Conclusion
Les quatre personnes rencontrées
Les personnes en situation de semi-liberté que nous
avons rencontrées ont toutes évoqué quelques moments de
satisfactions et beaucoup d'instants trés durs à supporter en
prison. De ce point de vue, nous pouvons dire que l'expérience sensible
est ici marquée surtout par la souffrance, voire la douleur.
Au plan affectif, soulignons que peu parmi ces personnes ont
mis en avant des expériences affectives satisfaisantes en prison. Nous
savons qu'en effet, en milieu carcéral, l'affectivité est
marquée par la contrainte, le contrôle, voire des formes
d'intrusion.
Ainsi, le monde carcéral n'a pas l'air d'être
généralement envisagé comme un lieu pour vivre des
expériences affectives. D'ailleurs, les détenus semblent
réserver la vie affective pour l'extérieur, le Ç hors
carcéral È.
Toutefois, on peut dire que la prison confronte, voire ouvre
le détenu à des expériences de l'ordre du sensible. C'est
là une chose importante de notre point de vue. En effet, nous supposons
que toute expérience sensible qui peut être reconnue comme telle
par un sujet qui la vit constitue comme une part importante de l'existence
humaine. Sans doute pas suffisante à elle-seule, mais essentielle pour
être et exister en lien avec soi, les autres et le monde ici,
carcéral.
Nos découvertes, les limites rencontrées, notre
posture professionnelle
Revenons sur le fil rouge de notre questionnaire pour
comprendre comment les personnes Ç interviewées È se sont
ouvertes à nous et comment nous nous sommes impliquées dans la
rencontre; ce qui , rappelons -le faisait également partie de nos
objectifs.
Malgré notre préparation, inévitablement
quelques questions ont été dirigées ou induites et
certaines n'étaient pas forcément en lien avec notre travail de
bachelor. Les détenus nous ont fait part que cela les changeait de
parler de leur vécu en prison au lieu de toujours parler de leur
Ç faute È aux psychologues, aux juges, etc.
Nous avons essayé également dans la mesure du
possible d'être sensibles au rythme, à la tonalité et
à toutes expressions non-verbales.
De plus, il appara»t dans certaines ret ranscriptions,
des événements qui ne sont pas exposés dans notre analyse
mais qui étaient importants de raconter pour les interviewés.
En effet, les personnes vivant en semi-libertés
étaient d'autant plus motivées de nous répondre afin que
leur Ç souffrance È et leurs expériences vécues
servent aux futurs détenus ainsi qu'aux professionnels qui les
entourent, notamment les travailleurs sociaux, les psychologues.
Gr%oce aux détenus, notre savoir-être a pu
s'enrichir. Le fait de s'impliquer de maniére soutenue dans la rencontre
et l'échange, d'avoir accueilli les personnes dans leur monde et tel
qu'ils nous ont invitées à le saisir a augmenté et
élargi nos compétences relationnelles et sociales.
Expérience faite, nous pensons que la rédaction
de ce mémoire nous a conduites à élaborer notre posture
professionnelle: nous pensons avoir pu faire par-là d'importantes
expériences qui relèvent de l'empathie, de l'implication
affective.
Traiter la question de la vie affective en milieu carcéral
nous a obligé à acquérir un nombre important de concepts
phénoménologiques.
Nous considérons cette acquisition comme un enrichissement
intellectuel essentiel. Nous avons conscience que nous n'avons pas pu engager
les concepts de tyrannie du Çon È de Heidegger et de l'espace
thymique de Binswanger de manière approfondie et de les mettre au
travail de manière aboutie à partir du matériel
récolté.
Cependant, la phénoménologie nous a conduites
à des découvertes inédites pour nous. Nous gardons de
cette dernière les concepts d'espace sensible, d'ouvert et
d'échanges affectifs.
Hypothèse de départ et cheminement
Pour en revenir à notre hypothèse ou nous
supposions que les détenus sont des acteurs impliqués dans des
rencontres avec d'autres qui produisent des expériences affectives voire
sexuelles et oü la privation de liberté n'entra»ne pas une
absence d'affectivité, nous constatons que ce n'est que partiellement
juste et peut se nuancer. Une partie bien plus intéressante a
été mise en évidence, ce sont les expériences
sensibles qui ont émergées. En effet, il y a plus
d'expériences sensibles qui ont été décrites que
d'expériences affectives. Les détenus ont bien un désir de
partage affectif en prison mais le milieu ne le leur offre pas.
Ainsi, actuellement, nous pensons que la vie avec les autres
en prison donne lieu à des expériences sensibles. En effet, la
prison ne les coupe pas de ces dernières. Nous pourrions dire que
Ç le sensibleÈ précède ou fonde d'une certaine
manière ce qui relève de l'affectif. Nous proposons que la
dimension sensible vienne comme au fondement à la dimension affective de
la vie relationnelle. En effet, que serait une rencontre envisagée comme
affective si un sujet ne peut vraiment prendre en compte ce qu'il
éprouve, ce qu'il ressent?
Nous supposons que si les expériences sensibles peuvent
être partagées avec d'autres, les détenus seront peut
-être plus à même de vivre des expériences
affectives. Aussi, il nous appara»t comme primordial que les intervenants
en prisons prennent en compte ce qui relève du sensible et puissent
accompagner les détenus qui le souhaitent pour qu'ils puissent
être au contact de ce qu'ils ressentent dans leur rapport à
eux-mêmes, aux autres et au monde. C'est là, la perspective
professionnelle que nous souhaitons ouvrir et à laquelle nous a conduit
notre recherche.
Limites du travail de mémoire
Comme déjà mentionné au départ, ne
connaissant que partiellement le sujet, nous avons dü effectuer une
recherche exploratoire et ainsi nous n'avons eu que la vision d'un surveillant
et celui d'un directeur de prison, de ce qui se vit en prison.
Nous voulions initialement nous entretenir avec cinq ou six
personnes incarcérées. Notre réalité a permis de
rencontrer quatre détenus vivant en semi-liberté.
Par ailleurs, si nous av ons trouvé des livres, des
articles, il nous semble que le sujet est encore tabou dans le monde
professionnel. Un nombre limité de personnes est d'accord d'aborder le
sujet. Il va, des lors, de soi que nous avons une vision limitée et
partielle de la réalité de ce qui se passe en prison.
Notre grille d'entretien avait quatorze questions au sujet du
theme de l'affectivité. Mais d'autres questions ont été
posées au gré du déroulement des rencontres.
Les entretiens étaient semi-dirigés. Les personnes
vivant en semi-liberté nous ont fait part de leur vécu tout en
gardant une certaine retenue tout à fait légitime vu le sujet.
Nous savons que d'autres praticiens du champ
médico-social ont déjà traité le sujet de
l'affectivité (psychiatres, psychologues, médecins, sociologues,
etc.). Ces champs se recouvrent parfois.
Ce theme est vaste, nous avons essayé de nous appuyer
sur notre hypothese de recherche, sur les personnes incarcérées,
sur des auteurs, pourtant, la question de l'affectivité en prison est
d'une grande complexité. Une réflexion complémentaire et
encore plus approfondie serait nécessaire et intéressante.
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