9.2. Charles
Charles explicite également quelques
phénomènes. Celui qu'il décrit le plus est le
phénomène de la solidarité. Les autres
phénomènes (solitude, souffrance, frustration, colère,
violence) sont également présents mais pas forcément
nommés en tant que tel par Charles.
Charles relate souvent les demandes qu'il fait au
Directeur: Ç j'ai demandé au Directeur.... ».Il
semble selon Heidegger que c'est pour lui une facon de pouvoir exister en
prison.
Charles a insisté pour être seul dans une
cellule, cependant nous pouvons nous poser la question s'il ne se sentait
tout de même pas isolé et seul, puisqu'il décrit les
fins de matinée et de journée de telle
manière: Ç(...) la promenade vers 11h30 et après tu
fais quoi ? Tourner en rond! (...). Si vous vous occupez cela aide à pas
penser à l'affectivité. J'ai même fait de l'origami pour
pouvoir passer le temps. Plier, plier, je fais quoi, il est 17h, 18h, j'ai pas
sommeil, je lis, j'ai plus envie de lire, d'étudier, j'arrive plus, je
fais quoi, je continue à plier. Essayer d'oublier È.
Même si Charles mentionne l'affectivité qu'est-ce que
Charles essaie d'oublier ?
Bien sür il dit également que les temps libres lui
ont permis d'étudier: Ç (...) Mais moi, je n'ai pas eu ce
problème. Moi j'étudiais, je m'occupais différemment quoi.
È. En même temps comme nous l'avons vu dans le corpus
théorique, n'est-ce pas une manière d'oublier le Réel qui
se manifeste au sujet qui peut éprouver de la résistance au monde
et l'affectivité qui se manifeste à lui, la partie du corps qui
fait souffrir?
D'une certain facon, Charles est peut-être
retourné sur une partie de son corps, d'y être à la fois
enchainé sans pouvoir s'en distraire, une partie du corps qui fait
souffrir et qui frustre. D 'ailleurs à un moment donné, il
raconte son expérience par rapport à la masturbation: Ç
L'acte ne suffit pas, mais ca aide, il faut le dire. Ca calme un peu quand
même. En même temps, il n'y a que ca. (...) Chacun trouvait sa
facon. Je travaillais à la buanderie et je trouvais des matelas avec des
trous. (Rires). È.
Charles exprime souvent la
solidarité qui s'installe entre les détenus.
Reprenons sa citation oü il dit : Ç (...) parfois tu vois
quelqu'un, tu dis dehors tu ne lui parlerais pas, il est pas bien. Mais dedans,
ca change tout parce qu'on est tous dans le même bateau et si on
s'entraide pas, ca ne marche pas. (...) È.Puis au fil de
l'entretien, il reparle de la solidarité en ajoutant:
Ç (...) Mais quand il y a un problème qui concerne vraiment
tous les gens, là c'est différent. Les gens mettent un petit
moment sa rancune de cTMté parce qu'il y a eu deux, trois fois soit
disant, ca m'a fait rire aussi, comme on dit, les émeutes(...) c'est
simplement demander des choses qui n'arrivaient jamais(...) È.
Il raconte également sa colère
envers certains gardiens qui le traitent comme un coupable alors que
son jugement n'a pas été prononcé. Il raconte: Ç
Je suis désolé, est-ce que je suis condamné? Non
alors, je suis innocent encore, j'ai encore tous mes droits. Je lui montrais le
code pénal parce que j'en ai acheté un et je lui disais Ç
Tu vois c'est écrit là È. (...) Je n'utilisais pas les
gros mots, mais je haussais la voix (...) je n'ai dit que la
vérité È. Charles semble avoir besoin de
considération en tant qu'être humain. Il le répétera
plusieurs fois durant notre rencontre.
De plus, Charles exprime la frustration
qu'il éprouve quand il pense au système judiciaire. Il
raconte: Ç Je n'arrive pas à comprendre ce système,
c'est un système de fou. Simplement être-là, la capitale
des droits de l'homme, soit disant oU on a créé les droits et on
donne le strict minimum. Et il y a des pays oU on donne plus et il y a moins de
problème. È.
Le peu d'intérêt de la population au sujet des
conditions de vie des détenus semble être une souffrance
pour Charles car il dit: Ç (...) Aujourd'hui, vous
êtes confrontés à ca parce qu'on en parle mais les gens
sinon ils s'en foutent de ca. Un jour on doit sortir. Les gens ne s'imaginent
pas qu'on va sortir un jour et comment ? Avec plus de
colère, avec la rage(...)
È.
Charles raconte comme mentionné plus haut que
la séduction est importante pour lui. Il a l'air d'associer la
séduction avec le fait d'être avec une femme. Peut-être
le fait qu'il n'y ait que des gardiennes n'a pas satisfait son besoin de
séduction et lui a
fait na»tre un sentiment de solitude car
il dit : « D'amour (rires). Oui passer un moment bien, comment
expliquer... C'est pas que sexuel aussi, c'est... voilà, ... l'envie de
se sentir vraiment... je ne trouve pas le mot... se sentir dans les bras d'une
femme... ».
Il explique qu'il y a beaucoup de tension, que tout le monde
est tendu même les gardiens. Il indique : «(...) Des tensions de
tous les cTMtés (...). Oui pourquoi dire non si c'est vrai. On est tous
tendus, même les gardiens sont tendus. Même le directeur de la
prison est tendu. Et s'il n'est pas tendu, c'est qu'il y a un problème,
c'est qu'il s'en fout. ». Par son récit, nous pouvons supposer
que ces tensions sont provoquées par le mélange de
différent s sentiments dont la frustration, la
colère et la violence vécues qui sont
souvent difficiles à exprimer avec des mots.
Charles répond à notre question qui est :
vous pensez que s'il y avait des parloirs intimes un peu partout cela
diminuerait la violence et les tensions ?
«Ah mais écoutez, les hommes qui font l'amour,
c'est les médecins qui le disent, ils se sentent bien, il y a plein
d'hormones et des vitamines qui se calment qui aident à calmer les
gens... a sert à calmer plein de monde, ga c'est str. ». Sa
réponse nous remet au niveau du besoin de calme qu'éprouve la
majorité des personnes interrogées. En effet, le besoin de
calme finalement appara»t fréquemment dans tous
les récits.
A force de réfléchir toute la journée et
d'être sollicité souvent, le corps semble se fatiguer. La
créativité s'affaiblit. Et par la même occasion, cela
affaiblit l'expérience pathique de s'ouvrir à la surprise,
à l'étonnement.
Charles exprime aussi le « bien fait
» du moment sous la douche qui lui permet de se calmer, qu'il ne fallait
surtout pas lui enlever cet instant et donc peut -être de diminuer durant
un instant sa colère et la violence
qu'il vit au quotidien.
Il ajoute que la violence pour lui c'est :
«La violence comment expliquer, c'est pas qu'on se fait du mal, ga
fait mal. C'est violent, par exemple la contrainte d'être
séparé avec sa femme(...). Pour moi la violence c'est que tu
perds plein de trucs et après tu perds tout et quand tu sors ; on te
donne rien. En plus, il faut sortir comme un ange ! Il faut
réfléchir, ce n'est pas une solution. ».
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