ce paralytique vient de se faire absoudre par Jésus suite à sa confession silencieuse, contenue dans son humilité face au fils de Dieu qui lui dit : « Confiance,

113Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.110.

114Ibid., p.111.

115Philippe ROUILLARD, Histoire de la pénitence des origines à nos jours, Paris, Éditions du Cerf, 1996 (coll. Histoire), p.23. 116Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Matthieu, 9, 8.

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mon enfant, tes péchés sont remis »117. Il existe un second point d'achoppement dans la nécessité d'avoir recours à un représentant de l'Église catholique pour se faire absoudre de ses péchés. Bernard Sesboüé souligne dans son ouvrage que « dans la discipline secrète, la pénitence devient avant tout intérieure ; elle échappe à l'autorité de l'Église et apparaît comme un acte privé de la vertu de pénitence. [...] Pourquoi se confesser au prêtre de l'Église ? »118. Il semble que la réponse ait été apportée par l'exemple de Lazare ou encore par celui du lépreux qui « guéri par le Christ, était envoyé au prêtre pour que sa guérison soit déclarée selon la loi de Moïse (Mc 1, 41-44) »119. L'Église reçoit donc le pouvoir d'entériner la guérison du malade, de valider sa confession.

Lors du concile de Latran IV, la confession est en débat et elle y trouve la plupart des traits caractéristiques qui vont la définir au cours des siècles suivants. En 1215 est décidé, par le canon 21, que « tout fidèle doit confesser tous ses péchés au moins une fois par an »120. De plus, « il est dit avec insistance que le chrétien se confesse à son propre prêtre, c'est-à-dire à son curé ou au chapelain de sa communauté »121. Une autorisation est nécessaire pour contrer cette obligation. Philippe Rouillard rappelle qu'à cette époque, « [l]a préoccupation majeure de Latran IV n'est donc pas de proposer à la chrétienté une nouvelle législation pénitentielle, mais d'utiliser la confession comme un moyen de pression pastorale sur les chrétiens hésitants, comme un moyen d'assurer la cohésion et la fidélité de la communauté chrétienne face aux sollicitations des "sectes" plus ou moins hérétiques. [...] Instituée à l'origine pour distinguer le catholique de l'hérétique, la confession annuelle servira [ensuite] de critère pour distinguer le catholique pratiquant du catholique non pratiquant ou indifférent »122. Jean Delumeau souligne que « la généralisation de cette contrainte, déjà en vigueur auparavant dans plusieurs diocèses, modifia la vie religieuse et psychologique des hommes et des femmes d'Occident, et pesa énormément sur les mentalités jusqu'à la Réforme »123.

Au XVIe siècle, Luther, dans ses 95 thèses, remet en cause certains des fondements de la confession catholique. En effet, il soutient que « [l]a confession n'est pas de droit divin ; elle n'est pas nécessaire à la rémission et doit rester libre. Une confession de tous les péchés est impossible et n'est qu'une tradition humaine (4, 5, 6). [...] Tous les chrétiens peuvent être ministres de l'absolution. La réservation des cas est

117Ibid., Évangile selon Matthieu, 9, 2.

118Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS (dir.), Paul TIHON (dir.), Histoire des dogmes, tome 3 : Les signes du salut,

Les sacrements. L'Église. La vierge Marie, Paris, Desclée, 1995, p.171.

119Ibid., p.172.

120Philippe ROUILLARD, op. cit. [note n°115], p.67.

121Ibid., p.67.

122Ibid., p. 68-70.

123Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon : les difficultés de la confession. XIIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1992 (rééd.) (coll.

Livre de poche), p.11.

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illégitime (7, 8, 9) »124. Philippe Rouillard dit que « [f]ace à ces positions contestataires, le concile de Trente va insister sur trois points : nécessité pour tout chrétien de confesser au moins une fois par an tous ses péchés graves ; nécessité pour le pénitent de présenter ses fautes au ''jugement'' du confesseur, qui peut donner ou refuser l'absolution ; effort théologique pour prouver que ces exigences ne sont pas de simples règles fixées par l'Église, mais qu'elles sont de ''droit divin'', c'est-à-dire viennent de Dieu lui-même »125. Une distinction est à nouveau clairement établie entre le baptême, marque d'une première justification du chrétien et la pénitence pour celui qui est retombé dans le péché, pénitence qui « a été et demeure pour tous les hommes une vertu nécessaire pour parvenir à la grâce et à la justice »126. Ainsi, comme le montre Bernard Sesboüé : « Si le baptême est une naissance, la pénitence est une guérison »127. Philippe Rouillard souligne enfin que « le concile de Trente, par ses prises de position et par son retentissement, a donné plus de vigueur, ou de rigueur, à la pratique du sacrement dans l'Église catholique, qu'il s'agisse de la confession annuelle, dont se satisfont beaucoup d'hommes, ou de la confession plus ou moins fréquente en honneur dans les milieux dévots et surtout féminins »128.

Nous allons maintenant étudier le déroulement du sacrement de pénitence dans l'ordre chronologique repéré dans les actes du concile de Trente : « poussé par la contrition de son péché, le pénitent vient s'en confesser, il reçoit l'absolution qui le réconcilie avec Dieu et se soumet à la satisfaction qui lui est imposée »129. Il existe tout d'abord à l'époque moderne de grands débats autour de la contrition. Lucien Bély remarque que « [c]e dernier point est un de ceux qui ont été le plus discutés, longtemps encore après le concile [...] : faut-il, pour être pardonné, que le pécheur regrette ses fautes par amour de Dieu (contrition parfaite) ou suffit-il qu'il soit mû par la peur de l'enfer (contrition imparfaite ou attrition) ? »130. Le concile de Trente adopte une nouvelle position face au sacrement de pénitence en considérant, à rebours de saint Thomas par exemple, que « dans le cas le plus fréquent, le pénitent se présente avec une contrition imparfaite »131. Or « [l]es motifs de l'attrition sont imparfaits parce que le pénitent reste enfermé dans une considération de lui-même et des conséquences fâcheuses de ses actes »132. Néanmoins, le concile de Trente lit dans l'attrition une

124Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS (dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.174. 125Philippe ROUILLARD, op. cit. [note n°115], p.78.

126Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS (dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.174. 127Ibid., p.176.

128Philippe ROUILLARD, op. cit. [note n°115], p.80.

129Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS (dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.176. 130Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Sacrements ».

131Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS (dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.177. 132Ibid., p.177.

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disposition du pécheur favorable à Dieu. Les canons du concile établissent donc que « celle-ci "suffit à la constitution de ce sacrement" et dispose à obtenir "plus facilement" la grâce [...] »133.

Le concile de Trente s'attache ensuite à définir le moment même de la confession, le moment de l'aveu. Marc Vénard et Anne Bonzon insistent sur le fait que, sur le plan psychologique, le premier temps, l'aveu, est le plus marquant. C'est pourquoi selon eux, « le langage courant a retenu le terme de confession pour désigner l'ensemble du sacrement »134. Philippe Rouillard remarque lui aussi que « [l]e nom même de "sacrement de pénitence" ne correspond plus guère à la réalité, car les deux éléments essentiels de la démarche sont désormais la confession et l'absolution, tandis que la "pénitence", souvent réduite à quelques prières, n'est accomplie qu'ensuite et n'a plus qu'une valeur symbolique ; les fidèles ne s'y trompent pas, qui disent couramment : "Je vais me confesser" ou "Je vais à confesse" »135. Le Catéchisme romain, publié en français en 1567, consacre un long chapitre « au sacrement de la pénitence, qui insiste aussi bien sur l'importance de la contrition que sur la nécessité d'une confession détaillée et de la réparation des dommages causés »136. Lucien Bély signale que « les exigences ne cessent de croître en ce qui concerne l'exhaustivité et la précision de la confession »137. Cela entraîne des débats concernant l'étendue de ce qui doit être dévoilé au confesseur. Les péchés mortels et les péchés véniels doivent-ils être mis sur un pied d'égalité ? À ce propos, le concile de Trente précise que les « péchés véniels qui n'excluent pas de la grâce de Dieu et en lesquels nous tombons souvent (encore que la confession en soit utile), ils peuvent être tus sans faute et expiés par de nombreux autres remèdes [...]. Rien d'autre dans l'Église ne peut être exigé du pénitent [...], sinon que chacun confesse les péchés par lesquels il se souviendra d'avoir offensé mortellement son Dieu et Seigneur »138. Néanmoins, le canon 8 de ce même concile semble imposer la confession de l'intégralité des péchés. Sur cette brèche doctrinale vont se construire deux courants, l'un rigoriste, l'autre plus ouvert, parfois qualifié de « laxiste ».

Après l'aveu vient l'absolution. Il faut souligner que les insuffisances du clergé romain au XVIe et la pénibilité du sacrement de pénitence avaient mené à des dérives de la part des deux parties. En effet, « [l]e pénitent [...] obtient rapidement l'absolution et

133Ibid., p.178.

134Marc VENARD, Anne BONZON, La religion dans la France moderne XVIe-XVIIIe, Paris, Hachette supérieur, 1998 (coll. Carré

histoire), p.50.

135Philippe ROUILLARD, op. cit. [note n°115], p.73.

136Ibid., p. 80-81.

137Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Sacrements ».

138Session XVI, chapitre V, cité dans Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon..., op. cit. [note n°123], p.13.

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le confesseur, qui fait payer ses services, a intérêt à donner beaucoup de pardons »139. Ainsi, les statuts de certaines paroisses mentionnent les tarifs pour les différentes célébrations. « Rien pour les confessions mais les curés peuvent recevoir une somme modique, à la discrétion des fidèles »140 est la conclusion que tire Vladimir Angelo de l'étude des statuts des paroisses parisiennes au XVIe. Le concile de Trente interdit ce commerce des sacrements et a aussi « fixé la formule d'absolution que doit dire le prêtre : "Je t'absous au nom du Père", etc., et non pas "Que Dieu t'absolve". Car le rite objectif l'emporte désormais sur les sentiments du pénitent »141. Enfin, la satisfaction doit être un signe extérieur de la repentance du pécheur, une "conversion". Cette satisfaction prend de plus en plus souvent la forme de la récitation de prières. Néanmoins, le concile de Trente « souligne la dimension christologique de la satisfaction : par elle "nous devenons conformes au Christ Jésus qui a satisfait pour nos péchés" [...] »142. La satisfaction n'est donc pas minorée mais les peines spectaculaires, visibles, disparaissent puisqu'elles sont en contradiction avec le secret de la confession, exigence qui prend une grande importance dès le concile de Latran IV mais qui est réaffirmée avec force par le concile de Trente, s'appuyant sur l'exemple de saint Jean Népomucène, confesseur de la reine Sophie de Bohême qui refusa de révéler le contenu des confessions de la reine à son mari jaloux. Il fut pour cela torturé et jeté à l'eau.

Le secret de la confession est un des aspects plus « matériels » abordés par le concile de Trente. La question de la fréquence de la confession est elle aussi abordée. François Lebrun montre que « pour le plus grand nombre, la confession pascale est la seule de l'année et se ramène à un simple aveu de leurs péchés suivi, immédiatement ou non, de l'absolution »143. Néanmoins, il semble que « la pratique de la confession [soit] devenue plus fréquente à mesure des progrès de la dévotion : mensuelle, ou même hebdomadaire chez les plus fervents ou les plus scrupuleux »144. Une évolution qui a suivi de près le concile de Trente est celle de l'introduction du confessionnal dans les églises. Cette invention serait due à Charles Borromée, évêque italien et grand promoteur du concile de Trente. Le confessionnal est « destiné à séparer le confesseur du pénitent, et surtout de la pénitente : entre les deux, une grille laisse passer la voix mais à peine le regard »145. Ce meuble permet de s'isoler du reste des croyants mais il

139Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon..., op. cit. [note n°123], p.15.

140Vladimir ANGELO, Les curés de Paris au XVIe siècle, Paris, Éditions du Cerf, 2005 (coll. Histoire religieuse de la France),

p.108.

141Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Sacrements ».

142Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS (dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.179.

143François LEBRUN, Être chrétien en France sous l'Ancien Régime 1516-1790, Paris, Seuil, 1996 (coll. Être chrétien en

France), p. 149.

144Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Sacrements ».

145Marc VENARD, Anne BONZON, op. cit. [note n°134], p.50.

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semble avoir été institué du fait de la « difficulté » supposée de la confession des femmes. Selon Natalie Zemon Davis et Arlette Farge, « la confession et la direction spirituelle exigeaient des précautions extraordinaires quand il s'agissait de femmes. [...] En raison des dangers spécifiques attribués à la confession féminine, on introduisit la grille qui empêchait tout échange de regards entre la pénitente et son confesseur »146.

Il existe donc une spécificité de la confession féminine, bien repérée et dont on a tenté de limiter les effets. En effet, le confesseur est un personnage très important dans la vie d'une femme pieuse et un attachement réciproque peut avoir lieu. Pour contrer cet inconvénient, Charles Borromée préconise la séparation physique du confesseur et de la pénitente. Si cette séparation est impossible, l'évêque italien donne des instructions précises aux confesseurs de sa ville en 1576 : « On ne doit point entendre les confessions des femmes dans les maisons des laïcs, si ce n'est en cas de maladie. Et, en ce cas, celui qui confesse des femmes doit tenir la porte du lieu où il est ouverte de telle sorte qu'il puisse être vu. Et hors ce cas de maladie, on ne doit entendre les confessions des femmes que dans les églises et les confessionnaux. Et on doit même éviter de le faire avant le soleil levé, ni après qu'il sera couché »147. Une autre particularité repérée chez les femmes est la honte qu'elles éprouveraient lors de la confession. Elle est citée dans plusieurs ouvrages de confession et c'est pourquoi Jean Delumeau peut dire que « [l]es observateurs d'autrefois remarquèrent que la honte se manifestait surtout à l'occasion de péchés sexuels et paralysait tout particulièrement les femmes »148. Cette honte doit être adoucie par la charité et la compassion dont doivent faire preuve les prêtres lors de la confession.

L'évolution des sommes de casuistique médiévales est, au XVIe siècle, le manuel de confession. Selon Pierre Michaud-Quantin, « [l]e seul élément qui se transforme d'une façon suivie est l'examen de conscience proposé au pénitent, qui se développe et se complique en même temps qu'il vient toujours davantage au premier plan des préoccupations de l'auteur »149. De cette tendance observée découlerait « la création d'un nouveau type de manuel - réduit à sa plus simple expression - qui se compose uniquement d'un examen de conscience constitué par une liste de tous les péchés possibles ; les manuscrits le désignent sous le nom de confessio generalis quand ils

146Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op. cit. [note n°79], p.195.

147Charles BORROMEE, Instructions de S. Charles Borromée cardinal du titre de sainte Praxède, archevêque de Milan, aux confesseurs de sa ville, et de son diocèse, Besançon, Marquiset, 1839 (rééd.) [disponible sur le site < https://play.google.com/books/reader? id=sqt5RAL1ydMC&printsec=frontcover&output=reader&authuser=0&hl=fr&pg=GBS.PP7>] (consulté le 25 novembre 2012). 148Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon..., op. cit. [note n°123], p.19.

149Pierre MICHAUD-QUANTIN, Sommes de casuistique et manuels de confession au Moyen-Âge, (XIIe-XVIe siècles), Louvain, Nauwelaerts, 1962 (coll. Analecta Mediaevalia Namurcensia), p.69.

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pensent à son emploi par le pénitent, quaestiones faciendae in confessione, interrogatorium, s'ils envisagent l'emploi qu'en fera le prêtre »150. Si Philippe Rouillard estime que « du XVIe au XVIIIe siècle, paraissent d'innombrables manuels pour les confesseurs »151, Marcel Bernos quant à lui chiffre « la production des manuels de confession [...] à plus de 600 dans le siècle qui a suivi le concile de Trente (15631660) »152. Cette explosion de la production de manuels de confession s'explique en partie par la grande importance donnée à la confession à l'époque moderne et au fait que « la "technique" de la confession est complexe »153 selon les confesseurs de l'époque. En effet, ces derniers « consacrent souvent une bonne partie de leurs manuels à en expliquer les devoirs, la procédure, les dangers, l'importance de ce qu'ils définissent comme l' ars artium »154. Marcel Bernos rappelle dans ce même ouvrage qu'il faut être attentif à la manière d'étudier ces textes que sont les manuels de confession. Il conseille : « Comme toutes les sources, les livres touchant à la morale ont des caractéristiques et un mode d'emploi propres. Un manuel de confession paraît à une date donnée [...]. Il est écrit par un auteur particulier. L'origine de celui-ci, son appartenance au clergé séculier ou régulier, sous clôture ou dans le monde, son adhésion à une "école" morale rigoriste ou non, ne peuvent pas ne pas influencer la formulation de ces écrits. Il arrive qu'un manuel soit commandé par un évêque en vue d'un usage exclusif en son diocèse. La personnalité de cet évêque ne doit pas être négligée car elle joue un rôle dans la destinée de la publication »155.

Les manuels de confession se développent au XVIe siècle en réponse à une attente des croyants mais aussi pour éduquer les prêtres et les aider dans leur lourde tâche de confesseur. Le format des manuels de confession indique clairement qu'ils sont destinés à être diffusés assez largement. Marcel Bernos souligne en effet que, « [c]ontrairement aux Summae Confessorum des XIVe et XVe siècles qui sont souvent d'énormes in folio destinés aux seuls prêtres, les manuels de confession, de format plus pratique (généralement in-8°, jusqu'au livre de poche in-16), s'adressent et donc s'adaptent à un public plus varié, éventuellement désigné dans le titre même, et d'abord pour les ministres du sacrement »156. L'angoisse du salut qui caractérise le début du XVIe siècle et ses répercussions sur l'Église de France vont menées à un resserrement des exigences

150Ibid., p.69.

151Philippe ROUILLARD, op. cit. [note n°115], p.84.

152Marcel BERNOS, Les sacrements dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles : pastorale et vécu des fidèles, Aix-en-Provence,

PUP, 2007 (coll. Le temps de l'histoire), p.21.

153Ibid., p.15.

154Ibid., p.15.

155Ibid., p.23-24.

156Ibid., p.24-25.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 36 -

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

religieuses à la fin de ce même siècle. Le plus grand contrôle que l'Église souhaite exercer sur les fidèles se concrétise dans le renouvellement de l'obligation à tous de se confesser au moins une fois par an. Les grands événements du milieu du XVIe siècle ont de plus favorisé le développement de formes intenses de piété. Les chrétiens de la fin du XVIe siècle sont inquiets face aux déchaînements de violence qui ont eu lieu sur le territoire français. Certains cherchent alors à améliorer leur confession, pensant peut-être que le retour de l'Antéchrist est proche. Les confesseurs essaient de vulgariser leur message en utilisant parfois le français dans leurs écrits, face au latin, langue de l'Église. À côté des potentielles préoccupations pastorales des prêtres et des curés, le concile de Trente et certains statuts synodaux exigent la possession d'une bibliothèque minimale par le clergé. Comme le soulignent les auteurs de l'Histoire du christianisme, « [l]es statuts synodaux exigent ordinairement que les curés aient chez eux une Bible, les statuts du diocèse, un manuel, un recueil de sermons et une somme de confession »157. La réforme catholique vise aussi, selon les mêmes auteurs, à approfondir les relations entre le pénitent et le confesseur. Selon eux, « [t]oute une littérature y contribue, dont la production remonte au XVe siècle, mais ne cesse de se développer dans les deux siècles suivants. Elle comprend, pour les fidèles, des examens de conscience et des manières de se confesser ; pour les prêtres, des instructions pour confesseurs ; pour les uns et les autres, des sommes de confession qui sont des manuels de morale très fouillés, avec analyse des "cas de conscience" et des situations concrètes liées à chaque état de vie »158.

Marcel Bernos rappelle que « [l]a fonction première des manuels de confession est de provoquer l'examen de conscience individuel et à faciliter l'aveu, le plus précis possible, des fautes rendues répertoriables par le pénitent »159. Afin que cette confession se déroule dans les meilleures conditions possibles, les manuels de confession relèvent les qualités nécessaires du confesseur. Il faut souligner tout d'abord que les manuels présentent le confesseur « dans ses différentes fonctions possibles : père, juge, instructeur, médecin »160. Le confesseur est un médecin de l'âme et cela lui « donne des responsabilités, mais aussi des droits, au moins égaux à ceux de son collègue soignant les corps »161. Le concile de Trente et les manuels de confession, à sa suite mais aussi anticipant les canons du concile, demandent au confesseur une certaine connaissance de la théologie si ce n'est tout premièrement une connaissance du Décalogue et des grandes

157Jean-Marie MAYEUR (dir.), Charles PIETRI (dir.), André VAUCHEZ (dir.), Marc VENARD (dir.), Histoire du christianisme,

tome 8 : Le temps des confessions (1530-1620), Paris, Desclée, 1992, p.885.

158Ibid., p.968.

159Marcel BERNOS, Les sacrements..., op. cit. [note n°152], p.31.

160Ibid., p.74.

161Ibid., p.74.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 37 -

interdictions liées à la religion catholique. Le confesseur doit donc être « "savant", connaître les matières de la théologie morale et les cas de conscience, ce qui s'acquiert par une étude persévérante recommandée par les évêques »162. Mais ces connaissances doivent s'accompagner de qualités qui faciliteront la confession. Jean Delumeau souligne en effet que « [p]sychologiquement, une des difficultés de la confession auriculaire est créée non seulement par le fossé entre un juge et un coupable, mais par le fait qu'il n'y a confidence que d'un seul côté »163. Les manuels de confession insistent donc sur la nécessité pour le confesseur « de traiter avec bienveillance, patience et compassion, les pénitents, et particulièrement les personnes affligées de cette cruelle inclination à se croire toujours en faute, et sans rémission possible »164. Du fait de la difficulté de leur tâche et de l'importance de leur mission, dont la conscience croît peu à peu, les confesseurs se doivent donc d'acquérir des qualités morales et intellectuelles. Ces qualités seront de plus en plus contrôlées par l'Église lors de l'examen des prétendants. Lors de leur recrutement, prêtres comme évêques seront en effet questionnés sur leurs connaissances théologiques et pastorales.

Les femmes seraient peu présentes en tant que telles dans les manuels de confession. Marcel Bernos souligne en effet que ces derniers « ne consacrent jamais un chapitre particulier aux femmes. Lorsqu'elles sont expressément mentionnées, c'est toujours associées à un personnage masculin correspondant. Ainsi, on traitera des "pères-et-mères", des "maîtres-et-maîtresses", des "serviteurs-et-servantes", des "religieux-et-religieuses", etc »165. Néanmoins, nous pouvons voir dans ces manuels des représentations de la femme, élogieuses tout comme dépréciatives. Marcel Bernos attire l'attention de ses lecteurs sur le fait que « les données fournies ne constituent en aucune manière des matériaux "bruts" et purs. Ils sont déjà interprétés, parfois profondément, par les rédacteurs, chacun étant ce qu'il est et subissant des influences extérieures non négligeables »166. Il faudra donc s'interroger prudemment sur la fiabilité des manuels de confession et sur l'image de la femme qui en ressort.

L'étude du plan des manuels de confession montre leur désir d'attirer les fidèles. En effet, « [c]ertains [...] consacrent des chapitres entiers à une réflexion sur les péchés spécifiques d'une catégorie définie de fidèles, clercs ou laïcs, aristocrates ou gens du peuple [...]. Ils insistent [...] sur les particularités des métiers »167. Ainsi, un corps social

162Ibid., p.75.

163Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon..., op. cit. [note n°123], p.31.

164Marcel BERNOS, Les sacrements..., op. cit. [note n°152], p.76.

165Ibid., p.144.

166Marcel BERNOS, « Les manuels de confesseurs peuvent-ils servir à l'histoire des mentalités ? », dans Histoire sociale,

sensibilités collectives et mentalités, mélanges Robert MANDROU, Paris, PUF, 1985, p.91.

167Marcel BERNOS, Les sacrements..., op. cit. [note n°152], p.16.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 38 -

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

ou un corps de métier sera-t-il peut-être incité à lire un manuel de confession traitant spécifiquement de ses traits caractéristiques. Nous allons à présent étudier plus précisément le plan du manuel de confession que nous nous proposons d'analyser par la suite. Ce manuel a été rédigé par Jean Benedicti et publié pour la première fois en 1584. La version étudiée est celle de 1595, cette version est celle qui sera diffusée largement grâce à l'approbation de l'Église catholique. Cette oeuvre, intitulée La somme des pechez, et le remede d'icevx, essaie de présenter de la manière la plus exhaustive possible l'ensemble des péchés des chrétiens et le moyen d'en faire pénitence.

Plan du manuel de confession de Jean Benedicti, La somme des pechez et le remede d'icevx .

Plan du
manuel.

Descriptif.

Nombre
de
pages.

Page de titre.

Titre complet, destinataires visés, frontispice, ours. Une

inscription manuscrite donne le nom d'un couvent, peut-être un des lieux où a été conservé l'ouvrage.

1

Épître

dédicatoire.

À la Vierge Marie. Benedicti place son livre et lui-même sous la protection de la Vierge Marie. Datée de 1584.

47

Estampe :

la Vierge en
prière.

(voir

annexe 1)

La Vierge, les mains jointes, est en prière. Des étoiles et des fleurs l'entourent. Une inscription latine est placée dans un

cartouche sous le portrait : « Foeminei tu sola chori
pulcherrima Virgo, / Vna Dei pariter filia, sponsa, parens » : « Très glorieuse Vierge, toi seule parmi la foule des femmes / Seule également fille, épouse et mère de Dieu » (proposition de traduction).

1

Estampe :

Adoration de
l'Enfant Jésus par les bergers et les Mages.

(voir

annexe 2)

Dans un bâtiment dont le toit est à ciel ouvert pour partie, Jésus est couché dans de la paille. Présence d'un ange à la tête du berceau qui resplendit. Des hommes en tenue d'époque (du

XVIe siècle) se tiennent autour de l'enfant, certains sont
agenouillés en prière. Nous pouvons penser que les hommes sur la droite du Christ sont les rois Mages, décrits dans l'évangile de Matthieu, tandis que l'homme à sa gauche serait un berger, présent dans l'évangile de Luc. Marie est elle aussi en train d'adorer son fils tandis que Joseph, en arrière plan, reconnaissable à sa barbe, semble en méditation. La présence d'un agneau au pied du berceau peut sembler traditionnelle. Or, il est ici ligoté. Il s'agit d'un agneau immolé qui annonce la mort future du Christ et sa Résurrection (évangile de Jean). Nous pouvons aussi supposer que la masse sombre qui est à l'arrière de la scène au centre soient un âne et un boeuf. Dans

l'angle supérieur gauche, un ange apparaît, porteur d'un
message. Il est possible que cette scène soit une représentation de l'annonce aux bergers (Luc, 2, 9).

1

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 39 -

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 40 -

Plan du
manuel.

 

Descriptif.

Nombre
de
pages.

Estampe : la montée de Marie au ciel.

(voir

annexe 3)

Marie, entourée d'anges et le visage auréolé d'un nimbe

semble monter au ciel. Elle rejoint, tout en leur étant
inférieure, Jésus, reconnaissable à son nimbe crucifère et à la croix qu'il porte, et Dieu le Père, à droite, porteur des attributs de la puissance : l'orbe et peut-être, posé sur ses genoux, un bâton. Dieu porte une sorte de tiare, représentation peu fréquente mais acceptée. Dieu et son fils tiennent, chacun d'une main, un grand livre ouvert qui est sans doute la Bible. Le saint Esprit, sous la forme d'une colombe, complète cette représentation de la Sainte Trinité. Une multitude d'anges peuple la scène. En bas du tableau sont présents sept apôtres qui, pour la plupart ont un livre en main et un végétal qui ressemble à la palme des martyres. Une foule d'hommes est en contemplation devant Marie montant au ciel. Les personnages représentés dans les médaillons de chaque côté de la scène pourraient être les parents de Marie, Anne et Joachim. Les nombreuses grappes de raisin, les boucliers et les pics font que la scène a une teinte antique.

1

Estampe : l'Assomption.

(voir

annexe 4)

Marie, bras ouverts, reçoit la gloire de Dieu, elle monte au ciel entourée d'anges cachés dans les nuages qui l'entourent. Au bas de la scène, des hommes sont en admiration ou en prière. Un autel semble occuper le centre du tableau, au pied de cet autel, un livre est au sol.

1

Épître.

À Monseigneur Pierre de Gondi, qui ne semble pas être le

commanditaire de l'oeuvre mais uniquement une figure
protectrice, un porte-voix pour l'oeuvre. À noter : Chaque tête

1

de page de ce qui est considéré comme une nouvelle partie par Benedicti est ornée d'un bandeau. De plus, chaque première lettre de chapitre est une lettrine. (voir annexe 5).

Neuf poèmes.

-In svmmam. D. Ioan. BENEDICTI.

-Un poème en grec.

-Ad pientissimam sapientiae parentem Sorbonam, Theologici

aetheris Aquilam. Ianus Edoardus du Monin.

-Un poème en grec.

-Ejusdem,Ioan Edouard du Monin .

-Av lectevr benevole, sonnet. Leonard de la Ville, Charolloys.

-In svmmam, R.P.F. IO. BENEDICTI. Hier. Cavellatvs,
Parisinus.

-Svr l'espitre à la Vierge Marie, de R.P.F.I. BENEDICTI. Hier, Cauellat Parisien.

-Sonnet d'vn certain gentil homme, sur l'Epistre de l'Autheur, dediee à la Vierge Marie.

4

Argvment et

sommaire de

tous les cinq

livres, et de

Livre par livre et chapitre par chapitre, une courte phrase renseigne sur le sujet abordé.

À noter : Certaines pages comportent des réclames ou des

3

signatures facilitant l'assemblage ultérieur des feuillets ou des

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

Plan du
manuel.

Descriptif.

Nombre
de
pages.

leurs

chapitres.

cahiers.

Un cul de lampe orne la fin de cette table des chapitres et de certaines autres parties.

 

Le catalogve

des avthevrs,

et des liures

dont s'est
aydé

l'Autheur de
cette Somme.

-Et premierement les noms Hebrieux, Syriens, Chaldeens & Arabes, qui ont esté de l'Eglise d'Israel, dicte la Synagogue. -Les Conciles, tant generaux, que particuliers.

-Les Peres de l'Eglise Grecque et Orientale.

-Les Peres de l'Eglise Latine et Occidentale.

-Les historiens tant Ethniques, que Chrestiens.

-Les Autheurs prophanes du Paganisme, tant Poëtes, que Philosophes.

-Les Docteurs de la Theologie Scolastique avec les Canonistes et Iurisconsultes, desquels cest oeuvre a esté pour la plus part recueilly.

4

Advertisse- ment

av lectevr.
F.François Iary Chartreux.

Explication rapide du plan et des objectifs de l'ouvrage. Le Père François Jary loue les qualités de Benedicti et apporte sa caution à l'ouvrage.

1

Table tres

vtile povr les jevnes

Predicateurs,

qui pourront

appliquer la

doctrine de

cest oeuure à leurs

Predications

du Caresme,
enseignans au peuple à fuyr les pechez, et cognoistre l'enormité d'iceux.

Reprenant les grands moments de l'année liturgique

catholique, Benedicti donne des indications bibliographiques afin de construire de bons sermons. Les propositions de sermons sont toutes tirées de passages de l'Évangile. Benedicti donne des indications extrêmement précises aux prédicateurs

qui le liraient. En effet, pour le « Vendredy apres les
Cendres », il propose une lecture de l'Évangile de saint Matthieu et indique : « Soit amplement traicté de l'aumosne & circonstances d'icelle, ainsi qu'il se pourra veoir au chap.7.du 4 liure, fueillet 485.& autres suyuans ».

14

Aduertisse-

ment de
l'Autheur aux Lecteurs.

Explication très rapide des deux abréviations types utilisées dans l'ouvrage : PM pour péché mortel, PV pour péché véniel.

1

Le premier

livre de la
cavse,

definition,

-Chapitre I : Dieu n'est point Autheur de Peché. -Chapitre II : Des Causes du Peché. -Chapitre III : Du Peché Remissible & Irremissible. -Chapitre IIII : Diuision des Pechez.

89

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 41 -

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 42 -

Plan du
manuel.

Descriptif.

Nombre
de
pages.

malice et

decision des

pechez.

-Chapitre V : La Distinction des Pechez. -Chapitre VI : De l'horreur des Pechez. -Chapitre VII : De l'Excellence du Decalogue.

-Chapitre VIII : Les dix Commandemens. Le premier
Commandement. Pechez contre Esperance. Pechez contre Charité.

-Chapitre IX : Ne pren en vain le Nom de Dieu. Du Blaspheme. Des Voeus. Dispensation des voeus.

-Chapitre X : Le III. Commandement. Sanctifie le dimanche.

 

Le second

livre, ov il est

traicte des
commande-

mens de la
seconde table, et des Pechez commis

contre iceux.

-Chapitre I : Le IIII. Commandement.

-Chapitre II : Les pechez des Peres et meres envers leurs

enfans, contre ce quatriesme Commandement.

-Chapitre III : Les pechez des maris envers leurs femmes, qui

se commettent contre ce quatriesme Commandement.

-Chapitre IIII : Le V. Commandement.

-Chapitre V : Le VI. Commandement.

-Chapitre VI : De Adultere.

-Chapitre VII : Traité du stupre, inceste, rapt et sacrilege.

-Chapitre VIII : Du péché contre nature.

-Chapitre IX : De l'excez des gens mariez.

-Chapitre X : Le VII. Commandement.

-Chapitre XI : Le VIII. Commandement.

-Chapitre XII : Le IX & X. Commandement.

102

Le troisiesme livre, ov il est

traicte des
commande-

mens de
l'Eglise, et des

sept pechez

Mortels, de

Simonie, vsures, changes, rentes,

venditions, &
achapts.

-Chapitre I : Le I. Commandement de l'Eglise.

-Chapitre II : Le II. Commandement de l'Eglise.

-Chapitre III : Le III. Commandement de l'Eglise.

-Chapitre III : Le IIII. Commandement de l'Eglise.

-Chapitre V : Le V. Commandement de l'Eglise.

-Chapitre VI : Des sept pechez mortels. Du péché d'Orgueil, et

des pechez commis par iceluy.

-Chapitre VII : Les pechez commis par Avarice.

-Chapitre VIII : Les pechez qui se commettent par simonie.

-Chapitre IX : De l'usure.

-Chapitre X : De Luxure.

-Chapitre XI : D'envie.

-Chapitre XII : D'Ire.

-Chapitre XIII : Gourmandise.

-Chapitre XIII : Paresse.

189

Le

Qvatriesme livre qvi traite des sacremens

de l'Eglise,

des oevvres

de

misericorde,

-Chapitre I : Les pechez commis contre les sept Sacremens de l'Eglise en general. Du Baptesme, et les sept pechez commis contre iceluy.

-Chapitre II : Du Sacrement de Confirmation.

-Chapitre III : Les pechez qui se commettent touchant
l'Eucharistie. De la Messe.

-Chapitre IIII : De l'Extreme Onction.

-Chapitre V : Les pechez qui se commettent touchant le

177

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

Plan du
manuel.

Descriptif.

Nombre
de
pages.

des pechez

contre le

Sainct Esprit,

des cinq sens de nature, des

pechez de la
langue, &c.

Sacrement des Ordres.

-Chapitre VI : Les pechez qui se commettent contre le
Sacrement de Mariage.

-Chapitre VII : Des oeuures de Misericorde.

-Chapitre VIII : Des Pechez contre le sainct Esprit.

-Chapitre IX : Des cinq sens de nature, et de leurs pechez. -Chapitre X : Des pechez de la Langue.

 

Le cinquiesme livre traicte de l'aneantisse-

ment &
destruction des pechez, &

de la
justification

de l'ame

pecheresse &

purgation d'icelle, qui se

fait par le

moyen du

sacrement de

penitence.

-Chapitre I : Du Sacrement de Penitence.

-Chapitre II : Du Ministre du sacrement de penitence.

-Chapitre III : De la Contrition.

-Chapitre IIII : De la confession.

-Chapitre V : De la satisfaction, troisieme partie de penitence.

-Chapitre VI : En quels cas on doit bailler ou denier
l'Absolution au Penitent.

-Chapitre VII : De la penitence que doit imposer le
Confesseur.

-Chapitre VIII : De l'absolution sacramentale.

-Chapitre IX : Du Seau de Confession.

120

Aux stvdievx

des cas de
conscience. Salvt.

Courte préface de Benedicti pour introduire son traité des

restitutions. Il y explique que ses affaires courantes l'ont
contraint à repousser le moment d'écrire ce traité, qu'il aurait souhaité plus long. Cette introduction est datée de 1586.

1

Sixième

livre : Des
Restitutions.

-Chapitre I : Des Restitutions. -Chapitre II : Quis. -Chapitre III : Quid. -Chapitre IIII : Cur. -Chapitre V : Cui. -Chapitre VI : Vbi. -Chapitre VII : Per quos. -Chapitre VIII : Quomodo. -Chapitre IX : Quando.

55

Privilège du

roi et accord

de la censure.

Fr. Stephanus de Salazar Q.S. approuve la parution de ce manuel de confession dans un court texte en latin.

Lavrencin, Vicaire Substitut & Official ordinaire de
Monseigneur le Reverendissime Archevesque de Lyon, Primat des Gaules, en français, rappelle le privilège donné par le roi pour éditer ce livre.

Ces deux approbations officielles datent de 1584.

1

Table des

principavx

Liste très détaillée des différents points abordés par l'ouvrage avec un renvoi aux pages correspondantes.

31

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 43 -

Plan du
manuel.

Descriptif.

Nombre
de
pages.

poincts et

matieres

contenves en
ce livre, selon l'ordre Alphabetique.

 
 

Réitération de l'approbation de l'ouvrage.

Trois religieux (Frater Baltasar Brochet, Frater Clodius

Groffus et De Bening S.) donnent un avis positif sur l'ouvrage de Benedicti et approuvent sa diffusion du fait qu'ils n'ont rien trouvé de contraire à la théologie dans ce livre.

À noter : le bandeau de cette page est très recherché.

1

 

Marque de

l'imprimeur.

À Paris, de l'Imprimerie de Denis Binet, pres la porte sainct Marcel. M. D. XCV.

À noter : La page de garde de l'ouvrage porte le nom de

1

l'imprimeur Sébastien Nivelle. Nous pouvons penser que celui-ci a acheté à l'imprimeur Denis Binet des exemplaires déjà imprimés par les soins de ce dernier et qu'il y a apposé son nom. Cela semble être confirmé par le fait qu'un autre ouvrage paru en 1595 porte le nom de Denis Binet en dernière page mais la mention : « A Paris, chez Gabriel Buon : au Clos Bruneau, à l'Image Sainct Claude » sur la page de garde.

Nous pouvons donc remarquer grâce à cet ouvrage qu'un type de manuel de confession consiste à répertorier les péchés possibles en étudiant tour à tour les dix commandements et les commandements de l'Église. Les thèmes qui posent question aux confesseurs se remarquent par le volume qu'ils occupent dans l'ouvrage. Il est intéressant par exemple de remarquer que soixante-et-une pages sont consacrées aux qualités requises pour être un bon confesseur. Les péchés sont abordés de manière systématique et claire grâce à la fois aux nombreuses subdivisions des chapitres168 et à la table des matières169 qui permet de s'y reporter rapidement. Les diagrammes présentés ci-dessous montrent les différentes répartitions des sujets traités par Jean Benedicti.

168Voir Annexes 5 et 6. 169Voir Annexe 7.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 44 -

 

1er commandement.

2ème commandement.

3ème commandement.

4ème commandement.

5ème commandement.

6ème commandement.

7ème commandement.

8ème commandement.

9 et 10ème commandements.

Illustration 1: Le traitement des dix commandements, en pourcentage.

Les Dix Commandements selon Benedicti, La somme des pechez et le remede
d'icevx
, page 33.

1. Croy un seul Dieu & l'adore, fuyant toute idolatrie & superstition.

2. Ne iure point son nom en vain.

3. Sanctifie le septiesme iour.

4. Honore ton Pere & Mere.

5. Ne sois point homicide.

6. Ne sois point paillard ne adultere.

7. Ne sois point larron.

8. Ne sois point faux tesmoing.

9. Tu ne convoiteras point la femme d'autruy.

10. Tu ne desireras point la maison de ton prochain, ne chose qui luy appartienne.

 

Ce premier diagramme explicite l'intérêt de Benedicti pour les péchés concernant le deuxième et le sixième commandements. L'auteur est en effet particulièrement intéressé par les questions de blasphème et de voeux, points qu'il développe longuement. À propos du sixième commandement, de nombreux points sont abordés : l'adultère premièrement, puis le stupre, l'inceste, le rapt, les rapports sacrilèges, le péché contre nature ou encore l'excès des gens mariés. Tous ces rapports autour du mariage et de la sexualité sont en débat à l'époque de Benedicti, ce qui peut expliquer leur forte présence dans son ouvrage.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 45 -

 

1er commandement de l'Eglise.

2ème commandement de l'Eglise.

3ème commandement de l'Eglise.

4ème commandement de l'Eglise.

5ème commandement de l'Eglise.

6ème commandement de l'Eglise.

Illustration 2: Le traitement des six commandements de l'Église, en pourcentage.

Les six commandements de l'Église selon Benedicti, La somme des pechez et le
remede d'icevx
, p. 194.

1. Tu orras la Messe aux festes et Dimanches, et garderas les festes qui te sont commandees.

2. Tu ieusneras les vigiles, quatre temps, et le Caresme entierement.

3. Tu payeras les dismes et premices à l'Eglise, et aux ministres d'icelle.

4. Tu te confesseras à tout le moins une fois l'an.

5. Tu receuras la saincte communion à tout le moins une fois l'an.

6. Tu ne celebreras le mariage au temps prohibé. Et t'abstiendras de manger chair le vendredy et samedy.

 

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 46 -

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

Ce deuxième diagramme permet de se rendre compte que Benedicti s'est particulièrement attaché aux questions de jeûnes et de mariage, auquel il dédie un traité entier. Encore une fois, la question du mariage est en débat lorsque Benedicti commence à écrire. Le concile de Trente a cherché à redéfinir ce sacrement ce qui provoque des réactions dans l'ensemble de la société française. Le problème des jeûnes pose aussi question par son caractère contraignant et souvent peu respecté par les croyants.

 

Orgueil. Avarice. Luxure. Envie. Ire. Gourmandise. Paresse.

Illustration 3: Le traitement des sept péchés capitaux, en pourcentage.

Les questions d'argent concernent manifestement Benedicti qui traite en profondeur les péchés de simonie, d'usure, de change, de « censes, rentes, venditions & achapts »170 lorsqu'il aborde le péché d'avarice. C'est ce que nous montre l'illustration 3. Nous étudierons plus avant dans ce travail en quoi Benedicti est intéressé par ces questions et comment il les traite lorsqu'il se penche sur les péchés spécifiques aux femmes.

170Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx. Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doubtes touchant les Pechez, Simonies, Vsures, Changes, Commerces, Censures, Restitutions, Absolutions, & tout ce qui concerne la reparation de l'ame pecheresse par le Sacrement de Penitence, selon la doctrine des saincts Conciles, Theologiens, Canonistes & Iurisconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins, Paris, Sébastien Nivelle, 1595 (rééd.), Argvment et sommaire de tous les cinq liures, et de leurs chapitres. [disponible sur le site < https://play.google.com/books/reader? id=C0A57BaQHTIC&printsec=frontcover&output=reader&authuser=0&hl=fr&pg=GBS.PP58>] (consulté le 30 décembre 2012).

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Baptême. Confirmation. Eucharistie. Extrême Onction. Ordres.

Mariage. Pénitence.

Illustration 4: Répartition du traitement des sacrements dans l'oeuvre de Jean Benedicti.

Enfin, le quatrième diagramme montre à quel point Jean Benedicti est un homme de son temps, un homme concerné par le sacrement de pénitence, ses différentes étapes et les possibles difficultés que peuvent rencontrer confesseurs et pénitents. Il consacre en effet plus de 54% de la somme des pages concernant les péchés commis contre les sacrements à parler de la pénitence et de la confession. Le tableau présenté aux pages précédentes montrait déjà les points qui méritaient, selon Jean Benedicti, d'être approfondis et traités séparément. Sur les 119 pages analysant ce sacrement, soixante-et-une sont dédiées au "bon confesseur". Ce chapitre, intitulé « Du ministre du sacrement de penitence », est une somme de courts traités qui concernent entre autres « la science requise au ministre du sacrement de penitence », les « cas reseruez », « la bonté du confesseur » et « la prudence du confesseur ». Puis sont abordés dans l'ordre la contrition, l'attrition, la confession, la satisfaction, la pénitence, l'absolution et le sceau de confession.

En conclusion, il faut souligner que les manuels de confession permettent à l'historien de s'informer sur la mentalité d'une époque, sur les préjugés et les ressentis à un moment donné. Leur étude peut aider, tout en restant prudent, à déterminer les normes comportementales et les schémas de pensée d'une société à une époque donnée. Marcel Bernos ajoute de plus que « le manuel de confession se comporte à la fois comme un "récepteur" retransmettant des schémas mentaux ambiants et comme un

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"émetteur" proposant des comportements modèles »171. Ainsi, le pouvoir potentiel de ce livre est décuplé. Informant sur les comportements et les mentalités d'une époque, il influence aussi les comportements et les mentalités à venir. La répétition des dogmes contenus dans les manuels de confession oriente les actes des croyants. Cet enseignement des dogmes se fait lors des sermons ou lors de la confession, a minima lors de la confession pascale obligatoire. Les manuels de confession deviennent alors une source importante pour l'étude des sociétés de l'époque moderne. Afin d'essayer de savoir si le franciscain Jean Benedicti est un homme qui peut nous donner une image assez nette de la situation des femmes en France à la fin du XVIe siècle, il paraît important d'étudier son parcours.

VIE ET OEUVRE DU FRANCISCAIN JEAN BENEDICTI.

Les grandes lignes de la vie de Jean Benedicti sont difficiles à tracer du fait d'un manque de sources. Afin de déterminer la biographie de ce frère franciscain, nous nous appuierons principalement sur les éléments qu'il donne lui-même dans ses ouvrages ainsi que sur diverses biographies plus tardives.

Le passage de l'oeuvre de Benedicti qui apporte le plus de pistes biographiques est l'extrême fin de son Epistre Dedicatoire à la Vierge Marie qui ouvre la Somme des pechez, et le remede d'icevx, éditée pour la première fois en 1584. Voici ce que l'auteur dit de lui-même : « Au reste ie vous [la Vierge Marie] requiers tres-humblement qu'il vous plaise m'impetrer la grace de garder mon estat, de correspondre à la profession que i'ay faite en l'ordre de vostre seruiteur S. François au monastere à Ansenis, et de retenir la bonne doctrine que i'ay apprise en ma ieunesse au monastere de nostre Dame des Anges de la Province de Touraine en Poitou, ainsi vulgairement appelee, lequel lieu est dedié à vostre honneur : où i'ay esté instruit és meurs & és primitiues sciences, de ces bons maistres qui sont devant Dieu & vous : entre lesquels il y en a eu de martyrs, comme un frere Pierre Odion occis par la fureur Caluinisque pour la foy Catholique [...] »172. Nous pouvons de suite souligner que la grande importance de la Vierge Marie dans l'ouvrage est due à la sensibilité franciscaine de son auteur. En effet, les franciscains ont pour patronne la mère de Jésus.

171Marcel BERNOS, « Les manuels de confesseurs... », op. cit. [note n°166], p.95.

172Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], dernière page de l'« Epistre Dedicatoire A Tres Haute, Tres Grande, et Tres Pvissante Royne, Mere de Dieu, la Glorieuse vierge Marie, Imperatrice du ciel & de la terre, honneur & gloire ».

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Sur la naissance de Jean Benedicti, nous ne savons rien. Prosper Levot le dit breton173. Cela peut venir du fait qu'au XVIe siècle, Ancenis, aujourd'hui commune de Loire-Atlantique, appartenait à la Bretagne. Nous pouvons remarquer de plus que Prosper Levot classe le cordelier, dans son dictionnaire biographique, à l'entrée « BENOIT » tout comme Alphonse Angot174 et D.-L.-O.-M. Miorcec de Kerdanet175. Jean Benedicti fait une deuxième référence à ce monastère d'Ancenis où il aurait fait sa profession de foi. Il dédie en effet la Triomphante victoire De la vierge Marie sur sept malins esprits finalement chassés du corps d'une femme dans l'eglise des Cordeliers de Lyon. Laquelle histoire est enrichie d'vne belle doctrine pour ente[n]dre l'astuce des diables à « Monseignevr Monsievr Le Reverendissime Philippes du Bec Euesque de Nantes & Conseiller de sa Maiesté, en son conseil d'estat &c. »176 à qui il rappelle qu'il a « fait profession de l'ordre de S. Fra[n]çois, au monastere d'Ancenis, qui est en vostre diocese »177. Un couvent de Cordeliers existait effectivement à Ancenis depuis 1448. Il avait été fondé grâce à Jeanne d'Harcourt, veuve de Jean III de Rieux, baron d'Ancenis. Philippe du Bec, évêque de Vannes de 1559 à 1566 et évêque de Nantes de 1566 à 1594 a bien eu ce monastère sous sa juridiction.

Jean Benedicti a peut-être effectué son noviciat dans ce couvent d'Ancenis. Au XVIe siècle, l'âge minimum requis pour être admis au noviciat était de 16 ans mais, ne connaissant pas la date de naissance du futur franciscain, nous ne pouvons déterminer la date approximative de son entrée au couvent. Lázaro Iriarte explique que le « travail de l'année probatoire consistait surtout dans l'explication de la Règle aux novices, avec ses préceptes et les déclarations pontificales, les règles d'éducation religieuse sur la base du Speculum disciplinae et autres livres classiques, les règles ascétiques, la récitation de l'office divin, le cérémonial de l'Ordre et en particulier - chez les conventuels et les observants - le chant liturgique »178. Le Speculum disciplinae (Miroir de la discipline), a été écrit par Bernard de Besse, mort vers 1300, disciple de saint Bonaventure. Lázaro

173Prosper LEVOT, Biographie bretonne, recueil de notices sur tous les bretons qui se sont fait un nom, soit par leurs vertus ou leurs crimes, soit dans les arts, dans les sciences, dans les lettres, dans la magistrature, dans la politique, dans la guerre, etc., depuis le commencement de l'ère chrétienne jusqu'à nos jours, tome I, Vannes, Cauderan, 1852, entrée « BENOIT (Jean) ». 174Alphonse ANGOT, Dictionnaire historique, topographique et biographique de la Mayenne, Laval, Imprimerie-Librairie Adolphe Goupil, 1903, entrée « Benoît (Jean) ».

175Daniel-Louis-Olivier-Mathurin MIORCEC DE KERDANET, Notices chronologiques sur les théologiens, jurisconsultes, philosophes, artistes, littérateurs, poètes, bardes, troubadours et historiens de la Bretagne, depuis le commencement de l'ère

chrétienne jusqu'à nos jours ; Avec deux Tables : la première présentant, dans l'ordre alphabétique, tous les Personnages dont il est fait mention dans ces Notices ; la seconde les rapportant aux villes et lieux auxquels ils appartiennent, Brest, Guillaume-Marie-François Michel, mars 1818, entrée « Benoit (Jean) ».

176Jean BENEDICTI, La triomphante victoire De la vierge Marie sur sept malins esprits finalement chassés du corps d'une femme dans l'eglise des Cordeliers de Lyon. Laquelle histoire est enrichie d'vne belle doctrine pour ente[n]dre l'astuce des diables, Lyon, Benoist Rigavd, 1583, p.41 [disponible sur le site < http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k79084f>] (consulté le 05 décembre 2012).

177Ibid., p.41.

178Lázaro IRIARTE, Histoire du franciscanisme, Paris, Éditions du Cerf, 2004 (coll. Les Éditions franciscaines), p.306.

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Iriarte précise que son « contenu est exclusivement disciplinaire ; l'objectif du livre est de modeler le jeune religieux selon un type idéal de discipline conventuelle, non seulement dans la tenue corporelle et dans les comportements spirituels, mais aussi en donnant les directives les plus élémentaires de politesse et de propreté »179. Lors de sa profession de foi, Jean Benedicti décide d'intégrer les Frères mineurs de l'Observance. En 1517, les franciscains se divisent en effet en deux branches, les conventuels et les observants. La particularité des observants est d'essayer de respecter au plus près le testament laissé par saint François tandis que les conventuels ne rejettent pas l'idée d'une évolution de l'Ordre des Frères Mineurs. Après sa profession de foi à Ancenis, Jean Benedicti serait allé étudier au monastère de Notre-Dame-des-Anges. En effet, après leur profession de foi, les jeunes franciscains poursuivaient leurs études auprès d'un ou de plusieurs maîtres qualifiés, « ''jusqu'à 25 ans accomplis'', déterminaient les Constitutions de Benoît XII (1336) ; mais l'habitude de limiter ce temps à trois ans prévalut »180 souligne Lázaro Iriarte. Benedicti parle du « monastere de nostre Dame des Anges de la Province de Touraine en Poitou »181. Ce dernier est assez difficile à localiser. Il pourrait peut-être correspondre au couvent de franciscains fondé par Pierre Rohan-Gié au tout début du XVIe siècle à la frontière entre la Mayenne et le Maine-et-Loire. Gérard Danet, dans un document traitant de l'abbaye Notre-Dame des Anges à Landéda dans le Finistère, parle de ce « couvent du nom de Notre-Dame des Anges desservi par les Cordeliers Observantins dits de Touraine »182 fondé par Pierre Rohan-Gié, selon lui, vers 1505. Il appuie ses dires sur les archives du Maine-et-Loire. Mais Christophe Paillard, dans un document assez détaillé sur la vie de Benedicti, affirme qu'il pourrait avoir fait ses études dans l'abbaye Notre-Dame des Anges de Landéda183. C'est ici, dans le Finistère, qu'il aurait peut-être rencontré le Père Christophe de Cheffontaines, personnage important dans son parcours dont nous parlerons un peu plus loin.

Dans ce monastère, Jean Benedicti affirme avoir été « instruit és meurs & és primitiues sciences, de ces bons maistres qui sont deuant Dieu & vous »184. Les études ont une place importante dans la vie des franciscains. Des leçons publiques étaient

179Ibid., p.149.

180Ibid., p.150.

181Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], dernière page de l'Epistre Dedicatoire A Tres Haute, Tres Grande, et Tres Pvissante Royne, Mere de Dieu, la Glorieuse vierge Marie, Imperatrice du ciel & de la terre, honneur & gloire.

182Gérard DANET, Notre-Dame des Anges, Landéda - Finistère, 2008, p.34 [disponible sur le site < http://www.abbayedesanges.com/archives/rapport_danet.pdf>] (consulté en décembre 2012).

183Christophe PAILLARD, Jean Benedicti ou la stigmatisation du fatum calvinisticum, Encyclopédie de l'Agora, avril 2012.

[disponible sur le site < http://agora.qc.ca/documents/jean_benedicti--
jean_benedicti_ou_la_stigmatisation_du_fatum_calvinisticum_par_christophe_paillard>] (consulté le 06 décembre 2012). 184Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], dernière page de l'Epistre Dedicatoire A Tres Haute, Tres Grande, et Tres Pvissante Royne, Mere de Dieu, la Glorieuse vierge Marie, Imperatrice du ciel & de la terre, honneur & gloire.

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données dans les couvents. Lázaro Iriarte indique que « [t]ous les clercs, y compris les gardiens, les prédicateurs et les confesseurs, étaient tenus d'assister aux explications du lecteur installé dans chaque communauté »185. Les matières étudiées étaient diverses : grammaire, logique, philosophie ou encore théologie. Néanmoins, il semble que « [d]ans l'Ordre, les études de philosophie et de théologie n'étaient pas aussi nombreuses que celles des arts »186. Les franciscains devaient donc avoir une culture assez large et variée. Benedicti cite plus précisément le nom d'un de ses maîtres : « frere Pierre Odion occis par la fureur Caluinisque pour la foy Catholique »187. Nous avons pu retrouver deux occurrences de ce nom dans d'autres ouvrages. En 1609, Barezzo Barezzi Cremon, dans son ouvrage La Qvatriesme partie des chroniqves des freres mineurs, diuisee en dix liures explique les massacres perpétrés par les protestants en France. Il raconte : « A vn lieu appellé Osan, ils massacrerent le bienheureux fr. Pierre Odio[n], signalé Predicateur, & Lecteur en la sacree Theologie, au conuent de Chasteau-roux. Ils le virent arriuer en ce lieu d'Osan, & apres l'allerent tuer, vsans d'vne grande meschanceté & cruauté. Son ame s'en allant au Ciel, auec la palme de martyre »188. La deuxième occurrence est plus tardive, de 1864, et dit que « les féroces religionnaires attirèrent, près du château d'Orsan, le lecteur des Cordeliers, Pierre Odion, et le massacrèrent en embuscade »189. Le texte précise que ces événements datent de 1560. Il existe toujours aujourd'hui, à une cinquantaine de kilomètres de Châteauroux, un prieuré Notre-Dame d'Orsan, lieu où le lecteur Pierre Odion chercha peut-être à se réfugier après la mise à sac de son couvent de Châteauroux par les calvinistes.

Après ces études, Jean Benedicti serait devenu, pour certains, « élève de CHEFFONTAINES »190 ou encore « secrétaire du P. Christophe de Cheffontaines, général de son ordre »191. Selon Prosper Levot, « Cheffontaines consacrait ordinairement onze heures par jour à l'étude. Versé dans la langue française, il savait en outre le latin,

185Lázaro IRIARTE, op. cit. [note n°178], p.195.

186Ibid., p.196.

187Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], dernière page de l'Epistre Dedicatoire A Tres Haute, Tres Grande, et Tres Pvissante Royne, Mere de Dieu, la Glorieuse vierge Marie, Imperatrice du ciel & de la terre, honneur & gloire.

188Barezzo Barezzi CREMON, La Qvatriesme partie des chroniqves des freres mineurs, diuisee en dix liures, Paris, Vesue G. Chaudiere, 1609, p.523 [disponible sur le site < http://books.google.fr/books?id=Yd23trICIZAC&pg=PR32&lpg=PR32&dq=fr %C3%A8re+pierre+odion&source=bl&ots=BadlDilVKw&sig=l19UZSYjcSYcebxvZrIqTNi3jBw&hl=fr&sa=X&ei=HA6_UN2Q Eq7K0AXwhIHYAQ&ved=0CDkQ6AEwAg#v=onepage&q=fr%C3%A8re%20pierre%20odion&f=false>] (consulté le 06 décembre 2012).

189Alexandre DESPLANQUE, Essai sur les vicissitudes des institutions monastiques dans le Bas-Berri, Paris, Imprimerie Impériale, 1864, p.17. [disponible sur le site < http://bibnum.enc.sorbonne.fr/gsdl/collect/tap/archives/HASH0123/ec89e5a0.dir/0000005561797.pdf>] (consulté le 06 décembre 2012).

190Daniel-Louis-Olivier-Mathurin MIORCEC DE KERDANET, op. cit. [note n°175], entrée « Benoit (Jean) ».

191Alfred VACANT (dir.), Eugène MANGENOT (dir.), Émile AMANN (dir.), Dictionnaire de théologie catholique contenant l'exposé des doctrines de la théologie catholique, leurs preuves et leur histoire, tome 2, Paris, Librairie Letouzet et Ané, 1923, entrée « BENEDICTI Jean ».

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le grec, l'hébreu, l'italien, l'espagnol, et avait une connaissance approfondie du bas-breton »192. C'est donc auprès d'une personne très cultivée que va se trouver Benedicti, pendant un temps de sa vie. Si Jean Benedicti a bien été secrétaire de Christophe de Cheffontaines alors que celui-ci était général de l'Ordre des Frères Mineurs observants, nous savons que cela ne peut être qu'entre 1571 et 1579, dates du généralat de Cheffontaines. Puisque Jean Benedicti est dit prédicateur de Lyon à partir de 1574 environ, cela réduit encore cet intervalle et affine la chronologie. Les auteurs du Dictionnaire de théologie catholique... précisent que Benedicti « l'accompagna dans ses visites à travers l'Europe »193. Il est intéressant de remarquer une nouvelle fois que, parmi la dizaine de notices biographiques étudiées, une seule souligne ce fait tout comme deux seulement mentionnaient la présence de Benedicti auprès de Cheffontaines. Les indications peu précises ou floues sont nombreuses. L'exemple de Louis-Philippe Joly montre d'une manière flagrante certaines incohérences. En effet, ce dernier défend longuement la nationalité française de Benedicti et le fait qu'il ait écrit son manuel en langue française et non en latin. Il semble s'emporter contre Bayle qui, dans son dictionnaire, « prétend » des choses fausses et contre « Jean-Albert Fabricius [qui] a copié la faute de Bayle, & a crû que l'Auteur étoit Italien »194. Il s'appuie, pour démontrer ses dires, sur les écrits de Benedicti. Puis, à la fin de la démonstration, il écrit : « Benedicti étoit François, comme je l'ai dit. Mais dans quelle Province étoit-il né ? [...] Je crois qu'il étoit Provençal »195. Nous voyons donc que les biographes laissent parfois libre cours à leurs interprétations personnelles. En effet, de nombreux textes, et Benedicti lui-même, laissent à penser que son enfance s'est déroulée en Bretagne.

Après avoir été secrétaire de son ordre, Benedicti aurait occupé la charge de « commissaire général en France »196 selon Alphonse Angot. Lázaro Iriarte explique la mission de ce dernier : « Depuis 1517 le ministre général devait être élu tous les six ans, alternativement par les deux familles, cisalpine et transalpine197. Quand le ministre général appartenait à l'une, l'autre était gouvernée par un commissaire général »198. Si donc Benedicti a assuré cette charge, il aurait eu la mission de diriger l'ensemble de la famille franciscaine de France pendant un temps. Seul Alphonse Angot lui donne ce titre

192Prosper LEVOT, op. cit. [note n°173], entrée « CHEFFONTAINES (Chritophe DE) ».

193Alfred VACANT (dir.), Eugène MANGENOT (dir.), Émile AMANN (dir.), op. cit. [note n°191], entrée « BENEDICTI Jean ».

194Louis-Philippe JOLY, Remarques critiques sur le dictionnaire de Bayle, première partie, Paris, Hyppolite-Louis Guerin,

Dijon, Hermil-Andrea, 1748, p.712.

195Ibid., p.713.

196Alphonse ANGOT, op. cit. [note n°174], entrée « Benoît (Jean) ».

197Les familles cisalpines correspondent aux franciscains vivant « en deçà des Alpes », c'est-à-dire en Italie, tandis que la famille

transalpine rassemble les franciscains vivant au nord des Alpes, en France ici.

198Lázaro IRIARTE, op. cit. [note n°178], p.215.

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tandis que Benedicti se dit lui-même « Pere Provincial de Touraine Pictauienne »199. Christophe Paillard date cet événement pour 1593 au plus tard puisqu'il signale que l'édition de la Somme des pechez de 1593 porte la mention de cet honneur200. Néanmoins, un document émanant des autorités franciscaines de la Touraine pictavienne date l'entrée en charge de Benedicti pour le 15 juillet 1587, à « Clissii »201 c'est-à-dire à Clisson (Loire-Atlantique). La charge de père provincial, de ministre provincial, est de trois ans au XVIe siècle. Cette charge donne à celui qui la reçoit la mission de s'assurer que les couvents de sa province respectent bien la règle de saint François. Un custode202 le seconde dans cette mission. Quatre définiteurs l'assistent aussi ainsi que « ceux qui, dégagés de leurs charges à la Curie générale, jouissaient dans leur Province des prérogatives de "définiteurs perpétuels" ; tous ensemble ils formaient le discrétoire de la Province [...] »203. Benedicti a donc participé durant sa carrière ecclésiastique à l'administration d'une province franciscaine. Cette charge lui aurait été attribuée à la fin de sa vie, signe de son importance au sein de l'ordre des Franciscains. Lucien Bély précise que la Touraine pictavienne204 est l'une des « quatre petites » provinces observantes (France parisienne, Touraine pictavienne, Aquitaine ancienne et Saint-Louis), à côté des quatre « grandes provinces » que sont la France, la Touraine, l'Aquitaine récente et Saint-Bonaventure205.

Entre les différentes charges importantes et honorifiques que semble avoir occupé Benedicti, ce dernier affirme être « Professeur en Theologie »206 dans sa Somme des pechez... ou, dans La triomphante victoire De la Vierge Marie sur sept malins esprits..., « lecteur en Theologie et Predicateur en la ville de Lyon »207. Le grade de lecteur pouvait être acquis dans les universités ou dans les écoles franciscaines. Chaque province de l'Ordre pouvait accueillir un maximum de trois lecteurs : deux en théologie et un en philosophie. Lázaro Iriarte précise que « [l]a connaissance de [la langue hébraïque] était obligatoire pour tous les élèves des études générales et pour tous les lecteurs de théologie. Les langues orientales furent aussi enseignées dans les divers collèges fondés dans un but missionnaire »208. Cela pourrait permettre de comprendre

199Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], page de garde.

200Christophe PAILLARD, op. cit. [note n°183].

201Odoric-M. JOUVE, ofm, « Vicaires généraux des observants ultramontains et vicaires provinciaux des observants deTouraine-

Pictavienne de 1415 à 1517. Ministres Provinciaux des observants de Touraine-Pictavienne de 1517 à 1678 », FF, 15, 1932,

p.107-117.

202Dans l'ordre franciscain, les provinces sont subdivisées en « custodie » et le « custode » est le moine chargé de l'inspection

d'une custodie.

203Lázaro IRIARTE, op. cit. [note n°178], p.291.

204Est « pictavien » ce qui est relatif à Poitiers, Pictavis étant l'ancien nom cette ville.

205Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Franciscains ».

206Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], page de garde.

207Jean BENEDICTI, La triomphante victoire..., op. cit. [note n°176], page de garde.

208Lázaro IRIARTE, op. cit. [note n°178], p. 406-407.

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pourquoi Christophe Paillard qualifie Benedicti d' « orientaliste »209. Benedicti était « très versé dans la connaissance de l'hébreu, du grec et du latin »210 et, selon Christophe Paillard, « il possédait des rudiments d'arabe »211. Les notes qui entourent le texte de la Somme des pechez, et le remede d'iceux montrent ses connaissances, si ce n'est sa pratique de ces langues. Ainsi, à la page 107 de cet ouvrage, nous pouvons remarquer quelques notes en hébreu, d'autres en grec, tandis que la grande majorité sont en latin 212. De plus, il cite dans son manuel de confession des vers italiens, ce qui laisse à penser qu'il connaissait, au moins en partie, cette langue213. Lázaro Iriarte explique que la charge de lecteur dans les couvents « durait sept ans, soit trois de philosophie et quatre de théologie ; chaque fois que naissait un nouveau groupe d'étudiants, on nommait le lecteur respectif qui devait enseigner successivement toutes les matières »214. Après sa charge de lecteur, le cordelier Jean Benedicti est nommé par son Ordre prédicateur de la ville de Lyon. Jean Benedicti est chargé d'annoncer la parole de Dieu, de transmettre au peuple son message. Cette mission est réservée, au sein des franciscains, aux clercs les plus instruits. Benedicti met son verbe au service de la défense de la foi catholique contre la réforme protestante, ce qui se ressent très bien dans ses écrits, qui deviennent parfois de virulents pamphlets contre la « secte Caluinienne »215, les « esprits Huguenotiques »216. Selon Christophe Paillard, Jean Benedicti exerce sa charge de prédicateur à Lyon d'environ 1574 « à au moins 1584 »217.

Durant cette période, il fit un voyage à Jérusalem. L'oeuvre La triomphante victoire De la vierge Marie sur sept esprits malins... commence par ces mots « En l'an de nostre Seigneur 1582 [...] »218. Plus haut dans la préface, Jean Benedicti dit « ie l'ente[n]dy l'a[n]nee passee en Hierusale[m] »219. Nous pouvons donc dater ce voyage pour l'année 1581. Il alla en Terre-Sainte pour accomplir un voeu que nous ne connaissons pas mais qui est peut-être lié à son activité de prédicateur, de confesseur ou encore à celle d'exorciste. En effet, nous pouvons lire dans son ouvrage de 1583 qu'il fait trois voeux en cas de guérison de sa patiente : « La premiere [promesse] fut que nous

209Christophe PAILLARD, op. cit. [note n°183].

210Alfred VACANT (dir.), Eugène MANGENOT (dir.), Émile AMANN (dir.), op. cit. [note n°191], entrée « BENEDICTI Jean ».

211Christophe PAILLARD, op. cit. [note n°183].

212Voir annexe 8.

213Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.348.

214Lázaro IRIARTE, op. cit. [note n°178], p. 407-408.

215Le terme de « secte caluinienne » renvoie à Calvin, maître à penser du protestantisme français. Quant à « huguenotique », il

s'agit d'un adjectif formé sur le nom « huguenot », qui servait à désigner les protestants français.

216Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.32 de l'Epistre Dedicatoire A Tres

Haute, Tres Grande, et Tres Pvissante Royne, Mere de Dieu, la Glorieuse vierge Marie, Imperatrice du ciel & de la terre, honneur

& gloire.

217Christophe PAILLARD, op. cit. [note n°183].

218Jean BENEDICTI, La triomphante victoire..., op. cit. [note n°176], p.17.

219Ibid., p.7.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 55 -

enuoyerions en Italie, faire vn voyage a nostre Dame de Lorette. La 2. que nous ferions processions publiques à nostre Dame de l'Isle, qui n'est pas loing de Lyon. La 3. que la patie[n]te iroit vestue l'espace d'vn an de l'habit & cordon, de l'ordre de S. Fra[n]çois en signe de penitence »220. Son voyage ne dure pas plus d'un an puisqu'il était à Lyon en 1582 pour effectuer deux exorcismes. Nous savons aussi que Benedicti se trouvait en Anjou, au monastère de la Baumette en 1586. En effet, il signe son épître à Pierre de Gondi de ces mots : « d'Angers en vostre Monastere de la Balnette, ce neufieme iour d'Aoust, 1586 »221. Si l'on ajoute les voyages faits ou supposés en compagnie de Christophe de Cheffontaines et son déplacement en Terre-Sainte pour lequel il serait passé « via Chypre, Tunis et Tripoli »222, ce franciscain semble avoir eu une existence faite de voyages. Il aurait de plus été « visitateur de plusieurs provinces en Italie »223 selon Alphonse Angot et Christophe Paillard224. Ce terme signifie qu'un couvent principal lui avait donné la charge de visiter des monastères inférieurs de l'Ordre. Les dates auxquelles il aurait eu cette mission ne sont mentionnées nulle part.

Une autre des activités de Jean Benedicti, qui l'a rendu célèbre en son temps, est celle, déjà évoquée, d'exorciste. Sur ce sujet, les sources sont plus précises puisque nous disposons en premier lieu d'un ouvrage écrit en partie par Benedicti lui-même, qui retrace les deux exorcismes qu'il fit à Lyon en 1582 : La triomphante victoire De la vierge Marie sur sept malins esprits finalement chassés du corps d'vne femme dans l'eglise des Cordeliers de Lyon. Laquelle histoire est enrichie d'vne belle doctrine pour ente[n]dre l'astuce des diables. Ce petit ouvrage d'une centaine de pages contient trois parties. La première est la description, par Benedicti lui-même, de l'exorcisme qu'il fit sur Perinette Pinay, une veuve de 57 ans. La deuxième est le récit par le « Frère Gerard Grudius de la prouince de Brabant »225 de l'exorcisme d'une jeune femme de 22 ans, Catherine Pontet, récit suivi de quatre avis de médecins lyonnais attestant de la possession de la jeune femme. Enfin, le dernier ensemble de cet ouvrage est composé d'une longue formule d'exorcisme livrée par Jean Benedicti à destination de ses confrères. Cette formule est entièrement écrite en latin. L'exorcisme raconté par Benedicti permet d'exalter la figure de la veuve vertueuse et de dénoncer les thèses calvinistes. En effet, le diable Frappan, qui seul parmi les sept diables est resté attaché

220Ibid., p.37-38.

221Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], dernière page de l'Epistre A

Monseignevr Le Reverendissime Evesqve De Paris, Messire Pierre de Gondy, Conseiller du Roy en son Conseil Privé & d'Estat,

& Commandeur en l'ordre du S. Esprit.

222Christophe PAILLARD, op. cit. [note n°183].

223Alphonse ANGOT, op. cit. [note n°174], entrée « Benoît (Jean) ».

224Christophe PAILLARD, op. cit. [note n°183].

225Jean BENEDICTI, La triomphante victoire..., op. cit. [note n°176], p.41.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 56 -

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

au corps de Perinette Pinay, reconnaît la supériorité de cette veuve de laquelle il n'a rien obtenu : « Elle est vray vefue dit-il, ô la vray vefue, ô la vray vefue, repliquoit-il souuent elle est vrayement vefue : car depuis que ie suis icy, ie n'ay rien gaigné sur elle »226. À la fin du récit, Jean Benedicti tente de prouver, du fait du succès de l'exorcisme, que la vierge Marie et Jésus-Christ ont de larges pouvoirs. Il essaie de porter les Lyonnais à l'enthousiasme et à la piété devant le miracle qui vient de s'accomplir. « Quelle puissance voyla Recorde toy, Lyon, du miracle demonstré a tes yeux, & ne preste l'oreille a ces nouueaux Pharisiens calomniateurs des miracles de Iesus Christ [...] »227. Au cours de son récit, il s'appuie sur les discours tenus par le diable Frappan pour affirmer les dogmes de l'Église catholique, contre les hérésies. Ainsi, lorsque le diable semble avouer qu'il n'y a pas d'absolution possible pour lui mais « ouy bien pour vous », Jean Benedicti dit : « ie cogneu alors, qu'il rembarroit deux heresies contraires l'vne à l'autre celle d'Origene, ou pour mieux dire des Origenistes pardonna[n]s aux obstinez, & celle de Nouatus denia[n]t aux penitens remission »228. Pour les deux femmes, une sorcière est la cause de l'entrée d'au moins un démon en leur corps. Les trois diables de Catherine Pontet « luy furent donnés par le moien d'vne sorciere »229 tandis que le septième diable possédant Perinette Pinay lui est administré « par vn morceau de beuf, qui luy auoit esté donné d'vne sorciere »230. Il est significatif de voir que les six premiers diables « y estoient entrez au temps des vendanges en vne po[m]me »231. Les images du péché originel semblent très présentes ici. Ce récit montre les activités de Benedicti et ses objectifs : chasser le mal et faire régner la foi catholique en France.

Cet ouvrage permet enfin de situer l'écriture du manuel de confession La somme des pechez... puisque Jean Benedicti affirme qu'il démontre « de quelle inconstance est le peché [...] en vn traité des cas de conscience que i'escry maintenant ». Cela signifie qu'en 1582, il était en train d'écrire son manuel. Peut-être l'avait-il commencé dès 1581 puisque Prosper Levot232 et D.-L.-O.-M. Miorcec de Kerdanet233 affirment que c'est à Jérusalem qu'il compose ce livre. Les titres donnés à ce second ouvrage du cordelier Jean Benedicti sont multiples : si Antoine Péricaud (Somme des pechez)234, François-

226Ibid., p.41.

227Ibid., p.41.

228Ibid., p.41.

229Ibid., p.41.

230Ibid., p.41.

231Ibid., p.41.

232Prosper LEVOT, op. cit. [note n°173], entrée « BENOIT (Jean) ».

233Daniel-Louis-Olivier-Mathurin MIORCEC DE KERDANET, op. cit. [note n°175], entrée « Benoit (Jean) ».

234Antoine PERICAUD, Notes et documents pour servir à l'histoire de la ville de Lyon : tome II : 1594 à 1643, Lyon, [s.n.], [s.

d.], année 1611, p.87.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 57 -

Xavier Feller (La Somme des péchés, et le Remède d'iceux)235, Alfred Vacant (Somme des péchez et le remède d'iceulx)236, Louis-Philippe Joly (Somme des Péchés)237 et Christophe Paillard (Somme des pechez)238 semblent bien avoir eu en main en quelque sorte des exemplaires de l'ouvrage de Benedicti, d'autres auteurs sont plus fantaisistes dans les titres attribués à ce manuel de confession. Ainsi, Prosper Levot239 et D.-L.-O.-M. Miorcec de Kerdanet240 affirment tous deux que Benedicti a composé une Somme des péchés, des vices et des vertus tandis qu'Aphonse Angot s'éloigne le plus en annonçant une Somme de Théologie morale241. Tous néanmoins ne soulignent l'existence que de deux ouvrages tandis que Jean Benedicti annonçait dans La triomphante victoire De la vierge Marie... à un calviniste fictif : « Tu feras bien d'autres grimaces, quand tu verras la Grande Mariade, que ie medite, à son honneur & gloire »242. Benedicti ne semble pas avoir eu le temps d'écrire cette louange en l'honneur de la vierge. Le titre de son deuxième ouvrage voit aussi une variation intéressante qui montre le caractère subjectif de certaines notices biographiques. En effet, toujours associés, Prosper Levot et D.-L.-O.-M. Miorcec de Kerdanet parlent de la Victoire Triomphante de la B. Vierge Marie sur sept esprits immondes chassés du corps d'une femme. Deux remarques peuvent être faites. Premièrement, nous pouvons souligner que ces deux auteurs sont les seuls à affirmer que ce qu'ils appellent la Somme des Péchés, des Vices et des Vertus a été écrite à Jérusalem et ils font la même erreur de titre tant sur le manuel de confession que sur l'ouvrage portant sur l'exorcisme de Catherine Pontet et Perinette Pinay. D.-L.-O.-M. Miorcec de Kerdanet écrit ses Notices chronologiques... en 1818 tandis que la Biographie bretonne... de Prosper Levot est de 1852. Il semble donc que ce dernier ait pu recopier les informations données par le premier sans chercher à les vérifier. De plus, il apparaît que D.-L.-O.-M. Miorcec de Kerdanet a laissé parler sa sensibilité plus que sa rigueur d'historien quand il rapporte les titres des ouvrages du franciscain Jean Benedicti. En effet, il n'hésite pas à changer l'ordre des mots dans le titre des ouvrages (Victoire triomphante au lieu de La Triomphante victoire) voire à ajouter des mots : B. Vierge Marie, certainement le « b » de « bienheureuse ». Nous pouvons remarquer de

235François-Xavier FELLER, Dictionnaire historique ou Biographie universelle des hommes qui se sont fait un nom par leur

génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, depuis le commencement du monde jusqu'à nos jours, tome III,

Paris, Étienne Houdaille, 1836, à l'entrée "BENEDICTI (Jean)''.

236Alfred VACANT (dir.), Eugène MANGENOT (dir.), Émile AMANN (dir.), op. cit. [note n°191], entrée « BENEDICTI Jean ».

237Louis-Philippe JOLY, op. cit. [note n°194], p.713.

238Christophe PAILLARD, op. cit. [note n°183].

239Prosper LEVOT, op. cit. [note n°173], entrée « BENOIT (Jean) ».

240Daniel-Louis-Olivier-Mathurin MIORCEC DE KERDANET, op. cit. [note n°175], entrée « Benoit (Jean) ».

241Alphonse ANGOT, op. cit. [note n°174], entrée « Benoît (Jean) ».

242Jean BENEDICTI, La triomphante victoire..., op. cit. [note n°176], p.41.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 58 -

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

plus qu'il transforme le terme « malins » en « immondes » ce qui change le sens du titre en dévoilant les opinions de celui qui l'a modifié.

Enfin, Jean Benedicti semble avoir fini sa vie dans le couvent franciscain de Laval. Selon Alphonse Angot, il « fut inhumé dans la salle capitulaire des Cordeliers, où l'on voyait son tombeau quand le P. Wadding écrivit sa Bibliothèque franciscaine (1650) »243. Sa date précise de décès reste floue. Elle fait même débat puisque d'après l'ouvrage dirigé par Alfred Vacant, « [l]e P. Benedicti était mort en 1600 »244. Or Christophe Paillard dit que Roman d'Amat, biographe, défendait le fait que Benedicti serait mort en 1611245. Mais le document de Jouve cité précédemment est très précis en ce qui concerne le décès du franciscain : il serait mort le 09 août 1592 à Laval246. Nous pouvons penser que ce témoignage est le plus digne de confiance puisqu'il émane directement des autorités franciscaines de la province de Touraine pictavienne. Néanmoins, une erreur humaine est possible. En ce qui concerne les mentions portées sur les frontispices des livres de Benedicti, il semble que les éditeurs aient eu connaissance de son décès entre 1595 et 1597. En effet, sur le frontispice de l'édition de la Somme des pechez datant de 1597 et recensée par le SUDOC (Système universitaire de documentation), l'auteur est signalé comme « feu R. P. F. I. BENEDICTI »247. Dans la version datée de 1595 que nous avons étudiée, il n'est fait aucune mention de la mort de Benedicti. De même pour la version de 1596 imprimée par Pierre Landry à Lyon et conservée à la bibliothèque de Grenoble248. Néanmoins, sur une autre version de l'ouvrage, elle aussi datée de 1596, la mention « feu R. P. F. I. Benedicti »249 apparaît. Cette dernière version est celle de Jean Pillehotte, imprimeur lyonnais lui aussi. L'exemplaire est actuellement conservé à Avignon. Du fait que le livre de ce franciscain ait été utilisé en Sorbonne « après la mort de son auteur comme livre d'enseignement universitaire »250, nous pouvions imaginer que la précision des dates des frontispices ait été plus précise que dans un ouvrage moins officiel. Ce ne semble toutefois pas être le cas. Aujourd'hui, malgré la subsistance de l'église des Cordeliers à Laval, la salle capitulaire n'existe plus. Les recherches que nous avons faites ne nous ont pas permis d'être plus affirmatifs sur la date exacte de sa mort. Néanmoins, il semble certain que la

243Alphonse ANGOT, op. cit. [note n°174], entrée « Benoît (Jean) ».

244Alfred VACANT (dir.), Eugène MANGENOT (dir.), Émile AMANN (dir.), op. cit. [note n°191], entrée « BENEDICTI Jean ».

245Christophe PAILLARD, op. cit. [note n°183].

246Odoric-M. JOUVE, ofm, op. cit. [note n°201], p.107-117.

247Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx, Paris, Georges Lombart, 1597 (rééd.). [disponible sur le site

< http://www.sudoc.abes.fr/DB=2.1/SRCH?IKT=12&TRM=094304653>] (consulté le 20 décembre 2012).

248Jean BENEDICTI, La somme des péchez, et les remèdes d'iceux, Lyon, Pierre Landry, 1596 (rééd.), frontispice.

249Jean BENEDICTI, La somme des péchez, Lyon, Jean Pillehotte, 1596 (rééd.), frontispice.

250Christophe PAILLARD, op. cit. [note n°183].

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 59 -

biographie utilisée par les catalogues des bibliothèques françaises soit fautive puisque ces derniers indiquent les dates (15..-161.).

Nous pouvons penser que cet homme au parcours flatteur au sein de son ordre et qui était de plus un voyageur avéré, ait eu un regard assez juste, ou plus juste que d'autres, sur la condition féminine en France au XVIe siècle. Nous allons à présent passer à l'étude de l'ouvrage qui a permis de le faire connaître à la postérité, véritable somme théologique sur les problèmes posés par son époque.

LA SOMME DES PECHEZ ET LE REMEDE D'ICEVX, UN REGARD PARTICULIER SUR LA CONDITION DES FEMMES AU XVIE SIÈCLE.

La somme des pechez, et le remede d'icevx. Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doubtes touchant les Pechez, Simonies, Vsures, Changes, Commerces, Censures, Restitutions, Absolutions, & tout ce qui concerne la reparation de l'ame pecheresse par le Sacrement de Penitence, selon la doctrine des saincts Conciles, Theologiens, Canonistes & Jurisconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins est un manuel de confession écrit par Jean Benedicti à la fin du XVIe siècle. Cet ouvrage montre que les manuels de confession écrits à cette époque sont des témoins valables pour celui qui cherche à étudier l'histoire des femmes. Cette oeuvre, dont nous allons abréger le titre en « La somme des pechez, et le remede d'icevx », a été rééditée plusieurs fois après sa première impression à Lyon en 1584 par Charles Pesnot. Les différentes rééditions sont dues tant au franciscain qu'à des professeurs de la Sorbonne ayant continué d'étudier son oeuvre après sa mort. Le moteur de recherche Worldcat251 recense un certain nombre d'éditions, référencées dans le tableau présenté ci-dessous. Nous avons croisé les résultats obtenus sur Worldcat avec une recherche sur le Catalogue Collectif de France (CCFr)252. Les éditions présentes uniquement sur le CCFr sont précédées d'un astérisque. Bien que le tableau ci-dessous cherche à être le plus exhaustif possible, il est probable que d'autres éditions existent qui n'aient pas été référencées dans les moteurs de recherche utilisés.

251[disponible sur le site < http://www.worldcat.org/search?

q=benedicti+somme&fq=&dblist=638&start=1&qt=page_number_link>] (consulté le 02 janvier 2013).

252Catalogue Collectif de France, Question: Titre [''somme''] et Auteur [''benedicti''][disponible sur le site < http://ccfr.bnf.fr/portailccfr/>] (consulté le 17 janvier 2013).

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 60 -

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

Tableau présentant diverses éditions de l'ouvrage de Jean Benedicti dans un ordre

chronologique .

Précisions :

· Les ouvrages précédés de ce symbole sont ceux qui n'étaient référencés ni sur Worldcat ni sur le Catalogue Collectif de France mais dont nous avons connaissance.

· Le format in-folio correspond à une feuille de tirage pliée une fois ; le format in-quarto, ou in-40, correspond à une feuille de tirage pliée deux fois. La feuille de tirage d'un in-octavo, ou in-80, a quant à elle été pliée trois fois et ainsi de suite.

· Toutes les notices bibliographiques que nous avons étudiées ne comportent pas la mention du format de l'ouvrage. Nous l'avons reporté dans le tableau suivant uniquement quand l'information était donnée.

· Certaines notices portent le nom d'un « éditeur commercial ». Cet acteur de la chaîne de diffusion du livre achète à l'imprimeur des oeuvres déjà imprimées, applique son nom sur la page de garde de ces dernières et se charge de la publication des documents.

· Les abréviations présentes dans ce tableau sont : - R. P. F. J. (ou I.) pour Révérend Père Franciscain Jean ; - F. ou F. F. pour Frère et Frère Franciscain ; - O.F.M. pour Ordre des Frères Mineurs et Le P. pour Le Père.

Auteur.

Titre : sous-titre.

Lieu.

Éditeur.

Date.

Pages.

Notes.

Jean

Benedicti.

Auteurs

secondaires : Charles Pesnot ; Thibaud Ancelin.

La somme des péchez, et le
remède d'iceux : comprenant
tous les cas de conscience, et la
résolution des douttes touchant
les péchez, simonies, usures,
changes, commerces, censures,
restitutions, absolutions, et tout
ce qui concerne la réparation de
l'âme pécheresse par le
sacrement de pénitence, selon la
doctrine des saincts conciles,
théologiens, canonistes et
jurisconsultes, hébrieux, grecs
& latins : traité tresutile aux
ecclésiastiques, prédicateurs et
pénitens, au magistrat et
troisiesme estat et en somme à
tous ceux qui veulent obtenir
salut.

Lyon.

Charles
Pesnot.

1584

1326.

 

Jean

La somme des péchez et le

Rouen.

Manesses

1584.

794.

Enregistré

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 61 -

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 62 -

Auteur.

Titre : sous-titre.

Lieu.

Éditeur.

Date.

Pages.

Notes.

Benedicti.

remede d'icevx : comprenant
tous les cas de conscience & la
resolution des doutes touchant
le pechez... / premierement
recueillie par feu R.P.F.I.
Benedicti... ; de l'ordre des F.
Mineurs & puis nouvellement
abregee, & extraict des points
plus notables & necessaires
pour le fait de la conscience...

 

de

Preavlx

 
 

comme un
exemplai-
re datant
de 1584,
ce dernier
ne peut
dater que
d'une
dizaine
d'années
de plus.
En effet,
la mention
« feu
R.P.F.I.
Benedic-
ti »
indique
que cette
édition est
postérieu-
re à sa
mort.

Jean

Benedicti.

Auteurs

secondaires : Charles Pesnot ; Thibaud Ancelin.

La somme des péchez, et le
remède d'iceux : comprenant
tous les cas de conscience, et la
résolution des doutes touchant
les péchez, simonies, usures,
changes, commerces, censures,
restitutions, absolutions, et tout
ce qui concerne la réparation de
l'âme pécheresse par le
sacrement de pénitence, selon la
doctrine des saincts conciles,
théologiens, canonistes et
jurisconsultes, hébrieux, grecs
& latins : traité très utile aux
ecclésiastiques, prédicateurs et
pénitens, au magistrat et
troisièsme estat et en somme à
tous ceux qui veulent obtenir
salut.

s.l.

s.n.

1584.

 

In-40.

Jean

Benedicti.

Auteur
secondaire :
Charles
Pesnot.

La somme des pechez et le
remede d'iceux. Comprenant
tous les cas de conscience, & la
résolution des douttes touchant
les pechez, simonies, usures,
changes, commerces, censures,
restitutions, absolutions, & tout
ce qui concerne la reparation de
l'ame pecheresse par le
sacrement de penitence, selon la
doctrine des saincts conciles,

Lyon.

Charles
Pesnot.

1584.

1326.

In-40.

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

Auteur.

Titre : sous-titre.

Lieu.

Éditeur.

Date.

Pages.

Notes.

 

theologiens, canonistes &
jurisconsultes, Hebrieux, Grecs
& Latins. Traité très utile aux
ecclésiastiques, prédicateurs et
pénitens, au magistrat et
troisiesme estat et en somme à
tous ceux qui veulent obtenir
salut. Nouvellement recueillie
par R.P.F.I. Benedicti.

 
 
 
 
 

Jean

Benedicti.

Auteur
secondaire :
Charles
Pesnot.

La somme des péchez et le
remède d'iceux : comprenant
tous les cas de conscience, et la
résolution des douttes touchant
les péchez, simonies...

Lyon.

Charles
Pesnot.

1584.

 

In-4°.

F J

Benedicti.

La Somme Des Pechez, Et Le
Remede d'Icevx : Comprenant
tous les cas de conscience, & la
resolution des doubtes touchant
les Pechez, Simonies, Vsures ...
selon la doctrine des saincts
Conciles, Theologiens, ...
Hebrieux, Grecs & Latins.

Paris.

Sittart.

1586.

737.

 

Jean

Benedicti.

La somme des pechez et le
remede d'iceux. : Comprenant
tous les cas de conscience, & la
resolution des doubtes touchant
les pechez.

Paris.

Arnold
Sittart.

1587.

737.

In-folio.

Jean

Benedicti.

Auteur
secondaire :
François
Jary.

La Somme des péchés et le
remède d'iceux ... :
premièrement recueillie, et puis
nouvellement reveuë, corrigée,
augmentée ... : par R.P.F.I.
Benedicti.

Paris.

A. Sittart.

1587.

738.

In-folio.

 

F J

Benedicti.

La somme des péchés et le
remède d'iceux.

s.l.

s. n.

1587.

 

In-folio.

*Benedicti,
Jean

(O.F.M.).

La Somme des pechez et le
remede d'iceux.

Paris.

Denis
Binet.

1592.

 
 

*Bénédicti,
Jean.

Auteurs
secondaires :
Arnold
Sittart,
Imprimeur ;
L. Molin,
propriétaire

La Somme des pechez, et le
remede d'iceux / Jean Bénédicti.

Paris.

Arnold
Sittart.

1593.

726.

In-8°,

reliure ancienne, veau brun.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 63 -

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 64 -

Auteur.

Titre : sous-titre.

Lieu.

Éditeur.

Date.

Pages.

Notes.

précédent.

 
 
 
 
 
 

*Benedicti,
Jean.

Auteur

secondaire : Landry Pierre, éditeur

commercial.

La somme des pechez, et les
remedes d'iceux...premierement
recueillie, & puis nouvellement
reveuë, corrigee, augmentee &
amplifiee, par R. P. F. J.
Benedicti...

Lyon.

Pierre
Landry.

1593.

1104.

In-4°.

Jean

Benedicti.

La somme des pechez, et le
remède d'iceux : comprenant
plusieurs cas de conscience, et
la résolution des doubtes
touchant les pechez, simonies,
usures, changes, commerces,
censures, restitutions,
absolutions et tout ce qui
concerne la reparation de l'ame
pecheresse par le sacrement de
penitence, selon la doctrine des
saincts conciles, théologiens,
canonistes et jurisconsultes,
hebrieux, grecs & latins : traité
tres-utile aux prestres, curez,
confesseurs, predicateurs et
penitens : au magistrat et
troisiesme estat, et en somme à
tous ceux qui veulent obtenir
salut.

Lyon.

Pierre
Landry.

1594.

1104.

In-4°.

F J

Benedicti.

La Somme des Pechez et les
Remedes d'iceux
.

Lyon.

s. n.

1594.

 
 

*Benedicti,
Jean.

Auteur
secondaire :
La Nouë,
Guillaume
de,
imprimeur.

Somme des péchez, et le remède
d'iceux. Comprenant tous les cas
de conscience, et la résolution
des doubtes... Premièrement
recueillie, et puis nouvellement
reveuë, corrigée, augmentée et
amplifiée, par révérend P. F. I.
Benedicti.

Paris.

Guillau-
me de la
Nouë.

1595.

737.

Seul
exemplai-
re
référencé
en latin.
In-folio.

Jean

BENEDICTI

.

La Somme des Pechez, et le
remede d'iceux. Comprenant
tous les cas de conscience, & la
resolution des doubtes touchant
les pechez...Premierement
recueillie, & puis nouuellement
reueuë, corrigee, augmentee...
& amplifiee, par... I. Benedicti.

Paris.

H. de
Marnef,
& la
Vefue G.
Cauellat.

1595.

737.

In-folio.

*Jean
Benedicti.

La somme des pechez, et le
remede d'icevx. Comprenant

Paris.

Sébastien Nivelle.

1595.

737.

 

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

Auteur.

Titre : sous-titre.

Lieu.

Éditeur.

Date.

Pages.

Notes.

 

tous les cas de conscience, & la
resolution des doubtes touchant
les Pechez, Simonies, Vsures,
Changes, Commerces, Censures,
Restitutions, Absolutions, & tout
ce qui concerne la reparation de
l'ame pecheresse par le
Sacrement de Penitence, selon
la doctrine des saincts Conciles,
Theologiens, Canonistes &
Iurisconsultes, Hebrieux, Grecs
& Latins

 
 
 
 
 

*Benedicti,
Jean.

Somme des péchez.

Paris.

Sonnius.

1595.

 

In-folio.

*Benedicti,
Jean (Le P.).

Auteur
secondaire :
Gabriel
Buon,
éditeur
commercial.

La somme des pechez, et le

remede d'iceux. comprenant tous les cas de conscience, & la

resolution des doubtes [...] Par Reverend P. F. I. Benedicti.

Paris.

Gabriel
Buon.

1595.

 

In-folio.

J Benedicti.

La somme des pechez et les
remèdes d'iceux, contenant
plusieurs cas de conscience et la
résolution des doutes touchant
les péchez, simonies, usures,
changes, commerce, censures,
restitutions... recueillie, revue,
corrigée et augmentée par J.
Benedicti.

Lyon.

P. Landry

.

1596.

 

In-4°.

I Benedictus.

La somme des pechez, et le
remede d'iceux
. Premierement
recueillie par feu r. p. f. I
Benedicti... ; & puis
nouuellement abbregee... ;
augmentee d'un examen de
conscience...

Lyon.

Iean
Pillehotte

.

1596.

874.

In-12.

Aussi imprimé en in-8°.

*Jean
Benedicti.

La somme des pechez, et le
remede d'iceux. Comprenant
tous les cas de conscience, & la
resolution des doutes touchant
les pechez, simonies, usures,
changes, commerces, censures,
restitutions, absolutions, & tout
ce qui concerne la reparation de
l'ame pecheresse par le
sacrement de penitence, selon la
doctrine des S. conciles,
theologiens, canonistes, &
jurisconsultes, hebrieux, grecs,

Paris.

Georges
Lombart.

1597.

775.

In-8°.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 65 -

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 66 -

Auteur.

Titre : sous-titre.

Lieu.

Éditeur.

Date.

Pages.

Notes.

 

& latins. Premierement
recueillie par feu R. P. F. J.
Benedicti... & puis nouvellement
abregee, & extraict les poincts
plus notables & necessaires
pour le fait de la conscience,
pour la plus grande commodité
des curez, predicateurs,
confesseurs, & autres ayant
charges d'ames. Augmentee d'un
examen de conscience, tres-utile
aux confesseurs & penitens.
Avec un index des chapitres &
matieres contenues audit livre.

 
 
 
 
 

*Jean
Benedicti.

La somme des pechez, et le
remede d'icevx
.

Tournon

.

Claude
Michel.

1599.

876.

In-12°.

Jean

Benedicti, Le

P.

La Somme des péchez et le

remède d'iceux ... premièrement recueillie par feu R.P.F.J.

Benedicti, ... puis nouvellement abrégée ... augmentée d'un

examen de conscience...

Paris.

Jamet et
P.

Mettayer.

1600.

775.

In-8°.

Jean

Benedicti,
père.

La Somme des péchez, et le
remède d'icieux ...

Paris.

Michel
Sonnius.

1600.

775.

 

*Benedicti,
Jean.

Auteur
secondaire :
Lucas
Bruneau,
imprimeur.

La Somme des pechez et le
remede d'iceux.

Paris.

Lucas
Bruneau.

1600.

 

In-8°.

Jean

Benedicti, Le

P.

La Somme des péchez et le remède d'iceux ... premièrement recueillie et puis nouvellement revue ... par Révérend P. F. J.

Benedicti.

Paris.

C.

Chappe-
let.

1601.

827.

In-4°.

Jean
Benedicti,
(Le P. ;
O.F.M.).

La Somme des péchez et le
remède d'iceux, comprenant tous
les cas de conscience ...
premièrement recueillie et
nouvellement reveuë, corrigée,
augmentée ... par ... P.F.I.
Benedicti
.

Paris.

G. de La Noue.

1601.

827.

In-4°.

Benedicti,
Jean.

La somme des péchez et le
remède d'iceux...

Paris.

Guillau-

me

Chaudiè-

re.

1601.

 
 

Benedicti,

La Somme des péchez et le

Rouen.

J.

1602.

 

In-8°.

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

Auteur.

Titre : sous-titre.

Lieu.

Éditeur.

Date.

Pages.

Notes.

Jean.

remède d'iceux...premièrement
recueillie par feu R. P. F. J.
Benedicti,... puis nouvellement
abrégée...augmentée d'un
examen de conscience.

 

Osmont.

 
 
 

Jean

Benedicti.

La somme des pechez, et le
remede d'iceux, comprenant tous
les cas de conscience, et la
resolution des doubtes touchant
les pechez ... selon la doctrine
des saincts conciles,
theologiens, canonistes et
jurisconsultes, Hebrieux, Grecs
& Latins.

Paris.

Chez
Abraham
Saugrain,
&
Guillau-
me des-
Rues.

1602.

840.

 

*Benedicti,
Jean.

La somme des péchez et le
remède
d'iceux...abrégée...Augmentée
d'un examen de conscience...

Rouen.

T. Daré.

1602.

 
 

*Benedicti,
Jean (Le P.)

La Somme des péchés et le
remède d'iceux, comprenant tous
les cas de conscience, et la
résolution des doutes, touchant
les péchés, simonies, usures,
changes, commerce, censures,
restitutions etc.

Paris.

Ger

Lombard.

1602.

 

In-folio.

Jean

Benedicti.

La somme des Péchés et le
remède d'iceux...

s. l.

s. n.

1607.

 

In-8°.

*Benedicti,
Jean.

La somme des péchez et le remède d'iceux..., abrégée... Augmentée d'un examen de conscience...

Rouen.

L. Corté.

1607.

 
 

Jean
Benedicti.

La somme des pechez, et le
remede d'icevx.

Rouen.

Thomas
Daré.

1607.

769.

 

Jean

BENEDICTI

.

La somme des pechez, et le
remede d'iceux. Comprenant
tous les cas de conscience, & la
resolution des doutes touchant
les pechez ... Premierement
recueillie par feu R.P.F.I.
Benedicti ... Augmentée d'un
Examen de conscience, tres utile
aux confesseurs & penitens, etc
.

Rouen.

Romain
de

Beauvais.

1608.

526.

In-8°.

Benedicti,
Jean.

Auteur
secondaire :
Osmont,
éditeur
commercial.

La somme des pechez et le
remède d'iceux...

Rouen.

Osmont.

1608.

 
 

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 67 -

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 68 -

Auteur.

Titre : sous-titre.

Lieu.

Éditeur.

Date.

Pages.

Notes.

*Benedicti.

La Somme des péchez.

Lyon.

Poyet.

1609.

 
 

*Benedicti,
Jean.

La Somme des péchez et le
remède d'iceux...premièrement
recueillie par feu R. P. F. J.
Benedicti, ... puis nouvellement
abrégée...augmentée d'un
examen de conscience...

Rouen.

A.

Morront.

1610.

 

In-8°.

*Benedicti,
Jean.

La Somme des péchez et le
remède d'iceux...premièrement
recueillie par feu R. P. F. J.
Benedicti,...puis nouvellement
abrégée...augmentée d'un
examen de conscience...

Rouen.

J.

Osmont.

1610.

 

In-8°.

Jean
Benedicti,
(Le P. ;
O.F.M.).

La Somme des péchez et le
remède d'iceux comprenant tous
les cas de conscience ...
premièrement recueillie par feu
R.P.F.J. Benedicti ... et puis
nouvellement abrégée ...
augmentée d'un examen de
conscience
...

Rouen.

L. du
Castel.

1620.

759.

In-8°.

Jean

Benedicti.

La somme des pechez : et le
remede d'icevx. Comprenant

tous les cas de conscience, & la

resolution des doutes touchant
les pechez, simonies, vsures,

changes, commerces, censures,
restitutions, absolutions, ...

Roven.

Chez
Manassez
de
Preavlx.

1620.

759.

 

*Benedicti,
Jean.

La Somme des péchés et le
remède d'iceux...par feu R.P.F.J.
Benedicti des F. F. Mineurs
.

Rouen.

J. Auber.

1620.

 

In-8°.

*Benedicti,
Jean (Le P.).

Auteur
secondaire :
J. Auber,
imprimeur.

La Somme des péchés et le
remède d'iceux...par feu R. P. F.
J. Benedicti des F. F. Mineurs.

Rouen.

J. Auber.

1620.

 

In-8°.

*Benedicti,
Jean.

La Somme des péchez et le
remède d'iceux..premièrement
recueillie par feu R. P. F. J.
Benedicti,...puis nouvellement
abrégée...augmentée d'un
examen de conscience...

Rouen.

L.

Loudet.

1620.

 

In-8°.

Jean

Benedicti.

La somme des péchez et les
remèdes d'iceux ... recueillie ...
corrigée, augmentée ... par R. P.
F. J. Benedicti.

Lyon.

s. n.

1693.

1104.

In-4°.

R P Jan le
Benedicti.

La Somme des péchez, et le
remède d'iceux ... nouvellement

Paris.

A. Sittart.

1807.

737.

Il s'agit
peut-être

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

Auteur.

Titre : sous-titre.

Lieu.

Éditeur.

Date.

Pages.

Notes.

 

reveuë, corrigée, augm. et ampl.

 
 
 
 

ici d'une

 

...

 
 
 
 

erreur
dans le

 
 
 
 
 
 

référence-
ment de
l'ouvrage.

 
 
 
 
 
 

En effet,
l'impri-
meur

 
 
 
 
 
 

Arnold

 
 
 
 
 
 

Sittart, s'il s'agit bien

de lui,

aurait
travaillé à

la fin du

 
 
 
 
 
 

XVIe -
début

 
 
 
 
 
 

XVIIe et
non début

 
 
 
 
 
 

XIXe.

Ce long tableau montre que le manuel de confession du franciscain Jean Benedicti a été lu et beaucoup demandé depuis sa première impression en 1584 jusqu'au premier tiers du XVIIe siècle. Une cinquantaine d'éditions différentes sont ici référencées et d'autres peuvent exister. Les franciscains ont été très actifs en cette fin de XVIe et sur tout le XVIIe siècle dans la reconquête spirituelle des catholiques français. Leur pastorale proche des fidèles leur a permis d'obtenir une large audience tout comme d'autres ordres mendiants. La notoriété du franciscain Jean Benedicti, due à ses voyages, à ses activités d'exorciste et à son influence au sein de l'ordre des Frères mineurs, a conduit à la diffusion de son oeuvre dans une grande partie du territoire français. La somme des pechez, et le remede d'icevx a subi de légères variations au cours du temps. En effet, de son vivant, Jean Benedicti a constamment retouché son ouvrage, le complétant et s'adaptant dit-il aux critiques qui lui ont été faites. Dans l' « Epistre a Monseignevr le reverendissime evesqve de Paris », il affirme à propos de son livre « croyez qu'il a esté à ces fins, veu, reueu, fueilleté & recherché co[m]me Hierusale[m] auec la cha[n]delle ». Plus loin, il précise : « Finalement, Monseigneur, quant à ceste seconde edition, elle est de beaucoup plus augme[n]tee & amplifiee, elle est aussi mieux polie, agencee, & reduite en meilleur ordre & forme que n'estoit la premiere. Et touchant le sixieme commandement, duquel on a tant voulu quaqueter par l'aduis de quelques gra[n]ds personnages, & mesmes Docteurs de la Sorbonne, i'en ay adoucy & mesme

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 69 -

changé quelques mots & sente[n]ces pour contenter vn chacun, ce qui est toutesfois bien difficile »253.

Nous avons donc cherché à savoir si le contenu des diverses éditions de La somme des pechez, et le remede d'icevx... voyait une réelle modification. Pour cela, nous avons choisi trois éditions de ce texte : l'original de 1584, le texte de 1595 que nous avons étudié plus précisément pour ce mémoire et une édition de 1607, présentant un intervalle de temps à peu près équivalent. Les titres présents sur la page de titre de chacun de ces ouvrages montrent une sorte de tronc commun qui est le suivant : « La Somme des pechez, et le remede d'icevx. Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doubtes touchant les Pechez, Simonies, Vsures, Changes, Commerces, Censures, Restitutions, Absolutions, & tout ce qui concerne la reparation de l'ame pecheresse par le Sacrement de Penitence, selon la doctrine des saincts Conciles, Theologiens, Canonistes & Iurisconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins ». La suite du titre de l'édition de 1584 est « Traité tresutile aux Ecclesiastiques, Predicateurs & penitens : au Magistrat & troisiesme estat & en somme à tous ceux qui veulent obtenir salut. Nouuellement recueillie par R. P. F. I. Benedicti, Professeur en Theologie de l'ordre des freres Mineurs de l'Obseruance ». Le colophon indique « A Lyon, par Charles Pesnot, M. D. LXXXIIII, avec privilege dv roy »254. L'édition de 1595 porte : « Traicté tres-vtile aux Ecclesiastiques, aux Prestres, Curez, Confesseurs, Predicateurs & Penitens : au Magistrat & troisieme Estat, & en somme à tous ceux qui veulent obtenir salut. Premierement recueillie, & puis nouuellement reueuë, corrigee, augmentee & amplifiee, Par Reuerend P. F. I. BENEDICTI, Professeur en Theologie, de l'ordre des Freres Mineurs de l'Obseruance, & Pere Prouincial de la Prouince de Touraine Pictauienne ». Le colophon porte quant à lui les indications suivantes : « A Paris, Chez Sebastien Nivelle, demeurant en la rue sainct Iacques, aux Sicognes. M. D. XCV. »255. Enfin, l'édition de 1607 fait mention du décès du franciscain et du remaniement de l'ouvrage postérieur à sa mort : « Premierement recueillie par feu R. P. F. I. Benedicti. Professeur en Theologie de l'ordre des F. Mineurs. & puis nouuellement abregée, & extraict des points plus notables & necessaires pour le fait de la conscience, pour la plus grande

253Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Epistre a Monseignevr le Reverendissime evesqve de Paris, Messire Pierre de Gondy, Conseiller du Roy en son Conseil Priué & d'Estat, & Commandeur en l'ordre du S. Esprit ».

254Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx : comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des douttes touchant les pechez, simonies, usures, changes, commerces, censures, restitutions, absolutions & tout ce qui concerne la reparation de l'ame pecheresse par le sacrement de penitence, selon la doctrine des saincts Conciles Theologiens, Canonistes & Iuriconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins. Traité tresutile aux Ecclesiastiques, Predicateurs & penitens : au Magistrat & troisiesme estat & en somme à tous ceux qui veulent obtenir salut. Nouuellement recueillie par R. P. F. I. Benedicti, Professeur en Theologie de l'ordre des freres Mineurs de l'Obseruance, Lyon, Charles Pesnot, 1584, page de titre.

255Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], page de titre.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 70 -

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

commodité des Cures, Predicateurs, Confesseurs, & autres ayant charges d'Ames. Augmentée d'vn Examen de conscience, tres-vtile aux Confesseurs & Penitens. Auec un Indice des Chapitres & Matieres contenuës audit liure ». Le colophon de cette troisième édition indique qu'elle a été imprimée « A Roven, Chez Thomas Daré, Libraire tenant sa boutique au premier degré du Palais. 1607 »256. Nous présentons dans le tableau ci-dessous une étude de la place occupée par certains sujets dans les diverses versions de La somme des pechez, et le remede d'icevx....

Tableau comparant le contenu de trois versions de l'ouvrage de Jean Benedicti .

Précisions :

· Les pourcentages ont été réalisés de la manière suivante : nous avons relevé le nombre de pages consacrées, par exemple, aux dix commandements de la loi puis le nombre de pages traitant plus spécifiquement du premier commandement. Le pourcentage obtenu est donc le reflet de la place qu'occupe le premier commandement de la loi dans le discours sur les dix commandements.

· La colonne « Évolutions » présente l'évolution globale du traitement d'un sujet entre 1584 et 1607, en points de pourcentage. Les évolutions significatives, de plus ou moins de 4 points de pourcentage, sont mises en valeur.

 

Édition

Édition

Édition

Évolutions

 

de

de

.

 

1595 .

1607 .

 
 
 
 
 
 
 
 

« Croy vn seul Dieu & l'adore, fuyant toute idolatrie & superstition ».

12,23%

10,82%

13,66%

+1,43.

« Ne iure point son nom en vain ».

16,61%

16,56%

21,46%

+4,85.

« Sanctifie le septiesme iour ».

5,96%

5,73%

7,80%

+1,84.

« Honore ton Pere & Mere ».

3,13%

7,64%

9,27%

+6,14.

« Ne sois point homicide ».

11,91%

6,37%

7,32%

-4,59.

« Ne sois point paillard ne adultere ».

28,53%

28,66%

19,02%

-9,51.

« Ne soint point larron ».

9,72%

9,55%

9,76%

+0,04.

« Ne sois point faux tesmoing ».

6,58%

7,01%

8,78%

+2,2.

« Tu ne conuoiteras point la femme d'autruy ». « Tu ne desireras point la maison de ton prochain, ne chose

4,08%

4,46%

2,93%

-1,15.

 

256Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx. Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doutes touchant les Pechez, Simonies, Vsures, Changes, Commerces, Censures, Restitutions, Absolutions, & tout ce qui concerne la reparation de l'Ame pecheresse par le Sacrement de Penitence, selon la doctrine des S. Concile Theologiens, Canonistes, & Jurisconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins, Rouen, Thomas Daré, 1607 (rééd.), page de titre.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 71 -

 

Édition

Édition

Édition

Évolutions

 

de

de

.

 

1595 .

1607 .

 
 
 
 
 
 
 
 

Les six commandements de l'Église.

 
 
 
 

« Tv orras la Messe aux festes & Dimanches, & garderas les festes qui te sont commandees ».

14,94%

13,30%

10,87%

-4,07.

« Tu ieusneras les vigiles, quatre temps, & le Caresme entierement ».

28,74%

28,90%

23,91%

-4,83.

« Tu payeras les dismes & premices à l'Eglise, & aux ministres d'icelle ».

10,34%

8,90%

10,87%

+0,53.

« Tu te confesseras à tout le moins une fois l'an ».

16,09%

17,80%

17,39%

+1,3.

« Tu receuras la saincte communion à tout le moins une fois l'an ».

27,57%

26,70%

34,78%

+7,21.

« Tu ne celebreras le mariage au temps prohibé. Et

t'abstiendras de manger chair le vendredy &
samedy ».

1,15%

2,20%

2,17%

+1,02.

Les sept péchés capitaux.

 
 
 
 

« Orgueil ».

3,23%

13,20%

3,21%

-0,02.

« Auarice ».

68,35%

55,60%

76,28%

+7,93.

« Luxure ».

6,12%

6,30%

4,49%

-1,63.

« Enuie ».

3,23%

3,50%

3,21%

-0,02.

« Gourmandise »

6,47%

6,30%

3,21%

-3,26.

« Ire ».

7,55%

7,60%

6,41%

-1,14.

« Paresse ».

4,32%

3,50%

3,21%

-1,11.

Les sept sacrements de l'Église.

 
 
 
 

« Baptesme ».

6,21%

2,30%

2,70%

-3,51.

« Confirmation ».

1,38%

2,70%

2,03%

+0,65.

« Eucharistie ».

17,93%

18,70%

8,11%

-9,82.

« Penite[n]ce ».

54,94%

54,30%

65,54%

+10,6.

« Extreme onction ».

1,38%

1,40%

3,38%

+2,0.

« Ordres ».

6,67%

4,10%

2,03%

-4,64.

« Mariage ».

11,26%

13,70%

14,19%

+2,93.

 

Ce tableau montre que la plupart des changements effectués dans l'oeuvre de Benedicti ont été faits après sa mort. En effet, Jean Benedicti ne modifie pas réellement l'amplitude de son propos sur le deuxième commandement de la loi entre 1584 et 1595. En revanche, les docteurs de Sorbonne qui ont repris l'ouvrage après sa mort y ont vu plus d'intérêt et en ont augmenté le texte. Il en est de même pour le sacrement de pénitence, déjà très présent dans les éditions dirigées par Benedicti mais encore amplifié

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 72 -

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 73 -

Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.

dans l'ouvrage de 1607. Deux sujets voient une évolution inverse : peu retouchés par Jean Benedicti, les docteurs de Sorbonne jugent qu'ils occupent trop de place. C'est le cas pour la question du jeûne, deuxième sacrement de l'Église, mais surtout pour la question du sixième commandement de la loi, portant sur l'adultère. Nous pouvons penser que les successeurs de Benedicti ont préféré moins insister sur les détails relatifs au péché de chair. De plus, le jeûne est une pratique contraignante sur laquelle les docteurs de Sorbonne n'ont pas jugé utile de s'appesantir : elle n'est pas en grâce auprès des catholiques français. Le sacrement d'eucharistie, auquel Benedicti accordait plus de place dans sa deuxième édition est aussi repoussé à un rang moindre dans l'édition contrôlée par les docteurs de la Sorbonne. Le cas du péché d'avarice est lui aussi très intéressant puisque nous pouvons voir qu'il occupe une place prépondérante dans le traitement des péchés capitaux dans l'ouvrage de 1584. Jean Benedicti amenuise l'espace accordé à ce péché dans sa deuxième édition, en 1595. Néanmoins, en 1607, une nette augmentation du discours autour de ce péché est visible : il semble donc que ce sujet intéresse particulièrement l'Église, ce qui est réaffirmé par les corrections apportées par les docteurs de Sorbonne. Il en va de même pour la communion. Les sujets restants, où Benedicti et les docteurs de Sorbonne ont la même opinion semble-t-il, sont : le respect dû aux parents, qui prend plus de poids dans l'ouvrage ; le cas de l'homicide, qui s'efface quelque peu ; l'assistance à la messe et le sacrement de l'ordre qui occupent eux aussi une moindre place dans le discours remanié du franciscain. Les évolutions du discours, qui semblent donc être postérieures à la mort de Jean Benedicti, prouvent que sa Somme des pechez, et le remede d'icevx... est un discours particulier qui, bien qu'approuvé par l'Église, révèle une vision particulière de la société qui l'entoure et de ses moeurs. Ce discours particulier sur la société est aussi un discours sur la femme. Nous allons donc tenter à présent d'étudier les différentes figures de la femme rencontrées dans l'ouvrage majeur de Benedicti afin d'éclairer le regard particulier que ce franciscain a porté sur elle.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Dans cette deuxième partie, nous allons étudier les diverses figures de femmes pour lesquelles Benedicti a émis un discours particulier. Nous aborderons tout d'abord la question de la place de la jeune fille dans la société puis les rapports divers entretenus avec les hommes avant de nous pencher sur le problème de la relation particulière que la femme entretient avec l'enfant. Nous verrons ensuite quels rôles occupent les femmes en société selon le franciscain et comment ces rôles qui leur sont attribués sont le reflet des attentes masculines concernant le comportement féminin. Enfin, nous étudierons comment Benedicti perçoit la place de la religieuse dans la société du XVIe siècle.

LA JEUNE FILLE ET LA VIERGE : UN MODÈLE DE SAINTETÉ QUE PEU ATTEINDRONT.

Le pouvoir de la pucelle est une croyance populaire ancestrale qui a encore toute sa force au XVIe siècle. La virginité est valorisée dans la société terrestre tout comme dans la société divine où les vierges « suivent immédiatement les martyrs » comme le fait remarquer Aurélie Godefroy257. Jean Benedicti fait allusion à cette croyance quand il aborde la question des superstitions. Il accepte que les croyants se munissent de billets258 portant des prières ou des inscriptions à condition « qu'on ne regarde à la maniere de l'escriture, en disant qu'ils les faut escrire en parchemin vierge, ou quand le Soleil se leue, ou qu'on les attache auec tant de filets, & qu'ils soyent attachez d'vne pucelle, ou escrits d'vn enfant vierge, &c. »259. La virginité, à laquelle il fait trois fois allusion ici, semble bien trouver un écho auprès du peuple catholique. La pucelle n'est pas une simple jeune fille. Mais qu'est-ce tout d'abord qu'une « jeune fille » ? L'introduction au livre dirigé par Gabrielle Houbre nous la présente ainsi : elle « se définit par sa virginité et son rapport au mariage. Elle n'est ''jeune'' que lorsqu'elle en a l'âge - douze ans ou plus - mais ''vieille'' quand elle s'obstine dans le célibat et une virginité qui n'importe plus à aucun soupirant »260. Que pouvons-nous savoir de sa condition d'après l'oeuvre de Benedicti ? Nous aborderons ci-après trois aspects de la vie d'une jeune fille exposés dans La somme des pechez et le remede d'icevx. Premièrement, nous verrons quelle est la place de la vierge dans la société de la fin du XVIe siècle et quels dangers pèsent sur

257Aurélie GODEFROY, Les religions, le sexe et nous, Paris, Calmann-Lévy, 2012, p.54.

258Certains croyants portaient sur eux de petits papiers sur lesquels était écrite une prière censée leur apporter protection.

259Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.44.

260BRUIT ZAIDMAN, Louise (dir.), HOUBRE, Gabrielle (dir.), KLAPISCH-ZUBER, Christiane (dir.), SCHMITT PANTEL,

Pauline (dir.), Le corps des jeunes filles de l'Antiquité à nos jours, Paris, Perrin, 2001 (coll. Pour l'histoire), p.12.

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elle. Puis nous nous pencherons sur la question des modèles de virginité proposés aux jeunes filles. Enfin, nous montrerons que la majorité d'entre elles sont destinées au mariage, que nous étudierons en nous appuyant sur la vision qu'en a Jean Benedicti.

Jean Benedicti consacre une sous-partie de son ouvrage à la défense de la virginité. En effet, au chapitre VII du livre I, « Du stupre & defloration d'une pucelle, espece de luxure », il s'adresse directement aux jeunes filles vierges, dans un passage à tonalité lyrique : « O ieunes filles regardez icy à vostre honneur, & vous rementeuez de ce que l'Apostre dit que vous portez ce beau thresor de virginité en vaisseaux de terre, c'est à dire, en vos corps fragiles, lesquels estans rompus & deflorez demeurent irreparables, ne plus ne moins que le verre ou le vaisseau de terre. [...] Regardez donc chastes pucelles de ne croirez à ces pipeurs qui vous veule[n]t rauir ce beau thresor, qui vo[us] fait paroistre en toutes bonnes compaignies la teste leuee & sans rougir, autreme[n]t vous perdrez ce que tous les Roys Empereurs & Monarques ne sçauroie[n]t iamais vous re[n]dre. Aussi le Poëte le dit bie[n], que la virginité est irreparable, & ne se perd qu'vne fois. Ce qu'estant consideré par vne ieune fille, elle deuint en si grande tristesse & mela[n]cholie d'auoir perdu, par vn seul plaisir de si peu de duree ce gra[n]d thresor de virginité, qu'elle en mourut de regret »261. Nous pouvons nous demander dans quelle mesure la virginité est un état qui paraît si enviable à Benedicti. Il semble qu'il soit fait un parallèle entre la virginité des jeunes filles et la virginité de l'Église elle-même. Ainsi, Dietrich von Hildebrand affirme : « Seules les personnes qui lui ressemblent à ce point de vue capital peuvent développer sans limites en elles-mêmes la vie sainte de l'Église. C'est à cause de la ressemblance et de la conformité avec l'Église vierge, la propre épouse du Christ, que la virginité signifie d'une façon si marquée la relation de chaque personne avec le Christ »262. Saint Paul pense quant à lui que la femme vierge, celle qui n'est pas mariée, est plus proche de Dieu que les autres. Il dit : « la femme sans mari, comme la jeune fille, a souci des affaires du Seigneur, elle cherche à être sainte de corps et d'esprit. Celle qui s'est mariée a souci des affaires du monde, des moyens de plaire à son mari »263. La vierge a plus de chances de se préoccuper de Dieu, elle a donc plus de chances de trouver grâce à ses yeux. La supériorité de la virginité est réaffirmée par le concile de Trente, qui tente de combattre les positions protestantes sur la question. Ces derniers ont notamment rétabli la

261Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.133. 262Dietrich von HILDEBRAND, Pureté et virginité, Paris, Desclée de Brouwer, 1947, p.140. 263Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], I Cor. VII, 34.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

possibilité de se marier pour les prêtres264. Les pères de l'Église s'attachent donc à défendre le célibat et la chasteté. Yvonne Knibiehler souligne que la « virginité en soi ne fait l'objet d'aucun débat, mais des signes forts révèlent qu'elle est revalorisée dans la pastorale. Ainsi les vierges martyres des premiers siècles sont-elles mises à l'honneur. L'Église encourage les fouilles pour retrouver leurs ossements et organiser leur culte. Ici et là, elles supplantent des saints locaux »265.

Les jeunes filles désirant rester vierges sont invitées par Benedicti à vouer leur virginité à Dieu afin de clarifier cette situation et de la sacraliser. Dans son paragraphe sur les « voeus », Benedicti affirme que « la fille qui a fait voeu de garder virginité & la garde, merite plus que celle qui l'a garde sans l'auoir vouee », puis, « une vierge merite plus, estant en religion, que celle qui demeure au monde »266. La cérémonie de la consécration d'une vierge est essentielle puisqu'elle permet de faire passer la jeune fille de l'autorité de son père à l'autorité de l'évêque. En effet, « sur le plan juridique, le voeu de chasteté porte atteinte à l'autorité paternelle, puisqu'il empêche le père de marier sa fille à son gré »267 remarque Yvonne Knibiehler. Des noces mystiques sont donc organisées qui permettent à la vierge de se soumettre à un nouvel homme. La virginité peut cependant être une forme de résistance de certaines filles à l'autorité paternelle. Elles y trouvent parfois un refuge contre le mariage non désiré.

Les vierges ont plus de chances selon Benedicti de réaliser l'idéal chrétien. Il soutient en effet « qu'il est beaucoup plus facile à vne pucelle de garder co[n]tine[n]ce qu'à vne veusue : plus facile à vne veusue qu'à vne qui est mariee absente de son mary : plus facile à vn religieux qu'à celuy qui est marié : plus facile à celuy qui n'a iamais experimenté ce plaisir qu'à ceux qui l'ont appris »268. Benedicti insiste sur le fait qu'il faut garder la vierge dans l'innocence de sa condition. Au paragraphe traitant de l'« attouchement », il conseille : « le sage & bien aduisse confesseur pourra interroger prudemment sur cest articles les penitens d'aage competent, & rarement les ieunes enfans, & sur tout les filles & pucelle [sic], de peur de leur apprendre ou occasionner vn desir de sçavoir le péché, qu'ils ignorent »269. De plus, les jeunes filles semblent devoir être surveillées de plus près que leurs frères, peut-être afin de vérifier qu'elles sont toujours dans l'état d'innocence attendu. En effet, Jean Benedicti pense « sous correction

264Si l'interdiction du mariage pour les ecclésiastiques fait jour dès le IVe siècle, les prêtres catholiques gardent l'habitude de se

marier jusqu'à la réforme grégorienne du XIe siècle.

265Yvonne KNIBIEHLER, La virginité féminine : mythes, fantasmes, émancipation, Paris, Odile Jacob, 2012 (coll. Histoire),

p.114.

266Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.65.

267Yvonne KNIBIEHLER, La virginité féminine..., op. cit. [note n°265], p.71.

268Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.344.

269Ibid., p.528.

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toutesfois, qu'il seroit bon de communier les filles enuiron douze ans & les fils à 14.ans au plus tard, consideré que les esprits sont auiourd'huy plus aigus que iamais »270. La peur d'une déviance plus précoce de la jeune fille est-elle présente ? Serait-elle considérée plus apte à pécher, ce qui justifierait sa communion prématurée ? L'auteur n'explique pas cette différence d'âge.

Si l'on cherche tant à préserver l'innocence de la jeune fille, c'est aussi que celle-ci est constamment en danger, ce qui transparaît dans les écrits de Jean Benedicti. La violence des hommes sur les femmes est palpable dans son ouvrage et les allusions au viol sont multiples. Georges Vigarello tient à souligner dès le début de son Histoire du viol le « parallèle avec la violence familière et quotidienne [...]. Le viol, dans la France ancienne, est en cohérence avec l'ensemble d'un univers de violence »271. Si la jeune fille est parfois accusée d'être consentante voire tentatrice, cela n'est en aucun cas une excuse à sa défloration selon Jean Benedicti. Ce dernier affirme en effet que « la fille ne peut bonneme[n]t consentir à tel acte. Pourquoy : Pour auta[n]t qu'elle n'est pas maistresse de son corps, de son honneur, ny de sa virginité, non plus que de ses membres »272. Dans ce même chapitre traitant du « stupre & defloration d'une pucelle, espece de luxure », le franciscain développe sa pensée sur le viol d'une jeune fille : « Qviconqve deflore vne fille vierge, & rompt le seau de sa virginité, peche griefuement : car premierement il des-honnore la fille : secondement, il est occasion qu'elle ne trouuera pas bon mariage : tiercement il la met au desespoir & au chemin de perdition : quartement il fait des-honneur au pere & mere, freres & soeurs, & parens de la fille »273. Selon Yvonne Knibiehler, la « défloration est perçue comme un acte magique : à la fois blessure sanglante et révélation du plaisir, elle est supposée provoquer une mue décisive de la femelle humaine. Consciemment ou non, le mâle humain attend avec émotion, la métamorphose de la fille en femme, et tout l'imprévu qui pourrait s'ensuivre... »274. Cette atteinte à la virginité de la jeune fille fait basculer son statut social. De la vierge valorisée ne reste qu'une femme corrompue, prête à pécher à nouveau du fait de ce premier acte sexuel. Jean-Louis Flandrin remarque que le « choix - courant - du terme "corrompue" pour qualifier la fille qui a perdu son pucelage est lui-même significatif »275. Vigarello rappelle quant à lui que les « victimes demeurent physiquement stigmatisées, dépréciées comme un fruit corrompu, blessure d'autant plus

270Ibid., p.232.

271Georges VIGARELLO, Histoire du viol XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998 (coll. L'univers historique), p.15.

272Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.132.

273Ibid., p.132.

274Yvonne KNIBIEHLER, La virginité féminine..., op. cit. [note n°265], p.106.

275Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes : XVIe-XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1993 (rééd.) (coll. Folio / Histoire), p.224.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

grave que la virginité peut faire la différence entre les femmes qui comptent et celles qui ne comptent pas »276. L'expression « fruit corrompu » est très forte et renvoie aux espoirs que pouvait placer la famille en ses enfants. Un fruit « abîmé », « souillé », n'a plus les mêmes chances qu'avant et prend donc un mauvais départ. En effet la victime d'un viol est mise en marge de la société d'Ancien Régime. C'est pourquoi il importe que restitution soit faite.

La restitution fait souvent l'objet d'un accommodement entre les parties. Georges Vigarello souligne « la volonté d'éviter le recours à une justice trop lointaine ou inquiétante en multipliant les procédés infrajuridiques »277. Jean Benedicti revient par deux fois, et assez précisément, sur les moyens accordés au séducteur pour restituer son honneur et sa dignité à une jeune fille violée. Au chapitre concernant le « stupre & defloration d'une pucelle, espece de luxure », il affirme : « A tout le moins il est obligé de la prendre à femme, si les parens la luy veulent bailler : & s'ils ne veulent il la doit doüer, & luy donner aussi bon mariage que si elle n'eust point esté violee : & outre cela satisfaire aux parens. Que s'il ne la veut prendre il doit estre chastié corporelleme[n]t selon les loix, outre le douaire qu'il luy doit bailler »278. Puis, au paragraphe concernant la « Restitution des biens de l'ame, du corps, de l'honneur, & de fortune », il aborde en tout premier le cas de la pucelle déflorée : « Quant aux biens de l'Esprit, celuy qui a seduit vne pucelle, il est tenu de la prendre en mariage, ou s'il ne la peut prendre de luy bailler douaire compete[n]t qui a acoustumé d'estre donné aux filles du pays, & s'il ne la veut espouser, il doit estre puny corporellement. Et si c'est vn prestre, il faut pareillement qu'il la douë, & qu'il soit puny. Que si la fille à volontairement sans aucune deception279 consenty à sa defloration, il ne sera point tenu au fait de la co[n]science de la doüer selon aucuns : mais ouy bien au iugeme[n]t politique, auquel on presume tousiours qu'elle à esté desbauchee. Et s'il dit qu'elle n'estoit pas vierge il ne sera pas creu, (sinon qu'il en feist preuue suffisante) car le droit presume qu'elle est pucelle puisqu'elle est en l'estat : & ainsi on presumera tousiours qu'elle aura esté seduite : car comme dit la loy, n'estoit la malice des ho[m]mes, vn si grand peché ne se co[m]mettroit pas Voyez icy vous autres qui debauchez les ieunes filles, sous couleur de les prendre en mariage, en quoy vostre conscience est obligee. Que si les lois estoient bien obseruees vous seriez forbannis du pays, la moytié de vos biens co[n]fisquez, & fustigez : & si vous les auez rauis par force vous serez pe[n]dus au gibbet »280. En cela, Jean Benedicti

276Georges VIGARELLO, op. cit. [note n°271], p.39.

277Ibid., p.29.

278Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.132.

279Une déception est une tromperie, une ruse.

280Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.697.

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semble suivre les décisions prises par l'ordonnance de Blois de mai 1579, ordonnée par Henri III. En effet, l'article 42 de cette ordonnance stipule que « ceux qui se trouveront avoir suborné fils ou fille mineurs de vingt-cinq ans, sous pretexte de mariage ou autre couleur, sans le gré, sçù vouloir ou consentement exprès des pères, mères et des tuteurs, soient punis de mort, sans espérance de grace et pardon : nonobstant tous consentemens, que lesdits mineurs pourroient alléguer par après, avoir donné audit rapt lors d'icelui ou auparavant [...] »281. La peine de mort était donc autorisée dans ce cas, même si elle semble avoir été très peu fréquente. La dotation de la jeune fille était plus commune dans les cas où cette dernière obtenait gain de cause. Selon Jean-Louis Flandrin, la pression villageoise suffisait parfois à la réparation mais les tribunaux jouaient aussi leur rôle en fixant le montant de la dot si la jeune fille « établissait la vraisemblance de son accusation et s'il [le séducteur] ne pouvait prouver qu'elle avait connu d'autres hommes avant lui »282. Néanmoins, tous les historiens soulignent que la jeune fille sortait souvent souillée d'un procès où sa bonne foi était remise en cause, où un examen délicat par une sage-femme lui était infligé mais surtout où le regard était focalisé « sur la luxure et le péché, aggravant sourdement la compromission de la victime, un état d'indignité que la sentence pénale ne parvient pas à effacer »283.

Il semble que Jean Benedicti pensait, comme la société de son temps, qu'une jeune fille déflorée allait suivre un chemin de débauche. Il écrit en effet : « Celuy qui desbauche vne ieune fille, il peche doubleme[n]t, premiereme[n]t en co[m]mettant le peché de luxure : secondement en faisant offenser ceste pauure fille, & la mettant en voye de perdition »284. Néanmoins, il semble qu'ait existé une sorte de commerce de la virginité, ce que met en lumière Benedicti lorsqu'il dit : « Item si le pere ou la mere, voulans vendre la pudicité de leur fille, luy commandant de s'abando[n]ner pour leur gaigner quelque chose : la fille ne leur doit aucunement obeir, ains plustost endurer la mort, quelque pauureté que puissent auoir ses parens, & ainsi des autres enfans »285. Aussi, si les parents et la famille de la victime d'un viol sont atteints dans leur intégrité par cet acte, ils semblent être parfois à l'origine d'un marchandage de cette denrée rare qu'est la virginité. Le viol d'une vierge est dans tous les cas dans La somme des pechez, et le remede d'icevx... soumis à restitution et l'origine d'un discours désapprobateur car

281Ordonnance de mai 1579, citée dans Georges VIGARELLO, op. cit. [note n°271], p.65. 282Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes..., op. cit. [note n°275], p.292.

283Georges VIGARELLO, op. cit. [note n°271], p.40.

284Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.113. 285Ibid., p.91.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

« il appert que ce n'est pas petit peché de deflorer vne ieune pucelle, qui est le te[m]ple du sainct Esprit, & l'honneur de ses parens »286.

Afin de soutenir les jeunes filles dans leurs efforts pour sauvegarder leur virginité, Jean Benedicti met à leur disposition un certain nombre de modèles et de repoussoirs. Yvonne Knibiehler rappelle que les pucelles « sont bien présentes dans la littérature hagiographique. Les exempla et les miracula, récits destinés à l'édification des fidèles, invoquent de préférence les témoignages de très jeunes filles : dès leur douzième année, leur nom est précisé, elles sont écoutées avec attention, leurs paroles sont retranscrites »287. Le modèle le plus fort qui est proposé aux jeunes filles est bien sûr celui de la Vierge Marie, mère de Dieu qui a su préserver sa chasteté tout au long de sa vie malgré sa grossesse. Les débats qui entourent le mystère de la conception virginale de Marie sont très présents dans l'ouvrage de Benedicti et notamment dans l' « Espitre Dedicatoire » qui précède La somme des pechez, et le remede d'icevx... Sur deux pages seulement de cette épître, nous pouvons relever vingt-cinq mentions de la virginité de Marie ; ce thème est une sorte de leitmotiv. En effet, cette conception virginale du Christ pose problème au sein même de l'Église catholique. Jean Benedicti relate l'histoire de Siméon, qui accueillit Marie au temple lors de la présentation de Jésus. Il est de coutume à l'époque de présenter les enfants au temple quarante jours après l'accouchement. La femme, purifiée, peut alors offrir son enfant avec des présents. Siméon « tomba en doute, s'il estoit possible en nature qu'vne Vierge enfantast : encores quelques uns adioustent qu'il effaça ce mot de Vierge, & y mis le mot fille iusques à trois fois, mais autant de fois il trouua le nom de Vierge remis en son lieu »288. Jean Benedicti prend tout l'espace de cinq pages de son « Espitre Dedicatoire » pour défendre la thèse de la virginité mariale. Il commence son discours par un appel à tous ceux qui remettent en cause cette virginité : « Or venez ça Payens, Iuifs, Epicuriens, Athees & Heretiques, qui calomniez la religion Chrestienne, apprenez que ce que nous croyons de la pudicité de la mere de nostre Dieu n'est pas tant esloigné de raison, qu'on n'ait creu autres choses aussi difficiles que celle-cy »289. Puis il recense toutes les mentions connues de lui à propos de l'annonce d'une vierge enfantant ou à propos de vierges qui ont enfanté selon les croyances attribuées à chacun de ces groupes qu'il interpelle. Ce travail accompli, il peut réaffirmer la grandeur de Marie, la femme la plus admirable selon ce fervent

286Ibid., p.133.

287Yvonne KNIBIEHLER, La virginité féminine..., op. cit. [note n°265], p.92.

288Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Espitre Dedicatoire ». 289Ibid., « Espitre Dedicatoire ».

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franciscain : « Voilà le premier miracle, ô sacree Royne des Cieux, que nous remarquons, c'est que vous estes demeuree vierge deuant l'enfantement, en l'enfantement, & apres l'enfantement »290. Jean Benedicti réaffirme donc que Marie n'a pas connu charnellement son époux Joseph : ce sont des époux virginaux. Marie est restée vierge durant sa grossesse puisqu'elle a été enfantée par l'Esprit saint. Enfin, Jésus « sortit de sa mere comme les rayons du Soleil à trauers une vitre, sans y faire ouuerture & fraction »291 : Marie est donc toujours vierge après son accouchement. La figure de la Vierge Marie est exaltée en de nombreux passages de l'oeuvre de Jean Benedicti et ce dernier compte peut-être sur le renouveau des dévotions consacrées à Marie pour faire d'elle un modèle de la virginité accomplie. Yvonne Knibiehler souligne qu'à cette époque « [l]'art baroque délaisse les représentations de l'Annonciation et même celles de la Vierge à l'Enfant, naguère si populaires ; il leur préfère l'image de l'Immaculée Conception, où la Vierge est seule, Reine du Ciel, plus vierge que mère »292.

Si la Vierge Marie est tant prise comme modèle, d'autres jeunes femmes ont elles aussi ce rôle. Ainsi, il est important de souligner que l'immense majorité des saintes approuvées par la religion catholique sont de véritables vierges. Jean Benedicti fait allusion à « saincte Catherine de Senes, & [...] saincte Christine, lesquelles ne pouuoient endurer la puanteur des pecheurs & pecheresses parlans & co[n]uersans auec eux » à l'image de la Vierge Marie qui elle non plus « ne pouuoit co[n]uerser auec vne creature en peché »293. En ce qui concerne l'histoire des vierges citées par Benedicti, nous nous appuierons sur le texte de La légende dorée, de Jacques de Voragine, afin de connaître les croyances des gens du XVIe siècle à leur propos. En effet, ce texte est l'une des oeuvres les plus imprimées à l'époque. Jacques de Voragine, au XIIIe siècle, s'est proposé de recueillir en cet ouvrage l'histoire de tous les saints de la religion chrétienne. Son oeuvre s'est véritablement imposée comme une référence avant d'être mise quelque peu à distance au XVIIe siècle. Sainte Catherine est citée comme une personne très pieuse qui communie tous les jours294. Si elle est appelée aux côtés de sainte Christine, c'est que toutes deux entrèrent en religion contre le voeu de leurs parents. Elles menèrent toutes deux une vie très pieuse faite de souffrances physiques : sainte Catherine de Sienne du fait de ses pénitences extrêmement sévères, sainte Christine par l'énergie que mirent ses tyrans à essayer de lui faire abjurer la foi chrétienne. Christine est une grande figure de vierge martyrisée. Jacques de Voragine raconte ses multiples supplices : son père lui fait

290Ibid., « Espitre Dedicatoire ».

291Ibid., « Espitre Dedicatoire ».

292Yvonne KNIBIEHLER, La virginité féminine..., op. cit. [note n°265], p.114.

293Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.27.

294Ibid., p.236.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

déchirer les chairs et rompre les membres puis il la fait attacher à une roue et allume un bûcher sous son corps, il tente même de la jeter à la mer avec une pierre au cou. Elius, qui devient son bourreau à la mort de son père, « la fit plonger dans une chaudière allumée avec de l'huile, de la résine et de la poix ; et il ordonna à quatre hommes de secouer la chaudière, pour activer la flamme »295. Son dernier tyran fut Julien, qui la fit plonger dans une fournaise ardente, lui trancha les seins, « d'où jaillit du lait au lieu de sang »296 puis lui coupa la langue avant de la faire transpercer de flèches297. « [C]este bonne Vierge S. Christine deplorant la corruption des corps humains »298 est un modèle tout trouvé de persévérance dans sa foi et dans ses convictions pour de jeunes demoiselles en quête d'un idéal. Benedicti fait aussi référence à sainte Marthe299, vierge qui accueillit chez elle le Christ lui-même. En développant assez longuement l'histoire de sainte Marine, le franciscain fait l'apologie de la patience qui caractérise les personnes réellement pieuses. Il raconte en effet comment cette vierge, placée en temps que garçon chez les moines par son père, fut faussement accusée de la paternité de l'enfant d'une villageoise mais récompensée de sa longue patience par la reconnaissance tardive de son innocence : « car on trouua apres sa mort qu'elle estoit fille & pucelle, & par conseque[n]t qu'vne fille ne pouuoit pas auoir engrossé vne fille : & le tout fut descouuert à la grande confusion de ses ennemis : car quoy qu'on attende, Patience finalement gaigne »300. Enfin Benedicti assure que les jeunes filles vierges peuvent compter sur le soutien de la Vierge Marie dans les épreuves qui les attendent. Il attribue en effet la fin heureuse de l'histoire de sainte Justine à l'intervention de Marie. Le mage Cyprien, figure du séducteur peu scrupuleux, tente de s'attirer les bonnes grâces de Justine, qui repousse ses attaques grâce au signe de croix. La virginité de la jeune fille est mise en valeur dans le manuel de confession de Jean Benedicti et « l'intercessio[n] de la glorieuse mere de Dieu »301 est soulignée par deux fois : à ce moment mais aussi dans l'« Espitre Dedicatoire » où Benedicti interpelle la Vierge Marie ainsi : « saincte Iustine, que vous deliurastes des charmes & enchantemens de Cyprian »302. Il semble donc que les jeunes filles désireuses de persévérer dans leur foi peuvent trouver des modèles dans

295Jacques de VORAGINE, La légende dorée, Paris, Seuil, 1998 (rééd.) (coll. Points Sagesses), p.351.

296Ibid., p.352.

297Le martyre est considéré comme un « témoignage ». Sylvie Barnay affirme que le « martyr est identifié au Crucifié, son sang

versé au sang versé par le Christ sur la Croix ». Les nombreux supplices endurés par les saints sont justifiés par le lien qu'ils

créent avec Dieu. Ce sont des modèles à contempler et à vénérer. (Sylvie BARNAY, Les Saints : des êtres de chair et de ciel,

Paris, Gallimard, 2004 (coll. Découvertes Gallimard, Religions)).

298Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.142.

299Ibid., « Espitre Dedicatoire ».

300Ibid., p.361.

301Ibid., p.50.

302Ibid., « Espitre Dedicatoire ».

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les saintes dont elles connaissent les histoires mais aussi une protection auprès de la plus sainte des femmes dans le discours de Benedicti, la Vierge Marie.

Jean Benedicti mêle aussi à son discours des figures qui doivent servir de repoussoir aux jeunes filles qui seraient sur le point de pécher. Ainsi, il met en scène une jeune fille en danger de pécher mortellement : « la pucelle qui desire sçauoir, combien la delectation charnelle est grande, & cherche les moye[n]s de le sçauoir, toutesfois sans volo[n]té d'auoir co[m]pagnie d'ho[m]me, elle peche. Et si elle a le vouloir d'accomplir l'oeuure, pour en auoir l'experience, elle commet deux pechez, l'vn de curiosité & l'autre de luxure. Et si elle met la volonté en effect, c'est encores plus gra[n]d peché »303. Les filles de Loth, figures bibliques, sont elles aussi prises en exemple comme de mauvaises vierges puisqu'elles n'ont pas foi en Dieu. Selon Benedicti, c'est en effet du fait qu'elles « pensoient, voyans Sodome & Gomorre abismees, que le monde estoit finy »304 qu'elles couchèrent avec leur père, pensant perpétuer une espèce qui leur semblait en danger. Néanmoins, elles commettent l'inceste, fortement dénoncé par l'Église. Ces deux jeunes filles sont donc un contre-exemple de l'espérance que tout croyant devrait placer en Dieu. Enfin, Benedicti s'appuie sur la parabole des dix vierges pour mettre en garde les jeunes filles. Cette parabole fait référence à une coutume qui voulait que dix jeunes filles vierges raccompagnent les époux nouvellement mariés chez eux où a lieu une grande fête en l'honneur de leur union. Dans cette histoire racontée par Matthieu (25, 113), dix jeunes vierges attendent donc le passage de l'époux. Lorsque ce dernier arrive enfin, en retard, cinq des vierges n'ont déjà plus assez d'huile pour l'éclairer sur le chemin du retour. Seules les cinq vierges sages, qui avaient prévu de l'huile en quantité, sont invitées à partager la fête en l'honneur du mariage. Benedicti fait un parallèle entre un vendeur d'huile et un séducteur qui cherche à inciter une jeune fille à pécher : « les flatteurs sont les vendeurs d'huile, qui deceurent & tromperent les cinq vierges folles »305. Il peut être remarqué que dans la parabole de Matthieu, les vendeurs d'huile ne sont pas présents, les cinq vierges folles, qui ont oublié de se munir d'huile pour la veillée, ne doivent s'en prendre qu'à elles-mêmes : elles sont exclues de la fête du mariage du fait de leur manque de préparation. Ici, Jean Benedicti introduit un nouveau paramètre : les cinq vierges folles auraient pu, non pas seulement oublier de se munir d'huile, mais être trompées par les vendeurs d'huile qui prennent un visage de séducteur. De même, quelques pages plus tôt, Benedicti forgeait déjà les traits de cette nouvelle parabole en affirmant : « Or ceux qui s'addonne[n]t au plaisir d'iceux [des sens] sont les

303Ibid., p.249. 304Ibid., p.451. 305Ibid., p.530.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

cinq folles vierge [sic] qui sont forcluses306 du Royaume celeste, lesquelles seront tourmentees par les mesmes cinq sens és prisons infernales »307. Le franciscain semble ici se réapproprier une parabole biblique en la travaillant selon le message qu'il désire faire passer auprès des vierges de la société du XVIe.

Malgré la place laissée à la figure de la vierge dans La somme des pechez, et le remede d'icevx, la majorité des jeunes filles au XVIe siècle suivent les voies du mariage. Cette union semble être pour Jean Benedicti l'issue la plus naturelle pour une jeune fille. En effet, il présente le « mariage de quelque pauure orpheline »308 comme un acte charitable capable de racheter un voeu qu'on a fait sans pouvoir l'accomplir. Or le franciscain est extrêmement sévère avec ceux qui ne tiennent pas leurs voeux. De même, il affirme que « marier les pauures filles »309 est possible pour le pécheur qui souhaite faire pénitence. Ce mariage lui permettrait d'être libéré du poids de son péché. Il semble donc que, tout du moins pour les gens de basse catégorie, les pauvres, le mariage soit une voie vers le salut, ce qui pourrait arriver de mieux à une jeune fille guettée par le désespoir et, peut-être, par la tentation du péché. Sous l'Ancien Régime, le mariage était une sorte d'échange, un pacte entre les familles. C'est pourquoi Jean Benedicti trouve mal placé pour un jeune homme de refuser de « prendre la femme sage & ho[n]neste que son pere luy veut bailler, & signamment pour quelques bons respects, comme de faire paix & accord entre les maisons & familles, assopir les vielles [sic] querelles »310. Jean-Louis Flandrin souligne quant à lui que « [d]ans le français d'autrefois, les mots "alliance" et "mariage" étaient quasiment synonymes, ce qui ne saurait être sans signification. La fonction politique du mariage, primordiale dans la plupart des sociétés, l'était aussi dans l'aristocratie européenne - c'est évident - et elle n'était sans doute pas ignorée dans des milieux plus modestes »311. Au vue de cette fonction attribuée au mariage, de nombreuses personnes essaient de le réglementer.

L'Église au XVIe siècle entame un bras de fer avec le pouvoir royal français sur cette question. Les rois successifs tentent d'imposer leur juridiction concernant les modalités du mariage. La papauté quant à elle résiste et veut montrer qu'elle est la véritable autorité en la matière. Tout commence en 1556 alors que Diane de France, fille légitimée du roi Henri II, doit épouser François de Montmorency, fils d'un puissant

306Forclore signifie exclure, écarter quelqu'un de quelque chose.

307Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.523.

308Ibid., p.75.

309Ibid., p.658.

310Ibid., p.93.

311Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes..., op. cit. [note n°275], p.31.

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connétable, c'est-à-dire du chef souverain des armées de France. Or, la veille du mariage, on apprend que ce dernier avait déjà épousé en secret Jeanne de Halluin, demoiselle de Piennes et fille d'honneur de la reine Catherine de Médicis. Jacques Poumarède explique : « Sous l'effet du scandale, et face au refus opiniâtre du pape Paul IV d'accorder une dispense pour non consommation du mariage, Henri II fit publier l'édit de février 1556 sur les "mariages clandestins" qui pose le principe d'une majorité matrimoniale de trente ans pour les fils et de vingt-cinq ans pour les filles. [...] À titre de sanction, l'édit permettait aux parents d'exhéréder les enfants mariés sans leur consentement, et envisageait même contre les coupables et leurs complices des peines laissées à l'arbitraire des juges »312. Or le « droit canon313 avait fait du mariage un contrat consensuel, fondé donc sur le seul consentement des époux, pour diminuer le nombre des unions illicites en facilitant la conclusion du mariage »314. Il existe alors une friction, une distorsion entre la juridiction de l'Église et celle que tente d'imposer le pouvoir royal français, entre le droit canonique et le droit civil. Cela se ressent grandement dans La somme des pechez, et le remede d'icevx. En effet, Jean Benedicti est nourri de ces deux juridictions et ne semble pas à première vue avoir tranché en faveur de l'une plus que l'autre.

Ainsi, le franciscain affirme à la fois le pouvoir du père et plus largement des parents dans le mariage de leur fille mais aussi l'importance du consentement de cette dernière. Benedicti affirme au début de son ouvrage : « l'enfant est tenu de pre[n]dre la femme que son pere luy a choisie, quand elle est digne de luy. Et iaçoit que le pere ne puisse des-heriter sa fille qui se marie à son plaisir co[n]tre sa volonté, toutesfois elle peche en cela, à raison de son inobedience enuers le pere, & le peu de respect qu'elle luy porte. Voire mais les mariages des enfans de famille contractez contre le gré & consentement de leurs peres, sont-ils vallables ? »315. En ces quelques phrases, Benedicti soulève les problèmes discutés à son époque. Il dit savoir que les familles ne peuvent déshériter leur fille si elle leur a désobéi en choisissant son époux alors qu'il cite l'édit de 1556 qui stipule « Nous auons dit, statué, & ordonné, disons, statuons & ordonno[n]s per edict, loy, statut, & ordonnances perpetuels & irreuocables que les enfans de famille ayans contracté, & qui contracteront cy apres mariages cla[n]destins contre le gré, vouloir & consentement, & au desceu de leurs peres & meres, puissent pour telle

312Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Mariage ».

313Le droit canon ou canonique est l'ensemble des lois adoptées par l'Église catholique auxquelles doivent se conformer tous les croyants. Depuis l'avènement du pouvoir royal, le droit canon se heurte au désir des rois de définir eux-mêmes les lois dans leur royaume.

314Jean-Claude BOLOGNE, Histoire du mariage en Occident, Paris, Hachette, 1995 (coll. Pluriel), p.213.

315Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.94.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

irreuerence & ingratitude, mespris & contemnement de leurs dits peres & meres, transgression de la loy, & commandement de Dieu, & offense contre le droit de l'honnesteté publique, inseparable d'auec l'vtilité, estre par leurs dicts peres & meres, & chacun d'eux exheredez & exclus de leurs successions, sans esperance de pouuoir quereller l'exheredation que ainsi aura esté faite »316. Benedicti pose aussi la question de la nullité des mariages faits sans le consentement des parents. Il souligne que « la question est fort agitee par plusieurs, Iurisconsultes & Theologie[n]s, entre lesquels il y en a qui tiennent que ce n'est point mariage, les autres en douttent fort, & croient plustost que le mariage est nul qu'autrement. Ie mettray icy en bref leurs raisons et puis j'e[n] bailleray la resolution »317. Il commence par affirmer qu'au « nouueau Testament il est dit qu'il est en la volonté du pere de marier sa fille, ou de la garder ainsi »318. Puis il cite « le decret d'Euariste Pape par cy deuant allegué, qui dit, le mariage n'estre legitime si la fille n'est demandee à ceux qui sur elle ont seigneurie & puissance, comme sont les parens, & les nopces autrement contractees doyuent estre appellees adulteres, stupres & fornications »319. Il en arrive donc à la conclusion que « personne n'attente de rauir ou prendre la fille d'autruy, sans le consentement de ses parens »320. À ce point de sa démonstration, il insère le décret promulgué par Henri II en 1556 déclarant qu'une fille sous l'âge de vingt-cinq ans ne peut se marier sans l'accord de ses parents. Il faut ici remarquer que, tout comme pour l'âge de la première communion, la jeune fille est soumise plus précocement que ses frères à certains devoirs ou obtient plus tôt qu'eux certains droits. De même, elle peut se marier à « [v]nze ans & demy au moins » tandis qu'un jeune homme doit patienter en quelque sorte jusqu'à « treize ans & demy »321. La conclusion de Benedicti est donc qu'« il n'y a aucun doutte que tels enfans qui n'estans encores emancipez, se marient ainsi contre la volonté de leurs parens n'offensent mortellement, comme ie l'ay dit au lieu cotté : mais quant au second, à sçauoir si le mariage ainsi contracté demeure valide, ie dy que ouy, sans qu'il se puisse aucunement ro[m]pre, ne separer, au moyen qu'il ayt esté celebre par vn prestre en presence de tesmoings »322. Le franciscain semble donc se ranger à l'avis de l'Église et finalement nier la nullité d'un mariage clandestin que veut obtenir à tout prix le pouvoir royal français. Il pourrait s'arrêter là et pourtant, il réintroduit l'idée du libre consentement des enfants qui vont se marier en citant « le Pape Luce, qui declare celuy qui a raui vne

316Ibid., p.480. 317Ibid., p.479. 318Ibid., p.479. 319Ibid., p.480. 320Ibid., p.480. 321Ibid., p.473. 322Ibid., p.481.

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femme & l'a espousee de son consentement ne deuoit estre appellé rauisseur, puis qu'il a le consentement de la femme : & dit que c'est vray mariage, encores que les parens y contredisent. Voilà vne constitution Canonique qui doit preualoir à la ciuile en matiere de mariages : la connoissance desquels appartient à l'Eglise & non pas au Magistrat. L'escriture monstre que le consentement de ceux qui se marient est requis, comme il se lit des parens de Rebecca qui dirent qu'il failloit auoir le consentement de la fille pour faire le mariage : & l'Apostre le monstre clairement aux Corinthie[n]s »323. Ainsi, malgré un discours qui se veut assez consensuel, Jean Benedicti réaffirme la primauté des canons de l'Église sur les lois civiles et il tente de clore le débat sur ces mots : « Et ne me faut alleguer les loix ciuiles : car en ce point elles cedent au droit Ecclesiastique »324.

Le manuel de confession présente les différentes étapes qui doivent rythmer le mariage de deux jeunes gens : « il faut, à fin que le mariage soit legitime, que celuy qui veut auoir la famme en mariage qu'il la demande à ses parens, & ceux qui ont charge d'elle : & puis au temps des nopces qu'elle soit beniste (auec son mary) par le prestre, comme nous l'auo[n]s appris des Apostres & de leurs successeurs : & puis faut que le mary & la femme vaque[n]t deux ou trois iours à prieres & oraisons deuant que de coucher ense[m]ble, afin qu'ils engendrent des enfans beaux & agreables à Dieu. Que si les mariages se contractent autrement, sçachez qu'ils sont plustost adulteres & fornicatio[n]s, que vray mariage, &c »325. Jean Benedicti n'offre aucune description plus précise de la cérémonie qui se déroule dans l'église, de l'échange de voeux entre les mariés et du don d'un anneau du mari à sa femme. Le franciscain n'insiste pas non plus sur les récents traités qui imposent la présence de témoins lors du mariage. Ainsi, la XXIVe session du concile de Trente, du 11 novembre 1563 avait insisté sur la nécessité de la présence d'un curé et de deux témoins, sorte de concession au pouvoir royal français. Néanmoins, les articles du concile de Trente n'ont jamais été reçus en France, du fait des grandes tensions existant entre la papauté et la royauté. Une ordonnance royale s'inspire cependant du décret conciliaire : « La grande ordonnance de réformation dite de Blois (1579), prise à la suite des États du même nom, exigea (art.40) la publication préalable de trois bans successifs, sans qu'aucune dispense ne puisse être accordée, sauf motif légitime, puis une célébration par le curé devant quatre témoins, et non pas deux seulement »326.

323Ibid., p.481-482.

324Ibid., p.482.

325Ibid., p.456.

326Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Mariage ».

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Benedicti s'intéresse surtout aux questions de dot mal acquise ou aux raisons de casser des fiançailles. Ainsi, il affirme par deux fois la nécessité de restituer une dot acquise grâce à un père usurier : « la fille qui a receu son douaire que son pere luy a donné de ses vsures est tenuë à restitution, elle & son mary, s'ils sçauent bien que cela est mal acquis »327 dit-il. Puis, il réaffirme : « la fille qui a receu douaire de son pere, sçacha[n]t bien qu'il est acquis par vsure, & que son Pere n'a aucun moyen de restituer, tant elle que son mary, sont obligez à restituer »328. Ces deux allusions à la dot, ou douaire, d'une fille mettent en relief le problème que cette dernière constituait dans les familles, quel que soit leur degré d'aisance. Afin de conserver intact le patrimoine foncier, une somme d'argent était donnée à la jeune épouse. Or, s'il y avait trop de filles dans une même famille, cela déséquilibrait les plans de leurs parents. Le placement des cadettes, ou des filles les moins gracieuses, dans des couvents était une pratique fréquente dans les hautes strates de la société afin de libérer des possibilités financières pour marier les autres filles. Jean Benedicti tente aussi de réguler la pratique des fiançailles. Ainsi, il développe longuement les possibilités offertes à un homme qui « par faintise a ainsi contracté »329 de se dégager de ses promesses. Ce dernier devra réparer l'honneur de la demoiselle à qui il a promis le mariage et les jeunes gens devront se présenter à un confesseur qui seul pourra décider s'ils sont aptes à se remarier chacun de leur côté. Dans ce passage, nous pouvons retrouver un des arguments utilisés par les séducteurs pour obtenir les faveurs d'une jeune fille. En effet, Benedicti dit : « une autre coniecture, est quand il y a grande disparité entre luy & la femme, comme s'il est gentilhomme riche & opulent, & la femme soit roturier, pauure ou de bas estat, de sorte qu'il est vray semblable qu'il n'a iamais eu intention de l'espouser, sinon pour auoir iouissance d'elle : ce que arriue souuent entre ces gentilshommes & gens riches qui dissimulent de contracter mariage auec les filles des marchands & laboureurs, à fin de iouyr de leur beauté »330. La jeune fille n'a ici qu'un rôle secondaire puisqu'il revient à l'homme qui lui a promis le mariage de faire les démarches s'il veut casser les fiançailles. Jean Benedicti n'adopte pas de plus un ton réellement désapprobateur face à ces hommes qui promettent le mariage afin de coucher avec une jeune fille. Cela peut dénoter une certaine banalité ce qui est visible dans l'ouvrage de Jean-Louis Flandrin Les amours paysannes : XVIe-XIXe siècle. En effet, l'auteur y montre la fréquence de telles déclarations dans les archives judiciaires : afin d'obtenir dédommagement pour les frais de grossesse, les

327Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.318. 328Ibid., p.706. 329Ibid., p.473. 330Ibid., p.473.

jeunes filles déclarent souvent que leur séducteur leur avait promis le mariage331. Le jeune homme peut aussi faire marche arrière s'il « connoit auoir fiancé vne corrompuë, laquelle il pensoit estre vierge, ou la trouue heretique, sorciere ou magicienne, il n'est pas tenu de la prendre, nonobsta[n]t les fia[n]çailles »332. Se trouvant dans la situation inverse, la jeune fille ne semble pas avoir son mot à dire. Ici réapparaît le thème de la virginité, finalement indissociable du mariage. En effet, selon Yvonne Knibiehler, « [d]ans le cadre du mariage chrétien, déflorer une épouse vierge est le droit et le devoir du mari durant la nuit de noces. Ce n'est pas une simple prise de possession de la femme par l'homme, c'est la confirmation charnelle d'une union sacrée, bénie par Dieu, indissoluble. C'est l'inauguration de la vie d'un couple qui se propose de procréer »333. Virginité et mariage semblent se rejoindre pour inaugurer une nouvelle vie, celle d'une femme mariée.

LA FEMME ET L'HOMME.

Dans l'ouvrage de Benedicti, la place de la femme est essentiellement déterminée à l'aune de celle qu'occupe l'homme. La somme des pechez, et le remede d'icevx traite avec insistance de ce couple qui semble à tout moment pouvoir glisser sur la pente du péché. Nous pouvons aussi penser que, lorsque le franciscain écrit son oeuvre, il se la représente à destination de la composante la plus naturelle de la société de son temps : le couple catholique. Jean Benedicti aborde cette relation homme - femme sous quatre aspects que nous développerons ci-après. Nous verrons tout d'abord comment ce dernier insiste longuement sur les droits et devoirs de la femme mariée. Mais le couple se décline aussi sous d'autres facettes que nous étudierons : la femme adultère semble particulièrement crainte tandis que la concubine est quasiment exclusivement abordée dans sa relation avec des gens d'Église. Enfin, nous mettrons en lumière la vision qu'a Benedicti du problème spécifique que pose la veuve : désormais maîtresse provisoire de ses biens, cette femme « libre » saura-t-elle vivre décemment sans la tutelle d'un homme ?

Droits et devoirs de la femme mariée.

La femme mariée peut entamer une nouvelle existence, qui ne semble pas moins dangereuse que celle de la vierge. Passée sous la tutelle de son mari, elle reste un être

331Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes..., op. cit. [note n°275], p.283-284.

332Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.475. 333Yvonne KNIBIEHLER, La virginité féminine..., op. cit. [note n°265], p.105.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

inférieur à qui Jean Benedicti rappelle les nombreux devoirs. Néanmoins, ce dernier n'hésite pas à lui accorder certains droits qui relativisent quelque peu cette position de soumission extrême dans laquelle nous imaginons la femme du XVIe siècle. Malgré ces concessions, nous verrons dans un premier temps qu'une majorité des références que le franciscain fait à la femme mariée est tournée vers son rapport au sexe. Nous nous pencherons ensuite sur la question de la faiblesse supposée de la femme, qui doit entraîner sa sujétion à tout prix. Enfin, nous montrerons que de cette faiblesse découlent des devoirs mais aussi des droits que Benedicti accorde plus libéralement que bien des hommes de son temps.

La femme a toujours été perçue comme un être ambivalent. Jean Delumeau donne cette explication à la méfiance exprimée envers cette dernière : « Mal magnifique, plaisir funeste, venimeuse et trompeuse, la femme a été accusée par l'autre sexe d'avoir introduit sur terre le péché, le malheur et la mort. Pandore grecque ou Ève judaïque, elle a commis la faute originelle en ouvrant l'urne qui contenait tous les maux ou en mangeant du fruit défendu. L'homme a cherché un responsable à la souffrance, à l'échec, à la disparition du paradis terrestre, et il a trouvé la femme. Comment ne pas redouter un être qui n'est jamais si dangereux que lorsqu'il sourit ? La caverne sexuelle est devenue la fosse visqueuse de l'enfer »334. La femme qui sécrète tous les mois du sang par cette même « caverne sexuelle », dont le corps se déforme sous l'effet de la grossesse, qui donne la vie à un nouvel être et qui pourra nourrir son bébé grâce au lait qu'elle produit ne pouvait-elle pas n'être qu'une personne mystérieuse et inquiétante ? Le sang, qui dans beaucoup de civilisations symbolise l'impureté, lui interdit de participer trop activement à certains cultes. Son rapport à la vie, qu'elle donne, mais aussi à la mort, dont elle semble plus proche, l'ont repoussée du côté de la nature tandis que l'homme s'attribuait la sagesse, la raison. Sa proximité avec la nature la laisse nécessairement plus gouvernée par ses instincts que l'homme. Les médecins de l'Antiquité attribuent à sa « matrice » une vie propre qu'elle-même ne peut contenir. Et d'après eux, cette matrice incontrôlable peut subitement se trouver assoiffée de sexe. Ainsi, Jean Delumeau précise : « Dans l'inconscient de l'homme la femme suscite l'inquiétude, non seulement parce qu'elle est le juge de sa sexualité, mais encore parce qu'il l'imagine volontiers insatiable, comparable à un feu qu'il faut sans cesse alimenter, dévorante comme la mante religieuse »335. Le discours que tiennent les gens d'Église peut parfois sembler terroriste

334Jean DELUMEAU, La peur en Occident, Paris, Fayard, 1978 (coll. Pluriel Histoire), p.403. 335Ibid., p.402-403.

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envers la femme mais il faut rappeler que ces derniers ont fait voeu de continence et que la femme représente, presque nécessairement, une menace, une tentation incessante.

Jean Benedicti aborde assez longuement les questions de sexualité au sein du couple. Rappelons dans quel cadre ces rapports sexuels pouvaient se dérouler au XVI e siècle. Les conjoints ne se sont pas forcément choisis l'un l'autre et, du moins dans les couches les plus aisées de la société, ne se connaissent pas encore très bien. L'écart d'âge peut être important. Le mariage doit être consommé pour être reconnu. Marcel Bernos rappelle que, même « [e]n l'absence de témoignages nombreux et précis sur les gestes communs de l'amour ordinaire, [...] l'impression domine, selon une formule de Jacques Solé, que les actes conjugaux sont "relativement rares, brefs et privés de chaleur" »336. Le mari est censé faire l'éducation sexuelle de sa femme, ce qui est plus facile si cette dernière est assez jeune, mais, comme le rappelle Maurice Dumas, « en matière de sexualité, les conseils qu'on lui adresse se résument à la nécessité de modérer ses propres ardeurs »337. Jean Benedicti tente donc de parer aux dangers potentiels auxquels les femmes sont exposées dans ce « lieu occupé par les forces du mal »338 qu'est le lit conjugal en délimitant précisément les conditions de l'acte sexuel. Afin de voir quels conseils donne Benedicti aux couples, nous suivrons point par point son chapitre intitulé « De l'excez des gens mariez ».

Jean Benedicti rappelle tout d'abord la position de saint Paul. Ce dernier affirme : « Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la femme. Toutefois, en raison du péril d'impudicité, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. Que le mari s'acquitte de son devoir envers sa femme, et pareillement la femme envers son mari. La femme ne dispose pas de son corps, mais le mari. Pareillement, le mari ne dispose pas de son corps, mais la femme. Ne vous refusez pas l'un à l'autre ; si ce n'est d'un commun accord, pour un temps, afin de vaquer à la prière ; puis reprenez la vie commune, de peur que Satan ne profite, pour vous tenter, de votre incontinence ». Il ajoute « mieux vaut se marier que de brûler »339. Ce passage a une très grande importance dans la doctrine chrétienne du mariage puisqu'il institue le devoir de mariage et qu'il reconnaît une sorte de nécessité physique à l'acte sexuel. Benedicti explicite immédiatement ce propos en affirmant : « il ne s'e[n]suit pas toutesfois qu'il doiuent commettre aucu[n]s excez en leur mariage qui desplaise à Dieu »340. Le franciscain prend ici en modèle Sarra. Cette

336Marcel BERNOS, « Le temps des mises en ordre », dans Le fruit défendu : les chrétiens et la sexualité de l'Antiquité à nos jours, Marcel BERNOS, Charles de LA RONCIERE, Jean GUYON, Philippe LECRIVAIN, Paris, LE Centurion, 1985 (coll. Chrétiens dans l'histoire), p.160.

337Maurice DUMAS, Le mariage amoureux : histoire du lien conjugal sous l'Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 2004, p.135. 338Ibid., p.134.

339Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], I Cor. VII, 1-9.

340Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.150.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

jeune femme, qui est veuve de sept époux sans même avoir eu le temps de les connaître, finit par épouser le valeureux Tobie. Benedicti rappelle que le démon Asmodée est responsable de la mort des époux successifs de Sarra. Il interprète l'action du démon pour appuyer son propos. En effet, tandis que les raisons d'Asmodée ne sont pas développées dans le texte biblique341, Benedicti affirme qu'il « tua les sept marys de la ieune dame Sara, à raison qu'ils l'auoient espousee, plustost pour vaquer à leur concupiscence & appetis desordonnez, comme bestes brutes, que pour auoir lignee »342. Nous ne savons pas si cette interprétation était commune à l'époque mais il est intéressant de remarquer qu'ici « ce diable Asmodee » semble avoir horreur du péché et va jusqu'à commettre plusieurs meurtres pour protéger l'honneur d'une jeune mariée vertueuse. Quelques lignes plus loin, le franciscain détourne à nouveau un texte biblique pour appuyer son propos. Il affirme que le prophète Osée a dit : « Pour-autant [...] qu'ils ont esté impudiques en leurs amours, ie feray que les femmes seront steriles, ou que si elles viennent à conceuoir, elles enfantero[n]t des mo[n]stres & ie leur tariray les mammelles, &c »343. La note à laquelle renvoie l'astérisque mis devant le mot « Prophete » invite le lecteur à se référer à « Osee c. 9. ». Or dans ce passage, si Osée annonce effectivement une punition divine impliquant « plus d'enfantement, de grossesse, de conception [...] des entrailles stériles et des seins desséchés »344, il s'agit du crime d'idolâtrie qui est en cause et non celui d'incontinence. Nous voyons ici que Benedicti adapte assez librement la Bible pour illustrer son propos.

Il semble néanmoins que son premier conseil soit la modération. Tout rapport doit être mesuré en vue de son but ultime : la procréation. Jean Benedicti conseille : « il ne faut pas que l'ho[m]me vse de sa femme comme d'vne putain, ne que la femme se porte enuers son mary, comme auec vn amoureux : car ce sainct Sacrement de mariage se doit traicter auec toute honnesteté & reuerence »345. Nous pouvons ici rapprocher ce propos de ce que pense un contemporain, Michel de Montaigne. Ce dernier affirme en effet à la même époque : « Aussi est-ce une espèce d'inceste d'aller employer à ce parentage vénérable et sacré les efforts et les extravagances de la licence amoureuse. Il faut, dit Aristote, toucher sa femme prudemment et sévèrement, de peur qu'en la chatouillant trop lascivement le plaisir la fasse sortir hors des gonds de raison. Ce qu'il dit pour la conscience, les médecins le disent pour la santé : qu'un plaisir excessivement chaud, voluptueux et assidu altère la semence et empêche la conception. [...] Aucune

341Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Tobie, 3, 8.

342Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.

343Ibid., p.151.

344Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Osée, 9, 11-14.

345Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.

femme ne voudrait tenir lieu de maîtresse et d'amie à son mari. Si elle est logée en son affection comme femme, elle y est bien plus honorablement et sûrement logée »346. Nous voyons ici que les religieux ne sont pas en opposition avec les pensées de l'époque.

Benedicti aborde ensuite la question des positions sexuelles acceptées ou non. Le rapport sexuel devant avoir pour but premier la procréation, il doit la faciliter par tous les moyens. Le cas contraire, il ne s'agirait que de chercher la volupté, ce qui est un péché en soi. Scarlett Beauvalet affirme que cette question de la « position naturelle » est « toujours posée lors de la confession »347. Selon elle, « les clercs n'en admettent qu'une seule, qui met l'homme au-dessus de la femme allongée sur le dos. [...] Outre l'intérêt de faciliter la procréation, cette position est symbolique de la domination masculine et rappelle le cycle naturel de la terre fécondée par le laboureur »348. Toutes les autres postures sont interdites car elles ne seraient pas naturelles et ne seraient pas propices à la conception. Les médecins de l'époque sont quasiment tous unanimes sur ce point. Or, Benedicti apparaît plus conciliant. Il ajoute en effet à la fin de son paragraphe : « Ie dy toutesfois, qu'au moye[n] que la femme puisse co[n]ceuoir, en quelque maniere que le mary la cognoisse, ce n'est le plus souuent que peché veniel »349. Le franciscain réintroduit une infime marge de manoeuvre dans les rapports du couple. En ce qui concerne ce qui est « co[n]tre l'ordre de nature », à savoir la sodomie, aucune dérogation n'est possible. La femme mariée a le droit voire même le devoir de s'y opposer. Benedicti va jusqu'à accorder à la femme le droit de se séparer de son conjoint « s'il n'y a autre moyen de le corriger. Et pour autant celles qui craignant Dieu, ne doiuent iamais consentir en choses si destestables, ains plustost doiuent crier à la force, nonobstant le scandale qui en pourroit arriuer. Et en cela le des-honneur ny la crainte de mort, ne les doit intimider : car il vaut mieux mourir, dit la loy, que de consentir à mal. Ie croy bie[n] que ce vice n'a pas lieu en France. Dieu en soit loüé »350. La sodomie avait déjà été longuement dénoncée quelques pages auparavant montrant du doigt « les demons qui subuertirent Sodome, & Gomorrhe auec leurs habitans, qui outre leur prodigieuse luxure estoint plus qu'heretiques, voulans en ta[n]t qu'il estoit en eux possible, abolir le gente [sic] humain, en delaissant l'vsage naturel des femmes »351. Benedicti accorde de plus le droit de se toucher entre époux, afin de « s'inciter à se

346Michel de MONTAIGNE, Essais III, cité dans François LEBRUN, La vie conjugale sous l'Ancien Régime, Paris, Armand

Colin, 1975 (coll. U), p.88.

347Scarlett BEAUVALET, Histoire de la sexualité à l'époque moderne, Paris, Armand Colin, 2010, p.88.

348Ibid., p.88-89.

349Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.

350Ibid., p.151.

351Ibid., p.149.

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rendre le deuoir de mariage »352. Ce point faisant débat au sein de l'Église, du fait des possibles dérives de ces gestes, qui peuvent même mener à une satisfaction mutuelle des conjoints sans possibilité de procréation, Benedicti décide de se reporter au texte biblique. Il cite en effet Genèse 26 où l'on voit « Isaac qui caressait Rébecca »353, sa femme.

Jean Benedicti s'attache à décrire les moments physiologiques qui seraient les plus propices à un rapport sexuel. Il affirme tout d'abord : « Le mary qui cognoist sa femme lors qu'elle a ses purgations, peche mortellement, sinon que l'ignorance l'excusast en partie, comme celuy qui iamais ne[n] auroit esté aduerty »354. En effet, la croyance est bien ancrée à l'époque que « les enfans en deuienne[n]t ladres355, monstres, contre-faicts, souuent ils meure[n]t au ventre de leurs meres, ou sont tachez de quelque autre maladie, pourtans la marque de l'incontinence de leurs geniteurs, ainsi que l'experience nous l'enseigne »356. Le Lévitique insiste sur l'impureté de la femme qui a ses règles : « Lorsqu'une femme a un écoulement de sang et que du sang s'écoule de son corps, elle restera pendant sept jours dans l'impureté de ses règles. [...] Si un homme couche avec elle, l'impureté de ses règles l'atteindra. Il sera impur pendant sept jours. Tout lit sur lequel il couchera sera impur »357. Ce même passage préconise de se laver après tout contact avec un meuble ou un objet touché par la femme impure. Benedicti ne suit pas à la lettre ces indications de l'Ancien Testament mais il considère que son « indisposition » doit la tenir écartée de tout rapport sexuel. Guy Bechtel rappelle que « [d]epuis Pline (23-79), on avait la certitude que le sang menstruel était venimeux. [...] La femme était supposée immunisée contre son propre venin. Cependant un être humain capable de produire plusieurs jours par mois un tel poison était fondamentalement mauvais, pernicieux, diabolique, et toute conjonction charnelle avec lui relevait du défi»358. Il faut donc éviter particulièrement un rapport durant cette période. Benedicti, tout comme les autres théologiens de son temps, laisse à la femme le soin d'informer ou non son mari de sa situation. Cette dernière peut en effet choisir de « luy signifier so[n] indispositio[n], si elle voit que le mary la poursuiue, mais auec prude[n]ce à celle [sic] fin qu'il ne l'ait point en horreur pour cela, & le prier hu[m]bleme[n]t d'atte[n]dre encores vn peu. Que s'il ne veut, elle luy peut obeyr sans scrupule de conscie[n]ce : car

352Ibid., p.151.

353Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Genèse, 26, 8.

354Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.152.

355Ladre signifie « lépreux » au sens propre mais, par extension, désigne aussi une personne paresseuse, fainéante ou folle.

356Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.152.

357Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Lévitique, 15, 19-24.

358Guy BECHTEL, La chair, le diable et le confesseur, Paris, Plon, 1994 (coll. Le doigt de Dieu), p. 133.

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elle est subiecte au mary [...] »359. Cependant, la femme pécherait si elle demandait elle-même à son conjoint de lui rendre le devoir de mariage pendant ce temps. Benedicti donne à cela un argument qui semble en décalage avec les croyances de la fin du XVIe siècle puisqu'il affirme « qu'elle n'est point si necessitee qu'elle ne puisse bien attendre, veu qu'en tel accide[n]t elle n'est pas tant espoinçonnee des aiguillons de la chair, ne par consequent tant subiecte au peril, que pourroit estre le mary »360. Jean Benedicti propose ensuite aux mariés de rester continents le temps de la grossesse afin de ne pas « suffoquer le fruit ia co[n]ceu »361. De même, un temps de sept jours devrait être respecté après l'accouchement, afin de laisser la matrice se refermer. Il confirme aussi qu'il « y a mesme vne loy au droit canon qui dit que le mary s'abstienne de sa femme iusques à tant qu'elle ait seuré l'enfant de la mammelle »362 mais n'insiste pas sur le sujet, et ne demande pas aux femmes de suivre ce précepte. En cela, Benedicti est plus indulgent, ou plus pragmatique, que bien des hommes de son temps.

Les paragraphes suivants traitent la question du moment temporel le plus adéquat pour avoir des relations sexuelles avec son conjoint. Il affirme que « [c]eux qui vaquent à l'oeuure de chair au temps qu'ils communient & reçoiuent le Sainct Sacrement peche[n]t au moins venieleme[n]t »363. Benedicti rappelle qu'un minimum de trois jours de continence est évoqué en plusieurs textes mais adoucit aussi le propos de personnes plus rigoureuses que lui à ce sujet. Il précise que « quand quelques gloses & Docteurs disent que c'est peché de le rendre [le devoir de mariage] en telles sole[n]nitez, il se doit entendre qua[n]d c'est plustost pour volupté, ou irreuerence & mespris de la feste, que pour auoir lignee. Et par ainsi quand ils disent qu'en tels iours il faut que le mary & la femme viuent en continence, il s'entend de conseil »364. De même, Benedicti recommande la continence « aux grandes festes & solennitez »365 mais ne l'impose pas tandis que Charles Borromée, à la même époque, conseillait aux personnes mariées de s'abstenir l'un de l'autre même le dimanche, jour du Seigneur366. En ce qui concerne le lieu où peuvent avoir lieu les rapports sexuels, Benedicti hiérarchise sa phrase selon un ordre de péché décroissant : « La partie qui rend à l'autre le deuoir de mariage en l'Eglise ou en lieu sacré, ou bien en public au scandale du peuple peche »367. Néanmoins, s'il s'agit d'éviter « vn plus gra[n]d mal, comme pollution volontaire, &c », il existe,

359Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.153.

360Ibid., p.153. 361Ibid., p.153. 362Ibid., p.154. 363Ibid., p.154. 364Ibid., p.154. 365Ibid., p.154. 366Guy BECHTEL, La chair..., op. cit. [note n°358], p. 154.

367Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.155.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

selon l'expression de Guy Bechtel, des « accommodements possibles avec la religion ». Ainsi, selon lui, « [l]es gens pressés avaient [...] toujours le loisir de se réfugier dans le clocher, voire dans la sacristie »368.

Ce même auteur rappelle que « l'amour doit être fait. Les confesseurs avaient en même temps que la mission d'empêcher le plaisir d'un coït trop luxurieux, le devoir de s'assurer de son existence, de sa répétition »369. Le devoir de mariage n'est pas à prendre à la légère, et comme le dit Benedicti, « [c]eluy ou celle qui denie le deuoir de mariage sans occasion à sa partie il viole le droit de iustice, qui commande de rendre à vn chacun ce que luy appartient »370. Ainsi, faire un voeu de continence est impossible à l'un des conjoints si sa partie n'est pas consentante. À ce propos, Benedicti rapporte l'histoire de femmes qui furent excommuniées pour avoir abandonné leurs maris sous couvert d'un voeu de continence371. Une femme renvoyée puis rappelée par son mari a obligation de lui rendre le devoir de mariage372 mais c'est à elle de choisir si elle désire rendre ce même devoir à un mari adultère dont la faute est publique373. Dans le même ordre d'idées, « la loy de mariage oblige la femme de coucher auec son mary qui est excommunié, & luy rendre le deuoir de mariage, & ce sans encourir censure aucune, & à l'opposite le mary doit habiter auec la femme excommuniee »374. Si le mari peut demander à sa femme d'avoir des rapports sexuels avec lui, elle aussi a des droits sur sa partie. En effet, le mari qui se fait ordonner « au desceu de sa partie, peche mortellement, & si doit estre restitué à sa femme si elle le dema[n]de, pour luy rendre le deuoir de mariage »375. L'impossibilité de rendre le devoir de mariage entraîne la dissolution de celui-ci. Le franciscain est formel sur ce point : « quant à la femelle vierge qui ne peut endurer la co[m]pagnie du mary, on y peut remedier par l'art de chirurgie, comme aussi celle qui est de matrice trop estroitte. Que s'il n'y a point de remede, & que l'homme ne la puisse en aucune façon cognoistre, on les pourra separer : car s'est vn empeschement perpetuel qui dissoult le mariage »376. Pierre Darmon a étudié dans son ouvrage Le tribunal de l'impuissance : virilité et défaillance conjugale dans l'ancienne France377 les divers recours des conjoints en cas d'impuissance.

368Guy BECHTEL, La chair..., op. cit. [note n°358], p. 153.

369Ibid., p. 254.

370Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.155.

371Ibid., p.68. 372Ibid., p.127. 373Ibid., p.128. 374Ibid., p.601. 375Ibid., p.450. 376Ibid., p.472. 377Pierre DARMON, Le tribunal de l'impuissance : virilité et défaillance conjugale dans l'ancienne France, Paris, Seuil, 1979. Il faut souligner que cet auteur affirme que les « canonistes ont mis longtemps avant de s'apercevoir de l'existence de l'impuissance féminine » (p.48). Alors qu'un homme qui ne répond pas au triptyque « Dresser, entrer, mouiller » était reconnu impuissant et incapable de se marier depuis le XIIe siècle, les femmes n'ont fait l'objet de procès en impuissance que dans 5% des cas étudiés

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Enfin, Benedicti conseille de mentionner lors de la confession, toutes les pensées qui ont eu trait à un rapport sexuel désiré. Guy Bechtel explique que « [l]'amour commence bien avant l'amour, et l'Église l'a toujours su. C'est pourquoi elle a prévu, en confession, d'interroger non seulement sur les actes de la chair, mais sur toutes les anticipations en esprit, les fantasmes qui les précèdent, les délectations préalables »378. Ainsi la femme mariée pèche « laquelle pensant en la compagnie qu'elle aura de son mary quand il sera de retour à la maison se delecte en telle cogitatio[n], & se senta[n]t enflammer en icelle ne la repousse point : Et peche encores plus griefuement si pour cela elle tombe en pollution »379. Si les conseils donnés aux mariés sont regroupés en un seul chapitre, les diverses fautes qui peuvent émailler une relation sexuelle sont disséminées tout au long de l'ouvrage, au fil des exemples pris par Benedicti pour illustrer son propos. Benedicti affirme qu'il faut confesser toutes les facettes de l'acte de chair afin de déterminer précisément le degré de la faute commise. Ainsi, « [l]a femme qui consent au peché de luxure pressee de pauureté ou de crainte peche bien mortellement, mais non pas tant que celle qui n'a esté contrainte par telles circonstances »380, « celuy qui abuse d'vne femme roturiere, offense aussi bie[n] que celuy qui abuse d'vne damoiselle : le peché toutesfois de l'vn est plus grief que celuy de l'autre. Item celuy qui abuse d'vne vieille ou laide femme, offense plus que celuy qui peche auec vne belle, caeteris paribus, c'est à dire quand les deux sont de mesme qualité »381. Benedicti semble ici plus traiter de rapports sexuels hors mariage. Lorsque ce dernier traite dans le détail les circonstances qu'il faut préciser à son confesseur lors de l'aveu d'un péché de luxure, la femme est citée à chaque circonstance mais elle n'est jamais active. Elle semble n'être qu'un objet qui a mené à pécher mais ce n'est pas son péché à elle qui semble intéresser Benedicti dans cette partie. Il affirme même que « le mary adultere peche plus griefuement (i'ay dit ailleurs intensiuement) que la femme, pour autant que le sexe feminin est plus fragile, & plus violentement agité que non pas le masculin »382. S'il se met ici en contradiction avec ce qu'il avait affirmé plus tôt dans son ouvrage, Benedicti semble faire porter la plus lourde charge sur les épaules masculines. Il rappelle enfin la charge incestueuse du rapport sexuel entre un religieux et une laïque383 et condamne la polygamie384.

par Pierre Darmon.

378Guy BECHTEL, La chair..., op. cit. [note n°358], p. 173.

379Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.158.

380Ibid., p.577.

381Ibid., p.577.

382Ibid., p.581.

383Ibid., p.134.

384Ibid., p.123-124.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Les autres références à la femme mariée les plus présentes dans l'ouvrage La somme des pechez, et le remede d'icevx, sont celles relatives à sa faiblesse et à sa sujétion au mari, qui a quasiment toute puissance sur elle. La sexualité de la femme fait peur, la vie propre de sa matrice est redoutée et il faut, tout comme les enfants, la mettre sous le joug d'une puissance qui pourra éviter tout débordement. De plus, selon l'Ecclésiastique, « [c]'est par la femme que le péché a commencé / et c'est à cause d'elle que tous nous mourons »385. Ève pèse lourd sur le sort qui est réservé aux femmes à toutes les époques. Sa naissance même semblait impliquer une soumission de la femme, sa faute lui a attiré les foudres des juristes et des clercs durant des siècles. En effet, Ève aurait été tirée d'une côte de l'homme386. Cette naissance est la plus communément admise tandis que plus haut dans le texte, nous pouvons lire : « Dieu créa l'homme à son image, / à l'image de Dieu il le créa, / homme et femme il les créa »387. Cette première naissance simultanée du principe masculin et féminin a été occultée par la deuxième naissance d'un être purement féminin, Ève. L'infériorité de cette dernière a souvent été justifiée par le fait qu'elle a été formée à partir d'Adam. Néanmoins, il faut souligner qu'elle n'a pas été tirée de ses pieds, ce qui aurait pu mettre en valeur son caractère inférieur, ni de sa tête, ce qui aurait pu impliquer une supériorité, mais de sa côte, de son côté, symbole d'égalité. Malheureusement, cette « premiere mere estant deceue par ces esprits malings »388, l'homme et la femme furent chassés du Paradis. Benedicti attribue cette déchéance au « te[n]dre cerueau »389 de cette femme qui n'a pas su contrer la ruse du serpent. Ce dernier tient un discours trompeur à Ève et celle-ci se laisse convaincre que Dieu lui fait du tort à elle et à son mari390. Aussi, Ève n'aurait-elle peut-être agi que par amour pour son mari, afin que celui-ci ne subisse aucun tort. Le fait qu'elle donne du fruit défendu à Adam pourrait être une preuve de son esprit de partage et non le signe de sa volonté de pervertir son partenaire. Néanmoins, c'est ainsi que le récit de la chute de l'humanité hors du Paradis fut interprété. Agnès Walch explicite : « Son caractère diabolique avait plongé l'humanité dans la détresse puisque par sa faute, le premier couple avait été chassé du paradis terrestre. Les médecins ajoutaient que la femme était de constitution faible, voire débile, et que son développement était bien lent et imparfait. Ils avançaient pour preuve cette vérité bien connue que Dieu insuffle l'âme au foetus au

385Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Ecclésiastique, XXV, 24.

386Ibid., Genèse, 2, 21.

387Ibid., Genèse, 1, 27.

388Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Epistre dedicatoire ».

389Ibid., p.1.

390Ibid., p.2.

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quarantième jour pour un mâle et au cinquantième pour une fille dont les organes génitaux sont, en outre, internes parce qu'elle n'a pas eu la force de les amener à maturité. Au mieux, ces médecins, parmi lesquels le très sérieux Ambroise Paré, conseillaient au mari de l'indulgence pour cet être si médiocre, en grande partie irresponsable de ses malheurs, mais coupable d'être un poids pour son partenaire »391. Nous allons voir que Benedicti n'échappe pas à cette image de la femme.

Ses allusions à la faiblesse d'esprit des femmes ponctuent son ouvrage. La femme ne peut pas témoigner en justice car elle « est le plus souuent fragile, muable & variable & subiette au mary »392, en cela, Benedicti s'accorde avec l'opinion des juristes de son temps. La femme écoute la messe en latin, bien qu'elle ne le comprenne pas, tout comme les idiots393. Mais la marque réelle de sa faiblesse d'esprit sont les superstitions auxquelles elle donne foi. Les femmes croient qu'elles peuvent avoir des relations sexuelles avec leur mari le jour de leur communion. Elles pensent même pouvoir travailler ce jour-là394. D'autres sont si superstitieuses qu'elle ne veulent « filer au Samedy » au lieu de quoi elles « s'applique[n]t à quelques autres negoces de vanité »395. Benedicti reconnaît le droit des femmes de s'arrêter de filer après le dîner « en l'honneur de la vierge Marie, à laquelle le Samedy est volontiers dedié » mais se moque des femmes qui prétendent reporter leur ouvrage sous couvert de superstition. De même, les femmes pensent qu'il faut réitérer la confession. Elles ne voient pas qu'elles se font abuser par « des co[n]fesseurs, peu experime[n]tez en cure d'ames »396. Les « deuotes femmes » sont aussi raillées pour leurs croyances397 en des rites surnaturels. Le désespoir semble de plus se remarquer plus facilement chez les femmes398 tandis que c'est lors de la confession que Benedicti dit voir le mieux leur faiblesse d'esprit. En effet, les « pauures femmes » n'osent confesser leurs péchés, principalement celles « qui sont tombees au peché de la chair »399. Dans une longue série de questions oratoires, Benedicti essaie de ramener les femmes à une confession entière de leurs péchés et finit son discours ainsi : « Proposez vo[us], ie vous prie vne Magdelene, vne Samaritaine, vne Marie Egyptienne, vne Thais, vne Pelagie, & plusieurs autres femmes pecheresses, qui ont bien enduré la honte de ce monde en confessant leurs pechez, pour euiter la honte

391Agnès WALCH, Histoire du couple en France de la Renaissance à nos jours, Rennes, Éditions Ouest France, 2003, p.18-19.

392Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.176.

393Ibid., p.85.

394Ibid., p.236-237.

395Ibid., p.48.

396Ibid., p.622.

397Ibid., p.44.

398Ibid., p.379.

399Ibid., p.648.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

perpetuelle, & l'eternel reproche »400. Néanmoins, cette même faiblesse de la femme devrait entraîner selon le franciscain une pudeur dans l'examen du confesseur401. En effet, il s'agit de ne pas apprendre à la femme des choses que sa simplicité ne lui laissait pas imaginer.

Le mariage est pour la femme un moyen de sanctification. Benedicti cite un apôtre qui dit « que la femme de bien sera sauuee par la generation des enfans, si elle demeure en la foy Catholique auec charité, sanctification, & sobrieté »402. La femme doit obéissance à son mari et sera « seuerement puni[e] & chati[ée] » « la femme desobeyssante à son mary en choses iustes & qui concernent le mesnage »403. Si ce propos peut paraître dur, il faut néanmoins remarquer que la désobéissance est punie si elle concerne des choses « iustes ». Nous verrons par après les droits de la femme si son conjoint agit d'une manière contraire aux Évangiles. De plus, tout comme le souligne Agnès Walch, « les clercs insistent sur la réciprocité des devoirs. Cette soumission est la contrepartie de la protection que le mariage apporte à la femme. Le mari doit fidélité irréprochable à son épouse, doit lui complaire et supporter les faiblesses du sexe. »404. Benedicti consacre un chapitre aux « pechez des maris enuers leurs femmes, qui se commettent contre ce quatriesme Commandement ». Il montre alors que le mari a obligation de nourrir « sa femme & sa famille, & leur pourueoir des choses necessaires selon sa puissance »405. Ce dernier est responsable du comportement de sa femme et il « est tenu de la corriger, attendu que selon l'escriture, l'homme est le chef de la femme »406. Néanmoins, « [c]eluy qui seuerement & atrocement bat ou corrige sa femme, encor que soit pour quelque faute, il peche. Il doit la corriger doucement, & non pas auec cruauté »407 rappelle le franciscain. Le mari doit ajuster son comportement à l'importance de sa femme dans son propre salut. En effet, prendre soin de sa femme est considéré comme digne de louanges et, tout comme le roi s'occupe de ses sujets pour accéder au Paradis, le mari a besoin de sa femme pour obtenir la sanctification. De plus, Benedicti souligne que « combien qu'elle soit inferieure, toutesfois elle n'est pas esclaue ne chambriere : mais compagne, & la chair & les os du mary »408. Il se rapporte ici à saint Paul et saint Pierre qui « exhortent les hommes à aymer leurs espouses comme

400Ibid., p.648.

401Ibid., p.626.

402Ibid., p.459-460.

403Ibid., p.256-257.

404Agnès WALCH, Histoire du couple..., op. cit. [note n°391], p.58.

405Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.98.

406Ibid., p.98.

407Ibid., p.98.

408Ibid., p.98.

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Iesus-Christ aime son Eglise »409. La femme, qui n'est donc pas une servante, doit cependant « obeyr à son mary, en ce qui co[n]cerne le gouuerneme[n]t de la famille & de la maison, & en ce qui concerne les vertus & bonnes moeurs [...] car la fe[m]me non seuleme[n]t est obligee de faire le co[m]mandement de son mary, ains aussi de receuoir sa doctrine si elle est bonne, selon S. Paul, qui dit, que les femmes interrogent leurs maris à la maison »410. La femme doit suivre son mari là où il désire aller sauf si cela la met dans un danger quelconque. Il conclue : « comme il y en a assez qui se monstrent plustost bourreaux de leurs femmes que marys ». Benedicti semble donc bien dénoncer toute violence déplacée envers les femmes. Le silence est de mise pour l'épouse qui désire le bien-être de son mari. Benedicti clôt son chapitre en affirmant que « tout ainsi que celle, qui auec humilité se submet au joug du mary pour accomplir la sentence de Dieu en la remission de ses pechez, merite grandement, au contraire celle qui ne veut obeyr, resiste à la puissance de Dieu, & peche grandement »411.

Cette soumission au mari entraîne un ensemble de droits pour ce dernier mais tout premièrement un devoir. Ainsi, saint Augustin dit : « ô toy mary au premier choc de la sensualité tu tombes, & tu veux que ta femme soit victorieuse, veu que tu es le chef de ta femme, elle te precede deuant Dieu, de laquelle tu es le chef. Le mary se doit porter plus vertueusement que la femme. Et quand la femme vit mieux que l'ho[m]me, la maison est renuersee »412. Selon Benedicti, qui reprend ces propos de saint Augustin à son compte, le mari doit donner l'exemple à sa femme. Il rappelle plus haut dans cette même page « Mais quoy ? Le mauuais de portement des marys, n'est-il pas souuent occasion de la desbauche des femmes, lesquelles bien souuent taschent à se venger du tort qu'elles voyent leur estre fait ? ». Sous réserve d'un bon comportement envers leurs femmes, les maris se voient attribuer un certain nombre de droits sur leurs épouses. Ils ont par exemple le droit de révoquer un voeu qu'elles auraient fait sans les en informer ou « quand elles vouent au preiudice du mariage »413. Cette révocation du voeu ne tient que le temps du vivant du mari, une fois ce dernier décédé, sa veuve est tenue de l'accomplir. Benedicti va jusqu'à affirmer que la femme n'a pas « liberté de vouer »414. Dans certains passages de La somme des pechez, et le remede d'icevx, il accepte cependant des voeux féminins. La femme ne peut pas voyager seule sans l'accord de son mari415. Son mari peut l'empêcher de sortir de chez elle. Dans ce cas, « elle ne peche pas

409Ibid., p.98. 410Ibid., p.98-99. 411Ibid., p.99. 412Ibid., p.118. 413Ibid., p.74. 414Ibid., p.78. 415Ibid., p.69.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

en n'oya[n]t point Messe, ouy bien le mary s'il le luy prohibe sans cause legitime : mais non pas si pour quelque bonne & iuste raison il le luy defend »416. Benedicti s'interroge : les femmes « qui esta[n]s souz la puissance d'autruy, sont contraint[e]s par crainte ou autrement, de trauaillez à tels iours, pechent [elles] ? Ie repo[n]s que non »417 affirme-t-il. La question du jeûne est aussi abordée. La femme se voit « excusee des ieusnes qu'elle à vouez de son fra[n]c arbitre, si le mary y co[n]tredit : mais si elle est bien obligee à garder les autres ieusnes comma[n]dez de l'Eglise. Que si son mary par viole[n]ce l'empesche de les obseruer, co[m]me par noises, menaces, percussion418 & autres desordres, troubla[n]t la paix & repos matrimonial, elle est excusee de peché, mais no[n] pas le mary qui l'e[m]pesche, sino[n] qu'il le face pour quelque bonne raison, laquelle il doit declarer au Confesseur »419. Enfin, les maris peuvent ouvrir le courrier de leur femme s'ils n'ont aucune mauvaise intention420. Nous voyons ici que la puissance du mari sur sa femme est assez importante mais que néanmoins ce dernier a une grande responsabilité dans ce qu'il autorise ou non à sa femme. Cette dernière, du fait de son infériorité, semble devoir obéir en tout point à son mari. Celui-ci est responsable sur son salut des actions de son épouse.

Nous allons voir à présent quels sont les droits et les devoirs de la femme, découlant de cette infériorité. Benedicti insiste très pesamment sur l'infériorité de la femme en ce qui concerne la possession d'argent. Marie-Françoise Hans rappelle que le XVIe siècle remet le droit romain à l'honneur et elle explique : « Appliquer le droit romain, c'est priver la femme de toute capacité civile, la reléguer au dernier rang dans l'héritage, l'asservir. Si on ne lui déniche pas un époux, on l'expédie au couvent ; si on la marie, le monsieur prend le pas sur elle. Tant qu'il vit, elle n'a aucun droit de regard sur le capital. Petite consolation : elle n'est pas responsable des dettes du couple »421. Cette dernière précise que la travailleuse est aussi mise sous une plus grande tutelle. Néanmoins Benedicti n'aborde pratiquement pas la question du travail des femmes sauf pour la prostituée. François Lebrun affirme que le droit coutumier, et plus précisément la coutume de Paris, stipule que « [l]e mari administre sans le concours de sa femme, frappée d'incapacité légale, non seulement ses propres et les biens de la communauté, mais aussi les propres de sa femme, dont les revenus tombent dans la communauté »422.

416Ibid., p.196.

417Ibid., p.82.

418Coup, contusion.

419Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.201.

420Ibid., p.249.

421Marie-Françoise HANS, Les femmes et l'argent, Paris, Grasset, 1988, p.37.

422François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.75.

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Ainsi, bien qu'il y ait une différence juridique entre les propres du mari et ceux de sa femme, cela ne change rien quant à l'administration de ces derniers : le mari s'en charge. Le franciscain rappelle en plusieurs endroits de son ouvrage que les femmes n'ont pas de biens propres. Ainsi, il faut restituer l'argent perdu au jeu par une femme mariée puisque cette dernière n'avait pas la capacité de jouer cet argent423. Ce n'est d'ailleurs pas à elle qu'il faut rendre l'argent qu'elle aurait pu perdre. En effet : « Il ne faut non plus restituer à vne femme mariee ce qu'elle a perdu au ieu424, ou la donné, non plus au pupille, ou mineur, ou seruiteur, ou religieux : Car alors il le faut re[n]dre à son mary, à son Tuteur, à son maistre, à son monastere & ainsi des autres selon la qualité des personnes »425. De même, « [l]a femme qui donne notable quantité des biens de son mary, ou des bie[n]s co[m]muns de la maison, soit par aumosne ou autrement, outre le gré de son espoux offense. Voire mais la femme ne pourra elle donner l'aumosne aux pauures ? On respond que non, si c'est contre la volonté expresse de son mary : hors mis en huict cas. Le premier, quand la coustume du pays porte que les femmes puissent donner l'aumosne aux pauures, il leur est licite de ce faire, sinon que par expres commandement le mary le prohibast. Cecy a plus de lieu és femmes Fra[n]çoises, lesquelles ont plus de liberté en l'administration des biens de la maison, que n'o[n]t les Italiennes & Espanolles qui ne se meslents de rien. Le second, qua[n]d quelqu'vn seroit en extreme necessité, lors la femme luy doit suruenir, voire plustost desrober à son mary pour le luy bailler, encores que ce fust contre sa volonté : car extreme necessité n'a point de loy, & qui plus est, faict que les biens particuliers sont communs : car le droit naturel deroge en cela du droit ciuil, par lequel les biens sont diuisez. Le troisiesme pour se preseruer le mary & sa famille de quelque danger ou infortune, elle peut bailler des bie[n]s du mesnage. »426. Benedicti cite ici l'exemple d'Abigaïl qui donna des vivres à David contre l'avis de son mari Nabal. Lorsqu'elle l'apprit à ce dernier, il mourut sous l'effet de l'indignation427. Le franciscain reconnaît donc que la coutume peut donner plus ou moins de droits à la femme et qu'elle a la faculté de déterminer parfois si elle peut donner les biens de son mari.

423Ibid., p.268.

424Élisabeth Belmas indique cependant que les archives du temps « n'apportent guère de renseignements sur la criminalité ludique féminine » (p.201). Il semble donc difficile d'évaluer si les femmes jouaient de l'argent et dans quelles proportions. Néanmoins, les moralistes de l'époque soulignent que « les femmes sont prédisposées par les imperfections de leur nature à tomber dans les pièges du jeu » (p.52). Les jeux d'argent les plus communs à l'époque sont des mises sur les dés ou les cartes. Élisabeth BELMAS, Jouer autrefois : essai sur le jeu dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Seyssel, Champ-Vallon, 2006 (coll. Époques).

425Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.723.

426Ibid., p.162.

427Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], I Samuel, 25.

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Les points suivants abordent encore plus précisément la faculté de la femme à administrer des biens selon Benedicti. Ainsi, le quatrième cas où la femme peut faire l'aumône de son propre chef : « Le quatriesme, si le mary est absent elle peut donner l'aumosne : car en l'absence du mary elle doit auoir l'administration des bie[n]s, sinon qu'il en eust ordonné autrement. Mais elle ne doit pas plus donner qu'elle estime que so[n] mary eust donné s'il eust esté présent. Le cinquiesme, quand le mary seroit fol, insensé & priué de son iugement, alors elle peut aussi suruenir aux indige[n]s. Le sixiesme, si le mary luy depute quelque certaine quantité pour son viure & entretien, & qu'elle en face vn [sic] espargne, comme en ieusnant, viuant sobrement & laissant ses superfluitez, elle peut donner le residu aux pauures. Le septiesme elle peut donner aussi de ses biens parapharnaux, & de ce qu'elle a apporté outre le douaire, & de ce qu'elle peut gaigner particulierement de son art & industrie, & des lets & donnations que ses amis luy pourroient auoir legué »428. Ici, Benedicti reconnaît que la femme a le gouvernement de la maison en l'absence de son mari. Il faut souligner par ailleurs que de nombreux historiens affirment que la femme a un réel pouvoir dans l'espace qui lui est attribué. Ainsi, François Lebrun dit que « [s]i, théoriquement, l'autorité appartient sans partage au mari, les tâches du ménage se répartissent entre mari et femme. Dans les classes populaires, l'une des motivations profondes de la formation du couple réside précisément dans la nécessité d'associer à la gestion de la maison, c'est-à-dire de la famille et de l'exploitation agricole ou artisanale, la force de travail de deux personnes de l'un et l'autre sexe »429. Si le mari n'est pas en possession de toute sa raison, la femme devient alors la maîtresse des biens selon Benedicti. Ce dernier propose de plus, plus tard dans son ouvrage : « qua[n]d il se trouue ainsi de ses hommes perdus [...] il seroit bon de restituer à leurs femmes qui sont bonnes mesnageres pour ayder a entretenir leur famille »430. Les femmes peuvent donc parfaitement assumer la gestion des biens de la famille. Le septième argument du franciscain quant à la possibilité pour la femme de faire l'aumône l'amène à distinguer précisément les diverses parties constituant le capital du couple. Ce dernier est constitué de tous les biens du mari, qui lui appartiennent à lui seul, des biens communs à la femme et au mari, qui sont gouvernés par le mari, et des biens propres de la femme, dont cette dernière est censée pouvoir disposer à sa guise. Les biens propres de la femme sont : son salaire et les biens dits « paraphernaux », qui sont laissés sous son administration, par contrat le plus souvent, par opposition aux biens « dotaux », qui passent sous le contrôle du mari. Les diverses coutumes accordent

428Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.162. 429François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.82.

430 Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170],p.723.

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à la femme des droits différents quant à la gestion de ses biens propres. Benedicti quant à lui reconnaît à la femme le droit de posséder et d'administrer à sa guise un capital personnel. Le huitième et dernier cas où la femme est autorisée à donner l'aumône sans l'accord de son mari est lorsqu'elle donne une très petite quantité de vin ou de pain car en ce cas, « il est presupposer que son mary n'en seroit ou n'en deuroit estre fasché quand il le sçauroit »431.

Dans son traité sur la restitution, Benedicti affirme à plusieurs reprises que les femmes qui ont donné de l'argent sans l'accord de leur mari doivent le restituer : il cite celles qui le donnent « à leurs parens, ou à autres »432 ou celles qui jouent l'argent de leur mari433. Benedicti s'attarde plus particulièrement sur le cas des femmes des usuriers ou de ceux qui jouent leur argent. Les premières doivent avoir pour objectif de restituer l'argent mal acquis par leur mari si elles ne désirent pas quitter leur conjoint. Benedicti dit ainsi par deux fois que « la femme qui n'aya[n]t douaire, ou autre moyen de gaigner sa vie, vit des biens du mary, qu'il a acquis par vsure, & n'e[n] à point d'autres, ils doyuent restituer entant [sic] qu'il est en eux possible. Que si la femme n'a moyen quelconque de viure, sinon de tels biens de son mary vsuraireme[n]t acquis, elle ne sera pas tenue à restitution : Mais il est bo[n] qu'elle impetre vne dispense de l'Euesque, pour en pouuoir vser en saine conscience, ayant toutesfois tousiours la volonté de restituer, la commodité s'y offra[n]t »434. Il leur conseille de plus l'épargne et propose même, si la femme le désire, une séparation de biens afin de pouvoir vivre des revenus de son douaire. Cette séparation de biens ne l'excuse nullement de rendre le devoir de mariage à son conjoint435. Cette pratique est attestée car en effet, à « compter du XVIe siècle, la femme mariée bénéficie d'une protection accrue de ses intérêts pécuniaires. L'épouse, craignant d'être entraînée dans la ruine de son mari, peut obtenir la séparation de biens, prononcée après enquête par la justice »436 précise la société Jean Bodin. Cette décision permet à la femme de jouir de ses propres et de ses biens meubles (déplaçables) comme elle l'entend. Elle doit néanmoins « avoir l'autorisation de son mari ou celle de la justice pour aliéner ses immeubles »437 c'est-à-dire tous les biens qui ne peuvent pas être déplacés tels les bâtiments ou les terres. Elle dispose toujours du droit de renoncer aux biens communs afin de ne pas avoir à rembourser les dettes contractées par son mari. François Lebrun rappelle aussi qu'elle « a droit à une compensation, dite récompense, si

431Ibid., p.163.

432Ibid., p.710.

433Ibid., p.707.

434Ibid., p.706, discours similaire p.318.

435Ibid., p.318.

436La femme, recueil de la société Jean Bodin, Bruxelles, Éditions de la librairie encyclopédique, 1962, p.251.

437Ibid., p.251.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

un de ses propres est vendu par l'époux ; elle a, sur les propres de celui-ci, une hypothèque légale qui lui permettra de recouvrer son dû avant tout autre créancier »438. Benedicti est très dur envers les maris joueurs qui dépensent l'argent qu'ils auraient dû utiliser pour subvenir aux besoins de leur famille. Il affirme : « le ioüeur qui oste à sa famille ce qui est necessaire, ou est cause par son ieu que sa femme & filles font quelque folie [...] ne doit aucunement estre absous, s'il ne desiste de tel abus »439. Plus tôt dans son ouvrage, il dénonçait le mauvais exemple donné par le mari joueur à sa femme et à ses enfants : le joueur qui a perdu décharge sa colère sur eux, s'il n'a plus un sou, il joue sa femme et il est la cause de leur désespoir. Benedicti raconte à ce sujet l'histoire d'une femme qui se voyant sans argent pour nourrir ses enfants va en réclamer à son mari. Celui-ci la bat tellement qu'il la laisse pour morte. Rentrant chez elle, cette dernière égorge ses enfants de désespoir avant de tuer à son tour son mari qui rentre ivre et ruiné. Cette femme condamnée meurt après avoir fait une remontrance avertissant les maris « de ne consummer ainsi la substance de leur pauure famille aux ieux et aux tauernes »440. Cet exemple sanglant donne plus de force à la démonstration de Benedicti qu'un sermon religieux. La femme est ici coupable de meurtre mais modèle du courage, comparée à Judith qui égorgea Holopherne afin de sauver sa ville assiégée.

Les droits attribués précisément à la femme mariée par Benedicti sont assez limités mais lui reconnaissent néanmoins une liberté qu'elle n'a pas dans la grande majorité des textes juridiques de l'époque. Ainsi, Benedicti accorde une réciprocité de droits en ce qui concerne la séparation des conjoints. Dix cas sont pour lui causes suffisantes « pour lesquelles la separation se fait quant à la cohabitation, & conuersation matrimoniale, tant de la part du mary, que de la femme, mais non pas quant au lien »441. Ces causes sont l'adultère ; l'hérésie, la sorcellerie et la magie ; le désir de l'un des conjoints de pousser l'autre à offenser Dieu ; « pour la cruauté & mauuais traitteme[n]t du mary » ; « [q]uand vne des parties veut tuer ou empoisonner l'autre, ou l'emmener en vn pays estrange pour la tuer, &c » ; « la femme peut laisser son mary qui est larron, & qui ne se veut point amender. Auta[n]t de celuy qui est vsurier, homicide ou infame d'autres vices enormes » ; « pour la sodomie, bestialité ou autre peché co[n]tre nature, qui est encores plus gra[n]d qu'adultere » ; le voeu d'entrer en religion d'un des conjoints si le mariage n'a pas encore été consommé ; en cas de « disparité de pechez » (ici Benedicti affirme que toute personne, même coupable d'un péché important, peut se

438François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.75.

439Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.664. 440Ibid., p.271.

441Ibid., p.130.

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séparer d'un conjoint huguenot) et enfin, dans le cas ou « le mary est fol & insensé, telleme[n]t qu'il veut à tous momens tuer sa femme, laquelle pour euiter le da[n]ger manifeste de la mort, se peut separer, quand il n'y auroit autre moyen de se garder »442. Trois causes sont ici explicitement en faveur de la femme. Le franciscain va jusqu'à défendre que, si la femme peut quitter un homme fou, ce dernier ne le peut pas dans le cas inverse. En effet, « il n'y a pas si grand da[n]ger en son endroit, veu que l'ho[m]me se peut mieux defendre de la femme, que la femme de l'homme »443. De même, Benedicti affirme que le mari ne peut pas se séparer comme il l'entend de sa femme car « [c]eluy qui repudie sa femme sans suffisante & legitime occasio[n] est en estat de da[m]nation » et « si le mary apres qu'il a fait separatio[n] vie[n]t à paillarder, il est obligé sur peine de peché mortel de rappeler sa femme, & de se reco[n]ciler [sic] auec elle : car par son peché il a perdu l'autorité de la punir pour ce fait »444. Ainsi, la femme a une certaine puissance sur son mari pécheur ou du moins, celui-ci en perd face à elle. Cela se voit aussi en cette occasion : « la femme innocente sans autre authorité de l'Eglise peut denier au mary adultere son corps, & en cela, ne luy tenir promesse puis qu'il n'a tenu la sienne »445. Le franciscain accorde ici assez de raison à la femme pour qu'elle puisse déterminer d'elle-même la conduite à tenir face à son mari. Si les hommes semblent disposer de tous les droits sur leur femme, il est certaines choses que ce dernier ne doit pas se permettre. Ainsi, le mari qui refuse à sa femme d'accomplir un voeu alors même qu'il lui avait permis auparavant pèche mortellement446. La femme étant entrée en religion après avoir été répudiée par son mari n'est pas obligée de réintégrer le domicile conjugal si celui-ci la rappelle. Néanmoins, si elle n'a fait qu'un voeu de continence, ne pouvant pas juridiquement faire de voeu sans l'accord de son mari, elle est obligée de rendre le devoir de mariage. Le mari doit aussi respecter le secret de la confession et Benedicti affirme que « [s]i quelqu'vn ialoux menaçoit de mort d'espee au poing le prestre, s'il ne luy declaroit les pechez de sa femme qu'il a ouis en confession, il deuroit plustost mourir alors q[ue] de violer le secret sacrame[n]tal »447 et « celuy là qui se deguise en forme de prestre pour escouter sa femme en confession, il est aussi bien tenu de garder le seau de confession, comme vn confesseur, & outre ne la pourroit punir, ou luy porter mauuais visage pour tous ses pechez sur peine d'offense mortelle »448. Enfin, l'épouse est parfois autorisée à mentir, ou à déguiser la vérité, afin d' « acquerir &

442Ibid., p.130-131. 443Ibid., p.131. 444Ibid., p.129. 445Ibid., p.131. 446Ibid., p.68. 447Ibid., p.676. 448Ibid., p.679.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

entretenir amitié »449 avec son mari. En effet, il est plus important pour Benedicti de sauvegarder la paix du ménage que de s'avouer des péchés plus ou moins graves.

Nous pouvons donc dire que la vie de la femme mariée est déterminée quasiment exclusivement par les droits que lui accorde son mari. La peur qu'inspire sa « matrice » légitime sa soumission à son conjoint qui doit cependant garder à l'esprit que son salut dépend de celle à qui il est lié par le sacrement du mariage.

La femme adultère et son partenaire.

Dans La somme des pechez, et le remede d'iceux, Benedicti aborde les questions de l'adultère et de ses conséquences, notamment pour les enfants qui pourraient naître de cette union illégitime. Le fait que la femme adultère soit particulièrement visée par le discours de Benedicti sur ce péché est lié aux représentations que les hommes de l'époque se font des désirs sexuels féminins. Le chapitre « De Adultere », d'une quinzaine de pages, explicite les différents degrés de péché inhérents à ce vice.

Jean Benedicti commence par rappeler la différence qui existe entre l'adultère simple et l'adultère double : « Le simple, c'est quand vn des deux qui commette[n]t le peché est marié, l'autre ne l'est pas : L'adultere double, c'est quand ils sont tous deux liez par mariage : ce qui est encores plus grief que l'autre »450. Les premiers coupables évoqués sont les maris « qui tiennent une concubi[n]e auec leur femme, ou qui abusent de leurs seruantes, & doiuent pour ce peché estre par l'Euesque Diocesain excommuniez »451. Benedicti commence donc par accuser la partie qui, d'un point de vue juridique, n'a aucun tort à commettre l'adultère. En effet, comme le rappelle Pierre Darmon, la législation du XVIe siècle ne connaît « qu'une seule victime, le mari ; qu'une seule plainte, la sienne ; qu'un seul coupable, la femme infidèle »452. Si cette vision s'affirme pleinement dans le domaine juridique, le monde religieux défend une certaine égalité dans le couple. L'adultère est ensuite assimilé à un parjure puisqu'en effet, le conjoint coupable agit en contradiction avec le serment fait lors de la cérémonie du mariage de garder fidélité à son époux. Ce parjure, rappelle Benedicti, entraînait la peine du bûcher ou la lapidation dans des temps plus anciens453. Le rôle de l'eau d'amertume

449Ibid., p.56.

450Ibid., p.116.

451Ibid., p.116.

452Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices : misogynes et féministes en France (XVIe-XIXe siècles), Bruxelles, André

Versaille éditeur, 2012, p.156.

453Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.117.

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est souligné comme « vn grand miracle pour descouurir l'adultere de la femme »454. En effet, cette cérémonie ancienne est explicitée dans la Bible. La femme qui est amenée au prêtre sur un soupçon d'adultère doit boire de l'eau contenue dans un vase tandis que le prêtre énonce cette formule : « S'il n'est pas vrai qu'un homme ait couché avec toi, que tu te sois dévoyée et déshonorée, alors que ton mari a pouvoir sur toi, que ces eaux d'amertume et de malédiction te soient inoffensives ! Mais s'il est vrai que tu te sois dévoyée, alors que ton mari a pouvoir sur toi, que tu te sois déshonorée en partageant la couche d'un homme autre que ton mari... [...] Que Yahvé te fasse servir, dans ton peuple, aux imprécations et aux serments, en faisant flétrir ton sexe et enfler ton ventre ! »455. Benedicti rappelle l'existence de cette pratique bien qu'elle ne soit plus en cours au XVIe siècle. La Bible ne fait pas mention d'un rite similaire pour les hommes adultères. En effet, dans l'Ancien Testament, la polygamie est acceptée : les hommes n'ont pas à se justifier d'avoir des rapports sexuels avec plusieurs femmes, du moins lorsqu'il s'agit d'un adultère simple. Le confesseur interprète pourtant le déluge comme une punition, entre autres, des adultères commis et présente aux lecteurs les passages de la Bible, mais aussi de son histoire contemporaine, où des milliers d'hommes meurent en punition d'un adultère. Il fait ensuite le parallèle entre l'histoire de Bethsabée et David et celle d'hommes de son temps, qui « n'ont point d'e[n]fans auiourd'huy, ou s'ils en ont ils se meurent & leurs races & maisons viennent de rabais à decadance »456. Bethsabée, mariée à Urie le Hittite, couche avec David et tombe enceinte de ce dernier. L'enfant né du péché meurt cependant d'une grave maladie. Le couple peut alors concevoir dans la légitimité car le péché a été lavé457.

Benedicti emploie ensuite une métaphore qui peut laisser penser qu'il n'approuve pas la différence de traitement entre la punition de l'adultère féminin et masculin. Il explique en effet qu'en certains lieux, « on punit la femme trouuée en adultere, la faisant fouetter & puis enclorre en vn monastere à faire penitence : mais de la punition des hommes il ne s'en parle point, afin que le dire de ce Philosophe soit verifié, qui comparoit les loix des hommes à la toile des araignees, laquelle attrappe bien les petits moucherons, mais les grosses mouches la rompent & passent tout outre »458. Maurice Dumas souligne en effet que l'accusation de l'adultère féminin est un mythe qui « saute aux yeux, tant ce tableau n'a guère de rapports avec les comportements réels. Toutes les études sur la criminalité le confirment : ce sont les hommes qui commettent

454Ibid., p.117.

455Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Nombres, 5, 19-22.

456Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.117.

457Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], II Samuel, 11-12.

458Ibid., p.117.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

massivement l'adultère. Les femmes auxquelles le mariage donne des ailes ou qui se vengent de l'injustice d'une union forcée sont bien moins nombreuses que celles qui cèdent à la pression physique ou morale d'un homme. On répute la femme d'un appétit sexuel insatiable, mais c'est la "concupiscence" de l'homme que révèlent les archives, autrement dit un comportement sexuel abusif, rendu possible par sa position dominante »459. Ainsi, même si les hommes semblent être les plus largement coupables de ce crime qu'ils dénoncent chez leur femme, ce sont ces dernières qui subissent les peines prévues par la loi. Ces peines sont extrêmement lourdes au XVIe siècle et Benedicti est au fait des coutumes et lois en ce domaine. Les femmes peuvent être fouettées avant de subir la peine de l'« authentique » c'est-à-dire d'être enfermées dans un monastère pendant deux ans. Les textes précisent que si « au bout de deux ans, le mari ne l'en a pas retirée ou vient à décéder, elle est rasée, voilée, vêtue comme les autres religieuses et cloîtrée à vie »460. L'accusation d'adultère semble avoir été un des moyens utilisés par un mari en difficulté financière pour sauver sa fortune. En effet, si le tribunal reconnaît l'adultère et tranche pour la réclusion monacale, la femme perd en faveur du mari « son douaire, sa dot, son préciput461 et tous les autres avantages stipulés par le contrat de mariage. Seul inconvénient, il doit payer la pension de la recluse »462. Les tribunaux sont donc assez prudents dans le jugement de ces cas.

Benedicti rappelle que c'est « vne folie aux hommes de se promettre impunité, veu que deuant Dieu ils sont autant ou plus coulpables que les femmes. C'est aussi folie [...] à l'homme de requerir chasteté en sa femme, luy estant plongé au bourbier de paillardise »463. Il pense en effet que c'est pousser les femmes à vouloir se venger que de les tromper. Ici surgit le débat sur les différences de culpabilité entre la femme et l'homme. En effet, pour certains « [m]oralistes et théologiens de la période post tridentine [...] le mari commet un péché d'autant plus grave qu'il est chef de famille et doté de raison. La femme, faible et fragile a l'excuse de l'infantilisme »464. Mais le franciscain précise : « En matiere d'adultere les femmes offensent plus griefuement & plus perilleusement que les hommes, à raison premierement pour le regard du dehonneur & infamie : secondeme[n]t à raison de l'incertitude des enfans qui en sont procreez, & qui succedent aux biens du mary. Voire mais l'homme qui est creé à l'image de Dieu, & qui est le chef de la femme, n'offense-il pas plus griefueme[n]t ? ouy bien intensiuement,

459Maurice DUMAS, op. cit. [note n°337], p.24.

460Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.163.

461Le préciput est le droit pour l'époux survivant de prélever un bien ou une somme d'argent sur l'héritage laissé par le conjoint

décédé, avant tout autre partage.

462Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.164.

463Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.117.

464Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.159.

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mais non pas extensiuement, (ce sont termes de Theologie) c'est à dire, que l'adultere de l'homme n'est pas de si grande estendue, & ne traine pas tant d'inconueniens apres soy, que celui de la femme »465. C'est donc parce que son péché a plus de conséquences dans le temps que la femme est la plus coupable. Jean Benedicti énonce alors les diverses conséquences de l'adultère de la femme et les moyens qu'a cette dernière de faire réparation de son péché.

La première conséquence dénoncée par Benedicti est « l'infamie d'vne maison »466. Si Pierre Darmon rappelle que le « discrédit jeté sur la famille peut entraîner sa ruine matérielle »467, les auteurs de l'Histoire des femmes en Occident soulignent que « l'on considérait la femme comme un bien dont la valeur diminuait lorsqu'il était utilisé par un autre que son propriétaire légitime. L'honneur masculin dépendait alors de la chasteté de la femme »468. Les autres conséquences sont toutes liées à la possibilité d'introduire dans la maison des enfants illégitimes. Ces enfants illégitimes peuvent en effet « succéder aux biens, qu'ils [sic] ne leur appartienne[n]t point »469. Maurice Capul décrit les incapacités juridiques qui frappaient les bâtards connus comme tels : « inhabileté à obtenir des bénéfices ecclésiastiques, impossibilité de succéder ab intestat à leur père, ni même généralement à leur mère, annulation fréquente par les cours des legs faits en leur faveur, etc. Longtemps, les bâtards furent exclus de nombreux métiers pour lesquels on exigeait la naissance de "loyal mariage" »470. Ceci est dans le cas où l'illégitimité de l'enfant était connue mais qu'en est-il si la mère tait ce fait et élève ce dernier avec ses enfants légitimes ? Benedicti rappelle à plusieurs reprises la nécessité pour les bâtards de restituer le bien qu'ils ont soustrait aux enfants légitimes du couple. De même, si la femme adultère a reçu quelque chose de ses oeuvres ou si elle a donné un bien à son amant, elle est tenue à restitution471. Benedicti fait aussi peser sur le péché féminin la possibilité d'une « commixtion de sang »472 entre des personnes qui ne savent pas qu'elles sont de la même famille. L'inceste devient alors possible. Enfin, le franciscain ajoute que « bien souuent l'enfant illegitime sera promeu aux ordres, & obtiendra benefice, esta[n]t estimé legitime, & contre les saincts canons & decrets de

465Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.118.

466Ibid., p.118.

467Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.156.

468Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op. cit. [note n°79], p.107.

469Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.118.

470Maurice CAPUL, Abandon et marginalité : les enfants placés sous l'Ancien Régime, Toulouse, Privat, 1989 (coll. Racines),

p.114.

471Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.265.

472Ibid., p.118.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

l'Eglise »473. La « femme adultere participe à tous ces pechez là, ou pour mieux dire, en est la cause & le motif »474.

Benedicti développe ensuite au cours de quatre longues pages les solutions que peuvent apporter les mères adultères aux inconvénients découlant de leur péché. Dix solutions sont offertes à la femmes adultère. La première est, « si elle ose bien sans le danger de sa vie, le reueler à son mary, elle le doit faire, afin ou qu'il empesche de succeder à ses biens, ou bien qu'il adopte & le face son heritier »475. Benedicti précise cependant bien qu'elle ne doit pas se diffamer elle-même en faisant cela et qu'il vaut mieux cacher son adultère que de risquer mourir476. En effet, au XVIe siècle, la législation autorise le meurtre de la femme et de l'amant trouvés en flagrant délit d'adultère. Pierre Darmon précise que « lorsque meurtre il y a, ce sont plutôt les amants qui sont tués, ou émasculés, que les épouses infidèles »477. Dans ce cas, il n'y aurait pas de flagrant délit mais il est admis que l'homme, au récit de sa femme, pourrait être pris d'une telle colère, qu'il en tue sa femme. De plus, le secret est admis car « [i]l vaut [...] mieux que les biens soient occupez par cest enfant que la bonne renommee se perde »478. La deuxième solution pour la femme adultère est de révéler sa naissance à son enfant illégitime. Ce dernier n'est pas obligé de la croire mais s'il le fait, il doit refuser de succéder à son prétendu père. La troisième solution est de « persuader à son adultere (sans toutesfois continuer le peché auec luy) de satisfaire à son mary par quelque bo[n] moyen, ou payer les frais à l'Hopital, si l'enfans y a esté exposé479 : car il ne doit pas viure aux despens des membres de Iesus Christ, qui sont les pauures »480. Ici ressort la place particulière du bâtard, même au sein d'établissements de charité tels que les hôpitaux. Ces derniers craignent en effet ces « pauvres abandonnés qu'une sinistre légende chargeait de tous les dangers du péché et notamment de la vérole, la vraie, la syphilis »481. L'amant peut cependant arguer de bien des choses afin de se décharger de cette tâche. La quatrième solution est de « persuader au mary de preferer les autres enfans, qui sont legitimes & leur ordonner ses bie[n]s par son testament ou autrement »482. Si elle pense trop attirer l'attention par ce moyen, elle peut choisir de

473Ibid., p.119.

474Ibid., p.119.

475Ibid., p.121.

476Ibid., p.119.

477Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.161.

478Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.119.

479L'exposition des enfants consistait à placer le nouveau-né non désiré dans un lieu visible afin qu'il soit pris en charge par une

institution de charité.

480Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.121.

481Jean-Pierre BARDET (dir.), L'enfant abandonné, Paris, CDU/SEDES, Histoire économie et société, 3ème trimestre 1987,

p.295.

482Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.122.

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donner libéralement tout son bien à son mari et à ses enfants légitimes. Le bâtard ne reçoit rien mais son origine n'est pas dévoilée : il peut donc rester auprès de sa « famille ». Si la femme ne possède aucun bien, elle « doit le plus qu'elle pourra augme[n]ter les bie[n]s de la maison, plus trauailler qu'elle n'est pas obligee, ieusner, & ma[n]ger moins, pour espargner le bien, laiser [sic] les bo[n]bans483, dorures, ornemens, atours & autres superfluitez d'habillement, afin que par telle parcimonie elle puisse récompenser le do[m]mage qu'elle fait auec son bastard à la maison »484. Une autre solution est de placer l'enfant « en quelque monastere & religio[n], ou il n'y ait moye[n] de iouyr d'aucuns benefice »485. Elle peut aussi léguer tout son bien à son mari et à ses enfants légitimes ou encore charger au moment de sa mort un religieux d'avertir son mari. Cela est plus prudent selon Benedicti que de l'annoncer elle-même à son mari car « elle peut retourner à conualescence, & par consequent encourir son indignation, & s'exposer aux mesmes dangers que dessus »486 à savoir la mort. Enfin, le dernier conseil de Benedicti est de s'en remettre à Dieu si aucune des solutions développées précédemment n'était possible.

Le franciscain emploie dans ce passage le vocabulaire de la pitié en interpellant « la pauure miserable » ou « la pauuvre infortunee »487 : « O pauuvres femmes que abandonnez ainsi vostre honneur, regardez en quel labirinthe vo[us] estes enuelopees. Voyez en quels precipices vous fait tomber ce peché »488 leur lance-t-il puis, plus loin, « O vous autres femmes Chrestie[n]nes qui prete[n]dez vostre part au ciel, vous vous deuez bien tenir sur vos gardes, à fin de ne croire au siffle du serpe[n]t tortueux, qui a trompé jadis vostre premiere mere Eue, & ne vous donnez en proye à ses pipeurs mondains, lesquels apres qu'ils ont iouy de la despouille de vostre ho[n]neur s'en gaussent, & en dressent leur risee »489. Benedicti tente de sensibiliser les femmes à leurs devoirs en leur rappelant la manière dont Ève a chuté mais aussi en leur proposant des modèles féminins de vertu : « Proposez vous vne Sara, vne Rachel, vne Judith, vne Suzanne, & si vous aimiez mieux les Paye[n]nes, mirez vous à une Penelope, à vne Arthemise, à vne Lucresse, qui ont preferé leur ho[n]neur à tous plaisirs mo[n]dains »490. Toutes ces femmes ont mené une vie d'épouse parfaite. Suzanne est évoquée en plusieurs autres passages de La somme des pechez, et le remede d'icevx. En effet, cette magnifique

483Les « bobans » signifient des festivités, avec une idée d'ostentation.

484Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.122. 485Ibid., p.122. 486Ibid., p.120. 487Ibid., p.120. 488Ibid., p.121. 489Ibid., p.123. 490Ibid., p.123.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

jeune femme, mariée à Ioakim, est accusée injustement d'adultère par deux vieillards avec qui elle a justement refusé de pécher. Elle est finalement innocentée grâce au prophète Daniel qui est alors un tout jeune garçon491. Cette histoire montre la force de la foi en Dieu. Suzanne, prête à être mise à mort pour un crime qu'elle n'a pas commis s'en était en effet remise à sa toute-puissance.

Benedicti affirme enfin qu'il revient au mari de faire cesser l'adultère de sa femme. Ce dernier, s'il ne veut se séparer de « sa femme perseuerante en adultere public, & habite auec elle en luy rendant le deuoir de mariage, consent au peché de sa femme, laquelle il doit chasser plustost de sa maison, & se separer d'auec elle, pour euiter le souspeçon de luy fauorizer, & le scandale du peuple »492. Agnès Walch rappelle que « [p]uisque c'est à l'époux de maintenir l'autorité dans sa famille contre toute incursion étrangère, puisqu'il est censé surveiller et maîtriser le comportement de son épouse, il est le premier responsable de ses débordements »493. Néanmoins, certains maris gardent leurs femmes adultères, ne seraient-ce que pour assurer la subsistance du ménage. De plus, le remariage étant interdit au cocu, il est admis que « si le mary veut ou qu'il ne se puisse contenir, il la peut rappeller, au moye[n] qu'elle se soit corrigee de so[n] peché, & par ainsi se reconciliant auec elle, luy demander & rendre le deuoir de mariage sans offense »494. La femme adultère rappelée n'a aucune objection à apporter ici. Cependant, Benedicti accorde à la femme en retour le droit de quitter son mari adultère si cela se sait, ainsi que le droit de lui refuser le devoir de mariage. Le franciscain donne aussi les raisons qui peuvent pousser le mari à garder auprès de lui sa femme adultère : si la chose est secrète, si son épouse s'est corrigée d'elle-même et s'en est excusée, s'il était possible qu'elle agisse d'une pire manière en étant loin de lui et enfin, par charité, afin de la « reduire en la voye de salut »495. Nous pouvons donc conclure que ce chapitre sur l'adultère nous présente une femme dont le crime est plus grave que celui de l'homme. Selon Pierre Darmon, cette « sévère répression qui frappe les épouses infidèles cache la hantise d'une domination de la femme dans le cadre du mariage. [...] On retrouve cette crainte d'un univers où la hiérarchie est bafouée jusque sous la plume des juristes les plus éminents »496, affirme-t-il. Ainsi, même si les rituels festifs du XVIe siècle

491Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Daniel, 13.

492Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.127.

493Agnès WALCH, Histoire de l'adultère : XVIe-XIXe siècle, Paris, Perrin, 2009 (coll. Pour l'histoire), p.37.

494Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.127.

495Ibid., p.129.

496Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.166-167.

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continuent à se moquer des maris cornus, la sévérité est de mise lors des procès de femmes adultères.

Si Benedicti admet que l'adultère a la même gravité qu'il soit commis par l'épouse ou par son conjoint, son discours reflète la pensée de son époque : l'adultère de la femme est plus dangereux car ses conséquences s'étalent dans un temps long. En affirmant néanmoins que l'homme sera reconnu plus coupable que sa femme dans l'autre monde, le franciscain contrebalance leur impunité aux yeux de la loi du XVIe siècle. Nous allons à présent nous pencher sur la question de la place de la concubine dans la société d'après les mentions qu'en fait Benedicti.

La concubine : pécheresse à divers degrés.

Jean Benedicti fait plusieurs fois référence au péché de la concubine dans son ouvrage. Le concubinage est quasiment exclusivement abordé dans la relation d'une femme avec un clerc tandis que nous savons qu'il en existe de multiples formes au XVI e. La concubine pèche à divers degrés car, outre la fornication voire l'adultère que comprend son acte, elle commet aussi l'inceste. En effet, « [c]elle qui a affaire auec celuy qui est prestre ou religieux, commet inceste & sacrilege »497. La concubine est « sacrilege : car elle a affaire auec vne personne consacree à Dieu. Quant au prestre ou religieux, il peche bien mortellement, mais il n'est pas sacrilege de son costé ; n'aya[n]t affaire sinon à vne femme laye »498. Le concubinage des prêtres est en passe de disparaître lorsque Benedicti rédige La somme des pechez, et le remede d'icevx. Néanmoins, ses remarques virulentes à l'égard des religieux qui le pratiquent montrent que la chasteté absolue n'est pas encore acquise en cette fin de XVIe siècle. Jean-Louis Flandrin précise que les femmes qui sont les plus susceptibles de devenir les concubines d'un clerc sont les servantes et les veuves499.

La lutte pour la chasteté du clergé est un combat qui a commencé dès le IVe siècle quand le concile d'Elvire (306) impose le célibat aux clercs dans les ordres sacrés. Adhémar Esmein explique que, pendant que le droit canonique se fixait, « l'idée [...] se fit jour que le concubinat, impliquant chez les concubins une volonté suivie de se placer

497Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.134. 498Ibid., p.140.

499Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes..., op. cit. [note n°275], p.272.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

en dehors du mariage, était plus délictueux que la simple fornication, fait transitoire et isolé. Ainsi, ce fut longtemps une question de savoir si un clerc devait être déposé ou privé de son bénéfice à raison d'une "simplex fornicatio", alors que cela ne faisait aucun doute lorsqu'il vivait publiquement en état de concubinage »500. La réforme grégorienne (XIe siècle) demande aux clercs d'être irréprochables aux yeux de la société ce qui entraîne une condamnation violente du concubinage : les fidèles ne sont pas tenus d'assister à la messe d'un prêtre concubinaire et sa complice doit être réduite en servage par les seigneurs. Puis, au XIIe siècle, les clercs des ordres majeurs qui ont une épouse ou une concubine sont privés des offices et des bénéfices ecclésiastiques tandis que le IIe concile de Latran (1139) fait du sacrement d'ordre un empêchement dirimant au mariage501. Jusqu'au XVe siècle, le concubinage des clercs est tacitement admis. Il fait même débat au sein de l'Église : certains, voyant l'éradication du concubinage impossible, pensent qu'il faudrait plutôt autoriser le mariage des clercs. Un flou juridique et théologique existe donc sur ce point. C'est au XVIe siècle que va s'opérer le changement décisif en la matière. Les querelles entre théologiens catholiques et théologiens protestants mènent à une redéfinition plus nette des droits et devoirs des prêtres ainsi que des conditions du mariage, ce que nous avons déjà abordé antérieurement. Les protestants ne voient aucune interdiction biblique au mariage des prêtres, qu'ils réintroduisent donc légitimement. Dans leur désir de se différencier des protestants, les Pères de l'Église vont exiger avec force lors du Concile de Trente que les clercs catholiques observent la chasteté. Si le concordat de Bologne de 1516 avait menacé les clercs concubinaires de la privation totale ou partielle de leur bénéfice502, les décrets du concile de Trente proposent des mesures échelonnées. Pierre-Toussaint Durand de Maillane décrit les décisions prises lors de la XXVe session du concile sur la manière de procéder contre les clercs concubinaires : « après une première monition503, ils sont seulement privés de la troisième partie des fruits [de leurs bénéfices] ; après la seconde, ils perdent la totalité des fruits et sont suspendus de toutes fonctions ; après la troisième, ils sont privés de tous leurs bénéfices et offices ecclésiastiques, et déclarés incapables d'en posséder aucun ; en cas de rechute, ils encourent l'excommunication »504.

500Adhémar ESMEIN, Le mariage en droit canonique, 2e édition, mise à jour par R. GENESTAL et J. DAUVILLIER, tome II, Paris, Libraire du recueil Sirey, 1929, p. 137.

501Amandine DUVILLET, « Du péché à l'ordre civil, les unions hors mariage au regard du droit (XVIe-XXe siècle) », thèse sous la direction de Françoise FORTUNET, professeur à l'Université de Bourgogne, soutenue en 2011 [disponible en ligne sur < http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/69/70/10/PDF/these_A_DUVILLET_Amandine_2011.pdf] (consulté le 24 février 2013). 502Le bénéfice est la partie du bien de l'Église qui est affectée à un clerc en récompense du service et du ministère qu'il remplit au sein de l'Église.

503Une monition est un avertissement de type disciplinaire.

504Pierre-Toussaint DURAND DE MAILLANE, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale, 2e édition, tome I, Lyon, Duplain, 1770, p. 645, cité dans Amandine DUVILLET, op. cit. [note n°501].

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C'est ce que rappelle Benedicti lorsqu'il interpelle ainsi ses coreligionnaires : « Notez cecy Euesques & Curez, & vous autres qui habitez auec vos concubines, au grand scandale du populat. Quittez vostre peché, ou quittez vostre benefice, si vous ne voulez estre de la confrairie des ames damnees & perdues, desquels sont tapissees les rues d'enfer »505. La notion de « scandale » détermine de plus à l'époque par quel tribunal vont être jugés les clercs qui se rendent coupables de concubinage. En effet, depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), tout ce qui est considéré comme un crime grave, c'est-à-dire pour lequel il y a un scandale public, est jugé par les tribunaux séculiers, royaux et non par les officialités c'est-à-dire les tribunaux diocésains aux mains d'ecclésiastiques. Les deux justices en cours dans le royaume de France sont souvent en conflit autour de ce qu'elles pensent être de leur ressort propre. Ainsi, le concile de Trente veut faire juger les cas de concubinage d'ecclésiastiques par l'évêque506 tandis que la justice séculière pense qu'il lui appartient de punir ces comportements qui troublent l'ordre public.

Daniel Jousse précise que le concile de Trente « ajoute, qu'à l'égard des Ecclésiastiques qui n'ont ni bénéfices, ni pensions, s'ils perséverent dans leur crime, & qu'ils refusent d'obéir aux monitions qui leur sont faites, ils seront punis par la prison, ou par la suspense, ou déclarés incapables de posséder à l'avenir aucuns bénéfices, suivant les Canons de l'Eglise »507. Benedicti n'est pas aussi précis à propos de la peine infligée à ces pécheurs. Il explique le principe des trois avertissements suivis de l'excommunication en cas de non réforme de la conduite du clerc mais indique ensuite que « s'ils perseuerent l'espace d'vn an sans se soucier des censures ils doiue[n]t estre seuerement punis par les superieurs selon la qualité du faict »508. Il confirme que le système de monitions s'applique à la fois pour les prêtres concubinaires et pour les femmes qui vivent avec eux. Après ces trois avertissements, ces dernières « outre les autres peines canoniques doiuent estre chassees hors des villes & Eueschez, leurs bie[n]s estans appliquez aux hospitaux »509. Cela est en accord avec les canons du concile de Trente. Les autres peines canoniques comportent notamment l'impossibilité de recevoir l'absolution de leurs péchés « si elle ne laissent leurs concubinaires »510. Si ses biens semblent pouvoir être confisqués et redistribués aux hôpitaux, la concubine doit aussi

505Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.692.

506Daniel JOUSSE, Traité de la justice criminelle de France, tome III, Paris, Debure Père, 1771, p.292 [disponible en ligne sur

< http://books.google.fr/books?

id=gAZDAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false] (consulté le 24

février 2013).

507Ibid., p.292.

508Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.140.

509Ibid., p.140.

510Ibid., p.140.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

restitution pour les biens qu'elle aurait pu acquérir par ce moyen. En effet, les gens d'Église n'ont aucun bien propre selon Benedicti car ce qu'ils n'utilisent pas pour subvenir à leurs propres besoins doit être donné aux pauvres511. Selon Jousse, la femme condamnée peut être enfermée en plus d'avoir interdiction de fréquenter le clerc avec qui elle péchait512. Deux mentions de Benedicti montrent pour quelle raison l'enfermement ou l'exil hors de la ville était parfois nécessaire. Il prend en exemple la « concubine qui ne se veut retirer & quitter son paillard »513 et un peu plus loin « les prestres & gens d'Eglise qui retiennent femmes suspectes & concubines en leurs maisons ou dehors, & principalement ceux qui les appellent apres qu'ils ont esté contraincts de les chasser »514. Cela peut mener à penser que les mesures visant à enrayer la fréquentation de concubins étaient peu suivies. Dans ce cas où l'entêtement d'une des deux parties, ou des deux, est visible, la femme qui se livre au concubinage risque, tout comme le clerc, l'excommunication.

Deux mentions seulement font l'état d'un concubinage entre laïcs dans La somme des pechez, et le remede d'icevx. La première se trouve au chapitre concernant le sixième commandement et dit : « L'homme & la femme concubinaires pechent mortellement, & s'ils ne promettent de s'amender & de se separer l'vn de l'autre, ils ne doiuent estre absous »515. La deuxième, plus étrange, est un exemple démontrant comment un chrétien peut tomber dans l'irrégularité : « Celuy qui feroit monter vne concubine en haut par vne fenestre pour abuser d'elle, si elle vient en tombant à se tuer, ou rompre quelque membre, il est irregulier, pour autant qu'il vaque à vne chose illicite : car celuy qui vaque à vne chose illicite dont la mort de quelqu'vn s'en ensuit, ou ruptures de membres, il est homicide, & par consequent irregulier »516. Benedicti fait ici référence à des modèles de concubinage qu'il n'explicite pas. Or, Jean-Louis Flandrin montre qu'il existe encore au XVIe siècle de nombreuses formes de concubinage. Il explique que les jeunes gens vivent parfois en cohabitation afin de tester « leur goût l'un pour l'autre »517 avant de se fiancer. De même, il existe en Corse et au Pays basque des concubinages avant d'officialiser l'union par un mariage. Le célèbre adage « Boire, manger, coucher ensemble, c'est mariage, ce me semble » paraît légaliser les unions libres. Néanmoins, ce dernier est complété par l'expression « mais il faut que l'Église y passe » qui modifie

511Ibid., p.216.

512Daniel JOUSSE, op. cit. [note n°506], p.293.

513Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.601.

514Ibid., p.609.

515Ibid., p.115.

516Ibid., p.613.

517Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes..., op. cit. [note n°275], p.243.

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profondément le sens premier du proverbe. Maurice Dumas précise que la « pression exercée par les autorités ecclésiastiques a fait pratiquement disparaître le concubinage au XVIIe siècle »518. La dénonciation virulente des couples concubinaires en chaire par les prédicateurs et les prêtres est peut-être la cause pour laquelle ces derniers sont si peu mentionnés dans l'ouvrage de Benedicti.

Le confesseur Benedicti trouve dans son manuel destiné à d'autres confesseurs entre autres un moyen propre à leur rappeler leurs obligations en tant que clercs. En réexpliquant les peines lourdes auxquelles les concubins s'exposent, il souhaite les dissuader de persévérer dans le péché.

La veuve : une femme toujours prête à pécher.

Après avoir abordé les diverses relations qu'entretient la femme avec l'homme, nous allons à présent nous pencher sur les discours que suscite cette femme qui, pour un temps plus ou moins long, n'est plus sous la puissance de l'homme. La veuve pose problème du fait de sa capacité juridique et financière retrouvée mais aussi par son possible remariage. Comme le rappellent les auteurs de l'Histoire des femmes, un des problèmes auxquels se trouve confrontée l'Église est celui des conséquences du remariage sur la résurrection519. Dans un temps où la polygamie est pourfendue, qu'adviendra-t-il des femmes remariées au temps du retour de leurs maris ? Scarlett Beauvalet-Boutouyrie souligne de plus qu' « alors que les rôles de la jeune fille et de la femme mariée sont bien délimités, celui de la veuve est mal fixé, si bien qu'elle dérange et inquiète »520. Nous allons tenter de voir comment le franciscain Jean Benedicti perçoit la place de la veuve dans la société d'Ancien Régime en voyant tout d'abord quelle doit être la conduite de la veuve, puis quel est son nouveau statut financier et enfin sa position face au remariage.

Le discours tenu sur la veuve nous montre l'ambivalence fondamentale de cette femme libérée de la tutelle de l'homme : dangereuse car elle acquiert une indépendance qu'elle ne saura prétendument pas gérer seule, elle est aussi privée de l'appui masculin et elle serait donc « désarmée, vulnérable, en péril aussi bien sur le plan matériel que

518Maurice DUMAS, op. cit. [note n°337], p.64.

519Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.98-99.

520Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être veuve sous l'Ancien Régime, Paris, Belin, 2001 (coll. Histoire et société : essais d'histoire moderne), p.21.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

moral »521. Ce double visage que peut prendre la veuve entraîne deux types de discours : l'un moralisateur, l'autre, bienveillant. Benedicti n'échappe pas au désir des hommes de son siècle de canaliser cette indépendance potentielle des veuves mais il semble connaître les difficultés qu'elles rencontrent. La veuve est dangereuse car, ayant connu les plaisirs de la chair, il lui est difficile de garder la continence prêchée par l'Église. Le discours clérical insiste sur la libération que devrait représenter l'état de viduité : l'acte sexuel mettant grandement les deux partenaires en danger de pécher, la veuve devrait se réjouir de ne plus avoir à se soucier de cela. Néanmoins, Benedicti montre que l'Église est consciente que son idéal de continence est difficile à respecter. Il affirme que pèche la veuve qui « se rementant de la cohabitatio[n] charnelle qu'elle a euë auec son defunct mary, pre[n]d si grand plaisir en cela, qu'elle en sent les aiguillo[n]s de la chair s'esmouuoir, sans se soucier de les repousser. Elle doit chasser cela de sa fantaisie & inuoquer la grace de Dieu. Que si elle ne s'en soucie pas, elle tombe au peché de paresse : outre qu'elle s'expose par telle delectation & pensee, au danger de tomber en quelque autre peché plus grief »522. Louée lorsqu'elle garde sa chasteté retrouvée, elle serait même plus méritante que les vierges qui elles n'ont aucun élément de comparaison auquel se référer523. Mais la tentation guette comme le montre l'histoire de cette « ieune veusue, laquelle estant quelquesfois eschauffee de vin, auquel elle estoit subiette (chose bien da[n]gereuse aux veusues, qui veule[n]t seruir à leur espoux Iesus Christ) faisoit coucher auec elle vn petit enfant qu'elle auoit adopté. Mais qu'arriua il ? Ce petit garçon esta[n]t incité par les impudiques attoucheme[n]s de ceste veusue, il l'engrossa, n'aya[n]t encores que dix ans »524. Cette anecdote, qu'elle soit véridique ou inventée, présente divers comportements attendus de la part d'une veuve. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie rappelle que les clercs « proposent aux veuves de centrer leur existence autour de quatre points, qui concernent aussi bien leurs attitudes que leurs actes : le retrait du monde et l'adoption d'une conduite irréprochable, le gouvernement de la maison et l'éducation des enfants, la prière et l'oraison, et enfin, la pratique des bonnes oeuvres »525. Cette « ieune veusue » était sur le chemin de la sanctification. Elle pratiquait en effet les bonnes oeuvres puisqu'elle avait adopté un enfant et elle devait de plus s'appliquer à son éducation. Néanmoins, elle n'est pas parvenue à appliquer l'ensemble du programme puisque sa conduite n'est pas irréprochable : enivrée, elle a des gestes « impudiques ». Sa punition est d'afficher aux yeux de tous son incontinence.

521Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.173.

522Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.158.

523Ibid., p.344.

524Ibid., p.137.

525Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être veuve..., op. cit. [note n°520], p.33.

La pudeur, « consubstantielle à la femme »526 selon Jean-Claude Bologne, doit être d'autant plus exacerbée chez ces femmes seules de qui dépend maintenant leur propre honneur. Ainsi, cette nouvelle épouse de Jésus-Christ, qui trouve en lui une nouvelle autorité masculine, ne doit pas se farder ni s'habiller de manière provocante : « que dira le peuple de ces veusues tant piaffeuses, qui disent ne se vouloir iamais marier, & temps-pendant elles vous marchent atteintees comme vne autre Venus ? A qui pretendent-elles complaire ? A leur espoux Iesus Christ ? Il ne demande point la beauté corporelle, qui n'est que l'ombre de celle de l'esprit, laquelle il desire ardemment dit Dauid »527. Au XVIe siècle se développe l'usage de porter le deuil en noir « la première année de leur veuvage, puis les années suivantes [de s'habiller] de noir et de blanc ou de couleurs sombres telles que le gris, le bleu foncé ou le violet pour les bas par exemple »528. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie explique que le « souhait que la veuve se pare simplement et choisisse des couleurs sombres repose sur la conviction que la modestie dans le vêtement est nécessaire à la conservation de la pureté »529. Cette modestie souhaitée s'oppose aux femmes qui font de la piaffe, c'est-à-dire qui exposent un luxe exprimant la vanité.

Pour ce qui est de l'importance de la prière et de l'oraison, Benedicti montre qu'il faut que les veuves fréquentent assidûment les bancs de l'Église. Elle sont les seules à qui est autorisée la communion quotidienne530 tandis que nous avons vu précédemment que le franciscain se moque des femmes mariées qui croient devoir réitérer leur communion fréquemment. La charité est un des attributs de la veuve et celle-ci est exaltée dans l'exemple de la veuve de Jérusalem louée par Jésus-Christ dans l'évangile de Marc531. Benedicti raconte ainsi son histoire : « Iesus Christ parlant de la veusue qui n'auoit ietté que deux deniers au tro[n]c de l'Eglise, dist qu'elle auoit plus baillé que tous les autres pour ce qu'elle auoit do[n]né no[n] pas du superflu de son estat, ains de ce qu'elle auoit bie[n] affaire »532. Cet exemple montre que la charité d'une veuve est très bien vue mais cela met aussi en exergue la grande misère qui touche bien des femmes seules. Marcel Bernos explique que ce « n'est pas un hasard si, dans les déclarations de grossesses illégitimes, les veuves sont fréquemment surreprésentées »533. La solitude

526Jean-Claude BOLOGNE, Pudeurs féminines : Voilées, dévoilées, révélées, Paris, Seuil, 2010 (coll. L'univers historique),

p.147.

527Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.253.

528Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être veuve..., op. cit. [note n°520], p.133. Ce même auteur rappelle qu'avant le début

du XVIe siècle, le blanc était la couleur du deuil en France.

529Ibid., p.133.

530Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.237.

531Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Marc, 12, 38-44.

532Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.490.

533Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.175.

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dans laquelle vivent ces dernières peut les mener à se prostituer pour assurer leur survie ou à se laisser séduire plus facilement par un homme qui leur ferait des promesses de mariage ou de soutien financier. Leur vulnérabilité les met plus facilement à la merci de personnes peu scrupuleuses. C'est pourquoi Benedicti rappelle que « l'opression des vesues, orphelins, pelerins & autres pauures gens »534 est un péché mortel. Pèche aussi celui qui « pend le proces au croc535, ne voulant donner la sentence, ce qui se fait souuent au detrime[n]t des pauures veusues, & orphelins, qui n'ont dequoy payer »536. Cette remarque montre qu'il est souvent difficile pour une veuve sans moyen d'obtenir une issue favorable dans un procès.

Ces quelques réflexions sur la pauvreté des veuves nous permettent d'aborder l'aspect financier du veuvage. De quelles ressources disposent-elles et dans quelle mesure peuvent-elles gérer leurs biens ? La pauvreté des veuves est rappelée à plusieurs occasions dans le texte de La somme des pechez, et le remede d'icevx. Ainsi, il est recommandé de « secourir les vesues »537 en leur faisant l'aumône et Bénédicti affirme que les biens de l'Église leur appartiennent538. L'évêque qui les dilapiderait à autre chose pécherait et serait obligé à restitution. De plus, ceux « qui sont commis pour egaller les tailles, tributs, & imposts, & greuent plus les pauures que les riches, comme les veusues & orphelins, outre le peché mortel qu'ils commettent, ils sont tenus à restitution, de l'exces qu'ils ont imposé sur eux »539. Il ressort de ces exemples une vulnérabilité des veuves et une image de grande misère. Il ne faut pourtant pas oublier que la pauvreté peut se transformer en signe d'élection dans le catholicisme. C'est pourquoi Benedicti peut affirmer : « ceux qui sont pauures des biens de ce monde, & les vesues, orphelins, pelerins & autres semblables sont de la part des predestinez : car ils sont membres de Iesus Christ, comme dit l'Euangile »540. La richesse les attend donc au Paradis. Il faut bien cependant que les veuves vivent et élèvent leurs enfants en ce monde.

À la mort du mari, la femme peut percevoir deux types de biens. Dans les coutumes du Nord de la France, la veuve reçoit « la moitié de la masse commune des meubles et acquêts mobiliers et immobiliers, tandis que les héritiers du défunt (ses enfants ou à défaut les collatéraux) reçoivent l'autre »541. Le douaire coutumier

534Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.574.

535Cesser de poursuivre un procès.

536Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.184.

537Ibid., p.658.

538Ibid., p.684.

539Ibid., p.703.

540Ibid., p.638.

541Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être veuve..., op. cit. [note n°520], p.196.

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correspond quant à lui à « la jouissance en usufruit de la moitié des héritages que le mari possède au jour du mariage et de ceux qu'il a reçus, en ligne directe, pendant la durée de l'union »542. Si le mari souhaite fixer précisément ce qui reviendra en douaire à sa veuve, il doit le signifier dans le contrat de mariage. Il s'agit alors d'un douaire « préfix ». Dans les régions du Sud de la France, qui suivent le droit romain en matière juridique, la veuve « récupère sa dot, ainsi que les linges et hardes qui étaient en son usage pendant la durée de l'union »543. Certaines précautions sont prises pour que le mari ne dilapide pas la dot de sa femme. Aussi, le mari qui s'approprie les fruits du placement de la dot de sa femme est tenu à restitution car il commet l'usure544. Si les conjoints sont pauvres, la veuve a peu de chances d'obtenir quelques moyens de subsistance malgré l'aide que lui doivent les héritiers de son mari. Afin de recevoir son douaire, la veuve doit aussi se plier à certaines contraintes sans quoi, il peut lui être retirer. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie explique que « [n]on seulement la veuve est tenue de porter le deuil pendant la première année de son veuvage, mais elle doit aussi se montrer honnête, décente et chaste dans sa conduite »545 si elle ne veut pas perdre ses avantages. C'est pourquoi Benedicti explique que « la veusue à laquelle son mary a laissé des biens, à la charge qu'elle viue en continence, vient à forniquer [...], elle ne peut retenir [ces biens] en saine conscie[n]ce, si elle ne vit chastement »546.

Le confesseur préconise aux veuves de placer leurs biens « en fonds, ou en commerce, ou en association, ou en autres choses licites »547. En effet, afin de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs potentiels enfants, les veuves, si elles n'occupaient avant que des tâches domestiques, doivent trouver rapidement un emploi. Pour les veuves de maître artisan, la possibilité de garder l'atelier de leur mari était déterminée par la corporation. Celle-ci pouvait lui autoriser ou non de conserver des apprentis, la main-d'oeuvre la moins chère, ce qui déterminait dans les faits sa capacité à continuer son activité. Si la corporation lui refusait cela, elle devait « leur trouver de nouveaux maîtres et ne bénéficiait plus de leurs services. Elle se trouvait ainsi dans la quasi-obligation de fermer boutique »548. Il apparaît que « la nécessité de remplacer le travail du mari défunt par une main-d'oeuvre salariée empêchait sans doute plus de 90% des veuves d'artisan de rentabiliser pleinement l'affaire de leur mari »549. Les veuves se trouvaient donc dans une

542Ibid., p.200.

543Ibid., p.209.

544Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.294.

545Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être veuve..., op. cit. [note n°520], p.219.

546Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.116.

547Ibid., p.306.

548Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.61.

549Ibid., p.62.

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situation financière très difficile. Les activités qui paraissent les plus à même de les accueillir sont celles hors des corporations. Les petites entreprises, telles que les « tavernes, les cafés, les commerces de victuailles, la fabrication de gâteaux, de pâtés ou de beignets, ainsi que les locations de meublés »550 leur permettaient de percevoir une rémunération. Néanmoins, dans les registres des Bureaux des Pauvres, oeuvre de charité, « les veuves représentent un fort contingent »551.

La solution que trouvent certaines veuves à cette misère est le remariage. Au XVIe siècle, bien que « le mariage suppose une obligation à vie, il était souvent considéré comme une union temporaire interrompue par la mort d'un des deux époux. Peu de couples vieillissent ensemble, et les jeunes pères ou mères, restés seuls avec une ribambelle d'enfants en bas âge ne tardent pas à se remarier »552. L'Église cependant a une position double sur cette question. Il semble que l'entrée au couvent et une vie de prière soit le modèle idéal proposé aux veuves. Cependant, bien des théologiens savent que ce modèle est inaccessible pour beaucoup. Tout d'abord, la présence de jeunes enfants ou le désir des familles de nouer une nouvelle alliance peuvent être des facteurs d'empêchement à l'entrée au couvent. Selon Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « 80% des veuves les plus jeunes, c'est-à-dire celles qui ont moins de 30 ans à la mort de leur époux, se remarient »553. Benedicti reconnaît de plus qu'il « vaut mieux se marier que de brusler par fornication, ou de faire pis »554. La nécessité pour certaines femmes d'avoir des relations sexuelles, idée commune aux hommes de ce siècle, est acceptée. Néanmoins, trop d'empressement à se remarier est mal vu car cela suppose « qu'elle garde des besoins sexuels pressants »555. De plus, plus elle se remarie, plus le soupçon d'incontinence pèse sur elle. L'Église requiert donc un délai d'un an avant toute nouvelle union. Si la femme n'est pas assurée du décès de son mari, dans le cas où celui-ci aurait brusquement disparu sans donner de nouvelles, Benedicti conseille un délai de cinq ans avant un éventuel remariage556.

Scarlett Beauvalet-Boutouyrie rappelle que jusqu'au XVIe siècle, certains clercs ont refusé de « donner la bénédiction nuptiale aux mariés dans le cadre de secondes noces »557. Cette pratique montre bien les résistances au remariage. La « vraie veuve »

550Ibid., p.62.

551Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être veuve..., op. cit. [note n°520], p.311. 552Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.97. 553Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être veuve..., op. cit. [note n°520], p.338. 554Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.461. 555Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.176. 556Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.469. 557Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être veuve..., op. cit. [note n°520], p.48.

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est en effet depuis saint Paul celle qui ne se remarie pas et qui se consacre à la prière et à l'oraison. Jean Benedicti énumère longuement les noms de ces veuves exemplaires afin d'édifier les fidèles et de porter les veuves à s'identifier à ces figures. Néanmoins, les diverses figures qu'il évoque se mettent parfois en contradiction avec son affirmation initiale disant que c'est « chose certain que la vesue qui se contente du premier mary est plus honorable & merite plus que celle qui se marie plusieurs fois »558. Ainsi, la romaine « Porcia » a eu deux époux, Bibulus et Brutus. « Martia fille de Caton » était en réalité la femme de ce dernier qui la donna en mariage à un autre homme avant de la reprendre comme épouse à la mort de celui-ci. « Anne » est un prénom que portèrent beaucoup de femmes mais, s'il s'agit là de la mère de Marie, la Légende dorée la crédite de trois époux successifs : Joachim, père de la Vierge Marie, Cléophas et Salomé559. Si « la belle Dido » (Didon) est louée pour avoir refusé d'épouser le souverain local après le départ d'Énée, il faut souligner qu'elle n'était pas mariée à ce dernier et qu'elle est par ailleurs dénoncée en d'autres endroits de l'ouvrage pour s'être immolée par « inconsidération ». Aussi, parmi ces modèles, il en reste quatre qui présentent réellement l'histoire de veuves ayant refusé de se remarier et remarquables par leurs actes. Valeria était la fille de l'empereur Dioclétien, qui la maria à Galère. À la mort de ce dernier, elle reçut des offres. Néanmoins, elle « ne voulut iamais prendre vn second mary, dist-elle, que le premier viuoit encores en son coeur, bien qu'il fust decedé »560. Ses refus à Maximilius la vouent à l'exil et à la confiscation de ses biens. Sa mort est ordonnée quelques années plus tard et bien qu'elle réussît à se cacher durant un an, elle fut découverte et décapitée avec sa mère sur une place publique. La « Royne Arthemise » est connue quant à elle pour avoir fait bâtir « vn monument si richement elabouré qu'il fut mis entre les sept merueilles du monde : dequoy n'estant contenté feist rediger561 les propres ossemens en poudre (ô l'incomparable amour d'vne vesue [sic] !) pour les boire & incorporer en son estomach »562. Son mari était Mausole et le Mausolée d'Halicarnasse fait effectivement partie des sept merveilles du monde. Elle aurait en effet avalé quotidiennement les cendres de son mari, mêlées à sa boisson. « Saincte Iudith » est peut-être la figure la plus légendaire parmi ces veuves. Cette dernière, jeune et belle, délivra sa ville (Béthulie) de l'oppresseur Holopherne. Elle utilise pour cela la ruse, s'introduit dans le camp ennemi sous le prétexte d'apporter des renseignements au général qu'elle séduisit, enivra et décapita. Cette dernière « vesquit cent cinq ans : voylà comme Dieu

558Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.460. 559Jacques de VORAGINE, op. cit. [note n°295], p.494.

560Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.461. 561Ramener, réduire à quelque chose.

562Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.461.

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reco[m]pense la chasteté viduelle »563. Enfin, « Anne fille de Phanuel » est une prophétesse qui est restée veuve alors qu'elle avait vécu seulement sept ans mariée. La Bible raconte que « parvenue à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, elle ne quittait pas le Temple, servant Dieu nuit et jour dans le jeûne et la prière »564. C'est donc l'idéal d'une vie longue et glorieuse qui est proposé à ces veuves qui hésitent à se remarier. Il faut néanmoins souligner qu'au « début des Temps modernes, un mariage sur trois ou quatre est un remariage »565.

En conclusion, nous pouvons donc dire que le discours sur les rapports que doivent entretenir les femmes avec l'homme est abondamment fourni et qu'il constitue une part majoritaire du discours que tient Benedicti sur la femme. Il ne faut pas s'étonner de cette proportion si l'on considère que cette relation homme / femme est la plus évidente dans une société et qu'elle est de plus, au XVIe siècle, le lieu toujours possible du péché. Le franciscain rappelle à la femme ses devoirs d'obéissance envers son mari mais lui confère toutefois certains droits. La femme adultère est quant à elle honnie, essentiellement pour le risque qu'elle fait courir de dilapider l'héritage entre des bâtards. La concubine fait surgir la figure du clerc incontinent et des problèmes que ce dernier pose. Enfin, la veuve, malgré ses difficultés financières, est appelée à vivre dans une chasteté qui la mène sur le chemin de la sanctification. Nous allons à présent nous pencher sur le rapport particulier que la mère entretient avec son enfant.

LA FEMME ET L'ENFANT.

Saint Paul affirme que la femme « sera sauvée en devenant mère »566 malgré la faute commise par Ève. Il semble que la maternité soit le seul moyen qui permette à la femme de réparer, ou du moins de ne pas aggraver, la faute de la première mère de l'humanité. La femme entretient un rapport très étroit avec l'enfant qu'elle met au monde, qu'elle nourrit dans la majorité des cas, et qu'elle doit éduquer dans ses premières années. Benedicti accorde une place à la figure de la mère dans son discours. Il dévoile quelles sont les difficultés de la grossesse et les comportements déviants à proscrire selon lui. Le confesseur insiste aussi sur l'attitude à avoir lors de l'allaitement de son enfant et il présente ses inquiétudes face à la pratique de la mise en nourrice des

563Ibid., p.461.

564Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Luc, 2, 37.

565Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.98. 566Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], ITm 2, 15.

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nourrissons. Enfin, les devoirs de la mère éducatrice sont soulignés. En effet, c'est à elle qu'est de plus en plus confié le soin d'éduquer chrétiennement ses enfants et les théologiens catholiques du XVIe siècle sont conscients des enjeux de cette mission.

Porter un enfant et le mettre au monde.

La femme qui veut porter un enfant dans de bonnes conditions doit tout d'abord respecter les interdits prescrits pour les rapports sexuels. Ces derniers déterminent non seulement la fertilité mais aussi la bonne issue de la grossesse. Durant cette dernière, certaines règles doivent être suivies, que rappelle Jean Benedicti. Des modèles bibliques sont présentés aux futures mères afin de les sensibiliser à leurs responsabilités. L'accouchement et le baptême de l'enfant sont plus longuement détaillés du fait des problèmes que peuvent rencontrer les mères à ce moment. La mortalité des femmes en couches et celle des bébés est très importante. Le confesseur connaît les nombreuses superstitions qui ont cours dans ces moments et ressent le besoin de délimiter strictement les pratiques acceptables aux yeux de l'Église de celles du peuple. Enfin, la question des pratiques anticonceptionnelles est abordée d'une manière virulente par le franciscain.

Les critères d'optimisation des rapports sexuels, développés auparavant, sont : une position facilitant la procréation, un moment propice, c'est-à-dire hors des temps d'interdits imposés par l'Église, et un lieu qui n'entraîne pas le scandale des autres croyants. En dehors de ces critères, les rapports sont considérés comme « impudiques »567 et la punition divine pour ce péché est tout d'abord la stérilité de la femme, empêchant la lignée de se poursuivre. La stérilité était considérée comme « un bouleversement de l'ordre naturel des choses, peut-être dû à un péché ou à l'impossibilité de remplir son devoir sexuel, bouleversement qui risquait de se répercuter négativement sur toute la communauté »568, précise Léa Wynne Smith. En effet, l'enfant a un rôle important dans la société du XVIe siècle. Il apporte une aide précieuse aux classes populaires par sa force de travail et représente un héritier potentiel et la continuité de la lignée dans les classes sociales plus aisées. Lui seul peut soutenir ses parents dans leur vieillesse et prier pour leur âme après leur trépas. Léa Wynne Smith souligne enfin que « dans l'univers essentiellement agricole de la France du début de l'époque moderne, un

567Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.

568WYNNE SMITH, Lisa, « La raillerie des femmes ? Les femmes, la stérilité et la société en France à l'époque moderne », dans Femmes en fleurs, femmes en corps : sang, santé, sexualités, du Moyen Âge aux Lumières, Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN (dir.), Saint-Étienne, Publications de l'Université de Saint-Étienne, 2010 (coll. L'école du genre), p.206.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

lien étroit était établi entre la fertilité d'un couple, la santé du bétail et l'abondance des moissons, et un couple stérile pouvait être porteur de malchance »569. Jacques Gélis met aussi l'accent sur la correspondance effectuée à l'époque entre la Terre et la femme. La « Terre-Mère », la Terre « nourricière » « conserve et transforme, ébauche et parfait ; son ventre plantureux s'acharne à assurer la permanence du cycle vital »570. Une femme stérile pourrait entraîner une stérilité des sols et toute la communauté villageoise se soude pour la pousser à entreprendre les démarches qui devaient lui permettre de remédier à cette situation. Benedicti n'aborde pas la question des rites de fertilité car l'Église du XVIe siècle cherche avant tout à les voir disparaître : on tait leur existence afin de ne pas donner des idées à des personnes trop crédules. Néanmoins, nous savons que des « méthodes plus ou moins magiques consistaient, entre autres, à rendre visite à une femme qui venait d'enfanter ou à porter ses vêtements, à toucher des animaux ou des plantes fertiles, à frotter ou à toucher des pierres dressées, à porter des amulettes ou à recourir à des sortilèges »571. Benedicti pense que l'oraison offerte à Dieu peut fléchir sa position. En effet, dans la Bible, ce n'est pas la femme, ni l'homme, qui est responsable de la stérilité. Elle est une décision divine. Aussi, c'est à Dieu et non à quelque superstition qu'il faudrait se fier pour obtenir un enfant. Anne, stérile depuis de longues années, tombe enceinte de Samuel, un prophète biblique, après une longue oraison mentale offerte à Dieu572. Benedicti rappelle cette histoire573 et, par là, peut vouloir conseiller aux femmes de l'époque de se tourner vers Dieu dans l'épreuve de la stérilité.

Lorsque la grossesse est avérée, la future mère doit à tout prix protéger le fruit qu'elle porte. De nombreux conseils lui sont prodigués à la fois par la communauté des femmes qui l'entoure et par des manuels spécialisés. Benedicti les reprend en partie dans son ouvrage. Il rappelle ainsi que certains mouvements sont à proscrire afin d'éviter la perte de l'enfant. Pèche donc « celle qui s'expose au manifeste peril d'auorter, encor qu'elle ne le face pour mauuaise intention, comme en sautant, dansant, ballant574, portant de gros & pesant fardeaux, se lassant par trop, courant indiscrettement par les ruës »575. Ainsi, la femme enceinte semble avoir une place à part dans la société. Il ne faut pas qu'elle « se blesse », c'est-à-dire qu'elle perde son enfant, et pour cela, on lui évite les lourdes charges. Dans la réalité, peu de femmes du peuple peuvent se ménager durant

569Ibid., p.206.

570GELIS, Jacques, L'arbre et le fruit : la naissance dans l'Occident moderne XVIe-XIXe siècle, Paris, Fayard, 1984, p.21.

571Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN (dir.), op.cit. [note n°568], p.213.

572Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], I Samuel, 1.

573Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.87.

574Le terme « baller » signifie « piétiner, danser, sauter, s'agiter ».

575Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.110.

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leur grossesse et, malgré des conseils tels que « ne pas se coiffer soi-même, ne pas hausser trop les bras »576, nombreuses sont celles qui continuent leur activité jusqu'au moment critique de l'accouchement. Benedicti leur accorde certains privilèges tel celui de ne pas jeûner. Il admet en effet que « les femmes enceintes so[n]t excusees, ensemble les nourrices, ausquelles il conuient manger pour deux personnes, sçauoir est, pour elles & pour leurs enfans : mesmes elles pourroie[n]t bien offenser en voula[n]t s'opiniastrer à ieusner, sinon qu'elles fussent si robustes, qu'vne seule refectio[n] leur suffist à elles & à leurs nourrissons »577.

Le régime proposé aux femmes qui le peuvent est celui de la « médiocrité » c'est-à-dire de la modération en toute chose. Benedicti propose ainsi de « prude[m]ment gouuerner les femmes enceintes, & ne leur permettre de vaquer par trop à leur plaisir, ne les affliger aussi toute l'a[n]nee qu'elles portent leur fruit au ve[n]tre, afin qu'elles viue[n]t en tranquillité & repos »578. Il faut donc que la femme enceinte dorme bien, demeure dans des endroits tempérés, évite les odeurs fortes ou les « spectacles effrayants ou seulement insolites qui risqueraient de provoquer la naissance d'un monstre »579. Les bruits trop forts sont à proscrire car ils peuvent provoquer l'avortement. « Une frayeur, une colère, une contrariété peuvent avoir le même résultat. La femme enceinte a le devoir, pour son enfant, de dompter et de modérer ses passions. Son entourage ne doit pas lui faire peur, ni lui annoncer subitement des nouvelles qui puissent l'attrister ou la tourmenter »580 analyse Catherine Fouquet. La femme enceinte doit enfin manger modérément mais suivre ses « envies » « sous peine de voir le corps de l'enfant marqué de ces envies rentrées, taches de vin ou de fruit par exemple »581. Les relations sexuelles sont elles strictement interdites durant la grossesse. Le « peril de suffoquer le fruit ia co[n]ceu »582 est trop important selon Benedicti pour que les mariés se permettent de vaquer « à l'oeuure de mariage ». Plus le moment de l'accouchement approche, plus le péché est grand et les risques pour l'enfant importants d'après le franciscain qui prend en exemple la continence dont sont supposés faire preuve les éléphants et les cerfs « auec la femelle ta[n]dis qu'elle est pleine »583.

576KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine, L'histoire des mères du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Éditions Montalba,

1980, p.47.

577Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.201.

578Ibid., p.153.

579François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111.

580KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine, L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576], p.47.

581François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111.

582Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.153.

583Ibid., p.153.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Si la femme enceinte peut paraître en état de grâce aux yeux de la société de l'époque, Benedicti rappelle néanmoins que sa nature funeste la poursuit. En effet, la mère marque son enfant de la macule du péché originel. Benedicti insiste sur le fait que « nous co[n]tractons au ventre de nos meres » ce « peché de nature »584 dont seule la Vierge Marie a été exemptée585. Il combat en un autre endroit de son ouvrage la croyance calviniste selon laquelle les enfants sont justifiés, c'est-à-dire qu'ils retrouvent leur innocence originelle, au ventre même de leur mère. Seul le baptême peut permettre aux enfants catholiques de retrouver cette innocence selon Benedicti qui appuie sur le fait que « les vns & les autres sortent du ve[n]tre de leurs meres tachez de peché originel, & tous enfans d'ire & de perditio[n] »586. Benedicti se désole lui-même d'être un « pauure enfant d'Eue »587 et remercie la Vierge Marie de l'avoir aidé « depuis que le ventre maternel [l]'a ietté sur la terre »588. Son discours oppose l'image d'une Vierge bienveillante, au ventre protecteur qui accueille le sauveur de l'humanité, à la simple femme dont le ventre fourbe expulse un enfant déjà marqué du péché. Benedicti oppose sans cesse Ève pécheresse à Marie, sainte femme. Deux modèles de maternité sont proposés aux femmes enceintes. Marie est constamment louée, elle qui dit : « Voicy la seruante de Dieu, me soit fait, o sainct Gabriel, selon vostre parole »589. Au contraire, Ève, « la pauure mesquine », qui croit être enceinte du fils de Dieu promis à Adam, est tournée en dérision : « Ah pauure Eue, tu estois bien trompee, pensant estre celle qui porteroit le Sauuer [sic], ceste prerogatiue estoit bien reseruee à une plus digne que toy »590. Benedicti l'accuse même, ayant mis au monde Caïn, d'avoir « plustost enfanté vn petit Antechrist, que non pas le fils de Dieu »591. En effet, le fils aîné d'Adam et Ève tue Abel, son petit frère, et devient par là le tout premier meurtrier de l'humanité. La période de la grossesse a donc un double visage : la femme assure une descendance et est louée pour cela ; néanmoins, elle porte le poids de la malédiction originelle et croiser une femme enceinte semble même inquiéter les plus superstitieux592.

Au chapitre concernant la fréquence de la confession, Benedicti indique que peuvent se confesser hors de la période de Pâques ceux qui sont « au peril de leur vie.

584Ibid., p.14.

585Jean BENEDICTI, La Somme des pechez, et le remede d'icevx..., op.cit. [note n°170], « Epistre dedicatoire ». Nous signalons

que le confesseur franciscain fait ici un dogme d'une croyance qui ne sera officiellement reconnue par l'Église qu'en 1854

(dogme de l'Immaculée Conception).

586Ibid., p.388.

587Ibid., « Epistre dedicatoire ».

588Ibid., « Epistre dedicatoire ».

589Ibid., « Epistre dedicatoire ».

590Ibid., « Epistre dedicatoire ».

591Ibid., « Epistre dedicatoire ».

592Ibid., p.39.

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De là vie[n]t que les femmes enceintes & prestres [sic] d'accoucher, & principalement les ieunes, qui n'ont encores porté enfant, se doiuent confesser & en bon estat »593. Benedicti semble donc connaître les difficultés, voire les dangers, de l'accouchement au XVIe siècle et il demande aux femmes près de leur terme de prendre leurs précautions afin qu'elles ne meurent pas sans s'être confessées. Un proverbe gascon de l'époque disait « Femme grosse a un pied dans la fosse »594. Tous les historiens soulignent la difficulté qu'il y a à évaluer précisément les taux de mortalité en couches, tant pour les mères que pour les enfants. François Lebrun estime que la mortalité maternelle « transparaît dans la surmortalité féminine entre 25 et 40 ans, alors que la surmortalité masculine est la règle, hier comme aujourd'hui dans toutes les autres tranches d'âge »595. Les risques sont importants et, comme il est courant dans ce cas, les superstitions sont nombreuses entourant la délivrance de la femme. Benedicti cite l'utilisation de la pierre d'aigle portée par les femmes « pour se rendre plus larges [...] en leur enfantement »596. Significativement, cette pratique n'est pas décriée. Benedicti évoque aussi la croyance en une action maléfique de sorciers. Ainsi le sorcier Cyprien aurait lié « les femmes enceintes telleme[n]t, qu'elles ne pouuoie[n]t enfanter »597. Si le confesseur franciscain n'évoque que la pierre d'aigle, bien d'autres remèdes étaient utilisés afin de faciliter la venue au monde de l'enfant. Les nombreuses femmes présentes lors de l'accouchement entourent la parturiente et peuvent « lui mettre sur le ventre le bonnet de son mari ou, aux pieds, ses chaussures, lui entourer la cuisse droite d'une peau de vipère ou lui faire boire des tisanes à base de sauge, de fenouil ou d'eau-de-vie, voire d'eau de tête-de-cerf ou de morceau de peau de loup »598. Les pratiques les plus communes seraient le « port d'une ceinture bénie par la Vierge ou de sainte Marguerite, ou [un] pèlerinage, fait soi-même ou par personne interposée, aux sanctuaires spécialisés qui existent dans toutes les provinces et sont dédiés à Notre-Dame-de-Délivrance, de Bon-Secours ou des Sept-Douleurs ou à sainte Marguerite »599. Les sages-femmes sont incriminées lors des accouchements qui se finissent mal et Benedicti conseille de se méfier d'elles600. François Lebrun rappelle qu'elles ne peuvent théoriquement « exercer que si elles ont subi deux examens, l'un devant le curé de la paroisse, l'autre devant un chirurgien ». Néanmoins, seul le premier est observé et les connaissances des sages-femmes ne sont

593Ibid., p.219.

594François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111.

595Ibid., p.117.

596Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.560.

597Ibid., p.46.

598François LEBRUN, Marc VENARD, Jean QUENIART, Histoire de l'enseignement et de l'éducation, tome II : De Gutenberg

aux Lumières (1480-1789), Paris, Perrin, 2003 (coll. Tempus), p.45.

599François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111-112.

600 Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170],p.46.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

pas contrôlées. Jacques Gélis souligne donc que l'« empirisme était la règle, avec tout ce que cela impliquait de spontanéité heureuse et de conduite aberrante. Une présentation vicieuse, un bassin trop étroit, conséquence du rachitisme de la petite enfance, et tout basculait. L'accoucheuse perdait son assurance. Marquée par la souffrance, la femme s'épuisait au fil des heures et les compagnes qui l'assistaient se laissaient gagner par le doute »601. La mortalité néonatale, c'est-à-dire survenue au cours du premier mois de l'enfant, serait comprise entre 10 et 20% du total des naissances602.

Les fréquentes difficultés lors de l'accouchement imposaient au moins un savoir aux sages-femmes : « les sages femmes qui ne sçauent pas la forme de baptiser »603 étaient en état de péché mortel. C'est cette compétence, et leur moralité, qui étaient vérifiées par les curés de l'époque. Il fallait en effet éviter à tout prix que l'enfant meure sans baptême. Les conséquences dans ce cas étaient lourdes pour lui. Jacques Gélis explique que « le nouveau-né qui mourait avant qu'on ait pu lui conférer le sacrement du baptême était doublement pénalisé. Son âme était vouée à des souffrances éternelles, puisqu'elle était privée de la vision de Dieu : c'était la peine du dam. Quant à son corps, il ne pouvait rejoindre la communauté des morts ; il n'avait pas sa place en terre consacrée, auprès des ancêtres »604. L'enfant mort dans ces conditions erre dans les Limbes, espace proche de l'Enfer. Il n'a pas pu en effet être lavé du péché originel par le sacrement du baptême. C'est pour cette raison qu'il est impropre à entrer au Paradis et à contempler Dieu. Benedicti précise qu'on « ne permet qu'on enterre les enfans decedez sans le Baptesme en terre saincte »605. Cette règle était très durement ressentie par les parents de l'époque. Jean Benedicti développe les raisons pour lesquelles les enfants ne devaient pas être enterrés en terre sainte en introduisant ainsi son discours : « ie vien satisfaire à la demande d'aucuns Catholiques : lesquels conduits d'vne cruelle misericorde trouuent estrange que l'enfant d'vn bon pere & d'vne bonne mere qui meurt sans baptesme soit priué du ciel »606. Il semble donc que les parents et leur entourage aient exprimé un sentiment d'injustice face à ce drame. Le développement des sanctuaires à répit607 peut être interprété comme la réponse des parents, pères et mères, à l'angoisse suscitée par la mort de leur enfant. Les enfants morts-nés étaient en effet emmenés par une femme proche des parents, ou payée par eux, dans ces sanctuaires où,

601Jacques GELIS, Les enfants des Limbes : mort-nés et parents dans l'Europe chrétienne, Paris, Louis Audibert, 2006, p.18-19.

602François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.118.

603Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.392.

604Jacques GELIS, Les enfants des Limbes..., op. cit. [note n°601], p.26.

605Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.391.

606Ibid., p.388.

607Ces sanctuaires sont souvent des églises, parfois des lieux consacrés où des miracles auraient déjà eu lieu. Les enfants sont

déposés de préférence sur l'autel des églises, qui sont censés contenir les restes de saints personnages, au pied d'une statue ou

devant une image sainte.

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au prix de ferventes prières, l'animation du corps de l'enfant pendant un court instant permettait d'en déduire son retour à la vie et de lui faire bénéficier du sacrement du baptême. L'Église cherche à réguler cette pratique mais Benedicti souligne que « la foy du pere & de la mere, & les prieres, oraisons, jeusnes, aumosnes, voyage & autres deuotions »608 peuvent aider leur enfant à recevoir le baptême dans l'au-delà, grâce à la miséricorde divine.

Afin d'éviter des pratiques superstitieuses qui menaient à l'exposition du corps d'un enfant mort dans un sanctuaire pendant plusieurs jours, les clercs acceptaient que les femmes baptisent les enfants qu'elles pensaient être en danger de mort. L'ondoiement est le nom de ce baptême fait par la sage-femme au moment de l'accouchement. François Lebrun explique qu'il « doit être fait en présence de deux témoins qui attesteront devant le curé que les formes prescrites ont été respectées. Le rite est, d'ailleurs, volontairement réduit au minimum, puisqu'il est seulement demandé à la personne qui baptise, de verser de l'eau naturelle, à défaut d'eau bénite, sur la tête ou sur quelque autre partie du corps de l'enfant en disant "distinctement et avec attention", en latin ou en français : "Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il" »609. Benedicti montre que les femmes ont usé de ce droit lorsqu'il affirme qu'il est inacceptable que le confesseur ne sache pas « les paroles sacramentales de l'absolution [...] veu mesme que les femmes sçauent bien celles du Baptesme »610. Si les sages-femmes sont normalement les plus habilitées, parmi les femmes, à délivrer ce sacrement, toute femme611 le peut selon Benedicti. L'eau n'est pas même nécessaire puisque « quand vne femme seroit massacree pour la foy Catholique, & son enfant auec elle, il seroit baptisé en son sang »612. Il est néanmoins préférable que la cérémonie se fasse à l'église et c'est là qu'elle a dû avoir lieu dans la majorité des cas. En 1547, le concile de Trente conseille que les enfants soient baptisés « quamprimum », c'est-à-dire le plus tôt possible après leur naissance. En effet, plus les parents attendent, plus le risque que l'enfant décède avant d'avoir reçu le sacrement du baptême augmente.

Les douleurs de l'accouchement expliquent sûrement les deux principaux modèles proposés aux femmes en couches. Ils présentent en effet des accouchements sans difficulté peut-être afin de rassurer les parturientes ou du moins de les porter à espérer la même issue pour elles-mêmes et donc à prier Dieu en ce sens. La Vierge Marie,

608Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.391. 609François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.118.

610Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.618. 611Ibid., p.389.

612Ibid., p.389.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

« contraincte de [se] retirer en vne estable exposee à tous vents »613 est néanmoins préservée des douleurs de l'enfantement puisque Jésus « sortit de sa mere comme les rayons du Soleil à trauers une vitre, sans y faire ouuerture & fraction »614. Sa foi en Dieu a été récompensée. L'histoire de l'accouchement d'Élisabeth doit aussi porter les futures mères à prier pour la Vierge. En effet, lorsque Marie rejoint sa parente, enceinte de Jean-Baptiste615, plusieurs miracles se produisent. L'enfant « se mit à bondir de joie dans le ventre de sa mère, comme pour saluer par ses mouvements celui qu'il ne pouvait pas encore saluer par la voix »616, c'est-à-dire Jésus, dont Marie est enceinte. Jean-Baptiste est ensuite un des rares enfants à être justifié « au ventre de sa mere »617. Cela signifie qu'il n'a pas besoin dans l'absolu d'être baptisé pour être lavé du péché originel. Enfin, c'est Marie elle-même qui accoucha Élisabeth et le reçut dans ses « sacrees mains virginales »618.

Si nous avons vu que la stérilité était particulièrement mal vécue au XVIe siècle, les nombreuses grossesses n'étaient pas non plus désirées. Le risque qu'elles faisaient courir aux femmes, mais aussi la pauvreté de certaines, les ont parfois poussées à utiliser des méthodes de contraception voire à tenter l'avortement. Benedicti pense que l'argument utilisé par certains parents pour justifier les moyens contraceptifs, à savoir qu'ils auraient trop de bouches à nourrir, est la preuve d'un manque de foi en Dieu car selon lui « iamais Dieu ne met vne creature sur terre qu'il ne luy baille les moyens de viure & gaigner sa vie »619. Néanmoins, le franciscain se montre indulgent, ou réaliste : « Si toutesfois les mariez craignent d'auoir trop d'enfans, qu'ils viuent en contine[n]ce mutuelle, implorans la grace de Dieu, & fuyans tous villains attouchemens, immodicitez & ordures »620. La continence comme moyen de contraception est donc la seule voie acceptée. En effet, il est précisé que ceux « qui par potion, breuuages ou autre maniere que ce soit, empesche[n]t la conception & la generation, craignans d'auoir trop d'enfans, pechent mortellement »621. Divers moyens contraceptifs nous sont connus. Catherine Fouquet souligne l'utilisation de pessaires622, de « morceaux de liège de la grosseur d'un

613Ibid., « Epistre dedicatoire ».

614Ibid., « Epistre dedicatoire ».

615Jean-Baptiste devient par la suite un prophète qui annonce la venue de Jésus et baptise ce dernier. Il a donc un rôle très

important dans la Bible.

616Jacques de VORAGINE, op. cit. [note n°295], p.305.

617Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.391.

618Ibid., « Epistre dedicatoire ».

619Ibid., p.152.

620Ibid., p.152.

621Ibid., p.152.

622Dispositif introduit dans le vagin servant de préservatif anticonceptionnel pour la femme.

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oeuf, ou encore des éponges »623. Elle note de plus que le « recours aux breuvages réputés abortifs était très ordinaire. Le persil était ainsi censé faire venir les règles. D'autres plantes encore et, d'une façon générale, toute substance provoquant des coliques étaient jugées susceptibles d'entraîner l'effet recherché »624.

Contraception et avortement sont largement assimilés au XVIe siècle. Cette assimilation « est fondée sur le cumul de trois fautes jugées très graves. La première est l'adultère, car tout acte conjugal accompli sans intention procréatrice est à mettre sur le même pied que la prostitution. La seconde faute est le meurtre, car, dans les deux cas, on empêche un enfant de venir au monde, ce qui est considéré comme la mise à mort de l'être qui aurait pu et dû venir au monde. La troisième faute est l'idolâtrie, car on se sert de moyens contraceptifs ou abortifs souvent liés à des pratiques magiques ou superstitieuses »625. L'avortement est jugé si grave qu'il est placé parmi les cas dont la pénitence et l'absolution sont réservées à l'évêque626. Ainsi, un simple prêtre ne peut décider des pénitences à accomplir afin de réparer la faute commise. Il existe deux degrés de péché liés à l'avortement selon Benedicti. Il précise en effet : « Quant à celuy qui procure l'auortement d'vne femme enceinte, si le fruit estoit des ia animé, il a commis homicide, lequel ne pouuant estre reco[m]pensé par peine pecuniaire, il le doit estre par vne longue & grande penitence, pour auoir esté cause de la mort corporelle & spirituelle, sçauoir, de la damnation de l'ame de l'enfant mort sans Baptesme »627. Benedicti fait la différence entre l'avortement commis sur un embryon non encore animé et sur un enfant qui a reçu une âme : « L'enfant masle reçoit l'ame quarante iours apres la conception, & selon aucuns soixa[n]te, & la femelle octante iours apres »628. Ces conceptions sont conformes aux croyances de l'époque. Si le Lévitique ne donne qu'une période d'impureté post-accouchement qui diffère selon le sexe de l'enfant (quarante jours s'il s'agit d'un garçon, plus de quatre-vingt jours si l'enfant est une fille629), les théologiens ont formé à partir de ce texte les théories concernant l'infusion de l'âme à l'embryon, qu'ils calquent sur le texte biblique. L'avortement avant le quarantième jour est « un acte contre nature, dans la mesure où il détruit un dynamisme à l'oeuvre dans l'embryon et s'oppose au principe de finalité inscrit dans le produit de la conception »630. De plus, l'être humain est créé à l'image de Dieu. Avorter, c'est s'opposer à Dieu qui, de

623KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine, L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576], p.123.

624Ibid., p.124.

625Guy BEDOUELLE, Jean-Louis BRUGUES, Philippe BECQUART, L'Église et la sexualité : repères historiques et regards

actuels, Paris, Éditions du Cerf, 2006 (coll. Histoire du christianisme), p.95.

626Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.589.

627Ibid., p.699-700.

628Ibid., p.110.

629Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Lévitique, 12.

630Guy BEDOUELLE, Jean-Louis BRUGUES, Philippe BECQUART, op. cit. [note n°625], p.150.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

plus, choisit parfois ses prophètes alors qu'ils « ne sont encore que des embryons [...], ce qui signifie qu'ils sont des êtres habités, bien avant leur naissance, par une âme spirituelle proprement humaine »631. Nous avons vu précédemment l'exemple de Jean-Baptiste. Après les quarante jours, l'avortement est purement un crime, un homicide « corporel » contre « un être humain pleinement constitué »632. Aussi, « celuy ou celle qui baille quelque breuuage pour faire mourir le fruict au ventre d'vne femme, ou pour la faire auorter, co[n]tracte irregularité »633. François Lebrun estime que « l'appel à la faiseuse d'anges est le fait de filles, femmes ou veuves soucieuses de faire disparaître les conséquences d'amours illégitimes. L'avortement dans le mariage, comme moyen de limiter le nombre des enfants, ne semble guère avoir été pratiqué »634. Dans ce dernier cas, il semble néanmoins que « des femmes n'ont reculé devant rien, souvent au risque de leur vie, afin d'avorter »635. Benedicti présente l'image d'une femme « qui se iette du haut en bas & se tourme[n]te le corps, pour se faire auorter »636. Il exprime néanmoins une sorte de pitié envers ces « malheureuses » qui « apres auoir abandonné leur pudicité aux ruffiens637, uiennent à défaire leur propre fruit, pour euiter le deshonneur du monde »638. Il les apostrophe ainsi : « O Dieu que sera-ce de vous ? Vos enfants crieront au grand iour du iugement vengeance contre vous »639. Benedicti espère peut-être que la peur de se trouver face à leurs enfants lors du Jugement dernier, les dissuadera de telles pratiques. Néanmoins, la republication périodique de l'édit de 1556 d'Henri II montre que la justice royale a jugé bon d'intervenir dans ces pratiques qu'elle jugeait contraires à la moralité. Cet édit stipule que les femmes enceintes doivent déclarer leur état au curé ou à un juge. Si leur enfant mourait sans avoir été baptisé et sans avoir été déclaré, la mère était jugée coupable d'infanticide. Elle pouvait dès lors être condamnée à mort. Cet édit montre que les risques d'avortement ou d'infanticide étaient pris en considération par les justices tant civile qu'ecclésiastique.

Malgré ces pratiques, la majorité des grossesses aboutissent à la venue au monde d'un enfant. Nous allons à présent nous pencher sur sa destinée durant les premiers mois de sa vie et sur le rôle essentiel de la femme auprès du bébé.

631Ibid., p.135.

632Ibid., p.150.

633Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.613.

634François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.150.

635KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine, L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576], p.123.

636Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.110.

637Un ruffian est un débauché, un entremetteur.

638Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.109.

639Ibid., p.109.

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Le bébé en nourrice.

Après avoir été baptisé, le bébé entre dans la « première enfance », période qui s'étend jusqu'à son sevrage. L'importante mortalité des enfants à cet âge montre que cette étape est un passage difficile. La mère a un rôle vital dans la survie du nourrisson. C'est en effet elle qui « l'emmaillote, veille à son sommeil et à son hygiène, et surtout l'allaite »640. L'allaitement est perçu comme une étape cruciale dans le développement de l'enfant, dans le façonnage de son caractère futur. C'est pourquoi de nombreux auteurs du XVIe siècle ont écrit sur les bienfaits de l'allaitement mais surtout de l'allaitement maternel. Benedicti prend part au débat et donne des conseils tant aux mères qu'aux inévitables nourrices. Ces dernières, femmes d'artisan puis presque exclusivement paysannes, sont louées par les soins des parents afin de nourrir et de prendre soin de leur enfant. Choisies à l'aveuglette sur les marchés ou grâce à un intermédiaire par les parents les plus pauvres, elles font néanmoins l'objet d'un discours moralisateur important au XVIe siècle.

Le paragraphe dédié à l'allaitement est un des premiers mais surtout un des plus développés du chapitre « Les pechez des Peres & meres enuers leurs enfans, contre ce quatriesme Commandement ». Benedicti commence son propos ainsi : « Les meres qui n'ont cure de nourrir leurs enfans, ou à tout le moins de leur pourueoir de bo[n]nes nourrices, iusques à l'aage de trois ans, apres lesquels les peres sont tenus par droit naturel, de les aua[n]cer & leur bailler ce qui est necessaire, peche »641. La durée d'allaitement peut aller jusqu'à l'âge de deux ou trois ans au XVIe siècle, même si la diversification alimentaire intervient assez tôt. Catherine Rollet souligne qu'au fur et « à mesure que l'enfant grandit, la fonction alimentaire du sein décline : il est de plus en plus nourri de nourritures solides, mais le sein reste nécessaire pour apaiser les peurs et les tensions »642. Ainsi, jusqu'à quatre ans, certains enfants peuvent téter leur mère de temps à autre. Benedicti dénonce le fait que toutes les femmes ne souhaitent pas allaiter : « Pourquoy est-ce que nature leur a baillé deux mammelles co[m]me deux petites bouteilles, sino[n] pour cest effect ; mais cruelles marastres qu'elles sont, ce leur est assez d'auoir tiré leurs enfans hors de leurs entrailles & mis sur terre, & puis les enuoyer aux tristes villages, pour les faire nourrir par femmes estrangeres, mal saines, &

640François LEBRUN, Marc VENARD, Jean QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note n°598], p.59.

641Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.95.

642Catherine ROLLET, « Histoire de l'allaitement en France : pratiques et représentations », mai 2006 (rééd.) [disponible en ligne sur < http://www.co-naitre.net/articles/histoireallaitementCRmai2006.pdf>] (consulté le 19 mars 2013).

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mal complexionnees : chose si co[n]tagieuse aux pauures petits enfans, qu'il leur seroit meilleur d'estre nourris de quelque beste brute, comme vn Cyrus & Romulus643, que d'estre commis à la misericorde de telles nourrices »644. Il semble en effet que si l'allaitement « par la mère est de règle dans les campagnes, c'est-à-dire dans l'immense majorité des familles »645, « le recours à une nourrice est une pratique courante dans les villes, petites ou grandes »646. Cette demande est le fait de trois raisons selon le père franciscain Pierre des Gros, religieux du XVIe siècle : « La première, pour ce que ce n'est pas la coutume de nourrir. La seconde, pour plus garder leur beauté et frescheté. La tierce pour plus prendre esbatement à leurs maris, et c'est incontinence »647. Dans les milieux aisés, la femme a une fonction de représentation qui s'accorde mal avec le système de tétée à la demande qui est la règle au XVIe siècle. Le docteur Laurent Joubert (1529-1583) souligne avec aigreur que certains maris « ne veulent permettre à leur femme de nourrir, afin que leurs tétins demeurent plus jolys, qu'ils se plaisent à manier, non pas des tétins mols »648. La fonction esthétique des seins est mise en avant pour éviter l'allaitement aux femmes des milieux aisés. Enfin, les contraintes dues à l'allaitement sont mises en valeur par les couples pour placer leurs enfants en nourrice. Ceci vaut surtout pour les hautes classes de la société car, pour une partie des mères, le placement en nourrice est la seule solution afin de pouvoir poursuivre une activité professionnelle vitale pour l'ensemble du groupe familial.

Nous allons tout d'abord voir quels conseils étaient donnés aux femmes allaitantes. Benedicti rappelle que le mari doit « s'abst[enir] de sa femme iusques à tant qu'elle ait seuré l'enfant de la mammelle »649. Plusieurs raisons expliquent ces recommandations : on pense qu'une nouvelle grossesse priverait le nouveau-né de lait, que « l'acte vénérien excite les passions et trouble toutes les humeurs, dont le lait est la plus fragile »650 et que « l'incontinence & copulation charnelle fait bie[n] souuent perdre le laict aux nourrices, non sans le dommage des enfans »651. Le temps de l'allaitement étant très long à l'époque, « de nombreux maris préfèrent reporter le tabou sexuel sur une nourrice et reprendre sans tarder avec leur épouse des relations trop longtemps

643Cyrus le Grand, fondateur de l'Empire perse, fut, selon une légende, nourri par une chienne. Romulus, fondateur de Rome avec

son frère Remus, aurait été allaité par une louve.

644Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.95.

645François LEBRUN, Marc VENARD, Jean QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note n°598], p.63.

646François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.126.

647Pierre DES GROS, cité dans Nourrices et nounous : une histoire des « femmes allaitantes », Bernadette de CASTELBAJAC,

Paris, Cosmopole, 2007, p.8.

648Laurent JOUBERT, cité dans Ibid., p.13-14.

649Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.154.

650Didier LETT, Marie-France MOREL, Une histoire de l'allaitement, Paris, Éditions de la Martinière, 2006, p.85.

651Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.154.

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interrompues du fait de la grossesse »652. En effet, en ajoutant les neuf mois de la grossesse aux deux ans d'allaitement, c'est une longue période d'abstinence sexuelle que seraient censés s'imposer les couples. La femme qui allaite doit aussi surveiller son alimentation afin que son lait soit assez abondant pour l'enfant, et de bonne qualité. Elle doit, tout comme la femme enceinte, ne pas « éprouver d'émotions trop violentes, ni travailler trop dur, car cela pourrait faire tourner son lait et empoisonner l'enfant »653. Une des légendes entourant une grotte miraculeuse où Marie se cacha dit que cette dernière « ayant dû se séparer un instant de son nouveau-né le confia à Joseph. Quand elle le reprit, son trouble fut si grand qu'avant de lui présenter le sein, elle fit comme les femmes du pays, convaincues qu'une émotion trop forte nuisait à la qualité du lait : elle exprima à terre un peu de lait de ses seins avant de faire téter à nouveau l'enfant »654. Benedicti pense quant à lui que Marie eut « une si grande abondance de laict en [ses] sacrees mammelles », qu'elle en répandit sur le sol de la grotte, « à cause dequoy la terre d'icelle porte medecine [...] de sorte que si les nourrices, voire mesme les brebis & autres animaux qui n'ont point de laict, prennent de ceste terre detrempee en eau, le laict leur vient en abondance »655. Le commerce de cette pierre qui aurait reçu le lait de Marie était extrêmement développé au XVIe siècle : réduite en poudre, elle était mélangée à de l'eau et bue par les femmes qui craignaient de manquer de lait. La Vierge Marie est le symbole par excellence de la mère allaitante. Yvonne Knibiehler souligne que « les relations de Marie avec son divin enfant ont contribué à la structuration de la conscience maternelle en Occident »656. Le dévouement de la mère se lit dans l'allaitement et le lait de la Vierge devient le symbole du pouvoir d'intercession de Marie auprès de Dieu657.

L'allaitement par la mère de l'enfant n'est toutefois pas toujours possible comme nous l'avons vu plus haut. Aussi, si Benedicti s'outrage que les mères puissent confier leurs enfants à ces « femmes estrangeres, mal saines, & mal complexionnees », il ne s'oppose par à ce que les parents leur pourvoient « de bon[n]es nourrices ». Quelle est la nourrice idéale selon les critères du XVIe siècle ? Il faut tout d'abord souligner que, d'après les théories de l'époque, le caractère de l'enfant dépend de la qualité du lait et de la femme avec qui ce dernier est en contact physique. Benedicti décrie les mauvaises nourrices car, selon lui, « non seulement les corps en demeurent interessez658 & gastez,

652François LEBRUN, Marc VENARD, Jean QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note n°598], p.65-66. 653Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit. [note n°650], p.81.

654Marie-Claude DELAHAYE, Bébés au biberon, Paris, Éditions Hoëbeke, 2003, p.20.

655Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Epistre Dedicatoire ». 656Yvonne KNIBIEHLER, Histoire des mères et de la maternité en Occident, Paris, PUF, 2000 (coll. Que sais-je ?), p.30. 657Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit. [note n°650], p.27. 658« Intéresser » s'entend ici dans le sens de « faire tort à quelqu'un ; causer du dommage à quelqu'un ».

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[...] ains aussi qui est bien le pis, il demeure quelque impression & charactere du vice des nourrices aux esprits des enfans »659. Le choix de la nourrice devrait donc être extrêmement attentif, même si cela est difficile pour certaines familles. Dans les faits, seules les familles aisées peuvent se permettre de choisir la femme qui allaitera leur enfant. Les qualités de la bonne nourrice sont diverses. Elle doit avoir entre vingt-cinq et trente-cinq ans et être en bonne santé c'est-à-dire n'être « ni trop grasse, ni trop maigre »660. Les jeunes femmes brunes ou châtains sont plus appréciées. En effet, les blondes auraient une odeur désagréable661 tandis que « les rousses passent pour aimer trop les hommes »662. Ses seins sont examinés : ils ne doivent être « ni trop gros, ni trop petits, ses mamelons en forme de noisette, son lait ni trop épais, ni trop séreux »663. Son caractère importe aussi, comme nous l'avons vu. Elle ne doit pas être bavarde et avoir des moeurs irréprochables. Les parents aisés peuvent payer les gages d'une telle nourrice qui s'installe parfois au domicile du nouveau-né. François Lebrun souligne que le « bourgeois propriétaire place son enfant dans la paroisse où il a ses terres, chez la femme de son fermier ou chez quelques voisines qu'il connaît »664. Pour les familles pauvres, qui placent leurs enfants par nécessité, le hasard est la règle. Les enfants sont souvent emmenés dès les premières heures de la vie loin du domicile des parents « par tous les temps, à pied ou dans de mauvaises voitures »665. Benedicti qualifie ces nourrices de « femmes estrangeres » car elles habitent parfois très loin des centres urbains qui leur envoient des enfants. La mortalité pendant le transport est importante. Puis, le manque d'hygiène des maisons paysannes voire le manque de lait des nourrices « sèches » effectue un nouveau tri parmi les nouveaux-nés. Quand la nourrice a du lait, celui-ci est mal adapté à l'enfant qui vient de naître car il est trop épais pour lui. En effet, la plupart ont attendu quelques semaines avant de se louer comme nourrice, le temps de sevrer leur propre nourrisson. Durant cette période, le lait s'épaissit naturellement et est donc moins assimilable pour les nouveaux-nés qui n'ont souvent que quelques jours voire quelques heures à leur arrivée chez la nourrice. De plus, les « nourrices mercenaires666 » ont souvent plusieurs enfants ou ont d'autres travaux à effectuer. Peu d'enfants revoient leurs parents, qui ignorent en grande partie les risques de la mise en nourrice.

659Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.95.

660Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit. [note n°650], p.100.

661François LEBRUN, Marc VENARD, Jean QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note n°598], p.66.

662Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit. [note n°650], p.100.

663François LEBRUN, Marc VENARD, Jean QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note n°598], p.66.

664François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.127.

665Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit. [note n°650], p.116.

666Le mot « mercenaire » signifie exclusivement qu'elle reçoit un salaire en échange d'un service rendu.

Selon Benedicti, « iamais l'enfant n'est si bien nourry d'vn laict estra[n]ger, co[m]me de celuy de la propre mere, lequel n'est autre chose (si nous croyo[n]s aux Physiciens) que le sang duquel l'enfant a esté formé au ventre de sa mere qui est cuict par la chaleur naturelle & conuerti en laict, pour donner alime[n]t au fruict »667. Les médecins du XVIe siècle, qui ont remarqué l'absence de règles chez les femmes enceintes, l'ont interprétée comme étant la preuve que l'enfant était façonné de ce sang et nourri par lui. Il y aurait « une continuité totale entre le sang du placenta, dont l'enfant est nourri dans la matrice pendant la grossesse, et le lait qui est produit après la naissance. Les traités anciens d'anatomie expliquent qu'après l'accouchement, on assiste au procédé de déalbation : le sang, qui allait au cordon, remonte jusqu'aux mamelles par une veine spéciale qui relie l'utérus aux seins »668. C'est cette théorie du sang « blanchi » qui réglemente les temps de l'accouchement. En effet, « les mères ne peuvent fabriquer en même temps du sang et du bon lait »669. Il est donc recommandé à la mère de ne pas allaiter de suite après l'accouchement. Les relevailles sont la « cérémonie religieuse de purification »670 qui permet aux mères de pouvoir réintégrer la société normale après avoir « garder la couche quelque espace de temps sans habiter auec leurs maris »671. Cette cérémonie avait lieu, dans la tradition juive, quarante jours après l'accouchement. La durée d'« impureté » est réduite à vingt jours par les médecins du XVIe siècle. En attendant de pouvoir allaiter, et pour éviter les douleurs dues à l'engorgement des seins, les mères « se font dégorger les seins par des servantes ou des petits chiens »672 tandis que les enfants sont allaités par une autre femme ou nourris de « vin sucré, d'huile d'amandes douces, de sirop de chicorée ou encore d'eau miellée »673. Ces pratiques peuvent expliquer pourquoi Benedicti affirme qu'il « seroit donc bien meilleur & plus sea[n]t, à ces ieunes dames, ta[n]t poupines, de tenir vn enfant entre les bras, fruit de leur mariage, que non pas vn petit chie[n] »674.

Afin d'inciter les mères à allaiter, Benedicti allie le nom de grandes figures de la Bible à un traitement de faveur pour ce qui est de certaines obligations religieuses. Il conseille ainsi de « se mirer à l'exe[m]ple de Sarra, Rebecca, Rachel, Anne, & autres matrones de l'ancien testament, & mesme du Paganisme, comme à Hecuba, Royne de

667Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.96.

668Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit. [note n°650], p.65.

669Ibid., p.66.

670François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.123.

671Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.154.

672Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit. [note n°650], p.66.

673Marie-Claude DELAHAYE, op. cit. [note n°654], p.24.

674Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.96.

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Troye, lesquelles ont mieux aimé nourrir leurs enfans, que les bailler à nourrices mercenaires »675. Il est encore une fois visible que le franciscain utilise de grands noms afin d'appuyer son propos : Sara, femme d'Abraham et Anne, femme d'Elqana, sont effectivement présentées dans la Bible en train d'allaiter leurs enfants Isaac676 et Samuel677. Nous n'avons cependant trouvé aucune mention d'allaitement pour Rébecca ou Rachel. Benedicti mêle les noms de femmes célèbres pour leur descendance. Il place, intentionnellement ou non, les noms de Rébecca et de Rachel, dont l'allaitement n'est pas mentionné, entre les noms de Sara et d'Anne : le lecteur peut ainsi se persuader de la véracité de tous les exemples. Le cas d'Hécube est plus surprenant. Reine de Troie et femme de Priam, elle aurait eu dix-neuf enfants de son mari. Tout comme Rébecca et Rachel, nous n'avons pas pu trouver la preuve qu'elle aurait allaité ses enfants. Néanmoins, une légende connue dit que Pâris, son cadet, fut allaité par une ourse après avoir été abandonné par ses parents dans la montagne. Les modèles donnés aux femmes semblent donc être des figures d'autorité. Ils ne devraient pas être remis en cause. Leur utilisation montre cependant que la vérité biblique ou historique est parfois forcée pour justifier le propos. Benedicti complète l'exemple de ces modèles par la présentation de certains droits qui devraient encourager les femmes à allaiter. En effet, il excuse « les nourrices qui ne peuuent laisser leurs nourrissons »678 si ces dernières manquent la messe. De même les nourrices n'ont pas obligation de jeûner679. Il est remarquable ici que le franciscain emploie le mot de « nourrice » tandis qu'il cherche par ailleurs à encourager les femmes à accepter leurs responsabilités maternelles. Cela est peut-être dû au fait qu'il connaisse bien les usages de la société de son temps. Il existe une interdiction qui est néanmoins faite aux mères comme aux nourrices : mettre son enfant à dormir à côté d'elles pour ne pas être réveillées par ses cris ou pour ne pas avoir froid au moment de l'allaiter. Benedicti rappelle que les femmes risquent par cette pratique de « suffoquer » leur enfant680. François Lebrun explique que « [l]'insistance avec laquelle les autorités civiles et ecclésiastiques rappellent cette interdiction, du XVIe à la fin du XVIIIe, prouve qu'il s'agit d'une habitude très enracinée, en dépit des risques évidents qu'elle fait courir aux nourrissons »681. Si cette pratique est vue par certains historiens comme une forme d'infanticide acceptée, d'autres y décèlent la preuve de l'amour de la mère, qui préfère garder son enfant au chaud contre elle plutôt que de le laisser dans un

675Ibid., p.96.

676Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Genèse, 21, 7.

677Ibid., 1 Samuel, 1, 23.

678Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.196.

679Ibid., p.201.

680Ibid., p.109.

681François LEBRUN, Marc VENARD, Jean QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note n°598], p.60.

berceau que bien des familles ne possèdent d'ailleurs pas. De plus, lorsque l'enfant pleure, sa mère le prend tout de suite dans ses bras. En effet, les parents redoutent les convulsions qu'on ne sait pas soigner. Les enfants sont donc toujours proches de la femme, de jour comme de nuit.

Après le temps de l'allaitement vient celui de l'éducation du jeune enfant.

Éduquer son enfant.

Jusqu'à l'âge de sept ans, les enfants, garçons comme filles, restent aux mains des femmes, qui initient leur éducation. De nombreuses femmes peuvent entourer l'enfant : les gouvernantes, servantes, soeurs, nourrices voire parfois les grands-mères apportent leur aide. Néanmoins, la mère a un rôle prépondérant et l'Église cherche, à partir du XVIe siècle, à la responsabiliser, notamment dans le domaine de l'éducation religieuse. Si Benedicti emploie les termes de « pères et mères », il faut souligner que la grande majorité des exemples donnés se focalisent sur la relation entre la mère et ses enfants ou la mère et sa fille. En effet, après sept ans, âge de raison, les garçons passent aux mains des hommes mais les filles terminent leur apprentissage auprès de leur mère qui doit être pour elles un exemple à suivre mais surtout, dans bien des milieux, une habile professeure capable de lui enseigner les bases élémentaires de la survie. Nous allons voir quels sont les deux modèles que Benedicti met en concurrence dans son oeuvre : celui de la mauvaise mère, haïssable en bien des points, et celui de la bonne mère, qui recevra la sanctification grâce à son dévouement.

La première faute que Benedicti attribue aux mères est l'incontinence qui fait, selon les croyances de l'époque, que « les enfans sont souuent maladifs ou contre faicts »682. L'incontinence est supposée entraîner des troubles physiques et psychiques qui mettent en péril toute tentative de bonne éducation. La femme doit veiller elle-même à ne pas mettre son enfant en danger en rappelant à son mari ses obligations : ce dernier ne doit pas tenter d'avoir des rapports sexuels avec elle tant qu'elle est enceinte ou qu'elle allaite. Deux autres grandes fautes sont aussi attribuées plus spécifiquement à la mère : maudire ses enfant et blasphémer devant eux. Marcel Bernos souligne que les « pédagogues et moralistes s'accordent habituellement sur ce que la bonne éducation

682Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Table », « Le Mercredy du quatrieme Dimanche ».

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commence par le bon exemple ». Les mères devraient donc « surtout témoigner par leur propre vie »683. Ainsi, la mère qui donne à sa fille un mauvais exemple « co[m]met vne espece d'homicide : car tout cela est homicide spirituel »684. Si inculquer les bonnes valeurs morales et les bonnes lignes de conduite est de la responsabilité des deux parents, « progressivement, les théologiens et moralistes se persuadèrent que la moralité, féminine du moins, était un héritage maternel. Une fille était ce que sa mère en avait fait »685. Benedicti rappelle donc que la « Mere [...] qui blaspheme, qui paillarde, qui tue, qui yurongne, qui desrobe, qui detracte, & en somme qui fait mal deuant ses [...] enfans [...] offens[e] plus griefueme[n]t qu'vn autre »686. Elle devrait au contraire lui apporter les rudiments du catéchisme ce qui aurait été facilité « par la présence en toutes les maisons, même les plus modestes, d'un crucifix, avec son buis béni le jour des Rameaux, de quelques images pieuses représentant le Christ, la Vierge ou un saint, d'un récipient avec un peu d'eau bénite »687. Benedicti s'élève aussi contre « les meres transportees d'impatience, lesquelles fulminent contre le fruit de leur ventre ces beaux mots, le cancre688 te vienne, la bosse689, le tac690, la peste t'estrangle, le diable, la male rage te puisse emporter, &c »691. Ces mots sont plus sûrement le fait des classes populaires pour qui « l'emploi de la crainte et de l'ironie, doublé parfois de châtiments corporels, a pour but d'inculquer aux enfants un minimum d'habitudes de disciplines assez élémentaires sans lesquelles la vie en commun au sein de la famille serait vite insupportable »692. Dans les plus hautes strates de la société en effet, l'apprentissage de la « discipline y est beaucoup plus poussé et aboutit à un véritable conditionnement du corps et de l'esprit »693, qui rendent plus improbable peut-être le type de comportement évoqué ci-dessus.

Benedicti développe son propos et argumente ainsi : « Si telles maudissons694 se disent de coeur & de bouche, c'est peché mortel : si elles lés [sic] proferent seulement de bouche & par le premier mouuement de cholere, per inaduertance, par moquerie, pour passé temps ou pour faire rire, c'est peché veniel. Si est ce qu'elles deuroient penser que souue[n]t leur imprecation arriue à leurs enfans, comme elles le leurs requiere[n]t, ainsi

683Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.165.

684Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.113.

685Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.57.

686Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.579.

687François LEBRUN, Marc VENARD, Jean QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note n°598], p.97.

688Nous n'avons pas trouvé de définition pour le mot « cancre », peut-être s'agit-il d'une faute de l'imprimeur et le mot original

aurait été « chancre » c'est-à-dire une ulcération qui a tendance à s'étendre.

689La « bosse » peut être à la fois la bosse du bossu mais aussi une tumeur, un abcès ou encore le bouton de la peste.

690Le « tac » est le nom d'une maladie proche de la coqueluche.

691Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.62.

692François LEBRUN, Marc VENARD, Jean QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note n°598], p.95.

693Ibid., p.95.

694Malédiction.

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qu'il se lit en l'histoire de Laon, où il est dit, que Beelzebub [sic] estoit entré dedans le corps de Nicole Obry, à raison que sa mere l'auoit donnee au diable, despitee dequoy elle auoit perdu vn chappellet. Et pour autant, dit l'escriture, que la malediction de la mere fait esbranler & renuerser sens dessus-dessous les fondemens de la maison des enfans »695. L'histoire de Nicole Aubry est bien connue à l'époque car elle a fait beaucoup de bruit et a été racontée dans de nombreux ouvrages. En 1565 ou 1566, une jeune fille de seize ans, fille d'un boucher de Vervins et mariée à un tailleur, se recueillant sur la tombe de son grand-père mort sans confession, crut le voir sortir de son tombeau. L'âme du grand-père Vieilliot « lui demanda des messes, des prières et des bonnes oeuvres pour la tirer du purgatoire, où elle souffrait depuis le jour de son décès »696. La jeune femme exécute les ordres du spectre qui se manifeste plusieurs fois à elle. Elle est de plus en plus malade et plusieurs clercs essaient de l'exorciser sans succès. Vingt-six démons seraient sortis d'elle sous la forme de chats aussi gros que des moutons mais les plus virulents dirent qu'ils ne partiraient que par l'action de l'évêque de Laon. Ce dernier intervient, d'autant que l'affaire donnerait raison aux thèses catholiques contre des thèses protestantes, que le diable possédant Nicole Aubry propose de dénoncer. Celle-ci est donc libérée des trois derniers démons qui la tourmentaient : Astaroth, qui prit la forme d'un porc, Cerberus, celle d'un chien et Belzébut en taureau. Nicole Aubry rencontra par la suite le roi Charles IX et Catherine de Médicis, qui avaient été mis au courant de l'affaire. Le fait que la jeune femme ait été possédée à cause d'une malédiction de sa mère n'est pas précisé dans les récits dont nous avons pris connaissance mais il est probable que de nombreuses rumeurs aient circulé autour de cette histoire à l'époque. Une autre histoire est connue qui raconte comment la malédiction d'une mère entraîne de graves conséquences pour ses enfants. Cette mère veuve aurait eu dix enfants, sept garçons et trois filles. Les mauvais traitements que lui font subir les garçons, l'injuriant et la frappant, et l'absence de réaction de la part de ses filles leur attirent une malédiction « de coeur & de bouche »697 : « & tout incontine[n]t ils furent saisis d'vn tremblement de tous leurs membres à leur grande confusion, laquelle ne pouuans plus supporter deuant le peuple furent contraints de quitter le pays & vagabonder par le monde »698. Ici, selon l'injonction du quatrième commandement (« Tes pères et mères honoreras »), les enfants sont appelés à respecter leurs parents, et

695Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.62.

696Joseph BIZOUARD, Des rapports de l'homme avec le démon ; essai historique et philosophique, Paris, Gaume frères et Joseph Duprey, 1863 [disponible sur < http://www02.us.archive.org/stream/desrapportsdelho02jose/desrapportsdelho02jose_djvu.txt>] (consulté le 21 mars 2013).

697Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.545.

698Ibid., p.94.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

notamment leur mère mais cette dernière est aussi invitée à la clémence et à une certaine retenue envers ses enfants.

Benedicti aborde plus en détail l'éducation que doit donner une mère à sa fille. Jusqu'à l'époque de ses règles, qui annonce la possibilité de son mariage, la jeune fille reste très proche de sa mère, qui doit lui enseigner son futur rôle d'épouse. Marcel Bernos indique que la mère « ne peut que répéter ce qu'elle sait elle-même : de la piété, des pratiques, quelques recettes, l'habitude de la soumission. La fillette apprend par ouï-dire et voir-faire, dans un apprentissage précoce, parce que très tôt, dès l'âge de sept ou huit ans, elle doit aider sa mère »699. Ces savoirs sont vitaux pour la jeune fille qui pouvait alors trouver un travail nécessaire à sa survie si elle savait bien cuisiner ou si sa mère l'avait formée aux travaux d'aiguille. L'association mères filles est très visible dans le monde rural où elles effectuent ensemble toutes les activités dédiées aux femmes : s'occuper de la basse-cour, nourrir les bêtes, chercher des baies ou des champignons pour agrémenter les plats, cuisiner et s'occuper des enfants en bas âge. L'apprentissage de ces activités devrait suffire selon Benedicti qui déplore qu'il « y en à auiourd'huy des meres, par le mo[n]de, qui font comme Herodias, qui apprennent à leurs filles à danser, rhetoriquer, hanter les compagnies, farder, peindre, plastrer700 leur visage, à se charger de bagues & ioyaux, co[m]me si elles estoient mercieres à esleuer vn [sic] boutique »701. Plus loin, il affirme aussi que la « mere qui apprend sa fille à se farder, baller702, danser aux dimanches & piaffer, porter habillemens dissolus pour complaire au monde par mauuaise intention, en luy donnant mauuaise exemple, elle est homicide de l'ame de son fruit, faisant non comme vne vraye mere, ains comme vne Herodias ou marastre »703. Hérodias, ou Hérodiade, princesse juive, est ici vivement critiquée en tant que mauvaise mère. Cette femme est la mère de Salomé, à qui elle aurait demandé d'obtenir la tête du prophète Jean-Baptiste. Salomé va alors charmer par sa danse le second mari de sa mère, Hérode Antipas. Ce dernier lui promet de lui accorder ce qu'elle souhaite et Salomé réclame alors la tête de Jean-Baptiste sur un plateau. Hérode Antipas s'incline704. Les « traités d'éducation écrits par des hommes, religieux ou non, [...] stigmatisent la futilité de l'éducation donnée aux filles [...]. [Ils] critiquent l'importance trop grande attachée à l'apparence physique des filles, bien qu'ils admettent que c'est essentiellement d'après ce

699Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.160.

700« Plâtrer » est un synonyme de « farder ».

701Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97. 702« Baller » signifie « danser, sauter, s'agiter ».

703Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97. 704Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Marc, 6, 14-29.

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critère qu'une femme est appréciée ou non »705. Benedicti fait de toute femme enseignant des gestes futiles une pécheresse coupable d'emmener sa fille en Enfer à sa suite.

Les modèles présentés aux mères sont multiples mais deux particulièrement devraient l'aider à investir leur mission : l'éducation de Jésus par la Vierge Marie et l'attitude de Dieu envers les croyants. Si l'Église est dite « mère »706 des catholiques, les représentations de Dieu sous un visage humain permettent de donner aux femmes l'exemple de ce que devrait être leur pitié envers leurs enfants. Dieu, « qui plus nous ayme que la tendre mere n'aime son enfant »707 ne laisse pas les innocents « dans la fornaise [sic] ardante »708. Il est empli de miséricorde envers les croyants. La bonne mère doit s'appuyer sur cet exemple et avoir de la compassion pour ses enfants. Elle « ne se courrouce pas contre son enfant qu'elle voit estre agité de fureur, & rompre, briser, getter, & re[n]uerser tout, imputa[n]t plustost cela à la violence du mal, que non pas à l'enfant ». Benedicti présente un exemple de cette miséricorde féminine qui fait que la « pitoyable709 mere, laquelle voyant le pere animé co[n]tre l'enfant s'interpose entre les deux, pour apaiser le courroux paternel, & receuoir en soy la peine destinee pour son fils ». Pitié n'est pas laxisme puisque « la mere voyant sa fille faire chose desorbitante » doit la reprendre et la châtier « quand elle a la puissance »710. Il semble en effet que « tout laxisme compromettrait la formation morale, donc humaine et chrétienne, de leurs enfants et serait une faiblesse coupable, préparant un triste avenir à leur descendance. [...] La sévérité, quand elle ne s'exerce pas injustement, passe pour l'expression normale d'un amour authentique »711. Afin de se faire obéir, les petits serments non tenus sont autorisés. Ainsi, les « meres & nourrices, qui iurent de bailler des verges à leurs enfans, ou de leur donner vne pomme s'ils ne crient point, ne sont pas coulpables de peché mortel, si elles ne tiennent leur serment, car la chose est de petite consequence »712.

La Vierge, « mere de Dieu »713, est louée pour son dévouement envers son fils, Jésus. Benedicti s'adresse à elle en ces termes : « vous retournastes en vostre ville de Nazareth, là où vous traitastes cherement vostre petit nourrisson, iusques à l'aage de douze ans, lors que l'aya[n]t perdu, vous le cherchastes auec sainct Ioseph trois iours & trois nuicts auec pleurs, regrets & douleurs inenarrables. Ce fut bien alors que vous

705KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine, L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576], p.106-107.

706 Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170],p.49.

707Ibid., p.28.

708Ibid., p.27.

709Est « pitoyable » la personne portée à la pitié.

710Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97.

711Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.159.

712Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.56.

713Ibid., p.38.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

experimentastes vn des glaiues de douleur que vous auoit predit S. Simeon. L'ayant retrouué vous le gardastes bien chereme[n]t (comme le vray holocauste du monde) iusques à ce que vous l'accompagnastes au mont de Caluaire, là où il fut mis en croix pour nous, lors qu'en mourant il vous recommanda à S. Iean qui vous prist pour sa mere »714. Marie est donc une bonne mère qui prend soin de son bébé puis de son jeune garçon. Elle est inquiète de le savoir absent et le réprimande quand elle le retrouve au milieu des docteurs du Temple de Jérusalem715. Elle l'accompagne ensuite patiemment dans tous ses déplacements et reste auprès de lui alors qu'il est mis en croix.

Benedicti encourage l'enfant à rendre à sa mère ce qu'elle lui a apporté. Il cite à ce propos saint Ambroise : « Regarde, dit il, mon enfant que si tu suruiens à ta mere, tu ne luy a pas rendu les douleurs qu'elle a enduré pour toy, le laict qu'elle t'a donné, non la faim qu'elle a pour toy enduré. Elle a ieusné pour toy, elle a veillé pour toy, elle a pleuré pour toy, elle a beaucoup enduré pour toy. Tu lui dois tout ce que tu as, & tu te dois toy-mesme à elle. Et tu lairras endurer & auoir disette ? »716. Les enfants sont poussés à aider leur mère quand elle est dans le besoin. Benedicti rapporte l'histoire racontée par Pline l'Ancien selon laquelle une « ieune fille [...] n'ayant aucun moyen de porter à manger à sa mere, condamnee de mourir de faim en prison, sous couleur de la visiter, luy bailloit la mammelle, la nourrissant de son propre laict »717. Benedicti peut ici à la fois s'adresser aux enfants, en les encourageant à rendre à leurs parents, dans les limites du possible, ce qu'ils leur ont donnés, mais aussi aux bonnes mères, qui peuvent attendre du secours des enfants qu'elles ont élevés correctement. Benedicti pense que « les peres & meres sont dieux visibles, lesquels nous voyons deuant nos yeux, ausquels nous sommes grandement obligez, comme tenans d'eux trois choses apres Dieu, c'est à dire, l'estre, la nourriture & l'instruction »718. Les enfants qui ne respecteraient pas leur mère sont appelés à se remémorer les histoires d'Oreste et de Néron719. Oreste est assez jeune lorsque son père est assassiné par l'amant de sa mère. Il est alors éloigné d'elle pendant de longues années mais il revient afin de venger son père en tuant sa mère Clytemnestre et son amant Egisthe. Malgré l'aspect de juste vengeance que revêt ce crime, Oreste, devenu matricide, est assailli par les Érinyes, divinités grecques de la vengeance qui poursuivent les grands criminels et notamment les enfants ingrats.

714Ibid., « Epistre dedicatoire ».

715Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Luc, 2, 48.

716Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.95.

717Ibid., p.95.

718Ibid., p.94.

719Ibid., p.92.

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L'empereur Néron aurait quant à lui fait assassiner sa mère, Agrippine, qui cherchait à renverser son fils pour garder une influence prépondérante dans les affaires de la cité. Il aurait envoyé des centurions de sa garde la passer au fil de l'épée. Malgré la personnalité contestée d'Agrippine, avoir commandé son meurtre entache irrémédiablement la réputation de l'empereur. Benedicti attribue le suicide de Néron au poids du matricide exécuté sous ses ordres. En effet, il aurait été poussé à cet acte par la menace de subir le supplice destiné aux parricides : être jeté dans le Tibre cagoulé après qu'un animal vivant ait été introduit dans la cagoule. Les mères semblent donc pouvoir espérer vengeance des entreprises que leurs enfants pourraient entreprendre contre elles.

En conclusion, les mères ont un grand rôle à jouer dans le devenir de leurs enfants. C'est pourquoi Benedicti s'attache à leur montrer la voie qui lui semble être la bonne tant dans le domaine de l'allaitement que dans celui de l'éducation. Par les multiples exemples qu'il prend, il tente d'encourager les mères à élever leur progéniture dans une optique chrétienne. Loin de ces préoccupations et du modèle de la bonne mère, nous allons voir à présent comment Benedicti pense la place de la femme en société.

LA FEMME EN SOCIÉTÉ.

Le franciscain fait de nombreux commentaires sur la place que devraient tenir les femmes en société. Il démontre par là même quelles attitudes étaient attendues d'elles mais aussi quels préjugés étaient en cours au XVIe siècle. En effet, les comportements reprochés à la femme sont très stéréotypés : elle serait coquette, vecteur de tentation notamment par le biais de la danse mais aussi menteuse et bavarde. Ces traits de caractère sont attribués à toutes les femmes indifféremment. De plus deux catégories de femmes sont plus spécifiquement identifiées comme étant dangereuses : les prostituées et les sorcières, parmi lesquelles sont présentes quelques huguenotes. Nous allons étudier tour à tour ces divers péchés dont se rendent coupables les femmes.

La coquette.

Le Sieur de la Serre, écrivain français, dénonce ainsi la coquetterie des femmes : « Dites moy donc un peu à quoy servent ces pots à pommade, ces boites à poudre, ces fiolles à eau distillée et ces papiers à vermillon que je voy sur vos toilettes ? Est-ce une partie des artifices que vous mettez en oeuvre pour vous faire plus belle que vous n'êtes ?

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O que ces affettes [choses superflues] vous coûteront des larmes si vous avez le loisir de vous en repentir !

Il est vray que vos corps demandent tous les jours la charité d'une pommade de senteur pour corriger les défauts de leur infection ; que vos cheveux ne peuvent cacher leur graisse qu'avec la poudre ; que vos visages basanez, après s'estre savonnez à la fontaine de l'alambic [cosmétique] cherchent du vermillon afin que leur couleur mourante ne paroisse. Mais vous ne considérez pas qu'en ces occupations vous remplissez des cruches percées comme les Danaïdes. Où trouvera-t-on de la pommade à l'épreuve de votre puanteur ? Quelle poudre desséchera la graisse gluante de vos testes ? Et quel vermillon peut faire paroistre sur vos joues les roses que la nature n'y a point plantées »720.

Benedicti paraît bien modéré par rapport à son contemporain quand il aborde le péché de coquetterie. Néanmoins, c'est contre ce dernier qu'il s'insurge le plus auprès des dames. La femme serait futile, frivole et vaine. Elle chercherait par divers artifices à se rendre plus belle qu'elle n'est. Nous verrons tout d'abord quels types de comportements sont considérés comme de la coquetterie par Benedicti avant de montrer quelles en sont les conséquences selon lui.

Le confesseur voit trois domaines dans lesquels la femme pèche par coquetterie : l'habillement, le maquillage et la coiffure. Dans son discours, Benedicti associe fréquemment coquetterie et vanité. En effet, le souci de plaire et l'envie de se montrer complaisamment vont ensemble. Ainsi, la « femme qui se met à la fenestre, pour estre regardee, ou va à l'Eglise, pour veoir & estre veuë, ou qui s'habille pompeusement721 pour estre desiree & aymee charnellement n'vn [sic] autre, peche mortellement, noobstant [sic] que son intention ne fust effectuee »722. Tout habillement superflu est susceptible de faire pécher son possesseur selon Benedicti. Il s'avoue plus clément que certains de ses contemporains en faisant une distinction entre les femmes qui savent qu'elles sont en tort lorsqu'elles portent ces vêtements, et les femmes qui n'en auraient pas conscience. Il affirme en effet : « car si elles croyent que cela soit peché mortel, & nonobta[n]t en portent, elles offensent mortelleme[n]t : la raison c'est que, celuy qui fait vn peché veniel, croyant qu'il est mortel, offense autant comme s'il commettoit vn peché mortel »723. Benedicti dénonce l'extravagance de certains habits. Il déclare : « C'est

720Sieur de LA SERRE, Le Réveil-matin des dames, 1588 cité dans Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452],

Pierre DARMON, p. 262.

721« Pompeusement » signifie ici d'une manière fastueuse, avec ostentation.

722Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.156-157.

723Ibid., p.250.

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grand cas dit Tertullian de la vanité des femmes du iourd'huy, lesquelles sont si ornees & atteintees, que vous diriez prompreme[n]t724 [sic] qu'elles porte[n]t de grandes forests sur vn petit col. Ie croy qu'il vouloit parler de ces godero[n]s (si dés ce temps-là ils estoient en vsage) & fraises à la confusion »725. Les « godrons » ou « goderons » sont les plis ronds qui donnaient leur forme aux fraises. La fraise, attribut vestimentaire caractéristique du XVIe siècle en France, tant féminin que masculin, prend des largeurs démesurées dans les années suivant son apparition (1550-1560). Sa taille maximale aurait été atteinte peu avant 1580 ce qui explique pourquoi Benedicti en parle dans son ouvrage. La « fraise à confusion » n'est pas empesée et se rabat donc en partie sur le vêtement de celui qui la porte. Elle remplace peu à peu la fraise à godrons en France, qui s'attirait de nombreuses moqueries et marques de désapprobation. Ce n'est sûrement pas de ces habits dont parlait Tertullien, né vers 150 ou 160 et mort en 220 mais le citer permet à Benedicti d'ancrer son propos dans une plus longue durée et de s'appuyer sur des figures d'autorité. Le franciscain se penche aussi sur le port d'une « robe dissoluë »726 ou d'« habits dissoluts »727. Il explique longuement ce qu'il entend par là dans un paragraphe détaillé qui précise ce qui suit : « La fille ou femme qui descouure sa poitrine, ses mammelles & tetins sans volonté de mal faire, mais seulement pour estre veuë plus belle, & pour co[m]plaire à son mary, ou pour en chercher vn, peche venieleme[n]t. De faire paroistre les autres parties vergogneuses, comme en portant des vestemens minses & subtils à ceste fin ce seroit peché mortel »728. Jean-Claude Bologne analyse l'apparition d'une véritable différenciation sexuelle dans les costumes au XVIe siècle. Il affirme qu'en effet à cette période, la femme « dissimule de plus en plus le bas du corps pour exalter les parties supérieures »729. Il explique que malgré les dénonciations virulentes des moralisateurs et des prédicateurs, « la focalisation du désir sur le haut du corps va imposer durablement le décolleté dans le costume féminin occidental »730. Enfin, il souligne qu'il s'agit bien là « d'une coquetterie publique, puisqu'en privé elles recouvrent leur sein d'un linge ou d'un mouchoir »731. Ces vêtements qui découvrent la poitrine des femmes sont attaqués avec force car ils serviraient « à capturer le corps et l'âme des hommes »732 selon l'expression de Scarlett Beauvalet-Boutouyrie. Cette manière de s'habiller est réprouvée car elle est vue comme

724Proprement signifie véritablement, vraiment, réellement.

725Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.250.

726Ibid., p.250.

727Ibid., p.251.

728Ibid., p.252.

729Jean-Claude BOLOGNE, Pudeurs féminines..., op. cit. [note n°526], p.152.

730Ibid., p.152.

731Ibid., p.152.

732Scarlett BEAUVALET, Histoire de la sexualité..., op. cit. [note n°347], p.24.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

une arme de séduction. La femme est soupçonnée « de vouloir attirer les regards masculins, d'éveiller leur concupiscence et de les attirer dans l'abîme de la luxure »733. Benedicti fait à nouveau une distinction entre les divers objectifs qui poussent la femme à s'habiller ainsi. Il accepte en effet que les femmes usent de ce moyen afin de plaire à leur mari ou pour en trouver un. Mais il semble aussi accepter une sorte de coquetterie « naturelle » aux femmes puisque celles voulant être vues plus belles qu'elles ne sont, ne sont pas réellement blâmées. Cela rend un moment ambiguë la position de Benedicti à ce propos. Néanmoins, le fait que ce comportement soit considéré comme un péché véniel montre qu'il ne le cautionne pas tout à fait.

Dans la suite de son discours, il défend en quelque sorte le droit de la femme de s'habiller comme elle le souhaite. Il donne en effet ces arguments : « Voire mais, me direz-vous, cela est cause d'attirer les hommes à concupiscence. Ie respons que le peché ne vient pas de la femme, qui fait cela sans mauuaive intentio[n], ains il procede de celuy, qui prend l'occasio[n] de luy-mesme »734. Il estime cependant que la femme ne doit pas provoquer un « scandale »735 par la manière dont elle s'habille. Elle doit donc porter des vêtements qui suivent la mode de son pays et s'adapter aux modes vestimentaires des endroits où elle se rend. Benedicti pense néanmoins qu'il vaudrait mieux « que ceste coustume d'aller ainsi les tetins descouuerts seroit du tout abolie, pour les maux qui en peuuent arriuer : car le diable est caut736 & subtil »737. Le franciscain en appelle-t-il à une sorte de bon sens des femmes ou à leur pudeur supposée naturelle ? Il leur propose ici de s'abstenir de porter des vêtements pouvant pousser les hommes à commettre un péché. Ailleurs dans l'ouvrage, Benedicti se montre plus persuasif en menaçant « ces femmes dissoluement habillees, lesquelles corrompent le monde auec leurs vanitez »738, d'aller en Enfer pour cause d'homicide spirituel sur la personne atteinte par leurs traits.

Lorsque Benedicti décrie l'utilisation de trop de maquillage par les femmes de son époque, il emploie le mot « fard ». Il est intéressant de remarquer avec Catherine Lanoë que ce mot est très peu employé tant dans les livres de recettes de cosmétiques que par les contemporains de Benedicti. Il semble que cela soit dû au fait que, « [d]ès son apparition en français en 1190, le vocable fard est employé au figuré avec une forte connotation péjorative, destiné à désigner tout "ce qui constitue une apparence

733Ibid., p.24.

734Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.252. 735Ibid., p.252.

736« Caut » signifie « rusé ».

737Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.252. 738Ibid., p.698.

trompeuse", une feinte ou une dissimulation "dans les paroles et l'attitude". Au fard est attachée l'idée du masque, de l'artifice, de la pratique nocturne et dérobée... »739. Lorsque Benedicti emploie ce mot, il est dès lors immédiatement dans la condamnation de son utilisation. Cette condamnation est forgée à partir des textes bibliques, que rappelle le franciscain. Il cite en effet « vne constitution des Apostres qui dit [...] ne te farde point le visage ô femme, c'est celuy que Dieu a fait. Et s'il n'y a rien en toy qui doiue estre fardé : car tout ce qu'a fait Dieu, il est bien fait »740. Puis, Benedicti s'appuie sur saint Ambroise, qui aurait tenu ce discours : « O pauure fe[m]me dit-il, tu effaces la peinture de Dieu, si tu te fardes. Di-moy [sic] si tu fais venir quelqu'vn pour repaindre & recolorer l'image & le pourtrait que tu as, le peintre excellent & bien expert qui l'a faite, ne sera-il pas courroucé contre toy, voyant son image adulteree & changee ? Donne toy donc garde, toy qui es fait à l'image du Createur, d'effacer la peinture de Dieu, pour prendre celle d'vne putain. Tu commets vn grand crime, si tu penses de te mieux peindre que Dieu »741. Le port de fards serait contraire aux désirs de Dieu pour ses créatures. Pèche donc véniellement toute « femme ou fille, qui se farde auec blanc d'Espagne ou autres couleurs, seulement pour paroistre plus belle »742. Catherine Lanoë explique que « dès le XVIe et jusqu'à la fin du XVIIIe, la quête de la blancheur s'impose en France à la manière d'une véritable tyrannie, car l'albâtre de la peau constitue le fondement même de la beauté, son origine et son principe »743. Le blanc, symbole de pureté dans le catholicisme même, est très recherché dans les hautes strates de la société. Deux types de produits sont utilisés à cette fin : les fards qui assurent un blanchiment passif et des remèdes censés « agir directement sur l'épiderme, dans le cadre d'un blanchiment actif »744. Benedicti ne mentionne que le « blanc d'Espagne » qui, appelé aussi blanc « de Meudon, ou encore blanc de Troyes, était un carbonate de calcium naturel, de la craie broyée tout simplement »745. Quand Benedicti dénonce le fait pour une mère d'apprendre à sa fille à « farder, peindre, plastrer leur visage »746, il nous montre dans le même temps quels pouvaient être les gestes d'une femme à sa toilette. Le terme « plastrer » peut sembler péjoratif mais il renvoie aussi à la consistance même du fard, décrit comme « un enduit plus ou moins épais, sec et couvrant »747 par Catherine

739Catherine LANOE, La poudre et le fard : une histoire des cosmétiques de la Renaissance aux Lumières, Seyssel, Champ

Vallon, 2008 (coll. Époques), p.33-34.

740Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.250.

741Ibid., p.252.

742Ibid., p.251.

743Catherine LANOE, op. cit. [note n°739], p.28.

744Ibid., p.29.

745Anne-Marie MOMMESSIN, Femme à sa toilette : beauté et soins du corps à travers les âges, Levallois-Perret, Éditions

Altipresse, 2007, p.97.

746Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97.

747Catherine LANOE, op. cit. [note n°739], p.30.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Lanoë. Les femmes du XVIe siècle usent aussi de fards rouges, afin de souligner la blancheur de leur teint. « S'il s'agit d'un rouge végétal, la poudre peut être étendue sur le visage au doigt ou au pinceau, telle quelle ou bien diluée dans une eau parfumée et gommée. S'il s'agit d'un rouge minéral en revanche, sa faible solubilité dans l'eau oblige le consommateur à le mélanger à une huile ou à de la gomme arabique748, comme le font les peintres »749. Ainsi, le verbe « peindre », employé par Benedicti peut renvoyer à la fois au pinceau utilisé par les femmes pour se maquiller ou à la ressemblance existant entre les gestes de la femme qui se maquille et les gestes du peintre. Il faut enfin souligner que si le fard peut être dérobé « à vne femme qui s'en farde pour en abuser »750, la pratique est cependant acceptée « pour couurir quelque deformitié & laydeur, qu'elle pourroit auoir contracté de quelque maladie, ou autre inconuenient »751.

Enfin, Benedicti aborde la question des « femmes qui portent les cheuelures de quelques trespassees pour estre plus belles & non pour autre fin »752 et de celles qui « dore[n]t leur tresse & entortille[n]t leurs cheveux pour attraper les hommes, comme l'araignee les mousches à sa toyle »753. De nouveaux canons définissent les soins à apporter aux cheveux au XVIe siècle. Dans la haute société, les femmes sont très influencées par les modes étrangères qui introduisent des coiffures travaillées, « nattées à la Toscane ou à l'Italienne, quand ce n'est pas à l'Espagnole »754. La comparaison des femmes à des araignées attirant leur proie montre qu'une fois encore, la peur du franciscain est qu'elles incitent les hommes à pécher. Depuis les origines du christianisme, les femmes « se paraient de faux cheveux confectionnés à partir de chevelures humaines ou de poils animaux »755. Au XVIe siècle, ces pièces de faux cheveux sont appelées des « coins ». Ils permettent aux femmes de multiplier les possibilités de coiffure. Les perruques et postiches sont aussi utilisés bien que l'Église ait condamné leur usage dès le Haut Moyen Âge756. Les perruques servaient essentiellement à « recouvrir de trop brunes crinières »757. En effet, la mode est au « blond vénitien », ce que rapporte Benedicti quand il dit : « celle, laquelle par artifice fait deuenir ses cheueux qu'elle a naturelleme[n]t noirs, iaulnes, blonds, ou d'autre

748La gomme arabique est obtenue à partir de la sève de l'acacia. Glucide naturel, elle est utilisée pour solidifier, coller et donner

du brillant.

749Catherine LANOE, op. cit. [note n°739], p.58.

750Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.172.

751Ibid., p.251.

752Ibid., p.252.

753Ibid., p.250.

754Paul GERBOD, Histoire de la coiffure et des coiffeurs, Paris, Larousse, 1995, p.67.

755Anne-Marie MOMMESSIN, op. cit. [note n°745], p.118.

756Ibid., p.130.

757Ibid., p.130.

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couleur, elle offense venielement »758. Anne-Marie Mommessin explique que, « [p]lus rare que la teinte brune, le blond a dû symboliser très tôt les forces bénéfiques ; la couronne solaire, le blé mûr, la croûte dorée du pain, tandis que le brun renvoyait à la terre, à la glèbe, à l'automne, à la tristesse si bien que chez les Romains comme pour l'Église catholique, le brun était symbole d'humilité, de pauvreté, couleur déterminante de la rude bure des moines »759. Les Vénitiennes réussissent au XVIe siècle « grâce à des préparations complexes et subtiles (teintures et séchage au soleil), [à] obtenir une nuance très appréciée »760. De multiples recettes sont données dans des recueils ou des traités à destination d'un public féminin. Ces préparations demandent de nombreux ingrédients tels de la cendre de vigne, du bois de réglisse, du citron ou encore des lupins. Benedicti dénonce un péché véniel ici encore alors qu'il affirme « qu'aucuns voudroyent dire que ce seroit mortel[...] »761.

Quelles peuvent être les conséquences directes de ce péché de coquetterie chez les femmes ? Il faut rappeler tout d'abord un passage de la Bible explicitant nettement à quoi les coquettes s'exposent. Dans le livre d'Isaïe, une prophétie concerne particulièrement les femmes qui apportent trop de soins à leur toilette : « Yahvé a dit : À cause de l'orgueil des filles de Sion, parce qu'elles vont la tête haute et les yeux provocants, parce qu'elles vont à pas menus, faisant sonner les anneaux de leurs pieds, le Seigneur rendra galeux le crâne des filles de Sion et découvrira leur nudité. Ce jour-là, le Seigneur enlèvera parure de chevilles, croissants, pendentifs, bracelets, voiles, bandeaux, coiffures, chaînettes de pieds, ceintures, boîtes à parfums et amulettes, bagues, anneaux de nez, vêtements précieux, manteaux, capes, aumônières, miroirs, linges fins, turbans et mantilles. En fait de parfum, la pourriture ; en fait de ceinture, la corde ; en fait de coiffure, tête rase, et comme robe splendide, un sac ; au lieu de beauté, une marque au fer rouge »762. Si Benedicti ne les menace pas de telles choses, la toxicité de certains produits de beauté devait se charger d'offrir un spectacle similaire à certaines femmes. Évelyne Berriot-Salvadore décrit le châtiment qui « vient justement frapper celles qui s'y adonnent : rides, puanteur d'haleine, noirceur et chute des dents, rougeur des yeux, perte de la vue, surdité sont les marques infamantes d'un mauvais usage du

758Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.251. 759Anne-Marie MOMMESSIN, op. cit. [note n°745], p.128.

760Paul GERBOD, op. cit. [note n°754], p.67.

761Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.252. 762Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Isaïe, 3, 16-24.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

sublimé763, de la céruse et autres produits "aussi dangereux que peste" »764. En effet, de nombreux fards sont composés de céruse, ingrédient utilisé en peinture également et dont les effets néfastes ne sont réellement dénoncés qu'au XVIIIe siècle. Ce pigment blanc est fabriqué à base de plomb, ce qui lui donne un caractère extrêmement toxique. Les femmes du XVIe siècle s'exposent donc à des maladies ophtalmiques, salivation, sécheresse excessive de la bouche ou inflammation des gencives. Deux siècles plus tard, les médecins lui attribuent « l'occurrence de maladies de poitrine, d'affection des poumons [...], l'apparition de taches, la sécheresse de la peau, voire des "douleurs aiguës et des convulsions effroyables" ou la mort par affection pulmonaire »765. Les symptômes aujourd'hui connus du saturnisme, maladie provoquée par l'intoxication au plomb, se retrouvent dans ces commentaires médicaux. Les femmes ont donc parfois payé chèrement leur désir de se conformer à la mode du temps. Selon Benedicti, la faute la plus grave que commettent les coquettes est qu'elles en oublient d'aller à la messe. Il dénonce en effet les « femmes qui sont si rauies à se vestir, orner, parer qu'elles en perdent la Messe aux festes & Dimanches »766. De même la « femme qui s'applique si long temps à s'accoustrer, diaper767, attinter768 & orner, & par ce moyen perd la Messe aux festes & Dimanches, peche mortelleme[n]t »769. Aucune différence n'est faite ici sur les motifs qui la poussent à prendre soin de sa toilette. Benedicti stigmatise aussi « celle qui est cause que son mary faict ba[n]queroute par la superfluité des atours & habits dissoluts, ou empesche par ce moyen, que les dettes soie[n]t acquittees »770. En effet, certaines recettes demandent l'achat de « coûteuses substances d'épicerie ou de fruiterie » et Catherine Lanoë souligne que « c'est bien désormais d'une boutique entière que devrait disposer une femme pour se farder, y puisant céruse et sublimé, rouge d'Espagne et alun zaccharin, mie de pain et vinaigre distillé, fèves et amandes, eaux de fleur et fientes de boeuf...répartis en mille boîtes différentes »771. Ces coûts, selon Benedicti, peuvent être la cause d'un grave déséquilibre dans le budget du ménage, voire d'une « ba[n]queroute ». De plus, la femme est accusée de prendre de son propre chef « à son mary quelque chose notable pour entretenir ses jeux, atours, fards, & autres

763Le sublimé est un remède fait à base de mercure, élément chimique hautement toxique.

764Évelyne BERRIOT-SALVADORE, « De l'ornement et du gouvernement des dames : esthétique et hygiène dans les traités

médicaux des XVIe et XVIIe siècles », p.37-58, dans Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN (dir.), op.cit. [note n°568],

p.49.

765Anne-Marie MOMMESSIN, op. cit. [note n°745], p.94.

766Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.251.

767« Diaper » viendrait du nom commun « diaspre » désignant un drap de soie à fleurs, à ramages ou arabesques.

768« Atinter » signifie « se préparer ».

769Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.196.

770Ibid., p.251.

771Catherine LANOE, op. cit. [note n°739], p.139.

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superfluitez »772, ce qui est contraire à l'idée selon laquelle c'est l'homme qui gère l'économie familiale.

Benedicti ne semble pas dénoncer la coquetterie seulement pour elle-même mais surtout parce qu'elle entraîne potentiellement une suite d'autres péchés plus importants. Ainsi la femme qui se maquille est souvent qualifiée de « piaffeuse »773 c'est-à-dire d'orgueilleuse, qui souhaite se montrer à tout prix. Or, l'orgueil fait partie des sept péchés capitaux. L'envie, autre péché capital, est elle aussi soeur de la coquetterie dans le discours de Benedicti. Il semble régler une querelle entre femmes, un chagrin de coquette, lorsqu'il dit : « [l]a femme qui porte enuie à sa voisine, dequoy elle est plus belle qu'elle, elle a grand tort, car la beauté de sa voisine n'empesche par la sienne. Qu'il soit ainsi, si sa voisine n'eust esté iamais nee, elle ne seroit pas plus belle qu'elle est, & n'auroit pas d'auantage qu'elle a »774. La coquetterie serait aussi une dangereuse incitation à la luxure. Ainsi, la « fille ou femme laquelle s'habille pompeusement, soit en allant à l'Eglise, aux compagnies ou ailleurs, pour complaire charnelleme[n]t à d'autres qu'à son mary, nonobstant que l'effect ne s'ensuyue, peche mortellement pour ce que son intention est sinistre & peruerse »775. De même, « la fille ou femme, qui de guet à pend se met aux fenestres, & se presente en la compagnie des hommes pour estre veüe & souhaitee d'eux charnellement, peche »776. Plus loin, le confesseur dénonce « les femmes mondaines & piaffeuses, lesquelles par leurs habillemens excessifs, par leurs gestes lascifs, bal & risee prouoquent les autres à mal »777. Il s'appuie aussi à ce sujet sur saint Jean Chrysostome qui aurait dit que la femme « qui s'orne pompeuseme[n]t, pour estre desiree de quelqu'vn, peche mortelleme[n]t, scandaliza[n]t son prochain, & luy offrant le venin pour boire »778. La femme venimeuse incite par sa coquetterie à des comportements transgressifs. Le blâme est étendu à ceux qui fabriquent « des fards pour les femmes mondaines »779 et aux « marchands qui veulent trancher des gentils-hommes, & les habillemens, colliers, carquans780, ioyaux, bombans, pompes & autres vanitez de leurs femmes »781. Benedicti propose certains remèdes à cela.

Au chapitre portant sur la restitution, le franciscain exprime l'opinion qu'« [o]n n'est pas tenu de rendre [...] le fard à la femme piaffeuse »782. Benedicti souhaite aussi

772Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.164.

773Ibid., p.169, p.254, p.720, p.735.

774Ibid., p.355.

775Ibid., p.190.

776Ibid., p.190.

777Ibid., p.720.

778Ibid., p.17.

779Ibid., p.719.

780Collier de pierreries.

781Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.169.

782Ibid., p.735.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

responsabiliser la mère qui enseignerait ces gestes en lui faisant prendre conscience que, donnant à sa fille un « mauuais exemple, elle est homicide de l'ame de son fruit »783. Le franciscain rappelle aussi que l'excommunication punissait les femmes grecques de tels comportements784. Il tente de montrer que les hommes sont parfois plus responsables que la femme coquette qui n'a pas de mauvaise intention785 mais il sait la faiblesse des religieux même et il conseille au « pere confesseur [... de recevoir] le pecheur doucement & benignement, sans toutesfois le regarder en face lors qu'il se confesse, ne permettre aussi d'estre regardé de luy principalement si c'est vne femme »786. Ainsi, pour éviter toute tentation, il est recommandé d'éviter tout regard qui pourrait la faire naître.

Il semble donc que la coquetterie soit mal vue par le confesseur Benedicti. Ce dernier la condamne modestement pour elle-même mais il souligne qu'elle incite à de nombreux péchés mortels. Cet art de l'illusion, utilisé pour séduire et conquérir, n'est qu'une des facettes des moyens dont les femmes usent pour tenter les hommes. Nous allons voir à présent quelles autres figures se présentent à l'esprit de Benedicti quand il pense au pouvoir de séduction des femmes.

Danse et tentation : la femme vecteur du péché.

Dans certaines expressions de Benedicti, la peur de la femme tentatrice transparaît. Au-delà de sa beauté, dont nous venons de voir qu'elle est mise en valeur, c'est par diverses attitudes corporelles que la femme semble menaçante. Menaçante et dangereuse tant pour elle-même, qui pèche dans ces attitudes, que pour ceux qu'elle entraîne à sa suite dans la chute. Nous allons voir ci-après que Benedicti se méfie du contact avec la femme mais aussi simplement des regards échangés avec elle par les hommes. Il semble que la danse soit particulièrement condamnable du fait même de l'alliance de ces diverses tentations.

Au chapitre intitulé « De l'attouchement », Benedicti aborde la question du danger que représente pour l'homme tout contact physique avec une femme. Les « baisers & attouchemens impudiques, ils sont illicites & dangereux & principalement

783Ibid., p.97. 784Ibid., p.250. 785Ibid., p.252. 786Ibid., p.627.

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ceux qui se font en la personne d'vne femme »787. Jean-Claude Bologne souligne que « [l]'étreinte et le baiser deviennent plus fréquents, et plus explicites »788 au XVIe siècle. Néanmoins, ces contacts sont dangereux car « qui taschera de retenir [la femme], fait co[m]me celuy qui apprehe[n]de789 le scorpion, ou le serpent ». La femme apparaît donc comme un animal dangereux susceptible de piquer et d'insuffler son venin dans les veines de l'homme. La femme est vénéneuse aux yeux de Benedicti et les hommes doivent s'en protéger. Le franciscain donne l'exemple notamment d'un « Ermite estant vne fois co[n]traint de porter sa mere pour la passer le fleuue, couurit ses mains de mitaines de peur de toucher sa chair lequel estant d'elle interrogé, pourquoy il auoit fait cela, il respondit que la chair de la femme est vn feu, & les mains de l'homme l'estoupe790, pour autant dit il à sa mere, ie craignoye en vous touchant qu'il ne me suruint quelque mauuaise pensee des autres femmes »791. Il s'appuie ensuite sur l'exemple de saint Léon Pape qui se serait coupé une main après qu'une « femme lui déposa un baiser sur la main, ce qui fit naître en lui une véhémente tentation charnelle »792. Sa main lui est ensuite heureusement « restituee par le moye[n] de la vierge Marie »793. Cette histoire semble proposer aux hommes de se mutiler plutôt que de céder au péché, tout en ayant l'espoir de retrouver leur intégrité physique par la suite. Le récit du martyre d'un homme introduit un nouveau degré de violence fait à son corps. En effet, « ce triomphant martyr, lequel estant attaché par le commandement du tyran sur vn beau lict orné & tapissé, & se voyant impudiquement touché & manié par vne femme qui esmouuoit sa chair à luxure, ayma mieux (autrement il ne se pouuoit defendre) se trancher à belles dents la langue, & la ietter contre la face de la putain, que de se laisser emflamber par attouchemens impudiques »794. La gradation introduite par Benedicti cherche à montrer que plus le contact est en quelque sorte impur, plus l'auto-pénitence que s'infligent ces hommes est grande car, hommes de Dieu, ils connaissent la véritable nature de la femme et du péché. En effet, l'ermite a choisi de s'isoler dans un monde plus spiritualisé, l'évêque est un ministre du culte tandis que le martyr est prêt à mourir pour défendre sa foi. L'histoire de l'ermite Martinien de Césarée est aussi

787Ibid., p.526.

788Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête amoureuse de l'Antiquité à nos jours, Paris, Seuil, 2007 (coll. L'univers

historique), p.128.

789Appréhender a le sens de « se saisir de ».

790L'étoupe est de la filasse de chanvre ou de lin.

791Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.526.

792Jacques de VORAGINE, op. cit. [note n°295], p.310.

793Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.527.

794Ibid., p.527. Benedicti attribue ce martyre à Nicétas de Goth (p.105) mais nous n'avons pas trouvé de récit confirmant cette

association. L'histoire est néanmoins racontée dans La Légende dorée. Le martyre de ce chrétien aurait incité saint Paul, connu

comme étant le tout premier ermite, à se retirer du monde, afin de ne pas subir les mêmes tourments. (Jacques de VORAGINE,

op. cit. [note n°295], p.83).

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

racontée afin de montrer le pouvoir de séduction de la femme et le danger qu'il y a à se laisser toucher par elle. Ce dernier, « voyant qu'vne femme estoit venuë en son ermitage pour le desbaucher, se ietta dedans le feu ardant, mieux aimant estre bruslé de feu materiel qui prend fin, que d'estre tourme[n]té au feu infernal, qui est inextinguible »795. Cette femme s'était introduite dans l'ermitage de Martinien sous prétexte de s'être perdue. Elle était en réalité envoyée par le diable et Martinien, se recommandant à Dieu avant de pécher avec elle, reçoit du secours de sa part. Les hommes peuvent donc recourir à Dieu lorsqu'une femme les tente dans le but de les faire déchoir.

Ici, le contact était en quelque sorte provoqué par la femme. Néanmoins, afin de se prémunir de toute mauvaise pensée et de toute tentation, l'homme doit soigneusement éviter les occasions de toucher le corps de la femme. Benedicti accepte « qu'on peut bien licitement se resiouyr en la veue d'vne belle femme, sans toutesfois la desirer : mais non pas en l'attouchement d'icelle, lequel est bien plus perilleux que la veue »796. Le franciscain explique donc au prêtre qui « a de coustume de fouëtter les espaules toutes nües du penitent pe[n]dant qu'on dit le Pseaume, les oraisons & qu'il donne l'absolution » que « [c]ela n'est pas toutesfois tant necessaire, qu'on ne le puisse bien obmettre, principalement si c'est vne femme qu'on absout »797. Se voient ici une sorte de charité de la part du confesseur, qui réprouve peut-être les pratiques trop violentes de pénitence, mais aussi la peur que le prêtre voit les épaules nues de la pénitente et qu'il en ressente une tentation propre à le faire pécher. Contact indirect par le biais du fouet et interaction du regard rendent cette pratique dangereuse. De même, l'absolution du fidèle, lorsqu'il est pardonné de ses fautes, suppose d'« imposer la main ou bie[n] les deux, comme font aucuns, sur la teste du penitent ». Benedicti précise : « Il est bien vray que telle imposition de mains n'est pas necessaire : signamment quand c'est vne femme ieune, belle, delicate & bien ornee [...] »798. Le contact direct avec la pénitente est ici aussi réprouvé afin de prévenir toute tentative de séduction de la part de la femme mais aussi toute tentation du prêtre.

Si le contact tendait plus à la faute selon une citation précédente de Benedicti, de nombreuses mentions montrent que le regard est bien défini comme un vecteur de tentation et donc de péché. L'avis du franciscain est que « la plus dangereuse [occasion de luxure], c'est la trop grande familiarité & conuersation auec les femmes : ce qui a esté la ruyne de plusieurs : car comme dit l'autre Poëte, La femme brusle en regardant : ce

795Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.142. 796Ibid., p.527. 797Ibid., p.670. 798Ibid., p.671.

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qui s'entend actiueme[n]t & passiuement, c'est à dire, elle se brusle, & brusle les autres, elle en regardant, & l'ho[m]me en la voyant ». Ainsi, parler avec une femme, c'est s'exposer à son pouvoir de séduction. La femme semble introduire le feu du péché en l'homme par le biais de son regard. C'est pourquoi pèche « l'homme qui regarde attentiuement la femme pour la conuoiter, & la femme l'homme, il laisse entrer la mort en son ame par la fenestre de ses yeux »799. Ève elle-même avait péché par le regard « qui voya[n]t le fruict deffendu en eut enuie »800. Plusieurs exemples d'hommes ayant péché en regardant une femme sont pris par le confesseur. Ainsi, « Dauid, qui ayant ietté ses yeux sur Bethsabee l'a voulu auoir, en [sic] deux vieillards qui par leurs yeux desirerent la belle Susanne »801 mais aussi « Ruben le premier enfant de Jacob [qui] offensa grandement par la veue, lors qu'il apperceut Bala concubine de son Pere, qui toute nue se lauoit en vn bain, dequoy estant par apres griefuement tenté, il chercha tous les moyens d'auoir afaire auec elle : ce qu'il accomplit vn iour qu'il la trouua prise de vin. Ainsi il souilla la couche de son Pere, duquel il receut malediction, à cause dequoy il perdit le droit de primogeniture qui fut baillé aux enfans de Joseph son frere »802. Toutes ces histoires sont issues du texte biblique et rappellent aux lecteurs comment furent punis les protagonistes. David qui envoie le mari de Bethsabée à la mort paie son péché par la perte de leur premier enfant. Les deux accusateurs de Suzanne sont mis à mort après la découverte de leur fausse accusation. Enfin, Ruben perd son droit d'aînesse et sa descendance est condamnée à rester limitée. Ces récits doivent inciter les hommes à réfléchir aux conséquences qu'un seul regard peut entraîner.

Les remèdes à ces tentations sont les mêmes que pour ce qui est du toucher : il faut absolument éviter de regarder une femme. C'est pourquoi le confesseur est invité à ne pas « regarder [le pénitent] en face lors qu'il se confesse, ne permettre aussi d'estre regardé de luy principalement si c'est vne femme »803. Benedicti se méfie en effet de la femme « qui viendroit à confesse pour tenter le prestre, & l'inciter à mauuais desirs »804. S'il est déjà trop tard, les hommes peuvent suivre le modèle d'« Auianus Euesque d'Alexandre qui s'arracha vn oeil, par lequel il auoit desiré vne femme »805. Benedicti rappelle en plusieurs endroits de son ouvrage qu'afin d'éviter toute tentation, il faut « [e]uiter la co[m]pagnie & familiarité des femmes »806. Si les regarder pousse à pécher,

799Ibid., p.524. 800Ibid., p.524. 801Ibid., p.524. 802Ibid., p.525. 803Ibid., p.627. 804Ibid., p.679. 805Ibid., p.105. 806Ibid., p.105.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

les toucher semble plus dommageable mais leur parler aussi peut faire glisser l'homme vers la chute. Il ne faudrait « nous arrester au milieu des fe[m]mes car leurs paroles [...] sont plus coula[n]tes que l'huyle : mais en la fin sont des fleches asserees pour tuer dit Dauid », il y a un réel danger à « pre[n]dre trop gra[n]d plaisir à iazer, rire & caqueter auec la femme, soit bonne, ou mauuaise »807. Benedicti présente ici un tableau sombre de la femme et insiste auprès des hommes : « Que si les saincts Peres nous admonnestent d'euiter la familiarité de celles qui sont vertueuses, combien deuons nous soigneusement fuyr la conuersation de celles qui sont mondaines & desbauchees ? Ce sont les Sirenes, lesquels par leur chant melodieux & attractif enchantent les hommes, & finalement les precipite[n]t en vn dangereux naufrage »808. La peur de la femme séductrice se reflète ici. Elle peut s'expliquer par les divers modèles de tentatrices qui existent dans le livre de référence des catholiques.

Ève est bien sûr la figure par excellence de la tentation : à la fois tentée, séduite puis tentatrice, elle incarne le mal qui mène à la chute de l'homme. L'interprétation qui a été faite de la Genèse explique en grande part la place de la femme dans la société du XVIe siècle. Benedicti, inventant le discours tenu par le serpent à Ève, montre comment cette dernière a pu être tentée par lui : « Dieu ne vous aime pas, ains il vous hait, il vous porte enuie, ayant peur que vous soyez participa[n]s de sa science. Et pour autant qu'il sçait que tout ente[n]dement raisonnable peut compre[n]dre tout ce qui est intelligible, il veut vous empescher de paruenir au souuerain de la science, comme aussi il m'a voulu empescher moy estant au ciel auec luy. Ainsi tu peux connoistre dit-il à Eue le tort qu'il fait à toy & à ton mary »809. Benedicti présente ici un discours de la séduction, jouant sur le sentiment d'injustice et de curiosité du destinataire. Ève ainsi séduite, tentée par le serpent, commet plusieurs péchés : « Nostre mere Eue commist premierement le peché en son coeur, en presumant de soy & desirant du fruict, qui fut le peché du coeur, & puis persuada à son mary d'en ma[n]ger, disant qu'il n'y auoit tant de mal comme il pensoit, ains que s'il en mangeoit il auroit le sçauoir du Pere & du Fils & du sainct Esprit : ce que veut signifier le mot Elohim : car notez que Satan la feist tomber en heresie pour la persuader à son mary, qui fut le peché de la bouche, & finalement en mangea, qui fut le peché de l'oeuure »810. Le chemin de la tentation est donc bien déterminé. Il passe par le coeur, séduit, puis par l'acte qui fait tomber totalement dans le péché. Si Ève n'avait été que séduite, la faute aurait été moins grande. Néanmoins, Adam se résout à « manger du

807Ibid., p.347. 808Ibid., p.348. 809Ibid., p.2. 810Ibid., p.187.

fruict defendu, pour complaire à vne creature, qui estoit Eue »811. Cette dernière a réussi assez facilement à convaincre Adam de croquer lui aussi dans la pomme. Trompée par les diables812, elle devient diable à son tour lorsqu'elle trompe Adam. D'autres figures connues sont aussi appelées par Benedicti quand il interpelle les hommes ainsi, citant saint Jérôme : « Ne demeure point, dit-il, auec la femme en vne mesme maison, en te confiant de ta chasteté. Es tu plus fort que Sanson ? Plus sainct que Dauid ? Plus sage que Salomon, &c »813. Samson s'amourache de Dalila, à qui il révèle le secret de sa force. Celle-ci use de séduction avec lui car il ne souhaite pas lui apprendre d'où vient sa force. Néanmoins, après plusieurs tentatives, elle obtient de lui ce qu'elle veut et elle le fait livrer à ses ennemis, ce qui entraîne sa mort. David, père de Salomon, pécha avec Bethsabée et en fut puni. Salomon subit lui aussi les foudres divines pour s'être laissé séduire par des femmes. Benedicti dit à son propos : « Il est escrit de luy que son esprit deuint tout aliené par ceste pestilence [sic] luxure qu'il exerçoit auec ses putains : voire iusques à delaisser la vraye religion, & en embrasser vne fausse, comme ont fait nos ministres de France814 »815. Salomon aurait eu « sept cents épouses de rang princier et trois cents concubines »816. Ces femmes apportent le culte de leur pays d'origine. Le roi accepte et favorise ces cultes dont celui de la déesse Astarté, divinité à l'origine des figures d'Aphrodite et de Vénus. Son culte aurait abouti à des prostitutions sacrées, ce qui attire la colère divine sur Salomon. Des modèles non bibliques sont aussi utilisés afin d'inciter l'homme à se méfier des tentatrices. Ainsi, Venus est constamment dénigrée comme étant la divinité de l'amour, de la séduction. Elle est associée au nom de Didon, qui s'est tuée de désespoir après le départ de son amant, Énée. La séductrice Venus, à qui Benedicti reconnaît un rôle dans la procréation817, est cependant abaissée au rang de « dangereuse paillarde »818. Le spectacle de ces femmes tentatrices qui ont mené à la perte de beaucoup d'hommes devrait inciter ces derniers à être plus prudents à leur abord.

Une des activités dénoncées par Benedicti est la danse, qui joint tout à la fois le contact physique auquel la sévère morale de l'époque « donne du prix »819 et l'échange de regards. Le confesseur rappelle que « les femmes feroie[n]t mieux de filler à leur

811Ibid., p.186.

812Ibid., p.249.

813Ibid., p.348.

814Allusion aux « ministres du culte » protestants.

815Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.346.

816Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], I, Rois, XI, 3.

817Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.375.

818Ibid., p.345.

819Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788], p.133.

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quenouille le iour du Dima[n]che, que de sauter & danser impudiquement »820. Jean-Claude Bologne explique que la « danse s'érotise au XVIe siècle, permettant des baisers ... ou des visions subreptices ! "On sautille et gambade, lançant sa cavalière si haut qu'on voit ses jambes, sans parler d'autre chose" »821. De plus, aux « XVe-XVIe siècles apparaissent des danses de couple, basses danses, pavanes, allemandes, voltes ... Même si le couple est ouvert et que l'on ne peut enlacer sa cavalière, il s'agit d'une évolution dans les rapports entre les sexes que permet la danse, "seule occasion régulière pour les jeunes gens de s'approcher et de se toucher en simulant un couple" »822. C'est peut-être pourquoi Benedicti précise qu'il « faut danser honnestement, & non point à la façon du iourd'huy, lors qu'on fait faire la volte & madrigalle à ces dames et damoiselles, qui monstrent bien souue[n]t leur braguettes & haut de chausses : chose du tout indecente à personnes d'honneur »823. La volte est une « danse populaire, d'origine provençale, qui pourrait être l'une des premières formes de la valse. Elle est donc à trois temps de tempo rapide, et fait partie des hautes danses, entendons des danses sautées »824. Jean-Claude Bologne souligne de plus qu'il s'agit d'une « danse de couple fermé, enlacée et rapide »825. Le madrigal est une sorte de poème chanté, issu de la tradition des troubadours médiévaux, et qui eut un grand succès à la Renaissance. La braguette est un vêtement qui recouvre les parties génitales de la personne qui le porte mais il s'agissait d'un attribut essentiellement masculin au XVIe siècle. Les hauts de chausses étaient quant à eux de courts pantalons qui allait de la ceinture aux genoux. Le fait que les hommes puissent voir aussi haut sous les robes des femmes était considéré comme une chose indécente. La volte provençale est aussitôt vue par l'Église comme « une danse de sorciers, symbole de l'accouplement avec Satan »826. Benedicti accepte une danse sage et précise qu'« [i]l n'y faut pas vser de chansons d'amour & d'impudicité : abus qui se commet le plus souue[n]t, & qui donne occasio[n] à plusieurs d'entrer en vaines pe[n]sees, & mauuais desirs »827. Dans les madrigaux, « la musique est entonnée par un meneur, mais le refrain est repris par les danseurs. Un regard appuyé, une mimique suggestive, persuadent la partenaire que l'on partage les sentiments qui y sont exprimés »828. Un autre conseil est de ne « pas danser par mauuaise intention, sçauoir

820Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.583.

821Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788], p.134.

822Ibid., p.134.

823Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372.

824Pierre-Paul LACAS, « VOLTA ou VOLTE, danse », Encyclopaedia Universalis, [disponible en ligne sur

< http://www.universalis.fr/encyclopedie/volta-volte/>] (consulté le 02 avril 2013). Ce lien mène à une vidéo du groupe Lei

Tambourinaire de Sant Sumian interprêtant une volte : < http://www.youtube.com/watch?v=RJanisNOajs>

825Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788], p.135.

826Ibid., p.135.

827Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372.

828Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788], p.134.

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est, pour attirer les personnes à concupiscence, ou pour quelqu'autre mauuaise fin, co[m]me feit la fille d'Herodias, pour occasion de laquelle fut decapité sainct Iean »829. La vision qu'a l'Église de la danse est donc en décalage avec ces danses qui permettent « de toucher l'épaule de la cavalière, de lui faire du pied, de converser avec elle »830. Le meurtre que Salomé obtint par sa danse reste dans les mémoires des religieux et permet de montrer un exemple flagrant des conséquences possibles de cette pratique. Afin d'écarter les femmes du bal, ou d'inciter leurs maris à les y surveiller, Benedicti conclut : « Plusieurs auiourd'huy dressent le bal, mais c'est pour attraper la proye : & Dieu sçayt le bel honneur qu'en rapportent les dames & ieunes filles qui s'y trouuent : Il y en a eu autres fois qui ne s'en sont pas retournees si pucelles que quand elles sortirent du ventre de leurs meres »831. Le bal est donc présenté comme un lieu de débauche où les femmes séductrices trouveront des hommes prêts à pécher mais aussi où elles sont elles-mêmes en danger de se laisser aller à la tentation. Les hommes y sont incités à pécher par le regard, eux qui viennent « veoir curieusement les femmes & les desirer »832 . Bien que « l'homme doi[ve] estre plus vertueux que la femme »833, « si esta[n]t vaincu par force de la tentation, il vint à co[n]sentir au peché qu'il eut à tout le moins patience deuant que de commettre le peché, afin de dire quelques oraisons, si par aduenture Dieu auroit pitié de luy »834. L'homme a pour lui un argument qui l'empêche d'être si coupable s'il cède à la femme tentatrice : cela serait inscrit dans son nom latin même : « M.V.L.I.E.R. M.1. La femme mauuaise est le mal des maux V. la vanité des vanitez. L. luxure des luxures. I. la cholere des choleres. E, la furie des furies & R. la ruyne des Royaume »835.

Ainsi, tout contact avec la femme apparaît dangereux dans le discours de Benedicti car nécessairement porteur d'une tentation. La femme séductrice ne saurait que trop bien comment attirer l'homme à elle et le pousser à pécher. Le regard, la parole, le contact physique semblent tous pouvoir brûler sur place l'homme peu prudent face à une tentatrice sans scrupule. La pudeur qu'on lui accorde si facilement est donc le véritable comportement que l'on attend d'elle. De même, le silence serait une qualité rare chez la femme comme nous allons le montrer.

829Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372. 830Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788], p.134-135. 831Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372. 832Ibid., p.249. 833Ibid., p.652. 834Ibid., p.674. 835Ibid., p.348.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Péchés de bouche : bavarde et menteuse.

La femme est appelée à garder le silence car sa parole est considérée comme nécessairement vaine. Elle ne semble en effet capable que d'un bavardage futile qui la mène souvent à la calomnie voire au mensonge. Nous allons voir comment sont étudiés ces péchés par Benedicti et sur quels modèles s'appuie ce dernier pour démontrer le danger qu'il y a à ne pas tenir sa langue.

Le franciscain relate l'histoire qu'un « sainct Pere » a écrit à propos « d'vne femme chaste toutesfois, mais par trop addonnee au cacquet, laquelle apres sa mort fut apperceuë du Secretain836 [sic] de l'Eglise, couppee d'vne scie par le milieu du corps. Il refere encore le mesme d'vne ieune fille nommee Muse, qui fut punie aussi pour ce mesme vice, auquel le sexe feminin est communeme[n]t plus subiet que le masculin. Ces pauures femmes ne faisoient conscience des petits pechez au commenceme[n]t, lesquels finalement vinrent à grande consequence »837. Les préjugés sur la nature bavarde des femmes sont ici présents. Verena Aebischer affirme que le bavardage était considéré comme une oeuvre du diable838. Puisque les femmes sont plus susceptibles d'être tentées par le diable dans les mentalités du XVIe siècle, nous pouvons y voir une explication à ce préjugé. L'image de la femme coupée en deux peut renvoyer aux deux tranchants du langage. En effet, Benedicti reprend à son compte les affirmations du « sage Hierosolymitain839 Sidrach » qui aurait dit : « La langue double a dechassé plusieurs femmes de vertu, & les a priuees de leurs labeurs »840. La langue double est celle qui « porte l'amer avec le doux, & le venin auec le miel »841. L'homme qui entre dans le jeu du bavardage avec une femme « se destourne de la co[n]te[m]plation des choses celestes, & finalement tombe en enfer »842. Cela peut se comprendre en étudiant la croyance selon laquelle « le bavardage provoque la dissipation de l'intériorité : celui qui parle beaucoup se disperse dans une multiplicité de communications avec le monde et n'est plus capable de revenir à la vraie connaissance, qui est purement intérieure »843. La femme, bavarde par essence, peut donc difficilement se voir accorder un caractère raisonnable puisqu'elle peine à se recentrer sur elle-même dans le silence.

836Il s'agit peut-être ici d'une erreur de l'imprimeur ou d'une faute de Benedicti qui parle sûrement du « sacristain », personne

chargée de l'entretien de l'église et des objets liturgiques.

837Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.552.

838Verena AEBISCHER, Les femmes et le langage : représentations sociales d'une différence, Paris, PUF, 1985 (coll. Sociologie

d'aujourd'hui), p.19.

839Hierosolymitain signifie, « qui vient de Jérusalem ».

840Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.529.

841Ibid., p.528.

842Ibid., p.347.

843Carla CASAGRANDE, Silvana VECCHIO, Les péchés de la langue, Paris, Éditions du Cerf, 1991, p.292.

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Il faut souligner aussi qu'en « s'abandonnant au flux des mots, on en arrive à dire des paroles oiseuses et que de là on passe inévitablement aux propos nuisibles. Lorsqu'on parle beaucoup, on parle des faits concernant autrui, on tombe dans la calomnie, on en arrive même aux injures »844. C'est ce que reproche Benedicti aux femmes quand il raconte l'histoire d'une femme « qui esta[n]t extremement ialouse de son mary, dit que sa voisine est mauuaise femme, en la diffama[n]t sans aucun suffisant fondement »845. La calomnie est ici le fruit de la jalousie, mais elle est permise par les bavardages féminins qui entraînent cette diffamation. Les femmes sont tellement bavardes qu'elles révèlent le contenu de leur confession et cherchent à se faire révéler celle des autres. Elles usent de ruses pour cela rappelle Benedicti qui fait le tableau de ces « femmes assez malignes, qui vous diront, I'ay esté à confesse à vn tel, lequel dit cecy & cela, ou m'a interrogee des choses que iamais ie n'auoye ouyes, &c »846. La calomnie est personnifiée sous la figure d'une femme « laquelle demo[n]trant vn courroux furieux, traine de sa main dextre vn pauure ieune garçon, qui te[n]d les bras au ciel, implorant l'ayde des dieux, & en sa main senestre elle tient vne torche ardente »847. La scène se poursuit présentant « deux chambrieres qui viennent apres, qui sont fallace848 & astuce »849. Ce sont donc les femmes qui représentent le mieux ces défauts selon les hommes de l'époque. Benedicti explique que le diable se mêle de porter le désordre par le biais des femmes. Il raconte « qu'vne fois le diable voyant qu'il n'auoit peu [sic] mettre debat entre vn mary & sa femme, qui auoie[n]t demeuré l'espace de trente ans ensemble en bonne paix, s'addressa à vne vieille maquerelle, laquelle paracheua ce qu'il n'auoit peu [sic] faire. Et ente[n]dez comment. Cest instrument de Lucifer rapporta au mary que sa femme ne luy estoit pas fidele, & puis va rapporter tout le mesme à la femme, luy disant que son mary en aymoit vne autre qu'elle. Or le soir estant venu, le mary comme[n]ce à regarder sa femme d'vn mauuais oeil, & la femme aussi le mary : de sorte qu'ils demeurere[n]t quelque temps sans auoir vne belle parole l'vn de l'autre. Finalement la vieille voyant ceste pauure femme triste, luy conseilla de mettre vn cousteau auec de l'eau beniste sous le coussin de son mary, luy faisant a croire qu'apres qu'il auroit dormy dessus qu'il l'aymeroit pl[us] que iamais. Ce qu'aya[n]t esté fait par la femme simple & trop credule, ceste vieille (ô mescha[n]t organe du diable !) s'en va dire au mary que sa femme machinoit sa mort : & qu'ainsi fust, qu'elle auoit à

844Ibid., p.293.

845Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.664.

846Ibid., p.679.

847Ibid., p.532.

848Fallace signifie « tromperie, fausseté ».

849Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.532.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

ceste fin caché vn cousteau sous son oreiller pour le tuer auec de l'eau beniste pour l'enterrer. Qu'arriua-il ? Le mary y va voir, lequel trouuant le fait verifié, prend le cousteau & en couppa la gorge à sa propre femme. De ce crime si detestable le mesme diable en eut horreur : car il dist par apres à ceste vieille, retire toy maqurelle, car tu es plus mescha[n]te que moy »850. Ainsi, la calomnie, fille de bavardage, pousse elle-même à de grands péchés. Elle est instillée en l'esprit des femmes par le diable lui-même mais ce dernier semble ici sous-estimer la méchanceté de la femme prise dans l'engrenage d'une parole futile.

La femme qui ne garde pas le silence est aussi amenée à mentir. Le mensonge est « une parole dont le sens est faux [...], prononcée dans l'intention de tromper »851. Introduit par le diable sous la forme du serpent, le mensonge est lié à la chute des Hommes du Paradis et à une nature diabolique. De même que pour le bavardage, ce lien avec le diable semble avoir permis d'attribuer le mensonge plus facilement aux femmes qu'aux hommes ce qu'exprime Benedicti lorsqu'il dit de certaines femmes qu'elles « mentirent voirement852, aussi le naturel du sexe le porte ». La femme qui bavarde au lieu de garder le silence se met en danger de mentir lorsque quelqu'un vante sa virginité, qu'elle a perdue. Aussi pèche la « femme impudique, qui se vante d'estre chaste & s'appelle femme de bien : & la fille de sa virginité qu'elle a perdu »853. Benedicti ne leur demande pas de s'accuser mais « si on les loüe de chasteté & continence, elles ne doiue[n]t ne approuuer ne reprouuer ce qu'o[n] dit, ains dissimuler baissans la teste sans faire sembla[n]t de rien, & penser en leur coeurs, qu'elles ne merite[n]t pas telles loüanges »854. S'abstenir de bavarder les empêcherait de se trouver dans ces situations. Rien ne justifie un mensonge, pas même sauver une vie comme le montre l'exemple du « pasteur de brebis qui mentit à Dioscorus payen, qui cherchoit sa propre fille saincte Barbe855 pour la tuer »856 et qui offense par là véniellement. En effet, selon Benedicti, « il est plus licite de laisser tuer mil hommes, voire soy-mesme que de mentir vne seule fois »857. Si mentir est si grave, c'est que, depuis Augustin, « [l]'identification Dieu-Verbe-Vérité et le mystère de l'incarnation du Verbe divin [...] définissent [...] le

850Ibid., p.554.

851Carla CASAGRANDE, Silvana VECCHIO, op. cit. [note n°843], p.193.

852Voirement signifie « assurément, véritablement ».

853Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.245.

854Ibid., p.245.

855Barbe, fille de Dioscore, est persécutée par ce dernier pour ses convictions chrétiennes. Nous n'avons pas trouvé de récit

faisant mention du mensonge du berger. Certains textes ne le mentionnent pas, d'autres font plutôt état de sa délation auprès de

Dioscore, après qu'il ait découvert la cachette de Barbe, tentant d'échapper à son père.

856Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.542.

857Ibid., p.542.

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caractère théologiquement central de la vérité comme valeur »858. Tout mensonge est un affront à la Vérité que Dieu a voulu offrir à nouveau aux humains en envoyant sur Terre l'incarnation de son Verbe.

Néanmoins, le mensonge a une place ambivalente dans la Bible. Benedicti rappelle ces cas où le mensonge n'a pas été châtié par Dieu, voire a été récompensé : « On allegue Abraham qui dist sa femme estre sa soeur, Isaac qui dist le mesme de la sienne, de Iacob859 qui trompa son pere et son frere, se disant estre Esau, des Sages femmes d'AEgypte qui mentirent au Roy Pharaon, pour sauuer les petits enfans d'Israël, de Ioseph qui vsa de dissimulation à l'endroit de ses freres, de Raab, de Rachel, de Iudith, de Michol qui mentirent bel & bien [...] »860. Benedicti continue la liste des mensonges racontés dans la Bible. Il défend que certains ont plutôt « celé la vérité » que menti. Par exemple, « Abraham disant que Sara estoit sa soeur, il ne mentit pas : car elle estoit sa niepce, laquelle selon le langage du pays s'appelloit soeur »861. Cela est un péché aussi, mais moins important. Néanmoins, il affirme : « Et quant est de Rachel862, des Sages femmes d'AEgypte863, de Raab864, de Thamar865 & de Michol866, elles mentirent voirement [...]. Et de Iudith867 il n'y a point de doutte qu'elle ne pechast venielement (d'autres osent bien dire d'auantage) lors qu'elle mentit aux Assyriens, & trompa Holofernes. Et pourquoy donc est-ce, me direz-vous, que l'Escriture la loüe, elle & les autres qui ont menty pour vn bien ? Ie respons qu'elle les loue du bon desir, & affection qu'elles ont eu à leur patrie, à l'honneur de Dieu & au profit de leur prochain : mais non pas de la menterie qu'elles ont commise, laquelle comme dit est, ne se peut aucunement dispenser ne tourner en bien »868.

858Carla CASAGRANDE, Silvana VECCHIO, op. cit. [note n°843], p.190.

859Jacob, malgré son mensonge, soutenu par la complicité de sa mère, eut une longue descendance et acquit de nombreuses richesses. Il ne fut nullement puni d'avoir usurpé l'identité de son frère Esaü afin d'obtenir le droit d'aînesse. Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Genèse, 27.

860Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.543.

861Ibid., p.543.

862Rachel, qui s'enfuit avec son époux Jacob, dérobe les idoles de son père Laban. Ce dernier vient les chercher. Rachel les cache alors « dans le palanquin du chameau » et s'assoit dessus. Elle trompe son père en lui disant : « Que Monseigneur ne voie pas avec colère que je ne puisse me lever en ta présence, car j'ai ce qui est coutumier aux femmes ». Laban repart sans avoir trouvé ses idoles. Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Genèse, 31, 34-35.

863Deux sages-femmes ont ordre de tuer tous les nouveaux-nés mâles. Elles ne s'exécutent pas et disent au Pharaon : « Les femmes des Hébreux ne ressemblent pas aux Égyptiennes. Elles sont vigoureuses. Avant que l'accoucheuse n'arrive auprès d'elle, elles se sont délivrées ». Le texte biblique dit qu'elles furent favorisées. Ibid., Exode, 1, 19-20.

864Rahab cache des espions israélites dans sa maison et ment aux soldats venus les chercher affirmant qu'ils sont déjà partis de chez elle. Elle est la seule, avec sa famille, à échapper à la destruction de la ville de Jéricho, grâce à la protection accordée par les espions. Ibid., Josué, 2.

865Thamar couche par ruse (elle se déguise en prostituée) avec son beau-père, Juda, qui avait refusé de lui donner un nouveau mari, ce qu'il aurait dû faire selon la loi hébraïque. Néanmoins, elle est pardonnée et donne naissance à des jumeaux. Ibid., Genèse, 38.

866Mikal tombe amoureuse de David et devient son épouse. Mais son père, Saül, veut sa mort. Elle prévient alors son mari qui prend la fuite et ment aux soldats qui viennent le chercher pour le tuer en prétextant qu'il est malade. Ibid., I Samuel, 19, 10-17. 867Judith, afin de défendre sa cité, se fait passée pour une traîtresse auprès d'Holopherne, général des troupes ennemies, le séduit et le tue pendant son sommeil. Elle est louée par la Bible. Ibid., Judith.

868Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.544.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Il ne faut donc pas suivre ces modèles et penser plutôt aux femmes qui furent durement punies pour avoir commis un péché de bouche. Les femmes qui mentent doivent avoir à l'esprit l'exemple de Salomon qui « cognut à laquelle des deux meres appartenoit l'enfant »869. Dans cette histoire, deux femmes disent au roi être la mère d'un enfant. Ce dernier, afin de les tester, demande une épée et affirme clore le débat en tranchant l'enfant en deux afin que chacune puisse en avoir une moitié. La vraie mère préfère alors donner son enfant à l'autre femme qui, elle, encourage le roi dans son jugement. Le mensonge est alors rendu public par Salomon qui rend le bébé à sa véritable mère870. Les femmes qui murmurent et calomnient dans le dos des autres sont invitées à contempler l'exemple de Marie qui « murmura contre son frere Moyse, & en fut bien punie : car elle deuint lepreuse »871. Marie ou Myriam, soeur de Moïse, avait en effet parler contre « la femme kushite qu'il avait prise »872. Elle devint lépreuse pendant sept jours, durant lesquels elle est « séquestrée hors du camp »873 puis elle est à nouveau admise dans la communauté. Les femmes peuvent néanmoins compter sur l'indulgence de Dieu qui « pardonna [...] à Marie soeur de Moyse le peché de detraction »874 mais elles devraient plutôt prendre d'autres modèles, plus élevés. Lorsque Benedicti prend l'exemple des femmes maudites après leur mort pour avoir été bavardes durant leur vivant, il conclue ainsi : « Elles eussent mieux fait de n'auoir point tant babillé, ains d'auoir gardé le silence de la vierge Marie, de laquelle les Euangelistes ne racontent que cinq paroles qu'elle a proferees : d'auoir gardé silence d'vne Marie Magdaleine, qu'elle a obserué trente ans au desert, & d'vne Marie Egyptiaque, qui le garda quarante sept ans : le silence d'vne saincte Clere »875. Marie est en effet très peu citée dans la Bible, ce qui explique son relatif silence. Nous ne savons en réalité que peu de choses à propos de la mère de Jésus. Marie-Madeleine, « désireuse de contempler les choses célestes, se retira dans une grotte de la montagne, que lui avait préparée la main des anges, et pendant trente ans elle y resta à l'insu de tous »876 selon Jacques de Voragine. Marie l'Égyptienne, prostituée repentie tout comme Marie-Madeleine, « mena pendant quarante-sept ans, au désert, une vie de repentir et de privations »877 qui fut interrompue par un prêtre nommé Zosime à qui elle conta son histoire et qui pu la confesser de ses péchés. Plusieurs saintes portent le nom de Claire mais nous n'avons pas trouvé trace, ni

869Ibid., p.508.

870Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], I Rois, 16-18.

871Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.547.

872Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Nombres, 12, 1.

873Ibid., Nombres, 12, 14.

874Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.654.

875Ibid., p.552.

876Jacques de VORAGINE, op. cit. [note n°295], p.343.

877Ibid., p.212.

dans la Légende dorée, ni dans d'autres supports, d'une sainte Claire ayant respecté un silence plus ou moins long. Il s'agit peut-être ici encore d'un effet d'accumulation utilisé par Benedicti pour appuyer son propos.

Enfin, le franciscain incite les hommes à se méfier des paroles féminines. Il affirme que « maudire Dieu, c'est le peché de blaspheme, & le peché le plus grief de tous, comme est ainsi la haine de Dieu, auquel peché Satan vouloit precipiter Iob par le moyen de sa femme. Le plus gra[n]d que sceut imposer ceste impie Iezabel au bon Naboth, ce fut de dire qu'il auoit maudit Dieu »878. Les femmes semblent ainsi vouloir entraîner les hommes à leur suite dans l'engrenage des péchés de langue. En effet, Job, testé par le diable, est ainsi interpellé par sa femme : « Vas-tu encore persévérer dans ton intégrité ? Maudis donc Dieu et meurs ! »879. Néanmoins, Job n'écoute pas sa femme, la traite de folle et persévère dans sa foi, pour laquelle il sera grandement récompensé. Quand à Jézabel, elle accuse Nabot d'avoir maudit Dieu afin que son mari, Achab, puisse s'emparer des vignes de ce dernier, qu'il n'avait pu obtenir par négociations. Nabot est lapidé par le peuple, suite à l'accusation de blasphème880. De plus, s'il faut se méfier des femmes et de leur langage, il ne faut jamais leur confier un secret car elles ne peuvent tenir leur langue. Benedicti prend à ce propos l'exemple d'un certain Papyrus : « le ieune enfant Papyrius n'est il pas immortalizé par les Historiographes pour n'auoir voulu descouurir le secret du Senat Romain à sa mere ? Iaçoit que tantost elle le flattast luy promettant monts et vaux, ores elle le menaçast, iamais ne luy voulut fier, (elle estoit femme) ce qu'il auoit ente[n]du au Capitole : exemple assurement memorable à toute la ieune posterité »881. Il est assez amusant de remarquer qu'après avoir dit que Papyrus ne voulut pas révéler le secret à sa mère, il prend le soin de préciser qu'elle « estoit femme », ce qui semble expliquer selon lui la réserve de son fils.

En conclusion, les femmes sont considérées comme bavardes et menteuses par le franciscain Benedicti. Elles sont invitées à réguler leur langage et à prendre exemple sur la Vierge ou encore Marie-Madeleine qui ont su surmonter leur nature féminine en se murant dans le silence. Les hommes devraient se méfier d'elles et ne rien leur confier d'important s'ils ne veulent voir leurs secrets ébruités. Nous pouvons conclure avec Verena Aebischer, qu'« [i]ci et là, hier et aujourd'hui, le bavardage comme trait

878Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.544-545. 879Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Job, 2, 9.

880Ibid., I Rois, 21.

881Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.675-676.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

caractéristique des femmes prend dans la tête des gens une réalité palpable et inéluctable. Pour l'homme, il est une option parmi d'autres, alors que la femme ne semble pouvoir faire que cela. [...] La représentation du parler-bavardage féminin s'oppose à celle du parler masculin, auquel est reconnu le privilège de constituer la norme, la bonne façon de parler. En conflit avec cette norme, le parler féminin s'inscrit en défaut, en négatif, en trop et en moins »882.

La prostituée et ses hommes.

Au XVIe siècle, la condition des prostituées change radicalement. En effet, le mouvement de Réforme puis de Contre-Réforme catholique entraîne, sur tout le siècle, une tentative de purification de la société qui passe par la traque des péchés et notamment le péché de luxure. Les prostituées, bien intégrées dans la société médiévale, sont alors repoussées hors des villes, mises en marge par des textes de loi répressifs. Benedicti, en tant que religieux acquis aux idées d'« assainissement » de la société, parle toujours d'elles d'une manière péjorative. Son discours laisse néanmoins voir quels sont les débats entourant le métier de la prostituée à l'époque moderne. Nous allons examiner comment ce dernier voit l'avenir des prostituées et ce qu'il nous laisse savoir de leur vie à la fin du XVIe siècle. Nous verrons dans un deuxième temps que ce qui préoccupe le plus le franciscain est la question de l'utilisation des revenus de la prostitution. Enfin, nous montrerons qu'il présente des modèles totalement opposés de « prostituées » : Circé et Vénus qui se complaisent dans leurs vices tandis que Marie-Madeleine est placée en parangon de la repentance.

Benedicti a un avis qui peut sembler ambivalent sur la question de la prostitution. En effet, il affirme à la fois que les prostituées ont une utilité sociale et qu'elles doivent être bannies de la société. Ces opinions sont en réalité le reflet de deux courants de pensée qui ont pu influencer Benedicti. Ce dernier, quand il dit que « les putains [sont permises] pour euiter vn plus grand mal »883, pense sûrement à saint Augustin, qu'il cite ailleurs ainsi : « S. Augustin qui escrit qu'il vaut mieux permettre vn petit mal pour en euiter vn plus grand »884. En effet, ce grand penseur du IVe-Ve siècle « ne rejette pas le fait ; il le justifie comme moyen d'apaisement social et prétend que la disparition des

882Verena AEBISCHER, « Bavardages : sens commun et linguistique », dans Parlers masculins, parlers féminins ?, Verena AEBISCHER (dir.), Claire FOREL (dir.), Paris, Delachaux et Niestlé, 1983, p.175-179.

883Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.504.

884Ibid., p.115.

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prostituées sèmerait un grand désordre »885. Néanmoins, à partir du milieu du XVIe siècle, « les progrès de l'ordre en place et le succès des Réformes, protestante et catholique, mettront de plus en plus la vertu et le rigorisme à l'ordre du jour »886. C'est pourquoi, malgré cet arrière-plan théologique augustinien, Benedicti pense qu'il vaut mieux prendre de sévères mesures plutôt que « de permettre les bordeaux & femmes abandonnees »887.

Dans l'énumération des raisons qui permettent à Benedicti de pencher en faveur de la fermeture de tels établissements de prostitution, ce dernier nous donne une réelle vision de la condition des prostituées au XVIe siècle et du mode de fonctionnement des « bordeaux ». Il souligne en effet que certains sont prêts à permettre aux prostituées de s'installer « en quelque canton de la ville » mais « qu'il ne leur faut bailler aucun ayde ne patro[n]s, ny protecteurs, ne louer maisons ne logis »888. Ces quelques mots dévoilent que les prostituées, du moins durant toute l'époque médiévale, avaient une place réservée au sein de la cité. En effet, au Ve siècle avant J.-C., « sous l'impulsion législative de Solon, l'initiateur de la démocratie athénienne, les femmes dévouées sexuellement aux dieux quittent les lieux sacrés pour des maisons à destination spécifique et publique »889. Jusqu'au XVIe siècle, il existe donc des maisons publiques, connues de tous et identifiées au sein de la cité grâce à une enseigne, comme tous les autres commerces de l'époque. Des personnalités du conseil municipal peuvent même s'occuper de la gestion s'il manque un responsable pour ces maisons de plaisirs, considérées comme essentielles à la tranquillité de la ville. Si certains contemporains de Benedicti pensent qu'il ne faut pas que des « protecteurs » louent les maisons au bénéfice des prostituées, c'est que cette pratique existait à l'époque. Il semble aussi exister des gens « qui leur baille[n]t à louage leurs maisons, pour y exercer leur bordelage »890. Ces gens qui favorisent la prostitution sont des pécheurs aux yeux de Benedicti.

Ce dernier feint de croire que le public fréquentant les maisons de prostitution est essentiellement composé de « ieunes gens » qui sont ensuite incités « à desbaucher les filles & femmes de bonne maison, apres qu'ils ont apprins les subtilitez d'amour au bordeau »891. Il développe longuement les dangers qu'il y a à encourager les jeunes gens

885Brigitte ROCHELANDET, Histoire de la prostitution du Moyen Âge au XXe siècle, Divonne-les-Bains, Cabédita, 2007 (coll.

Archives vivantes), p.14.

886Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Déviances sexuelles ».

887Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.115.

888Ibid., p.115.

889Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note n°885], p.9.

890Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.116.

891Ibid., p.115.

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à aller faire leur première expérience sexuelle avec une prostituée. Cette coutume, pratiquée largement au Moyen Âge, se basait sur la croyance que deux mariés puceaux donneraient naissance à un enfant mal formé si une grossesse devait survenir dès le premier rapport. Benedicti pense que « [c]'est donner occasion à beaucoup de ieunes hommes chastes et vertueux de se desbaucher, voyant la porte ouuerte, & liberté donnee à vn chacun de paillarder & mal faire, à quoy de nostre naturel ne sommes que trop enclins »892. Le franciscain introduit ici un « penchant naturel » qui pousserait les hommes vers les femmes. Les prostituées ne sont donc pas les seules responsables de ce qu'il considère comme une débauche. Lorsque l'auteur explicite quelles catégories sociales sont susceptibles d'avoir recours aux prostituées, il parle « des religieux & ge[n]s d'Eglise »893. La loi « proscrit [aux prostituées] de mettre en péril les voeux de chasteté des religieux et de forniquer avec eux »894. Néanmoins, il semble que les « clients interdits les plus présents dans les archives so[ient] pourtant les hommes de Dieu, provoquant des critiques de la population ou des municipaux ; cette sur-présence dans les archives est compréhensible, les autres clients "normaux" ne sont jamais inquiétés, sauf en cas de violences »895. En effet, les historiens s'accordent sur le fait qu'une large partie de la population masculine pouvait côtoyer le monde de la prostitution, à un moment ou à un autre, et cela malgré le fait que les prostituées aient fréquemment eu interdiction « de ramener des hommes mariés, pour lutter contre l'adultère »896. Certains religieux, à la fin du XVIe siècle, et malgré le passage du Concile de Trente, acceptent manifestement mal le voeu de chasteté qu'ils ont dû faire, au vu des remarques que fait Benedicti à leur sujet.

Dans les « bordeaux », les filles sont sous la direction d'un ruffian ou d'une maquerelle. La majorité des femmes exerçant ce métier ont « entre 16 et 30 ans »897. Certaines filles sont encore des enfants quand elles sont vendues par leurs parents. Benedicti dit à ce propos que « si le pere ou la mere, voulans vendre la pudicité de leur fille, luy commandant de s'abando[n]ner pour leur gaigner quelque chose : la fille ne leur doit aucunement obeir, ains plustost endurer la mort, quelque pauureté que puissent auoir ses parens, & ainsi des autres enfans »898. La présence de fillettes dans les « bordeaux » est donc possible mais cela est assez mal vu. De plus, Benedicti mentionne

892Ibid., p.115.

893Ibid., p.115.

894Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note n°885], p.59.

895Ibid., p.59.

896Ibid., p.59.

897Ibid., p.58.

898Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.91.

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des hommes qui « prostitue[n]t filles & femmes en leur presence »899. Cela est sans doute le fait d'une grande misère. Passé 35 ans, les femmes sont considérées sur le déclin. Quand elles « ne sont plus désirées, elles sont chassées du bordel et tentent de vivre de la prostitution illicite ou de mendicité. Elles peuvent aussi être accueillies dans des hospices. Les plus chanceuses deviennent tenancières quelque temps »900. C'est ce qu'explique Benedicti lorsqu'il dit : « Telles publiques, apres qu'elles ont passé la fleur de leur aage, ne pouuans plus rien faire, sont inuentrices de dix mille maux, & bonnes maquerelles pour desbaucher les ieunes filles, & autres femmes honnestes »901. Les femmes qui dirigent les « bordeaux » sont considérées comme des incitatrices à la débauche. Elles sont qualifiées de « vieilles maquerelles qui precipite[n]t les ieunes filles en la voye de perdition »902 et sont tenues à une restitution spirituelle par de nombreuses pénitences selon Benedicti. Si le ruffian peut entretenir un lien « d'affection amoureuse » avec son associée, les rapports entre la prostituée et sa maquerelle sont soit affectueux, soit violents903. Les maquerelles possèdent les chambres où officient les filles et leur font payer un loyer qui leur permet de vivre et de s'accorder la protection de certains personnages. Les prostituées peuvent soit dormir dans la maison où elles exercent, soit posséder ou louer une chambre hors de leur lieu de travail. Leur recrutement est difficile à connaître. Il s'appuierait sur l'exploitation, par le ruffian ou la maquerelle de « la misère, la souffrance, la solitude, la naïveté et le découragement »904. Lucien Bély souligne de plus que « [l]'accroissement de la paupérisation populaire » au XVIe siècle a sans doute amené « de plus en plus de filles ou de femmes (de jeunes hommes aussi, en milieu urbain en particulier) à se livrer à cette activité »905.

En ce qui concerne la pratique en elle-même, il semble que les prostituées « ne se cachent pas, ne rasent pas les murs, mais invectivent les passants, leur font des signes, des sourires, des oeillades ; leur dessein est de ramener un homme en désir ou besoin sexuel, afin de gagner de quoi vivre, payer leur chambre et les taxes »906. Benedicti parle des « paillardes, qui attirent & seduisent les ieunes ge[n]s à peché »907. Nous ne savons rien des positions sexuelles adoptées par les clients mais le franciscain pense que « ceux qui ont apprins de faire l'amour au [sic] putains, seront encore plus enflambez, & hardis

899Ibid., p.97.

900Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note n°885], p.67.

901Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.115.

902Ibid., p.697.

903Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note n°885], p.149.

904Ibid., p.148.

905Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Déviances sexuelles ».

906Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note n°885], p.59.

907Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.115.

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à faire le mesme à l'endroit des sages & honnestes femmes »908. En plus des violences auxquelles les prostituées sont exposées, les risques de grossesse et les tentatives d'avortement rendent leur vie dangereuse. En effet, « avalant des potions dangereuses, ou usant de baguettes de bois pour provoquer des saignements »909, les prostituées risquent de se blesser gravement. En 1560, la fermeture officielle des « bordeaux » municipaux rend leur quotidien encore plus difficile, vivant dès lors « dans la clandestinité, en tentant d'échapper à la traque perpétuelle engagée contre leur personne. Leurs conditions de travail se dégradent sévèrement, n'étant plus protégées »910.

Les prostituées n'ont plus de droits dans la société répressive du XVIe siècle. S'il est déjà difficile pour une femme quelconque de faire reconnaître son viol ou son rapt, Benedicti dit à propos d'un homme accusé de rapt : « Mais quoy s'il a raui vne putain publique ? Doit-il estre puny de mort ? On respond que non : puis qu'elle est infame & exposee à vn chacun »911. Un homme qui aurait donné sa parole est délié de son voeu s'il s'agit « de prendre vne putain pour espouse »912. Le voeu si sacré que Benedicti défend durant de longues pages n'a pas de valeur s'il est fait en faveur d'une prostituée. De plus, elles sont exclues de la communauté des chrétiens, ce qui n'avait jamais été tenté de telle sorte, au vu du texte biblique. En effet, Matthieu raconte que Jésus a déclaré aux grands prêtres de Jérusalem que « les prostituées arrivent avant [eux] au Royaume de Dieu »913. Si l'Ancien Testament offre une vision assez sombre des prostituées, le « Nouveau Testament leur ouvre un espoir ; les prostituées ayant la foi seront accueillies dans le Royaume de Dieu grâce à Jésus, le rédempteur annoncé »914. Or, au XVIe siècle, Pie V (1566-1572), « chantre de la lutte contre l'immoralité », met « les filles publiques hors la loi en leur interdisant de se faire inhumer dans une sépulture chrétienne, tout comme les suicidés ou les criminels, les vouant au diable et son royaume de feu. À cette époque, la tradition affirme que celle qui n'est ni confessée, ni enterrée dans le cimetière ne peut monter au Ciel »915. Benedicti connaît et encourage ces mesures. En effet, il affirme que le « Curé ou Prelat [...] peut & doit denier la communio[n] aux heretiques, adulteres, putains [...] »916. Ces dernières ne peuvent donc pas se joindre à la communauté des croyants lors de la cérémonie de l'eucharistie. Puisqu'elles « se donnent au diable »917,

908Ibid., p.115.

909Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note n°885], p.67.

910Ibid., p.72.

911Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.137.

912Ibid., p.67.

913Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Matthieu, 21, 31.

914Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note n°885], p.12.

915Ibid., p.19.

916Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.229.

917Ibid., p.504.

elles iront passer le reste de leurs jours dans les feux de l'Enfer. Benedicti ne leur dénie pas seulement la communion : « Les femmes publicques qui sont au bordeau ou ailleurs, pechent griefueme[n]t, & sont iournellement en estat de damnation : Et par consequent ne doiuuent receuoir les saincts Sacremens, si elles n'en sortent, & si elles ne promettent de s'amender & faire penitence »918 dit-il. Or, quitter le métier est difficile car prouver sa bonne foi et réussir à trouver un travail qui permette de s'installer et de survivre est quasiment impossible pour une prostituée dans le contexte économique du XVIe siècle. En leur déniant le droit au sacrement de pénitence, Benedicti éloigne ces femmes des confessionnaux. En leur déniant la communion, il les exclue de la messe. En leur refusant l'extrême-onction, il les repousse hors du Paradis et cela malgré l'indulgence biblique à leur égard.

Une des principales préoccupations de Benedicti quand il aborde la question de la prostitution est de savoir d'où viennent les gains et comment ces derniers peuvent être utilisés par les prostituées. Le franciscain pense qu'il est illicite de « donner l'aumosne à vne ieune fille pour auoir jouïssance d'elle »919. Ce qui est condamné fermement par Benedicti, ce n'est pas tant le fait que les hommes paient les prostituées, mais que certains d'entre eux n'aient aucun droit sur l'argent qu'ils leur offrent. Ainsi, il explique que les « femmes desbauchees qui prennent argent, ou autre chose des ieunes enfans de familles, des religieux & ge[n]s d'Eglise, co[m]mette[n]t outre le peché, larrecin & si sont obligees à restituer, comme chose desrobee & mal aquise : car premierement l'enfant n'a rien au bien de son pere viuant, & par conseque[n]t ne peut rien donner, & encores moins le religieux : & aussi l'homme d'Eglise ne peut faire donation des biens de son benefice, sinon aux pauures. Elles doiuent do[n]c restituer au pere, si elles ont prins de l'enfant, au monastere, si elles ont prins du religieux, à l'Eglise, si elles ont prins du beneficié »920. Que devraient faire les prostituées avec cet argent ? Au paragraphe intitulé « Du gaing des putains » Benedicti explique que « [c]eux qui gaignent par oeuure de peché, comme font les ruffia[n]s & putains & autres semblables personnes, outre le peché, ils sont obligez (ie ne dy pas de necessité de conseil) de donner le gain aux pauures »921. Ainsi, les prostituées, malgré le fait que l'immense majorité exerce du fait de leur grande misère, sont incitées à donner leurs gains aux pauvres afin de racheter le péché dont elles se rendent coupables en exerçant la prostitution. Une question très

918Ibid., p.115. 919Ibid., p.72. 920Ibid., p.115-116. 921Ibid., p.266.

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présente dans le discours de Benedicti sur les prostituées est celle de la possibilité ou non pour elles de faire des dons à l'Église. Le Deutéronome, cinquième livre de l'Ancien Testament, est très clair à ce sujet : « Il n'y aura pas de prostituée sacrée parmi les filles d'Israël, ni de prostitué sacré parmi les fils d'Israël. Tu n'apporteras pas à la maison de Yahvé ton Dieu le salaire d'une prostituée ni le paiement d'un chien, quel que soit le voeu que tu aies fait : car tous deux sont en abomination à Yahvé ton Dieu »922. Néanmoins, saint Thomas d'Aquin, au XIIIe siècle, « insiste à nouveau sur la vilenie de la prostituée mais consent à ses dons et aumônes envers l'Église »923. Benedicti affirme quant à lui : « Ceux qui reçoyuent dons, presens & oblations924 pour l'Eglise du bien acquis par les putains font contre prohibition de l'Eglise, laquelle defend de receuoir telles offrandes en detestation de leur bordelage : ce qui est conforme a la loy de Moyse925 qui le defend. Il est bien vray que les loix leur concedent de pouuoir donner & faire testament de ce qu'elles ont gaigné ou [sic] bardeau [sic], mais il ne faut pas que les Ecclesiastiques le doyuent receuoir pour le donner à l'Eglise. Nous auions dit ailleurs que la putain peut bien vouer de do[n]ner ce qu'elle a gaigné, à l'Eglise926 : mais pour cela il ne le faut pas receuoir »927. Les propos de Benedicti sont ici ambigus : les prostituées ont le droit de donner, légalement, mais les ecclésiastiques ne pourraient pas recevoir ce don. Ailleurs, une nouvelle affirmation peut préciser quelque peu la pensée du confesseur : « On demande si la putain qui a gaigné quelque chose de son corps, en peut donner l'aumosne. On respond qu'ouy, nonobstant qu'elle ayt acquis illicitement : car puis qu'elle n'est pas tenue à restituer, si elle a gaigné de celuy qui pouuoit donner, elle en peut faire à son plaisir. Il est bien vray qu'elle n'en peut pas faire dire des Messes, ne autre service diuin : car l'Eglise, en detestation du peché, refuse telles oblatio[n]s & presens, co[m]me ie l'ay escrit par cy deuant »928. Nous pouvons donc penser que les ecclésiastiques peuvent recevoir aumônes et dons de la part des prostituées mais non pas se servir de cet argent publiquement, par exemple en disant une messe en l'honneur de la donatrice.

Une chose est plus claire dans le propos de Benedicti : les prostituées qui ont reçu de quelqu'un qui ne pouvait pas légalement donner doivent restituer ce bien mal acquis. Entre autres, les « putains & concubines qui reçoiue[n]t les biens Ecclesiastiques, sont tenuës à restitution »929. Néanmoins, « les paillardes & maquereaux, ne doiuent pas

922Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Deutéronome, 23, 18-19.

923Brigitte ROCHELANDET, op. cit. [note n°885], p.16.

924Une oblation désigne toute offrande à l'Église.

925Le Deutéronome cité auparavant.

926Voir Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.72.

927Ibid., p.265.

928Ibid., p.486.

929Ibid., p.216.

rendre les biens qu'ils ont receus aux mesmes Ecclesiastiques qui les leur ont baillez, si tels biens estoient la part des pauures & la fabrique930, mais ils les doiuent restituer à leurs successeurs Ecclesiastiques, ou bie[n] les employer au profit des Eglises d'ou ils sont venus, & ce auec l'autorité du penitencier ou bie[n] si l'Eglise n'est pas necessiteuse, il les faut bailler aux pauures »931. Celui qui « paillarde[...] & baille[...] à sa putain »932 doit s'en accuser clairement au confesseur qui décidera alors quelle pénitence celui-ci devra exécuter afin de se racheter. La faute est d'autant plus grave pour les ecclésiastiques qu'ils ont dilapidé un bien qui ne leur appartenait pas mais qui revenait de droit aux pauvres. Ceux qui sont coupables d'avoir pris de l'argent à de jeunes gens ou à des ecclésiastiques sont invités à rééquilibrer d'eux-mêmes la situation en restituant à bon escient l'argent mal acquis. Ces invitations sont sûrement restées lettre morte au vu de la situation économique des prostituées du XVIe siècle mais nous pourrions y voir la preuve que Benedicti, tout comme le Christ, ne pense pas que les pécheresses soient condamnées à le rester jusqu'à la fin de leurs jours.

Les modèles proposés par Benedicti aux prostituées sont de deux natures : les femmes totalement perverties et celles qui, après une subite conversion, atteignent un idéal de pureté peu commun.

Deux femmes sont associées à la prostitution selon Benedicti : « ceste gra[n]de putain Circe »933 et Venus, « vne dangereuse paillarde, qui deçoit & trompe l'esprit »934. Circé, magicienne de la mythologie grecque, procure des filtres d'amour à ceux qui lui en demandent. Au chant X de l'Odyssée d'Homère, Circé séduit les marins d'Ulysse et les transforme en pourceaux. Benedicti rappelle qu'elle « co[n]uertissoit les ho[m]mes en pourceaux, lyons, ours, & autres bestes sauuages, c'est à dire, que lubricité change les ho[m]mes en bestes brutes »935. Circé ne couche pas avec eux et n'attribue pas le sortilège qu'elle leur lance à l'effet de leur lubricité. Néanmoins, Ulysse accepte de coucher avec elle lorsqu'il vient délivrer ses compagnons et cela fait d'elle un être dangereux aux yeux du franciscain. De nombreuses liaisons lui sont attribuées avec des Olympiens mais, Benedicti ne développant pas son propos, nous ne pouvons pas savoir quelle connaissance il avait du mythe grec ou latin. Venus, associée à la conception, est « nécessairement » liée à la volupté et le glissement est facile vers l'image de la

930La fabrique est l'ensemble des biens et revenus affectés à une église, à son édification et à son entretien.

931Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.724.

932Ibid., p.582.

933Ibid., p.25.

934Ibid., p.345.

935Ibid., p.348.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

« paillarde », d'une femme dissolue936. Mêlée à de nombreuses histoires d'amour dans la mythologie grecque et latine, elle infléchit le cours des choses au gré de ses humeurs : femme implacable lorsqu'elle est jalouse de la beauté des autres, elle peut cependant aider des couples qui désirent s'unir. Afin de montrer la bassesse des prostituées, Benedicti rappelle l'histoire d'Athanase d'Alexandrie, évêque de cette même ville et défenseur du catholicisme face à l'hérésie arienne937. Le franciscain explique que « les Arriens, qui composerent diuerses calomnies contre cest inuincible Euesque Athanase, tantost l'accusant d'auoir couppé la main d'Arsenius pour exercer la magie, ores en subornant vne putain à somme d'argent pour luy faire dire qu'Athanase l'auoit violee »938 sont les précurseurs des calvinistes français. Nous pouvons voir avec cet exemple que les prostituées ont pu être utilisées pour décrédibiliser des personnalités. Le statut de ces dernières semble permettre de les exploiter à des fins de tromperie. Les prostituées sont donc associées à la fourberie mais aussi au bavardage comme le montrait l'exemple utilisé plus haut de la maquerelle allant du mari à sa femme afin de les fâcher l'un contre l'autre.

Trois modèles positifs sont utilisés par Benedicti afin d'inciter les femmes qui se prostituent à arrêter leurs activités et à se recentrer sur la religion. Le plus anecdotique est celui de Thaïs. Benedicti raconte que « l'Hermite Pafnuce co[n]uertit vne femme pecheresse dite Thais, luy donnant à entendre qu'en nul lieu de la terre, tant escarté fust-il, elle ne se pouuoit bien cacher, que Dieu ne la regardast, pour autant, dit il, vous ne deuez estre si impudente & outrecuidee939, que de co[m]mettre vn si vilain peché en la presence d'vn si grand Seigneur. Et bien, encores que Dieu ne nous comtempleroit, si ne faudroit-il pas pourtant commettre ce peché, tant il est sale, & des-honneste de soy-mesme »940 ajoute-t-il. La Légende dorée raconte comment cette riche courtisane brûla tous ses biens à l'instigation de Paphnuce, venu pour la convertir. Après avoir fait cela, « elle rejoignit Paphnuce, qui la conduisit dans un couvent de femmes. Il l'enferma dans une étroite cellule, en mura la porte, et ne laissa qu'une petite fenêtre par où l'on devait, tous les jours, lui apporter un peu de pain et d'eau »941. Après trois ans de prières dans cette cellule, elle est délivrée et meurt peu après. Les deux autres figures de converties, mises quant à elles parfois conjointement sous les yeux du lecteur, sont celles de Marie-

936Ibid., p.50.

937L'arianisme postule l'infériorité de Jésus et du Verbe par rapport à Dieu. Les catholiques, à l'inverse, pensent que Jésus, le

Verbe et Dieu sont d'une seule et même substance, faute de quoi, rendre un culte à Jésus et à Dieu reviendrait à une sorte de

polythéisme.

938Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.532.

939Présomptueuse, arrogante.

940Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.350.

941Jacques de VORAGINE, op. cit. [note n°295], p.576.

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Madeleine et de Marie l'Égyptienne. Benedicti dit d'elles qu'elles ont apaisé « l'ire de Dieu »942 et qu'elles sont mortes « és deserts contrit[e]s »943. Si l'histoire de Marie l'Égyptienne est peu développée, Marie-Madeleine a quant à elle fait l'objet de nombreux discours. Son parcours est peu commun. Marie-Madeleine a été assimilée à la femme qui verse des larmes sur les pieds du Christ lors du dîner chez Simon. En réalité, rien n'indique qu'il s'agisse bien de Marie-Madeleine. Le récit biblique est ainsi : « Un Pharisien l'invita [Jésus] à sa table ; il entra chez le Pharisien et prit place. Survint une femme, une pécheresse de la ville. Ayant appris qu'il était à table chez le Pharisien, elle avait apporté un vase de parfum. Se plaçant alors en arrière, tout en pleurs, à ses pieds, elle se mit à lui arroser les pieds de ses larmes ; puis elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers, les oignait de parfum. [...] "Tu vois cette femme ? dit-il à Simon. Je suis entré chez toi, et tu ne m'as pas versé d'eau sur les pieds ; elle, au contraire, m'a arrosé les pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as pas donné de baiser ; elle, au contraire, depuis que je suis entré, n'a cessé de me couvrir les pieds de baisers. Tu n'as pas répandu l'huile sur ma tête ; elle, au contraire, a répandu du parfum sur mes pieds. C'est pourquoi, je te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés, lui sont remis, puisqu'elle a montré beaucoup d'amour." Puis il dit à la femme : "Tes péchés son remis." Et ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes : "Quel est cet homme qui va jusqu'à remettre les péchés ?" Mais il dit à la femme : "Ta foi t'a sauvée ; va en paix." »944. C'est grâce à ce passage de la Bible que Benedicti peut affirmer que « l'acte d'vne excellente charité, peut estre si grand qu'il satisfera pour la coulpe & la peine, comme on le tie[n]t de Marie Magdelene, laquelle ayma Iesus Christ d'vn amour parfait : suyuant ce que dit sainct Pierre, que charité couure la multitude des pechez quant à la coulpe, & quelquesfois qua[n]t à la peine »945. Grâce à Marie-Madeleine, ancienne prostituée repentie, les chrétiens peuvent croire que « la vraye contritio[n] efface toute la coulpe du peché »946. La peine quant à elle est réduite en fonction du degré de contrition atteint par le pécheur, dont Marie-Madeleine est le modèle. Par son immense contrition, ses péchés ont été remis par Jésus, sans même qu'elle ait à les exprimer à haute voix. En effet, « la Magdelaine obteint pardon par vne parfaite dilection947 »948. Ceux qui sont dans l'incapacité de se confesser peuvent donc s'appuyer sur son modèle et y puiser un soutien. Marie-Madeleine, la pécheresse repentie qui suivit

942Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.563.

943Ibid., p.628.

944Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Luc, 7, 36-49.

945Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.659.

946Ibid., p.636.

947Grand amour porté à quelqu'un.

948Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.639.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Jésus et fut la première à connaître sa Résurrection, est un modèle à suivre pour les prostituées qui exercent. Elle montre comment une prostituée peut décider de se convertir par elle-même et faire repentance de telle sorte qu'elle serait redevenue vierge au moment de la Résurrection selon saint Ambroise de Milan et saint Jean Chrysostome, deux éminents penseurs catholiques.

Le modèle de Marie-Madeleine introduit une touche d'espoir dans le tableau assez noir que dresse Benedicti de la prostitution. Les femmes qui s'y adonnent seraient pécheresses au plus haut degré mais aussi voleuses lorsqu'elles prennent de l'argent à des hommes qui n'en possèdent normalement pas en propre. Néanmoins, le modèle de la pécheresse repentie est très présent dans les esprits du XVIe siècle et contrebalance peut-être l'exclusion de plus en plus visible des prostituées en marge d'une société répressive.

La femme hors de l'Église : sorcière et huguenote.

Benedicti présente plusieurs modèles de femmes de mauvaise vie, autres que les prostituées. Il fait tout d'abord quelques allusions aux femmes qui adoptent un comportement considéré comme étant déplacé pour leur sexe. Il s'attache aussi à mettre en garde les bons chrétiens contre les sorcières, pourchassées en cette fin de XVIe siècle. Enfin, il se penche sur le problème des huguenotes ou des femmes de huguenots et leurs attitudes hérétiques.

Le franciscain dénonce « ces riotteuses949 de femmes, qui font blasphemer leurs maris »950. Cette dénonciation concerne les femmes qui provoquent la colère de leur mari sciemment. Si cela peut être une simple allusion au contexte de la vie privée du couple, nous pouvons souligner que les femmes apparaissent dans les sources policières comme celles qui poussent les hommes à la révolte, qui appellent à la manifestation par leurs cris. Le fait qu'elles préparent les repas implique qu'elles se sentent les premières concernées en cas de crise frumentaire951. Elles sont donc en première ligne des revendications populaires et entraînent à leur suite leurs maris et leurs enfants. Benedicti dénonce aussi l'ivresse des femmes qui, tout comme les cris, ne sied pas à leur supposée pudeur. Ainsi il affirme que le péché d'ivresse « est encores plus indecent aux femmes

949Riotteuse a le sens de querelleuse ou de « femme qui crie beaucoup ».

950Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.514.

951Les crises frumentaires, provoquées par des récoltes insuffisantes en blé, touchent régulièrement la France au XVI e siècle et menacent toute l'économie du pays, menant parfois à des révoltes populaires.

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qu'aux hommes : car celle qui est prise de vin est exposee à beaucoup de dangers. C'est pourquoy les ancie[n]s Romains auoient totalement prohibé l'vsage du vin à leurs femmes, au recit de Valere Maxime : lequel adiouste que la femme yurette ferme la porte à toute vertu, & l'ouure à tous vices. De la est que la loy des douze Tables pour espouuanter les femmes qui seroient subiectes à ce vice, ordo[n]na que celle qui seroit trouuee prise de vin fust punie comme vne adultere. Et de fait vn citoyen Romain tua la sienne pour ce qu'elle s'estoit enyuree »952. Les Romains auraient en effet interdit aux femmes de boire du vin, et cela pour plusieurs raisons. Le vin était considéré comme un abortif et comme dangereux pour la qualité du lait, comme nous l'avons déjà dit. Aussi, la femme, chargée de perpétuer l'espèce, ne doit pas en boire. De plus, les femmes, à qui l'on a toujours attribué des pouvoirs magiques, n'auraient pas besoin de boire du vin, ce que faisaient les hommes lors des rituels sacrificiels aux dieux. Les femmes sont donc éloignées des banquets et de la boisson. L'ivresse féminine est très mal vue chez les Romains même si elle a sûrement existé dans l'intimité du domicile. Benedicti la condamne car elle conduit selon lui à la luxure. Afin d'accentuer le lien causal entre ivresse et débauche, la première était punie selon les mêmes règles que la seconde d'après le franciscain. Ainsi, un homme trouvant sa femme en état d'ivresse aurait le droit de tuer cette dernière comme si elle avait été trouvée en situation d'adultère. Les premières lois écrites romaines, les Douze Tables, encourageraient cette peine, ce que nous n'avons pas pu vérifier.

Autre comportement qui semble indécent à Benedicti pour une femme, la violence. Celle-ci affleure dans la mention d'une « femme chaste & pudique qui frappe vn prestre ou religieux qui luy veut oster son ho[n]neur »953. Celle-ci n'est pas excommuniée. Néanmoins, cette mention montre qu'une violence féminine existe bel et bien au XVIe siècle, malgré le confinement auquel les hommes veulent la contraindre et malgré sa supposée « pudeur ». D'après Nicole Castan, les altercations « naissent toujours peu ou prou d'un honneur outragé »954. Elle souligne de plus que « malgré les efforts des Églises prônant la miséricorde et la paix, la violence fait partie de la culture populaire »955. Cette forme de violence serait le fait d'une réappropriation de l'espace malgré le désir des hommes de voir leurs épouses rester entre les murs de la maison. Benedicti condamne plus particulièrement la violence à l'encontre des ecclésiastiques mais sous-entend que les femmes peuvent se défendre s'il est question de leur honneur.

952Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.370. 953Ibid., p.605.

954Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.545.

955Ibid., p.545-546.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

En effet, le franciscain répète fréquemment dans son ouvrage que l'honneur d'une personne vaut plus que tout aveu d'une faute, même grave.

Les modèles présentés sont ceux de femmes dominatrices, qui renversent le schéma socialement accepté à l'époque. Ainsi, la femme de Putiphar, maîtresse, au sens d'employeuse, du « bon patriarche Ioseph [...] laquelle luy promettoit de faire mourir son mary pour l'espouser, & se rendre de sa religion, s'il voulloit coucher auec elle »956. Le fait qu'une femme propose à haute voix, et plusieurs fois, à un homme de coucher avec elle entre en contradiction avec la croyance selon laquelle la naturelle pudeur féminine l'empêche de faire le premier pas en ce domaine. L'impératrice Eudoxie est dénoncée du fait de sa domination sur son mari, Arcadius. Cette impératrice du IVe siècle « incita son mary Arcadius à forba[n]nir957 ceste langue doree, S. Iea[n] Chrysostome : à cause dequoy elle fut par Innocence [sic] Pape premier de ce nom exco[m]muniee : ce qui luy abbregea finalement sa vie. Et qui plus est Dieu monstra en euidence combien ce glaiue est à craindre : car elle estant trepassee en ceste ce[n]sure & inhumee, son tombeau (ô terrible foudre de l'excommunie !) ne cessa de trembler iusques à tant que son fils le ieune Theodose impetra958 son absolutio[n] du sainct siege Apostolique »959. Si la vie de l'impératrice Eudoxie est assez mal connue, l'histoire a retenu d'elle l'image d'une femme dominatrice qui décida des actes politiques à mener à la place de son mari et élimina les personnes qui la gênaient dans ses ambitions. Elle aurait obtenu l'exil du patriarche de Constantinople et père de l'Église Jean Chrysostome qui avait dénoncé son amour du luxe et sa soif de pouvoir960. Hérodias est aussi présentée comme une femme diabolique, apprenant à sa fille comment danser afin de charmer son mari et d'obtenir la tête de saint Jean961. Enfin, « Brune-haut »962, modèle de la femme orgueilleuse, est blâmée par le franciscain. Cette dernière, princesse wisigothique, est accusée d'avoir « commandité plusieurs meurtres au terme d'une faide qui dura une trentaine d'années et l'opposa à Chilpéric Ier, roi de Neustrie - lequel avait ordonné le meurtre de sa soeur Galswinthe et s'était remarié avec Frédégonde -, puis à Frédégonde qui avait commandité le meurtre de son mari, Sigebert Ier en 575. Après la mort de son fils Childebert, en 595, Brunehaut se trouve régente de toute la Gaule de l'Est et du Sud-Est, au nom de ses deux petits-fils »963. Son caractère autoritaire et le

956Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.466.

957Bannir, expulser, reléguer.

958Impétrer signifie « essayer d'obtenir » ou « obtenir ».

959Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.599.

960Benedicti fait allusion à cette « correction fraternelle » à la page 503 de son ouvrage.

961Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97.

962Ibid., p.261.

963Myriam TSIKOUNAS (dir.), Éternelles coupables : les femmes criminelles de l'Antiquité à nos jours, Paris, Éditions

Autrement, 2008, p.138.

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meurtre de plusieurs membres de sa famille l'isolent de l'aristocratie. En 613, le roi de Neustrie « fait tuer les héritiers et Brunehaut lui est livrée pour subir une mort ignominieuse à Renève, près de Dijon. On raconte que la vieille reine a été promenée sur un chameau avant d'être attachée par les cheveux, un bras et une jambe à un cheval fougueux qui a mis son corps en lambeaux »964. Ce châtiment est infiniment rare, et d'autant plus pour une femme, à cette époque. « Au fil des récits, son portrait s'est enrichi d'attitudes diaboliques qui la présentent comme une femme d'une sensualité démesurée. Son corps mi-nu et sa poitrine abondante évoquent effectivement la luxure. Ainsi se construit une sorte de damnatio memoriae dont le but est de justifier la cruauté du châtiment final »965. Benedicti répète que Dieu punit les orgueilleux. Nous pouvons souligner que, dans le châtiment subi, la nature royale de Brunehaut était mise à l'épreuve : si elle avait réellement été choisie par Dieu, celui-ci lui aurait donné le pouvoir de contrôler la nature et les animaux. Le fait qu'elle ait été emportée par le cheval sans pouvoir l'en empêcher devait montrer à l'assistance que Dieu ne lui était pas favorable.

Au-delà de ces « sorcières domestiques », le XVIe siècle voit une réelle chasse aux démons et trouve dans l'imaginaire lié aux femmes de véritables inquiétudes.

Les sorcières connues dont parle Benedicti sont Circé, Médée et Mégère. Édith Hamilton souligne que, dans la mythologie grecque, « [a]ucun homme et deux femmes seulement sont pourvues de pouvoirs effrayants et surnaturels. Les ensorceleurs démoniaques et les vieilles sorcières hideuses, qui hantaient l'Europe et l'Amérique jusqu'à une époque bien récente, ne jouent aucun rôle dans ces récits. Les deux seules sorcières, Circé et Médée, sont jeunes et d'une beauté ravissante - des enchanteresses et non des créatures horribles »966. Circé est connue comme la sorcière qui transforma les « compagnons d'Vlisses en porceaux »967 grâce à un breuvage magique. Médée est citée lorsque Benedicti dénonce le crime d'infanticide968. « Fille du roi de Colchide, dotée de pouvoirs magiques, elle aide Jason et ses compagnons, les Argonautes à conquérir la toison d'or. Elle suit ensuite Jason à Iolcos puis à Corinthe, où celui-ci décide de la répudier et d'épouser Créuse, la fille du roi. Pour se venger, Médée offre à sa rivale un péplos969 empoisonné qui provoque sa mort et celle de son père, puis elle tue les deux

964Ibid., p.138.

965Ibid.., p.138.

966Édith HAMILTON, La mythologie : ses dieux, ses héros, ses légendes, Alleur, Marabout, 1997 (rééd.), p.12.

967Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.41.

968Ibid., p.109.

969Un péplos est un vêtement féminin formé d'une grande pièce d'étoffe rectangulaire maintenue sur les épaules par deux agrafes,

avec un rabat retombant à l'extérieur.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

fils qu'elle a eus de Jason pour priver celui-ci de toute descendance »970. Enfin, Mégère, une des trois Furies poursuivant les criminels, se trouve associée à Médée dans la dénonciation de l'infanticide bien que rien ne semble expliquer ce choix. Les Furies, aussi appelées Érinyes, n'ont pas de pouvoir magique mais leur apparence physique les désigne comme des femmes extrêmement dangereuses : leurs cheveux sont des serpents, des larmes de sang coulent de leurs yeux, elles ont de grandes ailes et poursuivent les coupables armées de fouets et de torches.

Benedicti dédie un long paragraphe à la sorcellerie dans lequel il accuse « plusieurs Turcs, Iuifs, infideles, heretiques charnels & mondains, & sur tout les sorciers & sorcieres fruits du Caluinisme »971 de s'adonner aux sciences occultes. Le franciscain ne pointe pas particulièrement du doigt les femmes dans son propos sur les sorciers mais les actes qu'il décrit sont tous plus susceptibles d'être exécutés par une femme dans les mentalités de l'époque. La longue liste des « horribles & abominables crimes » commis par les sorciers pour Satan commence ainsi : « Le premier desquels, c'est qu'ils l'adorent comme leur Dieu. Le 2. Ils desauoue[n]t leur Baptesme & lareligion [sic] Chrestie[n]ne, laquelle co[n]tient les hommes en la crainte de Dieu. Le 3. Ils blasphement & contemnent le createur. Le 4. Ils sacrifient au diable »972. Tous ces crimes sont ceux d'une abjuration de foi. Or, selon Jacob Sprenger, auteur d'un célèbre traité de démonologie, « femina vient de fe et minus, car toujours elle a et garde moins de foi »973. De plus, depuis « l'Antiquité, la femme est traditionnellement réputée froide et humide, c'est-à-dire infirme et débile, tandis que l'homme, sec et chaud, incarne la force et la constance »974. La femme, qui n'a pas les capacités physiques suffisantes pour réfléchir, a nécessairement plus de mal à garder foi en Dieu quand un discours séducteur s'offre à elle. La preuve en est avec Ève, qui fut séduite par Satan sous la forme du serpent. De plus, « c'est à partir de la côte d'Adam qu'Ève fut créée. La côte étant un os courbe, l'esprit de la femme ne pouvait être que torve et pervers »975. Tout concourt à se tourner vers la femme quand on cherche un bouc émissaire. Pierre Darmon souligne que la « chasse aux sorcières, qui s'exacerbe entre 1580 et 1630, correspond encore à la grande vague de froid qui s'abat sur l'Europe, aux disettes et à la période de violence engendrée par les guerres de religion, la Réforme et la Contre-Réforme en des temps de souffrance, le diable est aux aguets et le peuple désemparé demande des boucs

970Myriam TSIKOUNAS (dir.), op. cit. [note n°963], p.55.

971Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.

972Ibid., p.46.

973Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.42.

974Ibid., p.40.

975Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.524.

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émissaires. La sorcière fait dès lors figure de coupable idéale, et bien des accusations de sorcellerie recouvrent de simples règlements de comptes »976.

D'autres « horribles & abominables crimes » font pencher les croyances populaires vers l'idée d'une sorcellerie d'origine féminine : « Le 5. Ils luy voüent & dedient leurs propres enfans, les esleuant en l'air apres qu'ils sont nez. Le 6. Ils luy consacrent ceux qui ne sont encores nez. [...] Le 9. Ils tasche[n]t de tuer les petits enfa[n]s des Chrestiens, & de les faire auorter au ventre des meres, deuant le S.Baptesme, au souhait de Satan qui les veut priuer du ciel : co[m]me il les priue du Baptesme. Pour auta[n]t il se faut bien garder que ces vieilles sorcieres sous couleur de sages femmes, n'approchent de la femme accouchee. [...] Le 10. Ils s'efforcent aussi de cuire les petits enfans qu'ils desrobe[n]t deua[n]t le baptesme, afin de les manger »977. Le responsable des enfants en très bas âge à l'époque est la femme. Au milieu de ces généralités asexuées en apparence apparaît l'expression « vieilles sorcieres » qui montre que Benedicti a une image en tête lorsqu'il écrit ce paragraphe. Le stéréotype de la sorcière à l'époque est le suivant : « vieille femme, vivant parfois un peu isolée du reste de sa communauté mais le plus souvent résidant dans celle-ci, où elle est née ; pauvre sans être dans la plus noire misère ; redoutée pour ses pouvoirs, sa mauvaise langue ou ses menaces envers de plus prospères qu'elle, lorsqu'un service lui est refusé ; un peu déviante, au sens sociologique du terme, ne serait-ce que parce qu'elle est veuve, qu'elle s'est mariée plusieurs fois, qu'elle a vu mourir une partie de sa famille, bref qu'elle n'est pas protégée par les puissants liens de solidarité qui permettent une vie "normale" dans une telle société rurale et patriarcale où la sociabilité et l'entraide jouent un rôle fondamental »978. Pierre Darmon souligne néanmoins que « [c]e sont aussi les plus jolies femmes qui sont jetées dans les flammes. Enviées, désirées, génératrices de frustrations, on les accuse d'induire au péché pour plaire au diable. Entre les deux extrêmes, il n'y a pas de nuance. Pour se protéger du bûcher, mieux vaut être une épouse doublée d'une mère quelconque »979. Le fait que les sorcier sont censés promettre « d'induire le plus de gens qu'ils pourront à leur secte damnable »980 penche aussi en faveur de l'image d'une sorcière. En effet, la femme, bavarde mais dissimulatrice, propagatrice de rumeur, est la mieux à même dans l'imaginaire des gens du XVIe siècle de séduire de nouvelles recrues pour le Prince des Ténèbres.

976Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.46.

977Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.

978Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice et société aux 16e et 17e siècles, Paris, Imago, 1987, p.12-13.

979Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.47.

980Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Les actions des sorciers sont décrites ainsi : « Le 11. Ils taschent de tuer les Chrestiens par la poyson que le diable leur baille. Le 12. Ils font mourir le bestiail [sic] par leurs charmes. Le 13. Ils suscitent la gresle, orages, & tempestes par le moyen des diables, Dieu par vn iuste iugement le permetta[n]t. Le 14. Ils enchante[n]t & font mourir les bleds & fruits de la terre, pour induire la femine [sic] au pays, & font croistre des chenilles, hannetons & chate-pelues981, pour ronger les fruits & les arbres »982. Les philtres d'amour sont aussi craints : « Celuy qui s'ayde de charmes, herbes, malefices, à ceste intention [commettre fornication], & cherche deuines, sorcieres, ou malefiques, pour ses maquerelles, offense doublement »983 dit Benedicti. Plus tôt dans le texte, il affirmait que les « femmes, qui bailleront en breuuage aux hommes, ce que ie n'oseroye no[m]mer : c'est pour plus ardemme[n]t se faire aimer d'eux, chose assureme[n]t horrible et perilleuse, peut etre pour faire mourir la perso[n]ne ou la faire enrager »984. Robert Muchembled explique que « [p]our les démonologues du XVIe et du XVIIe siècle, comme pour la plupart de leurs contemporains, les causes de la sorcellerie sont claires : le diable agit en ce monde contre le plan divin d'organisation de l'univers. Il initie des humains à ses mystères, les convoque au sabbat pour se faire rendre un culte secret, nocturne et sulfureux, puis il leur ordonne de faire le plus de mal possible autour d'eux, grâce à des poudres et à des onguents maléfiques qu'il leur délivre à l'issue d'une véritable messe satanique »985. Grâce à ces poudres et à ces onguents, les sorcières se vengeraient de leur position d'infériorité dans la société. Elles deviennent les boucs-émissaires de tout malheur frappant la communauté. Pierre Darmon montre comment les populations du XVIe siècle ont vu les femmes : « Les faibles femmes sont les proies rêvées du diable. Cette faiblesse fait le berceau de leur crédulité, de leur infidélité, de leur violence et de leur malice ou méchanceté. Leur oisiveté les condamne à cette insatiable lascivité qui les place sous la dépendance de Satan »986. De plus, un changement intervient au XVIe siècle dans le regard porté sur la sorcière : « si la tradition populaire croit qu'elle réalise toute sorte de maléfices - le dépècement des enfants ; le recours au sang menstruel dans la préparation des sorts et des "formules magiques" ; l'empoisonnement des eaux et de la terre -, les inquisiteurs la définissent surtout par son pacte secret avec Satan. Dorénavant ce pacte sera scellé par des rapports

981Une chatepelose est une sorte de chenille ou de charançon.

982Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46. 983Ibid., p.157.

984Ibid., p.50-51.

985Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice et société..., op. cit. [note n°978], p.13. 986Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.47.

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charnels, pervers, de soumission, et par une jouissance insatiable des plaisirs de la chair »987.

Benedicti affirme que, parfois, les sorciers « se trouue[n]t bie[n] loin de leur pays, au sabbath, là où ils adorent à la renuerse le gra[n]d diable Satanas, en forme de taureau, ou de bouc, luy faisant l'honneur qui appartient à Dieu »988. Les sorcières commencent à être représentées sur un balai au début du XVIe siècle. Cela peut s'expliquer par le fait que le balai soit un attribut féminin dont le détournement pourrait montrer la dangerosité de la femme, maîtresse de son intérieur. Grâce à sa capacité à voler, elle peut rejoindre le lieu du sabbat à n'importe quel moment de la journée mais c'est bien sûr la nuit qui est privilégiée dans les récits des démonologues. La nuit est diabolisée par les théologiens qui tentent de rechristianiser ou tout simplement de christianiser les masses populaires à la sortie de la querelle entre protestants et catholiques. Ces mêmes théologiens construisent le mythe du sabbat, qu'ils imaginent comme « une liturgie chrétienne à l'envers, qui copie trait pour trait la messe, en affectant chaque élément d'un coefficient négatif, d'une coloration noire et morbide »989. Robert Muchembled explique comment, vers 1550-1570, le décalage entre le monde campagnard des croyances et « le monde des élites chrétiennes apparaît plus nettement qu'auparavant. Le dynamisme missionnaire d'Églises restructurées, réorganisées, conquérantes, amène un heurt brutal, un contact permanent de deux cultures. La culture populaire n'offre à ce choc qu'une énorme force de résistance passive, qui exaspère plus encore les missionnaires protestants et catholiques, conscients de l'importance de leur tâche, puisque le règne de Dieu est proche »990. Afin de conquérir ces esprits superstitieux, les théologiens auraient « utilis[é] la peur du diable pour structurer des mentalités plutôt polythéistes et pour faire émerger la figure unique d'un Dieu terrible »991. Plusieurs raisons peuvent expliquer le fait que 80% des victimes des bûchers aient été des femmes. Elles possèdent premièrement un grand savoir médical : « guérisseuse, concurrente du prêtre dans la religion domestique, elle diffuse aussi la culture populaire aux enfants à une époque où les écoles rurales sont rares »992. De plus, la sorcière serait « une femme vaincue, au temps de l'adaptation à la modernité de la société paysanne traditionnelle, dont elle porte comme guérisseuse, comme mère, comme fille et comme épouse la continuité. Une continuité que veulent interrompre les

987Esther COHEN, Le corps du diable : philosophes et sorcières à la Renaissance, Paris, Éditions Léo Scheer, 2004, p.48.

988Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.

989Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice et société..., op. cit. [note n°978], p.228.

990Ibid., p.48.

991Ibid., p.21.

992Ibid, p.21.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

détenteurs du savoir et du pouvoir, pour agréger à la modernité en marche, à une Europe en expansion, un monde rural trop immobile à leur gré »993. Afin d'évincer en quelque sorte les femmes, les théologiens construisent donc le mythe du sabbat qui est « une catégorie de pensée étrangère aux acteurs paysans de ces drames. Les témoins qui se présentent contre les prétendues sorcières n'en parlent jamais. Quant aux accusés, ils n'en font état qu'en avouant sous la torture et généralement en étant guidés par les questions très précises de leurs juges, lesquels leur fournissent les précisions démonologiques nécessaires pour pouvoir rédiger une sentence de facture classique. Celle-ci contient, on le sait, le rappel de l'initiation diabolique, concrétisée par une marque insensible aux piqûres et par la copulation avec le démon [...] »994.

Benedicti dénonce ces crimes : « Le 15 commette[n]t prodigieuses paillardises comme d'inceste, le fils auec la mere, soeur, parents, &c. Le. 16 Les ho[m]mes sorcières se couplent auec le diable en forme feminine, appellé des Hebrieux Lilith, & les sorcieres auec vn autre en forme d'ho[m]me. Et peut estre que de là vienne[n]t les incubes & succubes, question fort agitee entre les anciens & modernes. Tout cecy ne semblera pas estrange, à ceux qui croyent que Dieu permet beaucoup de choses aux diables & sorciers, pour le peché des ho[m]mes »995. Ainsi, plusieurs formes peuvent être prises par le diable : animale avec le bouc ou le taureau cités plus haut, féminine sous la forme d'une succube et masculine avec les incubes. La sensualité débordante des femmes est utilisée par le diable pour s'unir à elles. Elles peuvent s'accoupler avec un incube, c'est-à-dire un démon mâle, ou avec le diable sous une forme animale. Malgré les descriptions de ces sabbats comme des fêtes orgiaques par les démonologues, les témoignages des sorcières « laissent nettement entendre que ces unions ne sont guère voluptueuses. Le diable se montrerait un amant médiocre, pressé ou mal pourvu, puisque son membre [...] n'est guère plus long, ni plus gros qu'un doigt, moindre, en l'occurrence, que celui des maris. À moins qu'il ne soit, au contraire, énorme, couvert d'écailles, barbelé, dont la pénétration est ressentie douloureusement »996. La présence des succubes « démons femelles se donnant à des hommes, est compliquée. Leur implication peut n'avoir qu'une finalité fonctionnelle. En effet, le diable - dépourvu de sperme - est obligé, s'il veut procréer, d'en emprunter en recueillant celui d'un homme par cette ruse qui consiste à se comporter en femme avec un "donneur" volontaire »997. Lilith est quant à elle un mythe juif qui en fait la première femme d'Adam. Aux deux

993Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice et société..., op. cit. [note n°978], p.24.

994Ibid., p.228.

995Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46. 996Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.86.

997Ibid., p.87.

récits de la création des hommes correspondraient deux femmes. Lilith serait la première femme, créée en même temps qu'Ève. Elle « abandonne son époux parce qu'il se refuse à inverser la "position naturelle" de l'acte sexuel. Lilith insiste pour monter son mari, dans une subversion de l'ordre hiérarchique »998. Elle se transforme en démon et certains récits la montrent prenant la forme d'un serpent pour séduire Ève. Le diable imposerait aussi une marque à ses fidèles, celle-ci étant activement recherchée lors de l'interrogatoire des suspectes. Enfin, il faut souligner que Benedicti affirme dans le passage cité précédemment que c'est Dieu lui-même qui accepte la présence des sorcières puisqu'il « permet beaucoup de choses ». Il est en effet impossible que quelque chose arrive sans le consentement de Dieu et l'existence des sorcières n'est donc peut-être qu'une des manières de tenter les hommes.

Les persécutions subies par les sorcières présumées au XVIe siècle s'accentuent dans un contexte de grande tension religieuse et d'importants changements sociétaux. Tout commence par « une rumeur concernant généralement une vieille paysanne. Une information voit défiler des témoins qui précisent les accusations. Alors s'ouvre le procès proprement dit : interrogatoire du suspect, récolement et confrontation des témoins, torture et aveux, sentence et exécution publique du suppôt de Satan. Puis, sur la base des déclarations de ce dernier, d'autres suspects sont mis en accusation et les bûchers s'allument à nouveau »999. En dehors des femmes âgées détentrices des savoirs ancestraux, une autre catégorie est susceptible d'être l'objet de graves accusations : les huguenotes.

Accusées par Benedicti de faire légion parmi les sorcières1000, les huguenotes ont une place particulière au sein de la société du XVIe siècle. Le franciscain distingue clairement deux catégories de femmes : celles qui sont catholiques mais mariées à un huguenot et celles qui ont adhéré à la religion de leur conjoint. Les deuxièmes seulement sont dénoncées par Benedicti. Il s'exclame contre les « belles Huguenottes » qui portent « en Geneue les medailles, pourtraits & images de Caluin, voire bien cherement entre leurs ma[m]melles. Il est bie[n] vray que c'est pour leur rafraichir la douce memoire de leur bie[n] aimé Patriarche, preferé par elles à la Royne des cieux, aussi bien que fut Barrabas à Iesus Christ »1001. Benedicti essaie de montrer ici l'hypocrisie des protestantes. Il affirme que malgré le rejet des images de culte par la doctrine calviniste,

998Esther COHEN, op. cit. [note n°987], p.66.

999Robert MUCHEMBLED, La sorcière au village (XVe-XVIIIe siècle), Paris, Éditions Julliard / Gallimard, 1979 (coll. Archives),

p.86.

1000Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.

1001Ibid., p.50.

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les huguenotes portent sur elles des images de Calvin qu'elles semblent honorer comme un dieu plutôt que comme un simple théologien. Le fait qu'elles portent ces images dans le creux de leur poitrine introduit une dimension sexuelle dans cette pratique. Les calvinistes accordent une importance bien moindre à la figure de Marie que les catholiques. Benedicti accuse d'iniquité les huguenotes qui préfèrent Calvin, simple mortel, à Marie, mère de Dieu qui est montée au ciel. Il compare cette situation à un épisode biblique durant lequel Ponce Pilate, pouvant libérer un prisonnier selon son libre désir, demande à la foule de faire un choix : la libération de Jésus ou bien la libération de Barabbas, possible criminel accusé d'avoir participé à une révolte dans la ville. La foule choisit alors de libérer le criminel. Les huguenotes sont aussi accusées d'avoir « imposé aux prestres & confesseurs mille farfanteries1002 [sic] & impostures, qui sont aussi bien veritables que celles de la femme de Putiphar contre Ioseph »1003. Joseph fut injustement emprisonné suite à l'accusation lancée contre lui par la femme de Putiphar. Les huguenotes tenteraient de même de séduire les prêtres afin peut-être de mieux les attirer à leur religion. En effet, les pasteurs protestants peuvent se marier. Tous les huguenots peuvent aussi divorcer sous certaines conditions. Benedicti dénonce ces mesures et accuse indirectement les huguenotes de pratiquer la polygamie. « Et par ce moyen voilà comme vne femme en moins de trois ans pourra auoir pleusieurs [sic] marys tous viua[n]s : chose maudite à tous les siecles passez »1004 s'exclame-t-il.

Pour ce qui est des femmes catholiques qui doivent vivre aux côtés d'un huguenot, Benedicti fait preuve d'une grande clémence. Il affirme que ne sont pas obligés d'aller se confesser « [c]eux qui sont en danger de perdre la vie, les biens, l'honneur, ou encourir quelqu'autre grand danger comme ceux qui habite[n]t entre les infideles & heretiques. En quoy aucunesfois les femmes de ceux qui sont Huguenots pourroient estre excusees, si elles ne se confessent tousiours à Pasques, quand leurs maris les batte[n]t, frappent & persecutent pour ce regard : car le commandeme[n]t de l'eglise n'oblige pas la personne au danger de sa vie, de son desho[n]neur, comme i'ay escrit par cy deua[n]t. Il est bien vray qu'elles doiuent tousiours auoir ceste bonne intention de satisfaire au commandement de l'Eglise à la premiere commodité, & ce pendant demander dispense aux superieurs s'il [sic] elles peuue[n]t aussi faire separation d'auec leurs maris, quand ils les empeschent de faire leur salut »1005. La femme qui vit avec un huguenot est donc une des seules à pouvoir demander le divorce auprès des

1002Forfanterie : caractère d'une personne qui se montre impudemment vantarde.

1003Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.224. 1004Ibid., p.126.

1005Ibid., p.218.

autorités catholiques. Elle n'est pas tenue de respecter les grandes obligations religieuses telles aller à la messe ou se confesser à Pâques. Néanmoins, « la femme Catholique, qui vit & couche auec son mary Huguenot » peut « demeurer, seruir & obeyr » s'il ne l'empêche pas « de suyure leur religion, autreme[n]t en tel cas il le faudroit quitter : car il faut plustost obeyr à Dieu qu'aux hommes »1006. Benedicti adopte une position plutôt souple car beaucoup de catholiques n'acceptent pas la fréquentation des « hérétiques ».

En conclusion, nous pouvons dire que les femmes en dehors de l'Église apparaissent comme plus dangereuses que les hommes dans la même situation car leur pouvoir de séduction pourrait leur permettre d'attirer d'autres personnes à elles. C'est pourquoi les sorcières doivent être brûlées. Les femmes qui ont un mauvais comportement ou cherchent à renverser la hiérarchie acceptée sont montrées du doigt tandis que les femmes de huguenots devraient chercher à rentrer dans le rang si elles ne veulent pas être dénoncées comme huguenotes.

LA RELIGIEUSE, UNE FEMME DANS L'ÉGLISE.

Après avoir abordé la question des femmes qui semblent « hors de l'Église », nous allons nous pencher sur le discours que porte Benedicti sur les religieuses, femmes à qui est donné un rôle, fut-il minime, au sein de l'Église. Le franciscain leur montre la voie qu'elles doivent suivre en s'appuyant sur les décisions du concile de Trente à leur sujet. Il affirme notamment son désir de ne voir que des vocations volontaires et non forcées. Benedicti tient de plus à bien circonscrire la place des femmes au sein de l'Église et se montre particulièrement inquiet du respect de leur voeu de chasteté.

Durant de nombreuses années, le placement des filles dans des couvents fut le fruit non pas d'une piété particulière chez ces jeunes personnes mais de calculs à la fois politiques, matrimoniaux et financiers. De nombreuses femmes restent célibataires en France au XVIe siècle. Que faire d'elles ? En France, « les couvents continuaient d'exercer la fonction d'établissements de tranquillité sociale, spécialement au service de l'élite urbaine. L'union avec le Christ nécessitait une dot sensiblement moins élevée qu'un mariage profane et le père de la "mariée" avait son mot à dire dans la gestion de la maison où sa fille faisait son entrée »1007. Guy Bechtel souligne que les abus dont sont

1006Ibid., p.602.

1007 Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.191.

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accusés les couvents ou les monastères1008 sont dus à ces vocations forcées que les filles subissent plus qu'elles épousent. Ces abus sont divers : non observance de la règle, de la morale et de la clôture, différences de mode de vie selon la fortune personnelle de la religieuse, enfants à la tête de grands monastères etc. Les religieuses fortunées « conservaient d'étroites relations avec leurs parents, elles disposaient de cellules confortablement aménagées qu'elles léguaient par la suite à un membre de leur famille. Elles y vivaient selon leur rang, souvent en compagnie d'une jeune soeur ou d'une nièce prise comme élève, et les veuves pouvaient même avoir une fille auprès d'elles. Elles prenaient leurs repas à part, possédaient leur propre poulailler, leur potager, et écrasaient leurs congénères pauvres de leur luxe »1009. Le concile de Trente tente de mettre un terme à ces abus. Guy Bechtel remarque que les religieux de l'époque avaient « parfaitement compris que leur tiédeur et leur laisser-aller provenaient d'abord et avant tout de leur peu de vocation »1010. Benedicti énonce quant à lui : « Et à ce propos voyez l'ordonnance de l'Eglise donnee au sainict [sic] Concile, lequel excommunie tous ceux & celles de quelque co[n]dition qu'ils soient clers [sic] ou lays, reguliers ou seculiers, qui en aucune maniere co[n]traignent vne fille, vesue [sic] ou autre femme entrer contre son gré en religion, & faire professio[n] en icelle, hors-mis les filles repe[n]ties 1011, qu'o[n] appelle, & autres femmes coulpables exprimees au droit. Et à l'opposite excommunie aussi ceux qui empeschent aucune fille ou femme, de vouer continence ou d'entrer en religion, laquelle censure s'estend aussi sur ceux qui prestent ayde, conseil & faueur à les y co[n]treindre ou empescher »1012. Benedicti se montre au fait de la situation dans certaines familles quand il dit à propos des parents que ceux qui contraignent leurs enfants « par force, menaces, circonuentio[n]s1013, tromperies ou autres voyes illicites d'entrer en religion, pechent de mesme. C'est vn abus qui se trouue quelquesfois entre les gentils ho[m]mes, pour faire leurs maisons grandes, & laisser tout au fils aisné, de mettre leurs fils & filles és monasteres : ce que i'ay veu estre plus vsité en Italie, Espagne & Portugal, que non pas en France. De là vie[n]t qu'au lieu de prier Dieu pour leurs peres & meres, bie[n] souuent ils les maudissent »1014. En effet, une des missions de ces femmes placées au couvent était de prier « tous les jours pour le salut de leurs

1008Le couvent accueille, tout comme le monastère, une communauté de religieuses ou de religieux. Si les deux établissements

suivent une règle définie, le couvent est plus ouvert sur le monde.

1009Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.192.

1010Guy BECHTEL, Les quatre femmes de Dieu : la putain, la sorcière, la sainte & Bécassine, Paris, Plon, 2000, p.199.

1011On appelait « fille repentie » une fille qui, après avoir vécu dans le tumulte du monde, venait se retirer ou était placée dans un

établissement pour faire pénitence.

1012Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.74.

1013Une circonvention est une tromperie avec artifice.

1014Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.96.

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parents et de leur ville »1015. C'est pourquoi ces établissements avaient une place de choix au sein de la cité et que les pouvoirs locaux leur accordaient des exemptions d'impôts et des privilèges multiples.

Benedicti explique comment les familles aisées, afin de concentrer leurs chances pour un mariage haut placé, mettaient leurs enfants au couvent. L'aîné pouvait ainsi bénéficier d'une dot importante qui augmentait ses chances pour un bon mariage. Les cadets devaient servir aux desseins de l'aîné, notamment en choisissant une vie hors du monde. Les hommes assurant la passation du nom et du titre, les filles étaient d'autant plus susceptibles d'être reléguées de force dans un établissement religieux. Benedicti prononce l'excommunication « contre ceux ou celles soient religieux ou seculiers qui prennent ou baillent, qui font paction ou marché pour receuoir quelque nouice en religio[n], outre la pension ordinaire. Si c'est vne fille, on peut bien librement offrir quelque chose, mais non pas par conuention, & la receuoir aussi, mais non pas par acception de personne, comme preferant vne nouice insuffisante à vne plus digne »1016. En effet, « l'usage de réclamer une dot se multiplia à partir du XVIe siècle »1017. Puisque les couvents étaient connus de tous comme des établissements permettant d'éviter aux parents de marier leurs enfants, les filles, futures « épouses du Christ », recevaient en moyenne cinq à six milles livres « soit l'équivalent de dix ans d'un salaire d'ouvrier agricole »1018, pour entrer dans les ordres. Il faut souligner que cette pratique s'appliquait uniquement pour les femmes tout comme le fait de sélectionner les postulantes, autre pratique non conforme aux préceptes bibliques, dénoncée par Benedicti dans ce même passage. Guy Bechtel explique que du fait de l'abondance de filles offertes à l'Église, celle-ci « refusa les malades, les infirmes, les enfants sans père »1019. Les filles entrent ordinairement au couvent à l'âge de douze ans. Le concile de Trente relève l'âge auquel elles peuvent faire leur profession de foi à seize ans. Nous rappelons ici que les décrets du concile de Trente n'ont pas été reçus en France bien qu'ils aient été appliqués par certains évêques dans leurs diocèses. Néanmoins, l'ordonnance de Blois de 1579 s'aligne sur cette décision du concile de Trente, prise « au cours de sa dernière session dans le décret sur les réguliers et les moniales qui exigea (canon XV) au moins un an de noviciat au préalable »1020. Marie-Élisabeth Henneau décrit l'entrée de la novice dans le couvent : « La cérémonie de la vêture ou de la prise d'habit consacre l'entrée au noviciat. Le corps

1015Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.192.

1016Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.606.

1017Guy BECHTEL, Les quatre femmes de Dieu..., op. cit. [note n°1010], p.200.

1018Ibid., p.200.

1019Ibid., p.200.

1020Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Voeux de religion ».

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de la jeune fille, d'abord paré d'un habit de noce, est dépouillé, à l'abri des regards, puis revêtu des "livrées de la pénitence", qui en dissimulent les formes et en transcendent les attraits. L'événement suscite généralement une grande émotion, d'autant qu'aux épousailles succède une mise au tombeau1021. [...] Le noviciat est un temps d'épreuve pour la future religieuse, ainsi engagée dans un long processus de conversion. Tel une "cire molle" entre les mains de leurs accompagnatrices, le corps des débutantes doit s'adapter aux nécessités de la vie religieuse. Le port de l'habit avec lequel elles doivent se familiariser participe à sa mise en forme à des fins régulières et liturgiques. Le voile des novices, souvent blanc, manifeste leur consécration au Christ, en même temps qu'il protège des regards indiscrets et réduit le champ visuel. L'ampleur de la robe masque désormais, des pieds à l'encolure, les caractéristiques du corps féminin. Le plissé du tissu accompagne et amplifie tous les gestes posés en l'honneur de Dieu. Le tout ne laisse qu'une infime surface de peau découverte »1022.

Une fois entrée dans le couvent, la jeune novice va s'initier à la liturgie et à la règle de l'ordre dans lequel elle passera peut-être le reste de ses jours. Une petite cellule froide sera sa chambre. Les journées se passent en silence et sont entrecoupées par les offices : « [a]u lever, on court d'habitude à celui de laudes, puis de prime, tierce et sexte le matin. L'après-midi voit les filles réunies pour nones, puis vêpres vers 15 heures, et pour complies en fin de journée. Le reste du temps, il est proposé plus de travail, variable selon les établissements, que de distraction ou d'éducation »1023. La nourriture est maigre d'autant plus qu'il « existait de nombreux couvents, surtout en milieu rural, où régnait la pire des misères »1024. Certains couvents, qui vivaient d'aumônes, se révoltent contre la clôture, réimposée avec force par le concile de Trente. Voici ce que dit Benedicti à ce sujet : « les moniales & religieuses qui sortent hors de leurs cloistres & monasteres sans permission, encores que ce soit pour peu de temps sous couleur quelconque, sont excommuniez comme infractrices de leurs voeu de closture : auquel elles ne sont pas moins obligées, qu'au veu [sic] de chasteté. Au parauant l'Euesque ou le Prelat pouuoit donner congé à vne Religieuse de sortir, quand il y auoit cause raisonnable, mais depuis le mesme Pape Pie cinquieme a reserué ceste puissance au S. Siege Apostolique, excommuniant toutes Abbesses & Religieuses qui sorte[n]t de leur cloistre, sous pretexte de quelque maladie, ou necessité que soit, sinon en ces trois

1021Cette expression peut faire référence à la mise au tombeau du Christ (Marc 15, 42-47 et Jean 19, 38-42), moment où ce dernier est placé dans une grotte creusée à même la roche et fermée par une pierre. L'entrée au couvent peut ressembler à une fermeture au monde du même ordre.

1022Marie-Élisabeth HENNEAU, « Corps sous le voile à l'époque moderne », p.59-100 dans Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN (dir.), op. cit. [note n°568], p.64-65.

1023Guy BECHTEL, Les quatre femmes de Dieu..., op. cit. [note n°1010], p.204.

1024Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.192.

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poincts. Le premier, est le feu. Le deuxieme, la peste. Le troisieme, la lepre. Il excommunie aussi tous ceux qui attentent de leur bailler licence, & ceux qui les accompagnent, & ceux qui les reçoyuent. Outre ces trois cas, il n'en voulut iamais dispe[n]ser auec Religieuse quelconque, de quelque sang qu'elle fust. Et mesme vne fois ayant esté instamment supplié par grands Seigneurs qu'il permist à vne certaine dame Religieuse de Naples, d'aller vn peu aux baings pour recouurer santé d'vne grosse maladie, il n'y voulut iamais ente[n]dre : adioustant qu'il luy estoit bien plus profitable de mourir ainsi, auec la grace de son espoux Iesus Christ, que de violer le sainct voeu de closture. Or regardez vous autres Dames, Abbesses, Prieures & Religieuses de France, la responce d'vn vicaire de vostre espoux Iesus Christ »1025. Cette dernière phrase montre la tension sous-jacente qui existe entre les réformateurs et les couvents de femmes.

À seize ans, les jeunes novices deviennent des religieuses à part entière après la cérémonie de la profession de foi. La pression familiale était toujours importante et peu de jeunes filles osaient s'opposer aux décisions de leurs parents. Guy Bechtel signale que, « conformément aux prescriptions du concile de Trente qui accordait cinq ans aux jeunes filles pour revenir sur leurs voeux, [quelques religieuses] furent, si l'on ose dire, relâchées. Le cas fut rare. En effet, celles qui avaient été placées au couvent par leur famille ne savaient que devenir, une fois rendues à la vie séculière, sans métier monnayable et sans secours d'un entourage qui, naturellement, ne voulait pas les reprendre. Un échec au couvent signifiait un déshonneur familial. Aux velléités de se retirer, la supérieure liée aux familles opposait une question terrible : pour quel avenir ? »1026. Les autres s'engageaient à suivre, à vie, les voeux solennels formulés lors de leur profession religieuse : pauvreté, chasteté et obéissance. Benedicti définit quels étaient les droits et les devoirs des religieuses de son siècle.

Les « religieuses, qui à leur escient delaissent leurs matines, heures canoniales & diuin seruice, pechent mortellement »1027 affirme-t-il. Les matines font partie de ces heures canoniales, qui sont des temps de prière organisés en dehors du temps imparti à la messe, le divin service. Les heures canoniales comptent sept temps forts : les matines au milieu de la nuit, les laudes à l'aurore, prime à la première heure du jour, tierce à la troisième heure du jour, sexte à la sixième heure du jour, none à la neuvième heure du jour, vêpres le soir et enfin complies avant de se coucher. Les religieuses sont invitées à se recueillir dans la prière en permanence. Si elles sont tenues d'assister au divin service,

1025Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.607. 1026Guy BECHTEL, Les quatre femmes de Dieu..., op. cit. [note n°1010], p.208.

1027Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.85.

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elles ne peuvent en aucun cas y être impliquées de manière active. Benedicti dit à ce sujet : « qui celebre Messe sans seruiteur, ou permet qu'vne femme luy respo[n]de à la Messe [pèche]. Ie ne sçay d'où est venue ceste coustume en Flandres, que les religieuses seruent au prestre à la messe, comme ie l'ay veu moymesme : cela est contre les Rubriques »1028. Les Rubriques sont les règles qui président à l'office divin. Elles interdisent à une femme de prendre part de façon active à cet office. De même, les femmes ne peuvent être ordonnées prêtres. Voici ce que dit Benedicti à ce sujet : « Que les Euesques, Roys, Princes & autres Collateurs, qui confere[n]t les dignitez à gens du tout incapables, & qui pis est à des femmes, voire mesme à des Heretiques, regardent co[m]bien leur conscience est blessee, & comme ils pourro[n]t satisfaire & reparer les maux spirituels & corporels dont ils sont cause »1029. Du fait de leur infériorité supposée, les femmes catholiques se sont jusqu'à aujourd'hui vues refuser le droit d'être ordonnées. Cet argument est même utilisé pour dénoncer les huguenots français « qui ont attribué l'ordre de prestrise, & l'authorité de lier & deslier aussi bie[n] aux gens lays, & mesme aux femmes, qu'à ceux qui sont co[n]sacrez par l'impositio[n] des mains »1030. Cela est à relativiser car si les femmes ont pu obtenir une certaine liberté au début du mouvement protestant, elles ont très vite été priées de reprendre leurs activités traditionnelles. Dans la religion catholique, les femmes, même celles qui ont choisi de vivre au plus près des préceptes divins, ne peuvent délivrer les sacrements ni prendre une décision importante d'elles-mêmes. Ainsi, si les religieuses, comme les religieux, « ne peuuent vouer aucune chose sans le congé tacite ou expres de leur prelat, autrement ils offensent »1031, Benedicti insiste sur le fait que les femmes doivent rester d'autant plus discrètes dans les affaires de religion qu'elles appartiennent au sexe faible. Il affirme : « Quant aux femmes Abbesses & Prieures, tous demeurent d'accord, qu'elles ne peuuent ne excommunier ne absoudre d'aucune excommunie : attendu que la femme estant selon l'escriture en estat de subiection, elle ne peut auoir aucune iurisdiction ne la puissance des clefs, donnee non pas mesmes à la vierge Marie, ains aux Apostres. Elles peuuent toutesfois bie[n] corriger leurs subiettes, ce qui leur est permis pour le danger qu'il y auroit si les hommes conuersoient auec elles »1032. Aussi, même les grandes figures à la tête des couvents ne peuvent accorder l'absolution, n'ont la puissance d'ouvrir les portes du Paradis car elles n'en possèdent pas les clefs. Néanmoins, elles peuvent corriger leurs sujettes, non pas qu'elles soient aptes à le faire mais du fait que ces dernières semblent

1028Ibid., p.426. 1029Ibid., p.690. 1030Ibid., p.566. 1031Ibid., p.70. 1032Ibid., p.223.

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être de dangereuses tentatrices pour leurs homologues masculins. Les femmes peuvent aussi entendre en confession des hommes dans certaines situations extrêmes : « Il y a mesme vn Docteur qui tient qu'en defaut d'vn homme lay, [un homme] se pourroit accuser à vne femme. Et vn autre dit, que le meilleur seroit en tel laccident [sic] que les hommes se confessassent aux hommes, & les femmes aux femmes, si elles pouuoient receuoir autant de co[n]seil & exhortation entre elles comme des hommes lays »1033. Un homme, même laïc, apparaît toujours préférable à une femme, même religieuse mais Benedicti n'exclut pas totalement cette possibilité. Aussi, la confession peut être faite à une femme si le confessé estime qu'il est à l'article de la mort.

La confession et la communion sont des temps essentiels de la vie des religieuses. Le concile de Trente a organisé ces temps dans le « Décret de réformation touchant les réguliers et les religieuses » en décembre 1563. Il y est écrit qu'elles doivent « se confesser et recevoir la Sainte Eucharistie au moins tous les mois, afin que, munies de cette sauvegarde salutaire, elles puissent surmonter courageusement toutes les attaques du démon. Outre le confesseur ordinaire, l'évêque ou les autres supérieurs, en présenteront deux ou trois fois l'an un autre extraordinaire, pour entendre les confessions de toutes les religieuses »1034. Les femmes semblent ici avoir particulièrement à craindre le diable. Benedicti, dans sa relation de ce canon, est plus métaphorique et précis à propos de la communion des religieuses sous l'espèce du pain : « selon l'ordonnance du Concile de Trente il s'entend aussi des nonnes & religieuses, lesquelles doyue[n]t deuoteme[n]t de mois en mois receuoir leur Createur, afin de se munir, fortifier & armer co[n]tre les assaux & incursions du serpent tortueux Satanas, qui est leur ennemy mortel, comme il a esté de leur mere Eue »1035. Parce qu'elles sont susceptibles d'être plus souvent tentées, les religieuses devaient s'assurer une protection par la communion fréquente. Si les laïcs du XVIe siècle communient au minimum une fois par an, à Pâques, les religieuses sont invitées à communier tous les mois. La pratique de la confession est plus complexe chez les femmes que chez les hommes. C'est peut-être pourquoi Benedicti affirme à propos de la contrition que « les religieux & religieuses, & autres qui sont en estat de perfection doiuent plus souuent procurer ceste contrition que non pas les seculiers, & ceux qui sont au monde : & ce à raison de leur reigle & statuts. Et non seulement ils se doiuent repentir, ains aussi se confesser à tout le moins deux fois la sepmaine [sic], & les religieuses vne ou deux fois le mois, & receuoir la

1033Ibid., p.223.

1034Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.219-220.

1035Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.232.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

communion »1036. La communion est normalement précédée de la confession puisqu'on ne peut accueillir le corps du Christ qu'en étant lavé de ses péchés. Néanmoins, la confession est délicate dans les couvents de femmes car ces dernières ne peuvent se confesser qu'à un homme. C'est donc à un religieux du même ordre qu'incombait la tâche de confesser toutes les religieuses d'un couvent chaque fois qu'une communion s'annonçait. Or, le contact avec des femmes, quelles qu'elles soient, est estimé dangereux. De plus, les femmes sont réputées bavardes, comme nous l'avons vu précédemment, et les religieuses sont accusées de passer trop de temps au confessionnal. Marcel Bernos souligne que « [c]ette mauvaise habitude est assez généralement reprochée à toutes les femmes, mais elle prend chez des cloîtrées des aspects spécifiques »1037. Il semble que ce soit à cause « de ce temps perdu et du risque d'attache affective que la confession des femmes, fussent-elles des religieuses, et plus encore leur direction spirituelle n'ont jamais enthousiasmé les religieux des branches masculines correspondantes »1038. Cela peut peut-être expliquer pourquoi les religieux doivent se confesser et communier plus fréquemment que les religieuses, pourtant plus susceptibles de pécher selon les croyances de l'époque. Le sacrement de confirmation n'est quant à lui pas discuté pour les religieuses comme pour les femmes. Cette onction de chrême1039 faite par l'évêque est un complément du baptême que les fidèles peuvent recevoir une fois qu'ils ont atteint l'âge de raison qui est lui-même fluctuant selon les époques. « Et les femmes peuuent-elles receuoir ce sacrement ? Ouy, aussi bien que les hommes. Ne s'est il pas trouué des femmes, voire filles & pucelles qui se sont mo[n]strees valeureuses guerrieres contre le serpent tortueux, & la puissance des tyrans ? Et d'où procedoit cela, sinon qu'elles estoient confirmees en la foy par le moyen de ce sacrement ? »1040, se demande Benedicti. Ici, une certaine estime est montrée envers les femmes courageuses, mais ce courage ne peut provenir d'elles-mêmes sinon d'un sacrement catholique.

Les religieuses ont un statut à part dans les discours de Benedicti. Ainsi sont protégées « toutes religieuses & nonnains, professes, nouices ou conuerses1041, tellement

1036Ibid, p.631.

1037Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.223.

1038Ibid., p.224.

1039Le chrême est un mélange d'huile d'olive et de parfum appliqué sur une ou plusieurs parties du corps des fidèles catholiques

lors de la cérémonie du baptême, de la confirmation et de l'ordination.

1040Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.394.

1041La « professe » a prononcé les voeux par lesquels elle s'engage dans un ordre religieux. La novice n'a pas encore prononcé ses

voeux tandis que la converse est une personne qui adopte un style de vie religieux sans jamais prononcer de voeux. La converse

aide au monastère dans les tâches domestiques et effectue divers travaux.

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que quiconque les frappe, il est excommunié »1042. Les religieuses restent cependant des femmes, même sous le voile. De nombreuses occurrences révèlent donc dans le discours de Benedicti que ce dernier s'inquiète non pas tant du respect du voeu d'obéissance ou de pauvreté mais surtout de celui de chasteté. Benedicti explique « que celle qui auroit esté connue, soit deuant ou apres la consecration1043, soit publiquement ou en secret, se doit abstenir d'exercer les offices du monastere, qui appartiennent aux moniales qui sont vierges, sinon qu'autrement elle fust dispensee pour les exercer. Or de ce point il en a esté touché en la matiere du sacrilege, science qui ne doit estre ignoree de ceux qui sont Confesseurs des nonnains : ce que i'ay bie[n] voulu repliquer encores plus amplement pour donner à connoistre aux Dames religieuses (Dames ie les appelle, puis qu'elles sont mariees au fils de Dieu & de la vierge, de laquelle elles sont belles filles : dignité non pareille) en quelle purité elles doiuent receuoir le voile sacré de religion »1044. Les religieuses sont donc considérées comme les « épouses du Christ » et cet honneur leur impose une ligne de conduite stricte. C'est pourquoi Benedicti leur interdit d'officier dans des monastères si elles ont perdu leur chasteté. Au paragraphe traitant du sacrilège, le franciscain détaille en effet les divers cas où les religieuses sont en danger de céder au péché de luxure. Si le péché de sacrilège peut aussi bien être commis par un religieux que par une religieuse, c'est essentiellement de ces dernières dont il est question. Benedicti rappelle que le mariage avec une religieuse est strictement interdit dans la religion catholique. Il en profite pour dénoncer sans appel les huguenots qui auraient « esté les premiers, qui apres auoir ietté le froc és orties, espouserent des nonnains pour engendrer des enfans de fornication »1045. Le franciscain raconte l'histoire « de saincte Clere de Geneue, laquelle (co[m]me m'ont recité les mesmes religieuses, qui esta[n]t chassees de la ville à lors [sic] prinse des heretiques, vindrent [sic] demeurer à Nisy en Sauoye) aima mieux se marier à vn moyne renié, que de suiure ses co[m]pagnes & perdre la douceur de sa patrie : mais la fille de perdition qu'elle estoit, receut bonne reco[m]pense de sa desloyauté, car son faux mary desfroqué par apres l'escorcha toute viue, & fut le bourreau de la iustice diuine »1046. Nous n'avons pas pu trouver de description plus précise à propos de ce fait divers que relate Benedicti. Néanmoins, il apparaît de suite étonnant qu'il qualifie cette femme de « saincte ». En effet, bien qu'elle ait subi ce qui ressemble à un martyre dans la religion catholique, elle est accusée de divers péchés : elle a renié sa foi et commis un sacrilège en forniquant avec un homme

1042Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.605. 1043La consécration est la cérémonie durant laquelle la religieuse se voue au service de Dieu. 1044Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.144. 1045Ibid., p.138.

1046Ibid., p.138-139.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

qui avait fait voeu de chasteté. Le qualificatif pourrait donc renvoyer à une note ironique de l'auteur.

Afin de protéger la chasteté des religieuses, Benedicti préconise une stricte clôture. Marie-Élisabeth Henneau explique que « [d]epuis longtemps, les ecclésiastiques ont imaginé quantité de dispositifs destinés à protéger l'intégrité des religieuses : murailles, grilles et volets clos, bien sûr, mais aussi trame serrée des rideaux et des voiles, opacité des paupières baissées et maîtrise totale du comportement, en vue d'un parfait retrait du monde. Il n'empêche que régulièrement les yeux, comme les portes, s'entrouvrent »1047. C'est pourquoi, Benedicti rappelle que « pour obuier à ces sacrileges, l'Eglise a prohibé sur peine d'excommunie à toutes personnes d'entrer és monasteres de religieuses, & aux religieuses d'e[n] sortir»1048. Si ces diverses précautions sont prises, c'est pour éviter quelque grand péché. En effet le franciscain explique que « l'acte charnel commis auec vne religieuse, pourroit comprendre en soy toutes les cinq especes de luxure. Exemple. Celuy qui abuse d'vne no[n]nain, il commet premierement sacrilege : secondement adultere, aya[n]t à faire auec l'espouse d'autruy, c'est à dire, auec celle qui est espousee à Iesus Christ : tiercement inceste, car il pourra estre que telle religieuse sera sa parente, & aussi est elle sera pare[n]te spirituelle, esta[n]t mariee au fils de Dieu, qui est nostre frere, voire Seigneur & pere commun de tous : quarteme[n]t il commet stupre, car il deflore vne vierge : quintement, il commet rapt, s'il la prend par force »1049. Le « peché d'inceste, quand on a eu affaire auec son sang, ou auec vne religieuse & nonnain »1050 fait partie des cas réservés à l'évêque c'est-à-dire que seul ce dernier peut décider de la pénitence à accomplir pour racheter ce péché ou de l'excommunication du ou des pécheurs. De même, « ceux qui attentent de contracter mariage auec vne religieuse »1051 devront en répondre devant leur évêque. Néanmoins, Benedicti explique que cette pratique peut avoir lieu grâce à une dispense du pape « quand la necessité le requert [sic], comme pour euiter la guerre entre les Royaumes, entretenir la paix entre les Pri[n]ces : pour establir l'estat d'vn Royaume, afin qu'il ne defaille de legitime heritier : & que c'est pour vn plus grand bien, soit public ou priué, & aussi pour euiter vn plus grand mal, ou autres raisons pertinentes & legitimes »1052. Benedicti loue le dévouement de telles personnes qui se marient, préférant le salut d'un Royaume plutôt que le leur avant d'expliquer que « Celestin Pape 3. dispensa auec

1047Marie-Élisabeth HENNEAU, « Corps sous le voile à l'époque moderne », p.59-100 dans Cathy McCLIVE (dir.), Nicole

PELLEGRIN (dir.), op. cit. [note n°568], p.87.

1048Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.139.

1049Ibid., p.139.

1050Ibid., p.589.

1051Ibid., p.589.

1052Ibid., p.77.

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Consta[n]ce religieuse fille de Roger Roy d'Espagne, pour estre mariee auec Henry 6.Empereur »1053. Constance de Hauteville, fille de Roger II de Sicile et de Béatrice de Rethel fut en effet mariée à Henri de Hohenstaufen, futur Henri VI, en 1186 alors qu'elle était âgée de 32 ans. Nous n'avons pas trouvé de mention précise du fait qu'elle était religieuse auparavant mais la coutume à l'époque était effectivement de placer les jeunes filles au couvent et de les en sortir au moment de leur mariage. L'âge de Constance de Hauteville au moment de son mariage peut laisser penser qu'elle avait déjà prononcé ses voeux solennels.

Un point qui inquiète Benedicti est la prise du voile de virginité par des femmes qui l'ont perdue. « La religieuse, qui sans dispense ou sans tres necessaire & urge[n]te cause presume de prendre le voile sacré, ayant perdu sa virginité, peche : car puis qu'elle n'est pucelle, elle ne doit estre voilee comme vierge. Il est bien vray que pour euiter le scandale & ne descouurir point son peché secret, celuy qui la consacre, s'il en est aduerty peut changer les mots de vierge aux mots de continence ou chaste. Et aussi ce peut dire le mesme de celle qui seroit maculee par quelque maniere que ce soit : car ayant par ceste pollution volontaire perdu sa virginité, elle ne doit point estre consacree comme vierge »1054. Toute « souillure » sexuelle semble être un crime aux yeux du franciscain qui veut que les femmes consacrées à Jésus soient les plus pures possible. Toute forme d'attouchement sur soi-même est prohibée : les religieuses ne devraient rien connaître de leur corps et l'avoir pour ainsi dire en horreur. Néanmoins, Benedicti admet que « celle, qui auroit esté violee par force, & contre sa volonté »1055 peut recevoir une dispense afin de devenir religieuse. En effet, la faute n'est pas ici de son fait, à l'inverse de la masturbation. De plus, il insiste à nouveau sur l'importance de l'honneur de la personne, qui lui indique de prendre le voile afin de le sauvegarder.

Le modèle de pureté religieuse évoqué par Benedicti pourrait être sainte Catherine de Sienne dont nous allons donner ici une courte biographie. Le franciscain donne à son propos deux descriptions : elle ne pouvait « endurer la puanteur des pecheurs & pecheresses parlans & co[n]uersans »1056 avec elle et elle faisait partie des personnes qui ont pu « atteindre le sentier de vertu, qui co[n]duit les hommes aux astres »1057 en fuyant le sommeil. Catherine est née le dimanche des Rameaux, 25 mars 1347 à Sienne. Son père était un artisan réputé et sa mère, Lapa, « était considérée

1053Ibid., p.77-78. 1054Ibid., p.140. 1055Ibid., p.143. 1056Ibid., p.27. 1057Ibid., p.382.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

comme une des femmes les plus prolifiques de la ville »1058 puisqu'en mettant Catherine au monde, c'était à son vingt-quatrième enfant qu'elle donnait le jour. À six ans, elle a sa première vision, dans laquelle Jésus, Pierre, Jean et Paul lui apparaissent, flottant dans le ciel. Elle adopte dès lors une attitude ascétique, décidant de parler le moins possible, de se flageller pour faire pénitence et de restreindre son régime alimentaire. Sa vie est parsemée d'extases durant lesquelles elle flotte au-dessus du sol et ne ressent aucune douleur. Emilia Granzotto dit à son sujet que « [s]a vie n'a été qu'une aspiration, sans cesse renouvelée et sublimée, à se conformer toujours, et quoi qu'il arrive, à la volonté de Dieu »1059. Elle fait voeu de virginité à Jésus alors qu'elle n'est encore qu'une enfant. Lorsque sa mère décide de la marier, « Catherine pense qu'en sortant ainsi, coiffée et pomponnée, "lissée", comme on dit alors, elle commet un gros péché. Cette sorte de honte l'accompagnera toute sa vie, avec la conviction d'avoir été malgré elle, pendant une brève période et en fin de compte par obéissance à sa mère, une des plus grandes et des plus abominables pécheresses. Par la suite, jusqu'à ses derniers jours, elle ne cessera de faire pénitence pour cette déviation »1060. Sa famille finit par accéder, à contrecoeur, à son désir de devenir Soeur de la Pénitence, c'est-à-dire une tertiaire dominicaine. Elle reçoit l'habit à 16 ans grâce à sa grande détermination. En 1370, Catherine aurait vécu des « noces mystiques avec le Christ, qui l'épouse "dans la foi" en présence de sa mère, Marie, de Madeleine et de quelques saints, lui faisant même cadeau d'un anneau d'or orné de "quatre pierres précieuses avec un diamant au milieu" »1061. Cet anneau, qu'elle aurait porté toute sa vie, n'a jamais pu être vu par quiconque en dehors d'elle-même. Catherine passe la plus grande partie de son temps dans la contemplation et comme toutes les mystiques, elle subit des épreuves de tentation par le diable. Afin de lutter contre ces tentations, elle redouble son traitement ascétique et la flagellation. De plus, elle ne dort pas, elle « va jusqu'à éliminer entièrement tout repos substantiel, s'accordant seulement quelques petits sommes »1062. Catherine raconte aussi à son confesseur l'épisode de « l'échange des coeurs ». « Il s'agit de l'offrande que Catherine aurait faite à Jésus, dans un premier temps, de son propre coeur physique, organe de son corps. L'arrachement, c'est-à-dire l'acte physique d'extraire le coeur de la poitrine selon le témoignage ultérieur de Catherine, se serait produit au cours d'une extase. Au cours d'une autre extase, quelques jours plus tard, la jeune tertiaire aurait reçu de l'Époux céleste un autre coeur en échange, celui même de Jésus, qu'il lui aurait personnellement

1058Emilia GRANZOTTO, Catherine de Sienne : une sainte et son temps, Paris, Médiaspaul, 1999, p.11. 1059Ibid., p.6. 1060Ibid., p.21. 1061Ibid., p.31. 1062Ibid., p.43.

placé dans la poitrine à la place du sien »1063. Nous n'avons que le témoignage de Catherine à ce sujet mais nous savons par contre qu'elle a écrit trois cent soixante-dix lettres à l'intention des grands de l'époque, les exhortant à changer leur comportement afin de suivre au plus près les enseignements du Christ. À l'âge de 30 ans, elle aurait miraculeusement commencé à écrire alors qu'elle n'avait jamais tenu une plume avant cela. Ses précédentes lettres avaient été écrites sous la dictée par ses disciples. Catherine revendique qu'elle n'est pas l'auteure de ces lettres mais que son divin Époux parle à travers elle. Elle meurt « à Rome dans l'après-midi du dimanche de Pâques, le 29 avril 1380 »1064 et a laissé dans l'esprit de ses contemporains l'image d'une femme très pieuse, touchée par la grâce de Dieu et suivant le véritable message de ce dernier.

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1063Ibid., p.43. 1064Ibid., p.5.

Conclusion

Le XVIe siècle est une époque de reconstruction théologique pour l'Église. Ce travail passe par l'élaboration d'un nouveau discours logique sur la place de la femme dans la société. Le développement des manuels de confession en tant que genre littéraire dans la deuxième moitié du XVIe siècle a permis de diffuser une idéologie réaffirmée par le concile de Trente. Jean Benedicti présente dans son ouvrage une vision triplement biaisée de la femme : celle que l'Église catholique veut voir, celle que lui renvoie la société de son temps et celle qu'il s'imagine lui-même. La synthèse de ces trois visions permet de dégager l'ambivalence d'une pensée où se mêlent peur de la femme et discours égalitaire d'un religieux qui sait qu'hommes et femmes sont égaux lors du Jugement dernier.

Le discours du franciscain est précieux par la multitude de sources sur lesquelles il appuie ses démonstrations. La reproduction dans le corps de son oeuvre de certains textes législatifs de son temps et la profusion des notes marginales permettent de retracer le cheminement de sa pensée. Aucune source ne semble avoir été ignorée. À côté des textes fondamentaux de l'Église, Benedicti s'est intéressé aux textes juridiques et médicaux. Il utilise aussi les diverses cultures qu'il a pu côtoyer voire même les superstitions de son temps. Les grands auteurs anciens ne sont pas oubliés ni les thèses hérétiques qu'il combat avec ardeur. Ses connaissances visibles en latin, en grec et en hébreu sont associées à son expérience personnelle en tant que confesseur, prédicateur et exorciste afin de livrer un discours qui se veut objectif puisqu'il présente fréquemment des thèses opposées afin d'en proposer une synthèse. Il faut néanmoins avoir présent à l'esprit que le texte de Jean Benedicti fut retouché après sa mort par les professeurs de la Sorbonne : les modifications qu'ils ont jugées nécessaires à l'oeuvre du franciscain sont la preuve qu'au-delà d'un texte normatif reconnu par l'Église, La somme des pechez et le remede d'icevx est le reflet d'une pensée singulière.

Dans l'oeuvre du franciscain, la femme est présentée comme un être ambivalent : à la fois fondamentalement pécheresse et tentatrice, elle n'en est pas moins un être infiniment faible et qui a constamment besoin d'être protégée, notamment contre elle-même. La jeune fille est pure car vierge mais facilement séduite par des hommes malveillants. Elle doit donc être mariée rapidement si elle ne souhaite pas se faire religieuse. Sa virginité est louée mais elle ne suffira pas à la protéger des assauts du monde si ses parents ne la placent pas sous la tutelle d'un mari. Une fois mariée, la

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femme acquiert une place reconnue dans la société du XVIe siècle. Elle a donc des devoirs mais aussi certains droits. Soumise à son mari en tout point, elle devra lui obéir en silence et le laisser gouverner la maison à sa guise. Néanmoins, devant un péché trop visible, Benedicti charge la femme de sortir de son mutisme pour corriger son conjoint. Malgré cette nouvelle protection, c'est toujours la sexualité de la femme qui pose question au religieux. La question des rapports sexuels entre les conjoints est assez détaillée pour que tout confesseur puisse trancher entre un rapport légitime ou non. Pour ce qui est des rapports illégitimes, Jean Benedicti semble plus modéré que certains de ses contemporains. En effet, il place l'homme et la femme adultère sur un plan d'égalité pour ce qui est de la faute commise. De même, lorsqu'il aborde le sujet du concubinage, ce ne sont pas tant les femmes qui sont dépréciées comme tentatrices que les hommes, et notamment les religieux, qui ne peuvent contenir leurs désirs sexuels. Les veuves sont représentées dans le manuel de confession telles qu'elles apparaissent dans les sources judiciaires de l'époque : misérable jusqu'au point de se livrer parfois à quelque séducteur qui leur aurait promis un soutien moral ou financier. Redevenue maîtresse de ses biens et de sa destinée, elle est cependant un atome libre et donc dangereux aux yeux des moralistes du temps.

Le moyen de sanctification par excellence pour la femme est de porter des enfants et de les élever dans la foi chrétienne. Benedicti intègre dans son discours les conseils reçus lors du concile de Trente : responsabiliser et sensibiliser les femmes à leur rôle primordial d'éducatrices. Un grand nombre d'enfants ne doit pas être vu comme un fardeau mais comme une chance selon Benedicti. C'est pourquoi il dénonce toute pratique anti-conceptionnelle ou abortive. Ce rôle de mère devrait tenir les femmes au foyer et donc éviter qu'elles ne s'adonnent à leurs vices, d'autant plus visibles si elles sont en société. Le franciscain s'inscrit dans une longue lignée de discours misogynes lorsqu'il attribue aux femmes un caractère bavard et mensonger ainsi qu'une coquetterie qui les mène à une ruine non seulement terrestre et matérielle mais aussi dans l'éternité de l'au-delà. Puisque l'attrait de la tentation la poursuit, la femme devrait par-dessus tout éviter les pratiques corporelles jugées trop lascives telle la danse. Benedicti met en garde les hommes contre un contact prolongé avec les femmes. Il dénonce de plus les prostituées qui incitent les hommes à pécher par leurs attitudes et leurs paroles. Ces dernières sont exclues avec force de la société du XVIe siècle mais Benedicti conserve une clémence relative à leur égard en mettant en exergue des modèles de repenties telles Marie-Madeleine ou Marie l'Égyptienne. Aucune pitié n'est par contre décelable dans

Conclusion

son discours sur les sorcières et les huguenotes qui pervertissent la société catholique en acceptant un pacte avec le diable, qu'il s'agisse de Satan ou de Calvin. Même la religieuse, qui semble être dévouée à Dieu par essence, doit être surveillée en vertu de sa nature pécheresse.

C'est donc un tableau assez réducteur de la femme que donne Benedicti. Le fait qu'il n'aborde pratiquement pas la vie professionnelle des femmes de son époque est révélateur : aucune compétence spécifique ne semble être reconnue à la femme à part celle de mettre au monde des enfants. L'oeuvre de Benedicti présente un tableau réaliste des attentes des religieux, mais plus largement des hommes de l'époque, en ce qui concerne le rôle de la femme. Cette dernière doit élever ses enfants dans la foi chrétienne et se contenir pour le reste : ne pas parler, ne pas chercher à se mettre en avant, ne pas prendre de décision seule, ne pas croire que Dieu pourrait décider de communiquer ses désirs à une femme. Une fois mises bout à bout les diverses interdictions faites aux femmes, il semble que leur espace de liberté soit extrêmement restreint.

Nous pouvons nous interroger sur la réception de ce discours au XVIe siècle. En effet, il est très difficile de savoir comment fut reçue l'oeuvre du franciscain et si tous ses conseils furent retenus par les confesseurs. La pratique de la confession annuelle s'est assurément développée à la fin du XVIe siècle et sur tout le XVIIe siècle. Néanmoins, la difficulté de la tâche n'a permis aux confesseurs d'entrer dans de tels détails lors de l'examen de conscience qu'avec certaines dévotes. Les nombreuses rééditions de l'ouvrage laissent à penser qu'il a été beaucoup lu, du moins chez les religieux si ce n'est par les croyants. L'évolution de certains comportements religieux au XVIIe siècle, et notamment, comme nous venons de le souligner, la pratique plus fréquente de la confession, peut laisser penser qu'une partie du discours religieux de la fin du XVIe siècle a influencé nettement la vie des populations. Cependant, il faut aussi souligner la persistance de coutumes ou superstitions dans certaines régions de France qui remettent en cause l'acculturation voulue par l'Église catholique après le concile de Trente.

Lors de ce travail, il nous est apparu évident qu'un double mouvement était à l'oeuvre dans l'ouvrage de Jean Benedicti. Il existe en effet une tentative d'acculturation par la présentation de modèles indiscutables mais aussi le rejet de superstitions entourant certains personnages. Ces derniers, pris comme modèles mais cependant dénigrés par

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l'Église catholique, sont parfois remis à une place moins importante. Il nous semblerait intéressant, en prenant exemple sur les travaux d'Eric Suire1065, de nous pencher sur les figures de saints proposés par Jean Benedicti dans les deux ouvrages qu'il a écrit à la fin du XVIe siècle. Ce travail nous permettrait de mettre en relief les idéaux de cette époque et de voir comment les croyants sont invités à s'identifier à de pieuses figures afin de faire régner les valeurs catholiques.

1065Éric SUIRE, La sainteté française de la Réforme catholique (XVIe-XVIIIe siècle d'après les textes hagiographiques et les procès de canonisation), Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2001.

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Sources

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< http://www.sudoc.abes.fr/DB=2.1/SRCH?IKT=12&TRM=094304653>] (consulté le 20 décembre 2012).

· BENEDICTI, Jean, La somme des pechez, et le remede d'icevx. Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doubtes touchant les Pechez, Simonies, Vsures, Changes, Commerces, Censures, Restitutions, Absolutions, & tout ce qui concerne la reparation de l'ame pecheresse par le Sacrement de Penitence, selon la doctrine des saincts Conciles, Theologiens, Canonistes & Jurisconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins, Paris, Sébastien Nivelle, 1595 (rééd.).

· BENEDICTI, Jean, La somme des pechez, et le remede d'icevx. Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doutes touchant les Pechez, Simonies, Vsures, Changes, Commerces, Censures, Restitutions, Absolutions, & tout ce qui concerne la reparation de l'Ame pecheresse par le Sacrement de Penitence, selon la doctrine des S. Concile Theologiens, Canonistes, & Jurisconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins, Rouen, Thomas Daré, 1607 (rééd.).

· BENEDICTI, Jean, La somme des pechez, et le remede d'icevx : comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des douttes touchant les pechez, simonies, usures, changes, commerces, censures, restitutions, absolutions & tout ce qui concerne la reparation de l'ame pecheresse par le sacrement de penitence, selon la doctrine des saincts Conciles Theologiens, Canonistes & Juriconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins. Traité tresutile aux Ecclesiastiques, Predicateurs & penitens : au Magistrat & troisiesme estat & en somme à tous ceux qui veulent obtenir salut. Nouuellement recueillie par R. P. F. J. Benedicti, Professeur en Theologie de l'ordre des freres Mineurs de l'Obseruance, Lyon, Charles Pesnot, 1584.

· BENEDICTI, Jean, La somme des péchez, et les remèdes d'iceux, Lyon, Pierre Landry, 1596 (rééd.).

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· FURETIERE, Antoine, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, tome II, La Haye / Rotterdam, Arnout / Reinier Leers, 1690 [disponible sur

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· MIORCEC DE KERDANET, Daniel-Louis-Olivier-Mathurin, Notices chronologiques sur les théologiens, jurisconsultes, philosophes, artistes, littérateurs, poètes, bardes, troubadours et historiens de la Bretagne, depuis le commencement de l'ère chrétienne jusqu'à nos jours ; Avec deux Tables : la première présentant, dans l'ordre alphabétique, tous les Personnages dont il est fait mention dans ces Notices ; la seconde les rapportant aux villes et lieux auxquels ils appartiennent, Brest, Guillaume-Marie-François Michel, mars 1818.

Nous attirons l'attention sur le fait que ne sont pris en compte dans les sources que les ouvrages que nous commentons dans le corps du mémoire.

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· DARMON, Pierre, Femme, repaire de tous les vices .
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· HANS, Marie-Françoise, Les femmes et l'argent, Paris, Grasset, 1988.

· KELEN, Jacqueline, Les femmes de la Bible .
· les vierges, les épouses, les rebelles, les séductrices, les prophétesses, les prostituées...
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Bibliographie

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· MUCHEMBLED, Robert, La sorcière au village (XVe-XVIIIe siècle), Paris, Éditions Julliard / Gallimard, 1979 (coll. Archives).

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· ZEMON DAVIS, Natalie (dir.), FARGE, Arlette (dir.), DUBY, Georges (dir.), PERROT, Michelle (dir.), Histoire des femmes en Occident . tome III . XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Perrin, 2002 (coll. Tempus).

Les initiales ou l'absence de nom propre qui peuvent rester dans cette bibliographie sont celles dont nous n'avons pas pu retrouver la signification.

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Annexes

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Les annexes sont présentées dans un volume séparé.

Glossaire

Ce glossaire reprend les termes d'époque que nous avons définis dans les notes de ce mémoire. Il n'existe pas de dictionnaire spécifique au XVIe siècle. Nous avons donc fait nos recherches à partir du Dictionnaire du Moyen Français (1300-1500) proposé en ligne sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, créé en 2005 par le CNRS. Le Dictionnaire du Moyen Français est un projet évolutif dont la quatrième version est actuellement en ligne.

· Appréhender : Saisir quelqu'un.

· Atinter : Préparer, parer quelqu'un.

· Billet : Écrit bref portant la reconnaissance de quelque chose ou la recommandation de quelqu'un. Des billets étaient parfois portés par les croyants qui souhaitaient se protéger d'une quelconque mauvaise fortune.

· Boban : [Souvent au pluriel]. Faste, festivité, magnificence (souvent avec une idée d'ostentation, d'étalage).

· Bosse : Grosse tumeur, abcès mais aussi bubon de la peste.

· Carcan : collier de fer servant à attacher un condamné au pilori ; collier de pierreries.

· Caut : Subtile, rusé, malicieux, habile.

· Chancre : Ulcération qui a tendance à s'étendre.

· Chatepeleuse : Chenille.

· Circonvention : Fait de circonvenir quelqu'un, tromperie (en particulier dans une formule juridique qui énonce les tromperies et artifices auxquels on renonce).

· Consécration : Action de consacrer quelqu'un, de reconnaître à quelqu'un un caractère sacré.

· Convers : Religieux qui n'est pas soumis à la règle majeure d'un ordre mais seulement à un règlement mineur, et qui assure les tâches matérielles de la communauté.

· Déception : Tromperie, ruse.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 221 -

· Diaper : Du nom « diaspre » : Soierie aux nuances, aux couleurs et aux motifs divers, drap de soie à fleurs, à ramages ou arabesques.

· Dilection : Grande affection, amour porté à quelqu'un (ou à Dieu).

· Étoupe : Partie la plus grossière de la filasse (de chanvre, de lin).

· Fabrique : Ensemble des biens et revenus affectés à une église, à son édification, à son entretien, temporel.

· Fallace : Propension à la tromperie, fausseté.

· Forclore : Exclure quelqu'un, écarter ou priver quelqu'un de quelque chose.

· Impétrer : Essayer d'obtenir quelque chose (de quelqu'un).

· Intéresser : Faire du tort à quelqu'un, léser quelqu'un, causer du dommage à quelqu'un, toucher quelqu'un dans ses intérêts.

· Ladre : Au sens propre, lépreux. Par extension, paresseux, fainéant, fou.

· Maudisson : Malédiction.

· Nonnain : Femme appartenant à une communauté religieuse, religieuse, nonne.

· Novice : (Celui/celle) qui a pris nouvellement l'habit religieux et s'éprouve un certain temps avant de faire profession.

· Oblation : Offrande.

· Outrecuidé : Téméraire, présomptueux, arrogant.

· Percussion : Coup, contusion.

· Pitoyable : Qui suscite, qui inspire la compassion, la pitié.

· Plastrer : Farder.

· Pompeusement : D'une manière fastueuse, riche ; avec ostentation.

· Profès : (Celui) qui a prononcé les voeux par lesquels il s'engage dans un ordre religieux.

· Proprement : Vraiment, véritablement, réellement.

· Rédiger : Ramener, réduire à / en.

· Religieux : Celui qui appartient à un ordre ecclésiastique régulier, moine.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 222 -

Glossaire

· Rioteur : Qui fait du tapage, qui crie beaucoup.

· Sacristain : Celui qui est chargé de l'entretien de l'église, de la sacristie, des vases sacrés et des ornements liturgiques (dans une église, dans une abbaye).

· Tac : Maladie proche de la coqueluche.

· Voirement : Vraiment, véritablement, assurément.

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Table des illustrations

Index des illustrations

Illustration 1: Le traitement des dix commandements, en pourcentage. 45

Illustration 2: Le traitement des six commandements de l'Église, en pourcentage 46

Illustration 3: Le traitement des sept péchés capitaux, en pourcentage. 47

Illustration 4: Répartition du traitement des sacrements dans l'oeuvre de Jean Benedicti.

48

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Table des matières

INTRODUCTION 9

CADRES GÉNÉRAUX : PENSER L'HISTOIRE DES FEMMES AU XVIE

SIÈCLE 13

La place de la femme dans la société du XVIe. 13

Les manuels de confession : un genre en pleine expansion. 30

Vie et oeuvre du franciscain Jean Benedicti. 49

La somme des pechez et le remede d'icevx, un regard particulier sur la condition

des femmes au XVIe siècle. 60

FEMMES ET SOCIÉTÉ DANS LE MANUEL DE CONFESSION DU PÈRE JEAN

BENEDICTI. 75

La jeune fille et la vierge : un modèle de sainteté que peu atteindront. 75

La femme et l'homme. 90

Droits et devoirs de la femme mariée 90

La femme adultère et son partenaire. 109

La concubine : pécheresse à divers degrés 116

La veuve : une femme toujours prête à pécher. 120

La femme et l'enfant. 127

Porter un enfant et le mettre au monde. 128

Le bébé en nourrice. 138

Éduquer son enfant. 144

La femme en société. 150

La coquette. 150

Danse et tentation : la femme vecteur du péché. 159

Péchés de bouche : bavarde et menteuse. 167

La prostituée et ses hommes. 173

La femme hors de l'Église : sorcière et huguenote. 183

La religieuse, une femme dans l'Église. 194

CONCLUSION 207

SOURCES 211

BIBLIOGRAPHIE 213

ANNEXES 219

GLOSSAIRE 221

TABLE DES ILLUSTRATIONS 225

TABLE DES MATIÈRES 227

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein