Annexe 5: Retranscriptions des entretiens
Les retranscriptions ont été reproduites mots
à mots selon les enregistrements écoutés.
Woody
(Surnom choisi avant l'enregistrement)
Rachel: Bonjour. Woody: Bonjour.
Rachel: On tenait encore à vous remercier
d'avoir accepté de répondre à nos questions. Merci de nous
aider dans notre démarche d'étudiante. La derniére fois
que nous nous sommes rencontrés, on vous avait expliqué pourquoi
nous avons choisi le sujet de l'affectivité dans le milieu
carcéral. Donc, je vous fais un petit rappel, si nous avons choisi ce
sujet, c'est que c'est un sujet peu parlé et tabou et puis nous avions
envie d'en conna»tre un peu plus et donc faire des recherches et essayer
de rendre ce sujet un peu moins tabou.
Woody: Donc ce sujet englobe un peu vos
études?
Rachel: Non pas du tout, non, non on travaille dans
le handicap toutes les deux, et nous avions aussi envie d'élargir nos
connaissances, et puis c'est pour ca que nous avions envie d'étudier un
sujet qui est vraiment trés peu parlé et cela nous semblait
important.
Woody: C'est une bonne chose, moi comme je le dis, je
le fais pour, pour moi ca ne va pas changer grand-chose, mais si ca peut aider
d'autres qui sont dans des situations difficiles comme ca, et bien, je le fais
volontiers.
Rachel: Ce que nous souhaitons, c'est conna»tre
votre vécu, durant votre incarcération. C'est important de
préciser que cet entretien restera confidentiel, nous n'utiliserons pas
votre nom. On prendra un nom fictif pour que cela reste totalement
confidentiel. Les themes que nous allons aborder sont: les expériences
au niveau des échange affectifs durant votre détention, votre
arrivée en prison, pendant votre incarcération et enfin à
votre sortie.
Rachel: Qu'est-ce que vous aimeriez nous dire de vous,
est-ce que vous aimeriez nous donner des informations générales
vous concernant?
Woody: J'ai passé la cinquantaine, je suis
papa de 3 enfants, divorcé, puis maintenant je suis à en
semi-liberté et puis tout se passe bien, j'ai retrouvé la vie
normal e, et depuis un an et demi je me réintégre à la
société, puis je me reconstruis.
Rachel: J'ai oublié de vous dire que s'il y a
des questions auxquelles vous ne souhaitez pas répondre, ou si vous
souhaitez une pause vous n'hésitez pas à nous le dire.
Rachel: Quel souvenir gardez-vous de votre
arrivée en prison?
Woody: Je n'oublierais jamais la première
minute, quand en arrivant là-bas, d'abord on vous fait prendre une
douche, y'a pas de rideaux de douche, tout le monde vous regarde, les
gardiennes comme les gardiens puis apres il y a les escaliers qui commencent
à grimper, et des portes métalliques partout, partout, des
barreaux, des clefs, ils ont besoin des clefs pour tout, je crois que c'est un
des pires trucs. Il parait que ca nous poursuit encore six mois. Bon
heureusement ca n'a pas été le cas pour moi. Chaque dix metres,
il a y une porte et il faut l'ouvrir et un gardien doit mettre sa clef
là-dedans et ca fait un raffut, vous n'imaginez pas. Alors ca a
été le premier choc en arrivant et en voyant toutes ces cages
d'escaliers avec toutes ces portes, tous ces trucs. J'ai fondu en larmes,
j'étais cassé, j'étais euh, vraiment c'était
l'horreur.
Pis apres, bon, on vous ouvre une cellule, bon c'était
encore à la , un vieux
bâtiment, heureusement, assez sympa c'est beaucoup dire
mais, disons que ce n'était pas béton, béton, il y avait
quand même un plancher en bois, pis la chambre pas trop petite. Mais bon
c'était le choc, le choc en arrivant là-bas.
Rachel: Vous étiez seul dans la chambre?
Woody: Ouais. Ouais heureusement il n'y avait
à l'époque encore pas mal de cellules individuelles. Donc
voilà, je me suis retrouvé seul, ce qui était une bonne
chose.
Roseline : Pour combien de temps étiez-vous
obligé d'être là-bas ? Woody: J'ai passé un
long moment oh oui un long moment. Roseline: Plus d'une
année?
Woody: Oh oui!
Rachel: Quelles idées vous faisiez vous des
relations qu'il pouvait y avoir entre détenus ou entre détenus et
gardiens?
Woody: Je n'y avais jamais pensé,
déjà rien que ce décor. Il faut vraiment y être pour
y croire. Parce que depuis l'extérieur, on n'a pas idée de ce qui
se passe là-bas, jamais.
Pis moi je débarque là-bas, je ne savais pas que
je devais avoir un avocat, qui fallait ci, qui fallait ca, que j'sais pas moi,
un recours, un machin, des termes, un tas de choses qu'on ignore totalement, il
faut se mettre au courant de tout cela. En ce qui concerne les relations
humaines, j'ai jamais pensé avant.
Comme je vous l'ai dit, la première chose qui m'avait
frappé en arrivant là-bas, euh, apres deux trois jours vous
êtes convoqués chez le médecin, il fait un checkup
grossier et il vous remet une petite bo»te en carton et
dedans y a des pommades désinfectantes, du mercurochrome, y a des
sparadraps, des trucs de gaz, vraiment la petite pharmacie de base sans
médicament évidemment et des préservatifs. Et pis j'ai
posé la question, c'était une infirmière mais, qu'est-ce
que c'est ces préservatifs ? Et pis voilà, on m'a dit simplement
qu'il y a des détenus entre eux qui ont des rapports, donc pour
protéger du sida etc., et on distribue à tout le monde des
préservatifs. Et ca, ca m'a choqué, je me suis dit après
coup que finalement, voilà, ils sont conscients qu'on nous coupe de
toute relation, de tout contact, de toute affectivité, ils le savent
pertinemment, ils savent aussi pertinemment qu'on en a besoin et ils s'en
fichent totalement et on nous dit débrouillez-vous, voilà des
préservatifs, si vous voulez de l'affection, vous allez avec un
collègue, avec votre copain, alors ca, ca m'a un petit peu..., j'ai
trouvé ca un peu saumâtre.
Roseline: Déjà le troisième
jour....
Woody: Ben ouais. Là je me suis dit bienvenu au
club, tout va bien.
Roseline: On va peut-être poursuivre les questions
et on va revenir sur ce sujet plus tard.
Rachel: Est-ce que vous pourriez nous décrire
une journée type, les moments dans lesquels il y a une
possibilité de rencontre? Je ne sais pas, par exemple, le petit
déjeuner, durant les ateliers, peut-être dans les lieux
communs?
Woody: On n'est pas toute la journée seul dans
une cellule, c'est vrai qu'on vous donne assez vite du travail. a, j'ai assez
bien apprécié, et puis on était dans un atelier de
démontage TV, de pièces électroniques, des trucs comme ca.
Il fallait découper, trier les divers composants. Alors là, on
avait une dizaine de codétenus, il y avait du contact.
Il y avait du contact durant le sport aussi, il y avait
quelques heures qui vous étaient données. Y'a les promenades
aussi, les repas, bon en préventive c'est seul dans la cellule.
Après, c'est vrai, il y a la possibilité de manger dans les
couloirs, en groupe.
Mais euh...voilà, on a quand même des contacts,
seulement c'est très, très limité comme contact parce que
ce...ce qui est frappant, il y a 80% d'étrangers dans les prisons
suisses et ouais ca parle toutes les langues sauf le francais, donc il faut
déjà trouver quelqu'un avec qui on peut éventuellement
discuter, ca été une difficulté majeure je dirais. Moi
j'étais à chaque fois tout content de pouvoir parler francais
avec quelqu'un, c'est clair on fait des progrès en anglais, espagnol,
mais en francais c'était rare et il faut aussi tomber sur la bonne
personne car il y en a aussi qui sont malades je dirais. Il y a
énormément de détenus qui souffrent de maladie s, je
dirais presque psychiques, qui sont mélangés aux autres.
Après, il y a des énormes problèmes de
violence, du racisme, y'a des insultes, la moindre petite étincelle, et
pis ca explose, on sent, il y a une tension, c'est une poudrière, une
vraie poudrière. Les gens sont à cran, toute la journée
brimés par les gardiens soit par leur situation soit par des juges, par
des réponses négatives.
Il vous faut faire la queue pour une cabine
téléphonique, pendant une demi-heure pour enfin décrocher
le machin pis vous téléphonez trente secondes et on vous tape
déjà à la fenêtre, moi j'ai dü vendre une
maison par exemple depuis une cabine téléphonique, je peux vous
dire que c'était l'enfer, trois mois par petites bribes. Il y a des
tensions énormes.
Roseline: Ce que vous êtes en train de dire,
c'est que toutes ces démarches vous prennent toute la journée et
pis que de temps en temps il y a le contact quand vous travaillez par exemple,
mais autrement vous n'y pensiez pas à avoir une discussion....
Woody: Non.
Roseline: C'était vraiment ca qui prenait tout
votre temps...
Woody: Ah, ca nous rongeait, c'est ca qui..., cette
tension, qu'il y a sans cesse, pour des petites bricoles, vous voulez une
photocopie, on vous dit d'abord non, pis aprés on vous dit de passer
chez le chef, pis le chef vous dit oui mais vous savez que c'est exceptionnel
etc. Vous en avez pour une demi-heure, puis aprés enfin vous avez une
photocopie. Tout est comme ca. a met une pression terrible. Les gens sont
extrêmement sur leurs nerfs, et la moindre petite chose, ca
éclate.
Rachel: Dans les liens que vous pouviez créer,
c'est plutôt vous qui deviez aller chercher le lien, ou dè s que
vous arrivez quelque part il y a des gens qui viennent. Il y a une
solidarité qui peut se faire, donc c'est plutôt les autres qui
viennent à vous?
Woody: C'est difficile, bon moi j'ai le contact assez
facile, pis euh, je discute volontiers avec n'importe qui, pis euh, on se rend
trés vite compte à qui on a à faire. Pis inversement
aussi, les gens sont curieux, chaque fois qu'il y a un nouveau qui vient, ah
bon voilà, qu'est-ce que tu as fait? Pourquoi tu es là? Etc... a
crée des liens un peu artificiels. Mais c'est vrai, moi, j'avais
toujours un ou deux collégues avec qui je me promenais pendant la
promenade et j'étais content d'avoir un contact, quelqu'un avec qui je
pouvais discuter, normalement, quoi ! C'est clair, il y a de tout, ca va
vraiment du cambrioleur, il y a des médecins, des pilotes d'avions, il y
a vraiment des milieux différents, c'est vrai, c'est vraiment
intéressant.
Rachel: Mais il y avait la possibilité d'avoir
des liens plutôt sincéres, amicaux, affectifs, ou c'était
des relations superficielles comme vous l'avez dit tout à l'heure ?
Woody: Disons que sur une année, vous
rencontrez un bon copain. Donc vraiment c'est trés rare et pis, au
début c'est vrai on s'écrit, on échange parce qu'il y a
des transferts, il y a des gens qui partent pis on garde le contact pendant
deux ans, je ne sais pas, et puis aprés ca se perd un petit peu. C'est
qu'il y a, je dirais, j'ai rencontré trois ou quatre bons copains avec
qui on a gardé le contact encore trés longtemps. C'était
heureusement existant.
Rachel: Donc difficile pour vous d'avoir confiance....
Woody: Ouais, ouais. Trés difficile, trés difficile. Ah
ouais.
Roseline: Et donc il y avait du respect....
Woody: Non, non pas de respect. Chacun pour soi,
égocentrique, les insultes, la violence, le respect alors-là, ca
manque terriblement, sauf avec ces deux trois gars avec qui je m'entendais
bien, alors là, il y avait du respect, c'est vrai, mais sinon...
Roseline: Puis là, les gardiens, n'intervenaient
pas, par exemple quand vous étiez en promenade vous pouviez discuter
librement? C'était pas aussi...
Woody: Non, non, non. On peut se promener librement,
y a pas de probléme. Il y a un ou deux gardiens qui sont là au
cas oü il y a des bagarres, ou des trucs comme ca, ce qui arrive assez
fréquemment, mais, on peut parler plus ou moins ouvertement. On sait
qu'il y a des caméras, on sait qu'il y a probablement des micros etc....
On sait pas bien, donc voilà, il faut toujours rester un peu discret.
Rachel: Et ces contacts que vous avez pu créer
avec ces quelques personnes, vous pourriez nous décrire comment ces
contacts se sont créés....
Woody: Disons que c'est surtout à
l'extérieur, dans la cour, ou lors de promenades que tout à coup
on se dit, celui-là a l'air sympa, il y déjà des atomes
crochus qui se font quelque part et pis, aprés bon il parle francais.
C'est clair c'est le premier tri qui se fait puis aprés, on discute un
peu avec, on voit comment ca se passe, quel niveau il a et puis aprés,
ca peut se développer assez profondément.
Moi, j'ai un trés bon souvenir. C'était un gars
à peu prés mon %oge et qui était trés, trés
croyant et trés lié à la bible et tout. Il connaissait
presque la bible par cÏur, c'était impressionnant ce qu'il
connaissait. Et tous les lundis, on se voyait soit dans ma piaule ou dans la
sienne et on parlait de la bible et toutes ces questions qui nous passaient par
la tête. Et ca, j'ai trouvé génial.
Et là, il y a des choses que j'ai appris, moi je dirais
qu'il y a cinq choses que je peux retirer de positif dans ce cauchemar, c'est:
je me suis rapproché de Dieu, ca, c'est sür, il y a des situations
oü il m'a vraiment soutenu, seul, je ne crois pas que je m'en serais
sorti. Il y a des moments oü vous avez besoin de sentir le spirituel, et
gr%oce à ca, j'ai passé par-dessus pas mal de cauchemars. Puis
aprés, les langues, j'ai fait des progrés en espagnol, en
anglais, le sport, c'est vrai qu'à l'époque je faisais du sport
deux, trois fois par semaine, un maximum possible, j'étais pas mal en
forme je dois dire.
Et aprés, il y a eu les projets de cuisine qui se sont
réveillés là-bas, et je me suis dit, pourquoi je ne me
lancerais pas dans la cuisine? a fait un moment que j'adore ca, j'ai
travaillé 25 ans dans le technico-commercial et tout à coup je me
suis dit pourquoi pas se lancer dans la cuisine et ouvrir un petit bistro
quelque part. J'essayais d'imaginer un peu mon avenir. Alors, il y a eu cette
passion pour la cuisine, j'ai travaillé principalement dans les cuisines
lors de mon parcours, c'était mon but et puis maintenant, je commence
à avoir un peu une idée de mon avenir, je sais que je vais ouvrir
mon petit bistro quelque part, pas forcément en suisse.
Rachel: Dans un endroit oü il fait bien chaud?
Woody: Oui exactement, ca c'est les cinq choses que
j'ai retirées de positif, bon pis le reste c'est de la souffrance, de la
violence, c'est des sacrifices, des hauts et des bas. Il y eu des moments
trés difficiles.
Rachel: Si je comprends bien, y a un manque de prise en
compte de la personne
Woody: Disons, un manque de respect. Par exemple, il
y a des gardiens qui sont trés, trés sympas, il faut le
reconna»tre, avec qui même il m'est arrivé de discuter durant
la promenade, des gars vraiment sympas. Puis d'autres, disons, c'est vraiment
des gros cons, des emmerdeurs, je sais pas.
Alors il y a de tout, mais sinon, on a quand même un
suivi, que ce soit par un psychologue, par un médecin qui vous voit, il
y a l'assistante sociale, aussi, qui s'occupe pas mal de l'administratif. Mais,
je dirais que c'est des suivis sporadiques, qui ne sont pas vraiment... C'est
vrai, j'avais plaisir à discuter avec l'assistante sociale, mais je la
voyais une fois par mois ou tous les deux mois pis c'était une heure et
terminé.
Et puis les psys, ils devraient nous mettre des gens
compétents, mais là, ils ont vraiment... je ne sais pas ce qu'ils
ont comme personne, mais ca change tous les six mois. Il faut recommencer
à chaque fois, raconter son histoire, puis une fois qu'elle vous
conna»t, elle repart, pis c'est des gens, bon je vous passe les
détails. Il y a des personnes qui ne sont vrai ment pas
compétentes, j'ai trouvé.
Roseline: Quand vous dites qu'il n'y a pas de
respect, des insultes etc. La psychologue, c'était quoi son travail?
C'est justement de vous aider à entrer en contact, en relation, à
créer des liens
Woody: Alors les psys s'attardaient plutôt
à notre passé, à notre présent, etc. A notre
histoire personnelle et puis le reste, j'en faisais part de temps en temps de
ces souffrances, mais voilà on vous dit que c'est comme ca, ce n'est pas
le club Med. Ici vous êtes en prison. J'ai eu la chance d'être
toujours passé entre les gouttes, mais il y a des situations oü
c'est violent.
Roseline : Donc vous, vous vous êtes fait insulter
aussi?
Woody: Oui, oui, vous avez une tablée de turcs
et chaque fois que vous passez à côté on vous dit:
Çsale suisse de merde È. Donc au pluriel chaque fois que nous
étions deux, trois. On vous traite comme ca et il ne faut surtout pas
répondre, il faut encore dire merci parce qu'autrement, ils vous...
un...
Roseline: Quand vous dites que vous avez de six à
huit du temps libre, vous pouviez aller dans les cellules des autres?
Woody: Oui à ce niveau-là, enfin pas en
préventive mais aprés oui. En détention, il y a des heures
de fermeture, aux alentours de 22h, je crois. Puis là, vous avez
effectivement la possibilité de rester sur l'étage, même
pas, vous pouvez changer d'étage, et boire le café vers
quelqu'un, écouter de la musique, regarder un film, y'a
possibilité quand même .
Roseline: Et donc, je suis désolé, je
saute du coq à l'âne, parce que c'est ce qui me vient en
tête. Donc, quand vous vous faites insulter, les gardiens n'interviennent
pas, ils laissent faire, ils interviennent seulement
répréhensivement quand il y a des bagarres, c'est ca?
Woody: Voilà, exactement. Déjà,
bon, je ne sais pas si c'est leur système, ils vous laissent assez
libre, ils ne sont pas tout le temps derrière vous, ils sont souvent
dans leur aquarium en bas, et pis bon surtout à la fin, j'ai vu ca
à la par exemple, et pis bon, on voit jamais les gardiens, il faut
vraiment que ca pète, qu'il y ait trois, quatre gars l'un sur l'autre
pis après il faut encore que quelqu'un sonne l'alarme pour qu'ils
viennent, bon c'est assez rapide, c'est vrai, mais autrement les insultes, tout
ca, personne ne voit.
Roseline: Personne veut l'entendre....
Woody: Oui, exactement, personne veut le voir.
(Rires)
Rachel: Et puis dans les moments d'échange
avec ces personnes, au niveau des émotions qu'est-ce que vous..., vous,
vous sentiez mieux, plus paisible dans ces moments-là, peut-être
une certaine sérénité ou au contraire la tristesse
Woody: Non, non au contraire, ca me faisait vraiment
du bien d'avoir à faire à des gens qui euh... euh..., à
des gens avec qui on peut échanger des idées, avec qui on peut
parler des émotions etc., car on a des soucis énormes et ca fait
du bien de pouvoir exprimer cela à quelqu'un. Et puis euh..., ce qui est
très dur, c'est les départs, moi, j'ai vécu des
départs oü vraiment on s'enlaç ait et on pleurait presque,
parce que soit le gars était libéré ou
transféré, vraiment ca c'était très intense comme
relation.
Roseline: On peut presque parler de relation amicale
alors....
Woody: Oui, oui, c'est vrai. Je pourrais dire qu'il y
a eu deux trois amis, effectivement. Mais avec qui j'ai effectivement perdu
contact. Je ne sais pas ou est- ce qu'ils sont en ce moment, je ne sais pas
s'ils sont libérés.
Roseline: a vous a fait du bien, ca vous a permis de
tenir le coup? Woody: Oui
Roseline: Et quand il y a les départs, là,
ca retombe?
Woody: Oui ca retombe.
Roseline: C'est de nouveau le bas?
Woody: Oui, c'est de nouveau le bas. Après, vous
mettez de nouveau des mois à trouver quelqu'un avec qui vous pouvez
échanger quelque chose.
Rachel: Pis la nature des contacts c'était
des..., ça pouvait être des contacts aussi non verbaux, est-ce que
ça pouvait..., voilà est-ce que là il y avait la
possibilité de justement à un moment donné d'être
triste et de pouvoir se prendre dans les bras, ou est-ce que c'était
toutes des choses qui quelque part n'étaient pas possible, qu'on
s'interdisait?
Woody: C'est vrai, c'est un peu tabou, disons, moi
personnellement bon j'ai... j'approuve pas l'homosexualité, bon
j'accepte, je reconnais qu'il y a des gens qui sont comme ça, je
l'accepte, mais personnellement, ça ne me tente absolument pas et je
suis trés réticent. Et pis, je pense que la plupart de mes
collégues aussi, ils étaient pas du tout attirés par
ça. Mais, on a eu des échos comme quoi effectivement il y a des
gars qui étaient ensembles, il y a des couples qui se formaient et
même y en avait un ouvertement, alors en plein atelier, ils se
gênaient pas de s'enlacer, de s'embrasser etc., ce qui était quand
même un petit peu choquant. J'étais un peu choqué quand
même.
Mais c'est vrai qu'au niveau affectif, de tendresse, il n'y a
rien, rien, rien, rien. Et c'est là que disons que, cette violence, ces
gens qui sont vraiment..., qui ont les nerfs à fleur de peau, qui
pétent un plomb pour rien, ils sont comme ça. Justement parce
qu'il leur manque des caresses. Il leur manque l'affectif, il leur manque une
femme avec qui ils peuvent... pas forcément un contact physique, disons
pas une relation physique, mais une simple affectivité. Et ça les
calmerait tellement, ça les rendrait tellement plus cool, plus relax et
tout, et non, et non, ce n'est pas possible. Moi personnellement,
j'étais extrêmement tendu et c'est quelque chose qui me manque
parce que... on peut pas et ça c'était... les gens, les gars, ils
sont tellement machos euh déjà dehors quand on voit les relations
qu'ils ont avec les filles, ils jouent aux coqs, mais ils arrivent à
séduire et ça doit les calmer à quelque part. Tandis que
là, en taule, ben ces gens ils sont toujours aussi machos, mais ils ont
plus personne à séduire, alors ça se transforme en
guerrier, en ca ·d, ça veut jouer les bras, et toute... c'est
là ou je me suis dit je suis certain que... qu'un contact humain avec
une femme leur ferait du bien , vraiment à tout le mon de, ça
calmerait vraiment le jeu et...
Rachel: Justement lors de notre première
rencontre, quand nous sommes venues nous présenter, il y avait... oui
quelqu'un avait évoqué le mot séduction, euh... qu'est-ce
que vous, au niveau de la séduction, pourriez-vous nous dire sur ce mot
dans un milieu carcéral fermé?
Woody: Moi disons, euh... heureusement il y avait
quand même quelques gardiennes, ça c'était
déjà un point trés positif, dont quelques-unes vraiment
trés sympas, d'autres arrogantes comme tout, mais d'autres vraiment
trés sympas. Et ça c'est vraiment bien pour pouvoir discuter de
temps en temps avec certaines dames simplement. Aussi l'assistante sociale,
etc.
Rachel: Et donc là, il y avait une
possibilité de séduction, tout en sachant bien que voilà,
il n'y a rien de possible?
Woody: Euh, on peut mais c'est difficile, on va pas
séduire une gardienne, mais il y a quand même une relation
homme-femme qui se fait qui est trés positive, mais évidemment,
cinq minutes. Une fois, il y a eu une gardienne qui venait jouer aux cartes,
même avec certains, mais un jour on lui a dit: Ç mais on vous voit
plus,
qu'est-ce qui se passe È et elle nous a dit que la
direction leur a interdit de jouer avec les détenus, d'être trop
proches d'eux, donc elles sont aussi surveillées.
Roseline: Ah ouais, ils sont surveillés. Le droit
à l'intimité, oui avec les codétenus mais pas trop non
plus...
Woody: Non, c'est, disons, si vous êtes dans une
cellule avec quelqu'un, bon on peut fermer la porte, ce qui se passe
derrière on en sait rien.
Roseline: Ouais, ca vous aviez le droit ? Est-ce que...,
est-ce que vous avez recu des visites en prison?
Woody: Oui, oui, heureusement. Mes parents, mon
frére. Bon, j'ai eu de la chance d'avoir eu pas mal de visites. Mais,
c'est des moments trés difficiles, ca apporte quelque chose au point de
vue émotions, d'avoir ses connaissances, ses proches, des nouvelles de
son entourage c'est génial. Mais euh... souvent il y a quand même
des problémes, il y a ci ou ca qui ne joue pas, et pis on a pas le
temps, on a pas le temps. Une heure, une heure et quart et il faut tout
déballer ce qu'on a sur le cÏur et tout . Puis, c'est
déjà l'heure, il faut se dire au revoir et c'est de nouveau
difficile.
Rachel : Vous n'avez pas vraiment, pas vraiment le temps
de vous rencontrer....
Woody: Non, pis il y a toujours un surveillant
à quelques metres qui surveille et qui écoute tout. Bon moi, je
parlais suisse allemand avec mais parents, mais bon c'était pas vraiment
un contact trés agréable finalement. C'était plus une
tension qu'autre chose.
Roseline: Donc là, vous pouviez exprimer les
émotions, mais aprés, ca vous retendait, et donc là il n'y
avait pas d'affectivité possible?
Woody: Non, j'ai vu, il a des collégues qui
ont recu leur femme et ils pouvaient quand même s'embrasser,
discrétement et pas trop longuement, c'était trés,
trés, surveillé. J'ai un collégue qui s'est
carrément fait refuser les visites pendant des mois parce qu'il a eu le
malheur de la prendre sur les genoux pendant un moment et pis voilà,
c'était la catastrophe. C'est vraiment trés, trés
difficile.
Et pis vous avez la possibilité aussi par
téléphone, on peut téléphoner mais aussi avec les
difficultés que je vous ai dit tout à l'heure. C'est aussi
possible quand c'est une urgence, un truc, on peut aussi discuter deux minutes
par téléphone (rires).
Roseline: Donc les liens qui sont dans les cellules
ca va, il y a plus ou moins d'intimité, par contre les liens avec
l'extérieur c'est compliqué, c'est conventionné, c'est
réglé....
Woody: Oui, oui, tout est réglé,
surveillé, fouillé, c'est, c'est terriblement
surveillé.
Rachel: Donc quand on parle de privation de
liberté, en fait, c'est vraiment ca qui est recherché, c'est
vraiment privé de toute possibilité d'échange avec
l'extérieur ....
Woody: Je crois que c'est l'une des pires choses qui
peut arriver à un être humain, c'est d'être privé de
sa liberté. Maintenant, la liberté, bon, c'est d'aller quand on
veut, ou on veut, de faire plus ou moins ce qu'on veut, euh..., bien sür
en respectant les normes légales, etc. C'est, c'est... agir librement,
comme on veut, pis quand on vous coupe tout ca, quand euh... vous avez des
barreaux à la fenêtre, quand on vous dicte à quelle heure
il faut se lever, à quelle heure il faut fermer, à quelle heure
il faut prendre la douche, à quelle heure on mange, ah vous avez besoin
d'une photocopie, mais vous allez poiroter deux heures pis ci, pis ca. C'est
tout ca, c'est tout cet ensemble.
Rachel: Ah pis à quelle heure vous allez
rencontrer quelqu'un, ou vous allez pouvoir rencontrer quelqu'un?
Woody: Ouais, les visites et tout ca, c'est vraiment
trés, trés réglementé et pis ca coupe notre
liberté, c'est sür, on peut pas faire comme on veut.
Rachel: Ouais c'est ca, même dans les moments
oü vous pouvez rencontrer du monde, votre famille qui vient vous voir,
même ca c'est complétement réglé et surveillé
et réglementé. Même là, en fait, il n'y a pas de
liberté?
Woody: Non même là, il n'y a pas de
liberté. C'est des entretiens extrêmement formels, je dirais,
c'est pas l'affectivité, c'est rien, c'est un échange
d'informations, vite, vite et pis voilà.
Roseline: Et pis encore plus de tensions....
Woody: C'est vrai, suivant aprés quelle visite
j'ai eu, j'étais encore plus au fond du trou qu'avant. Alors ca c'est
vrai, ouais. Suivant ce qui se passe à l'extérieur,
évidemment ca vous tombe dessus comme une avalanche, vous apprenez plein
d'infos positives comme négatives en une heure pis aprés, il faut
faire avec.
Roseline: Et là, il n'y a pas de soutien qui
compte?
Woody: Je sais pas, je crois qu'il y a toujours moyen
d'appeler un gardien ou d'aller au médical mais je pense qu'ils ont pas
mal à faire quand même.
Roseline: Mais vous ne l'avez pas fait? Woody:
Non
Roseline: D'accord.
Rachel: Est-ce que vous faites une éventuelle
différence entre l'affectivité et la sexualité?
Woody: Oui, Oui. C'est quand même une certaine
différence. Je peux par exemple être avec une bonne copine, la
tenir dans mes bras et tout, mais sans que ca aille plus loin. Et, il peut y
avoir des relations sexuelles qui peuvent se faire sans affectivité
aussi.
Rachel: D'accord... (Silence)... Durant votre
détention, est-ce que vous auriez eu plus besoin d'affectivité ou
de sexualité ou peut-être des deux?
Woody: La sexualité, bon ben on peut se
débrouiller tout seul, ca ma foi, on est un peu tous à la
même adresse là-bas, mais point de vue affectivité,
effectivement, pour tenir simplement une personne dans ses bras, pouvoir
caresser quelqu'un, pour échanger un peu de tendresse, ca, c'est un
manque terrible, terrible.
Moi ca me fait toujours penser, bon c'est peut être un
parallèle un peu, un peu osé, mais ca me fait toujours penser
à un chien. Un chien, vous pouvez rendre n'importe quel toutou le plus
gentil possible, vous pouvez le rendre comme un pitbull quoi. Et inversement,
un pitbull bien dressé peut être extrêmement gentil. Alors
un chien, si vous n'arrêtez pas de lui taper dessus et de lui interdire
des choses, de lui crier dessus, etc. Et bien il va devenir mauvais, Il va
devenir agressif, il va devenir dangereux. Alors que le même chien, si
vous lui donnez de l'amour, des caresses, de l'affection, et bien il va
être un chien adorable. Et là, j'ai souvent senti ce
parallèle.
Roseline: Et vous l'avez fortement ressenti
vous-même? Woody: Ouais ouais ouais. (Silence)
Rachel: Quand on a discuté lors du repas
passé ensemble, il y a le mot masturbation qui est ressorti, et puis
euh... je ne sais plus qui disait que ca permettait de pallier à un
manque qui était là et dü à votre situation.
Woody: Bien sür, bien sür.
Rachel: Et pis, est-ce que c'est un sujet que vous
pouviez aborder avec des codétenus avec qui vous vous entendiez bien? Ou
est-ce que là aussi cela reste un sujet tabou? Pis finalement est-ce
qu'il y avait aussi suffisamment d'intimité....
Woody: Je pense que c'est un peu comme à
l'extérieur. Entre gars on en parle pas beaucoup. On sait que chacun le
fait mais on en parle pas beaucoup.
Rachel: Ok
Woody: Evidemment, il y a les plaisanteries qu'on
fait en taule, disons, ah tu as vu le film hier soir, ou bien il y a des films
pornos qui circulent, qui étaient autorisé s, disons
tolérés.
Rachel: Tolérés ....
Woody: Ouais un temps c'était un peu limite.
Mais ca on pouvait quand même. Donc ca c'était... Pis ca en en
parlait en rigolant. Mais on va pas plus loin, on ne parle pas de masturbation
entre garcons. Et dans l'intimité, suivant oü, ca allait quoi. Les
murs étaient quand même assez épais et puis suivant
oü, en préventive, c'était du carton. Tu entendais tout ce
qui se passait à côté. Le pakistanais qui faisait la
prière à trois heures du matin ou autre chose.
Roseline: Pis après il y a de la retenue
Woody: Ouais.
Roseline: D'accord Mais vous, ce qui vous a vraiment
manqué c'est de tenir
quelqu'un dans vos bras, et d'avoir cet échange de
tendresse?
Woody: Ah ouais, ouais exactement.
Roseline: Mais l'acte en lui-même, c'était
peut-être une fois de temps en temps et pis voilà ? Mais ca
suffisait pas....
Woody: Non. Roseline: Non
Woody: Alors c'est vrai, il y a des détenus
qui pouvaient profiter de ces fameux parloirs familiaux. Donc ceux qui
étaient mariés depuis longue date etc. pouvaient avoir je ne sais
pas tous les combien de mois, une pièce qui leur était
réservée avec leur femme et ils pouvaient rester ensemble
quelques heures quand même avec un repas etc. Alors, il y avait quand
même cette possibilité. Bon moi, je n'en ai pas profité,
j'ai trouvé cela un peu frustrant que certaines personnes puissent en
profiter et d'autres pas. Parce qu'un autre qui veut profiter de ca il doit par
exemple faire appel à une prostituée, mais après le
règlement veut que ce soit depuis en tout cas six mois de relation,
qu'il ait des visites, etc. , etc. donc autant dire mission impossible quoi.
Donc, pour certains, on vous coupe le robinet si je puis dire et pis à
d'autres donc voilà ils peuvent quand même voir leur épouse
un moment. Pis ca vous fait vachement plaisir quand vous êtes
confronté à ce genre de situations.
Roseline: Donc vous en parliez entre vous et là
il y avait encore plus de souffrance de votre part....
Woody: Ouais, ouais. Tu vois, là il vient de
voir sa femme et pis là, tu vois la différence, il est de nouveau
heureux pendant une semaine. C'est génial la différence (rire)
Roseline: Et pis vous, vous êtes tiré par
le bas.... Woody: Bien oui, ma foi.
Roseline: Mais vous avez fait vous-même une
demande ? Vous vous êtes renseigné par rapport à pouvoir en
profiter de cette personne qui vient....
Woody: Bien on nous disait toujours la même
chose: Ç si vous voulez vraiment avoir une relation, il vous faut
conna»tre la personne depuis six mois en tout cas, et elle vous rend
visiteÈ et donc c'était toujours la même chose. Pis autant
dire que ce n'était pas possible.
Roseline: Et ca vous augmentait la frustration...
Woody: Ouais. C'était très difficile à
accepter.
Rachel: Et donc , est-ce que vous seriez pour avoir des
prostituées en prison? Woody: Oui, oui, oui. Je trouve que ca
serait une chose importante.
Rachel: Ouais...
Roseline: Est-ce que vous avez pensé ca sur le
moment ou aprés votre libération?
Woody: Déjà sur le moment. Sur le
moment on en parlait beaucoup, ca c'est sür, c'est un sujet qu'on
évoquait souvent, on en a discuté même dans des petits
groupes ou comme ca. C'était vraiment quelque chose d'important qu'il
fallait instaurer le plus rapidement possible. Que ce soit quand même une
possibilité pour chacun, chaque détenu, et pas seulement pour une
élite qui est mariée ou quoi que ce soit qu'ils puissent profiter
d'une relation, même si c'est que sexuel disons mais q'y ait au moins une
affection, quelque chose avec quelqu'un.
Roseline: Même si c'est seulement aussi être
côte à côte
Woody: Bon, d'un autre côté je me dis
que ces rendez-vous que certaines personnes avaient avec leur épouse ne
devaient pas être faciles, ca devait être artificiel, ils sont
là et c'est minuté. Euh... l'épouse elle sait qu'elle
vient là voilà pour que son mari puisse coucher avec pis
voilà ca doit être un peu bizarre. En attendant....
Roseline: C'est ce que vous vous disiez sur le moment
aussi?
Woody: Ouais, ouais. Mais bon ils ont quand même
leur moment de bonheur.
Roseline: Donc là ce que vous dites, c'est
quand on est en prison, on a pas envie d'avoir une relation avec un autre homme
même si c'est de l'homosexualité consentie comme disait votre
directeur et que vous vouliez pas ca
Woody: Ah oui c'est sür, c'est quelque chose qui
s'accumule. Moi je vous dis ca ne me viendrait pas à l'idée avec
un gars mais...
Rachel: Mais justement parfois on parle de euh... je
cherche mon mot... de relation forcée. Par moment, certains peuvent
être forcés d'avoir un rapport sexuel avec un autre
détenu.
Woody: Probablement.
Rachel: Est-ce que ca existe vraiment, est-ce que c'est
un fantasme qu'on se fait est-ce que...
Woody: Non. Non je pense qu'il y a beaucoup de
détenus qui finalement couchent ensemble parce qu'ils leur manquent
beaucoup d'affectivité et beaucoup de détenu qui deviennent
homosexuels en prison.
Rachel: Juste le temps de leur détention....
Woody: Voilà ou peut-être aussi
après j'en sais rien. Peut-être que ca se prolonge. Je pense que
c'est quand même un état d'esprit une fois qu'on l'accepte,
ç a peut se prolonger après.
Roseline: Est-ce que quand vous étiez en prison,
vous l'avez vu ou comme vous l'avez dit au début, c'était des
échos?
Woody: Y'a des fois des échos, des soupcons,
on voit quand même des couples entre guillemets qui se forment. Moi, j'ai
vu un couple qui vraiment se gênait pas, devant tout le monde, vraiment.
Je trouvais un peu choquant, je dois dire. Mais je pense que ca doit stimuler
beaucoup d'homosexualité dans ces situations-là. (Silence)
Roseline: Ce qu'on se disait, c'est que c'était
un passage pis qu'après les gens oubliaient, mais pas qui oubliaient
mais qui....
Rachel: Mais là aussi il y a un tabou autour
de l'homosexualité. Donc euh... J'ai eu une fois une discussion avec une
dame qui s'est spécialisé e dans la sexualité dans le
handicap. Elle disait que la sexualité qui était non
reproductive, qui n'était pas faite pour se reproduire en fait
était tabou. Parce que finalement on avait une sexualité que pour
se reproduire à l'époque, en tout cas à l'époque de
l'église et... Donc voilà, c'était une des
hypothèses pourquoi les sexualités dans lesquelles il n'y pas une
idée de reproduction, ben voilà c'était une
sexualité tabou. La sexualité de plaisir,
homosexualité...
Woody: Masturbation? Rachel: Masturbation
etc....
Woody: C'est tout à fait valable, maintenant
c'est possible qu'il y ait des couples qui se soit formés en prison et
le gars après abandonne après, c'est possible aussi. Mais disons
personnellement, une fois qu'ils ont franchi le pas...
Rachel: Je vais arriver à la dernière
question, euh. Qu'est-ce que vos expériences affectives durant votre
incarcération vous ont.... Est-ce que ca produit un changement
maintenant? Est-ce qu'il y a un changement d'idées, de visions?
Woody: Oui sur beaucoup de plans, il y a beaucoup de
changements ca s'est sür. Déjà, qu'est-ce qu'on
apprécie la liberté, on se rend pas compte quand on est libre ce
que ca vaut. a vaut de l'or la liberté. C'était la
première découverte en me promenant tout seul dans .
C'était extraordinaire, d'un autre coté c'est aussi assez
angoissant de voir du monde, du monde, du monde, la période de No`l ca
ce n'était pas facile à digérer.
Bon moi, j'ai eu de la chance car j'ai mis environ deux
semaines pour me mettre dans le bain et pis voilà, me
réintégrer. C'est extrêmement émouvant et il y a des
tas de choses justement qui reviennent, d'abord cette histoire de
liberté et pis vous pouvez de nouveau manger ce que vous voulez, vous
faites tous les bistrots du coin. C'est clair, on se contente avec beaucoup
moins de choses. Je me dis maintenant souvent que ca, ca ne m'apporte rien.
Et pis alors, vous avez de nouveau la liberté de
retrouver une femme. Alors bon, je vous dis honnêtement, ca n'a
même pas été tout de suite, j'ai attendu peut-être
deux mois pis je suis allé et j'ai trouvé une prostituée
et pis voilà, c'était mon premier contact avec une femme depuis
des années. Heureusement, c'était une fille extrêmement
gentille, bon je ne lui ai pas dit que je sortais de prison mais elle
était trés sympa, trés compréhensive et tout, ca
s'est passé euh... plus ou moins bien, ca a mis du temps car
j'étais tellement ému que... (rires)
Roseline: Là, vous étiez vraiment dans
l'affectivité...
Woody: Ouais, ouais, là c'était assez
beau.
Roseline: La sexualité était presque de
côté ?
Woody: Ouais, ouais.
Roseline : Vous aviez presque exprimé toute cette
frustration à travers...
Woody: Ah c'était... vraiment bien. Pis
aprés heureusement j'ai une connaissance, on se voit de temps en temps.
Ah, c'est des choses qui font partie de la vie et qui sont indissociables de la
vie.
Moi je dis c'est comme dans les EMS maintenant, bon on a
effectivement des groupes d'aide qui viennent dans ces EMS. Mais c'est
là oü je me dis que bon la société se rend compte que
même une personne %ogée a besoin de rapport d'affectivité,
ce qui est le cas mais alors tout ce qui est détenus, prison, des jeunes
dans la fleur de l'%oge qui probablement ont des rapports tous les jours
à l'extérieur, bien eux, on coupe tout, on interdit tout, on y
pense même pas.
Roseline: On les castre.... Woody: Ouais. C'est
dur!
Rachel: Si j'entends bien, il aurait une idée
d'écraser l'autre encore plus, euh... On te met tant de temps dans un
endroit, et c'est encore plus écraser la personne. On te rappelle que tu
as fait une connerie et lui rappeler que durant tant de temps c'est rien du
tout. Et je ne sais plus qui le disait mais quelque part on est qu'un
numéro et on est plus une personnalité, on est plus humain ...
Woody: Les gens sont des portes clefs, que des portes
clefs. C'est, c'est...
Roseline: Ce que vous dites maintenant, c'est que
vous proposez des solutions par rapport aux prostituées et un parloir
intime pour tous, moins de démarche administrative, moins de
lourdeur....
Woody: Et simplement avoir l'autorisation pour voir
une prostituée de temps en temps sans avoir besoin de la conna»tre
depuis X mois, une facilité de contacts, on l'autorise pour des couples
mariés, pourquoi on l'autoriserait pas pour un passage une fois d'une
prostituée, mon Dieu....
Mais bon ç a, c'est l'idée que la
société se fait d'une prison. La prison c'est quand même
une punition. La société, elle vous punit elle vous coupe de la
liberté, elle vous met dans une cage. Comme on dit toujours, c'est pas
dans une bo»te que les sardines vont appr endre à nager, mais c'est
comme ca. On est dans une cage, la société nous a punis. Y'a
qu'à voir que des fois dans les courriers des lecteurs, ils disent, vous
vous rendez pas compte ils ont même la télévision en
prison, vous imaginez ca, c'est du luxe. Alors que moi je dis que sans
télévision, tous les jours il y aurait un suicide c'est vraiment
un des seuls trucs qui vous tient encore plus ou moins en lien avec
l'extérieur et encore. Et pis euh...après ils disent encore
qu'ils ont le choix entre trois repas, vous vous rendez compte, ce qui est
totalement faux, parce qu'il y a des menus sans porc pour tous les musulmans,
le cuistot est obligé de faire sans porc de toute facon, un pla t
végétarien car il y a des gens qui ne mangent pas de viande et un
menu normal. Donc celui qui s'inscrit au départ pour le menu normal, il
mangera toujours le menu normal.
Rachel: Ah donc, il n'y a pas la possibilité de
varier dans les menus?
Woody: Il n'y a pas le choix! C'est un fantasme! Les
gens ne connaissent rien !
Rachel: Justement, quand on parle d'un milieu
fermé, c'est fermé. C'est complètement fermé pour
le regard extérieur. Et même nous avons pu visiter une des prisons
et donc c'est vrai on nous a montré ce qu'ils voulaient bien nous
montrer. Les discours étaient différents entre la direction et
les gardiens.
Woody: Déjà entre eux et pis après
les détenus, c'est encore un autre discours.
Roseline: Pour en revenir à la
société, la société dit des choses qu'elle ne
conna»t pas?
Woody: Elle est mal informée! Roseline:
Mal informée....
Woody: Elle ne sait pas ce qui se passe en prison,
pis elle invente des choses quand on voit des gens qui parlent de trois menus,
etc., de chambre individuelle, ils ont aucune idée de ce que c'est de
vivre dans... mon Dieu, quelques mètres carrés.
Roseline: a peut arriver à tout le monde de se
retrouver en prison...
Woody: Oui à tout le monde, même un
conducteur. Mais les gens sont mal informés, ils croient que c'est le
club Med, et c'est pas du tout cela, vraiment pas.
Roseline: Nous tenons à vous dire que
certaines choses qu'on va retranscrire mais qui ne seront pas forcément
utilisé dans notre mémoire car, parce que... c'est bien mais on
ne pourra pas tout mettre.
Woody: Ouais, ouais, on ne peut pas entrer dans tous les
détails.
Roseline: On va vraiment prendre par rapport à
votre vécu, l'affectivité, bon je ne sais pas encore comment on
va tourner ca, ca va prendre du temps à écrire mais....
Rachel: Nous arrivons à la fin, est-ce que
peut-être vous aimeriez ajouter quelque chose? Compléter quelque
chose?
Roseline : A quelque chose dont nous n'avons pas
pensé?
Woody: Non je crois que j'ai dit ces quelques points que
j'avais en tête, non pour moi c'est tout bon.
Roseline: Encore merci beaucoup!
Rachel: Merci beaucoup pour votre participation et votre
franchise. Woody: Pourvu que ca puisse aider!
Hors enregistrement : Comment avez-vous vécu cet
entretien?
Woody: Cela s'est bien passé, j'ai
été content de ne pas devoir parler de mon délit, cela
change.
Charles (Surnom choisi au début de
l'entretien)
Rachel: Bonjour. Déjà on voulait vous
remercier pour votre participation, de répondre à nos
questions
Charles: Si ca peut aider, y a pas de
probléme.
Rachel : C'est vraiment chouette, de nous aider dans
ce processus d'apprentissage. Et puis, je voulais encore préciser que
tout ce qui se dit, restera confidentiel et les enregistrements seront
détruits quand nous aurons fini. Quel nom souhaiteriez-vous que nous
utilisions ? Vous avez une préférence...
Charles: (Rire) C'est égal.
Roseline: Philippe, Yan, je ne sais pas...
Charles: Charles.
Roseline: Charles?
Charles: Si vous voulez.
Roseline: On dit Charles
Rachel: Je vais juste vous dire les themes qu'on va
aborder tout au long de ce questionnaire. Donc ce sera sur les
expériences d'échanges affectifs. On va vous poser des questions
au sujet de votre arrivée, pendant votre détenti on et enfin, une
ou deux questions sur votre sortie. Je voulais également préciser
que s'il y a des questions auxquelles vous ne souhaiteriez pas répondre,
vous pouvez nous le dire, et si vous avez besoin d'un moment de pause, pas de
problème on peut stopper.
Donc pour la première question, que pourriez-vous nous
dire de ce que vous avez pensé au moment oü vous êtes
arrivé en prison ? Qu'est que vous avez ressenti?
Charles: On se sent perdu, on a peur, il faut dire la
vérité, parce que c'est l'inconnu total, on écoute
beaucoup de choses jusqu'à ce qu'on est confronté à ca, on
On sait pas exactement comment ca se passe, en même temps,
c'était plus l'inconnu.
Rachel: L'inconnu qui fait peur?
Charles: Hum, hum oui. Aussi pour les choses qui
arrivent là-bas. On pense beaucoup à ca. C'est trés
spécial.
Rachel: D'accord....Vous avez un souvenir particulier
qui vous reste quand vous êtes arrivé? Quelque chose qui vous a
particuliérement marqué?
Charles: Oui toutes ces portes... toutes ces portes
de sécurité, partout des gardiens, quatre à cinq gardiens.
Ils sont tous pareils, et en même temps, je ne sais pas comment dire mais
c'est...un peu choquant quand même.
Roseline: Est-ce que vous seriez d'accord de juste nous
dire quelque chose par rapport à vous, de votre %oge....euh.
Charles: Moi j'ai ans, j'ai des enfants avec des
méres différentes et j'ai fait ans
de prison mais j'étais condamné à .
Roseline: Donc vous avez fait de la préventive et
aprés vous avez passé en prison ferme, c'est ca?
Charles: J'ai fait ans et quelques en préventive,
c'est presque la moitié de ce que j'ai fait.
Roseline: D'accord.
Charles: Parce que l'idée de préventive
ca dure des années. La préventive c'est pas pareil qu'en prison
pénitencier, parce qu'on reste enfermé 23h sur 24, une heure de
promenade, une fois par semaine du sport. Il faut voir ce que c'est le sport
aussi, et c'est tout le temps enfermé.
Roseline: Et alors, vous étiez seul dans une
cellule en préventive?
Charles: J'étais au début dans une
cellule de deux, puis je suis passé dans une cellule de cinq, j'ai
passé deux, trois jours et à un certain moment parce que j'ai
forcé, ils m'ont donné une cellule tout seul.
Roseline : Vous étiez carrément à
cinq, une fois trois jours?
Charles: Oui, oui. Ce qui était spécial,
c'est que les cellules de deux étaient des cellules pour un et les
cellules de cinq, c'était des cellules pour trois personnes.
Roseline : Ah oui d'accord et ca c'était en
préventive ? Charles: Et les cellules tout seul ,
c'était des anciens cachots.
Roseline: Oh... et puis aprés quand vous
êtes allé en détention ferme, là vous étiez
seul ?
Charles: Oui ca change, parce que là,
j'étais dans une cellule tout seul. Surtout que, que là-bas c'est
différent, totalement différent de la préventive.
Rachel: Puis en fait, quelles idée s vous aviez
des relations qu'il pouvait y avoir entre les détenus avant votre
détention ? Est-ce que vous y aviez déjà
réfléchi?
Charles: Non, non, sur le coup. Mais si on regarde
bien, il y a quand même beaucoup de gens qui respectent les autres,
même si c'est des gens qui sont pas trés fréquentables,
je connais dans le même contexte, c'est des fois plus solidaire
aussi. C'est vraiment spécial, parfois tu vois
quelqu'un, tu dis dehors tu ne lui parlerais pas, il est pas bien. Mais dedans
ca change tout par ce qu'on est tous dans le même bateau et si on
s'entraide pas ca ne marche pas. Il y a des gens qui font Ç le solitaire
È et j'étais un peu plus connu qu'eux, voilà quoi.
Roseline: Ce que vous êtes en train de nous
dire c'est que quand vous étiez dehors vous vous disiez qu'en prison
c'était des gens pas fréquentables et je vais les trouver en
prison.
Charles: Non, non, je dis simplement que quand on
arrive là-bas, on voit le comportement des gens et on se dit que ce
n'est pas des gens fréquentables. Ben quand même là-bas, on
a une autre facon d'être, on est tous dans le même bateau donc on
s'entraide.
Rachel: Est-ce que vous pourriez nous décrire
des moments dans une journée oü il y a la possibilité
d'échange et un moment donc qui a été important pour vous,
ou vous avez pu rencontrer du monde, lieux communs autres?
Charles: Il faut savoir que est divisé en zone et
zone . Le
c'est plutôt pour les gens qui arrivent, on est vraiment
23h sur 24h enfermé comme j'expliquais avant, mais dans le , on a
vraiment la chance de pouvoir manger dans le couloir. Et là, on se
rencontre tous ceux qui sont dans le même couloir et on mange tous dehors
car il y a des tables durant une heure, une heure et demie. On joue aux cartes,
on parle, et on essaye de s'entraider, si quelqu'un n'a pas de cigarettes, des
trucs comme ca.
Roseline : Vous avez donc apprécié ces
moments de repas?
Charles: Oui, il y a des fois que ca tourne chaud,
mais.... ætre trop enfermé, au moins on voit des gens, tout
simplement.
Roseline: Quand vous étiez dans la zone oü
vous pouviez échanger dans le couloir, vous pouviez aussi recevoir des
gens dans la cellule?
Charles: Non, ca c'est interdit. La cellule s'ouvre,
on sort dans le couloir et ils les ferment juste derrière. Le soir, ils
ouvrent un petit moment pour les gens qui mangent dedans et qui veulent donner
leur assiette directe. Je ne sais pas comment ca se passe maintenant, ca a
changé, parce qu'avant ils faisaient des plateaux avec le menu et tout
ca. Et maintenant apparemment, c'est chacun est avec son assiette et se sert
à la louche.
Rachel: Est-ce que les week-ends se
déroulaient de manière différente, est-ce que dans les
week-ends vous aviez aussi des moments avec la possibilité
d'échanger, d'avoir des contacts?
Charles: C'était toujours pareil.
Heureusement. Pas tout le monde avait une place de travail car il y en avait
pas pour tous mais moi je travaillais du lundi au vendredi avec des horaires.
On se mélangeait pas dans le travail, les gens de la menuiserie d'un
côté, mais dans le week-end c'est encore pire car situ ne
travailles pas tu sors pas, tu restes dans la cellule.
Rachel: Donc peu de possibilité
d'échange?
Charles: Ouais. Les seuls moments c'est quand tu vas
au sport, quand il y a le sport, il faut avoir l'envie des fois . La promenade
c'est une heure et situ as la chance d'être au , tu peux manger dans le
couloir. Aprés tu n'as pas vraiment la possibilité
d'échange, sauf situ es dans une cellule à plusieurs.
Roseline: Pendant le temps de travail, c'était
travail, travail, vous n'aviez pas de contact?
Charles: Moi, j'étais dans une place oü
je devais aller avec le chef dans les étages, des fois parce qu'il
fallait changer ou réparer, mais il y en a certain, c'est dans les
ateliers et ils ne changent pas de place. Bonjour et au revoir.
Rachel: Quand vous êtes arrivé à
créer des liens, c'était de votre initiative ou c'est les autres
qui sont venus vers vous?
Charles: C'est à peu prés, cela
dépend, les deux, parfois c'est certains qui viennent vers toi, certains
c'est toi qui y va, je ne sais pas comment expliquer, ca ne se programme pas,
ca vient comme ca.
Rachel: Mais disons... est-ce qu'il y a un effort
à faire pour s'intégrer? Pour...
Charles: C'est pas un effort. Vous arrivez dans un
endroit, on va pas dire que c'est dangereux mais qu'il y a des gens qui peuvent
être dangereux, on sait pas qui est qui, on sait rien. On doit savoir
oü on met les pieds. On peut pas débarquer comme dans la rue
entrain de rigoler, c'est pas une rigolade. On fait attention aux autres,
à soi-même et peu à peu, il y a des liens qui se
créent. Aussi, il y en a certain s qui ont besoin de parler parce qu'ils
ne sont pas bien et voilà. C'est spécial comme ambiance.
Rachel: Ces liens vous les décririez comment?
C'est plutôt des liens superficiels ou peut-être amicaux ou
peut-être affectifs?
Charles: Ca dépend de la personne vraiment, on
peut se faire un bon ami comme on peut simplement se faire une connaissance.
C'est... je sais pas comment expliquer, s'il y a un feeling qui passe? Bon il y
a des gens qui restent toujours entre eux, c'est pas seulement parce qu'ils
sont de même nationalité mais aussi c'est parce qu'il y a le
feeling, le respect que chacun a envers l'autre et en même temps, il y en
a certains qui même comme ca, si vous aimez pas, vous aimez pas. C'est
spécial, c'est une ambiance spéciale, vraiment.
Rachel: Est-ce qu'il y aurait des liens plus forts et
qui se créent plus rapidement?
Charles: Il y en a certains qui se créent plus
fort, il y en a certains qui se créent plus rapidement. Parce que si
vous connaissiez la personne et au bout d'un moment si vous êtes avec
dans la cellule, c'est forcément vous allez créer un lien et si
ca marche pas au bout d'un moment ca pete, il faut changer la cellule. Ou si
non comme je dis, c'est apres la prison quand on est dehors ca change aussi.
Chacun
retourne vraiment à son ambiance, à ses amis et il
y en a qui ne se perdent pas de vue non plus.
Roseline: Et vous vous avez pu créer des liens
d'amitiés avec certaines personnes?
Charles: Oui j'ai pu créer plusieurs liens
d'amitié avec. Aujourd'hui, je ne vois pas beaucoup de gens, mais il y
en a certains qui ne sont pas dans le même pays et par internet on parle
un peu.
Roseline: Pendant que vous étiez en prison?
Charles: Non aprés.
Roseline : Des liens qui perdurent.
Charles: Bien oui par ce que nous étions dans la
même galére. (Rires) Rachel : A ramer ensemble ?
(Rires)
Charles: Exactement! (Rires)
Roseline: Quand vous dites que si vous êtes
à plusieurs en prison. C'est ce qui vous est arrivé? Vous aviez
des soucis quand vous étiez à plusieurs dans une cellule, vous
avez demandé à changer....
Charles: Non, non, moi je voulais être tout
seul depuis un moment. Parce que la prison de toute facon, c'est rotatif. Quand
une personne arrive aujourd'hui, on sait pas s'il part demain ou s'il part dans
deux ans. Avec la personne ca peut se passer bien et la personne qui arrive
aprés ca passe mal, je préférais éviter cela. Un
moment j'étais avec une personne et ca se passait trés bien et
quand il est parti, la personne qui est arrivée ca a pété.
Pis un ou l'autre doit changer de cellule et ca pose encore plus de
probléme alors j'ai préféré être seul pour
éviter ce probléme. Ce n'est pas évident de l'obtenir,
mais j'ai forcé, forcé et je l'ai eu. (Rires)
Roseline: D'accord...
Charles: Parce que là il n'y a personne qui
arrive sauf toi.
Roseline: Ouais, c'est votre initiative, d'aprés
ce que vous dites, ce n'est pas trés ouvert....
Charles: Non, il y a des gens qui ne supportent pas
d'être seuls, c'est sür, ils préféraient des cellules
à deux ou à cinq, parce qu'ils sont comme ca, il faut parler,
pour avoir quelqu'un à côté et pour pouvoir s'exprimer.
Mais moi, je n'ai pas eu ce probléme. Moi j'étudiais, je
m'occupais différemment quoi.
Rachel: Tout à l'heure, vous parliez de
solidarité, pour vous il y avait beaucoup de solidarité?
Charles: Il y a des problémes entre eux mais
les problémes entre eux c'est différent. Mais quand il y a un
probléme qui concerne vraiment tous les gens, là c'est
différent. Les gens mettent un petit moment sa rancune de
côté parce qu'il y a eu deux, trois fois soit disant, ca m'a fait
rire aussi, comme on dit, les émeutes.
Pour moi le mot émeutes c'est trop
exagéré. Parce que des gens qui refusent de rentrer dans sa
cellule, ce n'est pas une émeute, c'est simplement demander des choses
qui n'arrivaient jamais et ils décidaient de pas rentrer dans la cellule
et deux ou trois heures aprés, ils rentraient sans probléme.
Roseline: Et là vous étiez solidaires
entre vous? Charles: Oui, c'est mieux des fois.
Roseline: Dans le sens de dire que s'ils ne souhaitent
pas rentrer c'est qu'il a des demandes et puis vous appuyez ...
Charles: Oui, des fois ce n'était pas pour une
seule chose et pour une personne, c'était par exemple pour les frigos,
maintenant dans chaque cellule il y a des frigos. En été, il fait
tellement chaud et tu ne peux pas sortir de ta cellule pendant deux, trois
heures, on fait comment? On va se déshydrater, donc ils ont forcé
pour avoir ca et maintenant, ils ont des frigos quand même.
Rachel: Est-ce que vous avez pu créer des liens
de confiance?
Charles: Ouais. J'ai pu créer des liens de
confiance. Moi je sais pas si c'est ma facon d'être mais les gens
prenaient beaucoup plus de confiance envers moi, à parler avec moi et
m'expliquer les problémes que moi vers les gens. Il faut vraiment que je
sois vraiment confiant pour pouvoir parler. Pour pouvoir parler de mes
problémes et de mes soucis. Mais bon bref, à la fin tout se
sait.
C'est le probléme, parce qu'on parle à quelqu'un et
celui-là fait confiance à l'autre et voilà c'est comme ca,
cela en fait partie, c'est ca aussi. (Silence)
C'est spécial.
Mais moi, je n'ai rien à cacher, j'explique tout ce que
j'avais, mais il y a des gens qui comprenaient pas trés bien, qui ne
parlaient pas trés bien la langue ou qui ne comprenaient pas trés
bien la loi, même les avocats ne prennent pas vraiment le temps
d'expliquer bien comme il le faut. Je les aidais et souvent cela les
soulageait. On est forcé d'apprendre des textes de lois pour être
là-bas aussi. Alors ils demandent Ç est-ce que tu connais un cas,
comment ca s'est passé?È Des fois j'expliquais tous les cas, mais
même si c'est la même chose ce n'est pas jugé pareil. C'est
un truc à je sais pas combien de vitesse, pas à double vitesse,
mais plusieurs. Si tu as de l'argent, c'est une vitesse spéciale, si
t'es jeune c'est encore une autre vitesse, si t'es vieux encore une autre.
Je sais pas, je sais pas comment ca se passe.
Roseline: a vous prenait beaucoup de temps toutes ces
démarches administratives?
Charles: Parce que pour moi on est tous égaux
devant la loi et quand on doit juger égaux, on juge pas égaux.
Celui qui fait le même délit, il peut avoir 6 mois comme 2 ans
comme un sursis et même être acquitté, c'est le même
délit. Soit disant il y a des
choses spéciales. Il y a des choses circonstancielles
parce qu'il est jeune, il étudie, des choses comme ca.
Par contre j'ai vu des gens que le juge laissait là pour
voir s'ils parlaient. C'est extraordinaire ca, je suis resté bouche
ouverte. (Rires)
Cela change avec l'avocat et que tu le payes bien, ca change,
mais bon c'est comme ca, c'est la vie.
Rachel: Puis dans les contacts qui ont compté
pour vous, c'était principalement des rencontres sur le lieu de travail,
dans le couloir?
Charles: C'était des collègues de
cellule, aussi des gens qui étaient dans le même couloir, des gens
que je connaissais déjà avant. Tu connais quelqu'un, lui il
conna»t l'autre. Des fois c'était spécial, on dirait que les
tables étaient réservées, personne changeait.
Rachel: Donc en fait, il y aurait besoin d'une certaine
proximité pour pouvoir créer des liens?
Roseline: Un réseau...
Rachel: Oui mais disons que ce n'est pas
forcément facile de créer des liens avec quelqu'un d'un autre
couloir, c'est ca en fait ce que je me posais comme question?
Charles: a dépend de la personne, si la
personne est sociable, c'est différent que si quelqu'un est
antisociable, je ne pense pas qu'il y aurait beaucoup de personnes qui iraient
vers lui. Il y avait quelqu'un qui avait des problèmes psychologiques et
quand il allait bien, c'était une personne extraordinaire. Mais il avait
reconnu qu'il avait son problème psychiatrique, moi je trouvais ca
fabuleux qu'il ait reconnu qu'il n'était pas bien, il était
schizophrène, et après, tout le couloir partageait avec lui et
les jours ou il n'était pas dans son assiette, alors tout le monde se
mettait de côté. On le respectait.
Roseline: Ce que vous êtes en train de dire
peut-être, c'est qu'il faut du temps pour apprendre à
conna»tre les gens...
Charles: C'est le temps d'adaptation, comme on dit
chez nous. On peut pas arriver là et voilà. Sauf situ connais du
monde et on te présente, c'est différent. Les gens sont
méfiants.
Rachel: Quand vous avez rencontré des gens, ces
liens vous ont permis de vous sentir mieux ou peut-être seul ?
Charles: Non, c'est une entraide, on se sent bien,
pas seul. Pas tout à fait seul car certains moments on parle, on rigole,
on joue aux cartes pour se changer un peu les idées. Sinon on sort tous
fous.
Rachel: Comment pourriez-vous nous décrire la
nature de ces contacts, était-ce plutôt des échanges de
mots ou non verbal ou peut-être une tape sur le dos?
Charles : Oui, un peu tout ca. C'est un peu comme
dehors, il y a des gens qu'on salue, il y a des gens qu'on respecte plus que
les autres, il y a des gens que tu peux plus rigoler et taquiner. Cela
dépend de ce qui se passe entre les gens, simplement. Il y a des gens ou
tu peux te permettre de lui dire tu fais Ç chier È. C'est comme
cela. (Silence)
Roseline: Mais peut-être aussi peut-être par
rapport au non verbal....
Charles: Ouais, aussi quand on allait à la
promenade, on prenait le soleil et on restait là, une heure sans se
parler et on était bien. C'est aussi un système de se sentir
protégé.
Si tu vois arriver quelqu'un, tu vas me le dire, alors je sais
pas situ vas me défendre, parce que tu ne peux pas compter sur tout le
monde, mais au moins il va t'avertir. Voilà c'est des trucs comme cela.
C'est aussi faire attention à ce que l'on fait, j'ai beaucoup
constaté, je parlais aussi beaucoup avec le psy, parce que quand on est
dedans, on crée des réflexes. Et quand on sort, c'est fatiguant.
Quand tu es dedans tu regardes, tu écoutes, et quand tu es dehors avec
tous les bruits c'est fatiguant.
Roseline : Ah oui, ca perdure? Charles: C'est
un réflexe.
Rachel: C'est un réflexe qui dure?
Charles: Non après ca va, mais les deux, premiers
jours en tout cas, c'est...aussi, on sait jamais qui..., ca peut péter.
Des tensions de tous les côtés...
Rachel: Vous étiez tout le temps sur vos gardes?
Roseline : Vous avez eu des soucis de, de... Charles: Non,
pas moi. Il ne fallait pas.
Roseline : Vous vous êtes
protégé...
Charles: Je ne me battais pas, car il ne fallait pas. Si
je m'engueulais avec un gardien, je ne disais pas de gros mots, mais je faisais
respecter mes droits d'humain.
Roseline: Je me souviens, quand nous nous sommes
rencontrés, vous parliez d'humanité, vous êtes d'accord de
nous en reparler?
Charles: Oui c'est ca, on peut pas mettre tout dans
le même panier, j'aime pas généraliser, mais il y a
certains gardiens qui pensent que si vous êtes en prison, surtout on a le
droit à rien, on doit que se taire. Et je disais non, ce n'est pas comme
ca.
Roseline: Et vous, vous l'exprimiez?
Charles: Je suis désolé, est-ce que je
suis condamné? Non ! Alors, je suis innocent encore, j'ai encore tous
mes droits. Je lui montrais le code pénal, parce que j'en ai
acheté un, et je lui disais Ç tu vois c'est
écrit là È. Et il s'énervait parce que c'est le
gardien. Je n'utilisais pas les gros mots, mais je haussais la voix. Mais c'est
des trucs comme ça, mais voilà quoi. Quand il me voyait comme
ça, je lui disais je n'ai dit que la vérité.
Roseline: C'était votre caractére....
Charles: J'ai dü faire un travail là-dessus,
car je dis toujours les choses vraies mais pas toujours comme il le faut, pas
vraiment diplomate.
Roseline : Vous avez appris la diplomatie en prison ?
(Rires) Charles: Je disais voilà, ce que je pensais.
Roseline : Alors vous avez fait un travail
là-dessus en prison ou aprés? Charles: Non en prison,
avec les psys.
Roseline : Ah oui, ils vous ont aidé à ce
niveau là....
Charles: Oui parce que j'étais aussi
condamné à un suivi thérapeutique. J'étais
obligé, il fallait bien l'utiliser pour quelque chose Et ça
marche.
Rachel: Vous avec trouvé cela positif....
Charles: Ouais, c'est trés positif. (Rires) Il y
a encore des traces.
Roseline: Là, ce que vous êtes en train de
dire, c'est que vous avez créé des liens différents mais
créé des liens avec le psychologue
Charles: Exactement.
Roseline: Et il y a aussi peut-être l'assistante
sociale ?
Charles: Oui j'ai créé des liens avec
l'assistante sociale qui est partie aprés, avec un des psys et j'ai
créé des liens... comment expliquer... pffou des liens.... Ils
sont là pour faire leur travail, c'est un lien, on va pas dire de grande
amitié mais quand même d'amitié. Une relation de
respect.
Rachel: Quand nous sommes venues nous présenter
lors du repas, le mot séduction est ressorti, est-ce que vous pourriez
nous en dire quelques mots....
Charles: La personne qui parlait d'affection, mais en
parlant de séduction. Et moi, j'expliquais que la séduction c'est
pas pareil que l'affection. C'est autre chose. Tu peux avoir de l'affection
pour un chien mais la séduction pour un chien c'est... (rires)
trés spécial.
Là-bas, j'avais la visite de ma mere, de mes enfants et de
mes amis, je me sentais bien et j'avais un peu d'affection.
C'est vrai que du côté séduction, il n'y
avait rien. Il y en avait qui sont venues, mais j'ai dit, c'est une perte de
temps on fait comment surtout en préventive, non, ce n'est pas
possible.
Roseline : Vous parlez de montrer des signes d'affection
?
Charles: Non, de séduction, l'affection je l'ai
avec mes enfants dans les parloirs, je les tiens dans mes bras, je leur donne
des bisous, c'est de l'affection.
Roseline: Donc vous avez recu de l'affection de
l'extérieur en prison? Mais dans la prison il n'y en a pas?
Charles: C'est spécial parce que moi j'ai
vécu de l'affection, mais de l'amitié, de respect, il y a
tellement de facon de donner de l'affection. Mais c'est vraiment la
séduction qui est dure. Il faut être chacun d'accord de faire ce
qu'il veut c'est leur vie.
Rachel: Donc pour vous, l'affectif ne vous a pas
manqué, mais la séduction, oui?
Charles: Bien sür, ca oui. Tenir quelqu'un dans
les bras, pouvoir l'embrasser, tout ce qui va avec. Ce n'est pas pareil que de
tenir mes gamins dans les bras et de leur donner des bisous, ce n'est pas la
même chose, c'est la vérité.
Roseline: Donc ce qui vous a manqué, c'est une
femme... Charles: On peut dire. Ce n'est pas un objet non plus.
Rachel: Bien sür, pas pensé comme un objet.
Charles: Non, parce que là-bas quand on dit je
veux une femme, c'est comme un objet, une poupée gonflable, un truc
comme ca.
Roseline: C'est instrumentalisé...
Charles: Oui
Roseline : Vous vouliez être à
côté d'une femme, pas d'un homme! Charles :
Voilà.
Rachel: Il y avait aussi le sujet des gardiennes de
prison qui était ressorti. Elles pouvaient être trés
jolies, séduisantes qui....
Charles: Moi de mon point de vu e, ca évoquait
plus de calme, bien sür il y a des gens qui pensaient pas comme moi. Pour
moi avoir une jolie femme, avec qui je sais trés bien que je ne peux pas
faire de la drague, sauf si c'est elle qui commence, bon on sait jamais,
(rires), mais c'est agréable, C'est un moment agréable, ca
change, c'est différent.
Roseline : Vous pensiez que ca apaisait d'autres
personnes peut-être ?
Charles: Oui. C'est vrai que pour certains draguer
c'est important, et surtout s'ils sont chauds. Certaines n'étaient pas
trés gentilles, mais c'est normal c'était pour se
protéger.
Rachel: Donc on a parlé de séduction,
d'affectivité et il y a une question qui est quelle différence
vous faites entre l'affectivité et la sexualité?
Charles: Ouf....
Rachel: Est-ce que la séduction vous la mettez
avec la sexualité?
Charles: Oui, c'est la séduction qui conduit
à la sexualité, enfin de mon point de vue. Affectif, il y a plein
de choses avec qui on peut être affectif, mais il faut bien
définir avec qui on va être affectif et comment on va l'être
et de quelle façon. Parce qu'il y a des gens qui, qui ne se font pas de
caresses et de bisous. Il y a des couples qui sont comme ça, mais
ça dure, ils sont comme ça.
Rachel: Donc vous, vous avez vraiment plus manqué
de séduction, de sexualité que d'affectivité?
Charles: D'amour (rires). Oui, passer un moment bien,
comment expliquer... . C'est pas que sexuel aussi, c'est... voilà ,....
l'envi e de se sentir vraiment... je ne trouve pas le mot...se sentir dans les
bras d'une femme...
Rachel: Désiré?
Charles: Voilà, comme ça aussi.
Roseline: Ce que vous dites aussi par exemple en
promenade vous prenez le soleil quand vous êtes assis à
côté d'un homme ce n'est pas la même chose que d'être
à côté d'une femme. A côté d'une femme, il y a
le plus que l'on se sent encore mieux....
Charles: Voilà, il y a le plus. C'est pour
ça qu'on crée des couples. (Rires) Rachel: C'est un
sujet que vous pouviez aborder entre détenus? Charles: a
parlait tout le temps de ça.
Rachel: D'accord... mais un peu crüment ou plus
profond et sincere?
Charles: Il y a des gars qui sont crus et d'autre plus
sincéres. Il y en a qui se sentaient mal, il y en a beaucoup qui ont
perdu leur femme aussi.
Il y en a aussi qui ont dit à leur copine : viens plus,
car ils ont pris je sais pas combien d'années et ils ne veulent pas que
les femmes attendent. C'est des choses dures, oui c'est dur. C'est une
façon d'aimer aussi. C'est un peu égo ·ste: non tu dois
attendre... C'est des décisions à prendre... C'est pas facile.
(Silence)
Rachel: Vous aviez également évoqué
la distribution des préservatifs?
Charles: a oui, mais les gens ils se trompent des
fois, parce qu'il y a tellement de trucs qui se passent là-bas, je ne
veux pas mentir, je ne veux pas dire qu'il n'y a pas de gens qui l'utilisent
vraiment, mais ce n'est pas tout le monde. Les préservatifs partent
beaucoup pour d'autres trucs, simplement de faire un joujou ou mettre des
choses dedans pour balancer un truc à un autre par la fenêtre.
C'est de communiquer d'une facon ou d'une autre.
Roseline: Donc vous dites qu'ils les lancaient par la
fenêtre?
Charles : Oui, mais maintenant ils ne peuvent plus car
ils ont mis du grillage depuis un moment et là c'est chaud car il n'y a
même plus l'air qui rentre.
Roseline: Mais c'est suite à ca?
Charles: Oui, oui bien sür. , c'est le quartier des
femmes donc parfois,
ils s'envoyaient des petits mots, cela fait partie aussi de
l'affection. Je connais des gens qui sont tombés fou amoureux alors
qu'ils ne se sont jamais touchés.
Roseline: Et vous vous n'avez jamais eu...
Charles: Je ne comprends pas moi, il faut que je puisse
tenir dans les bras.
Roseline: Un contact....
,
Charles: Avoir un contact physique. S'il y a une femme
qui sort de l'ascenseur, on doit se mettre de côté, on ne peut pas
avoir de contact.
Roseline: C'est trés normé?
Charles: Ouais, ouais. Vous avez le droit qu'à ca
et c'est tout. Roseline : A droit à quoi....
Charles : A rien. (Rires)
Roseline : A travailler, à manger....
Charles: Manger et travailler et encore. Et avec la
nourriture, au départ, j'avais beaucoup de problémes, j'avais des
brülures d'estomac avec la sauce et je leur demandais sans sauce, mais ils
la mettaient toujours, même avec un mot du médecin.
Roseline: Donc droit qu'à ca, c'est lors des
visites, c'est toucher les enfants, leur faire des bisous et embrasser sa
maman.
Charles: et encore car , c'est face à face et pas
à côte à côte. Il y a
même une table entre les gens au cas ou ils veulent se
passer des choses. Il y a que dix places, ca il faut savoir, alors les gens
font des coudes pour pouvoir venir me voir et on va dire 300 prisonniers,
à l'époque 500 et plus. La visite c'est samedi, dimanche et
mercredi pour les gens qui ont des enfants qui ont la priorité.
Roseline: C'est des mois d'attente...
Charles: C'est des mois d'attente si on ne fait
pas... parce qu'il faut s'inscrire, je ne sais pas quel jour, c'est les dix
premiers. C'est comme ca. Ce n'est pas facile. Bon il y en a p lein qui n'ont
pas de visite. Le téléphone c'est pareil, tu dois faire une
demande par écrit et tu attends.
Roseline: Par rapport au préservatif,
désolée de revenir en arrière, vous les avez recus
dès votre arrivée?
Charles: Non, moi on m'en n'a pas d onné.
Roseline : Ah, vous en avez pas recu? Mais ils en
distribuent ?
Charles: Il y en a au médical et la plupart ils
en prennent pour faire le business.
Rachel: Lorsque nous nous sommes vus on a parlé
des idées sur les expériences homosexuelles en prison....
Charles: Pour moi, si c'est des adultes consentants,
c'est leur problème, leur vie. Chacun vit sa vie chez soi. Voilà,
même là-bas, ils y en avaient qui étaient homo, je m'en
rappelle, il y en avait un qu'on voyait très bien, il était
sympa, mais il savait très bien avec qui il pouvait parler de ca et avec
qui il ne pouvait pas.
Roseline: Il savait pertinemment qu'avec vous il ne
pouvait rien...
Charles: Vous savez, les homos, je connais cela, ils
savent très bien avec qui ils peuvent être.
Roseline: Ce que votre directeur disait sur
l'homosexualité consentie, à un moment donné, ce besoin
affectif ou besoin de sexualité, c'est un court moment mais que cela n'a
aucune incidence à la sortie.
Charles: C'est les gens qui tentent leur
expérience. Roseline: Pour vous c'est cela, Vous n'étiez
pas tenté... Charles: C'est sür que non, moi
c'était clair, ah oui.
Roseline: Pour vous, vu que c'était clair, vous
vous êtes retrouvé seul dans votre besoin affectif...
Charles: Il fallait le vivre de toute facon!
Roseline : Vous êtes obligé.... C'est votre
caractère qui a décidé...
Charles: C'est comme ca! Je savais que j'allais passer
toutes ces années comme ca sans affection et moi je viens d'un pays
ou peut-être cela peut se passer comme vous dites. Mais chez moi c'est
comme ca. Même si c'est marqué dans le
code pénal, ici c'est comme cela. On parle beaucoup,
beaucoup, on commence à voir si on peut faire quelque chose. C'est pas
qu'on va faire. C'est on va voir.
Roseline: D'accord. Là vous parlez des parloirs
intimes?
Charles : Oui les parloirs intimes. Simplement le fait
d'agrandir un peu la salle de visite de Tout le monde en parle, il n'y a rien
qui se fait.
Roseline: Et vous quand vous étiez en prison vous
pensiez à ces parloirs intimes et si cela avait existé ca vous
aurait aidé?
Charles: Oui c'est long à la longue. Oui ca
m'aurait beaucoup aidé. Oui c'est la réalité, les gens
sont tendus, tout le temps.
Roseline : Vous aussi?
Charles: Oui pourquoi dire non si c'est vrai. On est
tous tendus, même les gardiens sont tendus. Même le directeur de la
prison est tendu. Et s'il n'est pas tendu, c'est qu'il y a un probléme,
c'est qu'il s'en fout.
Roseline: Et vous en parliez entre vous des parloirs
intimes, de ces moments...
Charles: Oui, mais à chaque fois, c'est que
nous sommes en préventive, mais aprés on disait, le seul que je
sais, qu'on m'a dit c'est en suisse italienne, qu'ils y avaient des parloirs
intimes et tout ca. Mais qu'il fallait attendre car il y avait beaucoup de
demandes.
Roseline: C'est aussi un projet à ou je ne sais
plus oü?
Charles: , je crois, mais c'est un projet.
Rachel: Vous pensez que s'il y avait des parloirs
intimes un peu partout cela diminuerait la violence et les tensions?
Charles: Ah mais écoutez, les hommes qui font
l'amour, c'est les médecins qui disent, ils se sentent bien, il y a
plein d'hormones et des vitamines qui se calment qui aident à calmer les
gens... a sert à calmer plein de monde, ca c'est sür.
Roseline: Quand il y avait des couples ensemble,
homosexuels, ils pouvaient trouver des moments d'intimité?
Charles: Je pense que s'ils sont dans la même
cellule, ils trouvent vite fait.
Parce que si c'est dans la douche, il n'y a pas tout le monde qui
peut supporter ca et ca peut vite tourner au vinaigre. C'est un moment qui
crée....
Roseline: Est-ce que vous avec vécu une
expérience oü quelqu'un a eu une relation forcée ?
Charles: Non, il y a eu quelqu'un qui s'est
promené avec son membre à l'air, en érection, et les gens
lui ont dit : Ç tu te calmes, sinon tu vas passer un mauvais moment
È.
La douche c'est le seul moment que nous avons et nous pouvons
nous détendre. Quand on sent l'eau tomber, ca fait du bien, tout le
monde prend une longue douche. C'est vraiment un moment de détente.
Quand on est pas bien et que l'eau tombe et tombe, ca calme.
Roseline: C'est presque affectif....
Charles: C'est sür, certains ne se douchent pas,
mais la plupart, on attend que ca!
Il y a eu des problémes à cause des douches avec
les gardiens. Des gens qui sont allés au cachot parce que la douche
était refusée car le temps était dépassé.
Roseline: Le droit à la douche....
Charles: a, c'est pas défini. Normalement
chaque deux jours, de telle à telle heure. Moi ce qui me fait rigoler,
c'est le droit de l'homme ici, mais ici ils donnent le strict minimum, pas
plus. Une heure de promenade, pas plus, c'est ce qu'ils donnent c'est le
minimum.
Rachel: Mais là on parle de la préventive,
car qu'on on sort de la préventive, il y a quand même plus de
promenades....
Charles: C'est différent, tu peux aller à
la salle de gym quand tu veux, apparemment, aprés, avant le
travail...
Roseline: Mais vous n'avez pas connu ca vous?
Charles: Non, moi j'étais dans autre une prison.
J'étais ,
c'est .
Roseline: Mais là, il n'y avait pas de
moment...
Charles: Non, là-bas on t'ouvre la porte, tu
passes ta journée dans le couloir, on avait des contraintes de
préventive des fois. Dans l'immeuble de , il y avait un probléme,
ils donnent des réponses incompréhensibles, simplement de ne pas
vouloir bouger, voir les choses. C'est comme cela. Le pouvoir. (Rires)
Rachel: On avait également évoqué
la masturbation, pendant ce repas, je ne sais plus qui disait que ca calmait,
à un certain moment?
Charles: L'acte ne suffit pas, mais ca aide, il faut
le dire. a calme un peu quand même. En même temps, il n'y a que
ça. Et pour les moments intimes, quand les autres partent à la
promenade, il y a un moment intime possible, et la nuit. Chacun a son lit et
les toilettes et voilà.
Roseline: Et en préventive, on entend tout....
Charles: Non, les gens sont discrets. Les gens
n'acceptent pas tout, dans la galère qu'on est, il ne faut pas trop
bousculer les choses. Chacun trouvait sa facon. Je travaillais à la
buanderie et je trouvais des matelas avec des trous. (Rires)
(3min de non retranscription d'un aparté sur les
pratiques solitaires hors détention qui ne sont pas l'objet de notre
mémoire)
Charles: J'ai vu un reportage, au Canada, ils te donnent
même une petite maison durant une semaine, avec ta famille.
Rachel: Même là, il faut remplir de
sacrées conditions pour y avoir le droit?
Charles: On m'a expliqué que parfois, il faut
attendre quatre mois avant d'avoir le droit d'aller au parloir intime et
même parfois, ils font du chantage.
Et ce qu'on m'a expliqué aussi, c'est que pour avoir le
droit au parloir intime et oü il y a un parloir intime , ca doit
être ta copine ou compagne avec qui t'es avec depuis six mois, donc une
prostitué e, non c'est pas possible. Il y a des gens qui sont rien.
Roseline: Quand on vous raconte cela, vous vous sentez
comment?
Charles: Je n'arrive pas à comprendre ce
système, c'est un système de fou. Simplement être
là, la capitale des droits de l'homme, soit disant oü on a
créé les droits et on donne le strict minimum. Et il y a des
pays, oü on donne plus et il y a moins de problème.
J'expliquais au directeur là ou je suis maintenant qu'
avant je m'en foutais jusqu'au jour oü nous sommes confrontés
à ça. Ce n'est pas mon problème. Une fois qu'on est
confronté et on voit les choses comme elles sont. Ce n'est pas
facile.
Aujourd'hui vous êtes confrontés à ca parce
qu'on en parle mais les gens sinon ils s'en foutent de ca.
Un jour on doit sortir. Les gens ne s'imaginent pas qu'on va
sortir un jour et comment ? Avec plus de colère, avec la rage.
Même étud ier ce n'est pas facile, c'est
incroyable. J 'ai dü casser du bras pour y arriver. Deux enseignants
qu'à 50% et la salle est tellement petite, il n'y a pas beaucoup de
place. Tout le monde aimerait faire quelque chose. Quatre ou cinq personnes
seulement qui peuvent entrer. On étudie soit par courrier, par
toi-même. C'est pas évident.
Si vous occupez cela aide à pas penser à
l'affectivité.
J'ai même fait de l'origami pour pouvoir passer le temps.
(Soupirs)
Plier, Plier, je fais quoi, Il est 17h, 18h j'ai pas sommeil, je
lis, j'ai plus envie de lire, d'étudier, j'arrive plus, je fais quoi, je
continue à plier. Essayer d'oublier.
Non retranscription, aparté sur la
ÇpréventiveÈ
Rachel: On avait également abordé cette
violence envers soi-même, qui était là parce que le manque
d'affectivité pouvait être violent.
Charles: La violence, comment expliquer, c'est pas
qu'on se fait du mal, ca fait mal, c'est violent par exemple la contrainte
d'être séparé avec sa femme ou sa copine. Il y en a qui
tienne.
Pour moi la violence, c'est que tu perds pleins de trucs et
aprés tu perds tout et quand tu sors, on te donne rien. En plus, il faut
sortir comme un ange! Il faut réfléchir, ce n'est pas une
solution.
Roseline : Vous avez utilisé les rencontres
thérapeutiques pour aller mieux?
Charles: Bien oui, pour aller mieux, j'ai deux gamins
et je voulais leur donner un autre exemple, une autre facon de faire et
voilà quoi, changer tout. Qu'ils ne restent pas avec cette image.
(Silence)
Rachel: Quand on ne connait pas ce qui se passe, on a
que les images de la télévision, des films, on parle beaucoup des
relations forcées. Est-ce que vous en avez vu?
Charles: Moi je n'ai pas vu, mais je me rappelle
qu'à l'époque, il y en avait un qui avait violé son
codétenu, la personne en a parlé avec un gardien et aprés
il a porté plainte.
Roseline: Quand vous avez entendu ca, qu'est-ce que ca
crée chez vous?
Charles: Le gars a été
transféré, sinon il avait passé des sales moments. Et
quand je dis de sales moments, c'est n'importe ou et n'importe quand.
Vous savez, il y a certains crimes qui ne sont pas supportables
et malheureusement, pour la majorité, ca se passe mal pour la
personne.
Il y a aussi des homosexuels et ca on le sait bien, il y avait
un avec les cheveux longs et pour lui il était une femme, je ne sais pas
comment ca se passait pour lui mais j'imagine aussi que l'affectif ne devait
pas être facile.
4 min de Non retranscription, aparté sur un
pédophile qui reste un humain. Roseline: Il y a aussi beaucoup
l'imagination qui joue un rTMle?
Charles: Oui, on s'évade beaucoup avec la
tête. La journée est longue, le matin on te réveille
à 7h30, tu prends le petit déjeuner, tu bois un café, puis
la promenade vers 11h30 et aprés tu fais quoi ? Tourner en rond!
Rachel: Que pensez-vous de la possibilité de
faire venir une prostituée ?
Charles: a serait bien. Sincérement ca serai t
bien, car il y a des cas ou ils ne parlent même pas la langue, il n'a
personne ici, personne vient le voir et voilà il vient d'un autre pays
et comment il fait pour trouver quelqu'un?
Rachel: Je n'avais pas imaginé ca.
Charles: Oui, ils sont condamnés 3-4 ans et ils
apprennent le francais car ils sont obligés parce qu'ils doivent parler
avec les gardiens. T'as pas de famille!
Une prostituée ca peut aider beaucoup et elle pourrait se
faire plein d'argent. (Rires)
Roseline: Et vous, quand vous y étiez, vous avez
pensé à ca ?
Charles: Non, j'avais mon système de ne pas
penser à ca. Car plus on pense et plus ca fait du mal.
Rachel: On arrive à la dernière
question, qu'est-ce que vos experiences affectives durant votre detention ont
change lors de votre sortie? Est-ce qu'il y a eu un changement dans vos
relations amicales ou amoureuses ?
Charles: Moi, ca a change beaucoup car maintenant je
suis fidèle (rires) car à l'epoque je ne l'etais pas trop.
Voilà. Et avant, j'etais plus exigeant, ce que je ne pouvais pas avoir
à la maison, je vais le chercher dehors.
Roseline : Alors c'est un point positif, ca vous a
permis de changer....
Charles: Ce que ca m'a permis, c'est de savoir que je
peux tenir aussi longtemps sans femme. Par exemple aujourd'hui, on casse avec
une femme qu'on aime, dans deux mois plus tard on drague et trois mois
après on sort avec quelqu'un d'autre.
Roseline: Et là par contre une annee, deux ans
c'est rien....
Charles: Même les femmes des fois cherchent un
mec pour une nuit, Ca m'est dejà arrive. Et ca maintenant, je ne veux
plus. Je suis bien. Il faut beaucoup mediter, penser. Moi ce que je fais
beaucoup, c'est de me mettre en question. J'ai tout change.
Roseline : Vous avez su saisir toutes ces opportunites
forcees...
Charles: J'ai eu le declic heureusement parce que
j'ai eu aussi... je n'etais pas bien. Certains moments j'avais même la
rage, voilà, mais j'avais un sentiment de culpabilite enorme tout ce qui
m'est arrive et c'etait special. La seule chose qui me restait c'etait mes
gamins. Je pense à eux.
Roseline: Maintenant je vous sens apaise, est-ce que je
me trompe?
Charles: Ouais. J'ai beaucoup change, enfin je suis
redevenu comme avant car c'etait une periode, il y a des periodes de
frustration, de problèmes, simplement le fait de ne pas avoir un bon
travail, c'est tout qui affecte.
Maintenant je dis beaucoup c'est la vie, c'est comme ca.
Roseline: C'est au jour le jour, priorites...
Charles: C'est plutôt accepter. Il y a pire. On se
sent mal car on arrive pas à accepter. C'est pas grave enfin pas grave,
accepter...
Rachel: Est-ce qu'il y a des choses que vous aimeriez
ajouter?
Charles: Non pas vraiment. J'espère juste que
ca vous aide beaucoup et que ca puisse être lu par des personnes
importantes. J'imagine que si. L'exemple, il faut le donner. La loi est la
même pour tout le monde. Que cela aide ceux qui vont suivre. L'affection,
tout le monde en a besoin, même les arbres ont besoin d'affection.
Simplement. Mais un prisonnier n'a le droit à rien tout en sachant qu'il
va sortir un jour.
Précision de Roseline à Charles que tous ses dires
ne seront peut-être pas exploités pour le travail de
mémoire.
Rachel: On vous remercie beaucoup, ca a
été pour vous ? a n'a pas été trop....
Charles: Non, on est habitué à pire. Je
redoutais un peu car certains ont des questions bof...
Roseline: Mais est-ce vou s avez eu ce genre de
questions de notre part?
Charles: Non, non je m'attendais à des
questions plus directes, comme les médecins: Ç t'as eu quelle
maladie, est-ce que tu fais l'amour avec des hommes È.
Roseline: Ce que nous souhaitions, c'était
vraiment votre vécu....
Mot de la fin de
Charles: C'est surtout la frustration de ne pas pouvoir
vivre l'amour comme un humain.
Roseline et Rachel: Merci beaucoup
(Surnom choisi avant l'enregistrement) Rachel: Alors,
ben, bonjour.
Doe: Bonjour
Rachel: La derniére fois qu'on s'est
rencontré, on avait un petit peu dit pourquoi on avait choisi ce sujet
comme travail de recherche. Donc, en fait, je répéte juste un peu
pour... Donc, en fait, on a choisi la vie affective dans un milieu
carcéral fermé parce que c'est un sujet qui est trés peu
abordé et qui est tabou. C'est pour ca qu'on avait envie d'essayer de
creuser un peu plus cela et pourquoi pas d'essayer de le rendre un petit peu
moins tabou. Nous, ce qu'on veut conna»tre, c'est vraiment votre
vécu, vraiment, ce que vous avez vécu. Je tenais aussi à
préciser que ces entretiens resteront vraiment confidentiels, tout sera
effacé. Et puis, si jamais il y a de s questions auxquelles vous ne
voulez pas répondre, vous nous le dites, il n'y a pas de souci. Si vous
avez besoin de faire une pause, vous nous le dites aussi. Et on tenait encore
à vous remercier de participer et de nous aider dans notre
démarche.
Doe: Pas de probléme
Rachel: Je vais commencer par la première
question: en fait, qu'est-ce que vous auriez envie de nous dire sur vous? Un
peu en général,... Je ne sais pas...Votre %oge... Qu'est-ce que
vous aimeriez nous dire sur vous?
Doe : Ce que vous avez besoin de savoir
Rachel et Roseline : (Rires)
Doe: (Rires) Qu'est-ce que vous avez besoin de
savoir?
Rachel: Je ne sais pas...Votre %oge?
ans, d'accord...Et est-ce que votre détention, elle a
été longue? On n'a
pas besoin de savoir le temps mais si elle a été
plus ou moins longue ou plus ou moins courte?
Doe: Rachel:
Doe: Pour un gars de mon %oge, longue.
Rachel: Longue? D'accord...
Roseline: Je mets juste des mots clefs, hein, c'est
juste pour aprés si jamais...
Doe: Bon, ca dépend de ce que vous entendez
longue aussi mais...pour un gars de ans, ouais, c'est long.
Roseline: Mais plus d'une année?
Doe : Oh oui, oh oui,...
Roseline: Plus d'une année, ca nous suffit.
Doe: Bien plus d'un an.
Rachel: Quel souvenir vous gardez de votre
première arrivée en détention? Doe:
L'arrivée en prison?
Rachel: Ouais.
Doe: Disons, j'ai seulement réalisé
plus tard. Le lendemain, quand je me suis réveillé. Quand je suis
arrivé, pour moi, c'était même pas encore la prison, c'est
vraiment le lendemain, quand je me suis réveillé, avec les matons
qui ouvrent la cellule pour aller faire la promenade à 7h, alors que
ça caille. Ouais, c'est le lendemain matin que j'ai vraiment
tilté oü j'étais... Le jour même, pas vraiment
tilté. C'est le lendemain matin, au réveil, qu'on réalise
oü on est.
Roseline: Quels étaient les
éléments, à part les matons, qui ont fait que vous avez
réalisé que vous étiez en prison?
Doe: Disons que c'est réveillé avec le
bruit de la clef dans la serrure en faisant un bond de 3 metres alors qu'avant
tu tirais des cannes. Mais sinon rien...Le bruit qui regne, j'veux dire, la
prison c'est pas calme. Entre les détenus qui... sont là. Ben,
l'ambiance, forcément, l'ambiance d'une prison.
Roseline: C'est-à-dire ? Un peu plus
décrire l'ambiance...
Doe: L'ambiance? Ben, l'ambiance froide. On est tous
dans la même galere. Surveillés en permanence. On fait pas un
metre sans être surveillé. Ouais, on s'y habitue à la
longue mais au début, c'est pas évident.
Roseline : Vous étiez dans une cellule à
plusieurs ou tout seul?
Doe : Au début, dans une cellule
à...Ben, j'ai toujours été dans une cellule à 2.
Ben, forcément, apres, le temps surpeuplé, on était 3 dans
une cellule de 2. Donc 3 dans 12m2.
Roseline: Et pis, vous avez jamais fait de demande pour
être tout seul? a vous convenait d'être à 2, 3 ?
Doe: Ben, on n'a pas vraiment le choix, quoi. C'est
blindé, c'est blindé...J'veux dire, faut bien les mettre à
quelque part.
Roseline: D'accord...
Doe: Du moment, qu'c'est plein, c'est pas un hTMtel,
hein. Roseline: En fait, là, vous parlez plus de
préventive, pour l'instant.
Doe: Ben, c'était censé être une
préventive mais moi j'ai fait toute ma peine à
Roseline: Tout le temps en préventive?
Doe : Tout le temps en préventive.
Roseline: Même qu'il y avait une peine ?
Doe: Même quand j'ai été
jugé, j'suis resté en préventive.
Roseline: D'accord.
Doe : C'est blindé de partout. Plus de
transfert.
Roseline: Donc, ca veut dire qu'il y avait des
moments oü c'était donc dans le couloir, les moments de repas ou
les choses comme ca? Ou alors, c'était quand même les repas en
cellule?
Doe : Ah, non, moi j'étais repas cellule, au
calme. Roseline: Tout le temps ?
Doe : Ouais, j'ai pas bougé.
Rachel: Et parce que y'avait pas de place ailleurs et du
coup, ils ont pas fait de transfert?
Doe: Pour ca ouais, sinon pour les repas dans le
couloir, disons que moi, j'm'en foutais complétement d'avoir les repas
dans le couloir. Moi, j'voulais manger au calme et les couloirs, c'est pas
calme. On est une centaine à gueuler comme des gorets,.... Pfff, non,
moi, j'veux manger tranquille au calme, la télé et basta.
Rachel: D'accord. Et puis quelle idée vous
aviez des relations entre les gens en détention? Est-ce que vous aviez
une idée avant? Est-ce que vous vous étiez déjà
imaginé ou fait une idée sur les relations qui étaient
possibles en prison?
Doe: Bof... Disons que moi, j'pensais surtout aux
relations de violence. Les mecs entre nous quand on est enfermé avec
tout ce qu'on peut pas faire ou tout ce qu'on doit faire, on se doit de montrer
une certaine force entre guillemets. Donc, ouais, relations de violence...un
peu conflictuelles. Et ca c'est pas totalement montré faux. a s'est un
peu montré avec des bagarres, donc ouais...
Roseline : Vous avez, vous-même, participé
à une bagarre?
Doe: J'ai failli à plusieurs reprises mais j'ai
toujours réussi à être calme. J'ai failli 2-3 fois mais
j'ai toujours réussi à calmer le jeu.
Roseline: Donc, vous avez plus une personnalité
à essayer de calmer le jeu que de rentrer en conflit?
Doe: Non, pas toujours. Quand on me prend trop, quand
on me cherche trop, ouais, j'rentre dans le tas. Mais là, c'était
pour des broutilles et je me suis dit ca sert à rien que je finisse au
cachot pour des connards pareils. Aprés, c'est casses-toi de là
et puis, fous-moi la paix. J'avais pas envie d'aller au cachot pour des
imbéciles pareils, ca en valait vraiment pas la peine, quoi. Donc, bah,
j'ai calmé le jeu, je l'ai laissé s'enflammer de son
côté et moi, je suis resté calme. Pas évident en me
connaissant.
Rachel: Ouais, j'pense et en plus quand on est toujours
confiné ensemble, on est toujours en contact et en...
Doe: Mais bon, ca fait partie du jeu...C'est pas un
hôtel...
Rachel: C'est sür... Est-ce que vous pourriez nous
décrire une journée type? En fait, un peu comment se passe une
journée pour vous en général?
Roseline : Avec des échanges relationnels
importants. Doe: Importants?
Roseline: Ouais, ben, qui semblent plus importants pour
vous.
Doe: Les seuls moments importants, c'était les
parloirs avec la famille. Les autres relations avec les autres détenus,
honnêtement, j'm'en fous, j'avais pas l'intention, c'était pas des
potes, j'avais pas l'intention de revoir les gens aprés, c'était
juste des gens avec qui je devais vivre le temps que j'étais là
et basta. Relations importantes, c'était des relations de bons
colocataires, ouais. Les autres... Bon, certes, y'a des liens qui se tissent
avec le temps. Forcément, prendre des gens pas pour des potes, mais
presque mais on sait que c'est le temps d'être ici. Une fois qu'on est
dehors, on vogue. C'est juste le laps de temps oü on est en prison, qu'on
reste ensemble, on se met en groupe pour pas se faire chier seul, quoi. C'est
une sorte de pote. Puis, une fois qu'on est dehors, ben, ca...Moi, j'garde pas
contact.
Rachel: Mais ces rencontres, ces gens que vous avez
rencontrés, ils se rencontrent ou ? Vous avez la possibilité de
les rencontrer oü?
Doe: Ben, soit quand on les fout dans notre cellule,
soit quand on est au boulot, soit à la promenade, soit dans les
couloirs, aux parloirs, quand on attend dans une cellule d'attente tous
ensemble. Ouais, y'a plusieurs lieux oü on n'est pas toujours seul.
Rachel: D'accord
Doe: Les trois quarts du temps on est avec ceux avec qui
on s'entend depuis le début et puis les autres, pfff..., on fait pas
gaffe.
Rachel: D'accord. Et puis, comment vous êtes
arrivé à créer des liens. Est-ce que c'est vous qui
êtes allé vers les gens ou c'est eux qui sont venus vers vous
quand vous êtes arrivé?
Doe: Disons que ca c'est un peu fait de
soi-même, en fait. J'pourrais même pas dire qui est allé en
premier. C'est juste des liens qui se...viennent des le début. C'est
juste y'a des genres de personnes vers qui je m'entends bien et bah, y'en a
d'autres j'vais même pas essayer parce que je sais qu'on est pas sur le
même chemin, donc ca sert à rien.
Roseline: Mais qu'est-ce qui fait que vous saviez que
c'était le même chemin ou pas le même chemin?
Doe: Non, disons, pas par rapport au passé
carcéral. Disons, enfin, j'sais pas...Déjà la culture. Y'a
des cultures avec qui j'pourrais pas parler parce que je sais que c'est
conflictuel direct. Et pis y'en a d'autres, bah, quand j'vois qu'ils sont plus
ou moins comme moi, on va dire.
Pas forcément la même tranche d'%oge mais, j'veux
dire qui ont l'air déjà plus calmes, parce que j'vais pas aller
vers des merdeux qui s'agitent pour un oui ou un non. J'étais pas
là -bas pour m'prendre la tête, j'étais là pour
faire ma peine et basta. Donc, ouais, y'a des gens vers qui j'allais plus
facilement. Pis, bon, forcément quand on vit tout le temps avec la
même personne au travail, quand on est dans les ateliers,
forcément on est dans le même atelier, donc...Pis apres, c'est des
caractéres... C'est des caractéres, c'est des délires,
c'est quand on se marre ensemble. Faut bien rigoler quand même. C'est pas
parce qu'on est en prison qu'on peut pas se marrer.
Roseline : Vous étiez dans quel atelier? Doe
: J'étais à la reliure.
Roseline: A la reliure... C'est quand même un
contexte oü on est chacun sur une machine ou... y'a quand même un
peu de solidarité...?
Doe: Ouais, disons qu'y'a la solidarité aussi
et puis quand y'en a un qui sait pas faire un truc, on l'aide. Pis apres y'en a
un autre qui est libéré et il s nous en aménent un
nouveau. Donc, le nouveau, certes, y'a le chef qui va lui apprendre et puis
apres c'est les autres détenus qui vont lui dire tu fais ci et situ y
arrives pas, tu m'appelles. Y'a une sorte de solidarité entre nous,
quand même. On est dans le même navire, si on veut, donc, ouais,
y'a une sorte de solidarité entre certains.
Roseline: Et pis, là, c'est vraiment le climat de
travail donc y'a pas forcément à se prendre la tête comme
vous le dites, c'est une ambiance?
Doe: On s'est quand même pris la tête. Moi,
j'me suis pris la tête avec un gars mais ca c'était...
Roseline: Mais c'était par rapport à
rendre le travail ou c'était par rapport à...
Doe: Non, non, ca n'avait rien à voir avec le
travail. C'était juste un gars qui me prenait la tête, une grande
gueule, quoi...
Roseline: D'accord.
Doe: Donc, forcément, y'a un moment, ca passait
plus Roseline: Il faisait mieux que vous?
Doe: Non, disons que c'était une
mentalité qui se croyait supérieure à tout le monde. Le
genre de mentalité avec laquelle j'ai de la peine. Comme un peu tout le
monde, j'pense... Mais bon, on fait avec.
Rachel: Pis ces liens, au fait, que vous avez pu
créer, vous pourriez les décrire comment? Est-ce que
c'était plutôt des liens superficiels? C'était plutôt
des liens, j'sais pas, amicaux? Peut-être affectifs ? Ou intimes?
Doe: Disons que je pense plus entre le superficiel et
l'amitié. C'était des amis sur le moment, en fait. Des gens avec
qui je m'entendais bien quand j'étais en prison. J'sais que c'est pas
des gens que j'ai envie de revoir une fois dehors. C'est des gens avec qui je
m'entendais super bien quand j'étais en prison. Y'en a avec qui j'ai
fait un bon bout de temps avec..., ben, en prison. C'est vrai que pendant un
petit bout de temps, on a fait des peines quasiment, pas ensemble, mais on a
passé un bout de temps ensemble avant que l'un ou l'autre soit parti.
Pis, ouais, c'était des gens avec qui on s'entendait bien.
Rachel: Il y avait de la confiance?
Doe : On va dire, une certaine confiance.
Rachel: Une certaine confiance...
Doe: On peut pas avoir une confiance absolue. La
confiance absolue, personnellement, moi en prison, elle existe pas. Du moment
qu'on est en prison, j'veux dire, on peut pas avoir confiance en qui que ce
soit. La seule personne en qui on a confiance, c'est soi-même. En tout
cas, moi, j'ai confiance qu'en moi. Donc, jamais j'aurais fait cent pour cent
confiance à qui que ce soit d'autre. Mais y'a une sorte, entre
guillemets de confiance, sürement. On sait qu'on peut comp ter dessus, on
va dire, plutôt.
Rachel: Donc, il y a de l'entraide, il y a de la
solidarité?
Doe: Ouais, y'a de la solidarité qui se fait
entre certains, pas tout le monde. Mais y'a une certaine solidarité
à un moment donné.
Rachel: Est-ce que vous vous êtes permis de
pouvoir discuter avec eux de tout?
Doe: Non, j'allais pas commencer à parler de ma
vie d'avant. J'allais pas commencer à dire où j'habite, ma
famille, ci, ca, j'peux pas.
Rachel: D'accord.
Doe : Y'a quand même comme une sorte de
protection, malgré tout. On est pas dans un monde tout rose, non plus.
Donc, on va pas commencer à confier des choses qu'ils ont pas à
savoir.
Roseline: Donc, vous ne vous êtes jamais
confié à qui que ce soit? Doe: De nature, j'suis pas
quelqu'un qui se confie.
Roseline: C'est dans votre nature...
Doe: Dedans la prison, dehors, j'suis pas quelqu'un qui
se confie.
Roseline: Et dans ces liens, est-ce qu'il y'avait quand
même du respect, pas de respect?
Doe: Non, y avait un certain respect. Ouais, be n,
pour avoir une bonne cohabitation, faut quand même respecter l'autre.
Quand l'autre il dort, faut pas faire le souk, faut pas mettre la
télé à fond ou se mettre avec la musique à fond. a
c'est juste des régles de savoir vivre. a tient en prison aussi. Encore
plus, même j'dirais. On est dans 12m2 à deux donc
forcément des qu'y'en a un qui dort, bah l'autre il va essayer de, ...il
va essayer de faire pas de bruit. C'est juste une question de, ouais, ca c'est
même pas une question de respect, c'est du savoi r vivre. Donc même
si on est en prison, faut quand même conna»tre certaines regles.
Roseline: Donc, là, on a parlé par rapport
aux codétenus. Mais, par rapport au personnel pénitencier, est-ce
qu'il y avait des échanges... de respect, de solidarité?
Doe: Honnêtement? J'm'entendais super bien avec
les matons. Peut-être étonnant... Mais alors, j'm'entendais
bien..., y'avait 2 -3 connards comme partout, j'ai envie de dire, 2-3 mecs qui
pétent plus haut que leur cul, j'ai envie de dire mais, bon, la plupart,
ils sont à leur place, ils nous traitent pas comme des moins que rien
parce qu'on est des taulards. Donc, non, la plupart, ils sont corrects. Certes,
y'en a 2-3 qu'on a qu'une envie c'est de leur foutre trois claques mais, bon,
comme c'est des matons, on risquait rien. Mais, non, personnellement, moi, ca
allait. Avec les matons, ca allait bien. La plupart, ils avaient quasiment mon
%oge, même, donc...
Roseline : Ah oui?
Doe: Ils étaient assez jeunes. J'ai vu
beaucoup d'arrivants qui étaient en formation. Pis, bon, je les ai vu
défiler, j'étais plus vieux que certains gardiens. Certains
gardiens, ils étaient peut-être,..., depuis quoi, depuis quasiment
que je suis arrivé, ils me disaient: Ç mais, dis-donc, toi, t'es
arrivé ici avant moi ? È. J'fais: Ç T'es arrivé
quand ? È. Il me dit la date, j'fais: Ç Ouais, ouais, j'suis plus
vieux que toi, j' ai plus d'ancienneté È. C'était des
gamins, quoi et puis on se permettait de déconner avec eux. Ouais,
certains, ils sont vraiment cool.
Roseline : Vous dites en formation, euh...
Doe: Ben, disons, que c'était marqué sur
leur badge, c'était marqué: Ecole, j'sais pas quoi, ouais,
c'était...
Rachel: C'était des apprentis.
Doe : Ouais, ouais, ils étaient en formation. Ils
apprenaient le boulot, en fait.
Roseline: D'accord. Est-ce que vous avez vu une
différence entre ceux qui étaient en formation et puis ceux qui
étaient depuis plus longtemps là et qui étaient
formés?
Doe : a dépend, ceux qui étaient
formés, ils savaient déjà mieux quoi faire quand on leur
demandait un truc. Bon, pas toujours, certains, c'était des ploucs, mais
disons que, ouais, les nouveaux, ils étaient pas tout-à-fait,
toujours au courant de tout, on va dire. Mais, franchement, j'veux dire, j'veux
pas les dénigrer mais c'est pas un boulot extrêmement
compliqué, non plus: Tu ouvres une porte, tu fermes une porte, tu
l'amènes là ou le détenu doit aller, si c'est à
l'avocat, tu l'amènes à l'avocat, il doit aller à
l'école, tu l'amènes à l'école, il doit aller au
parloir, tu vas au parloir. C'est pas extrêmement compliqué, non
plus. Y'en a qui le font avec plus de...pas de plaisir, mais p't'être
plus d'humanité, en fait. Donc, y'en a certains, c'est ..., ouais, c'est
presque comme s'ils parlaient à des animaux. Y'en a certains mais ils
étaient assez rares, encore. Parce qu'en principe, ils se faisaient
remettre à leur place, vite fait, donc... . Donc, en principe,
après, ils comprennent que c'est pas parce qu'on est en prison, ...On
reste des humains, certains ont fait des conneries, c'est pas une raison pour
mal lui parler.
Donc ouais, ils sont assez calmes. La plupart, ca va.
Franchement, y'en a, honnêtement, on peut pas se plaindre. Comparé
à ce qu'on peut voir dans les films, les matons, c'est des matons.
Franchement, ca va.
Rachel: Pis dans les rencontres qui vous ont
marqué, en fait, le lien, il s'est créé comment?
Doe: Ben, disons, qu'y'en a qui se confient, y'en a
certains qui se sont confiés.
Rachel: Donc, des personnes qui vous ont fait confiance
et puis du coup, vous vous êtes senti un peu en confiance avec?
Doe: C'est même pas une question de confiance,
c'est qu'il y'en a certains, ils se sentent, pas le devoir, mais ils ont besoin
de parler, en fait. Donc si c'est même pas à moi, un, il parle
quasiment à toute la prison.
Toute la prison connaissait son histoire. Et disons que
c'était un...on va dire un gros dossier qu'ils en ont parlé dans
les médias, faut pas s'mentir. Mais, ouais, j'veux dire, c'est toutes
des relations... a se fait n'importe ou. Soit quand on est au palais de
justice, dans le fourgon comme des salades, dans les paniers à salades
et qu'on attend, soit dans les cellules en bas où on attend, y'en a un
qui attend pour voir s'il a...si son jugement,...qui attend pour juste voir si
les prolongations pour quand on n'est pas encore jugé.
Disons qu'à un moment donné, on est bien
obligé de se...On est bien l'un à côté de l'autre,
donc soit on parle pas, soit on parle. Et pis, ca dépend des gens. Y'a
des gens, tu peux rester deux heures avec, t'as même pas envie de leur
parler et pis, t'en a d'autres, t'es deux heures avec mais tu lui parles au
bout de dix minutes.
C'est comme une mini-société si on veut la
prison, c'est comme une petite société à quelque part. A
part que les règles qui s'appliquent en prison sont pas tout
-à-fait les mêmes que dehors. Mais, j'veux dire, c'est comme ca.
Quand parfois dans le tram, t'es assis à côté de quelqu'un,
tu vas regarder à droite, tu vas regarder à gauche et pis y'en a
d'autres, il va se mettre à parler... Tu sais pas pourquoi mais c'est
comme ca. Bah, là -bas, c'est un peu pareil. On se met à te
parler, tu cherches même pas à comprendre. C'est soit, tu veux lui
parler, tu lui parles. Tu veux pas lui parler, tu dis
que tu veux pas lui parler. Si tu parles aux gens, tu parles
pas aux gens, c'est comme ici, tu parles aux gens ou tu parles pas. T'as pas de
règle, en fait. Si t'as envie de lui parler, tu lui parles, sinon tu
fais ta route.
Rachel: Et puis, bah, voilà, quand on
rencontre quelqu'un, quand on a un moment d'échange, on a des
émotions, en fait, qui apparaissent. a peut nous rendre heureux, triste,
on peut se sentir compris ou, au contraire, se sentir encore plus mal
ou...Qu'est-ce que les relations que vous avez pu...
Roseline : Vous avez eu des émotions en
prison?
Doe: Des émotions ? A part la colère, la
rage et tout ca? Roseline: Oh, ben, il faut aussi parler un peu de
colère et de rage.
Doe: Disons que ouais, j'avais l'apaisement quand
j'avais le parloir, ouais. a, ca calme bien.
Roseline: Ouais....
Doe: Et sinon le reste, c'était toujours de
l'impatience. Roseline: Impatience?
Doe: Ben, impatience de sortir, déjà.
Roseline: Ouais.
Doe: L'impatience quotidienne d'attendre qu'on sorte,
compter presque les jours, à un moment on les compte plus en an. Sinon,
ouais.
Roseline: Pis la colère, la rage, ca se dirigeait
plus contre qui? Contre vous-même ou contre les autres? Et pis les
autres?
Doe: Le système. Roseline: Le
système?
Doe: Ouais, le système. Un peu des deux. Et puis,
avec le temps,..., faut bien apprendre à se calmer.
Roseline: Le système, c'est ... ? C'est les
tracas administratifs, c'est ...
Doe: C'est l'administration
pénitencière, ouais. Les directeurs de prison. C'est les
fonctionnaires. Et ouais, tout ce qui est les juges qui sont dans, bon on les
compte pas parmi. Enfin, ouais, tout le monde un peu,...Bah, tout le monde qui
fait que ca existe. Tout ce qui est juge, bon la police, j'les ai jamais
aimés, ca c'est pas nouveau. J'les aime toujours pas d'ailleurs. Et
ouais...
Roseline: Mais la police, elle intervenait à quel
moment?
Doe: Pendant l'arrestation.
Roseline : Ah, oui, d'accord. Mais à
l'intérieur de la prison, elle...
Doe: Ouais, disons qu'y a parfois, quand y'a les
émeutes et tout le tralala, y'a un peu les forces de l'ordre qui
arrivent. Ca fait presque plaisir de les voir pour les avoir sous la main,
donc,...
Roseline : Vous avez vécu des moments
d'émeutes?
Doe : Ouais, y'a des petites révolutions et tout
ca, ouais.
Roseline: Et comment ca se fait que les petites
révolutions sont arrivées? Doe: Un ras-le-bol
général.
Roseline: Un ras-le-bol général...
Doe: Ras-le-bol général. Quand on est
à trois dans 12m2, j'veux dire, y'a un moment ou c'est plus
tenable, ca fait 4m2 par tête.
Roseline: Ouais, c'était des revendications de ce
style-là?
Doe: Mais y'avait ca ou bien y'avait les repas
aussi...C'était une vraie calamité. En fait, j'sais même
pas toujours de quoi ca part. Des fois, c'était juste la promenade, y'en
a qui voulaient pas rentrer de promenade. Au lieu d'une promenade d'une heure,
y'en a ils sont restés quatre à cinq heures et les gardiens
pouvaient faire ce qu'ils voulaient, personne ne rentrait. Il me semble qu'une
fois, bon, c'était pas mon secteur, c'est un autre secteur, j'crois
qu'ils ont dü faire venir la police pour faire rentrer les détenus
parce que voilà, quoi...
Roseline : Ah, oui, d'accord.
Doe: Je crois, hein, j'suis pas sür, c'était
à l'opposé d'oü j'étais donc j'sais pas exactement
comment ... C'qui a eu lieu.
Roseline: Donc, quand il y a eu ces mini
révolutions, vous essayiez de faire passer des droits? Pas que des
devoirs...
Doe: Ben, disons, c'était...Ouais. J'veux pas
dire mais quand on mange tous les jours froid, au bout d'un moment, ben c'est
bon, on en a marre. Sür, c'est la prison, mais bon, déjà que
ce qu'on mange c'est pas bon mais si ca pouvait au moins être chaud, ca
pourrait être le cas. Pi s, bon, un ras -le-bol général
parce que vous avez pu lire dans les journaux Ç , over booké, sur
plein È, Ç six cents détenus à la place de deux
cents! È, j'veux dire, nous on le sent, on est dedans.
Roseline: Ben oui.
Doe : Vous, c'est les journaux, vous dites Ç
Ouais, d'accord, c'est des prisonniers, on s'en foutÈ, nous, certes, on
est des prisonniers, mais, merde, quoi, on est quand même
concernés.
Roseline : Vous y vivez, c'est la
réalité.
2
Doe : J'veux dire, on est quand même des
êtres humains, on est à trois dans 12m ! J'sais pas si vous vous
rendez t 12m 2
compte de c'que c'es à trois. Trois hommes
dans 12m. C'est..., je sais pas..., à la longue,
c'est...
Roseline: Ouais, c'est chaud?
Doe : Ouais, c'est polluant. intenable , trois dans 12m
2
C'est .
Roseline: Ouais, cette proximité,
c'est...difficile à vivre, quoi?
Doe: Ouais, même si on s'entend bien avec les deux
autres. Disons, que c'est un besoin d'espace à la longue.
Roseline: Un besoin d'espace, bien sür.
2
Doe : J'veux dire le calme à trois dans 12m ,
c'est rare qu'il y ait un peu de calme, quoi. Déjà qu'en prison,
le calme...c'est relatif.
Rachel: Et puis, on parle souvent d'avoir sa bulle et
j'pense que là, c'est...
Doe: Non sa bulle, on l'a pas. Sa bulle faut se la
faire dans la tête sinon ouais... Faut s'avoir s'isoler, se mettre au
calme tout seul parce que si on veut du vrai calme, faut attendre que les
autres dorment. C'est ce que je faisais, moi, d'ailleurs. J'me couchais en
dernier comme ca j'avais le calme du soir. Enfin,... parfois parce que quand
les autres ils gueulent aux fenêtres dans la cellule d'à
côté...
Roseline: Les murs, ils étaient pas épais,
vous entendiez tout? Doe : Ah, non, c'est ceux qui gueulent aux
fenêtres.
Roseline : Ah, aux fenêtres?
Doe: Ouais, ben pour se parler entre eux, y'en a, ils
se gueulent, ils sont l'un à l'autre bout et l'autre à l'autre
bout, c'est deux heures du matin, ils gueulent ensemble.
Roseline : Ah, d'accord, ca c'est pour communiquer, en
fait?
Doe : Ouais. Et pour communiquer, ils emmerdent tout le
monde. Donc, oui, sympa!
Roseline: Vous avez jamais fait ca, vous? Vous avez
jamais communiqué d'une cellule à l'autre?
Doe: Si...mais moi c'était avec les cellules soit
celle du dessus, du dessous, à droite ou à gauche, c'en est pas
une qui était à perpéte les oies.
Roseline: Donc vous aviez besoin de communication autre
que ce que vous aviez dans votre cellule ou...?
Doe: Ben, disons, que parfois, on a des...entre
guillemets, des amis qui sont dans la cellule d'à côté et
puis on a oublié de leur dire un truc ou eux, faut qu'ils nous disent un
truc, on tape dans le mur pour le faire bouger, il vient à la
fenêtre et pis on cause un petit moment. C'est interdit mais...bon, ben,
voilà, quoi.
Roseline: Personne dit rien?
Doe: Ben, disons, que c'est que les gardiens la
plupart, un, ils disent rien et pis s'ils le disent, ils savent qu'on s'en fout
et qu'on va continuer des que la porte sera fermée. Donc, pff,
voilà, j'veux dire, c'est pas ca qui va empêcher. Parfois celui du
dessus ou du dessous, il a besoin de quelque chose, un petit yoyo pour lui
envoyer ce qu'il a besoin, c'est vrai, c'est un peu la regle de savoir -vivre
aussi, dépanner.
Roseline: Vous aviez les...cellules, euh...enfin les
barreaux, vous pouviez pas vous envoyer des...parce qu'on a entendu que y'avait
des gens qui s'envoyaient des lettres et tout...Est-ce que vous l'avez
vécu, vous?
Doe: (Rires) Disons qu'on arrive toujours à se
démerder. Roseline : Vous arrivez...
Doe : A la base, on avait des barreaux comme ca avec
ca d'espace entre (le montre avec ses doigts). Juste derrière, ils ont
mis des grillages avec des carreaux comme ca, donc on avait les deux, c'qui
fait que...censé impossible mais...
Roseline : Vous avez réussi ? Vous l'avez fait
donc, vous...
Doe: Bah, bien sür que j'l'ai fait, bien
sür, tout le monde fait des yoyos, donc... pour dépanner. Et on
nous met des carreaux comme ca...Du moment qu'on peut faire passer une
corde...
Roseline : Vous y arriviez...
Doe: On y arrive. Et puis les cordes, y'a pas besoin
d'avoir une vraie corde, on attache des lacets entre eux, on prend un bout de
plastique, on déchire un morceau du drap pour faire une corde,...Et des
qu'on a un truc sous la main, on fait une corde.
Roseline: Ah, ouais, ok. Donc ca c'est vraiment la
solidarité et pis c'est vraiment le besoin de communiquer qui
primait?
Doe: Ben, disons que quand quelqu'un a besoin de
clopes, bah, on va lui envoyer des clopes... S'il en a plus... Pis bon, y'a
d'autres choses qui se passent aussi, ca c'est plus confidentiel.
Roseline : Vous voulez pas en parler?
Doe : C'est pas que je peux pas, c'est que c'est pas du
légal... (2-3 minutes de discussion sur l'illégal )
Roseline: Ouais mais, je tiens à préciser
que dans l'entretien ca sort maintenant mais on va peut-être pas
l'utiliser, donc...
Doe : J'espère bien !
Roseline : ...il faut pas... ca n'a rien à voir
avec...C'est un échange mais c'est pas un échange affectif
ou...
Doe : C'est sür!
Roseline: ...mais, par contre, ca rentre quand
même dans le besoin de communication
Doe: Mais c'est sür, parce que si vous marquez
Ç Oui, untel, untel a fait passer telle et telle chose...È
Roseline: Mais y'a pas de nom.
Doe : S'ils savent d'oü on vient .
Roseline: Mais on va pas marquer d'oü vous venez
Doe: Magnifique ! Alors, c'est bon.
Roseline: a on a pas le droit, c'est pas éthique,
ca...Il manquerait plus que ca! Doe : C'est rassurant.
Roseline: Non, franchement, ben, à la fin, on
va demander comment vous vous êtes senti mais nous, notre...On le
reprécise, c'est vraiment la réalité de ce qu'il se passe
en prison, pis votre vécu. C'est vraiment pas...On ne juge pas...Enfin,
on aimerait faire passer ca, qu'on ne juge pas.
Doe: a c'est bien parce qu'on est beaucoup
jugé dès qu'on a fait de la prison. Dès qu'on a
l'étiquette Ç prisonnier È, pour rester poli, c'est chaud.
Y'a la société puis nous. Même une fois qu'on est dans la
société, on est toujours à l'écart.
Roseline: Alors, moi, je comprends, j'aurais
sürement la même réaction mais si on fait passer une histoire
de jugement, j'espère que vous allez nous rappeler à l'ordre.
Doe : Ouais.
Roseline: (acquiescement de la tête) hummmm...
Doe : a marche.
Roseline: Parce que c'est pas notre intention
première.
Doe: On est déjà assez jugé
comme ca, ceux qui ont fait de la prison. On passe notre temps à
être jugé, jusqu'à qu'on ait la liberté totale. Si
on arrive à ...qu'on a fait de la prison, ca va. Mais des que tu dis
à quelqu'un que j'ai fait de la prison, c'est jugement, taulard, il
s'imagine ce qu'il veut, quoi.
Roseline: Pour vous c'est un échange
matériel mais pour moi, ca ressemble à un échange de
communication non verbale.
Doe: Hummmm, hummm...
Roseline : Alors, c'est tout, c'est pour ca que...
Doe: Non, mais on se dépanne, on se
dépanne et puis juste parfois c'est pour..., même si on a pas
envie, c'est juste question qu'ils nous foutent la paix. Y'en a, ils insistent.
Parfois on dit, ouais, vas-y, j't'envoie deux trois clopes, fous-moi la paix.
Tu me les rendras...Tu me les rendras pas, plutôt.
Roseline: Parce qu'en fait, apres, y'a le lendemain,
pis peut-être vous allez les croiser, et puis si vous leur avez pas
donné, ben, ils vous foutront pas la paix, c'est ...
Doe: Non, même pas, non, ca on s'en fout de
toute facon, j'veux dire. Si on lui dit non, on lui dit non. Il va pas vous
prendre la tête parce qu'on lui a pas passé des clopes sauf si
c'est le dernier des abrutis. C'est pas grave, faut pas se mentir.
Roseline: D'accord.
Doe: Mais en général, tu lui passes des
clopes, il se souvient que tu lui a passé des clopes donc si, une fois,
toi, t'as besoin d'être dépanné, tu le revois, pis, lui, il
te les rend. Logiquement. Normalement, tu te souviens quand quelqu'un te rend
un service, tu rends le service.
Roseline: D'accord.
Doe: Donc, ca encore, ca va.
Roseline: C'est un échange de bon
procédé?
Doe: Ouais. Mais t'as toujours certains, ils comptent
que sur toi pour fournir. Donc c'est tout, pas tous les jours, mais c'est
souvent Ç T'en as ? T'en as ? T'en as? È Pis à un moment
donné, tu dis non même situ en as. Question que ...parce que tu
sais qu'ils comptent que sur toi pour en avoir. Y'en a, ils vivent que de ca,
ils achétent que dalle, pis ils comptent pour les autres pour les
fournir.
Roseline : Mais vous quand vous vous êtes
procuré les cigarettes c'est parce que vous aviez de l'argent, pis vous
pouviez en acheter ou c'est parce que y'a eu votre famille qui est venue, vous
en a amené?
Doe: Non, moi, j'travaillais donc...
Roseline : Ah
Doe: Moi, j'bossais donc j'avais l'argent qui rentrait.
Roseline : Ah, ... Et puis vous pouvez en acheter...
Doe: J'pouvais acheter c'que j'voulais. Moi,
j'achetais plus la nourriture. J'achetais même que de la nourriture et
des boissons, des cigarettes pas trop, j'en ai pas besoin.
Roseline: Ok
Doe: Non-fumeur donc ca, j'm'en fous.
Rachel: Y'a juste là, on disait...des
émotions apparaissent. Mais est-ce que vous vous êtes senti seul,
donc? Vous avez créé votre bulle mais est-ce que c'est se sentir
seul, créer sa bulle?
Doe : On est toujours un petit peu seul en fait.
Roseline: Toujours?
Doe: On est toujours un petit peu seul parce qu'on
est loin, on est loin de sa vie, si on veut. De sa vie d'avant, ben on est
loin, ouais. D'un côté, on est toujours un peu seul parce que
c'est les siens et encore même pas tous les siens parce qu'on les voit
une fois de temps en temps. C'est une fois par semaine, grand max. Donc, ouais,
on est toujours un petit peu seul si on veut. Parce qu'on est
complétement à..., pas à l'opposé, disons qu'c'est
pas notre vie, c'est un passage de notre vie mais c'est pas notre vie.
Roseline: C'est un passage...
Doe : Ouais, donc ouais, d'un côté, on est
toujours un petit peu seul .
Roseline: C'est une rupture momentanée et pis,
on, on, on se projette toujours sur quand on sort?
Doe: Disons, qu'on est...Bon, à un moment
donné, on évite aussi de penser à l'extérieur. A un
moment donné, on est dans notre cellule, on pense plus à dehors.
A un moment donné, faut savoir couper et se dire, ben, je suis
là, je reste ici, l'extérieur, je l'oublie un peu. Si on pense
trop, moi, si je pensais trop à l'extérieur, j'devenais dingue
à un moment.
Roseline : Ah...
Doe: Donc, à un moment donné,
j'essayais de ne plus penser à l'extérieur, de ce que j'aurais
fait si j'étais dehors. Quand il faisait beau, j'aurais pu faire ci,
j'aurais pu faire ca. Certes, on y pense mais c'est une pensée, on
n'imagine pas ce qu'on aurait fait, c'est une pensée parce que
forcément, ca nous passe par la tête...On se léve le matin,
c'est l'été, c'est les vacances, on voit le grand beau temps, on
fait Ç Merde, si j'étais dehors, j'aurais été avec
des potes et tout È. On y pense mais...
Roseline : Aprés vous vous êtes... Doe
: On y coupe.
Roseline : Voilà, vous avez coupé...
Doe: On essaie de pas trop y penser parce que
sinon,...on devient dingue. Enfin, moi, je devenais dingue. Si je pensais trop
à dehors, au bout d'un moment, je pétais un...j'pétais un
plomb. Donc ouais, j'coupais un peu le passé. Enfin, pas le passé
mais je coupais le dehors... Ben, vas-y qu'ca avance, quoi.
Roseline: Mais quand vous étiez en prison, vous
aviez quand même envie d'avoir un projet de vie? a vous a permis ou
pas...
Doe: Ben, c'est même là-bas que j'ai
trouvé ce que je voulais faire. Parce qu'avant d'être
là-bas, j'savais pas quoi faire. Pis, ben, le temps là-bas, j'me
suis bougé un peu, vu que j'avais le temps à dispo...tant
qu'à faire, j'ai bossé un peu, j'me suis rendu compte de pour
quoi j'avais de l'intérêt, j'ai commencé un peu à
bosser, à me perfectionner dans deux, trois domaines, à prendre
des cours pour ressortir avec un projet, pis pour le faire.
Roseline: La prison en soit, ca vous a aidé
à ca?
Doe : J'me suis trouvé en prison.
Roseline : Ah, ouais, d'accord
Doe: Dur à croire mais c'est vrai que je me suis
entre guillemets trouvé.
Roseline: C'est comme quand vous disiez, j'avais pas
le caractére à ca...à rentrer dans le jeu ou...vous avez
dit ca, là, la même chose vous vous êtes découvert
entre guillemets que vous pouviez rester calme?
Doe: Ben, disons que j'ai énormément
müri. J'suis rentré là-bas avec une mentalité d'ado
et encore...J'suis ressorti avec une mentalité d'homme de mon %oge.
Peut-être un peu plus jeune parce que, quand même, un peu jeune. On
est toujours un peu jeune dans notre tête, c'est ca! Mais disons que
j'suis rentré en étant, dans ma tête, gamin pis j'suis
ressorti en homme. Disons, ca m'a fait beaucoup mürir. Et c'est même
une gardienne, elle-même, qui m'a dit, p't'être quoi,
p't'être au bout d'un an, elle m'a dit en ouvrant la porte, ben on s'est
mis à parler avec le gardien, elle m'a dit Ç T'as bien
changé, toi. En arrivant, t'étais un vrai con È. J'fais
ok, merci. J'suis arrivé en bas dans la cour et j'fais, bon, ben, au
moins, j'suis déjà devenu mür.
Roseline: Ouais, c'était un compliment.
Doe: Ben, disons je me suis dit que si une gardienne,
elle-même, s'est rendu compte que j'suis rentré j'étais con
et que j'ai progressé alors qu'j'la vois une fois de temps en temps,
j'me suis dit...ca devrait faire bouger les juges aussi. Si déjà
au bout d'un an, ils ont pigé, aprés plusieurs années,
j'crois que j'vais encore changer. Donc, ouais, j'ai grandi là-bas.
Roseline : Vous étiez fier de vous-même?
Doe: Fier de soi, on va p't'être pas
exagérer, non plus. Roseline: Ben...
Doe : Content d'avoir pu mürir, ouais.
Roseline: D'accord!
Doe: C'était le moment. Attendre d'être en
prison pour pouvoir mürir, c'est un peu con mais ca m'aura au moins servi
à ca...
Roseline: D'accord.
Rachel : Comment vous pourriez définir la
nature des contacts? Est-ce que c'était plutôt des échanges
verbaux? Est-ce que c'était plutôt...ben, est-ce qu'il y avait,
voilà, la possibilité de toucher mais... c'est pas... une tape
dans le dos ou voilà? Ou plutôt non verbal ? Ou autre?
Doe: Bon, c'est plus verbal. Bon, ca n'empêche
pas qu'il y ait quand même une poignée de main, ils se tapent dans
le dos parfois... Parfois, on...comment dire? Comme faire semblant de se battre
juste pour se marrer un peu. Comme les mecs on aime bien faire de temps en
temps.
Rachel: Ouais.
Doe: Non, en principe, ca se limite à une
poignée de main. Rachel: D'accord.
Doe: En principe, ca reste à ca.
Rachel: Quand on est pas bien ou comme ca, on peut pas
prendre ou se faire prendre dans les bras, un moment donné...?
Doe: Moi, perso, ca ne me serait même pas venu
à l'idée de prendre quelqu'un dans mes bras ou d'aller dans les
bras d'un mec, non.
Rachel: D'accord.
Doe: Moi, c'était même pas...C'est
même pas que c'était pas envisageable, c'est juste que j'y ai
même pas pensé et j'y aurais même pas pensé, quoi.
Rachel: D'accord.
Doe: Moi, je vais pas aller me réfugier dans les
bras de quelqu'un pour ca. Quand ca va pas, c'est baisser la tête,
pis...ca passera.
Rachel: Ok.
Doe: Le temps guérit. Essayer d'avoir des
bonnes pensées, penser à autre chose et puis c'est bon. Pis au
pire, une bonne nuit de sommeil et pis le lendemain, on y pense plus.
Rachel: D'accord...Hum...Donc la derniére fois,
quand on est venu manger...donc quand vous nous avez invitées chez vous,
vous avez évoqué la séduction.
Doe: Hum...
Rachel: Vous vous souvenez?
Doe : Vaguement.
Rachel: Vaguement. (Rires)
Rachel: Qu'est-ce que vous pourriez nous dire sur la
séduction? Doe: La séduction en prison?
Rachel: Ouais.
Doe: Disons, qu'c'est toujours des qu'on voit une
gardienne, c'est le réflexe de l'homme, c'est... ca reste une femme,
nous on est en prison, y'a pas de femme.
Rachel: Ok.
Doe: Donc forcément des qu'on voit une...bon
pas toutes non plus...Mais des qu'on voit une femme, gardienne, qui peut nous
plaire, ouais, y'a toujours un petit jeu ou un petit regard...Elles le savent,
hein... Elles sont dans un monde, entre guillemets, d'hommes, donc elles savent
trés bien qu'en étant là, en étant une femme, elles
viennent pas... elles sont pas innocentes. Elles sont pas stupides. J'veux
dire, elles savent à quoi s'attendre. On va pas faire le métier
de gardienne de prison si on a pas envie que quelqu'un nous séduise un
minimum.
Forcément, on est coupé de ce monde-là,
du monde affectif donc, ouais, des qu'on voit une femme qui est gardienne,
forcément... On reste un mec, on a toujours le réflexe même
si on sait que ca n'ira pas...C'est tirer dans le vide, quoi...On le sait. Mais
c'est juste ce plaisir-là, c'est ...
Roseline: C'était juste le plaisir...
Doe : C'est juste un petit plaisir, ouais. On sait
trés bien qu'elle en a rien à foutre de nous, on le sait mais
c'est juste le plaisir entre guillemets de lui faire comprendre.
Rachel: a fait du bien?
Doe: Du bien, je sais pas mais disons que c'est
toujours... a nous change un peu de la routine, j'ai envie de dire...
Roseline : Ouais.
Rachel: Ben, j'sais pas, ca pourrait frustrer, ca
pourrait...
Doe: Ah, ben, si on peut se permettre, ouais, quand
on voit une gardienne qui est bien faite de la tête aux pieds, ouais,
c'est agacant. Parce qu'on reste des mecs, on a forcément des
idées qui nous passent par la tête. Et ca sert à rien
donc...On sait que ca sert à rien
Roseline : Ah
Doe: On sait que ca sert à rien, surtout avec
certaines gardiennes ca aurait été sympa, ouais.
Roseline: Mais là, par exemple, on peut
extrapoler, on peut se dire mais est-ce que là, quand vous voyez une
gardienne, ca peut un peu frustrer? Pis vous le dites. Mais est-ce que la
prison peut pas faire venir des personnes... ? Parce qu'aprés, on arrive
aux prostituées alors autant l'aborder maintenant.
Rachel: Ouais.
Doe: J'sais même pas si ca se fait. J'sais
même pas si la prison oü j'étais ca se faisait
déjà les...comment on dit... les parloirs intimes.
Déjà, j'sais même pas si ca se faisait
Roseline: Mais vous sur le moment, vous avez jamais
pensé à tout ca? Doe: Non, pas spécialement.
Roseline: Non. Vous...Vraiment, vous étiez le
moment au jour le jour et puis...ca passera, quoi?
Doe: Moi, je vis au jour le jour. Roseline:
C'est ca.
Doe: C'était vraiment, je vivais au jour le jour.
Aujourd'hui c'est comme ca, je dors. Comment sera demain, on verra demain.
Roseline: D'accord.
Doe: J'veux dire, j'vais éviter de me prendre
la tête plus que ca avec des trucs qui servaient pas à
grand-chose. Certes, j'aurais bien fait des conneries avec des gardiennes, faut
pas s'mentir. Mais, non, c'est pas possible, c'est pas possible donc c'est...On
attend qu'on sorte et pis on récupére tout ca une fois dehors,
donc, ouais, c'est comme ca.
Roseline: Ouais, c'est ca...Tant que vous pensiez
pas, vous voyiez certes la gardienne mais vous vous êtes jamais dit ca
serait quand même bien d'avoir un parloir intime ou d'avoir...
Doe : J'ai dit ca serait bien si ca se faisait mais
étant donné j'croyais... j'savais même pas si ca se faisait
à .
Roseline: C'est quand vous êtes sorti de prison
alors en fait que vous y avez pensé?
Doe: Non, déjà là-bas j'me suis dit
mais j'savais pas si ca se faisait donc, j'ai même pas essayé de
comprendre parce que le directeur c'est le dernier des trous de fion.
Roseline : Ah, donc, c'est pour ca?
Doe: Déjà un ca servait à rien
de lui parler de quoi que ce soit étant donné qu'il en avait rien
à foutre de nous, il était là pour faire tourner sa
bo»te. Donc, j'veux dire, ca sert à rien d'aller plus loin .
Roseline: Mais entre détenus, vous en parliez?
Entre codétenus?
Doe : Ah, ben, entre détenus, on sait qu'on
est des hommes et qu'on a quand même des besoins. C'est sür qu'on
savait qu'on attendait d'être dehors. On pensait que c'était pas
faisable. Donc on attendait...ben, on attend de sortir.
Roseline: Mais vous en parliez entre vous? Doe:
Pas plus que ca, en fait.
Roseline: Non...
Doe: a sert pas à grand-chose. J'veux dire, on
apprend à se passer de tout. Donc on apprend à se passer de ca
aussi.
Rachel: Mais est-ce que vous pensez que si
y'avait..., si y'avait droit à une affectivité ou à une
sexualité, est-ce que ca pourrait...calmer les tensions ? Ou la
violence?
Doe : Y'a des chances, ouais... Une grande chance.
Rachel: Donc, si y'avait des parloirs intimes, vous
pensez que ca permettrait d'apaiser?
Doe: Ben, faut bien dire, c'est une frustration quand
même. La frustration amène toujours un peu d'énervement.
Donc ouais, ca calmerait, p't'être pas..., ca n'arrêtera pas la
violence, faut pas se mentir mais ca pourrait peut-être détendre
un peu.
Roseline: Mais ca vous le pensez maintenant ou vous
l'avez pensé quand vous étiez en prison?
Doe: Disons que quand j'étais en prison,
j'évitais de penser donc...Disons que... Roseline : Vous, vous
êtes ...
Doe : Au jour le jour!
Roseline: Ouais, au jour le jour mais quelque part,
est-ce que je peux utiliser le mot annihilé?
Doe : a veut dire quoi?
Roseline: Ben, justement, de, ben,... au jour le jour
mais donc vous vous êtes coupé de beaucoup de besoins. A part le
besoin de manger...
Doe: Disons, qu'on apprend. Roseline : Vous
avez appris?
Doe: Moi, je dis, je pars du principe ou l'être
humain il s'adapte à tout. Donc il s'adapte à se priver des
choses.
Roseline: Donc, c'est ce que vous vous êtes dit?
De toute manière, l'être humain, il va, il s'adapte à tout,
je vais m'adapter à tout...
Doe: Mais j'ai vu que je m'adaptais donc je me suis
adapté, je me suis dit que j'attends d'être dehors.
Roseline: Ok.
Doe: Certes, des parloirs intimes ca aurait
été sympa mais d'un autre côté j'aurais fait venir
qui? La question était là aussi. J'fais venir qui?
Roseline: Ben...
Doe : Qui c'est que je vais faire venir en prison juste
pour ca. Roseline : humm, humm...
Doe: J'me voyais déjà même pas faire
venir qui que ce soit. J'me suis dit, j'attends d'être dehors et pis
c'est bon.
Roseline: Ok
Doe: Prend ton mal en patience. Pis, quand on est
dehors, ben... Roseline: On se lâche?
Doe : Ah ouais,... (Rires)
Doe: Plutôt...On récupére le
temps perdu...Ouais, mais bon...On s'adapte à tout. On est pas venu pour
ca mais on s'adapte à tout. On se passe bien d'être dehors, donc
on peut bien se passer de sexe et tout ca aussi...
Rachel: Euh, est-ce que vous faites une
différence entre l'affectivité et la sexualité?
Roseline: Toujours en prison, ...
Rachel: Toujours en prison, ouais.
Doe: Déjà l'affectivité entre
hommes, ca n'existe pas vraiment. On est...On est plus des relations, ben
d'hommes, en fait. On n'est pas trop affectifs l'un envers l'autre. Même
à l'extérieur, j'veux dire avec les potes... avec mes potes, on
va pas dire que j'suis trop affectif, j'suis un pote. Je reste...j'sais
pas...bah, bon, j'prends des potes dans mes bras entre guillemets, c'est
vraiment, s'ils sont vraiment, s'ils sont cassés en deux, j'veux
dire.
L'autre fois, j'ai un pote il a perdu un de ses potes, mort
dans un accident de moto, il a..., il pleurait. Ouais, j'l'ai pris dans mes
bras mais comme un frére. J'veux dire, pas autrement. C'était un
pote qui allait super mal. Donc ouais, j'sais pas si on parle ca de
l'affectivité ou de la...de l'affectivité. Mais c'était
plutôt dans le sens...y'a un pote qui va super mal, y'a un de ses potes
qui est mort, si c'était arrivé à moi...Il pleurait,
j'l'ai pris dans mes bras pour...pour qu'il ait une sorte de
réconfort.
Roseline: Pour vous l'affectivité, c'est plus le
toucher?
Doe: L'affectif, pour moi, c'est plus proche du sexuel
plutôt qu'autre chose. Entre hommes, j'veux dire, entre hommes.
Roseline : D'accord.
Doe: Parce que les femmes entre vous, vous êtes
plus affectives sans, sans ambig·ité. Alors, qu'un mec, c'est plus
ambigu, j'trouve.
Roseline: Donc, la notion de tendresse, ca, ca rentre...
Doe : Ouais. (Rires)
Roseline: D'accord.
Doe : Ah pour moi, ouais, ouais.
Roseline: Ok. Mais en même temps, vous avez vu des
relations affectives ou sexuelles...Enfin, vu, j'sais pas.
Doe : Vu ? Non.
Roseline: Jamais?
Doe: Non, j'ai pas vu des mecs entre eux, non.
Roseline: Non?
Doe : Tout en sachant trés bien qu'y'en a quand
même. Roseline: D'accord.
Doe : a, faut pas sortir.
Rachel: Mais vous avez déjà vu des, des
échanges affectifs ou sexuels durant les parloirs?
Doe : A part des gens qui s'embrassent, non.
Rachel: Non?
Doe: Non, parce qu'ils peuvent pas. J'veux dire, on est
tous ensemble dans une salle, donc...
Roseline : Mais ils peuvent s'embrasser quand
même? a, ca, c'est un échange affectif?
Doe: Ouais mais disons que quand ca commence à
être un peu exagéré, le gardien, il leur dit vite
d'arrêter, quoi. Parce que j'veux dire, ils sont pas seuls non plus,
quoi. Donc un échange sexuel dans un parloir, peut-être pas parce
que ca tournerait vite à l'orgie.
Roseline: Mais c'est un échange affectif
alors.
Doe: Ouais, ben des gens qui s'embrassent, ca, j'veux
dire, ca, c'est normal. On se voit une fois par semaine et encore...
Roseline: Mais, par exemple, quand votre famille venait,
est-ce qu'il y avait des gestes, échanges affectifs?
Doe: De famille!
Roseline: De famille...
Doe : Ouais.
Roseline : Vous faites une distinction?
Doe : Ouais.
Roseline: Je demande...
Doe: Ouais, c'est de l'affection familiale, ca c'est
normal. J'veux dire, la famille, ca reste la famille. C'est un monde à
part, c'est...c'est la famille, quoi.
Roseline: Ok.
Rachel: Et puis, en détention, vous auriez eu
plus besoin d'affectivité ou de sexualité?
Doe : Trés bonne question...De quoi j'aurais eu
le plus besoin ? Ah, j'suis gourmand, j'vais dire les deux.
Rachel: Les deux?
Doe: P't'être sürement les deux.
L'affectivité parce que c'est une sorte de réconfort pour la
tête et bon, la sexualité, c'est pour le corps. J'dirais un peu
des deux. Mais bon...
Rachel: C'est un sujet que vous pouviez aborder entre
détenus?
Doe: Mouais, on en parlait un peu. J'veux
dire...comme on est privé de ca aussi, on évite de trop y penser
parce qu'aprés, ca frustre encore plus. Donc on évite de trop
penser mais... Ouais, c'est sür quand on, quand on a une belle gardienne,
entre nous, on se faisait, on se disait des trucs, ca, y'a pas à dire.
Quand on la voyait passer, on voyait tous les regards qui se retournaient
aussi. J'veux dire ca...On reste des mecs, on voit tous les regards qui
faisaient zzuuuppp, faut pas s'mentir, on a la tête qui tourne aussi, quo
i. C'est, c'est normal entre guillemets. Pis, ouais, ben, disons que parfois,
on a même pas besoin de se parler, juste on regarde la gardienne, on se
regardait pis on avait pigé c'que l'autre pensait, en fait. On est des
mecs, on sait de quoi, on sait à quoi on pense, en fait. C'est
pas...c'est pas compliqué à comprendre, non plus.
Rachel: Ah...
Doe: Quand on est tous enfermés, quand on n'a pas
eu de rapport depuis un bout de temps, des qu'on voyait des filles, ouais,
forcément, ben, l'esprit...
Rachel: Ouais, pis ca réveille, quoi? Doe
: Ouais. (Rires)
Doe : A vrai dire parfois, on se dit Ç mais
pourquoi elle bosse ici? Pourquoi ? A quoi elle pense? È. Parfois, c'est
un peu agacant, mais...on fait avec...
Rachel: Euh, on avait évoqué aussi la
distribution des préservatifs... Doe : a, j'étais
même pas au courant avant que vous m'en parliez. Rachel:
D'accord, ok. (Rires)
Doe: Donc, ouais, ca, ca a été une
surprise, ca!
Rachel: D'accord, donc vous étiez pas au courant
que vous aviez accés à des préservatifs ou, du coup, on
vous a pas distribué des préservatifs?
Doe: Ben, ni l'un, ni l'autre et j'en aurais pas eu le
besoin donc...moi, ca me va trés bien.
Rachel: D'accord.
Doe: J'veux dire, ils m'en donnent, j'en fais quoi? Des
balles? J'veux dire, en prison, j'en ai pas du tout besoin, ou bien?
Roseline: Ouais, vous étiez déjà
parti...ouais, c'est ca, vous étiez déjà parti sur
l'idée...
Doe: Non, mais même si on m'en avait
donné... Roseline: Ben, ouais...
Doe: a m'aurait...j'veux dire, j'm'en serais pas servi
non plus, ou bien...J'avais pas de femme, y'avait pas de femme, donc...
Rachel: Mais vous pensez que c'est une bonne chose
ou...? Qu'il y ait des préservatifs à disposition ou?
Doe: Ouais, que ce soit à dispo, ouais...Pour
ceux qui en veulent, ouais...Mais aprés, qu'ils les distribuent à
tout le monde, c'est presque une incitation alors...
Rachel: D'accord.
Doe: Moi, j'veux dire,...Bon, moi, tu m'en donnes,
j'en fais rien...J'veux dire, moi, j'suis attiré que par les femmes, ca
me va trés bien comme ca. Si y'en a qui sont plus ambigus ou qui ont
vraiment besoin d'affection,...Ouais, qu'ils sachent qu'ils puissent en
prendre. De là à en distribuer d'office à tout le
monde,...
Rachel: D'accord.
Doe: P't'être pas non plus la meilleure des
idées. Vaut mieux ca que pas en avoir du tout, j'pense quand
même... Bien que, c'est ca...Y'a de tout dans un monde.
Roseline: Ben, ca partait, comme disait votre
directeur, peut-être de l'homosexualité consentie. Que c'est un
moment du, de ...que c'est un moment de passage...un....un moment de la vie qui
fait que même si on est hétérosexuel, et ben....que le
besoin affectif ou sexuel est tellement fort que, ben, y'a juste un passage,
quoi...D'un mois ou un jour ou...
Doe: Ben, si y'en a qui en ont le besoin, ben, ils font
ce qu'ils veulent, j'ai envie de dire. C'est...
Roseline : Vous, vous êtes parti dans
l'idée que...
Doe: Les autres font c'qu'ils veulent, hum! Nan, moi,
c'est juste que l'affection, c'est avec une femme. Moi, j'm'arrête
à ca. J'ressens pas le besoin d'autre chose. Si j'en ai pas, ben...j'en
ai pas et basta.
Roseline: Hummm...
Rachel: Pis durant votre détention, quelle
était votre idée sur les échanges..., relations...Hum?
Roseline: On vient de la poser, en fait, il a
déjà répondu presque. Rachel: Mouais...
Roseline: Ben, oui.
Rachel: Non, mais en fait, en gros, trés
clairement, en fait, la question c'est...euh...quelle était votre
idée sur les échanges homosexuels? Qu'est-ce que vous, vous avez
comme idée, durant votre...détention...quelle était votre
idée sur les...les échanges sexuels entre hommes, quoi ? Ou
affectifs...
Doe: Ben, disons, vu que ca se voit pas et
qu'on...qu'entre guillemets, on est pas censé savoir qu'y'en
a...Même si y'en a, j'pense, hein, parce que faut pas s'mentir...Disons,
comme je...pff, moi, j'veux dire les autres font c'qu'ils veulent.
Rachel: Ouais.
Doe : J'veux dire, les autres font c'qu'ils veulent.
Rachel: D'accord.
Doe: Du moment qu'ils foutent tranquille, qu'ils me
foutent la paix, j'veux dire, les autres font c'qu'ils veulent. Y'a pas
d'soucis si...ben, s'ils y veulent, ben , qu'ils s'amusent entre eux, quoi. Ils
font c'qu'ils veulent. Mais, à mon avis, s'ils s'embrassaient en public,
vu qu'c'est tra»tre la prison, ca aurait...j'pense, pour eux, ca aurait
pas été la même chose parce que, bon, faut pas oublier
que...c'est la prison, quoi. A mon avis, s' ils s'embrassaient entre eux,
j'pense qu'y aurait eu des réactions. Moi, perso, j'm'en fous mais avec
d'autres, ouais... J'sais pas comment ca aurait...J'pense ca aurait
été une bonne excuse pour certains de se défouler,
j'pense. En connaissant un peu la mentalité prison, j'pense, ca aurait
été une bonne excuse pour certains de se défouler.
Roseline: a m'fait penser que, quand on est venu, vous
aviez dit Ç De toute maniére, c'est une micro
société fl...
Doe : Ouais c'est...
Roseline: Et la société est, en
général, homophobe entre guillemets... Doe: Plus
qu'entre guillemets, ouais...
Roseline: C'est ce que vous aviez... C'est c'que j'ai
entendu quand...
Doe: Ah ouais... Ah non, mais la
société, de toute facon, elle est homophobe. On montre toujours
les homos du doigt, on les montre toujours du doigt. Que ce soit deux hommes
entre eux ou deux femmes entre elles.
Roseline: C'est pour ca que...
Doe: Un homme, deux hommes entre eux, c'est plus bizarre
que deux femmes entre eux, c'est normal. J'veux dire c'est...c'est les
hommes.
Roseline: C'est pour ca que vous dites en prison, y'en a
qui se seraient défoulés?
Doe: Ouais, y'en a certains, ils les auraient
tabassés, j'pense, ouais. C'est toujours une bonne excuse pour certains.
On est dans une société homophobe, faut pas s'mentir. La prison,
c'est une mini société mais en plus dur, on va dire. Donc ouais,
ils en auraient pris plein la gueule.
Roseline : Ah.
Rachel: Mais y'avait la masturbation aussi qui a
été évoquée... Doe : Ouais.
Rachel: Est-ce que la masturbation, ca vous suffisait ou
au contraire, c'était encore plus frustrant?
Roseline: Ou est-ce que...est-ce que vous l'avez
pratiqué ou pas? Mais, bon, ca, vous êtes pas obligé de le
dire.
Doe: J'veux dire, aprés plusieurs
années, aprés...on arrive à s'dé..., on a toujours
des besoins. Donc, ouais, pratiqué, bien sür, pis ca suffisait.
Disons que c'était le seul truc à dispo donc... ca allait pour le
moment que j'étais dedans.
Roseline: C'était juste un acte ou ca
libérait quand même des tensions ou pas? Doe : Si ca
libérait des tensions?
Roseline: Ben, est-ce que vous aviez des tensions ? Je
sais pas... Doe: Disons que moi, les tensions, je les évacuais
en allant au sport. Roseline : Au sport...
Doe: J'me défoulais au sport. C'est le truc
qui me calmait bien les nerfs. C'était le sport, moi, qui me calmait,
pis, aprés, ben, quand y'avait besoin d'autre chose, y'avait autre
chose. Pour vraiment me défouler, moi, c'est le sport. Quand ca allait
pas, ben, sport en cellule.
Roseline : Vous faisiez du sport en cellule?
Doe: Parce que moi, j'avais un gros besoin de sport
pour me défouler. Comme j'suis quelqu'un qu'a vite les nerfs, j'ai
besoin d'une bonne dose de sport pour calmer tout ca.
Roseline: C'était comme dans les films, vous
faisiez des tractions? (Rires)
Doe: Ca, on avait pas dans la cellule. On voulait mais
ils voulaient pas nous en mettre une parce qu'ils avaient peur qu'on leur tape
dessus après.
Roseline : Ah, bon, d'accord.
Doe: Ils voulaient pas qu'on...ils voulaient pas nous
en mettre parce qu'après, si on s'énerve contre les
détenus, on peut leur taper dessus avec la barre ou taper sur les
gardiens avec...
Alors, que si y'a une barre fixe au mur, j'veux dire...On est
pas Rambo non plus, j'veux dire, on va pas défoncer le mur pour choper
une barre d'acier. Mais non, pompes et abdos, quoi. Bon, pis après, on
arrivait à faire d'autres exercices avec le matériel qu'on avait
à dispo, quoi. Le frigo, les sceaux qu'on remplissait de flotte, les
bouteilles d'eau...
Roseline : Ah, ben, oui.
Doe: Système démerde, quoi. C'est la
prison, donc, on se débrouille, on fait c'qu'on peut avec c'qu'on
a...
Rachel: Hum, hum.
Roseline: Pour en revenir à la masturbation,
qu'est-ce que ca vous apportait de plus ? Si ca vous apportait un plus...
Doe: Ben, disons, qu'c'est une sorte de mini
sexualité entre guillemets, quoi. C'est le seul truc qu'on a à
dispo. Enfin, que j'avais à dispo. Donc, comme c'était le seul
truc que j'avais à dispo, c'est le seul truc que j'f aisais, quoi.
Roseline: D'accord. En même temps, vous
étiez deux à trois...
Doe : Ouais.
Roseline: a devait pas être évident?
Doe: Ben on arrive toujours à être seul. On
arrive toujours à être seul à un moment. Roseline:
Ok...
Rachel: On avait aussi parlé de la violence
envers soi-même, envers les autres. Doe: Hum, hum.
Rachel: Est-ce que vous pourriez nous parler un petit
peu de...de ce sujet?
Doe: Bah, comme vous pouvez le voir, ben, y'a pas de
trace, donc j'vais pas m'amuser à ca, c'est vraiment pas mon truc. Mais,
ouais, y'en a un paquet qui essaient, enfin, pas de se suicider parce qu'ils
savent bien qu'ils vont pas en mourir mais qui s'amusent à se trancher
le bras alors qu'ils savent trés bien qu'ils vont pas y rester avec ca,
quoi. Mais, ouais, y'en a qui s'amuse à ca quand même. Pis on les
voit, hein...j'veux dire, faut pas s'mentir. a on...on les voit souvent. Mais
bon, pfff, s'ils ont qu'ca à faire, ca libére une place.
Rachel: Et en fait, le fait d'éteindre un
petit peu le...J'parle d'éteindre un petit peu le... la tête parce
que vous dites que ben, voilà, Çj'essaie de pas trop y penser,
j'essaie de pas y penser tout ca... È, donc quelque part c'est un peu
un...comme un peu si on éteignait en haut et pis pour pas
réfléchir. Est-ce que ca c'était aussi peut- être
... Est-ce que vous pensez que ca pouvait être un moyen peut-être
pour...pour... j'vais y arriver, hein.... Ouais, est-ce que c'était
peut-être un moyen pour...pour justement pas vous faire violence, en
fait? Pour...
Doe: Non. Rachel: Non ...
Doe: D'facon, j'avais pas le ...j'avais pas besoin de me
faire du mal à moi-même. Non, j'trouve c'est un geste
égo ·ste et que ca résout en rien les
problémes.
Rachel: D'accord.
Doe: Y'a d'autres moyens de résoudre un
probléme que d'essayer de..., d'essayer de se foutre en l'air. J'veux
dire, y'a bien d'autres solutions.
Rachel: Hum, hum.
Doe: Donc, non, ca, ce geste égo ·ste,
non, ca sert à rien. On n'est pas seul. Si on est seul, j'veux bien
encore. J'veux dire on n'est pas seul, on a un entourage, on a une famille.
Donc, ben, pas besoin de ca. Et pis, bon, éteindre le cerveau, j'veux
dire, avec la longue..., il s'éteint de lui-même, j'ai envie de
dire. L'extérieur, à force de...Ben, de plus y être,
j'allais dire, ben, c'est pas qu'on oublie qu'il existe, mais disons, c'est pas
qu'on en a pas besoin non plus, mais c'est...C'est qu'on l'a, on l'a, entre
guillemets, un peu oublié.
Le dehors, c'est pas qu'on sait plus ce que c'est, mais c'est
tout comme, en fait. On est tellement habitué à notre routine
de...ben, de détenus, quoi, qu'on s'habitue à ca en fait. Pis le
jour oü on sort, ben, c'est là qu'on se rend compte vraiment
que...que, ouais, c'est quand même mieux dehors. A un moment
donné, c'est pas qu'on...C'est comme si on oubliait entre...Pendant un
petit laps de temps, j'veux dire, on a notre habitude, là-dedans, ben
...entre guillemets, ca ira pour l'instant, quoi. On s'y habitue. Certes, on a
envie d'être dehors. Mais on s'habitue à être dedans, donc,
on attend. On tire notre peine, pis, quand on sort, ben, on sort. Pis on
récupére tous nos...toute notre, pas toute, peut-être, mais
on récupére une liberté.
Roseline: C'est par rapport à vous ? Vous dites
Çon È, mais c'est par rapport à vous? Parce qu'y'en a
d'autres qui supportent pas?
Doe: Ouais. Y'en a plein qui supportent pas
d'être enfermés, y'en a, tu les vois, on les voyait, au bout
de...au bout d'un ou deux semaines, ils pétaient un c%oble, j'veux dire,
moi j'disais Ç Putain, mon gars, tu viens d'arriver, calme...Nous ca
fait des années qu'on est là, c'est bon È. Moi, j'me
réconforte aussi comme ca. J'voyais des gars qui étaient
là depuis bien plus longtemps que moi. Y'en avaient qui tapaient des
années, et des années et des années et qui en avaient
encore pour bien... pour bien plus que ce qu'ils avaient déjà
fait. Moi, j'me réconfortais comme ca. Certes, j'ai un petit moment
à faire mais quand je vois tel ou je vois tel et tout ce qu'il a
déjà fait ou tout ce qu'il lui reste à faire et qu'il a
tenu...Pff, pourquoi je tiendrais pas?
Roseline: Hummm....
Doe: Ouais, en fait, le malheur des autres me
réconfortait un peu sürement. Quand je voyais qu'y'en avaient qui
avaient fait déjà, j'sais pas, plein, plein, plein de temps, j'me
dis: Ouais, bon, ben, ok, j'fais partie des plus anciens, peut-être, mais
y'en a des pires.
Roseline: Ouais.
Doe : J'veux dire, à partir de là, ben,
prends ton mal en patience et pis, tu sortiras.
Roseline: C'que vous êtes en train de dire, c'est,
quand même, une question d'individualité?
Doe: Faut bien dire, faut bien se réconforter
comme on peut. Quand on voit tout le monde qui arrive, qui repart, qui arrive,
qui repart... et pis, toi, t'es toujours là, tu te dis Ç Merd e,
c'est quand mon tour? È. Pis aprés, tu te dis Ç Quoi qu'il
arrive, j'serai dehors avant lui. Il a fait plus longtemps que moi
déjà et j'serais dehors avant È. D'un côté,
c'est p't'être égo ·ste mais c'est une sorte de
réconfort aussi. C'est p't'être un peu égo ·ste
mais j'crois que c'est humain avant de... Donc, bon, ben ... Ç D'accord,
tu sors. C'est cool pour toi È, Ç Et tu sors quand, toi ?
È, Ç Dans longtemps È. Tu vois ca, j'veux dire, c'est bon.
On fait notre route. Chacun sa route, chacun son chemin aussi (rires)
Rachel: Voilà, c'est ce que... Chacun son
destin...
Doe : Aussi. Passe le message à ton voisin...
Rachel: Voilà. C'est exactement celle-là
que j'avais dans la tête. Doe: Moi, c'est ca, que j'avais en
tête en disant...
Rachel: Euh, on avait parlé des parloirs intimes,
par exemple, au Mexique et tout ca, euh... Je sais plus si c'était vous
qui en aviez parlé ou...
Doe : J'en sais rien du Mexique donc ca ne me dit
rien.
Rachel: Non? D'accord. Parce qu'en fait au Mexique, ils
ont créé, en fait c'est une...une prison qui est sur une
»le...
Doe : Oui....
Rachel: Et puis, euh...en fait, ben, en gros,...Hein?
Doe: Dans ma tête, je cherchais qui c'est qui m'en
avait parlé.
Rachel: Voilà. Et du coup, y'a la
possibilité de vivre avec sa famille ou en tout cas avec sa femme ou
avec ses enfants...
Doe : Ouais...Juste...J'sais plus qui en a parlé
l'autre soir... Rachel: Donc, c'était, pas vous...
Doe: Non, non, non, c'était pas moi.
Rachel: Désolée. Alors, on va arriver
à la dernière question... Roseline : Moi, j'ai juste une
question juste avant.
Doe: Humm, humm.
Roseline: Y'a des personnes qu'on a
interviewées qui avaient, en fait, famille, hein ? Et puis, vous, vous
êtes plus, visiblement, côté célibataire ou est-ce
que vous aviez une copine pendant votre détention?
Doe: Pendant ma détention, non, pas de copine.
Roseline: Voilà...Alors, effectivement, ca me
vient comme ca, j'me dis, c'est tout-àfait un autre chemin, quoi.
Doe : Chacun sa route.
Roseline: Ouais, c'est ca. Enfin, voilà...Pour en
venir oü? Y'a pas les mêmes préoccupations?
Doe: Non, y'en a qui ont des enfants, y'en a qui ont
une femme. Moi, j'avais quoi? Mes parents et ma sÏur, j'veux dire. Moi,
tous mes amis et tout, j'les ai..., j'm'en fous, j'me dis Ç ils peuvent
attendre È, alors que ma mère, ma sÏur, mon père,
c'est une autre histoire.
Roseline: Donc, moi, c'que j'vois, vous
m'arrêtez, vous avez été moins touché parce que,
justement, y'avait pas ce côté affectif et charnel. Tout
était à créer en sortant. Est-ce que je me trompe ou
c'est...?
Doe: Tout était à recevoir
...c'était pas à récupérer parce qu'en rentrant,
j'avais pas de copine. Au moment oü je rentrais, j'en avais pas. Donc,
j'me suis dit, c'est pas comme si j'avais une copine, parce que si j'avais une
copine, le temps que j'suis en prison, elle m'aurait pas attendu, j'veux dire.
A mon %oge, on n'attend pas des années quelqu'un.
C'est vrai, en rentrant, j'avais pas de femme, j'avais pas de
gosse... D'ailleurs, heureusement, ca aurait été grave à
mon %oge et...ouais...j'avais pas tout ca entre guillemets à
récupérer. Quand j'suis sorti, j'me suis dit faut que j'me trouve
une copine en étant dehors. Des potes, soit j'les
récupère, soit ils vont continuer leur chemin, j'veux dire, bon,
ils allaient pas m'attendre non plus des années. Donc soit
j'récupère, soit j'vais en trouver d'autres, j'veux dire.
C'était pas ma...c'était vraiment pas ma préoccupation du
moment, ca, en fait. Moi, c'était juste faire ma peine et je sors quand
je sors.
Roseline: Ok.
Doe: On sort un jour...C'est que...C'est c'qu'on se
disait...ceux qui avaient des peines un peu longues, on s'disait Ç On
sortira un jour È.
Roseline: Ben ouais.
Doe: La prison est dure mais la sortie est sure.
Roseline: Mais on est bien d'accord que, par exemple,
si c'était des personnes qui avaient une autre vie affective à
l'extérieur, à l'intérieur, ils l'auraient pas vécu
comme vous?
Doe: Non mais j'en ai connu qui étaient
mariés et qui en avaient ras-le-bol parce qu'ils voyaient pas leur
femme. J'ai passé un petit moment avec un gars en atelier, il disait:
Ç J'ai h%ote d'être transféré pour avoir un parloir
affectif avec ma femme È. Parce qu'il trouvait bien qu'à y'avait
pas. Il avait juste envie d'être transféré dans un
pénitencier pour avoir ça, pour pouvoir récupérer,
entre guillemets, sa femme. Donc ouais, étant donné que j'avais
pas de femme ni quoi que ce soit, ca allait. Si j'avais eu une copine au moment
oü j'serais rentré, ca aurait été une autre
histoire.
Roseline : Vous imaginez, ouais, que ca aurait
été une autre histoire?
Doe: Ouais, parce que j'savais que j'l'aurais perdue
parce qu'elle allait pas m'attendre des années, donc...Faut pas
s'mentir. C'est une autre histoire, ouais
Roseline: Hummm, hummm ...ouais.
Rachel: Pis, est-ce que vos expériences
affectives, amicales, rencontres, lien que vous avez pu faire durant votre
détention, est-ce que ca a produit ou permis un changement dans votre
vie de tous les jours à la sortie?
Doe: Disons, que les conflits m'ont encore plus
renforcé, j'pense. Les bons...les bons côtés de relations,
j'pense pas qu'ca m'a changé mais les mauvais, j'pense, ca m'a encore
plus renforcé.
Rachel: Hummm, hummm.
Doe: Parce que, forcément, y'a pas eu que des
bons côtés. On a toujours des...pas des combats mais toujours
moyen de... toujours une petite embrouille, on a toujours
quelqu'un qui nous prend la tête, avec qui on s'prend la
tête. J'pense ca m'a encore plus renforcé... les mauvais
côtés de la prison m'ont bien renforcé.
Roseline: Renforcé dans le positif? Dans
être plus calme... Doe : Ouais, ca m'a renforcé le
caractére aussi.
Roseline: De savoir ce que vous voulez...
Doe: Ben, disons qu'je sais c'que j'veux et je sais
aussi maintenant c'que je peux faire. Je sais que maintenant si on me prend la
tête et ben, j'me suis dit si l'autre il a réussi à le
faire tenir, à retenir face à l'autre, ben, face à une
merde de l'extérieur, j'veux dire, il a presque aucune chance.
Roseline: D'accord.
Doe: C'est un peu un monde oü on sait qu'on se
renforce parce que comme on sait que c'est un monde dur, faut qu'on soit
même, faut qu'on se renforce parce que sinon, on se fait bouffer...un
peu. Faut toujours qu'on se renforce un minimum pour pas s'faire bouffer. Parce
qu'y'a toujours des imbéciles qui jouent qu'à ca, c'est de
démolir les autres. Donc si on, si on se renforce, ils nous ont pas. On
se renforce un peu la vie de tous les jours, on apprend à
relativiser.
Rachel: Ok.
Doe: Moi, j'vois des problémes pour certains qui
sont des problémes énormes... pis, y'a bien pire dans la vie,
quoi.
Rachel: Hummm.
Doe: Faut relativiser. T'as toujours peur.
Relativise. Sérieux, ca aide. Tes gros problémes sont
peut-être les plus petits problémes que quelqu'un d'autre a.
Relativise, sérieux. T'en a des plus malheureux que toi. C'est un bon
moyen de se réconforter aussi. T'as toujours plus malheureux. C'est
égo ·ste mais...t'as toujours plus malheureux.
Roseline: Ouais, ouais.
Doe : C'est un autre mode d'intervention.
Roseline: Bon, quand vous êtes rentré en
prison, vous aviez pas cette philosophie mais maintenant, vous l'avez.
Doe : J'suis rentré, j'étais un gamin.
Roseline: Pis, elle vous aide...Voilà...
Doe : J'suis rentré en prison, j'étais
un gamin. Ouais, j'suis ressorti en homme, ouais, ben, disons que j'ai
gardé quelque...quelque chose de là-bas, quand même, faut
pas
s'mentir. J'ai encore...aujourd'hui, encore, j'ai encore certains
réflexes que j'avais là - bas .
Roseline : Ah ouais, d'accord.
Doe : Pis, j'arrive pas à m'en
débarrasser, j'ai encore certains réflexes.
Roseline : Vous avez des réflexes... Vous
pouvez nous donner quelques exemples?
Doe: Disons que...toujours vérifier si j'ai
tout sur moi. Bon, ca j'avais rien, sur moi, j'avais rien en étant en
prison, enfin, rien dans mes poches...Mais là, dès qu'j'rentre ou
que j'quitte un endroit, j'vérifie 50 fois mes poches pour être
sür que j'ai tout .
Roseline : Ah voilà. Ouais, alors, là,
c'est...
Doe: Pourtant, là, j'ai que dalle, j'avais rien
dans mes poches. Alors que là, dès que je quitte une
pièce, je vais vérifier 2-3 fois si j'ai tout.
Roseline: Humm, humm.
Doe : Alors, là vous pourrez le voir, en
sortant, j'vais vérifier mes poches. Même si je sais très
bien que j'ai tout mais c'est...c'est...c'est une sorte, pas un TOC mais disons
que c'est un réflexe que j'arrive pas à m'enlever.
Roseline: Pour vous rassurer et puis en même
temps, c'est une certaine méfiance, alors?
Doe: C'est p't'être la méfiance de tout
et de tout le monde, c'est possible même si je sais très bien que
j'ai tout parce que j'veux dire, j'suis là, y'a rien qui est, j'ai pas
bougé depuis, donc je sais que j'ai tout mais je sais que je vais tout
vérifier.
Rachel: (Rires)
Roseline: D'accord.
Doe: Et j'arrive pas à m'en séparer, ca
m'énerve. Ouais, c'est les habitudes. Rachel: Ok.
Doe : Certains réflexes qu'on ne perd pas.
Rachel: On est arrivé à la fin, est-ce
que vous aimeriez ré..., ajouter quelque chose? Quelque chose dont on a
pas parlé et que vous trouveriez important qu'on l'évoque
ou...?
Doe: Là, de tête, j'pense qu'on a fait le
tour.
Rachel: D'accord.
Doe : J'pense qu'on a bien fait le tour. Sauf si y'a
encore une question?
Rachel: Non... non, non, ben, déjà, on
voulait vous remercier, donc, encore une fois, d'avoir répondu à
toutes ces questions. Et puis, pour vous, ca a été?
Doe : Ouais.
Rachel: Ouais? a...
Doe: Moi, ca me va
Rachel: Ca a pas été trop intrusif ou...?
Doe: Pas du tout.
Rachel: Pas été jugeantes ?
Doe: Encore moins.
Rachel: D'accord, bon, ben, parfait.
Doe: Ben, c'est simple, du moment qu'y'a pas mon
prénom et aucune description de quoi me rendre reconnaissant, moi ca me
va.
Rachel: Ouais, ouais, non, non.
Doe: Du moment, que quelqu'un qui lit fait : Ç
Mais tiens, ca me rappelle telle personne... È, là ce serait une
autre histoire mais là, j'veux dire, si quelqu'un arrive à me
reconna»tre face à un texte, il me conna»t bien, bien.
Roseline: Ben, juste une petite question...Si le
directeur n'avait pas insisté, est-ce que vous auriez
téléphoné ou...
Doe: Mais il a pas dü insister. Roseline:
Il a pas dü insister...
Doe: `fin, c'est juste que moi, j'avoue, que quand
j'ai quelque chose à faire, comme on me l'a appris, j'suis un vrai
procrastinateur, je le... Je remets tout au lendemain... (Rires)
Rachel: C'est un mot que j'connais pas, ca.
Doe : C'est le fait de remettre tout au lendemain et
j'avoue, j'suis comme ca. Rachel: Comment on dit? Pro...
Doe: Procrastinateur.
Rachel: Proscratina...
Doe: Procrastiner.
Rachel: Ok. (Rires)
Roseline : Ah, ben, nous aussi, on apprend, ...
Rachel: Ouais.
Doe : C'est le directeur qui me l'a appris.
Rachel: Ouais.
Doe: Et, ouais, j'avoue que...j'suis toujours du
genre à remettre tout au lendemain. A tel point que
ben...à un moment donné, j'dois tout faire le même jour
parce que c'est la..., c'est l'échéance. Comme pour payer les
factures, c'est le dernier jour que j'fais.
Rachel: (Rires)
Roseline: Donc, vous avez... Vous aviez aucune
appréhension pour venir ici ? Ok, c'est cool. Merci.
Doe: Ben, c'est simple, moi, depuis que j'ai eu mon
jugement, plus rien me prend...plus rien me fait peur, plus rien ne me stresse.
J'ai plus jamais stressé depuis ce moment. Et j'pense que je stresserai
plus jamais.
Roseline: C'est beau...
Doe: Et y'a rien de plus stressant qu'un jugement,
qu'ils vont te juger sur ta liberté Roseline et Rachel: Hum,
hum.
Doe : T'as rien de pire!
Rachel: Ouais, c'est clair!
Doe: Quand on juge ta liberté et ton futur,
j'veux dire, on te retire... Jugement au pénitencier .... Ouais. On
juge, on juge ta, j'veux dire on te juge toi et ta liberté. a, c'est
stressant.
Roseline: Oui.
Doe: A partir de là, j'veux dire, le
reste...pfff...c'est du g%oteau. A partir de là, franchement, t'as
vécu un jugement, c'est bon.
Roseline: Hum, hum..., c'est clair. Merci beaucoup.
Rachel: Ouais, merci, hum, hum.
Doe : J'vous en prie.
Raphael
(Surnom choisi un peu avant l'enregistrement)
Rachel: Bonjour
Raphael: Bonjour
Rachel: On voulait déjà commencer par
vous remercier encore d'être venu. C'est vraiment chouette. Et puis,
ensuite euh..., on voulait aussi peut-être juste remettre, un petit peu,
donc on vous avait un peu parlé pourquoi on faisait ce travail sur
l'affectivité, et puis dans un milieu carcéral.
C'est en fait ben voilà, nous on voulait aborder un
sujet qui était tabou et puis trés peu parlé. Et puis du
coup on voulait, ben, surtout conna»tre votre vécu à vous,
donc en prison.
Aussi, je voulais ajouter tout ce qui sera dit, restera
confidentiel. Les enregistrements seront effacés une fois qu'on aura
retranscrit. Et puis voilà, tout ce qui pourrait appara»tre pour
qu'on puisse vous reconna»tre sera effacé oü mis en noir pour
pas qu'on puisse le lire.
Je vais peut-être juste vous rappeler un petit peu les
themes que l'on va aborder aujourd'hui.
Donc il y a..., ce sera sur les expériences
d'échanges affectifs lors de votre arrivée, pendant votre
détention, et puis enfin, à votre sortie on aura juste une
question.
Pour la première question, qu'est-ce que vous pourriez
nous dire sur vous en général, qu'est-ce que vous aimeriez nous
dire?
Raphael: Par rapport à ce sujet?
Rachel: Ben peut-être par rapport à vous.
Je sais pas si vous avez envie de nous donner votre %oge ou voilà ...un
peu...
Raphael: Je peux vous dire que j'ai vécu une
première incarcération à l'%oge de ans. Aujourd'hui j'ai
bientôt . Et euh... donc j'ai vécu donc une coupure de
années de privation de liberté, j'avais pris ans,
mais j'ai fait pour bonne conduite.
Aprés je suis resté de nouveau ans dehors et je
suis rentré de nouveau pour
ans.
ans et je suis de nouveau rentré pour
Rachel: D'accord.
Raphael: Aprés je suis sorti pour
euh... avec euh... un passage à l'hôpital
psychiatrique de donc
ce qui veut dire euh que je n'ai pas le même parcours
qu'une personne a fait euh vingt ans ou quinze ans de prison d'affilée
quoi.
Acquiescement de tête de Rachel
Raphael: Donc j'ai eu plusieurs sorties. Ca ne s'est pas
toujours passé la même chose. J'ai eu plusieurs
incarcérations évidemment puisqu'il y a eu plusieurs sorties.
Rachel: D'accord. Roseline: C'est
intéressant.
Raphael: Oui, cela peut être intéressant
ouais (silence) en fonction des %oges
quoi, cela fait , , ans, voilà, ca fait ca. Tous les ans,
il
m'arrive, pfff une baffe (rires), une tuile, (raclement de
gorge).
Rachel: J'ai oublié de vous préciser
s'il y a des questions auxquelles vous voulez pas répondre, euh, vous
pouvez le dire ou si vous voulez faire une pause ou quoique ce soit, il faut
pas hésiter.
Raphael: Hummm.
Rachel: D'accord. Hum, quel souvenir vous gardez en fait
lors de votre arrivée en détention ? De votre première
arrivée en détention.
Raphael: (Avalement de salive). Bon, la
première arrivée en détention, je me disais que
j'étais pas sür que ca dure longtemps. Je me disais qu'avec un peu
de chance ca durerait pas trop et ce serait pas trop pénible, quoi.
Rachel: D'accord.
Raphael: Donc si on veut, donc les quelques premiers
mois, c'était, c'était supportable dans, dans le sens que je me
disais que ca devait se régler ca, je pouvais sortir avant quoi.
ans, j'étais trés
Et, c'était supportable, j'avais une amie qui me
soutenait, j'avais
jeune. Et euh..., au début, c'était, quand on
parle de l'arrivée, c'était supportable. On était
plusieurs, on était un groupe, on était sept, huit dont six dans
la même prison au
à . Ce qui fait qu'on était soudé, on se
sentait, on était soudé,
c'était un club de . Et cela allait, on disait finalement
c'est pas pire que le travail,
quoi, mis à part les p'tites copines et ceci et cela. Mais
au début c'était supportable. Maintenant si on m'avait dit au
début: Ç tu fais ans È, mon dieu! Peut-être
je sais pas, j'aurai passé à autre chose. C'est-à-dire
j'aurai envisagé de me suicider, je sais pas quoi. Mais heureusement ce
n'était pas défini comme ca.
Rachel: Il n'y avait pas forcément un sentiment
de peur ou...?
Raphael: Non, non, non, non. Bon on était...
j'avais la chance de ne pas être seul. Par exemple il y avait d'autres
incarcérations oü j'étais seul, quand je suis entré
à
, j'étais seul, c'est différent. Mais là
à ans on était un peu fier, on revendiquait ce qu'on avait fait,
on croyait avoir raison devant les juges, devant le ministére publique,
pis on se faisait pas trop de soucis, insouciant. Ouais pis dans le cadre de la
prison ca allait parce que on était assez respecté on a fait les
gros titres des journaux, . Ouais, dans le milieu marginal on était
considéré comme... ce qui fait que ce n'était pas trop dur
à ce niveau-là. Au début mais je vous parle des trois,
quatre premier s mois... Parce qu'apres le premier
mois, mes copains ont tous été
libérés parce que j'étais le seul qui avait , non je
n'étais pas le seul mais qui avait , donc le juge
m'a dit: Ç je peux libérer les autres mais pas
vous, vous êtes le principal protagoniste È. Et là,
déjà aprés le premier mois ca été dur
aprés la coupure avec les...copains. La copine continuait de venir me
voir, elle y croyait, elle pensait que, que, elle disait au juge que nous
étions faits l'un pour l'autre, qu'on allait se marier, que patati,
patata. Elle envisageait des choses , qu'on avait pas envisagé à
l'extérieur, elle écrivait des lettres d'amour, c'était
vraiment trés, trés fort et elle m'aidait bien à supporter
ca. Mais moi, je ne savais pas jusqu'à mon jugement combien j'allais
prendre, de toute facon, le prob léme était là.
Aprés quelques mois, peut -être six, j'ai enfin
compris que je ne sortirais pas avant mon jugement et que mon jugement n'aurait
pas lieu avant une année. Alors là, c'est la première
cassure, c'est ma copine qui a craqué quand je lui dis que je ne peux
pas sortir avant le jugement et qu'il y a encore un an à attendre, je
n'ai pas de liberté provisoire...Je lui ai dit: Ç tu ne peux pas
m'attendre comme ca, tu es jeune aussi È pis elle me dit: Ç non
on se marie quan d tu sors, je t'attends, j'essaie È. Je ne pouvais pas
lui demander ca. ÇMais situ tiens le coup, je te promets que je
t'épouse quand je sors, il n'y a pas de probléme È.
Et puis euh... aprés quelques.... sept, huit mois, elle
est arrivée en me disant qu'il s'était passé quelque
chose, qui devait se passer entre guillemets, c'est la nature quoi.
Voilà, un soir un peu arrosé, elle a croisé un type et ils
ont fini ensemble, voilà quoi.... Et pis elle me demandait, elle l'a
dit, elle voulait être franche avec moi. Moi je ne lui ai pas fait de
reproche, c'est normal. Et j'ai dit que c'est mieux qu'on se quitte mais elle
ne voulait pas. Elle voulait continuer à venir me voir même qui
s'est passé ca. Et là j'ai dit: Ç Non écoute, je
veux que tu quittes ce milieu, je veux que tu sois... ce n'est pas bon, c'est
pas sain pour toi, c'est pas sain pour moi, quitte ce milieu, va voir d'autres
connaissances et fais ta vie quoi È. Pas refais ta vie car à ans
on ne refait pas, on fait. Et euh... c'est comme ca qu'on s'est plus revu du
temps que j'étais en prison.
Rachel: D'accord.
Roseline: Aprés la deuxiéme fois, vous
aviez une autre pensée quand vous êtes entré en prison?
Raphael: Bon la deuxiéme fois, j'étais
complétement parano, j'étais euh... je pensais que c'était
un complot contre moi, j'étais vraiment mal. Ce qui fait que je me suis
même isolé en prison, j'allais me promener sur le toit de , ouais,
là j'étais vraiment pas bien. C'était tout à fait
différent, ouais, ouais.
Roseline: D'accord.
Rachel: Et puis quelles idées vous
faisiez-vous des relations entre les gens en prison? Est-ce que vous aviez une
idée avant, est-ce vous vous étiez déjà posé
la question?
Raphael: Franchement non, si on m'avait dit que j'allais
un jour passer par la case prison, j'aurais pas trop cru, franchement....
Rachel: Mais est-ce que....
Raphael: C'est pas un milieu qui
m'intéressait. Franchement j'avais autre chose en tête, non,
à l'époque, j'en avais jamais parlé, ou peut-être
dire ce gars est en prison ou quelqu'un que je connaissais en qui avait
été incarcéré, mais non, non le milieu ne, à
part ce que j'avais vu dans les films, mais les films ce n'est pas toujours...
enfin c'est hard ce qu'on voit dans les films américains, les relations
qu'il y a entre les détenus, je n'ai pas un titre dan s la tête
mais enfin...
Mais sans plus, je n'avais pas d'idée préconcue.
Rachel: Est-ce que vous pourriez nous décrire une
journée, les différents moments de rencontre possibles ?
Roseline: Les rencontres importantes...
Raphael: Bon, ce qu'il y a c'est que moi j'ai fait
beaucoup de préventive contrairement à d'autres gars qui ont fait
plus de pénitencier. C'est-à-dire que normalement le, le, le
cadre c'est 23h sur 24 dans une cellule, s'il y a surpopulation vous êtes
à plusieurs dans une cellule, s'il n'y a pas de surpopulation, vous
êtes seul dans une cellule et vous avez le point de rencontre
c'est-à-dire une heure par jour. Quand j'étais au , on pouvait se
promener dans une cour et peut-être deux heures par semaine en plus, on
pouvait aller dans une salle faire du sport. Donc c'était ca les points
de rencontre. Ou si peut-être une heure, même pas, peut- être
une demi-heure quand on allait à la bibliothéque ou... des choses
comme ca. Certains allaient à l'église pour pouvoir voir du
monde, parce qu'il ... ouais une église, c'est pas vraiment une
église....
Roseline: Ouais une chapelle.
Rapha`l: Ouais, une cérémonie religieuse
qui se... Roseline : Vous y alliez?
Rapha`l: Moi pas, non, j'étais pas, même
que pourtant ca aurait pu faire du bien pour voir des gens, pour discuter. Mais
je n'étais pas..., tout ce qui était... j'étais en porte
à faux avec tout ce qui était dans le cadre carcéral.
Donc s'il y avait un meneur qui était une personne qui
avait le droit d'entrer dans une prison, c'était déjà pour
moi une personne louche, qui pouvait redire ce qu'on lui disait.
Roseline: Méfiant?
Rapha`l: Voilà, ouais, ouais, j'ai le
coté parano qui était déjà Roseline:
Donc la première fois le coté parano était
déjà là?
Rapha`l: Il était déjà
là, oui oui, quand on rentre en, dans ce milieu, on a toujours peur de
redire. Si vous vous êtes allés dans le but de tuer quelqu'un et
que vous ne voulez pas que ca se sache, c'est soit un assassinat, soit un
meurtre, un assassinat c'est 20 ans, un meurtre c'est 10 ans. Donc c'est du
simple au double. Donc si vous dites au juge que vous avez pété
les plombs et que vous faites une confidence au prêtre ou je ne sais qui,
à un maton, non je ne voulais pas. Pis des fois, on voit qu'ils
vous cherchent, ils posent des questions qui sont insidieuses,
qui sont précises, donc on se pose la question, il y a une parano qui
nous dit, méfions-nous, on est quand même dans un milieu
spécial, est-ce qu'ils travaillent avec les juges, il y a tout un....
ouais ouais.
Roseline: Mais alors là, vous étiez
déjà un peu méfiant, la deuxiéme fois vous
étiez pas bien et la troisiéme fois ?
Rapha`l: La troisiéme fois c'est maintenant,
j'ai fait six mois pour un cas de procédure, finalement c'est dü
à la première fois, j'avais un traitement médical qui
m'était imposé, pis au j'ai rompu ce traitement à cause
d'un accident de moto ce qui fait que c'est un peu une histoire de....
Roseline: Une continuité?
Rapha`l: Ouais, c'est une histoire un peu
bêbête, il n'y a pas de nouveau délit. Il n'y a rien, le
seul truc qu'on me reproche c'est d'avoir rompu ma confiance avec le
médecin en . Dans le sens ou malheureusement j'étais à
l'hôpital dü à un accident de moto, je n'ai pas pu lui
dire que je ne pouvais plus le voir. Entre-temps, j'avais un peu
décompensé, j'avais pris beaucoup de morphine et tout, je
n'étais pas
bien non plus. Mais à il s'est passé le truc qu'ils
arrivent avec mon dossier et ils disent nom de chien, on a un... comment on
appelle ca... un certificat du
qui dit que ca fait deux, trois mois qu'il n'a plus
été rendre visite à son psy, donc eux ce qu'ils font, ils
me remettent en milieu carcéral.
Roseline: Et là vous étiez de nouveau en
préventive alors?
Rapha`l: Et là, j'étais à , en
préventive. J'ai un article qui ... à
l'époque c'était un article , et maintenant je ne
suis même plus sür. C'est un milieu
qui évolue, vous avez l'incarcération, pis
aprés vous avez le milieu hospitalier et aprés vous avez le
milieu ouvert, c'est-à-dire... comme j'étais dans le , là
je ne suis pas encore en milieu ouvert, je suis en milieu fermé, c'est
la même chose que si j'étais à l'hôpital.
Et aprés, ils vont me mettre ouvert et je dois aller
une fois par mois me présenter, voir un psy, ce que je fais aujourd'hui
tous les mois et là ca sera la même chose. Mais si je romps cette
confiance-là, eux me considérent de nouveau comme une personne
dangereuse, parce que j'ai un traitement médicamenteux et j'ai tendance
à Ç parano ·er È.
Roseline: Donc la troisiéme fois, c'était
qu'une heure de promenade et vous deviez manger dans votre cellule?
Rapha`l: Donc là, non, j'étais à ;
je pouvais manger dans le couloir,
j'étais à cinq dans la cellule car il y a une
surpopulation carcérale. Ca a bie n été le milieu, je
crois que... Aprés j'ai pu travailler dans la buanderie et pis
voilà quoi le contact avec les autres ca se passait bien pour dire que
nous étions cinq dans une même cellule. Bon y a eu quelques
petites bagarres mais bon sans trop de dommages. Mais là c'est
trés dur à vivre, trés, trés dur, et au bas mot, il
n'y avait pas une cellule seule. Toutes les cellules minimum deux, des fois ils
mettaient deux lits superposés et un matelas par terre.
Roseline: La première fois c'était
seul?
Rapha`l: Oui j'étais seul. Je me suis même
isolé, oui. La première fois euh..., oui,
non, la toute première fois j'étais au et
là, c'était différent. La
deuxieme fois c'était aussi à et là je me
suis isolé, alors là, j'étais tout
seul, j'allais de temps en temps me promener avec une ou deux
personnes qui étaient au secret, mais là, j'étais
completement parano, j'ai dit qu'ici il ne faut pas parler, il faut rien dire,
enfin, bref, j'étais vraiment mal, mal, mal. J'étais en isolation
totale, même pas un contact avec ma famille, même pas de visite
quasiment, tandis que la première fois que j'étais
incarcéré, vous imaginez le nombre de visite que j'avais, j'avais
tout un club avec moi, toute ma famille qui me soutenait, enfin au début
ma copine, des copines qui venaient me voir, c'était tout à fait
différent.
Roseline: Et puis vous étiez seul dans une
cellule ou à plusieurs?
Rapha`l: Au ? Oui, à l'époque il n'y avait
pas, bon je vous parle de ca,
c'est en , euh... il n'y avait pas cette surpopulation. Il y
avait beaucoup moins de
tensions, ca change tout, ca change tout, ouais.
Roseline: Et là-bas vous pouviez travailler?
Rapha`l: Ouais là-bas j'ai pu travailler
à... comment ils appelaient... l'atelier de collage, on préparait
des papiers pour des fleurs, on faisait du cartonnage, enfin.
Roseline : Alors là, il y avait un lieu
d'échange?
Rapha`l: Oui, là, il y avait un lieu
d'échange, un échange avec les autres détenus, oui tout
à fait. Oui toute la journée, vous étiez dans une salle
comment ca, une dizaine à plier les cartons, on se passait des trucs.
Rachel: Mais il y avait un moment précis dans
lequel il y avait plus de plaisir à rencontrer du monde ou...?
Rapha`l: Cela dépendait, avec qui, quoi. Ca
dépend de la relation, des fois il y a une bonne relation, on
était tout content d'aller à la promenade pour le retrouver. On
restait une heure à discuter, on se racontait des choses, voilà
quoi.
Cela dépendait des relations, ouais, ouais, et des fois
il y avait même une bonne ambiance, on a même éclaté
de rire, il faut pas croire, il y a vraiment des types qui vous racontent des
choses, vous êtes là, vous éclatez de rire, c'est
détendu des fois, c'est, c'est, c'est pas toujours... oui on se dit nom
de chien j'éclate de rire, tu sais oü je suis ? Ou bien. Et parfois
c'est le gros fou rire et on arrive plus à se reprendre.
Roseline: C'est des moments quand même
importants!
Rapha`l: C'est quand même des souvenirs qui
restent et se dire mais nom de chien, dans ce milieu-là on arrive quand
même à être euh.... Même euphorique, vraiment hilare
à certains moments. Les larmes, je pense qu'elles restent quand on est
seul dans la cellule, quoi... le chagrin, le, le, le reste dans la cellule mais
quand on sort, il y a toujours quelqu'un qui est là pour vous raconter
une histoire pour... ouais, moi je dis qu'il y a quand même pour un
milieu comme ca, pourtant on ne peut pas dire
qu'on est bien mais on a quand même des moments,
(sifflements : ttrritt de Raphael) on se lâche ouais, on se
lâche.
Roseline: Et cela vous faisait du bien?
Rapha`l: Je pense ouais, il y a quand même une
certaine solidarité entre détenus. Si vous êtes
respecté, les autres, ouais. Par exemple, à tous les vendredis
à l'atelier, il y avait un détenu qui apportait comme vous, une
petite collation, chaque vendredi, c'était un détenu
différent et on partageait, il y avait un partage, il y avait quelque
chose.
Ouais, ce n'est quand même pas un monde de brutes
à l'état sauvage. Il y a des moments oü c'est violent, des
moments oü c'est hyper tendu et des moments oü ca frise le code
surtout qu'il y a des outils tranchants dans ces ateliers, il pourrait y avoir
des..., comparé à ce qu'on voit à ce qui se passe, je veux
dire qu'il y a peu de violence vraiment qui... des personnes qui passent
à l'acte, des gens qui se la jouent aux durs, qui n'écoutent pas,
un coup de poing, non, sinon il y a pas... non. Et pis, il y a des personnes
qui pour parler de l'affection, il y a des personnes qui cherchent l'affection.
Vous pouvez avoir des propositions, vous pouvez avoir ceci ou cela, ca, ca
existe aussi, il faut le dire. Des personnes qui...
Roseline : Vous avez vécu....
Rapha`l: Euh... Moi j'ai vécu des
propositions, mais j'ai jamais passé à l'acte mais c'est pour
cela que je peux dire que ca existe, ouais, ouais. Mais je sais qu'il y a des
gens qui tournent la veste et pourquoi pas, j'avais un peu parlé quand
vous êtes venues le lundi mais aprés quand ils sortent je ne sais
pas est-ce qu'ils reprennent un cours habituel ? J'en sais rien (rire) ou
peut-être qu'ils préférent les hommes aprés, ca je
ne sais pas.
Roseline: Mais pour en revenir aux propositions,
qu'est-ce qui a fait que vous avez pas adhéré à la
proposition ou aux propositions?
Rapha`l: Mais je ne suis pas homo et je ne crois pas
que je peux considérer ca, tout bêtement. Mais d'un
côté, peut-être que j'aurais eu envie, je ne sais pas,
peut-être que j'ai refoulé, c'est quelque chose de refoulé
peut-être que, voilà, mais peut-être que, que quand on vous
taille une pipe vous fermez les yeux, vous pensez à je sais pas qui,
mais il faut...
Roseline: Ce n'était pas concevable?
Rapha`l: Pour moi, ce n'était pas concevable. Moi
je n'arrivais pas à passer à l'acte, je n'arrivais pas.
(Silence)
Rachel: Comment avez-vous fait pour créer des
liens? Est-ce que c»était de votre initiative ou c'est plutôt
les autres qui sont venus à votre rencontre?
Rapha`l: Alors la première fois, on était
tous les jours dans , on parlait de
nous, les rebelles. Donc c'était les autres qui venaient
vers nous avec les
journaux: Ç ah on parle de vous È, nani, nanana.
Ils savaient que c'était nous, les gens viennent vers vous et
là oui, bon c'était trés médiatisé donc
c'est vraiment une
en plein cÏur de un groupe de huit , c'était
vraiment Chicago. Et ils pensaient à la mafia à
l'époque (rire) enfin bref. Mais euh... et c'est arrivé tout
bêtement, ce n'était pas, ouais le type qu'on cherchait est
tombé en panne devant la en pleine rue et là j'ai sorti de ma
voiture et
. Donc là, ca a fait les gros titres, donc les gens
venaient vers nous. Puis aprés les liens se créent facilement et
en fonction de ce que nous avons fait, nous sommes plus ou moins
respectés. C'est tout différent si vous avez violé une
femme, on va pas venir vers vous ou peut-être avec les dents
serrées.
Roseline: Donc vous n'êtes pas resté dans
votre coin la première fois ? Rapha`l: Non, non pas du tout.
C'est les gens qui venaient vers nous. Rachel: Le lien était
facile dü au délit que vous avez commis? Rapha`l: Ouais,
ouais. Ç ah regarde, il y a encore un article sur toi È.
Roseline : Alors ces liens ils étaient...
Rachel: Oui, ces liens vous pourriez les définir
comment?
Rapha`l: Je crois que c'était de
l'amitié. De la solidarité et de l'amitié. Je pense que...
on arrive là, on est jeune, il y a des gens qui sont plus vieux, les
vieux truands et ils vous supportent, ils vous aident. Voilà, ici c'est
comme cela que ca se passe, il faut faire comme cela, ils nous ont
expliqué comment se passe le milieu.
Je pense que c'est de l'amitié sincere et non pas
superficielle. Il n'y a pas de petites courbettes pour se dire bonjour, ca
n'existe pas, je ne crois pas.
Roseline: Donc vous, vous n'avez pas connu...
Rapha`l: Non, celui qui n'est pas content, il ne vous
dit pas bonjour. Ils sont plus sincéres que dehors, ils n'ont rien
à nous vendre. Il y a une chose qui est choquante, vous enlevez
quasiment l'argent, ouais quasiment mis à part quelques business
d'alcool ou un peu de drogue mais sinon vous enlevez... même l'argent,
à part des transferts de compte à compte mais qu'on ne peut pas
faire de grosses sommes ou... Donc c'est un autre monde quand on enléve
l'argent, c'est du troc. C'est des relations qui sont particuliéres mais
sincéres je pense.
Roseline: La troisiéme fois aussi c'était
sincere?
Rapha`l: La troisiéme fois, on était
à cinq et on cantinait, donc cantiner ca veut dire que toutes les
semaines vous recevez ce que vous avez commandé à
l'épicerie et on faisait des bouffes le soir, on jouait aux cartes, il y
a eu des coups de poings, il y a eu mais... on le sort de la cellule et dit aux
matons: maintenant vous nous trouvez quelqu'un d'autre celui-là on le
veut plus. a n'allait pas, il était complétement parano comme
moi, il semait la merde. Et si un type n'est pas bien, cela devient vite
électrique et ca ne joue pas.
Sinon la dernière fois cela s'est bien passé,
j'ai demandé d'être à deux. Je souhaitais parler anglais et
un américain était là et euh... je suis allé avec
lui et on pouvait parler.
Roseline: C'était à but utile?
Rapha`l: J'essayais, mais ca me rend service dans le
travail que je fais aujourd'hui car l'anglais est une base qu'on a besoin
aujourd'hui. C'est une base, je ne dis pas que je suis une conversation entre
deux newyorkais mais j'arrive à me faire comprendre, je me
débrouille au boulot. Et donc avec lui, tout était en anglais et
c'était vraiment de l'amitié et de la tolérance. Donc moi,
je n'ai pas la même relation que les autres, bon ca reste une
préventive et je pense que pour les autres dans une autre prison, ca
reste un cadre plus ouvert, je ne sais pas.
Rachel: Cela dépend peut-être de la
personnalité?
Rapha`l: Oui cela dépend de la
personnalité, c'est vrai, j'ai un contact facile. Roseline:
Mais quand vous étiez pas bien aussi?
Rapha`l: Ah, là c'était tout à fait
différent, c'était la pathologie de vouloir s'isoler, la
dépression, la parano enfin tout.
Rachel: Vous avez eu des rencontres qui ont
particulièrement comptées pour vous?
Rapha`l: Pour être honnête, moi je n'ai
jamais..., j'ai eu la chance de pouvoir sortir trois fois, je n'ai jamais
conservé un lien! Il y a une personne peut-être dans toute
l'histoire qui fait de la moto et je, je recroise dans les trucs de motard mais
sinon, je n'ai même pas son numéro de téléphone, il
ne peut pas m'appeler donc il n'y a pas...
Rachel: Mais durant la détention y a-t-il eu des
personnes avec qui le lien était important?
Rapha`l: Je pense qu'il y a eu des personnes, pas
toutes les personnes mais il y a eu des personnes ou il y avait un
échange qui était fort, beaucoup d'amitié. Oui ca oui,
mais de là à garder le lien à la sortie, c'est un pas que
je n'ai pas voulu faire et toujours de peur de récidiver ou de retomber
dans un... et pour finir quand je vois mon parcours, j'en suis revenu.
,
Mais oui, il y avait des liens forts, on avait des
congés quand j'étais dans le c'était un
pénitencier, j'ai fait dans un pénitencier, donc la
première fois, on travaillait dans les champs et là on avait des
congés. Alors ce qui fait que des fois je prenais la voiture de ma
mère et on partait jusqu'à , et on allait en disco, on faisait la
fête, oui c'était des liens forts, des bons souvenirs, mais une
fois que j'ai eu fini, j'ai quitté le milieu.
Rachel: Est-ce que vous pourriez nous dire ce qui
était fort dans ces liens? Vous l'avez dit c'était des bons potes
sur le moment mais est-ce qu'il y a eu quelque chose de particulier, quelqu'un
qui vous a permis de tenir ou au contraire.
Rapha`l: Moi je pense que quand on est dans la
galére on est plus solidaire, je pense que dans la misére on est
plus solidaire et je crois que... on peut même regarder à
l'extérieur quand on voit les pauvres, ils sont vraiment plus solidaires
que nous qui sommes individualistes comme à et je pense que dans ce
cadre -là, il est plus propice à l'entraide, à la
solidarité, à ce genre de choses, on voit des beaux gestes quand
même.
Roseline: Par la force des choses...
Rapha`l: Voilà, par la force des choses, on est
dans la même galére et on sait ce que tu souffres, ce qui te
manque.
Le gros mot c'est la liberté, mais bon, parce que des
fois on pense, on imagine tellement cette liberté que quand on est
dehors, finalement c'est un échec parce qu'on est décu, parce que
aprés c'est tout basé sur l'argent, si t'as pas ca, tu vas pas
là, si t'as pas ca, tu fais pas ca, enfin bref.
Tandis qu'en prison, on a tous plus ou moins les mêmes
moyens, on a tous plus ou moins... on est dans la même galére,
dans le même bateau c'est... Je crois, non, je pense qu'il y a plus de
solidarité, je peux dire ca avec assurance, ouais.
Rachel: Et puis lors des... quand on a des moments
d'échange, des amitiés qui se font, il y a des émotions
qui apparaissent, est-ce que vous avez des émotions qui vous ont
marqué? Est-ce que vous vous en souvenez?
Rapha`l: Oui la joie, la tristesse, la compassion,
oui, oui. Il y a eu beaucoup d'émotions, la violence, mais aussi la
haine parce qu'à certains égards il y aura toujours un mouton
noir là-dedans donc il y a des gens qui ne sont pas bien, qui sont
hargneux et il faut faire avec. On veut aussi toujours savoir qui est le chef,
c'est comme les meutes des loups, ou je ne sais quoi, les animaux, on veut
savoir qui est- ce qui est plus ou moins le boss.
Mais bon les émotions, il y en a plus ou moins comme
dehors mis à part la sexualité en ce qui me concerne et
l'affectivité et la séduction, ca c'est quelque chose dont je
vous en avais déjà parlé.
Si vous êtes séducteur, moi je ne sais pas,
demain je suis marié, j'ai une femme, des enfants à la maison,
tout ce que vous voulez, cela ne veut pas dire qu'aprés-demain je ne
draguerai pas, il ne faudra pas m'interdire de draguer. Maintenant situ vas
plus loin, c'est autre chose mais euh de dire mon dieu je sors en bo»te et
je séduis encore, une femme qui vous complimente et ca, ces petits
compliments, on se fait pas ces compliments il n'y a pas un mec qui m'a dit du
genreÇ tu as un beau corpsÈ (rires) et c'est des petits trucs qui
manquent. Peut-être qu'il y a des mecs qui le font, ca je ne sais pas
mais moi personnellement cela ne m'est pas arrivé.
Roseline: Et cela vous a manqué?
Rapha`l: Moi je trouve que tout le côté
séduction, l'affection, la tendresse, les c%olins, ca c'était
hard, dur ouais.
Roseline: a vous a beaucoup manqué?
Rapha`l: Embrasser le coussin le soir... ouais, ouais.
a, c'était trés, trés dur, trés, trés
dur.
Rachel: Entre détenus, il n'y avait pas cela,
vous ne pouviez pas vous prendre dans les bras par exemple ?
Rapha`l: Moi je n'y arrivais pas, pourtant j'ai des
années, même pas un massage rien, pourtant un massage c'est
naturel, masse-moi le dos, non je n'oserais pas, non, c'est trop... je sais pas
ca faisait trop, je sais pas moi.
Roseline: Est-ce que quelqu'un d'autre vous l'a
proposé?
Rapha`l: Non, non, non. Sexuel, oui mais pas
affectif. Peut-être qu'affectif j'aurai accepté, je sais pas. Et
pourtant un massage ce n'est rien. Mais encore une fois il faut être
capable.
Roseline: Est-ce que vous pensez que c'est une question
de pudeur ou autre chose?
Rapha`l: Ah y'a... je pense qu'un homme, l'affectif,
il peut en donner, des c%olins, se prendre dans les bras euh...Mais moi je
pense que c'est une question de pudeur, ouais.
Roseline: Mais par exemple quand quelqu'un partait, vous
ne vous preniez pas dans les bras?
Rapha`l: C'est plutôt le gros salut, une tape
dans le dos, ouais, c'est plutôt ca. Mais... Je dis que je parle pour
moi. Je sais qu'il y a d'autres trucs qui se passent, j'en ai vu, enfin vu de
mes propres yeux non, mais entendu.
Mais moi personnellement, je n'y suis jamais arrivé et
je n'aurais même pas osé, si tout d'un coup quelqu'un te dit:
Ç t'es qu'une tapette È, tu es aprés mal vu dans la
prison, ou d'un coup il y a une étiquette qui se met sur vous ou...Moi
je n'aurais jamais osé faire un pas dans ce sens, Ç écoute
on dort ensembleÈ que pour la chaleur humaine ou je sais pas et pourtant
cela m'aurait peut-être plu d'avoir quelqu'un.
Roseline : Vous pouvez l'imaginer aujourd'hui, mais sur
le moment non? Rapha`l: Non, non, non.
Rachel: Donc en fait, la nature de vos contacts
était vraiment que verbale ? Rapha`l: Ouais et amicale, une
tape dans le dos et voilà.
Roseline: Mais il y avait aussi du non verbal?
Rapha`l: Des sentiments aussi et peut-être un
regard car on commence à se connaitre, ouais.
Roseline: De la complicité par le non verbal?
Rapha`l: Voilà, ouais, ouais, ouais.
Roseline: En fait, justement on commence à se
conna»tre, juste un regard et on voit si l'autre ne va pas bien, est-ce
que c'est agréable ces échanges?
Rapha`l: Moi je pense que ca permet de tenir.
Roseline: Et d'être reconnu?
Rapha`l: Je pense que ca permet de tenir mais euh...
ouais (silence). De voir que les autres sont dans la même galére
que vous, de voir que vous n'êtes pas seul, il y a des gens qui sortent
aussi que... je veux dire que
Oui, l'amitié ca compte dans la vie. Si quand vous
arrivez à l'atelier et que vous pouvez parler ce que vous avez vu le
soir à la télé car on est trés télé,
les nouvelles, la politique. On était branché mais pire que des
ministres, non mais c'est vrai, tout ce qui se passait, on savait tout, le
temps, euro news, etc.
Et si vous pouvez en parler c'est important. Je pense qu'il y
a quand même un lien qui se crée et qui vous aide aussi à
sortir de là ou vous êtes et pas toujours être là
à ronger votre frein, à se dire Ç ah on est en prison
merde È. C'est important de parler de ce qui se passe dans le monde, de
foot, ouais il y avait des fans de foot qui connaissaient tous les noms des
joueurs, des clubs et tout enfin bref des choses intéressantes.
Mais oui, c'est de l'amitié et ca vous aide à
sortir du train -train quotidien dans le sens oü vous parlez d'autre
chose.
Rachel: Et penser à autre chose pas toujours
s'auto-infliger....
Rapha`l: Moi je pense que vous êtes spectateur
en prison aussi acteur mais vous êtes vraiment un grand spectateur parce
que vous êtes là avec votre lorgnette qui s'appelle la
télévision et vous regardez les autres s'amuser et vous... bon
maintenant il y a encore ces trucs de téléréalité,
enfin je veux dire... voilà vous êtes un spectateur. Je pense que
dans la vie il y a les spectateurs et les acteurs, des fois on est spectateur,
parfois on est acteur. Mais là, vous êtes un grand spectateur je
pense en prison, ouais, vous êtes trés peu actif.
Rachel: Lors du repas, nous avions parlé,
évoqué les gardiennes de prison, je ne sais plus qui en avait
parlé.
Rapha`l: Le fantasme, ouais, ouais.
Rachel: Qu'est-ce que vous pourriez nous en dire?
Rapha`l: Moi je.... Ca fait plaisir de voir une
femme... mais euh...peut-être que j'ai même fantasmé, je me
suis fait du bien en pensant à cette femme... mais euh... aprés
je me disais que Ç est-ce que tu es fou È t'a toujours le... Tu
sais que ce n'est pas possible, pourquoi tu te fais du mal finalement?
Tu te poses la question, ouais je suis peut-être un peu
trop cérébral, j'en sais rien mais ca fait du bien. Je pense
qu'une femme ca fait toujours du plaisir à voir mais ce n'est pas elle
qui va vous faire des compliments ce que je vous disais avant (rires), mais ce
n'est pas elle qui va vous donner ce qu'une vraie... enfin une femme normale,
elle, elle est dans son monde du travail, je sais pas moi.
Rachel: Et vous pensez qu'il y a l'envie de mettre une
distance par peur que...?
Rapha`l: Non, des fois c'est un peu gênant
quand une femme qui entre, il y a tout le monde qui se met à siffler, on
a l'air comme des... des tu sais des chiens en rut là. (Rires)
Roseline : Alors vous siffliez?
Rapha`l: Ah mon dieu oui.
Roseline: Peut-être qu'elle a l'habitude aussi?
Rapha`l: Même peut-être que cela lui fait
plaisir, j'en sais rien mais au moins il y a quelqu'un qui lui dit qu'elle est
belle (rire) parce qu'alors-là il y a tout le monde qui lui dit qu'elle
est belle. (Rires)
Roseline: Et cela vous dérangeait?
Rapha`l: Moi je trouvais gênant, ouais on est
tous dans le même... on est vraiment... ouais je... ça devient
pathologique quasiment. Pourtant c'est naturel quelque part.
Rachel: Est-ce que vous faites une différence
entre la sexualité et l'affectivité?
Rapha`l: Tout à fait ouais. Si on veut jouir,
donc la sexualité c 'est jouir. C'est ce que je pense et donc jouir, ce
n'est pas un probléme en tout cas en ce qui me concerne. Donc je peux
avoir les mêmes, je pense sur le plan de ce que procure la jouissance sur
le plan cérébral, on peut avoir les même effets, ça
je peux avoir, je ne suis pas coupé de cela, j'arrive à jouir.
Mais l'affectif. Non, ça je ne peux pas. C'est...je
fais totalement la différence, c'est plus fort, je crois que c'est plus
fort le manque d'affectif, de séduction que le manque de sexe parce que
le sexe vous arrivez à vous assouvir même si vous avez vraiment
envie vous faites cela vous-même et il ne faut pas déconner
voilà ça passe. Tandis que l'affection, il y en a pas, vous
pouvez faire comme vous voulez. Et la séduction aussi. Peut-être
pas beaucoup de personnes, je sais pas mais moi j'étais séducteur
et je le suis toujours mais moi cela m'a manqué peut-être que pour
d'autre s non, on n'est pas tous pareil, je parle pour moi.
Rachel: Et vous pouviez discuter de l'affectivité
avec d'autres détenus ?
Rapha`l: Est-ce qu'on en a parlé? Franchement
j'en n'ai pas trop de souvenir. On parlait de sexualité,
d'expériences sexuelles mais de dehors.
Rachel: Ouais mais un manque ou un....
Roseline: C'est plus par rapport à l'acte que
vous parliez?
Rapha`l: Ouais, comment il était avec une
femme, comment il était ... c'est pour cela que ça devient intime
parce que les gens vous racontent des choses que dehors ils ne raconteraient
même pas, je pense mais euh...
Roseline: Mais est-ce que vous parliez de ces choses
ouvertement? Rapha`l: Ouvertement, à l'atelier, devant les
gardiens.
Roseline: Et de l'affectivité?
Rapha`l : Alors non moi je n'ai pas beaucoup de
souvenir que quelqu'un parlait de manque de caresses, c'est quelque chose qu'on
n'ose pas dire, je sais pas. Est-ce que c'est parce qu'on veut être dur?
Je ne sais pas. Mais là vraiment je n'ai pas de souvenirs qui me
viennent. Par contre des théories de sexe, de cul, alors là oui
alors là, tout le monde avait tout fait. (Rires)
Roseline: Mais alors si on ne parle pas
d'affectivité c'est une sorte de façade?
Rapha`l: Moi je pense, c'est le côté homme
que les femmes n'ont pas. C'est dommage que vous ne puissiez pas avoir de femme
pour comparer.
Roseline: Il faut bien qu'on cible, nous c'est les
hommes qui nous intéressent.
Rapha`l: Moi je pense que nous, il y a beaucoup plus
de fierté, de ... le m%ole dominant et surtout dans un milieu oü on
doit être fort, je pense qu'il y a plus de fierté, Que dire,
ÇOh mon Dieu j'ai envie d'embrasser une femme È, j'ai envie de la
caresser, je sais pas... l'homme il est plus dominant, il est plus... avant, je
sais pas, chez les homosexuels on appelle le coming-out, c'est quand même
dire qu'à un moment il faut vraiment pour que ça se.., de
là à passe r à l'acte, y'a un pas que tout le monde ne
fait pas, peut-être même dehors. Alors imaginez dedans quelqu'un
qui n'est pas du tout, qui a toujours regardé les femmes dehors.
Roseline: Oui, là vous parlez de passer à
l'acte et vous... Rapha`l: Oui mais affectivité.
Roseline: Même un massage ça ne vient pas
?
Rapha`l: Oui c'est ça, moi je vois ça
comme ça. Une fierté...
Roseline: Ceci me fait penser à une chose. En
prison, est-ce qu'il y a des hommes qui pleurent ou qui ont envie de pleurer,
car c'est une émotion aussi?
Rapha`l: Honnêtement, j'en ai peu vu. Moi j'ai
pleuré, je sais que j'ai pleuré mais pas devant les autres...Mais
on se cache.
Roseline: Mais là aussi on se cache?
Rapha`l: Oui les émotions à ce
niveau-là... ? Dans la sensibilité. Ouais ce n'est
peut-être pas le milieu....
Roseline: Elles peuvent sortir mais isolé?
Rapha`l: Moi je pense, ouais. C'est ce que je pense
moi.
Roseline: C'est ce que vous avez vécu?
Rapha`l: Moi c'est ce que j'ai vécu. Moi je
n'aurais jamais pu pleurer dans les bras de quelqu'un, non, non, non. Ç
Ecoute ce qui m'arrive, c'est trop terrible et tout È. Le type en face
m'aurait dit... Mais comment dire? Ouais, il vit la même chose que vous.
Je sais pas que dire, on est là... je sais pas peut-être qu'il y a
des gens... en tout cas personnellement non.
Roseline: D'accord.
Rapha`l: En parloir avoir la larme à
l'Ïil, oui mais c'est encore différent. C'est votre mere, votre
famille, c'est encore différent. Quand votre copine vient vous dire:
Ç lalalala, il s'est passé des choses È, ouais là
vous pleurez mais c'est normal. Mais des que vous sortez, vous essuyez et des
que vous êtes dans vot re cellule et vous recommencez à pleurer et
voilà quoi. Mais c'est que vous avez vraiment besoin de pleurer.
Roseline: Vous aviez des moments affectifs que quand il
y avait votre famille au parloir?
Rapha`l: Ouais, ouais. (Silence)
Roseline: Dans ces moments-là, est-ce que vous
pensiez à faire venir une femme? Aux parloirs intimes ?
Rapha`l: Ah c'est sür. Alors c'est sür. De ca
on en parlait par contre. Ce sujet était ouvert mais tous on avait
envie, personne aurait dit non.
Roseline : Mais vous pouviez en parler?
Rapha`l: Oui on pouvait et on en parlait quand nous
étions en manque de sexe, mais euh... ca s'arrêtait là.
On pensait qu'on pouvait les femmes, avec une femme, mais pas
dans le contexte homme/homme.
Oh oui, les parloirs intimes, ca c'est... le probléme
c'est que vous faites souffrir...moi je dis on est en prison, il y a un
côté dur, la peine c'est une privation de liberté d'accord,
le probléme c'est quand vous mettez votre partenaire dans la même
privation de liberté que vous et je trouve que c'est dégueulasse.
Si j'avais pu lui donner, je ne pensais pas qu'à moi, lui donner
l'affectif, la sexualité, bon peut-être que... bon on en a pas
trop parlé, on avait trop de choses à se parler quand elle venait
au parloir trois quarts d'heure, on ne rentrait pas vraiment dans ce cadr
e-là. Mais euh... mon Dieu si on m'avait proposé ca, mais dix
fois, cent fois, ouais ca c'est sür. Mais d'un autre côté tu
te dis que c'est la prison et que c'e st dur et pis... et pis et pis
voilà.
Rachel: Mais pour vous les parloirs intimes seraient une
bonne chose?
Rapha`l: Moi je pense que c'est une bonne chose, mais
le probléme qui se pose c'est que ca n'existe pas en prison
préventive et vous faites avant un jugement un an, deux ans avant
d'être jugé, c'est un minimum, peut-être huit mois. C'est
vraiment
un minimum mais aprés il faut compter le transfert et du
temps qu'il y a une place qui se libére, non le parloir intime se fait
pas avant deux ans au minimum.
C'est ca le probléme qui se passe, la cassure a
déjà eu lieu. Alors maintenant si c'est un parloir intime pour
vous dire maintenant je suis en prison, je vais mettre une annonce comme quoi
je sais pas ou, à , y'a pas une femme qui veut venir me voir... euh...
là je me dis Ç je ne crois pas que c'est la solution È.
Maintenant vous me dites est-ce qu'on pourrait avoir des prostituées qui
viennent? Je dis pourquoi pas, moi... c'est payer, y'a pas trop de sentiments,
je dis pourquoi pas, ouais. Pis certains, oui pour ceux qui sont mariés,
qui après deux ans sont toujours ensemble. Mais tant mieux pour eux et
heureusement qu'il y ait ça. Mais pour celui qui n'a pas, je pense que
ce n'est pas le moment...il faut être stable pour nouer une... je sais
pas...
Roseline: Donc c'est l'expression, vous vous
êtes suffit à vous-même, et aprés ce que vous avez
dit: Ç je me fais plus de mal qu'autre chose de fantasmer sur quelqu'un
È.
Rapha`l: Mais oui, c'est quelque chose, moi je sais
pas, c'est quelque chose de complétement irréalisable. C'est
comme quand vous regardez un film à la télévision et que
vous fantasmez sur une actrice, et pis vous dites : Ç merde ca ne se
fera jamais È. Je préfére fantasmer sur quelque chose de
concret qui soit plus ou moins objectif, je sais pas mais je me dis que:
Ç tu délires È. Voilà, c'est comme ca.
Rachel: On avait discuté aussi des
préservatifs, la distribution de préservatifs, est-ce que vous
avez vécu la distribution? Ou est-ce que vous y aviez accés dans
un certain endroit? Et qu'en pensez-vous?
Rapha`l: Je trouve que c'est bien, même les
seringues pour les toxicomanes.
Il ne faut pas se voiler la face, les préservatifs,
même chose. Je trouve que c'est bien, celui qui a besoin, il y en a.
C'est -à-dire qu'on allait au médical, vous allez pour une
entorse, n'importe quoi, il y avait toujours un truc et on peut prendre des
préservatifs à ce moment-là, donc c'est un accés
à tout le monde. Bon, moi j'en ai jamais utilisé, jamais pris
mais euh... c'est bien si ça existe et faut croire que ca existe, on en
parle peu et heureusement qu'il y a encore ca car s'il faut encore sortir de
prison avec le SIDA, beuh. Certains sont sortis avec des... manques de drogue,
des...moi j'ai connu avec des overdoses, bon je veux dire que la drogue c'est
encore autre chose, des personnes qui n'avaient encore jamais touché, ca
je dis que c'est un manque affectif aussi, pour plonger là-dedans.
Et pis voilà. Pis tout ce qui est de la prévention,
je peux pas être contre, les préservatifs, je crois que c'est
important, surtout là-dedans quoi.
Rachel: On avait aussi, vous l'avez
évoqué tout à l'heure, la masturbation. Vous disiez que
quelque part c'était pour pallier à un manque. Est-ce que l'acte
suffisait ou... et comment est-il possible de trouver de l'intimité ? Ou
pas?
Rapha`l: Même à cinq c'est possible, et
euh...même à cinq dans une cellule c'est, c'est possible. Y'en a
qui regardent la télé, d'autres qui dorment, il y a toujours un
moment oü on arrive à se faire jouir sans que les autres s'en...
voilà, pas besoin de... il faut faire cela di scrétement et c'est
possible. Des que vous êtes sous la couette, vous êtes intime plus
ou moins, il ne faut pas faire ca... voilà je pense que
c'est possible. Ou bien même si vous êtes à
deux, c'est plus facile parce que l'autre il va bien sortir à un moment.
C'est encore plus facile, il y a plus d'intimité quand on est deux
qu'à plusieurs. Non, ce n'était pas un probléme et il y
avait une toilette encore, une toilette fermée. Il y avait des photos de
femmes, encore une fois, oui les toilettes étaient fermées.
Rachel: Donc là il y avait...?
Rapha`l: La possibilité.
Roseline: Des photos de femmes...
Rapha`l: Oui, on pouvait commander des catalogues
(rires) avec des photos de femmes. Et il y avait aussi des catalogues de photos
d'hommes, on pouvait commander des trucs gay, oui, oui, oui. Au niveau des
catalogues, il y a tout ce que vous voulez, oh mon Dieu, tout.
Roseline: Mais ca ne suffit pas toujours au manque
affectif?
Rapha`l: Ah non, c'est, c'est incomparable. Ma foi,
on a quand même appris qu'on peut vivre sans et aujourd'hui on est... moi
je dis que je suis moins dépendant aujourd'hui. Est-ce que c'est bien,
est-ce que c'est mal? Je suis moins dépendant. Tandis qu'à vingt
ans, j'étais dépendant, j'ai appris à vivre sans, ouais,
voilà. Je sais pas, est-ce c'est un avantage ou un inconvénient?
Je ne sais pas.
Rachel: Est-ce que vous seriez d'accord d'aborder la
question des relations forcées ? Est-ce que vous avez déjà
vu des relations forcées ?
Rapha`l: Non, moi personnellement non et j'en ai pas
entendu parler. A part dans les journaux, mais pas plus que vous.
Rachel: D'accord, ok.
Rapha`l: Non, ca j'ai pas, non. Disons qu'il...vous
parlez d'intimité pour se masturber, vous imaginez l'intimité
qu'il faut pour faire ca? Je sais pas mais deux dans une cellule, forcer, ca
doit être dur à deux. Y'a pas tellement d'endroits ou vous
pouvez...je sais pas si à cinq dans une cellule ils décident d'en
violer un, écoutez ce serait faisable, vous savez il suffit d'un cri ,
ils ouvrent une porte, si vous criez, il y a le maton qui va arriver. Dans les
douches mais si vous criez, et en plus il y a le gardien qui est là, il
faudrait vraiment bien forcer, mettre un savon dans la bouche.
Roseline: Parlez nous un peu des douches. Est-ce un lieu
de rencontre? C'est un lieu sans intimité ? Certains disent que c'est un
lieu plaisant, et pour vous?
Rapha`l: Je peux vous dire que certains vont en slip
de bain, il y a beaucoup, la plupart, d'ailleurs ce qui fait que, parce qu'ils
ne lavaient pas les slips là-bas, alors ce qui se passe c'est qu'on doit
laver nous-mêmes. Alors beaucoup, moi aussi, je rentrais avec mon slip et
aprés je l'enlevais et je le lavais avec mon produit de douche et je
l'essorais. Pis bon, l'intimité, moi j'ai fait du foot et il y avait des
hommes
à poil, moi ca ne me dérange pas. Franchement ce
n'était pas le truc, je l'ai vécu depuis tout petit quoi. En
sport on avait toujours les douches ouvertes.
Roseline: Quand on est dans un milieu fermé,
est-ce que vous pensez que c'est une question d'éducation? Car vous vous
parlez que vous avez été habitué depuis tout petit. Est-ce
que c'est l'éducation qui prime par rapport à la pudeur, à
l'intimité?
Rapha`l: Je pense que c'est une éducation, un
vécu en tout cas. Peut-être qu'il y a des personnes qui sont hyper
pudiques, je ne sais pas.
Roseline: On ne met pas de côté ce qu'on a
vécu?
Rapha`l: Non moi pas, non. Ce n'est pas parce que les
douches, non moi je faisais deux fois par semaine l'entrainement pis encore le
match, on était trois fois par semaine dans les douches à poil,
les onze joueurs et parfois même l'entraineur, donc, non. Donc
l'éducation? Bon à la maison moi j'ai vu mes parents nus,
peut-être que d'autres n'ont jamais vu leurs parents nus, moi c'est une
chose qui pouvait arriver. Ce n'est pas le truc qui me... travaillait
l'esprit.
Rachel: Et durant les parloirs, avez-vous
déjà vu des relations charnelles entre les autres ou
peut-être vous-même?
Rapha`l: Non, mis a part...j'en ai entendu,
maintenant... Ouais je sais que dire. Moi à part rouler des pelles,
s'embrasser, lui tenir la main ou...non, non, non, je dis non. Je crois que je
n'aurais pas pu le faire, il n'y avait pas assez d'intimité. Vis
-à-vis de ma copine, (rire) non. Mais j'ai entendu qu'y en a qui
arrivait mais je sais pas comment. Franchement, en tout cas en
préventive, vous avez un gardien là, vous avez les tables comme
ca, vous êtes en face à face, on sait pas ce qui peut se passer
sous la table mais quand même, vraiment un acte sexuel, vraiment une
relation sexuelle ? Vraiment, j'ai du mal à croire.
Rachel: C'est vraiment face à face, on peut ne
pas être à côté ? Rapha`l: Non, non, non.
Roseline: Est-ce que quand il y avait un contact est-ce
que vous receviez des remarques du maton?
Rapha`l: Non ca jamais, non.
Rachel: On va arriver à la dernière
question. Rapha`l: Attention c'est la plus dure! (Rires)
Rachel: Mais non. (Rires)
Qu'est-ce que vos expériences affectives, alors
euh...bon vous disiez que vous n'avez pas eu d'échange affectif durant
votre détention mais vos relations, est-ce que ca a changé
quelque chose? Est-ce que ca a permis ou changé quelque chose lors de
votre sortie?
Rapha`l: Moi je... vous ai déjà presque
répondu dans un sens parce que je vous ai dit que j'étais moins
dépendant. Ca veut pas dire que je n'ai pas besoin mais je sais que je
peux vire sans, et donc euh... voilà... si ca doit se casser si j'ai une
relation qui casse, je vais moins être à cran, comme on dit comme
un drogué qui... je me dis bon ben voilà je vais retrouver
quelqu'un d'autre, il faut attendre un laps de temps. Ah, je ne sais pas?
Rachel: Est-ce que ca a changé vos relations?
Rapha`l: La relation évolue même avec
l'%oge de toute façon la relation évolue. Estce qu'on fantasme
plus, est-ce qu'on devient un peu plus cochon entre guillemets, y a des femmes
qui m'ont dit ca mais je ne sais pas si c'est l'évolution de l'%oge.
Si c'est... de là à dire que c'est à
cause de la prison, disons que c'est un truc que je n'aimerais pas me dire que
ca m'a fai t du tort euh...sexuellement, je n'aimerais pas. Maintenant euh...ce
qui a changé comme je vous l'ai déjà raconté, par
exemple quand je suis sorti la première fois, quand je dansais avec une
femme j'étais en érection, c'était bizarre pour elle,
bizarre pour moi, donc là je n'avais pas eu de relation euh...
voilà, on devient en rut plus rapidement, donc ca, ca oui, après
ca passe, c'est votre premier congé. Mon dieu en discothèque
c'était terrible, terrible, j'avais honte, pour moi c'était... la
fille pense que c'est un pervers (rire)...moi j'ai toujours ce
côté-là...
Roseline: La première fois que vous êtes
sorti ca vous est arrivé....
Rapha`l: Mon premier congé, ouais, ouais. Je
dansais avec une fille, mon dieu! et là j'ai chopé... on dansait
un slow donc à l'époque des slows, maintenant je ne sais pas s'il
y a encore des slow s... (Rire) Bon après ca redevient normal, pis aussi
peu t- être qu'on a tellement fantasmé, moi je dis cochon, ouais
les femmes m'ont dit: Ç tu es un vrai cochon È. Je sais pas,
peut-être qu'on va plus fantasmer sur le corps, on va plus...
Roseline: C'est ce qui vous est arrivé?
Rapha`l: Ouais, voilà. Est-ce que c'est la
prison, est-ce parce qu'on évolue? Ce n'est pas la même chose avec
une femme aujourd'hui que quand j'avais vingt ans, c'est indéniable.
Roseline : Vous avez plus de patience?
Rapha`l: Maintenant, non, non c'est sür, je ne vais
pas taper à la porte dix fois et faire la roue.
1ère
Roseline : C'est ce que vous faisiez après la
fois en prison?
Rapha`l: Non, non avant, ca pouvait arriver que
j'étais à cran, j'étais comme un drogué quoi, il y
avait un temps....
(Rires)
Et bon voilà.
Roseline: Donc quand vous êtes sorti,
c'était la réaction du corps qui était plus rapide
Rapha`l: Oui mais on a pas peur de perdre...
Roseline : Voilà.
Rapha`l: On a pas peur, cette jalousie malsaine, cette
euh..., on est plus serein j'ai l'impression. A vingt ans je croyais, enfin
c'était une drogue, c'est terrible.
Roseline : Vous parlez de maintenant ou de votre
première libération?
Rapha`l: Là, je vous ai parlé de mon
premier congé. Il fallait trouver une femme dans le week-end, mais cela
ne s'est pas fait, je vous dis la vérité ca ne s'est pas fait.
J'ai flirté, bon voilà mais....
Roseline: Mais après vous avez eu la patience
d'attendre?
Rapha`l: Après oui, j'ai eu la patience
d'attendre quand je suis sorti, ouais, ouais. J'ai eu encore de la chance, j'ai
fait une émission de télévision, donc moi j'ai eu de la
chance après la première incarcération, je n'ai rien eu
à cacher. J'avais une relation qui était...j'ai vu une fille un
soir qui m'a dit: Ç ah je t'ai vu à la télévision
È, je l'ai connue comme ca, on discutait machin, revue mais euh, j'avais
de la chance.
Tandis que maintenant, plus euh... le problème avec la
femme maintenant ce n'est pas l'affectivité et la se xualité, oui
c'est un ma nque quand il n'y a pas, d'accord mais j'ai plus du mal à
dire euh...voilà ou j'ai été, la prison, le... .
Voilà les deux dernières fois je trouve que
c'est trop, trop. C'est ce qui... Je veux pas dire qui m'angoisse mais quand je
connais une fille je me demande ce que je vais lui dire.
Déjà, si elle me demande pour découcher
un soir de semaine, je ne peux pas, il faut que je m'arrange avec Monsieur et
le week -end c'est limite car je travaille encore le week-end. Je suis
réticent dans ce sens-là de devoir dire... et pourtant je pense
que le mieux c'est de pouvoir dire, de s'affirmer de pouvoir dire ce qu'on a
fait et si l'autre accepte pis si elle n'accepte pas bon ben au revoir et
merci. Mais d'un autre côté, si je lui dis el le va avoir peur de
moi, direct.
Roseline : Vous avez encore peur de ca?
Rapha`l: Ouais, ouais, ouais.
Roseline: Ce n'est pas votre personne, c'est le fait
d'avoir été dans ce lieu....pe ut- être ...
Rapha`l: Oui ca fait partie de ma personne quand
même. C'est le mot prison qui fait peur. A ans, elle n'avait pas peur
à ans. Les femmes à cet %oge sont moins portées sur le
sécuritaire, elles sont chez leurs parents je veux dire euh....
Maintenant une femme qui est à , tu as déjà ans et elle a
peut-être
et pis euh... elle a besoin de sécurité et
là elle voit quelqu'un qui est complètement dans
l'insécurité et ca fait flipper. Tu te dis ce mec-là il va
m'emmener ou ? Oü je serai avec lui dans deux ans? Les filles de ans,
elles se
posent moins la question. Elle est encore chez papa, maman,
c'est un autre %oge. Il y a encore l'%oge qui est un facteur, je trouve
intéressant de pouvoir voir avec les différents %oges.
Roseline: Cela veut dire que vous vous sentez pas encore
totalement en sécurité vous-même...
Rapha`l: Mais je suis dans
l'insécurité, je pense que ca peut me bloquer sexuellement,
affectivement, ca peut me bloquer psychiquement parce que je suis dans
l'insécurité.
, le milieu oü on est peut être sécurisant
à certains égards pour soi-
Là, à
mê me mais pour une relation de couple, il n'est pas du
tout sécurisant dans le sens que quand on parle de couple, on parle de ,
de ceci, de cela donc il n'y a rien de cela, aprés on parle de ceci
d'affectivité, et tout, enfin il me semble que c'est un tout. Et
là je me sens dans l'insécurité, ouais ma position est
précaire. Je ne peux pas dire quand est-ce que je vais sortir,
voilà je suis un peu réticent je dois l'avouer.
Rachel: Est-ce que vous aimeriez ajouter quelque chose?
Rapha`l: Non je crois que nous avons fait le tour.
Rachel: On vous remercie beaucoup!
Rapha`l: De rien.
Rachel: Ca été pour vous?
Rapha`l: Oui, pour moi ca été, j'avais
un peu de soucis des questions je ne savais pas ou exactement je mettais les
pieds et puis ce qu'on a discuté entre nous avec les autres
détenus, c'est vrai que le but premier, c'est de pouvoir faire avancer
le la chose, si ca peut faire évoluer cela serait génial. Dans le
sens des parloirs intimes, des choses comme ca pour ceux qui ont vraiment la
famille l'occasion.
Roseline: Ouais en même temps comme l'un de vous
disait Ç c'est injuste que ce soit que les familles car nous aussi on a
des manques È.
Rapha`l: Ma foi on est en prison, y a pas que ca
comme manque, il faut aussi considérer que la prison ce n'est pas un
milieu....je préfére faire des peines plus courtes ou juger les
gens directement qui sachent oü ils vont mais c'est un autre
débat.
Et puis, c'est la lenteur qui tue un couple, la lenteur des
procédures administrative s, vous avez une fille, une famille qui vous
attend dehors, tu sais pas quand est-ce que tu vas enfin revenir à la
maison. Quand tu es dans cette attente tu te dis mais combien de temps.... Si
on te dit c'est deux ans bon j'attends deux ans ok mais si... on vous dit pas,
merde c'est long la préventive et c'est trés, trés dur.
Alors qu'ils mettent des parloirs intimes en préventive alors et
là je suis le premier pour, bon voilà quoi.
Merci
Rachel et Roseline : Merci à vous!
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