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Vie pénitentiaire, liens sociaux et affectivité. Comment les personnes vivent- elles leur vie affective dans un milieu carcéral fermé

( Télécharger le fichier original )
par Rachel Roseline Boulé Schmid Briachetti
Haute école de travail social de Genève - Bachelor  2012
  

Disponible en mode multipage

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Travail de Bachelor

Vie pénitentiaire, liens sociaux et

affectivité

Comment les personnes vivent-elles

leur vie affective dans un milieu

carcéral fermé?

http://213.215.42.142/~a4550sup/fichiers/Vuetlu64.php

"Vivre ensemble consolide les rapports affectifs mais, simultanément, divise."

(Francesco Alberoni (1984) L'amitié )

Travail de bachelor effectué dans le cadre de la formation à la Haute
Ecole de Travail Social de Genève

Rachel Boulé, Roseline Schmid Briachetti, Volée FEE 06, Filière
éducation sociale

Sous la direction de Marc Pittet

Genève, juillet 2012

Les opinions émises dans ce travail n'engagent que leurs auteures.

.

Remerciements

Nous avons contacté différents acteurs du réseau pénitencier et tenons particulièrement à leur adresser nos plus chaleureux remerciements pour leur aide tout au long de notre recherche.

Notre directeur de mémoire, pour nous avoir fait réfléchir et fait part de diverses pistes.

Les nombreuses correctrices qui ont bien voulu relire notre orthographe et notre syntaxe, dont deux plus particulièrement jusqu'à la dernière seconde.

Le directeur d'une structure accompagnant des personnes en semi-liberté qui nous a accueillies un soir, autour d'une table pour partager un repas afin que nous puissions nous présenter et rencontrer des personnes vivant actuellement dans ce foyer. Nous le remercions également pour sa grande ouverture d'esprit et son humanité.

Le directeur d'un foyer accueillant des personnes en semi-liberté pour sa disponibilité, sa clairvoyance, et sa pertinence.

Le directeur d'une prison qui nous a accordé de son temps afin de nous transmettre des informations générales sur la prison.

Le gardien d'une prison qui nous a fait visiter certains locaux de la prison et qui a relaté son travail quotidien avec les détenus.

Toutes les personnes qui ne font pas parties du labyrinthe pénitencier mais qu i nous ont permis, de par leurs relations, d'entrer dans le réseau pour réaliser notre travail de bachelor.

Et surtout, Woody, Charles, Doe, et Raphael vivants sous le régime de la semi-liberté qui ont raconté avec leur coeur, sincérité, et courage, leurs expériences affectives lors de privation de liberté dans un milieu fermé.

Nos collègues de travail pour l'aménagement d'horaires particuliers, leur souplesse, leur flexibilité et leur compréhension.

La praticienne-formatrice de Rachel qui l'a suivie avec bienveillance tout au long de ses études. Merci à elle pour son soutien moral et ses précieux conseils concernant ce mémoire.

Et pour finir nos conjoints, nos familles, nos amis pour leur soutien, leur patience.

Les deux adolescents de Roseline, qui ont dü être, d'innombrables fois, indulgents sur de nombreux plans.

Table des matières

Remerciements 2

Partie 1 : Introduction 5

1. Les étapes du module ÇTravail de BachelorÈ 1 5

1.1. Objet d'étude 5

1.2. Motivations personnelles 6

1.3. A priori- préjugés 7

1.4. Questions, sous questions de recherche lors du module ÇTravail de

Bachelor partie 1 È 7

2. Les étapes de ce travail de mémoire 9

2.1. Ethique 9

2.2. Champs d'observation 11

2.3. Questionnaire, type d'entretien 12

2.4. La collaboration entre nous 14

2.5. Evolution dans le corpus théorique 14

2.6. Problématique 16

2.7. Objectifs 17

2.8. Hypothèse 17

Partie 2 : Corpus théorique 18

1. Chapitre I : Introduction/Choix de l'approche phénoménologique 18

1.1. Choix de l'approche phénoménologique 19

2. Chapitre II: Différence entre affectivité et sexualité 21

2.1. Besoins-Emotions 21

3. Chapitre III : Les différentes altérités vécues en détention 23

3.1. Altérité manquante 23

3.2. Altérité consentie 23

3.3. Altérité contrôlée 24

3.4. Altérité virtuelle, matérialisée 25

4. Chapitre IV: Le courant phénoménologique avec Husserl,

Heidegger, Binswanger, Von Weizsäcker, Straus et Maldiney 26

4.1. Husserl 26

4.2. Heidegger Çl'Etre et le Temps, 1927È le Dasein, l'être au monde,

Ç la prise de connaissance (1927) È 27

4.3. Binswanger et l'espace thymique 30

4.4. Viktor Von Weizsäcker 33

4.5. Erwin Straus 35

4.6. Henri Maldiney 37

4.7. L'expérience pathique en situation de privation de liberté 39

5. Chapitre V: Les phénomènes vécus en prison 40

5.1. Contact 40

5.2. Solitude 41

5.3. Souffrance 42

HES-GE Travail de bachelor

5.4. Frustration

43

5.5. Colère

43

5.6. Violence

44

5.7. Solidarité

46

Partie 3 : Analyse

47

6. Chapitre VI: Présentation des personnes rencontrées

47

7. Chapitre VII : Questions générales (suivi du fil rouge)

49

8. Chapitre VIII : Questions spécifiques

64

9. Chapitre IX : Phénomènes vécus en détention

66

 

9.1. Woody

.67

9.2. Charles

68

9.3. Doe

70

9.4. Raphael

72

10.Chapitre X : Tableaux récapitulatifs des expériences,

lieux

sensibles ou vécus comme expériences affectives 75

Conclusion 82

Limites du travail de mémoire 84

Bibliographie 85

Annexes

Annexe 1: Déclaration éthique 90

Annexe 2 : Engagement éthique réciproque 91

Annexe 3: Information et engagement de confidentialité 92

Annexe 4 : Grille d'entretien 93

Annexe 5 : Retranscriptions des entretiens 96

Annexe 6 : Entretien exploratoire 189

Partie 1: Introduction

1. Les étapes du module ÇTravail de BachelorÈ 1

1.1. Objet d'étude

De nos jours, nous, auteures de cette recherche, avons la conviction qu'il est primordial de vivre des relations affectives. Pour qu'elles soient considérées comme positives, elles doivent être source de bonheur et nous rendre heureux . Elles dépendent souvent de notre capacité à créer des liens, d'échanger.

Nous avons également remarqué que l'image idéale est de vivre en couple.

Dans ce sens, nous avons choisi de diriger notre travail de recherche à travers l'étude de témoignages de personnes qui, de par leur acte répréhensible, se sont retrouvées en milieu fermé avec d'autres sujets du même sexe qu'elles n'ont pas choisis.

De plus, nous nous sommes particulièrement intéressées au milieu carcéral car c'est un lieu oü l'on vit en communauté tout au long de la journée et oü il existe des espaces d'échanges divers. Lors de la prise des repas, les moments de pause, la promenade, la douche, au travail, dans une cellule, tout s'effectue en groupe. En effet, il est possible de se retrouver seul dans une cellule mais seulement lors de l'exécution de la peine. Durant la détention en préventive, il est pratiquement impossible d'avoir des moments d'intimité.

Pour mieux conna»tre l'univers carcéral, nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer le directeur d'un pénitencier et un surveillant . Ils nous ont permis d'entrer et de découvrir certains lieux d'une prison.

Lorsque nous avons rencontré le directeur de prison et le surveillant, nous pensions mener des entretiens avec des détenus. Cependant, le directeur pensait quant à lui, qu'il serait plus facile de construire notre mémoire avec le personnel encadrant.

Puis ne connaissant guère le milieu carcéral, notre directeur de mémoire nous a fortement conseillé de nous tenir à notre première idée plutôt que de faire des entretiens avec le personnel encadrant.

Nous lui avons donc fait confiance et nous sommes retournées avec conviction à notre premier objectif et avons construit notre bachelor dans cette optique

1.2. Motivations personnelles

Nous travaillons toutes les deux dans le champ du handicap et voulons aborder d'autres thèmes que ce que nous avons l'habitude de côtoyer dans notre vie professionnelle.

Nous éprouvions le besoin d'élargir notre horizon, pour être dans une vision plus généraliste et peut-être changer nos représentations sociales sur l'intégration et la discrimination. Nous avons eu toutes les deux, une formation continue au sujet de l'affectivité et de la sexualité des personnes vivant en situation de handicap avec Mme Agthe-Diserens (sexologue). Durant cette formation, nous avons approfondi le sujet de la sexualité, qui est souvent mal percu par les professionnels. C'est encore un sujet tabou, mais pas seulement chez les professionnels, également dans la majorité de la société; cette dernière a des représentations (notamment , la vision judéo-chrétienne) qui sont induites, peut-être par l'idée, que le plaisir qui prime est considéré comme immoral. La sexualité doit, hypothétiquement en premier lieu, assurer la pérennité de l'espèce.

Ainsi certaines pratiques sexuelles comme la masturbation, l'expérience homosexuelle et certaines personnes touchées dans leur intégrité psychique et/ou physique sont le plus souvent discriminées. Elles ne relèvent pas de la reproduction et, sont donc la plupart du temps considérées comme des sujets tabous.

L'affectivité et la sexualité permettent également de ne pas être seul et d'être en lien. C'est ce deuxième sujet qui nous tient particulièrement à cÏur et que nous souhaitions étudier dans le parcours de vie des détenus.

Si nous avons privilégié la question de la vie affective dans le milieu carcéral ferm é, c'est parce que c'est encore un sujet tabou, même pour nous, ainsi peu abordé et cela nous a donné l'envie de l'approfondir.

Par conséquent, nous avons utilisé l'opportunité du travail de bachelor pour traiter cette question.

Après diverses lectures, nous avons pu constater que les témoignages sur l'affectivité féminine et masculine différaient.

En conséquence, nous avons préféré cibler notre recherche sur le genre masculin car il nous semblai t que les hommes ont plus de difficultés à exprimer comment ils vivent leur affectivité.

Nous avons choisi l'adulte et non l'adolescent car ce dernier est en pleine construction de sa personnalité et ainsi peut être en prise avec d'autres phénomènes qu'un adulte pourrait vivre.

Ainsi, Ç nos objets È de recherche sont les personnes incarcérées en prison, leurs conditions de vie, les relations qu'elles ont avec leur environnement dans cette rupture ponctuelle.

Pour notre part, nous pensons que la privation de liberté n'entraine pas une absence de besoin d'affectivité pour les personnes qui sont incarcérées.

De plus, nous proposo ns que la sexualité fasse partie de la vie affective.

Dans nos motivations, nous avons eu différentes réflexions dépendantes de la sociologie. La société, pense-t-elle que lorsqu'il y a condamnation, les détenus n'ont plus aucun droit? Ne peut-elle imaginer une affectivité, des formes de sexualité au sein d'un groupe d'individus de même sexe?

Nous avons finalement choisi pour ce travail de bachelor une orientation phénoménologique pour éclairer quelque <<chose>, de compliqué et de ne pas effectuer une lecture sociologique de la vie en prison.

De plus, lors de notre formation à la HETS nous n'avons pas étudié cette approche ainsi ce travail de bachelor nous a permis d'élargir nos connaissances.

En bref, nos motivations découlent de deux axes principaux. Le premier est l'envie d'élargir notre horizon professionnel et le second de lever le voile sur le tabou de l'affectivité et de la sexualité dans le milieu carcéral.

1.3. A priori- préjugés

Dans un premier temps , nous pensions que s'il existait une exclusion de la société, il n'y avait également pas de vie affective, que chacun était obligé de vivre pour soi. Dans un deuxième temps, n ous imaginions que lorsque les personnes entrent en prison, la vie affective est vécue avec violence. Dès lors, notre souci était de rencontrer la réalité en interrogeant des détenus.

Est-ce que la vie affective passe obligatoirement par des rapports de pouvoir, de force et de domination en milieu carcéral?

Pour aborder ce thème nous avions surtout des représentations à travers des films américains oü la sexualité en milieu fermé est présentée comme violente aussi bien au niveau des femmes que des hommes. Il nous est également montré que toutes les personnes incarcérées n'ont que le choix de <<finir >, homosexuelles et de se battre contre des agressions voire des viols.

1.4. Questions, sous questions de recherche lors du module <<Travail de Bachelor partie 1 >,

En débutant notre réflexion au sujet de notre travail de mémoire, comme mentionné plus haut, nous souhaitions approfondir le sujet de la sexualité dans le milieu carcéral.

En effet, nous nous sommes questionnées sur les conditions de vie des détenus, les relations qu'ils ont avec leurs environnements (codétenus, personnels encadrant etc...) durant cette rupture ponctuelle.

De plus, nos interrogations se portaient sur la construction des liens sociaux, des échanges entre détenus. Pouvaient-ils créer des liens amicaux en détention dans leur vie quotidienne?

Notre première question était <<comment les personnes incarcérées vivent-elles leur sexualité dans un milieu carcéral fermé? >,.

Par la suite, déjà dit une fois, nous avons rencontré un directeur de prison qui nous a conseillé de nous diriger vers le personnel encadrant . Pour lui, il était difficile de prendre contact avec des détenus qui seraient d'accord de nous rencontrer dans un parloir ouvert oü tout le monde pourrait entendre nos entretiens.

En effet, il existe un parloir unique qui n'est accessible qu'aux avocats et psychiatres. Notre question de départ s'est donc modifiée : <<Comment les professionnels du milieu carcéral fermé peuvent-ils répondre au besoin de la sexualité des personnes incarcérées ? È.

Ensuite, nous avons rencontré notre directeur de mémoire qui pensait qu'il serait plus judicieux de questionner les détenus afin d'être certaines d'avoir une réelle vision de leur vécu.

Nous avons donc fait le choix de reprendre notre première idée et de poursuivre ce chemin.

Il nous a également été conseillé de parler de vie affective au lieu de sexualité, cela nous permettant d'aborder ce sujet avec plus de facilité et d'aisance car la sexualité reste un thème délicat et encore tabou de nos jours.

Ainsi, notre titre de garde est devenu: Vie carcérale, liens sociaux et affectivité. Notre question de recherche est devenue la suivante: <<Comment les personnes vivent-elles leur vie affective dans un milieu carcéral fermé? È

Nous nous sommes aussi interrogées sur les expériences en milieu extérieur et milieu intérieur: sont-elles les mêmes ou pas? Est-ce que les détenus peuvent vivre une vie affective, sexuelle en prison? Est-ce que l'incarcération modifie la vie affective et sexuelle durant la détention ? Si oui, est-ce que la modification perdure à la sortie? Enfin, est-elle restreinte ou inexistante?

Puis, nous pensions également aborder le thème des parloirs intimes qui sont installés dans plusieurs prisons suisses (l ieu au sein d'un pénitencier qui permet aux couples formés de plus de six mois, de se retrouver sans surveillance, durant une demi-journée ou une journée entière).

Cependant, nous avons pu nous rendre compte, toujours gr%oce à l'entretien que nous avons effectué avec le directeur d'une prison, que le sujet du parloir intime est un sujet à lui seul.

Nous avons, finalement décidé de ne pas nous pencher sur ce thème spécifique, tout en l'abordant dans notre questionnaire car il est omniprésent chez les détenus.

Nous avons ciblé notre recherche pour comprendre ce que les détenus vivent et comment gèrent-ils leur vie affective en prison. Notamment, ce qui peut permettre une vie affective en prison ou la restreindre, tout en espérant pouvoir aborder le thème de la sexualité.

2. Les étapes de ce travail de mémoire

Comme pour tout travail de bachelor, nous avons dü réfléchir à notre éthique et avons fait des recherches à ce sujet dans le module ÇTravail de Bachelor partie 1 È proposé par la HETS et ceci pour nous permettre de mieux construire notre grille d'entretien et mener nos entrevues.

2.1 Ethique

Notre sujet touche la sphère intime des personnes incarcérées donc avant d'effectuer des entretiens, nous savions que nous devions être vigilantes à ne pas révéler les noms, l'âge, les lieux, afin de respecter l'anonymat des personnes contactées. Lors des entretiens, les personnes devaient venir avec leur consentement libre et éclairé. Nous leur avions expliqué qu'elles pouvaient à tout moment se rétracter.

Nous voulions être particulièrement attentives aux mots utilisés, aux questions que nous emploierions à ce moment précis puisque c'est un sujet délicat et tabou. Il était donc important pour nous de respecter leur intimité.

De plus, dans le processus de communication, nous avons essayé de garder en tête qu'il y avait en Ç jeu les problèmes liés aux relations interpersonnellesÈ1. Dès qu'il y a des entretiens, une suite d'interactions se produit entre l'enquêté et l'enquêteur. Pour Bourdieu2, il existe un accord des inconscients. L'enquêteur porte souvent Çau grand jour des choses enfouies È, il aide à livrer la vérité ou à s'en délivrer.

Etant donné que nous avons mené des entretiens semi-directifs (explicités dans le chapitre entretien), nous avons utilisé un dictaphone et pour cela nous avons souhaité demander leur accord. En spécifiant bien que l'entretien était confidentiel.

Notre terrain de recherche (la prison) est constitué de règles sécuritaires institutionnelles extrêmement importantes. Il nous a été demandé de les suivre à la lettre.

C'est-à-dire que nous avons été soumises à une fouille, nous ne pouvions pas enregistrer les entretiens en dehors des bâtiments administratifs (en tout cas pour l'établissement que nous avons visité). Nous nous sommes engagées à respecter les règles institutionnelles quelques qu'elles soient.

Lorsque nous avons rencontré le directeur du pénitencier, il a été d'accord que nous l'enregistrions dans le bâtiment administratif. Mais il nous a été impossible d'introduire le dictaphone à l'intérieur de la prison. Nous avons dü le laisser à l'entrée.

1 Pittet, M (2004-2005). Propos sur les méthodes de recherche (Module 110). Genève: IES-HES, Haute école de Travail Social.

2 Sous la direction de Bourdieu , P., (1993). Document comprendre. La misère du monde. Editions du Seuil.

Dès cet instant, nous avons su que nous devions nous préparer à prendre de Ç bonnes È notes si nous rencontrions des détenus dans cette prison voire dans d'autres lieux fermés .

De plus, comme les parloirs pour les visiteurs étaient communs, il était évident que nous allions rencontrer des difficultés à recueillir des récits intimes, du fait que d'autres individus étaient présents dans la même pièce.

C'est également à cet instant, que nous avons compris qu'il fallait changer d'environnement. Nous nous sommes dirigées vers des personnes qui avaient vécues une détention et qui étaient en semi-liberté ou libres. Le lieu serait donc choisi par les sujets, et les entretiens seraient sans témoin.

A la fin de notre recherche, nous avons effacé les entretiens après les avoir retranscrits.

Nous sommes conscientes que ce travail de mémoire sera accessible à tous, donc, il était d'autant plus important pour nous que les personnes Ç interviewées È, ne soient pas reconnaissables dans les retranscriptions.

Le directeur de prison, quant à lui, nous a demandé de lui donner seulement les conclusions de notre travail de Bachelor. Nous le ferons volontiers car nous savons que nous ne livrerons pas des informations touchant la sphère privée.

Ce travail sera également transmis au directeur du foyer accueillant des personnes en semi-liberté afin que ces dernières puissent accéder à ce mémoire.

2.2. Champ d'observation

Au vu du système de surveillance étroit qu'il existe dans les lieux de détention et pour l'avoir vécu, il était clair que nous ne pouvions pas utiliser ce terrain comme champ d'observation. N'importe qui ne peut pas aller en prison et <<voir È ce qui s'y passe.

Ainsi, nous étions obligées de recueillir les informations différemment. Nous sommes allées à la bibliothèque pour consulter les mémoires précédents et trouver divers ouvrages. Nous avons pu constater que les thèmes de l'affectivité et de la sexualité dans les milieux carcéraux sont peu abordés. Dans le sens ou il existe de la littérature mais elle est diluée dans divers périodiques.

Au départ, nous pensions ainsi que le terrain de recherche était inévitablement les prisons, et la population ciblée les détenus ou éventuellement les praticiens. Mais en cours de route, nous avons dü nous adresser au tissu social entourant d'anciens détenus incarcérés. Il a été beaucoup plus facile pour nous d'aborder le sujet , puisque le poids institutionnel n'était plus présent.

Nous avons eu l'idée d'approcher des associations qui s'occupaient d'anciens détenus.

Cependant, en discutant avec d'autres personnes faisant un travail sur la résilience en prison, il nous a été transmis que certaines associations ne voulaient pas entrer en matière, nous n'avons donc pas entamé les démarches auprès de ces dernières.

Nous avons pu rencontrer un directeur de pénitencier gr%oce au << bouche à oreille È d'une amie qui le conna»t personnellement. Il nous a clairement dit que sans cette amie, il n'aurait pas accédé à notre demande.

Il en a été de même pour d'autres prisons.

Ce dernier nous a accueillies en nous spécifiant que si nous étions venues il y a dix ans en arrière, le sujet étant complètement tabou, nous n'aurions même pas pu aborder ce thème. Mais que de nos jours, il y avait tout de même une évolution dans les mentalités.

Ainsi tous les accès au milieu pénitencier ont été possibles uniquement gr%oce aux contacts personnels.

Malgré le fait que la société est aujourd'hui considérée comme libérée et plus ouverte, il y a peu d'informations sur la condition de vie, les parcours de vie, l'affectivité et la sexualité des détenus.

En effet, lorsque nous avons construit notre projet lors du module <<Travail de Bachelor partie 1 È, en 2008, nous avons trouvé deux auteurs connus qui nous paraissait intéressant en matière de sexualité en prison: Dominique Lhuillier et Jacques De la Haye.

Après avoir rencontré le directeur d'un foyer accompagnant des personnes en semi - l i be rté , nous avons trouvé dans la bibliothèque de la HES-GE, un autre auteur (cité dans la partie corpus théorique), qui a publié un livre avec plus de soixante témoignages de détenus.

Comme écrit dans notre esquisse pour le module <<Travail de Bachelor partie 1 È, pour nous, il était important de pouvoir comprendre les enjeux d'un sujet dit tabou.

Suite à diverses lectures, nous avons pu constater que lors d'une privation de liberté, l'identité des personnes est fortement touchée.

Ils commencent par être un numéro de dossier, puis, se perdent dans un nombre important de détenus, confiné s dans un même endroit et les besoins individuels sont peu pris en compte. Nous souhaitions aller au cÏur de ce probléme surtout que c'est un milieu sécuritaire ou il n'est pas facile d'accéder.

Pour pouvoir aborder des personnes en semi-liberté, nous avons également fait fonctionner notre réseau social. Nous avons pu rencontrer le directeur d'un foyer de personnes vivant en semi-liberté gr%oce à une connaissance qui a un lien familial avec ce dernier. Il nous a introduites dans le lieu et nous avons pu ainsi, nous présenter aux résidents.

Notre directeur de mémoire nous a également aidées gr%oce à ses contacts dans le milieu pénitentiaire.

Il a rencontré un autre directeur d'un foyer de personnes vivant en semi-liberté et par conséquence, nous avons pu entrer en contact avec lui par courrier électronique.

Ce dernier étant trés pris, il était ouvert à des entretiens téléphoniques.

Il nous a envoyé des observations écrites sur notre grille d'entretien, il nous a permis ainsi une remise en question fort judicieuse sur les themes que nous allions aborder.

Pour finir, n'ayant pas pu accéder au champ d'observation qui était la prison, nous avons fait le choix de nous diriger vers des foyers accueillants des personnes en semi-libertés afin que nous puissions rencontrer des hommes avec un parcours carcéral.

2.3. Questionnaire, type d'entretien

A travers les entretiens, nous avons pu accéder aux informations nécessaires pour la rédaction de ce mémoire.

Dans le module ÇTravail de Bachelor partie 1 È, nous souhaitions mener des entretiens avec les détenus.

Aprés réflexion, et d'aprés la population choisie, il nous est apparu plus judicieux d'adopter le modéle de la grille d'entretien. Ce qui nous a permis d'avoir en vue, les themes principaux que nous souhaitions aborder avec eux. Il est bien évident que ce genre d'entretien supposait que nous ayons dégagé et agencé des hypotheses.

Avant même d'avoir rencontré le directeur du pénitencier, nous avons été conscientes qu'il nous fallait un nombre suffisant de personnes acceptant de répondre à nos questions ainsi que leur accord.

Notre choix s'est porté sur l'entretien semi-directif (un fil rouge tout en laissant la liberté à la personne questionnée de s'en écarter parfois). Il n'est ni totalement fermé (questions dirigées sans déroger du fil rouge), il permet de retracer les parcours de vie des détenus plus facilement sur leur existence en prison.

Nous avons pensé que si les personnes ne voulaient pas nous rencontrer lors
d'entretien semi directif, il serait possible de diffuser des questionnaires oü nous
aurions pu recevoir un recueil d'informations plus important. Ils auraient également

pu développer leurs réponses par écrit. Malgré cela, nous avons persévéré et avons effectué des entretiens semi-directifs.

Quant aux questionnaires, nous n'aurions pas eu l'assurance de les obtenir en retour. En lisant d'autres mémoires, nous avons observé les difficultés que les personnes ont rencontrées pour en recevoir un nombre suffisant pour effectuer une analyse correcte.

De plus, nous savions qu'il existait un danger de transmettre les questionnaires car parfois les réponses aux questions fermées biaisent le recueil d'informations.

Gr%oce au travail lors du module ÇTravail de Bachelor partie 1 È, nous étions conscientes que de temps en temps les Ç enquêtés È pouvaient saisir l'occasion de témoigner, de se faire entendre, de porter leur expérience de leur sphère privée à la sphère publique pour construire leurs propres points de vue. C'est comme une

3

autoanalyse provoquée et accompagnée par nous(voir item les enjeux éthiques) et nous y avons été ainsi attentives lors de la construction du questionna ire.

Dans la mesure du possible, nous voulions instaurer un climat de confiance (voir item analyse entretiens) et que cela n'apparaisse pas comme une curiosité malsaine.

Nous savions également que parfois les personnes peuvent penser qu'elles passent un examen. Elles pouvaient peut-être avoir peur de mal répondre etc., car les questions sont porteuses d'enjeux et peuvent induire les réponses.

Suite à diverses lectures au sujet des questionnaires directs et indirects, nous avons pris conscience que nous devions être particulièrement attentives à certains détails. Les questions devaient être compréhensibles, simples, tenir compte de l'ordre des mots.

Afin de nous permettre d'avoir une connaissance objective, pour ne pas être intrusives dans leur vie, nous leur avons demandé avec une question générale qu'est-ce qu'elles avaient envie de nous dire sur elles-mêmes.

Les questions ouvertes permettent de recevoir des informations sur des sujets délicats, ce qui était bien notre intention.

Nous avons donc fait un entretien à usage exploratoire pour cibler notre piste de travail de recherche et être habituées au contexte pénitencier pour acquérir une certaine aisance lors des entretiens avec la population choisie.

En cas de besoin, le directeur du pénitencier, nous avait également donné son accord pour des entretiens complémentaires avec lui, afin de compléter les données récoltées.

Nous avons fait attention au lieu de rencontre pour qu'il soit neutre et que les personnes puissent se sentir à l'aise dans un climat de confiance. Premièrement, nous leur avons demandé si elles avaient un lieu en tête puis si elles n'avaient pas d'idée, nous leurs avons proposé une salle de cours à la HETS. Certains entretiens se sont déroulés dans une salle de classe et d'autres dans le bureau de notre directeur de mémoire faute de salle de cours libre.

3 Sous la direction de Bourdieu, P., (1993). Document comprendre. La misère du monde. Editions du Seuil.

2.4. La collaboration entre nous

Toutes les deux avons choisi d'Ïuvrer ensemble sur ce travail de recherche car nous avons effectué notre formation en emploi dans la même classe et avons l'habitude de collaborer.

Nous nous sommes apercues que nous étions complémentaires dans la rédaction des divers travaux de groupe. En effet, Roseline ayant plus d'aisance avec les concepts théoriques et Rachel avec la pratique.

Le choix de notre sujet s'est fait au fil du temps, durant nos nombreuses discussions à refaire le monde dans un lieu mythique de la rue de Carouge <<La Sportive È autour d'un verre de vin blanc.

Au départ, nous avons eu des divergences pour savoir sous quel angle nous allions aborder le thème. Pour finir, nous avons su nous mettre d'accord en alliant nos envies, nos craintes et nos doutes.

Au début du processus, nous étions animées de motivations puis au fil du temps, nous avons eu par instant des moments de relâchement. Cependant, il y en avait toujours une qui avait l'énergie pour motiver l'autre. Nous savions que nous pouvions nous reposer l'une sur l'autre dans ces moments-là.

Dans un premier temps, nous avons même pu accorder nos temps de travail pour libérer une plage horaire pour travailler sur le mémoire.

Dans un deuxième temps, à cause des contraintes liées à nos emplois, nous n'avions plus les mêmes plages horaires pour nous rencontrer. Nous avons donc par la force des choses dü étudier chacune de notre côté et ceci a ralenti l'avancement de ce travail. Mais il était important et indispensable de nous rencontrer au moins une matinée toutes les deux semaines pour mettre en commun les fruits de nos écrits.

Par moment, nous avons eu des mots, mais nous savions à quel instant nous devions nous taire. Nous avons su respecter nos moments de silence et nous avons profité aussi de longs moments de fous rires.

Ce fut un réel bonheur de collaborer ensemble.

2.5. Evolution dans le corpus théorique

Lorsque l'affectivité est abordée, nous avons constaté que le sujet est vaste, beaucoup de concepts associés au mot affectivité apparaissent. Invariablement, nous nous dirigions vers une étude sociologique car la majorité des ouvrages utilise cette approche.

Nous voulions comprendre certains termes comme << besoins È, <<affect È, << affectivité È, <<sentiment È, << échange È, << relations È.

Nous désirions également différencier la relation du côté individuel et du coté collectif.

Il y avait tellement de concepts que pendant plusieurs mois, nous avions perdu de vue notre premier objectif qui était de mieux comprendre comment les individus échangent lorsque la vie quotidienne est ponctuée par une rupture avec l'extérieur.

De cette manière, nous avons dü faire un choix parmi les nombreux concepts pour garder notre fil rouge sur les moments d'échange.

Notre directeur de mémoire a réussi à nous centrer sur l'approche phénoménologique, soit la relation homme-monde.

Cependant, comme de nombreux penseurs ont traité le sujet et que leurs concepts s'imbriquent souvent les uns dans les autres, la construction de notre corpus théorique a été longue et compliquée.

Il a fallu de nombreux mois pour que nous puissions enfin rédiger un texte cohérent et articuler les concepts entre eux.

Pour finir, ce sont les entretien s qui nous ont permis de cibler certains concepts essentiels à notre mémoire et ainsi construire l'ordre de nos chapitres.

2.6. Problématique

Certains rapports entre les individus qui vivent en prison sont faits de pouvoir. Ceux- ci sont normés et régis par un nombre de règles strictes. La prédéfinition des emplacements (travail, lieu de repas, rencontre avec les proches, etc.) à heure fixe, et les types de relations (rencontre avec la psychologue, etc.) en font partis.

Les rapports non normés restent dans l'ombre. Les expériences des détenus lors de contacts affectifs sont peu relatées aussi bien oralement que par écrit.

Malgré des reportages journalistiques et visuels, les thèmes de l'affectivité et de la sexualité, en général, sont encore tabous pour la majorité d'entre nous. Ces sujets sont la plupart du temps fantasmés et pas souvent objectivés.

En ce qui concerne le sujet qui nous intéresse plus particulièrement c'est-à-dire la prison, nous avons constaté que la société, la plupart du temps, ne peut pas concevoir que les détenus puissent avoir une affectivité ou une sexualité en prison. En effet, comme il y a eu délit, acte sanctionné, les prisonniers sont privés de quasiment tous leurs droits. Ils sont ainsi également dépossédés, en quelque sorte, de leurs droits à avoir une vie affective, à avoir des échanges.

Nous avons pu lire dans divers ouvrages que la plupart du temps, l'affectivité et la sexualité sont niées en prison par la majorité du personnel surveillant.

De plus, selon le gardien rencontré, il n'y a pas d'échanges affectifs car il n'en a jamais vu. Cependant, il a également dit qu'il se doutait qu'il devait y avoir des expériences affectives.

Lors de préventive, les détenus ont peu de moments de partage qui est de leur ressort.

Les échanges authentiques peuvent se faire la plupart du temps uniquement lors des promenades.

Normalement, la préventive dure moins d'une année. Cependant, il existe des prévenus qui vivent plus d'une année en préventive car souvent leur jugement est en attente ou en perspective d'un transfert après un jugement.

Ils sont obligés parfois de vivre jusqu'à quatre en cellule alors qu'initialement cette dernière était concue pour deux personnes. Un espace d'échange est là, mais la cohabitation semble difficile.

Quant aux détenus effectuant une longue peine, ils ont le droit à l'intimité lors des week-ends car les cellules sont ouvertes et peuvent se déplacer comme ils le veulent sur l'étage (selon entretien avec le surveillant interrogé, cité auparavant).

Cependant, même si les portes ne sont pas verrouillées, les gardiens font leur travail de contrôle, leur regard est présent puisqu'ils sont obligés, de par leur cahier des charges, de surveiller le quotidien des détenus.

Finalement, le système pénitentiaire peut souvent être percu comme un endroit totalitaire. Parallèlement, pour nous, il peut y avoir des espaces d'existence comme nous allons l'aborder dans le corpus théorique.

2.7. Objectifs

Objectif theorique

Repérer la notion d'affectivité à partir du courant phénoménologique. Objectifs de terrain

Rencontrer des détenus.


· Questionner des détenus qui ont été confrontés à une privation de liberté.

Comprendre ce que les détenus donnent à voir et à entendre au sujet de la vie affective et si elle existe.

Comprendre comment les détenus sont acteurs dans leur vécu.

Identifier les moments pathiques (voir corpus théorique), dégager un phénoméne ou plusieurs.

Comprendre comment les espaces d'existence se mettent en place.

Entendre les expériences relationnelles des détenus (joie tristesse, conflits, etc.).

Objectifs d'action

Augmenter nos compétences sociales relationnelles dans le champ du milieu carcéral.

Augmenter nos existants dans l'être-ensemble.

Comprendre comment les détenus sont acteurs.

Susciter des nouvelles interrogations au sujet des tabous et des Ç à prioriÈ des lecteurs.

2.8 Hypothése

Nous nous sommes intéressées à comprendre ce que les expériences affectives des détenus en milieu carcéral ouvrent pour eux, par rapport à eux-mêmes, aux autres et au monde.

Nous supposons que les détenus sont des acteurs impliqués dans des rencontres avec d'autres qui produisent des expériences affectives voire sexuelles.

La privation de liberté n'entra»ne pas une absence de besoin d'affectivité.

Partie 2 : Corpus théorique

1. Chapitre I: Introduction/Choix de l'approche phénoménologique

Dans le but de nous permettre de construire notre grille d'entretien, d'affirmer ou d'infirmer notre hypothèse et de développer notre analyse, nous avons exploré l'approche phénoménologique.

Cette dernière est définie par le petit Larousse comme l'étude descriptive des phénomènes ou l'ensemble de faits observables, d'événements tels qu'ils se donnent à nous.

Ce qui, à nos yeux, peut permettre d'expliquer, de découvrir , de se fonder sur des faits vécus de ce que peuvent vivre les détenus en prison de la relation homme - mon de , de la dynamique du lien à autrui.

Tout d'abord, nous allons expliquer pourquoi nous avons fait le choix de nous baser sur l'approche phénoménologique. En effet, tout ce qui touche au domaine de l'affectif est complexe.

Par ce mémoire, nous désir ons plutôt nous centrer sur une approche humaine, un travail de compréhension de la présence et du sensible au monde.

Pour la suite du développement de notre corpus théorique, nous allons expliquer quelques mots clés pour mieux comprendre l'affectivité et la sexualité

Puis, nous allons également différencier les différentes altérités qui peuvent se vivre lors de détention ponctuelle en nous appuyant sur le livre d'Arnaud Gaillard4.

Notre référence centrale est la phénoménologie. Toutefois, nous trouvons chez Gaillard une pensée claire qui nous permet d'exposer la question de l'altérité en ses différentes modalités.

Pour notre travail, du point de vue phénoménologique, l'altérité nous appara»t comme trop abstrait e.

Ayant toutes les deux lu le livre de Gaillard (les personnes Çinterviewées È également), son approche sociologique nous permet de définir les choses, de situer nos interlocuteurs dans l'altérité et de les rejoindre par cette lecture commune.

Ensuite, pour pouvoir comprendre la suite de notre corpus théorique, nous allons faire référence à des philosophes5 et à des médecins importants qui ont influencé la méthode phénoménologique.

Au début du XXème siècle la philosophie se dégage de la psychologie. Ainsi au XXème siècle la phénoménologie est une des orientations majeures .

Pour commencer, nous avons décrit brièvement les idées clés d'Edmund Husserl (1859-1938).

4Gaillard, A. (2009). Sexualité et prison : désert affectif et désirs sous contrainte. Edition Max Milo.

5Philosophes: ont un ensemble de questionnements, de réflexions, de recherche sur l'existence humaine. Regardent également le rapport, du sens de la vie de l'homme au monde, de son propre savoir. Etudient les principes fondamentaux d'une activité, d'une pratique sur leur sens et leur légitimité.

Puis, nous nous sommes intéressées à Martin Heidegger (1889-1976) pour comprendre l'enjeu de la phénoménologie, la philosophie de l'expérience, la dictature du Ç on È.

Avec Ludwig Binswanger (1881-1966), nous appréhenderons mieux l'espace thymique et comprendrons davantage comment la phénoménologie peut s'appliquer dans l'expérience clinique.

Nous nous sommes également penchées sur Erwin Straus (1891-1975, plus particulièrement le moment pathique), Vicktor Von Weizsäcker (1886-1957), Jacques Schotte (1928-2007) qui étaient médecins, psychiatres mais fortement influe ncés par la pensée philosophique issue de la phénoménologie.

Ces penseurs ont pu exprimer que certains phénomènes vécus dans la vie quotidienne ne peuvent pas toujours être expliqués rationnellement, c'est-à-dire par une connaissance de comment nous sommes construits. Ces philosophes et médecins se sont nettement distanciés par exemple de René Descartes (1596 -1650) et d'Ivan Pavlov (1849-1936) qui ont vu les animaux comme des objets, des robots. Ils ont mis en avant que des moments pathiques peuvent Ç appara»tre

È et qu'ils sont

liés à l'ouverture, la surprise, l'étonnement, etc.

Henri Maldiney (philosophe, 1912 à nos jours) nous intéresse plus particulièrement pour expliquer les notions d'implication, de mouvement et de rythme en phénoménologie.

Nous allons également exposer le lien qui existe entre un moment pathique (expliqué par Straus et de nos jours par Maldiney) et l'affectivité vécue en prison pour voir si oui ou non nous pouvons Ç découvrir une réalité Çindépendante È des outils d'observation sensibles et conceptuels È qui sont utilisés de nos jours.

Pour finir, nous avons dégagé quelques phénomènes vécus en prison. Notre choix de certains phénomènes, plutôt que d'autres, sont justifiés par le fait que les personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenues les ont fait le plus Ç appara»tre È.

1.1. Choix de l'approche phénoménologique

6

Avec E. Marc, D. Picard et G. -N. Fischer , nous pouvons remarquer que dans la littérature, il y a abondance de champs théoriques, de concepts et de démarches pour expliquer toutes formes de relations et d'échanges.

Les auteurs ont saisi plusieurs regards au niveau des communications interpersonnelles comme sur les formes structurelles du phénomène ou sur les aspects fonctionnels dynamiques et interactifs.

Cependant, la plupart du temps chacun amène un point de vue sur une réalité complexe dont il n'éclaire qu'un aspect. Ces concepts prennent en compte un des coté du phénomène relationnel.

6 2ème

Marc, E., Picard, D., & Fischer , G.-N. (2008). Relations et communications interpersonnelles . DUNOD , edition

Par exemple, les professionnels, pour qui il existe un processus de changement du côté relationnel de l'individu ou dans sa personnalité, peuvent utiliser plusieurs modèles comme le modèle systémique, le modèle psychanalytique, et/ou le modèle cognitiviste. Parfois ces différentes approches sont combinées entre elles selon le contexte dans lequel se situe la personne.

En résumant, nous pouvons nous dire que ces diverses approches méthodologiques d'intervention en travail social dans les pratiques psychosociales insistent sur une exploration à visées interprétatives.

Elles expliquent le fonctionnement du monde interne de la personne (approches psycho dynamiques) ou de la communication du sujet au sein de ses systèmes sociaux et familiaux (approches systémiques) ou encore au niveau des schèmes cognitifs de l'individu et de leurs corrélats comportementaux (approches cognitivo - co m po rte me nta l es )7.

Le modèle systémique s'appuie sur la notion de système, c'est Ç un ensemble d'éléments en interaction, ainsi une modification quelconque de l'un d'eux entra»ne une modification de tous les autres È comme par exemple , dans un orchestre 8

, . Nous

ne désirons pas, pour ce travail de mémoire, mettre en avant les problèmes de communication même s'ils existent en prison, alors nous n'avons pas construit notre travail à l'aide de ce modèle.

En ce qui concerne la méthode psychanalytique, si nous avons eu des cours de psychologie à la HETS, pour appréhender certains mécanismes internes, nous ne voulons pas à travers ce travail de bachelor comprendre le monde interne des personnes interviewées. Nous ne souhaitons pas connaitre le pourquoi de leur acte. Nous n'espérons pas apporter un niveau psychologique dans l'analyse sur leurs agissements avec d'autres détenus, surveillants etc. au niveau affectif.

Nous ne désirons surtout pas que les dires des personnes interviewées soient interprétés.

Ou alors, apprendre que leurs compor tements affectifs sont dans une dynamique entre les pulsions et les défenses, comme le pensait Sigmund Freud en disant que le conflit névrotique se noue autour du désir lié étroitement à la sexualité.

Le modèle cognitivo-comportementale prend en compte d'abord le processus conscient et s'intéresse surtout au niveau des conduites exprimées par différentes émotions. Nous ne nous sommes pas penchées sur ce modèle car nous désirons surtout être à l'écoute de ce que les personnes ont à transmettre de leur vécu sans forcément entrer dans leur processus de changement ou pas.

Pour finir, d'un point de vue sociologique comme par exemple pour Pierre Bourdieu, l'affectivité et la sexualité sont le fait de normes en vigueur, de la culture et des rites transmis.

D'un point de vue sociologique, le sociologue cherche plutôt à catégoriser les Ç choses È. Il constate comment les personnes peuvent s'y prendre de manière groupale.

7 Pittet, M (en cours). Enquête sur le rythme et l'implication dans les pratiques d'accompagnement psychosociale - Implication rythmique dans le partage intersubjectif d'expériences affectives et émergence d'un savoir comme objet de formation en travail social. Genève : HES-SO, Haute école de travail social.

8: Notes de recherche : Les Thérapies systémiques : historique (Palo Alto)-: Récupéré le 15.03.2012 de http://www.therapiestrategique.fr/documents/historique PaloAlto.pdf

Comme déjà écrit précédemment, nous souhaitons vraiment nous baser sur le moment, l'instant vécu des détenus en prise avec des phénomènes divers.

Même s'il est important d'avoir une vue d'ensemble du sujet travaillé, nous avons fait le choix de réfléchir plus spécifiquement sur le concept phénoménologique, qui à notre point de vue, peut donner une dimension plus profonde à notre travail de mémoire et qui peut essayer d'émouvoir, de toucher nos lecteurs sur les moments d'existence affectifs des détenus.

De plus, nous voulons en étant dans la rencontre avec le s détenus que leurs expériences d'absence de liberté, deviennent pour nous un moment essentiel dans notre qualité d'écoute, d'accueil, d'empathie, d'ouverture, de lâcher -prise, de travailleuses sociales en nous laissant voir et en dévoilant leur vécu.

Avant de construire notre corpus théorique pour le travail de bachelor, il était important de nous mettre d'accord pour définir ce qu'est l'affectivité et la sexualité.

2. Chapitre II: Différence entre affectivité et sexualité

L'affectivité se base sur le sensible, le ressenti. Le sensible est tout ce qui est percu par les sens qui sont les organes de perception du corps. La perception relie l'action du vivant par l'intermédiaire des sens au monde, à l'environnement. Puis, il en résulte des émotions, des sentiments.

Le mot sexualité appara»t avec les débuts de la psychanalyse.

Lors d'échanges, il existe un mouvement vers des zones particulières du corps dites plus sensibles comme la bouche, les oreilles, les parties génitales, etc. oü l'excitation est présente. La forme la plus aboutie de la sexualité est l'accouplement. Pendant, les rapports, diverses émotions peuvent appara»tre.

2.1. Besoins-Emotions

Pour arriver à expliciter ce que sont les émotions, nous devons premièrement aborder le mot Ç besoin È.

Nous avons des besoins biologiques comme l'air pour respirer, l'eau pour s'hydrater. Dans les besoins primaires nous retrouvons les principes de survie, de nourriture, de reproduction.

Toute personne a la nécessité de satisfaire des besoins qui lui sont propres.

Un besoin, n'implique que nous-mêmes (n'implique que la personne elle-même) comme le besoin de manger, de chaleur, de se divertir, de justice, d'exprimer son affection, sa sexualité.

Tant que le besoin n'est pas satisfait, il engendre très souvent frustration, déception, peur, colère, tristesse, souffrance, rancÏur, haine, rage, terreur, choc, chagrin, angoisse, mépris, anxiété, stupéfaction.

Cela permet également de voir que lorsqu'il y a un échange et l'essai de satisfaire ses besoins, des émotions apparaissent.

Etymologiquement, Ç émotion È vient du latin motio, qui signifie action de mouvoir, mouvement et exmovere Ç mouvement hors de È.

9

Jean Jacques Crèvecoeurne parle pas d'émotions négatives ou p ositives, de base ou secondaire comme d'autres auteurs mais d'émotions agréables ou désagréables car, pour lui elles ont toujours un rôle utile.

Les émotions peuvent provoquer des phénomènes. Parmi les nombreux phénomènes, nous pouvons trouver de la joie, de la tristesse, du dégout, de la peur, de la colère, de la surprise, du bonheur, de la souffrance, de la solitude, de la violence.

D'un point de vue phénoménologique, ce sont les émotions qui permettent d'exister, d'avancer, d'amorcer un changement.

Beaucoup d'auteurs ont démontré que le besoin d'amour et d'affection est un besoin fondamental à tout être humain.

Ce besoin d'amour peut se présenter sous diverses manières comme par l'amitié, la tendresse, la complicité, l'amour filial qui participent à l'équilibre, au rythme (concept présenté plus loin avec le paragraphe sur Maldiney page 37) de l'être humain.

Pourtant, selon un professionnel interrogé, il n'y a pas de sexualité en prison. Dans le livre de Gaillard cette phrase est également prononcée mais du côté des détenus.

Ainsi, l'affectivité et la sexualité sont des sujets qui apparaissent comme si on ne devait pas en parler en prison par crainte ou par pudeur, et peut-être, parce que ce sont des personnes privées de liberté.

En même temps, mettre des mots, décrire les histoires de vie, les attentes des détenus nous apparaissent comme essentiel.

En effet, les détenus entrent, la plupart du temps, en tout cas en Suisse, dans un univers affectif avec des personnes du même sexe oü il y certes du personnel pénitencier féminin, mais tout de même dans un environnement ou les échanges ne sont pas facilités.

Ne pas prendre en compte le besoin d'amour et d'amitié en prison peut amener une souffrance, une solitude, une violence interne ou externe, de la frustration, de la colère ou autres.

Cependant, il peut aussi se créer un moment d'échange inattendu, une rencontre exceptionnelle.

Pour continuer d'avancer dans notre corpus théorique et pour mieux comprendre l'univers affectif des détenus, et comme écrit précédemment pour avoir un référentiel commun, nous avons construit ce chapitre, à l'aide des idées de Gaillard. Différentes altérités et besoins peuvent être vécus en prison et lors des entretiens que nous avons effectués, ces thèmes ont été abordés.

9Crèvecoeur, J.-J., Salomon, P (1997) (Préface).Relations et Jeux de pouvoir: Comprendre, repérer et désamorcer les jeux de pouvoir par la DYNARSYS. Le troisième Iris Editons.

Chapitre III : Les différentes altérités vécues en détention

3.1. Altérité manquante

La singularité de chaque détenu influence son vécu en détention. Seulement et inévitablement, les détenus vivent des rapports affectifs différents avec leur famille, aussi bien au niveau conjugal que filial puisqu'il existe une privation d'altérité. Immédiatement, des questions peuvent se poser à leur esprit.

Comment faire exister une affectivité en prison dans un espace monosexué, alors qu'il manque un être < choisi È vivant dehors?

Comment les détenus peuvent-ils < être È, < se sentirÈ avec l'absence de l'autre? De plus, il se peut que cette absence soit ravivée par un appel téléphonique, une lettre, une visite, une photo. Cela peut impliquer un manque de tendresse, de séduction.

Des angoisses peuvent appara»tre comme des images de séparation, d'infidélité.

En vivant avec le même genre et des gardiens, même s'il existe des gardiennes, la séduction du sexe opposé est souvent difficile. En effet, la plupart du temps, les gardiennes font leur travail de surveillance et sont sollicité es par la hiérarchie dans ce sens, ce qui peut induire un réel manque de reconnaissance de soi.

3.2. Altérité consentie

Dans un univers constitué à la majorité avec des hommes, ces derniers ont le choix de vivre une altérité consentie pour pallier à l'éventuel manque de l'altérité manquante.

Les hommes privés de liberté peuvent se poser les questions suivantes: en tant qu'homme d'aujourd'hui, ai-je envie de concevoir un échange affectif avec le même sexe?

Est-ce que je peux exister autrement ?

Ne vais-je pas avoir de la difficulté à assumer le regard des autres détenus ?

La grande majorité des hommes ne voit-elle pas d'un mauvais Ïil les contacts avec le genre semblable?

Trés souvent, à l'intérieur et en dehors de la prison, il existe un discours homophobe. < On È pense qu'avoir un échange avec le même sexe n'est pas <normal È. Cela présume dans la plupart des cas de vivre une humiliation supplémentaire.

En général, dans la bouche des hommes, les mots affectivité, séduction etc. ne peuvent pas être imaginés lors de contact avec le même sexe.

Ils ne peuvent pas imaginer se faire simplement un massage, exprimer de la tendresse, ou avoir une discussion un peu plus intime.

Le fait d'exprimer du dédain, du dégout , permet, peut-être, de garder une distance pour ne pas être dénigré au sein de la prison comme au dehors.

Encore aujourd'hui, malgré une plus grande tolérance, les actions ou les échanges consentis entre hommes sont percus comme une atteinte à la virilité, à la masculinité. Quoi qu'il arrive, il semble que ce sera un être en perdition.

3.3. Altérité contrôlée

Le parloir est le lieu oü des échanges affectifs peuvent se produire sous les regards
des surveillants. Ç Un parloir, c'est pour moi l'occasion de Ç refaire le plein
d'affection È (...). C'est un court instant en dehors du temps È (Gaillard, 2009, p.216).

La plupart des prisons suisses sont équipée s d'un parloir commun avec des tables et des chaises.

Les détenus ont droit aux échanges avec l'altérité manquante mais Ç avoir È un parloir (sous-entendu voir quelqu'un) est contraignant pour les personnes venant de l'extérieur.

En effet, ce sont les personnes extérieures qui font les démarches pour rendre visite aux personnes privées de liberté.

Par conséquent, les détenus sont en attente que les autorisations soient accordées.

De plus, il existe un manque d'intimité dans un parloir commun. Montrer certaines conditions de vie en prison, équivaut, notamment, pour les enfants à assister à des scènes qui peuvent choquer.

Cela implique parfois, que certains détenus refusent les visites pour ne pas heurter leurs proches, leurs enfants ou pour ne pas être plus déprimés qu'auparavant.

Un paradoxe peut être vécu par les détenus lors de ces entrevues. Comme le lieu de rencontre est ouvert et même si les détenus ont droit à l'intimité, des gestes ou des paroles trop équivoques sont souvent reprochés par le règlement institutionnel car il faut appliquer un minimum de pudeur.

Nous pouvons noter que dans certaines prisons suisses, il existe un parloir familial (une seule pièce) pour accueillir la conjointe et les enfants. Mais il n'en demeure pas moins que les parents ne peuvent manifester la même affectivité en présence des enfants.

Pour finir, il existe trois prisons pour longues peines, qui ont un lieu spécifique pour pouvoir rencontrer, sous certaines conditions, sa conjointe, sa compagne. Equipé d'une cuisine, d'un lit (avec bien sür, des draps), de tables de nuit, d'un canapé, d'une table, de chaises et une salle de bain.

De longues démarches administratives et restrictives sont à effectuer. Dès lors, tous les détenus ne peuvent pas profiter de cet environnement .

3.4. Altérité virtuelle, matérialisée

Si aucune des trois altérités mentionnées plus haut n'est envisagée ou possible par le détenu, il envisage parfois la pratique solitaire et l'utilisation de matériel divers . L'altérité virtuelle ou matérialisée n'est pas envisagée dans ce travail comme un acte mais comme un substitut pour évacuer, pallier à un manque ponctuel d'un échange possible avec un être aussi bien dans la prison qu'au dehors.

Ces altérités en prison peuvent être conjuguées de différentes maniéres selon les besoins individuels des détenus.

Certains détenus assurent dans le livre de Gaillard qu'ils préférent une relation affective qui comporte le partage avec l'autre.

Lors des entretiens avec Gaillard, les détenus, en majorité parlent en premier lieu de tendresse pour ensuite invoquer le manque de partage affectif filial.

De plus, ces personnes incarcérées font attention plus particuliérement à leur corps. Ils pratiquent par exemple une musculation intense, ce qui leur permet, peut-être, par la suite de continuer à séduire.

Ces détenus prennent Ç leur mal È en patience.

ÇOn peut trés bien faire sans (...).È (Gaillard, 2009, p. 76) et se rappellent les moments de leur vie à l'extérieur lorsqu'ils étaient sans partenaire.

Gaillard reléve également que pour certains détenus Ç l'interdiction È appartient historiquement à la peine privative de liberté, ils n'en font pas cas. D'ailleurs un détenu interrogé dans le livre dit: Ç (...) Je suis restreint dans mes facilités, il faut faire comme dehors, c'est-à-dire avec les possibilités qu'on a. Je ne vais pas me torturer l'esprit en parlant ou en pensant tout le temps à quelque chose que je ne peux pas faire. È (Gaillard, 2009, p 77).

D'autres détenus ont témoigné en disant que dehors ils ont eu peu de relations affectives et ou surtout c'était la tendresse qui primait.

En conséquence, ces détenus ne cherchent pas forcément de rapports affectifs à l'intérieur de la prison. Même si leur esprit envoie de temps en temps un message de besoin au corps: Ç(...) je me masturbe une fois par mois (...) pour voir si la machine fonctionne encore (...) È (Gaillard, 2009, p 81).

Plusieurs détenus vont plus dans le sens de vivre l'expression d'un bien-être, de la satisfaction d'un désir avec l'autre avec des pratiques en quantité suffisante qui permettraient de conjuguer le corps et l'esprit.

Il se peut que ces personnes détenues soient plus enclines à vivre une altérité consentie.

Cependant, dans son recueil de témoignages, Gaillard met en avant que ces détenus font presque un sevrage de contacts affectifs et sexuels vu l'univ ers monosexué. Ou alors, lorsqu'ils se retrouvent en cellule d'isolement, ils vont jusqu'à blesser physiquement leurs parties intimes.

Toutefois, même en détaillant les différentes altérités et besoins qui sont le plus souvent vécus, en prison nous n'avons toujours pas abordé, la coexistence ou Ç chacun est l'autre, aucun n'est lui-même È10.

10Les nouveaux chemins de la connaissance. Réalisé par François Caunac (mai 2011). Heidegger (1927), Etre et temps, dasein, authenticité, déchéance. France Culture. Récupéré le 21 novembre 2011 de http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4252861

Venons-en ainsi au courant phénoménologique qui critique fréquemment toute tendance scientifique, ou non, qui ferait de l'homme un objet distinct du monde. La phénoménologie permet de mettre en avant et de saisir la réunification du corps et de l'esprit.

4. Chapitre IV: Le courant phénoménologique avec Husserl, Heidegger, Binswanger, Von Weizsäcker, Straus et Maldiney

La phénoménologie n'opère pas de séparation entre l'objet et le sujet (est). Il est appelé à exister au contact de l'autre, c'est un être-au-monde, l'étant peut devenir un existant au contact de l'autre et du monde.

Hegel11, Husserl et Heidegger sont les fondateurs de la phénoménologie.

Dans ce travail, nous désirons essentiellement transmettre à nos lecteurs la différence qui apparait entre être et exister, ce qui dans la suite de notre analyse permet de mieux saisir les exemples que nous citons.

Nous allons dégager des phénomènes qui illustrent la vie des détenus en prison tout en soulignant que les détenus sont acteurs de leur vie affective.

Nous commencons par quelques idées-clés de Husserl. Il nous ouvre la voie au courant phénoménologique.

4.1. Husserl

La devise d'Husserl est le retour aux choses mêmes de la description du monde.

Il trouvait, tout en restant prudent, que raisonner et formuler des théories sur la réalité (naturalisme, psychologisme) ne favorisaient pas l'essence de la conscience. Ainsi, Husserl a postulé que nous avons toujours conscience (se souvenir, aimer, percevoir, etc.)12 de quelque chose.

La conscience est la possibilité de l'homme de se diriger vers autre chose qu'elle - mê m e (l'altérité) et donner du sens à ses inquiétudes.

Pour lui, notre sens d'être au monde est constitué d'une conscience. Laquelle est orientée vers la réalité qu'elle saisit ou qu'elle s'appréhende sur un mode d'étonnement des choses qui constituent cette réalité13. En éprouvant un sentiment, en se souvenant de quelque chose, il ne s'agit pas uniquement, pour Husserl, des expressions d'une nature observable en soi. Le fait de s'étonner, c'est une manière de rétablir le monde dans son évolution inexpliquée et d'être à son contact.

Husserl avec ses idées veut ériger la personne sensible en sujet absolu et c'est avec le concept d'intention qu'il arrive à relier le sujet à l'objet.

11 Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831), philosophe allemand.

12 Récupéré le 10.10.2009.de http://www.philo5.com/Les%20philosophes/Husserl.htm

13 Récupéré le 3 mars 2012 de http://www.contrepointphilosophique.ch/Philosophie/Pages/NicolasDittmar (féy. 2012) /Husserl.pdf

Pour Husserl, le concept d'intention est un vécu qui a ses lois distinctes et qui permet à la conscience de rencontrer l'objet de connaissance, de le saisir à la fois dans sa singularité et dans son enchainement d'actes.

Il dit : Ç Les sensations tout comme les actes qui les appréhendent, ou les apercoivent, sont en ce cas vécues, mais elles n'apparaissent pas objectivement ; elles ne sont pas vues, entendues, ni percues par un sens quelconque. Les objets, par contre, apparaissent, sont percus, mais ils ne sont pas vécus È 14.

Nous pouvons mieux nous rendre compte avec Husserl que rien ne va de soi comme en psychologie qui cherche la cause des maux, ou des actes effectués. Il désire vraiment étudier les expériences vécues qui se présentent aux personnes.

En prison, les personnes vont-elles, par le récit de leur vécu, nous démontrer que le concept d'intention d'Husserl est présent?

C'est avec Heidegger que nous pouvons en plus découvrir que la phénoménologie marque le caractère indissociable de la philosophie et de la psychologie.

4.2. Heidegger Ç l'Etre et le Temps, 1927 È le Dasein15, l'être au monde, Ç la prise de connaissance (1927) È

Heidegger était un élève d'Husserl puis au fur et à mesure s'en est distancé.

Il a plus particulièrement porté sa réflexion sur l'ontologie; l'étude de l'être en tant qu'Etre (Aristote). L'ontologie est l'étude des propriétés générales de tout ce qui est développé.

Il s'est attelé à interroger l'être. Il a ainsi développé une phénoménologie existentielle.

En retracant l'histoire de la philosophie, Heidegger s'apercoit d'un oubli de l'Etre.

Il voulait revenir aux idées présocratiques, car selon lui après Socrate, l'être a été oublié. Il souhaitait savoir comment les penseurs ont pu oublier l'Etre.

Il voulait relier l'objet (l'étant) et le sujet (l'être) tout en se demandant comment il était possible de questionner l'être et qui pouvait interroger l'être.

Il désirait comprendre comment fait-on pour interrog er l'être et s'il y a des méthodes pour accéder à l'être.

Il existe pour Heidegger une dimension essentielle de toute vie humaine d'un être - a u-mo nd e et de la présence au monde (In-der-Welt-Sein). L'existence est par essence un être-avec les autres (Mitsein).16

Ainsi nous sommes nous-mêmes impliqués dans une situation d'une manière particulière, en raison de qui on est et de ce que nous avons vécu dans notre expérience antérieure (Stimmung).

14HUSSERL, Recherches logiques, Tome 2, V, §14, p. 188. Récupéré, le 22 mars de

www.contrepointphilosophique.ch/Philosophie/Pages/NicolasDittmar (féy. 2012) /Husserl.pdf

15Récupéré le 20.10.2010 de http://digression.forum-actif.net/t68-heidegger-le-dasein-1-dasein-et-etre-au-monde 16Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de la Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de temps, n 20, 2008, p. 45-55. Temps et espace dans la psychose selon Henri Maldiney. Récupéré le 2.03.2012 de http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm

Heidegger conceptualise l'être sous la forme du Dasein, c'est-à-dire << l'être-là > dans les premières traductions francaises puis ensuite par existence.

Pour Heidegger << l'être-là >, l'existence, dispense toute référence à l'homme, à la notion de sujet.

Le Dasein parle de lui-même, le Dasein est d'emblée un être au monde qui ne se distingue pas du monde sans toutefois s'y fondre entièrement.

17

Nous pouvons comprendre , avec Cabestan , qu'Heidegger (<< Etre et TempsÈ 1926) dégage un phénomène essentiel: la dictature du << on > laquelle est indissociable de la coexistence. La dictature du << on > étend son règne sur nos comportements18.

Par exemple <<on > trouve révoltant ce que << l'on > trouve révoltant, << on > s'amuse comme << on > s'amuse, << on > juge comme << on > juge, etc. La dictature du << on > repose sur l'être en compagnie oü il existe une espèce d'uniformisation de l'opinion au motif d'un impératif, d'une injonction. Le << on > a ses dispositions spécifiques d'être qui tendent à effacer le Dasein.

Même lorsque, nous exprimons parfois tout haut ce que les autres pensent tout bas et que nous croyons que nous sommes les seuls à le dire, nous sommes dans la dictature du << on >, dans une servitude involontaire, non dite (Cabestan).

En fait, les idées émises au départ semblent originales, cependant elles se diluent dans le temps et par la suite n'importe qui peut émettre les mêmes idées mais nous n'en connaissons souvent plus l'auteur. Nous répétons ce que << l'on > dit sans ne plus savoir d'oü cela vient et nous nous en contentons.

C'est une << dictature> qui est anonyme, personne ne peut se pronon cer sur qui a commencé à diffuser cette << dictature >.

<< La dictature du on> permet d'être comme les autres cela s'appelle selon Heidegger le nivellement.

Lorsque nous parlons de l'autre, on n'est pas soi-même, on n'est pas l'un d'eux, on n'est pas celui-là, mais on est neutre, on fait partie du monde.

Parfois, nous envisageons de nous soustraire, de ne pas être comme les autres mais somme toute, c'est aussi se soumettre, obéir à la dictature du << on >.

C'est pratique d'être-là, d'être au monde de se diluer, de se fondre dans la masse, mais nous restons dans la dictature du << on >. Le Dasein peut s'en accommoder. Dès lors, en ce qui concerne la désobéissance elle peut ainsi nous appara»tre comme une tentative d'exister.

En effet, la prison représente la plupart du temps un endroit totalitaire, en même temps, elle peut aussi représenter un espace d'existence.

Pour Heidegger c'est l'expression d'une angoisse fondamentale (une angoisse face à la mort). Elle nous place face au néant. Le néant n'est pas considéré par Heidegger comme négatif mais plutôt comme un potentiel << d'Etre >.

Ainsi, la finitude appelle le Da sein à se remettre en question.

L'être ne se montre jamais tel qu'il est. Il est souvent un <<para»tre> qui se joue du Dasein.

17 Philippe Cabestan, Enseignant de philosophie, lycée Janson de Sailly, Paris, participant aux émissions, Les nouveaux chemins de la connaissance. Réalisé par Francois Caunac (mai 2011). Heidegger (1926), Etre et temps, dasein, authenticité, déchéance. France Culture, récupéré le 21 novembre 2011 de http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4252861

18 Heidegger, 1926, Etre et temps, p. 27

Rappelons que le mot phénomène en grec signifie appara»tre, se montrer et que les
phénoménologues cherchent avant tout à décrire les grandes formes d'expérience

19

oü se réalise la rencontre primordiale entre l'homme et les phénomènes .

Ainsi Heidegger désirait voir ce qui apparait et comprendre les conditions d' apparition sans interprétations préalables.

Il pensait qu'appara»tre est un mode privilégié de la rencontre, de l'entrée en contact du sujet et de l'objet. Il voulait en faire l'expérience vivante.

Avec Heidegger, nous nous rendons compte que dans la vie quotidienne en général, nous parlons la plupart du temps en terme de <<on È. En va-t-il de même avec le récit des détenus?

Les détenus, ont-ils fait l'expérience vivante de l'entrée en contact du sujet et de l'objet?

La finitude dont parle Heidegger, est-elle présente dans les récits des personnes que nous avons interrogées ?

Pour finir, ce que nous venons de décrire de la dictature du << on È et du Dasein est plutôt abstrait, les exemples cliniques sont absents. C'est pourquoi, nous nous sommes penchées sur un autre phénoménologue: Binswanger qui était aussi psychiatre.

En effet, c'est avec Binswanger que nous pouvons encore mieux comprendre la rencontre entre deux personnes.

Nous allons continuer le développement de notre réflexion en explicitant l'espace thymique qui est considéré par Binswanger, comme un centre de gravité de la relation soi-monde-autrui. En explicitant cet espace, cela peut nous éclairer et nous donner des pistes sur les problèmes d'échanges, de solitude, de frustrations, de violences, de relation conflictuelle, etc. Ou comment les détenus peuvent << tenir È en prison.

Le mot thymique vient du grec thymos qui désigne le centre à partir duquel une Stimmung ( ambiance, humeur) peut advenir et dispose l'homme présent (Dasein) à son projet20. C'est une alliance qui façonne la Stimmung entre le Dasein et son monde.

En ce qui nous concerne, Binswanger nous a aidées à réfléchir et à mieux comprendre l'être humain (le détenu) tel qu'il se montre de lui-même dans ce phénomène d'absence de liberté.

19 Vannotti, M., & Gennart, M. (2006) L'experienceÇpathique È de la douleur chronique : une approche phénoménologique, cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux Récupéré le 14.10.2009 de www.cairn.info/loadpdf.php?IDARTICLE=CTF03631

20Leroy-Viemon B. & Mascato F. (2008) Le problème de l'espace thymique en psychologie du sport. L'espace thymique comme foyer du lien Çsoi-monde-autrui. Article récupéré le 22.01.2012. http://www.erudit.org/revue/fili/2008/v17/n2/019427ar.html?vue=resume

4.3. Binswanger et l'espace thymique

Binswanger, descendant d'une famille de médecins et psychiatre

s suisse s, s'éloigne de la psychanalyse (Freud, pulsions, mécanismes de défense, de fantasmes, etc.) qui admet la scission objet-sujet et qui met l'accent sur tout ce qui détermine l'homme.

Il s'appuie sur les idées de Husserl et d'Heidegger (être-au-monde). C'est la manière de ce que fait l'homme de ses déterminismes, de comment il affronte son avenir pour l'infléchir qui l'intéresse le plus22.

Il a fondé une méthode thérapeutique et Ç compréhensive È (1930), la Ç Daseinanalyse È (analyse existentielle) par laquelle il tente d'accéder à l'humain, à un sens des modes de son existence concrète, sensible.

Il était surtout en recherche de sens à partir de l'expérience psychiatrique plus particulièrement des psychoses. Il a proposé une compréhension de la sphère existentiale et inexistentiale en lien à l'espace en psychopathologie.

Lors d'expérience psychotique (crise), Binswanger ne recherchait pas la cause de la crise mais désirait que le patient puisse ouvrir concrètement les événements de son vécu.

Il insistait ainsi sur une qualité de présence du médecin et son ouverture à tous les éléments d'une communication authentique (les expressions du visage, les gestes, etc.) avec le patient23

Il ne désirait pas que les expériences de maladies ne reste nt que des objets, des causes. Il ne voulait pas que le médecin ait une démarche tournée vers l'explication (l'individu devient l'expliqué) des comportements et des événements psychiques et ne s'attaque qu'aux manifestations somatiques, organiques, fonctionnelles, en bref aux symptTMmes. Il ne voulait pas poser des diagnostics. C'est la personne qui donne à voir des symptTMmes.

En fait pour Binswanger, c'est la personne (et ses éprouvés) qui donne sens aux mécanismes qui lui arrive et non le contraire.

Binswanger envisageait le patient comme une personne vivante cherchant une signification de son existence.

Il voulait comprendre ce que ce dernier donnait à voir, à dévoiler, à léguer et à entendre au médecin (l'être-ensemble). Le médecin prend ainsi part avec Ç l'exploration analytique en allant au-devant de la rencontre sur le mode de la sollicitude, c'est-à-dire en laissant venir à lui l'existence psychotique »24 pour permettre une ouverture de l'existence, Ç à laisser advenir un sens nouveau à ce qui est déjà advenu, à l'ayant-été (des Gewesenseins) È25. C'est l'idée de croissance, de développement, de potentialité qui est mise en avant.

21 Binswanger L., 1998, "Le problème de l'espace en psychopathologie", Toulouse: Presse Universitaire du Mirail. Preface et traduction de Caroline Gros-Azorin et Chapitre 2, "L'espace thymique", p. 81.

22 Marc, E., 1987, Processus de changement en thérapie, Retz, p. 107.

23 Ibid., Marc, p. 107

24 Binswanger L., 1998, "Le problème de l'espace en psychopathologie", Toulouse: Presse Universitaire du Mirail. Preface et traduction de Caroline Gros-Azorin et Chapitre 2, p. 14

25 Ibid., Binswanger, p. 15

Binswanger préférait être dans l'empathie (valeur qui nous tient particulièrement à cÏur en tant que travailleuses sociales) plutôt que l'interprétation pour préserver la liberté de la personne.

La personne, lors de la thérapie existentielle, affronte ses conflits intérieurs et éprouve avec l'aide du professionnel l'accroissement de sa conscience d'elle-même. Elle se voit reconnue dans son être et dans ses possibilités. Petit-à-petit, l'individu peut se montrer comme libre et autonome en devenant ce qu'il est et en favorisant son futur parcours de vie. Il est ainsi face à ses émotions et peut ressentir lui-même les forces créatrices dispositions .26

qu'il a , ou, s'apercevoir de ses

nuisibles

Il est clair que lors des entretiens effectués, nous ne nous sommes pas prétendues des thérapeutes mais plutôt en recherche d'une meilleure qualité d'écoute en nous impliquant en tant que travailleuses sociales et en existant dans une expérience de partage avec le détenu et le monde carcéral.

Pour Binswanger la spatialité est un espace en tant que forme déterminée de l'être - a u-mo nd e et qui permet de saisir les différents chemins ou les possibilités du vécu. Pour nous, cela se rapporte évidemment aux vécus possibles des détenus. Binswanger pense que la spatialité permet de comprendre l'essence d'un trouble sans pour autant en expliquer forcément sa source.

Certains considèrent que lorsqu'il y a des maladies touchant le cerveau ou le psychisme, le rapport-au-monde devient restrictif.

Nous pensons que le fait d'être restreint dans sa liberté peut également réduire le rapport au monde.

Binswanger (1998) suppose que les pathologies cérébrales ou psychiques sont des modes palliatifs visant à sauveg arder l'intégrité, l'intériorité de ce rapport-au-monde de la personne. Binswanger a voulu éclairer Ç des nouvelles modalités d'existence È des patients. Il en va de même pour des détenus, nous voulions écouter s'ils avaient des nouvelles modalités d'existence par rapport à leur affectivité à même leur milieu carcéral.

Il énonce dans divers ouvrages études 27

et que les variations d'appréhension de

l'espace propre correspondent aux différentes formes de l'être-affecté (gestimmtheit, traduit par le terme de disposition thymique).

Binswanger considérait que les pathologies psychiques mettent en péril le besoin de sécurité et de défense par rapport au besoin de s'affirmer, de sortir de soi, d'entrer en relation avec autrui.

En effet, pour lui, ce ne sont pas les aptitudes qui sont déficientes mais plutôt l'insuccès à remplir le travail qui échoit à tout être humain qui consiste à entretenir l'équilibre entre des directions de sens opposées28.

Comme, par exemple, lorsqu'une personne est dans une expérience psychotique, le médecin lui rappelle parfois de vivre dans la réalité et malgré ses aptitudes, le patient n'arrive pas à se dégager et continue à vivre son expérience psychotique ou autre.

26Leroy-Viemon B. & Mascato F. (2008) Le problème de l'espace thymique en psychologie du sport. L'espace thymique comme foyer du lienÇsoi-monde-autrui. Article récupéré le 22.01.2012. http://www.erudit.org/revue/fili/2008/v17/n2/019427ar.html?vue=resume

27 Divers livres entre autres; Ludwig Binswanger, Drei Formen Missglückten Daseins, T·bingen Verlag, 1956, BINSWANGER Ludwig, WARBURG Aby, 2007, La guérison infinie, trad. M. Renouard et M. Rueff, Paris, Payot & Rivages

28 Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de la Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de temps, n° 20, 2008, p. 45 -55. Temps et espace dans la psychose selon Henri Maldiney. Récupéré le 2.03.2012. http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm

Ou notamment une personne mélancolique qui voit le monde qui ne s'ouvre plus comme une vaste étendue mais comme un espace vide. Il n'y a plus la limite de l'horizon. Et parallélement, la personne mélancolique se sent oppressée, lourde.

Par rapport à notre mémoire, nous pouvons nous poser la question si les personnes privées de liberté mettent leur besoin de sécurité en danger? Ont-elles de la peine à s'affirmer, de sortir d'elles-mêmes, etc. ? Comment s'impliquent-elles, se mettent- e lles en mouvement dans la relation avec les autres?

Peuvent-elles nous raconter des moments oü elles se sentent converger dans plusieurs directions?

Pour Binswanger, il existe une relation entre l'espace, la tonalité affective et le corps.29

Le mouvement est au cÏur de l'existence avant même que cette derniére soit comprise. Le corps et l'existence s'articulent ensemble tacitement. Le corps est partie prenante des projets de l'existence. Les personnes peuvent ainsi se percevoir comme des sujets engagés dans un projet existentiel.

Le corps peut se faire voir de facon voyante ou à l'inverse se retirer Ç sans bruit È en somatisant en accentuant par exemple un sentiment de frustration, des insomnies, ou sous forme d'hallucinations, de psychose, etc. Ç C'est-à-dire habiter un Ç là È qui s'est rétrécit à une proximité intrusive et obnubilante È30. Vu par Maldiney (1991) Ç ne plus habiter car habiter c'est s'ouvrir à soi-même un monde »31 cela aura un impact sur l'espace thymique, le partage affectif. La spatialité répond donc à des exigences propres. La disposition thymique sert à orienter ses investissements et fait partie des dynamique du lien à autrui.

Il est une sorte d'espace primitif qui recrée le sentiment Çd'exister avec autrui È. Ce n'est pas une localisation mais une appréhension du monde trés originaire.

C'est une maniére autre d'être au monde plus intérieure, plus sensible, éveillée aux autres et à soi. Un mode de contact de l'espace ou une sorte de guide de la conduite du comportement.

Pour Gros-Azorin, cet espace est percu comme un espace chargé de qualités: léger, transparent, en haut des cimes, courant comme l'eau vive, ou son inverse, un espace obscur, rocailleux, encombré, d'en bas, de boue, figé comme la pierre, comme le cristal26 qui détermine notre vivre ensemble.

En effet, parfois le sentiment d'exister avec autrui peut se Ç disloquer È avec des comportements de retrait sur soi ou d'agressivité relationnelle, etc.

Le langage permet de faire émerger notre foyer natal en ÇhabillantÈ notre vécu (Erlebnis), comme, par exemple, lorsque nous disons avoir été frappés par la foudre ou être tombés des nues, ce qui désignerait notre état général aprés un événement. L'humain semble avoir une expérience vécue à partir de sa qualité thymique comme lorsque nous utilisons des expressions comme : d'y aller parce que le cÏur lui en dit ou de se garder d'y aller car le cÏur n'y est pas. Qui n'a pas vécu une expé rience en se sentant le cÏur gonflé d'espoir ou le cÏur vidé, brisé, livré au désespoir.

29 Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de la Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Temps et espace dans la psychose selon Henri Maldiney. Récupéré le 2.03.2012. http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm

30 Binswanger L., 1998, "Le problème de l'espace en psychopathologie ", Toulouse: Presse Universitaire du Mirail. Préface et traduction de Caroline Gros-Azorin et Chapitre 2. p. 27

31 Dastur F. cite Maldiney ÇPenser lÕhomme et la folie È p : 269

Pour en revenir aux personnes privées de liberté, en les rencontrant, nous les avons écoutées pour saisir par quels moyens elles favorisaient leur évolution ou non de leur espace thymique dans leur existence carcérale.

Regardons maintenant plus particulièrement les expériences qui peuvent produire du sens, de l'inattendu, de la surprise: le pathique, dans la perspective phénoménologique.

Nous avons fait des recherches sur le mot pathique et nous avons constaté qu'il est utilisé par nos penseurs, chercheurs, médecins, psychiatres. Ce sont les thèmes de la vie, la mort, la crise, la sécurité, le danger, la douleur, la souffrance, et la maladie qui sont le plus souvent étudiés.

Ainsi, la plupart du temps, nous pouvons remplacer le terme d'homme malade par l'homme captif dans un moment signalé comme critique que la détention peut créer et ainsi étendre notre questionnement et notre recherche à tous types de relations qui existent en prison. Nous voyons que le concept de pathique peut aussi sortir du champ médical.

4.4. Viktor Von Weizsäcker

Commencons par le neurologue Von Weizsäcker qui a critiqué la pensée causaliste

ème

du 17 ème et du 18 siècle. Pour lui, certaines dimensions fondamentales de

l'humain et du sens n'étaient pas prises en considération.

Von Weizsäcker et Schotte 32, en tant que médecins, voulaient Ç situer l'homme malade dans la mise à l'épreuve qui est la vie »33 et comprendre, clarifier la relation du médecin avec son patient comme nous l'avons vu avec Binswanger.

Von Weizsäcker s'est inspiré du néokantisme, du freudisme et de la phénoménologie

34

de Max Scheler pour pouvoir distinguer la rencontre de la relation .

Pour lui, Ç(...) la rencontre implique une dualité des partenaires, objectivés et séparés alors que la Ç rencontre È se situe au niveau d'un entre -deux, à partir duquel se différencieront les pTMles d'un dialogue. Von Weizsäcker définit donc la relation comme objectivation et réification (...). »35

Ainsi il pense que d'une part lors d'échanges les personnes s'appuient sur des catégories de connaissances spécifiques comme les interactions, l'espace, la causalité, etc. et, d'autre part, sur une improvisation dynamique.

Von Weizsäcker désigne la mise à l'épreuve, Çl'éprouvéÈ : le pathique engendre la souffrance, l'endurance, le subir et la passion et ce n'est pas seulement un processus biologique. Dans son livre Ç Le Cercle de la structure È, il voit le vivant comme un être perpétuellement en crise, inlassablement mis en demeure de se

32Schotte, a dirigé plusieurs séminaires sur les concepts de Von Weizsäcker: de 1969 - 1970, intitulés <<questions de psychologie différentielle Ð se mouvoir et sentir: le cycle de la forme du fonctionnement vivant>> ainsi que celui de 1984 Ð 1985 intitulé <<une pensée du clinique, l'oeuvre de V. von Weizsäcker >>).

33Ledoux, M., Récupéré le 10 mars 2009 de, http://home.scarlet.be/cep/CAHIERS/Une%20rencontre%20Schotte%20VvWeizsaecker.pdf

34Bernier P., LÕanthropologie du pathique Récupéré le 11.07.2010 de

http://www.cahiers-ed.org/ftp/cahiers9/C9bernier.pdf

35 Ibid. Bernier P.

modifier ou de se détruire et pour lequel la santé est toujours à chaque moment à conquérir et à reconquérir36

De ce fait, il est important d'aborder le Ç sentir È et le Ç mouvoir È dans le vivant. Venons-en maintenant au mot pathique, du grec pathos, qui exprime les verbes ressentir, éprouver, souffrir, subir, endurer, pâtir. C'est Ç l'exister È de l'homme.

Von Weizsäcker a été le premier à utiliser la théorie du pathique (le pentagramme pathique). Pour lui Çon n'est pas mais on peut, (permission ou capacité), on veut ou on doit (obligation morale ou nécessité psychologique)È.

De la sorte, c'est de Ç l'ordre du subir et du personne l. La personne n'existe que dans la personnalisation de la passion exprimée dans les cinq verbes modaux des catégories pathiques : oser (d·rfen), vouloir (wollen), devoir (contrainte et éthique, m·ssen et sollen), pouvoir (können) È37.

Ce sont des verbes dynamiques qui se rapportent à l'action par rapport au présent. Ainsi le pathique est pour Von Weizsäcker personnel et non ontique, objectif ou représentatif. C'est l'homme qui fait mouvoir l'espace et le temps mais pas l'homme qui évolue dans un espace et un temps donné (1958).

Pour encore plus sur terme lu Oury 38

nous éclairer de

le avons

pathique, nous Jean

qui s'appuie sur la pensée de Von Weizsäcker.

Pour lui, afin d'être dans le pathique, il faut Çêtre-là È, nous rejoignons le Dasein d'Heidegger. C'est de l'ordre des sentiments, de la rencontre. Quand il existe un moment pathique, il s'exprime par des verbes pathiques qui comprennent toujours un mouvement.

Oury écrit qu'en francais il n'y a que trois verbes de mouvement vouloir, devoir, pouvoir. Ces verbes confèrent la qualité même de l'échange affectif. Le verbe knnen (pouvoir) en allemand est également traduit par être-capable de cela nous renvoie au pouvoir-être.

En ce qui concerne Schotte, le verbe dürfen signifie oser, se permettre de. Un verbe important lorsque nous avons un échange avec quelqu'un.

En résumé, même si ces concepts sortent la plupart du temps du champ de la santé, de la psychiatrie et de la psychologie, il semble que la manière de voir de Von Weizsäcker permet au personnel pénitencier et à nous, d'aborder les personnes vivant en détention sur leur mode d'existence et non pas de voir qu'une pathologie ou un problème dont il faut rechercher la cause, le pourquoi d'un acte délictueux par exemple.

Nous pouvons également concevoir que dans un moment d'échange affectif en
prison notamment, cela relève de la capacité d'être-là et d'oser se permettre d'être-

36 Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de la Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Temps et espace dans la psychose selon Henri Maldiney. Récupéré le 2.03.2012 de http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm

37 Ledoux, M., Récupéré le 10 mars 2009 de, http://home.scarlet.be/cep/CAHIERS/Une%20rencontre%20Schotte%20VvWeizsaecker.pdf

38 Médecin-chef de la clinique la Borde, théoricien principal du courant psychothérapeutique Oury J. Les enjeux du sensible. N° 40, automne 2000. Récupéré le 10 mars 2009, de http://ouvrir.le.cinema.free.fr/pages/reperes/constel/pathique.html

là-dans-le-moment-présent. Ces verbes relatent un mode d'existence : la situation du vivant, la maniere d'exister avec et dans le monde.

Ainsi afin de poursuivre notre compréhension du vécu des détenus lors de moments affectifs, nous voulons comprendre ce que Straus a voulu transmettre en plus des autres penseurs cités plus haut. Il critique notamment le réflexe conditionné de Pavlov et la vision dualiste de Descartes (division corps-esprit).

4.5. Erwin Straus

Straus était un neuropsychiatre allemand, établi aux USA suite aux persécutions nazies.

La psychologie clinique et théorique a évolué gr%oce à ses travaux qui ont été repris par de nombreux auteurs.

Straus se réfere aux concepts de Husserl et Heidegger et s'appuie sur les mêmes arguments que Von Weizscker au sujet du pathique. Dans son livre39 « Du sens des sens » il pose les fondements d'une psychologie phénoménologique. Il s'agit d'une psychologie du mouvement, d'une théorie de la subjectivité qui s'origine dans le sentir.

Sentir et se mouvoir sont pour lui des modes d'être originaires40. Le sentir est la réalité et qui a la fonction d'assurer la continuité de la réalité, de la métaboliser.41 Nous savons que pour lui, certaines réactions du penser et du sentir sont difficiles à transmettre aux autres. « Le pathique est une communication immédiatement présente intuitive, sensible, encore pré conceptuelle avec le monde »42.

Nous passons avec Straus du concept du pathique (Weizscker) à la dimension pathique. L'éprouvé de Weizscker est pour lui un synonyme partiel du sentir. Straus attribue le sentir au vivant et le percevoir à l'existant.

Il analyse ainsi la psychologie de l'être humain et fait une différence entre ce que l'on pergoit et ce que l'on sent. Il veut saisir le sentir. Pour lui : « L'expérience sensorielle n'est pas une connaissance »43 (Straus 1935 p. 17).

Le sentir est, pour Straus, un moment pathique, c'est-à-dire fait de réceptions et de participations au monde alors que la perception est un instant qui nous fait sentir les objets. E. Straus explique le moment pathique comme la communication directe avec les choses. Il a travaillé sur le sujet des perceptions. Il privilégie l'expérience qui est à différencier du percevoir et du conna»tre.

Pour lui, l'organisme vivant en devenir est sujet du sentir, il veut plutôt décrire l'expérience du sentir et l'ouverture de l'individu aux phénomenes. Pour nous, il s'agit des détenus qui doivent s'élargir au phénomene de la privation de liberté.

Straus veut conceptualiser un organisme vivant qu'il nomme organisme expressif. Il a donc travaillé sur la perception mais également sur les expressions.

39Straus, E., Vom Sinn der Sinne (publie à Berlin en 1935, titre frangais : Du sens des sens, edite chez Million en 2000)

40ESCOU BAS E., De la creation Penser lÕart et la folie avec Henri Maldiney (essai sur le « pathique », le « pathologique » et le « pathetique »). Recupere le 9.04.2012 de http://culture.univ -lille1.fr/fileadmin/lna/lna59/lna59p06.pdf

41.Leroy-Viemon B. & Mascato F. Le problème de lÕespace thymique en psychologie du sport. L'espace thymique comme foyer du lien « soi- monde-autrui. Recupere 19.01.2012, de http://www.erudit.org/revue/fili/2008/v17/n2/019427ar.html?vue=resume

42Bernier P., LÕanthropologie du pathique Recupere le 11.07.2010 de http://www.cahiers-ed.org/ftp/cahiers9/C9bernier.pdf

43Pegny G., Presentation des reflexions de Erwin Straus sur la spatialite dans Les formes du spatial et dans Du sens des sens. Recupere le 30.03.2012 de http://uparis10.academia.edu/Ga%C3%ABtanP%C3%A9gny/Papers/654614/LaspatialiteselonErwinStraus

Il écrit à ce sujet: « Le sentir est au conna»tre ce que le cri est au mot »44.

Le percevoir renvoie au mot, le sentir au cri. Le mot est déjà une notion, comme une ouverture d'un monde. Quand un mot est prononcé, c'est une maniere de s'ouvrir et de s'annoncer de fagon personnelle.

Du sentir au percevoir s'ouvre un monde. Dans le percevoir, il y a une signification
subtile, alors que dans le sentir (le cri) il y a une direction de sens qui se répercute

45

vers la spatialité qui indique un e appréhension de l'ordre du sensible.

Ainsi, Straus pense aussi que la dimension pathique peut etre appréhendée par le mouvement (dansé). Il passe ainsi dans le rapport à la danse de l'espace propre (Binswanger) à l'espace étranger par assimilation, expansion et illimitation46.

Le mouvement orienté est doué de significations comme, par exemple, le mouvement d'évitement chez les animaux.

Le sentir est le propre du vivant, nous pouvons vivre sans penser à notre existence mais pas sans ressentir les choses. Pour lui, la vie, le sentir, sont les seules choses qui nous font avancer et vivre.

La dimension pathique permet de réaliser une rencontre réelle entre les sujets47, une ouverture au monde et à l'etre.

Lors de l'apparition d'un évenement, c'est là o0 nous sommes suspendus, c'est ensuite que nous apposons un sens. La surprise permet l'apparition du mode personnel, car nous sommes ouverts à notre possibilité d'y etre ; et c'est en posant une signification que nous devenons cet étant-là, et qu'un monde nous appara»t.48

Il s'intéresse au rapport que le corps entretient à d'autres espaces que l'espace orienté, à savoir « l'espace présentiel homogene, libre de différences de direction »49.

Par exemple, l'espace spécifique du danseur signifie ampleur, hauteur, profondeur du mouvement. Ce mouvement déploie le temps et fabrique un horizon qui se déplace par lui (Straus 1992)50.

Ce mouvement crée un monde pour soi, un monde ouvert à l'accueil de la réalité et à l'altérité. Pour Straus, ce mouvement n'est pas une action musculaire mais est « intérieure ». Le sentir équivaut à son monde propre de mise en rythme de fragments, de formes discontinues dans la continuité existentielle et qui se forment dans la rencontre homme-monde (nommé par Heidegger, 1941, Stimmung, en frangais : « atmosphere », « humeur » et sentiment d'existence).

Le rythme est ainsi surgissement.

Ce qui nous amene à Maldiney qui pense que les structures spatiales et temporelles
structurent le « comment » de l'existence. « (...) Elles lui donnent un style, un rythme

44 Maldiney H, Penser l'homme et la folie«, Straus, E., « Vom Sinn der Sinne » p. 372 Recupere le 11.11.2009 de http://books.google.ch/books?id=iYywFRKzD0kC&pg=PA148&lpg=PA148&dq=Le+percevoir+est+au+sentir+ce+que+le+cri+est+au+mot &source=bl&ots=tJ5KDXtgJ&sig=J4Ye7k4KV14TwxcTwL97SO7yslM&hl=fr&sa=X&ei=WXGGT9XbIITrObWZlNcI&sqi=2&ved=0C CwQ6AEwAg#v=onepage&q=Le%20percevoir%20est%20au%20sentir%20ce%20que%20le%20cri%20est%20au%20mot&f=false

45Groupe de lecture Maldiney. Carcassonne (2009) La dimension du contact au regard du vivant et de l'existant (De l'esthetique sensible à l'esthetique artistique) Compte-rendu n°8. Recupere le 23.06.2009.de http://gestalt.nuxit.net/Gestalt/spip.php?article87

46Binswanger, L., "Leprobleme de l'espace en psychopathologie", Toulouse: Presse Universitaire du Mirail. 1998, p. 28

47Bernier (2006) « La dimension pathique dans la prevention de la violence » Recupere le 30 mars 2012 de http://spirale-edu- revue . fr/IMG/pdf/ 1 3 Bernier Spirale 3 7 .pdf

48Bernier P., L'anthropologie du pathique Recupere le 11.07.2010 de http://www.cahiers-ed.org/ftp/cahiers9/C9bernier.pdf

49Leroy-Viemon B. & Mascato F. (2008) Article Le probleme de l'espace thymique en psychologie du sport. L'espace thymique comme foyer du lien « soi-monde-autrui. Recupere le 22.01.2012 de http://www.erudit.org/revue/fili/2008/v17/n2/019427ar.html?vue=resume 50Ibid., Leroy-Viemon B. et Mascato F.

et une direction de sens à chaque fois différent (...) »51. La mise en place des formes discontinues s'harmonisent en se mettant en rythme. Ce qui constitue pour lui le « style présentiel » d'une personne.

4.6. Henri Maldiney

Maldiney était professeur de philosophie et d'esthétique à l'université de Lyon. Il a contribué au cours du XXème siècle à la phénoménologie de l'art. Il a porté plus particulièrement ses recherches sur l'esthétique sensible (faire sentir) et artistique. Maldiney est parti de la notion d'existence d'Heidegger puis a porté sa réflexion sur la psychopathologie en se basant sur les concepts de Binswanger et en reprenant des notions clés de Straus.

Maldiney a pris le problème de l'homme psychiquement malade en le conciliant avec le point de vue esthétique. Il ne veut pas faire de différenciation normative ou théorique, entre le normal et le pathologique.

Pour en revenir à Binswanger, il existe selon lui des directions de sens indiquées par les reves. Ce sont des pistes qui structurent l'etre-au-monde, l'etre-avec-l'autre et l'etre-avec-soi.

Maldiney reprend l'idée pour étayer une phénoménologie de l'analyse de l'existence humaine en prise avec la maladie. Pour nous il s'agit plus des personnes confrontées à l'absence de liberté, ce qui marque une rupture dans la vie quotidienne.

Maldiney s'attèle à comprendre les différentes formes de directions de sens qui peuvent apparaitre dans l'existence et qui montrent pour lui, le « etre-à » ou Dasein. Ces directions de sens sont plutTMt pour Maldiney un indice du comment, du style des choses et ne regarde pas le contenu, le quoi des choses.52

Ce serait un phénomène non thématique comme la St immung (Maldiney parle de présence) d'Heidegger et le « climat pathique » de Straus qui est exprimé de facon instantanée «comme par exemple l'ascension, qui peut exprimer la joie, la tristesse, la chute » (1990).

Ainsi le pathique pour Maldiney serait le registre de l'éprouvé et du sentir, registre fondamental de l'existence, la "forme première du subir"53. Ainsi « l'espace et le temps sont des dimensions anticipatives de toute chose à para»tre »54.

Maldiney considère les directions de sens comme une mouvance de l'existence.
L'existence est toujours une expérience, une sorte de « traversée périlleuse »55. Les
directions de sens ne sont pas marquées dans un temps et un espace construit

51 Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de la Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Temps et espace dans la psychose selon Henri Maldiney. Récupéré le 2.03.2012 de http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm

52 Pittet, M (en cours). Enquête sur le rythme et lÕimplication dans les pratiques dÕaccompagnement psychosociale Ð Implication rythmique dans le partage intersubjectif dÕexpériences affectives et emergence dÕun savoir comme objet de formation en travail social, Geneve : HESSO , Haute école de travail social.

53Maldiney « Penser lÕhomme et la folie È

54Maldiney, H., (1973) Regard, parole, espace, Lausanne, L'Age d'homme p. 96 repris par Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de la Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Temps et espace dans la psychose selon Henri Maldiney. Récupéré le 2.03.2012 de. http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm

55Cambier, A. Professeur de Philosophie en Kh%ogne (Douai). Récupéré le 15.09.2009 de http://culture.univ-lille1.fr/fileadmin/lna/lna34.pdf

auparavant ou préconcus par l'extérieur. Le vécu de chaque personne se créé au fur et à mesure à la fois dans l'ouverture et dans la rupture.

< Le monde s'ouvre à chaque fois à partir de l'événement È et non pas l'existant qui se produit dans un monde déjà construit et indépendant de nous-mêmes.

56

Il s'est donc attelé à penser l'év ènement de l'appara»tre du phénom ène (Bernier) . Maldiney se retrouve ainsi dans l'accueillir dans < l'Ouvert È, le < Réel È.

Le réel est définit par Maldiney par ce que nous n'attendions pas et qui fait surgir quelque chose de nouveau.

La crise est pour lui une rupture d'existence et fait surgir l'inattendu qui peut contrarier et bouleverser les attentes.

Ç(É) Cet évènement se produit dans un saut qui va engendrer de la subjectivité, ou pas. Car Maldiney ne cache pas le risque et le danger inhérent à la rencontre, dont l'effondrement È.57

ou la violence (...)

Pour Maldiney, ce sont les émotions qui nous ramènent au < Réel È. Il reprend la dimension pathique de Straus qui <correspond à notre capacité affective à accueillir l'événement, c'est-à-dire ce qui arrive tout à coup et fait voir autrement le monde È58. Elle peut montrer le moment d'une rencontre irréductible et touchante. L'émotion nous prend au dépourvu puisqu'elle se produit de manière imprévue. < Elle nous marque par une confrontation à l'inattendu, à l'inanticipable È52. Quand nous sommes sur le coup de l'émotion, nos convictions établies < fondent comme neige au soleil et les repères rassurants de l'existence se È.59

dérobent.

Pour nous faire comprendre la rupture, Maldiney utilise comme exemple les Ïuvres d'art. Avant la contemplation d'une Ïuvre d'art, elle n'était pas, puis surgit l'étonnement, la surprise dans un partage pathique qui impose à l'homme une dépossession de la centration de lui. Il y a une invention de quelque chose d'autre au contact d'un autre, quelque chose du partage qui va imposer une nouvelle position dans le monde.

< C'est l'événement qui exige après coup d'être intégré dans une nouvelle configuration de possibles et non pas nous qui décidons librement de changer la tournure du monde. »60

Pour en revenir aux détenus, nous nous demandons si certains d'entre eux ont fait l'expérience de la perte du monde comme une personne vivant avec une psychose ? C'est-à-dire la rupture de l'enchainement ordinaire de l'expérience.

56Bernier P., LÕanthropologie du pathique, Récupéré le 11.07.2010 de http://www.cahiers -ed.org/ftp/cahiers9/C9bernier.pdf

57Bernier (2006) ÇLa dimension pathique dans la prevention de la violenceÈ Récupéré le 30 mars 2012 de http://spirale-edu- revue . fr/IMG/pdf/1 3 B ernier Spirale 3 7 .pdf

58Cambier, A. Professeur de Philosophie en Khâgne (Douai). Récupéré le 15.09.2009 de http://culture.univ-lille1.fr/fileadmin/lna/lna34.pdf 59Ibid. Cambier A.

60Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de la Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Temps et espace dans la psychose selon Henri Maldiney. Récupéré le 2.03.2012 de. http://af.b ibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm

4.7. L'expérience pathique en situation de privation de liberté

Quand l'homme se sent en liberté et en bonne santé il en oublie son corps, il se repose sur lui jusqu'à l'oublier et peut donc se vouer à son environnement.

Ainsi, le réel se fait conna»tre au sujet, sur un mode affectif, il existe un événement de surprise acceptable ou déplaisant.

Lors d'une entrée en prison, il peut apparaitre que l'existence se modifie.

Un choc peut survenir et le quotidien peut changer. Le corps se manifeste, il existe des sensations inconnues. En prison par exemple, il faut être capable de vivre dans un milieu fermé, et peut-être oser se permettre de nouvelles expériences.

L'homme apprend au départ de son corps, c'est avec celui-ci qu'il agit, qu'il pense, qu'il communique.

Nous pouvons constater comme les auteurs61 Marco Vannotti et Michéle Gennart que la prison peut produire une singuliére division, voir une dissociation entre Ç nous-mêmes È et la partie de notre corps qui nous fait souffrir.

L'absence de liberté peut provoquer sur le sujet une expérience pathique en étant Ç retourné sur une partie de son corps È62, d'y être peut-être à la fois enchainé sans pouvoir s'en soustraire, s'en détacher. En même temps, les sujets peuvent considérer la partie du corps qui fait souffrir, ou frustre comme un organisme étranger.

Puisque les personnes sont livrées à elles-mêmes et se concentrent sur leur corps : un corps qui la plupart du temps les trouble, les embarrasse, dont ils sont ainsi obligés de s'inquiéter et peut-être les empêche de créer des relations. Quelques individus peuvent de la sorte se reporter sur l'affectivité, la sexualité comme cela pourrait être entre autres dans le sport, les études, une soif de connaissance, l'écriture.

Des lors, nous nous posons la question : est-ce que l'absence de liberté agit sur les relations à l'intérieur d'un milieu fermé?

Les détenus ont leur univers modifié. Cela ne se ressent pas seulement à l'intérieur de leur corps mais cela peut être oppressant corporellement, interférant ou rompant d'autres possibilités de réalisations donc limiter leur conception, perception.

Ainsi, les themes de l'affectivité et de la sexualité peuvent accaparer les espaces intersubjectifs, voire tout l'espace personnel. L'attention, les comportements et les échanges entre le détenu, les codétenus et le personnel peuvent être focalisés sur ces sujets, devenir trés lancinants63 et faire vivre de nombreux phénoménes tels que la frustration, la colére, la violence, etc.

61Marco Vannotti, Michèle Gennart La phénoménologie : son intérét dans une conception systémique de l'homme malade Récupéré le 09.09.2009 de http://www.cerfasy.ch/coursphenom.php

62 Ibid. Marco Vannotti, Michèle Gennart

63Leroy-Viemon B. & Mascato F. (2008) Article Le problème de l'espace thymique en psychologie du sport. L'espace thymique comme foyer du lien Çsoi-monde-autrui. Récupéré le 22.01.2012 de http://www.erudit.org/revue/fili/2008/v17/n2/019427ar.html?vue=resume

5. Chapitre V: Les phénomènes vécus en prison

Marc et Picard (2008) citent << que l'existence de liens (amoureux ou amicaux) est généralement ressentie comme une des conditions essentielles du bonheur >64.

Pour reprendre le phénomène de la dictature du << on > d'Heidegger (page 28 paragraphe 2): << on > doit avoir du bonheur, comme << l'on > doit avoir du bonheur. De prime abord, lorsqu'il est prononcé : échanges affectifs en prison dans un univers avec une majorité d'hommes, d'autres phénomènes peuvent venir à l'esprit que le bonheur.

Lorsque nous évoquons le mot détention, nous pouvons observer de la souffrance, de la solitude, de la frustration, de la colère plutôt que du bonheur. Cet environnement ne semble pas ouvrir l'espace pour le contact, la tendresse, des échange verbaux du sensible même s'il existe des possibilités d'échanger avec des professionnels comme l'assistant(e) social(e), le, la psychologue, les surveillant(e)s. Ainsi, en tant que travailleuses sociales, nous avons choisi et constaté plus particulièrement sept phénomènes. Le contact, la solitude, la souffrance, la frustration, la colère, la violence, et la solidarité . Ils sont les phénomènes les plus souvent cités, tels qu'ils nous ont été livrés, vécus et vus par les personnes que nous avons rencontrées pendant les entretiens que nous avons effectués. Les détenus ont été en quelque sorte à l'écoute d'eux-mêmes.

Nous avons fait le choix de mettre le phénomène du contact en premier, car, c'est tout de même, le thème de notre travail de bachelor. Puis, nous avons articulé les phénomènes entre eux sans ordre spécifique, car cela dépend de l'espace thymique de chacun. C'est le sensible de la personne interrogée qui est apparu et livré.

5.1. Contact

Lors d'une entrée en prison les détenus peuvent vivre des contacts différents que ceux avec des proches de l'extérieur. Les personnes privées de liberté sont parfois confrontées à des changements de sens par rapport aux échanges, aux relations. Une définition du dictionnaire mentionne le contact qui s'établit lorsque deux corps se touchent ou qui sont à proximité.

Nous nous apercevons que cette définition prend en compte seulement l'espace géométrique.

La deuxième définition que nous avons pu trouver explique que << toute espèce de relation, de fréquentation entre personnes est connoté par la préposition <<avec > qui marque le commerce, la communication, la rencontre >65. C'est être dans le << Réel È avec le monde.

64 Marc, E., Picard, D., & Fischer, G.-N. (2008). Relations et communications interpersonnelles. Chapitre : fondement liens affectifs DUNOD, 2 ème édition

65 Penser l'homme et la folie, Maldiney (2007) p. 137 Récupéré le 22 mars 2012 de http://books.google.fr/books?id=iYywFRKzD0kC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false

Comme notre travail de bachelor touche un univers à majorité d'hommes, nous pouvons ainsi nous questionner au sujet de ces deux définitions. Est-ce plutôt la première ou la deuxième qui correspond à notre recherche?

Le toucher entre hommes pourrait apparaitre comme difficilement concevable et peut, peut-être, créer une solitude lors de privation de liberté.

5.2. Solitude

Pour mieux saisir le terme de solitude, nous retenons l'explication d' Isabelle Delisle66 : << La solitude est un phénomène du vécu qui échappe à l'observation et au contrôle. Elle est de l'ordre du sensible. C'est un état d'âme ressenti sur un mode émotionnel. Ce sentiment peut être douloureux et angoissant pour la personne qui l'éprouve. >. C'est une épreuve en soi.

Cependant, la personne peut également choisir de vivre dans la solitude en n'ayant pas de sentiment douloureux.

La solitude se vit ainsi de facon unique pour chaque sujet. Effectivement, comme nous sommes des êtres distinctifs, nous sommes seuls à ressentir au fond de nous une souffrance , une joie. Personne d'autre ne peut ressentir un événement de la même manière, nous rejoignons ainsi l'espace thymique de Binswanger.

Lors de détention, du moins à l'arrivée en prison, éprouver un sentiment de solitude peut être vécu comme de l'exclusion. Nous retrouvons la dictature du <<on > de Heidegger. << On > se sent exclu, comme <<on > se sent exclu. Donc, certains prisonniers peuvent avoir ce sentiment comme ils ont ce sentiment.

Souvent à l'extérieur, << on > va tout faire pour éviter d'être mis à l'écart, pour être comme tout le monde.

Pour finir, la solitude n'est pas forcément un isolement. Plusieurs auteurs ont fait la différence entre un état d'isolement et le sentiment de solitude . L'état d'isolement correspond à la solitude qui se voit. La personne est seule, n'a pas de visite, d'amis, de proches.

Le sentiment de solitude est vécu et ne se voit pas, il appartient à l'espace intérieur donc personnel de chacun.

Un état d'isolement n'engendre pas nécessairement un sentiment de solitude. Celui- ci peut na»tre chez des personnes parfaitement bien entourées.

Ainsi, en prison, lorsque les détenus sont mis en cellule d'isolement, le but est en effet, qu'ils se retrouvent seuls de par leur acte quel qu'il soit. Certains cependant n'auront pas nécessairement un sentiment de solitude.

Maintenant que nous avons mieux défini le phénomène de la solitude, nous allons développer les notions de souffrance et de frustration qui sont décrites et vues par Gennart (2006) comme une douleur chronique.

66 Professeur en gérontologie et en thanatologie, Université du Québec à Hull. Récupéré le 24 mars 2012 de http://www.acsm-ca.qc.ca/virage/personne-agee/reflexions-solitude.html

5.3. Souffrance

La souffrance est une expérience sensorielle et émotionnelle encore plus importante que la manifestation d'un mal-être. La souffrance peut être vécue d'émotions qui peuvent varier d'un sujet à l'autre et qui peut créer des états anxieux, d'extrême tristesse. Et elle semble stopper le cours de l'existence.

Des sensations internes peuvent être éprouvées, ressenties comme une douleur, le cÏur qui fait Ç mal È ou avoir la sensation d'avoir une boule dans le ventre.

Comme le dit Longneaux Ç (...) On est tout entier ramassé sans la moindre possibilité d'une prise de recul: on est soi-même l'instant de souffrance et rien d'autre. Nos habitudes, nos rôles, nos projets, notre histoire, même notre souci pour les autres, tout cela qui remplissait une vie, tout cela qui était Ç nous È n'est plus rien. (...). Il n'y a plus que l'instant d'une éternité insupportable. È.67 .

C'est en fait un rapport primordial que le corps fait conjointement avec l'expérience du monde et de soi-même et le pouvoir de s'éprouver.

Cela peut être décrit comme une souffrance affective de la rencontre avec le Ç Réel È où il y a une rupture avec l'action. Ce mouvement nous enlève à notre Ç vi e-d a ns -le monde È, à nos buts et aux autres.

La souffrance relève ce que nous sommes réellement, Ç elle nous met à nu et montre ce qui demeure de nous quand nous sommes plus que nous È68. Souvent, nous nous astreignons à ne pas souffrir, cela Ç ne doit-pas-être È.

Pourtant, c'est aussi un point de départ qui permet un temps de redéploiement, d'extension malgr é que nous songeons que tout est cassé. Nous pensons que nous revenons à la vie alors que nous ne l'avons jamais abandonnée et que nous ne sommes jamais seuls car nous vivons avec les autres de telle manière qu'ils sont une part de nous-mêmes. L'expérience de la souffrance fait éclater

la toile des

relations que nous pouvons vivre avec les autres.

Ce qui nous amène à nous poser les questions suivantes: Les détenus qui ont une souffrance se dirigent-ils peut-être vers un professionnel? Là, en l'occurrence, vont- ils vers le psychologue ou l'assistant(e) social(e), ou même le directeur, les surveillants de la prison pour être éventuellement aidés, soignés, compris, apaisés ? Oü n'en parlent-ils qu'entre eux pour ne pas encore avoir affaire au personnel pénitencier? Oü gardent-ils tout pour eux?

Ainsi, du côté des professionnels, il appara»t comme essentiel qu'il y ait une implication. L'implication est vue comme un mouvement vers l'autre, un partage émotionnel qui favorise la rencontre avec l'autre et qui ouvre à la possibilité de le comprendre sans mettre en avant des diagnostics médicaux ou psychologiques que nous pouvons considérer dans ce travail de mémoire comme une sorte de Ç rationalisation È de l'être humain.69

Nous rejoignons de nouveau ici Maldiney (1973) qui dit que s'impliquer c'est être dans le pli, dans le rythme de l'autre.

67Longneaux. (2007) La souffrance comme exemple d'une phénoménologie de la subjectivité. Collection du Cirp. Récupéré le 13.01.2012 http://www.cirp.uqam.ca/documents%20pdf/Collection%20vol.%202/6%20Longneaux.pdf. Longneaux docteur en philosophie à Namur, Belgique.

68Ibid., Longneaux

69Pittet, M (en cours). Enquête sur le rythme et l'implication dans les pratiques d'accompagnement psychosociale - Implication rythmique dans le partage intersubjectif d'expériences affectives et émergence d'un savoir comme objet de formation en travail social, Genève : HES-SO, Haute école de travail social.

Dans tous les cas, lors de la sortie de prison des détenus, il appara»t qu' il est presque irréalisable de renouer avec sa vie d'avant. Est-ce la situation des personnes que nous avons rencontrées?

Nous allons aborder la frustration qui semble un phénomène moins important que la souffrance mais qui <<appara»t È également comme une douleur (Gennart, 2006) dans le récit des détenus.

5.4. Frustration

Dans ce travail, nous n'envisageons pas la frustration comme une pulsion absolument nécessaire à combler comme théorisé dans l'approche psychanalytique,

(2005) 70

mais plutôt comme le décrit Chartrand St-Louis : <<Généralement, nous

avons en vue certaines fins personnelles et nous aimons à nous considérer comme le <<centre de l'expérience È (à ne pas confondre avec l'égo
·sme), mais notre manière d'être présent au monde n'épouse pas forcément ces fins ni cette vision personnelle. Soit, elle ne nous centre pas suffisamment sur nous-mêmes, soit elle nous centre trop sur nous-mêmes È.

Dans un cas comme dans l'autre, cette situation engendre un déséquilibre et un mécontentement. << Lorsque notre présence au monde ne correspond pas à ce que nous envisageons ou à ce que nous idéalisons comme mode d'<< être au monde, nous nous sentons trahis et nous ne sommes plus prêts à accueillir les expériences qui s'offrent à nous. Il en résulte des refus et des résistances qui nourrissent la frustration È71.

La frustration est confrontée à la réalité et à l'espace

thymique de Binswanger

comme espace intérieur personnel.

<< La personne frustrée se refuse à admettre que vivre ne se réduit pas à sa seule disposition à vouloir et à agir È72, ce qui peut engendrer de la colère, etc.

La colère est considérée comme une émotion qui permet de s'exprimer contre entre autres l'injustice, l'indignation. Souvent, elle découle par exemple d'une frustration, d'une souffrance. Elle peut être parfois incontrôlable.

5.5. Colère

Cependant, au départ, la colère permet de préparer le corps au mouvement, à la réaction. Des changements physiologiques peuvent se faire sentir. Les battements du cÏur peuvent augmenter pour concentrer le sang vers les organes dit vitaux. La respiration s'accélère. Le ton de la parole se hausse, etc. La colère augmente le besoin d'agir.

Ainsi, la colère peut être saine, elle permet de se mettre en action. Elle permet d'affirmer sa personne et de maintenir son intégrité physique ou psychique. Elle sert aussi à l'affirmation d'une volonté personnelle.

70Chartrand, S-L., (2005), Récupéré le 14.01.2012 de http://albertportail.info/spip.php?article209 71Ibid. Chartrand, S.-L.

72Ibid. Chartrand S.-L.

Parfois, les personnes qui ont enduré un « mal » sont en colere et réagissent en rendant « les coups » en faisant dix fois pire.

C'est la réprobation de la colere qui peut parasiter la relation à soi-même et aux autres. Elle peut confiner les personnes dans des états de non-dits.

De cette maniere, celui qui est en colere peut souffrir de cet état. Ainsi, nous en revenons à la notion de souffrance, de frustration et nous pouvons comprendre en explicitant ces phénomenes vécus en prison qu'ils sont étroitement liés, imbriqués.

De plus, la notion de colere peut également nous renvoyer au besoin de justice qui est aussi une des valeurs mise en avant par les personnes que nous avons « interviewées». Nous aimons reprendre la constatation de Lytta Basset73 : « l'injustice est un des mobiles de la colere et "une personne en colere est une personne qui n'a pas renoncé à la justice »74.

En effet, en prison le besoin de justice est tres présent puisque les détenus ont à faire à elle tous les jours avec les juges, l'application des lois, la venue

des avocats, etc. Comme nous le verrons plus loin, les détenus sont souvent mécontents du traitement infligé par le monde pénal.

Lorsque la colere « gronde », il n'existe parfois pour certaines personnes pas d'autres solutions pour s'exprimer que d'être violent.

La violence peut être exercée, verbalement, physiquement, psychologiquement ou sexuellement. Elle est ainsi souvent opposée à une application contrôlée, légitimée et tempérée de la force.

5.6. Violence

C'est un ensemble de comportements, de paroles ou de gestes agressif s (entre autres casser des objets, des coups), brusques et répétés à l'intérieur d'une relation visant à imposer comme par exemple, un pouvoir, un point de vue, à blesser, à contrôler, à dominer les gestes, les comportements , les émotions des personnes se trouvant en face et qui peut aller jusqu'à détruire leur humanité.

De nos jours, tout le monde peut être touché par la violence. Au premier abord, la violence semble prendre un caractere routinier à l'intérieur de la prison. Comme il y a une rupture avec la vie quotidienne, il semble que le danger que la violence se produise soit plus grand. Les détenus ont l'air de vivre dans la crainte.

Commengons par la violence physique qui atteint l'intégrité physique des personnes. Elle est souvent visible car les coups donnés entra»nent des blessures, des traumatismes qui apparaissent sur le corps.

En même temps, lorsque nous sommes frappés et attaqués, cela peut également produire beaucoup de réactions différentes comme la rébellion, la résistance, des désirs de vengeance mais aussi de la frustration, de la souffrance, de l'impuissance, de l'abattement.

73L. Basset, formation en theologie, a eu nombre d'experiences douloureuses notamment la perte d'un fils. 74Recupere le 15 mars 2012 de

http://books.google.ch/books?id=dveTBKxOgdAC&pg=PA55&lpg=PA55&dq=carole+rongier+lytta+basset&source=bl&ots=IgonNfU- e 1 &sig=txIdYqhWLN2OgkgbIZzK-

Wxw4OM&hl=fr&sa=X&ei=PHWKT7OOCvTP4QTq78TMCQ&ved=0CCAQ6AEwAA#v=onepage&q&f=false

En ce qui concerne la violence verbale, elle peut se traduire par des insultes, des cris, des remarques désobligeantes, des menaces, un ton tranchant, une maniére de s'adresser à l'autre, etc. qui est souvent trés destructive car elle peut ronger petit à petit l'estime personnelle, l'image de soi.

Les personnes victimes de violence verbale peuvent parmi de nombreux exemples, se sentir blessées, avoir peur, se sentir oppressées, perdre la raison, se sentir usées.

C'est une forme de violence qui peut être distillée de maniére subtile. Il est parfois souvent difficile de la << voir >, de s'en protéger, de s'en défendre.

De plus, il est délicat de se mettre d'accord sur une définition de la violence verbale car selon les expériences personnelles des uns et des autres, le sensible de chacun est trés différent. <<On > se sent insulté, agressé etc. alors que la personne en face nullement. Par exemple, quelqu'un venant d'une famille oü << on > hurle beaucoup va se sentir moins agressé si << on > lui crie dessus que quelqu'un venant d'une famille ou les conflits ne pouvaient pas être discutés ouvertement75.

Nous rejoignons de nouveau l'espace thymique de Binswanger. Chacun a son espace thymique et va éprouver de facons différentes les expériences vécues en prison.

Tous ces phénoménes, cités plus haut, sont des moyens d'agir sur le monde pour transformer entre autres des souffrances, des frustrations.

D'un point de vue phénoménologique, la violence peut être concue comme une
rencontre ratée ou le pathique semble écrasé. Cela devient un moment qui est doté

76

souvent d'angoisses, de frustrations dans l' imprévu et la soudaineté . Bernier prTMne le respect pour que le pathique ne soit pas maltraité et qu'une rencontre soit réussie, en mettant de la disponibilité, de la vigilance et de la ténacité.

Pour clarifier la notion de respect, il est important de préciser qu'il est associé à l'estime et à l'égard de soi-même ainsi que des autres, à la considération, la politesse, qui sont données souvent aux valeurs, aux régles, etc.

Cela peut se traduire parfois avec des gestes simples de la vie quotidienne comme servir à l'autre un verre d'eau avant soi-même, ne pas mettre la télévision trop fortement, utiliser un langage respectueux.

Pour finir ce chapitre, nous allons aborder la solidarité. Ce theme a été souvent relaté lors des entretiens. La solidarité peut être vécue de facon différente selon chaque détenu. Lorsque nous entendons ce mot, il ne sonne pas de la même maniére que les six autres explicités avant. Il donne une note optimiste afin de vivre une rencontre plus favorable.

75Zeilinger, I., La violence verbale, première des violences : comment y réagir? Conférence pour les Equipes d'Entraide HTMtel de Ville de Bruxelles, 24 novembre 2003. Récupéré le 27 février 2012 http://www.garance.be/docs/031124violenceverbale.pdf

76Bernier (2006) ÇLa dimension pathique dans la prévention de la violenceÈ Récupéré le 30 mars 2012 de http://spirale-edu- revue. fr/IMG/pdf/ 1 3 Bernier Spirale 3 7 .pdf

5.7. Solidarité

Lorsque nous prononcons le terme solidarité, nous entendons en premier lieu la notion d'aide, de soutien envers l'autre. Ce qui engage aussi parfois la notion de réciprocité.

Phénoménologiquement parlant, le mot solidarité semble impliquer une dimension qui va au-delà d'un environnement proche comme la famille, les amis, les démunis nous entourant.

La solidarité appara»t comme planétaire, elle n'est pas seulement un acte de charité, d'aide, de soutien, de secours lors d'événements inhabituels. Elle ne se passe pas dans un espace orienté.

Nous n'avons pas le pouvoir de décision sur elle, elle s'applique d'elle-même à tout être humain. Elle engage un rapport irréductible à soi, aux autres, au monde.

Pour finir, il est intéressant de constater que ce corpus théorique nous a aiguillées sur plusieurs facettes de la rencontre, de l'échange.

Premièrement, en tant que travailleuses sociales, les réflexions phénoménologiques nous ont aidées à mieux accueillir les histoires de vie des détenus.

Cela nous confirme de plus, qu'il est important de pouvoir s'impliquer personnellement et professionnellement sans rationnaliser la souffrance de l'autre et le juger.

Puis, nous avons été éclairées et nous avons vu plusieurs pistes lorsqu'il y a des rencontres, des relations qui se produisent en prison aussi bien du côté des codétenus qui vivent ensemble ou des détenus et du personnel pénitencier.

Pour finir, les phénomènes que nous avons décrits sont-ils des phénomènes premiers originaires c'est-à-dire qu'ils apparaissent d'eux-mêmes, en personne comme le mentionne Longneaux? Nous n'avons pas la réponse.

Passons maintenant à la partie analyse qui nous a permis d'écouter et retranscrire ce que les détenus ont eu à nous Ç dévoiler È de leur mode existentiel en prison.

Et en voyant si notre hypothèse de départ se vérifie: Nous nous sommes intéressées à comprendre ce que les expériences affectives des détenus en milieu carcéral ouvrent pour eux, par rapport à eux -même s, aux autres et au monde.

Nous supposons que les détenus sont des acteurs impliqués dans des rencontres avec d'autres qui produisent des expériences affectiv es voire sexuelles.

La privation de liberté n'entra»ne pas une absence de besoin d'affectivité.

Partie 3 : Analyse

6. Chapitre VI: Présentation des personnes rencontrées

Pour réaliser les entretiens, comme écrit précédemment, nous avons pu contacter un directeur de foyer en semi-liberté.

Un jour par semaine, les résidents et le directeur font un repas en commun et débattent sur des themes divers.

Le directeur a présenté notre démarche aux résidents pour voir s'ils étaient d'accord d'entrer en matiére. Le sujet que nous leur proposions a suscité un vif débat.

La semaine suivante, nous avons été invitées à leur repas.

Le directeur a fait en sorte que nous puissions nous présenter, comprendre et décrire notre démarche.

Il a demandé également aux résidents, s'ils nous trouvaient trop curieuses.

Pour animer le repas, il s'est également appuyé sur certaines de nos questions et chacun de nous a pu exprimer quelques idées sur l'affectivité et la sexualité.

Pour finir, le directeur a demandé confirmation aux résidents s'ils étaient toujours d'accord de nous rencontrer pour un entretien individuel.

Nous avons profité de ce moment pour signer les documents d'informations et engagement de confidentialité ainsi que notre engagement éthique réciproque.

Pour respecter la confidentialité, chaque personne s'est trouvé un prénom, un surnom fictif de son choix. Une personne a opté pour son surnom juste avant l'enregistrement de l'entretien.

Nous avons envoyé plusieurs dates par courrier électronique. Puis les résidents, nous ont téléphoné pour prendre rendez-vous. Ils ont choisi un jour qui leur convenait.

Finalement, nous avons effectué quatre entretiens.

Pour ce travail, nous avons fait le choix de faire un résumé de situation de chaque personne ainsi que des courts instants de leur vécu.

Woody a la cinquantaine. Il vit actuellement en semi-liberté. Il a été marié et a des enfants. Il ne mentionne pas la durée de la peine qu'il a effectuée sans liberté, mais il estime qu'il a été trés longtemps en prison. Il ne dit pas non plus l'acte répréhensible qu'il a commis.

Lors des visites, c'est surtout ses parents et son frére qui sont venus. En prison, il se dit réconcilié avec Dieu.

Il ne peut pas comprendre qu'il existe des relations affectives ou sexuelles entre hommes. Il trouve cela choquant, mais il ne condamne pas les personnes qui vivent une relation homosexuelle.

Il est un fervent défenseur des parloirs intimes pas seulement pour les personnes qui sont mariées ou qui ont des compagnes, mais également pour les personnes qui n'ont pas de relation stable à l'extérieur. Il pense que cela diminuerait la violence interne que chacun peut éprouver lorsqu'on est enfermé.

A l'heure actuelle, il voit de temps en temps mais réguliérement une femme.

Charles a plus de trente-cinq ans, il vit en semi-liberté. Il a une femme et des enfants.

Il ne parle pas de la raison de son incarcération. La détention lui a permis de faire des choix quant à la conduite qu'il souhaitait adopter lors de sa sortie.

Charles fait une différence entre l'affectivité et la sexualité.

La visite de ses proches et de ses enfants lui suffisait pour avoir des moments affectifs, rien que de toucher les cheveux de ses enfants, par exemple, lui procurait de la joie.

Se tenir à côté d'un homme pour lui, n'est absolument pas la même chose que la proximité d'une femme, les émotions éprouvées sont totalement différentes.

Il a demandé de vivre seul dans une cellule.

Aujourd'hui, dit-il : Ç l'incarcération m'a permis d'apprendre à rester fidèle È.

Doe est %ogé de plus de vingt ans. Il vit en semi-liberté. On peut deviner que trés jeune, il a été condamné à la prison. Il dit de lui-même: Ç en rentrant j'étais un jeune con, en sortant j'avais muri È. Lors de son entrée, il était célibataire.

Il s'est, le plus souvent, arrangé pour rester seul soit pour manger etc. malgré le fait qu'ils étaient quatre dans une même cellule. Il n'a jamais fait la demande de vivre seul, malgré qu'il ne veuille pas trop se mêler aux autres détenus.

Il a, par exemple, donné des cigarettes à d'autres prisonniers plus pour Ç avoir la paix È.

Les seuls échanges affectifs importants pour lui, il les vivait lorsque sa famille (parents, sÏur) venait lui rendre visite.

Aujourd'hui, il a une copine.

Raphael a la quarantaine. Il vit en semi-liberté. Il parle librement de son délit et de son parcours de détenu. Il mentionne également les prisons oü il a purgé sa peine.

Lorsqu'il est rentré en prison, il était considéré comme un homme fort par les autres détenus.

Lors de sa première incarcération, il avait une amie. Au départ, elle lui rendait régulièrement visite, puis elle a pu dire à Raphael qu'elle avait une relation avec un autre homme. Raphael était bien conscient qu'il ne pouvait pas lui demander de l'attendre.

Il aime séduire et il ne peut pas concevoir un échange affectif par le toucher, comme des massages ou autre, avec un autre homme.

Les échanges entre hommes pour lui sont virils, une tape sur l'épaule suffit pour montrer qu'il apprécie l'autre.

Les moments de fous rires lorsqu'il travaillait à l'atelier ont été extrêmement importants pour lui.

Aujourd'hui, il garde une certaine méfiance pour aborder ses instants d'incarcération avec les femmes qu'il rencontre.

7. Chapitre VII: Questions générales (suivi du fil rouge) Question 1 : Qu'auriez-vous envie de nous dire de vous?

Ainsi, pour la première question, nous leur avons laissé le soin d'exprimer ce qu'ils avaient envie de nous présenter d'eux. Les quatre ont demandé à être aiguillés, ils voulaient savoir si nous voulions des données précises ou ce qui était bien pour notre travail.

Nous leur avons donc cité par exemple l'%oge puis ils ont pu débuter chacun à leur manière.

Nous avons eu de la chance, car, nous avons pu interroger des personnes entre 20 et plus de 50 ans, ce qui nous a donné un aperçu d'histoires de vie riches en expériences diverses dans les prisons.

Ces personnes ont décrit leur situation familiale. Il y a une personne mariée, une divorcée, deux célibataires qui ont à peu près vingt ans d'écart. Deux d'entre elles ont des enfants.

Les quatre personnes ont passé plus d'une année en prison. Une personne nous a dit exactement le nombre d'années.

Nous ne désirions pas conna»tre le temps exact, notre seul souhait était de savoir sic'était plus d'une année. En effet, lors de détention préventive, les détenus doivent

être seuls vingt-trois-heures sur vingt-quatre-heures et ont droit à une heure de promenade par jour. Au bout d'une année de détention, le régime change, les détenus peuvent plus facilement se côtoyer.

Nous nous en doutions au moment du repas pris en commun , mais comme nous ne voulions pas être intrusives nous ne leur avions pas posé la question à ce momentlà.

Ainsi, toutes les personnes ont fait de la préventive pendant une année , voire plus, oü elles étaient enfermées vingt-trois heures sur vingt-quatre avec une heure de promenade par jour et une fois par semaine le droit de pratiquer du sport pour certaines.

Une seule personne a parlé spontanément de son délit. Encore une fois, notre
recherche ne se basait pas sur leurs actes et nous ne voulions pas conna»tre leurs

méfaits, elles ont été libres d'en parler ou pas puisque l'un de nos principaux objectifs était centré sur l'écoute des vécus, des expériences concernant l'affectivité.

De la sorte, à la fin du questionnaire, nous leur avons demandé comment elles avaient vécu l'entretien. Toutes nous ont répondu qu'elles étaient étonnées que nous ne leur demandions pas de parler de leurs actes, ceci fut trés agréable pour elles.

En effet, lorsqu'elles entrent en prison, quasiment tous les jours, elles doivent se justifier et y travailler notamment avec la psychologue. Et même par la suite , lors de leurs sorties.

Question 2: Quels souvenirs gardez-vous de votre arrivée ou des premiers moments vécus en prison?

Pour la deuxiéme question, nous désirions écouter leurs premiers instants, qui à nos yeux, devaient déjà décrire certains moments pathiques importants.

Woody avec une longue description, a surtout parlé de tout le monde qui regarde, des barreaux partout, des portes métalliques fermées à clé, des portes qui claquent ainsi que le bruit des clés qui vous poursuit encore longtemps aprés la détention.

De plus, Woody dit : Ç (...) alors ca a été le premier choc en arrivant et en voyant toutes ces cages d'escaliers avec toutes ces portes, tous ces trucs. J'ai fondu en larmes, j'étais cassé (...) c'était l'horreur. È. Ce qui nous permet d'entrevoir déjà la suite des expériences vécues avec émotions.

En effet, Woody par la suite insiste sur le fait qu'il a été choqué à de nombreuses reprises.

Quant à Charles, il parle essentiellement de la peur de l'inconnu. Il raconte qu'il se sentait perdu.

Comme Woody, il est choqué par toutes ces portes de sécurité et le nombre impressionnant de gardiens présents.

Dans un premier temps, Charles reste concis quant à la description de ses émotions lors de son arrivée en détention.

Pour Doe, la réalisation de son entrée en prison, s'est effectué le lendemain de son arrivée. Une fois qu'il s'est réveillé. En effet, il dit: Ç (...) quand je me suis réveillé, avec tous les matons qui ouvrent la cellule pour aller faire la promenade à 7h00 alors que ca caille. Ouais, c'est le lendemain matin que oU j'ai vraiment tilté... Le jour même, pas vraiment tilté. C'est le lendemain matin, au réveil, qu'on réalise oU on est È.

Pour Doe, il lui a été également difficile de parler de ses émotions mais aprés quelques questions de relance de notre part, il précise également que le bruit des portes et des clés ainsi que le bruit qui régne dans la prison l'ont marqué. Puis, il précise comme Woody et Charles: Ç (...) on ne fait pas un metre sans être surveillé (...) È.

Selon Raphael pour sa première entrée en prison, il ne décrit pas ses premiers instants, il raconte que c'était supportable car il est arrivé avec plusieurs amis, Ç (...) on était soudé (...) È. Il savait que sa copine du moment le soutenait.

De plus, il précise que le fait de ne pas savoir la durée de la peine lui a permis de garder espoir de sortir rapidement.

Par contre, lors d'autres incarcérations, il était seul et là il dit: Ç (...) c'est différent (...) È.

En effet, à la deuxiéme incarcération il se définit comme Ç parano È. Il précise qu'il s'est isolé par peur d'un complot contre lui. Il dit : Ç (...) j'étais vraiment mal (...), j'allais me promener sur le toit de la maison d'arrêt, ouais là, j'étais vraiment pas bien. C'était tout à fait différent, ouais, ouais. È.

Ainsi, Raphael reste trés factuel quant à sa première arrivée en détention.

En résumé, trois personnes ont plutôt décrit des moments d'expérience sensible et des lieux sensibles.

De cette question, nous constatons que l'arrivée en prison à l'air des plus difficiles. La peur de l'inconnu, tout le monde regarde, les gardiens qui surveillent. Les portes sont toutes fermées à clé et elles claquent. L'univers semble froid.

Certaines expriment des émotions fortes comme le fait d'être Ç cassées È.

En ce qui concerne Raphael, il raconte des le début de l'entretien, plus particuliérement l'expérience de sa deuxiéme détention, celle oü son espace thymique appara»t le plus.

En effet, ce témoignage, illustre, le concept de Binswanger ou l'on voit que c'est la personne qui donne un sens aux mécanismes qui lui arrivent. Pour rappel Binswanger (1998) pense que les pathologies cérébrales ou psychiques sont des modes palliatifs visant à sauvegarder l'intégrité, l'intériorité de ce rapport-au-monde de la personne.

Raphael nous a expliqué son espace thymique du moment. Il est mal, il va se promener sur les toits de la prison.

Son espace thymique, lors de sa deuxiéme détention, a orienté son investissement à Ç habiter È son corps. Les personnes vivant avec une psychose ont souvent des descriptions de leurs expériences en les Ç habillantÈ avec des mots qui illustrent les hauts et les bas vécus. Raphael décrit un comportement de retrait sur lui. Le fait de grimper sur les toits et peut-être d'en tomber témoigne de la part de Raphael une chute envisageable à ce moment-là.

Question 3: Quelles idées des relations entre les gens aviez-vous avant votre détention?

A travers cette question, nous désirions percevoir si des sentiments de peur, d'angoisse, de curiosité etc. avaient été éprouvés dü à une entrée en prison.

Woody, ne s'est pas posé de questions sur les relations humaines, il avait d'autres soucis et répond: Ç (...) Il faut vraiment y être pour y croire. Parce que depuis l'extérieur on n'a pas idée de ce qui se passe là-bas, jamais È. De plus, des les premiers jours, il s'est rendu compte: Ç (...) qu'on nous coupe de toute relation, de tout contact, de toute affectivité (...) È.

Quant à Charles, il répond non, cependant il fait un lien avec l'extérieur. Il précise qu'il n'aurait pas abordé certaines personnes dehors alors que dans la prison cela change tout, car selon ses dires, elles sont Ç dans le même bateau È.

Doe pensait surtout aux relations de violence Ç (...) Les mecs entre nous quand on est enfermé avec tout ce qu'on peut pas faire ou tout ce qu'on doit faire, on se doit de montrer une certaine force entre guillemets. Donc, ouais, relations de violence...un peu conflictuelles. Et ca c'est pas totalement montré faux (...) È.

Il a cité notamment quelques bagarres.

Raphael a vu quelques films américains qu'il trouvait violents mais comme c'était un milieu qui ne l'intéressait pas, il dit qu'il n'y avait jamais pensé.

Malgré notre approche théorique et notre envie de bien faire, la construction de notre question s'avére au premier abord mal formulée et naïve . Les personnes interrogées semblent dans l'incapacité de raconter ce qu'elles n'ont jamais rencontré. Elles disent que c'est seulement en prison qu'elles se sont rendu compte de l'ambiance réelle.

En même temps dans leur récit, nous rejoignons le Réel de Maldiney qui le définit, nous le rappelons, par ce que nous n'attendions pas.

Woody, par ses dires, illustre le concept de Maldiney en disant qu'il faut vraiment être à l'intérieur de la prison pour croire ce qui leur arrive.

Charles pensait ne jamais parler à certaines personnes ce qu'il a pourtant fait.

Quant à Doe, il s'attendait à devoir être fort et cela ne s'est pas relevé totalement faux.

Question 4: Pourriez-vous nous décrire une journée type et quels sont les moments de rencontre importants pour vous?

Pour la suite, nous souhaitions les phases clés des rencontres de leur vie quotidienne, qu'ils nous décrivent les espaces de rencontres plutôt géométriques tout en es pérant qu'ils allaient dans leurs dires illustrer d'autres espaces.

Une journée type est décrite par un réveil trés matinal: petit-déjeuner, atelier, repas, atelier, repas et aller se coucher. Les espaces de rencontres sont les mêmes pour tous. Parfois, ces moments peuvent être ponctués par des rencontres avec le, la psychologue, l'assistant(e) social(e). Les détenus peuvent faire du sport, ont plus de moments de promenade et libres (moments inexistants en préventive).

Woody a dit qu'il a eu de la chance d'être seul dans une cellule (il est important de repréciser que les cellules au départ sont prévues pour un nombre déterminé de détenus mais vu la surpopulation carcérale, ils finissent par être une à deux personnes de plus que prévu initialement).

Il a beaucoup apprécié le travail. A de nombreuses reprises dans ses diverses réponses, Woody décrit avec précision sa difficulté d'entrer en contact.

Nous reprendrons également dès la page 67, la notion d'être seul dans une cellule dans le résumé de tous les phénoménes que Woody a vécu en prison car cela semble être un bienfait pour Woody de vivre sans codétenu mais est-ce vraiment le cas ?

Quant à Charles, dans un premier temps, il est passé par une cellule ou il vivait à deux puis dans un deuxiéme temps dans une cellule oü ils étaient cinq. Puis, Charles a demandé à être seul.

Pourtant, il aime les moments de repas car ce sont des instants ou ils peuvent jouer aux cartes, parler, s'entraider.

Là, également pour Charles, nous écrirons quelques lignes sur la notion de vivre seul.

Doe a toujours vécu dans une cellule ou ils étaient plusieurs. Il n'a jamais demandé de changement malgré le besoin par moment de se retrouver seul. Il n'a jamais rien entrepris même s'il aimait être au calme.

D'ailleurs il raconte: Ç (...) les relations avec les autres détenus, honnétement, j'm'en fous, j'avais pas l'intention, c'était pas des potes, j'avais pas l'intention de revoir les gens apres, c'était juste des gens avec qui je devais vivre le temps que j'étais là et basta (...) È.

Il précise également que les moments importants pour lui sont les instants de parloir avec sa famille.

Raphael, la première fois, était seul dans la cellule puis il a été jusqu'à cinq pairs. Lorsqu'il a vraiment été mal, il vivait seul. Lors de sa derniére détention il a demandé à vivre avec un américain comme cela il pouvait apprendre la langue.

Pour lui, il n'y a pas eu de moments importants de rencontre. C'était surtout dü aux personnes présentes lors de ses incarcérations. En effet, il narre: Ç Cela dépendait, avec qui, quoi. a dépend de la relation, des fois il y a une bonne relation, on était tout content d'aller à la promenade pour le retrouver. (...) È.

Pour nous, lorsqu'il nous dit avoir fait une demande pour pouvoir vivre avec un américain, nous y identifions l'espace pathique de Straus.

Il s'est retrouvé comme imagé par Straus, dans un paysage oü l'horizon s'est déplacé avec lui. Il a favorisé son ouverture et c'est la surprise de pouvoir apprendre l'anglais en prison gr%oce à un autre détenu.

Question 5: Pourriez-vous nous décrire une expérience d'échanges affectifs lors de l'un de ces moments?

Woody décrit un trés beau souvenir. Comme les cellules étaient ouvertes, tous les lundis, il pouvait rencontrer un de ses pairs qui était trés croyant. Cela lui a permis de Ç tenir È.

Charles parle d'une personne extraordinaire, cette derniére avait un probléme psychiatrique et Charles trouvait fabuleux qu'elle puisse le reconna»tre et que quand elle n'était pas bien, les détenus la laissaient tranquille.

Charles, ayant l'obligation de suivre une thérapie, précise que ses moments passés avec la psychologue ont été bénéfiques et lui ont permis une évolution positive.

Quant à Doe, comme pour la question précédente et les suivantes, il en revient fréquemment sur le fait que c'est sa famille qui prime dans les échanges affectifs. Il ne souhaite pas s'investir dans des relations à l'intérieur du milieu pénitencier.

Lors de sa première incarcération, Raphael a vécu des moments affectifs car il y avait la présence de ses amis.

Sa deuxième privation de liberté ne lui permettait pas de créer des liens vu sa situation psychique.

Comme mentionné avant, lors de sa troisième détention, Raphael a demandé à vivre avec un américain ce qui lui a permis d'apprendre l'anglais. De notre point de vue, il s'agit d'un moment pathique vécu par Raphael comme mentionné à la question précédente.

Nous constatons que les expériences sont variées. Elles peuvent se situer aussi bien au niveau des codétenus que des professionnels.

Les détenus ne citent pas forcément que ce sont des relations affectives. Cependant, à nos yeux, c'est déjà une ébauche de la vie affective même si les quatre insistent depuis le début que c'est la rencontre avec des proches qui permet une relation affective.

Dans cette question, la notion de Ç tenir È appara»t, la plupart de temps, avec des mots différents. Les personnes rencontrées n'envisagent pas la prison comme un lieu positif, sauf Charles lorsqu'il décrit l'opportunité qu'il a eu pour changer en ayant l'obligation de suivre un suivi thérapeutique.

Question 6 : Comment en êtes-vous arrivés à créer des liens en prison, était-ce: o de votre initiative?

o des autres?

Concernant Woody, nous ne lui avons pas posé la question proprement dite. Cependant durant l'entretien, malgré qu'il se décrive comme une personne au contact facile, il nous spécifie qu'il est rare pour lui de rencontrer des personnes avec lesquelles il peut créer des liens : Ç (...) c'est trés, trés limité (...) È. En fait, il nous explique qu'il a été limité notamment au niveau de la langue car pour lui, lorsqu'il était en prison peu de personnes parlaient francais en disant : Ç (...) ca été une difficulté majeure je dirais. (...) È.

L'exemple que nous cite Woody par rapport au langage étaye notre corpus théorique (chapitre 4.3, page 32) où nous voyons que le langage permet de faire émerger notre foyer natal en Ç habillant È notre vécu. Effectivement si peu de détenus parlent le francais il doit être difficile d'établir des liens si personne ne se comprend.

De plus, il spécifie qu'il ne souhaitait pas forcément créer des liens avec des détenus qui souffraient de maladies psychiques.

Ce que nous pouvons également illustrer avec cette phrase de Woody: Ç (...) Aprés il y a des énormes problémes de violence, du racisme, y'a des insultes, la moindre petite étincelle, et pis ca explose, on sent, il y a une tension, c'est une poudriére, une vraie poudriére. Les gens sont à cran, toute la journée brimés par les gardiens soit par leur situation, soit par des juges, par des réponses négatives. (...) È, c'est pe ut- être une crainte de relations conflictuelles supplémentaires. En effet, pour lui il y a déjà assez de violence et d'injures vécues tous les jours.

Pour en revenir à Charles, il raconte de manière générale : « (...), parfois cÕest certains qui viennent vers toi, certains cÕest toi qui y va, je ne sais pas comment expliquer, ga ne se programme pas, ga vient comme ca. ». Il rajoute un peu plus loin : « (...) On fait attention aux autres, à soi-meme et peu à peu, il y a des liens qui se creent. (...) ».

Rappelons que Charles a fait une demande pour être seul dans une cellule comme cela il n'a pas à vivre des conflits, nous le citons : Ç (...) Parce que la prison de toute fagon, cÕest rotatif. Quand une personne arrive aujourdÕhui, on sait pas sÕil part demain ou sÕil part dans deux ans. Avec la personne cela peut se passer bien et la personne qui arrive après ga passe mal, je preferais eviter cela. Un moment jÕetais avec une personne et ga se passait tres bien et quand il est parti, la personne qui est arrivee ga a pett (...). JÕai prefere etre seul pour eviter ce problème. (...). ».

Selon Doe, les contacts se font d'eux-mêmes. Les liens se font dès le début. Il ne peut pas expliquer comme Charles qui va en premier vers l'autre. Il spécifie pourtant qu'il se dirige plutTMt vers des personnes calmes comme lui.

Charles et Doe ne peuvent ainsi pas expliquer comment les relations se créent, il semble que nous rejoignons Husserl ou il dit : Ç les sensations tout comme les actes qui les apprehendent, ou les apergoivent, sont en ce cas vecues, mais elles nÕapparaissent pas objectivement ; elles ne sont pas vues, entendues, ni pergues par un sens quelconque.».

Nous y retrouvons également Straus, puisque le pathique pour lui est une communication immédiatement présente, intuitive-sensible, encore pré conceptuelle, que nous avons avec le monde. Ce qui peut expliquer, lors de leur récit, la difficulté qu'ils ont eu à communiquer certaines de leurs impressions.

C'est également pour Heidegger l'être qui ne se montre jamais tel qu'il est. L'être, un « para»tre » qui se joue du Dasein.

Raphael raconte que , lors de sa première détention, ce sont les autres détenus qui sont venus spontanément vers lui car son acte avait été médiatisé. Il avait une aura de rebelle. Les liens se sont fait spontanément.

Nous rappelons que lors de la deuxième détention il n'y a pas eu de liens car il s'isolait de lui-même et selon ses dires il se définit comme « parano ». Il précise qu'il s'est isolé par peur d'un complot contre lui. Il dit : « (...) jÕétais vraiment mal (...), jÕallais me promener sur le toit de , ouais là, jÕétais vraiment pas bien ». Avec cette question Raphael revient à nouveau sur sa deuxième détention qui semble avoir été extrêmement difficile à vivre, o0 il semble qu'il a tout fait pour sauvegarder son intégrité, son intériorité du rapport au monde, à la prison (chapitre 4.3, page 31).

Question 7 : Comment pourriez-vous décrire ces liens.

o superficiel

o convenu ou conditionné par le milieu (servir soupe) o amicaux

o affectif

o intime

Avec cette question nous voulions que les détenus ressortent selon eux, les différents liens qui peuvent exister en prison. Nous précisons que cette question n'a pas été posée telle quelle, toujours dans l'optique que ces entretiens soient un échange.

Woody dit avoir eu quelques liens amicaux mais c'était trés rare. Pour les autres relations, il les décrit, comme un peu, artificielles. Comme par exemple lors de contact entre détenus à l'atelier, durant le sport ou la promenade.

Cependant, lors de la promenade il mentionne également que c'était à ce moment-là qu'il pouvait avec deux-trois Ç bons copains È discuter.

Il précise également qu'il a entretenu un lien fort avec un des détenus avec qui ils échangeaient au sujet de la spiritualité , en s'isolant dans l'une de leurs cellules.

Il ajoute également que lors de départs, c'est là qu'il s'est permis d'enlacer et de presque pleurer. Il dit : Ç (...) c'était trés intense comme relation. È

Il nous semble que ces moments étaient plus proches de liens affectifs qu'amicaux.

Charles mentionne une fois le mot amitié par rapport aux détenus et décrit surtout comment étaient ses liens, ils seront détaillés dans la question suivante.

Il complete qu'il a créé des liens avec l'assistante sociale et un des Ç psy È : Ç (...) Ils sont là pour faire leur travail, c'est un lien, on va pas dire de grande amitié mais quand méme d'amitié. (...) È.

Il précise que les relations affectives sont seulement avec sa famille et ses enfants.

Doe pense que les liens qu'il a vécu en prison se situaient entre le superficiel et l'amitié. Pour lui, c'était des amitiés sur le moment et une fois la détention terminée, il n'y pensait plus , ne voulait plus les revoir.

Ce qu'il décrit nous appara»t comme des amitiés éphéméres, ponctuées par le temps oü il y avait une Ç bonne entente È.

Comme Charles, il dit que les relations affectives se passent avec ses proches.

Selon, Raphael, il croit que c'était de l'amitié sincere et pas superficielle. Pour le citer : Ç (...). Il n'y a pas de petites courbettes pour se dire bonjour, ca n'existe pas, je ne crois pas. È.

Pour conclure, avec cette question, nous constatons que pour les quatre, il y a eu des liens amicaux. Tous décrivent des liens qui se créent sur le moment mais qui ne perdurent pas.

Quand à Woody, il a l'air d'avoir vécu un événement de surprise acceptable, le Ç Réel È s'est fait conna»tre sur un mode affectif. En effet, lors du récit de Woody pour cet item, sa voix faiblit, il a presque les larmes aux yeux. Woody a été le seul à nous décrire un moment pathique pour cette question. Les instants de départ semblent pour lui des moments extrêmement fort s voire douloureux, il n'aurait pas cru que ce soit à ce point-là.

Question 8 : Comment étaient ces liens?

o de confiance

o de respect

o de réciprocité (je te donne, tu me donne, je te raconte, tu me ...) o d'entraide

o de solidarité

o d'échange d'idées

o de discussions

o d'amitié

o d'amour

o sexuels

Woody a peu de liens de confiance mais il parle de réciprocité, d'entraide et de discussions. Quant aux autres liens, pour lui, ils sont superficiels sans confiance et sans respect. << Ouais, ouais. Trés difficile, trés difficile, ah ouais È. Quand il raconte ses liens avec le personnel pénitencier, il les décrit comme mitigés. S elon lui, cela dépend du surveillant. Il trouve difficile le manque de respect, même si cela n'est pas fait par tous les gardiens.

Il évoque également les insultes recues de la part de s autres détenus: <<Non, non pas de respect. Chacun pour soi, égocentrique, les insultes, la violence, le respect alors-là, ca manque terriblement, sauf avec ces deux, trois gars (...) È. Et ajoute un autre exemple: << (...) vous avez une tablée de turcs et chaque fois que vous passez à coté on vous dit: Çsale suisse de merde È (...) È.

Charles parle beaucoup de solidarité: << (...) on est tous dans le même bateau (...) È ainsi que de respect. Il dit également que même s'il y a des conflits entre deux personnes, quand il faut se soutenir, c'est la solidarité qui prime. De plus, il a eu confiance en peu de personnes pour pouvoir raconter ses problèmes mais il a eu des liens de soutien.

Ces liens lui ont permis de ne pas se sentir seul et de ne pas sortir << fou È. Les liens lui ont procuré un sentiment de sécurité.

Pour finir, il a créé un lien avec la psychologue et celle-ci lui a permis d'avancer et de changer comme écrit précédemment.

Doe parle de confiance sans rentrer dans les détails en disant: <<On peut pas avoir une confiance absolue. La confiance absolue, personnellement, moi en prison, elle existe pas. Du moment qu'on est en prison, j'veux dire, on peut pas avoir confiance en qui que ce soit. La seule personne en qui on a confiance, c'est soi-même. (...) È. Il semble que la confiance soit placée pour Doe sous le signe de la confidence et que ce n'était vraiment pas possible pour lui. Le fait de ne pas tout divulguer aux autres détenus était d'une certaine manière une forme de protection.

De temps en temps, il dit pourtant qu'il pouvait compter sur certains codétenus.

Il parle également de solidarité en termes de dépannage à un moment donné et pas entre tout le monde.

Pour lui, comme déjà écrit précédemment, il avait des liens par obligation, il voulait seulement exécuter sa peine sans investissement.

De plus, Doe parle plus de savoir-vivre que de respect. << (...) C'est juste une question de, ouais, c'est même pas une question de respect, c'est du savoir-vivre. (...) È.

Ces réponses seront reprises plus loin dans le développement de notre mémoire afin de mettre en avant les phénoménes qui sont le plus présents lorsque nous évoquons le sensible.

Il est à noter que pour la majorité des personnes interrogées, la confiance est traduite par le dévoilement de son intimit é aux autres détenus.

Nous constatons que tous, dans leur récit, se sont attachés à ne pas se confier, ou un peu, sur leur vie personnelle aux autres détenus. En effet, la plupart du temps ce sont des liens amicaux certes, mais qui sont ponctués dans le temps par la détention et cela n'a pas l'air de favoriser l'échange sur l'histoire de vie vécue à l'extérieur.

Nous pouvons également remarquer que l'idée de respect revient à de nombreuses reprises dans leurs témoignages. Comme nous l'avons écrit dans notre corpus théorique (chapitre 5.6, page 45), elle est associée à l'estime et à l'égard de soi- mê m e, ainsi que des autres , elle est associée à la considération, à la politesse.

Cela peut se traduire avec des gestes simples de la vie quotidienne comme servir à l'autre un verre d'eau avant soi-même, ne pas mettre la télévision trop fortement, etc. Ce qui est intéressant de remarquer c'est que le respect est associé au savoir-vivre comme l'a fait Doe. La demande de savoir-vivre envers lui et les autres nous permet de faire le lien avec la notion

de l'écrasement du pathique que décrit Bernier dans son article sur le pathique de la violence77. En effet, si le respect existe, les actes qui peuvent apparaitre comme violents sont moindres.

Avec l'expérience de Woody, il appara»t clairement que cette notion (l'écrasement du pathique) peut également s'appliquer à lui.

Question 9 : Qu'auriez-vous envie de nous en dire?

Nous n'avons jamais posée cette question de facon équivalente car pendant les entretiens, les personnes, ont largement décrit le comment elles vivaient les liens en prison au point précédent.

Ce qui veut dire que lorsque nous avons construit cette grille d'entretien, nous présupposions qu'elles allaient nous répondre succinctement à la question 8 ce qu'elles n'ont pas fait.

Question 10: Lors des rencontres qui ont compté pour vous, comment le contact s'est-il créé?

En fait, cette question, reprend la question 6, à ceci prés que la question 6 était destinée pour l'arrivée en prison alors que celle-ci était prévue lors de la durée de la détention.

De plus, dans leur récit, ils racontent plus des liens qui perdurent à l'extérieur. Cependant, les personnes ont, des le départ des entretiens, développés largement leurs réponses. La création du lien, les contacts ont pu aussi être expliqués dans d'autres items.

Encore une fois, nous avons certainement eu peur qu'elles restent concises dans
leurs témoignages. Cela faisait sürement partie d'un a priori de notre part puisque

77 http://www.cahiers-ed.org/ftp/cahiers9/C9_bernier.pdf

notre sujet de mémoire a été défini, dès le commencement du module TB1, comme difficile à aborder.

Question 11 : Lorsqu'il existe un moment d'échange des émotions apparaissent, qu'est-ce qu'elles ont permis :

De vous sentir :

o mieux

o paisible

o reconnu

o moins seul

o compris

o triste

o plus isolé

o avoir envie d'avoir un projet de vie

Cette question, nous l'avons posé telle quelle durant les deux premiers entretiens. Pour les deux derniers, nous l'avons adapté avec des questions de relance afin d'obtenir plus précisément les différentes émotions qui peuvent appara»tre. En effet, nous nous sommes apergues que les deux premières personnes ont eu de la difficulté à nous livrer leur sensible.

En fait, nous nous rendons compte qu'au départ nous n'avons pas formulé cette question adéquatement. La tournure de ph rase a empeché leur expression d'émotions. Heureusement, pour nous les émotions sont quand meme apparues mais plus succinctement dans cette question et plus largement dans d'autres items.

Ainsi, Woody dit qu'il était rongé, tendu par des tracas administratifs.

Il a pu dire qu'il se sentait mieux quand il avait des « bons copains », il se sentait plus paisible car il pouvait discuter d'émotions avec eux. Cependant, quand ses quelques amis devaient partir soit pour transfert ou fin de peine, c'était très dur pour lui. Il a également éprouvé des émotions fortes lors des moments de départ de certains codétenus, il en va jusqu'à pleurer et c'est de nouveau le « bas ».

Woody mentionne également le « fond du trou » après la visite de ses proches. C'est plus une tension. Il n'a jamais voulu en parler avec des professionnels pour avoir du soutien. Woody nous a dévoilé son espace thymique du moment lorsqu'il nous parle « dÕau fond du trou », de sa difficulté à en remonter seul puisqu'il ne s'est pas adressé à du personnel pénitencier qui aurait pu l'aider.

Charles mentionne peu d'émotions particulières pendant l'entretien. C'est à la fin de la rencontre qu' il parle de rage, de frustration, de sentiment de culpabilité tout en ne se livrant pas particulièrement sur s es émotions.

Cependant durant l'entretien, de temps en temps une phrase nous a été livrée de son état émotionnel, lors de relations surtout avec les surveillants, comme par exemple : Ç(...) Si je mÕengueulais avec un gardien, je ne disais pas de gros mots, mais je faisais respecter mes droits dÕhumain. (..). (..) mais je haussais la voix.

(---) ».

De plus, il se décrit comme quelqu'un qui n'est pas diplomate. Il a profité d'en
discuter avec les « psys » car il a eu l'obligation de poursuivre un suivi thérapeutique
pendant sa peine : « JÕai di) faire un travail là-dessus, car je dis toujours les choses

vraies mais pas toujours comme il le faut, pas vraiment diplomate. (...) J'ai eu le déclic heureusement (...). (...) J'ai beaucoup changé (...) ».

Charles décrit « l'opportunité » qu'il lui a été imposé pour entrer dans un processus de changement. Il semble que c'est Charles qui a pu donner sens aux mécanismes qui lui sont arrivés et a pu ressentir les forces créatrices qu'il avait en lui (Binswanger 4.3, page 31).

Le suivi thérapeutique a été exigé sürement selon l'acte (la cause) qu'il a commis. Mais selon les dires de Charles, nous pouvons supposer que le spécialiste a été ouvert à la rencontre et était plus dans l'empathie que dans l'interprétation pour préserver la liberté de Charles. Le spécialiste l'a peut-être accueilli dans le moment présent ce qui a peut-être permis à Charles de s'ouvrir aux choses concretes de la vie.

Doe cite les émotions telles que la colere, la rage, l'impatience et l'apaisement quand il y a les parloirs.

Il associe la colere et la rage à l'administration pénitenciere puis il ajoute que l'apaisement appara»t chez lui quand un parloir a lieu. Cependant, l'impatience est une émotion qui est présente tout au long de son incarcération puisqu'il dit : « L'impatience quotidienne d'attendre que l'on sorte (...) ».

Raphael signale des émotions comme la joie, la tristesse. La joie par exemple de jouer aux cartes, d'être avec les codétenus à l'atelier, de se raconter les blagues.

Il nomme aussi la violence et la compassion qui ne sont pas des émotions mais auxquelles nous pouvons associer la colere et la sensibilité à la souffrance des autres.

De nouveau, ces citations nous donnent de précieuses informations sur le concept de l'espace thymique de Binswanger (chapitre 4.3).

Nous pouvons voir que diverses émotions sont apparues selon les détenus. Elles ont été vécues, exprimées, gérées et « habillées » de fagons différentes selon chacun. En effet, les détenus ont décrit avec leurs mots des moments plus faciles ou difficiles à vivre et comment ils ont pu « profiter » ou non du soutien des professionnels.

Question 12 : Comment définiriez-vous la nature de vos contacts ?

o par un contact comme le toucher ?

o par des échanges de mots ?

o non verbal ?

o autre

Woody a décrit un moment très fort que nous avons déjà cité auparavant. Ce sont les moments de départ de ses pairs qui ont eu de l'importance. Ils se serraient dans les bras et ces instants font ressortir les émotions de tristesse par exemple. Il définit la nature de ses contacts par des échanges de mots.

Woody associe aussi les contacts physiques à l'homosexualité et n'accepte pas l'homosexualité, il trouve « choquant ». Il a également peut-être une certaine peur qu'une fois le passage à l'acte franchi, il y a non-retour puisqu'il dit « (...) Mais disons personnellement, une fois qu'ils ont franchi le pas... ». En exprimant cela, peut-être que Woody a peur de vivre une humiliation supplémentaire ?

Charles parle de contacts non-verbaux: Ç Ouais, aussi quand on allait à la promenade, on prenait le soleil et on restait là, une heure sans se parler et on était bien. (...) È. Puis, il raconte ses contacts avec ses enfants durant les visites: (...) l'affection je l'ai avec mes enfants dans les parloirs, je les tiens dans mes bras, je leur donne des bisous, c'est de l'affection. È.

Pour Doe, il définit ses contacts comme verbaux. Prendre quelqu'un dans ses bras ou se faire prendre dans les bras n'était absolument pas envisageable. Donc quand il parle de contact physique c'est par une poignée de main ou une tape sur le dos.

Quand nous lui posons la question Raphael parle de pudeur, il dit qu'il n'aurait jamais osé demander par exemple un massage: Ç (...) méme pas un massage rien, pourtant un massage c'est naturel, masse-moi le dos, non je n'oserais pas, non, c'est trop... je sais pas ca faisait trop, je sais pas moi È. Il rapporte que la nature de ses contacts était principalement verbale même si parfois il y avait des tapes dans le dos. Il raconte également que de temps en temps, il avait des échanges non-verbaux, il donne en exemple les regards de complicité.

A un autre moment du récit Raphael mentionne également qu'il a eu des propositions sexuelles de la part d'un codétenu mais vu qu'il lui est impossible d'avoir un contact physique avec un homme, il a bien sür refusé catégoriquement.

Pour en revenir au phénoméne de contact, lorsque nous avons évoqué le terme de contact, la plupart du temps les personnes vivant en semi-liberté ont immédiatement décrits des expériences de contact physique.

De leur dires, il en ressort que la dimension physique semble être évitée. Il semble qu'ils ne peuvent pas concevoir un échange physique surtout entre eux.

Il n'y a que Woody qui évoque, lors des sorties de ses amis codétenus de prison, avoir eu des contacts physiques en ne nommant pas ces gestes comme affectifs mais c'est le ton de la voix, les larmes aux yeux qui nous font dire que peut-être cela faisait partie du registre de l'affectif.

De plus, nous remarquons que les quatre personnes s'appuient sur la discussion pour établir une relation.

Elles ont ramené le terme de contact sur les liens amicaux ce qui finalement nous améne à la préposition Ç avec È dont nous parlons au paragraphe sur le contact (page 40). C'est-à-dire être dans le Ç Réel È avec le monde.

Ainsi, les détenus nous ont parlé des deux définitions que nous avons évoquées.

Et nous voyons que le contact est tout de même de l'ordre du sensible malgré qu'ils aient abordé en premier lieu les contacts physiques. De plus, pour les personnes interrogées, le lien se crée visiblement sur une longueur et de préférence à l'extérieur de la prison.

Nous pouvons citer Raphael lorsqu'il parle de contact, il dit de lui qu'il a le contact facile mais fait tout de suite une distinction par rapport à conserver un lien. Ce n'est pas du tout la même chose pour lui. En effet, il a rarement gardé un lien avec d'autres détenus une fois sorti.

Pour finir, encore une fois, pour eux, les échanges affectifs y compris les gestes ne se font qu'avec la famille.

Question 13 : Qu'avez-vous apprécié?

Cette question faisait partie du fil rouge de notre questionnaire cependant elle était superflue car tous avaient répondu à cette question bien avant.

Question 14: Qu'est-ce que vos expériences affectives ont permis, dans votre vie de tous les jours?

Cette question a été posée en dernier pour voir si l'expérience de la détention a fait évoluer leurs directions de sens ou leur affectivité à leur sortie.

Woody commence par parler de sa vision de la liberté, il dit: Ç (...) a vaut de l'or la liberté, c'est la première découverte en me promenant tout seul (...) È.

Il poursuit par son angoisse de voir du monde, en précisant que Noël a été une période difficile à digérer.

Il précise qu'il se contente de beaucoup moins de choses.

Pour finir, il se permet de nous raconter qu'aprés deux mois, il est allé à la rencontre d'une prostituée qui lui a apporté de l'affectivité selon lui. C'était son premier contact avec une femme depuis des années de détention. Heureusement pour lui , dit-il, elle a été compréhensive, Çsympa È et gentille et il exprime qu'il a été trés ému.

Il semblerait que Woody une fois la privation de liberté terminée ait pu vivre une expérience affective alors qu'en détention ses expériences apparaissent la plupart du temps comme sensibles.

Charles, s'est rendu compte qu'il voulait rester fidéle. Il explique qu'avant sa détention lorsqu'il avait un probléme conjugal, il allait facilement voir ailleurs en précisant : Ç (...) Et avant, j'étais plus exigeant, ce que je ne pouvais pas avoir à la maison, je vais le chercher dehors (...). (...) c'est de savoir que je peux tenir aussi longtemps sans femme. (...) . È. Maintenant, il ne veut plus aller trouver quelqu'un pour une nuit. Il se dit bien et que depuis sa sortie, il a tout changé. Il ajoute comme mentionné avant qu'il a eu un suivi thérapeutique. Il a utilisé ce dernier en pensant à sa sortie car il souhaitait être un exemple pour ses enfants.

Dans ce témoignage nous retenons le mot Ç tenir È. En prison, le cTMté affectif leur semble imposé et c'est pourquoi il faut Ç tenir È pour ne pas montrer ses sentiments et son affectivité en prison à une autre personne qu'à sa femme.

Doe des le début de l'entretien dit que la prison n'est pas un hTMtel, il le répétera plusieurs fois. Pour la derniére question, il raconte son besoin de renforcement de lui, s'être Çendurci È pour les mauvais moments qu'il pourrait vivre dehors. Il dit : (...) Ç On a toujours des... pas des combats mais toujours moyen de... toujours une petite embrouille, on a toujours quelqu'un qui nous prend la tête, avec qui on s'prend la tête. J'pense ca m'a encore plus renforcé... les mauvais cTMtés de la prison, m'ont bien renforcé. È. Puis il ajoute Ç(...) Faut toujours qu'on se renforce un minimum pour pas s'faire bouffer. Parce qu'y'a toujours des imbéciles qui jouent qu'à ca, c'est de démolir les autres. Donc si on, si on se renforce, ils nous ont pas. È.

Il rajoute à la fin de notre rencontre qu'il doit vérifier sans arrêt s'il a toutes ses affaires sur lui en exprimant : Ç C'est p't'être la méfiance de tout et de tout le monde. (...) È.

Doe pense qu'il a pris certaines habitudes en prison et cela l'énerve car il n'arrive pas à s'en débarrasser.

Il nous semble que Doe doit d'abord s'assurer du lien pour pouvoir exprimer ses besoins, ses émotions. Il semblerait qu'à cause de ses expériences sensibles vécues en prison, il ne se permet pas de se montrer tel qu'il est maintenant qu'il est sorti de prison.

Doe pense qu'il a muri pendant son incarcération, il raconte : « Ben, disons que jÕai enormement muri. JÕsuis rentre là-bas avec une mentalite dÕado et encore... JÕsuis ressorti avec une mentalite dÕhomme de mon %oge. (...) Meme une gardienne, ellememe qui mÕa dit, pÕtÕêtre quoi, pÕtÕetre au bout dÕun an, elle mÕa dit en ouvrant la porte, ben on sÕest mis à parler avec la gardienne, elle mÕa dit : « t'as bien changé toi È. En arrivant, tÕetais un vrai con. ».

Dès le début de son récit, il dit qu'il faut montrer une certaine force aux autres détenus. Ce qu'il semble avoir fait tout au long de son incarcération en se retenant pour ne pas entrer dans des conflits, parce que plusieurs fois, il nous a dit qu'il n'avait pas un tempérament calme mais de Ç foncer dans le tas ».

Il apparait pour Doe que c'était bien de s'endurcir, de « tenir » en prison. Car à l'extérieur quand il existe des situations difficiles, il semble les gérer différemment. En même temps, il se dit être méfiant pour tout maintenant qu'il est dehors.

Cet exemple illustre ce qu'a décrit Maldiney : « C'est l'événement qui exige après coup d'être intégré dans une nouvelle configuration de possibles et non pas nous qui décidons librement de changer la tournure du monde. »78 Doe a pris les Ç mauvais cTMtes de la prison » pour les utiliser en sa faveur à l'extérieur. En même temps, il est énervé de garder des habitudes de détenu.

En ce qui concerne Raphael, il y a eu une incidence dans sa relation avec les femmes.

Il pense qu'il a découvert une dépendance à la relation. Il dit s'être aperçu que si une relation se termine, ce n'est pas grave .

Il nous confie : Ç (...) a veut pas dire que je nÕai pas besoin mais je sais que je peux vivre sans, et donc euh...voilà...si ga doit se casser si jÕai une relation qui casse, je vais moins etre à cran, comme on dit comme un drogue qui...je me dis b on ben voilà je vais retrouver quelquÕun dÕautre, il faut attendre un laps de temps(...) ».

Puis il raconte ses premières sorties, la difficulté de con tenir son corps. Il illustre son expérience avec l'histoire d'une fille rencontrée dans une discothèque et avec qui il danse et se rend compte qu'il n'arrive pas à se contrôler, il parle de son érection et se sent vraiment mal, il no mme cela la honte.

A une de ses sorties de prison, une femme lui a dit qu'elle le trouvait « cochon ». Quant à lui, il ne sait pas si c'est l'%oge ou ses expériences de privation de liberté.

Il précise que lors de sa première libération il était plus facile de rencontrer quelqu'un. Il n'avait pas de problème à raconter son expérience carcérale car son acte avait été médiatisé. Maintenant, c'est plus difficile pour lui d'en parler avec une femme, il dit : « (...) Voilà les deux dernières fois je trouve que cÕest trop, trop.

CÕest ce qui... je veux pas dire qui mÕangoisse mais quand je connais une fille je me demande ce que je vais bien pouvoir lui dire. Déjà, si elle me demande de découcher

78 Texte public dans Les Lettres de la Societe de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Dastur, F., Temps et espace dans la psychose selon Henri Maldiney. Recupere le 2.03.2012. http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm

un soir de semaine, je ne peux pas, il faut que je mÕarrange avec Monsieur r et

le week-end cÕest limite car je travaille encore le week-end. (..) Mais dÕun autre cTMte, si je lui dis, elle va avoir peur de moi, direct. ». Plus loin, il se dit être dans l'insécurité et trouve que c'est un frein pour sa sexualité et son affectivité.

Quand Raphael dit : « ce nÕest pas que je mÕangoisse » est-ce que peut-être, nous ne nous trouvons pas face à la finitude d'Heidegger (paragraphe 4.2 page 28) ?

Son expression d'une angoisse fondamentale (une angoisse face à la mort) qui le place face au néant. Rappelons-le, le néant n'est pas considéré par Heidegger comme négatif mais plutTMt comme un potentiel « d'Etre ». Raphael est probablement dans cette situation puisqu'il se trouve dans l'insécurité et se demande comment il va pouvoir raconter ses expériences carcérales aux personnes de sexe féminin.

Pour finir avec ce chapitre des questions suivies par un fil rouge, nous rappelons que nous avons vu les personnes interrogées avant les entretiens et que nous avions déjà pu aborder le sujet de l'affectivité et de la sexualité. Nous avons repris certaines questions qui étaient ressorties durant le repas et qui semblaient importantes car elles avaient déjà suscité un vif débat entre les personnes vivant en semi-liberté et nous.

8. Chapitre VIII : Questions specifiques

Question : Est-ce qu'il y a une différence entre l'affectivité et la sexualité pour vous ?

Woody fait une différence entre l'affectivité et la sexualité. Il pense qu'il est possible de prendre un bon copain dans les bras sans idée sexuelle. Il définit l'affectivité par la tendresse, les caresses, etc. Concernant la sexualité, il dit pouvoir se débrouiller seul.

Ce qui a été le plus difficile à vivre en détention, c'est le peu d'affectivité, le peu d'échange de tendresse, de ne pas avoir été aimé. Pour illustrer ses propos, il fait référence : « moi cela me fait toujours penser, bon cÕest un parallele un peu ose, mais ga me fait penser à un chien.

Un chien, vous pouvez rendre nÕimporte quel toutou le plus gentil possible, vous pouvez le rendre comme un pitbull quoi. Et inversement, un pitbull bien dresse peut etre extrêmement gentil. Alors un chien, si vous nÕarretez pas de lui taper dessus et de lui interdire des choses, de lui crier dessus, etc. Et bien il va devenir mauvais, il va devenir agressif, il va devenir dangereux. Alors que le meme chien, si vous lui donnez de lÕamour, des caresses, de lÕaffection, et bien il va être un chien adorable. Et là, jÕai souvent senti ce parallele ».

Quant à Charles il commente ses dires sur l'affectivité : « (...) LÕaffection, tout le monde en a besoin même les arbres ont besoin dÕaffection. Simplement... Mais un prisonnier nÕa le droit à rien tout en sachant quÕil va sortir un jour ».

De plus, il explique que la séduction amène à la sexualité. Il dit que l'affectif n'est pas la même chose, « on » peut avoir une relation affective sans sexualité comme par exemple avec ses enfants.

Dans un autre passage de son récit, il mentionne également qu'il savait dès son entrée en prison qu'il allait passer toutes ces années sans l`affection d'une femme.

Doe parle plus des contacts qu'il a à l'extérieur surtout avec ses Ç potes È mais ceux en prison ne sont pas mentionnés. Il dit que l'affectivité pour les hommes ressemble à du réconfort pour la tête et l'associe plus à un membre proche puisqu'il dit: Ç (...) ouais, j'l'ai pris dans mes bras mais comme un frère. J'veux dire, pas autrement È. De plus, il décrit: Ç Déjà l'affectivité entre hommes, ca n'existe pas vraiment (...) È. Il ajoute Ç(...) Je prends des potes dans mes bras, entre guillemets, c'est vraiment s'ils sont vraiment, s'ils sont cassés en deux, j'veux dire (...) È.

Doe complete: Ç L'affectivité parce que c'est une sorte de réconfort pour la tête et bon, la sexualité c'est pour le corps È, il semble qu'il en revient à une pensée comme Descartes qui divise le corps et l'esprit.

Pour Doe, la sexualité est un bienfait pour le corps. En prison, il a évité de trop y réfléchir parce qu'ensuite la frustration était encore plus grande. Il rajoute qu'il s'est trouvé des moyens pour pratiquer du sport en cellule.

Il semble que son corps l'ait quand même troublé et s'est, ainsi, reporté sur le sport pour ne pas trop penser.

Raphael fait une différence entre la sexualité et l'affectivité. Il associe la sexualité avec l'action de jouir et pour lui cela peut se vivre seul. Cependant, selon Raphael l'affectivité est plus forte et ne peut pas se vivre seul comme recevoir des c%olins et de la tendresse. Il dit : Ç (...) Mais l'affectif? Non, ca je ne peux pas. C'est...je fais totalement la différence, c'est plus fort, je crois que c'est plus fort le manque d'affectif, de séduction, que le manque de sexe parce que le sexe vous arrivez à vous assouvir même si vous avez vraiment envie vous faites cela vous-même et il ne faut pas déconner voilà ca passe. Tandis que l'affection, il y en a pas, vous pouvez faire comme vous voulez. È

Comme avec les témoignages relevés par Gaillard (paragraphe page 24), ce qui appara»t également ici, les détenus préférent une relation affective qui comporte le partage avec l'autre, ou il est souhaité de la tendresse pour ensuite invoquer le manque de partage affectif filial.

Question : Seriez-vous d'accord de reparler de séduction?

Quand nous évoquons le sujet de la séduction avec Woody, il parle de sa rencontre avec les gardiennes, il dit que la relation homme/femme lui a fait du bien. En effet, il parle d'une gardienne qui jouait parfois aux cartes avec les détenus, mais un jour, elle n'a plus eu le droit car sa hiérarchie lui avait interdit. Woody a trouvé cela trés dommage.

Charles différencie la séduction et l'affection. Il dit avoir eu un peu d'affection de la part de sa famille lors des visites mais pas de séduction, nous le citons: Ç (...) Tenir quelqu'un dans les bras, pouvoir l'embrasser tout ce qui va avec. Ce n'est pas pareil que de tenir mes gamins dans les bras de leur donner des bisous, ce n'est pas la même chose (...) È. Ce qui a été le plus dur pour lui, c'est de ne pas pouvoir séduire, en l'occurrence, une femme.

Il exprime que c'est la séduction qui lui a vraiment manqué. Il raconte cela avec les mots suivants : Ç (...) Oui, passer un moment bien, comment expliqu er... c'est pas que sexuel aussi, c'est...voilà...l'envie de se sentir vraiment...je ne trouve pas le mot...se sentir dans les bras d'une femme... È.

Il rajoute lorsque nous parlons de gardiennes de prison: Ç Moi de mon point de vue, ca évoquait plus de calme, bien sUr il y a des gens qui pensait pas comme moi. Pour moi avoir une jolie femme, avec qui je sais trés bien que je ne peux pas faire de la drague, sauf si c'est elle qui commence, bon on sait jamais, (rires), mais c'est agréable. C'est un moment agréable, ca change, c'est différent. È.

Doe associe également la séduction aux gardiennes, il mentionne tous les regards qui convergent quand une belle gardienne est présente. Il dit que cela lui a fait du bien même s'il n'y a pas de possibilité. De plus, il exprime à ce sujet: Ç C'est juste un petit plaisir, ouais. On sait trés bien qu'elle en a rien à foutre de nous, on le sait mais c'est juste le plaisir entre guillemets de lui faire comprendre. È.

Pour Raphael la séduction permet de se sentir flatté. Il l'associe aux compliments, jamais un homme lui a dit, nous citons: Ç T'as un beau corps È. En détention, il n'a pas trouvé de séduction et cela lui a été pénible. Il dit: Ç Moi, je trouve que tout le cTMté séduction, l'affectif, la tendresse, les c%olins, ca c'était hard, dur ouais. È. Il complete: Ç embrasser le coussin le soir...ouais, ouais. a c'était très, trés dur, trés, trés dur.È.

De nouveau, nous pouvons voir l'importance qu'accordent les détenus à la présence féminine.

Pour conclure ce chapitre, il y a eu d'autres questions spécifiques mais nous ne les avons pas développées car elles n'étaient pas appropriées pour notre analyse. Cependant, nous avons pu, tout au long des entretiens, entendre divers phénoménes (Souffrance, Solitude, Frustration, Colére, Violence, Solidarité) qui ont été décrits par les personnes rencontrées.

9. Chapitre IX : Phénomènes vécus en détention

Pour reprendre la définition de l'affectivité mentionnée dans la théorie: l'affectivité se base sur le sensible, le ressenti. Le sensible est tout ce qui est percu par les sens qui sont les organes de perception du corps. La perception relie l'action du vivant par l'intermédiaire des sens au monde, à l'environnement. Puis, il en résulte des émotions, des sentiments, etc.

Les phénoménes que nous allons relater ne concernent pas forcément l'affectivité entre deux personnes, mais ils font partie de leurs expériences sensibles ce qui nous appara»t comme important à relater, car ils montrent ou non leur sens au monde notamment lors de détention.

La plupart des exemples ne sont pas des expériences affectives mais leurs récits nous montrent le paysage, l'ambiance, le rythme, qui peuvent appara»tre de leurs expériences sensibles dans une prison.

9.1. Woody

Ainsi Woody parle de solitude, de souffrance, de frustration, de colere, de violence, et de solidarité.

Nous pouvons observer, avec les dires de Woody que des le troisieme jour de détention, une solitude s'installe. En effet, il commence par nous raconter sa première visite chez le médecin en recevant une petite boite à pharmacie contenant également des préservatifs. Et là, il se dit : « (...) voilà, ils sont conscients quÕon nous coupe de toutes relations, de tous contacts, de toute affectivité, ils le savent pertinemment, ils savent aussi pertinemment quÕon en a besoin et ils sÕen fichent totalement et ils nous disent debrouillez -vous, (...) ».

Puis, quand les amis de Woody sont libérés ou transférés, il semble que cela provoque également chez Woody un sentiment de solitude puisqu'il dit : « (...) Il y a des gens qui partent pis on garde le contact pendant deux, je ne sais pas, et puis apres ga se perd un petit peu. (...) ».

Dans la suite du récit de Woody, il raconte sa souffrance face à sa privation de liberté, à la surveillance et au reglement qui sont perpétuels. Il dit : « je crois que cÕest lÕune des pires choses qui peut arriver à un etre humain, cÕest d'être privé de sa liberté. (...) vous avez des barreaux à la fenêtre, quand on vous dicte à quelle heure il faut se lever, à quelle heure il faut fermer, à quelle heure il faut prendre la douche, à quelle heure on mange, (...) les visites et tout ca, cÕest vraiment très, très réglementé et pis ga coupe notre liberté, cÕest sur, on peut pas faire comme on veut. »

Pour en revenir à l'expression o0 Woody dit : Ç heureusement jÕetais seul dans une cellule », nous rappelons, en effet, que la solitude peut être tres bien vécue. Cependant, Woody illustre aussi que d'être en contact avec soi peut amener de l'isolement puisqu'il dit qu'il était en bas lors de la visite de proche et qu'il n'en a jamais parlé au personnel pénitencier, ni à d'autres personnes, il est resté « avec » pendant toute sa détention.

Woody nomme l'attente perpétuelle par exemple d'attendre devant une cabine téléphonique, remplir des papiers, rencontrer l'avocat sans savoir quand il va venir etc. comme frustrant.

Il ressent aussi de la frustration lorsque les psychologues changent tous les six mois. En effet, il doit à chaque fois rac onter son histoire, ce qui sous-entend que la confiance est à chaque fois à reconquérir.

Les psychologues selon Woody s'attardent trop sur son passé alors que lui aimerait qu'ils travaillent sur ce qu'il vit sur le moment. Nous rejoignons Binswanger qui voulait accueillir le patient dans l'instant présent sans porter de jugement, ni d'interprétation. Peut-être que Woody se sentait à chaque fois jugé et qu'il voulait simplement être accueilli pour ce qu'il était.

Nous avons également parlé de parloirs intimes avec Woody. Il raconte sa frustration quant à la possibilité pour d'autres d'avoir acces au parloir intime et pas lui, puisqu'il dit « (...) bon moi je nÕen ai pas profité, jÕai trouvé cela un peu frustrant que certaines personnes puissent en profiter et dÕautres pas (...) ». Lorsque Woody raconte ce passage, nous avons entendu également de la souffrance dans sa voix même en parlant calmement.

Comme mentionné plus haut, Woody énumère différents actes (injures, insultes, racisme, bagarres) qui créent une ambiance violente selon lui.

Ç (...) le reste c'est de la souffrance , de la violence, c'est des sacrifices, des hauts et des bas. Il y a eu des moments très difficiles È.

Par ses mots de bas et de haut Woody dévoile son espace thymique.

De par ses termes utilisés pour qualifier certains gardiens, nous pouvons supposer qu'il était en colère contre eux. En effet, il dit: (...) puis d'autres disons, c'est vraiment des gros cons, des emmerdeurs, je sais pas (...).

Woody introduit la notion de violence lorsqu'il parle d'affectivité en disant : Ç (...) Mais c'est vrai qu'au niveau affectif, de tendresse, il n'y a rien, rien, rien, rien. Et c'est là que disons que, cette violence, ces gens qui sont vraiment..., qui ont les nerfs à fleur de peau, qui pètent un plomb pour rien, ils sont comme ca. Justement parce qu'il leur manque des caresses. Il leur manque l'affectif, il leur manque une femme avec qu'ils peuvent... pas forcément un contact physique, disons pas une relation physique mais une simple affectivité. Et ç a les calmerait tellement, cela les rendrait tellement plus cools, plus relaxs et tout, et non, et non ca n'est pas possible. Moi personnellement, j'étais extrémement tendu, et c'est quelque chose qui me manque parce que ... on peut pas et ca c'était... Les gens, les gars, ils sont tellement machos déjà dehors euh quand on voit les relations qu'ils ont avec les filles, ils jouent au coq mais ils arrivent à séduire et ca doit les calmer à quelque part. Tandis que là en taule, ben ces gens ils sont toujours aussi machos mais ils ont plus personne à séduire, alors ca se transforme en guerrier, en ca
·d, ca veut jo uer les bras(...)
. Un contact humain avec une femme leur ferait du bien (...) ca calmerait vraiment le jeu et...È.

Woody parle généralement des autres. Mais, de temps en temps, il glisse une phrase le concernant. Nous pouvons nous demander s'il a souffert du machisme des autres ou les comportements des autres ont peut-être provoqué de la colère chez lui ? Nous ne le savons pas, ce sujet n'a pas été abordé avec lui.

Pour finir, Woody trouve important de pouvoir rencontrer des femmes pour ainsi diminuer la frustration et donc la violence. Même si c'est sans rapport sexuel mais juste pour recevoir de l'affection.

9.2. Charles

Charles explicite également quelques phénomènes. Celui qu'il décrit le plus est le phénomène de la solidarité. Les autres phénomènes (solitude, souffrance, frustration, colère, violence) sont également présents mais pas forcément nommés en tant que tel par Charles.

Charles relate souvent les demandes qu'il fait au Directeur: Ç j'ai demandé au Directeur.... ».Il semble selon Heidegger que c'est pour lui une facon de pouvoir exister en prison.

Charles a insisté pour être seul dans une cellule, cependant nous pouvons nous
poser la question s'il ne se sentait tout de même pas isolé et seul, puisqu'il décrit les

fins de matinée et de journée de telle manière: Ç(...) la promenade vers 11h30 et après tu fais quoi ? Tourner en rond! (...). Si vous vous occupez cela aide à pas penser à l'affectivité. J'ai même fait de l'origami pour pouvoir passer le temps. Plier, plier, je fais quoi, il est 17h, 18h, j'ai pas sommeil, je lis, j'ai plus envie de lire, d'étudier, j'arrive plus, je fais quoi, je continue à plier. Essayer d'oublier È. Même si Charles mentionne l'affectivité qu'est-ce que Charles essaie d'oublier ?

Bien sür il dit également que les temps libres lui ont permis d'étudier: Ç (...) Mais moi, je n'ai pas eu ce problème. Moi j'étudiais, je m'occupais différemment quoi. È. En même temps comme nous l'avons vu dans le corpus théorique, n'est-ce pas une manière d'oublier le Réel qui se manifeste au sujet qui peut éprouver de la résistance au monde et l'affectivité qui se manifeste à lui, la partie du corps qui fait souffrir?

D'une certain facon, Charles est peut-être retourné sur une partie de son corps, d'y être à la fois enchainé sans pouvoir s'en distraire, une partie du corps qui fait souffrir et qui frustre. D 'ailleurs à un moment donné, il raconte son expérience par rapport à la masturbation: Ç L'acte ne suffit pas, mais ca aide, il faut le dire. Ca calme un peu quand même. En même temps, il n'y a que ca. (...) Chacun trouvait sa facon. Je travaillais à la buanderie et je trouvais des matelas avec des trous. (Rires). È.

Charles exprime souvent la solidarité qui s'installe entre les détenus. Reprenons sa citation oü il dit : Ç (...) parfois tu vois quelqu'un, tu dis dehors tu ne lui parlerais pas, il est pas bien. Mais dedans, ca change tout parce qu'on est tous dans le même bateau et si on s'entraide pas, ca ne marche pas. (...) È.Puis au fil de l'entretien, il reparle de la solidarité en ajoutant: Ç (...) Mais quand il y a un problème qui concerne vraiment tous les gens, là c'est différent. Les gens mettent un petit moment sa rancune de cTMté parce qu'il y a eu deux, trois fois soit disant, ca m'a fait rire aussi, comme on dit, les émeutes(...) c'est simplement demander des choses qui n'arrivaient jamais(...) È.

Il raconte également sa colère envers certains gardiens qui le traitent comme un coupable alors que son jugement n'a pas été prononcé. Il raconte: Ç Je suis désolé, est-ce que je suis condamné? Non alors, je suis innocent encore, j'ai encore tous mes droits. Je lui montrais le code pénal parce que j'en ai acheté un et je lui disais Ç Tu vois c'est écrit là È. (...) Je n'utilisais pas les gros mots, mais je haussais la voix (...) je n'ai dit que la vérité È. Charles semble avoir besoin de considération en tant qu'être humain. Il le répétera plusieurs fois durant notre rencontre.

De plus, Charles exprime la frustration qu'il éprouve quand il pense au système judiciaire. Il raconte: Ç Je n'arrive pas à comprendre ce système, c'est un système de fou. Simplement être-là, la capitale des droits de l'homme, soit disant oU on a créé les droits et on donne le strict minimum. Et il y a des pays oU on donne plus et il y a moins de problème. È.

Le peu d'intérêt de la population au sujet des conditions de vie des détenus semble être une souffrance pour Charles car il dit: Ç (...) Aujourd'hui, vous êtes confrontés à ca parce qu'on en parle mais les gens sinon ils s'en foutent de ca. Un jour on doit sortir. Les gens ne s'imaginent pas qu'on va sortir un jour et comment ? Avec plus de colère, avec la rage(...) È.

Charles raconte comme mentionné plus haut que la séduction est importante pour
lui. Il a l'air d'associer la séduction avec le fait d'être avec une femme. Peut-être le
fait qu'il n'y ait que des gardiennes n'a pas satisfait son besoin de séduction et lui a

fait na»tre un sentiment de solitude car il dit : « D'amour (rires). Oui passer un moment bien, comment expliquer... C'est pas que sexuel aussi, c'est... voilà, ... l'envie de se sentir vraiment... je ne trouve pas le mot... se sentir dans les bras d'une femme... ».

Il explique qu'il y a beaucoup de tension, que tout le monde est tendu même les gardiens. Il indique : «(...) Des tensions de tous les cTMtés (...). Oui pourquoi dire non si c'est vrai. On est tous tendus, même les gardiens sont tendus. Même le directeur de la prison est tendu. Et s'il n'est pas tendu, c'est qu'il y a un problème, c'est qu'il s'en fout. ». Par son récit, nous pouvons supposer que ces tensions sont provoquées par le mélange de différent s sentiments dont la frustration, la colère et la violence vécues qui sont souvent difficiles à exprimer avec des mots.

Charles répond à notre question qui est : vous pensez que s'il y avait des parloirs intimes un peu partout cela diminuerait la violence et les tensions ?

«Ah mais écoutez, les hommes qui font l'amour, c'est les médecins qui le disent, ils se sentent bien, il y a plein d'hormones et des vitamines qui se calment qui aident à calmer les gens... a sert à calmer plein de monde, ga c'est str. ». Sa réponse nous remet au niveau du besoin de calme qu'éprouve la majorité des personnes interrogées. En effet, le besoin de calme finalement appara»t fréquemment dans tous les récits.

A force de réfléchir toute la journée et d'être sollicité souvent, le corps semble se fatiguer. La créativité s'affaiblit. Et par la même occasion, cela affaiblit l'expérience pathique de s'ouvrir à la surprise, à l'étonnement.

Charles exprime aussi le « bien fait » du moment sous la douche qui lui permet de se calmer, qu'il ne fallait surtout pas lui enlever cet instant et donc peut -être de diminuer durant un instant sa colère et la violence qu'il vit au quotidien.

Il ajoute que la violence pour lui c'est : «La violence comment expliquer, c'est pas qu'on se fait du mal, ga fait mal. C'est violent, par exemple la contrainte d'être séparé avec sa femme(...). Pour moi la violence c'est que tu perds plein de trucs et après tu perds tout et quand tu sors ; on te donne rien. En plus, il faut sortir comme un ange ! Il faut réfléchir, ce n'est pas une solution. ».

9.3. Doe

Doe, des le départ, mesure ses paroles. Les phénomenes ne sont pas clairement énoncés par lui.

Souvent Doe semble avoir eu besoin de moments de calme, peut-être qu'il cherchait des moments de solitude comme par exemple lors des repas, en effet, il a fait le choix de manger dans la cellule. Il raconte : « (...) sinon, pour les repas dans le couloir, disons que moi, j'm'en foutais complètement d'avoir les repas dans le couloir. Moi, j'voulais manger au calme et les couloirs, c'est pas calme. On est une centaine à gueuler comme des gorets,...Pfff, non, moi, j'veux manger au tranquille au calme, la télé et basta. ».

Il semble aussi que Doe a vécu une certaine solitude car il fait confiance qu'à lui- mê m e . Il dit : « (...) La seule personne en qui on a confiance, c'est moi-même. En tout cas, moi, j'ai confiance qu'en moi. Donc, jamais j'aurais fait cent pour cent confiance à qui que ce soit d'autre. Mais y'a une sorte, entre guillemets de confiance,

sUrement. On sait qu'on peut compter dessus, on va dire, plutTMt. È. Plus loin, il nomme cela une <<protection È.

Il parle également des relations de violence entre <<mecs È, mais que lui n'a pas souhaité entrer dans ce schéma car cela lui semblait des << broutilles È. Par son récit, nous pouvons supposer que cette violence a été vécue régulièrement par Doe.

Doe pense qu'il y a une certaine solidarité, par exemple quand un nouveau arrive à l'atelier, ils lui donnent des conseils et répondent à ses questions. Il dit << (...) On est dans le même navire, si on veut, donc, ouais, y'a une sorte de solidarité entre certains.È.

Doe pour parler de sa colère emploie plutôt le terme de <<rage È, mot qui est encore plus fort que colère.

Ainsi, il a de la rage contre l'administration pénitentiaire. En décrivant les conditions de détention nous pouvons sentir de la colère quand il dit : << J'veux dire, on est

2

quand même des être s humain s, on est à trois dans 12 mà trois. Trois hommes dans 12 m2. C'est..., je sais pas..., à la longue, c'est... È.

Il raconte son impatience de sortir, il compte les jours puis les années. Il ajoute que les visites de sa famille lui permettent d'être plus calme après.

Il parle beaucoup de son besoin de calme, de son besoin de s'isoler. Il dit qu'il a construit une bulle dans sa tête et raconte : <<Faut savoir s'isoler, se mettre au calme tout seul (...). C'est ce que je faisais, moi, d'ailleurs. J'me couchais en dernier comme ca j'avais le calme le soir (...) È.

Quand Doe parle de solitude, il fait référence à sa vie, à sa famille et à l'extérieur. Il raconte: << On est toujours un peu seul parce qu'on vit loin, on est loin de sa vie, si on veut. De sa vie d'avant, ben on est loin, ouais. D'un cTMté, on est to ujours un peu seul parce que c'est les siens et encore même pas tous les siens parce qu'on les voit une fois de temps en temps. C'est une fois par semaine, grand max. (...) Parce qu'on est complètement à..., pas à l'opposé, disons qu'c'est pas notre vie, c'est un passage de notre vie mais pas notre vie. È.

Ce sentiment de solitude l'amène à ne plus vouloir penser à l'extérieur peut -être pouvons-nous penser qu'à ce mome nt il Est mais il n'Existe pas. D'ailleurs, il dit : << (...) A un moment donné, faut savoir couper et se dire, ben, je suis là, je reste ici, l'extérieur, je l'oublie un peu. Si on pense trop, moi, si je pensais trop à l'extérieur, j'devenais dingue à un moment. È. Il explique également que s'il pensait trop, cela lui faisait << péter les plombs È.

Le fait de ne plus penser à sa vie en dehors de la prison, lui permet peut-être de vivre cette détention au mieux de son sensible et de ne pas se laisser aller.

Tout au long de la rencontre, Doe dit toujours qu'il ne souhaitait pas y penser, qu'il n'y pensait pas.

Lorsque nous abordons le thème de la masturbation Doe se dévoile un petit peu en disant que c'était la seule chose qu'il avait à disposition: << (...) ca allait pour le moment que j'étais dedans. È.

Si nous avons abordé ce sujet, c'est parce que lors du repas passé avec ces quatre personnes, le sujet de la masturbation a été amené par l'une d'entre elle.

Ce qui est intéressant à retenir pour nous ce n'est pas l'acte en lui-même, mais l'effet d'apaisement pour les uns, de calme pour les autres.

Cependant pour Doe, c'est le besoin de faire du sport qui ressort et qui lui permet de se libérer des tensions et de calmer ses nerfs. Ceci est peut-être un moyen de calmer ses frustrations ainsi que la colère et la violence qu'il vit quotidiennement mais qu'il exprime trés peu.

Nous rejoignons également peut-être Vannotti et Gennart (chapitre 4.7, page 39) quand Doe dit qu'il trouvait tous les moyens pour faire du sport en cellule. Le sport était peut-être une maniére de ne pas trop penser à cette partie du corps qui fait souffrir.

Comme nous l'avons évoqué à de nombreuses reprises Doe fait tout pour être au calme, pour ne pas s'impliquer dans des relations conflictuelles. Car il dit: Ç (...) Quand on me prend trop, quand on me cherche trop, a h ouais, j'rentre dans le tas. Mais là, c'était pour des broutilles et je me suis dit ca sert à rien que je finisse au cachot pour des connards pareils. Après, c'est casses-toi de là et puis, fous-moi la paix. J'avais pas envie d'aller au cachot pour des imbéciles pareils, ca en valait vraiment pas la peine, quoi. Donc, bah, j'ai calmé le jeu, je l'ai laissé s'enflammer de son cTMté et moi, je suis resté calme È.

Peut-être que Doe tout de même n'avait pas envie d'être isolé.

En général, malgré qu'il nous ait transmis des événements essentiels, nous pouvons constater que Doe reste discret sur ses expériences sensibles. Est-ce de la pudeur? Nous a-t-il dévoilé ses moments de vie en prison, comme il a vécu en prison? En restant sur Ç ses gardes È !

Ou est-ce que nous avons trop appuyé sur les aspects intimes de sa vie en prison? Est-ce notre maniére de l'accueillir qui ne lui a pas permis de se découvrir? En effet, il nous a été facile d'être dans l'empathie pourtant les questions de relance n'ont pas été aisées à formuler.

9.4. Raphael

Comme mentionné plus haut Rapha`l a vécu trois détentions et elles ont toutes été vécues différemment.

Il détaille clairement ce qu'il a vécu en utilisant parfois les mêmes termes que nous et de temps en temps, il suggére certains phénoménes. Cependant, tous les phénoménes (solitude, souffrance, frustration, colère, violence, et solidarité) apparaissent à chaque fois de facon différente mais sont présents au cours des trois incarcérations.

Durant sa première expérience de privation de liberté, il raconte qu'il n'est pas rentré seul mais avec des Ç copains È qui ont eu, eux aussi, une peine privative de liberté. Raphael dit que c'était un groupe soudé. Cette solidarité lui a permis de vivre son arrivée plus sereinement.

Puis une fois ses copains partis, la solitude l'a gagné.

Durant sa deuxiéme incarcération, il dit qu'il n'était pas bien et que par sa maladie, il s'est isolé car il croyait qu'il y avait un complot contre lui, qu'il ne devait pas parler, il ne fallait rien dire.

De plus , Rapha`l raconte qu'il était en isolement total qu'il n'avait pas de contact
avec sa famille et qu'il ne recevait quasiment pas de visite. Raphael ne parle pas de

souffrance mais avec le récit de son vécu , nous pouvons supposer qu'il a existé à ce moment-là, une vie quotidienne trés pénible à vivre.

Durant la troisiéme détention, ils étaient cinq dans la même cellule, il dit: Ç (...) Mais là c'était trés dur à vivre, trés, trés dur, et au bas mot, il n'y avait pas une cellule seule. Toutes les cellules minimum deux, des fois ils mettaient deux lits superposés et un matelas par terre (...) È. Raphael utilise le terme Çdur à vivre È ce qui peut avoir plusieurs significations dont peut-être le fait d'éprouver de la souffrance.

Rapha`l ajoute que lors de sa première incarcération, il n'y avait pas de surpopulation et il lui a semblé qu'il y avait moins de tensions.

Pendant l'entretien, Rapha`l nous a raconté des bons moments, oü il lui était possible de rire. Il a précisé que les moments de souffrance, s'exprimaient quand il était seul dans la cellule. Il dit: Ç (...) Les larmes, je pense qu'elles restent quand on est seul dans la cellule, quoi...le chagrin, le, le, le reste dans la cellule mais quand on sort il y a toujours quelqu'un qui est là pour vous raconter une histoire pour...(...)È et Ç(...) Moi j'ai pleuré, je sais que j'ai pleuré, mais pas devant les autres...Mais on se cache. È.

Puis il parle de moments qui nous apparaissent comme violents, quant à Raphael, il se référe à des actes comme Ç des petites bagarres, des cris È.

Par contre, en parlant d'émotions éprouvées en prison, Raphael pense que la violence peut aller jusqu'à la haine, nous citons: Ç (...) Il y a eu beaucoup d'émotions, la violence, mais aussi la haine parce qu'à certains égards il y aura toujours un mouton noir (...) donc il y a des gens qui ne sont pas bien, qui sont hargneux et il faut faire avec. (...) c'est comme une meute de loup, ou je ne sais quoi, les animaux, on veut savoir qui est-ce qui est plus ou moins le boss È.

Il raconte qu'il y a une certaine solidarité, comme par exemple, lorsque les détenus se partagent le gouter à l'atelier ou chacun, à leur tour, apporte des biscuits.

Il narre également que dans les moments difficiles et dans une certaine maison d'arrêt, il y avait plus de solidarité et d'entraide. Pour reprendre ses mot s : Ç Voilà par la force des choses, on est dans la méme galére et on sait ce que tu souffres, ce qui te manque. (...) on est dans la méme galére, dans le méme bateau c'est...Je crois, non, je pense qu'il y a plus de solidarité, je peux dire ca avec assurance, ouais. È.

Comme nous l'avons mentionné plus haut, Raphael révéle que pour lui le côté séduction n'existe pas en prison. Il a eu de la peine à vivre sans compliment. Il dit : Ç Moi, je trouve que le cTMté séduction, l'affection, la tendresse, les c%olins, ca c'était hard, dur ouais. È.

Comme Raphael emploie le mot Ç hard È, il dit avec un certain humour: ÇEmbrasser le coussin le soir... ouais, ouais. a c'était trés, trés dur, trés, trés dur. È, nous pouvons quand-même peut-être observer une certaine frustration voire de la colère de ne pas pouvoir exprimer des expériences affectives en prison.

Ensuite, quand nous abordons le sujet des parloirs intimes, nous pouvons remarquer qu'il manifeste de la colère. Pour lui, la privation de liberté n'est pas vécu e que par le détenu mais aussi par les conjoints. Il dit: Ç (...) le probléme c'est que vous faites souffrir...moi je dis on est en prison, il y a le cTMté dur, la peine c'est la privation de

liberté d'accord, le problème c'est quand vous mettez votre partenaire dans la méme privation de liberté que vous et je trouve que c'est dégueulasse (...) È.

Nous pouvons également constater que Raphael tout au long de l'entretien utilise souvent les mots <<dur È et << même galère È pour différentes situations vécues pendant ses incarcérations.

Ce qui est intéressant avec le témoignage de Raphael, c'est d'avoir pu écouter les indices du comment, du style des choses durant ses différentes incarcérations et de ne pas regarder le contenu, le quoi des choses ( chapitre 4.6, page 37).

Nous avons eu la chance avec Raphael de pouvoir voir que ses expériences sensibles varient, selon l'importance qu'il accordait aux lieux de détention oü il se trouvait, avec qui il était incarcéré et qu'il met en évidence de lui-même, comme il la nomme, sa << pathologie È.

En écrivant ce sous-chapitre, nous pouvons remarquer que ces phénoménes apparaissent difficilement inextricables. Ils se mélangent, s'imbriquent les uns dans les autres.

Ce que nous pouvons rajouter, c'est que la plupart des personnes ont souvent utilisés le <<on È pour décrire leur vécu personnel.

En effet, pour reprendre notre corpus théorique (chapitre 4.2, page 28) << lorsque nous parlons de l'autre, on n'est pas soi -même, on n'est pas l'un d'eux, on n'est pas celui-là, mais on est neutre, on fait partie du monde È il appara»t que les détenus ont fait partie de la prison.

Ainsi, il semble qu'avec Heidegger, la prison fait appara»tre le phénoméne de conformité du <<on È et peut-être même la dictature du << on È.

Pour conclure ce chapitre, nous nous sommes apercues que les détenus se sont permis de décrire et d'exprimer certaines de leurs expériences et émotions. Pas toujours au moment souhaité par notre grille d'entretien ce qui était bien le but des entretiens semi -directifs. C'est pourquoi, en créant un tableau récapitulatif, nous avons voulu faire apparaitre leur vécu au plus prés de leur réalité, afin de ne pas déformer leurs expériences sensibles ou affectives.

10. Chapitre X: Tableaux récapitulatifs des expériences, lieux sensibles ou vécus comme expériences affectives

Nous avons créé un relevé du sensible et de l'affectif pour chaque personne Ç interviewéeÈ

En italique, ce sont des expériences vécues avec des émotions qui permettent notamment la joie, un phénoméne de solidarité, etc.

En caractére normal, ce sont des expériences vécues avec des émotions qui relévent entre autres la tristesse ou des phénoménes comme la frustration , etc.

En caractére gras, ce sont des expériences qui ont été décrites avec une intensité extrêmement importante.

Woody

Expériences sensibles
Lieux sensibles

Expériences vécues ou
envisagées comme
affectives

Arrivée:

Le regard de tous

 
 

(surveillants-détenus)

 
 

Surveillé sans cesse

 
 

Le bruit des clefs-des

portes verrouillées
portes fermées à clef,

portes métalliques

 
 

A fondu en larmes, se dit

 
 

Ç cassé È

 

Pendant l'incarcération:

Choqué de situations

Aimerait que des femmes

 

vécues à nombreuses

de l'extérieur puissent

 

reprises, tensions

venir en prison m ême si
ce n'est pas une
compagne

 

Rongé et tendu par les
tracas administratifs

 
 

Est en Ç bas È aprés la

Visite de proches et

 

visite de proches

parents

 

Va regulierement dans

Se dit: Ç coupé de toute

 

une autre cellule pour
parler de la Bible

relation, de tout contact,
de toute affectivité È

 

Discuter avec deux -trois
bons copains, peut parler
de ses emotions,
sentiment d'apaisement

 
 

Pleure lors de départ d'un
codétenu

 
 

Les codétenus se
prennent dans les bras
lors de sorties

 
 

Se fait injurier
régulièrement par des
détenus d'autres pays

 
 

Déplore le manque de
personnes qui parlent
francais

 
 

Souligne l'importance
d'avoir été seul dans une
cellule

 
 

Aime les instants de jeux
de cartes, de discussions,
d'entraide avec ses deux-
trois bons copains

 
 

Echange avec les
gardiennes lui font du bien

 
 

Phénomènes vécus:

 
 

Solitude, souffrance,
frustration, colère,
violence, racisme

 
 
 

Va voir une prostituée qui

Sortie:

Entend encore le bruit des

lui a amené de la

 

clés longtemps après

tendresse, gentillesse, ce
n'était pas l'acte qui était
important

Charles

Expériences sensibles
Lieux sensibles

Expériences vécues ou envisagées comme affectives

Arrivée:

Peur de l'inconnu

 
 

Choqué du nombre
impressionnant de portes
de sécurité

 
 

Le nombre
impressionnant de
gardiens

 

Pendant l'incarcération:

Bonne relation avec le, la

Visite des enfants et de sa

 

psychologue

famille

 

Rencontre avec les

Eprouve un manque de

 

autres, ne se programme
pas, cela vient comme
cela

séduction

 

Aime les moments de
repas, jouer aux cartes,
discuter, rester assis l'un à
cTMté de l'autre lorsqu'il y a
du soleil

 
 

Fait de nombreuses
demandes à
l'administration
pénitencière. Dit faire
valoir ses droits d'humain

 
 

Il dit : Ç un prisonnier n'a
le droit à rien du tout È
même pas d'affection

 
 

Pense que tout le monde
est tendu y compris le
personnel pénitencier

 
 

Phénomènes vécus:

 
 

Solidarité

 
 

Colère, frustration, rage,
violence

 

Sortie:

Etre un exemple pour ses
enfants

 
 

A tout changé, il dit qu'il a
beaucoup changé

 
 

Fidélité

 
 

Se remet en question,Ç il
y a pire È

 

Doe

Expériences sensibles
Lieux sensibles

Expériences vécues ou
envisagées comme
affectives

A l'arrivée le lendemain :

Il fait froid

 
 

Bruit des clés et des
portes verrouillées

 
 

Pas un metre sans être
surveillé

 
 

Montrer une certaine force

 

Pendant son incarcération

Apprécie les contacts
avec des personnes qui

Visite des proches

 

ont l'air calme comme lui

Il dit : Ç l'affectivité entre
hommes n'existe pas

 

Donne parfois des
cigarettes par solidarité

vraiment È.

 
 

Associe affectivité à un

 

Besoin de calme

réconfort pour la tête

 

La confiance absolue
n'existe pas, n'a confiance
qu'en lui-même

 
 

L'impatience perpétuelle

 
 

(impatience de sortir)

 
 

Rage contre
l'administration
pénitencière

 
 

Apprécie la présence de
gardiennes

 
 

Phénomènes vécus:

 
 

Solitude, Violence, Rage

 
 

Ç une certaine solidaritéÈ
en dépannage

 

Sortie:

Dit avoir renforcé son
caractère

 
 

Vérifie sans arrêt s'il a
toutes ses affaires sur lui

 

Raphael

Expériences sensibles
Lieux sensibles

Expériences vécues ou
envisagées comme
affectives

Arrivées en prison :

 
 

2ème

Peur d'un complot

 
 

Etait vraiment mal

 

Pendant l'incarcération

Se raconter des blagues,
Rigoler, discuter

 
 

Tape dans le dos entre
codétenus

 
 

Regards de complicité

 
 

S'isole dans la cellule pour
pleurer

 

1ère

Est en prison avec des

Visite de son amie

 

amis. Apprécie que ce soit
les autres détenus qui

Visite de parents

2ème

viennent à lui

Il s'est Ç coupé È du
monde

3ème

Ç Dur à vivre È car cinq
dans une même cellule

 
 

Espace confiné

 
 

Apprend l'anglais en
faisant un bout de chemin
avec un détenu dans la
même cellule

 
 

Phénomènes vécus:

 
 

Solidarité, Solitude,
Souffrance, Violence,
Haine

 

1ère

 

Lors de permissions, sort
en disco pour rencontrer

 
 

Ç une filleÈ

Sorties:

 
 

1ère

 

Facilité de rencontrer des
filles

3ème

 

Peur de dire qu'il vit sous
le régime d'une semi-
liberté

 
 

Peur de s'engager dans
une relation affective

Ces deux registres sont différents, les détenus existent comme cela. Le sensible est premier, il est le soubassement à l'affectivité.

La prison est un endroit sensoriel.

Il y a peu de moments pathiques décrits en référence de Straus dans le récit des détenus. Deux personnes rencontrées décrivent des expérien ces pathiques. N ous pouvons dire que ce sont des instants pathiques car c'est intéressant de voir que c'est en prison que Raphael a appris l'anglais gr%oce à un codétenu et surtout que c'est lui qui a fait la demande pour être avec.

Et Woody dit s'être réconcilié avec Dieu gr%oce à un autre détenu. Ainsi que le moment oü il est allé voir une prostituée, c'est un moment pathique.

Par rapport à Maldiney, le Réel est ce que nous n'attendons pas. C'est une expérience oü le Dasein doit se décentrer. Nous devons bouger, nous adapter, changer nos habitudes, nous prenons appui sur l'étonnement, la surprise pour dépasser la situation.

Les détenus sont face à eux-mêmes, ils se sentent obligés de se faire face. Finalement, la Réalité de la prison montre une déchirure.

Passons maintenant à la conclusion finale de ce mémoire et plus particulièrement à un court résumé sur les quatre personnes rencontrées, à nos découvertes, à notre posture de professionnelles et à notre hypothèse de départ ainsi que de son cheminement.

Conclusion

Les quatre personnes rencontrées

Les personnes en situation de semi-liberté que nous avons rencontrées ont toutes évoqué quelques moments de satisfactions et beaucoup d'instants trés durs à supporter en prison. De ce point de vue, nous pouvons dire que l'expérience sensible est ici marquée surtout par la souffrance, voire la douleur.

Au plan affectif, soulignons que peu parmi ces personnes ont mis en avant des expériences affectives satisfaisantes en prison. Nous savons qu'en effet, en milieu carcéral, l'affectivité est marquée par la contrainte, le contrôle, voire des formes d'intrusion.

Ainsi, le monde carcéral n'a pas l'air d'être généralement envisagé comme un lieu pour vivre des expériences affectives. D'ailleurs, les détenus semblent réserver la vie affective pour l'extérieur, le Ç hors carcéral È.

Toutefois, on peut dire que la prison confronte, voire ouvre le détenu à des expériences de l'ordre du sensible. C'est là une chose importante de notre point de vue. En effet, nous supposons que toute expérience sensible qui peut être reconnue comme telle par un sujet qui la vit constitue comme une part importante de l'existence humaine. Sans doute pas suffisante à elle-seule, mais essentielle pour être et exister en lien avec soi, les autres et le monde ici, carcéral.

Nos découvertes, les limites rencontrées, notre posture professionnelle

Revenons sur le fil rouge de notre questionnaire pour comprendre comment les personnes Ç interviewées È se sont ouvertes à nous et comment nous nous sommes impliquées dans la rencontre; ce qui , rappelons -le faisait également partie de nos objectifs.

Malgré notre préparation, inévitablement quelques questions ont été dirigées ou induites et certaines n'étaient pas forcément en lien avec notre travail de bachelor. Les détenus nous ont fait part que cela les changeait de parler de leur vécu en prison au lieu de toujours parler de leur Ç faute È aux psychologues, aux juges, etc.

Nous avons essayé également dans la mesure du possible d'être sensibles au rythme, à la tonalité et à toutes expressions non-verbales.

De plus, il appara»t dans certaines ret ranscriptions, des événements qui ne sont pas exposés dans notre analyse mais qui étaient importants de raconter pour les interviewés.

En effet, les personnes vivant en semi-libertés étaient d'autant plus motivées de nous répondre afin que leur Ç souffrance È et leurs expériences vécues servent aux futurs détenus ainsi qu'aux professionnels qui les entourent, notamment les travailleurs sociaux, les psychologues.

Gr%oce aux détenus, notre savoir-être a pu s'enrichir. Le fait de s'impliquer de maniére soutenue dans la rencontre et l'échange, d'avoir accueilli les personnes dans leur monde et tel qu'ils nous ont invitées à le saisir a augmenté et élargi nos compétences relationnelles et sociales.

Expérience faite, nous pensons que la rédaction de ce mémoire nous a conduites à élaborer notre posture professionnelle: nous pensons avoir pu faire par-là d'importantes expériences qui relèvent de l'empathie, de l'implication affective.

Traiter la question de la vie affective en milieu carcéral nous a obligé à acquérir un nombre important de concepts phénoménologiques.

Nous considérons cette acquisition comme un enrichissement intellectuel essentiel. Nous avons conscience que nous n'avons pas pu engager les concepts de tyrannie du Çon È de Heidegger et de l'espace thymique de Binswanger de manière approfondie et de les mettre au travail de manière aboutie à partir du matériel récolté.

Cependant, la phénoménologie nous a conduites à des découvertes inédites pour nous. Nous gardons de cette dernière les concepts d'espace sensible, d'ouvert et d'échanges affectifs.

Hypothèse de départ et cheminement

Pour en revenir à notre hypothèse ou nous supposions que les détenus sont des acteurs impliqués dans des rencontres avec d'autres qui produisent des expériences affectives voire sexuelles et oü la privation de liberté n'entra»ne pas une absence d'affectivité, nous constatons que ce n'est que partiellement juste et peut se nuancer. Une partie bien plus intéressante a été mise en évidence, ce sont les expériences sensibles qui ont émergées. En effet, il y a plus d'expériences sensibles qui ont été décrites que d'expériences affectives. Les détenus ont bien un désir de partage affectif en prison mais le milieu ne le leur offre pas.

Ainsi, actuellement, nous pensons que la vie avec les autres en prison donne lieu à des expériences sensibles. En effet, la prison ne les coupe pas de ces dernières. Nous pourrions dire que Ç le sensibleÈ précède ou fonde d'une certaine manière ce qui relève de l'affectif. Nous proposons que la dimension sensible vienne comme au fondement à la dimension affective de la vie relationnelle. En effet, que serait une rencontre envisagée comme affective si un sujet ne peut vraiment prendre en compte ce qu'il éprouve, ce qu'il ressent?

Nous supposons que si les expériences sensibles peuvent être partagées avec d'autres, les détenus seront peut -être plus à même de vivre des expériences affectives. Aussi, il nous appara»t comme primordial que les intervenants en prisons prennent en compte ce qui relève du sensible et puissent accompagner les détenus qui le souhaitent pour qu'ils puissent être au contact de ce qu'ils ressentent dans leur rapport à eux-mêmes, aux autres et au monde. C'est là, la perspective professionnelle que nous souhaitons ouvrir et à laquelle nous a conduit notre recherche.

Limites du travail de mémoire

Comme déjà mentionné au départ, ne connaissant que partiellement le sujet, nous avons dü effectuer une recherche exploratoire et ainsi nous n'avons eu que la vision d'un surveillant et celui d'un directeur de prison, de ce qui se vit en prison.

Nous voulions initialement nous entretenir avec cinq ou six personnes incarcérées. Notre réalité a permis de rencontrer quatre détenus vivant en semi-liberté.

Par ailleurs, si nous av ons trouvé des livres, des articles, il nous semble que le sujet est encore tabou dans le monde professionnel. Un nombre limité de personnes est d'accord d'aborder le sujet. Il va, des lors, de soi que nous avons une vision limitée et partielle de la réalité de ce qui se passe en prison.

Notre grille d'entretien avait quatorze questions au sujet du theme de l'affectivité. Mais d'autres questions ont été posées au gré du déroulement des rencontres.

Les entretiens étaient semi-dirigés. Les personnes vivant en semi-liberté nous ont fait part de leur vécu tout en gardant une certaine retenue tout à fait légitime vu le sujet.

Nous savons que d'autres praticiens du champ médico-social ont déjà traité le sujet de l'affectivité (psychiatres, psychologues, médecins, sociologues, etc.). Ces champs se recouvrent parfois.

Ce theme est vaste, nous avons essayé de nous appuyer sur notre hypothese de recherche, sur les personnes incarcérées, sur des auteurs, pourtant, la question de l'affectivité en prison est d'une grande complexité. Une réflexion complémentaire et encore plus approfondie serait nécessaire et intéressante.

Bibliographie

Littératures

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CrèvecÏur, J.-J., (1997). Relations et Jeux de pouvoir: Salomon, P. (Préface), Comprendre, repérer et désamorcer les jeux de pouvoir par la DYNARSYS. Le troisième Iris Editons.

Gaillard, A. (2009). Sexualité et prison: désert affectif et désirs sous contrainte. Edition Max Milo.

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Pittet, M (en cours). Enquete sur le rythme et l'implication dans les pratiques d'accompagnement psychosociale - Implication rythmique dans le partage intersubjectif d'expériences affectives et émergence d'un savoir comme objet de formation en travail social. Genève: HES-SO, Haute école de travail social.

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Complements bibliographiques Ouvrages consultés lors du module TB1

FAAS M., FPT04, filière ES Genève, le 1er décembre 2007 Comment durant l'incarcération, les interactions entre un criminel et son milieu social et familial influencent-elles sa détention?

Lesage de la Haye, J., (1998) La Guillotine du Sexe. La vie affective et sexuelle des prisonniers. Les éditions de l'Atelier, Paris.

Welzer-Lang, D., Mathieu, L., & Faure, M., (1996) Sexualités et violences en prison, ces abus qu'on dit sexuels..., Observatoire international des prisons, Aléas éditeur.

Lhuilier, D., & Lemiszewska, A., (2001) Le choc carcéral, survivre en prison, Edition Bayard.

Lhuillier D, Intimité et sexualité des femmes incarcérées, article paru dans la Lettre de Genepi, n°64, septembre/novembre 2003,

Ricordeau, G., (2008) Les prisonniers ont-ils (encore) une sexualité?, Le Sociographe.

Welzer-Lang D. (2007) Penser les sexualités en Prison. Quasimodo, n°2, janvier Montpellier

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Annexes

Annexe 1: Déclaration éthique

Nous déclarons avoir pris connaissance du Ç Code d'éthique de la recherche È et de son addendum, version mars 2009, et nous nous engageons à en respecter les régles et principes dans le cadre de la réalisation de notre travail de bachelor.

BOULE Rachel

SCHMID BRIACHETTI Roseline

Annexe 2: Engagement éthique réciproque

Genève, le 19 septembre 2011

Les étudiantes soussignées, Rachel Boulé , Roseline Schmid

Briachetti (Directeur de mémoire : Marc Pittet marc.pittet@hesge.ch)

ainsi que l'interviewé soussigné s'engagent à respecter les principes

suivants:

Nous attestons de l'anonymat des personnes en les nommant différemment et en ne spécifiant pas leur %oge exact.

Les informations recueillies seront récoltées de manière confidentielle.

Lors de la retranscription de l'entrevue, nous surveillerons à ne pas changer les propos de l'interviewé en les sortant de leurs contextes.

Les cassettes sonores dont nous n'aurons plus besoin seront supprimées une fois notre travail de bachelor validé.

Il sera possible à tout moment d'arrêter la collaboration à notre recherche. Néanmoins, le soussigné , s'engage à prévenir les étudiantes avec un préavis rapide de sa décision.

Les informations et le matériel enregistré et écrit recueilli jusque-là, sur la personne soussignée pourront être employés dans le cadre de ce travail de bachelor.

Le soussigné autorise Rachel Boulé, Roseline Schmid Briachetti à

utiliser son témoignage dans le cadre de diplôme.

Ce document est confidentiel et ne sera révélé à personne d'autre qu'aux soussignés (ées).

Annexe 3: Information et engagement de confidentialité

Genéve, le 19 septembre 2011

Ce document est confidentiel et ne sera révélé à personne d'autre qu'aux soussignés (ées).

Par ce document, les soussignées, Rachel Boulé et Roseline Schmid

Briachetti , attestent qu'elles garantissent l'anonymat de la personne

interviewée.

Nous n'emploierons et ne dévoilerons ni son nom, ni sa voix, ni son %oge exact.

Nous nous engageons à détruire aprés emplois, les enregistrements effectués à des fins pratiques.

Rachel Boulé Roseline Schmid Briachetti

L'interviewé, Monsieur consent par sa signature, Rachel Boulé,

Roseline Schmid Briachetti à retranscrire ses dires dans le cadre de leur travail de bachelor.

L'interviewé, Monsieur

Annexe 4: Grille d'entretien

Fil conducteur-rouge

Relation - rencontre- moment pathique (capacité-permission-connaissance) - appara»tre, sentir: oser, vouloir, devoir, pouvoir, être là- être capable de - besoins, émotions (tristesse-joie-colère etc.), sentiments

Grille d'entretien

Salutations

Encore remerciements pour votre participation, encore merci de répondre à nos questions.

Nous nous appelons Rachel Boulé et Roseline Schmid Briachetti. Nous élaborons un mémoire en vue de l'obtenti on de notre bachelor en travail social.

Nous avons choisi de traiter le sujet de la vie affective dans un milieu carcéral. C'est un sujet peu abordé et nous aimerions avec ce mémoire mieux comprendre comment les échanges affectifs s'effectuent dans le contexte carcéral et surtout conna»tre votre vécu en prison.

Nous vous précisons que cet entretien restera anonyme. Les enregistrements seront détruits et nous utiliserons des noms fictifs (genre X, Y...).

1) En guise de premier contact, qu'auriez-vous envie de nous dire de vous?

Nous vous présentons un aperçu des thèmes que nous allons aborder: les expériences d'échanges affectifs lors de l'arrivée en prison, pendant l'incarcération, enfin, dès votre sortie (liberté, semi-liberté)

Arrivée

2) Quels souvenirs gardez-vous de votre arrivée ou des premiers moments vécus en prison?

3) Quelles idées des relations entre les gens aviez-vous avant votre détention: Adaptation- Moments de relations, d'échanges en général

4) Quels sont les moments de rencontre importants pour vous?

o Le matin au moment du petit déjeuner o sur le chemin pour aller aux ateliers

o au moment des repas de midi, du soir? o des lieux en communs ?

o des activités de loisirs, de vos occupations (jeux, télévision, sport, promenade, etc.) ?

o oü autres?

5) Pourriez-vous nous décrire une expérience d'échanges affectifs lors de l'un de ces moments?

Liens, Echange, Moment pathique

6) Comment en êtes-vous arrivés à créer des liens en prison, Etait-ce: o De votre initiative?

o Des autres

7) Comment pourriez-vous décrire ces liens.

o Superficiel

o Convenu ou conditionné par le milieu (servir soupe) o Amicaux

o Affectif

o Intime

8) Comment étaient ces liens?

o De Confiance

o De respect

o De réciprocité (je te donne, tu me donne, je te raconte, tu me ...) o D'entraide

o De solidarité

o D'échange d'idées

o De discussions

o D'amitié

o D'amour

o Sexuels

9) Qu'auriez-vous envie de nous en dire?

10) Lors des rencontres qui ont compté pour vous, comment le contact s'est-il crée? Ouverture

11) Lorsqu'il existe un moment d'échange des émotions apparaissent, qu'est-ce qu'elles ont permis:

De vous sentir:

o Mieux

o Paisible

o Reconnu

o Moins seul

o Compris

o Triste

o Plus isolé

o Avoir envie d'avoir un projet de vie

12) Comment définiriez-vous la nature de vos contacts? o Par un contact comme le toucher?

o Par des échanges de mots?

o Non verbal?

o Autre

13) Qu'avez-vous apprécié? Changement

14) Qu'est-ce que vos expériences affectives ont permis, dans votre vie de tous les jours?

Nous vous remercions, nous arrivons à la fin de notre entretien, nous avons fait le tour des questions que nous voulions aborder. Souhaiteriez-vous compléter ou ajouter quelque chose qui vous semble essentiel et auquel nous n'avons pas pensé?

Questions de relance,

Vous pouvez y aller tout simplement en disant ce qui vous vient à l'esprit...

Est-ce que je me trompe si je dis que vous semblez éprouver une hésitation à me donner votre avis sur ...?

En somme si j'ai bien saisi ce que vous me dites, vous auriez . si les...

vous laisseriez C'est un peu cela?

**Au vu de la rencontre que nous avons effectué avant les entretiens individuels avec les personnes vivant en semi-liberté, nous avons rajouté des questions par rapport à la discussion qui avait eu lieu dans les locaux du foyer.

Les questions du haut sont ciblées sur les expériences affectives. Lors de notre première rencontre en groupe, en présence du directeur de foyer, nous avons discuté sur des points qui semblent importants pour des détenus hommes:

o Est-ce qu'il a une différence entre l' affectivité et la sexualité pour vous? o Seriez-vous d'accord de reparler de séduction?

o Nous avons discuté autour de la notion de violence en prison... o Nous avons parlé de masturbation...

o Nous avons abordé la question des parloirs intimes...

Annexe 5: Retranscriptions des entretiens

Les retranscriptions ont été reproduites mots à mots selon les enregistrements écoutés.

Woody

(Surnom choisi avant l'enregistrement)

Rachel: Bonjour.
Woody: Bonjour.

Rachel: On tenait encore à vous remercier d'avoir accepté de répondre à nos questions. Merci de nous aider dans notre démarche d'étudiante. La derniére fois que nous nous sommes rencontrés, on vous avait expliqué pourquoi nous avons choisi le sujet de l'affectivité dans le milieu carcéral. Donc, je vous fais un petit rappel, si nous avons choisi ce sujet, c'est que c'est un sujet peu parlé et tabou et puis nous avions envie d'en conna»tre un peu plus et donc faire des recherches et essayer de rendre ce sujet un peu moins tabou.

Woody: Donc ce sujet englobe un peu vos études?

Rachel: Non pas du tout, non, non on travaille dans le handicap toutes les deux, et nous avions aussi envie d'élargir nos connaissances, et puis c'est pour ca que nous avions envie d'étudier un sujet qui est vraiment trés peu parlé et cela nous semblait important.

Woody: C'est une bonne chose, moi comme je le dis, je le fais pour, pour moi ca ne va pas changer grand-chose, mais si ca peut aider d'autres qui sont dans des situations difficiles comme ca, et bien, je le fais volontiers.

Rachel: Ce que nous souhaitons, c'est conna»tre votre vécu, durant votre incarcération. C'est important de préciser que cet entretien restera confidentiel, nous n'utiliserons pas votre nom. On prendra un nom fictif pour que cela reste totalement confidentiel. Les themes que nous allons aborder sont: les expériences au niveau des échange affectifs durant votre détention, votre arrivée en prison, pendant votre incarcération et enfin à votre sortie.

Rachel: Qu'est-ce que vous aimeriez nous dire de vous, est-ce que vous aimeriez nous donner des informations générales vous concernant?

Woody: J'ai passé la cinquantaine, je suis papa de 3 enfants, divorcé, puis maintenant je suis à en semi-liberté et puis tout se passe bien, j'ai retrouvé la vie normal e, et depuis un an et demi je me réintégre à la société, puis je me reconstruis.

Rachel: J'ai oublié de vous dire que s'il y a des questions auxquelles vous ne souhaitez pas répondre, ou si vous souhaitez une pause vous n'hésitez pas à nous le dire.

Rachel: Quel souvenir gardez-vous de votre arrivée en prison?

Woody: Je n'oublierais jamais la première minute, quand en arrivant là-bas, d'abord on vous fait prendre une douche, y'a pas de rideaux de douche, tout le monde vous regarde, les gardiennes comme les gardiens puis apres il y a les escaliers qui commencent à grimper, et des portes métalliques partout, partout, des barreaux, des clefs, ils ont besoin des clefs pour tout, je crois que c'est un des pires trucs. Il parait que ca nous poursuit encore six mois. Bon heureusement ca n'a pas été le cas pour moi. Chaque dix metres, il a y une porte et il faut l'ouvrir et un gardien doit mettre sa clef là-dedans et ca fait un raffut, vous n'imaginez pas. Alors ca a été le premier choc en arrivant et en voyant toutes ces cages d'escaliers avec toutes ces portes, tous ces trucs. J'ai fondu en larmes, j'étais cassé, j'étais euh, vraiment c'était l'horreur.

Pis apres, bon, on vous ouvre une cellule, bon c'était encore à la , un vieux

bâtiment, heureusement, assez sympa c'est beaucoup dire mais, disons que ce n'était pas béton, béton, il y avait quand même un plancher en bois, pis la chambre pas trop petite. Mais bon c'était le choc, le choc en arrivant là-bas.

Rachel: Vous étiez seul dans la chambre?

Woody: Ouais. Ouais heureusement il n'y avait à l'époque encore pas mal de cellules individuelles. Donc voilà, je me suis retrouvé seul, ce qui était une bonne chose.

Roseline : Pour combien de temps étiez-vous obligé d'être là-bas ? Woody: J'ai passé un long moment oh oui un long moment. Roseline: Plus d'une année?

Woody: Oh oui!

Rachel: Quelles idées vous faisiez vous des relations qu'il pouvait y avoir entre détenus ou entre détenus et gardiens?

Woody: Je n'y avais jamais pensé, déjà rien que ce décor. Il faut vraiment y être pour y croire. Parce que depuis l'extérieur, on n'a pas idée de ce qui se passe là-bas, jamais.

Pis moi je débarque là-bas, je ne savais pas que je devais avoir un avocat, qui fallait ci, qui fallait ca, que j'sais pas moi, un recours, un machin, des termes, un tas de choses qu'on ignore totalement, il faut se mettre au courant de tout cela. En ce qui concerne les relations humaines, j'ai jamais pensé avant.

Comme je vous l'ai dit, la première chose qui m'avait frappé en arrivant là-bas, euh,
apres deux trois jours vous êtes convoqués chez le médecin, il fait un checkup

grossier et il vous remet une petite bo»te en carton et dedans y a des pommades désinfectantes, du mercurochrome, y a des sparadraps, des trucs de gaz, vraiment la petite pharmacie de base sans médicament évidemment et des préservatifs. Et pis j'ai posé la question, c'était une infirmière mais, qu'est-ce que c'est ces préservatifs ? Et pis voilà, on m'a dit simplement qu'il y a des détenus entre eux qui ont des rapports, donc pour protéger du sida etc., et on distribue à tout le monde des préservatifs. Et ca, ca m'a choqué, je me suis dit après coup que finalement, voilà, ils sont conscients qu'on nous coupe de toute relation, de tout contact, de toute affectivité, ils le savent pertinemment, ils savent aussi pertinemment qu'on en a besoin et ils s'en fichent totalement et on nous dit débrouillez-vous, voilà des préservatifs, si vous voulez de l'affection, vous allez avec un collègue, avec votre copain, alors ca, ca m'a un petit peu..., j'ai trouvé ca un peu saumâtre.

Roseline: Déjà le troisième jour....

Woody: Ben ouais. Là je me suis dit bienvenu au club, tout va bien.

Roseline: On va peut-être poursuivre les questions et on va revenir sur ce sujet plus tard.

Rachel: Est-ce que vous pourriez nous décrire une journée type, les moments dans lesquels il y a une possibilité de rencontre? Je ne sais pas, par exemple, le petit déjeuner, durant les ateliers, peut-être dans les lieux communs?

Woody: On n'est pas toute la journée seul dans une cellule, c'est vrai qu'on vous donne assez vite du travail. a, j'ai assez bien apprécié, et puis on était dans un atelier de démontage TV, de pièces électroniques, des trucs comme ca. Il fallait découper, trier les divers composants. Alors là, on avait une dizaine de codétenus, il y avait du contact.

Il y avait du contact durant le sport aussi, il y avait quelques heures qui vous étaient données. Y'a les promenades aussi, les repas, bon en préventive c'est seul dans la cellule. Après, c'est vrai, il y a la possibilité de manger dans les couloirs, en groupe.

Mais euh...voilà, on a quand même des contacts, seulement c'est très, très limité comme contact parce que ce...ce qui est frappant, il y a 80% d'étrangers dans les prisons suisses et ouais ca parle toutes les langues sauf le francais, donc il faut déjà trouver quelqu'un avec qui on peut éventuellement discuter, ca été une difficulté majeure je dirais. Moi j'étais à chaque fois tout content de pouvoir parler francais avec quelqu'un, c'est clair on fait des progrès en anglais, espagnol, mais en francais c'était rare et il faut aussi tomber sur la bonne personne car il y en a aussi qui sont malades je dirais. Il y a énormément de détenus qui souffrent de maladie s, je dirais presque psychiques, qui sont mélangés aux autres.

Après, il y a des énormes problèmes de violence, du racisme, y'a des insultes, la moindre petite étincelle, et pis ca explose, on sent, il y a une tension, c'est une poudrière, une vraie poudrière. Les gens sont à cran, toute la journée brimés par les gardiens soit par leur situation soit par des juges, par des réponses négatives.

Il vous faut faire la queue pour une cabine téléphonique, pendant une demi-heure pour enfin décrocher le machin pis vous téléphonez trente secondes et on vous tape déjà à la fenêtre, moi j'ai dü vendre une maison par exemple depuis une cabine téléphonique, je peux vous dire que c'était l'enfer, trois mois par petites bribes. Il y a des tensions énormes.

Roseline: Ce que vous êtes en train de dire, c'est que toutes ces démarches vous prennent toute la journée et pis que de temps en temps il y a le contact quand vous travaillez par exemple, mais autrement vous n'y pensiez pas à avoir une discussion....

Woody: Non.

Roseline: C'était vraiment ca qui prenait tout votre temps...

Woody: Ah, ca nous rongeait, c'est ca qui..., cette tension, qu'il y a sans cesse, pour des petites bricoles, vous voulez une photocopie, on vous dit d'abord non, pis aprés on vous dit de passer chez le chef, pis le chef vous dit oui mais vous savez que c'est exceptionnel etc. Vous en avez pour une demi-heure, puis aprés enfin vous avez une photocopie. Tout est comme ca. a met une pression terrible. Les gens sont extrêmement sur leurs nerfs, et la moindre petite chose, ca éclate.

Rachel: Dans les liens que vous pouviez créer, c'est plutôt vous qui deviez aller chercher le lien, ou dè s que vous arrivez quelque part il y a des gens qui viennent. Il y a une solidarité qui peut se faire, donc c'est plutôt les autres qui viennent à vous?

Woody: C'est difficile, bon moi j'ai le contact assez facile, pis euh, je discute volontiers avec n'importe qui, pis euh, on se rend trés vite compte à qui on a à faire. Pis inversement aussi, les gens sont curieux, chaque fois qu'il y a un nouveau qui vient, ah bon voilà, qu'est-ce que tu as fait? Pourquoi tu es là? Etc... a crée des liens un peu artificiels. Mais c'est vrai, moi, j'avais toujours un ou deux collégues avec qui je me promenais pendant la promenade et j'étais content d'avoir un contact, quelqu'un avec qui je pouvais discuter, normalement, quoi ! C'est clair, il y a de tout, ca va vraiment du cambrioleur, il y a des médecins, des pilotes d'avions, il y a vraiment des milieux différents, c'est vrai, c'est vraiment intéressant.

Rachel: Mais il y avait la possibilité d'avoir des liens plutôt sincéres, amicaux, affectifs, ou c'était des relations superficielles comme vous l'avez dit tout à l'heure ?

Woody: Disons que sur une année, vous rencontrez un bon copain. Donc vraiment c'est trés rare et pis, au début c'est vrai on s'écrit, on échange parce qu'il y a des transferts, il y a des gens qui partent pis on garde le contact pendant deux ans, je ne sais pas, et puis aprés ca se perd un petit peu. C'est qu'il y a, je dirais, j'ai rencontré trois ou quatre bons copains avec qui on a gardé le contact encore trés longtemps. C'était heureusement existant.

Rachel: Donc difficile pour vous d'avoir confiance.... Woody: Ouais, ouais. Trés difficile, trés difficile. Ah ouais.

Roseline: Et donc il y avait du respect....

Woody: Non, non pas de respect. Chacun pour soi, égocentrique, les insultes, la violence, le respect alors-là, ca manque terriblement, sauf avec ces deux trois gars avec qui je m'entendais bien, alors là, il y avait du respect, c'est vrai, mais sinon...

Roseline: Puis là, les gardiens, n'intervenaient pas, par exemple quand vous étiez en promenade vous pouviez discuter librement? C'était pas aussi...

Woody: Non, non, non. On peut se promener librement, y a pas de probléme. Il y a un ou deux gardiens qui sont là au cas oü il y a des bagarres, ou des trucs comme ca, ce qui arrive assez fréquemment, mais, on peut parler plus ou moins ouvertement. On sait qu'il y a des caméras, on sait qu'il y a probablement des micros etc.... On sait pas bien, donc voilà, il faut toujours rester un peu discret.

Rachel: Et ces contacts que vous avez pu créer avec ces quelques personnes, vous pourriez nous décrire comment ces contacts se sont créés....

Woody: Disons que c'est surtout à l'extérieur, dans la cour, ou lors de promenades que tout à coup on se dit, celui-là a l'air sympa, il y déjà des atomes crochus qui se font quelque part et pis, aprés bon il parle francais. C'est clair c'est le premier tri qui se fait puis aprés, on discute un peu avec, on voit comment ca se passe, quel niveau il a et puis aprés, ca peut se développer assez profondément.

Moi, j'ai un trés bon souvenir. C'était un gars à peu prés mon %oge et qui était trés, trés croyant et trés lié à la bible et tout. Il connaissait presque la bible par cÏur, c'était impressionnant ce qu'il connaissait. Et tous les lundis, on se voyait soit dans ma piaule ou dans la sienne et on parlait de la bible et toutes ces questions qui nous passaient par la tête. Et ca, j'ai trouvé génial.

Et là, il y a des choses que j'ai appris, moi je dirais qu'il y a cinq choses que je peux retirer de positif dans ce cauchemar, c'est: je me suis rapproché de Dieu, ca, c'est sür, il y a des situations oü il m'a vraiment soutenu, seul, je ne crois pas que je m'en serais sorti. Il y a des moments oü vous avez besoin de sentir le spirituel, et gr%oce à ca, j'ai passé par-dessus pas mal de cauchemars. Puis aprés, les langues, j'ai fait des progrés en espagnol, en anglais, le sport, c'est vrai qu'à l'époque je faisais du sport deux, trois fois par semaine, un maximum possible, j'étais pas mal en forme je dois dire.

Et aprés, il y a eu les projets de cuisine qui se sont réveillés là-bas, et je me suis dit, pourquoi je ne me lancerais pas dans la cuisine? a fait un moment que j'adore ca, j'ai travaillé 25 ans dans le technico-commercial et tout à coup je me suis dit pourquoi pas se lancer dans la cuisine et ouvrir un petit bistro quelque part. J'essayais d'imaginer un peu mon avenir. Alors, il y a eu cette passion pour la cuisine, j'ai travaillé principalement dans les cuisines lors de mon parcours, c'était mon but et puis maintenant, je commence à avoir un peu une idée de mon avenir, je sais que je vais ouvrir mon petit bistro quelque part, pas forcément en suisse.

Rachel: Dans un endroit oü il fait bien chaud?

Woody: Oui exactement, ca c'est les cinq choses que j'ai retirées de positif, bon pis le reste c'est de la souffrance, de la violence, c'est des sacrifices, des hauts et des bas. Il y eu des moments trés difficiles.

Rachel: Si je comprends bien, y a un manque de prise en compte de la personne

Woody: Disons, un manque de respect. Par exemple, il y a des gardiens qui sont trés, trés sympas, il faut le reconna»tre, avec qui même il m'est arrivé de discuter durant la promenade, des gars vraiment sympas. Puis d'autres, disons, c'est vraiment des gros cons, des emmerdeurs, je sais pas.

Alors il y a de tout, mais sinon, on a quand même un suivi, que ce soit par un psychologue, par un médecin qui vous voit, il y a l'assistante sociale, aussi, qui s'occupe pas mal de l'administratif. Mais, je dirais que c'est des suivis sporadiques, qui ne sont pas vraiment... C'est vrai, j'avais plaisir à discuter avec l'assistante sociale, mais je la voyais une fois par mois ou tous les deux mois pis c'était une heure et terminé.

Et puis les psys, ils devraient nous mettre des gens compétents, mais là, ils ont vraiment... je ne sais pas ce qu'ils ont comme personne, mais ca change tous les six mois. Il faut recommencer à chaque fois, raconter son histoire, puis une fois qu'elle vous conna»t, elle repart, pis c'est des gens, bon je vous passe les détails. Il y a des personnes qui ne sont vrai ment pas compétentes, j'ai trouvé.

Roseline: Quand vous dites qu'il n'y a pas de respect, des insultes etc. La psychologue, c'était quoi son travail? C'est justement de vous aider à entrer en contact, en relation, à créer des liens

Woody: Alors les psys s'attardaient plutôt à notre passé, à notre présent, etc. A notre histoire personnelle et puis le reste, j'en faisais part de temps en temps de ces souffrances, mais voilà on vous dit que c'est comme ca, ce n'est pas le club Med. Ici vous êtes en prison. J'ai eu la chance d'être toujours passé entre les gouttes, mais il y a des situations oü c'est violent.

Roseline : Donc vous, vous vous êtes fait insulter aussi?

Woody: Oui, oui, vous avez une tablée de turcs et chaque fois que vous passez à côté on vous dit: Çsale suisse de merde È. Donc au pluriel chaque fois que nous étions deux, trois. On vous traite comme ca et il ne faut surtout pas répondre, il faut encore dire merci parce qu'autrement, ils vous... un...

Roseline: Quand vous dites que vous avez de six à huit du temps libre, vous pouviez aller dans les cellules des autres?

Woody: Oui à ce niveau-là, enfin pas en préventive mais aprés oui. En détention, il y a des heures de fermeture, aux alentours de 22h, je crois. Puis là, vous avez effectivement la possibilité de rester sur l'étage, même pas, vous pouvez changer d'étage, et boire le café vers quelqu'un, écouter de la musique, regarder un film, y'a possibilité quand même .

Roseline: Et donc, je suis désolé, je saute du coq à l'âne, parce que c'est ce qui me vient en tête. Donc, quand vous vous faites insulter, les gardiens n'interviennent pas, ils laissent faire, ils interviennent seulement répréhensivement quand il y a des bagarres, c'est ca?

Woody: Voilà, exactement. Déjà, bon, je ne sais pas si c'est leur système, ils vous laissent assez libre, ils ne sont pas tout le temps derrière vous, ils sont souvent dans leur aquarium en bas, et pis bon surtout à la fin, j'ai vu ca à la par exemple, et pis bon, on voit jamais les gardiens, il faut vraiment que ca pète, qu'il y ait trois, quatre gars l'un sur l'autre pis après il faut encore que quelqu'un sonne l'alarme pour qu'ils viennent, bon c'est assez rapide, c'est vrai, mais autrement les insultes, tout ca, personne ne voit.

Roseline: Personne veut l'entendre....

Woody: Oui, exactement, personne veut le voir. (Rires)

Rachel: Et puis dans les moments d'échange avec ces personnes, au niveau des émotions qu'est-ce que vous..., vous, vous sentiez mieux, plus paisible dans ces moments-là, peut-être une certaine sérénité ou au contraire la tristesse

Woody: Non, non au contraire, ca me faisait vraiment du bien d'avoir à faire à des gens qui euh... euh..., à des gens avec qui on peut échanger des idées, avec qui on peut parler des émotions etc., car on a des soucis énormes et ca fait du bien de pouvoir exprimer cela à quelqu'un. Et puis euh..., ce qui est très dur, c'est les départs, moi, j'ai vécu des départs oü vraiment on s'enlaç ait et on pleurait presque, parce que soit le gars était libéré ou transféré, vraiment ca c'était très intense comme relation.

Roseline: On peut presque parler de relation amicale alors....

Woody: Oui, oui, c'est vrai. Je pourrais dire qu'il y a eu deux trois amis, effectivement. Mais avec qui j'ai effectivement perdu contact. Je ne sais pas ou est- ce qu'ils sont en ce moment, je ne sais pas s'ils sont libérés.

Roseline: a vous a fait du bien, ca vous a permis de tenir le coup? Woody: Oui

Roseline: Et quand il y a les départs, là, ca retombe?

Woody: Oui ca retombe.

Roseline: C'est de nouveau le bas?

Woody: Oui, c'est de nouveau le bas. Après, vous mettez de nouveau des mois à trouver quelqu'un avec qui vous pouvez échanger quelque chose.

Rachel: Pis la nature des contacts c'était des..., ça pouvait être des contacts aussi non verbaux, est-ce que ça pouvait..., voilà est-ce que là il y avait la possibilité de justement à un moment donné d'être triste et de pouvoir se prendre dans les bras, ou est-ce que c'était toutes des choses qui quelque part n'étaient pas possible, qu'on s'interdisait?

Woody: C'est vrai, c'est un peu tabou, disons, moi personnellement bon j'ai... j'approuve pas l'homosexualité, bon j'accepte, je reconnais qu'il y a des gens qui sont comme ça, je l'accepte, mais personnellement, ça ne me tente absolument pas et je suis trés réticent. Et pis, je pense que la plupart de mes collégues aussi, ils étaient pas du tout attirés par ça. Mais, on a eu des échos comme quoi effectivement il y a des gars qui étaient ensembles, il y a des couples qui se formaient et même y en avait un ouvertement, alors en plein atelier, ils se gênaient pas de s'enlacer, de s'embrasser etc., ce qui était quand même un petit peu choquant. J'étais un peu choqué quand même.

Mais c'est vrai qu'au niveau affectif, de tendresse, il n'y a rien, rien, rien, rien. Et c'est là que disons que, cette violence, ces gens qui sont vraiment..., qui ont les nerfs à fleur de peau, qui pétent un plomb pour rien, ils sont comme ça. Justement parce qu'il leur manque des caresses. Il leur manque l'affectif, il leur manque une femme avec qui ils peuvent... pas forcément un contact physique, disons pas une relation physique, mais une simple affectivité. Et ça les calmerait tellement, ça les rendrait tellement plus cool, plus relax et tout, et non, et non, ce n'est pas possible. Moi personnellement, j'étais extrêmement tendu et c'est quelque chose qui me manque parce que... on peut pas et ça c'était... les gens, les gars, ils sont tellement machos euh déjà dehors quand on voit les relations qu'ils ont avec les filles, ils jouent aux coqs, mais ils arrivent à séduire et ça doit les calmer à quelque part. Tandis que là, en taule, ben ces gens ils sont toujours aussi machos, mais ils ont plus personne à séduire, alors ça se transforme en guerrier, en ca
·d, ça veut jouer les bras, et toute... c'est là ou je me suis dit je suis certain que... qu'un contact humain avec une femme leur ferait du bien , vraiment à tout le mon de, ça calmerait vraiment le jeu et...

Rachel: Justement lors de notre première rencontre, quand nous sommes venues nous présenter, il y avait... oui quelqu'un avait évoqué le mot séduction, euh... qu'est-ce que vous, au niveau de la séduction, pourriez-vous nous dire sur ce mot dans un milieu carcéral fermé?

Woody: Moi disons, euh... heureusement il y avait quand même quelques gardiennes, ça c'était déjà un point trés positif, dont quelques-unes vraiment trés sympas, d'autres arrogantes comme tout, mais d'autres vraiment trés sympas. Et ça c'est vraiment bien pour pouvoir discuter de temps en temps avec certaines dames simplement. Aussi l'assistante sociale, etc.

Rachel: Et donc là, il y avait une possibilité de séduction, tout en sachant bien que voilà, il n'y a rien de possible?

Woody: Euh, on peut mais c'est difficile, on va pas séduire une gardienne, mais il y a quand même une relation homme-femme qui se fait qui est trés positive, mais évidemment, cinq minutes. Une fois, il y a eu une gardienne qui venait jouer aux cartes, même avec certains, mais un jour on lui a dit: Ç mais on vous voit plus,

qu'est-ce qui se passe È et elle nous a dit que la direction leur a interdit de jouer avec les détenus, d'être trop proches d'eux, donc elles sont aussi surveillées.

Roseline: Ah ouais, ils sont surveillés. Le droit à l'intimité, oui avec les codétenus mais pas trop non plus...

Woody: Non, c'est, disons, si vous êtes dans une cellule avec quelqu'un, bon on peut fermer la porte, ce qui se passe derrière on en sait rien.

Roseline: Ouais, ca vous aviez le droit ? Est-ce que..., est-ce que vous avez recu des visites en prison?

Woody: Oui, oui, heureusement. Mes parents, mon frére. Bon, j'ai eu de la chance d'avoir eu pas mal de visites. Mais, c'est des moments trés difficiles, ca apporte quelque chose au point de vue émotions, d'avoir ses connaissances, ses proches, des nouvelles de son entourage c'est génial. Mais euh... souvent il y a quand même des problémes, il y a ci ou ca qui ne joue pas, et pis on a pas le temps, on a pas le temps. Une heure, une heure et quart et il faut tout déballer ce qu'on a sur le cÏur et tout . Puis, c'est déjà l'heure, il faut se dire au revoir et c'est de nouveau difficile.

Rachel : Vous n'avez pas vraiment, pas vraiment le temps de vous rencontrer....

Woody: Non, pis il y a toujours un surveillant à quelques metres qui surveille et qui écoute tout. Bon moi, je parlais suisse allemand avec mais parents, mais bon c'était pas vraiment un contact trés agréable finalement. C'était plus une tension qu'autre chose.

Roseline: Donc là, vous pouviez exprimer les émotions, mais aprés, ca vous retendait, et donc là il n'y avait pas d'affectivité possible?

Woody: Non, j'ai vu, il a des collégues qui ont recu leur femme et ils pouvaient quand même s'embrasser, discrétement et pas trop longuement, c'était trés, trés, surveillé. J'ai un collégue qui s'est carrément fait refuser les visites pendant des mois parce qu'il a eu le malheur de la prendre sur les genoux pendant un moment et pis voilà, c'était la catastrophe. C'est vraiment trés, trés difficile.

Et pis vous avez la possibilité aussi par téléphone, on peut téléphoner mais aussi avec les difficultés que je vous ai dit tout à l'heure. C'est aussi possible quand c'est une urgence, un truc, on peut aussi discuter deux minutes par téléphone (rires).

Roseline: Donc les liens qui sont dans les cellules ca va, il y a plus ou moins d'intimité, par contre les liens avec l'extérieur c'est compliqué, c'est conventionné, c'est réglé....

Woody: Oui, oui, tout est réglé, surveillé, fouillé, c'est, c'est terriblement surveillé.

Rachel: Donc quand on parle de privation de liberté, en fait, c'est vraiment ca qui est recherché, c'est vraiment privé de toute possibilité d'échange avec l'extérieur ....

Woody: Je crois que c'est l'une des pires choses qui peut arriver à un être humain, c'est d'être privé de sa liberté. Maintenant, la liberté, bon, c'est d'aller quand on veut, ou on veut, de faire plus ou moins ce qu'on veut, euh..., bien sür en respectant les normes légales, etc. C'est, c'est... agir librement, comme on veut, pis quand on vous coupe tout ca, quand euh... vous avez des barreaux à la fenêtre, quand on vous dicte à quelle heure il faut se lever, à quelle heure il faut fermer, à quelle heure il faut prendre la douche, à quelle heure on mange, ah vous avez besoin d'une photocopie, mais vous allez poiroter deux heures pis ci, pis ca. C'est tout ca, c'est tout cet ensemble.

Rachel: Ah pis à quelle heure vous allez rencontrer quelqu'un, ou vous allez pouvoir rencontrer quelqu'un?

Woody: Ouais, les visites et tout ca, c'est vraiment trés, trés réglementé et pis ca coupe notre liberté, c'est sür, on peut pas faire comme on veut.

Rachel: Ouais c'est ca, même dans les moments oü vous pouvez rencontrer du monde, votre famille qui vient vous voir, même ca c'est complétement réglé et surveillé et réglementé. Même là, en fait, il n'y a pas de liberté?

Woody: Non même là, il n'y a pas de liberté. C'est des entretiens extrêmement formels, je dirais, c'est pas l'affectivité, c'est rien, c'est un échange d'informations, vite, vite et pis voilà.

Roseline: Et pis encore plus de tensions....

Woody: C'est vrai, suivant aprés quelle visite j'ai eu, j'étais encore plus au fond du trou qu'avant. Alors ca c'est vrai, ouais. Suivant ce qui se passe à l'extérieur, évidemment ca vous tombe dessus comme une avalanche, vous apprenez plein d'infos positives comme négatives en une heure pis aprés, il faut faire avec.

Roseline: Et là, il n'y a pas de soutien qui compte?

Woody: Je sais pas, je crois qu'il y a toujours moyen d'appeler un gardien ou d'aller au médical mais je pense qu'ils ont pas mal à faire quand même.

Roseline: Mais vous ne l'avez pas fait? Woody: Non

Roseline: D'accord.

Rachel: Est-ce que vous faites une éventuelle différence entre l'affectivité et la sexualité?

Woody: Oui, Oui. C'est quand même une certaine différence. Je peux par exemple être avec une bonne copine, la tenir dans mes bras et tout, mais sans que ca aille plus loin. Et, il peut y avoir des relations sexuelles qui peuvent se faire sans affectivité aussi.

Rachel: D'accord... (Silence)... Durant votre détention, est-ce que vous auriez eu plus besoin d'affectivité ou de sexualité ou peut-être des deux?

Woody: La sexualité, bon ben on peut se débrouiller tout seul, ca ma foi, on est un peu tous à la même adresse là-bas, mais point de vue affectivité, effectivement, pour tenir simplement une personne dans ses bras, pouvoir caresser quelqu'un, pour échanger un peu de tendresse, ca, c'est un manque terrible, terrible.

Moi ca me fait toujours penser, bon c'est peut être un parallèle un peu, un peu osé, mais ca me fait toujours penser à un chien. Un chien, vous pouvez rendre n'importe quel toutou le plus gentil possible, vous pouvez le rendre comme un pitbull quoi. Et inversement, un pitbull bien dressé peut être extrêmement gentil. Alors un chien, si vous n'arrêtez pas de lui taper dessus et de lui interdire des choses, de lui crier dessus, etc. Et bien il va devenir mauvais, Il va devenir agressif, il va devenir dangereux. Alors que le même chien, si vous lui donnez de l'amour, des caresses, de l'affection, et bien il va être un chien adorable. Et là, j'ai souvent senti ce parallèle.

Roseline: Et vous l'avez fortement ressenti vous-même? Woody: Ouais ouais ouais. (Silence)

Rachel: Quand on a discuté lors du repas passé ensemble, il y a le mot masturbation qui est ressorti, et puis euh... je ne sais plus qui disait que ca permettait de pallier à un manque qui était là et dü à votre situation.

Woody: Bien sür, bien sür.

Rachel: Et pis, est-ce que c'est un sujet que vous pouviez aborder avec des codétenus avec qui vous vous entendiez bien? Ou est-ce que là aussi cela reste un sujet tabou? Pis finalement est-ce qu'il y avait aussi suffisamment d'intimité....

Woody: Je pense que c'est un peu comme à l'extérieur. Entre gars on en parle pas beaucoup. On sait que chacun le fait mais on en parle pas beaucoup.

Rachel: Ok

Woody: Evidemment, il y a les plaisanteries qu'on fait en taule, disons, ah tu as vu le film hier soir, ou bien il y a des films pornos qui circulent, qui étaient autorisé s, disons tolérés.

Rachel: Tolérés ....

Woody: Ouais un temps c'était un peu limite. Mais ca on pouvait quand même. Donc ca c'était... Pis ca en en parlait en rigolant. Mais on va pas plus loin, on ne parle pas de masturbation entre garcons. Et dans l'intimité, suivant oü, ca allait quoi. Les murs étaient quand même assez épais et puis suivant oü, en préventive, c'était du carton. Tu entendais tout ce qui se passait à côté. Le pakistanais qui faisait la prière à trois heures du matin ou autre chose.

Roseline: Pis après il y a de la retenue

Woody: Ouais.

Roseline: D'accord Mais vous, ce qui vous a vraiment manqué c'est de tenir

quelqu'un dans vos bras, et d'avoir cet échange de tendresse?

Woody: Ah ouais, ouais exactement.

Roseline: Mais l'acte en lui-même, c'était peut-être une fois de temps en temps et pis voilà ? Mais ca suffisait pas....

Woody: Non. Roseline: Non

Woody: Alors c'est vrai, il y a des détenus qui pouvaient profiter de ces fameux parloirs familiaux. Donc ceux qui étaient mariés depuis longue date etc. pouvaient avoir je ne sais pas tous les combien de mois, une pièce qui leur était réservée avec leur femme et ils pouvaient rester ensemble quelques heures quand même avec un repas etc. Alors, il y avait quand même cette possibilité. Bon moi, je n'en ai pas profité, j'ai trouvé cela un peu frustrant que certaines personnes puissent en profiter et d'autres pas. Parce qu'un autre qui veut profiter de ca il doit par exemple faire appel à une prostituée, mais après le règlement veut que ce soit depuis en tout cas six mois de relation, qu'il ait des visites, etc. , etc. donc autant dire mission impossible quoi. Donc, pour certains, on vous coupe le robinet si je puis dire et pis à d'autres donc voilà ils peuvent quand même voir leur épouse un moment. Pis ca vous fait vachement plaisir quand vous êtes confronté à ce genre de situations.

Roseline: Donc vous en parliez entre vous et là il y avait encore plus de souffrance de votre part....

Woody: Ouais, ouais. Tu vois, là il vient de voir sa femme et pis là, tu vois la différence, il est de nouveau heureux pendant une semaine. C'est génial la différence (rire)

Roseline: Et pis vous, vous êtes tiré par le bas.... Woody: Bien oui, ma foi.

Roseline: Mais vous avez fait vous-même une demande ? Vous vous êtes renseigné par rapport à pouvoir en profiter de cette personne qui vient....

Woody: Bien on nous disait toujours la même chose: Ç si vous voulez vraiment avoir une relation, il vous faut conna»tre la personne depuis six mois en tout cas, et elle vous rend visiteÈ et donc c'était toujours la même chose. Pis autant dire que ce n'était pas possible.

Roseline: Et ca vous augmentait la frustration... Woody: Ouais. C'était très difficile à accepter.

Rachel: Et donc , est-ce que vous seriez pour avoir des prostituées en prison? Woody: Oui, oui, oui. Je trouve que ca serait une chose importante.

Rachel: Ouais...

Roseline: Est-ce que vous avez pensé ca sur le moment ou aprés votre libération?

Woody: Déjà sur le moment. Sur le moment on en parlait beaucoup, ca c'est sür, c'est un sujet qu'on évoquait souvent, on en a discuté même dans des petits groupes ou comme ca. C'était vraiment quelque chose d'important qu'il fallait instaurer le plus rapidement possible. Que ce soit quand même une possibilité pour chacun, chaque détenu, et pas seulement pour une élite qui est mariée ou quoi que ce soit qu'ils puissent profiter d'une relation, même si c'est que sexuel disons mais q'y ait au moins une affection, quelque chose avec quelqu'un.

Roseline: Même si c'est seulement aussi être côte à côte

Woody: Bon, d'un autre côté je me dis que ces rendez-vous que certaines personnes avaient avec leur épouse ne devaient pas être faciles, ca devait être artificiel, ils sont là et c'est minuté. Euh... l'épouse elle sait qu'elle vient là voilà pour que son mari puisse coucher avec pis voilà ca doit être un peu bizarre. En attendant....

Roseline: C'est ce que vous vous disiez sur le moment aussi?

Woody: Ouais, ouais. Mais bon ils ont quand même leur moment de bonheur.

Roseline: Donc là ce que vous dites, c'est quand on est en prison, on a pas envie d'avoir une relation avec un autre homme même si c'est de l'homosexualité consentie comme disait votre directeur et que vous vouliez pas ca

Woody: Ah oui c'est sür, c'est quelque chose qui s'accumule. Moi je vous dis ca ne me viendrait pas à l'idée avec un gars mais...

Rachel: Mais justement parfois on parle de euh... je cherche mon mot... de relation forcée. Par moment, certains peuvent être forcés d'avoir un rapport sexuel avec un autre détenu.

Woody: Probablement.

Rachel: Est-ce que ca existe vraiment, est-ce que c'est un fantasme qu'on se fait est-ce que...

Woody: Non. Non je pense qu'il y a beaucoup de détenus qui finalement couchent ensemble parce qu'ils leur manquent beaucoup d'affectivité et beaucoup de détenu qui deviennent homosexuels en prison.

Rachel: Juste le temps de leur détention....

Woody: Voilà ou peut-être aussi après j'en sais rien. Peut-être que ca se prolonge. Je pense que c'est quand même un état d'esprit une fois qu'on l'accepte, ç a peut se prolonger après.

Roseline: Est-ce que quand vous étiez en prison, vous l'avez vu ou comme vous l'avez dit au début, c'était des échos?

Woody: Y'a des fois des échos, des soupcons, on voit quand même des couples entre guillemets qui se forment. Moi, j'ai vu un couple qui vraiment se gênait pas, devant tout le monde, vraiment. Je trouvais un peu choquant, je dois dire. Mais je pense que ca doit stimuler beaucoup d'homosexualité dans ces situations-là. (Silence)

Roseline: Ce qu'on se disait, c'est que c'était un passage pis qu'après les gens oubliaient, mais pas qui oubliaient mais qui....

Rachel: Mais là aussi il y a un tabou autour de l'homosexualité. Donc euh... J'ai eu une fois une discussion avec une dame qui s'est spécialisé e dans la sexualité dans le handicap. Elle disait que la sexualité qui était non reproductive, qui n'était pas faite pour se reproduire en fait était tabou. Parce que finalement on avait une sexualité que pour se reproduire à l'époque, en tout cas à l'époque de l'église et... Donc voilà, c'était une des hypothèses pourquoi les sexualités dans lesquelles il n'y pas une idée de reproduction, ben voilà c'était une sexualité tabou. La sexualité de plaisir, homosexualité...

Woody: Masturbation? Rachel: Masturbation etc....

Woody: C'est tout à fait valable, maintenant c'est possible qu'il y ait des couples qui se soit formés en prison et le gars après abandonne après, c'est possible aussi. Mais disons personnellement, une fois qu'ils ont franchi le pas...

Rachel: Je vais arriver à la dernière question, euh. Qu'est-ce que vos expériences affectives durant votre incarcération vous ont.... Est-ce que ca produit un changement maintenant? Est-ce qu'il y a un changement d'idées, de visions?

Woody: Oui sur beaucoup de plans, il y a beaucoup de changements ca s'est sür. Déjà, qu'est-ce qu'on apprécie la liberté, on se rend pas compte quand on est libre ce que ca vaut. a vaut de l'or la liberté. C'était la première découverte en me promenant tout seul dans . C'était extraordinaire, d'un autre coté c'est aussi assez angoissant de voir du monde, du monde, du monde, la période de No`l ca ce n'était pas facile à digérer.

Bon moi, j'ai eu de la chance car j'ai mis environ deux semaines pour me mettre dans le bain et pis voilà, me réintégrer. C'est extrêmement émouvant et il y a des tas de choses justement qui reviennent, d'abord cette histoire de liberté et pis vous pouvez de nouveau manger ce que vous voulez, vous faites tous les bistrots du coin. C'est clair, on se contente avec beaucoup moins de choses. Je me dis maintenant souvent que ca, ca ne m'apporte rien.

Et pis alors, vous avez de nouveau la liberté de retrouver une femme. Alors bon, je vous dis honnêtement, ca n'a même pas été tout de suite, j'ai attendu peut-être deux mois pis je suis allé et j'ai trouvé une prostituée et pis voilà, c'était mon premier contact avec une femme depuis des années. Heureusement, c'était une fille extrêmement gentille, bon je ne lui ai pas dit que je sortais de prison mais elle était trés sympa, trés compréhensive et tout, ca s'est passé euh... plus ou moins bien, ca a mis du temps car j'étais tellement ému que... (rires)

Roseline: Là, vous étiez vraiment dans l'affectivité...

Woody: Ouais, ouais, là c'était assez beau.

Roseline: La sexualité était presque de côté ?

Woody: Ouais, ouais.

Roseline : Vous aviez presque exprimé toute cette frustration à travers...

Woody: Ah c'était... vraiment bien. Pis aprés heureusement j'ai une connaissance, on se voit de temps en temps. Ah, c'est des choses qui font partie de la vie et qui sont indissociables de la vie.

Moi je dis c'est comme dans les EMS maintenant, bon on a effectivement des groupes d'aide qui viennent dans ces EMS. Mais c'est là oü je me dis que bon la société se rend compte que même une personne %ogée a besoin de rapport d'affectivité, ce qui est le cas mais alors tout ce qui est détenus, prison, des jeunes dans la fleur de l'%oge qui probablement ont des rapports tous les jours à l'extérieur, bien eux, on coupe tout, on interdit tout, on y pense même pas.

Roseline: On les castre.... Woody: Ouais. C'est dur!

Rachel: Si j'entends bien, il aurait une idée d'écraser l'autre encore plus, euh... On te met tant de temps dans un endroit, et c'est encore plus écraser la personne. On te rappelle que tu as fait une connerie et lui rappeler que durant tant de temps c'est rien du tout. Et je ne sais plus qui le disait mais quelque part on est qu'un numéro et on est plus une personnalité, on est plus humain ...

Woody: Les gens sont des portes clefs, que des portes clefs. C'est, c'est...

Roseline: Ce que vous dites maintenant, c'est que vous proposez des solutions par rapport aux prostituées et un parloir intime pour tous, moins de démarche administrative, moins de lourdeur....

Woody: Et simplement avoir l'autorisation pour voir une prostituée de temps en temps sans avoir besoin de la conna»tre depuis X mois, une facilité de contacts, on l'autorise pour des couples mariés, pourquoi on l'autoriserait pas pour un passage une fois d'une prostituée, mon Dieu....

Mais bon ç a, c'est l'idée que la société se fait d'une prison. La prison c'est quand même une punition. La société, elle vous punit elle vous coupe de la liberté, elle vous met dans une cage. Comme on dit toujours, c'est pas dans une bo»te que les sardines vont appr endre à nager, mais c'est comme ca. On est dans une cage, la société nous a punis. Y'a qu'à voir que des fois dans les courriers des lecteurs, ils disent, vous vous rendez pas compte ils ont même la télévision en prison, vous imaginez ca, c'est du luxe. Alors que moi je dis que sans télévision, tous les jours il y aurait un suicide c'est vraiment un des seuls trucs qui vous tient encore plus ou moins en lien avec l'extérieur et encore. Et pis euh...après ils disent encore qu'ils ont le choix entre trois repas, vous vous rendez compte, ce qui est totalement faux, parce qu'il y a des menus sans porc pour tous les musulmans, le cuistot est obligé de faire sans porc de toute facon, un pla t végétarien car il y a des gens qui ne mangent pas de viande et un menu normal. Donc celui qui s'inscrit au départ pour le menu normal, il mangera toujours le menu normal.

Rachel: Ah donc, il n'y a pas la possibilité de varier dans les menus?

Woody: Il n'y a pas le choix! C'est un fantasme! Les gens ne connaissent rien !

Rachel: Justement, quand on parle d'un milieu fermé, c'est fermé. C'est complètement fermé pour le regard extérieur. Et même nous avons pu visiter une des prisons et donc c'est vrai on nous a montré ce qu'ils voulaient bien nous montrer. Les discours étaient différents entre la direction et les gardiens.

Woody: Déjà entre eux et pis après les détenus, c'est encore un autre discours.

Roseline: Pour en revenir à la société, la société dit des choses qu'elle ne conna»t pas?

Woody: Elle est mal informée! Roseline: Mal informée....

Woody: Elle ne sait pas ce qui se passe en prison, pis elle invente des choses quand on voit des gens qui parlent de trois menus, etc., de chambre individuelle, ils ont aucune idée de ce que c'est de vivre dans... mon Dieu, quelques mètres carrés.

Roseline: a peut arriver à tout le monde de se retrouver en prison...

Woody: Oui à tout le monde, même un conducteur. Mais les gens sont mal informés, ils croient que c'est le club Med, et c'est pas du tout cela, vraiment pas.

Roseline: Nous tenons à vous dire que certaines choses qu'on va retranscrire mais qui ne seront pas forcément utilisé dans notre mémoire car, parce que... c'est bien mais on ne pourra pas tout mettre.

Woody: Ouais, ouais, on ne peut pas entrer dans tous les détails.

Roseline: On va vraiment prendre par rapport à votre vécu, l'affectivité, bon je ne sais pas encore comment on va tourner ca, ca va prendre du temps à écrire mais....

Rachel: Nous arrivons à la fin, est-ce que peut-être vous aimeriez ajouter quelque chose? Compléter quelque chose?

Roseline : A quelque chose dont nous n'avons pas pensé?

Woody: Non je crois que j'ai dit ces quelques points que j'avais en tête, non pour moi c'est tout bon.

Roseline: Encore merci beaucoup!

Rachel: Merci beaucoup pour votre participation et votre franchise. Woody: Pourvu que ca puisse aider!

Hors enregistrement : Comment avez-vous vécu cet entretien?

Woody: Cela s'est bien passé, j'ai été content de ne pas devoir parler de mon délit, cela change.

Charles
(Surnom choisi au début de l'entretien)

Rachel: Bonjour. Déjà on voulait vous remercier pour votre participation, de répondre à nos questions

Charles: Si ca peut aider, y a pas de probléme.

Rachel : C'est vraiment chouette, de nous aider dans ce processus d'apprentissage. Et puis, je voulais encore préciser que tout ce qui se dit, restera confidentiel et les enregistrements seront détruits quand nous aurons fini. Quel nom souhaiteriez-vous que nous utilisions ? Vous avez une préférence...

Charles: (Rire) C'est égal.

Roseline: Philippe, Yan, je ne sais pas... Charles: Charles.

Roseline: Charles?

Charles: Si vous voulez.

Roseline: On dit Charles

Rachel: Je vais juste vous dire les themes qu'on va aborder tout au long de ce questionnaire. Donc ce sera sur les expériences d'échanges affectifs. On va vous poser des questions au sujet de votre arrivée, pendant votre détenti on et enfin, une ou deux questions sur votre sortie. Je voulais également préciser que s'il y a des questions auxquelles vous ne souhaiteriez pas répondre, vous pouvez nous le dire, et si vous avez besoin d'un moment de pause, pas de problème on peut stopper.

Donc pour la première question, que pourriez-vous nous dire de ce que vous avez pensé au moment oü vous êtes arrivé en prison ? Qu'est que vous avez ressenti?

Charles: On se sent perdu, on a peur, il faut dire la vérité, parce que c'est l'inconnu total, on écoute beaucoup de choses jusqu'à ce qu'on est confronté à ca, on On sait pas exactement comment ca se passe, en même temps, c'était plus l'inconnu.

Rachel: L'inconnu qui fait peur?

Charles: Hum, hum oui. Aussi pour les choses qui arrivent là-bas. On pense beaucoup à ca. C'est trés spécial.

Rachel: D'accord....Vous avez un souvenir particulier qui vous reste quand vous êtes arrivé? Quelque chose qui vous a particuliérement marqué?

Charles: Oui toutes ces portes... toutes ces portes de sécurité, partout des gardiens, quatre à cinq gardiens. Ils sont tous pareils, et en même temps, je ne sais pas comment dire mais c'est...un peu choquant quand même.

Roseline: Est-ce que vous seriez d'accord de juste nous dire quelque chose par rapport à vous, de votre %oge....euh.

Charles: Moi j'ai ans, j'ai des enfants avec des méres différentes et j'ai fait ans

de prison mais j'étais condamné à .

Roseline: Donc vous avez fait de la préventive et aprés vous avez passé en prison ferme, c'est ca?

Charles: J'ai fait ans et quelques en préventive, c'est presque la moitié de ce que j'ai fait.

Roseline: D'accord.

Charles: Parce que l'idée de préventive ca dure des années. La préventive c'est pas pareil qu'en prison pénitencier, parce qu'on reste enfermé 23h sur 24, une heure de promenade, une fois par semaine du sport. Il faut voir ce que c'est le sport aussi, et c'est tout le temps enfermé.

Roseline: Et alors, vous étiez seul dans une cellule en préventive?

Charles: J'étais au début dans une cellule de deux, puis je suis passé dans une cellule de cinq, j'ai passé deux, trois jours et à un certain moment parce que j'ai forcé, ils m'ont donné une cellule tout seul.

Roseline : Vous étiez carrément à cinq, une fois trois jours?

Charles: Oui, oui. Ce qui était spécial, c'est que les cellules de deux étaient des cellules pour un et les cellules de cinq, c'était des cellules pour trois personnes.

Roseline : Ah oui d'accord et ca c'était en préventive ? Charles: Et les cellules tout seul , c'était des anciens cachots.

Roseline: Oh... et puis aprés quand vous êtes allé en détention ferme, là vous étiez seul ?

Charles: Oui ca change, parce que là, j'étais dans une cellule tout seul. Surtout que, que là-bas c'est différent, totalement différent de la préventive.

Rachel: Puis en fait, quelles idée s vous aviez des relations qu'il pouvait y avoir entre les détenus avant votre détention ? Est-ce que vous y aviez déjà réfléchi?

Charles: Non, non, sur le coup. Mais si on regarde bien, il y a quand même
beaucoup de gens qui respectent les autres, même si c'est des gens qui sont pas
trés fréquentables, je connais dans le même contexte, c'est des fois plus solidaire

aussi. C'est vraiment spécial, parfois tu vois quelqu'un, tu dis dehors tu ne lui parlerais pas, il est pas bien. Mais dedans ca change tout par ce qu'on est tous dans le même bateau et si on s'entraide pas ca ne marche pas. Il y a des gens qui font Ç le solitaire È et j'étais un peu plus connu qu'eux, voilà quoi.

Roseline: Ce que vous êtes en train de nous dire c'est que quand vous étiez dehors vous vous disiez qu'en prison c'était des gens pas fréquentables et je vais les trouver en prison.

Charles: Non, non, je dis simplement que quand on arrive là-bas, on voit le comportement des gens et on se dit que ce n'est pas des gens fréquentables. Ben quand même là-bas, on a une autre facon d'être, on est tous dans le même bateau donc on s'entraide.

Rachel: Est-ce que vous pourriez nous décrire des moments dans une journée oü il y a la possibilité d'échange et un moment donc qui a été important pour vous, ou vous avez pu rencontrer du monde, lieux communs autres?

Charles: Il faut savoir que est divisé en zone et zone . Le

c'est plutôt pour les gens qui arrivent, on est vraiment 23h sur 24h enfermé comme j'expliquais avant, mais dans le , on a vraiment la chance de pouvoir manger dans le couloir. Et là, on se rencontre tous ceux qui sont dans le même couloir et on mange tous dehors car il y a des tables durant une heure, une heure et demie. On joue aux cartes, on parle, et on essaye de s'entraider, si quelqu'un n'a pas de cigarettes, des trucs comme ca.

Roseline : Vous avez donc apprécié ces moments de repas?

Charles: Oui, il y a des fois que ca tourne chaud, mais.... ætre trop enfermé, au moins on voit des gens, tout simplement.

Roseline: Quand vous étiez dans la zone oü vous pouviez échanger dans le couloir, vous pouviez aussi recevoir des gens dans la cellule?

Charles: Non, ca c'est interdit. La cellule s'ouvre, on sort dans le couloir et ils les ferment juste derrière. Le soir, ils ouvrent un petit moment pour les gens qui mangent dedans et qui veulent donner leur assiette directe. Je ne sais pas comment ca se passe maintenant, ca a changé, parce qu'avant ils faisaient des plateaux avec le menu et tout ca. Et maintenant apparemment, c'est chacun est avec son assiette et se sert à la louche.

Rachel: Est-ce que les week-ends se déroulaient de manière différente, est-ce que dans les week-ends vous aviez aussi des moments avec la possibilité d'échanger, d'avoir des contacts?

Charles: C'était toujours pareil. Heureusement. Pas tout le monde avait une place de travail car il y en avait pas pour tous mais moi je travaillais du lundi au vendredi avec des horaires. On se mélangeait pas dans le travail, les gens de la menuiserie d'un côté, mais dans le week-end c'est encore pire car situ ne travailles pas tu sors pas, tu restes dans la cellule.

Rachel: Donc peu de possibilité d'échange?

Charles: Ouais. Les seuls moments c'est quand tu vas au sport, quand il y a le sport, il faut avoir l'envie des fois . La promenade c'est une heure et situ as la chance d'être au , tu peux manger dans le couloir. Aprés tu n'as pas vraiment la possibilité d'échange, sauf situ es dans une cellule à plusieurs.

Roseline: Pendant le temps de travail, c'était travail, travail, vous n'aviez pas de contact?

Charles: Moi, j'étais dans une place oü je devais aller avec le chef dans les étages, des fois parce qu'il fallait changer ou réparer, mais il y en a certain, c'est dans les ateliers et ils ne changent pas de place. Bonjour et au revoir.

Rachel: Quand vous êtes arrivé à créer des liens, c'était de votre initiative ou c'est les autres qui sont venus vers vous?

Charles: C'est à peu prés, cela dépend, les deux, parfois c'est certains qui viennent vers toi, certains c'est toi qui y va, je ne sais pas comment expliquer, ca ne se programme pas, ca vient comme ca.

Rachel: Mais disons... est-ce qu'il y a un effort à faire pour s'intégrer? Pour...

Charles: C'est pas un effort. Vous arrivez dans un endroit, on va pas dire que c'est dangereux mais qu'il y a des gens qui peuvent être dangereux, on sait pas qui est qui, on sait rien. On doit savoir oü on met les pieds. On peut pas débarquer comme dans la rue entrain de rigoler, c'est pas une rigolade. On fait attention aux autres, à soi-même et peu à peu, il y a des liens qui se créent. Aussi, il y en a certain s qui ont besoin de parler parce qu'ils ne sont pas bien et voilà. C'est spécial comme ambiance.

Rachel: Ces liens vous les décririez comment? C'est plutôt des liens superficiels ou peut-être amicaux ou peut-être affectifs?

Charles: Ca dépend de la personne vraiment, on peut se faire un bon ami comme on peut simplement se faire une connaissance. C'est... je sais pas comment expliquer, s'il y a un feeling qui passe? Bon il y a des gens qui restent toujours entre eux, c'est pas seulement parce qu'ils sont de même nationalité mais aussi c'est parce qu'il y a le feeling, le respect que chacun a envers l'autre et en même temps, il y en a certains qui même comme ca, si vous aimez pas, vous aimez pas. C'est spécial, c'est une ambiance spéciale, vraiment.

Rachel: Est-ce qu'il y aurait des liens plus forts et qui se créent plus rapidement?

Charles: Il y en a certains qui se créent plus fort, il y en a certains qui se créent plus rapidement. Parce que si vous connaissiez la personne et au bout d'un moment si vous êtes avec dans la cellule, c'est forcément vous allez créer un lien et si ca marche pas au bout d'un moment ca pete, il faut changer la cellule. Ou si non comme je dis, c'est apres la prison quand on est dehors ca change aussi. Chacun

retourne vraiment à son ambiance, à ses amis et il y en a qui ne se perdent pas de vue non plus.

Roseline: Et vous vous avez pu créer des liens d'amitiés avec certaines personnes?

Charles: Oui j'ai pu créer plusieurs liens d'amitié avec. Aujourd'hui, je ne vois pas beaucoup de gens, mais il y en a certains qui ne sont pas dans le même pays et par internet on parle un peu.

Roseline: Pendant que vous étiez en prison?

Charles: Non aprés.

Roseline : Des liens qui perdurent.

Charles: Bien oui par ce que nous étions dans la même galére. (Rires) Rachel : A ramer ensemble ? (Rires)

Charles: Exactement! (Rires)

Roseline: Quand vous dites que si vous êtes à plusieurs en prison. C'est ce qui vous est arrivé? Vous aviez des soucis quand vous étiez à plusieurs dans une cellule, vous avez demandé à changer....

Charles: Non, non, moi je voulais être tout seul depuis un moment. Parce que la prison de toute facon, c'est rotatif. Quand une personne arrive aujourd'hui, on sait pas s'il part demain ou s'il part dans deux ans. Avec la personne ca peut se passer bien et la personne qui arrive aprés ca passe mal, je préférais éviter cela. Un moment j'étais avec une personne et ca se passait trés bien et quand il est parti, la personne qui est arrivée ca a pété. Pis un ou l'autre doit changer de cellule et ca pose encore plus de probléme alors j'ai préféré être seul pour éviter ce probléme. Ce n'est pas évident de l'obtenir, mais j'ai forcé, forcé et je l'ai eu. (Rires)

Roseline: D'accord...

Charles: Parce que là il n'y a personne qui arrive sauf toi.

Roseline: Ouais, c'est votre initiative, d'aprés ce que vous dites, ce n'est pas trés ouvert....

Charles: Non, il y a des gens qui ne supportent pas d'être seuls, c'est sür, ils préféraient des cellules à deux ou à cinq, parce qu'ils sont comme ca, il faut parler, pour avoir quelqu'un à côté et pour pouvoir s'exprimer. Mais moi, je n'ai pas eu ce probléme. Moi j'étudiais, je m'occupais différemment quoi.

Rachel: Tout à l'heure, vous parliez de solidarité, pour vous il y avait beaucoup de solidarité?

Charles: Il y a des problémes entre eux mais les problémes entre eux c'est différent. Mais quand il y a un probléme qui concerne vraiment tous les gens, là c'est différent. Les gens mettent un petit moment sa rancune de côté parce qu'il y a eu deux, trois fois soit disant, ca m'a fait rire aussi, comme on dit, les émeutes.

Pour moi le mot émeutes c'est trop exagéré. Parce que des gens qui refusent de rentrer dans sa cellule, ce n'est pas une émeute, c'est simplement demander des choses qui n'arrivaient jamais et ils décidaient de pas rentrer dans la cellule et deux ou trois heures aprés, ils rentraient sans probléme.

Roseline: Et là vous étiez solidaires entre vous? Charles: Oui, c'est mieux des fois.

Roseline: Dans le sens de dire que s'ils ne souhaitent pas rentrer c'est qu'il a des demandes et puis vous appuyez ...

Charles: Oui, des fois ce n'était pas pour une seule chose et pour une personne, c'était par exemple pour les frigos, maintenant dans chaque cellule il y a des frigos. En été, il fait tellement chaud et tu ne peux pas sortir de ta cellule pendant deux, trois heures, on fait comment? On va se déshydrater, donc ils ont forcé pour avoir ca et maintenant, ils ont des frigos quand même.

Rachel: Est-ce que vous avez pu créer des liens de confiance?

Charles: Ouais. J'ai pu créer des liens de confiance. Moi je sais pas si c'est ma facon d'être mais les gens prenaient beaucoup plus de confiance envers moi, à parler avec moi et m'expliquer les problémes que moi vers les gens. Il faut vraiment que je sois vraiment confiant pour pouvoir parler. Pour pouvoir parler de mes problémes et de mes soucis. Mais bon bref, à la fin tout se sait.

C'est le probléme, parce qu'on parle à quelqu'un et celui-là fait confiance à l'autre et voilà c'est comme ca, cela en fait partie, c'est ca aussi. (Silence)

C'est spécial.

Mais moi, je n'ai rien à cacher, j'explique tout ce que j'avais, mais il y a des gens qui comprenaient pas trés bien, qui ne parlaient pas trés bien la langue ou qui ne comprenaient pas trés bien la loi, même les avocats ne prennent pas vraiment le temps d'expliquer bien comme il le faut. Je les aidais et souvent cela les soulageait. On est forcé d'apprendre des textes de lois pour être là-bas aussi. Alors ils demandent Ç est-ce que tu connais un cas, comment ca s'est passé?È Des fois j'expliquais tous les cas, mais même si c'est la même chose ce n'est pas jugé pareil. C'est un truc à je sais pas combien de vitesse, pas à double vitesse, mais plusieurs. Si tu as de l'argent, c'est une vitesse spéciale, si t'es jeune c'est encore une autre vitesse, si t'es vieux encore une autre.

Je sais pas, je sais pas comment ca se passe.

Roseline: a vous prenait beaucoup de temps toutes ces démarches administratives?

Charles: Parce que pour moi on est tous égaux devant la loi et quand on doit juger
égaux, on juge pas égaux. Celui qui fait le même délit, il peut avoir 6 mois comme 2
ans comme un sursis et même être acquitté, c'est le même délit. Soit disant il y a des

choses spéciales. Il y a des choses circonstancielles parce qu'il est jeune, il étudie, des choses comme ca.

Par contre j'ai vu des gens que le juge laissait là pour voir s'ils parlaient. C'est extraordinaire ca, je suis resté bouche ouverte. (Rires)

Cela change avec l'avocat et que tu le payes bien, ca change, mais bon c'est comme ca, c'est la vie.

Rachel: Puis dans les contacts qui ont compté pour vous, c'était principalement des rencontres sur le lieu de travail, dans le couloir?

Charles: C'était des collègues de cellule, aussi des gens qui étaient dans le même couloir, des gens que je connaissais déjà avant. Tu connais quelqu'un, lui il conna»t l'autre. Des fois c'était spécial, on dirait que les tables étaient réservées, personne changeait.

Rachel: Donc en fait, il y aurait besoin d'une certaine proximité pour pouvoir créer des liens?

Roseline: Un réseau...

Rachel: Oui mais disons que ce n'est pas forcément facile de créer des liens avec quelqu'un d'un autre couloir, c'est ca en fait ce que je me posais comme question?

Charles: a dépend de la personne, si la personne est sociable, c'est différent que si quelqu'un est antisociable, je ne pense pas qu'il y aurait beaucoup de personnes qui iraient vers lui. Il y avait quelqu'un qui avait des problèmes psychologiques et quand il allait bien, c'était une personne extraordinaire. Mais il avait reconnu qu'il avait son problème psychiatrique, moi je trouvais ca fabuleux qu'il ait reconnu qu'il n'était pas bien, il était schizophrène, et après, tout le couloir partageait avec lui et les jours ou il n'était pas dans son assiette, alors tout le monde se mettait de côté. On le respectait.

Roseline: Ce que vous êtes en train de dire peut-être, c'est qu'il faut du temps pour apprendre à conna»tre les gens...

Charles: C'est le temps d'adaptation, comme on dit chez nous. On peut pas arriver là et voilà. Sauf situ connais du monde et on te présente, c'est différent. Les gens sont méfiants.

Rachel: Quand vous avez rencontré des gens, ces liens vous ont permis de vous sentir mieux ou peut-être seul ?

Charles: Non, c'est une entraide, on se sent bien, pas seul. Pas tout à fait seul car certains moments on parle, on rigole, on joue aux cartes pour se changer un peu les idées. Sinon on sort tous fous.

Rachel: Comment pourriez-vous nous décrire la nature de ces contacts, était-ce plutôt des échanges de mots ou non verbal ou peut-être une tape sur le dos?

Charles : Oui, un peu tout ca. C'est un peu comme dehors, il y a des gens qu'on salue, il y a des gens qu'on respecte plus que les autres, il y a des gens que tu peux plus rigoler et taquiner. Cela dépend de ce qui se passe entre les gens, simplement. Il y a des gens ou tu peux te permettre de lui dire tu fais Ç chier È. C'est comme cela. (Silence)

Roseline: Mais peut-être aussi peut-être par rapport au non verbal....

Charles: Ouais, aussi quand on allait à la promenade, on prenait le soleil et on restait là, une heure sans se parler et on était bien. C'est aussi un système de se sentir protégé.

Si tu vois arriver quelqu'un, tu vas me le dire, alors je sais pas situ vas me défendre, parce que tu ne peux pas compter sur tout le monde, mais au moins il va t'avertir. Voilà c'est des trucs comme cela. C'est aussi faire attention à ce que l'on fait, j'ai beaucoup constaté, je parlais aussi beaucoup avec le psy, parce que quand on est dedans, on crée des réflexes. Et quand on sort, c'est fatiguant. Quand tu es dedans tu regardes, tu écoutes, et quand tu es dehors avec tous les bruits c'est fatiguant.

Roseline : Ah oui, ca perdure? Charles: C'est un réflexe.

Rachel: C'est un réflexe qui dure?

Charles: Non après ca va, mais les deux, premiers jours en tout cas, c'est...aussi, on sait jamais qui..., ca peut péter. Des tensions de tous les côtés...

Rachel: Vous étiez tout le temps sur vos gardes? Roseline : Vous avez eu des soucis de, de... Charles: Non, pas moi. Il ne fallait pas.

Roseline : Vous vous êtes protégé...

Charles: Je ne me battais pas, car il ne fallait pas. Si je m'engueulais avec un gardien, je ne disais pas de gros mots, mais je faisais respecter mes droits d'humain.

Roseline: Je me souviens, quand nous nous sommes rencontrés, vous parliez d'humanité, vous êtes d'accord de nous en reparler?

Charles: Oui c'est ca, on peut pas mettre tout dans le même panier, j'aime pas généraliser, mais il y a certains gardiens qui pensent que si vous êtes en prison, surtout on a le droit à rien, on doit que se taire. Et je disais non, ce n'est pas comme ca.

Roseline: Et vous, vous l'exprimiez?

Charles: Je suis désolé, est-ce que je suis condamné? Non ! Alors, je suis innocent
encore, j'ai encore tous mes droits. Je lui montrais le code pénal, parce que j'en ai

acheté un, et je lui disais Ç tu vois c'est écrit là È. Et il s'énervait parce que c'est le gardien. Je n'utilisais pas les gros mots, mais je haussais la voix. Mais c'est des trucs comme ça, mais voilà quoi. Quand il me voyait comme ça, je lui disais je n'ai dit que la vérité.

Roseline: C'était votre caractére....

Charles: J'ai dü faire un travail là-dessus, car je dis toujours les choses vraies mais pas toujours comme il le faut, pas vraiment diplomate.

Roseline : Vous avez appris la diplomatie en prison ? (Rires) Charles: Je disais voilà, ce que je pensais.

Roseline : Alors vous avez fait un travail là-dessus en prison ou aprés? Charles: Non en prison, avec les psys.

Roseline : Ah oui, ils vous ont aidé à ce niveau là....

Charles: Oui parce que j'étais aussi condamné à un suivi thérapeutique. J'étais obligé, il fallait bien l'utiliser pour quelque chose Et ça marche.

Rachel: Vous avec trouvé cela positif....

Charles: Ouais, c'est trés positif. (Rires) Il y a encore des traces.

Roseline: Là, ce que vous êtes en train de dire, c'est que vous avez créé des liens différents mais créé des liens avec le psychologue

Charles: Exactement.

Roseline: Et il y a aussi peut-être l'assistante sociale ?

Charles: Oui j'ai créé des liens avec l'assistante sociale qui est partie aprés, avec un des psys et j'ai créé des liens... comment expliquer... pffou des liens.... Ils sont là pour faire leur travail, c'est un lien, on va pas dire de grande amitié mais quand même d'amitié. Une relation de respect.

Rachel: Quand nous sommes venues nous présenter lors du repas, le mot séduction est ressorti, est-ce que vous pourriez nous en dire quelques mots....

Charles: La personne qui parlait d'affection, mais en parlant de séduction. Et moi, j'expliquais que la séduction c'est pas pareil que l'affection. C'est autre chose. Tu peux avoir de l'affection pour un chien mais la séduction pour un chien c'est... (rires) trés spécial.

Là-bas, j'avais la visite de ma mere, de mes enfants et de mes amis, je me sentais bien et j'avais un peu d'affection.

C'est vrai que du côté séduction, il n'y avait rien. Il y en avait qui sont venues, mais j'ai dit, c'est une perte de temps on fait comment surtout en préventive, non, ce n'est pas possible.

Roseline : Vous parlez de montrer des signes d'affection ?

Charles: Non, de séduction, l'affection je l'ai avec mes enfants dans les parloirs, je les tiens dans mes bras, je leur donne des bisous, c'est de l'affection.

Roseline: Donc vous avez recu de l'affection de l'extérieur en prison? Mais dans la prison il n'y en a pas?

Charles: C'est spécial parce que moi j'ai vécu de l'affection, mais de l'amitié, de respect, il y a tellement de facon de donner de l'affection. Mais c'est vraiment la séduction qui est dure. Il faut être chacun d'accord de faire ce qu'il veut c'est leur vie.

Rachel: Donc pour vous, l'affectif ne vous a pas manqué, mais la séduction, oui?

Charles: Bien sür, ca oui. Tenir quelqu'un dans les bras, pouvoir l'embrasser, tout ce qui va avec. Ce n'est pas pareil que de tenir mes gamins dans les bras et de leur donner des bisous, ce n'est pas la même chose, c'est la vérité.

Roseline: Donc ce qui vous a manqué, c'est une femme... Charles: On peut dire. Ce n'est pas un objet non plus. Rachel: Bien sür, pas pensé comme un objet.

Charles: Non, parce que là-bas quand on dit je veux une femme, c'est comme un objet, une poupée gonflable, un truc comme ca.

Roseline: C'est instrumentalisé...

Charles: Oui

Roseline : Vous vouliez être à côté d'une femme, pas d'un homme! Charles : Voilà.

Rachel: Il y avait aussi le sujet des gardiennes de prison qui était ressorti. Elles pouvaient être trés jolies, séduisantes qui....

Charles: Moi de mon point de vu e, ca évoquait plus de calme, bien sür il y a des gens qui pensaient pas comme moi. Pour moi avoir une jolie femme, avec qui je sais trés bien que je ne peux pas faire de la drague, sauf si c'est elle qui commence, bon on sait jamais, (rires), mais c'est agréable, C'est un moment agréable, ca change, c'est différent.

Roseline : Vous pensiez que ca apaisait d'autres personnes peut-être ?

Charles: Oui. C'est vrai que pour certains draguer c'est important, et surtout s'ils sont chauds. Certaines n'étaient pas trés gentilles, mais c'est normal c'était pour se protéger.

Rachel: Donc on a parlé de séduction, d'affectivité et il y a une question qui est quelle différence vous faites entre l'affectivité et la sexualité?

Charles: Ouf....

Rachel: Est-ce que la séduction vous la mettez avec la sexualité?

Charles: Oui, c'est la séduction qui conduit à la sexualité, enfin de mon point de vue. Affectif, il y a plein de choses avec qui on peut être affectif, mais il faut bien définir avec qui on va être affectif et comment on va l'être et de quelle façon. Parce qu'il y a des gens qui, qui ne se font pas de caresses et de bisous. Il y a des couples qui sont comme ça, mais ça dure, ils sont comme ça.

Rachel: Donc vous, vous avez vraiment plus manqué de séduction, de sexualité que d'affectivité?

Charles: D'amour (rires). Oui, passer un moment bien, comment expliquer... . C'est pas que sexuel aussi, c'est... voilà ,.... l'envi e de se sentir vraiment... je ne trouve pas le mot...se sentir dans les bras d'une femme...

Rachel: Désiré?

Charles: Voilà, comme ça aussi.

Roseline: Ce que vous dites aussi par exemple en promenade vous prenez le soleil quand vous êtes assis à côté d'un homme ce n'est pas la même chose que d'être à côté d'une femme. A côté d'une femme, il y a le plus que l'on se sent encore mieux....

Charles: Voilà, il y a le plus. C'est pour ça qu'on crée des couples. (Rires) Rachel: C'est un sujet que vous pouviez aborder entre détenus? Charles: a parlait tout le temps de ça.

Rachel: D'accord... mais un peu crüment ou plus profond et sincere?

Charles: Il y a des gars qui sont crus et d'autre plus sincéres. Il y en a qui se sentaient mal, il y en a beaucoup qui ont perdu leur femme aussi.

Il y en a aussi qui ont dit à leur copine : viens plus, car ils ont pris je sais pas combien d'années et ils ne veulent pas que les femmes attendent. C'est des choses dures, oui c'est dur. C'est une façon d'aimer aussi. C'est un peu égo
·ste: non tu dois attendre... C'est des décisions à prendre... C'est pas facile. (Silence)

Rachel: Vous aviez également évoqué la distribution des préservatifs?

Charles: a oui, mais les gens ils se trompent des fois, parce qu'il y a tellement de trucs qui se passent là-bas, je ne veux pas mentir, je ne veux pas dire qu'il n'y a pas de gens qui l'utilisent vraiment, mais ce n'est pas tout le monde. Les préservatifs partent beaucoup pour d'autres trucs, simplement de faire un joujou ou mettre des choses dedans pour balancer un truc à un autre par la fenêtre. C'est de communiquer d'une facon ou d'une autre.

Roseline: Donc vous dites qu'ils les lancaient par la fenêtre?

Charles : Oui, mais maintenant ils ne peuvent plus car ils ont mis du grillage depuis un moment et là c'est chaud car il n'y a même plus l'air qui rentre.

Roseline: Mais c'est suite à ca?

Charles: Oui, oui bien sür. , c'est le quartier des femmes donc parfois,

ils s'envoyaient des petits mots, cela fait partie aussi de l'affection. Je connais des gens qui sont tombés fou amoureux alors qu'ils ne se sont jamais touchés.

Roseline: Et vous vous n'avez jamais eu...

Charles: Je ne comprends pas moi, il faut que je puisse tenir dans les bras.

Roseline: Un contact....

,

Charles: Avoir un contact physique. S'il y a une femme qui sort de l'ascenseur, on doit se mettre de côté, on ne peut pas avoir de contact.

Roseline: C'est trés normé?

Charles: Ouais, ouais. Vous avez le droit qu'à ca et c'est tout. Roseline : A droit à quoi....

Charles : A rien. (Rires)

Roseline : A travailler, à manger....

Charles: Manger et travailler et encore. Et avec la nourriture, au départ, j'avais beaucoup de problémes, j'avais des brülures d'estomac avec la sauce et je leur demandais sans sauce, mais ils la mettaient toujours, même avec un mot du médecin.

Roseline: Donc droit qu'à ca, c'est lors des visites, c'est toucher les enfants, leur faire des bisous et embrasser sa maman.

Charles: et encore car , c'est face à face et pas à côte à côte. Il y a

même une table entre les gens au cas ou ils veulent se passer des choses. Il y a que dix places, ca il faut savoir, alors les gens font des coudes pour pouvoir venir me voir et on va dire 300 prisonniers, à l'époque 500 et plus. La visite c'est samedi, dimanche et mercredi pour les gens qui ont des enfants qui ont la priorité.

Roseline: C'est des mois d'attente...

Charles: C'est des mois d'attente si on ne fait pas... parce qu'il faut s'inscrire, je ne sais pas quel jour, c'est les dix premiers. C'est comme ca. Ce n'est pas facile. Bon il y en a p lein qui n'ont pas de visite. Le téléphone c'est pareil, tu dois faire une demande par écrit et tu attends.

Roseline: Par rapport au préservatif, désolée de revenir en arrière, vous les avez recus dès votre arrivée?

Charles: Non, moi on m'en n'a pas d onné.

Roseline : Ah, vous en avez pas recu? Mais ils en distribuent ?

Charles: Il y en a au médical et la plupart ils en prennent pour faire le business.

Rachel: Lorsque nous nous sommes vus on a parlé des idées sur les expériences homosexuelles en prison....

Charles: Pour moi, si c'est des adultes consentants, c'est leur problème, leur vie. Chacun vit sa vie chez soi. Voilà, même là-bas, ils y en avaient qui étaient homo, je m'en rappelle, il y en avait un qu'on voyait très bien, il était sympa, mais il savait très bien avec qui il pouvait parler de ca et avec qui il ne pouvait pas.

Roseline: Il savait pertinemment qu'avec vous il ne pouvait rien...

Charles: Vous savez, les homos, je connais cela, ils savent très bien avec qui ils peuvent être.

Roseline: Ce que votre directeur disait sur l'homosexualité consentie, à un moment donné, ce besoin affectif ou besoin de sexualité, c'est un court moment mais que cela n'a aucune incidence à la sortie.

Charles: C'est les gens qui tentent leur expérience. Roseline: Pour vous c'est cela, Vous n'étiez pas tenté... Charles: C'est sür que non, moi c'était clair, ah oui.

Roseline: Pour vous, vu que c'était clair, vous vous êtes retrouvé seul dans votre besoin affectif...

Charles: Il fallait le vivre de toute facon!

Roseline : Vous êtes obligé.... C'est votre caractère qui a décidé...

Charles: C'est comme ca! Je savais que j'allais passer toutes ces années comme
ca sans affection et moi je viens d'un pays ou peut-être cela peut se passer
comme vous dites. Mais chez moi c'est comme ca. Même si c'est marqué dans le

code pénal, ici c'est comme cela. On parle beaucoup, beaucoup, on commence à voir si on peut faire quelque chose. C'est pas qu'on va faire. C'est on va voir.

Roseline: D'accord. Là vous parlez des parloirs intimes?

Charles : Oui les parloirs intimes. Simplement le fait d'agrandir un peu la salle de visite de Tout le monde en parle, il n'y a rien qui se fait.

Roseline: Et vous quand vous étiez en prison vous pensiez à ces parloirs intimes et si cela avait existé ca vous aurait aidé?

Charles: Oui c'est long à la longue. Oui ca m'aurait beaucoup aidé. Oui c'est la réalité, les gens sont tendus, tout le temps.

Roseline : Vous aussi?

Charles: Oui pourquoi dire non si c'est vrai. On est tous tendus, même les gardiens sont tendus. Même le directeur de la prison est tendu. Et s'il n'est pas tendu, c'est qu'il y a un probléme, c'est qu'il s'en fout.

Roseline: Et vous en parliez entre vous des parloirs intimes, de ces moments...

Charles: Oui, mais à chaque fois, c'est que nous sommes en préventive, mais aprés on disait, le seul que je sais, qu'on m'a dit c'est en suisse italienne, qu'ils y avaient des parloirs intimes et tout ca. Mais qu'il fallait attendre car il y avait beaucoup de demandes.

Roseline: C'est aussi un projet à ou je ne sais plus oü?

Charles: , je crois, mais c'est un projet.

Rachel: Vous pensez que s'il y avait des parloirs intimes un peu partout cela diminuerait la violence et les tensions?

Charles: Ah mais écoutez, les hommes qui font l'amour, c'est les médecins qui disent, ils se sentent bien, il y a plein d'hormones et des vitamines qui se calment qui aident à calmer les gens... a sert à calmer plein de monde, ca c'est sür.

Roseline: Quand il y avait des couples ensemble, homosexuels, ils pouvaient trouver des moments d'intimité?

Charles: Je pense que s'ils sont dans la même cellule, ils trouvent vite fait.

Parce que si c'est dans la douche, il n'y a pas tout le monde qui peut supporter ca et ca peut vite tourner au vinaigre. C'est un moment qui crée....

Roseline: Est-ce que vous avec vécu une expérience oü quelqu'un a eu une relation forcée ?

Charles: Non, il y a eu quelqu'un qui s'est promené avec son membre à l'air, en érection, et les gens lui ont dit : Ç tu te calmes, sinon tu vas passer un mauvais moment È.

La douche c'est le seul moment que nous avons et nous pouvons nous détendre. Quand on sent l'eau tomber, ca fait du bien, tout le monde prend une longue douche. C'est vraiment un moment de détente. Quand on est pas bien et que l'eau tombe et tombe, ca calme.

Roseline: C'est presque affectif....

Charles: C'est sür, certains ne se douchent pas, mais la plupart, on attend que ca!

Il y a eu des problémes à cause des douches avec les gardiens. Des gens qui sont allés au cachot parce que la douche était refusée car le temps était dépassé.

Roseline: Le droit à la douche....

Charles: a, c'est pas défini. Normalement chaque deux jours, de telle à telle heure. Moi ce qui me fait rigoler, c'est le droit de l'homme ici, mais ici ils donnent le strict minimum, pas plus. Une heure de promenade, pas plus, c'est ce qu'ils donnent c'est le minimum.

Rachel: Mais là on parle de la préventive, car qu'on on sort de la préventive, il y a quand même plus de promenades....

Charles: C'est différent, tu peux aller à la salle de gym quand tu veux, apparemment, aprés, avant le travail...

Roseline: Mais vous n'avez pas connu ca vous?

Charles: Non, moi j'étais dans autre une prison. J'étais ,

c'est .

Roseline: Mais là, il n'y avait pas de moment...

Charles: Non, là-bas on t'ouvre la porte, tu passes ta journée dans le couloir, on avait des contraintes de préventive des fois. Dans l'immeuble de , il y avait un probléme, ils donnent des réponses incompréhensibles, simplement de ne pas vouloir bouger, voir les choses. C'est comme cela. Le pouvoir. (Rires)

Rachel: On avait également évoqué la masturbation, pendant ce repas, je ne sais plus qui disait que ca calmait, à un certain moment?

Charles: L'acte ne suffit pas, mais ca aide, il faut le dire. a calme un peu quand même. En même temps, il n'y a que ça. Et pour les moments intimes, quand les autres partent à la promenade, il y a un moment intime possible, et la nuit. Chacun a son lit et les toilettes et voilà.

Roseline: Et en préventive, on entend tout....

Charles: Non, les gens sont discrets. Les gens n'acceptent pas tout, dans la galère qu'on est, il ne faut pas trop bousculer les choses. Chacun trouvait sa facon. Je travaillais à la buanderie et je trouvais des matelas avec des trous. (Rires)

(3min de non retranscription d'un aparté sur les pratiques solitaires hors détention qui ne sont pas l'objet de notre mémoire)

Charles: J'ai vu un reportage, au Canada, ils te donnent même une petite maison durant une semaine, avec ta famille.

Rachel: Même là, il faut remplir de sacrées conditions pour y avoir le droit?

Charles: On m'a expliqué que parfois, il faut attendre quatre mois avant d'avoir le droit d'aller au parloir intime et même parfois, ils font du chantage.

Et ce qu'on m'a expliqué aussi, c'est que pour avoir le droit au parloir intime et oü il y a un parloir intime , ca doit être ta copine ou compagne avec qui t'es avec depuis six mois, donc une prostitué e, non c'est pas possible. Il y a des gens qui sont rien.

Roseline: Quand on vous raconte cela, vous vous sentez comment?

Charles: Je n'arrive pas à comprendre ce système, c'est un système de fou. Simplement être là, la capitale des droits de l'homme, soit disant oü on a créé les droits et on donne le strict minimum. Et il y a des pays, oü on donne plus et il y a moins de problème.

J'expliquais au directeur là ou je suis maintenant qu' avant je m'en foutais jusqu'au jour oü nous sommes confrontés à ça. Ce n'est pas mon problème. Une fois qu'on est confronté et on voit les choses comme elles sont. Ce n'est pas facile.

Aujourd'hui vous êtes confrontés à ca parce qu'on en parle mais les gens sinon ils s'en foutent de ca.

Un jour on doit sortir. Les gens ne s'imaginent pas qu'on va sortir un jour et comment ? Avec plus de colère, avec la rage.

Même étud ier ce n'est pas facile, c'est incroyable. J 'ai dü casser du bras pour y arriver. Deux enseignants qu'à 50% et la salle est tellement petite, il n'y a pas beaucoup de place. Tout le monde aimerait faire quelque chose. Quatre ou cinq personnes seulement qui peuvent entrer. On étudie soit par courrier, par toi-même. C'est pas évident.

Si vous occupez cela aide à pas penser à l'affectivité.

J'ai même fait de l'origami pour pouvoir passer le temps. (Soupirs)

Plier, Plier, je fais quoi, Il est 17h, 18h j'ai pas sommeil, je lis, j'ai plus envie de lire, d'étudier, j'arrive plus, je fais quoi, je continue à plier. Essayer d'oublier.

Non retranscription, aparté sur la ÇpréventiveÈ

Rachel: On avait également abordé cette violence envers soi-même, qui était là parce que le manque d'affectivité pouvait être violent.

Charles: La violence, comment expliquer, c'est pas qu'on se fait du mal, ca fait mal, c'est violent par exemple la contrainte d'être séparé avec sa femme ou sa copine. Il y en a qui tienne.

Pour moi la violence, c'est que tu perds pleins de trucs et aprés tu perds tout et quand tu sors, on te donne rien. En plus, il faut sortir comme un ange! Il faut réfléchir, ce n'est pas une solution.

Roseline : Vous avez utilisé les rencontres thérapeutiques pour aller mieux?

Charles: Bien oui, pour aller mieux, j'ai deux gamins et je voulais leur donner un autre exemple, une autre facon de faire et voilà quoi, changer tout. Qu'ils ne restent pas avec cette image. (Silence)

Rachel: Quand on ne connait pas ce qui se passe, on a que les images de la télévision, des films, on parle beaucoup des relations forcées. Est-ce que vous en avez vu?

Charles: Moi je n'ai pas vu, mais je me rappelle qu'à l'époque, il y en avait un qui avait violé son codétenu, la personne en a parlé avec un gardien et aprés il a porté plainte.

Roseline: Quand vous avez entendu ca, qu'est-ce que ca crée chez vous?

Charles: Le gars a été transféré, sinon il avait passé des sales moments. Et quand je dis de sales moments, c'est n'importe ou et n'importe quand.

Vous savez, il y a certains crimes qui ne sont pas supportables et malheureusement, pour la majorité, ca se passe mal pour la personne.

Il y a aussi des homosexuels et ca on le sait bien, il y avait un avec les cheveux longs et pour lui il était une femme, je ne sais pas comment ca se passait pour lui mais j'imagine aussi que l'affectif ne devait pas être facile.

4 min de Non retranscription, aparté sur un pédophile qui reste un humain. Roseline: Il y a aussi beaucoup l'imagination qui joue un rTMle?

Charles: Oui, on s'évade beaucoup avec la tête. La journée est longue, le matin on te réveille à 7h30, tu prends le petit déjeuner, tu bois un café, puis la promenade vers 11h30 et aprés tu fais quoi ? Tourner en rond!

Rachel: Que pensez-vous de la possibilité de faire venir une prostituée ?

Charles: a serait bien. Sincérement ca serai t bien, car il y a des cas ou ils ne parlent même pas la langue, il n'a personne ici, personne vient le voir et voilà il vient d'un autre pays et comment il fait pour trouver quelqu'un?

Rachel: Je n'avais pas imaginé ca.

Charles: Oui, ils sont condamnés 3-4 ans et ils apprennent le francais car ils sont obligés parce qu'ils doivent parler avec les gardiens. T'as pas de famille!

Une prostituée ca peut aider beaucoup et elle pourrait se faire plein d'argent. (Rires)

Roseline: Et vous, quand vous y étiez, vous avez pensé à ca ?

Charles: Non, j'avais mon système de ne pas penser à ca. Car plus on pense et plus ca fait du mal.

Rachel: On arrive à la dernière question, qu'est-ce que vos experiences affectives durant votre detention ont change lors de votre sortie? Est-ce qu'il y a eu un changement dans vos relations amicales ou amoureuses ?

Charles: Moi, ca a change beaucoup car maintenant je suis fidèle (rires) car à l'epoque je ne l'etais pas trop. Voilà. Et avant, j'etais plus exigeant, ce que je ne pouvais pas avoir à la maison, je vais le chercher dehors.

Roseline : Alors c'est un point positif, ca vous a permis de changer....

Charles: Ce que ca m'a permis, c'est de savoir que je peux tenir aussi longtemps sans femme. Par exemple aujourd'hui, on casse avec une femme qu'on aime, dans deux mois plus tard on drague et trois mois après on sort avec quelqu'un d'autre.

Roseline: Et là par contre une annee, deux ans c'est rien....

Charles: Même les femmes des fois cherchent un mec pour une nuit, Ca m'est dejà arrive. Et ca maintenant, je ne veux plus. Je suis bien. Il faut beaucoup mediter, penser. Moi ce que je fais beaucoup, c'est de me mettre en question. J'ai tout change.

Roseline : Vous avez su saisir toutes ces opportunites forcees...

Charles: J'ai eu le declic heureusement parce que j'ai eu aussi... je n'etais pas bien. Certains moments j'avais même la rage, voilà, mais j'avais un sentiment de culpabilite enorme tout ce qui m'est arrive et c'etait special. La seule chose qui me restait c'etait mes gamins. Je pense à eux.

Roseline: Maintenant je vous sens apaise, est-ce que je me trompe?

Charles: Ouais. J'ai beaucoup change, enfin je suis redevenu comme avant car c'etait une periode, il y a des periodes de frustration, de problèmes, simplement le fait de ne pas avoir un bon travail, c'est tout qui affecte.

Maintenant je dis beaucoup c'est la vie, c'est comme ca.

Roseline: C'est au jour le jour, priorites...

Charles: C'est plutôt accepter. Il y a pire. On se sent mal car on arrive pas à accepter. C'est pas grave enfin pas grave, accepter...

Rachel: Est-ce qu'il y a des choses que vous aimeriez ajouter?

Charles: Non pas vraiment. J'espère juste que ca vous aide beaucoup et que ca puisse être lu par des personnes importantes. J'imagine que si. L'exemple, il faut le donner. La loi est la même pour tout le monde. Que cela aide ceux qui vont suivre. L'affection, tout le monde en a besoin, même les arbres ont besoin d'affection. Simplement. Mais un prisonnier n'a le droit à rien tout en sachant qu'il va sortir un jour.

Précision de Roseline à Charles que tous ses dires ne seront peut-être pas exploités pour le travail de mémoire.

Rachel: On vous remercie beaucoup, ca a été pour vous ? a n'a pas été trop....

Charles: Non, on est habitué à pire. Je redoutais un peu car certains ont des questions bof...

Roseline: Mais est-ce vou s avez eu ce genre de questions de notre part?

Charles: Non, non je m'attendais à des questions plus directes, comme les médecins: Ç t'as eu quelle maladie, est-ce que tu fais l'amour avec des hommes È.

Roseline: Ce que nous souhaitions, c'était vraiment votre vécu....

Mot de la fin de

Charles: C'est surtout la frustration de ne pas pouvoir vivre l'amour comme un humain.

Roseline et Rachel: Merci beaucoup

(Surnom choisi avant l'enregistrement) Rachel: Alors, ben, bonjour.

Doe: Bonjour

Rachel: La derniére fois qu'on s'est rencontré, on avait un petit peu dit pourquoi on avait choisi ce sujet comme travail de recherche. Donc, en fait, je répéte juste un peu pour... Donc, en fait, on a choisi la vie affective dans un milieu carcéral fermé parce que c'est un sujet qui est trés peu abordé et qui est tabou. C'est pour ca qu'on avait envie d'essayer de creuser un peu plus cela et pourquoi pas d'essayer de le rendre un petit peu moins tabou. Nous, ce qu'on veut conna»tre, c'est vraiment votre vécu, vraiment, ce que vous avez vécu. Je tenais aussi à préciser que ces entretiens resteront vraiment confidentiels, tout sera effacé. Et puis, si jamais il y a de s questions auxquelles vous ne voulez pas répondre, vous nous le dites, il n'y a pas de souci. Si vous avez besoin de faire une pause, vous nous le dites aussi. Et on tenait encore à vous remercier de participer et de nous aider dans notre démarche.

Doe: Pas de probléme

Rachel: Je vais commencer par la première question: en fait, qu'est-ce que vous auriez envie de nous dire sur vous? Un peu en général,... Je ne sais pas...Votre %oge... Qu'est-ce que vous aimeriez nous dire sur vous?

Doe : Ce que vous avez besoin de savoir

Rachel et Roseline : (Rires)

Doe: (Rires) Qu'est-ce que vous avez besoin de savoir?

Rachel: Je ne sais pas...Votre %oge?

ans, d'accord...Et est-ce que votre détention, elle a été longue? On n'a

pas besoin de savoir le temps mais si elle a été plus ou moins longue ou plus ou moins courte?

Doe: Rachel:

Doe: Pour un gars de mon %oge, longue.

Rachel: Longue? D'accord...

Roseline: Je mets juste des mots clefs, hein, c'est juste pour aprés si jamais...

Doe: Bon, ca dépend de ce que vous entendez longue aussi mais...pour un gars de ans, ouais, c'est long.

Roseline: Mais plus d'une année?

Doe : Oh oui, oh oui,...

Roseline: Plus d'une année, ca nous suffit.

Doe: Bien plus d'un an.

Rachel: Quel souvenir vous gardez de votre première arrivée en détention? Doe: L'arrivée en prison?

Rachel: Ouais.

Doe: Disons, j'ai seulement réalisé plus tard. Le lendemain, quand je me suis réveillé. Quand je suis arrivé, pour moi, c'était même pas encore la prison, c'est vraiment le lendemain, quand je me suis réveillé, avec les matons qui ouvrent la cellule pour aller faire la promenade à 7h, alors que ça caille. Ouais, c'est le lendemain matin que j'ai vraiment tilté oü j'étais... Le jour même, pas vraiment tilté. C'est le lendemain matin, au réveil, qu'on réalise oü on est.

Roseline: Quels étaient les éléments, à part les matons, qui ont fait que vous avez réalisé que vous étiez en prison?

Doe: Disons que c'est réveillé avec le bruit de la clef dans la serrure en faisant un bond de 3 metres alors qu'avant tu tirais des cannes. Mais sinon rien...Le bruit qui regne, j'veux dire, la prison c'est pas calme. Entre les détenus qui... sont là. Ben, l'ambiance, forcément, l'ambiance d'une prison.

Roseline: C'est-à-dire ? Un peu plus décrire l'ambiance...

Doe: L'ambiance? Ben, l'ambiance froide. On est tous dans la même galere. Surveillés en permanence. On fait pas un metre sans être surveillé. Ouais, on s'y habitue à la longue mais au début, c'est pas évident.

Roseline : Vous étiez dans une cellule à plusieurs ou tout seul?

Doe : Au début, dans une cellule à...Ben, j'ai toujours été dans une cellule à 2. Ben, forcément, apres, le temps surpeuplé, on était 3 dans une cellule de 2. Donc 3 dans 12m2.

Roseline: Et pis, vous avez jamais fait de demande pour être tout seul? a vous convenait d'être à 2, 3 ?

Doe: Ben, on n'a pas vraiment le choix, quoi. C'est blindé, c'est blindé...J'veux dire, faut bien les mettre à quelque part.

Roseline: D'accord...

Doe: Du moment, qu'c'est plein, c'est pas un hTMtel, hein. Roseline: En fait, là, vous parlez plus de préventive, pour l'instant.

Doe: Ben, c'était censé être une préventive mais moi j'ai fait toute ma peine à

Roseline: Tout le temps en préventive?

Doe : Tout le temps en préventive.

Roseline: Même qu'il y avait une peine ?

Doe: Même quand j'ai été jugé, j'suis resté en préventive.

Roseline: D'accord.

Doe : C'est blindé de partout. Plus de transfert.

Roseline: Donc, ca veut dire qu'il y avait des moments oü c'était donc dans le couloir, les moments de repas ou les choses comme ca? Ou alors, c'était quand même les repas en cellule?

Doe : Ah, non, moi j'étais repas cellule, au calme. Roseline: Tout le temps ?

Doe : Ouais, j'ai pas bougé.

Rachel: Et parce que y'avait pas de place ailleurs et du coup, ils ont pas fait de transfert?

Doe: Pour ca ouais, sinon pour les repas dans le couloir, disons que moi, j'm'en foutais complétement d'avoir les repas dans le couloir. Moi, j'voulais manger au calme et les couloirs, c'est pas calme. On est une centaine à gueuler comme des gorets,.... Pfff, non, moi, j'veux manger tranquille au calme, la télé et basta.

Rachel: D'accord. Et puis quelle idée vous aviez des relations entre les gens en détention? Est-ce que vous aviez une idée avant? Est-ce que vous vous étiez déjà imaginé ou fait une idée sur les relations qui étaient possibles en prison?

Doe: Bof... Disons que moi, j'pensais surtout aux relations de violence. Les mecs entre nous quand on est enfermé avec tout ce qu'on peut pas faire ou tout ce qu'on doit faire, on se doit de montrer une certaine force entre guillemets. Donc, ouais, relations de violence...un peu conflictuelles. Et ca c'est pas totalement montré faux. a s'est un peu montré avec des bagarres, donc ouais...

Roseline : Vous avez, vous-même, participé à une bagarre?

Doe: J'ai failli à plusieurs reprises mais j'ai toujours réussi à être calme. J'ai failli 2-3 fois mais j'ai toujours réussi à calmer le jeu.

Roseline: Donc, vous avez plus une personnalité à essayer de calmer le jeu que de rentrer en conflit?

Doe: Non, pas toujours. Quand on me prend trop, quand on me cherche trop, ouais, j'rentre dans le tas. Mais là, c'était pour des broutilles et je me suis dit ca sert à rien que je finisse au cachot pour des connards pareils. Aprés, c'est casses-toi de là et puis, fous-moi la paix. J'avais pas envie d'aller au cachot pour des imbéciles pareils, ca en valait vraiment pas la peine, quoi. Donc, bah, j'ai calmé le jeu, je l'ai laissé s'enflammer de son côté et moi, je suis resté calme. Pas évident en me connaissant.

Rachel: Ouais, j'pense et en plus quand on est toujours confiné ensemble, on est toujours en contact et en...

Doe: Mais bon, ca fait partie du jeu...C'est pas un hôtel...

Rachel: C'est sür... Est-ce que vous pourriez nous décrire une journée type? En fait, un peu comment se passe une journée pour vous en général?

Roseline : Avec des échanges relationnels importants. Doe: Importants?

Roseline: Ouais, ben, qui semblent plus importants pour vous.

Doe: Les seuls moments importants, c'était les parloirs avec la famille. Les autres relations avec les autres détenus, honnêtement, j'm'en fous, j'avais pas l'intention, c'était pas des potes, j'avais pas l'intention de revoir les gens aprés, c'était juste des gens avec qui je devais vivre le temps que j'étais là et basta. Relations importantes, c'était des relations de bons colocataires, ouais. Les autres... Bon, certes, y'a des liens qui se tissent avec le temps. Forcément, prendre des gens pas pour des potes, mais presque mais on sait que c'est le temps d'être ici. Une fois qu'on est dehors, on vogue. C'est juste le laps de temps oü on est en prison, qu'on reste ensemble, on se met en groupe pour pas se faire chier seul, quoi. C'est une sorte de pote. Puis, une fois qu'on est dehors, ben, ca...Moi, j'garde pas contact.

Rachel: Mais ces rencontres, ces gens que vous avez rencontrés, ils se rencontrent ou ? Vous avez la possibilité de les rencontrer oü?

Doe: Ben, soit quand on les fout dans notre cellule, soit quand on est au boulot, soit à la promenade, soit dans les couloirs, aux parloirs, quand on attend dans une cellule d'attente tous ensemble. Ouais, y'a plusieurs lieux oü on n'est pas toujours seul.

Rachel: D'accord

Doe: Les trois quarts du temps on est avec ceux avec qui on s'entend depuis le début et puis les autres, pfff..., on fait pas gaffe.

Rachel: D'accord. Et puis, comment vous êtes arrivé à créer des liens. Est-ce que c'est vous qui êtes allé vers les gens ou c'est eux qui sont venus vers vous quand vous êtes arrivé?

Doe: Disons que ca c'est un peu fait de soi-même, en fait. J'pourrais même pas dire qui est allé en premier. C'est juste des liens qui se...viennent des le début. C'est juste y'a des genres de personnes vers qui je m'entends bien et bah, y'en a d'autres j'vais même pas essayer parce que je sais qu'on est pas sur le même chemin, donc ca sert à rien.

Roseline: Mais qu'est-ce qui fait que vous saviez que c'était le même chemin ou pas le même chemin?

Doe: Non, disons, pas par rapport au passé carcéral. Disons, enfin, j'sais pas...Déjà la culture. Y'a des cultures avec qui j'pourrais pas parler parce que je sais que c'est conflictuel direct. Et pis y'en a d'autres, bah, quand j'vois qu'ils sont plus ou moins comme moi, on va dire.

Pas forcément la même tranche d'%oge mais, j'veux dire qui ont l'air déjà plus calmes, parce que j'vais pas aller vers des merdeux qui s'agitent pour un oui ou un non. J'étais pas là -bas pour m'prendre la tête, j'étais là pour faire ma peine et basta. Donc, ouais, y'a des gens vers qui j'allais plus facilement. Pis, bon, forcément quand on vit tout le temps avec la même personne au travail, quand on est dans les ateliers, forcément on est dans le même atelier, donc...Pis apres, c'est des caractéres... C'est des caractéres, c'est des délires, c'est quand on se marre ensemble. Faut bien rigoler quand même. C'est pas parce qu'on est en prison qu'on peut pas se marrer.

Roseline : Vous étiez dans quel atelier? Doe : J'étais à la reliure.

Roseline: A la reliure... C'est quand même un contexte oü on est chacun sur une machine ou... y'a quand même un peu de solidarité...?

Doe: Ouais, disons qu'y'a la solidarité aussi et puis quand y'en a un qui sait pas faire un truc, on l'aide. Pis apres y'en a un autre qui est libéré et il s nous en aménent un nouveau. Donc, le nouveau, certes, y'a le chef qui va lui apprendre et puis apres c'est les autres détenus qui vont lui dire tu fais ci et situ y arrives pas, tu m'appelles. Y'a une sorte de solidarité entre nous, quand même. On est dans le même navire, si on veut, donc, ouais, y'a une sorte de solidarité entre certains.

Roseline: Et pis, là, c'est vraiment le climat de travail donc y'a pas forcément à se prendre la tête comme vous le dites, c'est une ambiance?

Doe: On s'est quand même pris la tête. Moi, j'me suis pris la tête avec un gars mais ca c'était...

Roseline: Mais c'était par rapport à rendre le travail ou c'était par rapport à...

Doe: Non, non, ca n'avait rien à voir avec le travail. C'était juste un gars qui me prenait la tête, une grande gueule, quoi...

Roseline: D'accord.

Doe: Donc, forcément, y'a un moment, ca passait plus Roseline: Il faisait mieux que vous?

Doe: Non, disons que c'était une mentalité qui se croyait supérieure à tout le monde. Le genre de mentalité avec laquelle j'ai de la peine. Comme un peu tout le monde, j'pense... Mais bon, on fait avec.

Rachel: Pis ces liens, au fait, que vous avez pu créer, vous pourriez les décrire comment? Est-ce que c'était plutôt des liens superficiels? C'était plutôt des liens, j'sais pas, amicaux? Peut-être affectifs ? Ou intimes?

Doe: Disons que je pense plus entre le superficiel et l'amitié. C'était des amis sur le moment, en fait. Des gens avec qui je m'entendais bien quand j'étais en prison. J'sais que c'est pas des gens que j'ai envie de revoir une fois dehors. C'est des gens avec qui je m'entendais super bien quand j'étais en prison. Y'en a avec qui j'ai fait un bon bout de temps avec..., ben, en prison. C'est vrai que pendant un petit bout de temps, on a fait des peines quasiment, pas ensemble, mais on a passé un bout de temps ensemble avant que l'un ou l'autre soit parti. Pis, ouais, c'était des gens avec qui on s'entendait bien.

Rachel: Il y avait de la confiance?

Doe : On va dire, une certaine confiance. Rachel: Une certaine confiance...

Doe: On peut pas avoir une confiance absolue. La confiance absolue, personnellement, moi en prison, elle existe pas. Du moment qu'on est en prison, j'veux dire, on peut pas avoir confiance en qui que ce soit. La seule personne en qui on a confiance, c'est soi-même. En tout cas, moi, j'ai confiance qu'en moi. Donc, jamais j'aurais fait cent pour cent confiance à qui que ce soit d'autre. Mais y'a une sorte, entre guillemets de confiance, sürement. On sait qu'on peut comp ter dessus, on va dire, plutôt.

Rachel: Donc, il y a de l'entraide, il y a de la solidarité?

Doe: Ouais, y'a de la solidarité qui se fait entre certains, pas tout le monde. Mais y'a une certaine solidarité à un moment donné.

Rachel: Est-ce que vous vous êtes permis de pouvoir discuter avec eux de tout?

Doe: Non, j'allais pas commencer à parler de ma vie d'avant. J'allais pas commencer à dire où j'habite, ma famille, ci, ca, j'peux pas.

Rachel: D'accord.

Doe : Y'a quand même comme une sorte de protection, malgré tout. On est pas dans un monde tout rose, non plus. Donc, on va pas commencer à confier des choses qu'ils ont pas à savoir.

Roseline: Donc, vous ne vous êtes jamais confié à qui que ce soit? Doe: De nature, j'suis pas quelqu'un qui se confie.

Roseline: C'est dans votre nature...

Doe: Dedans la prison, dehors, j'suis pas quelqu'un qui se confie.

Roseline: Et dans ces liens, est-ce qu'il y'avait quand même du respect, pas de respect?

Doe: Non, y avait un certain respect. Ouais, be n, pour avoir une bonne cohabitation, faut quand même respecter l'autre. Quand l'autre il dort, faut pas faire le souk, faut pas mettre la télé à fond ou se mettre avec la musique à fond. a c'est juste des régles de savoir vivre. a tient en prison aussi. Encore plus, même j'dirais. On est dans 12m2 à deux donc forcément des qu'y'en a un qui dort, bah l'autre il va essayer de, ...il va essayer de faire pas de bruit. C'est juste une question de, ouais, ca c'est même pas une question de respect, c'est du savoi r vivre. Donc même si on est en prison, faut quand même conna»tre certaines regles.

Roseline: Donc, là, on a parlé par rapport aux codétenus. Mais, par rapport au personnel pénitencier, est-ce qu'il y avait des échanges... de respect, de solidarité?

Doe: Honnêtement? J'm'entendais super bien avec les matons. Peut-être étonnant... Mais alors, j'm'entendais bien..., y'avait 2 -3 connards comme partout, j'ai envie de dire, 2-3 mecs qui pétent plus haut que leur cul, j'ai envie de dire mais, bon, la plupart, ils sont à leur place, ils nous traitent pas comme des moins que rien parce qu'on est des taulards. Donc, non, la plupart, ils sont corrects. Certes, y'en a 2-3 qu'on a qu'une envie c'est de leur foutre trois claques mais, bon, comme c'est des matons, on risquait rien. Mais, non, personnellement, moi, ca allait. Avec les matons, ca allait bien. La plupart, ils avaient quasiment mon %oge, même, donc...

Roseline : Ah oui?

Doe: Ils étaient assez jeunes. J'ai vu beaucoup d'arrivants qui étaient en formation. Pis, bon, je les ai vu défiler, j'étais plus vieux que certains gardiens. Certains gardiens, ils étaient peut-être,..., depuis quoi, depuis quasiment que je suis arrivé, ils me disaient: Ç mais, dis-donc, toi, t'es arrivé ici avant moi ? È. J'fais: Ç T'es arrivé quand ? È. Il me dit la date, j'fais: Ç Ouais, ouais, j'suis plus vieux que toi, j' ai plus d'ancienneté È. C'était des gamins, quoi et puis on se permettait de déconner avec eux. Ouais, certains, ils sont vraiment cool.

Roseline : Vous dites en formation, euh...

Doe: Ben, disons, que c'était marqué sur leur badge, c'était marqué: Ecole, j'sais pas quoi, ouais, c'était...

Rachel: C'était des apprentis.

Doe : Ouais, ouais, ils étaient en formation. Ils apprenaient le boulot, en fait.

Roseline: D'accord. Est-ce que vous avez vu une différence entre ceux qui étaient en formation et puis ceux qui étaient depuis plus longtemps là et qui étaient formés?

Doe : a dépend, ceux qui étaient formés, ils savaient déjà mieux quoi faire quand on leur demandait un truc. Bon, pas toujours, certains, c'était des ploucs, mais disons que, ouais, les nouveaux, ils étaient pas tout-à-fait, toujours au courant de tout, on va dire. Mais, franchement, j'veux dire, j'veux pas les dénigrer mais c'est pas un boulot extrêmement compliqué, non plus: Tu ouvres une porte, tu fermes une porte, tu l'amènes là ou le détenu doit aller, si c'est à l'avocat, tu l'amènes à l'avocat, il doit aller à l'école, tu l'amènes à l'école, il doit aller au parloir, tu vas au parloir. C'est pas extrêmement compliqué, non plus. Y'en a qui le font avec plus de...pas de plaisir, mais p't'être plus d'humanité, en fait. Donc, y'en a certains, c'est ..., ouais, c'est presque comme s'ils parlaient à des animaux. Y'en a certains mais ils étaient assez rares, encore. Parce qu'en principe, ils se faisaient remettre à leur place, vite fait, donc... . Donc, en principe, après, ils comprennent que c'est pas parce qu'on est en prison, ...On reste des humains, certains ont fait des conneries, c'est pas une raison pour mal lui parler.

Donc ouais, ils sont assez calmes. La plupart, ca va. Franchement, y'en a, honnêtement, on peut pas se plaindre. Comparé à ce qu'on peut voir dans les films, les matons, c'est des matons. Franchement, ca va.

Rachel: Pis dans les rencontres qui vous ont marqué, en fait, le lien, il s'est créé comment?

Doe: Ben, disons, qu'y'en a qui se confient, y'en a certains qui se sont confiés.

Rachel: Donc, des personnes qui vous ont fait confiance et puis du coup, vous vous êtes senti un peu en confiance avec?

Doe: C'est même pas une question de confiance, c'est qu'il y'en a certains, ils se sentent, pas le devoir, mais ils ont besoin de parler, en fait. Donc si c'est même pas à moi, un, il parle quasiment à toute la prison.

Toute la prison connaissait son histoire. Et disons que c'était un...on va dire un gros dossier qu'ils en ont parlé dans les médias, faut pas s'mentir. Mais, ouais, j'veux dire, c'est toutes des relations... a se fait n'importe ou. Soit quand on est au palais de justice, dans le fourgon comme des salades, dans les paniers à salades et qu'on attend, soit dans les cellules en bas où on attend, y'en a un qui attend pour voir s'il a...si son jugement,...qui attend pour juste voir si les prolongations pour quand on n'est pas encore jugé.

Disons qu'à un moment donné, on est bien obligé de se...On est bien l'un à côté de l'autre, donc soit on parle pas, soit on parle. Et pis, ca dépend des gens. Y'a des gens, tu peux rester deux heures avec, t'as même pas envie de leur parler et pis, t'en a d'autres, t'es deux heures avec mais tu lui parles au bout de dix minutes.

C'est comme une mini-société si on veut la prison, c'est comme une petite société à quelque part. A part que les règles qui s'appliquent en prison sont pas tout -à-fait les mêmes que dehors. Mais, j'veux dire, c'est comme ca. Quand parfois dans le tram, t'es assis à côté de quelqu'un, tu vas regarder à droite, tu vas regarder à gauche et pis y'en a d'autres, il va se mettre à parler... Tu sais pas pourquoi mais c'est comme ca. Bah, là -bas, c'est un peu pareil. On se met à te parler, tu cherches même pas à comprendre. C'est soit, tu veux lui parler, tu lui parles. Tu veux pas lui parler, tu dis

que tu veux pas lui parler. Si tu parles aux gens, tu parles pas aux gens, c'est comme ici, tu parles aux gens ou tu parles pas. T'as pas de règle, en fait. Si t'as envie de lui parler, tu lui parles, sinon tu fais ta route.

Rachel: Et puis, bah, voilà, quand on rencontre quelqu'un, quand on a un moment d'échange, on a des émotions, en fait, qui apparaissent. a peut nous rendre heureux, triste, on peut se sentir compris ou, au contraire, se sentir encore plus mal ou...Qu'est-ce que les relations que vous avez pu...

Roseline : Vous avez eu des émotions en prison?

Doe: Des émotions ? A part la colère, la rage et tout ca? Roseline: Oh, ben, il faut aussi parler un peu de colère et de rage.

Doe: Disons que ouais, j'avais l'apaisement quand j'avais le parloir, ouais. a, ca calme bien.

Roseline: Ouais....

Doe: Et sinon le reste, c'était toujours de l'impatience. Roseline: Impatience?

Doe: Ben, impatience de sortir, déjà.

Roseline: Ouais.

Doe: L'impatience quotidienne d'attendre qu'on sorte, compter presque les jours, à un moment on les compte plus en an. Sinon, ouais.

Roseline: Pis la colère, la rage, ca se dirigeait plus contre qui? Contre vous-même ou contre les autres? Et pis les autres?

Doe: Le système. Roseline: Le système?

Doe: Ouais, le système. Un peu des deux. Et puis, avec le temps,..., faut bien apprendre à se calmer.

Roseline: Le système, c'est ... ? C'est les tracas administratifs, c'est ...

Doe: C'est l'administration pénitencière, ouais. Les directeurs de prison. C'est les fonctionnaires. Et ouais, tout ce qui est les juges qui sont dans, bon on les compte pas parmi. Enfin, ouais, tout le monde un peu,...Bah, tout le monde qui fait que ca existe. Tout ce qui est juge, bon la police, j'les ai jamais aimés, ca c'est pas nouveau. J'les aime toujours pas d'ailleurs. Et ouais...

Roseline: Mais la police, elle intervenait à quel moment?

Doe: Pendant l'arrestation.

Roseline : Ah, oui, d'accord. Mais à l'intérieur de la prison, elle...

Doe: Ouais, disons qu'y a parfois, quand y'a les émeutes et tout le tralala, y'a un peu les forces de l'ordre qui arrivent. Ca fait presque plaisir de les voir pour les avoir sous la main, donc,...

Roseline : Vous avez vécu des moments d'émeutes?

Doe : Ouais, y'a des petites révolutions et tout ca, ouais.

Roseline: Et comment ca se fait que les petites révolutions sont arrivées? Doe: Un ras-le-bol général.

Roseline: Un ras-le-bol général...

Doe: Ras-le-bol général. Quand on est à trois dans 12m2, j'veux dire, y'a un moment ou c'est plus tenable, ca fait 4m2 par tête.

Roseline: Ouais, c'était des revendications de ce style-là?

Doe: Mais y'avait ca ou bien y'avait les repas aussi...C'était une vraie calamité. En fait, j'sais même pas toujours de quoi ca part. Des fois, c'était juste la promenade, y'en a qui voulaient pas rentrer de promenade. Au lieu d'une promenade d'une heure, y'en a ils sont restés quatre à cinq heures et les gardiens pouvaient faire ce qu'ils voulaient, personne ne rentrait. Il me semble qu'une fois, bon, c'était pas mon secteur, c'est un autre secteur, j'crois qu'ils ont dü faire venir la police pour faire rentrer les détenus parce que voilà, quoi...

Roseline : Ah, oui, d'accord.

Doe: Je crois, hein, j'suis pas sür, c'était à l'opposé d'oü j'étais donc j'sais pas exactement comment ... C'qui a eu lieu.

Roseline: Donc, quand il y a eu ces mini révolutions, vous essayiez de faire passer des droits? Pas que des devoirs...

Doe: Ben, disons, c'était...Ouais. J'veux pas dire mais quand on mange tous les jours froid, au bout d'un moment, ben c'est bon, on en a marre. Sür, c'est la prison, mais bon, déjà que ce qu'on mange c'est pas bon mais si ca pouvait au moins être chaud, ca pourrait être le cas. Pi s, bon, un ras -le-bol général parce que vous avez pu lire dans les journaux Ç , over booké, sur plein È, Ç six cents détenus à la place de deux cents! È, j'veux dire, nous on le sent, on est dedans.

Roseline: Ben oui.

Doe : Vous, c'est les journaux, vous dites Ç Ouais, d'accord, c'est des prisonniers, on s'en foutÈ, nous, certes, on est des prisonniers, mais, merde, quoi, on est quand même concernés.

Roseline : Vous y vivez, c'est la réalité.

2

Doe : J'veux dire, on est quand même des êtres humains, on est à trois dans 12m ! J'sais pas si vous vous rendez t 12m 2

compte de c'que c'es à trois. Trois hommes

dans 12m. C'est..., je sais pas..., à la longue, c'est...

Roseline: Ouais, c'est chaud?

Doe : Ouais, c'est polluant. intenable , trois dans 12m 2

C'est .

Roseline: Ouais, cette proximité, c'est...difficile à vivre, quoi?

Doe: Ouais, même si on s'entend bien avec les deux autres. Disons, que c'est un besoin d'espace à la longue.

Roseline: Un besoin d'espace, bien sür.

2

Doe : J'veux dire le calme à trois dans 12m , c'est rare qu'il y ait un peu de calme, quoi. Déjà qu'en prison, le calme...c'est relatif.

Rachel: Et puis, on parle souvent d'avoir sa bulle et j'pense que là, c'est...

Doe: Non sa bulle, on l'a pas. Sa bulle faut se la faire dans la tête sinon ouais... Faut s'avoir s'isoler, se mettre au calme tout seul parce que si on veut du vrai calme, faut attendre que les autres dorment. C'est ce que je faisais, moi, d'ailleurs. J'me couchais en dernier comme ca j'avais le calme du soir. Enfin,... parfois parce que quand les autres ils gueulent aux fenêtres dans la cellule d'à côté...

Roseline: Les murs, ils étaient pas épais, vous entendiez tout? Doe : Ah, non, c'est ceux qui gueulent aux fenêtres.

Roseline : Ah, aux fenêtres?

Doe: Ouais, ben pour se parler entre eux, y'en a, ils se gueulent, ils sont l'un à l'autre bout et l'autre à l'autre bout, c'est deux heures du matin, ils gueulent ensemble.

Roseline : Ah, d'accord, ca c'est pour communiquer, en fait?

Doe : Ouais. Et pour communiquer, ils emmerdent tout le monde. Donc, oui, sympa!

Roseline: Vous avez jamais fait ca, vous? Vous avez jamais communiqué d'une cellule à l'autre?

Doe: Si...mais moi c'était avec les cellules soit celle du dessus, du dessous, à droite ou à gauche, c'en est pas une qui était à perpéte les oies.

Roseline: Donc vous aviez besoin de communication autre que ce que vous aviez dans votre cellule ou...?

Doe: Ben, disons, que parfois, on a des...entre guillemets, des amis qui sont dans la cellule d'à côté et puis on a oublié de leur dire un truc ou eux, faut qu'ils nous disent un truc, on tape dans le mur pour le faire bouger, il vient à la fenêtre et pis on cause un petit moment. C'est interdit mais...bon, ben, voilà, quoi.

Roseline: Personne dit rien?

Doe: Ben, disons, que c'est que les gardiens la plupart, un, ils disent rien et pis s'ils le disent, ils savent qu'on s'en fout et qu'on va continuer des que la porte sera fermée. Donc, pff, voilà, j'veux dire, c'est pas ca qui va empêcher. Parfois celui du dessus ou du dessous, il a besoin de quelque chose, un petit yoyo pour lui envoyer ce qu'il a besoin, c'est vrai, c'est un peu la regle de savoir -vivre aussi, dépanner.

Roseline: Vous aviez les...cellules, euh...enfin les barreaux, vous pouviez pas vous envoyer des...parce qu'on a entendu que y'avait des gens qui s'envoyaient des lettres et tout...Est-ce que vous l'avez vécu, vous?

Doe: (Rires) Disons qu'on arrive toujours à se démerder. Roseline : Vous arrivez...

Doe : A la base, on avait des barreaux comme ca avec ca d'espace entre (le montre avec ses doigts). Juste derrière, ils ont mis des grillages avec des carreaux comme ca, donc on avait les deux, c'qui fait que...censé impossible mais...

Roseline : Vous avez réussi ? Vous l'avez fait donc, vous...

Doe: Bah, bien sür que j'l'ai fait, bien sür, tout le monde fait des yoyos, donc... pour dépanner. Et on nous met des carreaux comme ca...Du moment qu'on peut faire passer une corde...

Roseline : Vous y arriviez...

Doe: On y arrive. Et puis les cordes, y'a pas besoin d'avoir une vraie corde, on attache des lacets entre eux, on prend un bout de plastique, on déchire un morceau du drap pour faire une corde,...Et des qu'on a un truc sous la main, on fait une corde.

Roseline: Ah, ouais, ok. Donc ca c'est vraiment la solidarité et pis c'est vraiment le besoin de communiquer qui primait?

Doe: Ben, disons que quand quelqu'un a besoin de clopes, bah, on va lui envoyer des clopes... S'il en a plus... Pis bon, y'a d'autres choses qui se passent aussi, ca c'est plus confidentiel.

Roseline : Vous voulez pas en parler?

Doe : C'est pas que je peux pas, c'est que c'est pas du légal... (2-3 minutes de discussion sur l'illégal )

Roseline: Ouais mais, je tiens à préciser que dans l'entretien ca sort maintenant mais on va peut-être pas l'utiliser, donc...

Doe : J'espère bien !

Roseline : ...il faut pas... ca n'a rien à voir avec...C'est un échange mais c'est pas un échange affectif ou...

Doe : C'est sür!

Roseline: ...mais, par contre, ca rentre quand même dans le besoin de communication

Doe: Mais c'est sür, parce que si vous marquez Ç Oui, untel, untel a fait passer telle et telle chose...È

Roseline: Mais y'a pas de nom.

Doe : S'ils savent d'oü on vient .

Roseline: Mais on va pas marquer d'oü vous venez

Doe: Magnifique ! Alors, c'est bon.

Roseline: a on a pas le droit, c'est pas éthique, ca...Il manquerait plus que ca! Doe : C'est rassurant.

Roseline: Non, franchement, ben, à la fin, on va demander comment vous vous êtes senti mais nous, notre...On le reprécise, c'est vraiment la réalité de ce qu'il se passe en prison, pis votre vécu. C'est vraiment pas...On ne juge pas...Enfin, on aimerait faire passer ca, qu'on ne juge pas.

Doe: a c'est bien parce qu'on est beaucoup jugé dès qu'on a fait de la prison. Dès qu'on a l'étiquette Ç prisonnier È, pour rester poli, c'est chaud. Y'a la société puis nous. Même une fois qu'on est dans la société, on est toujours à l'écart.

Roseline: Alors, moi, je comprends, j'aurais sürement la même réaction mais si on fait passer une histoire de jugement, j'espère que vous allez nous rappeler à l'ordre.

Doe : Ouais.

Roseline: (acquiescement de la tête) hummmm...

Doe : a marche.

Roseline: Parce que c'est pas notre intention première.

Doe: On est déjà assez jugé comme ca, ceux qui ont fait de la prison. On passe notre temps à être jugé, jusqu'à qu'on ait la liberté totale. Si on arrive à ...qu'on a fait de la prison, ca va. Mais des que tu dis à quelqu'un que j'ai fait de la prison, c'est jugement, taulard, il s'imagine ce qu'il veut, quoi.

Roseline: Pour vous c'est un échange matériel mais pour moi, ca ressemble à un échange de communication non verbale.

Doe: Hummmm, hummm...

Roseline : Alors, c'est tout, c'est pour ca que...

Doe: Non, mais on se dépanne, on se dépanne et puis juste parfois c'est pour..., même si on a pas envie, c'est juste question qu'ils nous foutent la paix. Y'en a, ils insistent. Parfois on dit, ouais, vas-y, j't'envoie deux trois clopes, fous-moi la paix. Tu me les rendras...Tu me les rendras pas, plutôt.

Roseline: Parce qu'en fait, apres, y'a le lendemain, pis peut-être vous allez les croiser, et puis si vous leur avez pas donné, ben, ils vous foutront pas la paix, c'est ...

Doe: Non, même pas, non, ca on s'en fout de toute facon, j'veux dire. Si on lui dit non, on lui dit non. Il va pas vous prendre la tête parce qu'on lui a pas passé des clopes sauf si c'est le dernier des abrutis. C'est pas grave, faut pas se mentir.

Roseline: D'accord.

Doe: Mais en général, tu lui passes des clopes, il se souvient que tu lui a passé des clopes donc si, une fois, toi, t'as besoin d'être dépanné, tu le revois, pis, lui, il te les rend. Logiquement. Normalement, tu te souviens quand quelqu'un te rend un service, tu rends le service.

Roseline: D'accord.

Doe: Donc, ca encore, ca va.

Roseline: C'est un échange de bon procédé?

Doe: Ouais. Mais t'as toujours certains, ils comptent que sur toi pour fournir. Donc c'est tout, pas tous les jours, mais c'est souvent Ç T'en as ? T'en as ? T'en as? È Pis à un moment donné, tu dis non même situ en as. Question que ...parce que tu sais qu'ils comptent que sur toi pour en avoir. Y'en a, ils vivent que de ca, ils achétent que dalle, pis ils comptent pour les autres pour les fournir.

Roseline : Mais vous quand vous vous êtes procuré les cigarettes c'est parce que vous aviez de l'argent, pis vous pouviez en acheter ou c'est parce que y'a eu votre famille qui est venue, vous en a amené?

Doe: Non, moi, j'travaillais donc...

Roseline : Ah

Doe: Moi, j'bossais donc j'avais l'argent qui rentrait. Roseline : Ah, ... Et puis vous pouvez en acheter...

Doe: J'pouvais acheter c'que j'voulais. Moi, j'achetais plus la nourriture. J'achetais même que de la nourriture et des boissons, des cigarettes pas trop, j'en ai pas besoin.

Roseline: Ok

Doe: Non-fumeur donc ca, j'm'en fous.

Rachel: Y'a juste là, on disait...des émotions apparaissent. Mais est-ce que vous vous êtes senti seul, donc? Vous avez créé votre bulle mais est-ce que c'est se sentir seul, créer sa bulle?

Doe : On est toujours un petit peu seul en fait. Roseline: Toujours?

Doe: On est toujours un petit peu seul parce qu'on est loin, on est loin de sa vie, si on veut. De sa vie d'avant, ben on est loin, ouais. D'un côté, on est toujours un peu seul parce que c'est les siens et encore même pas tous les siens parce qu'on les voit une fois de temps en temps. C'est une fois par semaine, grand max. Donc, ouais, on est toujours un petit peu seul si on veut. Parce qu'on est complétement à..., pas à l'opposé, disons qu'c'est pas notre vie, c'est un passage de notre vie mais c'est pas notre vie.

Roseline: C'est un passage...

Doe : Ouais, donc ouais, d'un côté, on est toujours un petit peu seul .

Roseline: C'est une rupture momentanée et pis, on, on, on se projette toujours sur quand on sort?

Doe: Disons, qu'on est...Bon, à un moment donné, on évite aussi de penser à l'extérieur. A un moment donné, on est dans notre cellule, on pense plus à dehors. A un moment donné, faut savoir couper et se dire, ben, je suis là, je reste ici, l'extérieur, je l'oublie un peu. Si on pense trop, moi, si je pensais trop à l'extérieur, j'devenais dingue à un moment.

Roseline : Ah...

Doe: Donc, à un moment donné, j'essayais de ne plus penser à l'extérieur, de ce que j'aurais fait si j'étais dehors. Quand il faisait beau, j'aurais pu faire ci, j'aurais pu faire ca. Certes, on y pense mais c'est une pensée, on n'imagine pas ce qu'on aurait fait, c'est une pensée parce que forcément, ca nous passe par la tête...On se léve le matin, c'est l'été, c'est les vacances, on voit le grand beau temps, on fait Ç Merde, si j'étais dehors, j'aurais été avec des potes et tout È. On y pense mais...

Roseline : Aprés vous vous êtes... Doe : On y coupe.

Roseline : Voilà, vous avez coupé...

Doe: On essaie de pas trop y penser parce que sinon,...on devient dingue. Enfin, moi, je devenais dingue. Si je pensais trop à dehors, au bout d'un moment, je pétais un...j'pétais un plomb. Donc ouais, j'coupais un peu le passé. Enfin, pas le passé mais je coupais le dehors... Ben, vas-y qu'ca avance, quoi.

Roseline: Mais quand vous étiez en prison, vous aviez quand même envie d'avoir un projet de vie? a vous a permis ou pas...

Doe: Ben, c'est même là-bas que j'ai trouvé ce que je voulais faire. Parce qu'avant d'être là-bas, j'savais pas quoi faire. Pis, ben, le temps là-bas, j'me suis bougé un peu, vu que j'avais le temps à dispo...tant qu'à faire, j'ai bossé un peu, j'me suis rendu compte de pour quoi j'avais de l'intérêt, j'ai commencé un peu à bosser, à me perfectionner dans deux, trois domaines, à prendre des cours pour ressortir avec un projet, pis pour le faire.

Roseline: La prison en soit, ca vous a aidé à ca?

Doe : J'me suis trouvé en prison.

Roseline : Ah, ouais, d'accord

Doe: Dur à croire mais c'est vrai que je me suis entre guillemets trouvé.

Roseline: C'est comme quand vous disiez, j'avais pas le caractére à ca...à rentrer dans le jeu ou...vous avez dit ca, là, la même chose vous vous êtes découvert entre guillemets que vous pouviez rester calme?

Doe: Ben, disons que j'ai énormément müri. J'suis rentré là-bas avec une mentalité d'ado et encore...J'suis ressorti avec une mentalité d'homme de mon %oge. Peut-être un peu plus jeune parce que, quand même, un peu jeune. On est toujours un peu jeune dans notre tête, c'est ca! Mais disons que j'suis rentré en étant, dans ma tête, gamin pis j'suis ressorti en homme. Disons, ca m'a fait beaucoup mürir. Et c'est même une gardienne, elle-même, qui m'a dit, p't'être quoi, p't'être au bout d'un an, elle m'a dit en ouvrant la porte, ben on s'est mis à parler avec le gardien, elle m'a dit Ç T'as bien changé, toi. En arrivant, t'étais un vrai con È. J'fais ok, merci. J'suis arrivé en bas dans la cour et j'fais, bon, ben, au moins, j'suis déjà devenu mür.

Roseline: Ouais, c'était un compliment.

Doe: Ben, disons je me suis dit que si une gardienne, elle-même, s'est rendu compte que j'suis rentré j'étais con et que j'ai progressé alors qu'j'la vois une fois de temps en temps, j'me suis dit...ca devrait faire bouger les juges aussi. Si déjà au bout d'un an, ils ont pigé, aprés plusieurs années, j'crois que j'vais encore changer. Donc, ouais, j'ai grandi là-bas.

Roseline : Vous étiez fier de vous-même?

Doe: Fier de soi, on va p't'être pas exagérer, non plus. Roseline: Ben...

Doe : Content d'avoir pu mürir, ouais.

Roseline: D'accord!

Doe: C'était le moment. Attendre d'être en prison pour pouvoir mürir, c'est un peu con mais ca m'aura au moins servi à ca...

Roseline: D'accord.

Rachel : Comment vous pourriez définir la nature des contacts? Est-ce que c'était plutôt des échanges verbaux? Est-ce que c'était plutôt...ben, est-ce qu'il y avait, voilà, la possibilité de toucher mais... c'est pas... une tape dans le dos ou voilà? Ou plutôt non verbal ? Ou autre?

Doe: Bon, c'est plus verbal. Bon, ca n'empêche pas qu'il y ait quand même une poignée de main, ils se tapent dans le dos parfois... Parfois, on...comment dire? Comme faire semblant de se battre juste pour se marrer un peu. Comme les mecs on aime bien faire de temps en temps.

Rachel: Ouais.

Doe: Non, en principe, ca se limite à une poignée de main. Rachel: D'accord.

Doe: En principe, ca reste à ca.

Rachel: Quand on est pas bien ou comme ca, on peut pas prendre ou se faire prendre dans les bras, un moment donné...?

Doe: Moi, perso, ca ne me serait même pas venu à l'idée de prendre quelqu'un dans mes bras ou d'aller dans les bras d'un mec, non.

Rachel: D'accord.

Doe: Moi, c'était même pas...C'est même pas que c'était pas envisageable, c'est juste que j'y ai même pas pensé et j'y aurais même pas pensé, quoi.

Rachel: D'accord.

Doe: Moi, je vais pas aller me réfugier dans les bras de quelqu'un pour ca. Quand ca va pas, c'est baisser la tête, pis...ca passera.

Rachel: Ok.

Doe: Le temps guérit. Essayer d'avoir des bonnes pensées, penser à autre chose et puis c'est bon. Pis au pire, une bonne nuit de sommeil et pis le lendemain, on y pense plus.

Rachel: D'accord...Hum...Donc la derniére fois, quand on est venu manger...donc quand vous nous avez invitées chez vous, vous avez évoqué la séduction.

Doe: Hum...

Rachel: Vous vous souvenez?

Doe : Vaguement.

Rachel: Vaguement. (Rires)

Rachel: Qu'est-ce que vous pourriez nous dire sur la séduction? Doe: La séduction en prison?

Rachel: Ouais.

Doe: Disons, qu'c'est toujours des qu'on voit une gardienne, c'est le réflexe de l'homme, c'est... ca reste une femme, nous on est en prison, y'a pas de femme.

Rachel: Ok.

Doe: Donc forcément des qu'on voit une...bon pas toutes non plus...Mais des qu'on voit une femme, gardienne, qui peut nous plaire, ouais, y'a toujours un petit jeu ou un petit regard...Elles le savent, hein... Elles sont dans un monde, entre guillemets, d'hommes, donc elles savent trés bien qu'en étant là, en étant une femme, elles viennent pas... elles sont pas innocentes. Elles sont pas stupides. J'veux dire, elles savent à quoi s'attendre. On va pas faire le métier de gardienne de prison si on a pas envie que quelqu'un nous séduise un minimum.

Forcément, on est coupé de ce monde-là, du monde affectif donc, ouais, des qu'on voit une femme qui est gardienne, forcément... On reste un mec, on a toujours le réflexe même si on sait que ca n'ira pas...C'est tirer dans le vide, quoi...On le sait. Mais c'est juste ce plaisir-là, c'est ...

Roseline: C'était juste le plaisir...

Doe : C'est juste un petit plaisir, ouais. On sait trés bien qu'elle en a rien à foutre de nous, on le sait mais c'est juste le plaisir entre guillemets de lui faire comprendre.

Rachel: a fait du bien?

Doe: Du bien, je sais pas mais disons que c'est toujours... a nous change un peu de la routine, j'ai envie de dire...

Roseline : Ouais.

Rachel: Ben, j'sais pas, ca pourrait frustrer, ca pourrait...

Doe: Ah, ben, si on peut se permettre, ouais, quand on voit une gardienne qui est bien faite de la tête aux pieds, ouais, c'est agacant. Parce qu'on reste des mecs, on a forcément des idées qui nous passent par la tête. Et ca sert à rien donc...On sait que ca sert à rien

Roseline : Ah

Doe: On sait que ca sert à rien, surtout avec certaines gardiennes ca aurait été sympa, ouais.

Roseline: Mais là, par exemple, on peut extrapoler, on peut se dire mais est-ce que là, quand vous voyez une gardienne, ca peut un peu frustrer? Pis vous le dites. Mais est-ce que la prison peut pas faire venir des personnes... ? Parce qu'aprés, on arrive aux prostituées alors autant l'aborder maintenant.

Rachel: Ouais.

Doe: J'sais même pas si ca se fait. J'sais même pas si la prison oü j'étais ca se faisait déjà les...comment on dit... les parloirs intimes. Déjà, j'sais même pas si ca se faisait

Roseline: Mais vous sur le moment, vous avez jamais pensé à tout ca? Doe: Non, pas spécialement.

Roseline: Non. Vous...Vraiment, vous étiez le moment au jour le jour et puis...ca passera, quoi?

Doe: Moi, je vis au jour le jour. Roseline: C'est ca.

Doe: C'était vraiment, je vivais au jour le jour. Aujourd'hui c'est comme ca, je dors. Comment sera demain, on verra demain.

Roseline: D'accord.

Doe: J'veux dire, j'vais éviter de me prendre la tête plus que ca avec des trucs qui servaient pas à grand-chose. Certes, j'aurais bien fait des conneries avec des gardiennes, faut pas s'mentir. Mais, non, c'est pas possible, c'est pas possible donc c'est...On attend qu'on sorte et pis on récupére tout ca une fois dehors, donc, ouais, c'est comme ca.

Roseline: Ouais, c'est ca...Tant que vous pensiez pas, vous voyiez certes la gardienne mais vous vous êtes jamais dit ca serait quand même bien d'avoir un parloir intime ou d'avoir...

Doe : J'ai dit ca serait bien si ca se faisait mais étant donné j'croyais... j'savais même pas si ca se faisait à .

Roseline: C'est quand vous êtes sorti de prison alors en fait que vous y avez pensé?

Doe: Non, déjà là-bas j'me suis dit mais j'savais pas si ca se faisait donc, j'ai même pas essayé de comprendre parce que le directeur c'est le dernier des trous de fion.

Roseline : Ah, donc, c'est pour ca?

Doe: Déjà un ca servait à rien de lui parler de quoi que ce soit étant donné qu'il en avait rien à foutre de nous, il était là pour faire tourner sa bo»te. Donc, j'veux dire, ca sert à rien d'aller plus loin .

Roseline: Mais entre détenus, vous en parliez? Entre codétenus?

Doe : Ah, ben, entre détenus, on sait qu'on est des hommes et qu'on a quand même des besoins. C'est sür qu'on savait qu'on attendait d'être dehors. On pensait que c'était pas faisable. Donc on attendait...ben, on attend de sortir.

Roseline: Mais vous en parliez entre vous? Doe: Pas plus que ca, en fait.

Roseline: Non...

Doe: a sert pas à grand-chose. J'veux dire, on apprend à se passer de tout. Donc on apprend à se passer de ca aussi.

Rachel: Mais est-ce que vous pensez que si y'avait..., si y'avait droit à une affectivité ou à une sexualité, est-ce que ca pourrait...calmer les tensions ? Ou la violence?

Doe : Y'a des chances, ouais... Une grande chance.

Rachel: Donc, si y'avait des parloirs intimes, vous pensez que ca permettrait d'apaiser?

Doe: Ben, faut bien dire, c'est une frustration quand même. La frustration amène toujours un peu d'énervement. Donc ouais, ca calmerait, p't'être pas..., ca n'arrêtera pas la violence, faut pas se mentir mais ca pourrait peut-être détendre un peu.

Roseline: Mais ca vous le pensez maintenant ou vous l'avez pensé quand vous étiez en prison?

Doe: Disons que quand j'étais en prison, j'évitais de penser donc...Disons que... Roseline : Vous, vous êtes ...

Doe : Au jour le jour!

Roseline: Ouais, au jour le jour mais quelque part, est-ce que je peux utiliser le mot annihilé?

Doe : a veut dire quoi?

Roseline: Ben, justement, de, ben,... au jour le jour mais donc vous vous êtes coupé de beaucoup de besoins. A part le besoin de manger...

Doe: Disons, qu'on apprend. Roseline : Vous avez appris?

Doe: Moi, je dis, je pars du principe ou l'être humain il s'adapte à tout. Donc il s'adapte à se priver des choses.

Roseline: Donc, c'est ce que vous vous êtes dit? De toute manière, l'être humain, il va, il s'adapte à tout, je vais m'adapter à tout...

Doe: Mais j'ai vu que je m'adaptais donc je me suis adapté, je me suis dit que j'attends d'être dehors.

Roseline: Ok.

Doe: Certes, des parloirs intimes ca aurait été sympa mais d'un autre côté j'aurais fait venir qui? La question était là aussi. J'fais venir qui?

Roseline: Ben...

Doe : Qui c'est que je vais faire venir en prison juste pour ca. Roseline : humm, humm...

Doe: J'me voyais déjà même pas faire venir qui que ce soit. J'me suis dit, j'attends d'être dehors et pis c'est bon.

Roseline: Ok

Doe: Prend ton mal en patience. Pis, quand on est dehors, ben... Roseline: On se lâche?

Doe : Ah ouais,... (Rires)

Doe: Plutôt...On récupére le temps perdu...Ouais, mais bon...On s'adapte à tout. On est pas venu pour ca mais on s'adapte à tout. On se passe bien d'être dehors, donc on peut bien se passer de sexe et tout ca aussi...

Rachel: Euh, est-ce que vous faites une différence entre l'affectivité et la sexualité? Roseline: Toujours en prison, ...

Rachel: Toujours en prison, ouais.

Doe: Déjà l'affectivité entre hommes, ca n'existe pas vraiment. On est...On est plus des relations, ben d'hommes, en fait. On n'est pas trop affectifs l'un envers l'autre. Même à l'extérieur, j'veux dire avec les potes... avec mes potes, on va pas dire que j'suis trop affectif, j'suis un pote. Je reste...j'sais pas...bah, bon, j'prends des potes dans mes bras entre guillemets, c'est vraiment, s'ils sont vraiment, s'ils sont cassés en deux, j'veux dire.

L'autre fois, j'ai un pote il a perdu un de ses potes, mort dans un accident de moto, il a..., il pleurait. Ouais, j'l'ai pris dans mes bras mais comme un frére. J'veux dire, pas autrement. C'était un pote qui allait super mal. Donc ouais, j'sais pas si on parle ca de l'affectivité ou de la...de l'affectivité. Mais c'était plutôt dans le sens...y'a un pote qui va super mal, y'a un de ses potes qui est mort, si c'était arrivé à moi...Il pleurait, j'l'ai pris dans mes bras pour...pour qu'il ait une sorte de réconfort.

Roseline: Pour vous l'affectivité, c'est plus le toucher?

Doe: L'affectif, pour moi, c'est plus proche du sexuel plutôt qu'autre chose. Entre hommes, j'veux dire, entre hommes.

Roseline : D'accord.

Doe: Parce que les femmes entre vous, vous êtes plus affectives sans, sans ambig·ité. Alors, qu'un mec, c'est plus ambigu, j'trouve.

Roseline: Donc, la notion de tendresse, ca, ca rentre... Doe : Ouais. (Rires)

Roseline: D'accord.

Doe : Ah pour moi, ouais, ouais.

Roseline: Ok. Mais en même temps, vous avez vu des relations affectives ou sexuelles...Enfin, vu, j'sais pas.

Doe : Vu ? Non.

Roseline: Jamais?

Doe: Non, j'ai pas vu des mecs entre eux, non. Roseline: Non?

Doe : Tout en sachant trés bien qu'y'en a quand même. Roseline: D'accord.

Doe : a, faut pas sortir.

Rachel: Mais vous avez déjà vu des, des échanges affectifs ou sexuels durant les parloirs?

Doe : A part des gens qui s'embrassent, non. Rachel: Non?

Doe: Non, parce qu'ils peuvent pas. J'veux dire, on est tous ensemble dans une salle, donc...

Roseline : Mais ils peuvent s'embrasser quand même? a, ca, c'est un échange affectif?

Doe: Ouais mais disons que quand ca commence à être un peu exagéré, le gardien, il leur dit vite d'arrêter, quoi. Parce que j'veux dire, ils sont pas seuls non plus, quoi. Donc un échange sexuel dans un parloir, peut-être pas parce que ca tournerait vite à l'orgie.

Roseline: Mais c'est un échange affectif alors.

Doe: Ouais, ben des gens qui s'embrassent, ca, j'veux dire, ca, c'est normal. On se voit une fois par semaine et encore...

Roseline: Mais, par exemple, quand votre famille venait, est-ce qu'il y avait des gestes, échanges affectifs?

Doe: De famille!

Roseline: De famille...

Doe : Ouais.

Roseline : Vous faites une distinction?

Doe : Ouais.

Roseline: Je demande...

Doe: Ouais, c'est de l'affection familiale, ca c'est normal. J'veux dire, la famille, ca reste la famille. C'est un monde à part, c'est...c'est la famille, quoi.

Roseline: Ok.

Rachel: Et puis, en détention, vous auriez eu plus besoin d'affectivité ou de sexualité?

Doe : Trés bonne question...De quoi j'aurais eu le plus besoin ? Ah, j'suis gourmand, j'vais dire les deux.

Rachel: Les deux?

Doe: P't'être sürement les deux. L'affectivité parce que c'est une sorte de réconfort pour la tête et bon, la sexualité, c'est pour le corps. J'dirais un peu des deux. Mais bon...

Rachel: C'est un sujet que vous pouviez aborder entre détenus?

Doe: Mouais, on en parlait un peu. J'veux dire...comme on est privé de ca aussi, on évite de trop y penser parce qu'aprés, ca frustre encore plus. Donc on évite de trop penser mais... Ouais, c'est sür quand on, quand on a une belle gardienne, entre nous, on se faisait, on se disait des trucs, ca, y'a pas à dire. Quand on la voyait passer, on voyait tous les regards qui se retournaient aussi. J'veux dire ca...On reste des mecs, on voit tous les regards qui faisaient zzuuuppp, faut pas s'mentir, on a la tête qui tourne aussi, quo i. C'est, c'est normal entre guillemets. Pis, ouais, ben, disons que parfois, on a même pas besoin de se parler, juste on regarde la gardienne, on se regardait pis on avait pigé c'que l'autre pensait, en fait. On est des mecs, on sait de quoi, on sait à quoi on pense, en fait. C'est pas...c'est pas compliqué à comprendre, non plus.

Rachel: Ah...

Doe: Quand on est tous enfermés, quand on n'a pas eu de rapport depuis un bout de temps, des qu'on voyait des filles, ouais, forcément, ben, l'esprit...

Rachel: Ouais, pis ca réveille, quoi? Doe : Ouais. (Rires)

Doe : A vrai dire parfois, on se dit Ç mais pourquoi elle bosse ici? Pourquoi ? A quoi elle pense? È. Parfois, c'est un peu agacant, mais...on fait avec...

Rachel: Euh, on avait évoqué aussi la distribution des préservatifs... Doe : a, j'étais même pas au courant avant que vous m'en parliez. Rachel: D'accord, ok. (Rires)

Doe: Donc, ouais, ca, ca a été une surprise, ca!

Rachel: D'accord, donc vous étiez pas au courant que vous aviez accés à des préservatifs ou, du coup, on vous a pas distribué des préservatifs?

Doe: Ben, ni l'un, ni l'autre et j'en aurais pas eu le besoin donc...moi, ca me va trés bien.

Rachel: D'accord.

Doe: J'veux dire, ils m'en donnent, j'en fais quoi? Des balles? J'veux dire, en prison, j'en ai pas du tout besoin, ou bien?

Roseline: Ouais, vous étiez déjà parti...ouais, c'est ca, vous étiez déjà parti sur l'idée...

Doe: Non, mais même si on m'en avait donné... Roseline: Ben, ouais...

Doe: a m'aurait...j'veux dire, j'm'en serais pas servi non plus, ou bien...J'avais pas de femme, y'avait pas de femme, donc...

Rachel: Mais vous pensez que c'est une bonne chose ou...? Qu'il y ait des préservatifs à disposition ou?

Doe: Ouais, que ce soit à dispo, ouais...Pour ceux qui en veulent, ouais...Mais aprés, qu'ils les distribuent à tout le monde, c'est presque une incitation alors...

Rachel: D'accord.

Doe: Moi, j'veux dire,...Bon, moi, tu m'en donnes, j'en fais rien...J'veux dire, moi, j'suis attiré que par les femmes, ca me va trés bien comme ca. Si y'en a qui sont plus ambigus ou qui ont vraiment besoin d'affection,...Ouais, qu'ils sachent qu'ils puissent en prendre. De là à en distribuer d'office à tout le monde,...

Rachel: D'accord.

Doe: P't'être pas non plus la meilleure des idées. Vaut mieux ca que pas en avoir du tout, j'pense quand même... Bien que, c'est ca...Y'a de tout dans un monde.

Roseline: Ben, ca partait, comme disait votre directeur, peut-être de l'homosexualité consentie. Que c'est un moment du, de ...que c'est un moment de passage...un....un moment de la vie qui fait que même si on est hétérosexuel, et ben....que le besoin affectif ou sexuel est tellement fort que, ben, y'a juste un passage, quoi...D'un mois ou un jour ou...

Doe: Ben, si y'en a qui en ont le besoin, ben, ils font ce qu'ils veulent, j'ai envie de dire. C'est...

Roseline : Vous, vous êtes parti dans l'idée que...

Doe: Les autres font c'qu'ils veulent, hum! Nan, moi, c'est juste que l'affection, c'est avec une femme. Moi, j'm'arrête à ca. J'ressens pas le besoin d'autre chose. Si j'en ai pas, ben...j'en ai pas et basta.

Roseline: Hummm...

Rachel: Pis durant votre détention, quelle était votre idée sur les échanges..., relations...Hum?

Roseline: On vient de la poser, en fait, il a déjà répondu presque. Rachel: Mouais...

Roseline: Ben, oui.

Rachel: Non, mais en fait, en gros, trés clairement, en fait, la question c'est...euh...quelle était votre idée sur les échanges homosexuels? Qu'est-ce que vous, vous avez comme idée, durant votre...détention...quelle était votre idée sur les...les échanges sexuels entre hommes, quoi ? Ou affectifs...

Doe: Ben, disons, vu que ca se voit pas et qu'on...qu'entre guillemets, on est pas censé savoir qu'y'en a...Même si y'en a, j'pense, hein, parce que faut pas s'mentir...Disons, comme je...pff, moi, j'veux dire les autres font c'qu'ils veulent.

Rachel: Ouais.

Doe : J'veux dire, les autres font c'qu'ils veulent. Rachel: D'accord.

Doe: Du moment qu'ils foutent tranquille, qu'ils me foutent la paix, j'veux dire, les autres font c'qu'ils veulent. Y'a pas d'soucis si...ben, s'ils y veulent, ben , qu'ils s'amusent entre eux, quoi. Ils font c'qu'ils veulent. Mais, à mon avis, s'ils s'embrassaient en public, vu qu'c'est tra»tre la prison, ca aurait...j'pense, pour eux, ca aurait pas été la même chose parce que, bon, faut pas oublier que...c'est la prison, quoi. A mon avis, s' ils s'embrassaient entre eux, j'pense qu'y aurait eu des réactions. Moi, perso, j'm'en fous mais avec d'autres, ouais... J'sais pas comment ca aurait...J'pense ca aurait été une bonne excuse pour certains de se défouler, j'pense. En connaissant un peu la mentalité prison, j'pense, ca aurait été une bonne excuse pour certains de se défouler.

Roseline: a m'fait penser que, quand on est venu, vous aviez dit Ç De toute maniére, c'est une micro société fl...

Doe : Ouais c'est...

Roseline: Et la société est, en général, homophobe entre guillemets... Doe: Plus qu'entre guillemets, ouais...

Roseline: C'est ce que vous aviez... C'est c'que j'ai entendu quand...

Doe: Ah ouais... Ah non, mais la société, de toute facon, elle est homophobe. On montre toujours les homos du doigt, on les montre toujours du doigt. Que ce soit deux hommes entre eux ou deux femmes entre elles.

Roseline: C'est pour ca que...

Doe: Un homme, deux hommes entre eux, c'est plus bizarre que deux femmes entre eux, c'est normal. J'veux dire c'est...c'est les hommes.

Roseline: C'est pour ca que vous dites en prison, y'en a qui se seraient défoulés?

Doe: Ouais, y'en a certains, ils les auraient tabassés, j'pense, ouais. C'est toujours une bonne excuse pour certains. On est dans une société homophobe, faut pas s'mentir. La prison, c'est une mini société mais en plus dur, on va dire. Donc ouais, ils en auraient pris plein la gueule.

Roseline : Ah.

Rachel: Mais y'avait la masturbation aussi qui a été évoquée... Doe : Ouais.

Rachel: Est-ce que la masturbation, ca vous suffisait ou au contraire, c'était encore plus frustrant?

Roseline: Ou est-ce que...est-ce que vous l'avez pratiqué ou pas? Mais, bon, ca, vous êtes pas obligé de le dire.

Doe: J'veux dire, aprés plusieurs années, aprés...on arrive à s'dé..., on a toujours des besoins. Donc, ouais, pratiqué, bien sür, pis ca suffisait. Disons que c'était le seul truc à dispo donc... ca allait pour le moment que j'étais dedans.

Roseline: C'était juste un acte ou ca libérait quand même des tensions ou pas? Doe : Si ca libérait des tensions?

Roseline: Ben, est-ce que vous aviez des tensions ? Je sais pas... Doe: Disons que moi, les tensions, je les évacuais en allant au sport. Roseline : Au sport...

Doe: J'me défoulais au sport. C'est le truc qui me calmait bien les nerfs. C'était le sport, moi, qui me calmait, pis, aprés, ben, quand y'avait besoin d'autre chose, y'avait autre chose. Pour vraiment me défouler, moi, c'est le sport. Quand ca allait pas, ben, sport en cellule.

Roseline : Vous faisiez du sport en cellule?

Doe: Parce que moi, j'avais un gros besoin de sport pour me défouler. Comme j'suis quelqu'un qu'a vite les nerfs, j'ai besoin d'une bonne dose de sport pour calmer tout ca.

Roseline: C'était comme dans les films, vous faisiez des tractions? (Rires)

Doe: Ca, on avait pas dans la cellule. On voulait mais ils voulaient pas nous en mettre une parce qu'ils avaient peur qu'on leur tape dessus après.

Roseline : Ah, bon, d'accord.

Doe: Ils voulaient pas qu'on...ils voulaient pas nous en mettre parce qu'après, si on s'énerve contre les détenus, on peut leur taper dessus avec la barre ou taper sur les gardiens avec...

Alors, que si y'a une barre fixe au mur, j'veux dire...On est pas Rambo non plus, j'veux dire, on va pas défoncer le mur pour choper une barre d'acier. Mais non, pompes et abdos, quoi. Bon, pis après, on arrivait à faire d'autres exercices avec le matériel qu'on avait à dispo, quoi. Le frigo, les sceaux qu'on remplissait de flotte, les bouteilles d'eau...

Roseline : Ah, ben, oui.

Doe: Système démerde, quoi. C'est la prison, donc, on se débrouille, on fait c'qu'on peut avec c'qu'on a...

Rachel: Hum, hum.

Roseline: Pour en revenir à la masturbation, qu'est-ce que ca vous apportait de plus ? Si ca vous apportait un plus...

Doe: Ben, disons, qu'c'est une sorte de mini sexualité entre guillemets, quoi. C'est le seul truc qu'on a à dispo. Enfin, que j'avais à dispo. Donc, comme c'était le seul truc que j'avais à dispo, c'est le seul truc que j'f aisais, quoi.

Roseline: D'accord. En même temps, vous étiez deux à trois...

Doe : Ouais.

Roseline: a devait pas être évident?

Doe: Ben on arrive toujours à être seul. On arrive toujours à être seul à un moment. Roseline: Ok...

Rachel: On avait aussi parlé de la violence envers soi-même, envers les autres. Doe: Hum, hum.

Rachel: Est-ce que vous pourriez nous parler un petit peu de...de ce sujet?

Doe: Bah, comme vous pouvez le voir, ben, y'a pas de trace, donc j'vais pas m'amuser à ca, c'est vraiment pas mon truc. Mais, ouais, y'en a un paquet qui essaient, enfin, pas de se suicider parce qu'ils savent bien qu'ils vont pas en mourir mais qui s'amusent à se trancher le bras alors qu'ils savent trés bien qu'ils vont pas y rester avec ca, quoi. Mais, ouais, y'en a qui s'amuse à ca quand même. Pis on les voit, hein...j'veux dire, faut pas s'mentir. a on...on les voit souvent. Mais bon, pfff, s'ils ont qu'ca à faire, ca libére une place.

Rachel: Et en fait, le fait d'éteindre un petit peu le...J'parle d'éteindre un petit peu le... la tête parce que vous dites que ben, voilà, Çj'essaie de pas trop y penser, j'essaie de pas y penser tout ca... È, donc quelque part c'est un peu un...comme un peu si on éteignait en haut et pis pour pas réfléchir. Est-ce que ca c'était aussi peut- être ... Est-ce que vous pensez que ca pouvait être un moyen peut-être pour...pour... j'vais y arriver, hein.... Ouais, est-ce que c'était peut-être un moyen pour...pour justement pas vous faire violence, en fait? Pour...

Doe: Non. Rachel: Non ...

Doe: D'facon, j'avais pas le ...j'avais pas besoin de me faire du mal à moi-même. Non, j'trouve c'est un geste égo
·ste et que ca résout en rien les problémes.

Rachel: D'accord.

Doe: Y'a d'autres moyens de résoudre un probléme que d'essayer de..., d'essayer de se foutre en l'air. J'veux dire, y'a bien d'autres solutions.

Rachel: Hum, hum.

Doe: Donc, non, ca, ce geste égo
·ste, non, ca sert à rien. On n'est pas seul. Si on est seul, j'veux bien encore. J'veux dire on n'est pas seul, on a un entourage, on a une famille. Donc, ben, pas besoin de ca. Et pis, bon, éteindre le cerveau, j'veux dire, avec la longue..., il s'éteint de lui-même, j'ai envie de dire. L'extérieur, à force de...Ben, de plus y être, j'allais dire, ben, c'est pas qu'on oublie qu'il existe, mais disons, c'est pas qu'on en a pas besoin non plus, mais c'est...C'est qu'on l'a, on l'a, entre guillemets, un peu oublié.

Le dehors, c'est pas qu'on sait plus ce que c'est, mais c'est tout comme, en fait. On est tellement habitué à notre routine de...ben, de détenus, quoi, qu'on s'habitue à ca en fait. Pis le jour oü on sort, ben, c'est là qu'on se rend compte vraiment que...que, ouais, c'est quand même mieux dehors. A un moment donné, c'est pas qu'on...C'est comme si on oubliait entre...Pendant un petit laps de temps, j'veux dire, on a notre habitude, là-dedans, ben ...entre guillemets, ca ira pour l'instant, quoi. On s'y habitue. Certes, on a envie d'être dehors. Mais on s'habitue à être dedans, donc, on attend. On tire notre peine, pis, quand on sort, ben, on sort. Pis on récupére tous nos...toute notre, pas toute, peut-être, mais on récupére une liberté.

Roseline: C'est par rapport à vous ? Vous dites Çon È, mais c'est par rapport à vous? Parce qu'y'en a d'autres qui supportent pas?

Doe: Ouais. Y'en a plein qui supportent pas d'être enfermés, y'en a, tu les vois, on les voyait, au bout de...au bout d'un ou deux semaines, ils pétaient un c%oble, j'veux dire, moi j'disais Ç Putain, mon gars, tu viens d'arriver, calme...Nous ca fait des années qu'on est là, c'est bon È. Moi, j'me réconforte aussi comme ca. J'voyais des gars qui étaient là depuis bien plus longtemps que moi. Y'en avaient qui tapaient des années, et des années et des années et qui en avaient encore pour bien... pour bien plus que ce qu'ils avaient déjà fait. Moi, j'me réconfortais comme ca. Certes, j'ai un petit moment à faire mais quand je vois tel ou je vois tel et tout ce qu'il a déjà fait ou tout ce qu'il lui reste à faire et qu'il a tenu...Pff, pourquoi je tiendrais pas?

Roseline: Hummm....

Doe: Ouais, en fait, le malheur des autres me réconfortait un peu sürement. Quand je voyais qu'y'en avaient qui avaient fait déjà, j'sais pas, plein, plein, plein de temps, j'me dis: Ouais, bon, ben, ok, j'fais partie des plus anciens, peut-être, mais y'en a des pires.

Roseline: Ouais.

Doe : J'veux dire, à partir de là, ben, prends ton mal en patience et pis, tu sortiras.

Roseline: C'que vous êtes en train de dire, c'est, quand même, une question d'individualité?

Doe: Faut bien dire, faut bien se réconforter comme on peut. Quand on voit tout le monde qui arrive, qui repart, qui arrive, qui repart... et pis, toi, t'es toujours là, tu te dis Ç Merd e, c'est quand mon tour? È. Pis aprés, tu te dis Ç Quoi qu'il arrive, j'serai dehors avant lui. Il a fait plus longtemps que moi déjà et j'serais dehors avant È. D'un côté, c'est p't'être égo
·ste mais c'est une sorte de réconfort aussi. C'est p't'être un peu égo
·ste mais j'crois que c'est humain avant de... Donc, bon, ben ... Ç D'accord, tu sors. C'est cool pour toi È, Ç Et tu sors quand, toi ? È, Ç Dans longtemps È. Tu vois ca, j'veux dire, c'est bon. On fait notre route. Chacun sa route, chacun son chemin aussi (rires)

Rachel: Voilà, c'est ce que... Chacun son destin...

Doe : Aussi. Passe le message à ton voisin...

Rachel: Voilà. C'est exactement celle-là que j'avais dans la tête. Doe: Moi, c'est ca, que j'avais en tête en disant...

Rachel: Euh, on avait parlé des parloirs intimes, par exemple, au Mexique et tout ca, euh... Je sais plus si c'était vous qui en aviez parlé ou...

Doe : J'en sais rien du Mexique donc ca ne me dit rien.

Rachel: Non? D'accord. Parce qu'en fait au Mexique, ils ont créé, en fait c'est une...une prison qui est sur une »le...

Doe : Oui....

Rachel: Et puis, euh...en fait, ben, en gros,...Hein?

Doe: Dans ma tête, je cherchais qui c'est qui m'en avait parlé.

Rachel: Voilà. Et du coup, y'a la possibilité de vivre avec sa famille ou en tout cas avec sa femme ou avec ses enfants...

Doe : Ouais...Juste...J'sais plus qui en a parlé l'autre soir... Rachel: Donc, c'était, pas vous...

Doe: Non, non, non, c'était pas moi.

Rachel: Désolée. Alors, on va arriver à la dernière question... Roseline : Moi, j'ai juste une question juste avant.

Doe: Humm, humm.

Roseline: Y'a des personnes qu'on a interviewées qui avaient, en fait, famille, hein ? Et puis, vous, vous êtes plus, visiblement, côté célibataire ou est-ce que vous aviez une copine pendant votre détention?

Doe: Pendant ma détention, non, pas de copine.

Roseline: Voilà...Alors, effectivement, ca me vient comme ca, j'me dis, c'est tout-àfait un autre chemin, quoi.

Doe : Chacun sa route.

Roseline: Ouais, c'est ca. Enfin, voilà...Pour en venir oü? Y'a pas les mêmes préoccupations?

Doe: Non, y'en a qui ont des enfants, y'en a qui ont une femme. Moi, j'avais quoi? Mes parents et ma sÏur, j'veux dire. Moi, tous mes amis et tout, j'les ai..., j'm'en fous, j'me dis Ç ils peuvent attendre È, alors que ma mère, ma sÏur, mon père, c'est une autre histoire.

Roseline: Donc, moi, c'que j'vois, vous m'arrêtez, vous avez été moins touché parce que, justement, y'avait pas ce côté affectif et charnel. Tout était à créer en sortant. Est-ce que je me trompe ou c'est...?

Doe: Tout était à recevoir ...c'était pas à récupérer parce qu'en rentrant, j'avais pas de copine. Au moment oü je rentrais, j'en avais pas. Donc, j'me suis dit, c'est pas comme si j'avais une copine, parce que si j'avais une copine, le temps que j'suis en prison, elle m'aurait pas attendu, j'veux dire. A mon %oge, on n'attend pas des années quelqu'un.

C'est vrai, en rentrant, j'avais pas de femme, j'avais pas de gosse... D'ailleurs, heureusement, ca aurait été grave à mon %oge et...ouais...j'avais pas tout ca entre guillemets à récupérer. Quand j'suis sorti, j'me suis dit faut que j'me trouve une copine en étant dehors. Des potes, soit j'les récupère, soit ils vont continuer leur chemin, j'veux dire, bon, ils allaient pas m'attendre non plus des années. Donc soit j'récupère, soit j'vais en trouver d'autres, j'veux dire. C'était pas ma...c'était vraiment pas ma préoccupation du moment, ca, en fait. Moi, c'était juste faire ma peine et je sors quand je sors.

Roseline: Ok.

Doe: On sort un jour...C'est que...C'est c'qu'on se disait...ceux qui avaient des peines un peu longues, on s'disait Ç On sortira un jour È.

Roseline: Ben ouais.

Doe: La prison est dure mais la sortie est sure.

Roseline: Mais on est bien d'accord que, par exemple, si c'était des personnes qui avaient une autre vie affective à l'extérieur, à l'intérieur, ils l'auraient pas vécu comme vous?

Doe: Non mais j'en ai connu qui étaient mariés et qui en avaient ras-le-bol parce qu'ils voyaient pas leur femme. J'ai passé un petit moment avec un gars en atelier, il disait: Ç J'ai h%ote d'être transféré pour avoir un parloir affectif avec ma femme È. Parce qu'il trouvait bien qu'à y'avait pas. Il avait juste envie d'être transféré dans un pénitencier pour avoir ça, pour pouvoir récupérer, entre guillemets, sa femme. Donc ouais, étant donné que j'avais pas de femme ni quoi que ce soit, ca allait. Si j'avais eu une copine au moment oü j'serais rentré, ca aurait été une autre histoire.

Roseline : Vous imaginez, ouais, que ca aurait été une autre histoire?

Doe: Ouais, parce que j'savais que j'l'aurais perdue parce qu'elle allait pas m'attendre des années, donc...Faut pas s'mentir. C'est une autre histoire, ouais

Roseline: Hummm, hummm ...ouais.

Rachel: Pis, est-ce que vos expériences affectives, amicales, rencontres, lien que vous avez pu faire durant votre détention, est-ce que ca a produit ou permis un changement dans votre vie de tous les jours à la sortie?

Doe: Disons, que les conflits m'ont encore plus renforcé, j'pense. Les bons...les bons côtés de relations, j'pense pas qu'ca m'a changé mais les mauvais, j'pense, ca m'a encore plus renforcé.

Rachel: Hummm, hummm.

Doe: Parce que, forcément, y'a pas eu que des bons côtés. On a toujours des...pas
des combats mais toujours moyen de... toujours une petite embrouille, on a toujours

quelqu'un qui nous prend la tête, avec qui on s'prend la tête. J'pense ca m'a encore plus renforcé... les mauvais côtés de la prison m'ont bien renforcé.

Roseline: Renforcé dans le positif? Dans être plus calme... Doe : Ouais, ca m'a renforcé le caractére aussi.

Roseline: De savoir ce que vous voulez...

Doe: Ben, disons qu'je sais c'que j'veux et je sais aussi maintenant c'que je peux faire. Je sais que maintenant si on me prend la tête et ben, j'me suis dit si l'autre il a réussi à le faire tenir, à retenir face à l'autre, ben, face à une merde de l'extérieur, j'veux dire, il a presque aucune chance.

Roseline: D'accord.

Doe: C'est un peu un monde oü on sait qu'on se renforce parce que comme on sait que c'est un monde dur, faut qu'on soit même, faut qu'on se renforce parce que sinon, on se fait bouffer...un peu. Faut toujours qu'on se renforce un minimum pour pas s'faire bouffer. Parce qu'y'a toujours des imbéciles qui jouent qu'à ca, c'est de démolir les autres. Donc si on, si on se renforce, ils nous ont pas. On se renforce un peu la vie de tous les jours, on apprend à relativiser.

Rachel: Ok.

Doe: Moi, j'vois des problémes pour certains qui sont des problémes énormes... pis, y'a bien pire dans la vie, quoi.

Rachel: Hummm.

Doe: Faut relativiser. T'as toujours peur. Relativise. Sérieux, ca aide. Tes gros problémes sont peut-être les plus petits problémes que quelqu'un d'autre a. Relativise, sérieux. T'en a des plus malheureux que toi. C'est un bon moyen de se réconforter aussi. T'as toujours plus malheureux. C'est égo
·ste mais...t'as toujours plus malheureux.

Roseline: Ouais, ouais.

Doe : C'est un autre mode d'intervention.

Roseline: Bon, quand vous êtes rentré en prison, vous aviez pas cette philosophie mais maintenant, vous l'avez.

Doe : J'suis rentré, j'étais un gamin. Roseline: Pis, elle vous aide...Voilà...

Doe : J'suis rentré en prison, j'étais un gamin. Ouais, j'suis ressorti en homme, ouais,
ben, disons que j'ai gardé quelque...quelque chose de là-bas, quand même, faut pas

s'mentir. J'ai encore...aujourd'hui, encore, j'ai encore certains réflexes que j'avais là - bas .

Roseline : Ah ouais, d'accord.

Doe : Pis, j'arrive pas à m'en débarrasser, j'ai encore certains réflexes.

Roseline : Vous avez des réflexes... Vous pouvez nous donner quelques exemples?

Doe: Disons que...toujours vérifier si j'ai tout sur moi. Bon, ca j'avais rien, sur moi, j'avais rien en étant en prison, enfin, rien dans mes poches...Mais là, dès qu'j'rentre ou que j'quitte un endroit, j'vérifie 50 fois mes poches pour être sür que j'ai tout .

Roseline : Ah voilà. Ouais, alors, là, c'est...

Doe: Pourtant, là, j'ai que dalle, j'avais rien dans mes poches. Alors que là, dès que je quitte une pièce, je vais vérifier 2-3 fois si j'ai tout.

Roseline: Humm, humm.

Doe : Alors, là vous pourrez le voir, en sortant, j'vais vérifier mes poches. Même si je sais très bien que j'ai tout mais c'est...c'est...c'est une sorte, pas un TOC mais disons que c'est un réflexe que j'arrive pas à m'enlever.

Roseline: Pour vous rassurer et puis en même temps, c'est une certaine méfiance, alors?

Doe: C'est p't'être la méfiance de tout et de tout le monde, c'est possible même si je sais très bien que j'ai tout parce que j'veux dire, j'suis là, y'a rien qui est, j'ai pas bougé depuis, donc je sais que j'ai tout mais je sais que je vais tout vérifier.

Rachel: (Rires)

Roseline: D'accord.

Doe: Et j'arrive pas à m'en séparer, ca m'énerve. Ouais, c'est les habitudes. Rachel: Ok.

Doe : Certains réflexes qu'on ne perd pas.

Rachel: On est arrivé à la fin, est-ce que vous aimeriez ré..., ajouter quelque chose? Quelque chose dont on a pas parlé et que vous trouveriez important qu'on l'évoque ou...?

Doe: Là, de tête, j'pense qu'on a fait le tour.

Rachel: D'accord.

Doe : J'pense qu'on a bien fait le tour. Sauf si y'a encore une question?

Rachel: Non... non, non, ben, déjà, on voulait vous remercier, donc, encore une fois, d'avoir répondu à toutes ces questions. Et puis, pour vous, ca a été?

Doe : Ouais.

Rachel: Ouais? a...

Doe: Moi, ca me va

Rachel: Ca a pas été trop intrusif ou...? Doe: Pas du tout.

Rachel: Pas été jugeantes ?

Doe: Encore moins.

Rachel: D'accord, bon, ben, parfait.

Doe: Ben, c'est simple, du moment qu'y'a pas mon prénom et aucune description de quoi me rendre reconnaissant, moi ca me va.

Rachel: Ouais, ouais, non, non.

Doe: Du moment, que quelqu'un qui lit fait : Ç Mais tiens, ca me rappelle telle personne... È, là ce serait une autre histoire mais là, j'veux dire, si quelqu'un arrive à me reconna»tre face à un texte, il me conna»t bien, bien.

Roseline: Ben, juste une petite question...Si le directeur n'avait pas insisté, est-ce que vous auriez téléphoné ou...

Doe: Mais il a pas dü insister. Roseline: Il a pas dü insister...

Doe: `fin, c'est juste que moi, j'avoue, que quand j'ai quelque chose à faire, comme on me l'a appris, j'suis un vrai procrastinateur, je le... Je remets tout au lendemain... (Rires)

Rachel: C'est un mot que j'connais pas, ca.

Doe : C'est le fait de remettre tout au lendemain et j'avoue, j'suis comme ca. Rachel: Comment on dit? Pro...

Doe: Procrastinateur.

Rachel: Proscratina...

Doe: Procrastiner.

Rachel: Ok. (Rires)

Roseline : Ah, ben, nous aussi, on apprend, ...

Rachel: Ouais.

Doe : C'est le directeur qui me l'a appris.

Rachel: Ouais.

Doe: Et, ouais, j'avoue que...j'suis toujours du genre à remettre tout au lendemain. A tel point que ben...à un moment donné, j'dois tout faire le même jour parce que c'est la..., c'est l'échéance. Comme pour payer les factures, c'est le dernier jour que j'fais.

Rachel: (Rires)

Roseline: Donc, vous avez... Vous aviez aucune appréhension pour venir ici ? Ok, c'est cool. Merci.

Doe: Ben, c'est simple, moi, depuis que j'ai eu mon jugement, plus rien me prend...plus rien me fait peur, plus rien ne me stresse. J'ai plus jamais stressé depuis ce moment. Et j'pense que je stresserai plus jamais.

Roseline: C'est beau...

Doe: Et y'a rien de plus stressant qu'un jugement, qu'ils vont te juger sur ta liberté Roseline et Rachel: Hum, hum.

Doe : T'as rien de pire!

Rachel: Ouais, c'est clair!

Doe: Quand on juge ta liberté et ton futur, j'veux dire, on te retire... Jugement au pénitencier .... Ouais. On juge, on juge ta, j'veux dire on te juge toi et ta liberté. a, c'est stressant.

Roseline: Oui.

Doe: A partir de là, j'veux dire, le reste...pfff...c'est du g%oteau. A partir de là, franchement, t'as vécu un jugement, c'est bon.

Roseline: Hum, hum..., c'est clair. Merci beaucoup. Rachel: Ouais, merci, hum, hum.

Doe : J'vous en prie.

Raphael

(Surnom choisi un peu avant l'enregistrement)

Rachel: Bonjour

Raphael: Bonjour

Rachel: On voulait déjà commencer par vous remercier encore d'être venu. C'est vraiment chouette. Et puis, ensuite euh..., on voulait aussi peut-être juste remettre, un petit peu, donc on vous avait un peu parlé pourquoi on faisait ce travail sur l'affectivité, et puis dans un milieu carcéral.

C'est en fait ben voilà, nous on voulait aborder un sujet qui était tabou et puis trés peu parlé. Et puis du coup on voulait, ben, surtout conna»tre votre vécu à vous, donc en prison.

Aussi, je voulais ajouter tout ce qui sera dit, restera confidentiel. Les enregistrements seront effacés une fois qu'on aura retranscrit. Et puis voilà, tout ce qui pourrait appara»tre pour qu'on puisse vous reconna»tre sera effacé oü mis en noir pour pas qu'on puisse le lire.

Je vais peut-être juste vous rappeler un petit peu les themes que l'on va aborder aujourd'hui.

Donc il y a..., ce sera sur les expériences d'échanges affectifs lors de votre arrivée, pendant votre détention, et puis enfin, à votre sortie on aura juste une question.

Pour la première question, qu'est-ce que vous pourriez nous dire sur vous en général, qu'est-ce que vous aimeriez nous dire?

Raphael: Par rapport à ce sujet?

Rachel: Ben peut-être par rapport à vous. Je sais pas si vous avez envie de nous donner votre %oge ou voilà ...un peu...

Raphael: Je peux vous dire que j'ai vécu une première incarcération à l'%oge de ans. Aujourd'hui j'ai bientôt . Et euh... donc j'ai vécu donc une coupure de

années de privation de liberté, j'avais pris ans, mais j'ai fait pour
bonne conduite.

Aprés je suis resté de nouveau ans dehors et je suis rentré de nouveau pour

ans.

ans et je suis de nouveau rentré pour

Rachel: D'accord.

Raphael: Aprés je suis sorti pour

euh... avec euh... un passage à l'hôpital psychiatrique de donc

ce qui veut dire euh que je n'ai pas le même parcours qu'une personne a fait euh vingt ans ou quinze ans de prison d'affilée quoi.

Acquiescement de tête de Rachel

Raphael: Donc j'ai eu plusieurs sorties. Ca ne s'est pas toujours passé la même chose. J'ai eu plusieurs incarcérations évidemment puisqu'il y a eu plusieurs sorties.

Rachel: D'accord. Roseline: C'est intéressant.

Raphael: Oui, cela peut être intéressant ouais (silence) en fonction des %oges

quoi, cela fait , , ans, voilà, ca fait ca. Tous les ans, il

m'arrive, pfff une baffe (rires), une tuile, (raclement de gorge).

Rachel: J'ai oublié de vous préciser s'il y a des questions auxquelles vous voulez pas répondre, euh, vous pouvez le dire ou si vous voulez faire une pause ou quoique ce soit, il faut pas hésiter.

Raphael: Hummm.

Rachel: D'accord. Hum, quel souvenir vous gardez en fait lors de votre arrivée en détention ? De votre première arrivée en détention.

Raphael: (Avalement de salive). Bon, la première arrivée en détention, je me disais que j'étais pas sür que ca dure longtemps. Je me disais qu'avec un peu de chance ca durerait pas trop et ce serait pas trop pénible, quoi.

Rachel: D'accord.

Raphael: Donc si on veut, donc les quelques premiers mois, c'était, c'était supportable dans, dans le sens que je me disais que ca devait se régler ca, je pouvais sortir avant quoi.

ans, j'étais trés

Et, c'était supportable, j'avais une amie qui me soutenait, j'avais

jeune. Et euh..., au début, c'était, quand on parle de l'arrivée, c'était supportable. On
était plusieurs, on était un groupe, on était sept, huit dont six dans la même prison au

à . Ce qui fait qu'on était soudé, on se sentait, on était soudé,

c'était un club de . Et cela allait, on disait finalement c'est pas pire que le travail,

quoi, mis à part les p'tites copines et ceci et cela. Mais au début c'était supportable. Maintenant si on m'avait dit au début: Ç tu fais ans È, mon dieu! Peut-être je
sais pas, j'aurai passé à autre chose. C'est-à-dire j'aurai envisagé de me suicider, je sais pas quoi. Mais heureusement ce n'était pas défini comme ca.

Rachel: Il n'y avait pas forcément un sentiment de peur ou...?

Raphael: Non, non, non, non. Bon on était... j'avais la chance de ne pas être seul.
Par exemple il y avait d'autres incarcérations oü j'étais seul, quand je suis entré à

, j'étais seul, c'est différent. Mais là à ans on était un peu fier, on revendiquait ce qu'on avait fait, on croyait avoir raison devant les juges, devant le ministére publique, pis on se faisait pas trop de soucis, insouciant. Ouais pis dans le cadre de la prison ca allait parce que on était assez respecté on a fait les gros titres des journaux, . Ouais, dans le milieu marginal on était considéré comme... ce qui fait que ce n'était pas trop dur à ce niveau-là. Au début mais je vous parle des trois, quatre premier s mois... Parce qu'apres le premier

mois, mes copains ont tous été libérés parce que j'étais le seul qui avait , non je

n'étais pas le seul mais qui avait , donc le juge

m'a dit: Ç je peux libérer les autres mais pas vous, vous êtes le principal protagoniste È. Et là, déjà aprés le premier mois ca été dur aprés la coupure avec les...copains. La copine continuait de venir me voir, elle y croyait, elle pensait que, que, elle disait au juge que nous étions faits l'un pour l'autre, qu'on allait se marier, que patati, patata. Elle envisageait des choses , qu'on avait pas envisagé à l'extérieur, elle écrivait des lettres d'amour, c'était vraiment trés, trés fort et elle m'aidait bien à supporter ca. Mais moi, je ne savais pas jusqu'à mon jugement combien j'allais prendre, de toute facon, le prob léme était là.

Aprés quelques mois, peut -être six, j'ai enfin compris que je ne sortirais pas avant mon jugement et que mon jugement n'aurait pas lieu avant une année. Alors là, c'est la première cassure, c'est ma copine qui a craqué quand je lui dis que je ne peux pas sortir avant le jugement et qu'il y a encore un an à attendre, je n'ai pas de liberté provisoire...Je lui ai dit: Ç tu ne peux pas m'attendre comme ca, tu es jeune aussi È pis elle me dit: Ç non on se marie quan d tu sors, je t'attends, j'essaie È. Je ne pouvais pas lui demander ca. ÇMais situ tiens le coup, je te promets que je t'épouse quand je sors, il n'y a pas de probléme È.

Et puis euh... aprés quelques.... sept, huit mois, elle est arrivée en me disant qu'il s'était passé quelque chose, qui devait se passer entre guillemets, c'est la nature quoi. Voilà, un soir un peu arrosé, elle a croisé un type et ils ont fini ensemble, voilà quoi.... Et pis elle me demandait, elle l'a dit, elle voulait être franche avec moi. Moi je ne lui ai pas fait de reproche, c'est normal. Et j'ai dit que c'est mieux qu'on se quitte mais elle ne voulait pas. Elle voulait continuer à venir me voir même qui s'est passé ca. Et là j'ai dit: Ç Non écoute, je veux que tu quittes ce milieu, je veux que tu sois... ce n'est pas bon, c'est pas sain pour toi, c'est pas sain pour moi, quitte ce milieu, va voir d'autres connaissances et fais ta vie quoi È. Pas refais ta vie car à ans on ne refait pas, on fait. Et euh... c'est comme ca qu'on s'est plus revu du temps que j'étais en prison.

Rachel: D'accord.

Roseline: Aprés la deuxiéme fois, vous aviez une autre pensée quand vous êtes entré en prison?

Raphael: Bon la deuxiéme fois, j'étais complétement parano, j'étais euh... je pensais que c'était un complot contre moi, j'étais vraiment mal. Ce qui fait que je me suis même isolé en prison, j'allais me promener sur le toit de , ouais, là j'étais vraiment pas bien. C'était tout à fait différent, ouais, ouais.

Roseline: D'accord.

Rachel: Et puis quelles idées vous faisiez-vous des relations entre les gens en prison? Est-ce que vous aviez une idée avant, est-ce vous vous étiez déjà posé la question?

Raphael: Franchement non, si on m'avait dit que j'allais un jour passer par la case prison, j'aurais pas trop cru, franchement....

Rachel: Mais est-ce que....

Raphael: C'est pas un milieu qui m'intéressait. Franchement j'avais autre chose en tête, non, à l'époque, j'en avais jamais parlé, ou peut-être dire ce gars est en prison ou quelqu'un que je connaissais en qui avait été incarcéré, mais non, non le milieu ne, à part ce que j'avais vu dans les films, mais les films ce n'est pas toujours... enfin c'est hard ce qu'on voit dans les films américains, les relations qu'il y a entre les détenus, je n'ai pas un titre dan s la tête mais enfin...

Mais sans plus, je n'avais pas d'idée préconcue.

Rachel: Est-ce que vous pourriez nous décrire une journée, les différents moments de rencontre possibles ?

Roseline: Les rencontres importantes...

Raphael: Bon, ce qu'il y a c'est que moi j'ai fait beaucoup de préventive contrairement à d'autres gars qui ont fait plus de pénitencier. C'est-à-dire que normalement le, le, le cadre c'est 23h sur 24 dans une cellule, s'il y a surpopulation vous êtes à plusieurs dans une cellule, s'il n'y a pas de surpopulation, vous êtes seul dans une cellule et vous avez le point de rencontre c'est-à-dire une heure par jour. Quand j'étais au , on pouvait se promener dans une cour et peut-être deux heures par semaine en plus, on pouvait aller dans une salle faire du sport. Donc c'était ca les points de rencontre. Ou si peut-être une heure, même pas, peut- être une demi-heure quand on allait à la bibliothéque ou... des choses comme ca. Certains allaient à l'église pour pouvoir voir du monde, parce qu'il ... ouais une église, c'est pas vraiment une église....

Roseline: Ouais une chapelle.

Rapha`l: Ouais, une cérémonie religieuse qui se... Roseline : Vous y alliez?

Rapha`l: Moi pas, non, j'étais pas, même que pourtant ca aurait pu faire du bien pour voir des gens, pour discuter. Mais je n'étais pas..., tout ce qui était... j'étais en porte à faux avec tout ce qui était dans le cadre carcéral.

Donc s'il y avait un meneur qui était une personne qui avait le droit d'entrer dans une prison, c'était déjà pour moi une personne louche, qui pouvait redire ce qu'on lui disait.

Roseline: Méfiant?

Rapha`l: Voilà, ouais, ouais, j'ai le coté parano qui était déjà
Roseline: Donc la première fois le coté parano était déjà là?

Rapha`l: Il était déjà là, oui oui, quand on rentre en, dans ce milieu, on a toujours peur de redire. Si vous vous êtes allés dans le but de tuer quelqu'un et que vous ne voulez pas que ca se sache, c'est soit un assassinat, soit un meurtre, un assassinat c'est 20 ans, un meurtre c'est 10 ans. Donc c'est du simple au double. Donc si vous dites au juge que vous avez pété les plombs et que vous faites une confidence au prêtre ou je ne sais qui, à un maton, non je ne voulais pas. Pis des fois, on voit qu'ils

vous cherchent, ils posent des questions qui sont insidieuses, qui sont précises, donc on se pose la question, il y a une parano qui nous dit, méfions-nous, on est quand même dans un milieu spécial, est-ce qu'ils travaillent avec les juges, il y a tout un.... ouais ouais.

Roseline: Mais alors là, vous étiez déjà un peu méfiant, la deuxiéme fois vous étiez pas bien et la troisiéme fois ?

Rapha`l: La troisiéme fois c'est maintenant, j'ai fait six mois pour un cas de procédure, finalement c'est dü à la première fois, j'avais un traitement médical qui m'était imposé, pis au j'ai rompu ce traitement à cause d'un accident de moto ce qui fait que c'est un peu une histoire de....

Roseline: Une continuité?

Rapha`l: Ouais, c'est une histoire un peu bêbête, il n'y a pas de nouveau délit. Il n'y a rien, le seul truc qu'on me reproche c'est d'avoir rompu ma confiance avec le médecin en . Dans le sens ou malheureusement j'étais à l'hôpital dü à un
accident de moto, je n'ai pas pu lui dire que je ne pouvais plus le voir. Entre-temps, j'avais un peu décompensé, j'avais pris beaucoup de morphine et tout, je n'étais pas

bien non plus. Mais à il s'est passé le truc qu'ils arrivent avec mon dossier et
ils disent nom de chien, on a un... comment on appelle ca... un certificat du

qui dit que ca fait deux, trois mois qu'il n'a plus été rendre visite à son psy, donc eux ce qu'ils font, ils me remettent en milieu carcéral.

Roseline: Et là vous étiez de nouveau en préventive alors?

Rapha`l: Et là, j'étais à , en préventive. J'ai un article qui ... à

l'époque c'était un article , et maintenant je ne suis même plus sür. C'est un milieu

qui évolue, vous avez l'incarcération, pis aprés vous avez le milieu hospitalier et aprés vous avez le milieu ouvert, c'est-à-dire... comme j'étais dans le , là je ne suis pas encore en milieu ouvert, je suis en milieu fermé, c'est la même chose que si j'étais à l'hôpital.

Et aprés, ils vont me mettre ouvert et je dois aller une fois par mois me présenter, voir un psy, ce que je fais aujourd'hui tous les mois et là ca sera la même chose. Mais si je romps cette confiance-là, eux me considérent de nouveau comme une personne dangereuse, parce que j'ai un traitement médicamenteux et j'ai tendance à Ç parano
·er È.

Roseline: Donc la troisiéme fois, c'était qu'une heure de promenade et vous deviez manger dans votre cellule?

Rapha`l: Donc là, non, j'étais à ; je pouvais manger dans le couloir,

j'étais à cinq dans la cellule car il y a une surpopulation carcérale. Ca a bie n été le milieu, je crois que... Aprés j'ai pu travailler dans la buanderie et pis voilà quoi le contact avec les autres ca se passait bien pour dire que nous étions cinq dans une même cellule. Bon y a eu quelques petites bagarres mais bon sans trop de dommages. Mais là c'est trés dur à vivre, trés, trés dur, et au bas mot, il n'y avait pas une cellule seule. Toutes les cellules minimum deux, des fois ils mettaient deux lits superposés et un matelas par terre.

Roseline: La première fois c'était seul?

Rapha`l: Oui j'étais seul. Je me suis même isolé, oui. La première fois euh..., oui,

non, la toute première fois j'étais au et là, c'était différent. La

deuxieme fois c'était aussi à et là je me suis isolé, alors là, j'étais tout

seul, j'allais de temps en temps me promener avec une ou deux personnes qui étaient au secret, mais là, j'étais completement parano, j'ai dit qu'ici il ne faut pas parler, il faut rien dire, enfin, bref, j'étais vraiment mal, mal, mal. J'étais en isolation totale, même pas un contact avec ma famille, même pas de visite quasiment, tandis que la première fois que j'étais incarcéré, vous imaginez le nombre de visite que j'avais, j'avais tout un club avec moi, toute ma famille qui me soutenait, enfin au début ma copine, des copines qui venaient me voir, c'était tout à fait différent.

Roseline: Et puis vous étiez seul dans une cellule ou à plusieurs?

Rapha`l: Au ? Oui, à l'époque il n'y avait pas, bon je vous parle de ca,

c'est en , euh... il n'y avait pas cette surpopulation. Il y avait beaucoup moins de

tensions, ca change tout, ca change tout, ouais.

Roseline: Et là-bas vous pouviez travailler?

Rapha`l: Ouais là-bas j'ai pu travailler à... comment ils appelaient... l'atelier de collage, on préparait des papiers pour des fleurs, on faisait du cartonnage, enfin.

Roseline : Alors là, il y avait un lieu d'échange?

Rapha`l: Oui, là, il y avait un lieu d'échange, un échange avec les autres détenus, oui tout à fait. Oui toute la journée, vous étiez dans une salle comment ca, une dizaine à plier les cartons, on se passait des trucs.

Rachel: Mais il y avait un moment précis dans lequel il y avait plus de plaisir à rencontrer du monde ou...?

Rapha`l: Cela dépendait, avec qui, quoi. Ca dépend de la relation, des fois il y a une bonne relation, on était tout content d'aller à la promenade pour le retrouver. On restait une heure à discuter, on se racontait des choses, voilà quoi.

Cela dépendait des relations, ouais, ouais, et des fois il y avait même une bonne ambiance, on a même éclaté de rire, il faut pas croire, il y a vraiment des types qui vous racontent des choses, vous êtes là, vous éclatez de rire, c'est détendu des fois, c'est, c'est, c'est pas toujours... oui on se dit nom de chien j'éclate de rire, tu sais oü je suis ? Ou bien. Et parfois c'est le gros fou rire et on arrive plus à se reprendre.

Roseline: C'est des moments quand même importants!

Rapha`l: C'est quand même des souvenirs qui restent et se dire mais nom de chien, dans ce milieu-là on arrive quand même à être euh.... Même euphorique, vraiment hilare à certains moments. Les larmes, je pense qu'elles restent quand on est seul dans la cellule, quoi... le chagrin, le, le, le reste dans la cellule mais quand on sort, il y a toujours quelqu'un qui est là pour vous raconter une histoire pour... ouais, moi je dis qu'il y a quand même pour un milieu comme ca, pourtant on ne peut pas dire

qu'on est bien mais on a quand même des moments, (sifflements : ttrritt de Raphael) on se lâche ouais, on se lâche.

Roseline: Et cela vous faisait du bien?

Rapha`l: Je pense ouais, il y a quand même une certaine solidarité entre détenus. Si vous êtes respecté, les autres, ouais. Par exemple, à tous les vendredis à l'atelier, il y avait un détenu qui apportait comme vous, une petite collation, chaque vendredi, c'était un détenu différent et on partageait, il y avait un partage, il y avait quelque chose.

Ouais, ce n'est quand même pas un monde de brutes à l'état sauvage. Il y a des moments oü c'est violent, des moments oü c'est hyper tendu et des moments oü ca frise le code surtout qu'il y a des outils tranchants dans ces ateliers, il pourrait y avoir des..., comparé à ce qu'on voit à ce qui se passe, je veux dire qu'il y a peu de violence vraiment qui... des personnes qui passent à l'acte, des gens qui se la jouent aux durs, qui n'écoutent pas, un coup de poing, non, sinon il y a pas... non. Et pis, il y a des personnes qui pour parler de l'affection, il y a des personnes qui cherchent l'affection. Vous pouvez avoir des propositions, vous pouvez avoir ceci ou cela, ca, ca existe aussi, il faut le dire. Des personnes qui...

Roseline : Vous avez vécu....

Rapha`l: Euh... Moi j'ai vécu des propositions, mais j'ai jamais passé à l'acte mais c'est pour cela que je peux dire que ca existe, ouais, ouais. Mais je sais qu'il y a des gens qui tournent la veste et pourquoi pas, j'avais un peu parlé quand vous êtes venues le lundi mais aprés quand ils sortent je ne sais pas est-ce qu'ils reprennent un cours habituel ? J'en sais rien (rire) ou peut-être qu'ils préférent les hommes aprés, ca je ne sais pas.

Roseline: Mais pour en revenir aux propositions, qu'est-ce qui a fait que vous avez pas adhéré à la proposition ou aux propositions?

Rapha`l: Mais je ne suis pas homo et je ne crois pas que je peux considérer ca, tout bêtement. Mais d'un côté, peut-être que j'aurais eu envie, je ne sais pas, peut-être que j'ai refoulé, c'est quelque chose de refoulé peut-être que, voilà, mais peut-être que, que quand on vous taille une pipe vous fermez les yeux, vous pensez à je sais pas qui, mais il faut...

Roseline: Ce n'était pas concevable?

Rapha`l: Pour moi, ce n'était pas concevable. Moi je n'arrivais pas à passer à l'acte, je n'arrivais pas.

(Silence)

Rachel: Comment avez-vous fait pour créer des liens? Est-ce que c»était de votre initiative ou c'est plutôt les autres qui sont venus à votre rencontre?

Rapha`l: Alors la première fois, on était tous les jours dans , on parlait de

nous, les rebelles. Donc c'était les autres qui venaient vers nous avec les

journaux: Ç ah on parle de vous È, nani, nanana. Ils savaient que c'était nous, les
gens viennent vers vous et là oui, bon c'était trés médiatisé donc c'est vraiment une

en plein cÏur de un groupe de huit , c'était vraiment
Chicago. Et ils pensaient à la mafia à l'époque (rire) enfin bref. Mais euh... et c'est arrivé tout bêtement, ce n'était pas, ouais le type qu'on cherchait est tombé en panne devant la en pleine rue et là j'ai sorti de ma voiture et

. Donc là, ca a fait les gros titres, donc les gens venaient vers nous. Puis aprés les liens se créent facilement et en fonction de ce que nous avons fait, nous sommes plus ou moins respectés. C'est tout différent si vous avez violé une femme, on va pas venir vers vous ou peut-être avec les dents serrées.

Roseline: Donc vous n'êtes pas resté dans votre coin la première fois ? Rapha`l: Non, non pas du tout. C'est les gens qui venaient vers nous. Rachel: Le lien était facile dü au délit que vous avez commis? Rapha`l: Ouais, ouais. Ç ah regarde, il y a encore un article sur toi È. Roseline : Alors ces liens ils étaient...

Rachel: Oui, ces liens vous pourriez les définir comment?

Rapha`l: Je crois que c'était de l'amitié. De la solidarité et de l'amitié. Je pense que... on arrive là, on est jeune, il y a des gens qui sont plus vieux, les vieux truands et ils vous supportent, ils vous aident. Voilà, ici c'est comme cela que ca se passe, il faut faire comme cela, ils nous ont expliqué comment se passe le milieu.

Je pense que c'est de l'amitié sincere et non pas superficielle. Il n'y a pas de petites courbettes pour se dire bonjour, ca n'existe pas, je ne crois pas.

Roseline: Donc vous, vous n'avez pas connu...

Rapha`l: Non, celui qui n'est pas content, il ne vous dit pas bonjour. Ils sont plus sincéres que dehors, ils n'ont rien à nous vendre. Il y a une chose qui est choquante, vous enlevez quasiment l'argent, ouais quasiment mis à part quelques business d'alcool ou un peu de drogue mais sinon vous enlevez... même l'argent, à part des transferts de compte à compte mais qu'on ne peut pas faire de grosses sommes ou... Donc c'est un autre monde quand on enléve l'argent, c'est du troc. C'est des relations qui sont particuliéres mais sincéres je pense.

Roseline: La troisiéme fois aussi c'était sincere?

Rapha`l: La troisiéme fois, on était à cinq et on cantinait, donc cantiner ca veut dire que toutes les semaines vous recevez ce que vous avez commandé à l'épicerie et on faisait des bouffes le soir, on jouait aux cartes, il y a eu des coups de poings, il y a eu mais... on le sort de la cellule et dit aux matons: maintenant vous nous trouvez quelqu'un d'autre celui-là on le veut plus. a n'allait pas, il était complétement parano comme moi, il semait la merde. Et si un type n'est pas bien, cela devient vite électrique et ca ne joue pas.

Sinon la dernière fois cela s'est bien passé, j'ai demandé d'être à deux. Je souhaitais parler anglais et un américain était là et euh... je suis allé avec lui et on pouvait parler.

Roseline: C'était à but utile?

Rapha`l: J'essayais, mais ca me rend service dans le travail que je fais aujourd'hui car l'anglais est une base qu'on a besoin aujourd'hui. C'est une base, je ne dis pas que je suis une conversation entre deux newyorkais mais j'arrive à me faire comprendre, je me débrouille au boulot. Et donc avec lui, tout était en anglais et c'était vraiment de l'amitié et de la tolérance. Donc moi, je n'ai pas la même relation que les autres, bon ca reste une préventive et je pense que pour les autres dans une autre prison, ca reste un cadre plus ouvert, je ne sais pas.

Rachel: Cela dépend peut-être de la personnalité?

Rapha`l: Oui cela dépend de la personnalité, c'est vrai, j'ai un contact facile. Roseline: Mais quand vous étiez pas bien aussi?

Rapha`l: Ah, là c'était tout à fait différent, c'était la pathologie de vouloir s'isoler, la dépression, la parano enfin tout.

Rachel: Vous avez eu des rencontres qui ont particulièrement comptées pour vous?

Rapha`l: Pour être honnête, moi je n'ai jamais..., j'ai eu la chance de pouvoir sortir trois fois, je n'ai jamais conservé un lien! Il y a une personne peut-être dans toute l'histoire qui fait de la moto et je, je recroise dans les trucs de motard mais sinon, je n'ai même pas son numéro de téléphone, il ne peut pas m'appeler donc il n'y a pas...

Rachel: Mais durant la détention y a-t-il eu des personnes avec qui le lien était important?

Rapha`l: Je pense qu'il y a eu des personnes, pas toutes les personnes mais il y a eu des personnes ou il y avait un échange qui était fort, beaucoup d'amitié. Oui ca oui, mais de là à garder le lien à la sortie, c'est un pas que je n'ai pas voulu faire et toujours de peur de récidiver ou de retomber dans un... et pour finir quand je vois mon parcours, j'en suis revenu.

,

Mais oui, il y avait des liens forts, on avait des congés quand j'étais dans le c'était un pénitencier, j'ai fait dans un pénitencier, donc la première fois, on travaillait dans les champs et là on avait des congés. Alors ce qui fait que des fois je prenais la voiture de ma mère et on partait jusqu'à , et on allait en disco, on faisait la fête, oui c'était des liens forts, des bons souvenirs, mais une fois que j'ai eu fini, j'ai quitté le milieu.

Rachel: Est-ce que vous pourriez nous dire ce qui était fort dans ces liens? Vous l'avez dit c'était des bons potes sur le moment mais est-ce qu'il y a eu quelque chose de particulier, quelqu'un qui vous a permis de tenir ou au contraire.

Rapha`l: Moi je pense que quand on est dans la galére on est plus solidaire, je pense que dans la misére on est plus solidaire et je crois que... on peut même regarder à l'extérieur quand on voit les pauvres, ils sont vraiment plus solidaires que nous qui sommes individualistes comme à et je pense que dans ce cadre -là, il est plus propice à l'entraide, à la solidarité, à ce genre de choses, on voit des beaux gestes quand même.

Roseline: Par la force des choses...

Rapha`l: Voilà, par la force des choses, on est dans la même galére et on sait ce que tu souffres, ce qui te manque.

Le gros mot c'est la liberté, mais bon, parce que des fois on pense, on imagine tellement cette liberté que quand on est dehors, finalement c'est un échec parce qu'on est décu, parce que aprés c'est tout basé sur l'argent, si t'as pas ca, tu vas pas là, si t'as pas ca, tu fais pas ca, enfin bref.

Tandis qu'en prison, on a tous plus ou moins les mêmes moyens, on a tous plus ou moins... on est dans la même galére, dans le même bateau c'est... Je crois, non, je pense qu'il y a plus de solidarité, je peux dire ca avec assurance, ouais.

Rachel: Et puis lors des... quand on a des moments d'échange, des amitiés qui se font, il y a des émotions qui apparaissent, est-ce que vous avez des émotions qui vous ont marqué? Est-ce que vous vous en souvenez?

Rapha`l: Oui la joie, la tristesse, la compassion, oui, oui. Il y a eu beaucoup d'émotions, la violence, mais aussi la haine parce qu'à certains égards il y aura toujours un mouton noir là-dedans donc il y a des gens qui ne sont pas bien, qui sont hargneux et il faut faire avec. On veut aussi toujours savoir qui est le chef, c'est comme les meutes des loups, ou je ne sais quoi, les animaux, on veut savoir qui est- ce qui est plus ou moins le boss.

Mais bon les émotions, il y en a plus ou moins comme dehors mis à part la sexualité en ce qui me concerne et l'affectivité et la séduction, ca c'est quelque chose dont je vous en avais déjà parlé.

Si vous êtes séducteur, moi je ne sais pas, demain je suis marié, j'ai une femme, des enfants à la maison, tout ce que vous voulez, cela ne veut pas dire qu'aprés-demain je ne draguerai pas, il ne faudra pas m'interdire de draguer. Maintenant situ vas plus loin, c'est autre chose mais euh de dire mon dieu je sors en bo»te et je séduis encore, une femme qui vous complimente et ca, ces petits compliments, on se fait pas ces compliments il n'y a pas un mec qui m'a dit du genreÇ tu as un beau corpsÈ (rires) et c'est des petits trucs qui manquent. Peut-être qu'il y a des mecs qui le font, ca je ne sais pas mais moi personnellement cela ne m'est pas arrivé.

Roseline: Et cela vous a manqué?

Rapha`l: Moi je trouve que tout le côté séduction, l'affection, la tendresse, les c%olins, ca c'était hard, dur ouais.

Roseline: a vous a beaucoup manqué?

Rapha`l: Embrasser le coussin le soir... ouais, ouais. a, c'était trés, trés dur, trés, trés dur.

Rachel: Entre détenus, il n'y avait pas cela, vous ne pouviez pas vous prendre dans les bras par exemple ?

Rapha`l: Moi je n'y arrivais pas, pourtant j'ai des années, même pas un massage rien, pourtant un massage c'est naturel, masse-moi le dos, non je n'oserais pas, non, c'est trop... je sais pas ca faisait trop, je sais pas moi.

Roseline: Est-ce que quelqu'un d'autre vous l'a proposé?

Rapha`l: Non, non, non. Sexuel, oui mais pas affectif. Peut-être qu'affectif j'aurai accepté, je sais pas. Et pourtant un massage ce n'est rien. Mais encore une fois il faut être capable.

Roseline: Est-ce que vous pensez que c'est une question de pudeur ou autre chose?

Rapha`l: Ah y'a... je pense qu'un homme, l'affectif, il peut en donner, des c%olins, se prendre dans les bras euh...Mais moi je pense que c'est une question de pudeur, ouais.

Roseline: Mais par exemple quand quelqu'un partait, vous ne vous preniez pas dans les bras?

Rapha`l: C'est plutôt le gros salut, une tape dans le dos, ouais, c'est plutôt ca. Mais... Je dis que je parle pour moi. Je sais qu'il y a d'autres trucs qui se passent, j'en ai vu, enfin vu de mes propres yeux non, mais entendu.

Mais moi personnellement, je n'y suis jamais arrivé et je n'aurais même pas osé, si tout d'un coup quelqu'un te dit: Ç t'es qu'une tapette È, tu es aprés mal vu dans la prison, ou d'un coup il y a une étiquette qui se met sur vous ou...Moi je n'aurais jamais osé faire un pas dans ce sens, Ç écoute on dort ensembleÈ que pour la chaleur humaine ou je sais pas et pourtant cela m'aurait peut-être plu d'avoir quelqu'un.

Roseline : Vous pouvez l'imaginer aujourd'hui, mais sur le moment non? Rapha`l: Non, non, non.

Rachel: Donc en fait, la nature de vos contacts était vraiment que verbale ? Rapha`l: Ouais et amicale, une tape dans le dos et voilà.

Roseline: Mais il y avait aussi du non verbal?

Rapha`l: Des sentiments aussi et peut-être un regard car on commence à se connaitre, ouais.

Roseline: De la complicité par le non verbal? Rapha`l: Voilà, ouais, ouais, ouais.

Roseline: En fait, justement on commence à se conna»tre, juste un regard et on voit si l'autre ne va pas bien, est-ce que c'est agréable ces échanges?

Rapha`l: Moi je pense que ca permet de tenir. Roseline: Et d'être reconnu?

Rapha`l: Je pense que ca permet de tenir mais euh... ouais (silence). De voir que les autres sont dans la même galére que vous, de voir que vous n'êtes pas seul, il y a des gens qui sortent aussi que... je veux dire que

Oui, l'amitié ca compte dans la vie. Si quand vous arrivez à l'atelier et que vous pouvez parler ce que vous avez vu le soir à la télé car on est trés télé, les nouvelles, la politique. On était branché mais pire que des ministres, non mais c'est vrai, tout ce qui se passait, on savait tout, le temps, euro news, etc.

Et si vous pouvez en parler c'est important. Je pense qu'il y a quand même un lien qui se crée et qui vous aide aussi à sortir de là ou vous êtes et pas toujours être là à ronger votre frein, à se dire Ç ah on est en prison merde È. C'est important de parler de ce qui se passe dans le monde, de foot, ouais il y avait des fans de foot qui connaissaient tous les noms des joueurs, des clubs et tout enfin bref des choses intéressantes.

Mais oui, c'est de l'amitié et ca vous aide à sortir du train -train quotidien dans le sens oü vous parlez d'autre chose.

Rachel: Et penser à autre chose pas toujours s'auto-infliger....

Rapha`l: Moi je pense que vous êtes spectateur en prison aussi acteur mais vous êtes vraiment un grand spectateur parce que vous êtes là avec votre lorgnette qui s'appelle la télévision et vous regardez les autres s'amuser et vous... bon maintenant il y a encore ces trucs de téléréalité, enfin je veux dire... voilà vous êtes un spectateur. Je pense que dans la vie il y a les spectateurs et les acteurs, des fois on est spectateur, parfois on est acteur. Mais là, vous êtes un grand spectateur je pense en prison, ouais, vous êtes trés peu actif.

Rachel: Lors du repas, nous avions parlé, évoqué les gardiennes de prison, je ne sais plus qui en avait parlé.

Rapha`l: Le fantasme, ouais, ouais.

Rachel: Qu'est-ce que vous pourriez nous en dire?

Rapha`l: Moi je.... Ca fait plaisir de voir une femme... mais euh...peut-être que j'ai même fantasmé, je me suis fait du bien en pensant à cette femme... mais euh... aprés je me disais que Ç est-ce que tu es fou È t'a toujours le... Tu sais que ce n'est pas possible, pourquoi tu te fais du mal finalement?

Tu te poses la question, ouais je suis peut-être un peu trop cérébral, j'en sais rien mais ca fait du bien. Je pense qu'une femme ca fait toujours du plaisir à voir mais ce n'est pas elle qui va vous faire des compliments ce que je vous disais avant (rires), mais ce n'est pas elle qui va vous donner ce qu'une vraie... enfin une femme normale, elle, elle est dans son monde du travail, je sais pas moi.

Rachel: Et vous pensez qu'il y a l'envie de mettre une distance par peur que...?

Rapha`l: Non, des fois c'est un peu gênant quand une femme qui entre, il y a tout le monde qui se met à siffler, on a l'air comme des... des tu sais des chiens en rut là. (Rires)

Roseline : Alors vous siffliez?

Rapha`l: Ah mon dieu oui.

Roseline: Peut-être qu'elle a l'habitude aussi?

Rapha`l: Même peut-être que cela lui fait plaisir, j'en sais rien mais au moins il y a quelqu'un qui lui dit qu'elle est belle (rire) parce qu'alors-là il y a tout le monde qui lui dit qu'elle est belle. (Rires)

Roseline: Et cela vous dérangeait?

Rapha`l: Moi je trouvais gênant, ouais on est tous dans le même... on est vraiment... ouais je... ça devient pathologique quasiment. Pourtant c'est naturel quelque part.

Rachel: Est-ce que vous faites une différence entre la sexualité et l'affectivité?

Rapha`l: Tout à fait ouais. Si on veut jouir, donc la sexualité c 'est jouir. C'est ce que je pense et donc jouir, ce n'est pas un probléme en tout cas en ce qui me concerne. Donc je peux avoir les mêmes, je pense sur le plan de ce que procure la jouissance sur le plan cérébral, on peut avoir les même effets, ça je peux avoir, je ne suis pas coupé de cela, j'arrive à jouir.

Mais l'affectif. Non, ça je ne peux pas. C'est...je fais totalement la différence, c'est plus fort, je crois que c'est plus fort le manque d'affectif, de séduction que le manque de sexe parce que le sexe vous arrivez à vous assouvir même si vous avez vraiment envie vous faites cela vous-même et il ne faut pas déconner voilà ça passe. Tandis que l'affection, il y en a pas, vous pouvez faire comme vous voulez. Et la séduction aussi. Peut-être pas beaucoup de personnes, je sais pas mais moi j'étais séducteur et je le suis toujours mais moi cela m'a manqué peut-être que pour d'autre s non, on n'est pas tous pareil, je parle pour moi.

Rachel: Et vous pouviez discuter de l'affectivité avec d'autres détenus ?

Rapha`l: Est-ce qu'on en a parlé? Franchement j'en n'ai pas trop de souvenir. On parlait de sexualité, d'expériences sexuelles mais de dehors.

Rachel: Ouais mais un manque ou un....

Roseline: C'est plus par rapport à l'acte que vous parliez?

Rapha`l: Ouais, comment il était avec une femme, comment il était ... c'est pour cela que ça devient intime parce que les gens vous racontent des choses que dehors ils ne raconteraient même pas, je pense mais euh...

Roseline: Mais est-ce que vous parliez de ces choses ouvertement? Rapha`l: Ouvertement, à l'atelier, devant les gardiens.

Roseline: Et de l'affectivité?

Rapha`l : Alors non moi je n'ai pas beaucoup de souvenir que quelqu'un parlait de manque de caresses, c'est quelque chose qu'on n'ose pas dire, je sais pas. Est-ce que c'est parce qu'on veut être dur? Je ne sais pas. Mais là vraiment je n'ai pas de souvenirs qui me viennent. Par contre des théories de sexe, de cul, alors là oui alors là, tout le monde avait tout fait. (Rires)

Roseline: Mais alors si on ne parle pas d'affectivité c'est une sorte de façade?

Rapha`l: Moi je pense, c'est le côté homme que les femmes n'ont pas. C'est dommage que vous ne puissiez pas avoir de femme pour comparer.

Roseline: Il faut bien qu'on cible, nous c'est les hommes qui nous intéressent.

Rapha`l: Moi je pense que nous, il y a beaucoup plus de fierté, de ... le m%ole dominant et surtout dans un milieu oü on doit être fort, je pense qu'il y a plus de fierté, Que dire, ÇOh mon Dieu j'ai envie d'embrasser une femme È, j'ai envie de la caresser, je sais pas... l'homme il est plus dominant, il est plus... avant, je sais pas, chez les homosexuels on appelle le coming-out, c'est quand même dire qu'à un moment il faut vraiment pour que ça se.., de là à passe r à l'acte, y'a un pas que tout le monde ne fait pas, peut-être même dehors. Alors imaginez dedans quelqu'un qui n'est pas du tout, qui a toujours regardé les femmes dehors.

Roseline: Oui, là vous parlez de passer à l'acte et vous... Rapha`l: Oui mais affectivité.

Roseline: Même un massage ça ne vient pas ?

Rapha`l: Oui c'est ça, moi je vois ça comme ça. Une fierté...

Roseline: Ceci me fait penser à une chose. En prison, est-ce qu'il y a des hommes qui pleurent ou qui ont envie de pleurer, car c'est une émotion aussi?

Rapha`l: Honnêtement, j'en ai peu vu. Moi j'ai pleuré, je sais que j'ai pleuré mais pas devant les autres...Mais on se cache.

Roseline: Mais là aussi on se cache?

Rapha`l: Oui les émotions à ce niveau-là... ? Dans la sensibilité. Ouais ce n'est peut-être pas le milieu....

Roseline: Elles peuvent sortir mais isolé?

Rapha`l: Moi je pense, ouais. C'est ce que je pense moi.

Roseline: C'est ce que vous avez vécu?

Rapha`l: Moi c'est ce que j'ai vécu. Moi je n'aurais jamais pu pleurer dans les bras de quelqu'un, non, non, non. Ç Ecoute ce qui m'arrive, c'est trop terrible et tout È. Le type en face m'aurait dit... Mais comment dire? Ouais, il vit la même chose que vous. Je sais pas que dire, on est là... je sais pas peut-être qu'il y a des gens... en tout cas personnellement non.

Roseline: D'accord.

Rapha`l: En parloir avoir la larme à l'Ïil, oui mais c'est encore différent. C'est votre mere, votre famille, c'est encore différent. Quand votre copine vient vous dire: Ç lalalala, il s'est passé des choses È, ouais là vous pleurez mais c'est normal. Mais des que vous sortez, vous essuyez et des que vous êtes dans vot re cellule et vous recommencez à pleurer et voilà quoi. Mais c'est que vous avez vraiment besoin de pleurer.

Roseline: Vous aviez des moments affectifs que quand il y avait votre famille au parloir?

Rapha`l: Ouais, ouais. (Silence)

Roseline: Dans ces moments-là, est-ce que vous pensiez à faire venir une femme? Aux parloirs intimes ?

Rapha`l: Ah c'est sür. Alors c'est sür. De ca on en parlait par contre. Ce sujet était ouvert mais tous on avait envie, personne aurait dit non.

Roseline : Mais vous pouviez en parler?

Rapha`l: Oui on pouvait et on en parlait quand nous étions en manque de sexe, mais euh... ca s'arrêtait là.

On pensait qu'on pouvait les femmes, avec une femme, mais pas dans le contexte homme/homme.

Oh oui, les parloirs intimes, ca c'est... le probléme c'est que vous faites souffrir...moi je dis on est en prison, il y a un côté dur, la peine c'est une privation de liberté d'accord, le probléme c'est quand vous mettez votre partenaire dans la même privation de liberté que vous et je trouve que c'est dégueulasse. Si j'avais pu lui donner, je ne pensais pas qu'à moi, lui donner l'affectif, la sexualité, bon peut-être que... bon on en a pas trop parlé, on avait trop de choses à se parler quand elle venait au parloir trois quarts d'heure, on ne rentrait pas vraiment dans ce cadr e-là. Mais euh... mon Dieu si on m'avait proposé ca, mais dix fois, cent fois, ouais ca c'est sür. Mais d'un autre côté tu te dis que c'est la prison et que c'e st dur et pis... et pis et pis voilà.

Rachel: Mais pour vous les parloirs intimes seraient une bonne chose?

Rapha`l: Moi je pense que c'est une bonne chose, mais le probléme qui se pose
c'est que ca n'existe pas en prison préventive et vous faites avant un jugement un
an, deux ans avant d'être jugé, c'est un minimum, peut-être huit mois. C'est vraiment

un minimum mais aprés il faut compter le transfert et du temps qu'il y a une place qui se libére, non le parloir intime se fait pas avant deux ans au minimum.

C'est ca le probléme qui se passe, la cassure a déjà eu lieu. Alors maintenant si c'est un parloir intime pour vous dire maintenant je suis en prison, je vais mettre une annonce comme quoi je sais pas ou, à , y'a pas une femme qui veut venir me voir... euh... là je me dis Ç je ne crois pas que c'est la solution È. Maintenant vous me dites est-ce qu'on pourrait avoir des prostituées qui viennent? Je dis pourquoi pas, moi... c'est payer, y'a pas trop de sentiments, je dis pourquoi pas, ouais. Pis certains, oui pour ceux qui sont mariés, qui après deux ans sont toujours ensemble. Mais tant mieux pour eux et heureusement qu'il y ait ça. Mais pour celui qui n'a pas, je pense que ce n'est pas le moment...il faut être stable pour nouer une... je sais pas...

Roseline: Donc c'est l'expression, vous vous êtes suffit à vous-même, et aprés ce que vous avez dit: Ç je me fais plus de mal qu'autre chose de fantasmer sur quelqu'un È.

Rapha`l: Mais oui, c'est quelque chose, moi je sais pas, c'est quelque chose de complétement irréalisable. C'est comme quand vous regardez un film à la télévision et que vous fantasmez sur une actrice, et pis vous dites : Ç merde ca ne se fera jamais È. Je préfére fantasmer sur quelque chose de concret qui soit plus ou moins objectif, je sais pas mais je me dis que: Ç tu délires È. Voilà, c'est comme ca.

Rachel: On avait discuté aussi des préservatifs, la distribution de préservatifs, est-ce que vous avez vécu la distribution? Ou est-ce que vous y aviez accés dans un certain endroit? Et qu'en pensez-vous?

Rapha`l: Je trouve que c'est bien, même les seringues pour les toxicomanes.

Il ne faut pas se voiler la face, les préservatifs, même chose. Je trouve que c'est bien, celui qui a besoin, il y en a. C'est -à-dire qu'on allait au médical, vous allez pour une entorse, n'importe quoi, il y avait toujours un truc et on peut prendre des préservatifs à ce moment-là, donc c'est un accés à tout le monde. Bon, moi j'en ai jamais utilisé, jamais pris mais euh... c'est bien si ça existe et faut croire que ca existe, on en parle peu et heureusement qu'il y a encore ca car s'il faut encore sortir de prison avec le SIDA, beuh. Certains sont sortis avec des... manques de drogue, des...moi j'ai connu avec des overdoses, bon je veux dire que la drogue c'est encore autre chose, des personnes qui n'avaient encore jamais touché, ca je dis que c'est un manque affectif aussi, pour plonger là-dedans.

Et pis voilà. Pis tout ce qui est de la prévention, je peux pas être contre, les préservatifs, je crois que c'est important, surtout là-dedans quoi.

Rachel: On avait aussi, vous l'avez évoqué tout à l'heure, la masturbation. Vous disiez que quelque part c'était pour pallier à un manque. Est-ce que l'acte suffisait ou... et comment est-il possible de trouver de l'intimité ? Ou pas?

Rapha`l: Même à cinq c'est possible, et euh...même à cinq dans une cellule c'est, c'est possible. Y'en a qui regardent la télé, d'autres qui dorment, il y a toujours un moment oü on arrive à se faire jouir sans que les autres s'en... voilà, pas besoin de... il faut faire cela di scrétement et c'est possible. Des que vous êtes sous la couette, vous êtes intime plus ou moins, il ne faut pas faire ca... voilà je pense que

c'est possible. Ou bien même si vous êtes à deux, c'est plus facile parce que l'autre il va bien sortir à un moment. C'est encore plus facile, il y a plus d'intimité quand on est deux qu'à plusieurs. Non, ce n'était pas un probléme et il y avait une toilette encore, une toilette fermée. Il y avait des photos de femmes, encore une fois, oui les toilettes étaient fermées.

Rachel: Donc là il y avait...?

Rapha`l: La possibilité.

Roseline: Des photos de femmes...

Rapha`l: Oui, on pouvait commander des catalogues (rires) avec des photos de femmes. Et il y avait aussi des catalogues de photos d'hommes, on pouvait commander des trucs gay, oui, oui, oui. Au niveau des catalogues, il y a tout ce que vous voulez, oh mon Dieu, tout.

Roseline: Mais ca ne suffit pas toujours au manque affectif?

Rapha`l: Ah non, c'est, c'est incomparable. Ma foi, on a quand même appris qu'on peut vivre sans et aujourd'hui on est... moi je dis que je suis moins dépendant aujourd'hui. Est-ce que c'est bien, est-ce que c'est mal? Je suis moins dépendant. Tandis qu'à vingt ans, j'étais dépendant, j'ai appris à vivre sans, ouais, voilà. Je sais pas, est-ce c'est un avantage ou un inconvénient? Je ne sais pas.

Rachel: Est-ce que vous seriez d'accord d'aborder la question des relations forcées ? Est-ce que vous avez déjà vu des relations forcées ?

Rapha`l: Non, moi personnellement non et j'en ai pas entendu parler. A part dans les journaux, mais pas plus que vous.

Rachel: D'accord, ok.

Rapha`l: Non, ca j'ai pas, non. Disons qu'il...vous parlez d'intimité pour se masturber, vous imaginez l'intimité qu'il faut pour faire ca? Je sais pas mais deux dans une cellule, forcer, ca doit être dur à deux. Y'a pas tellement d'endroits ou vous pouvez...je sais pas si à cinq dans une cellule ils décident d'en violer un, écoutez ce serait faisable, vous savez il suffit d'un cri , ils ouvrent une porte, si vous criez, il y a le maton qui va arriver. Dans les douches mais si vous criez, et en plus il y a le gardien qui est là, il faudrait vraiment bien forcer, mettre un savon dans la bouche.

Roseline: Parlez nous un peu des douches. Est-ce un lieu de rencontre? C'est un lieu sans intimité ? Certains disent que c'est un lieu plaisant, et pour vous?

Rapha`l: Je peux vous dire que certains vont en slip de bain, il y a beaucoup, la plupart, d'ailleurs ce qui fait que, parce qu'ils ne lavaient pas les slips là-bas, alors ce qui se passe c'est qu'on doit laver nous-mêmes. Alors beaucoup, moi aussi, je rentrais avec mon slip et aprés je l'enlevais et je le lavais avec mon produit de douche et je l'essorais. Pis bon, l'intimité, moi j'ai fait du foot et il y avait des hommes

à poil, moi ca ne me dérange pas. Franchement ce n'était pas le truc, je l'ai vécu depuis tout petit quoi. En sport on avait toujours les douches ouvertes.

Roseline: Quand on est dans un milieu fermé, est-ce que vous pensez que c'est une question d'éducation? Car vous vous parlez que vous avez été habitué depuis tout petit. Est-ce que c'est l'éducation qui prime par rapport à la pudeur, à l'intimité?

Rapha`l: Je pense que c'est une éducation, un vécu en tout cas. Peut-être qu'il y a des personnes qui sont hyper pudiques, je ne sais pas.

Roseline: On ne met pas de côté ce qu'on a vécu?

Rapha`l: Non moi pas, non. Ce n'est pas parce que les douches, non moi je faisais deux fois par semaine l'entrainement pis encore le match, on était trois fois par semaine dans les douches à poil, les onze joueurs et parfois même l'entraineur, donc, non. Donc l'éducation? Bon à la maison moi j'ai vu mes parents nus, peut-être que d'autres n'ont jamais vu leurs parents nus, moi c'est une chose qui pouvait arriver. Ce n'est pas le truc qui me... travaillait l'esprit.

Rachel: Et durant les parloirs, avez-vous déjà vu des relations charnelles entre les autres ou peut-être vous-même?

Rapha`l: Non, mis a part...j'en ai entendu, maintenant... Ouais je sais que dire. Moi à part rouler des pelles, s'embrasser, lui tenir la main ou...non, non, non, je dis non. Je crois que je n'aurais pas pu le faire, il n'y avait pas assez d'intimité. Vis -à-vis de ma copine, (rire) non. Mais j'ai entendu qu'y en a qui arrivait mais je sais pas comment. Franchement, en tout cas en préventive, vous avez un gardien là, vous avez les tables comme ca, vous êtes en face à face, on sait pas ce qui peut se passer sous la table mais quand même, vraiment un acte sexuel, vraiment une relation sexuelle ? Vraiment, j'ai du mal à croire.

Rachel: C'est vraiment face à face, on peut ne pas être à côté ? Rapha`l: Non, non, non.

Roseline: Est-ce que quand il y avait un contact est-ce que vous receviez des remarques du maton?

Rapha`l: Non ca jamais, non.

Rachel: On va arriver à la dernière question. Rapha`l: Attention c'est la plus dure! (Rires)

Rachel: Mais non. (Rires)

Qu'est-ce que vos expériences affectives, alors euh...bon vous disiez que vous n'avez pas eu d'échange affectif durant votre détention mais vos relations, est-ce que ca a changé quelque chose? Est-ce que ca a permis ou changé quelque chose lors de votre sortie?

Rapha`l: Moi je... vous ai déjà presque répondu dans un sens parce que je vous ai dit que j'étais moins dépendant. Ca veut pas dire que je n'ai pas besoin mais je sais que je peux vire sans, et donc euh... voilà... si ca doit se casser si j'ai une relation qui casse, je vais moins être à cran, comme on dit comme un drogué qui... je me dis bon ben voilà je vais retrouver quelqu'un d'autre, il faut attendre un laps de temps. Ah, je ne sais pas?

Rachel: Est-ce que ca a changé vos relations?

Rapha`l: La relation évolue même avec l'%oge de toute façon la relation évolue. Estce qu'on fantasme plus, est-ce qu'on devient un peu plus cochon entre guillemets, y a des femmes qui m'ont dit ca mais je ne sais pas si c'est l'évolution de l'%oge.

Si c'est... de là à dire que c'est à cause de la prison, disons que c'est un truc que je n'aimerais pas me dire que ca m'a fai t du tort euh...sexuellement, je n'aimerais pas. Maintenant euh...ce qui a changé comme je vous l'ai déjà raconté, par exemple quand je suis sorti la première fois, quand je dansais avec une femme j'étais en érection, c'était bizarre pour elle, bizarre pour moi, donc là je n'avais pas eu de relation euh... voilà, on devient en rut plus rapidement, donc ca, ca oui, après ca passe, c'est votre premier congé. Mon dieu en discothèque c'était terrible, terrible, j'avais honte, pour moi c'était... la fille pense que c'est un pervers (rire)...moi j'ai toujours ce côté-là...

Roseline: La première fois que vous êtes sorti ca vous est arrivé....

Rapha`l: Mon premier congé, ouais, ouais. Je dansais avec une fille, mon dieu! et là j'ai chopé... on dansait un slow donc à l'époque des slows, maintenant je ne sais pas s'il y a encore des slow s... (Rire) Bon après ca redevient normal, pis aussi peu t- être qu'on a tellement fantasmé, moi je dis cochon, ouais les femmes m'ont dit: Ç tu es un vrai cochon È. Je sais pas, peut-être qu'on va plus fantasmer sur le corps, on va plus...

Roseline: C'est ce qui vous est arrivé?

Rapha`l: Ouais, voilà. Est-ce que c'est la prison, est-ce parce qu'on évolue? Ce n'est pas la même chose avec une femme aujourd'hui que quand j'avais vingt ans, c'est indéniable.

Roseline : Vous avez plus de patience?

Rapha`l: Maintenant, non, non c'est sür, je ne vais pas taper à la porte dix fois et faire la roue.

1ère

Roseline : C'est ce que vous faisiez après la fois en prison?

Rapha`l: Non, non avant, ca pouvait arriver que j'étais à cran, j'étais comme un drogué quoi, il y avait un temps....

(Rires)

Et bon voilà.

Roseline: Donc quand vous êtes sorti, c'était la réaction du corps qui était plus rapide

Rapha`l: Oui mais on a pas peur de perdre... Roseline : Voilà.

Rapha`l: On a pas peur, cette jalousie malsaine, cette euh..., on est plus serein j'ai l'impression. A vingt ans je croyais, enfin c'était une drogue, c'est terrible.

Roseline : Vous parlez de maintenant ou de votre première libération?

Rapha`l: Là, je vous ai parlé de mon premier congé. Il fallait trouver une femme dans le week-end, mais cela ne s'est pas fait, je vous dis la vérité ca ne s'est pas fait. J'ai flirté, bon voilà mais....

Roseline: Mais après vous avez eu la patience d'attendre?

Rapha`l: Après oui, j'ai eu la patience d'attendre quand je suis sorti, ouais, ouais. J'ai eu encore de la chance, j'ai fait une émission de télévision, donc moi j'ai eu de la chance après la première incarcération, je n'ai rien eu à cacher. J'avais une relation qui était...j'ai vu une fille un soir qui m'a dit: Ç ah je t'ai vu à la télévision È, je l'ai connue comme ca, on discutait machin, revue mais euh, j'avais de la chance.

Tandis que maintenant, plus euh... le problème avec la femme maintenant ce n'est pas l'affectivité et la se xualité, oui c'est un ma nque quand il n'y a pas, d'accord mais j'ai plus du mal à dire euh...voilà ou j'ai été, la prison, le... .

Voilà les deux dernières fois je trouve que c'est trop, trop. C'est ce qui... Je veux pas dire qui m'angoisse mais quand je connais une fille je me demande ce que je vais lui dire.

Déjà, si elle me demande pour découcher un soir de semaine, je ne peux pas, il faut que je m'arrange avec Monsieur et le week -end c'est limite car je travaille encore le week-end. Je suis réticent dans ce sens-là de devoir dire... et pourtant je pense que le mieux c'est de pouvoir dire, de s'affirmer de pouvoir dire ce qu'on a fait et si l'autre accepte pis si elle n'accepte pas bon ben au revoir et merci. Mais d'un autre côté, si je lui dis el le va avoir peur de moi, direct.

Roseline : Vous avez encore peur de ca? Rapha`l: Ouais, ouais, ouais.

Roseline: Ce n'est pas votre personne, c'est le fait d'avoir été dans ce lieu....pe ut- être ...

Rapha`l: Oui ca fait partie de ma personne quand même. C'est le mot prison qui fait peur. A ans, elle n'avait pas peur à ans. Les femmes à cet %oge sont moins portées sur le sécuritaire, elles sont chez leurs parents je veux dire euh.... Maintenant une femme qui est à , tu as déjà ans et elle a peut-être

et pis euh... elle a besoin de sécurité et là elle voit quelqu'un qui est complètement dans l'insécurité et ca fait flipper. Tu te dis ce mec-là il va m'emmener ou ? Oü je serai avec lui dans deux ans? Les filles de ans, elles se

posent moins la question. Elle est encore chez papa, maman, c'est un autre %oge. Il y a encore l'%oge qui est un facteur, je trouve intéressant de pouvoir voir avec les différents %oges.

Roseline: Cela veut dire que vous vous sentez pas encore totalement en sécurité vous-même...

Rapha`l: Mais je suis dans l'insécurité, je pense que ca peut me bloquer sexuellement, affectivement, ca peut me bloquer psychiquement parce que je suis dans l'insécurité.

, le milieu oü on est peut être sécurisant à certains égards pour soi-

Là, à

mê me mais pour une relation de couple, il n'est pas du tout sécurisant dans le sens que quand on parle de couple, on parle de , de ceci, de cela donc il n'y a rien de cela, aprés on parle de ceci d'affectivité, et tout, enfin il me semble que c'est un tout. Et là je me sens dans l'insécurité, ouais ma position est précaire. Je ne peux pas dire quand est-ce que je vais sortir, voilà je suis un peu réticent je dois l'avouer.

Rachel: Est-ce que vous aimeriez ajouter quelque chose? Rapha`l: Non je crois que nous avons fait le tour.

Rachel: On vous remercie beaucoup!

Rapha`l: De rien.

Rachel: Ca été pour vous?

Rapha`l: Oui, pour moi ca été, j'avais un peu de soucis des questions je ne savais pas ou exactement je mettais les pieds et puis ce qu'on a discuté entre nous avec les autres détenus, c'est vrai que le but premier, c'est de pouvoir faire avancer le la chose, si ca peut faire évoluer cela serait génial. Dans le sens des parloirs intimes, des choses comme ca pour ceux qui ont vraiment la famille l'occasion.

Roseline: Ouais en même temps comme l'un de vous disait Ç c'est injuste que ce soit que les familles car nous aussi on a des manques È.

Rapha`l: Ma foi on est en prison, y a pas que ca comme manque, il faut aussi considérer que la prison ce n'est pas un milieu....je préfére faire des peines plus courtes ou juger les gens directement qui sachent oü ils vont mais c'est un autre débat.

Et puis, c'est la lenteur qui tue un couple, la lenteur des procédures administrative s, vous avez une fille, une famille qui vous attend dehors, tu sais pas quand est-ce que tu vas enfin revenir à la maison. Quand tu es dans cette attente tu te dis mais combien de temps.... Si on te dit c'est deux ans bon j'attends deux ans ok mais si... on vous dit pas, merde c'est long la préventive et c'est trés, trés dur. Alors qu'ils mettent des parloirs intimes en préventive alors et là je suis le premier pour, bon voilà quoi.

Merci

Rachel et Roseline : Merci à vous!

Annexe 6: Entretien exploratoire

Boulé Rachel TB1

Schmid Briachetti Roseline Questionnaire exploratoire

Directeur d'une prison Notre présentation

Pouvons-nous enregistrer l'entretien? Il restera confidentiel, la retranscription ne sera lue que par le maitre de mémoire.

Etudiantes HES-GE - sollicitation de cet entretien pour avoir une vision générale

Sexualité en prison - notre représentation : perte de liberté doit-elle engendrer une interdiction de la sexualité

Cet entretien est pour nous permettre de problématiser et pour comprendre les enjeux sauf pour les personnes avec délits sexuels trés graves.

Notre question de recherche: Comment les personnes incarcérées vivent-elles leur sexualité dans un milieu carcéral fermé vu par les TS, les gardiens et c. ?

Ou

Comment les professionnels répondent-ils aux besoins de sexualité des détenus dans un milieu carcéral fermé?

Dans les livres parcourus sur leurs parcours de vie en prison, leurs conditions de vie, les détenus demandent des parloirs intimes.

Questions pour Directeur de prison

A) Manière de l'Institution de traiter la sexualité des détenus 1. Pouvez-vous nous parler de l'historique de la prison

Depuis quand?

Pourquoi dans cette prison et d'oü (autorités- associations- détenus- droit de l'hommeÉ) Qu'est-ce qui peut être favorisé ou au contraire engendrer comme problème ? (Maintenir un lien - favorise un besoin, maintenir l'ordre au sein de la prison ou autresÉ) Pourquoi?

Niveau pratique

Comment ont-ils acces au parloir intime, les conditions à remplir (marié, etc.)?

Comment se passe la visite - Est-ce un lieu fermé, ouvert avec ou sans surveillance? La durée - La fréquence?

Y a-t-il un réglement dans le parloir intime ? Peuvent-ils passer à l'acte? Est-ce que les TS ont un rTMle à jouer au sujet de la sexualité?

B) Détenus leur manière de vivre la sexualité à l'intérieur (conditions de vie)

Est-ce que vous pouvez nous décrire une journée type (matin au coucher) d'une personne incarcérée (vie quotidienne) ?

Est-ce que les détenus parlent de la sexualité entre eux - Est-ce un sujet tabou ?

Est-ce que l'absence de sexualité engendre des problématiques et lesquelles? (violence, pratiques, enjeu de pouvoir, castration...)

C) Politique suisse-cantonale

Quelle est la politique en suisse dans le milieu carcéral au sujet de la sexualité ?

Est-ce qu'il existe en Suisse d'autres prisons avec des parloirs intimes et si non pourquoi?

Il nous semble avoir compris que les Autorités (fédérales-cantonales) ne traitent pas de cette question officiellement mais officieusement, avons-nous bien compris? (pas de regles É)

Organisation- Questions pratiques

Nous aimerions faire des entretiens avec les TS, des gardiens, la direction.

Est-ce que dans cette prison c'est possible et si oui quelles démarches devons-nous entreprendre (autorisations - présentation de notre sujet etc.)?

Est-ce que vous avez de la documentation sur la politique suisse, des textes de loi, d'autres Institutions?

Est-ce que vous avez des personnes ressources à nous conseiller qui connaissent bien le sujet? Est-ce que dans le futur, si nous avons d'autres questions seriez-vous d'accord d'y répondre?






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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite