Travail de Bachelor
Vie pénitentiaire, liens sociaux
et
affectivité
Comment les personnes vivent-elles
leur vie affective dans un milieu
carcéral fermé?
http://213.215.42.142/~a4550sup/fichiers/Vuetlu64.php
"Vivre ensemble consolide les rapports affectifs mais,
simultanément, divise."
(Francesco Alberoni (1984) L'amitié )
Travail de bachelor effectué dans le cadre de la
formation à la Haute Ecole de Travail Social de Genève
Rachel Boulé, Roseline Schmid Briachetti, Volée
FEE 06, Filière éducation sociale
Sous la direction de Marc Pittet
Genève, juillet 2012
Les opinions émises dans ce travail n'engagent que
leurs auteures.
.
Remerciements
Nous avons contacté différents acteurs du
réseau pénitencier et tenons particulièrement à
leur adresser nos plus chaleureux remerciements pour leur aide tout au long de
notre recherche.
Notre directeur de mémoire, pour nous avoir fait
réfléchir et fait part de diverses pistes.
Les nombreuses correctrices qui ont bien voulu relire notre
orthographe et notre syntaxe, dont deux plus particulièrement
jusqu'à la dernière seconde.
Le directeur d'une structure accompagnant des personnes en
semi-liberté qui nous a accueillies un soir, autour d'une table pour
partager un repas afin que nous puissions nous présenter et rencontrer
des personnes vivant actuellement dans ce foyer. Nous le remercions
également pour sa grande ouverture d'esprit et son humanité.
Le directeur d'un foyer accueillant des personnes en
semi-liberté pour sa disponibilité, sa clairvoyance, et sa
pertinence.
Le directeur d'une prison qui nous a accordé de son temps
afin de nous transmettre des informations générales sur la
prison.
Le gardien d'une prison qui nous a fait visiter certains locaux
de la prison et qui a relaté son travail quotidien avec les
détenus.
Toutes les personnes qui ne font pas parties du labyrinthe
pénitencier mais qu i nous ont permis, de par leurs relations, d'entrer
dans le réseau pour réaliser notre travail de bachelor.
Et surtout, Woody, Charles, Doe, et Raphael vivants sous
le régime de la semi-liberté qui ont raconté avec leur
coeur, sincérité, et courage, leurs expériences affectives
lors de privation de liberté dans un milieu fermé.
Nos collègues de travail pour l'aménagement
d'horaires particuliers, leur souplesse, leur flexibilité et leur
compréhension.
La praticienne-formatrice de Rachel qui l'a suivie avec
bienveillance tout au long de ses études. Merci à elle pour son
soutien moral et ses précieux conseils concernant ce mémoire.
Et pour finir nos conjoints, nos familles, nos amis pour leur
soutien, leur patience.
Les deux adolescents de Roseline, qui ont dü être,
d'innombrables fois, indulgents sur de nombreux plans.
Table des matières
Remerciements 2
Partie 1 : Introduction 5
1. Les étapes du module ÇTravail de
BachelorÈ 1 5
1.1. Objet d'étude 5
1.2. Motivations personnelles 6
1.3. A priori- préjugés 7
1.4. Questions, sous questions de recherche lors du module
ÇTravail de
Bachelor partie 1 È 7
2. Les étapes de ce travail de mémoire 9
2.1. Ethique 9
2.2. Champs d'observation 11
2.3. Questionnaire, type d'entretien 12
2.4. La collaboration entre nous 14
2.5. Evolution dans le corpus théorique 14
2.6. Problématique 16
2.7. Objectifs 17
2.8. Hypothèse 17
Partie 2 : Corpus théorique 18
1. Chapitre I : Introduction/Choix de l'approche
phénoménologique 18
1.1. Choix de l'approche phénoménologique 19
2. Chapitre II: Différence entre affectivité et
sexualité 21
2.1. Besoins-Emotions 21
3. Chapitre III : Les différentes altérités
vécues en détention 23
3.1. Altérité manquante 23
3.2. Altérité consentie 23
3.3. Altérité contrôlée 24
3.4. Altérité virtuelle,
matérialisée 25
4. Chapitre IV: Le courant phénoménologique avec
Husserl,
Heidegger, Binswanger, Von Weizsäcker, Straus et Maldiney
26
4.1. Husserl 26
4.2. Heidegger Çl'Etre et le Temps, 1927È le
Dasein, l'être au monde,
Ç la prise de connaissance (1927) È 27
4.3. Binswanger et l'espace thymique 30
4.4. Viktor Von Weizsäcker 33
4.5. Erwin Straus 35
4.6. Henri Maldiney 37
4.7. L'expérience pathique en situation de privation de
liberté 39
5. Chapitre V: Les phénomènes vécus en
prison 40
5.1. Contact 40
5.2. Solitude 41
5.3. Souffrance 42
HES-GE Travail de bachelor
|
5.4. Frustration
|
43
|
5.5. Colère
|
43
|
5.6. Violence
|
44
|
5.7. Solidarité
|
46
|
Partie 3 : Analyse
|
47
|
6. Chapitre VI: Présentation des personnes
rencontrées
|
47
|
7. Chapitre VII : Questions générales (suivi du
fil rouge)
|
49
|
8. Chapitre VIII : Questions spécifiques
|
64
|
9. Chapitre IX : Phénomènes vécus en
détention
|
66
|
|
9.1. Woody
|
.67
|
9.2. Charles
|
68
|
9.3. Doe
|
70
|
9.4. Raphael
|
72
|
10.Chapitre X : Tableaux récapitulatifs des
expériences,
|
lieux
|
sensibles ou vécus comme expériences affectives
75
Conclusion 82
Limites du travail de mémoire 84
Bibliographie 85
Annexes
Annexe 1: Déclaration éthique 90
Annexe 2 : Engagement éthique réciproque 91
Annexe 3: Information et engagement de confidentialité
92
Annexe 4 : Grille d'entretien 93
Annexe 5 : Retranscriptions des entretiens 96
Annexe 6 : Entretien exploratoire 189
Partie 1: Introduction
1. Les étapes du module ÇTravail de
BachelorÈ 1
1.1. Objet d'étude
De nos jours, nous, auteures de cette recherche, avons la
conviction qu'il est primordial de vivre des relations affectives. Pour
qu'elles soient considérées comme positives, elles doivent
être source de bonheur et nous rendre heureux . Elles dépendent
souvent de notre capacité à créer des liens,
d'échanger.
Nous avons également remarqué que l'image
idéale est de vivre en couple.
Dans ce sens, nous avons choisi de diriger notre travail de
recherche à travers l'étude de témoignages de personnes
qui, de par leur acte répréhensible, se sont retrouvées en
milieu fermé avec d'autres sujets du même sexe qu'elles n'ont pas
choisis.
De plus, nous nous sommes particulièrement
intéressées au milieu carcéral car c'est un lieu oü
l'on vit en communauté tout au long de la journée et oü il
existe des espaces d'échanges divers. Lors de la prise des repas, les
moments de pause, la promenade, la douche, au travail, dans une cellule, tout
s'effectue en groupe. En effet, il est possible de se retrouver seul dans une
cellule mais seulement lors de l'exécution de la peine. Durant la
détention en préventive, il est pratiquement impossible d'avoir
des moments d'intimité.
Pour mieux conna»tre l'univers carcéral, nous
avons eu la chance de pouvoir rencontrer le directeur d'un pénitencier
et un surveillant . Ils nous ont permis d'entrer et de découvrir
certains lieux d'une prison.
Lorsque nous avons rencontré le directeur de prison et
le surveillant, nous pensions mener des entretiens avec des détenus.
Cependant, le directeur pensait quant à lui, qu'il serait plus facile de
construire notre mémoire avec le personnel encadrant.
Puis ne connaissant guère le milieu carcéral,
notre directeur de mémoire nous a fortement conseillé de nous
tenir à notre première idée plutôt que de faire des
entretiens avec le personnel encadrant.
Nous lui avons donc fait confiance et nous sommes
retournées avec conviction à notre premier objectif et avons
construit notre bachelor dans cette optique
1.2. Motivations personnelles
Nous travaillons toutes les deux dans le champ du handicap et
voulons aborder d'autres thèmes que ce que nous avons l'habitude de
côtoyer dans notre vie professionnelle.
Nous éprouvions le besoin d'élargir notre
horizon, pour être dans une vision plus généraliste et
peut-être changer nos représentations sociales sur
l'intégration et la discrimination. Nous avons eu toutes les deux, une
formation continue au sujet de l'affectivité et de la sexualité
des personnes vivant en situation de handicap avec Mme Agthe-Diserens
(sexologue). Durant cette formation, nous avons approfondi le sujet de la
sexualité, qui est souvent mal percu par les professionnels. C'est
encore un sujet tabou, mais pas seulement chez les professionnels,
également dans la majorité de la société; cette
dernière a des représentations (notamment , la vision
judéo-chrétienne) qui sont induites, peut-être par
l'idée, que le plaisir qui prime est considéré comme
immoral. La sexualité doit, hypothétiquement en premier lieu,
assurer la pérennité de l'espèce.
Ainsi certaines pratiques sexuelles comme la masturbation,
l'expérience homosexuelle et certaines personnes touchées dans
leur intégrité psychique et/ou physique sont le plus souvent
discriminées. Elles ne relèvent pas de la reproduction et, sont
donc la plupart du temps considérées comme des sujets tabous.
L'affectivité et la sexualité permettent
également de ne pas être seul et d'être en lien. C'est ce
deuxième sujet qui nous tient particulièrement à cÏur
et que nous souhaitions étudier dans le parcours de vie des
détenus.
Si nous avons privilégié la question de la vie
affective dans le milieu carcéral ferm é, c'est parce que c'est
encore un sujet tabou, même pour nous, ainsi peu abordé et cela
nous a donné l'envie de l'approfondir.
Par conséquent, nous avons utilisé
l'opportunité du travail de bachelor pour traiter cette question.
Après diverses lectures, nous avons pu constater que les
témoignages sur l'affectivité féminine et masculine
différaient.
En conséquence, nous avons préféré
cibler notre recherche sur le genre masculin car il nous semblai t que les
hommes ont plus de difficultés à exprimer comment ils vivent leur
affectivité.
Nous avons choisi l'adulte et non l'adolescent car ce dernier
est en pleine construction de sa personnalité et ainsi peut être
en prise avec d'autres phénomènes qu'un adulte pourrait vivre.
Ainsi, Ç nos objets È de recherche sont les
personnes incarcérées en prison, leurs conditions de vie, les
relations qu'elles ont avec leur environnement dans cette rupture
ponctuelle.
Pour notre part, nous pensons que la privation de liberté
n'entraine pas une absence de besoin d'affectivité pour les personnes
qui sont incarcérées.
De plus, nous proposo ns que la sexualité fasse partie de
la vie affective.
Dans nos motivations, nous avons eu différentes
réflexions dépendantes de la sociologie. La
société, pense-t-elle que lorsqu'il y a condamnation, les
détenus n'ont plus aucun droit? Ne peut-elle imaginer une
affectivité, des formes de sexualité au sein d'un groupe
d'individus de même sexe?
Nous avons finalement choisi pour ce travail de bachelor une
orientation phénoménologique pour éclairer quelque
<<chose>, de compliqué et de ne pas effectuer une lecture
sociologique de la vie en prison.
De plus, lors de notre formation à la HETS nous n'avons
pas étudié cette approche ainsi ce travail de bachelor nous a
permis d'élargir nos connaissances.
En bref, nos motivations découlent de deux axes
principaux. Le premier est l'envie d'élargir notre horizon professionnel
et le second de lever le voile sur le tabou de l'affectivité et de la
sexualité dans le milieu carcéral.
1.3. A priori- préjugés
Dans un premier temps , nous pensions que s'il existait une
exclusion de la société, il n'y avait également pas de vie
affective, que chacun était obligé de vivre pour soi. Dans un
deuxième temps, n ous imaginions que lorsque les personnes entrent en
prison, la vie affective est vécue avec violence. Dès lors, notre
souci était de rencontrer la réalité en interrogeant des
détenus.
Est-ce que la vie affective passe obligatoirement par des
rapports de pouvoir, de force et de domination en milieu carcéral?
Pour aborder ce thème nous avions surtout des
représentations à travers des films américains oü la
sexualité en milieu fermé est présentée comme
violente aussi bien au niveau des femmes que des hommes. Il nous est
également montré que toutes les personnes
incarcérées n'ont que le choix de <<finir >,
homosexuelles et de se battre contre des agressions voire des viols.
1.4. Questions, sous questions de recherche lors du
module <<Travail de Bachelor partie 1 >,
En débutant notre réflexion au sujet de notre
travail de mémoire, comme mentionné plus haut, nous souhaitions
approfondir le sujet de la sexualité dans le milieu carcéral.
En effet, nous nous sommes questionnées sur les
conditions de vie des détenus, les relations qu'ils ont avec leurs
environnements (codétenus, personnels encadrant etc...) durant cette
rupture ponctuelle.
De plus, nos interrogations se portaient sur la construction
des liens sociaux, des échanges entre détenus. Pouvaient-ils
créer des liens amicaux en détention dans leur vie
quotidienne?
Notre première question était <<comment les
personnes incarcérées vivent-elles leur sexualité dans un
milieu carcéral fermé? >,.
Par la suite, déjà dit une fois, nous avons
rencontré un directeur de prison qui nous a conseillé de nous
diriger vers le personnel encadrant . Pour lui, il était difficile de
prendre contact avec des détenus qui seraient d'accord de nous
rencontrer dans un parloir ouvert oü tout le monde pourrait entendre nos
entretiens.
En effet, il existe un parloir unique qui n'est accessible
qu'aux avocats et psychiatres. Notre question de départ s'est donc
modifiée : <<Comment les professionnels du milieu carcéral
fermé peuvent-ils répondre au besoin de la sexualité des
personnes incarcérées ? È.
Ensuite, nous avons rencontré notre directeur de
mémoire qui pensait qu'il serait plus judicieux de questionner les
détenus afin d'être certaines d'avoir une réelle vision de
leur vécu.
Nous avons donc fait le choix de reprendre notre première
idée et de poursuivre ce chemin.
Il nous a également été conseillé
de parler de vie affective au lieu de sexualité, cela nous permettant
d'aborder ce sujet avec plus de facilité et d'aisance car la
sexualité reste un thème délicat et encore tabou de nos
jours.
Ainsi, notre titre de garde est devenu: Vie carcérale,
liens sociaux et affectivité. Notre question de recherche est devenue la
suivante: <<Comment les personnes vivent-elles leur vie affective dans un
milieu carcéral fermé? È
Nous nous sommes aussi interrogées sur les
expériences en milieu extérieur et milieu intérieur:
sont-elles les mêmes ou pas? Est-ce que les détenus peuvent vivre
une vie affective, sexuelle en prison? Est-ce que l'incarcération
modifie la vie affective et sexuelle durant la détention ? Si oui,
est-ce que la modification perdure à la sortie? Enfin, est-elle
restreinte ou inexistante?
Puis, nous pensions également aborder le thème
des parloirs intimes qui sont installés dans plusieurs prisons suisses
(l ieu au sein d'un pénitencier qui permet aux couples formés de
plus de six mois, de se retrouver sans surveillance, durant une
demi-journée ou une journée entière).
Cependant, nous avons pu nous rendre compte, toujours gr%oce
à l'entretien que nous avons effectué avec le directeur d'une
prison, que le sujet du parloir intime est un sujet à lui seul.
Nous avons, finalement décidé de ne pas nous
pencher sur ce thème spécifique, tout en l'abordant dans notre
questionnaire car il est omniprésent chez les détenus.
Nous avons ciblé notre recherche pour comprendre ce que
les détenus vivent et comment gèrent-ils leur vie affective en
prison. Notamment, ce qui peut permettre une vie affective en prison ou la
restreindre, tout en espérant pouvoir aborder le thème de la
sexualité.
2. Les étapes de ce travail de mémoire
Comme pour tout travail de bachelor, nous avons dü
réfléchir à notre éthique et avons fait des
recherches à ce sujet dans le module ÇTravail de Bachelor partie
1 È proposé par la HETS et ceci pour nous permettre de mieux
construire notre grille d'entretien et mener nos entrevues.
2.1 Ethique
Notre sujet touche la sphère intime des personnes
incarcérées donc avant d'effectuer des entretiens, nous savions
que nous devions être vigilantes à ne pas révéler
les noms, l'âge, les lieux, afin de respecter l'anonymat des personnes
contactées. Lors des entretiens, les personnes devaient venir avec leur
consentement libre et éclairé. Nous leur avions expliqué
qu'elles pouvaient à tout moment se rétracter.
Nous voulions être particulièrement attentives
aux mots utilisés, aux questions que nous emploierions à ce
moment précis puisque c'est un sujet délicat et tabou. Il
était donc important pour nous de respecter leur intimité.
De plus, dans le processus de communication, nous avons
essayé de garder en tête qu'il y avait en Ç jeu les
problèmes liés aux relations
interpersonnellesÈ1. Dès qu'il y a des entretiens, une
suite d'interactions se produit entre l'enquêté et
l'enquêteur. Pour Bourdieu2, il existe un accord des
inconscients. L'enquêteur porte souvent Çau grand jour des choses
enfouies È, il aide à livrer la vérité ou à
s'en délivrer.
Etant donné que nous avons mené des entretiens
semi-directifs (explicités dans le chapitre entretien), nous avons
utilisé un dictaphone et pour cela nous avons souhaité demander
leur accord. En spécifiant bien que l'entretien était
confidentiel.
Notre terrain de recherche (la prison) est constitué de
règles sécuritaires institutionnelles extrêmement
importantes. Il nous a été demandé de les suivre à
la lettre.
C'est-à-dire que nous avons été soumises
à une fouille, nous ne pouvions pas enregistrer les entretiens en dehors
des bâtiments administratifs (en tout cas pour l'établissement que
nous avons visité). Nous nous sommes engagées à respecter
les règles institutionnelles quelques qu'elles soient.
Lorsque nous avons rencontré le directeur du
pénitencier, il a été d'accord que nous l'enregistrions
dans le bâtiment administratif. Mais il nous a été
impossible d'introduire le dictaphone à l'intérieur de la prison.
Nous avons dü le laisser à l'entrée.
1 Pittet, M (2004-2005). Propos sur les méthodes de
recherche (Module 110). Genève: IES-HES, Haute école de
Travail Social.
2 Sous la direction de Bourdieu , P., (1993). Document
comprendre. La misère du monde. Editions du Seuil.
Dès cet instant, nous avons su que nous devions nous
préparer à prendre de Ç bonnes È notes si nous
rencontrions des détenus dans cette prison voire dans d'autres lieux
fermés .
De plus, comme les parloirs pour les visiteurs étaient
communs, il était évident que nous allions rencontrer des
difficultés à recueillir des récits intimes, du fait que
d'autres individus étaient présents dans la même
pièce.
C'est également à cet instant, que nous avons
compris qu'il fallait changer d'environnement. Nous nous sommes dirigées
vers des personnes qui avaient vécues une détention et qui
étaient en semi-liberté ou libres. Le lieu serait donc choisi par
les sujets, et les entretiens seraient sans témoin.
A la fin de notre recherche, nous avons effacé les
entretiens après les avoir retranscrits.
Nous sommes conscientes que ce travail de mémoire sera
accessible à tous, donc, il était d'autant plus important pour
nous que les personnes Ç interviewées È, ne soient pas
reconnaissables dans les retranscriptions.
Le directeur de prison, quant à lui, nous a
demandé de lui donner seulement les conclusions de notre travail de
Bachelor. Nous le ferons volontiers car nous savons que nous ne livrerons pas
des informations touchant la sphère privée.
Ce travail sera également transmis au directeur du foyer
accueillant des personnes en semi-liberté afin que ces dernières
puissent accéder à ce mémoire.
2.2. Champ d'observation
Au vu du système de surveillance étroit qu'il
existe dans les lieux de détention et pour l'avoir vécu, il
était clair que nous ne pouvions pas utiliser ce terrain comme champ
d'observation. N'importe qui ne peut pas aller en prison et <<voir
È ce qui s'y passe.
Ainsi, nous étions obligées de recueillir les
informations différemment. Nous sommes allées à la
bibliothèque pour consulter les mémoires précédents
et trouver divers ouvrages. Nous avons pu constater que les thèmes de
l'affectivité et de la sexualité dans les milieux
carcéraux sont peu abordés. Dans le sens ou il existe de la
littérature mais elle est diluée dans divers
périodiques.
Au départ, nous pensions ainsi que le terrain de
recherche était inévitablement les prisons, et la population
ciblée les détenus ou éventuellement les praticiens. Mais
en cours de route, nous avons dü nous adresser au tissu social entourant
d'anciens détenus incarcérés. Il a été
beaucoup plus facile pour nous d'aborder le sujet , puisque le poids
institutionnel n'était plus présent.
Nous avons eu l'idée d'approcher des associations qui
s'occupaient d'anciens détenus.
Cependant, en discutant avec d'autres personnes faisant un
travail sur la résilience en prison, il nous a été
transmis que certaines associations ne voulaient pas entrer en matière,
nous n'avons donc pas entamé les démarches auprès de ces
dernières.
Nous avons pu rencontrer un directeur de pénitencier
gr%oce au << bouche à oreille È d'une amie qui le
conna»t personnellement. Il nous a clairement dit que sans cette amie, il
n'aurait pas accédé à notre demande.
Il en a été de même pour d'autres prisons.
Ce dernier nous a accueillies en nous spécifiant que si
nous étions venues il y a dix ans en arrière, le sujet
étant complètement tabou, nous n'aurions même pas pu
aborder ce thème. Mais que de nos jours, il y avait tout de même
une évolution dans les mentalités.
Ainsi tous les accès au milieu pénitencier ont
été possibles uniquement gr%oce aux contacts personnels.
Malgré le fait que la société est
aujourd'hui considérée comme libérée et plus
ouverte, il y a peu d'informations sur la condition de vie, les parcours de
vie, l'affectivité et la sexualité des détenus.
En effet, lorsque nous avons construit notre projet lors du
module <<Travail de Bachelor partie 1 È, en 2008, nous avons
trouvé deux auteurs connus qui nous paraissait intéressant en
matière de sexualité en prison: Dominique Lhuillier et Jacques De
la Haye.
Après avoir rencontré le directeur d'un foyer
accompagnant des personnes en semi - l i be rté , nous avons
trouvé dans la bibliothèque de la HES-GE, un autre auteur
(cité dans la partie corpus théorique), qui a publié un
livre avec plus de soixante témoignages de détenus.
Comme écrit dans notre esquisse pour le module
<<Travail de Bachelor partie 1 È, pour nous, il était
important de pouvoir comprendre les enjeux d'un sujet dit tabou.
Suite à diverses lectures, nous avons pu constater que
lors d'une privation de liberté, l'identité des personnes est
fortement touchée.
Ils commencent par être un numéro de dossier,
puis, se perdent dans un nombre important de détenus, confiné s
dans un même endroit et les besoins individuels sont peu pris en compte.
Nous souhaitions aller au cÏur de ce probléme surtout que c'est un
milieu sécuritaire ou il n'est pas facile d'accéder.
Pour pouvoir aborder des personnes en semi-liberté,
nous avons également fait fonctionner notre réseau social. Nous
avons pu rencontrer le directeur d'un foyer de personnes vivant en
semi-liberté gr%oce à une connaissance qui a un lien familial
avec ce dernier. Il nous a introduites dans le lieu et nous avons pu ainsi,
nous présenter aux résidents.
Notre directeur de mémoire nous a également
aidées gr%oce à ses contacts dans le milieu
pénitentiaire.
Il a rencontré un autre directeur d'un foyer de personnes
vivant en semi-liberté et par conséquence, nous avons pu entrer
en contact avec lui par courrier électronique.
Ce dernier étant trés pris, il était ouvert
à des entretiens téléphoniques.
Il nous a envoyé des observations écrites sur notre
grille d'entretien, il nous a permis ainsi une remise en question fort
judicieuse sur les themes que nous allions aborder.
Pour finir, n'ayant pas pu accéder au champ
d'observation qui était la prison, nous avons fait le choix de nous
diriger vers des foyers accueillants des personnes en semi-libertés afin
que nous puissions rencontrer des hommes avec un parcours carcéral.
2.3. Questionnaire, type d'entretien
A travers les entretiens, nous avons pu accéder aux
informations nécessaires pour la rédaction de ce
mémoire.
Dans le module ÇTravail de Bachelor partie 1 È,
nous souhaitions mener des entretiens avec les détenus.
Aprés réflexion, et d'aprés la population
choisie, il nous est apparu plus judicieux d'adopter le modéle de la
grille d'entretien. Ce qui nous a permis d'avoir en vue, les themes principaux
que nous souhaitions aborder avec eux. Il est bien évident que ce genre
d'entretien supposait que nous ayons dégagé et agencé des
hypotheses.
Avant même d'avoir rencontré le directeur du
pénitencier, nous avons été conscientes qu'il nous fallait
un nombre suffisant de personnes acceptant de répondre à nos
questions ainsi que leur accord.
Notre choix s'est porté sur l'entretien semi-directif
(un fil rouge tout en laissant la liberté à la personne
questionnée de s'en écarter parfois). Il n'est ni totalement
fermé (questions dirigées sans déroger du fil rouge), il
permet de retracer les parcours de vie des détenus plus facilement sur
leur existence en prison.
Nous avons pensé que si les personnes ne voulaient pas
nous rencontrer lors d'entretien semi directif, il serait possible de
diffuser des questionnaires oü nous aurions pu recevoir un recueil
d'informations plus important. Ils auraient également
pu développer leurs réponses par écrit.
Malgré cela, nous avons persévéré et avons
effectué des entretiens semi-directifs.
Quant aux questionnaires, nous n'aurions pas eu l'assurance de
les obtenir en retour. En lisant d'autres mémoires, nous avons
observé les difficultés que les personnes ont rencontrées
pour en recevoir un nombre suffisant pour effectuer une analyse correcte.
De plus, nous savions qu'il existait un danger de transmettre les
questionnaires car parfois les réponses aux questions fermées
biaisent le recueil d'informations.
Gr%oce au travail lors du module ÇTravail de Bachelor
partie 1 È, nous étions conscientes que de temps en temps les
Ç enquêtés È pouvaient saisir l'occasion de
témoigner, de se faire entendre, de porter leur expérience de
leur sphère privée à la sphère publique pour
construire leurs propres points de vue. C'est comme une
3
autoanalyse provoquée et accompagnée par nous(voir
item les enjeux éthiques) et nous y avons été ainsi
attentives lors de la construction du questionna ire.
Dans la mesure du possible, nous voulions instaurer un climat de
confiance (voir item analyse entretiens) et que cela n'apparaisse pas comme une
curiosité malsaine.
Nous savions également que parfois les personnes
peuvent penser qu'elles passent un examen. Elles pouvaient peut-être
avoir peur de mal répondre etc., car les questions sont porteuses
d'enjeux et peuvent induire les réponses.
Suite à diverses lectures au sujet des questionnaires
directs et indirects, nous avons pris conscience que nous devions être
particulièrement attentives à certains détails. Les
questions devaient être compréhensibles, simples, tenir compte de
l'ordre des mots.
Afin de nous permettre d'avoir une connaissance objective,
pour ne pas être intrusives dans leur vie, nous leur avons demandé
avec une question générale qu'est-ce qu'elles avaient envie de
nous dire sur elles-mêmes.
Les questions ouvertes permettent de recevoir des informations
sur des sujets délicats, ce qui était bien notre intention.
Nous avons donc fait un entretien à usage exploratoire
pour cibler notre piste de travail de recherche et être habituées
au contexte pénitencier pour acquérir une certaine aisance lors
des entretiens avec la population choisie.
En cas de besoin, le directeur du pénitencier, nous
avait également donné son accord pour des entretiens
complémentaires avec lui, afin de compléter les données
récoltées.
Nous avons fait attention au lieu de rencontre pour qu'il soit
neutre et que les personnes puissent se sentir à l'aise dans un climat
de confiance. Premièrement, nous leur avons demandé si elles
avaient un lieu en tête puis si elles n'avaient pas d'idée, nous
leurs avons proposé une salle de cours à la HETS. Certains
entretiens se sont déroulés dans une salle de classe et d'autres
dans le bureau de notre directeur de mémoire faute de salle de cours
libre.
3 Sous la direction de Bourdieu, P., (1993). Document comprendre.
La misère du monde. Editions du Seuil.
2.4. La collaboration entre nous
Toutes les deux avons choisi d'Ïuvrer ensemble sur ce
travail de recherche car nous avons effectué notre formation en emploi
dans la même classe et avons l'habitude de collaborer.
Nous nous sommes apercues que nous étions
complémentaires dans la rédaction des divers travaux de groupe.
En effet, Roseline ayant plus d'aisance avec les concepts théoriques et
Rachel avec la pratique.
Le choix de notre sujet s'est fait au fil du temps, durant nos
nombreuses discussions à refaire le monde dans un lieu mythique de la
rue de Carouge <<La Sportive È autour d'un verre de vin blanc.
Au départ, nous avons eu des divergences pour savoir
sous quel angle nous allions aborder le thème. Pour finir, nous avons su
nous mettre d'accord en alliant nos envies, nos craintes et nos doutes.
Au début du processus, nous étions
animées de motivations puis au fil du temps, nous avons eu par instant
des moments de relâchement. Cependant, il y en avait toujours une qui
avait l'énergie pour motiver l'autre. Nous savions que nous pouvions
nous reposer l'une sur l'autre dans ces moments-là.
Dans un premier temps, nous avons même pu accorder nos
temps de travail pour libérer une plage horaire pour travailler sur le
mémoire.
Dans un deuxième temps, à cause des contraintes
liées à nos emplois, nous n'avions plus les mêmes plages
horaires pour nous rencontrer. Nous avons donc par la force des choses dü
étudier chacune de notre côté et ceci a ralenti
l'avancement de ce travail. Mais il était important et indispensable de
nous rencontrer au moins une matinée toutes les deux semaines pour
mettre en commun les fruits de nos écrits.
Par moment, nous avons eu des mots, mais nous savions à
quel instant nous devions nous taire. Nous avons su respecter nos moments de
silence et nous avons profité aussi de longs moments de fous rires.
Ce fut un réel bonheur de collaborer ensemble.
2.5. Evolution dans le corpus théorique
Lorsque l'affectivité est abordée, nous avons
constaté que le sujet est vaste, beaucoup de concepts associés au
mot affectivité apparaissent. Invariablement, nous nous dirigions vers
une étude sociologique car la majorité des ouvrages utilise cette
approche.
Nous voulions comprendre certains termes comme << besoins
È, <<affect È, << affectivité È,
<<sentiment È, << échange È, <<
relations È.
Nous désirions également différencier la
relation du côté individuel et du coté collectif.
Il y avait tellement de concepts que pendant plusieurs mois,
nous avions perdu de vue notre premier objectif qui était de mieux
comprendre comment les individus échangent lorsque la vie quotidienne
est ponctuée par une rupture avec l'extérieur.
De cette manière, nous avons dü faire un choix parmi
les nombreux concepts pour garder notre fil rouge sur les moments
d'échange.
Notre directeur de mémoire a réussi à nous
centrer sur l'approche phénoménologique, soit la relation
homme-monde.
Cependant, comme de nombreux penseurs ont traité le
sujet et que leurs concepts s'imbriquent souvent les uns dans les autres, la
construction de notre corpus théorique a été longue et
compliquée.
Il a fallu de nombreux mois pour que nous puissions enfin
rédiger un texte cohérent et articuler les concepts entre eux.
Pour finir, ce sont les entretien s qui nous ont permis de cibler
certains concepts essentiels à notre mémoire et ainsi construire
l'ordre de nos chapitres.
2.6. Problématique
Certains rapports entre les individus qui vivent en prison
sont faits de pouvoir. Ceux- ci sont normés et régis par un
nombre de règles strictes. La prédéfinition des
emplacements (travail, lieu de repas, rencontre avec les proches, etc.)
à heure fixe, et les types de relations (rencontre avec la psychologue,
etc.) en font partis.
Les rapports non normés restent dans l'ombre. Les
expériences des détenus lors de contacts affectifs sont peu
relatées aussi bien oralement que par écrit.
Malgré des reportages journalistiques et visuels, les
thèmes de l'affectivité et de la sexualité, en
général, sont encore tabous pour la majorité d'entre nous.
Ces sujets sont la plupart du temps fantasmés et pas souvent
objectivés.
En ce qui concerne le sujet qui nous intéresse plus
particulièrement c'est-à-dire la prison, nous avons
constaté que la société, la plupart du temps, ne peut pas
concevoir que les détenus puissent avoir une affectivité ou une
sexualité en prison. En effet, comme il y a eu délit, acte
sanctionné, les prisonniers sont privés de quasiment tous leurs
droits. Ils sont ainsi également dépossédés, en
quelque sorte, de leurs droits à avoir une vie affective, à avoir
des échanges.
Nous avons pu lire dans divers ouvrages que la plupart du temps,
l'affectivité et la sexualité sont niées en prison par la
majorité du personnel surveillant.
De plus, selon le gardien rencontré, il n'y a pas
d'échanges affectifs car il n'en a jamais vu. Cependant, il a
également dit qu'il se doutait qu'il devait y avoir des
expériences affectives.
Lors de préventive, les détenus ont peu de moments
de partage qui est de leur ressort.
Les échanges authentiques peuvent se faire la plupart du
temps uniquement lors des promenades.
Normalement, la préventive dure moins d'une
année. Cependant, il existe des prévenus qui vivent plus d'une
année en préventive car souvent leur jugement est en attente ou
en perspective d'un transfert après un jugement.
Ils sont obligés parfois de vivre jusqu'à quatre
en cellule alors qu'initialement cette dernière était concue pour
deux personnes. Un espace d'échange est là, mais la cohabitation
semble difficile.
Quant aux détenus effectuant une longue peine, ils ont
le droit à l'intimité lors des week-ends car les cellules sont
ouvertes et peuvent se déplacer comme ils le veulent sur l'étage
(selon entretien avec le surveillant interrogé, cité
auparavant).
Cependant, même si les portes ne sont pas
verrouillées, les gardiens font leur travail de contrôle, leur
regard est présent puisqu'ils sont obligés, de par leur cahier
des charges, de surveiller le quotidien des détenus.
Finalement, le système pénitentiaire peut
souvent être percu comme un endroit totalitaire. Parallèlement,
pour nous, il peut y avoir des espaces d'existence comme nous allons l'aborder
dans le corpus théorique.
2.7. Objectifs
Objectif theorique
Repérer la notion d'affectivité à partir du
courant phénoménologique. Objectifs de
terrain
Rencontrer des détenus.
· Questionner des détenus qui ont
été confrontés à une privation de
liberté.
Comprendre ce que les détenus donnent à voir et
à entendre au sujet de la vie affective et si elle existe.
Comprendre comment les détenus sont acteurs dans leur
vécu.
Identifier les moments pathiques (voir corpus théorique),
dégager un phénoméne ou plusieurs.
Comprendre comment les espaces d'existence se mettent en
place.
Entendre les expériences relationnelles des
détenus (joie tristesse, conflits, etc.).
Objectifs d'action
Augmenter nos compétences sociales relationnelles dans le
champ du milieu carcéral.
Augmenter nos existants dans l'être-ensemble.
Comprendre comment les détenus sont acteurs.
Susciter des nouvelles interrogations au sujet des tabous et des
Ç à prioriÈ des lecteurs.
2.8 Hypothése
Nous nous sommes intéressées à comprendre
ce que les expériences affectives des détenus en milieu
carcéral ouvrent pour eux, par rapport à eux-mêmes, aux
autres et au monde.
Nous supposons que les détenus sont des acteurs
impliqués dans des rencontres avec d'autres qui produisent des
expériences affectives voire sexuelles.
La privation de liberté n'entra»ne pas une absence de
besoin d'affectivité.
Partie 2 : Corpus théorique
1. Chapitre I: Introduction/Choix de l'approche
phénoménologique
Dans le but de nous permettre de construire notre grille
d'entretien, d'affirmer ou d'infirmer notre hypothèse et de
développer notre analyse, nous avons exploré l'approche
phénoménologique.
Cette dernière est définie par le petit Larousse
comme l'étude descriptive des phénomènes ou l'ensemble de
faits observables, d'événements tels qu'ils se donnent à
nous.
Ce qui, à nos yeux, peut permettre d'expliquer, de
découvrir , de se fonder sur des faits vécus de ce que peuvent
vivre les détenus en prison de la relation homme - mon de , de la
dynamique du lien à autrui.
Tout d'abord, nous allons expliquer pourquoi nous avons fait
le choix de nous baser sur l'approche phénoménologique. En effet,
tout ce qui touche au domaine de l'affectif est complexe.
Par ce mémoire, nous désir ons plutôt nous
centrer sur une approche humaine, un travail de compréhension de la
présence et du sensible au monde.
Pour la suite du développement de notre corpus
théorique, nous allons expliquer quelques mots clés pour mieux
comprendre l'affectivité et la sexualité
Puis, nous allons également différencier les
différentes altérités qui peuvent se vivre lors de
détention ponctuelle en nous appuyant sur le livre d'Arnaud
Gaillard4.
Notre référence centrale est la
phénoménologie. Toutefois, nous trouvons chez Gaillard une
pensée claire qui nous permet d'exposer la question de
l'altérité en ses différentes modalités.
Pour notre travail, du point de vue
phénoménologique, l'altérité nous appara»t
comme trop abstrait e.
Ayant toutes les deux lu le livre de Gaillard (les personnes
Çinterviewées È également), son approche
sociologique nous permet de définir les choses, de situer nos
interlocuteurs dans l'altérité et de les rejoindre par cette
lecture commune.
Ensuite, pour pouvoir comprendre la suite de notre corpus
théorique, nous allons faire référence à des
philosophes5 et à des médecins importants qui ont
influencé la méthode phénoménologique.
Au début du XXème siècle la philosophie se
dégage de la psychologie. Ainsi au XXème siècle la
phénoménologie est une des orientations majeures .
Pour commencer, nous avons décrit brièvement les
idées clés d'Edmund Husserl (1859-1938).
4Gaillard, A. (2009). Sexualité et prison :
désert affectif et désirs sous contrainte. Edition Max
Milo.
5Philosophes: ont un ensemble de questionnements,
de réflexions, de recherche sur l'existence humaine. Regardent
également le rapport, du sens de la vie de l'homme au monde, de son
propre savoir. Etudient les principes fondamentaux d'une activité, d'une
pratique sur leur sens et leur légitimité.
Puis, nous nous sommes intéressées à
Martin Heidegger (1889-1976) pour comprendre l'enjeu de la
phénoménologie, la philosophie de l'expérience, la
dictature du Ç on È.
Avec Ludwig Binswanger (1881-1966), nous appréhenderons
mieux l'espace thymique et comprendrons davantage comment la
phénoménologie peut s'appliquer dans l'expérience
clinique.
Nous nous sommes également penchées sur Erwin
Straus (1891-1975, plus particulièrement le moment pathique), Vicktor
Von Weizsäcker (1886-1957), Jacques Schotte (1928-2007) qui étaient
médecins, psychiatres mais fortement influe ncés par la
pensée philosophique issue de la phénoménologie.
Ces penseurs ont pu exprimer que certains
phénomènes vécus dans la vie quotidienne ne peuvent pas
toujours être expliqués rationnellement, c'est-à-dire par
une connaissance de comment nous sommes construits. Ces philosophes et
médecins se sont nettement distanciés par exemple de René
Descartes (1596 -1650) et d'Ivan Pavlov (1849-1936) qui ont vu les animaux
comme des objets, des robots. Ils ont mis en avant que des moments pathiques
peuvent Ç appara»tre
È et qu'ils sont
liés à l'ouverture, la surprise,
l'étonnement, etc.
Henri Maldiney (philosophe, 1912 à nos jours) nous
intéresse plus particulièrement pour expliquer les notions
d'implication, de mouvement et de rythme en phénoménologie.
Nous allons également exposer le lien qui existe entre
un moment pathique (expliqué par Straus et de nos jours par Maldiney) et
l'affectivité vécue en prison pour voir si oui ou non nous
pouvons Ç découvrir une réalité
Çindépendante È des outils d'observation sensibles et
conceptuels È qui sont utilisés de nos jours.
Pour finir, nous avons dégagé quelques
phénomènes vécus en prison. Notre choix de certains
phénomènes, plutôt que d'autres, sont justifiés par
le fait que les personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenues les ont
fait le plus Ç appara»tre È.
1.1. Choix de l'approche
phénoménologique
6
Avec E. Marc, D. Picard et G. -N. Fischer , nous pouvons
remarquer que dans la littérature, il y a abondance de champs
théoriques, de concepts et de démarches pour expliquer toutes
formes de relations et d'échanges.
Les auteurs ont saisi plusieurs regards au niveau des
communications interpersonnelles comme sur les formes structurelles du
phénomène ou sur les aspects fonctionnels dynamiques et
interactifs.
Cependant, la plupart du temps chacun amène un point de
vue sur une réalité complexe dont il n'éclaire qu'un
aspect. Ces concepts prennent en compte un des coté du
phénomène relationnel.
6 2ème
Marc, E., Picard, D., & Fischer , G.-N. (2008). Relations
et communications interpersonnelles . DUNOD , edition
Par exemple, les professionnels, pour qui il existe un
processus de changement du côté relationnel de l'individu ou dans
sa personnalité, peuvent utiliser plusieurs modèles comme le
modèle systémique, le modèle psychanalytique, et/ou le
modèle cognitiviste. Parfois ces différentes approches sont
combinées entre elles selon le contexte dans lequel se situe la
personne.
En résumant, nous pouvons nous dire que ces diverses
approches méthodologiques d'intervention en travail social dans les
pratiques psychosociales insistent sur une exploration à visées
interprétatives.
Elles expliquent le fonctionnement du monde interne de la
personne (approches psycho dynamiques) ou de la communication du sujet au sein
de ses systèmes sociaux et familiaux (approches systémiques) ou
encore au niveau des schèmes cognitifs de l'individu et de leurs
corrélats comportementaux (approches cognitivo - co m po rte me nta l es
)7.
Le modèle systémique s'appuie sur la notion de
système, c'est Ç un ensemble d'éléments en
interaction, ainsi une modification quelconque de l'un d'eux entra»ne une
modification de tous les autres È comme par exemple , dans un orchestre
8
, . Nous
ne désirons pas, pour ce travail de mémoire,
mettre en avant les problèmes de communication même s'ils existent
en prison, alors nous n'avons pas construit notre travail à l'aide de ce
modèle.
En ce qui concerne la méthode psychanalytique, si nous
avons eu des cours de psychologie à la HETS, pour appréhender
certains mécanismes internes, nous ne voulons pas à travers ce
travail de bachelor comprendre le monde interne des personnes
interviewées. Nous ne souhaitons pas connaitre le pourquoi de leur acte.
Nous n'espérons pas apporter un niveau psychologique dans l'analyse sur
leurs agissements avec d'autres détenus, surveillants
etc. au niveau affectif.
Nous ne désirons surtout pas que les dires des personnes
interviewées soient interprétés.
Ou alors, apprendre que leurs compor tements affectifs sont
dans une dynamique entre les pulsions et les défenses, comme le pensait
Sigmund Freud en disant que le conflit névrotique se noue autour du
désir lié étroitement à la sexualité.
Le modèle cognitivo-comportementale prend en compte
d'abord le processus conscient et s'intéresse surtout au niveau des
conduites exprimées par différentes émotions. Nous ne nous
sommes pas penchées sur ce modèle car nous désirons
surtout être à l'écoute de ce que les personnes ont
à transmettre de leur vécu sans forcément entrer dans leur
processus de changement ou pas.
Pour finir, d'un point de vue sociologique comme par exemple
pour Pierre Bourdieu, l'affectivité et la sexualité sont le fait
de normes en vigueur, de la culture et des rites transmis.
D'un point de vue sociologique, le sociologue cherche
plutôt à catégoriser les Ç choses È. Il
constate comment les personnes peuvent s'y prendre de manière
groupale.
7 Pittet, M (en cours). Enquête sur le rythme et
l'implication dans les pratiques d'accompagnement psychosociale - Implication
rythmique dans le partage intersubjectif d'expériences affectives et
émergence d'un savoir comme objet de formation en travail social.
Genève : HES-SO, Haute école de travail social.
8: Notes de recherche : Les Thérapies
systémiques : historique (Palo Alto)-:
Récupéré le 15.03.2012 de
http://www.therapiestrategique.fr/documents/historique
PaloAlto.pdf
Comme déjà écrit précédemment,
nous souhaitons vraiment nous baser sur le moment, l'instant vécu des
détenus en prise avec des phénomènes divers.
Même s'il est important d'avoir une vue d'ensemble du
sujet travaillé, nous avons fait le choix de réfléchir
plus spécifiquement sur le concept phénoménologique, qui
à notre point de vue, peut donner une dimension plus profonde à
notre travail de mémoire et qui peut essayer d'émouvoir, de
toucher nos lecteurs sur les moments d'existence affectifs des
détenus.
De plus, nous voulons en étant dans la rencontre avec
le s détenus que leurs expériences d'absence de liberté,
deviennent pour nous un moment essentiel dans notre qualité
d'écoute, d'accueil, d'empathie, d'ouverture, de lâcher -prise, de
travailleuses sociales en nous laissant voir et en dévoilant leur
vécu.
Avant de construire notre corpus théorique pour le travail
de bachelor, il était important de nous mettre d'accord pour
définir ce qu'est l'affectivité et la sexualité.
2. Chapitre II: Différence entre
affectivité et sexualité
L'affectivité se base sur le sensible, le ressenti. Le
sensible est tout ce qui est percu par les sens qui sont les organes de
perception du corps. La perception relie l'action du vivant par
l'intermédiaire des sens au monde, à l'environnement. Puis, il en
résulte des émotions, des sentiments.
Le mot sexualité appara»t avec les débuts de
la psychanalyse.
Lors d'échanges, il existe un mouvement vers des zones
particulières du corps dites plus sensibles comme la bouche, les
oreilles, les parties génitales, etc. oü l'excitation est
présente. La forme la plus aboutie de la sexualité est
l'accouplement. Pendant, les rapports, diverses émotions peuvent
appara»tre.
2.1. Besoins-Emotions
Pour arriver à expliciter ce que sont les émotions,
nous devons premièrement aborder le mot Ç besoin È.
Nous avons des besoins biologiques comme l'air pour respirer,
l'eau pour s'hydrater. Dans les besoins primaires nous retrouvons les principes
de survie, de nourriture, de reproduction.
Toute personne a la nécessité de satisfaire des
besoins qui lui sont propres.
Un besoin, n'implique que nous-mêmes (n'implique que la
personne elle-même) comme le besoin de manger, de chaleur, de se
divertir, de justice, d'exprimer son affection, sa sexualité.
Tant que le besoin n'est pas satisfait, il engendre
très souvent frustration, déception, peur, colère,
tristesse, souffrance, rancÏur, haine, rage, terreur, choc, chagrin,
angoisse, mépris, anxiété, stupéfaction.
Cela permet également de voir que lorsqu'il y a un
échange et l'essai de satisfaire ses besoins, des émotions
apparaissent.
Etymologiquement, Ç émotion È vient du latin
motio, qui signifie action de mouvoir, mouvement et exmovere
Ç mouvement hors de È.
9
Jean Jacques Crèvecoeurne parle pas d'émotions
négatives ou p ositives, de base ou secondaire comme d'autres auteurs
mais d'émotions agréables ou désagréables car, pour
lui elles ont toujours un rôle utile.
Les émotions peuvent provoquer des
phénomènes. Parmi les nombreux phénomènes, nous
pouvons trouver de la joie, de la tristesse, du dégout, de la peur, de
la colère, de la surprise, du bonheur, de la souffrance, de la solitude,
de la violence.
D'un point de vue phénoménologique, ce sont les
émotions qui permettent d'exister, d'avancer, d'amorcer un
changement.
Beaucoup d'auteurs ont démontré que le besoin
d'amour et d'affection est un besoin fondamental à tout être
humain.
Ce besoin d'amour peut se présenter sous diverses
manières comme par l'amitié, la tendresse, la complicité,
l'amour filial qui participent à l'équilibre, au rythme (concept
présenté plus loin avec le paragraphe sur Maldiney page 37) de
l'être humain.
Pourtant, selon un professionnel interrogé, il n'y a pas
de sexualité en prison. Dans le livre de Gaillard cette phrase est
également prononcée mais du côté des
détenus.
Ainsi, l'affectivité et la sexualité sont des
sujets qui apparaissent comme si on ne devait pas en parler en prison par
crainte ou par pudeur, et peut-être, parce que ce sont des personnes
privées de liberté.
En même temps, mettre des mots, décrire les
histoires de vie, les attentes des détenus nous apparaissent comme
essentiel.
En effet, les détenus entrent, la plupart du temps, en
tout cas en Suisse, dans un univers affectif avec des personnes du même
sexe oü il y certes du personnel pénitencier féminin, mais
tout de même dans un environnement ou les échanges ne sont pas
facilités.
Ne pas prendre en compte le besoin d'amour et d'amitié
en prison peut amener une souffrance, une solitude, une violence interne ou
externe, de la frustration, de la colère ou autres.
Cependant, il peut aussi se créer un moment
d'échange inattendu, une rencontre exceptionnelle.
Pour continuer d'avancer dans notre corpus théorique et
pour mieux comprendre l'univers affectif des détenus, et comme
écrit précédemment pour avoir un référentiel
commun, nous avons construit ce chapitre, à l'aide des idées de
Gaillard. Différentes altérités et besoins peuvent
être vécus en prison et lors des entretiens que nous avons
effectués, ces thèmes ont été abordés.
9Crèvecoeur, J.-J., Salomon, P (1997)
(Préface).Relations et Jeux de pouvoir: Comprendre,
repérer et désamorcer les jeux de pouvoir par la DYNARSYS. Le
troisième Iris Editons.
Chapitre III : Les différentes
altérités vécues en détention
3.1. Altérité manquante
La singularité de chaque détenu influence son
vécu en détention. Seulement et inévitablement, les
détenus vivent des rapports affectifs différents avec leur
famille, aussi bien au niveau conjugal que filial puisqu'il existe une
privation d'altérité. Immédiatement, des questions peuvent
se poser à leur esprit.
Comment faire exister une affectivité en prison dans un
espace monosexué, alors qu'il manque un être < choisi È
vivant dehors?
Comment les détenus peuvent-ils < être È,
< se sentirÈ avec l'absence de l'autre? De plus, il se peut que cette
absence soit ravivée par un appel téléphonique, une
lettre, une visite, une photo. Cela peut impliquer un manque de tendresse, de
séduction.
Des angoisses peuvent appara»tre comme des images de
séparation, d'infidélité.
En vivant avec le même genre et des gardiens, même
s'il existe des gardiennes, la séduction du sexe opposé est
souvent difficile. En effet, la plupart du temps, les gardiennes font leur
travail de surveillance et sont sollicité es par la hiérarchie
dans ce sens, ce qui peut induire un réel manque de reconnaissance de
soi.
3.2. Altérité consentie
Dans un univers constitué à la majorité
avec des hommes, ces derniers ont le choix de vivre une altérité
consentie pour pallier à l'éventuel manque de
l'altérité manquante.
Les hommes privés de liberté peuvent se poser
les questions suivantes: en tant qu'homme d'aujourd'hui, ai-je envie de
concevoir un échange affectif avec le même sexe?
Est-ce que je peux exister autrement ?
Ne vais-je pas avoir de la difficulté à assumer le
regard des autres détenus ?
La grande majorité des hommes ne voit-elle pas d'un
mauvais Ïil les contacts avec le genre semblable?
Trés souvent, à l'intérieur et en dehors
de la prison, il existe un discours homophobe. < On È pense qu'avoir
un échange avec le même sexe n'est pas <normal È. Cela
présume dans la plupart des cas de vivre une humiliation
supplémentaire.
En général, dans la bouche des hommes, les mots
affectivité, séduction
etc. ne peuvent pas être
imaginés lors de contact avec le même sexe.
Ils ne peuvent pas imaginer se faire simplement un massage,
exprimer de la tendresse, ou avoir une discussion un peu plus
intime.
Le fait d'exprimer du dédain, du dégout , permet,
peut-être, de garder une distance pour ne pas être
dénigré au sein de la prison comme au dehors.
Encore aujourd'hui, malgré une plus grande
tolérance, les actions ou les échanges consentis entre hommes
sont percus comme une atteinte à la virilité, à la
masculinité. Quoi qu'il arrive, il semble que ce sera un être en
perdition.
3.3. Altérité contrôlée
Le parloir est le lieu oü des échanges affectifs
peuvent se produire sous les regards des surveillants. Ç Un parloir,
c'est pour moi l'occasion de Ç refaire le plein d'affection È
(...). C'est un court instant en dehors du temps È (Gaillard, 2009,
p.216).
La plupart des prisons suisses sont équipée s d'un
parloir commun avec des tables et des chaises.
Les détenus ont droit aux échanges avec
l'altérité manquante mais Ç avoir È un parloir
(sous-entendu voir quelqu'un) est contraignant pour les personnes venant de
l'extérieur.
En effet, ce sont les personnes extérieures qui font les
démarches pour rendre visite aux personnes privées de
liberté.
Par conséquent, les détenus sont en attente que les
autorisations soient accordées.
De plus, il existe un manque d'intimité dans un parloir
commun. Montrer certaines conditions de vie en prison, équivaut,
notamment, pour les enfants à assister à des scènes qui
peuvent choquer.
Cela implique parfois, que certains détenus refusent les
visites pour ne pas heurter leurs proches, leurs enfants ou pour ne pas
être plus déprimés qu'auparavant.
Un paradoxe peut être vécu par les détenus
lors de ces entrevues. Comme le lieu de rencontre est ouvert et même si
les détenus ont droit à l'intimité, des gestes ou des
paroles trop équivoques sont souvent reprochés par le
règlement institutionnel car il faut appliquer un minimum de pudeur.
Nous pouvons noter que dans certaines prisons suisses, il
existe un parloir familial (une seule pièce) pour accueillir la
conjointe et les enfants. Mais il n'en demeure pas moins que les parents ne
peuvent manifester la même affectivité en présence des
enfants.
Pour finir, il existe trois prisons pour longues peines, qui
ont un lieu spécifique pour pouvoir rencontrer, sous certaines
conditions, sa conjointe, sa compagne. Equipé d'une cuisine, d'un lit
(avec bien sür, des draps), de tables de nuit, d'un canapé, d'une
table, de chaises et une salle de bain.
De longues démarches administratives et restrictives sont
à effectuer. Dès lors, tous les détenus ne peuvent pas
profiter de cet environnement .
3.4. Altérité virtuelle,
matérialisée
Si aucune des trois altérités mentionnées
plus haut n'est envisagée ou possible par le détenu, il envisage
parfois la pratique solitaire et l'utilisation de matériel divers .
L'altérité virtuelle ou matérialisée n'est pas
envisagée dans ce travail comme un acte mais comme un substitut pour
évacuer, pallier à un manque ponctuel d'un échange
possible avec un être aussi bien dans la prison qu'au dehors.
Ces altérités en prison peuvent être
conjuguées de différentes maniéres selon les besoins
individuels des détenus.
Certains détenus assurent dans le livre de Gaillard qu'ils
préférent une relation affective qui comporte le partage avec
l'autre.
Lors des entretiens avec Gaillard, les détenus, en
majorité parlent en premier lieu de tendresse pour ensuite invoquer le
manque de partage affectif filial.
De plus, ces personnes incarcérées font
attention plus particuliérement à leur corps. Ils pratiquent par
exemple une musculation intense, ce qui leur permet, peut-être, par la
suite de continuer à séduire.
Ces détenus prennent Ç leur mal È en
patience.
ÇOn peut trés bien faire sans (...).È
(Gaillard, 2009, p. 76) et se rappellent les moments de leur vie à
l'extérieur lorsqu'ils étaient sans partenaire.
Gaillard reléve également que pour certains
détenus Ç l'interdiction È appartient
historiquement à la peine privative de liberté, ils n'en font pas
cas. D'ailleurs un détenu interrogé dans le livre dit: Ç
(...) Je suis restreint dans mes facilités, il faut faire comme dehors,
c'est-à-dire avec les possibilités qu'on a. Je ne vais pas me
torturer l'esprit en parlant ou en pensant tout le temps à quelque chose
que je ne peux pas faire. È (Gaillard, 2009, p 77).
D'autres détenus ont témoigné en disant que
dehors ils ont eu peu de relations affectives et ou surtout c'était la
tendresse qui primait.
En conséquence, ces détenus ne cherchent pas
forcément de rapports affectifs à l'intérieur de la
prison. Même si leur esprit envoie de temps en temps un message de besoin
au corps: Ç(...) je me masturbe une fois par mois (...) pour voir si la
machine fonctionne encore (...) È (Gaillard, 2009, p 81).
Plusieurs détenus vont plus dans le sens de vivre
l'expression d'un bien-être, de la satisfaction d'un désir avec
l'autre avec des pratiques en quantité suffisante qui permettraient de
conjuguer le corps et l'esprit.
Il se peut que ces personnes détenues soient plus enclines
à vivre une altérité consentie.
Cependant, dans son recueil de témoignages, Gaillard
met en avant que ces détenus font presque un sevrage de contacts
affectifs et sexuels vu l'univ ers monosexué. Ou alors, lorsqu'ils se
retrouvent en cellule d'isolement, ils vont jusqu'à blesser physiquement
leurs parties intimes.
Toutefois, même en détaillant les
différentes altérités et besoins qui sont le plus souvent
vécus, en prison nous n'avons toujours pas abordé, la coexistence
ou Ç chacun est l'autre, aucun n'est lui-même
È10.
10Les nouveaux chemins de la connaissance.
Réalisé par François Caunac (mai 2011). Heidegger
(1927), Etre et temps, dasein, authenticité,
déchéance. France Culture. Récupéré
le 21 novembre 2011 de
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4252861
Venons-en ainsi au courant phénoménologique qui
critique fréquemment toute tendance scientifique, ou non, qui ferait de
l'homme un objet distinct du monde. La phénoménologie permet de
mettre en avant et de saisir la réunification du corps et de
l'esprit.
4. Chapitre IV: Le courant
phénoménologique avec Husserl, Heidegger, Binswanger, Von
Weizsäcker, Straus et Maldiney
La phénoménologie n'opère pas de
séparation entre l'objet et le sujet (est). Il est appelé
à exister au contact de l'autre, c'est un être-au-monde,
l'étant peut devenir un existant au contact de l'autre et du monde.
Hegel11, Husserl et Heidegger sont les fondateurs de
la phénoménologie.
Dans ce travail, nous désirons essentiellement
transmettre à nos lecteurs la différence qui apparait entre
être et exister, ce qui dans la suite de notre analyse permet de mieux
saisir les exemples que nous citons.
Nous allons dégager des phénomènes qui
illustrent la vie des détenus en prison tout en soulignant que les
détenus sont acteurs de leur vie affective.
Nous commencons par quelques idées-clés de Husserl.
Il nous ouvre la voie au courant phénoménologique.
4.1. Husserl
La devise d'Husserl est le retour aux choses mêmes de la
description du monde.
Il trouvait, tout en restant prudent, que raisonner et formuler
des théories sur la réalité (naturalisme, psychologisme)
ne favorisaient pas l'essence de la conscience. Ainsi, Husserl a postulé
que nous avons toujours conscience (se souvenir, aimer, percevoir,
etc.)12 de quelque chose.
La conscience est la possibilité de l'homme de se diriger
vers autre chose qu'elle - mê m e (l'altérité) et donner du
sens à ses inquiétudes.
Pour lui, notre sens d'être au monde est
constitué d'une conscience. Laquelle est orientée vers la
réalité qu'elle saisit ou qu'elle s'appréhende sur un mode
d'étonnement des choses qui constituent cette
réalité13. En éprouvant un sentiment, en se
souvenant de quelque chose, il ne s'agit pas uniquement, pour Husserl, des
expressions d'une nature observable en soi. Le fait de s'étonner, c'est
une manière de rétablir le monde dans son évolution
inexpliquée et d'être à son contact.
Husserl avec ses idées veut ériger la personne
sensible en sujet absolu et c'est avec le concept d'intention qu'il arrive
à relier le sujet à l'objet.
11 Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831), philosophe
allemand.
12 Récupéré le 10.10.2009.de
http://www.philo5.com/Les%20philosophes/Husserl.htm
13 Récupéré le 3 mars 2012 de
http://www.contrepointphilosophique.ch/Philosophie/Pages/NicolasDittmar
(féy. 2012) /Husserl.pdf
Pour Husserl, le concept d'intention est un vécu qui a
ses lois distinctes et qui permet à la conscience de rencontrer l'objet
de connaissance, de le saisir à la fois dans sa singularité et
dans son enchainement d'actes.
Il dit : Ç Les sensations tout comme les actes qui les
appréhendent, ou les apercoivent, sont en ce cas vécues, mais
elles n'apparaissent pas objectivement ; elles ne sont pas vues, entendues, ni
percues par un sens quelconque. Les objets, par contre, apparaissent, sont
percus, mais ils ne sont pas vécus È 14.
Nous pouvons mieux nous rendre compte avec Husserl que rien ne
va de soi comme en psychologie qui cherche la cause des maux, ou des actes
effectués. Il désire vraiment étudier les
expériences vécues qui se présentent aux personnes.
En prison, les personnes vont-elles, par le récit de leur
vécu, nous démontrer que le concept d'intention d'Husserl est
présent?
C'est avec Heidegger que nous pouvons en plus découvrir
que la phénoménologie marque le caractère indissociable de
la philosophie et de la psychologie.
4.2. Heidegger Ç l'Etre et le Temps, 1927
È le Dasein15, l'être au monde, Ç la prise de connaissance
(1927) È
Heidegger était un élève d'Husserl puis au
fur et à mesure s'en est distancé.
Il a plus particulièrement porté sa
réflexion sur l'ontologie; l'étude de l'être en tant
qu'Etre (Aristote). L'ontologie est l'étude des propriétés
générales de tout ce qui est développé.
Il s'est attelé à interroger l'être. Il a
ainsi développé une phénoménologie
existentielle.
En retracant l'histoire de la philosophie, Heidegger s'apercoit
d'un oubli de l'Etre.
Il voulait revenir aux idées présocratiques, car
selon lui après Socrate, l'être a été oublié.
Il souhaitait savoir comment les penseurs ont pu oublier l'Etre.
Il voulait relier l'objet (l'étant) et le sujet
(l'être) tout en se demandant comment il était possible de
questionner l'être et qui pouvait interroger l'être.
Il désirait comprendre comment fait-on pour interrog er
l'être et s'il y a des méthodes pour accéder à
l'être.
Il existe pour Heidegger une dimension essentielle de toute
vie humaine d'un être - a u-mo nd e et de la présence au monde
(In-der-Welt-Sein). L'existence est par essence un être-avec les autres
(Mitsein).16
Ainsi nous sommes nous-mêmes impliqués dans une
situation d'une manière particulière, en raison de qui on est et
de ce que nous avons vécu dans notre expérience antérieure
(Stimmung).
14HUSSERL, Recherches logiques, Tome 2, V,
§14, p. 188. Récupéré, le 22 mars de
www.contrepointphilosophique.ch/Philosophie/Pages/NicolasDittmar
(féy. 2012) /Husserl.pdf
15Récupéré le 20.10.2010 de
http://digression.forum-actif.net/t68-heidegger-le-dasein-1-dasein-et-etre-au-monde
16Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de la
Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de
temps, n 20, 2008, p. 45-55. Temps et espace dans la psychose selon
Henri Maldiney. Récupéré le 2.03.2012 de
http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm
Heidegger conceptualise l'être sous la forme du Dasein,
c'est-à-dire << l'être-là > dans les
premières traductions francaises puis ensuite par existence.
Pour Heidegger << l'être-là >, l'existence,
dispense toute référence à l'homme, à la notion de
sujet.
Le Dasein parle de lui-même, le Dasein est d'emblée
un être au monde qui ne se distingue pas du monde sans toutefois s'y
fondre entièrement.
17
Nous pouvons comprendre , avec Cabestan , qu'Heidegger
(<< Etre et TempsÈ 1926) dégage un
phénomène essentiel: la dictature du << on > laquelle
est indissociable de la coexistence. La dictature du << on >
étend son règne sur nos comportements18.
Par exemple <<on > trouve révoltant ce que
<< l'on > trouve révoltant, << on > s'amuse comme
<< on > s'amuse, << on > juge comme << on > juge,
etc. La dictature du << on > repose sur l'être en compagnie
oü il existe une espèce d'uniformisation de l'opinion au motif d'un
impératif, d'une injonction. Le << on > a ses dispositions
spécifiques d'être qui tendent à effacer le Dasein.
Même lorsque, nous exprimons parfois tout haut ce que
les autres pensent tout bas et que nous croyons que nous sommes les seuls
à le dire, nous sommes dans la dictature du << on >, dans une
servitude involontaire, non dite (Cabestan).
En fait, les idées émises au départ
semblent originales, cependant elles se diluent dans le temps et par la suite
n'importe qui peut émettre les mêmes idées mais nous n'en
connaissons souvent plus l'auteur. Nous répétons ce que <<
l'on > dit sans ne plus savoir d'oü cela vient et nous nous en
contentons.
C'est une << dictature> qui est anonyme, personne ne
peut se pronon cer sur qui a commencé à diffuser cette <<
dictature >.
<< La dictature du on> permet d'être comme les
autres cela s'appelle selon Heidegger le nivellement.
Lorsque nous parlons de l'autre, on n'est pas soi-même, on
n'est pas l'un d'eux, on n'est pas celui-là, mais on est neutre, on fait
partie du monde.
Parfois, nous envisageons de nous soustraire, de ne pas
être comme les autres mais somme toute, c'est aussi se soumettre,
obéir à la dictature du << on >.
C'est pratique d'être-là, d'être au monde de
se diluer, de se fondre dans la masse, mais nous restons dans la dictature du
<< on >. Le Dasein peut s'en accommoder. Dès lors, en ce qui
concerne la désobéissance elle peut ainsi nous appara»tre
comme une tentative d'exister.
En effet, la prison représente la plupart du temps un
endroit totalitaire, en même temps, elle peut aussi représenter un
espace d'existence.
Pour Heidegger c'est l'expression d'une angoisse fondamentale
(une angoisse face à la mort). Elle nous place face au néant. Le
néant n'est pas considéré par Heidegger comme
négatif mais plutôt comme un potentiel << d'Etre >.
Ainsi, la finitude appelle le Da sein à se remettre en
question.
L'être ne se montre jamais tel qu'il est. Il est souvent un
<<para»tre> qui se joue du Dasein.
17 Philippe Cabestan, Enseignant de philosophie, lycée
Janson de Sailly, Paris, participant aux émissions, Les nouveaux chemins
de la connaissance. Réalisé par Francois Caunac (mai 2011).
Heidegger (1926), Etre et temps, dasein, authenticité,
déchéance. France Culture, récupéré
le 21 novembre 2011 de
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4252861
18 Heidegger, 1926, Etre et temps, p. 27
Rappelons que le mot phénomène en grec signifie
appara»tre, se montrer et que les phénoménologues
cherchent avant tout à décrire les grandes formes
d'expérience
19
oü se réalise la rencontre primordiale entre l'homme
et les phénomènes .
Ainsi Heidegger désirait voir ce qui apparait et
comprendre les conditions d' apparition sans interprétations
préalables.
Il pensait qu'appara»tre est un mode
privilégié de la rencontre, de l'entrée en contact du
sujet et de l'objet. Il voulait en faire l'expérience vivante.
Avec Heidegger, nous nous rendons compte que dans la vie
quotidienne en général, nous parlons la plupart du temps en terme
de <<on È. En va-t-il de même avec le récit des
détenus?
Les détenus, ont-ils fait l'expérience vivante de
l'entrée en contact du sujet et de l'objet?
La finitude dont parle Heidegger, est-elle présente dans
les récits des personnes que nous avons interrogées ?
Pour finir, ce que nous venons de décrire de la
dictature du << on È et du Dasein est plutôt abstrait, les
exemples cliniques sont absents. C'est pourquoi, nous nous sommes
penchées sur un autre phénoménologue: Binswanger qui
était aussi psychiatre.
En effet, c'est avec Binswanger que nous pouvons encore mieux
comprendre la rencontre entre deux personnes.
Nous allons continuer le développement de notre
réflexion en explicitant l'espace thymique qui est
considéré par Binswanger, comme un centre de gravité de la
relation soi-monde-autrui. En explicitant cet espace, cela peut nous
éclairer et nous donner des pistes sur les problèmes
d'échanges, de solitude, de frustrations, de violences, de relation
conflictuelle, etc. Ou comment les détenus peuvent << tenir
È en prison.
Le mot thymique vient du grec thymos qui
désigne le centre à partir duquel une Stimmung ( ambiance,
humeur) peut advenir et dispose l'homme présent (Dasein) à son
projet20. C'est une alliance qui façonne la Stimmung entre le
Dasein et son monde.
En ce qui nous concerne, Binswanger nous a aidées
à réfléchir et à mieux comprendre l'être
humain (le détenu) tel qu'il se montre de lui-même dans ce
phénomène d'absence de liberté.
19 Vannotti, M., & Gennart, M. (2006)
L'experienceÇpathique È de la douleur chronique : une
approche phénoménologique, cahiers critiques de thérapie
familiale et de pratiques de réseaux Récupéré le
14.10.2009 de www.cairn.info/loadpdf.php?IDARTICLE=CTF03631
20Leroy-Viemon B. & Mascato F. (2008) Le
problème de l'espace thymique en psychologie du sport. L'espace
thymique comme foyer du lien Çsoi-monde-autrui. Article
récupéré le 22.01.2012.
http://www.erudit.org/revue/fili/2008/v17/n2/019427ar.html?vue=resume
4.3. Binswanger et l'espace thymique
Binswanger, descendant d'une famille de médecins et
psychiatre
s suisse s, s'éloigne de la psychanalyse (Freud,
pulsions, mécanismes de défense, de fantasmes, etc.) qui admet la
scission objet-sujet et qui met l'accent sur tout ce qui détermine
l'homme.
Il s'appuie sur les idées de Husserl et d'Heidegger
(être-au-monde). C'est la manière de ce que fait l'homme de ses
déterminismes, de comment il affronte son avenir pour l'infléchir
qui l'intéresse le plus22.
Il a fondé une méthode thérapeutique et
Ç compréhensive È (1930), la Ç Daseinanalyse
È (analyse existentielle) par laquelle il tente d'accéder
à l'humain, à un sens des modes de son existence concrète,
sensible.
Il était surtout en recherche de sens à partir
de l'expérience psychiatrique plus particulièrement des
psychoses. Il a proposé une compréhension de la sphère
existentiale et inexistentiale en lien à l'espace en
psychopathologie.
Lors d'expérience psychotique (crise), Binswanger ne
recherchait pas la cause de la crise mais désirait que le patient puisse
ouvrir concrètement les événements de son vécu.
Il insistait ainsi sur une qualité de présence
du médecin et son ouverture à tous les éléments
d'une communication authentique (les expressions du visage, les gestes, etc.)
avec le patient23
Il ne désirait pas que les expériences de
maladies ne reste nt que des objets, des causes. Il ne voulait pas que le
médecin ait une démarche tournée vers l'explication
(l'individu devient l'expliqué) des comportements et des
événements psychiques et ne s'attaque qu'aux manifestations
somatiques, organiques, fonctionnelles, en bref aux symptTMmes. Il ne voulait
pas poser des diagnostics. C'est la personne qui donne à voir des
symptTMmes.
En fait pour Binswanger, c'est la personne (et ses
éprouvés) qui donne sens aux mécanismes qui lui arrive et
non le contraire.
Binswanger envisageait le patient comme une personne vivante
cherchant une signification de son existence.
Il voulait comprendre ce que ce dernier donnait à voir,
à dévoiler, à léguer et à entendre au
médecin (l'être-ensemble). Le médecin prend ainsi part avec
Ç l'exploration analytique en allant au-devant de la rencontre sur le
mode de la sollicitude, c'est-à-dire en laissant venir à lui
l'existence psychotique »24 pour permettre une ouverture de
l'existence, Ç à laisser advenir un sens nouveau à ce qui
est déjà advenu, à l'ayant-été (des
Gewesenseins) È25. C'est l'idée de croissance, de
développement, de potentialité qui est mise en avant.
21 Binswanger L., 1998, "Le problème de l'espace en
psychopathologie", Toulouse: Presse Universitaire du Mirail. Preface et
traduction de Caroline Gros-Azorin et Chapitre 2, "L'espace thymique",
p. 81.
22 Marc, E., 1987, Processus de changement en
thérapie, Retz, p. 107.
23 Ibid., Marc, p. 107
24 Binswanger L., 1998, "Le problème de l'espace en
psychopathologie", Toulouse: Presse Universitaire du Mirail. Preface et
traduction de Caroline Gros-Azorin et Chapitre 2, p. 14
25 Ibid., Binswanger, p. 15
Binswanger préférait être dans l'empathie
(valeur qui nous tient particulièrement à cÏur en tant que
travailleuses sociales) plutôt que l'interprétation pour
préserver la liberté de la personne.
La personne, lors de la thérapie existentielle,
affronte ses conflits intérieurs et éprouve avec l'aide du
professionnel l'accroissement de sa conscience d'elle-même. Elle se voit
reconnue dans son être et dans ses possibilités.
Petit-à-petit, l'individu peut se montrer comme libre et autonome en
devenant ce qu'il est et en favorisant son futur parcours de vie. Il est ainsi
face à ses émotions et peut ressentir lui-même les forces
créatrices dispositions .26
qu'il a , ou, s'apercevoir de ses
nuisibles
Il est clair que lors des entretiens effectués, nous ne
nous sommes pas prétendues des thérapeutes mais plutôt en
recherche d'une meilleure qualité d'écoute en nous impliquant en
tant que travailleuses sociales et en existant dans une expérience de
partage avec le détenu et le monde carcéral.
Pour Binswanger la spatialité est un espace en tant que
forme déterminée de l'être - a u-mo nd e et qui permet de
saisir les différents chemins ou les possibilités du vécu.
Pour nous, cela se rapporte évidemment aux vécus possibles des
détenus. Binswanger pense que la spatialité permet de comprendre
l'essence d'un trouble sans pour autant en expliquer forcément sa
source.
Certains considèrent que lorsqu'il y a des maladies
touchant le cerveau ou le psychisme, le rapport-au-monde devient restrictif.
Nous pensons que le fait d'être restreint dans sa
liberté peut également réduire le rapport au monde.
Binswanger (1998) suppose que les pathologies
cérébrales ou psychiques sont des modes palliatifs visant
à sauveg arder l'intégrité, l'intériorité de
ce rapport-au-monde de la personne. Binswanger a voulu éclairer Ç
des nouvelles modalités d'existence È des patients. Il en va de
même pour des détenus, nous voulions écouter s'ils avaient
des nouvelles modalités d'existence par rapport à leur
affectivité à même leur milieu carcéral.
Il énonce dans divers ouvrages études 27
et que les variations d'appréhension de
l'espace propre correspondent aux différentes formes de
l'être-affecté (gestimmtheit, traduit par le terme de disposition
thymique).
Binswanger considérait que les pathologies psychiques
mettent en péril le besoin de sécurité et de
défense par rapport au besoin de s'affirmer, de sortir de soi, d'entrer
en relation avec autrui.
En effet, pour lui, ce ne sont pas les aptitudes qui sont
déficientes mais plutôt l'insuccès à remplir le
travail qui échoit à tout être humain qui consiste à
entretenir l'équilibre entre des directions de sens
opposées28.
Comme, par exemple, lorsqu'une personne est dans une
expérience psychotique, le médecin lui rappelle parfois de vivre
dans la réalité et malgré ses aptitudes, le patient
n'arrive pas à se dégager et continue à vivre son
expérience psychotique ou autre.
26Leroy-Viemon B. & Mascato F. (2008) Le
problème de l'espace thymique en psychologie du sport. L'espace
thymique comme foyer du lienÇsoi-monde-autrui. Article
récupéré le 22.01.2012.
http://www.erudit.org/revue/fili/2008/v17/n2/019427ar.html?vue=resume
27 Divers livres entre autres; Ludwig Binswanger, Drei Formen
Missglückten Daseins, T·bingen Verlag, 1956, BINSWANGER Ludwig,
WARBURG Aby, 2007, La guérison infinie, trad. M. Renouard et M.
Rueff, Paris, Payot & Rivages
28 Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de la
Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de
temps, n° 20, 2008, p. 45 -55. Temps et espace dans la psychose selon
Henri Maldiney. Récupéré le 2.03.2012.
http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm
Ou notamment une personne mélancolique qui voit le
monde qui ne s'ouvre plus comme une vaste étendue mais comme un espace
vide. Il n'y a plus la limite de l'horizon. Et parallélement, la
personne mélancolique se sent oppressée, lourde.
Par rapport à notre mémoire, nous pouvons nous
poser la question si les personnes privées de liberté mettent
leur besoin de sécurité en danger? Ont-elles de la peine à
s'affirmer, de sortir d'elles-mêmes, etc. ? Comment s'impliquent-elles,
se mettent- e lles en mouvement dans la relation avec les autres?
Peuvent-elles nous raconter des moments oü elles se sentent
converger dans plusieurs directions?
Pour Binswanger, il existe une relation entre l'espace, la
tonalité affective et le corps.29
Le mouvement est au cÏur de l'existence avant même
que cette derniére soit comprise. Le corps et l'existence s'articulent
ensemble tacitement. Le corps est partie prenante des projets de l'existence.
Les personnes peuvent ainsi se percevoir comme des sujets engagés dans
un projet existentiel.
Le corps peut se faire voir de facon voyante ou à
l'inverse se retirer Ç sans bruit È en somatisant en accentuant
par exemple un sentiment de frustration, des insomnies, ou sous forme
d'hallucinations, de psychose, etc. Ç C'est-à-dire habiter un
Ç là È qui s'est rétrécit à une
proximité intrusive et obnubilante È30. Vu par
Maldiney (1991) Ç ne plus habiter car habiter c'est s'ouvrir à
soi-même un monde »31 cela aura un impact sur l'espace
thymique, le partage affectif. La spatialité répond donc à
des exigences propres. La disposition thymique sert à orienter ses
investissements et fait partie des dynamique du lien à autrui.
Il est une sorte d'espace primitif qui recrée le sentiment
Çd'exister avec autrui È. Ce n'est pas une localisation mais une
appréhension du monde trés originaire.
C'est une maniére autre d'être au monde plus
intérieure, plus sensible, éveillée aux autres et à
soi. Un mode de contact de l'espace ou une sorte de guide de la conduite du
comportement.
Pour Gros-Azorin, cet espace est percu comme un espace
chargé de qualités: léger, transparent, en haut des cimes,
courant comme l'eau vive, ou son inverse, un espace obscur, rocailleux,
encombré, d'en bas, de boue, figé comme la pierre, comme le
cristal26 qui détermine notre vivre ensemble.
En effet, parfois le sentiment d'exister avec autrui peut se
Ç disloquer È avec des comportements de retrait sur soi ou
d'agressivité relationnelle, etc.
Le langage permet de faire émerger notre foyer natal en
ÇhabillantÈ notre vécu (Erlebnis), comme, par exemple,
lorsque nous disons avoir été frappés par la foudre ou
être tombés des nues, ce qui désignerait notre état
général aprés un événement. L'humain semble
avoir une expérience vécue à partir de sa qualité
thymique comme lorsque nous utilisons des expressions comme : d'y aller parce
que le cÏur lui en dit ou de se garder d'y aller car le cÏur n'y est
pas. Qui n'a pas vécu une expé rience en se sentant le cÏur
gonflé d'espoir ou le cÏur vidé, brisé, livré
au désespoir.
29 Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de la
Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de
temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Temps et espace dans la psychose selon Henri
Maldiney. Récupéré le 2.03.2012.
http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm
30 Binswanger L., 1998, "Le problème de l'espace en
psychopathologie ", Toulouse: Presse Universitaire du Mirail.
Préface et traduction de Caroline Gros-Azorin et Chapitre 2. p. 27
31 Dastur F. cite Maldiney ÇPenser
lÕhomme et la folie È p : 269
Pour en revenir aux personnes privées de
liberté, en les rencontrant, nous les avons écoutées pour
saisir par quels moyens elles favorisaient leur évolution ou non de leur
espace thymique dans leur existence carcérale.
Regardons maintenant plus particulièrement les
expériences qui peuvent produire du sens, de l'inattendu, de la
surprise: le pathique, dans la perspective phénoménologique.
Nous avons fait des recherches sur le mot pathique et nous
avons constaté qu'il est utilisé par nos penseurs, chercheurs,
médecins, psychiatres. Ce sont les thèmes de la vie, la mort, la
crise, la sécurité, le danger, la douleur, la souffrance, et la
maladie qui sont le plus souvent étudiés.
Ainsi, la plupart du temps, nous pouvons remplacer le terme
d'homme malade par l'homme captif dans un moment signalé comme critique
que la détention peut créer et ainsi étendre notre
questionnement et notre recherche à tous types de relations qui existent
en prison. Nous voyons que le concept de pathique peut aussi sortir du champ
médical.
4.4. Viktor Von Weizsäcker
Commencons par le neurologue Von Weizsäcker qui a
critiqué la pensée causaliste
ème
du 17 ème et du 18 siècle. Pour lui,
certaines dimensions fondamentales de
l'humain et du sens n'étaient pas prises en
considération.
Von Weizsäcker et Schotte 32, en tant que
médecins, voulaient Ç situer l'homme malade dans la mise à
l'épreuve qui est la vie »33 et comprendre, clarifier la
relation du médecin avec son patient comme nous l'avons vu avec
Binswanger.
Von Weizsäcker s'est inspiré du néokantisme,
du freudisme et de la phénoménologie
34
de Max Scheler pour pouvoir distinguer la rencontre de la
relation .
Pour lui, Ç(...) la rencontre implique une
dualité des partenaires, objectivés et séparés
alors que la Ç rencontre È se situe au niveau d'un entre -deux,
à partir duquel se différencieront les pTMles d'un dialogue. Von
Weizsäcker définit donc la relation comme objectivation et
réification (...). »35
Ainsi il pense que d'une part lors d'échanges les
personnes s'appuient sur des catégories de connaissances
spécifiques comme les interactions, l'espace, la causalité,
etc. et, d'autre part, sur une improvisation
dynamique.
Von Weizsäcker désigne la mise à
l'épreuve, Çl'éprouvéÈ : le pathique
engendre la souffrance, l'endurance, le subir et la passion et ce n'est pas
seulement un processus biologique. Dans son livre Ç Le Cercle de la
structure È, il voit le vivant comme un être
perpétuellement en crise, inlassablement mis en demeure de se
32Schotte, a dirigé plusieurs
séminaires sur les concepts de Von Weizsäcker: de 1969 - 1970,
intitulés <<questions de psychologie différentielle Ð
se mouvoir et sentir: le cycle de la forme du fonctionnement vivant>>
ainsi que celui de 1984 Ð 1985 intitulé <<une pensée du
clinique, l'oeuvre de V. von Weizsäcker >>).
33Ledoux, M., Récupéré le 10 mars
2009 de,
http://home.scarlet.be/cep/CAHIERS/Une%20rencontre%20Schotte%20VvWeizsaecker.pdf
34Bernier P., LÕanthropologie du
pathique Récupéré le 11.07.2010 de
http://www.cahiers-ed.org/ftp/cahiers9/C9bernier.pdf
35 Ibid. Bernier P.
modifier ou de se détruire et pour lequel la santé
est toujours à chaque moment à conquérir et à
reconquérir36
De ce fait, il est important d'aborder le Ç sentir
È et le Ç mouvoir È dans le vivant. Venons-en maintenant
au mot pathique, du grec pathos, qui exprime les verbes ressentir,
éprouver, souffrir, subir, endurer, pâtir. C'est Ç
l'exister È de l'homme.
Von Weizsäcker a été le premier à
utiliser la théorie du pathique (le pentagramme pathique). Pour lui
Çon n'est pas mais on peut, (permission ou capacité), on veut ou
on doit (obligation morale ou nécessité
psychologique)È.
De la sorte, c'est de Ç l'ordre du subir et du personne
l. La personne n'existe que dans la personnalisation de la passion
exprimée dans les cinq verbes modaux des catégories pathiques :
oser (d·rfen), vouloir (wollen), devoir (contrainte et
éthique, m·ssen et sollen), pouvoir
(können) È37.
Ce sont des verbes dynamiques qui se rapportent à
l'action par rapport au présent. Ainsi le pathique est pour Von
Weizsäcker personnel et non ontique, objectif ou représentatif.
C'est l'homme qui fait mouvoir l'espace et le temps mais pas l'homme qui
évolue dans un espace et un temps donné (1958).
Pour encore plus sur terme lu Oury 38
nous éclairer de
le avons
pathique, nous Jean
qui s'appuie sur la pensée de Von Weizsäcker.
Pour lui, afin d'être dans le pathique, il faut
Çêtre-là È, nous rejoignons le Dasein d'Heidegger.
C'est de l'ordre des sentiments, de la rencontre. Quand il existe un moment
pathique, il s'exprime par des verbes pathiques qui comprennent toujours un
mouvement.
Oury écrit qu'en francais il n'y a que trois verbes de
mouvement vouloir, devoir, pouvoir. Ces verbes confèrent la
qualité même de l'échange affectif. Le verbe knnen
(pouvoir) en allemand est également traduit par être-capable de
cela nous renvoie au pouvoir-être.
En ce qui concerne Schotte, le verbe dürfen signifie oser,
se permettre de. Un verbe important lorsque nous avons un échange avec
quelqu'un.
En résumé, même si ces concepts sortent la
plupart du temps du champ de la santé, de la psychiatrie et de la
psychologie, il semble que la manière de voir de Von Weizsäcker
permet au personnel pénitencier et à nous, d'aborder les
personnes vivant en détention sur leur mode d'existence et non pas de
voir qu'une pathologie ou un problème dont il faut rechercher la cause,
le pourquoi d'un acte délictueux par exemple.
Nous pouvons également concevoir que dans un moment
d'échange affectif en prison notamment, cela relève de la
capacité d'être-là et d'oser se permettre d'être-
36 Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de la
Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de
temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Temps et espace dans la psychose selon Henri
Maldiney. Récupéré le 2.03.2012 de
http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm
37 Ledoux, M., Récupéré le 10 mars 2009 de,
http://home.scarlet.be/cep/CAHIERS/Une%20rencontre%20Schotte%20VvWeizsaecker.pdf
38 Médecin-chef de la clinique la Borde, théoricien
principal du courant psychothérapeutique Oury J. Les enjeux du
sensible. N° 40, automne 2000. Récupéré le 10
mars 2009, de
http://ouvrir.le.cinema.free.fr/pages/reperes/constel/pathique.html
là-dans-le-moment-présent. Ces verbes relatent un
mode d'existence : la situation du vivant, la maniere d'exister avec et dans le
monde.
Ainsi afin de poursuivre notre compréhension du
vécu des détenus lors de moments affectifs, nous voulons
comprendre ce que Straus a voulu transmettre en plus des autres penseurs
cités plus haut. Il critique notamment le réflexe
conditionné de Pavlov et la vision dualiste de Descartes (division
corps-esprit).
4.5. Erwin Straus
Straus était un neuropsychiatre allemand, établi
aux USA suite aux persécutions nazies.
La psychologie clinique et théorique a
évolué gr%oce à ses travaux qui ont été
repris par de nombreux auteurs.
Straus se réfere aux concepts de Husserl et Heidegger
et s'appuie sur les mêmes arguments que Von Weizscker au sujet du
pathique. Dans son livre39 « Du sens des sens
» il pose les fondements d'une psychologie
phénoménologique. Il s'agit d'une psychologie du mouvement, d'une
théorie de la subjectivité qui s'origine dans le sentir.
Sentir et se mouvoir sont pour lui des modes d'être
originaires40. Le sentir est la réalité et qui a la
fonction d'assurer la continuité de la réalité, de la
métaboliser.41 Nous savons que pour lui, certaines
réactions du penser et du sentir sont difficiles à transmettre
aux autres. « Le pathique est une communication immédiatement
présente intuitive, sensible, encore pré conceptuelle avec le
monde »42.
Nous passons avec Straus du concept du pathique (Weizscker)
à la dimension pathique. L'éprouvé de Weizscker est pour
lui un synonyme partiel du sentir. Straus attribue le sentir au vivant et le
percevoir à l'existant.
Il analyse ainsi la psychologie de l'être humain et fait
une différence entre ce que l'on pergoit et ce que l'on sent. Il veut
saisir le sentir. Pour lui : « L'expérience sensorielle n'est pas
une connaissance »43 (Straus 1935 p. 17).
Le sentir est, pour Straus, un moment pathique,
c'est-à-dire fait de réceptions et de participations au monde
alors que la perception est un instant qui nous fait sentir les objets. E.
Straus explique le moment pathique comme la communication directe avec les
choses. Il a travaillé sur le sujet des perceptions. Il
privilégie l'expérience qui est à différencier du
percevoir et du conna»tre.
Pour lui, l'organisme vivant en devenir est sujet du sentir,
il veut plutôt décrire l'expérience du sentir et
l'ouverture de l'individu aux phénomenes. Pour nous, il s'agit des
détenus qui doivent s'élargir au phénomene de la privation
de liberté.
Straus veut conceptualiser un organisme vivant qu'il nomme
organisme expressif. Il a donc travaillé sur la perception mais
également sur les expressions.
39Straus, E., Vom Sinn der Sinne (publie
à Berlin en 1935, titre frangais : Du sens des sens, edite chez Million
en 2000)
40ESCOU BAS E., De la creation Penser lÕart
et la folie avec Henri Maldiney (essai sur le « pathique », le
« pathologique » et le « pathetique »). Recupere le
9.04.2012 de
http://culture.univ
-lille1.fr/fileadmin/lna/lna59/lna59p06.pdf
41.Leroy-Viemon B. & Mascato F. Le
problème de lÕespace thymique en psychologie du sport.
L'espace thymique comme foyer du lien « soi- monde-autrui. Recupere
19.01.2012, de
http://www.erudit.org/revue/fili/2008/v17/n2/019427ar.html?vue=resume
42Bernier P., LÕanthropologie du
pathique Recupere le 11.07.2010 de
http://www.cahiers-ed.org/ftp/cahiers9/C9bernier.pdf
43Pegny G., Presentation des reflexions de Erwin
Straus sur la spatialite dans Les formes du spatial et dans Du sens des sens.
Recupere le 30.03.2012 de
http://uparis10.academia.edu/Ga%C3%ABtanP%C3%A9gny/Papers/654614/LaspatialiteselonErwinStraus
Il écrit à ce sujet: « Le sentir est au
conna»tre ce que le cri est au mot »44.
Le percevoir renvoie au mot, le sentir au cri. Le mot est
déjà une notion, comme une ouverture d'un monde. Quand un mot est
prononcé, c'est une maniere de s'ouvrir et de s'annoncer de fagon
personnelle.
Du sentir au percevoir s'ouvre un monde. Dans le percevoir, il
y a une signification subtile, alors que dans le sentir (le cri) il y a une
direction de sens qui se répercute
45
vers la spatialité qui indique un e appréhension de
l'ordre du sensible.
Ainsi, Straus pense aussi que la dimension pathique peut etre
appréhendée par le mouvement (dansé). Il passe ainsi dans
le rapport à la danse de l'espace propre (Binswanger) à l'espace
étranger par assimilation, expansion et illimitation46.
Le mouvement orienté est doué de significations
comme, par exemple, le mouvement d'évitement chez les animaux.
Le sentir est le propre du vivant, nous pouvons vivre sans
penser à notre existence mais pas sans ressentir les choses. Pour lui,
la vie, le sentir, sont les seules choses qui nous font avancer et vivre.
La dimension pathique permet de réaliser une rencontre
réelle entre les sujets47, une ouverture au monde et à
l'etre.
Lors de l'apparition d'un évenement, c'est là o0
nous sommes suspendus, c'est ensuite que nous apposons un sens. La surprise
permet l'apparition du mode personnel, car nous sommes ouverts à notre
possibilité d'y etre ; et c'est en posant une signification que nous
devenons cet étant-là, et qu'un monde nous
appara»t.48
Il s'intéresse au rapport que le corps entretient
à d'autres espaces que l'espace orienté, à savoir «
l'espace présentiel homogene, libre de différences de direction
»49.
Par exemple, l'espace spécifique du danseur signifie
ampleur, hauteur, profondeur du mouvement. Ce mouvement déploie le temps
et fabrique un horizon qui se déplace par lui (Straus
1992)50.
Ce mouvement crée un monde pour soi, un monde ouvert
à l'accueil de la réalité et à
l'altérité. Pour Straus, ce mouvement n'est pas une action
musculaire mais est « intérieure ». Le sentir équivaut
à son monde propre de mise en rythme de fragments, de formes
discontinues dans la continuité existentielle et qui se forment dans la
rencontre homme-monde (nommé par Heidegger, 1941, Stimmung, en frangais
: « atmosphere », « humeur » et sentiment d'existence).
Le rythme est ainsi surgissement.
Ce qui nous amene à Maldiney qui pense que les
structures spatiales et temporelles structurent le « comment » de
l'existence. « (...) Elles lui donnent un style, un
rythme
44 Maldiney H, Penser l'homme et la
folie«, Straus, E., « Vom Sinn der Sinne » p. 372
Recupere le 11.11.2009 de
http://books.google.ch/books?id=iYywFRKzD0kC&pg=PA148&lpg=PA148&dq=Le+percevoir+est+au+sentir+ce+que+le+cri+est+au+mot
&source=bl&ots=tJ5KDXtgJ&sig=J4Ye7k4KV14TwxcTwL97SO7yslM&hl=fr&sa=X&ei=WXGGT9XbIITrObWZlNcI&sqi=2&ved=0C
CwQ6AEwAg#v=onepage&q=Le%20percevoir%20est%20au%20sentir%20ce%20que%20le%20cri%20est%20au%20mot&f=false
45Groupe de lecture Maldiney. Carcassonne (2009)
La dimension du contact au regard du vivant et de l'existant (De l'esthetique
sensible à l'esthetique artistique) Compte-rendu n°8. Recupere
le 23.06.2009.de
http://gestalt.nuxit.net/Gestalt/spip.php?article87
46Binswanger, L., "Leprobleme de l'espace en
psychopathologie", Toulouse: Presse Universitaire du Mirail. 1998, p.
28
47Bernier (2006) « La dimension pathique dans
la prevention de la violence » Recupere le 30 mars 2012 de
http://spirale-edu- revue .
fr/IMG/pdf/ 1 3 Bernier Spirale 3 7 .pdf
48Bernier P., L'anthropologie du pathique
Recupere le 11.07.2010 de
http://www.cahiers-ed.org/ftp/cahiers9/C9bernier.pdf
49Leroy-Viemon B. & Mascato F. (2008) Article
Le probleme de l'espace thymique en psychologie du sport. L'espace
thymique comme foyer du lien « soi-monde-autrui. Recupere le 22.01.2012
de
http://www.erudit.org/revue/fili/2008/v17/n2/019427ar.html?vue=resume
50Ibid., Leroy-Viemon B. et Mascato F.
et une direction de sens à chaque fois différent
(...) »51. La mise en place des formes
discontinues s'harmonisent en se mettant en rythme. Ce qui constitue pour lui
le « style présentiel » d'une personne.
4.6. Henri Maldiney
Maldiney était professeur de philosophie et
d'esthétique à l'université de Lyon. Il a contribué
au cours du XXème siècle à la phénoménologie
de l'art. Il a porté plus particulièrement ses recherches sur
l'esthétique sensible (faire sentir) et artistique. Maldiney est parti
de la notion d'existence d'Heidegger puis a porté sa réflexion
sur la psychopathologie en se basant sur les concepts de Binswanger et en
reprenant des notions clés de Straus.
Maldiney a pris le problème de l'homme psychiquement
malade en le conciliant avec le point de vue esthétique. Il ne veut pas
faire de différenciation normative ou théorique, entre le normal
et le pathologique.
Pour en revenir à Binswanger, il existe selon lui des
directions de sens indiquées par les reves. Ce sont des pistes qui
structurent l'etre-au-monde, l'etre-avec-l'autre et l'etre-avec-soi.
Maldiney reprend l'idée pour étayer une
phénoménologie de l'analyse de l'existence humaine en prise avec
la maladie. Pour nous il s'agit plus des personnes confrontées à
l'absence de liberté, ce qui marque une rupture dans la vie
quotidienne.
Maldiney s'attèle à comprendre les
différentes formes de directions de sens qui peuvent apparaitre dans
l'existence et qui montrent pour lui, le « etre-à » ou Dasein.
Ces directions de sens sont plutTMt pour Maldiney un indice du comment, du
style des choses et ne regarde pas le contenu, le quoi des
choses.52
Ce serait un phénomène non thématique
comme la St immung (Maldiney parle de présence) d'Heidegger et le «
climat pathique » de Straus qui est exprimé de facon
instantanée «comme par exemple l'ascension, qui peut exprimer la
joie, la tristesse, la chute » (1990).
Ainsi le pathique pour Maldiney serait le registre de
l'éprouvé et du sentir, registre fondamental de l'existence, la
"forme première du subir"53. Ainsi « l'espace
et le temps sont des dimensions anticipatives de toute chose à
para»tre »54.
Maldiney considère les directions de sens comme une
mouvance de l'existence. L'existence est toujours une expérience, une
sorte de « traversée périlleuse »55.
Les directions de sens ne sont pas marquées dans un temps et un
espace construit
51 Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de
la Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de
temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Temps et espace dans la psychose selon Henri
Maldiney. Récupéré le 2.03.2012 de
http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm
52 Pittet, M (en cours). Enquête sur le rythme et
lÕimplication dans les pratiques dÕaccompagnement psychosociale
Ð Implication rythmique dans le partage intersubjectif
dÕexpériences affectives et emergence dÕun savoir comme
objet de formation en travail social, Geneve : HESSO , Haute école
de travail social.
53Maldiney « Penser lÕhomme et la
folie È
54Maldiney, H., (1973) Regard, parole,
espace, Lausanne, L'Age d'homme p. 96 repris par Dastur, F., Texte
publié dans Les Lettres de la Société de Psychanalyse
Freudienne, Questions d'espace et de temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Temps
et espace dans la psychose selon Henri Maldiney. Récupéré
le 2.03.2012 de.
http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm
55Cambier, A. Professeur de Philosophie en Kh%ogne
(Douai). Récupéré le 15.09.2009 de
http://culture.univ-lille1.fr/fileadmin/lna/lna34.pdf
auparavant ou préconcus par l'extérieur. Le
vécu de chaque personne se créé au fur et à mesure
à la fois dans l'ouverture et dans la rupture.
< Le monde s'ouvre à chaque fois à partir de
l'événement È et non pas l'existant qui se produit dans un
monde déjà construit et indépendant de
nous-mêmes.
56
Il s'est donc attelé à penser l'év
ènement de l'appara»tre du phénom ène (Bernier) .
Maldiney se retrouve ainsi dans l'accueillir dans < l'Ouvert È, le
< Réel È.
Le réel est définit par Maldiney par ce que nous
n'attendions pas et qui fait surgir quelque chose de nouveau.
La crise est pour lui une rupture d'existence et fait surgir
l'inattendu qui peut contrarier et bouleverser les attentes.
Ç(É) Cet évènement se produit dans
un saut qui va engendrer de la subjectivité, ou pas. Car Maldiney ne
cache pas le risque et le danger inhérent à la rencontre, dont
l'effondrement È.57
ou la violence (...)
Pour Maldiney, ce sont les émotions qui nous
ramènent au < Réel È. Il reprend la dimension pathique
de Straus qui <correspond à notre capacité affective à
accueillir l'événement, c'est-à-dire ce qui arrive tout
à coup et fait voir autrement le monde È58. Elle peut
montrer le moment d'une rencontre irréductible et touchante.
L'émotion nous prend au dépourvu puisqu'elle se produit de
manière imprévue. < Elle nous marque par une confrontation
à l'inattendu, à l'inanticipable È52. Quand
nous sommes sur le coup de l'émotion, nos convictions établies
< fondent comme neige au soleil et les repères rassurants de
l'existence se È.59
dérobent.
Pour nous faire comprendre la rupture, Maldiney utilise comme
exemple les Ïuvres d'art. Avant la contemplation d'une Ïuvre d'art,
elle n'était pas, puis surgit l'étonnement, la surprise dans un
partage pathique qui impose à l'homme une dépossession de la
centration de lui. Il y a une invention de quelque chose d'autre au contact
d'un autre, quelque chose du partage qui va imposer une nouvelle position dans
le monde.
< C'est l'événement qui exige après
coup d'être intégré dans une nouvelle configuration de
possibles et non pas nous qui décidons librement de changer la tournure
du monde. »60
Pour en revenir aux détenus, nous nous demandons si
certains d'entre eux ont fait l'expérience de la perte du monde comme
une personne vivant avec une psychose ? C'est-à-dire la rupture de
l'enchainement ordinaire de l'expérience.
56Bernier P., LÕanthropologie du pathique,
Récupéré le 11.07.2010 de
http://www.cahiers
-ed.org/ftp/cahiers9/C9bernier.pdf
57Bernier (2006) ÇLa dimension pathique
dans la prevention de la violenceÈ Récupéré le
30 mars 2012 de
http://spirale-edu- revue .
fr/IMG/pdf/1 3 B ernier Spirale 3 7 .pdf
58Cambier, A. Professeur de Philosophie en
Khâgne (Douai). Récupéré le 15.09.2009 de
http://culture.univ-lille1.fr/fileadmin/lna/lna34.pdf
59Ibid. Cambier A.
60Dastur, F., Texte publié dans Les Lettres de
la Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de
temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Temps et espace dans la psychose selon Henri
Maldiney. Récupéré le 2.03.2012 de. http://af.b
ibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm
4.7. L'expérience pathique en situation de
privation de liberté
Quand l'homme se sent en liberté et en bonne santé
il en oublie son corps, il se repose sur lui jusqu'à l'oublier et peut
donc se vouer à son environnement.
Ainsi, le réel se fait conna»tre au sujet, sur un
mode affectif, il existe un événement de surprise acceptable ou
déplaisant.
Lors d'une entrée en prison, il peut apparaitre que
l'existence se modifie.
Un choc peut survenir et le quotidien peut changer. Le corps
se manifeste, il existe des sensations inconnues. En prison par exemple, il
faut être capable de vivre dans un milieu fermé, et
peut-être oser se permettre de nouvelles expériences.
L'homme apprend au départ de son corps, c'est avec
celui-ci qu'il agit, qu'il pense, qu'il communique.
Nous pouvons constater comme les auteurs61 Marco
Vannotti et Michéle Gennart que la prison peut produire une
singuliére division, voir une dissociation entre Ç
nous-mêmes È et la partie de notre corps qui nous fait
souffrir.
L'absence de liberté peut provoquer sur le sujet une
expérience pathique en étant Ç retourné sur une
partie de son corps È62, d'y être peut-être
à la fois enchainé sans pouvoir s'en soustraire, s'en
détacher. En même temps, les sujets peuvent considérer la
partie du corps qui fait souffrir, ou frustre comme un organisme
étranger.
Puisque les personnes sont livrées à
elles-mêmes et se concentrent sur leur corps : un corps qui la plupart du
temps les trouble, les embarrasse, dont ils sont ainsi obligés de
s'inquiéter et peut-être les empêche de créer des
relations. Quelques individus peuvent de la sorte se reporter sur
l'affectivité, la sexualité comme cela pourrait être entre
autres dans le sport, les études, une soif de connaissance,
l'écriture.
Des lors, nous nous posons la question : est-ce que l'absence de
liberté agit sur les relations à l'intérieur d'un milieu
fermé?
Les détenus ont leur univers modifié. Cela ne se
ressent pas seulement à l'intérieur de leur corps mais cela peut
être oppressant corporellement, interférant ou rompant d'autres
possibilités de réalisations donc limiter leur conception,
perception.
Ainsi, les themes de l'affectivité et de la
sexualité peuvent accaparer les espaces intersubjectifs, voire tout
l'espace personnel. L'attention, les comportements et les échanges entre
le détenu, les codétenus et le personnel peuvent être
focalisés sur ces sujets, devenir trés lancinants63 et
faire vivre de nombreux phénoménes tels que la frustration, la
colére, la violence, etc.
61Marco Vannotti, Michèle Gennart
La phénoménologie : son intérét dans une
conception systémique de l'homme malade
Récupéré le 09.09.2009 de
http://www.cerfasy.ch/coursphenom.php
62 Ibid. Marco Vannotti, Michèle Gennart
63Leroy-Viemon B. & Mascato F. (2008) Article
Le problème de l'espace thymique en psychologie du sport.
L'espace thymique comme foyer du lien Çsoi-monde-autrui.
Récupéré le 22.01.2012 de
http://www.erudit.org/revue/fili/2008/v17/n2/019427ar.html?vue=resume
5. Chapitre V: Les phénomènes
vécus en prison
Marc et Picard (2008) citent << que l'existence de liens
(amoureux ou amicaux) est généralement ressentie comme une des
conditions essentielles du bonheur >64.
Pour reprendre le phénomène de la dictature du
<< on > d'Heidegger (page 28 paragraphe 2): << on > doit
avoir du bonheur, comme << l'on > doit avoir du bonheur. De prime
abord, lorsqu'il est prononcé : échanges affectifs en prison dans
un univers avec une majorité d'hommes, d'autres phénomènes
peuvent venir à l'esprit que le bonheur.
Lorsque nous évoquons le mot détention, nous
pouvons observer de la souffrance, de la solitude, de la frustration, de la
colère plutôt que du bonheur. Cet environnement ne semble pas
ouvrir l'espace pour le contact, la tendresse, des échange verbaux du
sensible même s'il existe des possibilités d'échanger avec
des professionnels comme l'assistant(e) social(e), le, la psychologue, les
surveillant(e)s. Ainsi, en tant que travailleuses sociales, nous avons choisi
et constaté plus particulièrement sept phénomènes.
Le contact, la solitude, la souffrance, la frustration, la colère, la
violence, et la solidarité . Ils sont les phénomènes les
plus souvent cités, tels qu'ils nous ont été
livrés, vécus et vus par les personnes que nous avons
rencontrées pendant les entretiens que nous avons effectués. Les
détenus ont été en quelque sorte à l'écoute
d'eux-mêmes.
Nous avons fait le choix de mettre le phénomène
du contact en premier, car, c'est tout de même, le thème de notre
travail de bachelor. Puis, nous avons articulé les
phénomènes entre eux sans ordre spécifique, car cela
dépend de l'espace thymique de chacun. C'est le sensible de la personne
interrogée qui est apparu et livré.
5.1. Contact
Lors d'une entrée en prison les détenus peuvent
vivre des contacts différents que ceux avec des proches de
l'extérieur. Les personnes privées de liberté sont parfois
confrontées à des changements de sens par rapport aux
échanges, aux relations. Une définition du dictionnaire mentionne
le contact qui s'établit lorsque deux corps se touchent ou qui sont
à proximité.
Nous nous apercevons que cette définition prend en compte
seulement l'espace géométrique.
La deuxième définition que nous avons pu trouver
explique que << toute espèce de relation, de fréquentation
entre personnes est connoté par la préposition <<avec >
qui marque le commerce, la communication, la rencontre >65. C'est
être dans le << Réel È avec le monde.
64 Marc, E., Picard, D., & Fischer, G.-N. (2008).
Relations et communications interpersonnelles. Chapitre : fondement
liens affectifs DUNOD, 2 ème édition
65 Penser l'homme et la folie, Maldiney (2007) p. 137
Récupéré le 22 mars 2012 de
http://books.google.fr/books?id=iYywFRKzD0kC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
Comme notre travail de bachelor touche un univers à
majorité d'hommes, nous pouvons ainsi nous questionner au sujet de ces
deux définitions. Est-ce plutôt la première ou la
deuxième qui correspond à notre recherche?
Le toucher entre hommes pourrait apparaitre comme difficilement
concevable et peut, peut-être, créer une solitude lors de
privation de liberté.
5.2. Solitude
Pour mieux saisir le terme de solitude, nous retenons
l'explication d' Isabelle Delisle66 : << La solitude est un
phénomène du vécu qui échappe à
l'observation et au contrôle. Elle est de l'ordre du sensible. C'est un
état d'âme ressenti sur un mode émotionnel. Ce sentiment
peut être douloureux et angoissant pour la personne qui l'éprouve.
>. C'est une épreuve en soi.
Cependant, la personne peut également choisir de vivre
dans la solitude en n'ayant pas de sentiment douloureux.
La solitude se vit ainsi de facon unique pour chaque sujet.
Effectivement, comme nous sommes des êtres distinctifs, nous sommes seuls
à ressentir au fond de nous une souffrance , une joie. Personne d'autre
ne peut ressentir un événement de la même manière,
nous rejoignons ainsi l'espace thymique de Binswanger.
Lors de détention, du moins à l'arrivée
en prison, éprouver un sentiment de solitude peut être vécu
comme de l'exclusion. Nous retrouvons la dictature du <<on > de
Heidegger. << On > se sent exclu, comme <<on > se sent exclu.
Donc, certains prisonniers peuvent avoir ce sentiment comme ils ont ce
sentiment.
Souvent à l'extérieur, << on > va tout
faire pour éviter d'être mis à l'écart, pour
être comme tout le monde.
Pour finir, la solitude n'est pas forcément un
isolement. Plusieurs auteurs ont fait la différence entre un état
d'isolement et le sentiment de solitude . L'état d'isolement correspond
à la solitude qui se voit. La personne est seule, n'a pas de visite,
d'amis, de proches.
Le sentiment de solitude est vécu et ne se voit pas, il
appartient à l'espace intérieur donc personnel de chacun.
Un état d'isolement n'engendre pas nécessairement
un sentiment de solitude. Celui- ci peut na»tre chez des personnes
parfaitement bien entourées.
Ainsi, en prison, lorsque les détenus sont mis en
cellule d'isolement, le but est en effet, qu'ils se retrouvent seuls de par
leur acte quel qu'il soit. Certains cependant n'auront pas
nécessairement un sentiment de solitude.
Maintenant que nous avons mieux défini le
phénomène de la solitude, nous allons développer les
notions de souffrance et de frustration qui sont décrites et vues par
Gennart (2006) comme une douleur chronique.
66 Professeur en gérontologie et en thanatologie,
Université du Québec à Hull. Récupéré
le 24 mars 2012 de
http://www.acsm-ca.qc.ca/virage/personne-agee/reflexions-solitude.html
5.3. Souffrance
La souffrance est une expérience sensorielle et
émotionnelle encore plus importante que la manifestation d'un
mal-être. La souffrance peut être vécue d'émotions
qui peuvent varier d'un sujet à l'autre et qui peut créer des
états anxieux, d'extrême tristesse. Et elle semble stopper le
cours de l'existence.
Des sensations internes peuvent être
éprouvées, ressenties comme une douleur, le cÏur qui fait
Ç mal È ou avoir la sensation d'avoir une boule dans le
ventre.
Comme le dit Longneaux Ç (...) On est tout entier
ramassé sans la moindre possibilité d'une prise de recul: on est
soi-même l'instant de souffrance et rien d'autre. Nos habitudes, nos
rôles, nos projets, notre histoire, même notre souci pour les
autres, tout cela qui remplissait une vie, tout cela qui était Ç
nous È n'est plus rien. (...). Il n'y a plus que l'instant d'une
éternité insupportable. È.67 .
C'est en fait un rapport primordial que le corps fait
conjointement avec l'expérience du monde et de soi-même et le
pouvoir de s'éprouver.
Cela peut être décrit comme une souffrance
affective de la rencontre avec le Ç Réel È où il y
a une rupture avec l'action. Ce mouvement nous enlève à notre
Ç vi e-d a ns -le monde È, à nos buts et aux autres.
La souffrance relève ce que nous sommes
réellement, Ç elle nous met à nu et montre ce qui demeure
de nous quand nous sommes plus que nous È68. Souvent, nous
nous astreignons à ne pas souffrir, cela Ç ne doit-pas-être
È.
Pourtant, c'est aussi un point de départ qui permet un
temps de redéploiement, d'extension malgr é que nous songeons que
tout est cassé. Nous pensons que nous revenons à la vie alors que
nous ne l'avons jamais abandonnée et que nous ne sommes jamais seuls car
nous vivons avec les autres de telle manière qu'ils sont une part de
nous-mêmes. L'expérience de la souffrance fait éclater
la toile des
relations que nous pouvons vivre avec les autres.
Ce qui nous amène à nous poser les questions
suivantes: Les détenus qui ont une souffrance se dirigent-ils
peut-être vers un professionnel? Là, en l'occurrence, vont- ils
vers le psychologue ou l'assistant(e) social(e), ou même le directeur,
les surveillants de la prison pour être éventuellement
aidés, soignés, compris, apaisés ? Oü n'en
parlent-ils qu'entre eux pour ne pas encore avoir affaire au personnel
pénitencier? Oü gardent-ils tout pour eux?
Ainsi, du côté des professionnels, il
appara»t comme essentiel qu'il y ait une implication. L'implication est
vue comme un mouvement vers l'autre, un partage émotionnel qui favorise
la rencontre avec l'autre et qui ouvre à la possibilité de le
comprendre sans mettre en avant des diagnostics médicaux ou
psychologiques que nous pouvons considérer dans ce travail de
mémoire comme une sorte de Ç rationalisation È de
l'être humain.69
Nous rejoignons de nouveau ici Maldiney (1973) qui dit que
s'impliquer c'est être dans le pli, dans le rythme de l'autre.
67Longneaux. (2007) La souffrance comme exemple
d'une phénoménologie de la subjectivité. Collection
du Cirp. Récupéré le 13.01.2012
http://www.cirp.uqam.ca/documents%20pdf/Collection%20vol.%202/6%20Longneaux.pdf.
Longneaux docteur en philosophie à Namur, Belgique.
68Ibid., Longneaux
69Pittet, M (en cours). Enquête sur le
rythme et l'implication dans les pratiques d'accompagnement psychosociale -
Implication rythmique dans le partage intersubjectif d'expériences
affectives et émergence d'un savoir comme objet de formation en travail
social, Genève : HES-SO, Haute école de travail social.
Dans tous les cas, lors de la sortie de prison des
détenus, il appara»t qu' il est presque irréalisable de
renouer avec sa vie d'avant. Est-ce la situation des personnes que nous avons
rencontrées?
Nous allons aborder la frustration qui semble un
phénomène moins important que la souffrance mais qui
<<appara»t È également comme une douleur (Gennart,
2006) dans le récit des détenus.
5.4. Frustration
Dans ce travail, nous n'envisageons pas la frustration comme une
pulsion absolument nécessaire à combler comme
théorisé dans l'approche psychanalytique,
(2005) 70
mais plutôt comme le décrit Chartrand St-Louis :
<<Généralement, nous
avons en vue certaines fins personnelles et nous aimons
à nous considérer comme le <<centre de l'expérience
È (à ne pas confondre avec l'égo ·sme), mais notre
manière d'être présent au monde n'épouse pas
forcément ces fins ni cette vision personnelle. Soit, elle ne nous
centre pas suffisamment sur nous-mêmes, soit elle nous centre trop sur
nous-mêmes È.
Dans un cas comme dans l'autre, cette situation engendre un
déséquilibre et un mécontentement. << Lorsque notre
présence au monde ne correspond pas à ce que nous envisageons ou
à ce que nous idéalisons comme mode d'<< être au
monde, nous nous sentons trahis et nous ne sommes plus prêts à
accueillir les expériences qui s'offrent à nous. Il en
résulte des refus et des résistances qui nourrissent la
frustration È71.
La frustration est confrontée à la
réalité et à l'espace
thymique de Binswanger
comme espace intérieur personnel.
<< La personne frustrée se refuse à admettre
que vivre ne se réduit pas à sa seule disposition à
vouloir et à agir È72, ce qui peut engendrer de la
colère, etc.
La colère est considérée comme une
émotion qui permet de s'exprimer contre entre autres l'injustice,
l'indignation. Souvent, elle découle par exemple d'une frustration,
d'une souffrance. Elle peut être parfois incontrôlable.
5.5. Colère
Cependant, au départ, la colère permet de
préparer le corps au mouvement, à la réaction. Des
changements physiologiques peuvent se faire sentir. Les battements du cÏur
peuvent augmenter pour concentrer le sang vers les organes dit vitaux. La
respiration s'accélère. Le ton de la parole se hausse, etc. La
colère augmente le besoin d'agir.
Ainsi, la colère peut être saine, elle permet de
se mettre en action. Elle permet d'affirmer sa personne et de maintenir son
intégrité physique ou psychique. Elle sert aussi à
l'affirmation d'une volonté personnelle.
70Chartrand, S-L., (2005),
Récupéré le 14.01.2012 de
http://albertportail.info/spip.php?article209
71Ibid. Chartrand, S.-L.
72Ibid. Chartrand S.-L.
Parfois, les personnes qui ont enduré un « mal »
sont en colere et réagissent en rendant « les coups » en
faisant dix fois pire.
C'est la réprobation de la colere qui peut parasiter la
relation à soi-même et aux autres. Elle peut confiner les
personnes dans des états de non-dits.
De cette maniere, celui qui est en colere peut souffrir de cet
état. Ainsi, nous en revenons à la notion de souffrance, de
frustration et nous pouvons comprendre en explicitant ces phénomenes
vécus en prison qu'ils sont étroitement liés,
imbriqués.
De plus, la notion de colere peut également nous
renvoyer au besoin de justice qui est aussi une des valeurs mise en avant par
les personnes que nous avons « interviewées». Nous aimons
reprendre la constatation de Lytta Basset73 : « l'injustice est
un des mobiles de la colere et "une personne en colere est une personne qui n'a
pas renoncé à la justice »74.
En effet, en prison le besoin de justice est tres présent
puisque les détenus ont à faire à elle tous les jours avec
les juges, l'application des lois, la venue
des avocats, etc. Comme nous le verrons plus loin, les
détenus sont souvent mécontents du traitement infligé par
le monde pénal.
Lorsque la colere « gronde », il n'existe parfois pour
certaines personnes pas d'autres solutions pour s'exprimer que d'être
violent.
La violence peut être exercée, verbalement,
physiquement, psychologiquement ou sexuellement. Elle est ainsi souvent
opposée à une application contrôlée,
légitimée et tempérée de la force.
5.6. Violence
C'est un ensemble de comportements, de paroles ou de gestes
agressif s (entre autres casser des objets, des coups), brusques et
répétés à l'intérieur d'une relation visant
à imposer comme par exemple, un pouvoir, un point de vue, à
blesser, à contrôler, à dominer les gestes, les
comportements , les émotions des personnes se trouvant en face et qui
peut aller jusqu'à détruire leur humanité.
De nos jours, tout le monde peut être touché par
la violence. Au premier abord, la violence semble prendre un caractere
routinier à l'intérieur de la prison. Comme il y a une rupture
avec la vie quotidienne, il semble que le danger que la violence se produise
soit plus grand. Les détenus ont l'air de vivre dans la crainte.
Commengons par la violence physique qui atteint
l'intégrité physique des personnes. Elle est souvent visible car
les coups donnés entra»nent des blessures, des traumatismes qui
apparaissent sur le corps.
En même temps, lorsque nous sommes frappés et
attaqués, cela peut également produire beaucoup de
réactions différentes comme la rébellion, la
résistance, des désirs de vengeance mais aussi de la frustration,
de la souffrance, de l'impuissance, de l'abattement.
73L. Basset, formation en theologie, a eu nombre
d'experiences douloureuses notamment la perte d'un fils. 74Recupere
le 15 mars 2012 de
http://books.google.ch/books?id=dveTBKxOgdAC&pg=PA55&lpg=PA55&dq=carole+rongier+lytta+basset&source=bl&ots=IgonNfU-
e 1 &sig=txIdYqhWLN2OgkgbIZzK-
Wxw4OM&hl=fr&sa=X&ei=PHWKT7OOCvTP4QTq78TMCQ&ved=0CCAQ6AEwAA#v=onepage&q&f=false
En ce qui concerne la violence verbale, elle peut se traduire
par des insultes, des cris, des remarques désobligeantes, des menaces,
un ton tranchant, une maniére de s'adresser à l'autre, etc. qui
est souvent trés destructive car elle peut ronger petit à petit
l'estime personnelle, l'image de soi.
Les personnes victimes de violence verbale peuvent parmi de
nombreux exemples, se sentir blessées, avoir peur, se sentir
oppressées, perdre la raison, se sentir usées.
C'est une forme de violence qui peut être distillée
de maniére subtile. Il est parfois souvent difficile de la << voir
>, de s'en protéger, de s'en défendre.
De plus, il est délicat de se mettre d'accord sur une
définition de la violence verbale car selon les expériences
personnelles des uns et des autres, le sensible de chacun est trés
différent. <<On > se sent insulté, agressé etc.
alors que la personne en face nullement. Par exemple, quelqu'un venant d'une
famille oü << on > hurle beaucoup va se sentir moins
agressé si << on > lui crie dessus que quelqu'un venant d'une
famille ou les conflits ne pouvaient pas être discutés
ouvertement75.
Nous rejoignons de nouveau l'espace thymique de Binswanger.
Chacun a son espace thymique et va éprouver de facons différentes
les expériences vécues en prison.
Tous ces phénoménes, cités plus haut, sont
des moyens d'agir sur le monde pour transformer entre autres des souffrances,
des frustrations.
D'un point de vue phénoménologique, la violence
peut être concue comme une rencontre ratée ou le pathique
semble écrasé. Cela devient un moment qui est doté
76
souvent d'angoisses, de frustrations dans l' imprévu et
la soudaineté . Bernier prTMne le respect pour que le pathique ne soit
pas maltraité et qu'une rencontre soit réussie, en mettant de la
disponibilité, de la vigilance et de la ténacité.
Pour clarifier la notion de respect, il est important de
préciser qu'il est associé à l'estime et à
l'égard de soi-même ainsi que des autres, à la
considération, la politesse, qui sont données souvent aux
valeurs, aux régles, etc.
Cela peut se traduire parfois avec des gestes simples de la
vie quotidienne comme servir à l'autre un verre d'eau avant
soi-même, ne pas mettre la télévision trop fortement,
utiliser un langage respectueux.
Pour finir ce chapitre, nous allons aborder la
solidarité. Ce theme a été souvent relaté lors des
entretiens. La solidarité peut être vécue de facon
différente selon chaque détenu. Lorsque nous entendons ce mot, il
ne sonne pas de la même maniére que les six autres
explicités avant. Il donne une note optimiste afin de vivre une
rencontre plus favorable.
75Zeilinger, I., La violence verbale,
première des violences : comment y réagir? Conférence
pour les Equipes d'Entraide HTMtel de Ville de Bruxelles, 24 novembre 2003.
Récupéré le 27 février 2012
http://www.garance.be/docs/031124violenceverbale.pdf
76Bernier (2006) ÇLa dimension pathique
dans la prévention de la violenceÈ
Récupéré le 30 mars 2012 de
http://spirale-edu-
revue. fr/IMG/pdf/ 1 3 Bernier
Spirale 3 7 .pdf
5.7. Solidarité
Lorsque nous prononcons le terme solidarité, nous
entendons en premier lieu la notion d'aide, de soutien envers l'autre. Ce qui
engage aussi parfois la notion de réciprocité.
Phénoménologiquement parlant, le mot
solidarité semble impliquer une dimension qui va au-delà d'un
environnement proche comme la famille, les amis, les démunis nous
entourant.
La solidarité appara»t comme planétaire,
elle n'est pas seulement un acte de charité, d'aide, de soutien, de
secours lors d'événements inhabituels. Elle ne se passe pas dans
un espace orienté.
Nous n'avons pas le pouvoir de décision sur elle, elle
s'applique d'elle-même à tout être humain. Elle engage un
rapport irréductible à soi, aux autres, au monde.
Pour finir, il est intéressant de constater que ce corpus
théorique nous a aiguillées sur plusieurs facettes de la
rencontre, de l'échange.
Premièrement, en tant que travailleuses sociales, les
réflexions phénoménologiques nous ont aidées
à mieux accueillir les histoires de vie des détenus.
Cela nous confirme de plus, qu'il est important de pouvoir
s'impliquer personnellement et professionnellement sans rationnaliser la
souffrance de l'autre et le juger.
Puis, nous avons été éclairées et
nous avons vu plusieurs pistes lorsqu'il y a des rencontres, des relations qui
se produisent en prison aussi bien du côté des codétenus
qui vivent ensemble ou des détenus et du personnel
pénitencier.
Pour finir, les phénomènes que nous avons
décrits sont-ils des phénomènes premiers originaires
c'est-à-dire qu'ils apparaissent d'eux-mêmes, en personne comme le
mentionne Longneaux? Nous n'avons pas la réponse.
Passons maintenant à la partie analyse qui nous a permis
d'écouter et retranscrire ce que les détenus ont eu à nous
Ç dévoiler È de leur mode existentiel en prison.
Et en voyant si notre hypothèse de départ se
vérifie: Nous nous sommes intéressées à comprendre
ce que les expériences affectives des détenus en milieu
carcéral ouvrent pour eux, par rapport à eux -même s, aux
autres et au monde.
Nous supposons que les détenus sont des acteurs
impliqués dans des rencontres avec d'autres qui produisent des
expériences affectiv es voire sexuelles.
La privation de liberté n'entra»ne pas une absence de
besoin d'affectivité.
Partie 3 : Analyse
6. Chapitre VI: Présentation des personnes
rencontrées
Pour réaliser les entretiens, comme écrit
précédemment, nous avons pu contacter un directeur de foyer en
semi-liberté.
Un jour par semaine, les résidents et le directeur font un
repas en commun et débattent sur des themes divers.
Le directeur a présenté notre démarche aux
résidents pour voir s'ils étaient d'accord d'entrer en
matiére. Le sujet que nous leur proposions a suscité un vif
débat.
La semaine suivante, nous avons été invitées
à leur repas.
Le directeur a fait en sorte que nous puissions nous
présenter, comprendre et décrire notre démarche.
Il a demandé également aux résidents, s'ils
nous trouvaient trop curieuses.
Pour animer le repas, il s'est également appuyé sur
certaines de nos questions et chacun de nous a pu exprimer quelques
idées sur l'affectivité et la sexualité.
Pour finir, le directeur a demandé confirmation aux
résidents s'ils étaient toujours d'accord de nous rencontrer pour
un entretien individuel.
Nous avons profité de ce moment pour signer les documents
d'informations et engagement de confidentialité ainsi que notre
engagement éthique réciproque.
Pour respecter la confidentialité, chaque personne
s'est trouvé un prénom, un surnom fictif de son choix. Une
personne a opté pour son surnom juste avant l'enregistrement de
l'entretien.
Nous avons envoyé plusieurs dates par courrier
électronique. Puis les résidents, nous ont
téléphoné pour prendre rendez-vous. Ils ont choisi un jour
qui leur convenait.
Finalement, nous avons effectué quatre entretiens.
Pour ce travail, nous avons fait le choix de faire un
résumé de situation de chaque personne ainsi que des courts
instants de leur vécu.
Woody a la cinquantaine. Il vit
actuellement en semi-liberté. Il a été marié et a
des enfants. Il ne mentionne pas la durée de la peine qu'il a
effectuée sans liberté, mais il estime qu'il a été
trés longtemps en prison. Il ne dit pas non plus l'acte
répréhensible qu'il a commis.
Lors des visites, c'est surtout ses parents et son frére
qui sont venus. En prison, il se dit réconcilié avec Dieu.
Il ne peut pas comprendre qu'il existe des relations
affectives ou sexuelles entre hommes. Il trouve cela choquant, mais il ne
condamne pas les personnes qui vivent une relation homosexuelle.
Il est un fervent défenseur des parloirs intimes pas
seulement pour les personnes qui sont mariées ou qui ont des compagnes,
mais également pour les personnes qui n'ont pas de relation stable
à l'extérieur. Il pense que cela diminuerait la violence interne
que chacun peut éprouver lorsqu'on est enfermé.
A l'heure actuelle, il voit de temps en temps mais
réguliérement une femme.
Charles a plus de trente-cinq ans, il
vit en semi-liberté. Il a une femme et des enfants.
Il ne parle pas de la raison de son incarcération. La
détention lui a permis de faire des choix quant à la conduite
qu'il souhaitait adopter lors de sa sortie.
Charles fait une différence entre
l'affectivité et la sexualité.
La visite de ses proches et de ses enfants lui suffisait pour
avoir des moments affectifs, rien que de toucher les cheveux de ses enfants,
par exemple, lui procurait de la joie.
Se tenir à côté d'un homme pour lui, n'est
absolument pas la même chose que la proximité d'une femme, les
émotions éprouvées sont totalement différentes.
Il a demandé de vivre seul dans une cellule.
Aujourd'hui, dit-il : Ç l'incarcération m'a
permis d'apprendre à rester fidèle È.
Doe est %ogé de plus de vingt
ans. Il vit en semi-liberté. On peut deviner que trés jeune, il a
été condamné à la prison. Il dit de lui-même:
Ç en rentrant j'étais un jeune con, en sortant j'avais muri
È. Lors de son entrée, il était
célibataire.
Il s'est, le plus souvent, arrangé pour rester seul
soit pour manger etc. malgré le fait qu'ils étaient quatre dans
une même cellule. Il n'a jamais fait la demande de vivre seul,
malgré qu'il ne veuille pas trop se mêler aux autres
détenus.
Il a, par exemple, donné des cigarettes à d'autres
prisonniers plus pour Ç avoir la paix È.
Les seuls échanges affectifs importants pour lui, il les
vivait lorsque sa famille (parents, sÏur) venait lui rendre visite.
Aujourd'hui, il a une copine.
Raphael a la quarantaine. Il vit en
semi-liberté. Il parle librement de son délit et de son parcours
de détenu. Il mentionne également les prisons oü il a
purgé sa peine.
Lorsqu'il est rentré en prison, il était
considéré comme un homme fort par les autres détenus.
Lors de sa première incarcération, il avait une
amie. Au départ, elle lui rendait régulièrement visite,
puis elle a pu dire à Raphael qu'elle avait une relation avec
un autre homme. Raphael était bien conscient qu'il ne pouvait
pas lui demander de l'attendre.
Il aime séduire et il ne peut pas concevoir un
échange affectif par le toucher, comme des massages ou autre, avec un
autre homme.
Les échanges entre hommes pour lui sont virils, une tape
sur l'épaule suffit pour montrer qu'il apprécie l'autre.
Les moments de fous rires lorsqu'il travaillait à
l'atelier ont été extrêmement importants pour lui.
Aujourd'hui, il garde une certaine méfiance pour aborder
ses instants d'incarcération avec les femmes qu'il rencontre.
7. Chapitre VII: Questions générales (suivi
du fil rouge) Question 1 : Qu'auriez-vous envie de nous dire de
vous?
Ainsi, pour la première question, nous leur avons
laissé le soin d'exprimer ce qu'ils avaient envie de nous
présenter d'eux. Les quatre ont demandé à être
aiguillés, ils voulaient savoir si nous voulions des données
précises ou ce qui était bien pour notre travail.
Nous leur avons donc cité par exemple l'%oge puis ils ont
pu débuter chacun à leur manière.
Nous avons eu de la chance, car, nous avons pu interroger des
personnes entre 20 et plus de 50 ans, ce qui nous a donné un
aperçu d'histoires de vie riches en expériences diverses dans les
prisons.
Ces personnes ont décrit leur situation familiale. Il y
a une personne mariée, une divorcée, deux célibataires qui
ont à peu près vingt ans d'écart. Deux d'entre elles ont
des enfants.
Les quatre personnes ont passé plus d'une année en
prison. Une personne nous a dit exactement le nombre d'années.
Nous ne désirions pas conna»tre le temps exact, notre
seul souhait était de savoir sic'était plus d'une
année. En effet, lors de détention préventive, les
détenus doivent
être seuls vingt-trois-heures sur vingt-quatre-heures et
ont droit à une heure de promenade par jour. Au bout d'une année
de détention, le régime change, les détenus peuvent plus
facilement se côtoyer.
Nous nous en doutions au moment du repas pris en commun , mais
comme nous ne voulions pas être intrusives nous ne leur avions pas
posé la question à ce momentlà.
Ainsi, toutes les personnes ont fait de la préventive
pendant une année , voire plus, oü elles étaient
enfermées vingt-trois heures sur vingt-quatre avec une heure de
promenade par jour et une fois par semaine le droit de pratiquer du sport pour
certaines.
Une seule personne a parlé spontanément de son
délit. Encore une fois, notre recherche ne se basait pas sur leurs
actes et nous ne voulions pas conna»tre leurs
méfaits, elles ont été libres d'en parler ou
pas puisque l'un de nos principaux objectifs était centré sur
l'écoute des vécus, des expériences concernant
l'affectivité.
De la sorte, à la fin du questionnaire, nous leur avons
demandé comment elles avaient vécu l'entretien. Toutes nous ont
répondu qu'elles étaient étonnées que nous ne leur
demandions pas de parler de leurs actes, ceci fut trés agréable
pour elles.
En effet, lorsqu'elles entrent en prison, quasiment tous les
jours, elles doivent se justifier et y travailler notamment avec la
psychologue. Et même par la suite , lors de leurs sorties.
Question 2: Quels souvenirs gardez-vous de votre
arrivée ou des premiers moments vécus en prison?
Pour la deuxiéme question, nous désirions
écouter leurs premiers instants, qui à nos yeux, devaient
déjà décrire certains moments pathiques importants.
Woody avec une longue description, a surtout
parlé de tout le monde qui regarde, des barreaux partout, des portes
métalliques fermées à clé, des portes qui claquent
ainsi que le bruit des clés qui vous poursuit encore longtemps
aprés la détention.
De plus, Woody dit : Ç (...) alors ca a
été le premier choc en arrivant et en voyant toutes ces cages
d'escaliers avec toutes ces portes, tous ces trucs. J'ai fondu en larmes,
j'étais cassé (...) c'était l'horreur. È. Ce
qui nous permet d'entrevoir déjà la suite des expériences
vécues avec émotions.
En effet, Woody par la suite insiste sur le fait qu'il a
été choqué à de nombreuses reprises.
Quant à Charles, il parle essentiellement de la
peur de l'inconnu. Il raconte qu'il se sentait perdu.
Comme Woody, il est choqué par toutes ces portes
de sécurité et le nombre impressionnant de gardiens
présents.
Dans un premier temps, Charles reste concis quant
à la description de ses émotions lors de son arrivée en
détention.
Pour Doe, la réalisation de son entrée
en prison, s'est effectué le lendemain de son arrivée. Une fois
qu'il s'est réveillé. En effet, il dit: Ç (...) quand
je me suis réveillé, avec tous les matons qui ouvrent la cellule
pour aller faire la promenade à 7h00 alors que ca caille. Ouais, c'est
le lendemain matin que oU j'ai vraiment tilté... Le jour même, pas
vraiment tilté. C'est le lendemain matin, au réveil, qu'on
réalise oU on est È.
Pour Doe, il lui a été également
difficile de parler de ses émotions mais aprés quelques questions
de relance de notre part, il précise également que le bruit des
portes et des clés ainsi que le bruit qui régne dans la prison
l'ont marqué. Puis, il précise comme Woody et
Charles: Ç (...) on ne fait pas un metre sans être
surveillé (...) È.
Selon Raphael pour sa première entrée
en prison, il ne décrit pas ses premiers instants, il raconte que
c'était supportable car il est arrivé avec plusieurs amis,
Ç (...) on était soudé (...) È. Il savait
que sa copine du moment le soutenait.
De plus, il précise que le fait de ne pas savoir la
durée de la peine lui a permis de garder espoir de sortir rapidement.
Par contre, lors d'autres incarcérations, il était
seul et là il dit: Ç (...) c'est différent (...)
È.
En effet, à la deuxiéme incarcération il
se définit comme Ç parano È. Il précise
qu'il s'est isolé par peur d'un complot contre lui. Il dit : Ç
(...) j'étais vraiment mal (...), j'allais me promener sur le toit
de la maison d'arrêt, ouais là, j'étais vraiment
pas bien. C'était tout à fait différent, ouais, ouais.
È.
Ainsi, Raphael reste trés factuel quant à
sa première arrivée en détention.
En résumé, trois personnes ont plutôt
décrit des moments d'expérience sensible et des lieux
sensibles.
De cette question, nous constatons que l'arrivée en
prison à l'air des plus difficiles. La peur de l'inconnu, tout le monde
regarde, les gardiens qui surveillent. Les portes sont toutes fermées
à clé et elles claquent. L'univers semble froid.
Certaines expriment des émotions fortes comme le fait
d'être Ç cassées È.
En ce qui concerne Raphael, il raconte des le
début de l'entretien, plus particuliérement l'expérience
de sa deuxiéme détention, celle oü son espace thymique
appara»t le plus.
En effet, ce témoignage, illustre, le concept de
Binswanger ou l'on voit que c'est la personne qui donne un sens aux
mécanismes qui lui arrivent. Pour rappel Binswanger (1998) pense que les
pathologies cérébrales ou psychiques sont des modes palliatifs
visant à sauvegarder l'intégrité,
l'intériorité de ce rapport-au-monde de la personne.
Raphael nous a expliqué son espace thymique du
moment. Il est mal, il va se promener sur les toits de la prison.
Son espace thymique, lors de sa deuxiéme
détention, a orienté son investissement à Ç habiter
È son corps. Les personnes vivant avec une psychose ont souvent des
descriptions de leurs expériences en les Ç habillantÈ avec
des mots qui illustrent les hauts et les bas vécus. Raphael
décrit un comportement de retrait sur lui. Le fait de grimper sur
les toits et peut-être d'en tomber témoigne de la part de
Raphael une chute envisageable à ce moment-là.
Question 3: Quelles idées des relations entre les
gens aviez-vous avant votre détention?
A travers cette question, nous désirions percevoir si des
sentiments de peur, d'angoisse, de curiosité etc. avaient
été éprouvés dü à une entrée en
prison.
Woody, ne s'est pas posé de questions sur les
relations humaines, il avait d'autres soucis et répond: Ç (...)
Il faut vraiment y être pour y croire. Parce que depuis
l'extérieur on n'a pas idée de ce qui se passe là-bas,
jamais È. De plus, des les premiers jours, il s'est rendu
compte: Ç (...) qu'on nous coupe de toute relation, de tout contact,
de toute affectivité (...) È.
Quant à Charles, il répond non,
cependant il fait un lien avec l'extérieur. Il précise qu'il
n'aurait pas abordé certaines personnes dehors alors que dans la prison
cela change tout, car selon ses dires, elles sont Ç dans le
même bateau È.
Doe pensait surtout aux relations de violence
Ç (...) Les mecs entre nous quand on est enfermé avec tout ce
qu'on peut pas faire ou tout ce qu'on doit faire, on se doit de montrer une
certaine force entre guillemets. Donc, ouais, relations de violence...un peu
conflictuelles. Et ca c'est pas totalement montré faux (...)
È.
Il a cité notamment quelques bagarres.
Raphael a vu quelques films américains qu'il
trouvait violents mais comme c'était un milieu qui ne
l'intéressait pas, il dit qu'il n'y avait jamais pensé.
Malgré notre approche théorique et notre envie
de bien faire, la construction de notre question s'avére au premier
abord mal formulée et naïve . Les personnes interrogées
semblent dans l'incapacité de raconter ce qu'elles n'ont jamais
rencontré. Elles disent que c'est seulement en prison qu'elles se sont
rendu compte de l'ambiance réelle.
En même temps dans leur récit, nous rejoignons le
Réel de Maldiney qui le définit, nous le rappelons, par ce que
nous n'attendions pas.
Woody, par ses dires, illustre le concept de Maldiney en
disant qu'il faut vraiment être à l'intérieur de la prison
pour croire ce qui leur arrive.
Charles pensait ne jamais parler à certaines
personnes ce qu'il a pourtant fait.
Quant à Doe, il s'attendait à devoir
être fort et cela ne s'est pas relevé totalement faux.
Question 4: Pourriez-vous nous décrire une
journée type et quels sont les moments de rencontre importants pour
vous?
Pour la suite, nous souhaitions les phases clés des
rencontres de leur vie quotidienne, qu'ils nous décrivent les espaces de
rencontres plutôt géométriques tout en es pérant
qu'ils allaient dans leurs dires illustrer d'autres espaces.
Une journée type est décrite par un
réveil trés matinal: petit-déjeuner, atelier, repas,
atelier, repas et aller se coucher. Les espaces de rencontres sont les
mêmes pour tous. Parfois, ces moments peuvent être ponctués
par des rencontres avec le, la psychologue, l'assistant(e) social(e). Les
détenus peuvent faire du sport, ont plus de moments de promenade et
libres (moments inexistants en préventive).
Woody a dit qu'il a eu de la chance d'être seul
dans une cellule (il est important de repréciser que les cellules au
départ sont prévues pour un nombre déterminé de
détenus mais vu la surpopulation carcérale, ils finissent par
être une à deux personnes de plus que prévu
initialement).
Il a beaucoup apprécié le travail. A de nombreuses
reprises dans ses diverses réponses, Woody décrit avec
précision sa difficulté d'entrer en contact.
Nous reprendrons également dès la page 67, la
notion d'être seul dans une cellule dans le résumé de tous
les phénoménes que Woody a vécu en prison car
cela semble être un bienfait pour Woody de vivre sans
codétenu mais est-ce vraiment le cas ?
Quant à Charles, dans un premier temps, il est
passé par une cellule ou il vivait à deux puis dans un
deuxiéme temps dans une cellule oü ils étaient cinq. Puis,
Charles a demandé à être seul.
Pourtant, il aime les moments de repas car ce sont des instants
ou ils peuvent jouer aux cartes, parler, s'entraider.
Là, également pour Charles, nous
écrirons quelques lignes sur la notion de vivre seul.
Doe a toujours vécu dans une cellule ou ils
étaient plusieurs. Il n'a jamais demandé de changement
malgré le besoin par moment de se retrouver seul. Il n'a jamais rien
entrepris même s'il aimait être au calme.
D'ailleurs il raconte: Ç (...) les relations avec
les autres détenus, honnétement, j'm'en fous, j'avais pas
l'intention, c'était pas des potes, j'avais pas l'intention de revoir
les gens apres, c'était juste des gens avec qui je devais vivre le temps
que j'étais là et basta (...) È.
Il précise également que les moments importants
pour lui sont les instants de parloir avec sa famille.
Raphael, la première fois, était seul
dans la cellule puis il a été jusqu'à cinq pairs.
Lorsqu'il a vraiment été mal, il vivait seul. Lors de sa
derniére détention il a demandé à vivre avec un
américain comme cela il pouvait apprendre la langue.
Pour lui, il n'y a pas eu de moments importants de rencontre.
C'était surtout dü aux personnes présentes lors de ses
incarcérations. En effet, il narre: Ç Cela dépendait,
avec qui, quoi. a dépend de la relation, des fois il y a une bonne
relation, on était tout content d'aller à la promenade pour le
retrouver. (...) È.
Pour nous, lorsqu'il nous dit avoir fait une demande pour pouvoir
vivre avec un américain, nous y identifions l'espace pathique de
Straus.
Il s'est retrouvé comme imagé par Straus, dans
un paysage oü l'horizon s'est déplacé avec lui. Il a
favorisé son ouverture et c'est la surprise de pouvoir apprendre
l'anglais en prison gr%oce à un autre détenu.
Question 5: Pourriez-vous nous décrire une
expérience d'échanges affectifs lors de l'un de ces moments?
Woody décrit un trés beau souvenir.
Comme les cellules étaient ouvertes, tous les lundis, il pouvait
rencontrer un de ses pairs qui était trés croyant. Cela lui a
permis de Ç tenir È.
Charles parle d'une personne extraordinaire, cette
derniére avait un probléme psychiatrique et Charles
trouvait fabuleux qu'elle puisse le reconna»tre et que quand elle
n'était pas bien, les détenus la laissaient tranquille.
Charles, ayant l'obligation de suivre une
thérapie, précise que ses moments passés avec la
psychologue ont été bénéfiques et lui ont permis
une évolution positive.
Quant à Doe, comme pour la question
précédente et les suivantes, il en revient fréquemment sur
le fait que c'est sa famille qui prime dans les échanges affectifs. Il
ne souhaite pas s'investir dans des relations à l'intérieur du
milieu pénitencier.
Lors de sa première incarcération, Raphael
a vécu des moments affectifs car il y avait la présence de
ses amis.
Sa deuxième privation de liberté ne lui permettait
pas de créer des liens vu sa situation psychique.
Comme mentionné avant, lors de sa troisième
détention, Raphael a demandé à vivre avec un
américain ce qui lui a permis d'apprendre l'anglais. De notre point de
vue, il s'agit d'un moment pathique vécu par Raphael comme
mentionné à la question précédente.
Nous constatons que les expériences sont variées.
Elles peuvent se situer aussi bien au niveau des codétenus que des
professionnels.
Les détenus ne citent pas forcément que ce sont
des relations affectives. Cependant, à nos yeux, c'est
déjà une ébauche de la vie affective même si les
quatre insistent depuis le début que c'est la rencontre avec des proches
qui permet une relation affective.
Dans cette question, la notion de Ç tenir È
appara»t, la plupart de temps, avec des mots différents. Les
personnes rencontrées n'envisagent pas la prison comme un lieu positif,
sauf Charles lorsqu'il décrit l'opportunité qu'il a eu
pour changer en ayant l'obligation de suivre un suivi thérapeutique.
Question 6 : Comment en êtes-vous arrivés
à créer des liens en prison, était-ce: o de votre
initiative?
o des autres?
Concernant Woody, nous ne lui avons pas posé
la question proprement dite. Cependant durant l'entretien, malgré qu'il
se décrive comme une personne au contact facile, il nous spécifie
qu'il est rare pour lui de rencontrer des personnes avec lesquelles il peut
créer des liens : Ç (...) c'est trés, trés
limité (...) È. En fait, il nous explique qu'il a
été limité notamment au niveau de la langue car pour lui,
lorsqu'il était en prison peu de personnes parlaient francais en disant
: Ç (...) ca été une difficulté majeure je
dirais. (...) È.
L'exemple que nous cite Woody par rapport au langage
étaye notre corpus théorique (chapitre 4.3, page 32) où
nous voyons que le langage permet de faire émerger notre foyer natal en
Ç habillant È notre vécu. Effectivement si peu de
détenus parlent le francais il doit être difficile
d'établir des liens si personne ne se comprend.
De plus, il spécifie qu'il ne souhaitait pas
forcément créer des liens avec des détenus qui souffraient
de maladies psychiques.
Ce que nous pouvons également illustrer avec cette
phrase de Woody: Ç (...) Aprés il y a des
énormes problémes de violence, du racisme, y'a des insultes, la
moindre petite étincelle, et pis ca explose, on sent, il y a une
tension, c'est une poudriére, une vraie poudriére. Les gens sont
à cran, toute la journée brimés par les gardiens soit par
leur situation, soit par des juges, par des réponses négatives.
(...) È, c'est pe ut- être une crainte de relations
conflictuelles supplémentaires. En effet, pour lui il y a
déjà assez de violence et d'injures vécues tous les
jours.
Pour en revenir à Charles, il raconte de
manière générale : « (...), parfois cÕest
certains qui viennent vers toi, certains cÕest toi qui y va, je ne sais
pas comment expliquer, ga ne se programme pas, ga vient comme ca. ».
Il rajoute un peu plus loin : « (...) On fait attention aux autres,
à soi-meme et peu à peu, il y a des liens qui se creent.
(...) ».
Rappelons que Charles a fait une demande pour
être seul dans une cellule comme cela il n'a pas à vivre des
conflits, nous le citons : Ç (...) Parce que la prison de toute
fagon, cÕest rotatif. Quand une personne arrive aujourdÕhui, on
sait pas sÕil part demain ou sÕil part dans deux ans. Avec la
personne cela peut se passer bien et la personne qui arrive après ga
passe mal, je preferais eviter cela. Un moment jÕetais avec une personne
et ga se passait tres bien et quand il est parti, la personne qui est arrivee
ga a pett (...). JÕai prefere etre seul pour eviter ce problème.
(...). ».
Selon Doe, les contacts se font d'eux-mêmes.
Les liens se font dès le début. Il ne peut pas expliquer
comme Charles qui va en premier vers l'autre. Il spécifie
pourtant qu'il se dirige plutTMt vers des personnes calmes comme lui.
Charles et Doe ne peuvent ainsi pas
expliquer comment les relations se créent, il semble que nous rejoignons
Husserl ou il dit : Ç les sensations tout comme les actes qui les
apprehendent, ou les apergoivent, sont en ce cas vecues, mais elles
nÕapparaissent pas objectivement ; elles ne sont pas vues, entendues, ni
pergues par un sens quelconque.».
Nous y retrouvons également Straus, puisque le pathique
pour lui est une communication immédiatement présente,
intuitive-sensible, encore pré conceptuelle, que nous avons avec le
monde. Ce qui peut expliquer, lors de leur récit, la difficulté
qu'ils ont eu à communiquer certaines de leurs impressions.
C'est également pour Heidegger l'être qui ne se
montre jamais tel qu'il est. L'être, un « para»tre » qui
se joue du Dasein.
Raphael raconte que , lors de sa première
détention, ce sont les autres détenus qui sont venus
spontanément vers lui car son acte avait été
médiatisé. Il avait une aura de rebelle. Les liens se sont fait
spontanément.
Nous rappelons que lors de la deuxième détention
il n'y a pas eu de liens car il s'isolait de lui-même et selon ses dires
il se définit comme « parano ». Il précise
qu'il s'est isolé par peur d'un complot contre lui. Il dit : «
(...) jÕétais vraiment mal (...), jÕallais me promener
sur le toit de , ouais là, jÕétais vraiment pas bien
». Avec cette question Raphael revient à nouveau sur
sa deuxième détention qui semble avoir été
extrêmement difficile à vivre, o0 il semble qu'il a tout fait pour
sauvegarder son intégrité, son intériorité du
rapport au monde, à la prison (chapitre 4.3, page 31).
Question 7 : Comment pourriez-vous décrire ces
liens.
o superficiel
o convenu ou conditionné par le milieu (servir soupe) o
amicaux
o affectif
o intime
Avec cette question nous voulions que les détenus
ressortent selon eux, les différents liens qui peuvent exister en
prison. Nous précisons que cette question n'a pas été
posée telle quelle, toujours dans l'optique que ces entretiens soient un
échange.
Woody dit avoir eu quelques liens amicaux mais
c'était trés rare. Pour les autres relations, il les
décrit, comme un peu, artificielles. Comme par exemple lors de contact
entre détenus à l'atelier, durant le sport ou la promenade.
Cependant, lors de la promenade il mentionne également que
c'était à ce moment-là qu'il pouvait avec deux-trois
Ç bons copains È discuter.
Il précise également qu'il a entretenu un lien fort
avec un des détenus avec qui ils échangeaient au sujet de la
spiritualité , en s'isolant dans l'une de leurs cellules.
Il ajoute également que lors de départs, c'est
là qu'il s'est permis d'enlacer et de presque pleurer. Il dit : Ç
(...) c'était trés intense comme relation. È
Il nous semble que ces moments étaient plus proches de
liens affectifs qu'amicaux.
Charles mentionne une fois le mot amitié par
rapport aux détenus et décrit surtout comment étaient ses
liens, ils seront détaillés dans la question suivante.
Il complete qu'il a créé des liens avec
l'assistante sociale et un des Ç psy È : Ç
(...) Ils sont là pour faire leur travail, c'est un lien, on va pas
dire de grande amitié mais quand méme d'amitié. (...)
È.
Il précise que les relations affectives sont seulement
avec sa famille et ses enfants.
Doe pense que les liens qu'il a vécu en prison
se situaient entre le superficiel et l'amitié. Pour lui, c'était
des amitiés sur le moment et une fois la détention
terminée, il n'y pensait plus , ne voulait plus les revoir.
Ce qu'il décrit nous appara»t comme des
amitiés éphéméres, ponctuées par le temps
oü il y avait une Ç bonne entente È.
Comme Charles, il dit que les relations affectives se
passent avec ses proches.
Selon, Raphael, il croit que c'était de
l'amitié sincere et pas superficielle. Pour le citer : Ç (...).
Il n'y a pas de petites courbettes pour se dire bonjour, ca n'existe pas,
je ne crois pas. È.
Pour conclure, avec cette question, nous constatons que pour
les quatre, il y a eu des liens amicaux. Tous décrivent des liens qui se
créent sur le moment mais qui ne perdurent pas.
Quand à Woody, il a l'air d'avoir vécu
un événement de surprise acceptable, le Ç Réel
È s'est fait conna»tre sur un mode affectif. En effet, lors du
récit de Woody pour cet item, sa voix faiblit, il a presque les
larmes aux yeux. Woody a été le seul à nous
décrire un moment pathique pour cette question. Les instants de
départ semblent pour lui des moments extrêmement fort s voire
douloureux, il n'aurait pas cru que ce soit à ce point-là.
Question 8 : Comment étaient ces liens?
o de confiance
o de respect
o de réciprocité (je te donne, tu me donne, je te
raconte, tu me ...) o d'entraide
o de solidarité
o d'échange d'idées
o de discussions
o d'amitié
o d'amour
o sexuels
Woody a peu de liens de confiance mais il parle de
réciprocité, d'entraide et de discussions. Quant aux autres
liens, pour lui, ils sont superficiels sans confiance et sans respect. <<
Ouais, ouais. Trés difficile, trés difficile, ah ouais
È. Quand il raconte ses liens avec le personnel pénitencier,
il les décrit comme mitigés. S elon lui, cela dépend du
surveillant. Il trouve difficile le manque de respect, même si cela n'est
pas fait par tous les gardiens.
Il évoque également les insultes recues de la
part de s autres détenus: <<Non, non pas de respect. Chacun
pour soi, égocentrique, les insultes, la violence, le respect
alors-là, ca manque terriblement, sauf avec ces deux, trois gars (...)
È. Et ajoute un autre exemple: << (...) vous avez une
tablée de turcs et chaque fois que vous passez à coté on
vous dit: Çsale suisse de merde È (...) È.
Charles parle beaucoup de solidarité: <<
(...) on est tous dans le même bateau (...) È ainsi que
de respect. Il dit également que même s'il y a des conflits entre
deux personnes, quand il faut se soutenir, c'est la solidarité qui
prime. De plus, il a eu confiance en peu de personnes pour pouvoir raconter ses
problèmes mais il a eu des liens de soutien.
Ces liens lui ont permis de ne pas se sentir seul et de ne pas
sortir << fou È. Les liens lui ont procuré un
sentiment de sécurité.
Pour finir, il a créé un lien avec la psychologue
et celle-ci lui a permis d'avancer et de changer comme écrit
précédemment.
Doe parle de confiance sans rentrer dans les
détails en disant: <<On peut pas avoir une confiance absolue.
La confiance absolue, personnellement, moi en prison, elle existe pas. Du
moment qu'on est en prison, j'veux dire, on peut pas avoir confiance en qui que
ce soit. La seule personne en qui on a confiance, c'est soi-même. (...)
È. Il semble que la confiance soit placée pour Doe
sous le signe de la confidence et que ce n'était vraiment pas
possible pour lui. Le fait de ne pas tout divulguer aux autres détenus
était d'une certaine manière une forme de protection.
De temps en temps, il dit pourtant qu'il pouvait compter sur
certains codétenus.
Il parle également de solidarité en termes de
dépannage à un moment donné et pas entre tout le monde.
Pour lui, comme déjà écrit
précédemment, il avait des liens par obligation, il voulait
seulement exécuter sa peine sans investissement.
De plus, Doe parle plus de savoir-vivre que de
respect. << (...) C'est juste une question de, ouais, c'est
même pas une question de respect, c'est du savoir-vivre. (...)
È.
Ces réponses seront reprises plus loin dans le
développement de notre mémoire afin de mettre en avant les
phénoménes qui sont le plus présents lorsque nous
évoquons le sensible.
Il est à noter que pour la majorité des personnes
interrogées, la confiance est traduite par le dévoilement de son
intimit é aux autres détenus.
Nous constatons que tous, dans leur récit, se sont
attachés à ne pas se confier, ou un peu, sur leur vie personnelle
aux autres détenus. En effet, la plupart du temps ce sont des liens
amicaux certes, mais qui sont ponctués dans le temps par la
détention et cela n'a pas l'air de favoriser l'échange sur
l'histoire de vie vécue à l'extérieur.
Nous pouvons également remarquer que l'idée de
respect revient à de nombreuses reprises dans leurs témoignages.
Comme nous l'avons écrit dans notre corpus théorique (chapitre
5.6, page 45), elle est associée à l'estime et à
l'égard de soi- mê m e, ainsi que des autres , elle est
associée à la considération, à la politesse.
Cela peut se traduire avec des gestes simples de la vie
quotidienne comme servir à l'autre un verre d'eau avant soi-même,
ne pas mettre la télévision trop fortement, etc. Ce qui est
intéressant de remarquer c'est que le respect est associé au
savoir-vivre comme l'a fait Doe. La demande de savoir-vivre envers lui
et les autres nous permet de faire le lien avec la notion
de l'écrasement du pathique que décrit Bernier
dans son article sur le pathique de la violence77. En effet, si le
respect existe, les actes qui peuvent apparaitre comme violents sont
moindres.
Avec l'expérience de Woody, il appara»t
clairement que cette notion (l'écrasement du pathique) peut
également s'appliquer à lui.
Question 9 : Qu'auriez-vous envie de nous en dire?
Nous n'avons jamais posée cette question de facon
équivalente car pendant les entretiens, les personnes, ont largement
décrit le comment elles vivaient les liens en prison au point
précédent.
Ce qui veut dire que lorsque nous avons construit cette grille
d'entretien, nous présupposions qu'elles allaient nous répondre
succinctement à la question 8 ce qu'elles n'ont pas fait.
Question 10: Lors des rencontres qui ont compté
pour vous, comment le contact s'est-il créé?
En fait, cette question, reprend la question 6, à ceci
prés que la question 6 était destinée pour
l'arrivée en prison alors que celle-ci était prévue lors
de la durée de la détention.
De plus, dans leur récit, ils racontent plus des liens qui
perdurent à l'extérieur. Cependant, les personnes ont, des le
départ des entretiens, développés largement leurs
réponses. La création du lien, les contacts ont pu aussi
être expliqués dans d'autres items.
Encore une fois, nous avons certainement eu peur qu'elles
restent concises dans leurs témoignages. Cela faisait sürement
partie d'un a priori de notre part puisque
77
http://www.cahiers-ed.org/ftp/cahiers9/C9_bernier.pdf
notre sujet de mémoire a été défini,
dès le commencement du module TB1, comme difficile à aborder.
Question 11 : Lorsqu'il existe un moment d'échange
des émotions apparaissent, qu'est-ce qu'elles ont permis :
De vous sentir :
o mieux
o paisible
o reconnu
o moins seul
o compris
o triste
o plus isolé
o avoir envie d'avoir un projet de vie
Cette question, nous l'avons posé telle quelle durant
les deux premiers entretiens. Pour les deux derniers, nous l'avons
adapté avec des questions de relance afin d'obtenir plus
précisément les différentes émotions qui peuvent
appara»tre. En effet, nous nous sommes apergues que les deux
premières personnes ont eu de la difficulté à nous livrer
leur sensible.
En fait, nous nous rendons compte qu'au départ nous
n'avons pas formulé cette question adéquatement. La tournure de
ph rase a empeché leur expression d'émotions. Heureusement, pour
nous les émotions sont quand meme apparues mais plus succinctement dans
cette question et plus largement dans d'autres items.
Ainsi, Woody dit qu'il était rongé, tendu
par des tracas administratifs.
Il a pu dire qu'il se sentait mieux quand il avait des
« bons copains », il se sentait plus paisible car il pouvait
discuter d'émotions avec eux. Cependant, quand ses quelques amis
devaient partir soit pour transfert ou fin de peine, c'était très
dur pour lui. Il a également éprouvé des émotions
fortes lors des moments de départ de certains codétenus, il en va
jusqu'à pleurer et c'est de nouveau le « bas ».
Woody mentionne également le « fond
du trou » après la visite de ses proches. C'est plus une
tension. Il n'a jamais voulu en parler avec des professionnels pour avoir du
soutien. Woody nous a dévoilé son espace thymique du
moment lorsqu'il nous parle « dÕau fond du trou », de
sa difficulté à en remonter seul puisqu'il ne s'est pas
adressé à du personnel pénitencier qui aurait pu
l'aider.
Charles mentionne peu d'émotions
particulières pendant l'entretien. C'est à la fin de la rencontre
qu' il parle de rage, de frustration, de sentiment de culpabilité tout
en ne se livrant pas particulièrement sur s es émotions.
Cependant durant l'entretien, de temps en temps une phrase
nous a été livrée de son état émotionnel,
lors de relations surtout avec les surveillants, comme par exemple :
Ç(...) Si je mÕengueulais avec un gardien, je ne disais pas de
gros mots, mais je faisais respecter mes droits dÕhumain. (..). (..)
mais je haussais la voix.
(---) ».
De plus, il se décrit comme quelqu'un qui n'est pas
diplomate. Il a profité d'en discuter avec les « psys
» car il a eu l'obligation de poursuivre un suivi
thérapeutique pendant sa peine : « JÕai di) faire un
travail là-dessus, car je dis toujours les choses
vraies mais pas toujours comme il le faut, pas vraiment
diplomate. (...) J'ai eu le déclic heureusement (...). (...) J'ai
beaucoup changé (...) ».
Charles décrit « l'opportunité
» qu'il lui a été imposé pour entrer dans un
processus de changement. Il semble que c'est Charles qui a pu donner
sens aux mécanismes qui lui sont arrivés et a pu ressentir les
forces créatrices qu'il avait en lui (Binswanger 4.3, page 31).
Le suivi thérapeutique a été exigé
sürement selon l'acte (la cause) qu'il a commis. Mais selon les dires
de Charles, nous pouvons supposer que le spécialiste a
été ouvert à la rencontre et était plus dans
l'empathie que dans l'interprétation pour préserver la
liberté de Charles. Le spécialiste l'a peut-être
accueilli dans le moment présent ce qui a peut-être permis
à Charles de s'ouvrir aux choses concretes de la vie.
Doe cite les émotions telles que la colere, la
rage, l'impatience et l'apaisement quand il y a les parloirs.
Il associe la colere et la rage à l'administration
pénitenciere puis il ajoute que l'apaisement appara»t chez lui
quand un parloir a lieu. Cependant, l'impatience est une émotion qui est
présente tout au long de son incarcération puisqu'il dit :
« L'impatience quotidienne d'attendre que l'on sorte (...)
».
Raphael signale des émotions comme la joie, la
tristesse. La joie par exemple de jouer aux cartes, d'être avec les
codétenus à l'atelier, de se raconter les blagues.
Il nomme aussi la violence et la compassion qui ne sont pas
des émotions mais auxquelles nous pouvons associer la colere et la
sensibilité à la souffrance des autres.
De nouveau, ces citations nous donnent de précieuses
informations sur le concept de l'espace thymique de Binswanger (chapitre
4.3).
Nous pouvons voir que diverses émotions sont apparues
selon les détenus. Elles ont été vécues,
exprimées, gérées et « habillées » de
fagons différentes selon chacun. En effet, les détenus ont
décrit avec leurs mots des moments plus faciles ou difficiles à
vivre et comment ils ont pu « profiter » ou non du soutien des
professionnels.
Question 12 : Comment définiriez-vous la nature de
vos contacts ?
o par un contact comme le toucher ?
o par des échanges de mots ?
o non verbal ?
o autre
Woody a décrit un moment très fort que
nous avons déjà cité auparavant. Ce sont les moments de
départ de ses pairs qui ont eu de l'importance. Ils se serraient dans
les bras et ces instants font ressortir les émotions de tristesse par
exemple. Il définit la nature de ses contacts par des échanges de
mots.
Woody associe aussi les contacts physiques à
l'homosexualité et n'accepte pas l'homosexualité, il trouve
« choquant ». Il a également peut-être une
certaine peur qu'une fois le passage à l'acte franchi, il y a non-retour
puisqu'il dit « (...) Mais disons personnellement, une fois qu'ils ont
franchi le pas... ». En exprimant cela, peut-être que
Woody a peur de vivre une humiliation supplémentaire ?
Charles parle de contacts non-verbaux: Ç
Ouais, aussi quand on allait à la promenade, on prenait le soleil et on
restait là, une heure sans se parler et on était bien. (...)
È. Puis, il raconte ses contacts avec ses enfants durant les
visites: (...) l'affection je l'ai avec mes enfants dans les parloirs, je
les tiens dans mes bras, je leur donne des bisous, c'est de l'affection.
È.
Pour Doe, il définit ses contacts comme
verbaux. Prendre quelqu'un dans ses bras ou se faire prendre dans les bras
n'était absolument pas envisageable. Donc quand il parle de contact
physique c'est par une poignée de main ou une tape sur le dos.
Quand nous lui posons la question Raphael parle de
pudeur, il dit qu'il n'aurait jamais osé demander par exemple un
massage: Ç (...) méme pas un massage rien, pourtant un
massage c'est naturel, masse-moi le dos, non je n'oserais pas, non, c'est
trop... je sais pas ca faisait trop, je sais pas moi È. Il rapporte
que la nature de ses contacts était principalement verbale même si
parfois il y avait des tapes dans le dos. Il raconte également que de
temps en temps, il avait des échanges non-verbaux, il donne en exemple
les regards de complicité.
A un autre moment du récit Raphael mentionne
également qu'il a eu des propositions sexuelles de la part d'un
codétenu mais vu qu'il lui est impossible d'avoir un contact physique
avec un homme, il a bien sür refusé catégoriquement.
Pour en revenir au phénoméne de contact, lorsque
nous avons évoqué le terme de contact, la plupart du temps les
personnes vivant en semi-liberté ont immédiatement décrits
des expériences de contact physique.
De leur dires, il en ressort que la dimension physique semble
être évitée. Il semble qu'ils ne peuvent pas concevoir un
échange physique surtout entre eux.
Il n'y a que Woody qui évoque, lors des
sorties de ses amis codétenus de prison, avoir eu des contacts physiques
en ne nommant pas ces gestes comme affectifs mais c'est le ton de la voix, les
larmes aux yeux qui nous font dire que peut-être cela faisait partie du
registre de l'affectif.
De plus, nous remarquons que les quatre personnes s'appuient sur
la discussion pour établir une relation.
Elles ont ramené le terme de contact sur les liens
amicaux ce qui finalement nous améne à la préposition
Ç avec È dont nous parlons au paragraphe sur le contact (page
40). C'est-à-dire être dans le Ç Réel È avec
le monde.
Ainsi, les détenus nous ont parlé des deux
définitions que nous avons évoquées.
Et nous voyons que le contact est tout de même de
l'ordre du sensible malgré qu'ils aient abordé en premier lieu
les contacts physiques. De plus, pour les personnes interrogées, le lien
se crée visiblement sur une longueur et de préférence
à l'extérieur de la prison.
Nous pouvons citer Raphael lorsqu'il parle de
contact, il dit de lui qu'il a le contact facile mais fait tout de suite une
distinction par rapport à conserver un lien. Ce n'est pas du tout la
même chose pour lui. En effet, il a rarement gardé un lien avec
d'autres détenus une fois sorti.
Pour finir, encore une fois, pour eux, les échanges
affectifs y compris les gestes ne se font qu'avec la famille.
Question 13 : Qu'avez-vous apprécié?
Cette question faisait partie du fil rouge de notre questionnaire
cependant elle était superflue car tous avaient répondu à
cette question bien avant.
Question 14: Qu'est-ce que vos expériences
affectives ont permis, dans votre vie de tous les jours?
Cette question a été posée en dernier pour
voir si l'expérience de la détention a fait évoluer leurs
directions de sens ou leur affectivité à leur sortie.
Woody commence par parler de sa vision de la
liberté, il dit: Ç (...) a vaut de l'or la liberté,
c'est la première découverte en me promenant tout seul (...)
È.
Il poursuit par son angoisse de voir du monde, en
précisant que Noël a été une période difficile
à digérer.
Il précise qu'il se contente de beaucoup moins de
choses.
Pour finir, il se permet de nous raconter qu'aprés deux
mois, il est allé à la rencontre d'une prostituée qui lui
a apporté de l'affectivité selon lui. C'était son premier
contact avec une femme depuis des années de détention.
Heureusement pour lui , dit-il, elle a été compréhensive,
Çsympa È et gentille et il exprime qu'il a
été trés ému.
Il semblerait que Woody une fois la privation de
liberté terminée ait pu vivre une expérience affective
alors qu'en détention ses expériences apparaissent la plupart du
temps comme sensibles.
Charles, s'est rendu compte qu'il voulait rester
fidéle. Il explique qu'avant sa détention lorsqu'il avait un
probléme conjugal, il allait facilement voir ailleurs en
précisant : Ç (...) Et avant, j'étais plus exigeant,
ce que je ne pouvais pas avoir à la maison, je vais le chercher dehors
(...). (...) c'est de savoir que je peux tenir aussi longtemps sans femme.
(...) . È. Maintenant, il ne veut plus aller trouver quelqu'un pour
une nuit. Il se dit bien et que depuis sa sortie, il a tout changé. Il
ajoute comme mentionné avant qu'il a eu un suivi thérapeutique.
Il a utilisé ce dernier en pensant à sa sortie car il souhaitait
être un exemple pour ses enfants.
Dans ce témoignage nous retenons le mot Ç
tenir È. En prison, le cTMté affectif leur semble
imposé et c'est pourquoi il faut Ç tenir È pour
ne pas montrer ses sentiments et son affectivité en prison à une
autre personne qu'à sa femme.
Doe des le début de l'entretien dit que la
prison n'est pas un hTMtel, il le répétera plusieurs fois. Pour
la derniére question, il raconte son besoin de renforcement de lui,
s'être Çendurci È pour les mauvais moments qu'il
pourrait vivre dehors. Il dit : (...) Ç On a toujours des... pas des
combats mais toujours moyen de... toujours une petite embrouille, on a toujours
quelqu'un qui nous prend la tête, avec qui on s'prend la tête.
J'pense ca m'a encore plus renforcé... les mauvais cTMtés de la
prison, m'ont bien renforcé. È. Puis il ajoute
Ç(...) Faut toujours qu'on se renforce un minimum pour pas s'faire
bouffer. Parce qu'y'a toujours des imbéciles qui jouent qu'à ca,
c'est de démolir les autres. Donc si on, si on se renforce, ils nous ont
pas. È.
Il rajoute à la fin de notre rencontre qu'il doit
vérifier sans arrêt s'il a toutes ses affaires sur lui en
exprimant : Ç C'est p't'être la méfiance de tout et de
tout le monde. (...) È.
Doe pense qu'il a pris certaines habitudes en prison et
cela l'énerve car il n'arrive pas à s'en débarrasser.
Il nous semble que Doe doit d'abord s'assurer du lien
pour pouvoir exprimer ses besoins, ses émotions. Il semblerait
qu'à cause de ses expériences sensibles vécues en prison,
il ne se permet pas de se montrer tel qu'il est maintenant qu'il est sorti de
prison.
Doe pense qu'il a muri pendant son
incarcération, il raconte : « Ben, disons que jÕai
enormement muri. JÕsuis rentre là-bas avec une mentalite
dÕado et encore... JÕsuis ressorti avec une mentalite
dÕhomme de mon %oge. (...) Meme une gardienne, ellememe qui mÕa
dit, pÕtÕêtre quoi, pÕtÕetre au bout
dÕun an, elle mÕa dit en ouvrant la porte, ben on sÕest
mis à parler avec la gardienne, elle mÕa dit : « t'as
bien changé toi È. En arrivant, tÕetais un vrai
con. ».
Dès le début de son récit, il dit qu'il
faut montrer une certaine force aux autres détenus. Ce qu'il semble
avoir fait tout au long de son incarcération en se retenant pour ne pas
entrer dans des conflits, parce que plusieurs fois, il nous a dit qu'il n'avait
pas un tempérament calme mais de Ç foncer dans le tas
».
Il apparait pour Doe que c'était bien de
s'endurcir, de « tenir » en prison. Car à l'extérieur
quand il existe des situations difficiles, il semble les gérer
différemment. En même temps, il se dit être méfiant
pour tout maintenant qu'il est dehors.
Cet exemple illustre ce qu'a décrit Maldiney : «
C'est l'événement qui exige après coup d'être
intégré dans une nouvelle configuration de possibles et non pas
nous qui décidons librement de changer la tournure du monde.
»78 Doe a pris les Ç mauvais cTMtes de la
prison » pour les utiliser en sa faveur à l'extérieur.
En même temps, il est énervé de garder des habitudes de
détenu.
En ce qui concerne Raphael, il y a eu une incidence dans
sa relation avec les femmes.
Il pense qu'il a découvert une dépendance à
la relation. Il dit s'être aperçu que si une relation se termine,
ce n'est pas grave .
Il nous confie : Ç (...) a veut pas dire que je
nÕai pas besoin mais je sais que je peux vivre sans, et donc
euh...voilà...si ga doit se casser si jÕai une relation qui
casse, je vais moins etre à cran, comme on dit comme un drogue qui...je
me dis b on ben voilà je vais retrouver quelquÕun dÕautre,
il faut attendre un laps de temps(...) ».
Puis il raconte ses premières sorties, la
difficulté de con tenir son corps. Il illustre son expérience
avec l'histoire d'une fille rencontrée dans une discothèque et
avec qui il danse et se rend compte qu'il n'arrive pas à se
contrôler, il parle de son érection et se sent vraiment mal, il no
mme cela la honte.
A une de ses sorties de prison, une femme lui a dit qu'elle le
trouvait « cochon ». Quant à lui, il ne sait pas si c'est
l'%oge ou ses expériences de privation de liberté.
Il précise que lors de sa première
libération il était plus facile de rencontrer quelqu'un. Il
n'avait pas de problème à raconter son expérience
carcérale car son acte avait été médiatisé.
Maintenant, c'est plus difficile pour lui d'en parler avec une femme, il dit :
« (...) Voilà les deux dernières fois je trouve que
cÕest trop, trop.
CÕest ce qui... je veux pas dire qui
mÕangoisse mais quand je connais une fille je me demande ce que je vais
bien pouvoir lui dire. Déjà, si elle me demande de
découcher
78 Texte public dans Les Lettres de la Societe de
Psychanalyse Freudienne, Questions d'espace et de temps, n° 20, 2008, p.
45-55. Dastur, F., Temps et espace dans la psychose selon Henri Maldiney.
Recupere le 2.03.2012.
http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm
un soir de semaine, je ne peux pas, il faut que je
mÕarrange avec Monsieur r et
le week-end cÕest limite car je travaille encore le
week-end. (..) Mais dÕun autre cTMte, si je lui dis, elle va avoir peur
de moi, direct. ». Plus loin, il se dit être dans
l'insécurité et trouve que c'est un frein pour sa
sexualité et son affectivité.
Quand Raphael dit : « ce nÕest pas que
je mÕangoisse » est-ce que peut-être, nous ne nous
trouvons pas face à la finitude d'Heidegger (paragraphe 4.2 page 28)
?
Son expression d'une angoisse fondamentale (une angoisse face
à la mort) qui le place face au néant. Rappelons-le, le
néant n'est pas considéré par Heidegger comme
négatif mais plutTMt comme un potentiel « d'Etre ».
Raphael est probablement dans cette situation puisqu'il se trouve dans
l'insécurité et se demande comment il va pouvoir raconter ses
expériences carcérales aux personnes de sexe féminin.
Pour finir avec ce chapitre des questions suivies par un fil
rouge, nous rappelons que nous avons vu les personnes interrogées avant
les entretiens et que nous avions déjà pu aborder le sujet de
l'affectivité et de la sexualité. Nous avons repris certaines
questions qui étaient ressorties durant le repas et qui semblaient
importantes car elles avaient déjà suscité un vif
débat entre les personnes vivant en semi-liberté et nous.
8. Chapitre VIII : Questions specifiques
Question : Est-ce qu'il y a une différence entre
l'affectivité et la sexualité pour vous ?
Woody fait une différence entre
l'affectivité et la sexualité. Il pense qu'il est possible de
prendre un bon copain dans les bras sans idée sexuelle. Il
définit l'affectivité par la tendresse, les caresses, etc.
Concernant la sexualité, il dit pouvoir se débrouiller seul.
Ce qui a été le plus difficile à vivre en
détention, c'est le peu d'affectivité, le peu d'échange de
tendresse, de ne pas avoir été aimé. Pour illustrer ses
propos, il fait référence : « moi cela me fait toujours
penser, bon cÕest un parallele un peu ose, mais ga me fait penser
à un chien.
Un chien, vous pouvez rendre nÕimporte quel toutou
le plus gentil possible, vous pouvez le rendre comme un pitbull quoi. Et
inversement, un pitbull bien dresse peut etre extrêmement gentil. Alors
un chien, si vous nÕarretez pas de lui taper dessus et de lui interdire
des choses, de lui crier dessus, etc. Et bien il va devenir mauvais, il va
devenir agressif, il va devenir dangereux. Alors que le meme chien, si vous lui
donnez de lÕamour, des caresses, de lÕaffection, et bien il va
être un chien adorable. Et là, jÕai souvent senti ce
parallele ».
Quant à Charles il commente ses dires sur
l'affectivité : « (...)
LÕaffection, tout le monde en a besoin même les arbres ont besoin
dÕaffection. Simplement... Mais un prisonnier nÕa le droit
à rien tout en sachant quÕil va sortir un jour ».
De plus, il explique que la séduction amène
à la sexualité. Il dit que l'affectif n'est pas la même
chose, « on » peut avoir une relation affective sans sexualité
comme par exemple avec ses enfants.
Dans un autre passage de son récit, il mentionne
également qu'il savait dès son entrée en prison qu'il
allait passer toutes ces années sans l`affection d'une femme.
Doe parle plus des contacts qu'il a à
l'extérieur surtout avec ses Ç potes È mais ceux
en prison ne sont pas mentionnés. Il dit que l'affectivité pour
les hommes ressemble à du réconfort pour la tête et
l'associe plus à un membre proche puisqu'il dit: Ç (...)
ouais, j'l'ai pris dans mes bras mais comme un frère. J'veux dire, pas
autrement È. De plus, il décrit: Ç
Déjà l'affectivité entre hommes, ca n'existe pas
vraiment (...) È. Il ajoute Ç(...) Je prends des potes
dans mes bras, entre guillemets, c'est vraiment s'ils sont vraiment, s'ils sont
cassés en deux, j'veux dire (...) È.
Doe complete: Ç L'affectivité parce
que c'est une sorte de réconfort pour la tête et bon, la
sexualité c'est pour le corps È, il semble qu'il en revient
à une pensée comme Descartes qui divise le corps et l'esprit.
Pour Doe, la sexualité est un bienfait pour le
corps. En prison, il a évité de trop y réfléchir
parce qu'ensuite la frustration était encore plus grande. Il rajoute
qu'il s'est trouvé des moyens pour pratiquer du sport en cellule.
Il semble que son corps l'ait quand même troublé et
s'est, ainsi, reporté sur le sport pour ne pas trop penser.
Raphael fait une différence entre la
sexualité et l'affectivité. Il associe la sexualité avec
l'action de jouir et pour lui cela peut se vivre seul. Cependant, selon
Raphael l'affectivité est plus forte et ne peut pas se vivre
seul comme recevoir des c%olins et de la tendresse. Il dit : Ç (...)
Mais l'affectif? Non, ca je ne peux pas. C'est...je fais totalement la
différence, c'est plus fort, je crois que c'est plus fort le manque
d'affectif, de séduction, que le manque de sexe parce que le sexe vous
arrivez à vous assouvir même si vous avez vraiment envie vous
faites cela vous-même et il ne faut pas déconner voilà ca
passe. Tandis que l'affection, il y en a pas, vous pouvez faire comme vous
voulez. È
Comme avec les témoignages relevés par Gaillard
(paragraphe page 24), ce qui appara»t également ici, les
détenus préférent une relation affective qui comporte le
partage avec l'autre, ou il est souhaité de la tendresse pour ensuite
invoquer le manque de partage affectif filial.
Question : Seriez-vous d'accord de reparler de
séduction?
Quand nous évoquons le sujet de la séduction
avec Woody, il parle de sa rencontre avec les gardiennes, il dit que
la relation homme/femme lui a fait du bien. En effet, il parle d'une gardienne
qui jouait parfois aux cartes avec les détenus, mais un jour, elle n'a
plus eu le droit car sa hiérarchie lui avait interdit. Woody a
trouvé cela trés dommage.
Charles différencie la séduction et
l'affection. Il dit avoir eu un peu d'affection de la part de sa famille lors
des visites mais pas de séduction, nous le citons: Ç (...)
Tenir quelqu'un dans les bras, pouvoir l'embrasser tout ce qui va avec. Ce
n'est pas pareil que de tenir mes gamins dans les bras de leur donner des
bisous, ce n'est pas la même chose (...) È. Ce qui a
été le plus dur pour lui, c'est de ne pas pouvoir séduire,
en l'occurrence, une femme.
Il exprime que c'est la séduction qui lui a vraiment
manqué. Il raconte cela avec les mots suivants : Ç (...) Oui,
passer un moment bien, comment expliqu er... c'est pas que sexuel aussi,
c'est...voilà...l'envie de se sentir vraiment...je ne trouve pas le
mot...se sentir dans les bras d'une femme... È.
Il rajoute lorsque nous parlons de gardiennes de prison:
Ç Moi de mon point de vue, ca évoquait plus de calme, bien
sUr il y a des gens qui pensait pas comme moi. Pour moi avoir une jolie femme,
avec qui je sais trés bien que je ne peux pas faire de la drague, sauf
si c'est elle qui commence, bon on sait jamais, (rires), mais c'est
agréable. C'est un moment agréable, ca change, c'est
différent. È.
Doe associe également la séduction aux
gardiennes, il mentionne tous les regards qui convergent quand une belle
gardienne est présente. Il dit que cela lui a fait du bien même
s'il n'y a pas de possibilité. De plus, il exprime à ce sujet:
Ç C'est juste un petit plaisir, ouais. On sait trés bien
qu'elle en a rien à foutre de nous, on le sait mais c'est juste le
plaisir entre guillemets de lui faire comprendre. È.
Pour Raphael la séduction permet de se sentir
flatté. Il l'associe aux compliments, jamais un homme lui a dit, nous
citons: Ç T'as un beau corps È. En détention, il
n'a pas trouvé de séduction et cela lui a été
pénible. Il dit: Ç Moi, je trouve que tout le cTMté
séduction, l'affectif, la tendresse, les c%olins, ca c'était
hard, dur ouais. È. Il complete: Ç embrasser le coussin
le soir...ouais, ouais. a c'était très, trés dur,
trés, trés dur.È.
De nouveau, nous pouvons voir l'importance qu'accordent les
détenus à la présence féminine.
Pour conclure ce chapitre, il y a eu d'autres questions
spécifiques mais nous ne les avons pas développées car
elles n'étaient pas appropriées pour notre analyse. Cependant,
nous avons pu, tout au long des entretiens, entendre divers
phénoménes (Souffrance, Solitude, Frustration, Colére,
Violence, Solidarité) qui ont été décrits par
les personnes rencontrées.
9. Chapitre IX : Phénomènes vécus
en détention
Pour reprendre la définition de l'affectivité
mentionnée dans la théorie: l'affectivité se base sur le
sensible, le ressenti. Le sensible est tout ce qui est percu par les sens qui
sont les organes de perception du corps. La perception relie l'action du vivant
par l'intermédiaire des sens au monde, à l'environnement. Puis,
il en résulte des émotions, des sentiments, etc.
Les phénoménes que nous allons relater ne
concernent pas forcément l'affectivité entre deux personnes, mais
ils font partie de leurs expériences sensibles ce qui nous appara»t
comme important à relater, car ils montrent ou non leur sens au monde
notamment lors de détention.
La plupart des exemples ne sont pas des expériences
affectives mais leurs récits nous montrent le paysage, l'ambiance, le
rythme, qui peuvent appara»tre de leurs expériences sensibles dans
une prison.
9.1. Woody
Ainsi Woody parle de solitude, de souffrance, de
frustration, de colere, de violence, et de solidarité.
Nous pouvons observer, avec les dires de Woody que
des le troisieme jour de détention, une solitude
s'installe. En effet, il commence par nous raconter sa première visite
chez le médecin en recevant une petite boite à pharmacie
contenant également des préservatifs. Et là, il se dit :
« (...) voilà, ils sont conscients quÕon nous coupe de
toutes relations, de tous contacts, de toute affectivité, ils le savent
pertinemment, ils savent aussi pertinemment quÕon en a besoin et ils
sÕen fichent totalement et ils nous disent debrouillez -vous, (...)
».
Puis, quand les amis de Woody sont
libérés ou transférés, il semble que cela provoque
également chez Woody un sentiment de solitude puisqu'il
dit : « (...) Il y a des gens qui partent pis on garde le contact
pendant deux, je ne sais pas, et puis apres ga se perd un petit peu. (...)
».
Dans la suite du récit de Woody, il raconte sa
souffrance face à sa privation de liberté,
à la surveillance et au reglement qui sont perpétuels. Il dit :
« je crois que cÕest lÕune des pires choses qui peut
arriver à un etre humain, cÕest d'être privé de sa
liberté. (...) vous avez des barreaux à la fenêtre, quand
on vous dicte à quelle heure il faut se lever, à quelle heure il
faut fermer, à quelle heure il faut prendre la douche, à quelle
heure on mange, (...) les visites et tout ca, cÕest vraiment
très, très réglementé et pis ga coupe notre
liberté, cÕest sur, on peut pas faire comme on veut.
»
Pour en revenir à l'expression o0 Woody dit :
Ç heureusement jÕetais seul dans une cellule », nous
rappelons, en effet, que la solitude peut être tres bien
vécue. Cependant, Woody illustre aussi que d'être en
contact avec soi peut amener de l'isolement puisqu'il dit qu'il était en
bas lors de la visite de proche et qu'il n'en a jamais parlé au
personnel pénitencier, ni à d'autres personnes, il est
resté « avec » pendant toute sa détention.
Woody nomme l'attente perpétuelle par exemple
d'attendre devant une cabine téléphonique, remplir des papiers,
rencontrer l'avocat sans savoir quand il va venir etc. comme
frustrant.
Il ressent aussi de la frustration lorsque
les psychologues changent tous les six mois. En effet, il doit à chaque
fois rac onter son histoire, ce qui sous-entend que la confiance est à
chaque fois à reconquérir.
Les psychologues selon Woody s'attardent trop sur son
passé alors que lui aimerait qu'ils travaillent sur ce qu'il vit sur le
moment. Nous rejoignons Binswanger qui voulait accueillir le patient dans
l'instant présent sans porter de jugement, ni d'interprétation.
Peut-être que Woody se sentait à chaque fois jugé et qu'il
voulait simplement être accueilli pour ce qu'il était.
Nous avons également parlé de parloirs intimes
avec Woody. Il raconte sa frustration quant à la
possibilité pour d'autres d'avoir acces au parloir intime et pas lui,
puisqu'il dit « (...) bon moi je nÕen ai pas profité,
jÕai trouvé cela un peu frustrant que certaines
personnes puissent en profiter et dÕautres pas (...) ».
Lorsque Woody raconte ce passage, nous avons entendu également de
la souffrance dans sa voix même en parlant calmement.
Comme mentionné plus haut, Woody
énumère différents actes (injures, insultes, racisme,
bagarres) qui créent une ambiance violente selon
lui.
Ç (...) le reste c'est de la
souffrance , de la violence, c'est des
sacrifices, des hauts et des bas. Il y a eu des moments très difficiles
È.
Par ses mots de bas et de haut Woody dévoile son
espace thymique.
De par ses termes utilisés pour qualifier certains
gardiens, nous pouvons supposer qu'il était en colère
contre eux. En effet, il dit: (...) puis d'autres disons, c'est
vraiment des gros cons, des emmerdeurs, je sais pas (...).
Woody introduit la notion de violence lorsqu'il parle
d'affectivité en disant : Ç (...) Mais c'est vrai qu'au
niveau affectif, de tendresse, il n'y a rien, rien, rien, rien. Et c'est
là que disons que, cette violence, ces gens qui sont
vraiment..., qui ont les nerfs à fleur de peau, qui pètent un
plomb pour rien, ils sont comme ca. Justement parce qu'il leur manque des
caresses. Il leur manque l'affectif, il leur manque une femme avec qu'ils
peuvent... pas forcément un contact physique, disons pas une relation
physique mais une simple affectivité. Et ç a les calmerait
tellement, cela les rendrait tellement plus cools, plus relaxs et tout, et non,
et non ca n'est pas possible. Moi personnellement, j'étais
extrémement tendu, et c'est quelque chose qui me manque parce que ... on
peut pas et ca c'était... Les gens, les gars, ils sont tellement machos
déjà dehors euh quand on voit les relations qu'ils ont avec les
filles, ils jouent au coq mais ils arrivent à séduire et ca doit
les calmer à quelque part. Tandis que là en taule, ben ces gens
ils sont toujours aussi machos mais ils ont plus personne à
séduire, alors ca se transforme en guerrier, en ca ·d, ca veut
jo uer les bras(...) . Un contact humain avec une femme leur ferait du
bien (...) ca calmerait vraiment le jeu et...È.
Woody parle généralement des autres.
Mais, de temps en temps, il glisse une phrase le concernant. Nous pouvons nous
demander s'il a souffert du machisme des autres ou les
comportements des autres ont peut-être provoqué de la
colère chez lui ? Nous ne le savons pas, ce sujet n'a pas
été abordé avec lui.
Pour finir, Woody trouve important de pouvoir
rencontrer des femmes pour ainsi diminuer la frustration et
donc la violence. Même si c'est sans rapport sexuel mais
juste pour recevoir de l'affection.
9.2. Charles
Charles explicite également quelques
phénomènes. Celui qu'il décrit le plus est le
phénomène de la solidarité. Les autres
phénomènes (solitude, souffrance, frustration, colère,
violence) sont également présents mais pas forcément
nommés en tant que tel par Charles.
Charles relate souvent les demandes qu'il fait au
Directeur: Ç j'ai demandé au Directeur.... ».Il
semble selon Heidegger que c'est pour lui une facon de pouvoir exister en
prison.
Charles a insisté pour être seul dans une
cellule, cependant nous pouvons nous poser la question s'il ne se sentait
tout de même pas isolé et seul, puisqu'il décrit les
fins de matinée et de journée de telle
manière: Ç(...) la promenade vers 11h30 et après tu
fais quoi ? Tourner en rond! (...). Si vous vous occupez cela aide à pas
penser à l'affectivité. J'ai même fait de l'origami pour
pouvoir passer le temps. Plier, plier, je fais quoi, il est 17h, 18h, j'ai pas
sommeil, je lis, j'ai plus envie de lire, d'étudier, j'arrive plus, je
fais quoi, je continue à plier. Essayer d'oublier È.
Même si Charles mentionne l'affectivité qu'est-ce que
Charles essaie d'oublier ?
Bien sür il dit également que les temps libres lui
ont permis d'étudier: Ç (...) Mais moi, je n'ai pas eu ce
problème. Moi j'étudiais, je m'occupais différemment quoi.
È. En même temps comme nous l'avons vu dans le corpus
théorique, n'est-ce pas une manière d'oublier le Réel qui
se manifeste au sujet qui peut éprouver de la résistance au monde
et l'affectivité qui se manifeste à lui, la partie du corps qui
fait souffrir?
D'une certain facon, Charles est peut-être
retourné sur une partie de son corps, d'y être à la fois
enchainé sans pouvoir s'en distraire, une partie du corps qui fait
souffrir et qui frustre. D 'ailleurs à un moment donné, il
raconte son expérience par rapport à la masturbation: Ç
L'acte ne suffit pas, mais ca aide, il faut le dire. Ca calme un peu quand
même. En même temps, il n'y a que ca. (...) Chacun trouvait sa
facon. Je travaillais à la buanderie et je trouvais des matelas avec des
trous. (Rires). È.
Charles exprime souvent la
solidarité qui s'installe entre les détenus.
Reprenons sa citation oü il dit : Ç (...) parfois tu vois
quelqu'un, tu dis dehors tu ne lui parlerais pas, il est pas bien. Mais dedans,
ca change tout parce qu'on est tous dans le même bateau et si on
s'entraide pas, ca ne marche pas. (...) È.Puis au fil de
l'entretien, il reparle de la solidarité en ajoutant:
Ç (...) Mais quand il y a un problème qui concerne vraiment
tous les gens, là c'est différent. Les gens mettent un petit
moment sa rancune de cTMté parce qu'il y a eu deux, trois fois soit
disant, ca m'a fait rire aussi, comme on dit, les émeutes(...) c'est
simplement demander des choses qui n'arrivaient jamais(...) È.
Il raconte également sa colère
envers certains gardiens qui le traitent comme un coupable alors que
son jugement n'a pas été prononcé. Il raconte: Ç
Je suis désolé, est-ce que je suis condamné? Non
alors, je suis innocent encore, j'ai encore tous mes droits. Je lui montrais le
code pénal parce que j'en ai acheté un et je lui disais Ç
Tu vois c'est écrit là È. (...) Je n'utilisais pas les
gros mots, mais je haussais la voix (...) je n'ai dit que la
vérité È. Charles semble avoir besoin de
considération en tant qu'être humain. Il le répétera
plusieurs fois durant notre rencontre.
De plus, Charles exprime la frustration
qu'il éprouve quand il pense au système judiciaire. Il
raconte: Ç Je n'arrive pas à comprendre ce système,
c'est un système de fou. Simplement être-là, la capitale
des droits de l'homme, soit disant oU on a créé les droits et on
donne le strict minimum. Et il y a des pays oU on donne plus et il y a moins de
problème. È.
Le peu d'intérêt de la population au sujet des
conditions de vie des détenus semble être une souffrance
pour Charles car il dit: Ç (...) Aujourd'hui, vous
êtes confrontés à ca parce qu'on en parle mais les gens
sinon ils s'en foutent de ca. Un jour on doit sortir. Les gens ne s'imaginent
pas qu'on va sortir un jour et comment ? Avec plus de
colère, avec la rage(...)
È.
Charles raconte comme mentionné plus haut que
la séduction est importante pour lui. Il a l'air d'associer la
séduction avec le fait d'être avec une femme. Peut-être
le fait qu'il n'y ait que des gardiennes n'a pas satisfait son besoin de
séduction et lui a
fait na»tre un sentiment de solitude car
il dit : « D'amour (rires). Oui passer un moment bien, comment
expliquer... C'est pas que sexuel aussi, c'est... voilà, ... l'envie de
se sentir vraiment... je ne trouve pas le mot... se sentir dans les bras d'une
femme... ».
Il explique qu'il y a beaucoup de tension, que tout le monde
est tendu même les gardiens. Il indique : «(...) Des tensions de
tous les cTMtés (...). Oui pourquoi dire non si c'est vrai. On est tous
tendus, même les gardiens sont tendus. Même le directeur de la
prison est tendu. Et s'il n'est pas tendu, c'est qu'il y a un problème,
c'est qu'il s'en fout. ». Par son récit, nous pouvons supposer
que ces tensions sont provoquées par le mélange de
différent s sentiments dont la frustration, la
colère et la violence vécues qui sont
souvent difficiles à exprimer avec des mots.
Charles répond à notre question qui est :
vous pensez que s'il y avait des parloirs intimes un peu partout cela
diminuerait la violence et les tensions ?
«Ah mais écoutez, les hommes qui font l'amour,
c'est les médecins qui le disent, ils se sentent bien, il y a plein
d'hormones et des vitamines qui se calment qui aident à calmer les
gens... a sert à calmer plein de monde, ga c'est str. ». Sa
réponse nous remet au niveau du besoin de calme qu'éprouve la
majorité des personnes interrogées. En effet, le besoin de
calme finalement appara»t fréquemment dans tous
les récits.
A force de réfléchir toute la journée et
d'être sollicité souvent, le corps semble se fatiguer. La
créativité s'affaiblit. Et par la même occasion, cela
affaiblit l'expérience pathique de s'ouvrir à la surprise,
à l'étonnement.
Charles exprime aussi le « bien fait
» du moment sous la douche qui lui permet de se calmer, qu'il ne fallait
surtout pas lui enlever cet instant et donc peut -être de diminuer durant
un instant sa colère et la violence
qu'il vit au quotidien.
Il ajoute que la violence pour lui c'est :
«La violence comment expliquer, c'est pas qu'on se fait du mal, ga
fait mal. C'est violent, par exemple la contrainte d'être
séparé avec sa femme(...). Pour moi la violence c'est que tu
perds plein de trucs et après tu perds tout et quand tu sors ; on te
donne rien. En plus, il faut sortir comme un ange ! Il faut
réfléchir, ce n'est pas une solution. ».
9.3. Doe
Doe, des le départ, mesure ses paroles. Les
phénomenes ne sont pas clairement énoncés par lui.
Souvent Doe semble avoir eu besoin de moments
de calme, peut-être qu'il cherchait des moments
de solitude comme par exemple lors des repas, en effet, il a
fait le choix de manger dans la cellule. Il raconte : « (...) sinon,
pour les repas dans le couloir, disons que moi, j'm'en foutais
complètement d'avoir les repas dans le couloir. Moi, j'voulais manger au
calme et les couloirs, c'est pas calme. On est une centaine à gueuler
comme des gorets,...Pfff, non, moi, j'veux manger au tranquille au calme, la
télé et basta. ».
Il semble aussi que Doe a vécu une
certaine solitude car il fait confiance qu'à lui-
mê m e . Il dit : « (...) La seule personne en qui on a
confiance, c'est moi-même. En tout cas, moi, j'ai confiance qu'en moi.
Donc, jamais j'aurais fait cent pour cent confiance à qui que ce soit
d'autre. Mais y'a une sorte, entre guillemets de confiance,
sUrement. On sait qu'on peut compter dessus, on va dire,
plutTMt. È. Plus loin, il nomme cela une <<protection
È.
Il parle également des relations de violence
entre <<mecs È, mais que lui n'a pas
souhaité entrer dans ce schéma car cela lui semblait des <<
broutilles È. Par son récit, nous pouvons supposer que
cette violence a été vécue
régulièrement par Doe.
Doe pense qu'il y a une certaine
solidarité, par exemple quand un nouveau arrive
à l'atelier, ils lui donnent des conseils et répondent à
ses questions. Il dit << (...) On est dans le même navire, si
on veut, donc, ouais, y'a une sorte de solidarité entre
certains.È.
Doe pour parler de sa colère
emploie plutôt le terme de <<rage È, mot
qui est encore plus fort que colère.
Ainsi, il a de la rage contre l'administration
pénitentiaire. En décrivant les conditions de détention
nous pouvons sentir de la colère quand il dit : << J'veux
dire, on est
2
quand même des être s humain s, on est à
trois dans 12 mà trois. Trois hommes dans 12 m2. C'est..., je
sais pas..., à la longue, c'est... È.
Il raconte son impatience de sortir, il compte les jours puis les
années. Il ajoute que les visites de sa famille lui permettent
d'être plus calme après.
Il parle beaucoup de son besoin de calme, de
son besoin de s'isoler. Il dit qu'il a construit une bulle dans sa tête
et raconte : <<Faut savoir s'isoler, se mettre au calme tout seul
(...). C'est ce que je faisais, moi, d'ailleurs. J'me couchais en dernier comme
ca j'avais le calme le soir (...) È.
Quand Doe parle de solitude, il fait
référence à sa vie, à sa famille et à
l'extérieur. Il raconte: << On est toujours un peu seul parce
qu'on vit loin, on est loin de sa vie, si on veut. De sa vie d'avant, ben on
est loin, ouais. D'un cTMté, on est to ujours un peu seul parce que
c'est les siens et encore même pas tous les siens parce qu'on les voit
une fois de temps en temps. C'est une fois par semaine, grand max. (...) Parce
qu'on est complètement à..., pas à l'opposé, disons
qu'c'est pas notre vie, c'est un passage de notre vie mais pas notre vie.
È.
Ce sentiment de solitude l'amène
à ne plus vouloir penser à l'extérieur peut -être
pouvons-nous penser qu'à ce mome nt il Est mais il n'Existe pas.
D'ailleurs, il dit : << (...) A un moment donné, faut savoir
couper et se dire, ben, je suis là, je reste ici, l'extérieur, je
l'oublie un peu. Si on pense trop, moi, si je pensais trop à
l'extérieur, j'devenais dingue à un moment. È. Il
explique également que s'il pensait trop, cela lui faisait <<
péter les plombs È.
Le fait de ne plus penser à sa vie en dehors de la prison,
lui permet peut-être de vivre cette détention au mieux de son
sensible et de ne pas se laisser aller.
Tout au long de la rencontre, Doe dit toujours qu'il ne
souhaitait pas y penser, qu'il n'y pensait pas.
Lorsque nous abordons le thème de la masturbation
Doe se dévoile un petit peu en disant que c'était la
seule chose qu'il avait à disposition: << (...) ca allait pour
le moment que j'étais dedans. È.
Si nous avons abordé ce sujet, c'est parce que lors du
repas passé avec ces quatre personnes, le sujet de la masturbation a
été amené par l'une d'entre elle.
Ce qui est intéressant à retenir pour nous ce n'est
pas l'acte en lui-même, mais l'effet d'apaisement pour les uns, de calme
pour les autres.
Cependant pour Doe, c'est le besoin de faire du sport
qui ressort et qui lui permet de se libérer des tensions et de calmer
ses nerfs. Ceci est peut-être un moyen de calmer ses frustrations
ainsi que la colère et la violence
qu'il vit quotidiennement mais qu'il exprime trés peu.
Nous rejoignons également peut-être Vannotti et
Gennart (chapitre 4.7, page 39) quand Doe dit qu'il trouvait tous les
moyens pour faire du sport en cellule. Le sport était peut-être
une maniére de ne pas trop penser à cette partie du corps qui
fait souffrir.
Comme nous l'avons évoqué à de nombreuses
reprises Doe fait tout pour être au calme, pour ne pas
s'impliquer dans des relations conflictuelles. Car il dit: Ç (...)
Quand on me prend trop, quand on me cherche trop, a h ouais, j'rentre dans le
tas. Mais là, c'était pour des broutilles et je me suis dit ca
sert à rien que je finisse au cachot pour des connards pareils.
Après, c'est casses-toi de là et puis, fous-moi la paix. J'avais
pas envie d'aller au cachot pour des imbéciles pareils, ca en valait
vraiment pas la peine, quoi. Donc, bah, j'ai calmé le jeu, je l'ai
laissé s'enflammer de son cTMté et moi, je suis resté
calme È.
Peut-être que Doe tout de même n'avait pas
envie d'être isolé.
En général, malgré qu'il nous ait
transmis des événements essentiels, nous pouvons constater que
Doe reste discret sur ses expériences sensibles. Est-ce de la
pudeur? Nous a-t-il dévoilé ses moments de vie en prison, comme
il a vécu en prison? En restant sur Ç ses gardes È !
Ou est-ce que nous avons trop appuyé sur les aspects
intimes de sa vie en prison? Est-ce notre maniére de l'accueillir qui ne
lui a pas permis de se découvrir? En effet, il nous a été
facile d'être dans l'empathie pourtant les questions de relance n'ont pas
été aisées à formuler.
9.4. Raphael
Comme mentionné plus haut Rapha`l a vécu
trois détentions et elles ont toutes été vécues
différemment.
Il détaille clairement ce qu'il a vécu en
utilisant parfois les mêmes termes que nous et de temps en temps, il
suggére certains phénoménes. Cependant, tous les
phénoménes (solitude, souffrance, frustration, colère,
violence, et solidarité) apparaissent à chaque fois de facon
différente mais sont présents au cours des trois
incarcérations.
Durant sa première expérience de privation de
liberté, il raconte qu'il n'est pas rentré seul mais avec des
Ç copains È qui ont eu, eux aussi, une peine privative
de liberté. Raphael dit que c'était un groupe
soudé. Cette solidarité lui a permis de vivre
son arrivée plus sereinement.
Puis une fois ses copains partis, la solitude
l'a gagné.
Durant sa deuxiéme incarcération, il dit qu'il
n'était pas bien et que par sa maladie, il s'est isolé
car il croyait qu'il y avait un complot contre lui, qu'il ne devait
pas parler, il ne fallait rien dire.
De plus , Rapha`l raconte qu'il était en
isolement total qu'il n'avait pas de contact avec sa famille et
qu'il ne recevait quasiment pas de visite. Raphael ne parle pas de
souffrance mais avec le récit de son vécu , nous
pouvons supposer qu'il a existé à ce moment-là, une vie
quotidienne trés pénible à vivre.
Durant la troisiéme détention, ils
étaient cinq dans la même cellule, il dit: Ç (...) Mais
là c'était trés dur à vivre, trés,
trés dur, et au bas mot, il n'y avait pas une cellule seule. Toutes les
cellules minimum deux, des fois ils mettaient deux lits superposés et un
matelas par terre (...) È. Raphael utilise le terme
Çdur à vivre È ce qui peut avoir plusieurs
significations dont peut-être le fait d'éprouver de la
souffrance.
Rapha`l ajoute que lors de sa première
incarcération, il n'y avait pas de surpopulation et il lui a
semblé qu'il y avait moins de tensions.
Pendant l'entretien, Rapha`l nous a raconté
des bons moments, oü il lui était possible de rire. Il a
précisé que les moments de souffrance,
s'exprimaient quand il était seul dans la cellule. Il dit: Ç
(...) Les larmes, je pense qu'elles restent quand on est seul dans la
cellule, quoi...le chagrin, le, le, le reste dans la cellule mais quand on sort
il y a toujours quelqu'un qui est là pour vous raconter une histoire
pour...(...)È et Ç(...) Moi j'ai pleuré, je sais que j'ai
pleuré, mais pas devant les autres...Mais on se cache. È.
Puis il parle de moments qui nous apparaissent comme
violents, quant à Raphael, il se
référe à des actes comme Ç des petites
bagarres, des cris È.
Par contre, en parlant d'émotions
éprouvées en prison, Raphael pense que la
violence peut aller jusqu'à la haine, nous citons:
Ç (...) Il y a eu beaucoup d'émotions, la violence, mais
aussi la haine parce qu'à certains égards il y aura toujours un
mouton noir (...) donc il y a des gens qui ne sont pas bien, qui sont hargneux
et il faut faire avec. (...) c'est comme une meute de loup, ou je ne sais quoi,
les animaux, on veut savoir qui est-ce qui est plus ou moins le boss
È.
Il raconte qu'il y a une certaine
solidarité, comme par exemple, lorsque les
détenus se partagent le gouter à l'atelier ou chacun, à
leur tour, apporte des biscuits.
Il narre également que dans les moments difficiles et
dans une certaine maison d'arrêt, il y avait plus de
solidarité et d'entraide. Pour reprendre ses mot s :
Ç Voilà par la force des choses, on est dans la méme
galére et on sait ce que tu souffres, ce qui te manque.
(...) on est dans la méme galére, dans le méme bateau
c'est...Je crois, non, je pense qu'il y a plus de solidarité, je peux
dire ca avec assurance, ouais. È.
Comme nous l'avons mentionné plus haut, Raphael
révéle que pour lui le côté séduction
n'existe pas en prison. Il a eu de la peine à vivre sans compliment. Il
dit : Ç Moi, je trouve que le cTMté séduction,
l'affection, la tendresse, les c%olins, ca c'était hard, dur ouais.
È.
Comme Raphael emploie le mot Ç hard
È, il dit avec un certain humour: ÇEmbrasser le coussin
le soir... ouais, ouais. a c'était trés, trés dur,
trés, trés dur. È, nous pouvons quand-même
peut-être observer une certaine frustration voire de la
colère de ne pas pouvoir exprimer des
expériences affectives en prison.
Ensuite, quand nous abordons le sujet des parloirs intimes,
nous pouvons remarquer qu'il manifeste de la colère.
Pour lui, la privation de liberté n'est pas vécu e que par le
détenu mais aussi par les conjoints. Il dit: Ç (...) le
probléme c'est que vous faites souffrir...moi je dis on est en prison,
il y a le cTMté dur, la peine c'est la privation de
liberté d'accord, le problème c'est quand vous
mettez votre partenaire dans la méme privation de liberté que
vous et je trouve que c'est dégueulasse (...) È.
Nous pouvons également constater que Raphael
tout au long de l'entretien utilise souvent les mots <<dur
È et << même galère È pour
différentes situations vécues pendant ses
incarcérations.
Ce qui est intéressant avec le témoignage de
Raphael, c'est d'avoir pu écouter les indices du comment, du
style des choses durant ses différentes incarcérations et de ne
pas regarder le contenu, le quoi des choses ( chapitre 4.6, page 37).
Nous avons eu la chance avec Raphael de pouvoir voir
que ses expériences sensibles varient, selon l'importance qu'il
accordait aux lieux de détention oü il se trouvait, avec qui il
était incarcéré et qu'il met en évidence de
lui-même, comme il la nomme, sa << pathologie
È.
En écrivant ce sous-chapitre, nous pouvons remarquer
que ces phénoménes apparaissent difficilement inextricables. Ils
se mélangent, s'imbriquent les uns dans les autres.
Ce que nous pouvons rajouter, c'est que la plupart des personnes
ont souvent utilisés le <<on È pour décrire leur
vécu personnel.
En effet, pour reprendre notre corpus théorique
(chapitre 4.2, page 28) << lorsque nous parlons de l'autre, on n'est pas
soi -même, on n'est pas l'un d'eux, on n'est pas celui-là, mais on
est neutre, on fait partie du monde È il appara»t que les
détenus ont fait partie de la prison.
Ainsi, il semble qu'avec Heidegger, la prison fait
appara»tre le phénoméne de conformité du <<on
È et peut-être même la dictature du << on È.
Pour conclure ce chapitre, nous nous sommes apercues que les
détenus se sont permis de décrire et d'exprimer certaines de
leurs expériences et émotions. Pas toujours au moment
souhaité par notre grille d'entretien ce qui était bien le but
des entretiens semi -directifs. C'est pourquoi, en créant un tableau
récapitulatif, nous avons voulu faire apparaitre leur vécu au
plus prés de leur réalité, afin de ne pas déformer
leurs expériences sensibles ou affectives.
10. Chapitre X: Tableaux récapitulatifs des
expériences, lieux sensibles ou vécus comme expériences
affectives
Nous avons créé un relevé du sensible et de
l'affectif pour chaque personne Ç interviewéeÈ
En italique, ce sont des expériences vécues avec
des émotions qui permettent notamment la joie, un
phénoméne de solidarité, etc.
En caractére normal, ce sont des expériences
vécues avec des émotions qui relévent entre autres la
tristesse ou des phénoménes comme la frustration , etc.
En caractére gras, ce sont des expériences qui ont
été décrites avec une intensité extrêmement
importante.
Woody
|
Expériences sensibles Lieux sensibles
|
Expériences vécues ou envisagées
comme affectives
|
Arrivée:
|
Le regard de tous
|
|
|
(surveillants-détenus)
|
|
|
Surveillé sans cesse
|
|
|
Le bruit des clefs-des
portes verrouillées portes fermées
à clef,
portes métalliques
|
|
|
A fondu en larmes, se dit
|
|
|
Ç cassé È
|
|
Pendant l'incarcération:
|
Choqué de situations
|
Aimerait que des femmes
|
|
vécues à nombreuses
|
de l'extérieur puissent
|
|
reprises, tensions
|
venir en prison m ême si ce n'est pas
une compagne
|
|
Rongé et tendu par les tracas administratifs
|
|
|
Est en Ç bas È aprés la
|
Visite de proches et
|
|
visite de proches
|
parents
|
|
Va regulierement dans
|
Se dit: Ç coupé de toute
|
|
une autre cellule pour parler de la Bible
|
relation, de tout contact, de toute affectivité
È
|
|
Discuter avec deux -trois bons copains, peut
parler de ses emotions, sentiment d'apaisement
|
|
|
Pleure lors de départ
d'un codétenu
|
|
|
Les codétenus se prennent dans les bras lors
de sorties
|
|
|
Se fait injurier régulièrement par
des détenus d'autres pays
|
|
|
Déplore le manque de personnes qui
parlent francais
|
|
|
Souligne l'importance d'avoir été seul
dans une cellule
|
|
|
Aime les instants de jeux de cartes, de
discussions, d'entraide avec ses deux- trois bons copains
|
|
|
Echange avec les gardiennes lui font du bien
|
|
|
Phénomènes vécus:
|
|
|
Solitude, souffrance, frustration,
colère, violence, racisme
|
|
|
|
Va voir une prostituée qui
|
Sortie:
|
Entend encore le bruit des
|
lui a amené de la
|
|
clés longtemps après
|
tendresse, gentillesse, ce n'était pas l'acte qui
était important
|
Charles
|
Expériences sensibles Lieux sensibles
|
Expériences vécues ou envisagées comme
affectives
|
Arrivée:
|
Peur de l'inconnu
|
|
|
Choqué du nombre impressionnant de
portes de sécurité
|
|
|
Le nombre impressionnant
de gardiens
|
|
Pendant l'incarcération:
|
Bonne relation avec le, la
|
Visite des enfants et de sa
|
|
psychologue
|
famille
|
|
Rencontre avec les
|
Eprouve un manque de
|
|
autres, ne se programme pas, cela vient
comme cela
|
séduction
|
|
Aime les moments de repas, jouer aux
cartes, discuter, rester assis l'un à cTMté de l'autre
lorsqu'il y a du soleil
|
|
|
Fait de nombreuses demandes
à l'administration pénitencière. Dit faire valoir
ses droits d'humain
|
|
|
Il dit : Ç un prisonnier n'a le droit à rien
du tout È même pas d'affection
|
|
|
Pense que tout le monde est tendu y compris le personnel
pénitencier
|
|
|
Phénomènes vécus:
|
|
|
Solidarité
|
|
|
Colère, frustration, rage, violence
|
|
Sortie:
|
Etre un exemple pour ses enfants
|
|
|
A tout changé, il dit qu'il a beaucoup
changé
|
|
|
Fidélité
|
|
|
Se remet en question,Ç il y a pire
È
|
|
Doe
|
Expériences sensibles Lieux sensibles
|
Expériences vécues ou envisagées
comme affectives
|
A l'arrivée le lendemain :
|
Il fait froid
|
|
|
Bruit des clés et des portes
verrouillées
|
|
|
Pas un metre sans
être surveillé
|
|
|
Montrer une certaine force
|
|
Pendant son incarcération
|
Apprécie les contacts avec des personnes
qui
|
Visite des proches
|
|
ont l'air calme comme lui
|
Il dit : Ç l'affectivité entre hommes n'existe
pas
|
|
Donne parfois des cigarettes par
solidarité
|
vraiment È.
|
|
|
Associe affectivité à un
|
|
Besoin de calme
|
réconfort pour la tête
|
|
La confiance absolue n'existe pas, n'a
confiance qu'en lui-même
|
|
|
L'impatience perpétuelle
|
|
|
(impatience de sortir)
|
|
|
Rage
contre l'administration pénitencière
|
|
|
Apprécie la présence de gardiennes
|
|
|
Phénomènes vécus:
|
|
|
Solitude, Violence, Rage
|
|
|
Ç une certaine solidaritéÈ en
dépannage
|
|
Sortie:
|
Dit avoir renforcé son caractère
|
|
|
Vérifie sans arrêt s'il a toutes ses affaires
sur lui
|
|
Raphael
|
Expériences sensibles Lieux sensibles
|
Expériences vécues ou envisagées
comme affectives
|
Arrivées en prison :
|
|
|
2ème
|
Peur d'un complot
|
|
|
Etait vraiment mal
|
|
Pendant l'incarcération
|
Se raconter des blagues, Rigoler, discuter
|
|
|
Tape dans le dos entre codétenus
|
|
|
Regards de complicité
|
|
|
S'isole dans la cellule pour pleurer
|
|
1ère
|
Est en prison avec des
|
Visite de son amie
|
|
amis. Apprécie que ce soit les autres
détenus qui
|
Visite de parents
|
2ème
|
viennent à lui
|
Il s'est Ç coupé È du monde
|
3ème
|
Ç Dur à vivre È car cinq dans une
même cellule
|
|
|
Espace confiné
|
|
|
Apprend l'anglais en faisant un bout de chemin avec
un détenu dans la même cellule
|
|
|
Phénomènes vécus:
|
|
|
Solidarité, Solitude, Souffrance,
Violence, Haine
|
|
1ère
|
|
Lors de permissions, sort en disco pour
rencontrer
|
|
|
Ç une filleÈ
|
Sorties:
|
|
|
1ère
|
|
Facilité de rencontrer des filles
|
3ème
|
|
Peur de dire qu'il vit sous le régime d'une
semi- liberté
|
|
|
Peur de s'engager dans une relation affective
|
Ces deux registres sont différents, les détenus
existent comme cela. Le sensible est premier, il est le soubassement à
l'affectivité.
La prison est un endroit sensoriel.
Il y a peu de moments pathiques décrits en
référence de Straus dans le récit des détenus. Deux
personnes rencontrées décrivent des expérien ces
pathiques. N ous pouvons dire que ce sont des instants pathiques car c'est
intéressant de voir que c'est en prison que Raphael a appris
l'anglais gr%oce à un codétenu et surtout que c'est lui qui a
fait la demande pour être avec.
Et Woody dit s'être réconcilié avec
Dieu gr%oce à un autre détenu. Ainsi que le moment oü il est
allé voir une prostituée, c'est un moment pathique.
Par rapport à Maldiney, le Réel est ce que nous
n'attendons pas. C'est une expérience oü le Dasein doit se
décentrer. Nous devons bouger, nous adapter, changer nos habitudes, nous
prenons appui sur l'étonnement, la surprise pour dépasser la
situation.
Les détenus sont face à eux-mêmes, ils se
sentent obligés de se faire face. Finalement, la Réalité
de la prison montre une déchirure.
Passons maintenant à la conclusion finale de ce
mémoire et plus particulièrement à un court
résumé sur les quatre personnes rencontrées, à nos
découvertes, à notre posture de professionnelles et à
notre hypothèse de départ ainsi que de son cheminement.
Conclusion
Les quatre personnes rencontrées
Les personnes en situation de semi-liberté que nous
avons rencontrées ont toutes évoqué quelques moments de
satisfactions et beaucoup d'instants trés durs à supporter en
prison. De ce point de vue, nous pouvons dire que l'expérience sensible
est ici marquée surtout par la souffrance, voire la douleur.
Au plan affectif, soulignons que peu parmi ces personnes ont
mis en avant des expériences affectives satisfaisantes en prison. Nous
savons qu'en effet, en milieu carcéral, l'affectivité est
marquée par la contrainte, le contrôle, voire des formes
d'intrusion.
Ainsi, le monde carcéral n'a pas l'air d'être
généralement envisagé comme un lieu pour vivre des
expériences affectives. D'ailleurs, les détenus semblent
réserver la vie affective pour l'extérieur, le Ç hors
carcéral È.
Toutefois, on peut dire que la prison confronte, voire ouvre
le détenu à des expériences de l'ordre du sensible. C'est
là une chose importante de notre point de vue. En effet, nous supposons
que toute expérience sensible qui peut être reconnue comme telle
par un sujet qui la vit constitue comme une part importante de l'existence
humaine. Sans doute pas suffisante à elle-seule, mais essentielle pour
être et exister en lien avec soi, les autres et le monde ici,
carcéral.
Nos découvertes, les limites rencontrées, notre
posture professionnelle
Revenons sur le fil rouge de notre questionnaire pour
comprendre comment les personnes Ç interviewées È se sont
ouvertes à nous et comment nous nous sommes impliquées dans la
rencontre; ce qui , rappelons -le faisait également partie de nos
objectifs.
Malgré notre préparation, inévitablement
quelques questions ont été dirigées ou induites et
certaines n'étaient pas forcément en lien avec notre travail de
bachelor. Les détenus nous ont fait part que cela les changeait de
parler de leur vécu en prison au lieu de toujours parler de leur
Ç faute È aux psychologues, aux juges, etc.
Nous avons essayé également dans la mesure du
possible d'être sensibles au rythme, à la tonalité et
à toutes expressions non-verbales.
De plus, il appara»t dans certaines ret ranscriptions,
des événements qui ne sont pas exposés dans notre analyse
mais qui étaient importants de raconter pour les interviewés.
En effet, les personnes vivant en semi-libertés
étaient d'autant plus motivées de nous répondre afin que
leur Ç souffrance È et leurs expériences vécues
servent aux futurs détenus ainsi qu'aux professionnels qui les
entourent, notamment les travailleurs sociaux, les psychologues.
Gr%oce aux détenus, notre savoir-être a pu
s'enrichir. Le fait de s'impliquer de maniére soutenue dans la rencontre
et l'échange, d'avoir accueilli les personnes dans leur monde et tel
qu'ils nous ont invitées à le saisir a augmenté et
élargi nos compétences relationnelles et sociales.
Expérience faite, nous pensons que la rédaction
de ce mémoire nous a conduites à élaborer notre posture
professionnelle: nous pensons avoir pu faire par-là d'importantes
expériences qui relèvent de l'empathie, de l'implication
affective.
Traiter la question de la vie affective en milieu carcéral
nous a obligé à acquérir un nombre important de concepts
phénoménologiques.
Nous considérons cette acquisition comme un enrichissement
intellectuel essentiel. Nous avons conscience que nous n'avons pas pu engager
les concepts de tyrannie du Çon È de Heidegger et de l'espace
thymique de Binswanger de manière approfondie et de les mettre au
travail de manière aboutie à partir du matériel
récolté.
Cependant, la phénoménologie nous a conduites
à des découvertes inédites pour nous. Nous gardons de
cette dernière les concepts d'espace sensible, d'ouvert et
d'échanges affectifs.
Hypothèse de départ et cheminement
Pour en revenir à notre hypothèse ou nous
supposions que les détenus sont des acteurs impliqués dans des
rencontres avec d'autres qui produisent des expériences affectives voire
sexuelles et oü la privation de liberté n'entra»ne pas une
absence d'affectivité, nous constatons que ce n'est que partiellement
juste et peut se nuancer. Une partie bien plus intéressante a
été mise en évidence, ce sont les expériences
sensibles qui ont émergées. En effet, il y a plus
d'expériences sensibles qui ont été décrites que
d'expériences affectives. Les détenus ont bien un désir de
partage affectif en prison mais le milieu ne le leur offre pas.
Ainsi, actuellement, nous pensons que la vie avec les autres
en prison donne lieu à des expériences sensibles. En effet, la
prison ne les coupe pas de ces dernières. Nous pourrions dire que
Ç le sensibleÈ précède ou fonde d'une certaine
manière ce qui relève de l'affectif. Nous proposons que la
dimension sensible vienne comme au fondement à la dimension affective de
la vie relationnelle. En effet, que serait une rencontre envisagée comme
affective si un sujet ne peut vraiment prendre en compte ce qu'il
éprouve, ce qu'il ressent?
Nous supposons que si les expériences sensibles peuvent
être partagées avec d'autres, les détenus seront peut
-être plus à même de vivre des expériences
affectives. Aussi, il nous appara»t comme primordial que les intervenants
en prisons prennent en compte ce qui relève du sensible et puissent
accompagner les détenus qui le souhaitent pour qu'ils puissent
être au contact de ce qu'ils ressentent dans leur rapport à
eux-mêmes, aux autres et au monde. C'est là, la perspective
professionnelle que nous souhaitons ouvrir et à laquelle nous a conduit
notre recherche.
Limites du travail de mémoire
Comme déjà mentionné au départ, ne
connaissant que partiellement le sujet, nous avons dü effectuer une
recherche exploratoire et ainsi nous n'avons eu que la vision d'un surveillant
et celui d'un directeur de prison, de ce qui se vit en prison.
Nous voulions initialement nous entretenir avec cinq ou six
personnes incarcérées. Notre réalité a permis de
rencontrer quatre détenus vivant en semi-liberté.
Par ailleurs, si nous av ons trouvé des livres, des
articles, il nous semble que le sujet est encore tabou dans le monde
professionnel. Un nombre limité de personnes est d'accord d'aborder le
sujet. Il va, des lors, de soi que nous avons une vision limitée et
partielle de la réalité de ce qui se passe en prison.
Notre grille d'entretien avait quatorze questions au sujet du
theme de l'affectivité. Mais d'autres questions ont été
posées au gré du déroulement des rencontres.
Les entretiens étaient semi-dirigés. Les personnes
vivant en semi-liberté nous ont fait part de leur vécu tout en
gardant une certaine retenue tout à fait légitime vu le sujet.
Nous savons que d'autres praticiens du champ
médico-social ont déjà traité le sujet de
l'affectivité (psychiatres, psychologues, médecins, sociologues,
etc.). Ces champs se recouvrent parfois.
Ce theme est vaste, nous avons essayé de nous appuyer
sur notre hypothese de recherche, sur les personnes incarcérées,
sur des auteurs, pourtant, la question de l'affectivité en prison est
d'une grande complexité. Une réflexion complémentaire et
encore plus approfondie serait nécessaire et intéressante.
Bibliographie
Littératures
Document comprendre. Sous la direction de Bourdieu, P., (1993).
La misère du monde. Editions du Seuil.
Binswanger L., (1998), Le problème de l'espace en
psychopathologie, Toulouse: Presse Universitaire du Mirail. Préface
et traduction de Caroline Gros-Azorin et Chapitre 2, "L'espace
thymique", p. 81.
CrèvecÏur, J.-J., (1997). Relations et Jeux de
pouvoir: Salomon, P. (Préface), Comprendre, repérer et
désamorcer les jeux de pouvoir par la DYNARSYS. Le troisième
Iris Editons.
Gaillard, A. (2009). Sexualité et prison:
désert affectif et désirs sous contrainte. Edition Max
Milo.
Marc, E. (1987), Processus de changement en thérapie
Retz.
Marc, E., Picard, D., & Fischer, G.-N. (2008). Relations
et communications interpersonnelles. DUNOD, 2ème
édition
Nicolas, S., Paulhan, F (2008). Introduction. Les
phénomènes affectifs, L'Harmattan.
Pittet, M (2004-2005). Propos sur les méthodes de
recherche (Module 110). Genève: IES-HES, Haute école de
Travail Social.
Pittet, M (en cours). Enquete sur le rythme et
l'implication dans les pratiques d'accompagnement psychosociale - Implication
rythmique dans le partage intersubjectif d'expériences affectives et
émergence d'un savoir comme objet de formation en travail social.
Genève: HES-SO, Haute école de travail social.
Sources internet
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Annexes
Annexe 1: Déclaration éthique
Nous déclarons avoir pris connaissance du Ç Code
d'éthique de la recherche È et de son addendum, version mars
2009, et nous nous engageons à en respecter les régles et
principes dans le cadre de la réalisation de notre travail de
bachelor.
BOULE Rachel
SCHMID BRIACHETTI Roseline
Annexe 2: Engagement éthique
réciproque
Genève, le 19 septembre 2011
Les étudiantes soussignées, Rachel
Boulé , Roseline Schmid
Briachetti (Directeur de mémoire : Marc Pittet
marc.pittet@hesge.ch)
ainsi que l'interviewé soussigné
s'engagent à respecter les principes
suivants:
Nous attestons de l'anonymat des personnes en les nommant
différemment et en ne spécifiant pas leur %oge exact.
Les informations recueillies seront récoltées de
manière confidentielle.
Lors de la retranscription de l'entrevue, nous surveillerons
à ne pas changer les propos de l'interviewé en les sortant de
leurs contextes.
Les cassettes sonores dont nous n'aurons plus besoin seront
supprimées une fois notre travail de bachelor validé.
Il sera possible à tout moment d'arrêter la
collaboration à notre recherche. Néanmoins, le soussigné ,
s'engage à prévenir les étudiantes avec un préavis
rapide de sa décision.
Les informations et le matériel enregistré et
écrit recueilli jusque-là, sur la personne soussignée
pourront être employés dans le cadre de ce travail de bachelor.
Le soussigné autorise Rachel Boulé, Roseline
Schmid Briachetti à
utiliser son témoignage dans le cadre de diplôme.
Ce document est confidentiel et ne sera
révélé à personne d'autre qu'aux soussignés
(ées).
Annexe 3: Information et engagement de
confidentialité
Genéve, le 19 septembre 2011
Ce document est confidentiel et ne sera
révélé à personne d'autre qu'aux soussignés
(ées).
Par ce document, les soussignées, Rachel Boulé et
Roseline Schmid
Briachetti , attestent qu'elles garantissent l'anonymat de la
personne
interviewée.
Nous n'emploierons et ne dévoilerons ni son nom, ni sa
voix, ni son %oge exact.
Nous nous engageons à détruire aprés
emplois, les enregistrements effectués à des fins pratiques.
Rachel Boulé Roseline Schmid Briachetti
L'interviewé, Monsieur consent par sa signature, Rachel
Boulé,
Roseline Schmid Briachetti à retranscrire ses dires dans
le cadre de leur travail de bachelor.
L'interviewé, Monsieur
Annexe 4: Grille d'entretien
Fil conducteur-rouge
Relation - rencontre- moment pathique
(capacité-permission-connaissance) - appara»tre, sentir: oser,
vouloir, devoir, pouvoir, être là- être capable de -
besoins, émotions (tristesse-joie-colère etc.), sentiments
Grille d'entretien
Salutations
Encore remerciements pour votre participation, encore merci de
répondre à nos questions.
Nous nous appelons Rachel Boulé et Roseline Schmid
Briachetti. Nous élaborons un mémoire en vue de l'obtenti on de
notre bachelor en travail social.
Nous avons choisi de traiter le sujet de la vie affective dans
un milieu carcéral. C'est un sujet peu abordé et nous aimerions
avec ce mémoire mieux comprendre comment les échanges affectifs
s'effectuent dans le contexte carcéral et surtout conna»tre votre
vécu en prison.
Nous vous précisons que cet entretien restera anonyme. Les
enregistrements seront détruits et nous utiliserons des noms fictifs
(genre X, Y...).
1) En guise de premier contact, qu'auriez-vous envie de nous
dire de vous?
Nous vous présentons un aperçu des
thèmes que nous allons aborder: les expériences d'échanges
affectifs lors de l'arrivée en prison, pendant l'incarcération,
enfin, dès votre sortie (liberté, semi-liberté)
Arrivée
2) Quels souvenirs gardez-vous de votre arrivée ou des
premiers moments vécus en prison?
3) Quelles idées des relations entre les gens aviez-vous
avant votre détention: Adaptation- Moments de relations,
d'échanges en général
4) Quels sont les moments de rencontre importants pour vous?
o Le matin au moment du petit déjeuner o sur le chemin
pour aller aux ateliers
o au moment des repas de midi, du soir? o des lieux en communs
?
o des activités de loisirs, de vos occupations (jeux,
télévision, sport, promenade, etc.) ?
o oü autres?
5) Pourriez-vous nous décrire une expérience
d'échanges affectifs lors de l'un de ces moments?
Liens, Echange, Moment pathique
6) Comment en êtes-vous arrivés à
créer des liens en prison, Etait-ce: o De votre initiative?
o Des autres
7) Comment pourriez-vous décrire ces liens.
o Superficiel
o Convenu ou conditionné par le milieu (servir soupe) o
Amicaux
o Affectif
o Intime
8) Comment étaient ces liens?
o De Confiance
o De respect
o De réciprocité (je te donne, tu me donne, je te
raconte, tu me ...) o D'entraide
o De solidarité
o D'échange d'idées
o De discussions
o D'amitié
o D'amour
o Sexuels
9) Qu'auriez-vous envie de nous en dire?
10) Lors des rencontres qui ont compté pour vous, comment
le contact s'est-il crée? Ouverture
11) Lorsqu'il existe un moment d'échange des
émotions apparaissent, qu'est-ce qu'elles ont permis:
De vous sentir:
o Mieux
o Paisible
o Reconnu
o Moins seul
o Compris
o Triste
o Plus isolé
o Avoir envie d'avoir un projet de vie
12) Comment définiriez-vous la nature de vos contacts? o
Par un contact comme le toucher?
o Par des échanges de mots?
o Non verbal?
o Autre
13) Qu'avez-vous apprécié?
Changement
14) Qu'est-ce que vos expériences affectives ont permis,
dans votre vie de tous les jours?
Nous vous remercions, nous arrivons à la fin de notre
entretien, nous avons fait le tour des questions que nous voulions aborder.
Souhaiteriez-vous compléter ou ajouter quelque chose qui vous semble
essentiel et auquel nous n'avons pas pensé?
Questions de relance,
Vous pouvez y aller tout simplement en disant ce qui vous vient
à l'esprit...
Est-ce que je me trompe si je dis que vous semblez
éprouver une hésitation à me donner votre avis sur ...?
En somme si j'ai bien saisi ce que vous me dites, vous auriez .
si les...
vous laisseriez C'est un peu cela?
**Au vu de la rencontre que nous avons
effectué avant les entretiens individuels avec les personnes vivant en
semi-liberté, nous avons rajouté des questions par rapport
à la discussion qui avait eu lieu dans les locaux du foyer.
Les questions du haut sont ciblées sur les
expériences affectives. Lors de notre première rencontre en
groupe, en présence du directeur de foyer, nous avons discuté sur
des points qui semblent importants pour des détenus hommes:
o Est-ce qu'il a une différence entre l'
affectivité et la sexualité pour vous? o Seriez-vous d'accord de
reparler de séduction?
o Nous avons discuté autour de la notion de violence en
prison... o Nous avons parlé de masturbation...
o Nous avons abordé la question des parloirs intimes...
Annexe 5: Retranscriptions des entretiens
Les retranscriptions ont été reproduites mots
à mots selon les enregistrements écoutés.
Woody
(Surnom choisi avant l'enregistrement)
Rachel: Bonjour. Woody: Bonjour.
Rachel: On tenait encore à vous remercier
d'avoir accepté de répondre à nos questions. Merci de nous
aider dans notre démarche d'étudiante. La derniére fois
que nous nous sommes rencontrés, on vous avait expliqué pourquoi
nous avons choisi le sujet de l'affectivité dans le milieu
carcéral. Donc, je vous fais un petit rappel, si nous avons choisi ce
sujet, c'est que c'est un sujet peu parlé et tabou et puis nous avions
envie d'en conna»tre un peu plus et donc faire des recherches et essayer
de rendre ce sujet un peu moins tabou.
Woody: Donc ce sujet englobe un peu vos
études?
Rachel: Non pas du tout, non, non on travaille dans
le handicap toutes les deux, et nous avions aussi envie d'élargir nos
connaissances, et puis c'est pour ca que nous avions envie d'étudier un
sujet qui est vraiment trés peu parlé et cela nous semblait
important.
Woody: C'est une bonne chose, moi comme je le dis, je
le fais pour, pour moi ca ne va pas changer grand-chose, mais si ca peut aider
d'autres qui sont dans des situations difficiles comme ca, et bien, je le fais
volontiers.
Rachel: Ce que nous souhaitons, c'est conna»tre
votre vécu, durant votre incarcération. C'est important de
préciser que cet entretien restera confidentiel, nous n'utiliserons pas
votre nom. On prendra un nom fictif pour que cela reste totalement
confidentiel. Les themes que nous allons aborder sont: les expériences
au niveau des échange affectifs durant votre détention, votre
arrivée en prison, pendant votre incarcération et enfin à
votre sortie.
Rachel: Qu'est-ce que vous aimeriez nous dire de vous,
est-ce que vous aimeriez nous donner des informations générales
vous concernant?
Woody: J'ai passé la cinquantaine, je suis
papa de 3 enfants, divorcé, puis maintenant je suis à en
semi-liberté et puis tout se passe bien, j'ai retrouvé la vie
normal e, et depuis un an et demi je me réintégre à la
société, puis je me reconstruis.
Rachel: J'ai oublié de vous dire que s'il y a
des questions auxquelles vous ne souhaitez pas répondre, ou si vous
souhaitez une pause vous n'hésitez pas à nous le dire.
Rachel: Quel souvenir gardez-vous de votre
arrivée en prison?
Woody: Je n'oublierais jamais la première
minute, quand en arrivant là-bas, d'abord on vous fait prendre une
douche, y'a pas de rideaux de douche, tout le monde vous regarde, les
gardiennes comme les gardiens puis apres il y a les escaliers qui commencent
à grimper, et des portes métalliques partout, partout, des
barreaux, des clefs, ils ont besoin des clefs pour tout, je crois que c'est un
des pires trucs. Il parait que ca nous poursuit encore six mois. Bon
heureusement ca n'a pas été le cas pour moi. Chaque dix metres,
il a y une porte et il faut l'ouvrir et un gardien doit mettre sa clef
là-dedans et ca fait un raffut, vous n'imaginez pas. Alors ca a
été le premier choc en arrivant et en voyant toutes ces cages
d'escaliers avec toutes ces portes, tous ces trucs. J'ai fondu en larmes,
j'étais cassé, j'étais euh, vraiment c'était
l'horreur.
Pis apres, bon, on vous ouvre une cellule, bon c'était
encore à la , un vieux
bâtiment, heureusement, assez sympa c'est beaucoup dire
mais, disons que ce n'était pas béton, béton, il y avait
quand même un plancher en bois, pis la chambre pas trop petite. Mais bon
c'était le choc, le choc en arrivant là-bas.
Rachel: Vous étiez seul dans la chambre?
Woody: Ouais. Ouais heureusement il n'y avait
à l'époque encore pas mal de cellules individuelles. Donc
voilà, je me suis retrouvé seul, ce qui était une bonne
chose.
Roseline : Pour combien de temps étiez-vous
obligé d'être là-bas ? Woody: J'ai passé un
long moment oh oui un long moment. Roseline: Plus d'une
année?
Woody: Oh oui!
Rachel: Quelles idées vous faisiez vous des
relations qu'il pouvait y avoir entre détenus ou entre détenus et
gardiens?
Woody: Je n'y avais jamais pensé,
déjà rien que ce décor. Il faut vraiment y être pour
y croire. Parce que depuis l'extérieur, on n'a pas idée de ce qui
se passe là-bas, jamais.
Pis moi je débarque là-bas, je ne savais pas que
je devais avoir un avocat, qui fallait ci, qui fallait ca, que j'sais pas moi,
un recours, un machin, des termes, un tas de choses qu'on ignore totalement, il
faut se mettre au courant de tout cela. En ce qui concerne les relations
humaines, j'ai jamais pensé avant.
Comme je vous l'ai dit, la première chose qui m'avait
frappé en arrivant là-bas, euh, apres deux trois jours vous
êtes convoqués chez le médecin, il fait un checkup
grossier et il vous remet une petite bo»te en carton et
dedans y a des pommades désinfectantes, du mercurochrome, y a des
sparadraps, des trucs de gaz, vraiment la petite pharmacie de base sans
médicament évidemment et des préservatifs. Et pis j'ai
posé la question, c'était une infirmière mais, qu'est-ce
que c'est ces préservatifs ? Et pis voilà, on m'a dit simplement
qu'il y a des détenus entre eux qui ont des rapports, donc pour
protéger du sida etc., et on distribue à tout le monde des
préservatifs. Et ca, ca m'a choqué, je me suis dit après
coup que finalement, voilà, ils sont conscients qu'on nous coupe de
toute relation, de tout contact, de toute affectivité, ils le savent
pertinemment, ils savent aussi pertinemment qu'on en a besoin et ils s'en
fichent totalement et on nous dit débrouillez-vous, voilà des
préservatifs, si vous voulez de l'affection, vous allez avec un
collègue, avec votre copain, alors ca, ca m'a un petit peu..., j'ai
trouvé ca un peu saumâtre.
Roseline: Déjà le troisième
jour....
Woody: Ben ouais. Là je me suis dit bienvenu au
club, tout va bien.
Roseline: On va peut-être poursuivre les questions
et on va revenir sur ce sujet plus tard.
Rachel: Est-ce que vous pourriez nous décrire
une journée type, les moments dans lesquels il y a une
possibilité de rencontre? Je ne sais pas, par exemple, le petit
déjeuner, durant les ateliers, peut-être dans les lieux
communs?
Woody: On n'est pas toute la journée seul dans
une cellule, c'est vrai qu'on vous donne assez vite du travail. a, j'ai assez
bien apprécié, et puis on était dans un atelier de
démontage TV, de pièces électroniques, des trucs comme ca.
Il fallait découper, trier les divers composants. Alors là, on
avait une dizaine de codétenus, il y avait du contact.
Il y avait du contact durant le sport aussi, il y avait
quelques heures qui vous étaient données. Y'a les promenades
aussi, les repas, bon en préventive c'est seul dans la cellule.
Après, c'est vrai, il y a la possibilité de manger dans les
couloirs, en groupe.
Mais euh...voilà, on a quand même des contacts,
seulement c'est très, très limité comme contact parce que
ce...ce qui est frappant, il y a 80% d'étrangers dans les prisons
suisses et ouais ca parle toutes les langues sauf le francais, donc il faut
déjà trouver quelqu'un avec qui on peut éventuellement
discuter, ca été une difficulté majeure je dirais. Moi
j'étais à chaque fois tout content de pouvoir parler francais
avec quelqu'un, c'est clair on fait des progrès en anglais, espagnol,
mais en francais c'était rare et il faut aussi tomber sur la bonne
personne car il y en a aussi qui sont malades je dirais. Il y a
énormément de détenus qui souffrent de maladie s, je
dirais presque psychiques, qui sont mélangés aux autres.
Après, il y a des énormes problèmes de
violence, du racisme, y'a des insultes, la moindre petite étincelle, et
pis ca explose, on sent, il y a une tension, c'est une poudrière, une
vraie poudrière. Les gens sont à cran, toute la journée
brimés par les gardiens soit par leur situation soit par des juges, par
des réponses négatives.
Il vous faut faire la queue pour une cabine
téléphonique, pendant une demi-heure pour enfin décrocher
le machin pis vous téléphonez trente secondes et on vous tape
déjà à la fenêtre, moi j'ai dü vendre une
maison par exemple depuis une cabine téléphonique, je peux vous
dire que c'était l'enfer, trois mois par petites bribes. Il y a des
tensions énormes.
Roseline: Ce que vous êtes en train de dire,
c'est que toutes ces démarches vous prennent toute la journée et
pis que de temps en temps il y a le contact quand vous travaillez par exemple,
mais autrement vous n'y pensiez pas à avoir une discussion....
Woody: Non.
Roseline: C'était vraiment ca qui prenait tout
votre temps...
Woody: Ah, ca nous rongeait, c'est ca qui..., cette
tension, qu'il y a sans cesse, pour des petites bricoles, vous voulez une
photocopie, on vous dit d'abord non, pis aprés on vous dit de passer
chez le chef, pis le chef vous dit oui mais vous savez que c'est exceptionnel
etc. Vous en avez pour une demi-heure, puis aprés enfin vous avez une
photocopie. Tout est comme ca. a met une pression terrible. Les gens sont
extrêmement sur leurs nerfs, et la moindre petite chose, ca
éclate.
Rachel: Dans les liens que vous pouviez créer,
c'est plutôt vous qui deviez aller chercher le lien, ou dè s que
vous arrivez quelque part il y a des gens qui viennent. Il y a une
solidarité qui peut se faire, donc c'est plutôt les autres qui
viennent à vous?
Woody: C'est difficile, bon moi j'ai le contact assez
facile, pis euh, je discute volontiers avec n'importe qui, pis euh, on se rend
trés vite compte à qui on a à faire. Pis inversement
aussi, les gens sont curieux, chaque fois qu'il y a un nouveau qui vient, ah
bon voilà, qu'est-ce que tu as fait? Pourquoi tu es là? Etc... a
crée des liens un peu artificiels. Mais c'est vrai, moi, j'avais
toujours un ou deux collégues avec qui je me promenais pendant la
promenade et j'étais content d'avoir un contact, quelqu'un avec qui je
pouvais discuter, normalement, quoi ! C'est clair, il y a de tout, ca va
vraiment du cambrioleur, il y a des médecins, des pilotes d'avions, il y
a vraiment des milieux différents, c'est vrai, c'est vraiment
intéressant.
Rachel: Mais il y avait la possibilité d'avoir
des liens plutôt sincéres, amicaux, affectifs, ou c'était
des relations superficielles comme vous l'avez dit tout à l'heure ?
Woody: Disons que sur une année, vous
rencontrez un bon copain. Donc vraiment c'est trés rare et pis, au
début c'est vrai on s'écrit, on échange parce qu'il y a
des transferts, il y a des gens qui partent pis on garde le contact pendant
deux ans, je ne sais pas, et puis aprés ca se perd un petit peu. C'est
qu'il y a, je dirais, j'ai rencontré trois ou quatre bons copains avec
qui on a gardé le contact encore trés longtemps. C'était
heureusement existant.
Rachel: Donc difficile pour vous d'avoir confiance....
Woody: Ouais, ouais. Trés difficile, trés difficile. Ah
ouais.
Roseline: Et donc il y avait du respect....
Woody: Non, non pas de respect. Chacun pour soi,
égocentrique, les insultes, la violence, le respect alors-là, ca
manque terriblement, sauf avec ces deux trois gars avec qui je m'entendais
bien, alors là, il y avait du respect, c'est vrai, mais sinon...
Roseline: Puis là, les gardiens, n'intervenaient
pas, par exemple quand vous étiez en promenade vous pouviez discuter
librement? C'était pas aussi...
Woody: Non, non, non. On peut se promener librement,
y a pas de probléme. Il y a un ou deux gardiens qui sont là au
cas oü il y a des bagarres, ou des trucs comme ca, ce qui arrive assez
fréquemment, mais, on peut parler plus ou moins ouvertement. On sait
qu'il y a des caméras, on sait qu'il y a probablement des micros etc....
On sait pas bien, donc voilà, il faut toujours rester un peu discret.
Rachel: Et ces contacts que vous avez pu créer
avec ces quelques personnes, vous pourriez nous décrire comment ces
contacts se sont créés....
Woody: Disons que c'est surtout à
l'extérieur, dans la cour, ou lors de promenades que tout à coup
on se dit, celui-là a l'air sympa, il y déjà des atomes
crochus qui se font quelque part et pis, aprés bon il parle francais.
C'est clair c'est le premier tri qui se fait puis aprés, on discute un
peu avec, on voit comment ca se passe, quel niveau il a et puis aprés,
ca peut se développer assez profondément.
Moi, j'ai un trés bon souvenir. C'était un gars
à peu prés mon %oge et qui était trés, trés
croyant et trés lié à la bible et tout. Il connaissait
presque la bible par cÏur, c'était impressionnant ce qu'il
connaissait. Et tous les lundis, on se voyait soit dans ma piaule ou dans la
sienne et on parlait de la bible et toutes ces questions qui nous passaient par
la tête. Et ca, j'ai trouvé génial.
Et là, il y a des choses que j'ai appris, moi je dirais
qu'il y a cinq choses que je peux retirer de positif dans ce cauchemar, c'est:
je me suis rapproché de Dieu, ca, c'est sür, il y a des situations
oü il m'a vraiment soutenu, seul, je ne crois pas que je m'en serais
sorti. Il y a des moments oü vous avez besoin de sentir le spirituel, et
gr%oce à ca, j'ai passé par-dessus pas mal de cauchemars. Puis
aprés, les langues, j'ai fait des progrés en espagnol, en
anglais, le sport, c'est vrai qu'à l'époque je faisais du sport
deux, trois fois par semaine, un maximum possible, j'étais pas mal en
forme je dois dire.
Et aprés, il y a eu les projets de cuisine qui se sont
réveillés là-bas, et je me suis dit, pourquoi je ne me
lancerais pas dans la cuisine? a fait un moment que j'adore ca, j'ai
travaillé 25 ans dans le technico-commercial et tout à coup je me
suis dit pourquoi pas se lancer dans la cuisine et ouvrir un petit bistro
quelque part. J'essayais d'imaginer un peu mon avenir. Alors, il y a eu cette
passion pour la cuisine, j'ai travaillé principalement dans les cuisines
lors de mon parcours, c'était mon but et puis maintenant, je commence
à avoir un peu une idée de mon avenir, je sais que je vais ouvrir
mon petit bistro quelque part, pas forcément en suisse.
Rachel: Dans un endroit oü il fait bien chaud?
Woody: Oui exactement, ca c'est les cinq choses que
j'ai retirées de positif, bon pis le reste c'est de la souffrance, de la
violence, c'est des sacrifices, des hauts et des bas. Il y eu des moments
trés difficiles.
Rachel: Si je comprends bien, y a un manque de prise en
compte de la personne
Woody: Disons, un manque de respect. Par exemple, il
y a des gardiens qui sont trés, trés sympas, il faut le
reconna»tre, avec qui même il m'est arrivé de discuter durant
la promenade, des gars vraiment sympas. Puis d'autres, disons, c'est vraiment
des gros cons, des emmerdeurs, je sais pas.
Alors il y a de tout, mais sinon, on a quand même un
suivi, que ce soit par un psychologue, par un médecin qui vous voit, il
y a l'assistante sociale, aussi, qui s'occupe pas mal de l'administratif. Mais,
je dirais que c'est des suivis sporadiques, qui ne sont pas vraiment... C'est
vrai, j'avais plaisir à discuter avec l'assistante sociale, mais je la
voyais une fois par mois ou tous les deux mois pis c'était une heure et
terminé.
Et puis les psys, ils devraient nous mettre des gens
compétents, mais là, ils ont vraiment... je ne sais pas ce qu'ils
ont comme personne, mais ca change tous les six mois. Il faut recommencer
à chaque fois, raconter son histoire, puis une fois qu'elle vous
conna»t, elle repart, pis c'est des gens, bon je vous passe les
détails. Il y a des personnes qui ne sont vrai ment pas
compétentes, j'ai trouvé.
Roseline: Quand vous dites qu'il n'y a pas de
respect, des insultes etc. La psychologue, c'était quoi son travail?
C'est justement de vous aider à entrer en contact, en relation, à
créer des liens
Woody: Alors les psys s'attardaient plutôt
à notre passé, à notre présent, etc. A notre
histoire personnelle et puis le reste, j'en faisais part de temps en temps de
ces souffrances, mais voilà on vous dit que c'est comme ca, ce n'est pas
le club Med. Ici vous êtes en prison. J'ai eu la chance d'être
toujours passé entre les gouttes, mais il y a des situations oü
c'est violent.
Roseline : Donc vous, vous vous êtes fait insulter
aussi?
Woody: Oui, oui, vous avez une tablée de turcs
et chaque fois que vous passez à côté on vous dit:
Çsale suisse de merde È. Donc au pluriel chaque fois que nous
étions deux, trois. On vous traite comme ca et il ne faut surtout pas
répondre, il faut encore dire merci parce qu'autrement, ils vous...
un...
Roseline: Quand vous dites que vous avez de six à
huit du temps libre, vous pouviez aller dans les cellules des autres?
Woody: Oui à ce niveau-là, enfin pas en
préventive mais aprés oui. En détention, il y a des heures
de fermeture, aux alentours de 22h, je crois. Puis là, vous avez
effectivement la possibilité de rester sur l'étage, même
pas, vous pouvez changer d'étage, et boire le café vers
quelqu'un, écouter de la musique, regarder un film, y'a
possibilité quand même .
Roseline: Et donc, je suis désolé, je
saute du coq à l'âne, parce que c'est ce qui me vient en
tête. Donc, quand vous vous faites insulter, les gardiens n'interviennent
pas, ils laissent faire, ils interviennent seulement
répréhensivement quand il y a des bagarres, c'est ca?
Woody: Voilà, exactement. Déjà,
bon, je ne sais pas si c'est leur système, ils vous laissent assez
libre, ils ne sont pas tout le temps derrière vous, ils sont souvent
dans leur aquarium en bas, et pis bon surtout à la fin, j'ai vu ca
à la par exemple, et pis bon, on voit jamais les gardiens, il faut
vraiment que ca pète, qu'il y ait trois, quatre gars l'un sur l'autre
pis après il faut encore que quelqu'un sonne l'alarme pour qu'ils
viennent, bon c'est assez rapide, c'est vrai, mais autrement les insultes, tout
ca, personne ne voit.
Roseline: Personne veut l'entendre....
Woody: Oui, exactement, personne veut le voir.
(Rires)
Rachel: Et puis dans les moments d'échange
avec ces personnes, au niveau des émotions qu'est-ce que vous..., vous,
vous sentiez mieux, plus paisible dans ces moments-là, peut-être
une certaine sérénité ou au contraire la tristesse
Woody: Non, non au contraire, ca me faisait vraiment
du bien d'avoir à faire à des gens qui euh... euh..., à
des gens avec qui on peut échanger des idées, avec qui on peut
parler des émotions etc., car on a des soucis énormes et ca fait
du bien de pouvoir exprimer cela à quelqu'un. Et puis euh..., ce qui est
très dur, c'est les départs, moi, j'ai vécu des
départs oü vraiment on s'enlaç ait et on pleurait presque,
parce que soit le gars était libéré ou
transféré, vraiment ca c'était très intense comme
relation.
Roseline: On peut presque parler de relation amicale
alors....
Woody: Oui, oui, c'est vrai. Je pourrais dire qu'il y
a eu deux trois amis, effectivement. Mais avec qui j'ai effectivement perdu
contact. Je ne sais pas ou est- ce qu'ils sont en ce moment, je ne sais pas
s'ils sont libérés.
Roseline: a vous a fait du bien, ca vous a permis de
tenir le coup? Woody: Oui
Roseline: Et quand il y a les départs, là,
ca retombe?
Woody: Oui ca retombe.
Roseline: C'est de nouveau le bas?
Woody: Oui, c'est de nouveau le bas. Après, vous
mettez de nouveau des mois à trouver quelqu'un avec qui vous pouvez
échanger quelque chose.
Rachel: Pis la nature des contacts c'était
des..., ça pouvait être des contacts aussi non verbaux, est-ce que
ça pouvait..., voilà est-ce que là il y avait la
possibilité de justement à un moment donné d'être
triste et de pouvoir se prendre dans les bras, ou est-ce que c'était
toutes des choses qui quelque part n'étaient pas possible, qu'on
s'interdisait?
Woody: C'est vrai, c'est un peu tabou, disons, moi
personnellement bon j'ai... j'approuve pas l'homosexualité, bon
j'accepte, je reconnais qu'il y a des gens qui sont comme ça, je
l'accepte, mais personnellement, ça ne me tente absolument pas et je
suis trés réticent. Et pis, je pense que la plupart de mes
collégues aussi, ils étaient pas du tout attirés par
ça. Mais, on a eu des échos comme quoi effectivement il y a des
gars qui étaient ensembles, il y a des couples qui se formaient et
même y en avait un ouvertement, alors en plein atelier, ils se
gênaient pas de s'enlacer, de s'embrasser etc., ce qui était quand
même un petit peu choquant. J'étais un peu choqué quand
même.
Mais c'est vrai qu'au niveau affectif, de tendresse, il n'y a
rien, rien, rien, rien. Et c'est là que disons que, cette violence, ces
gens qui sont vraiment..., qui ont les nerfs à fleur de peau, qui
pétent un plomb pour rien, ils sont comme ça. Justement parce
qu'il leur manque des caresses. Il leur manque l'affectif, il leur manque une
femme avec qui ils peuvent... pas forcément un contact physique, disons
pas une relation physique, mais une simple affectivité. Et ça les
calmerait tellement, ça les rendrait tellement plus cool, plus relax et
tout, et non, et non, ce n'est pas possible. Moi personnellement,
j'étais extrêmement tendu et c'est quelque chose qui me manque
parce que... on peut pas et ça c'était... les gens, les gars, ils
sont tellement machos euh déjà dehors quand on voit les relations
qu'ils ont avec les filles, ils jouent aux coqs, mais ils arrivent à
séduire et ça doit les calmer à quelque part. Tandis que
là, en taule, ben ces gens ils sont toujours aussi machos, mais ils ont
plus personne à séduire, alors ça se transforme en
guerrier, en ca ·d, ça veut jouer les bras, et toute... c'est
là ou je me suis dit je suis certain que... qu'un contact humain avec
une femme leur ferait du bien , vraiment à tout le mon de, ça
calmerait vraiment le jeu et...
Rachel: Justement lors de notre première
rencontre, quand nous sommes venues nous présenter, il y avait... oui
quelqu'un avait évoqué le mot séduction, euh... qu'est-ce
que vous, au niveau de la séduction, pourriez-vous nous dire sur ce mot
dans un milieu carcéral fermé?
Woody: Moi disons, euh... heureusement il y avait
quand même quelques gardiennes, ça c'était
déjà un point trés positif, dont quelques-unes vraiment
trés sympas, d'autres arrogantes comme tout, mais d'autres vraiment
trés sympas. Et ça c'est vraiment bien pour pouvoir discuter de
temps en temps avec certaines dames simplement. Aussi l'assistante sociale,
etc.
Rachel: Et donc là, il y avait une
possibilité de séduction, tout en sachant bien que voilà,
il n'y a rien de possible?
Woody: Euh, on peut mais c'est difficile, on va pas
séduire une gardienne, mais il y a quand même une relation
homme-femme qui se fait qui est trés positive, mais évidemment,
cinq minutes. Une fois, il y a eu une gardienne qui venait jouer aux cartes,
même avec certains, mais un jour on lui a dit: Ç mais on vous voit
plus,
qu'est-ce qui se passe È et elle nous a dit que la
direction leur a interdit de jouer avec les détenus, d'être trop
proches d'eux, donc elles sont aussi surveillées.
Roseline: Ah ouais, ils sont surveillés. Le droit
à l'intimité, oui avec les codétenus mais pas trop non
plus...
Woody: Non, c'est, disons, si vous êtes dans une
cellule avec quelqu'un, bon on peut fermer la porte, ce qui se passe
derrière on en sait rien.
Roseline: Ouais, ca vous aviez le droit ? Est-ce que...,
est-ce que vous avez recu des visites en prison?
Woody: Oui, oui, heureusement. Mes parents, mon
frére. Bon, j'ai eu de la chance d'avoir eu pas mal de visites. Mais,
c'est des moments trés difficiles, ca apporte quelque chose au point de
vue émotions, d'avoir ses connaissances, ses proches, des nouvelles de
son entourage c'est génial. Mais euh... souvent il y a quand même
des problémes, il y a ci ou ca qui ne joue pas, et pis on a pas le
temps, on a pas le temps. Une heure, une heure et quart et il faut tout
déballer ce qu'on a sur le cÏur et tout . Puis, c'est
déjà l'heure, il faut se dire au revoir et c'est de nouveau
difficile.
Rachel : Vous n'avez pas vraiment, pas vraiment le temps
de vous rencontrer....
Woody: Non, pis il y a toujours un surveillant
à quelques metres qui surveille et qui écoute tout. Bon moi, je
parlais suisse allemand avec mais parents, mais bon c'était pas vraiment
un contact trés agréable finalement. C'était plus une
tension qu'autre chose.
Roseline: Donc là, vous pouviez exprimer les
émotions, mais aprés, ca vous retendait, et donc là il n'y
avait pas d'affectivité possible?
Woody: Non, j'ai vu, il a des collégues qui
ont recu leur femme et ils pouvaient quand même s'embrasser,
discrétement et pas trop longuement, c'était trés,
trés, surveillé. J'ai un collégue qui s'est
carrément fait refuser les visites pendant des mois parce qu'il a eu le
malheur de la prendre sur les genoux pendant un moment et pis voilà,
c'était la catastrophe. C'est vraiment trés, trés
difficile.
Et pis vous avez la possibilité aussi par
téléphone, on peut téléphoner mais aussi avec les
difficultés que je vous ai dit tout à l'heure. C'est aussi
possible quand c'est une urgence, un truc, on peut aussi discuter deux minutes
par téléphone (rires).
Roseline: Donc les liens qui sont dans les cellules
ca va, il y a plus ou moins d'intimité, par contre les liens avec
l'extérieur c'est compliqué, c'est conventionné, c'est
réglé....
Woody: Oui, oui, tout est réglé,
surveillé, fouillé, c'est, c'est terriblement
surveillé.
Rachel: Donc quand on parle de privation de
liberté, en fait, c'est vraiment ca qui est recherché, c'est
vraiment privé de toute possibilité d'échange avec
l'extérieur ....
Woody: Je crois que c'est l'une des pires choses qui
peut arriver à un être humain, c'est d'être privé de
sa liberté. Maintenant, la liberté, bon, c'est d'aller quand on
veut, ou on veut, de faire plus ou moins ce qu'on veut, euh..., bien sür
en respectant les normes légales, etc. C'est, c'est... agir librement,
comme on veut, pis quand on vous coupe tout ca, quand euh... vous avez des
barreaux à la fenêtre, quand on vous dicte à quelle heure
il faut se lever, à quelle heure il faut fermer, à quelle heure
il faut prendre la douche, à quelle heure on mange, ah vous avez besoin
d'une photocopie, mais vous allez poiroter deux heures pis ci, pis ca. C'est
tout ca, c'est tout cet ensemble.
Rachel: Ah pis à quelle heure vous allez
rencontrer quelqu'un, ou vous allez pouvoir rencontrer quelqu'un?
Woody: Ouais, les visites et tout ca, c'est vraiment
trés, trés réglementé et pis ca coupe notre
liberté, c'est sür, on peut pas faire comme on veut.
Rachel: Ouais c'est ca, même dans les moments
oü vous pouvez rencontrer du monde, votre famille qui vient vous voir,
même ca c'est complétement réglé et surveillé
et réglementé. Même là, en fait, il n'y a pas de
liberté?
Woody: Non même là, il n'y a pas de
liberté. C'est des entretiens extrêmement formels, je dirais,
c'est pas l'affectivité, c'est rien, c'est un échange
d'informations, vite, vite et pis voilà.
Roseline: Et pis encore plus de tensions....
Woody: C'est vrai, suivant aprés quelle visite
j'ai eu, j'étais encore plus au fond du trou qu'avant. Alors ca c'est
vrai, ouais. Suivant ce qui se passe à l'extérieur,
évidemment ca vous tombe dessus comme une avalanche, vous apprenez plein
d'infos positives comme négatives en une heure pis aprés, il faut
faire avec.
Roseline: Et là, il n'y a pas de soutien qui
compte?
Woody: Je sais pas, je crois qu'il y a toujours moyen
d'appeler un gardien ou d'aller au médical mais je pense qu'ils ont pas
mal à faire quand même.
Roseline: Mais vous ne l'avez pas fait? Woody:
Non
Roseline: D'accord.
Rachel: Est-ce que vous faites une éventuelle
différence entre l'affectivité et la sexualité?
Woody: Oui, Oui. C'est quand même une certaine
différence. Je peux par exemple être avec une bonne copine, la
tenir dans mes bras et tout, mais sans que ca aille plus loin. Et, il peut y
avoir des relations sexuelles qui peuvent se faire sans affectivité
aussi.
Rachel: D'accord... (Silence)... Durant votre
détention, est-ce que vous auriez eu plus besoin d'affectivité ou
de sexualité ou peut-être des deux?
Woody: La sexualité, bon ben on peut se
débrouiller tout seul, ca ma foi, on est un peu tous à la
même adresse là-bas, mais point de vue affectivité,
effectivement, pour tenir simplement une personne dans ses bras, pouvoir
caresser quelqu'un, pour échanger un peu de tendresse, ca, c'est un
manque terrible, terrible.
Moi ca me fait toujours penser, bon c'est peut être un
parallèle un peu, un peu osé, mais ca me fait toujours penser
à un chien. Un chien, vous pouvez rendre n'importe quel toutou le plus
gentil possible, vous pouvez le rendre comme un pitbull quoi. Et inversement,
un pitbull bien dressé peut être extrêmement gentil. Alors
un chien, si vous n'arrêtez pas de lui taper dessus et de lui interdire
des choses, de lui crier dessus, etc. Et bien il va devenir mauvais, Il va
devenir agressif, il va devenir dangereux. Alors que le même chien, si
vous lui donnez de l'amour, des caresses, de l'affection, et bien il va
être un chien adorable. Et là, j'ai souvent senti ce
parallèle.
Roseline: Et vous l'avez fortement ressenti
vous-même? Woody: Ouais ouais ouais. (Silence)
Rachel: Quand on a discuté lors du repas
passé ensemble, il y a le mot masturbation qui est ressorti, et puis
euh... je ne sais plus qui disait que ca permettait de pallier à un
manque qui était là et dü à votre situation.
Woody: Bien sür, bien sür.
Rachel: Et pis, est-ce que c'est un sujet que vous
pouviez aborder avec des codétenus avec qui vous vous entendiez bien? Ou
est-ce que là aussi cela reste un sujet tabou? Pis finalement est-ce
qu'il y avait aussi suffisamment d'intimité....
Woody: Je pense que c'est un peu comme à
l'extérieur. Entre gars on en parle pas beaucoup. On sait que chacun le
fait mais on en parle pas beaucoup.
Rachel: Ok
Woody: Evidemment, il y a les plaisanteries qu'on
fait en taule, disons, ah tu as vu le film hier soir, ou bien il y a des films
pornos qui circulent, qui étaient autorisé s, disons
tolérés.
Rachel: Tolérés ....
Woody: Ouais un temps c'était un peu limite.
Mais ca on pouvait quand même. Donc ca c'était... Pis ca en en
parlait en rigolant. Mais on va pas plus loin, on ne parle pas de masturbation
entre garcons. Et dans l'intimité, suivant oü, ca allait quoi. Les
murs étaient quand même assez épais et puis suivant
oü, en préventive, c'était du carton. Tu entendais tout ce
qui se passait à côté. Le pakistanais qui faisait la
prière à trois heures du matin ou autre chose.
Roseline: Pis après il y a de la retenue
Woody: Ouais.
Roseline: D'accord Mais vous, ce qui vous a vraiment
manqué c'est de tenir
quelqu'un dans vos bras, et d'avoir cet échange de
tendresse?
Woody: Ah ouais, ouais exactement.
Roseline: Mais l'acte en lui-même, c'était
peut-être une fois de temps en temps et pis voilà ? Mais ca
suffisait pas....
Woody: Non. Roseline: Non
Woody: Alors c'est vrai, il y a des détenus
qui pouvaient profiter de ces fameux parloirs familiaux. Donc ceux qui
étaient mariés depuis longue date etc. pouvaient avoir je ne sais
pas tous les combien de mois, une pièce qui leur était
réservée avec leur femme et ils pouvaient rester ensemble
quelques heures quand même avec un repas etc. Alors, il y avait quand
même cette possibilité. Bon moi, je n'en ai pas profité,
j'ai trouvé cela un peu frustrant que certaines personnes puissent en
profiter et d'autres pas. Parce qu'un autre qui veut profiter de ca il doit par
exemple faire appel à une prostituée, mais après le
règlement veut que ce soit depuis en tout cas six mois de relation,
qu'il ait des visites, etc. , etc. donc autant dire mission impossible quoi.
Donc, pour certains, on vous coupe le robinet si je puis dire et pis à
d'autres donc voilà ils peuvent quand même voir leur épouse
un moment. Pis ca vous fait vachement plaisir quand vous êtes
confronté à ce genre de situations.
Roseline: Donc vous en parliez entre vous et là
il y avait encore plus de souffrance de votre part....
Woody: Ouais, ouais. Tu vois, là il vient de
voir sa femme et pis là, tu vois la différence, il est de nouveau
heureux pendant une semaine. C'est génial la différence (rire)
Roseline: Et pis vous, vous êtes tiré par
le bas.... Woody: Bien oui, ma foi.
Roseline: Mais vous avez fait vous-même une
demande ? Vous vous êtes renseigné par rapport à pouvoir en
profiter de cette personne qui vient....
Woody: Bien on nous disait toujours la même
chose: Ç si vous voulez vraiment avoir une relation, il vous faut
conna»tre la personne depuis six mois en tout cas, et elle vous rend
visiteÈ et donc c'était toujours la même chose. Pis autant
dire que ce n'était pas possible.
Roseline: Et ca vous augmentait la frustration...
Woody: Ouais. C'était très difficile à
accepter.
Rachel: Et donc , est-ce que vous seriez pour avoir des
prostituées en prison? Woody: Oui, oui, oui. Je trouve que ca
serait une chose importante.
Rachel: Ouais...
Roseline: Est-ce que vous avez pensé ca sur le
moment ou aprés votre libération?
Woody: Déjà sur le moment. Sur le
moment on en parlait beaucoup, ca c'est sür, c'est un sujet qu'on
évoquait souvent, on en a discuté même dans des petits
groupes ou comme ca. C'était vraiment quelque chose d'important qu'il
fallait instaurer le plus rapidement possible. Que ce soit quand même une
possibilité pour chacun, chaque détenu, et pas seulement pour une
élite qui est mariée ou quoi que ce soit qu'ils puissent profiter
d'une relation, même si c'est que sexuel disons mais q'y ait au moins une
affection, quelque chose avec quelqu'un.
Roseline: Même si c'est seulement aussi être
côte à côte
Woody: Bon, d'un autre côté je me dis
que ces rendez-vous que certaines personnes avaient avec leur épouse ne
devaient pas être faciles, ca devait être artificiel, ils sont
là et c'est minuté. Euh... l'épouse elle sait qu'elle
vient là voilà pour que son mari puisse coucher avec pis
voilà ca doit être un peu bizarre. En attendant....
Roseline: C'est ce que vous vous disiez sur le moment
aussi?
Woody: Ouais, ouais. Mais bon ils ont quand même
leur moment de bonheur.
Roseline: Donc là ce que vous dites, c'est
quand on est en prison, on a pas envie d'avoir une relation avec un autre homme
même si c'est de l'homosexualité consentie comme disait votre
directeur et que vous vouliez pas ca
Woody: Ah oui c'est sür, c'est quelque chose qui
s'accumule. Moi je vous dis ca ne me viendrait pas à l'idée avec
un gars mais...
Rachel: Mais justement parfois on parle de euh... je
cherche mon mot... de relation forcée. Par moment, certains peuvent
être forcés d'avoir un rapport sexuel avec un autre
détenu.
Woody: Probablement.
Rachel: Est-ce que ca existe vraiment, est-ce que c'est
un fantasme qu'on se fait est-ce que...
Woody: Non. Non je pense qu'il y a beaucoup de
détenus qui finalement couchent ensemble parce qu'ils leur manquent
beaucoup d'affectivité et beaucoup de détenu qui deviennent
homosexuels en prison.
Rachel: Juste le temps de leur détention....
Woody: Voilà ou peut-être aussi
après j'en sais rien. Peut-être que ca se prolonge. Je pense que
c'est quand même un état d'esprit une fois qu'on l'accepte,
ç a peut se prolonger après.
Roseline: Est-ce que quand vous étiez en prison,
vous l'avez vu ou comme vous l'avez dit au début, c'était des
échos?
Woody: Y'a des fois des échos, des soupcons,
on voit quand même des couples entre guillemets qui se forment. Moi, j'ai
vu un couple qui vraiment se gênait pas, devant tout le monde, vraiment.
Je trouvais un peu choquant, je dois dire. Mais je pense que ca doit stimuler
beaucoup d'homosexualité dans ces situations-là. (Silence)
Roseline: Ce qu'on se disait, c'est que c'était
un passage pis qu'après les gens oubliaient, mais pas qui oubliaient
mais qui....
Rachel: Mais là aussi il y a un tabou autour
de l'homosexualité. Donc euh... J'ai eu une fois une discussion avec une
dame qui s'est spécialisé e dans la sexualité dans le
handicap. Elle disait que la sexualité qui était non
reproductive, qui n'était pas faite pour se reproduire en fait
était tabou. Parce que finalement on avait une sexualité que pour
se reproduire à l'époque, en tout cas à l'époque de
l'église et... Donc voilà, c'était une des
hypothèses pourquoi les sexualités dans lesquelles il n'y pas une
idée de reproduction, ben voilà c'était une
sexualité tabou. La sexualité de plaisir,
homosexualité...
Woody: Masturbation? Rachel: Masturbation
etc....
Woody: C'est tout à fait valable, maintenant
c'est possible qu'il y ait des couples qui se soit formés en prison et
le gars après abandonne après, c'est possible aussi. Mais disons
personnellement, une fois qu'ils ont franchi le pas...
Rachel: Je vais arriver à la dernière
question, euh. Qu'est-ce que vos expériences affectives durant votre
incarcération vous ont.... Est-ce que ca produit un changement
maintenant? Est-ce qu'il y a un changement d'idées, de visions?
Woody: Oui sur beaucoup de plans, il y a beaucoup de
changements ca s'est sür. Déjà, qu'est-ce qu'on
apprécie la liberté, on se rend pas compte quand on est libre ce
que ca vaut. a vaut de l'or la liberté. C'était la
première découverte en me promenant tout seul dans .
C'était extraordinaire, d'un autre coté c'est aussi assez
angoissant de voir du monde, du monde, du monde, la période de No`l ca
ce n'était pas facile à digérer.
Bon moi, j'ai eu de la chance car j'ai mis environ deux
semaines pour me mettre dans le bain et pis voilà, me
réintégrer. C'est extrêmement émouvant et il y a des
tas de choses justement qui reviennent, d'abord cette histoire de
liberté et pis vous pouvez de nouveau manger ce que vous voulez, vous
faites tous les bistrots du coin. C'est clair, on se contente avec beaucoup
moins de choses. Je me dis maintenant souvent que ca, ca ne m'apporte rien.
Et pis alors, vous avez de nouveau la liberté de
retrouver une femme. Alors bon, je vous dis honnêtement, ca n'a
même pas été tout de suite, j'ai attendu peut-être
deux mois pis je suis allé et j'ai trouvé une prostituée
et pis voilà, c'était mon premier contact avec une femme depuis
des années. Heureusement, c'était une fille extrêmement
gentille, bon je ne lui ai pas dit que je sortais de prison mais elle
était trés sympa, trés compréhensive et tout, ca
s'est passé euh... plus ou moins bien, ca a mis du temps car
j'étais tellement ému que... (rires)
Roseline: Là, vous étiez vraiment dans
l'affectivité...
Woody: Ouais, ouais, là c'était assez
beau.
Roseline: La sexualité était presque de
côté ?
Woody: Ouais, ouais.
Roseline : Vous aviez presque exprimé toute cette
frustration à travers...
Woody: Ah c'était... vraiment bien. Pis
aprés heureusement j'ai une connaissance, on se voit de temps en temps.
Ah, c'est des choses qui font partie de la vie et qui sont indissociables de la
vie.
Moi je dis c'est comme dans les EMS maintenant, bon on a
effectivement des groupes d'aide qui viennent dans ces EMS. Mais c'est
là oü je me dis que bon la société se rend compte que
même une personne %ogée a besoin de rapport d'affectivité,
ce qui est le cas mais alors tout ce qui est détenus, prison, des jeunes
dans la fleur de l'%oge qui probablement ont des rapports tous les jours
à l'extérieur, bien eux, on coupe tout, on interdit tout, on y
pense même pas.
Roseline: On les castre.... Woody: Ouais. C'est
dur!
Rachel: Si j'entends bien, il aurait une idée
d'écraser l'autre encore plus, euh... On te met tant de temps dans un
endroit, et c'est encore plus écraser la personne. On te rappelle que tu
as fait une connerie et lui rappeler que durant tant de temps c'est rien du
tout. Et je ne sais plus qui le disait mais quelque part on est qu'un
numéro et on est plus une personnalité, on est plus humain ...
Woody: Les gens sont des portes clefs, que des portes
clefs. C'est, c'est...
Roseline: Ce que vous dites maintenant, c'est que
vous proposez des solutions par rapport aux prostituées et un parloir
intime pour tous, moins de démarche administrative, moins de
lourdeur....
Woody: Et simplement avoir l'autorisation pour voir
une prostituée de temps en temps sans avoir besoin de la conna»tre
depuis X mois, une facilité de contacts, on l'autorise pour des couples
mariés, pourquoi on l'autoriserait pas pour un passage une fois d'une
prostituée, mon Dieu....
Mais bon ç a, c'est l'idée que la
société se fait d'une prison. La prison c'est quand même
une punition. La société, elle vous punit elle vous coupe de la
liberté, elle vous met dans une cage. Comme on dit toujours, c'est pas
dans une bo»te que les sardines vont appr endre à nager, mais c'est
comme ca. On est dans une cage, la société nous a punis. Y'a
qu'à voir que des fois dans les courriers des lecteurs, ils disent, vous
vous rendez pas compte ils ont même la télévision en
prison, vous imaginez ca, c'est du luxe. Alors que moi je dis que sans
télévision, tous les jours il y aurait un suicide c'est vraiment
un des seuls trucs qui vous tient encore plus ou moins en lien avec
l'extérieur et encore. Et pis euh...après ils disent encore
qu'ils ont le choix entre trois repas, vous vous rendez compte, ce qui est
totalement faux, parce qu'il y a des menus sans porc pour tous les musulmans,
le cuistot est obligé de faire sans porc de toute facon, un pla t
végétarien car il y a des gens qui ne mangent pas de viande et un
menu normal. Donc celui qui s'inscrit au départ pour le menu normal, il
mangera toujours le menu normal.
Rachel: Ah donc, il n'y a pas la possibilité de
varier dans les menus?
Woody: Il n'y a pas le choix! C'est un fantasme! Les
gens ne connaissent rien !
Rachel: Justement, quand on parle d'un milieu
fermé, c'est fermé. C'est complètement fermé pour
le regard extérieur. Et même nous avons pu visiter une des prisons
et donc c'est vrai on nous a montré ce qu'ils voulaient bien nous
montrer. Les discours étaient différents entre la direction et
les gardiens.
Woody: Déjà entre eux et pis après
les détenus, c'est encore un autre discours.
Roseline: Pour en revenir à la
société, la société dit des choses qu'elle ne
conna»t pas?
Woody: Elle est mal informée! Roseline:
Mal informée....
Woody: Elle ne sait pas ce qui se passe en prison,
pis elle invente des choses quand on voit des gens qui parlent de trois menus,
etc., de chambre individuelle, ils ont aucune idée de ce que c'est de
vivre dans... mon Dieu, quelques mètres carrés.
Roseline: a peut arriver à tout le monde de se
retrouver en prison...
Woody: Oui à tout le monde, même un
conducteur. Mais les gens sont mal informés, ils croient que c'est le
club Med, et c'est pas du tout cela, vraiment pas.
Roseline: Nous tenons à vous dire que
certaines choses qu'on va retranscrire mais qui ne seront pas forcément
utilisé dans notre mémoire car, parce que... c'est bien mais on
ne pourra pas tout mettre.
Woody: Ouais, ouais, on ne peut pas entrer dans tous les
détails.
Roseline: On va vraiment prendre par rapport à
votre vécu, l'affectivité, bon je ne sais pas encore comment on
va tourner ca, ca va prendre du temps à écrire mais....
Rachel: Nous arrivons à la fin, est-ce que
peut-être vous aimeriez ajouter quelque chose? Compléter quelque
chose?
Roseline : A quelque chose dont nous n'avons pas
pensé?
Woody: Non je crois que j'ai dit ces quelques points que
j'avais en tête, non pour moi c'est tout bon.
Roseline: Encore merci beaucoup!
Rachel: Merci beaucoup pour votre participation et votre
franchise. Woody: Pourvu que ca puisse aider!
Hors enregistrement : Comment avez-vous vécu cet
entretien?
Woody: Cela s'est bien passé, j'ai
été content de ne pas devoir parler de mon délit, cela
change.
Charles (Surnom choisi au début de
l'entretien)
Rachel: Bonjour. Déjà on voulait vous
remercier pour votre participation, de répondre à nos
questions
Charles: Si ca peut aider, y a pas de
probléme.
Rachel : C'est vraiment chouette, de nous aider dans
ce processus d'apprentissage. Et puis, je voulais encore préciser que
tout ce qui se dit, restera confidentiel et les enregistrements seront
détruits quand nous aurons fini. Quel nom souhaiteriez-vous que nous
utilisions ? Vous avez une préférence...
Charles: (Rire) C'est égal.
Roseline: Philippe, Yan, je ne sais pas...
Charles: Charles.
Roseline: Charles?
Charles: Si vous voulez.
Roseline: On dit Charles
Rachel: Je vais juste vous dire les themes qu'on va
aborder tout au long de ce questionnaire. Donc ce sera sur les
expériences d'échanges affectifs. On va vous poser des questions
au sujet de votre arrivée, pendant votre détenti on et enfin, une
ou deux questions sur votre sortie. Je voulais également préciser
que s'il y a des questions auxquelles vous ne souhaiteriez pas répondre,
vous pouvez nous le dire, et si vous avez besoin d'un moment de pause, pas de
problème on peut stopper.
Donc pour la première question, que pourriez-vous nous
dire de ce que vous avez pensé au moment oü vous êtes
arrivé en prison ? Qu'est que vous avez ressenti?
Charles: On se sent perdu, on a peur, il faut dire la
vérité, parce que c'est l'inconnu total, on écoute
beaucoup de choses jusqu'à ce qu'on est confronté à ca, on
On sait pas exactement comment ca se passe, en même temps,
c'était plus l'inconnu.
Rachel: L'inconnu qui fait peur?
Charles: Hum, hum oui. Aussi pour les choses qui
arrivent là-bas. On pense beaucoup à ca. C'est trés
spécial.
Rachel: D'accord....Vous avez un souvenir particulier
qui vous reste quand vous êtes arrivé? Quelque chose qui vous a
particuliérement marqué?
Charles: Oui toutes ces portes... toutes ces portes
de sécurité, partout des gardiens, quatre à cinq gardiens.
Ils sont tous pareils, et en même temps, je ne sais pas comment dire mais
c'est...un peu choquant quand même.
Roseline: Est-ce que vous seriez d'accord de juste nous
dire quelque chose par rapport à vous, de votre %oge....euh.
Charles: Moi j'ai ans, j'ai des enfants avec des
méres différentes et j'ai fait ans
de prison mais j'étais condamné à .
Roseline: Donc vous avez fait de la préventive et
aprés vous avez passé en prison ferme, c'est ca?
Charles: J'ai fait ans et quelques en préventive,
c'est presque la moitié de ce que j'ai fait.
Roseline: D'accord.
Charles: Parce que l'idée de préventive
ca dure des années. La préventive c'est pas pareil qu'en prison
pénitencier, parce qu'on reste enfermé 23h sur 24, une heure de
promenade, une fois par semaine du sport. Il faut voir ce que c'est le sport
aussi, et c'est tout le temps enfermé.
Roseline: Et alors, vous étiez seul dans une
cellule en préventive?
Charles: J'étais au début dans une
cellule de deux, puis je suis passé dans une cellule de cinq, j'ai
passé deux, trois jours et à un certain moment parce que j'ai
forcé, ils m'ont donné une cellule tout seul.
Roseline : Vous étiez carrément à
cinq, une fois trois jours?
Charles: Oui, oui. Ce qui était spécial,
c'est que les cellules de deux étaient des cellules pour un et les
cellules de cinq, c'était des cellules pour trois personnes.
Roseline : Ah oui d'accord et ca c'était en
préventive ? Charles: Et les cellules tout seul ,
c'était des anciens cachots.
Roseline: Oh... et puis aprés quand vous
êtes allé en détention ferme, là vous étiez
seul ?
Charles: Oui ca change, parce que là,
j'étais dans une cellule tout seul. Surtout que, que là-bas c'est
différent, totalement différent de la préventive.
Rachel: Puis en fait, quelles idée s vous aviez
des relations qu'il pouvait y avoir entre les détenus avant votre
détention ? Est-ce que vous y aviez déjà
réfléchi?
Charles: Non, non, sur le coup. Mais si on regarde
bien, il y a quand même beaucoup de gens qui respectent les autres,
même si c'est des gens qui sont pas trés fréquentables,
je connais dans le même contexte, c'est des fois plus solidaire
aussi. C'est vraiment spécial, parfois tu vois
quelqu'un, tu dis dehors tu ne lui parlerais pas, il est pas bien. Mais dedans
ca change tout par ce qu'on est tous dans le même bateau et si on
s'entraide pas ca ne marche pas. Il y a des gens qui font Ç le solitaire
È et j'étais un peu plus connu qu'eux, voilà quoi.
Roseline: Ce que vous êtes en train de nous
dire c'est que quand vous étiez dehors vous vous disiez qu'en prison
c'était des gens pas fréquentables et je vais les trouver en
prison.
Charles: Non, non, je dis simplement que quand on
arrive là-bas, on voit le comportement des gens et on se dit que ce
n'est pas des gens fréquentables. Ben quand même là-bas, on
a une autre facon d'être, on est tous dans le même bateau donc on
s'entraide.
Rachel: Est-ce que vous pourriez nous décrire
des moments dans une journée oü il y a la possibilité
d'échange et un moment donc qui a été important pour vous,
ou vous avez pu rencontrer du monde, lieux communs autres?
Charles: Il faut savoir que est divisé en zone et
zone . Le
c'est plutôt pour les gens qui arrivent, on est vraiment
23h sur 24h enfermé comme j'expliquais avant, mais dans le , on a
vraiment la chance de pouvoir manger dans le couloir. Et là, on se
rencontre tous ceux qui sont dans le même couloir et on mange tous dehors
car il y a des tables durant une heure, une heure et demie. On joue aux cartes,
on parle, et on essaye de s'entraider, si quelqu'un n'a pas de cigarettes, des
trucs comme ca.
Roseline : Vous avez donc apprécié ces
moments de repas?
Charles: Oui, il y a des fois que ca tourne chaud,
mais.... ætre trop enfermé, au moins on voit des gens, tout
simplement.
Roseline: Quand vous étiez dans la zone oü
vous pouviez échanger dans le couloir, vous pouviez aussi recevoir des
gens dans la cellule?
Charles: Non, ca c'est interdit. La cellule s'ouvre,
on sort dans le couloir et ils les ferment juste derrière. Le soir, ils
ouvrent un petit moment pour les gens qui mangent dedans et qui veulent donner
leur assiette directe. Je ne sais pas comment ca se passe maintenant, ca a
changé, parce qu'avant ils faisaient des plateaux avec le menu et tout
ca. Et maintenant apparemment, c'est chacun est avec son assiette et se sert
à la louche.
Rachel: Est-ce que les week-ends se
déroulaient de manière différente, est-ce que dans les
week-ends vous aviez aussi des moments avec la possibilité
d'échanger, d'avoir des contacts?
Charles: C'était toujours pareil.
Heureusement. Pas tout le monde avait une place de travail car il y en avait
pas pour tous mais moi je travaillais du lundi au vendredi avec des horaires.
On se mélangeait pas dans le travail, les gens de la menuiserie d'un
côté, mais dans le week-end c'est encore pire car situ ne
travailles pas tu sors pas, tu restes dans la cellule.
Rachel: Donc peu de possibilité
d'échange?
Charles: Ouais. Les seuls moments c'est quand tu vas
au sport, quand il y a le sport, il faut avoir l'envie des fois . La promenade
c'est une heure et situ as la chance d'être au , tu peux manger dans le
couloir. Aprés tu n'as pas vraiment la possibilité
d'échange, sauf situ es dans une cellule à plusieurs.
Roseline: Pendant le temps de travail, c'était
travail, travail, vous n'aviez pas de contact?
Charles: Moi, j'étais dans une place oü
je devais aller avec le chef dans les étages, des fois parce qu'il
fallait changer ou réparer, mais il y en a certain, c'est dans les
ateliers et ils ne changent pas de place. Bonjour et au revoir.
Rachel: Quand vous êtes arrivé à
créer des liens, c'était de votre initiative ou c'est les autres
qui sont venus vers vous?
Charles: C'est à peu prés, cela
dépend, les deux, parfois c'est certains qui viennent vers toi, certains
c'est toi qui y va, je ne sais pas comment expliquer, ca ne se programme pas,
ca vient comme ca.
Rachel: Mais disons... est-ce qu'il y a un effort
à faire pour s'intégrer? Pour...
Charles: C'est pas un effort. Vous arrivez dans un
endroit, on va pas dire que c'est dangereux mais qu'il y a des gens qui peuvent
être dangereux, on sait pas qui est qui, on sait rien. On doit savoir
oü on met les pieds. On peut pas débarquer comme dans la rue
entrain de rigoler, c'est pas une rigolade. On fait attention aux autres,
à soi-même et peu à peu, il y a des liens qui se
créent. Aussi, il y en a certain s qui ont besoin de parler parce qu'ils
ne sont pas bien et voilà. C'est spécial comme ambiance.
Rachel: Ces liens vous les décririez comment?
C'est plutôt des liens superficiels ou peut-être amicaux ou
peut-être affectifs?
Charles: Ca dépend de la personne vraiment, on
peut se faire un bon ami comme on peut simplement se faire une connaissance.
C'est... je sais pas comment expliquer, s'il y a un feeling qui passe? Bon il y
a des gens qui restent toujours entre eux, c'est pas seulement parce qu'ils
sont de même nationalité mais aussi c'est parce qu'il y a le
feeling, le respect que chacun a envers l'autre et en même temps, il y en
a certains qui même comme ca, si vous aimez pas, vous aimez pas. C'est
spécial, c'est une ambiance spéciale, vraiment.
Rachel: Est-ce qu'il y aurait des liens plus forts et
qui se créent plus rapidement?
Charles: Il y en a certains qui se créent plus
fort, il y en a certains qui se créent plus rapidement. Parce que si
vous connaissiez la personne et au bout d'un moment si vous êtes avec
dans la cellule, c'est forcément vous allez créer un lien et si
ca marche pas au bout d'un moment ca pete, il faut changer la cellule. Ou si
non comme je dis, c'est apres la prison quand on est dehors ca change aussi.
Chacun
retourne vraiment à son ambiance, à ses amis et il
y en a qui ne se perdent pas de vue non plus.
Roseline: Et vous vous avez pu créer des liens
d'amitiés avec certaines personnes?
Charles: Oui j'ai pu créer plusieurs liens
d'amitié avec. Aujourd'hui, je ne vois pas beaucoup de gens, mais il y
en a certains qui ne sont pas dans le même pays et par internet on parle
un peu.
Roseline: Pendant que vous étiez en prison?
Charles: Non aprés.
Roseline : Des liens qui perdurent.
Charles: Bien oui par ce que nous étions dans la
même galére. (Rires) Rachel : A ramer ensemble ?
(Rires)
Charles: Exactement! (Rires)
Roseline: Quand vous dites que si vous êtes
à plusieurs en prison. C'est ce qui vous est arrivé? Vous aviez
des soucis quand vous étiez à plusieurs dans une cellule, vous
avez demandé à changer....
Charles: Non, non, moi je voulais être tout
seul depuis un moment. Parce que la prison de toute facon, c'est rotatif. Quand
une personne arrive aujourd'hui, on sait pas s'il part demain ou s'il part dans
deux ans. Avec la personne ca peut se passer bien et la personne qui arrive
aprés ca passe mal, je préférais éviter cela. Un
moment j'étais avec une personne et ca se passait trés bien et
quand il est parti, la personne qui est arrivée ca a pété.
Pis un ou l'autre doit changer de cellule et ca pose encore plus de
probléme alors j'ai préféré être seul pour
éviter ce probléme. Ce n'est pas évident de l'obtenir,
mais j'ai forcé, forcé et je l'ai eu. (Rires)
Roseline: D'accord...
Charles: Parce que là il n'y a personne qui
arrive sauf toi.
Roseline: Ouais, c'est votre initiative, d'aprés
ce que vous dites, ce n'est pas trés ouvert....
Charles: Non, il y a des gens qui ne supportent pas
d'être seuls, c'est sür, ils préféraient des cellules
à deux ou à cinq, parce qu'ils sont comme ca, il faut parler,
pour avoir quelqu'un à côté et pour pouvoir s'exprimer.
Mais moi, je n'ai pas eu ce probléme. Moi j'étudiais, je
m'occupais différemment quoi.
Rachel: Tout à l'heure, vous parliez de
solidarité, pour vous il y avait beaucoup de solidarité?
Charles: Il y a des problémes entre eux mais
les problémes entre eux c'est différent. Mais quand il y a un
probléme qui concerne vraiment tous les gens, là c'est
différent. Les gens mettent un petit moment sa rancune de
côté parce qu'il y a eu deux, trois fois soit disant, ca m'a fait
rire aussi, comme on dit, les émeutes.
Pour moi le mot émeutes c'est trop
exagéré. Parce que des gens qui refusent de rentrer dans sa
cellule, ce n'est pas une émeute, c'est simplement demander des choses
qui n'arrivaient jamais et ils décidaient de pas rentrer dans la cellule
et deux ou trois heures aprés, ils rentraient sans probléme.
Roseline: Et là vous étiez solidaires
entre vous? Charles: Oui, c'est mieux des fois.
Roseline: Dans le sens de dire que s'ils ne souhaitent
pas rentrer c'est qu'il a des demandes et puis vous appuyez ...
Charles: Oui, des fois ce n'était pas pour une
seule chose et pour une personne, c'était par exemple pour les frigos,
maintenant dans chaque cellule il y a des frigos. En été, il fait
tellement chaud et tu ne peux pas sortir de ta cellule pendant deux, trois
heures, on fait comment? On va se déshydrater, donc ils ont forcé
pour avoir ca et maintenant, ils ont des frigos quand même.
Rachel: Est-ce que vous avez pu créer des liens
de confiance?
Charles: Ouais. J'ai pu créer des liens de
confiance. Moi je sais pas si c'est ma facon d'être mais les gens
prenaient beaucoup plus de confiance envers moi, à parler avec moi et
m'expliquer les problémes que moi vers les gens. Il faut vraiment que je
sois vraiment confiant pour pouvoir parler. Pour pouvoir parler de mes
problémes et de mes soucis. Mais bon bref, à la fin tout se
sait.
C'est le probléme, parce qu'on parle à quelqu'un et
celui-là fait confiance à l'autre et voilà c'est comme ca,
cela en fait partie, c'est ca aussi. (Silence)
C'est spécial.
Mais moi, je n'ai rien à cacher, j'explique tout ce que
j'avais, mais il y a des gens qui comprenaient pas trés bien, qui ne
parlaient pas trés bien la langue ou qui ne comprenaient pas trés
bien la loi, même les avocats ne prennent pas vraiment le temps
d'expliquer bien comme il le faut. Je les aidais et souvent cela les
soulageait. On est forcé d'apprendre des textes de lois pour être
là-bas aussi. Alors ils demandent Ç est-ce que tu connais un cas,
comment ca s'est passé?È Des fois j'expliquais tous les cas, mais
même si c'est la même chose ce n'est pas jugé pareil. C'est
un truc à je sais pas combien de vitesse, pas à double vitesse,
mais plusieurs. Si tu as de l'argent, c'est une vitesse spéciale, si
t'es jeune c'est encore une autre vitesse, si t'es vieux encore une autre.
Je sais pas, je sais pas comment ca se passe.
Roseline: a vous prenait beaucoup de temps toutes ces
démarches administratives?
Charles: Parce que pour moi on est tous égaux
devant la loi et quand on doit juger égaux, on juge pas égaux.
Celui qui fait le même délit, il peut avoir 6 mois comme 2 ans
comme un sursis et même être acquitté, c'est le même
délit. Soit disant il y a des
choses spéciales. Il y a des choses circonstancielles
parce qu'il est jeune, il étudie, des choses comme ca.
Par contre j'ai vu des gens que le juge laissait là pour
voir s'ils parlaient. C'est extraordinaire ca, je suis resté bouche
ouverte. (Rires)
Cela change avec l'avocat et que tu le payes bien, ca change,
mais bon c'est comme ca, c'est la vie.
Rachel: Puis dans les contacts qui ont compté
pour vous, c'était principalement des rencontres sur le lieu de travail,
dans le couloir?
Charles: C'était des collègues de
cellule, aussi des gens qui étaient dans le même couloir, des gens
que je connaissais déjà avant. Tu connais quelqu'un, lui il
conna»t l'autre. Des fois c'était spécial, on dirait que les
tables étaient réservées, personne changeait.
Rachel: Donc en fait, il y aurait besoin d'une certaine
proximité pour pouvoir créer des liens?
Roseline: Un réseau...
Rachel: Oui mais disons que ce n'est pas
forcément facile de créer des liens avec quelqu'un d'un autre
couloir, c'est ca en fait ce que je me posais comme question?
Charles: a dépend de la personne, si la
personne est sociable, c'est différent que si quelqu'un est
antisociable, je ne pense pas qu'il y aurait beaucoup de personnes qui iraient
vers lui. Il y avait quelqu'un qui avait des problèmes psychologiques et
quand il allait bien, c'était une personne extraordinaire. Mais il avait
reconnu qu'il avait son problème psychiatrique, moi je trouvais ca
fabuleux qu'il ait reconnu qu'il n'était pas bien, il était
schizophrène, et après, tout le couloir partageait avec lui et
les jours ou il n'était pas dans son assiette, alors tout le monde se
mettait de côté. On le respectait.
Roseline: Ce que vous êtes en train de dire
peut-être, c'est qu'il faut du temps pour apprendre à
conna»tre les gens...
Charles: C'est le temps d'adaptation, comme on dit
chez nous. On peut pas arriver là et voilà. Sauf situ connais du
monde et on te présente, c'est différent. Les gens sont
méfiants.
Rachel: Quand vous avez rencontré des gens, ces
liens vous ont permis de vous sentir mieux ou peut-être seul ?
Charles: Non, c'est une entraide, on se sent bien,
pas seul. Pas tout à fait seul car certains moments on parle, on rigole,
on joue aux cartes pour se changer un peu les idées. Sinon on sort tous
fous.
Rachel: Comment pourriez-vous nous décrire la
nature de ces contacts, était-ce plutôt des échanges de
mots ou non verbal ou peut-être une tape sur le dos?
Charles : Oui, un peu tout ca. C'est un peu comme
dehors, il y a des gens qu'on salue, il y a des gens qu'on respecte plus que
les autres, il y a des gens que tu peux plus rigoler et taquiner. Cela
dépend de ce qui se passe entre les gens, simplement. Il y a des gens ou
tu peux te permettre de lui dire tu fais Ç chier È. C'est comme
cela. (Silence)
Roseline: Mais peut-être aussi peut-être par
rapport au non verbal....
Charles: Ouais, aussi quand on allait à la
promenade, on prenait le soleil et on restait là, une heure sans se
parler et on était bien. C'est aussi un système de se sentir
protégé.
Si tu vois arriver quelqu'un, tu vas me le dire, alors je sais
pas situ vas me défendre, parce que tu ne peux pas compter sur tout le
monde, mais au moins il va t'avertir. Voilà c'est des trucs comme cela.
C'est aussi faire attention à ce que l'on fait, j'ai beaucoup
constaté, je parlais aussi beaucoup avec le psy, parce que quand on est
dedans, on crée des réflexes. Et quand on sort, c'est fatiguant.
Quand tu es dedans tu regardes, tu écoutes, et quand tu es dehors avec
tous les bruits c'est fatiguant.
Roseline : Ah oui, ca perdure? Charles: C'est
un réflexe.
Rachel: C'est un réflexe qui dure?
Charles: Non après ca va, mais les deux, premiers
jours en tout cas, c'est...aussi, on sait jamais qui..., ca peut péter.
Des tensions de tous les côtés...
Rachel: Vous étiez tout le temps sur vos gardes?
Roseline : Vous avez eu des soucis de, de... Charles: Non,
pas moi. Il ne fallait pas.
Roseline : Vous vous êtes
protégé...
Charles: Je ne me battais pas, car il ne fallait pas. Si
je m'engueulais avec un gardien, je ne disais pas de gros mots, mais je faisais
respecter mes droits d'humain.
Roseline: Je me souviens, quand nous nous sommes
rencontrés, vous parliez d'humanité, vous êtes d'accord de
nous en reparler?
Charles: Oui c'est ca, on peut pas mettre tout dans
le même panier, j'aime pas généraliser, mais il y a
certains gardiens qui pensent que si vous êtes en prison, surtout on a le
droit à rien, on doit que se taire. Et je disais non, ce n'est pas comme
ca.
Roseline: Et vous, vous l'exprimiez?
Charles: Je suis désolé, est-ce que je
suis condamné? Non ! Alors, je suis innocent encore, j'ai encore tous
mes droits. Je lui montrais le code pénal, parce que j'en ai
acheté un, et je lui disais Ç tu vois c'est
écrit là È. Et il s'énervait parce que c'est le
gardien. Je n'utilisais pas les gros mots, mais je haussais la voix. Mais c'est
des trucs comme ça, mais voilà quoi. Quand il me voyait comme
ça, je lui disais je n'ai dit que la vérité.
Roseline: C'était votre caractére....
Charles: J'ai dü faire un travail là-dessus,
car je dis toujours les choses vraies mais pas toujours comme il le faut, pas
vraiment diplomate.
Roseline : Vous avez appris la diplomatie en prison ?
(Rires) Charles: Je disais voilà, ce que je pensais.
Roseline : Alors vous avez fait un travail
là-dessus en prison ou aprés? Charles: Non en prison,
avec les psys.
Roseline : Ah oui, ils vous ont aidé à ce
niveau là....
Charles: Oui parce que j'étais aussi
condamné à un suivi thérapeutique. J'étais
obligé, il fallait bien l'utiliser pour quelque chose Et ça
marche.
Rachel: Vous avec trouvé cela positif....
Charles: Ouais, c'est trés positif. (Rires) Il y
a encore des traces.
Roseline: Là, ce que vous êtes en train de
dire, c'est que vous avez créé des liens différents mais
créé des liens avec le psychologue
Charles: Exactement.
Roseline: Et il y a aussi peut-être l'assistante
sociale ?
Charles: Oui j'ai créé des liens avec
l'assistante sociale qui est partie aprés, avec un des psys et j'ai
créé des liens... comment expliquer... pffou des liens.... Ils
sont là pour faire leur travail, c'est un lien, on va pas dire de grande
amitié mais quand même d'amitié. Une relation de
respect.
Rachel: Quand nous sommes venues nous présenter
lors du repas, le mot séduction est ressorti, est-ce que vous pourriez
nous en dire quelques mots....
Charles: La personne qui parlait d'affection, mais en
parlant de séduction. Et moi, j'expliquais que la séduction c'est
pas pareil que l'affection. C'est autre chose. Tu peux avoir de l'affection
pour un chien mais la séduction pour un chien c'est... (rires)
trés spécial.
Là-bas, j'avais la visite de ma mere, de mes enfants et de
mes amis, je me sentais bien et j'avais un peu d'affection.
C'est vrai que du côté séduction, il n'y
avait rien. Il y en avait qui sont venues, mais j'ai dit, c'est une perte de
temps on fait comment surtout en préventive, non, ce n'est pas
possible.
Roseline : Vous parlez de montrer des signes d'affection
?
Charles: Non, de séduction, l'affection je l'ai
avec mes enfants dans les parloirs, je les tiens dans mes bras, je leur donne
des bisous, c'est de l'affection.
Roseline: Donc vous avez recu de l'affection de
l'extérieur en prison? Mais dans la prison il n'y en a pas?
Charles: C'est spécial parce que moi j'ai
vécu de l'affection, mais de l'amitié, de respect, il y a
tellement de facon de donner de l'affection. Mais c'est vraiment la
séduction qui est dure. Il faut être chacun d'accord de faire ce
qu'il veut c'est leur vie.
Rachel: Donc pour vous, l'affectif ne vous a pas
manqué, mais la séduction, oui?
Charles: Bien sür, ca oui. Tenir quelqu'un dans
les bras, pouvoir l'embrasser, tout ce qui va avec. Ce n'est pas pareil que de
tenir mes gamins dans les bras et de leur donner des bisous, ce n'est pas la
même chose, c'est la vérité.
Roseline: Donc ce qui vous a manqué, c'est une
femme... Charles: On peut dire. Ce n'est pas un objet non plus.
Rachel: Bien sür, pas pensé comme un objet.
Charles: Non, parce que là-bas quand on dit je
veux une femme, c'est comme un objet, une poupée gonflable, un truc
comme ca.
Roseline: C'est instrumentalisé...
Charles: Oui
Roseline : Vous vouliez être à
côté d'une femme, pas d'un homme! Charles :
Voilà.
Rachel: Il y avait aussi le sujet des gardiennes de
prison qui était ressorti. Elles pouvaient être trés
jolies, séduisantes qui....
Charles: Moi de mon point de vu e, ca évoquait
plus de calme, bien sür il y a des gens qui pensaient pas comme moi. Pour
moi avoir une jolie femme, avec qui je sais trés bien que je ne peux pas
faire de la drague, sauf si c'est elle qui commence, bon on sait jamais,
(rires), mais c'est agréable, C'est un moment agréable, ca
change, c'est différent.
Roseline : Vous pensiez que ca apaisait d'autres
personnes peut-être ?
Charles: Oui. C'est vrai que pour certains draguer
c'est important, et surtout s'ils sont chauds. Certaines n'étaient pas
trés gentilles, mais c'est normal c'était pour se
protéger.
Rachel: Donc on a parlé de séduction,
d'affectivité et il y a une question qui est quelle différence
vous faites entre l'affectivité et la sexualité?
Charles: Ouf....
Rachel: Est-ce que la séduction vous la mettez
avec la sexualité?
Charles: Oui, c'est la séduction qui conduit
à la sexualité, enfin de mon point de vue. Affectif, il y a plein
de choses avec qui on peut être affectif, mais il faut bien
définir avec qui on va être affectif et comment on va l'être
et de quelle façon. Parce qu'il y a des gens qui, qui ne se font pas de
caresses et de bisous. Il y a des couples qui sont comme ça, mais
ça dure, ils sont comme ça.
Rachel: Donc vous, vous avez vraiment plus manqué
de séduction, de sexualité que d'affectivité?
Charles: D'amour (rires). Oui, passer un moment bien,
comment expliquer... . C'est pas que sexuel aussi, c'est... voilà ,....
l'envi e de se sentir vraiment... je ne trouve pas le mot...se sentir dans les
bras d'une femme...
Rachel: Désiré?
Charles: Voilà, comme ça aussi.
Roseline: Ce que vous dites aussi par exemple en
promenade vous prenez le soleil quand vous êtes assis à
côté d'un homme ce n'est pas la même chose que d'être
à côté d'une femme. A côté d'une femme, il y a
le plus que l'on se sent encore mieux....
Charles: Voilà, il y a le plus. C'est pour
ça qu'on crée des couples. (Rires) Rachel: C'est un
sujet que vous pouviez aborder entre détenus? Charles: a
parlait tout le temps de ça.
Rachel: D'accord... mais un peu crüment ou plus
profond et sincere?
Charles: Il y a des gars qui sont crus et d'autre plus
sincéres. Il y en a qui se sentaient mal, il y en a beaucoup qui ont
perdu leur femme aussi.
Il y en a aussi qui ont dit à leur copine : viens plus,
car ils ont pris je sais pas combien d'années et ils ne veulent pas que
les femmes attendent. C'est des choses dures, oui c'est dur. C'est une
façon d'aimer aussi. C'est un peu égo ·ste: non tu dois
attendre... C'est des décisions à prendre... C'est pas facile.
(Silence)
Rachel: Vous aviez également évoqué
la distribution des préservatifs?
Charles: a oui, mais les gens ils se trompent des
fois, parce qu'il y a tellement de trucs qui se passent là-bas, je ne
veux pas mentir, je ne veux pas dire qu'il n'y a pas de gens qui l'utilisent
vraiment, mais ce n'est pas tout le monde. Les préservatifs partent
beaucoup pour d'autres trucs, simplement de faire un joujou ou mettre des
choses dedans pour balancer un truc à un autre par la fenêtre.
C'est de communiquer d'une facon ou d'une autre.
Roseline: Donc vous dites qu'ils les lancaient par la
fenêtre?
Charles : Oui, mais maintenant ils ne peuvent plus car
ils ont mis du grillage depuis un moment et là c'est chaud car il n'y a
même plus l'air qui rentre.
Roseline: Mais c'est suite à ca?
Charles: Oui, oui bien sür. , c'est le quartier des
femmes donc parfois,
ils s'envoyaient des petits mots, cela fait partie aussi de
l'affection. Je connais des gens qui sont tombés fou amoureux alors
qu'ils ne se sont jamais touchés.
Roseline: Et vous vous n'avez jamais eu...
Charles: Je ne comprends pas moi, il faut que je puisse
tenir dans les bras.
Roseline: Un contact....
,
Charles: Avoir un contact physique. S'il y a une femme
qui sort de l'ascenseur, on doit se mettre de côté, on ne peut pas
avoir de contact.
Roseline: C'est trés normé?
Charles: Ouais, ouais. Vous avez le droit qu'à ca
et c'est tout. Roseline : A droit à quoi....
Charles : A rien. (Rires)
Roseline : A travailler, à manger....
Charles: Manger et travailler et encore. Et avec la
nourriture, au départ, j'avais beaucoup de problémes, j'avais des
brülures d'estomac avec la sauce et je leur demandais sans sauce, mais ils
la mettaient toujours, même avec un mot du médecin.
Roseline: Donc droit qu'à ca, c'est lors des
visites, c'est toucher les enfants, leur faire des bisous et embrasser sa
maman.
Charles: et encore car , c'est face à face et pas
à côte à côte. Il y a
même une table entre les gens au cas ou ils veulent se
passer des choses. Il y a que dix places, ca il faut savoir, alors les gens
font des coudes pour pouvoir venir me voir et on va dire 300 prisonniers,
à l'époque 500 et plus. La visite c'est samedi, dimanche et
mercredi pour les gens qui ont des enfants qui ont la priorité.
Roseline: C'est des mois d'attente...
Charles: C'est des mois d'attente si on ne fait
pas... parce qu'il faut s'inscrire, je ne sais pas quel jour, c'est les dix
premiers. C'est comme ca. Ce n'est pas facile. Bon il y en a p lein qui n'ont
pas de visite. Le téléphone c'est pareil, tu dois faire une
demande par écrit et tu attends.
Roseline: Par rapport au préservatif,
désolée de revenir en arrière, vous les avez recus
dès votre arrivée?
Charles: Non, moi on m'en n'a pas d onné.
Roseline : Ah, vous en avez pas recu? Mais ils en
distribuent ?
Charles: Il y en a au médical et la plupart ils
en prennent pour faire le business.
Rachel: Lorsque nous nous sommes vus on a parlé
des idées sur les expériences homosexuelles en prison....
Charles: Pour moi, si c'est des adultes consentants,
c'est leur problème, leur vie. Chacun vit sa vie chez soi. Voilà,
même là-bas, ils y en avaient qui étaient homo, je m'en
rappelle, il y en avait un qu'on voyait très bien, il était
sympa, mais il savait très bien avec qui il pouvait parler de ca et avec
qui il ne pouvait pas.
Roseline: Il savait pertinemment qu'avec vous il ne
pouvait rien...
Charles: Vous savez, les homos, je connais cela, ils
savent très bien avec qui ils peuvent être.
Roseline: Ce que votre directeur disait sur
l'homosexualité consentie, à un moment donné, ce besoin
affectif ou besoin de sexualité, c'est un court moment mais que cela n'a
aucune incidence à la sortie.
Charles: C'est les gens qui tentent leur
expérience. Roseline: Pour vous c'est cela, Vous n'étiez
pas tenté... Charles: C'est sür que non, moi
c'était clair, ah oui.
Roseline: Pour vous, vu que c'était clair, vous
vous êtes retrouvé seul dans votre besoin affectif...
Charles: Il fallait le vivre de toute facon!
Roseline : Vous êtes obligé.... C'est votre
caractère qui a décidé...
Charles: C'est comme ca! Je savais que j'allais passer
toutes ces années comme ca sans affection et moi je viens d'un pays
ou peut-être cela peut se passer comme vous dites. Mais chez moi c'est
comme ca. Même si c'est marqué dans le
code pénal, ici c'est comme cela. On parle beaucoup,
beaucoup, on commence à voir si on peut faire quelque chose. C'est pas
qu'on va faire. C'est on va voir.
Roseline: D'accord. Là vous parlez des parloirs
intimes?
Charles : Oui les parloirs intimes. Simplement le fait
d'agrandir un peu la salle de visite de Tout le monde en parle, il n'y a rien
qui se fait.
Roseline: Et vous quand vous étiez en prison vous
pensiez à ces parloirs intimes et si cela avait existé ca vous
aurait aidé?
Charles: Oui c'est long à la longue. Oui ca
m'aurait beaucoup aidé. Oui c'est la réalité, les gens
sont tendus, tout le temps.
Roseline : Vous aussi?
Charles: Oui pourquoi dire non si c'est vrai. On est
tous tendus, même les gardiens sont tendus. Même le directeur de la
prison est tendu. Et s'il n'est pas tendu, c'est qu'il y a un probléme,
c'est qu'il s'en fout.
Roseline: Et vous en parliez entre vous des parloirs
intimes, de ces moments...
Charles: Oui, mais à chaque fois, c'est que
nous sommes en préventive, mais aprés on disait, le seul que je
sais, qu'on m'a dit c'est en suisse italienne, qu'ils y avaient des parloirs
intimes et tout ca. Mais qu'il fallait attendre car il y avait beaucoup de
demandes.
Roseline: C'est aussi un projet à ou je ne sais
plus oü?
Charles: , je crois, mais c'est un projet.
Rachel: Vous pensez que s'il y avait des parloirs
intimes un peu partout cela diminuerait la violence et les tensions?
Charles: Ah mais écoutez, les hommes qui font
l'amour, c'est les médecins qui disent, ils se sentent bien, il y a
plein d'hormones et des vitamines qui se calment qui aident à calmer les
gens... a sert à calmer plein de monde, ca c'est sür.
Roseline: Quand il y avait des couples ensemble,
homosexuels, ils pouvaient trouver des moments d'intimité?
Charles: Je pense que s'ils sont dans la même
cellule, ils trouvent vite fait.
Parce que si c'est dans la douche, il n'y a pas tout le monde qui
peut supporter ca et ca peut vite tourner au vinaigre. C'est un moment qui
crée....
Roseline: Est-ce que vous avec vécu une
expérience oü quelqu'un a eu une relation forcée ?
Charles: Non, il y a eu quelqu'un qui s'est
promené avec son membre à l'air, en érection, et les gens
lui ont dit : Ç tu te calmes, sinon tu vas passer un mauvais moment
È.
La douche c'est le seul moment que nous avons et nous pouvons
nous détendre. Quand on sent l'eau tomber, ca fait du bien, tout le
monde prend une longue douche. C'est vraiment un moment de détente.
Quand on est pas bien et que l'eau tombe et tombe, ca calme.
Roseline: C'est presque affectif....
Charles: C'est sür, certains ne se douchent pas,
mais la plupart, on attend que ca!
Il y a eu des problémes à cause des douches avec
les gardiens. Des gens qui sont allés au cachot parce que la douche
était refusée car le temps était dépassé.
Roseline: Le droit à la douche....
Charles: a, c'est pas défini. Normalement
chaque deux jours, de telle à telle heure. Moi ce qui me fait rigoler,
c'est le droit de l'homme ici, mais ici ils donnent le strict minimum, pas
plus. Une heure de promenade, pas plus, c'est ce qu'ils donnent c'est le
minimum.
Rachel: Mais là on parle de la préventive,
car qu'on on sort de la préventive, il y a quand même plus de
promenades....
Charles: C'est différent, tu peux aller à
la salle de gym quand tu veux, apparemment, aprés, avant le
travail...
Roseline: Mais vous n'avez pas connu ca vous?
Charles: Non, moi j'étais dans autre une prison.
J'étais ,
c'est .
Roseline: Mais là, il n'y avait pas de
moment...
Charles: Non, là-bas on t'ouvre la porte, tu
passes ta journée dans le couloir, on avait des contraintes de
préventive des fois. Dans l'immeuble de , il y avait un probléme,
ils donnent des réponses incompréhensibles, simplement de ne pas
vouloir bouger, voir les choses. C'est comme cela. Le pouvoir. (Rires)
Rachel: On avait également évoqué
la masturbation, pendant ce repas, je ne sais plus qui disait que ca calmait,
à un certain moment?
Charles: L'acte ne suffit pas, mais ca aide, il faut
le dire. a calme un peu quand même. En même temps, il n'y a que
ça. Et pour les moments intimes, quand les autres partent à la
promenade, il y a un moment intime possible, et la nuit. Chacun a son lit et
les toilettes et voilà.
Roseline: Et en préventive, on entend tout....
Charles: Non, les gens sont discrets. Les gens
n'acceptent pas tout, dans la galère qu'on est, il ne faut pas trop
bousculer les choses. Chacun trouvait sa facon. Je travaillais à la
buanderie et je trouvais des matelas avec des trous. (Rires)
(3min de non retranscription d'un aparté sur les
pratiques solitaires hors détention qui ne sont pas l'objet de notre
mémoire)
Charles: J'ai vu un reportage, au Canada, ils te donnent
même une petite maison durant une semaine, avec ta famille.
Rachel: Même là, il faut remplir de
sacrées conditions pour y avoir le droit?
Charles: On m'a expliqué que parfois, il faut
attendre quatre mois avant d'avoir le droit d'aller au parloir intime et
même parfois, ils font du chantage.
Et ce qu'on m'a expliqué aussi, c'est que pour avoir le
droit au parloir intime et oü il y a un parloir intime , ca doit
être ta copine ou compagne avec qui t'es avec depuis six mois, donc une
prostitué e, non c'est pas possible. Il y a des gens qui sont rien.
Roseline: Quand on vous raconte cela, vous vous sentez
comment?
Charles: Je n'arrive pas à comprendre ce
système, c'est un système de fou. Simplement être
là, la capitale des droits de l'homme, soit disant oü on a
créé les droits et on donne le strict minimum. Et il y a des
pays, oü on donne plus et il y a moins de problème.
J'expliquais au directeur là ou je suis maintenant qu'
avant je m'en foutais jusqu'au jour oü nous sommes confrontés
à ça. Ce n'est pas mon problème. Une fois qu'on est
confronté et on voit les choses comme elles sont. Ce n'est pas
facile.
Aujourd'hui vous êtes confrontés à ca parce
qu'on en parle mais les gens sinon ils s'en foutent de ca.
Un jour on doit sortir. Les gens ne s'imaginent pas qu'on va
sortir un jour et comment ? Avec plus de colère, avec la rage.
Même étud ier ce n'est pas facile, c'est
incroyable. J 'ai dü casser du bras pour y arriver. Deux enseignants
qu'à 50% et la salle est tellement petite, il n'y a pas beaucoup de
place. Tout le monde aimerait faire quelque chose. Quatre ou cinq personnes
seulement qui peuvent entrer. On étudie soit par courrier, par
toi-même. C'est pas évident.
Si vous occupez cela aide à pas penser à
l'affectivité.
J'ai même fait de l'origami pour pouvoir passer le temps.
(Soupirs)
Plier, Plier, je fais quoi, Il est 17h, 18h j'ai pas sommeil, je
lis, j'ai plus envie de lire, d'étudier, j'arrive plus, je fais quoi, je
continue à plier. Essayer d'oublier.
Non retranscription, aparté sur la
ÇpréventiveÈ
Rachel: On avait également abordé cette
violence envers soi-même, qui était là parce que le manque
d'affectivité pouvait être violent.
Charles: La violence, comment expliquer, c'est pas
qu'on se fait du mal, ca fait mal, c'est violent par exemple la contrainte
d'être séparé avec sa femme ou sa copine. Il y en a qui
tienne.
Pour moi la violence, c'est que tu perds pleins de trucs et
aprés tu perds tout et quand tu sors, on te donne rien. En plus, il faut
sortir comme un ange! Il faut réfléchir, ce n'est pas une
solution.
Roseline : Vous avez utilisé les rencontres
thérapeutiques pour aller mieux?
Charles: Bien oui, pour aller mieux, j'ai deux gamins
et je voulais leur donner un autre exemple, une autre facon de faire et
voilà quoi, changer tout. Qu'ils ne restent pas avec cette image.
(Silence)
Rachel: Quand on ne connait pas ce qui se passe, on a
que les images de la télévision, des films, on parle beaucoup des
relations forcées. Est-ce que vous en avez vu?
Charles: Moi je n'ai pas vu, mais je me rappelle
qu'à l'époque, il y en avait un qui avait violé son
codétenu, la personne en a parlé avec un gardien et aprés
il a porté plainte.
Roseline: Quand vous avez entendu ca, qu'est-ce que ca
crée chez vous?
Charles: Le gars a été
transféré, sinon il avait passé des sales moments. Et
quand je dis de sales moments, c'est n'importe ou et n'importe quand.
Vous savez, il y a certains crimes qui ne sont pas supportables
et malheureusement, pour la majorité, ca se passe mal pour la
personne.
Il y a aussi des homosexuels et ca on le sait bien, il y avait
un avec les cheveux longs et pour lui il était une femme, je ne sais pas
comment ca se passait pour lui mais j'imagine aussi que l'affectif ne devait
pas être facile.
4 min de Non retranscription, aparté sur un
pédophile qui reste un humain. Roseline: Il y a aussi beaucoup
l'imagination qui joue un rTMle?
Charles: Oui, on s'évade beaucoup avec la
tête. La journée est longue, le matin on te réveille
à 7h30, tu prends le petit déjeuner, tu bois un café, puis
la promenade vers 11h30 et aprés tu fais quoi ? Tourner en rond!
Rachel: Que pensez-vous de la possibilité de
faire venir une prostituée ?
Charles: a serait bien. Sincérement ca serai t
bien, car il y a des cas ou ils ne parlent même pas la langue, il n'a
personne ici, personne vient le voir et voilà il vient d'un autre pays
et comment il fait pour trouver quelqu'un?
Rachel: Je n'avais pas imaginé ca.
Charles: Oui, ils sont condamnés 3-4 ans et ils
apprennent le francais car ils sont obligés parce qu'ils doivent parler
avec les gardiens. T'as pas de famille!
Une prostituée ca peut aider beaucoup et elle pourrait se
faire plein d'argent. (Rires)
Roseline: Et vous, quand vous y étiez, vous avez
pensé à ca ?
Charles: Non, j'avais mon système de ne pas
penser à ca. Car plus on pense et plus ca fait du mal.
Rachel: On arrive à la dernière
question, qu'est-ce que vos experiences affectives durant votre detention ont
change lors de votre sortie? Est-ce qu'il y a eu un changement dans vos
relations amicales ou amoureuses ?
Charles: Moi, ca a change beaucoup car maintenant je
suis fidèle (rires) car à l'epoque je ne l'etais pas trop.
Voilà. Et avant, j'etais plus exigeant, ce que je ne pouvais pas avoir
à la maison, je vais le chercher dehors.
Roseline : Alors c'est un point positif, ca vous a
permis de changer....
Charles: Ce que ca m'a permis, c'est de savoir que je
peux tenir aussi longtemps sans femme. Par exemple aujourd'hui, on casse avec
une femme qu'on aime, dans deux mois plus tard on drague et trois mois
après on sort avec quelqu'un d'autre.
Roseline: Et là par contre une annee, deux ans
c'est rien....
Charles: Même les femmes des fois cherchent un
mec pour une nuit, Ca m'est dejà arrive. Et ca maintenant, je ne veux
plus. Je suis bien. Il faut beaucoup mediter, penser. Moi ce que je fais
beaucoup, c'est de me mettre en question. J'ai tout change.
Roseline : Vous avez su saisir toutes ces opportunites
forcees...
Charles: J'ai eu le declic heureusement parce que
j'ai eu aussi... je n'etais pas bien. Certains moments j'avais même la
rage, voilà, mais j'avais un sentiment de culpabilite enorme tout ce qui
m'est arrive et c'etait special. La seule chose qui me restait c'etait mes
gamins. Je pense à eux.
Roseline: Maintenant je vous sens apaise, est-ce que je
me trompe?
Charles: Ouais. J'ai beaucoup change, enfin je suis
redevenu comme avant car c'etait une periode, il y a des periodes de
frustration, de problèmes, simplement le fait de ne pas avoir un bon
travail, c'est tout qui affecte.
Maintenant je dis beaucoup c'est la vie, c'est comme ca.
Roseline: C'est au jour le jour, priorites...
Charles: C'est plutôt accepter. Il y a pire. On se
sent mal car on arrive pas à accepter. C'est pas grave enfin pas grave,
accepter...
Rachel: Est-ce qu'il y a des choses que vous aimeriez
ajouter?
Charles: Non pas vraiment. J'espère juste que
ca vous aide beaucoup et que ca puisse être lu par des personnes
importantes. J'imagine que si. L'exemple, il faut le donner. La loi est la
même pour tout le monde. Que cela aide ceux qui vont suivre. L'affection,
tout le monde en a besoin, même les arbres ont besoin d'affection.
Simplement. Mais un prisonnier n'a le droit à rien tout en sachant qu'il
va sortir un jour.
Précision de Roseline à Charles que tous ses dires
ne seront peut-être pas exploités pour le travail de
mémoire.
Rachel: On vous remercie beaucoup, ca a
été pour vous ? a n'a pas été trop....
Charles: Non, on est habitué à pire. Je
redoutais un peu car certains ont des questions bof...
Roseline: Mais est-ce vou s avez eu ce genre de
questions de notre part?
Charles: Non, non je m'attendais à des
questions plus directes, comme les médecins: Ç t'as eu quelle
maladie, est-ce que tu fais l'amour avec des hommes È.
Roseline: Ce que nous souhaitions, c'était
vraiment votre vécu....
Mot de la fin de
Charles: C'est surtout la frustration de ne pas pouvoir
vivre l'amour comme un humain.
Roseline et Rachel: Merci beaucoup
(Surnom choisi avant l'enregistrement) Rachel: Alors,
ben, bonjour.
Doe: Bonjour
Rachel: La derniére fois qu'on s'est
rencontré, on avait un petit peu dit pourquoi on avait choisi ce sujet
comme travail de recherche. Donc, en fait, je répéte juste un peu
pour... Donc, en fait, on a choisi la vie affective dans un milieu
carcéral fermé parce que c'est un sujet qui est trés peu
abordé et qui est tabou. C'est pour ca qu'on avait envie d'essayer de
creuser un peu plus cela et pourquoi pas d'essayer de le rendre un petit peu
moins tabou. Nous, ce qu'on veut conna»tre, c'est vraiment votre
vécu, vraiment, ce que vous avez vécu. Je tenais aussi à
préciser que ces entretiens resteront vraiment confidentiels, tout sera
effacé. Et puis, si jamais il y a de s questions auxquelles vous ne
voulez pas répondre, vous nous le dites, il n'y a pas de souci. Si vous
avez besoin de faire une pause, vous nous le dites aussi. Et on tenait encore
à vous remercier de participer et de nous aider dans notre
démarche.
Doe: Pas de probléme
Rachel: Je vais commencer par la première
question: en fait, qu'est-ce que vous auriez envie de nous dire sur vous? Un
peu en général,... Je ne sais pas...Votre %oge... Qu'est-ce que
vous aimeriez nous dire sur vous?
Doe : Ce que vous avez besoin de savoir
Rachel et Roseline : (Rires)
Doe: (Rires) Qu'est-ce que vous avez besoin de
savoir?
Rachel: Je ne sais pas...Votre %oge?
ans, d'accord...Et est-ce que votre détention, elle a
été longue? On n'a
pas besoin de savoir le temps mais si elle a été
plus ou moins longue ou plus ou moins courte?
Doe: Rachel:
Doe: Pour un gars de mon %oge, longue.
Rachel: Longue? D'accord...
Roseline: Je mets juste des mots clefs, hein, c'est
juste pour aprés si jamais...
Doe: Bon, ca dépend de ce que vous entendez
longue aussi mais...pour un gars de ans, ouais, c'est long.
Roseline: Mais plus d'une année?
Doe : Oh oui, oh oui,...
Roseline: Plus d'une année, ca nous suffit.
Doe: Bien plus d'un an.
Rachel: Quel souvenir vous gardez de votre
première arrivée en détention? Doe:
L'arrivée en prison?
Rachel: Ouais.
Doe: Disons, j'ai seulement réalisé
plus tard. Le lendemain, quand je me suis réveillé. Quand je suis
arrivé, pour moi, c'était même pas encore la prison, c'est
vraiment le lendemain, quand je me suis réveillé, avec les matons
qui ouvrent la cellule pour aller faire la promenade à 7h, alors que
ça caille. Ouais, c'est le lendemain matin que j'ai vraiment
tilté oü j'étais... Le jour même, pas vraiment
tilté. C'est le lendemain matin, au réveil, qu'on réalise
oü on est.
Roseline: Quels étaient les
éléments, à part les matons, qui ont fait que vous avez
réalisé que vous étiez en prison?
Doe: Disons que c'est réveillé avec le
bruit de la clef dans la serrure en faisant un bond de 3 metres alors qu'avant
tu tirais des cannes. Mais sinon rien...Le bruit qui regne, j'veux dire, la
prison c'est pas calme. Entre les détenus qui... sont là. Ben,
l'ambiance, forcément, l'ambiance d'une prison.
Roseline: C'est-à-dire ? Un peu plus
décrire l'ambiance...
Doe: L'ambiance? Ben, l'ambiance froide. On est tous
dans la même galere. Surveillés en permanence. On fait pas un
metre sans être surveillé. Ouais, on s'y habitue à la
longue mais au début, c'est pas évident.
Roseline : Vous étiez dans une cellule à
plusieurs ou tout seul?
Doe : Au début, dans une cellule
à...Ben, j'ai toujours été dans une cellule à 2.
Ben, forcément, apres, le temps surpeuplé, on était 3 dans
une cellule de 2. Donc 3 dans 12m2.
Roseline: Et pis, vous avez jamais fait de demande pour
être tout seul? a vous convenait d'être à 2, 3 ?
Doe: Ben, on n'a pas vraiment le choix, quoi. C'est
blindé, c'est blindé...J'veux dire, faut bien les mettre à
quelque part.
Roseline: D'accord...
Doe: Du moment, qu'c'est plein, c'est pas un hTMtel,
hein. Roseline: En fait, là, vous parlez plus de
préventive, pour l'instant.
Doe: Ben, c'était censé être une
préventive mais moi j'ai fait toute ma peine à
Roseline: Tout le temps en préventive?
Doe : Tout le temps en préventive.
Roseline: Même qu'il y avait une peine ?
Doe: Même quand j'ai été
jugé, j'suis resté en préventive.
Roseline: D'accord.
Doe : C'est blindé de partout. Plus de
transfert.
Roseline: Donc, ca veut dire qu'il y avait des
moments oü c'était donc dans le couloir, les moments de repas ou
les choses comme ca? Ou alors, c'était quand même les repas en
cellule?
Doe : Ah, non, moi j'étais repas cellule, au
calme. Roseline: Tout le temps ?
Doe : Ouais, j'ai pas bougé.
Rachel: Et parce que y'avait pas de place ailleurs et du
coup, ils ont pas fait de transfert?
Doe: Pour ca ouais, sinon pour les repas dans le
couloir, disons que moi, j'm'en foutais complétement d'avoir les repas
dans le couloir. Moi, j'voulais manger au calme et les couloirs, c'est pas
calme. On est une centaine à gueuler comme des gorets,.... Pfff, non,
moi, j'veux manger tranquille au calme, la télé et basta.
Rachel: D'accord. Et puis quelle idée vous
aviez des relations entre les gens en détention? Est-ce que vous aviez
une idée avant? Est-ce que vous vous étiez déjà
imaginé ou fait une idée sur les relations qui étaient
possibles en prison?
Doe: Bof... Disons que moi, j'pensais surtout aux
relations de violence. Les mecs entre nous quand on est enfermé avec
tout ce qu'on peut pas faire ou tout ce qu'on doit faire, on se doit de montrer
une certaine force entre guillemets. Donc, ouais, relations de violence...un
peu conflictuelles. Et ca c'est pas totalement montré faux. a s'est un
peu montré avec des bagarres, donc ouais...
Roseline : Vous avez, vous-même, participé
à une bagarre?
Doe: J'ai failli à plusieurs reprises mais j'ai
toujours réussi à être calme. J'ai failli 2-3 fois mais
j'ai toujours réussi à calmer le jeu.
Roseline: Donc, vous avez plus une personnalité
à essayer de calmer le jeu que de rentrer en conflit?
Doe: Non, pas toujours. Quand on me prend trop, quand
on me cherche trop, ouais, j'rentre dans le tas. Mais là, c'était
pour des broutilles et je me suis dit ca sert à rien que je finisse au
cachot pour des connards pareils. Aprés, c'est casses-toi de là
et puis, fous-moi la paix. J'avais pas envie d'aller au cachot pour des
imbéciles pareils, ca en valait vraiment pas la peine, quoi. Donc, bah,
j'ai calmé le jeu, je l'ai laissé s'enflammer de son
côté et moi, je suis resté calme. Pas évident en me
connaissant.
Rachel: Ouais, j'pense et en plus quand on est toujours
confiné ensemble, on est toujours en contact et en...
Doe: Mais bon, ca fait partie du jeu...C'est pas un
hôtel...
Rachel: C'est sür... Est-ce que vous pourriez nous
décrire une journée type? En fait, un peu comment se passe une
journée pour vous en général?
Roseline : Avec des échanges relationnels
importants. Doe: Importants?
Roseline: Ouais, ben, qui semblent plus importants pour
vous.
Doe: Les seuls moments importants, c'était les
parloirs avec la famille. Les autres relations avec les autres détenus,
honnêtement, j'm'en fous, j'avais pas l'intention, c'était pas des
potes, j'avais pas l'intention de revoir les gens aprés, c'était
juste des gens avec qui je devais vivre le temps que j'étais là
et basta. Relations importantes, c'était des relations de bons
colocataires, ouais. Les autres... Bon, certes, y'a des liens qui se tissent
avec le temps. Forcément, prendre des gens pas pour des potes, mais
presque mais on sait que c'est le temps d'être ici. Une fois qu'on est
dehors, on vogue. C'est juste le laps de temps oü on est en prison, qu'on
reste ensemble, on se met en groupe pour pas se faire chier seul, quoi. C'est
une sorte de pote. Puis, une fois qu'on est dehors, ben, ca...Moi, j'garde pas
contact.
Rachel: Mais ces rencontres, ces gens que vous avez
rencontrés, ils se rencontrent ou ? Vous avez la possibilité de
les rencontrer oü?
Doe: Ben, soit quand on les fout dans notre cellule,
soit quand on est au boulot, soit à la promenade, soit dans les
couloirs, aux parloirs, quand on attend dans une cellule d'attente tous
ensemble. Ouais, y'a plusieurs lieux oü on n'est pas toujours seul.
Rachel: D'accord
Doe: Les trois quarts du temps on est avec ceux avec qui
on s'entend depuis le début et puis les autres, pfff..., on fait pas
gaffe.
Rachel: D'accord. Et puis, comment vous êtes
arrivé à créer des liens. Est-ce que c'est vous qui
êtes allé vers les gens ou c'est eux qui sont venus vers vous
quand vous êtes arrivé?
Doe: Disons que ca c'est un peu fait de
soi-même, en fait. J'pourrais même pas dire qui est allé en
premier. C'est juste des liens qui se...viennent des le début. C'est
juste y'a des genres de personnes vers qui je m'entends bien et bah, y'en a
d'autres j'vais même pas essayer parce que je sais qu'on est pas sur le
même chemin, donc ca sert à rien.
Roseline: Mais qu'est-ce qui fait que vous saviez que
c'était le même chemin ou pas le même chemin?
Doe: Non, disons, pas par rapport au passé
carcéral. Disons, enfin, j'sais pas...Déjà la culture. Y'a
des cultures avec qui j'pourrais pas parler parce que je sais que c'est
conflictuel direct. Et pis y'en a d'autres, bah, quand j'vois qu'ils sont plus
ou moins comme moi, on va dire.
Pas forcément la même tranche d'%oge mais, j'veux
dire qui ont l'air déjà plus calmes, parce que j'vais pas aller
vers des merdeux qui s'agitent pour un oui ou un non. J'étais pas
là -bas pour m'prendre la tête, j'étais là pour
faire ma peine et basta. Donc, ouais, y'a des gens vers qui j'allais plus
facilement. Pis, bon, forcément quand on vit tout le temps avec la
même personne au travail, quand on est dans les ateliers,
forcément on est dans le même atelier, donc...Pis apres, c'est des
caractéres... C'est des caractéres, c'est des délires,
c'est quand on se marre ensemble. Faut bien rigoler quand même. C'est pas
parce qu'on est en prison qu'on peut pas se marrer.
Roseline : Vous étiez dans quel atelier? Doe
: J'étais à la reliure.
Roseline: A la reliure... C'est quand même un
contexte oü on est chacun sur une machine ou... y'a quand même un
peu de solidarité...?
Doe: Ouais, disons qu'y'a la solidarité aussi
et puis quand y'en a un qui sait pas faire un truc, on l'aide. Pis apres y'en a
un autre qui est libéré et il s nous en aménent un
nouveau. Donc, le nouveau, certes, y'a le chef qui va lui apprendre et puis
apres c'est les autres détenus qui vont lui dire tu fais ci et situ y
arrives pas, tu m'appelles. Y'a une sorte de solidarité entre nous,
quand même. On est dans le même navire, si on veut, donc, ouais,
y'a une sorte de solidarité entre certains.
Roseline: Et pis, là, c'est vraiment le climat de
travail donc y'a pas forcément à se prendre la tête comme
vous le dites, c'est une ambiance?
Doe: On s'est quand même pris la tête. Moi,
j'me suis pris la tête avec un gars mais ca c'était...
Roseline: Mais c'était par rapport à
rendre le travail ou c'était par rapport à...
Doe: Non, non, ca n'avait rien à voir avec le
travail. C'était juste un gars qui me prenait la tête, une grande
gueule, quoi...
Roseline: D'accord.
Doe: Donc, forcément, y'a un moment, ca passait
plus Roseline: Il faisait mieux que vous?
Doe: Non, disons que c'était une
mentalité qui se croyait supérieure à tout le monde. Le
genre de mentalité avec laquelle j'ai de la peine. Comme un peu tout le
monde, j'pense... Mais bon, on fait avec.
Rachel: Pis ces liens, au fait, que vous avez pu
créer, vous pourriez les décrire comment? Est-ce que
c'était plutôt des liens superficiels? C'était plutôt
des liens, j'sais pas, amicaux? Peut-être affectifs ? Ou intimes?
Doe: Disons que je pense plus entre le superficiel et
l'amitié. C'était des amis sur le moment, en fait. Des gens avec
qui je m'entendais bien quand j'étais en prison. J'sais que c'est pas
des gens que j'ai envie de revoir une fois dehors. C'est des gens avec qui je
m'entendais super bien quand j'étais en prison. Y'en a avec qui j'ai
fait un bon bout de temps avec..., ben, en prison. C'est vrai que pendant un
petit bout de temps, on a fait des peines quasiment, pas ensemble, mais on a
passé un bout de temps ensemble avant que l'un ou l'autre soit parti.
Pis, ouais, c'était des gens avec qui on s'entendait bien.
Rachel: Il y avait de la confiance?
Doe : On va dire, une certaine confiance.
Rachel: Une certaine confiance...
Doe: On peut pas avoir une confiance absolue. La
confiance absolue, personnellement, moi en prison, elle existe pas. Du moment
qu'on est en prison, j'veux dire, on peut pas avoir confiance en qui que ce
soit. La seule personne en qui on a confiance, c'est soi-même. En tout
cas, moi, j'ai confiance qu'en moi. Donc, jamais j'aurais fait cent pour cent
confiance à qui que ce soit d'autre. Mais y'a une sorte, entre
guillemets de confiance, sürement. On sait qu'on peut comp ter dessus, on
va dire, plutôt.
Rachel: Donc, il y a de l'entraide, il y a de la
solidarité?
Doe: Ouais, y'a de la solidarité qui se fait
entre certains, pas tout le monde. Mais y'a une certaine solidarité
à un moment donné.
Rachel: Est-ce que vous vous êtes permis de
pouvoir discuter avec eux de tout?
Doe: Non, j'allais pas commencer à parler de ma
vie d'avant. J'allais pas commencer à dire où j'habite, ma
famille, ci, ca, j'peux pas.
Rachel: D'accord.
Doe : Y'a quand même comme une sorte de
protection, malgré tout. On est pas dans un monde tout rose, non plus.
Donc, on va pas commencer à confier des choses qu'ils ont pas à
savoir.
Roseline: Donc, vous ne vous êtes jamais
confié à qui que ce soit? Doe: De nature, j'suis pas
quelqu'un qui se confie.
Roseline: C'est dans votre nature...
Doe: Dedans la prison, dehors, j'suis pas quelqu'un qui
se confie.
Roseline: Et dans ces liens, est-ce qu'il y'avait quand
même du respect, pas de respect?
Doe: Non, y avait un certain respect. Ouais, be n,
pour avoir une bonne cohabitation, faut quand même respecter l'autre.
Quand l'autre il dort, faut pas faire le souk, faut pas mettre la
télé à fond ou se mettre avec la musique à fond. a
c'est juste des régles de savoir vivre. a tient en prison aussi. Encore
plus, même j'dirais. On est dans 12m2 à deux donc
forcément des qu'y'en a un qui dort, bah l'autre il va essayer de, ...il
va essayer de faire pas de bruit. C'est juste une question de, ouais, ca c'est
même pas une question de respect, c'est du savoi r vivre. Donc même
si on est en prison, faut quand même conna»tre certaines regles.
Roseline: Donc, là, on a parlé par rapport
aux codétenus. Mais, par rapport au personnel pénitencier, est-ce
qu'il y avait des échanges... de respect, de solidarité?
Doe: Honnêtement? J'm'entendais super bien avec
les matons. Peut-être étonnant... Mais alors, j'm'entendais
bien..., y'avait 2 -3 connards comme partout, j'ai envie de dire, 2-3 mecs qui
pétent plus haut que leur cul, j'ai envie de dire mais, bon, la plupart,
ils sont à leur place, ils nous traitent pas comme des moins que rien
parce qu'on est des taulards. Donc, non, la plupart, ils sont corrects. Certes,
y'en a 2-3 qu'on a qu'une envie c'est de leur foutre trois claques mais, bon,
comme c'est des matons, on risquait rien. Mais, non, personnellement, moi, ca
allait. Avec les matons, ca allait bien. La plupart, ils avaient quasiment mon
%oge, même, donc...
Roseline : Ah oui?
Doe: Ils étaient assez jeunes. J'ai vu
beaucoup d'arrivants qui étaient en formation. Pis, bon, je les ai vu
défiler, j'étais plus vieux que certains gardiens. Certains
gardiens, ils étaient peut-être,..., depuis quoi, depuis quasiment
que je suis arrivé, ils me disaient: Ç mais, dis-donc, toi, t'es
arrivé ici avant moi ? È. J'fais: Ç T'es arrivé
quand ? È. Il me dit la date, j'fais: Ç Ouais, ouais, j'suis plus
vieux que toi, j' ai plus d'ancienneté È. C'était des
gamins, quoi et puis on se permettait de déconner avec eux. Ouais,
certains, ils sont vraiment cool.
Roseline : Vous dites en formation, euh...
Doe: Ben, disons, que c'était marqué sur
leur badge, c'était marqué: Ecole, j'sais pas quoi, ouais,
c'était...
Rachel: C'était des apprentis.
Doe : Ouais, ouais, ils étaient en formation. Ils
apprenaient le boulot, en fait.
Roseline: D'accord. Est-ce que vous avez vu une
différence entre ceux qui étaient en formation et puis ceux qui
étaient depuis plus longtemps là et qui étaient
formés?
Doe : a dépend, ceux qui étaient
formés, ils savaient déjà mieux quoi faire quand on leur
demandait un truc. Bon, pas toujours, certains, c'était des ploucs, mais
disons que, ouais, les nouveaux, ils étaient pas tout-à-fait,
toujours au courant de tout, on va dire. Mais, franchement, j'veux dire, j'veux
pas les dénigrer mais c'est pas un boulot extrêmement
compliqué, non plus: Tu ouvres une porte, tu fermes une porte, tu
l'amènes là ou le détenu doit aller, si c'est à
l'avocat, tu l'amènes à l'avocat, il doit aller à
l'école, tu l'amènes à l'école, il doit aller au
parloir, tu vas au parloir. C'est pas extrêmement compliqué, non
plus. Y'en a qui le font avec plus de...pas de plaisir, mais p't'être
plus d'humanité, en fait. Donc, y'en a certains, c'est ..., ouais, c'est
presque comme s'ils parlaient à des animaux. Y'en a certains mais ils
étaient assez rares, encore. Parce qu'en principe, ils se faisaient
remettre à leur place, vite fait, donc... . Donc, en principe,
après, ils comprennent que c'est pas parce qu'on est en prison, ...On
reste des humains, certains ont fait des conneries, c'est pas une raison pour
mal lui parler.
Donc ouais, ils sont assez calmes. La plupart, ca va.
Franchement, y'en a, honnêtement, on peut pas se plaindre. Comparé
à ce qu'on peut voir dans les films, les matons, c'est des matons.
Franchement, ca va.
Rachel: Pis dans les rencontres qui vous ont
marqué, en fait, le lien, il s'est créé comment?
Doe: Ben, disons, qu'y'en a qui se confient, y'en a
certains qui se sont confiés.
Rachel: Donc, des personnes qui vous ont fait confiance
et puis du coup, vous vous êtes senti un peu en confiance avec?
Doe: C'est même pas une question de confiance,
c'est qu'il y'en a certains, ils se sentent, pas le devoir, mais ils ont besoin
de parler, en fait. Donc si c'est même pas à moi, un, il parle
quasiment à toute la prison.
Toute la prison connaissait son histoire. Et disons que
c'était un...on va dire un gros dossier qu'ils en ont parlé dans
les médias, faut pas s'mentir. Mais, ouais, j'veux dire, c'est toutes
des relations... a se fait n'importe ou. Soit quand on est au palais de
justice, dans le fourgon comme des salades, dans les paniers à salades
et qu'on attend, soit dans les cellules en bas où on attend, y'en a un
qui attend pour voir s'il a...si son jugement,...qui attend pour juste voir si
les prolongations pour quand on n'est pas encore jugé.
Disons qu'à un moment donné, on est bien
obligé de se...On est bien l'un à côté de l'autre,
donc soit on parle pas, soit on parle. Et pis, ca dépend des gens. Y'a
des gens, tu peux rester deux heures avec, t'as même pas envie de leur
parler et pis, t'en a d'autres, t'es deux heures avec mais tu lui parles au
bout de dix minutes.
C'est comme une mini-société si on veut la
prison, c'est comme une petite société à quelque part. A
part que les règles qui s'appliquent en prison sont pas tout
-à-fait les mêmes que dehors. Mais, j'veux dire, c'est comme ca.
Quand parfois dans le tram, t'es assis à côté de quelqu'un,
tu vas regarder à droite, tu vas regarder à gauche et pis y'en a
d'autres, il va se mettre à parler... Tu sais pas pourquoi mais c'est
comme ca. Bah, là -bas, c'est un peu pareil. On se met à te
parler, tu cherches même pas à comprendre. C'est soit, tu veux lui
parler, tu lui parles. Tu veux pas lui parler, tu dis
que tu veux pas lui parler. Si tu parles aux gens, tu parles
pas aux gens, c'est comme ici, tu parles aux gens ou tu parles pas. T'as pas de
règle, en fait. Si t'as envie de lui parler, tu lui parles, sinon tu
fais ta route.
Rachel: Et puis, bah, voilà, quand on
rencontre quelqu'un, quand on a un moment d'échange, on a des
émotions, en fait, qui apparaissent. a peut nous rendre heureux, triste,
on peut se sentir compris ou, au contraire, se sentir encore plus mal
ou...Qu'est-ce que les relations que vous avez pu...
Roseline : Vous avez eu des émotions en
prison?
Doe: Des émotions ? A part la colère, la
rage et tout ca? Roseline: Oh, ben, il faut aussi parler un peu de
colère et de rage.
Doe: Disons que ouais, j'avais l'apaisement quand
j'avais le parloir, ouais. a, ca calme bien.
Roseline: Ouais....
Doe: Et sinon le reste, c'était toujours de
l'impatience. Roseline: Impatience?
Doe: Ben, impatience de sortir, déjà.
Roseline: Ouais.
Doe: L'impatience quotidienne d'attendre qu'on sorte,
compter presque les jours, à un moment on les compte plus en an. Sinon,
ouais.
Roseline: Pis la colère, la rage, ca se dirigeait
plus contre qui? Contre vous-même ou contre les autres? Et pis les
autres?
Doe: Le système. Roseline: Le
système?
Doe: Ouais, le système. Un peu des deux. Et puis,
avec le temps,..., faut bien apprendre à se calmer.
Roseline: Le système, c'est ... ? C'est les
tracas administratifs, c'est ...
Doe: C'est l'administration
pénitencière, ouais. Les directeurs de prison. C'est les
fonctionnaires. Et ouais, tout ce qui est les juges qui sont dans, bon on les
compte pas parmi. Enfin, ouais, tout le monde un peu,...Bah, tout le monde qui
fait que ca existe. Tout ce qui est juge, bon la police, j'les ai jamais
aimés, ca c'est pas nouveau. J'les aime toujours pas d'ailleurs. Et
ouais...
Roseline: Mais la police, elle intervenait à quel
moment?
Doe: Pendant l'arrestation.
Roseline : Ah, oui, d'accord. Mais à
l'intérieur de la prison, elle...
Doe: Ouais, disons qu'y a parfois, quand y'a les
émeutes et tout le tralala, y'a un peu les forces de l'ordre qui
arrivent. Ca fait presque plaisir de les voir pour les avoir sous la main,
donc,...
Roseline : Vous avez vécu des moments
d'émeutes?
Doe : Ouais, y'a des petites révolutions et tout
ca, ouais.
Roseline: Et comment ca se fait que les petites
révolutions sont arrivées? Doe: Un ras-le-bol
général.
Roseline: Un ras-le-bol général...
Doe: Ras-le-bol général. Quand on est
à trois dans 12m2, j'veux dire, y'a un moment ou c'est plus
tenable, ca fait 4m2 par tête.
Roseline: Ouais, c'était des revendications de ce
style-là?
Doe: Mais y'avait ca ou bien y'avait les repas
aussi...C'était une vraie calamité. En fait, j'sais même
pas toujours de quoi ca part. Des fois, c'était juste la promenade, y'en
a qui voulaient pas rentrer de promenade. Au lieu d'une promenade d'une heure,
y'en a ils sont restés quatre à cinq heures et les gardiens
pouvaient faire ce qu'ils voulaient, personne ne rentrait. Il me semble qu'une
fois, bon, c'était pas mon secteur, c'est un autre secteur, j'crois
qu'ils ont dü faire venir la police pour faire rentrer les détenus
parce que voilà, quoi...
Roseline : Ah, oui, d'accord.
Doe: Je crois, hein, j'suis pas sür, c'était
à l'opposé d'oü j'étais donc j'sais pas exactement
comment ... C'qui a eu lieu.
Roseline: Donc, quand il y a eu ces mini
révolutions, vous essayiez de faire passer des droits? Pas que des
devoirs...
Doe: Ben, disons, c'était...Ouais. J'veux pas
dire mais quand on mange tous les jours froid, au bout d'un moment, ben c'est
bon, on en a marre. Sür, c'est la prison, mais bon, déjà que
ce qu'on mange c'est pas bon mais si ca pouvait au moins être chaud, ca
pourrait être le cas. Pi s, bon, un ras -le-bol général
parce que vous avez pu lire dans les journaux Ç , over booké, sur
plein È, Ç six cents détenus à la place de deux
cents! È, j'veux dire, nous on le sent, on est dedans.
Roseline: Ben oui.
Doe : Vous, c'est les journaux, vous dites Ç
Ouais, d'accord, c'est des prisonniers, on s'en foutÈ, nous, certes, on
est des prisonniers, mais, merde, quoi, on est quand même
concernés.
Roseline : Vous y vivez, c'est la
réalité.
2
Doe : J'veux dire, on est quand même des
êtres humains, on est à trois dans 12m ! J'sais pas si vous vous
rendez t 12m 2
compte de c'que c'es à trois. Trois hommes
dans 12m. C'est..., je sais pas..., à la longue,
c'est...
Roseline: Ouais, c'est chaud?
Doe : Ouais, c'est polluant. intenable , trois dans 12m
2
C'est .
Roseline: Ouais, cette proximité,
c'est...difficile à vivre, quoi?
Doe: Ouais, même si on s'entend bien avec les deux
autres. Disons, que c'est un besoin d'espace à la longue.
Roseline: Un besoin d'espace, bien sür.
2
Doe : J'veux dire le calme à trois dans 12m ,
c'est rare qu'il y ait un peu de calme, quoi. Déjà qu'en prison,
le calme...c'est relatif.
Rachel: Et puis, on parle souvent d'avoir sa bulle et
j'pense que là, c'est...
Doe: Non sa bulle, on l'a pas. Sa bulle faut se la
faire dans la tête sinon ouais... Faut s'avoir s'isoler, se mettre au
calme tout seul parce que si on veut du vrai calme, faut attendre que les
autres dorment. C'est ce que je faisais, moi, d'ailleurs. J'me couchais en
dernier comme ca j'avais le calme du soir. Enfin,... parfois parce que quand
les autres ils gueulent aux fenêtres dans la cellule d'à
côté...
Roseline: Les murs, ils étaient pas épais,
vous entendiez tout? Doe : Ah, non, c'est ceux qui gueulent aux
fenêtres.
Roseline : Ah, aux fenêtres?
Doe: Ouais, ben pour se parler entre eux, y'en a, ils
se gueulent, ils sont l'un à l'autre bout et l'autre à l'autre
bout, c'est deux heures du matin, ils gueulent ensemble.
Roseline : Ah, d'accord, ca c'est pour communiquer, en
fait?
Doe : Ouais. Et pour communiquer, ils emmerdent tout le
monde. Donc, oui, sympa!
Roseline: Vous avez jamais fait ca, vous? Vous avez
jamais communiqué d'une cellule à l'autre?
Doe: Si...mais moi c'était avec les cellules soit
celle du dessus, du dessous, à droite ou à gauche, c'en est pas
une qui était à perpéte les oies.
Roseline: Donc vous aviez besoin de communication autre
que ce que vous aviez dans votre cellule ou...?
Doe: Ben, disons, que parfois, on a des...entre
guillemets, des amis qui sont dans la cellule d'à côté et
puis on a oublié de leur dire un truc ou eux, faut qu'ils nous disent un
truc, on tape dans le mur pour le faire bouger, il vient à la
fenêtre et pis on cause un petit moment. C'est interdit mais...bon, ben,
voilà, quoi.
Roseline: Personne dit rien?
Doe: Ben, disons, que c'est que les gardiens la
plupart, un, ils disent rien et pis s'ils le disent, ils savent qu'on s'en fout
et qu'on va continuer des que la porte sera fermée. Donc, pff,
voilà, j'veux dire, c'est pas ca qui va empêcher. Parfois celui du
dessus ou du dessous, il a besoin de quelque chose, un petit yoyo pour lui
envoyer ce qu'il a besoin, c'est vrai, c'est un peu la regle de savoir -vivre
aussi, dépanner.
Roseline: Vous aviez les...cellules, euh...enfin les
barreaux, vous pouviez pas vous envoyer des...parce qu'on a entendu que y'avait
des gens qui s'envoyaient des lettres et tout...Est-ce que vous l'avez
vécu, vous?
Doe: (Rires) Disons qu'on arrive toujours à se
démerder. Roseline : Vous arrivez...
Doe : A la base, on avait des barreaux comme ca avec
ca d'espace entre (le montre avec ses doigts). Juste derrière, ils ont
mis des grillages avec des carreaux comme ca, donc on avait les deux, c'qui
fait que...censé impossible mais...
Roseline : Vous avez réussi ? Vous l'avez fait
donc, vous...
Doe: Bah, bien sür que j'l'ai fait, bien
sür, tout le monde fait des yoyos, donc... pour dépanner. Et on
nous met des carreaux comme ca...Du moment qu'on peut faire passer une
corde...
Roseline : Vous y arriviez...
Doe: On y arrive. Et puis les cordes, y'a pas besoin
d'avoir une vraie corde, on attache des lacets entre eux, on prend un bout de
plastique, on déchire un morceau du drap pour faire une corde,...Et des
qu'on a un truc sous la main, on fait une corde.
Roseline: Ah, ouais, ok. Donc ca c'est vraiment la
solidarité et pis c'est vraiment le besoin de communiquer qui
primait?
Doe: Ben, disons que quand quelqu'un a besoin de
clopes, bah, on va lui envoyer des clopes... S'il en a plus... Pis bon, y'a
d'autres choses qui se passent aussi, ca c'est plus confidentiel.
Roseline : Vous voulez pas en parler?
Doe : C'est pas que je peux pas, c'est que c'est pas du
légal... (2-3 minutes de discussion sur l'illégal )
Roseline: Ouais mais, je tiens à préciser
que dans l'entretien ca sort maintenant mais on va peut-être pas
l'utiliser, donc...
Doe : J'espère bien !
Roseline : ...il faut pas... ca n'a rien à voir
avec...C'est un échange mais c'est pas un échange affectif
ou...
Doe : C'est sür!
Roseline: ...mais, par contre, ca rentre quand
même dans le besoin de communication
Doe: Mais c'est sür, parce que si vous marquez
Ç Oui, untel, untel a fait passer telle et telle chose...È
Roseline: Mais y'a pas de nom.
Doe : S'ils savent d'oü on vient .
Roseline: Mais on va pas marquer d'oü vous venez
Doe: Magnifique ! Alors, c'est bon.
Roseline: a on a pas le droit, c'est pas éthique,
ca...Il manquerait plus que ca! Doe : C'est rassurant.
Roseline: Non, franchement, ben, à la fin, on
va demander comment vous vous êtes senti mais nous, notre...On le
reprécise, c'est vraiment la réalité de ce qu'il se passe
en prison, pis votre vécu. C'est vraiment pas...On ne juge pas...Enfin,
on aimerait faire passer ca, qu'on ne juge pas.
Doe: a c'est bien parce qu'on est beaucoup
jugé dès qu'on a fait de la prison. Dès qu'on a
l'étiquette Ç prisonnier È, pour rester poli, c'est chaud.
Y'a la société puis nous. Même une fois qu'on est dans la
société, on est toujours à l'écart.
Roseline: Alors, moi, je comprends, j'aurais
sürement la même réaction mais si on fait passer une histoire
de jugement, j'espère que vous allez nous rappeler à l'ordre.
Doe : Ouais.
Roseline: (acquiescement de la tête) hummmm...
Doe : a marche.
Roseline: Parce que c'est pas notre intention
première.
Doe: On est déjà assez jugé
comme ca, ceux qui ont fait de la prison. On passe notre temps à
être jugé, jusqu'à qu'on ait la liberté totale. Si
on arrive à ...qu'on a fait de la prison, ca va. Mais des que tu dis
à quelqu'un que j'ai fait de la prison, c'est jugement, taulard, il
s'imagine ce qu'il veut, quoi.
Roseline: Pour vous c'est un échange
matériel mais pour moi, ca ressemble à un échange de
communication non verbale.
Doe: Hummmm, hummm...
Roseline : Alors, c'est tout, c'est pour ca que...
Doe: Non, mais on se dépanne, on se
dépanne et puis juste parfois c'est pour..., même si on a pas
envie, c'est juste question qu'ils nous foutent la paix. Y'en a, ils insistent.
Parfois on dit, ouais, vas-y, j't'envoie deux trois clopes, fous-moi la paix.
Tu me les rendras...Tu me les rendras pas, plutôt.
Roseline: Parce qu'en fait, apres, y'a le lendemain,
pis peut-être vous allez les croiser, et puis si vous leur avez pas
donné, ben, ils vous foutront pas la paix, c'est ...
Doe: Non, même pas, non, ca on s'en fout de
toute facon, j'veux dire. Si on lui dit non, on lui dit non. Il va pas vous
prendre la tête parce qu'on lui a pas passé des clopes sauf si
c'est le dernier des abrutis. C'est pas grave, faut pas se mentir.
Roseline: D'accord.
Doe: Mais en général, tu lui passes des
clopes, il se souvient que tu lui a passé des clopes donc si, une fois,
toi, t'as besoin d'être dépanné, tu le revois, pis, lui, il
te les rend. Logiquement. Normalement, tu te souviens quand quelqu'un te rend
un service, tu rends le service.
Roseline: D'accord.
Doe: Donc, ca encore, ca va.
Roseline: C'est un échange de bon
procédé?
Doe: Ouais. Mais t'as toujours certains, ils comptent
que sur toi pour fournir. Donc c'est tout, pas tous les jours, mais c'est
souvent Ç T'en as ? T'en as ? T'en as? È Pis à un moment
donné, tu dis non même situ en as. Question que ...parce que tu
sais qu'ils comptent que sur toi pour en avoir. Y'en a, ils vivent que de ca,
ils achétent que dalle, pis ils comptent pour les autres pour les
fournir.
Roseline : Mais vous quand vous vous êtes
procuré les cigarettes c'est parce que vous aviez de l'argent, pis vous
pouviez en acheter ou c'est parce que y'a eu votre famille qui est venue, vous
en a amené?
Doe: Non, moi, j'travaillais donc...
Roseline : Ah
Doe: Moi, j'bossais donc j'avais l'argent qui rentrait.
Roseline : Ah, ... Et puis vous pouvez en acheter...
Doe: J'pouvais acheter c'que j'voulais. Moi,
j'achetais plus la nourriture. J'achetais même que de la nourriture et
des boissons, des cigarettes pas trop, j'en ai pas besoin.
Roseline: Ok
Doe: Non-fumeur donc ca, j'm'en fous.
Rachel: Y'a juste là, on disait...des
émotions apparaissent. Mais est-ce que vous vous êtes senti seul,
donc? Vous avez créé votre bulle mais est-ce que c'est se sentir
seul, créer sa bulle?
Doe : On est toujours un petit peu seul en fait.
Roseline: Toujours?
Doe: On est toujours un petit peu seul parce qu'on
est loin, on est loin de sa vie, si on veut. De sa vie d'avant, ben on est
loin, ouais. D'un côté, on est toujours un peu seul parce que
c'est les siens et encore même pas tous les siens parce qu'on les voit
une fois de temps en temps. C'est une fois par semaine, grand max. Donc, ouais,
on est toujours un petit peu seul si on veut. Parce qu'on est
complétement à..., pas à l'opposé, disons qu'c'est
pas notre vie, c'est un passage de notre vie mais c'est pas notre vie.
Roseline: C'est un passage...
Doe : Ouais, donc ouais, d'un côté, on est
toujours un petit peu seul .
Roseline: C'est une rupture momentanée et pis,
on, on, on se projette toujours sur quand on sort?
Doe: Disons, qu'on est...Bon, à un moment
donné, on évite aussi de penser à l'extérieur. A un
moment donné, on est dans notre cellule, on pense plus à dehors.
A un moment donné, faut savoir couper et se dire, ben, je suis
là, je reste ici, l'extérieur, je l'oublie un peu. Si on pense
trop, moi, si je pensais trop à l'extérieur, j'devenais dingue
à un moment.
Roseline : Ah...
Doe: Donc, à un moment donné,
j'essayais de ne plus penser à l'extérieur, de ce que j'aurais
fait si j'étais dehors. Quand il faisait beau, j'aurais pu faire ci,
j'aurais pu faire ca. Certes, on y pense mais c'est une pensée, on
n'imagine pas ce qu'on aurait fait, c'est une pensée parce que
forcément, ca nous passe par la tête...On se léve le matin,
c'est l'été, c'est les vacances, on voit le grand beau temps, on
fait Ç Merde, si j'étais dehors, j'aurais été avec
des potes et tout È. On y pense mais...
Roseline : Aprés vous vous êtes... Doe
: On y coupe.
Roseline : Voilà, vous avez coupé...
Doe: On essaie de pas trop y penser parce que
sinon,...on devient dingue. Enfin, moi, je devenais dingue. Si je pensais trop
à dehors, au bout d'un moment, je pétais un...j'pétais un
plomb. Donc ouais, j'coupais un peu le passé. Enfin, pas le passé
mais je coupais le dehors... Ben, vas-y qu'ca avance, quoi.
Roseline: Mais quand vous étiez en prison, vous
aviez quand même envie d'avoir un projet de vie? a vous a permis ou
pas...
Doe: Ben, c'est même là-bas que j'ai
trouvé ce que je voulais faire. Parce qu'avant d'être
là-bas, j'savais pas quoi faire. Pis, ben, le temps là-bas, j'me
suis bougé un peu, vu que j'avais le temps à dispo...tant
qu'à faire, j'ai bossé un peu, j'me suis rendu compte de pour
quoi j'avais de l'intérêt, j'ai commencé un peu à
bosser, à me perfectionner dans deux, trois domaines, à prendre
des cours pour ressortir avec un projet, pis pour le faire.
Roseline: La prison en soit, ca vous a aidé
à ca?
Doe : J'me suis trouvé en prison.
Roseline : Ah, ouais, d'accord
Doe: Dur à croire mais c'est vrai que je me suis
entre guillemets trouvé.
Roseline: C'est comme quand vous disiez, j'avais pas
le caractére à ca...à rentrer dans le jeu ou...vous avez
dit ca, là, la même chose vous vous êtes découvert
entre guillemets que vous pouviez rester calme?
Doe: Ben, disons que j'ai énormément
müri. J'suis rentré là-bas avec une mentalité d'ado
et encore...J'suis ressorti avec une mentalité d'homme de mon %oge.
Peut-être un peu plus jeune parce que, quand même, un peu jeune. On
est toujours un peu jeune dans notre tête, c'est ca! Mais disons que
j'suis rentré en étant, dans ma tête, gamin pis j'suis
ressorti en homme. Disons, ca m'a fait beaucoup mürir. Et c'est même
une gardienne, elle-même, qui m'a dit, p't'être quoi,
p't'être au bout d'un an, elle m'a dit en ouvrant la porte, ben on s'est
mis à parler avec le gardien, elle m'a dit Ç T'as bien
changé, toi. En arrivant, t'étais un vrai con È. J'fais
ok, merci. J'suis arrivé en bas dans la cour et j'fais, bon, ben, au
moins, j'suis déjà devenu mür.
Roseline: Ouais, c'était un compliment.
Doe: Ben, disons je me suis dit que si une gardienne,
elle-même, s'est rendu compte que j'suis rentré j'étais con
et que j'ai progressé alors qu'j'la vois une fois de temps en temps,
j'me suis dit...ca devrait faire bouger les juges aussi. Si déjà
au bout d'un an, ils ont pigé, aprés plusieurs années,
j'crois que j'vais encore changer. Donc, ouais, j'ai grandi là-bas.
Roseline : Vous étiez fier de vous-même?
Doe: Fier de soi, on va p't'être pas
exagérer, non plus. Roseline: Ben...
Doe : Content d'avoir pu mürir, ouais.
Roseline: D'accord!
Doe: C'était le moment. Attendre d'être en
prison pour pouvoir mürir, c'est un peu con mais ca m'aura au moins servi
à ca...
Roseline: D'accord.
Rachel : Comment vous pourriez définir la
nature des contacts? Est-ce que c'était plutôt des échanges
verbaux? Est-ce que c'était plutôt...ben, est-ce qu'il y avait,
voilà, la possibilité de toucher mais... c'est pas... une tape
dans le dos ou voilà? Ou plutôt non verbal ? Ou autre?
Doe: Bon, c'est plus verbal. Bon, ca n'empêche
pas qu'il y ait quand même une poignée de main, ils se tapent dans
le dos parfois... Parfois, on...comment dire? Comme faire semblant de se battre
juste pour se marrer un peu. Comme les mecs on aime bien faire de temps en
temps.
Rachel: Ouais.
Doe: Non, en principe, ca se limite à une
poignée de main. Rachel: D'accord.
Doe: En principe, ca reste à ca.
Rachel: Quand on est pas bien ou comme ca, on peut pas
prendre ou se faire prendre dans les bras, un moment donné...?
Doe: Moi, perso, ca ne me serait même pas venu
à l'idée de prendre quelqu'un dans mes bras ou d'aller dans les
bras d'un mec, non.
Rachel: D'accord.
Doe: Moi, c'était même pas...C'est
même pas que c'était pas envisageable, c'est juste que j'y ai
même pas pensé et j'y aurais même pas pensé, quoi.
Rachel: D'accord.
Doe: Moi, je vais pas aller me réfugier dans les
bras de quelqu'un pour ca. Quand ca va pas, c'est baisser la tête,
pis...ca passera.
Rachel: Ok.
Doe: Le temps guérit. Essayer d'avoir des
bonnes pensées, penser à autre chose et puis c'est bon. Pis au
pire, une bonne nuit de sommeil et pis le lendemain, on y pense plus.
Rachel: D'accord...Hum...Donc la derniére fois,
quand on est venu manger...donc quand vous nous avez invitées chez vous,
vous avez évoqué la séduction.
Doe: Hum...
Rachel: Vous vous souvenez?
Doe : Vaguement.
Rachel: Vaguement. (Rires)
Rachel: Qu'est-ce que vous pourriez nous dire sur la
séduction? Doe: La séduction en prison?
Rachel: Ouais.
Doe: Disons, qu'c'est toujours des qu'on voit une
gardienne, c'est le réflexe de l'homme, c'est... ca reste une femme,
nous on est en prison, y'a pas de femme.
Rachel: Ok.
Doe: Donc forcément des qu'on voit une...bon
pas toutes non plus...Mais des qu'on voit une femme, gardienne, qui peut nous
plaire, ouais, y'a toujours un petit jeu ou un petit regard...Elles le savent,
hein... Elles sont dans un monde, entre guillemets, d'hommes, donc elles savent
trés bien qu'en étant là, en étant une femme, elles
viennent pas... elles sont pas innocentes. Elles sont pas stupides. J'veux
dire, elles savent à quoi s'attendre. On va pas faire le métier
de gardienne de prison si on a pas envie que quelqu'un nous séduise un
minimum.
Forcément, on est coupé de ce monde-là,
du monde affectif donc, ouais, des qu'on voit une femme qui est gardienne,
forcément... On reste un mec, on a toujours le réflexe même
si on sait que ca n'ira pas...C'est tirer dans le vide, quoi...On le sait. Mais
c'est juste ce plaisir-là, c'est ...
Roseline: C'était juste le plaisir...
Doe : C'est juste un petit plaisir, ouais. On sait
trés bien qu'elle en a rien à foutre de nous, on le sait mais
c'est juste le plaisir entre guillemets de lui faire comprendre.
Rachel: a fait du bien?
Doe: Du bien, je sais pas mais disons que c'est
toujours... a nous change un peu de la routine, j'ai envie de dire...
Roseline : Ouais.
Rachel: Ben, j'sais pas, ca pourrait frustrer, ca
pourrait...
Doe: Ah, ben, si on peut se permettre, ouais, quand
on voit une gardienne qui est bien faite de la tête aux pieds, ouais,
c'est agacant. Parce qu'on reste des mecs, on a forcément des
idées qui nous passent par la tête. Et ca sert à rien
donc...On sait que ca sert à rien
Roseline : Ah
Doe: On sait que ca sert à rien, surtout avec
certaines gardiennes ca aurait été sympa, ouais.
Roseline: Mais là, par exemple, on peut
extrapoler, on peut se dire mais est-ce que là, quand vous voyez une
gardienne, ca peut un peu frustrer? Pis vous le dites. Mais est-ce que la
prison peut pas faire venir des personnes... ? Parce qu'aprés, on arrive
aux prostituées alors autant l'aborder maintenant.
Rachel: Ouais.
Doe: J'sais même pas si ca se fait. J'sais
même pas si la prison oü j'étais ca se faisait
déjà les...comment on dit... les parloirs intimes.
Déjà, j'sais même pas si ca se faisait
Roseline: Mais vous sur le moment, vous avez jamais
pensé à tout ca? Doe: Non, pas spécialement.
Roseline: Non. Vous...Vraiment, vous étiez le
moment au jour le jour et puis...ca passera, quoi?
Doe: Moi, je vis au jour le jour. Roseline:
C'est ca.
Doe: C'était vraiment, je vivais au jour le jour.
Aujourd'hui c'est comme ca, je dors. Comment sera demain, on verra demain.
Roseline: D'accord.
Doe: J'veux dire, j'vais éviter de me prendre
la tête plus que ca avec des trucs qui servaient pas à
grand-chose. Certes, j'aurais bien fait des conneries avec des gardiennes, faut
pas s'mentir. Mais, non, c'est pas possible, c'est pas possible donc c'est...On
attend qu'on sorte et pis on récupére tout ca une fois dehors,
donc, ouais, c'est comme ca.
Roseline: Ouais, c'est ca...Tant que vous pensiez
pas, vous voyiez certes la gardienne mais vous vous êtes jamais dit ca
serait quand même bien d'avoir un parloir intime ou d'avoir...
Doe : J'ai dit ca serait bien si ca se faisait mais
étant donné j'croyais... j'savais même pas si ca se faisait
à .
Roseline: C'est quand vous êtes sorti de prison
alors en fait que vous y avez pensé?
Doe: Non, déjà là-bas j'me suis dit
mais j'savais pas si ca se faisait donc, j'ai même pas essayé de
comprendre parce que le directeur c'est le dernier des trous de fion.
Roseline : Ah, donc, c'est pour ca?
Doe: Déjà un ca servait à rien
de lui parler de quoi que ce soit étant donné qu'il en avait rien
à foutre de nous, il était là pour faire tourner sa
bo»te. Donc, j'veux dire, ca sert à rien d'aller plus loin .
Roseline: Mais entre détenus, vous en parliez?
Entre codétenus?
Doe : Ah, ben, entre détenus, on sait qu'on
est des hommes et qu'on a quand même des besoins. C'est sür qu'on
savait qu'on attendait d'être dehors. On pensait que c'était pas
faisable. Donc on attendait...ben, on attend de sortir.
Roseline: Mais vous en parliez entre vous? Doe:
Pas plus que ca, en fait.
Roseline: Non...
Doe: a sert pas à grand-chose. J'veux dire, on
apprend à se passer de tout. Donc on apprend à se passer de ca
aussi.
Rachel: Mais est-ce que vous pensez que si
y'avait..., si y'avait droit à une affectivité ou à une
sexualité, est-ce que ca pourrait...calmer les tensions ? Ou la
violence?
Doe : Y'a des chances, ouais... Une grande chance.
Rachel: Donc, si y'avait des parloirs intimes, vous
pensez que ca permettrait d'apaiser?
Doe: Ben, faut bien dire, c'est une frustration quand
même. La frustration amène toujours un peu d'énervement.
Donc ouais, ca calmerait, p't'être pas..., ca n'arrêtera pas la
violence, faut pas se mentir mais ca pourrait peut-être détendre
un peu.
Roseline: Mais ca vous le pensez maintenant ou vous
l'avez pensé quand vous étiez en prison?
Doe: Disons que quand j'étais en prison,
j'évitais de penser donc...Disons que... Roseline : Vous, vous
êtes ...
Doe : Au jour le jour!
Roseline: Ouais, au jour le jour mais quelque part,
est-ce que je peux utiliser le mot annihilé?
Doe : a veut dire quoi?
Roseline: Ben, justement, de, ben,... au jour le jour
mais donc vous vous êtes coupé de beaucoup de besoins. A part le
besoin de manger...
Doe: Disons, qu'on apprend. Roseline : Vous
avez appris?
Doe: Moi, je dis, je pars du principe ou l'être
humain il s'adapte à tout. Donc il s'adapte à se priver des
choses.
Roseline: Donc, c'est ce que vous vous êtes dit?
De toute manière, l'être humain, il va, il s'adapte à tout,
je vais m'adapter à tout...
Doe: Mais j'ai vu que je m'adaptais donc je me suis
adapté, je me suis dit que j'attends d'être dehors.
Roseline: Ok.
Doe: Certes, des parloirs intimes ca aurait
été sympa mais d'un autre côté j'aurais fait venir
qui? La question était là aussi. J'fais venir qui?
Roseline: Ben...
Doe : Qui c'est que je vais faire venir en prison juste
pour ca. Roseline : humm, humm...
Doe: J'me voyais déjà même pas faire
venir qui que ce soit. J'me suis dit, j'attends d'être dehors et pis
c'est bon.
Roseline: Ok
Doe: Prend ton mal en patience. Pis, quand on est
dehors, ben... Roseline: On se lâche?
Doe : Ah ouais,... (Rires)
Doe: Plutôt...On récupére le
temps perdu...Ouais, mais bon...On s'adapte à tout. On est pas venu pour
ca mais on s'adapte à tout. On se passe bien d'être dehors, donc
on peut bien se passer de sexe et tout ca aussi...
Rachel: Euh, est-ce que vous faites une
différence entre l'affectivité et la sexualité?
Roseline: Toujours en prison, ...
Rachel: Toujours en prison, ouais.
Doe: Déjà l'affectivité entre
hommes, ca n'existe pas vraiment. On est...On est plus des relations, ben
d'hommes, en fait. On n'est pas trop affectifs l'un envers l'autre. Même
à l'extérieur, j'veux dire avec les potes... avec mes potes, on
va pas dire que j'suis trop affectif, j'suis un pote. Je reste...j'sais
pas...bah, bon, j'prends des potes dans mes bras entre guillemets, c'est
vraiment, s'ils sont vraiment, s'ils sont cassés en deux, j'veux
dire.
L'autre fois, j'ai un pote il a perdu un de ses potes, mort
dans un accident de moto, il a..., il pleurait. Ouais, j'l'ai pris dans mes
bras mais comme un frére. J'veux dire, pas autrement. C'était un
pote qui allait super mal. Donc ouais, j'sais pas si on parle ca de
l'affectivité ou de la...de l'affectivité. Mais c'était
plutôt dans le sens...y'a un pote qui va super mal, y'a un de ses potes
qui est mort, si c'était arrivé à moi...Il pleurait,
j'l'ai pris dans mes bras pour...pour qu'il ait une sorte de
réconfort.
Roseline: Pour vous l'affectivité, c'est plus le
toucher?
Doe: L'affectif, pour moi, c'est plus proche du sexuel
plutôt qu'autre chose. Entre hommes, j'veux dire, entre hommes.
Roseline : D'accord.
Doe: Parce que les femmes entre vous, vous êtes
plus affectives sans, sans ambig·ité. Alors, qu'un mec, c'est plus
ambigu, j'trouve.
Roseline: Donc, la notion de tendresse, ca, ca rentre...
Doe : Ouais. (Rires)
Roseline: D'accord.
Doe : Ah pour moi, ouais, ouais.
Roseline: Ok. Mais en même temps, vous avez vu des
relations affectives ou sexuelles...Enfin, vu, j'sais pas.
Doe : Vu ? Non.
Roseline: Jamais?
Doe: Non, j'ai pas vu des mecs entre eux, non.
Roseline: Non?
Doe : Tout en sachant trés bien qu'y'en a quand
même. Roseline: D'accord.
Doe : a, faut pas sortir.
Rachel: Mais vous avez déjà vu des, des
échanges affectifs ou sexuels durant les parloirs?
Doe : A part des gens qui s'embrassent, non.
Rachel: Non?
Doe: Non, parce qu'ils peuvent pas. J'veux dire, on est
tous ensemble dans une salle, donc...
Roseline : Mais ils peuvent s'embrasser quand
même? a, ca, c'est un échange affectif?
Doe: Ouais mais disons que quand ca commence à
être un peu exagéré, le gardien, il leur dit vite
d'arrêter, quoi. Parce que j'veux dire, ils sont pas seuls non plus,
quoi. Donc un échange sexuel dans un parloir, peut-être pas parce
que ca tournerait vite à l'orgie.
Roseline: Mais c'est un échange affectif
alors.
Doe: Ouais, ben des gens qui s'embrassent, ca, j'veux
dire, ca, c'est normal. On se voit une fois par semaine et encore...
Roseline: Mais, par exemple, quand votre famille venait,
est-ce qu'il y avait des gestes, échanges affectifs?
Doe: De famille!
Roseline: De famille...
Doe : Ouais.
Roseline : Vous faites une distinction?
Doe : Ouais.
Roseline: Je demande...
Doe: Ouais, c'est de l'affection familiale, ca c'est
normal. J'veux dire, la famille, ca reste la famille. C'est un monde à
part, c'est...c'est la famille, quoi.
Roseline: Ok.
Rachel: Et puis, en détention, vous auriez eu
plus besoin d'affectivité ou de sexualité?
Doe : Trés bonne question...De quoi j'aurais eu
le plus besoin ? Ah, j'suis gourmand, j'vais dire les deux.
Rachel: Les deux?
Doe: P't'être sürement les deux.
L'affectivité parce que c'est une sorte de réconfort pour la
tête et bon, la sexualité, c'est pour le corps. J'dirais un peu
des deux. Mais bon...
Rachel: C'est un sujet que vous pouviez aborder entre
détenus?
Doe: Mouais, on en parlait un peu. J'veux
dire...comme on est privé de ca aussi, on évite de trop y penser
parce qu'aprés, ca frustre encore plus. Donc on évite de trop
penser mais... Ouais, c'est sür quand on, quand on a une belle gardienne,
entre nous, on se faisait, on se disait des trucs, ca, y'a pas à dire.
Quand on la voyait passer, on voyait tous les regards qui se retournaient
aussi. J'veux dire ca...On reste des mecs, on voit tous les regards qui
faisaient zzuuuppp, faut pas s'mentir, on a la tête qui tourne aussi, quo
i. C'est, c'est normal entre guillemets. Pis, ouais, ben, disons que parfois,
on a même pas besoin de se parler, juste on regarde la gardienne, on se
regardait pis on avait pigé c'que l'autre pensait, en fait. On est des
mecs, on sait de quoi, on sait à quoi on pense, en fait. C'est
pas...c'est pas compliqué à comprendre, non plus.
Rachel: Ah...
Doe: Quand on est tous enfermés, quand on n'a pas
eu de rapport depuis un bout de temps, des qu'on voyait des filles, ouais,
forcément, ben, l'esprit...
Rachel: Ouais, pis ca réveille, quoi? Doe
: Ouais. (Rires)
Doe : A vrai dire parfois, on se dit Ç mais
pourquoi elle bosse ici? Pourquoi ? A quoi elle pense? È. Parfois, c'est
un peu agacant, mais...on fait avec...
Rachel: Euh, on avait évoqué aussi la
distribution des préservatifs... Doe : a, j'étais
même pas au courant avant que vous m'en parliez. Rachel:
D'accord, ok. (Rires)
Doe: Donc, ouais, ca, ca a été une
surprise, ca!
Rachel: D'accord, donc vous étiez pas au courant
que vous aviez accés à des préservatifs ou, du coup, on
vous a pas distribué des préservatifs?
Doe: Ben, ni l'un, ni l'autre et j'en aurais pas eu le
besoin donc...moi, ca me va trés bien.
Rachel: D'accord.
Doe: J'veux dire, ils m'en donnent, j'en fais quoi? Des
balles? J'veux dire, en prison, j'en ai pas du tout besoin, ou bien?
Roseline: Ouais, vous étiez déjà
parti...ouais, c'est ca, vous étiez déjà parti sur
l'idée...
Doe: Non, mais même si on m'en avait
donné... Roseline: Ben, ouais...
Doe: a m'aurait...j'veux dire, j'm'en serais pas servi
non plus, ou bien...J'avais pas de femme, y'avait pas de femme, donc...
Rachel: Mais vous pensez que c'est une bonne chose
ou...? Qu'il y ait des préservatifs à disposition ou?
Doe: Ouais, que ce soit à dispo, ouais...Pour
ceux qui en veulent, ouais...Mais aprés, qu'ils les distribuent à
tout le monde, c'est presque une incitation alors...
Rachel: D'accord.
Doe: Moi, j'veux dire,...Bon, moi, tu m'en donnes,
j'en fais rien...J'veux dire, moi, j'suis attiré que par les femmes, ca
me va trés bien comme ca. Si y'en a qui sont plus ambigus ou qui ont
vraiment besoin d'affection,...Ouais, qu'ils sachent qu'ils puissent en
prendre. De là à en distribuer d'office à tout le
monde,...
Rachel: D'accord.
Doe: P't'être pas non plus la meilleure des
idées. Vaut mieux ca que pas en avoir du tout, j'pense quand
même... Bien que, c'est ca...Y'a de tout dans un monde.
Roseline: Ben, ca partait, comme disait votre
directeur, peut-être de l'homosexualité consentie. Que c'est un
moment du, de ...que c'est un moment de passage...un....un moment de la vie qui
fait que même si on est hétérosexuel, et ben....que le
besoin affectif ou sexuel est tellement fort que, ben, y'a juste un passage,
quoi...D'un mois ou un jour ou...
Doe: Ben, si y'en a qui en ont le besoin, ben, ils font
ce qu'ils veulent, j'ai envie de dire. C'est...
Roseline : Vous, vous êtes parti dans
l'idée que...
Doe: Les autres font c'qu'ils veulent, hum! Nan, moi,
c'est juste que l'affection, c'est avec une femme. Moi, j'm'arrête
à ca. J'ressens pas le besoin d'autre chose. Si j'en ai pas, ben...j'en
ai pas et basta.
Roseline: Hummm...
Rachel: Pis durant votre détention, quelle
était votre idée sur les échanges..., relations...Hum?
Roseline: On vient de la poser, en fait, il a
déjà répondu presque. Rachel: Mouais...
Roseline: Ben, oui.
Rachel: Non, mais en fait, en gros, trés
clairement, en fait, la question c'est...euh...quelle était votre
idée sur les échanges homosexuels? Qu'est-ce que vous, vous avez
comme idée, durant votre...détention...quelle était votre
idée sur les...les échanges sexuels entre hommes, quoi ? Ou
affectifs...
Doe: Ben, disons, vu que ca se voit pas et
qu'on...qu'entre guillemets, on est pas censé savoir qu'y'en
a...Même si y'en a, j'pense, hein, parce que faut pas s'mentir...Disons,
comme je...pff, moi, j'veux dire les autres font c'qu'ils veulent.
Rachel: Ouais.
Doe : J'veux dire, les autres font c'qu'ils veulent.
Rachel: D'accord.
Doe: Du moment qu'ils foutent tranquille, qu'ils me
foutent la paix, j'veux dire, les autres font c'qu'ils veulent. Y'a pas
d'soucis si...ben, s'ils y veulent, ben , qu'ils s'amusent entre eux, quoi. Ils
font c'qu'ils veulent. Mais, à mon avis, s'ils s'embrassaient en public,
vu qu'c'est tra»tre la prison, ca aurait...j'pense, pour eux, ca aurait
pas été la même chose parce que, bon, faut pas oublier
que...c'est la prison, quoi. A mon avis, s' ils s'embrassaient entre eux,
j'pense qu'y aurait eu des réactions. Moi, perso, j'm'en fous mais avec
d'autres, ouais... J'sais pas comment ca aurait...J'pense ca aurait
été une bonne excuse pour certains de se défouler,
j'pense. En connaissant un peu la mentalité prison, j'pense, ca aurait
été une bonne excuse pour certains de se défouler.
Roseline: a m'fait penser que, quand on est venu, vous
aviez dit Ç De toute maniére, c'est une micro
société fl...
Doe : Ouais c'est...
Roseline: Et la société est, en
général, homophobe entre guillemets... Doe: Plus
qu'entre guillemets, ouais...
Roseline: C'est ce que vous aviez... C'est c'que j'ai
entendu quand...
Doe: Ah ouais... Ah non, mais la
société, de toute facon, elle est homophobe. On montre toujours
les homos du doigt, on les montre toujours du doigt. Que ce soit deux hommes
entre eux ou deux femmes entre elles.
Roseline: C'est pour ca que...
Doe: Un homme, deux hommes entre eux, c'est plus bizarre
que deux femmes entre eux, c'est normal. J'veux dire c'est...c'est les
hommes.
Roseline: C'est pour ca que vous dites en prison, y'en a
qui se seraient défoulés?
Doe: Ouais, y'en a certains, ils les auraient
tabassés, j'pense, ouais. C'est toujours une bonne excuse pour certains.
On est dans une société homophobe, faut pas s'mentir. La prison,
c'est une mini société mais en plus dur, on va dire. Donc ouais,
ils en auraient pris plein la gueule.
Roseline : Ah.
Rachel: Mais y'avait la masturbation aussi qui a
été évoquée... Doe : Ouais.
Rachel: Est-ce que la masturbation, ca vous suffisait ou
au contraire, c'était encore plus frustrant?
Roseline: Ou est-ce que...est-ce que vous l'avez
pratiqué ou pas? Mais, bon, ca, vous êtes pas obligé de le
dire.
Doe: J'veux dire, aprés plusieurs
années, aprés...on arrive à s'dé..., on a toujours
des besoins. Donc, ouais, pratiqué, bien sür, pis ca suffisait.
Disons que c'était le seul truc à dispo donc... ca allait pour le
moment que j'étais dedans.
Roseline: C'était juste un acte ou ca
libérait quand même des tensions ou pas? Doe : Si ca
libérait des tensions?
Roseline: Ben, est-ce que vous aviez des tensions ? Je
sais pas... Doe: Disons que moi, les tensions, je les évacuais
en allant au sport. Roseline : Au sport...
Doe: J'me défoulais au sport. C'est le truc
qui me calmait bien les nerfs. C'était le sport, moi, qui me calmait,
pis, aprés, ben, quand y'avait besoin d'autre chose, y'avait autre
chose. Pour vraiment me défouler, moi, c'est le sport. Quand ca allait
pas, ben, sport en cellule.
Roseline : Vous faisiez du sport en cellule?
Doe: Parce que moi, j'avais un gros besoin de sport
pour me défouler. Comme j'suis quelqu'un qu'a vite les nerfs, j'ai
besoin d'une bonne dose de sport pour calmer tout ca.
Roseline: C'était comme dans les films, vous
faisiez des tractions? (Rires)
Doe: Ca, on avait pas dans la cellule. On voulait mais
ils voulaient pas nous en mettre une parce qu'ils avaient peur qu'on leur tape
dessus après.
Roseline : Ah, bon, d'accord.
Doe: Ils voulaient pas qu'on...ils voulaient pas nous
en mettre parce qu'après, si on s'énerve contre les
détenus, on peut leur taper dessus avec la barre ou taper sur les
gardiens avec...
Alors, que si y'a une barre fixe au mur, j'veux dire...On est
pas Rambo non plus, j'veux dire, on va pas défoncer le mur pour choper
une barre d'acier. Mais non, pompes et abdos, quoi. Bon, pis après, on
arrivait à faire d'autres exercices avec le matériel qu'on avait
à dispo, quoi. Le frigo, les sceaux qu'on remplissait de flotte, les
bouteilles d'eau...
Roseline : Ah, ben, oui.
Doe: Système démerde, quoi. C'est la
prison, donc, on se débrouille, on fait c'qu'on peut avec c'qu'on
a...
Rachel: Hum, hum.
Roseline: Pour en revenir à la masturbation,
qu'est-ce que ca vous apportait de plus ? Si ca vous apportait un plus...
Doe: Ben, disons, qu'c'est une sorte de mini
sexualité entre guillemets, quoi. C'est le seul truc qu'on a à
dispo. Enfin, que j'avais à dispo. Donc, comme c'était le seul
truc que j'avais à dispo, c'est le seul truc que j'f aisais, quoi.
Roseline: D'accord. En même temps, vous
étiez deux à trois...
Doe : Ouais.
Roseline: a devait pas être évident?
Doe: Ben on arrive toujours à être seul. On
arrive toujours à être seul à un moment. Roseline:
Ok...
Rachel: On avait aussi parlé de la violence
envers soi-même, envers les autres. Doe: Hum, hum.
Rachel: Est-ce que vous pourriez nous parler un petit
peu de...de ce sujet?
Doe: Bah, comme vous pouvez le voir, ben, y'a pas de
trace, donc j'vais pas m'amuser à ca, c'est vraiment pas mon truc. Mais,
ouais, y'en a un paquet qui essaient, enfin, pas de se suicider parce qu'ils
savent bien qu'ils vont pas en mourir mais qui s'amusent à se trancher
le bras alors qu'ils savent trés bien qu'ils vont pas y rester avec ca,
quoi. Mais, ouais, y'en a qui s'amuse à ca quand même. Pis on les
voit, hein...j'veux dire, faut pas s'mentir. a on...on les voit souvent. Mais
bon, pfff, s'ils ont qu'ca à faire, ca libére une place.
Rachel: Et en fait, le fait d'éteindre un
petit peu le...J'parle d'éteindre un petit peu le... la tête parce
que vous dites que ben, voilà, Çj'essaie de pas trop y penser,
j'essaie de pas y penser tout ca... È, donc quelque part c'est un peu
un...comme un peu si on éteignait en haut et pis pour pas
réfléchir. Est-ce que ca c'était aussi peut- être
... Est-ce que vous pensez que ca pouvait être un moyen peut-être
pour...pour... j'vais y arriver, hein.... Ouais, est-ce que c'était
peut-être un moyen pour...pour justement pas vous faire violence, en
fait? Pour...
Doe: Non. Rachel: Non ...
Doe: D'facon, j'avais pas le ...j'avais pas besoin de me
faire du mal à moi-même. Non, j'trouve c'est un geste
égo ·ste et que ca résout en rien les
problémes.
Rachel: D'accord.
Doe: Y'a d'autres moyens de résoudre un
probléme que d'essayer de..., d'essayer de se foutre en l'air. J'veux
dire, y'a bien d'autres solutions.
Rachel: Hum, hum.
Doe: Donc, non, ca, ce geste égo ·ste,
non, ca sert à rien. On n'est pas seul. Si on est seul, j'veux bien
encore. J'veux dire on n'est pas seul, on a un entourage, on a une famille.
Donc, ben, pas besoin de ca. Et pis, bon, éteindre le cerveau, j'veux
dire, avec la longue..., il s'éteint de lui-même, j'ai envie de
dire. L'extérieur, à force de...Ben, de plus y être,
j'allais dire, ben, c'est pas qu'on oublie qu'il existe, mais disons, c'est pas
qu'on en a pas besoin non plus, mais c'est...C'est qu'on l'a, on l'a, entre
guillemets, un peu oublié.
Le dehors, c'est pas qu'on sait plus ce que c'est, mais c'est
tout comme, en fait. On est tellement habitué à notre routine
de...ben, de détenus, quoi, qu'on s'habitue à ca en fait. Pis le
jour oü on sort, ben, c'est là qu'on se rend compte vraiment
que...que, ouais, c'est quand même mieux dehors. A un moment
donné, c'est pas qu'on...C'est comme si on oubliait entre...Pendant un
petit laps de temps, j'veux dire, on a notre habitude, là-dedans, ben
...entre guillemets, ca ira pour l'instant, quoi. On s'y habitue. Certes, on a
envie d'être dehors. Mais on s'habitue à être dedans, donc,
on attend. On tire notre peine, pis, quand on sort, ben, on sort. Pis on
récupére tous nos...toute notre, pas toute, peut-être, mais
on récupére une liberté.
Roseline: C'est par rapport à vous ? Vous dites
Çon È, mais c'est par rapport à vous? Parce qu'y'en a
d'autres qui supportent pas?
Doe: Ouais. Y'en a plein qui supportent pas
d'être enfermés, y'en a, tu les vois, on les voyait, au bout
de...au bout d'un ou deux semaines, ils pétaient un c%oble, j'veux dire,
moi j'disais Ç Putain, mon gars, tu viens d'arriver, calme...Nous ca
fait des années qu'on est là, c'est bon È. Moi, j'me
réconforte aussi comme ca. J'voyais des gars qui étaient
là depuis bien plus longtemps que moi. Y'en avaient qui tapaient des
années, et des années et des années et qui en avaient
encore pour bien... pour bien plus que ce qu'ils avaient déjà
fait. Moi, j'me réconfortais comme ca. Certes, j'ai un petit moment
à faire mais quand je vois tel ou je vois tel et tout ce qu'il a
déjà fait ou tout ce qu'il lui reste à faire et qu'il a
tenu...Pff, pourquoi je tiendrais pas?
Roseline: Hummm....
Doe: Ouais, en fait, le malheur des autres me
réconfortait un peu sürement. Quand je voyais qu'y'en avaient qui
avaient fait déjà, j'sais pas, plein, plein, plein de temps, j'me
dis: Ouais, bon, ben, ok, j'fais partie des plus anciens, peut-être, mais
y'en a des pires.
Roseline: Ouais.
Doe : J'veux dire, à partir de là, ben,
prends ton mal en patience et pis, tu sortiras.
Roseline: C'que vous êtes en train de dire, c'est,
quand même, une question d'individualité?
Doe: Faut bien dire, faut bien se réconforter
comme on peut. Quand on voit tout le monde qui arrive, qui repart, qui arrive,
qui repart... et pis, toi, t'es toujours là, tu te dis Ç Merd e,
c'est quand mon tour? È. Pis aprés, tu te dis Ç Quoi qu'il
arrive, j'serai dehors avant lui. Il a fait plus longtemps que moi
déjà et j'serais dehors avant È. D'un côté,
c'est p't'être égo ·ste mais c'est une sorte de
réconfort aussi. C'est p't'être un peu égo ·ste
mais j'crois que c'est humain avant de... Donc, bon, ben ... Ç D'accord,
tu sors. C'est cool pour toi È, Ç Et tu sors quand, toi ?
È, Ç Dans longtemps È. Tu vois ca, j'veux dire, c'est bon.
On fait notre route. Chacun sa route, chacun son chemin aussi (rires)
Rachel: Voilà, c'est ce que... Chacun son
destin...
Doe : Aussi. Passe le message à ton voisin...
Rachel: Voilà. C'est exactement celle-là
que j'avais dans la tête. Doe: Moi, c'est ca, que j'avais en
tête en disant...
Rachel: Euh, on avait parlé des parloirs intimes,
par exemple, au Mexique et tout ca, euh... Je sais plus si c'était vous
qui en aviez parlé ou...
Doe : J'en sais rien du Mexique donc ca ne me dit
rien.
Rachel: Non? D'accord. Parce qu'en fait au Mexique, ils
ont créé, en fait c'est une...une prison qui est sur une
»le...
Doe : Oui....
Rachel: Et puis, euh...en fait, ben, en gros,...Hein?
Doe: Dans ma tête, je cherchais qui c'est qui m'en
avait parlé.
Rachel: Voilà. Et du coup, y'a la
possibilité de vivre avec sa famille ou en tout cas avec sa femme ou
avec ses enfants...
Doe : Ouais...Juste...J'sais plus qui en a parlé
l'autre soir... Rachel: Donc, c'était, pas vous...
Doe: Non, non, non, c'était pas moi.
Rachel: Désolée. Alors, on va arriver
à la dernière question... Roseline : Moi, j'ai juste une
question juste avant.
Doe: Humm, humm.
Roseline: Y'a des personnes qu'on a
interviewées qui avaient, en fait, famille, hein ? Et puis, vous, vous
êtes plus, visiblement, côté célibataire ou est-ce
que vous aviez une copine pendant votre détention?
Doe: Pendant ma détention, non, pas de copine.
Roseline: Voilà...Alors, effectivement, ca me
vient comme ca, j'me dis, c'est tout-àfait un autre chemin, quoi.
Doe : Chacun sa route.
Roseline: Ouais, c'est ca. Enfin, voilà...Pour en
venir oü? Y'a pas les mêmes préoccupations?
Doe: Non, y'en a qui ont des enfants, y'en a qui ont
une femme. Moi, j'avais quoi? Mes parents et ma sÏur, j'veux dire. Moi,
tous mes amis et tout, j'les ai..., j'm'en fous, j'me dis Ç ils peuvent
attendre È, alors que ma mère, ma sÏur, mon père,
c'est une autre histoire.
Roseline: Donc, moi, c'que j'vois, vous
m'arrêtez, vous avez été moins touché parce que,
justement, y'avait pas ce côté affectif et charnel. Tout
était à créer en sortant. Est-ce que je me trompe ou
c'est...?
Doe: Tout était à recevoir
...c'était pas à récupérer parce qu'en rentrant,
j'avais pas de copine. Au moment oü je rentrais, j'en avais pas. Donc,
j'me suis dit, c'est pas comme si j'avais une copine, parce que si j'avais une
copine, le temps que j'suis en prison, elle m'aurait pas attendu, j'veux dire.
A mon %oge, on n'attend pas des années quelqu'un.
C'est vrai, en rentrant, j'avais pas de femme, j'avais pas de
gosse... D'ailleurs, heureusement, ca aurait été grave à
mon %oge et...ouais...j'avais pas tout ca entre guillemets à
récupérer. Quand j'suis sorti, j'me suis dit faut que j'me trouve
une copine en étant dehors. Des potes, soit j'les
récupère, soit ils vont continuer leur chemin, j'veux dire, bon,
ils allaient pas m'attendre non plus des années. Donc soit
j'récupère, soit j'vais en trouver d'autres, j'veux dire.
C'était pas ma...c'était vraiment pas ma préoccupation du
moment, ca, en fait. Moi, c'était juste faire ma peine et je sors quand
je sors.
Roseline: Ok.
Doe: On sort un jour...C'est que...C'est c'qu'on se
disait...ceux qui avaient des peines un peu longues, on s'disait Ç On
sortira un jour È.
Roseline: Ben ouais.
Doe: La prison est dure mais la sortie est sure.
Roseline: Mais on est bien d'accord que, par exemple,
si c'était des personnes qui avaient une autre vie affective à
l'extérieur, à l'intérieur, ils l'auraient pas vécu
comme vous?
Doe: Non mais j'en ai connu qui étaient
mariés et qui en avaient ras-le-bol parce qu'ils voyaient pas leur
femme. J'ai passé un petit moment avec un gars en atelier, il disait:
Ç J'ai h%ote d'être transféré pour avoir un parloir
affectif avec ma femme È. Parce qu'il trouvait bien qu'à y'avait
pas. Il avait juste envie d'être transféré dans un
pénitencier pour avoir ça, pour pouvoir récupérer,
entre guillemets, sa femme. Donc ouais, étant donné que j'avais
pas de femme ni quoi que ce soit, ca allait. Si j'avais eu une copine au moment
oü j'serais rentré, ca aurait été une autre
histoire.
Roseline : Vous imaginez, ouais, que ca aurait
été une autre histoire?
Doe: Ouais, parce que j'savais que j'l'aurais perdue
parce qu'elle allait pas m'attendre des années, donc...Faut pas
s'mentir. C'est une autre histoire, ouais
Roseline: Hummm, hummm ...ouais.
Rachel: Pis, est-ce que vos expériences
affectives, amicales, rencontres, lien que vous avez pu faire durant votre
détention, est-ce que ca a produit ou permis un changement dans votre
vie de tous les jours à la sortie?
Doe: Disons, que les conflits m'ont encore plus
renforcé, j'pense. Les bons...les bons côtés de relations,
j'pense pas qu'ca m'a changé mais les mauvais, j'pense, ca m'a encore
plus renforcé.
Rachel: Hummm, hummm.
Doe: Parce que, forcément, y'a pas eu que des
bons côtés. On a toujours des...pas des combats mais toujours
moyen de... toujours une petite embrouille, on a toujours
quelqu'un qui nous prend la tête, avec qui on s'prend la
tête. J'pense ca m'a encore plus renforcé... les mauvais
côtés de la prison m'ont bien renforcé.
Roseline: Renforcé dans le positif? Dans
être plus calme... Doe : Ouais, ca m'a renforcé le
caractére aussi.
Roseline: De savoir ce que vous voulez...
Doe: Ben, disons qu'je sais c'que j'veux et je sais
aussi maintenant c'que je peux faire. Je sais que maintenant si on me prend la
tête et ben, j'me suis dit si l'autre il a réussi à le
faire tenir, à retenir face à l'autre, ben, face à une
merde de l'extérieur, j'veux dire, il a presque aucune chance.
Roseline: D'accord.
Doe: C'est un peu un monde oü on sait qu'on se
renforce parce que comme on sait que c'est un monde dur, faut qu'on soit
même, faut qu'on se renforce parce que sinon, on se fait bouffer...un
peu. Faut toujours qu'on se renforce un minimum pour pas s'faire bouffer. Parce
qu'y'a toujours des imbéciles qui jouent qu'à ca, c'est de
démolir les autres. Donc si on, si on se renforce, ils nous ont pas. On
se renforce un peu la vie de tous les jours, on apprend à
relativiser.
Rachel: Ok.
Doe: Moi, j'vois des problémes pour certains qui
sont des problémes énormes... pis, y'a bien pire dans la vie,
quoi.
Rachel: Hummm.
Doe: Faut relativiser. T'as toujours peur.
Relativise. Sérieux, ca aide. Tes gros problémes sont
peut-être les plus petits problémes que quelqu'un d'autre a.
Relativise, sérieux. T'en a des plus malheureux que toi. C'est un bon
moyen de se réconforter aussi. T'as toujours plus malheureux. C'est
égo ·ste mais...t'as toujours plus malheureux.
Roseline: Ouais, ouais.
Doe : C'est un autre mode d'intervention.
Roseline: Bon, quand vous êtes rentré en
prison, vous aviez pas cette philosophie mais maintenant, vous l'avez.
Doe : J'suis rentré, j'étais un gamin.
Roseline: Pis, elle vous aide...Voilà...
Doe : J'suis rentré en prison, j'étais
un gamin. Ouais, j'suis ressorti en homme, ouais, ben, disons que j'ai
gardé quelque...quelque chose de là-bas, quand même, faut
pas
s'mentir. J'ai encore...aujourd'hui, encore, j'ai encore certains
réflexes que j'avais là - bas .
Roseline : Ah ouais, d'accord.
Doe : Pis, j'arrive pas à m'en
débarrasser, j'ai encore certains réflexes.
Roseline : Vous avez des réflexes... Vous
pouvez nous donner quelques exemples?
Doe: Disons que...toujours vérifier si j'ai
tout sur moi. Bon, ca j'avais rien, sur moi, j'avais rien en étant en
prison, enfin, rien dans mes poches...Mais là, dès qu'j'rentre ou
que j'quitte un endroit, j'vérifie 50 fois mes poches pour être
sür que j'ai tout .
Roseline : Ah voilà. Ouais, alors, là,
c'est...
Doe: Pourtant, là, j'ai que dalle, j'avais rien
dans mes poches. Alors que là, dès que je quitte une
pièce, je vais vérifier 2-3 fois si j'ai tout.
Roseline: Humm, humm.
Doe : Alors, là vous pourrez le voir, en
sortant, j'vais vérifier mes poches. Même si je sais très
bien que j'ai tout mais c'est...c'est...c'est une sorte, pas un TOC mais disons
que c'est un réflexe que j'arrive pas à m'enlever.
Roseline: Pour vous rassurer et puis en même
temps, c'est une certaine méfiance, alors?
Doe: C'est p't'être la méfiance de tout
et de tout le monde, c'est possible même si je sais très bien que
j'ai tout parce que j'veux dire, j'suis là, y'a rien qui est, j'ai pas
bougé depuis, donc je sais que j'ai tout mais je sais que je vais tout
vérifier.
Rachel: (Rires)
Roseline: D'accord.
Doe: Et j'arrive pas à m'en séparer, ca
m'énerve. Ouais, c'est les habitudes. Rachel: Ok.
Doe : Certains réflexes qu'on ne perd pas.
Rachel: On est arrivé à la fin, est-ce
que vous aimeriez ré..., ajouter quelque chose? Quelque chose dont on a
pas parlé et que vous trouveriez important qu'on l'évoque
ou...?
Doe: Là, de tête, j'pense qu'on a fait le
tour.
Rachel: D'accord.
Doe : J'pense qu'on a bien fait le tour. Sauf si y'a
encore une question?
Rachel: Non... non, non, ben, déjà, on
voulait vous remercier, donc, encore une fois, d'avoir répondu à
toutes ces questions. Et puis, pour vous, ca a été?
Doe : Ouais.
Rachel: Ouais? a...
Doe: Moi, ca me va
Rachel: Ca a pas été trop intrusif ou...?
Doe: Pas du tout.
Rachel: Pas été jugeantes ?
Doe: Encore moins.
Rachel: D'accord, bon, ben, parfait.
Doe: Ben, c'est simple, du moment qu'y'a pas mon
prénom et aucune description de quoi me rendre reconnaissant, moi ca me
va.
Rachel: Ouais, ouais, non, non.
Doe: Du moment, que quelqu'un qui lit fait : Ç
Mais tiens, ca me rappelle telle personne... È, là ce serait une
autre histoire mais là, j'veux dire, si quelqu'un arrive à me
reconna»tre face à un texte, il me conna»t bien, bien.
Roseline: Ben, juste une petite question...Si le
directeur n'avait pas insisté, est-ce que vous auriez
téléphoné ou...
Doe: Mais il a pas dü insister. Roseline:
Il a pas dü insister...
Doe: `fin, c'est juste que moi, j'avoue, que quand
j'ai quelque chose à faire, comme on me l'a appris, j'suis un vrai
procrastinateur, je le... Je remets tout au lendemain... (Rires)
Rachel: C'est un mot que j'connais pas, ca.
Doe : C'est le fait de remettre tout au lendemain et
j'avoue, j'suis comme ca. Rachel: Comment on dit? Pro...
Doe: Procrastinateur.
Rachel: Proscratina...
Doe: Procrastiner.
Rachel: Ok. (Rires)
Roseline : Ah, ben, nous aussi, on apprend, ...
Rachel: Ouais.
Doe : C'est le directeur qui me l'a appris.
Rachel: Ouais.
Doe: Et, ouais, j'avoue que...j'suis toujours du
genre à remettre tout au lendemain. A tel point que
ben...à un moment donné, j'dois tout faire le même jour
parce que c'est la..., c'est l'échéance. Comme pour payer les
factures, c'est le dernier jour que j'fais.
Rachel: (Rires)
Roseline: Donc, vous avez... Vous aviez aucune
appréhension pour venir ici ? Ok, c'est cool. Merci.
Doe: Ben, c'est simple, moi, depuis que j'ai eu mon
jugement, plus rien me prend...plus rien me fait peur, plus rien ne me stresse.
J'ai plus jamais stressé depuis ce moment. Et j'pense que je stresserai
plus jamais.
Roseline: C'est beau...
Doe: Et y'a rien de plus stressant qu'un jugement,
qu'ils vont te juger sur ta liberté Roseline et Rachel: Hum,
hum.
Doe : T'as rien de pire!
Rachel: Ouais, c'est clair!
Doe: Quand on juge ta liberté et ton futur,
j'veux dire, on te retire... Jugement au pénitencier .... Ouais. On
juge, on juge ta, j'veux dire on te juge toi et ta liberté. a, c'est
stressant.
Roseline: Oui.
Doe: A partir de là, j'veux dire, le
reste...pfff...c'est du g%oteau. A partir de là, franchement, t'as
vécu un jugement, c'est bon.
Roseline: Hum, hum..., c'est clair. Merci beaucoup.
Rachel: Ouais, merci, hum, hum.
Doe : J'vous en prie.
Raphael
(Surnom choisi un peu avant l'enregistrement)
Rachel: Bonjour
Raphael: Bonjour
Rachel: On voulait déjà commencer par
vous remercier encore d'être venu. C'est vraiment chouette. Et puis,
ensuite euh..., on voulait aussi peut-être juste remettre, un petit peu,
donc on vous avait un peu parlé pourquoi on faisait ce travail sur
l'affectivité, et puis dans un milieu carcéral.
C'est en fait ben voilà, nous on voulait aborder un
sujet qui était tabou et puis trés peu parlé. Et puis du
coup on voulait, ben, surtout conna»tre votre vécu à vous,
donc en prison.
Aussi, je voulais ajouter tout ce qui sera dit, restera
confidentiel. Les enregistrements seront effacés une fois qu'on aura
retranscrit. Et puis voilà, tout ce qui pourrait appara»tre pour
qu'on puisse vous reconna»tre sera effacé oü mis en noir pour
pas qu'on puisse le lire.
Je vais peut-être juste vous rappeler un petit peu les
themes que l'on va aborder aujourd'hui.
Donc il y a..., ce sera sur les expériences
d'échanges affectifs lors de votre arrivée, pendant votre
détention, et puis enfin, à votre sortie on aura juste une
question.
Pour la première question, qu'est-ce que vous pourriez
nous dire sur vous en général, qu'est-ce que vous aimeriez nous
dire?
Raphael: Par rapport à ce sujet?
Rachel: Ben peut-être par rapport à vous.
Je sais pas si vous avez envie de nous donner votre %oge ou voilà ...un
peu...
Raphael: Je peux vous dire que j'ai vécu une
première incarcération à l'%oge de ans. Aujourd'hui j'ai
bientôt . Et euh... donc j'ai vécu donc une coupure de
années de privation de liberté, j'avais pris ans,
mais j'ai fait pour bonne conduite.
Aprés je suis resté de nouveau ans dehors et je
suis rentré de nouveau pour
ans.
ans et je suis de nouveau rentré pour
Rachel: D'accord.
Raphael: Aprés je suis sorti pour
euh... avec euh... un passage à l'hôpital
psychiatrique de donc
ce qui veut dire euh que je n'ai pas le même parcours
qu'une personne a fait euh vingt ans ou quinze ans de prison d'affilée
quoi.
Acquiescement de tête de Rachel
Raphael: Donc j'ai eu plusieurs sorties. Ca ne s'est pas
toujours passé la même chose. J'ai eu plusieurs
incarcérations évidemment puisqu'il y a eu plusieurs sorties.
Rachel: D'accord. Roseline: C'est
intéressant.
Raphael: Oui, cela peut être intéressant
ouais (silence) en fonction des %oges
quoi, cela fait , , ans, voilà, ca fait ca. Tous les ans,
il
m'arrive, pfff une baffe (rires), une tuile, (raclement de
gorge).
Rachel: J'ai oublié de vous préciser
s'il y a des questions auxquelles vous voulez pas répondre, euh, vous
pouvez le dire ou si vous voulez faire une pause ou quoique ce soit, il faut
pas hésiter.
Raphael: Hummm.
Rachel: D'accord. Hum, quel souvenir vous gardez en fait
lors de votre arrivée en détention ? De votre première
arrivée en détention.
Raphael: (Avalement de salive). Bon, la
première arrivée en détention, je me disais que
j'étais pas sür que ca dure longtemps. Je me disais qu'avec un peu
de chance ca durerait pas trop et ce serait pas trop pénible, quoi.
Rachel: D'accord.
Raphael: Donc si on veut, donc les quelques premiers
mois, c'était, c'était supportable dans, dans le sens que je me
disais que ca devait se régler ca, je pouvais sortir avant quoi.
ans, j'étais trés
Et, c'était supportable, j'avais une amie qui me
soutenait, j'avais
jeune. Et euh..., au début, c'était, quand on
parle de l'arrivée, c'était supportable. On était
plusieurs, on était un groupe, on était sept, huit dont six dans
la même prison au
à . Ce qui fait qu'on était soudé, on se
sentait, on était soudé,
c'était un club de . Et cela allait, on disait finalement
c'est pas pire que le travail,
quoi, mis à part les p'tites copines et ceci et cela. Mais
au début c'était supportable. Maintenant si on m'avait dit au
début: Ç tu fais ans È, mon dieu! Peut-être
je sais pas, j'aurai passé à autre chose. C'est-à-dire
j'aurai envisagé de me suicider, je sais pas quoi. Mais heureusement ce
n'était pas défini comme ca.
Rachel: Il n'y avait pas forcément un sentiment
de peur ou...?
Raphael: Non, non, non, non. Bon on était...
j'avais la chance de ne pas être seul. Par exemple il y avait d'autres
incarcérations oü j'étais seul, quand je suis entré
à
, j'étais seul, c'est différent. Mais là
à ans on était un peu fier, on revendiquait ce qu'on avait fait,
on croyait avoir raison devant les juges, devant le ministére publique,
pis on se faisait pas trop de soucis, insouciant. Ouais pis dans le cadre de la
prison ca allait parce que on était assez respecté on a fait les
gros titres des journaux, . Ouais, dans le milieu marginal on était
considéré comme... ce qui fait que ce n'était pas trop dur
à ce niveau-là. Au début mais je vous parle des trois,
quatre premier s mois... Parce qu'apres le premier
mois, mes copains ont tous été
libérés parce que j'étais le seul qui avait , non je
n'étais pas le seul mais qui avait , donc le juge
m'a dit: Ç je peux libérer les autres mais pas
vous, vous êtes le principal protagoniste È. Et là,
déjà aprés le premier mois ca été dur
aprés la coupure avec les...copains. La copine continuait de venir me
voir, elle y croyait, elle pensait que, que, elle disait au juge que nous
étions faits l'un pour l'autre, qu'on allait se marier, que patati,
patata. Elle envisageait des choses , qu'on avait pas envisagé à
l'extérieur, elle écrivait des lettres d'amour, c'était
vraiment trés, trés fort et elle m'aidait bien à supporter
ca. Mais moi, je ne savais pas jusqu'à mon jugement combien j'allais
prendre, de toute facon, le prob léme était là.
Aprés quelques mois, peut -être six, j'ai enfin
compris que je ne sortirais pas avant mon jugement et que mon jugement n'aurait
pas lieu avant une année. Alors là, c'est la première
cassure, c'est ma copine qui a craqué quand je lui dis que je ne peux
pas sortir avant le jugement et qu'il y a encore un an à attendre, je
n'ai pas de liberté provisoire...Je lui ai dit: Ç tu ne peux pas
m'attendre comme ca, tu es jeune aussi È pis elle me dit: Ç non
on se marie quan d tu sors, je t'attends, j'essaie È. Je ne pouvais pas
lui demander ca. ÇMais situ tiens le coup, je te promets que je
t'épouse quand je sors, il n'y a pas de probléme È.
Et puis euh... aprés quelques.... sept, huit mois, elle
est arrivée en me disant qu'il s'était passé quelque
chose, qui devait se passer entre guillemets, c'est la nature quoi.
Voilà, un soir un peu arrosé, elle a croisé un type et ils
ont fini ensemble, voilà quoi.... Et pis elle me demandait, elle l'a
dit, elle voulait être franche avec moi. Moi je ne lui ai pas fait de
reproche, c'est normal. Et j'ai dit que c'est mieux qu'on se quitte mais elle
ne voulait pas. Elle voulait continuer à venir me voir même qui
s'est passé ca. Et là j'ai dit: Ç Non écoute, je
veux que tu quittes ce milieu, je veux que tu sois... ce n'est pas bon, c'est
pas sain pour toi, c'est pas sain pour moi, quitte ce milieu, va voir d'autres
connaissances et fais ta vie quoi È. Pas refais ta vie car à ans
on ne refait pas, on fait. Et euh... c'est comme ca qu'on s'est plus revu du
temps que j'étais en prison.
Rachel: D'accord.
Roseline: Aprés la deuxiéme fois, vous
aviez une autre pensée quand vous êtes entré en prison?
Raphael: Bon la deuxiéme fois, j'étais
complétement parano, j'étais euh... je pensais que c'était
un complot contre moi, j'étais vraiment mal. Ce qui fait que je me suis
même isolé en prison, j'allais me promener sur le toit de , ouais,
là j'étais vraiment pas bien. C'était tout à fait
différent, ouais, ouais.
Roseline: D'accord.
Rachel: Et puis quelles idées vous
faisiez-vous des relations entre les gens en prison? Est-ce que vous aviez une
idée avant, est-ce vous vous étiez déjà posé
la question?
Raphael: Franchement non, si on m'avait dit que j'allais
un jour passer par la case prison, j'aurais pas trop cru, franchement....
Rachel: Mais est-ce que....
Raphael: C'est pas un milieu qui
m'intéressait. Franchement j'avais autre chose en tête, non,
à l'époque, j'en avais jamais parlé, ou peut-être
dire ce gars est en prison ou quelqu'un que je connaissais en qui avait
été incarcéré, mais non, non le milieu ne, à
part ce que j'avais vu dans les films, mais les films ce n'est pas toujours...
enfin c'est hard ce qu'on voit dans les films américains, les relations
qu'il y a entre les détenus, je n'ai pas un titre dan s la tête
mais enfin...
Mais sans plus, je n'avais pas d'idée préconcue.
Rachel: Est-ce que vous pourriez nous décrire une
journée, les différents moments de rencontre possibles ?
Roseline: Les rencontres importantes...
Raphael: Bon, ce qu'il y a c'est que moi j'ai fait
beaucoup de préventive contrairement à d'autres gars qui ont fait
plus de pénitencier. C'est-à-dire que normalement le, le, le
cadre c'est 23h sur 24 dans une cellule, s'il y a surpopulation vous êtes
à plusieurs dans une cellule, s'il n'y a pas de surpopulation, vous
êtes seul dans une cellule et vous avez le point de rencontre
c'est-à-dire une heure par jour. Quand j'étais au , on pouvait se
promener dans une cour et peut-être deux heures par semaine en plus, on
pouvait aller dans une salle faire du sport. Donc c'était ca les points
de rencontre. Ou si peut-être une heure, même pas, peut- être
une demi-heure quand on allait à la bibliothéque ou... des choses
comme ca. Certains allaient à l'église pour pouvoir voir du
monde, parce qu'il ... ouais une église, c'est pas vraiment une
église....
Roseline: Ouais une chapelle.
Rapha`l: Ouais, une cérémonie religieuse
qui se... Roseline : Vous y alliez?
Rapha`l: Moi pas, non, j'étais pas, même
que pourtant ca aurait pu faire du bien pour voir des gens, pour discuter. Mais
je n'étais pas..., tout ce qui était... j'étais en porte
à faux avec tout ce qui était dans le cadre carcéral.
Donc s'il y avait un meneur qui était une personne qui
avait le droit d'entrer dans une prison, c'était déjà pour
moi une personne louche, qui pouvait redire ce qu'on lui disait.
Roseline: Méfiant?
Rapha`l: Voilà, ouais, ouais, j'ai le
coté parano qui était déjà Roseline:
Donc la première fois le coté parano était
déjà là?
Rapha`l: Il était déjà
là, oui oui, quand on rentre en, dans ce milieu, on a toujours peur de
redire. Si vous vous êtes allés dans le but de tuer quelqu'un et
que vous ne voulez pas que ca se sache, c'est soit un assassinat, soit un
meurtre, un assassinat c'est 20 ans, un meurtre c'est 10 ans. Donc c'est du
simple au double. Donc si vous dites au juge que vous avez pété
les plombs et que vous faites une confidence au prêtre ou je ne sais qui,
à un maton, non je ne voulais pas. Pis des fois, on voit qu'ils
vous cherchent, ils posent des questions qui sont insidieuses,
qui sont précises, donc on se pose la question, il y a une parano qui
nous dit, méfions-nous, on est quand même dans un milieu
spécial, est-ce qu'ils travaillent avec les juges, il y a tout un....
ouais ouais.
Roseline: Mais alors là, vous étiez
déjà un peu méfiant, la deuxiéme fois vous
étiez pas bien et la troisiéme fois ?
Rapha`l: La troisiéme fois c'est maintenant,
j'ai fait six mois pour un cas de procédure, finalement c'est dü
à la première fois, j'avais un traitement médical qui
m'était imposé, pis au j'ai rompu ce traitement à cause
d'un accident de moto ce qui fait que c'est un peu une histoire de....
Roseline: Une continuité?
Rapha`l: Ouais, c'est une histoire un peu
bêbête, il n'y a pas de nouveau délit. Il n'y a rien, le
seul truc qu'on me reproche c'est d'avoir rompu ma confiance avec le
médecin en . Dans le sens ou malheureusement j'étais à
l'hôpital dü à un accident de moto, je n'ai pas pu lui
dire que je ne pouvais plus le voir. Entre-temps, j'avais un peu
décompensé, j'avais pris beaucoup de morphine et tout, je
n'étais pas
bien non plus. Mais à il s'est passé le truc qu'ils
arrivent avec mon dossier et ils disent nom de chien, on a un... comment on
appelle ca... un certificat du
qui dit que ca fait deux, trois mois qu'il n'a plus
été rendre visite à son psy, donc eux ce qu'ils font, ils
me remettent en milieu carcéral.
Roseline: Et là vous étiez de nouveau en
préventive alors?
Rapha`l: Et là, j'étais à , en
préventive. J'ai un article qui ... à
l'époque c'était un article , et maintenant je ne
suis même plus sür. C'est un milieu
qui évolue, vous avez l'incarcération, pis
aprés vous avez le milieu hospitalier et aprés vous avez le
milieu ouvert, c'est-à-dire... comme j'étais dans le , là
je ne suis pas encore en milieu ouvert, je suis en milieu fermé, c'est
la même chose que si j'étais à l'hôpital.
Et aprés, ils vont me mettre ouvert et je dois aller
une fois par mois me présenter, voir un psy, ce que je fais aujourd'hui
tous les mois et là ca sera la même chose. Mais si je romps cette
confiance-là, eux me considérent de nouveau comme une personne
dangereuse, parce que j'ai un traitement médicamenteux et j'ai tendance
à Ç parano ·er È.
Roseline: Donc la troisiéme fois, c'était
qu'une heure de promenade et vous deviez manger dans votre cellule?
Rapha`l: Donc là, non, j'étais à ;
je pouvais manger dans le couloir,
j'étais à cinq dans la cellule car il y a une
surpopulation carcérale. Ca a bie n été le milieu, je
crois que... Aprés j'ai pu travailler dans la buanderie et pis
voilà quoi le contact avec les autres ca se passait bien pour dire que
nous étions cinq dans une même cellule. Bon y a eu quelques
petites bagarres mais bon sans trop de dommages. Mais là c'est
trés dur à vivre, trés, trés dur, et au bas mot, il
n'y avait pas une cellule seule. Toutes les cellules minimum deux, des fois ils
mettaient deux lits superposés et un matelas par terre.
Roseline: La première fois c'était
seul?
Rapha`l: Oui j'étais seul. Je me suis même
isolé, oui. La première fois euh..., oui,
non, la toute première fois j'étais au et
là, c'était différent. La
deuxieme fois c'était aussi à et là je me
suis isolé, alors là, j'étais tout
seul, j'allais de temps en temps me promener avec une ou deux
personnes qui étaient au secret, mais là, j'étais
completement parano, j'ai dit qu'ici il ne faut pas parler, il faut rien dire,
enfin, bref, j'étais vraiment mal, mal, mal. J'étais en isolation
totale, même pas un contact avec ma famille, même pas de visite
quasiment, tandis que la première fois que j'étais
incarcéré, vous imaginez le nombre de visite que j'avais, j'avais
tout un club avec moi, toute ma famille qui me soutenait, enfin au début
ma copine, des copines qui venaient me voir, c'était tout à fait
différent.
Roseline: Et puis vous étiez seul dans une
cellule ou à plusieurs?
Rapha`l: Au ? Oui, à l'époque il n'y avait
pas, bon je vous parle de ca,
c'est en , euh... il n'y avait pas cette surpopulation. Il y
avait beaucoup moins de
tensions, ca change tout, ca change tout, ouais.
Roseline: Et là-bas vous pouviez travailler?
Rapha`l: Ouais là-bas j'ai pu travailler
à... comment ils appelaient... l'atelier de collage, on préparait
des papiers pour des fleurs, on faisait du cartonnage, enfin.
Roseline : Alors là, il y avait un lieu
d'échange?
Rapha`l: Oui, là, il y avait un lieu
d'échange, un échange avec les autres détenus, oui tout
à fait. Oui toute la journée, vous étiez dans une salle
comment ca, une dizaine à plier les cartons, on se passait des trucs.
Rachel: Mais il y avait un moment précis dans
lequel il y avait plus de plaisir à rencontrer du monde ou...?
Rapha`l: Cela dépendait, avec qui, quoi. Ca
dépend de la relation, des fois il y a une bonne relation, on
était tout content d'aller à la promenade pour le retrouver. On
restait une heure à discuter, on se racontait des choses, voilà
quoi.
Cela dépendait des relations, ouais, ouais, et des fois
il y avait même une bonne ambiance, on a même éclaté
de rire, il faut pas croire, il y a vraiment des types qui vous racontent des
choses, vous êtes là, vous éclatez de rire, c'est
détendu des fois, c'est, c'est, c'est pas toujours... oui on se dit nom
de chien j'éclate de rire, tu sais oü je suis ? Ou bien. Et parfois
c'est le gros fou rire et on arrive plus à se reprendre.
Roseline: C'est des moments quand même
importants!
Rapha`l: C'est quand même des souvenirs qui
restent et se dire mais nom de chien, dans ce milieu-là on arrive quand
même à être euh.... Même euphorique, vraiment hilare
à certains moments. Les larmes, je pense qu'elles restent quand on est
seul dans la cellule, quoi... le chagrin, le, le, le reste dans la cellule mais
quand on sort, il y a toujours quelqu'un qui est là pour vous raconter
une histoire pour... ouais, moi je dis qu'il y a quand même pour un
milieu comme ca, pourtant on ne peut pas dire
qu'on est bien mais on a quand même des moments,
(sifflements : ttrritt de Raphael) on se lâche ouais, on se
lâche.
Roseline: Et cela vous faisait du bien?
Rapha`l: Je pense ouais, il y a quand même une
certaine solidarité entre détenus. Si vous êtes
respecté, les autres, ouais. Par exemple, à tous les vendredis
à l'atelier, il y avait un détenu qui apportait comme vous, une
petite collation, chaque vendredi, c'était un détenu
différent et on partageait, il y avait un partage, il y avait quelque
chose.
Ouais, ce n'est quand même pas un monde de brutes
à l'état sauvage. Il y a des moments oü c'est violent, des
moments oü c'est hyper tendu et des moments oü ca frise le code
surtout qu'il y a des outils tranchants dans ces ateliers, il pourrait y avoir
des..., comparé à ce qu'on voit à ce qui se passe, je veux
dire qu'il y a peu de violence vraiment qui... des personnes qui passent
à l'acte, des gens qui se la jouent aux durs, qui n'écoutent pas,
un coup de poing, non, sinon il y a pas... non. Et pis, il y a des personnes
qui pour parler de l'affection, il y a des personnes qui cherchent l'affection.
Vous pouvez avoir des propositions, vous pouvez avoir ceci ou cela, ca, ca
existe aussi, il faut le dire. Des personnes qui...
Roseline : Vous avez vécu....
Rapha`l: Euh... Moi j'ai vécu des
propositions, mais j'ai jamais passé à l'acte mais c'est pour
cela que je peux dire que ca existe, ouais, ouais. Mais je sais qu'il y a des
gens qui tournent la veste et pourquoi pas, j'avais un peu parlé quand
vous êtes venues le lundi mais aprés quand ils sortent je ne sais
pas est-ce qu'ils reprennent un cours habituel ? J'en sais rien (rire) ou
peut-être qu'ils préférent les hommes aprés, ca je
ne sais pas.
Roseline: Mais pour en revenir aux propositions,
qu'est-ce qui a fait que vous avez pas adhéré à la
proposition ou aux propositions?
Rapha`l: Mais je ne suis pas homo et je ne crois pas
que je peux considérer ca, tout bêtement. Mais d'un
côté, peut-être que j'aurais eu envie, je ne sais pas,
peut-être que j'ai refoulé, c'est quelque chose de refoulé
peut-être que, voilà, mais peut-être que, que quand on vous
taille une pipe vous fermez les yeux, vous pensez à je sais pas qui,
mais il faut...
Roseline: Ce n'était pas concevable?
Rapha`l: Pour moi, ce n'était pas concevable. Moi
je n'arrivais pas à passer à l'acte, je n'arrivais pas.
(Silence)
Rachel: Comment avez-vous fait pour créer des
liens? Est-ce que c»était de votre initiative ou c'est plutôt
les autres qui sont venus à votre rencontre?
Rapha`l: Alors la première fois, on était
tous les jours dans , on parlait de
nous, les rebelles. Donc c'était les autres qui venaient
vers nous avec les
journaux: Ç ah on parle de vous È, nani, nanana.
Ils savaient que c'était nous, les gens viennent vers vous et
là oui, bon c'était trés médiatisé donc
c'est vraiment une
en plein cÏur de un groupe de huit , c'était
vraiment Chicago. Et ils pensaient à la mafia à
l'époque (rire) enfin bref. Mais euh... et c'est arrivé tout
bêtement, ce n'était pas, ouais le type qu'on cherchait est
tombé en panne devant la en pleine rue et là j'ai sorti de ma
voiture et
. Donc là, ca a fait les gros titres, donc les gens
venaient vers nous. Puis aprés les liens se créent facilement et
en fonction de ce que nous avons fait, nous sommes plus ou moins
respectés. C'est tout différent si vous avez violé une
femme, on va pas venir vers vous ou peut-être avec les dents
serrées.
Roseline: Donc vous n'êtes pas resté dans
votre coin la première fois ? Rapha`l: Non, non pas du tout.
C'est les gens qui venaient vers nous. Rachel: Le lien était
facile dü au délit que vous avez commis? Rapha`l: Ouais,
ouais. Ç ah regarde, il y a encore un article sur toi È.
Roseline : Alors ces liens ils étaient...
Rachel: Oui, ces liens vous pourriez les définir
comment?
Rapha`l: Je crois que c'était de
l'amitié. De la solidarité et de l'amitié. Je pense que...
on arrive là, on est jeune, il y a des gens qui sont plus vieux, les
vieux truands et ils vous supportent, ils vous aident. Voilà, ici c'est
comme cela que ca se passe, il faut faire comme cela, ils nous ont
expliqué comment se passe le milieu.
Je pense que c'est de l'amitié sincere et non pas
superficielle. Il n'y a pas de petites courbettes pour se dire bonjour, ca
n'existe pas, je ne crois pas.
Roseline: Donc vous, vous n'avez pas connu...
Rapha`l: Non, celui qui n'est pas content, il ne vous
dit pas bonjour. Ils sont plus sincéres que dehors, ils n'ont rien
à nous vendre. Il y a une chose qui est choquante, vous enlevez
quasiment l'argent, ouais quasiment mis à part quelques business
d'alcool ou un peu de drogue mais sinon vous enlevez... même l'argent,
à part des transferts de compte à compte mais qu'on ne peut pas
faire de grosses sommes ou... Donc c'est un autre monde quand on enléve
l'argent, c'est du troc. C'est des relations qui sont particuliéres mais
sincéres je pense.
Roseline: La troisiéme fois aussi c'était
sincere?
Rapha`l: La troisiéme fois, on était
à cinq et on cantinait, donc cantiner ca veut dire que toutes les
semaines vous recevez ce que vous avez commandé à
l'épicerie et on faisait des bouffes le soir, on jouait aux cartes, il y
a eu des coups de poings, il y a eu mais... on le sort de la cellule et dit aux
matons: maintenant vous nous trouvez quelqu'un d'autre celui-là on le
veut plus. a n'allait pas, il était complétement parano comme
moi, il semait la merde. Et si un type n'est pas bien, cela devient vite
électrique et ca ne joue pas.
Sinon la dernière fois cela s'est bien passé,
j'ai demandé d'être à deux. Je souhaitais parler anglais et
un américain était là et euh... je suis allé avec
lui et on pouvait parler.
Roseline: C'était à but utile?
Rapha`l: J'essayais, mais ca me rend service dans le
travail que je fais aujourd'hui car l'anglais est une base qu'on a besoin
aujourd'hui. C'est une base, je ne dis pas que je suis une conversation entre
deux newyorkais mais j'arrive à me faire comprendre, je me
débrouille au boulot. Et donc avec lui, tout était en anglais et
c'était vraiment de l'amitié et de la tolérance. Donc moi,
je n'ai pas la même relation que les autres, bon ca reste une
préventive et je pense que pour les autres dans une autre prison, ca
reste un cadre plus ouvert, je ne sais pas.
Rachel: Cela dépend peut-être de la
personnalité?
Rapha`l: Oui cela dépend de la
personnalité, c'est vrai, j'ai un contact facile. Roseline:
Mais quand vous étiez pas bien aussi?
Rapha`l: Ah, là c'était tout à fait
différent, c'était la pathologie de vouloir s'isoler, la
dépression, la parano enfin tout.
Rachel: Vous avez eu des rencontres qui ont
particulièrement comptées pour vous?
Rapha`l: Pour être honnête, moi je n'ai
jamais..., j'ai eu la chance de pouvoir sortir trois fois, je n'ai jamais
conservé un lien! Il y a une personne peut-être dans toute
l'histoire qui fait de la moto et je, je recroise dans les trucs de motard mais
sinon, je n'ai même pas son numéro de téléphone, il
ne peut pas m'appeler donc il n'y a pas...
Rachel: Mais durant la détention y a-t-il eu des
personnes avec qui le lien était important?
Rapha`l: Je pense qu'il y a eu des personnes, pas
toutes les personnes mais il y a eu des personnes ou il y avait un
échange qui était fort, beaucoup d'amitié. Oui ca oui,
mais de là à garder le lien à la sortie, c'est un pas que
je n'ai pas voulu faire et toujours de peur de récidiver ou de retomber
dans un... et pour finir quand je vois mon parcours, j'en suis revenu.
,
Mais oui, il y avait des liens forts, on avait des
congés quand j'étais dans le c'était un
pénitencier, j'ai fait dans un pénitencier, donc la
première fois, on travaillait dans les champs et là on avait des
congés. Alors ce qui fait que des fois je prenais la voiture de ma
mère et on partait jusqu'à , et on allait en disco, on faisait la
fête, oui c'était des liens forts, des bons souvenirs, mais une
fois que j'ai eu fini, j'ai quitté le milieu.
Rachel: Est-ce que vous pourriez nous dire ce qui
était fort dans ces liens? Vous l'avez dit c'était des bons potes
sur le moment mais est-ce qu'il y a eu quelque chose de particulier, quelqu'un
qui vous a permis de tenir ou au contraire.
Rapha`l: Moi je pense que quand on est dans la
galére on est plus solidaire, je pense que dans la misére on est
plus solidaire et je crois que... on peut même regarder à
l'extérieur quand on voit les pauvres, ils sont vraiment plus solidaires
que nous qui sommes individualistes comme à et je pense que dans ce
cadre -là, il est plus propice à l'entraide, à la
solidarité, à ce genre de choses, on voit des beaux gestes quand
même.
Roseline: Par la force des choses...
Rapha`l: Voilà, par la force des choses, on est
dans la même galére et on sait ce que tu souffres, ce qui te
manque.
Le gros mot c'est la liberté, mais bon, parce que des
fois on pense, on imagine tellement cette liberté que quand on est
dehors, finalement c'est un échec parce qu'on est décu, parce que
aprés c'est tout basé sur l'argent, si t'as pas ca, tu vas pas
là, si t'as pas ca, tu fais pas ca, enfin bref.
Tandis qu'en prison, on a tous plus ou moins les mêmes
moyens, on a tous plus ou moins... on est dans la même galére,
dans le même bateau c'est... Je crois, non, je pense qu'il y a plus de
solidarité, je peux dire ca avec assurance, ouais.
Rachel: Et puis lors des... quand on a des moments
d'échange, des amitiés qui se font, il y a des émotions
qui apparaissent, est-ce que vous avez des émotions qui vous ont
marqué? Est-ce que vous vous en souvenez?
Rapha`l: Oui la joie, la tristesse, la compassion,
oui, oui. Il y a eu beaucoup d'émotions, la violence, mais aussi la
haine parce qu'à certains égards il y aura toujours un mouton
noir là-dedans donc il y a des gens qui ne sont pas bien, qui sont
hargneux et il faut faire avec. On veut aussi toujours savoir qui est le chef,
c'est comme les meutes des loups, ou je ne sais quoi, les animaux, on veut
savoir qui est- ce qui est plus ou moins le boss.
Mais bon les émotions, il y en a plus ou moins comme
dehors mis à part la sexualité en ce qui me concerne et
l'affectivité et la séduction, ca c'est quelque chose dont je
vous en avais déjà parlé.
Si vous êtes séducteur, moi je ne sais pas,
demain je suis marié, j'ai une femme, des enfants à la maison,
tout ce que vous voulez, cela ne veut pas dire qu'aprés-demain je ne
draguerai pas, il ne faudra pas m'interdire de draguer. Maintenant situ vas
plus loin, c'est autre chose mais euh de dire mon dieu je sors en bo»te et
je séduis encore, une femme qui vous complimente et ca, ces petits
compliments, on se fait pas ces compliments il n'y a pas un mec qui m'a dit du
genreÇ tu as un beau corpsÈ (rires) et c'est des petits trucs qui
manquent. Peut-être qu'il y a des mecs qui le font, ca je ne sais pas
mais moi personnellement cela ne m'est pas arrivé.
Roseline: Et cela vous a manqué?
Rapha`l: Moi je trouve que tout le côté
séduction, l'affection, la tendresse, les c%olins, ca c'était
hard, dur ouais.
Roseline: a vous a beaucoup manqué?
Rapha`l: Embrasser le coussin le soir... ouais, ouais.
a, c'était trés, trés dur, trés, trés
dur.
Rachel: Entre détenus, il n'y avait pas cela,
vous ne pouviez pas vous prendre dans les bras par exemple ?
Rapha`l: Moi je n'y arrivais pas, pourtant j'ai des
années, même pas un massage rien, pourtant un massage c'est
naturel, masse-moi le dos, non je n'oserais pas, non, c'est trop... je sais pas
ca faisait trop, je sais pas moi.
Roseline: Est-ce que quelqu'un d'autre vous l'a
proposé?
Rapha`l: Non, non, non. Sexuel, oui mais pas
affectif. Peut-être qu'affectif j'aurai accepté, je sais pas. Et
pourtant un massage ce n'est rien. Mais encore une fois il faut être
capable.
Roseline: Est-ce que vous pensez que c'est une question
de pudeur ou autre chose?
Rapha`l: Ah y'a... je pense qu'un homme, l'affectif,
il peut en donner, des c%olins, se prendre dans les bras euh...Mais moi je
pense que c'est une question de pudeur, ouais.
Roseline: Mais par exemple quand quelqu'un partait, vous
ne vous preniez pas dans les bras?
Rapha`l: C'est plutôt le gros salut, une tape
dans le dos, ouais, c'est plutôt ca. Mais... Je dis que je parle pour
moi. Je sais qu'il y a d'autres trucs qui se passent, j'en ai vu, enfin vu de
mes propres yeux non, mais entendu.
Mais moi personnellement, je n'y suis jamais arrivé et
je n'aurais même pas osé, si tout d'un coup quelqu'un te dit:
Ç t'es qu'une tapette È, tu es aprés mal vu dans la
prison, ou d'un coup il y a une étiquette qui se met sur vous ou...Moi
je n'aurais jamais osé faire un pas dans ce sens, Ç écoute
on dort ensembleÈ que pour la chaleur humaine ou je sais pas et pourtant
cela m'aurait peut-être plu d'avoir quelqu'un.
Roseline : Vous pouvez l'imaginer aujourd'hui, mais sur
le moment non? Rapha`l: Non, non, non.
Rachel: Donc en fait, la nature de vos contacts
était vraiment que verbale ? Rapha`l: Ouais et amicale, une
tape dans le dos et voilà.
Roseline: Mais il y avait aussi du non verbal?
Rapha`l: Des sentiments aussi et peut-être un
regard car on commence à se connaitre, ouais.
Roseline: De la complicité par le non verbal?
Rapha`l: Voilà, ouais, ouais, ouais.
Roseline: En fait, justement on commence à se
conna»tre, juste un regard et on voit si l'autre ne va pas bien, est-ce
que c'est agréable ces échanges?
Rapha`l: Moi je pense que ca permet de tenir.
Roseline: Et d'être reconnu?
Rapha`l: Je pense que ca permet de tenir mais euh...
ouais (silence). De voir que les autres sont dans la même galére
que vous, de voir que vous n'êtes pas seul, il y a des gens qui sortent
aussi que... je veux dire que
Oui, l'amitié ca compte dans la vie. Si quand vous
arrivez à l'atelier et que vous pouvez parler ce que vous avez vu le
soir à la télé car on est trés télé,
les nouvelles, la politique. On était branché mais pire que des
ministres, non mais c'est vrai, tout ce qui se passait, on savait tout, le
temps, euro news, etc.
Et si vous pouvez en parler c'est important. Je pense qu'il y
a quand même un lien qui se crée et qui vous aide aussi à
sortir de là ou vous êtes et pas toujours être là
à ronger votre frein, à se dire Ç ah on est en prison
merde È. C'est important de parler de ce qui se passe dans le monde, de
foot, ouais il y avait des fans de foot qui connaissaient tous les noms des
joueurs, des clubs et tout enfin bref des choses intéressantes.
Mais oui, c'est de l'amitié et ca vous aide à
sortir du train -train quotidien dans le sens oü vous parlez d'autre
chose.
Rachel: Et penser à autre chose pas toujours
s'auto-infliger....
Rapha`l: Moi je pense que vous êtes spectateur
en prison aussi acteur mais vous êtes vraiment un grand spectateur parce
que vous êtes là avec votre lorgnette qui s'appelle la
télévision et vous regardez les autres s'amuser et vous... bon
maintenant il y a encore ces trucs de téléréalité,
enfin je veux dire... voilà vous êtes un spectateur. Je pense que
dans la vie il y a les spectateurs et les acteurs, des fois on est spectateur,
parfois on est acteur. Mais là, vous êtes un grand spectateur je
pense en prison, ouais, vous êtes trés peu actif.
Rachel: Lors du repas, nous avions parlé,
évoqué les gardiennes de prison, je ne sais plus qui en avait
parlé.
Rapha`l: Le fantasme, ouais, ouais.
Rachel: Qu'est-ce que vous pourriez nous en dire?
Rapha`l: Moi je.... Ca fait plaisir de voir une
femme... mais euh...peut-être que j'ai même fantasmé, je me
suis fait du bien en pensant à cette femme... mais euh... aprés
je me disais que Ç est-ce que tu es fou È t'a toujours le... Tu
sais que ce n'est pas possible, pourquoi tu te fais du mal finalement?
Tu te poses la question, ouais je suis peut-être un peu
trop cérébral, j'en sais rien mais ca fait du bien. Je pense
qu'une femme ca fait toujours du plaisir à voir mais ce n'est pas elle
qui va vous faire des compliments ce que je vous disais avant (rires), mais ce
n'est pas elle qui va vous donner ce qu'une vraie... enfin une femme normale,
elle, elle est dans son monde du travail, je sais pas moi.
Rachel: Et vous pensez qu'il y a l'envie de mettre une
distance par peur que...?
Rapha`l: Non, des fois c'est un peu gênant
quand une femme qui entre, il y a tout le monde qui se met à siffler, on
a l'air comme des... des tu sais des chiens en rut là. (Rires)
Roseline : Alors vous siffliez?
Rapha`l: Ah mon dieu oui.
Roseline: Peut-être qu'elle a l'habitude aussi?
Rapha`l: Même peut-être que cela lui fait
plaisir, j'en sais rien mais au moins il y a quelqu'un qui lui dit qu'elle est
belle (rire) parce qu'alors-là il y a tout le monde qui lui dit qu'elle
est belle. (Rires)
Roseline: Et cela vous dérangeait?
Rapha`l: Moi je trouvais gênant, ouais on est
tous dans le même... on est vraiment... ouais je... ça devient
pathologique quasiment. Pourtant c'est naturel quelque part.
Rachel: Est-ce que vous faites une différence
entre la sexualité et l'affectivité?
Rapha`l: Tout à fait ouais. Si on veut jouir,
donc la sexualité c 'est jouir. C'est ce que je pense et donc jouir, ce
n'est pas un probléme en tout cas en ce qui me concerne. Donc je peux
avoir les mêmes, je pense sur le plan de ce que procure la jouissance sur
le plan cérébral, on peut avoir les même effets, ça
je peux avoir, je ne suis pas coupé de cela, j'arrive à jouir.
Mais l'affectif. Non, ça je ne peux pas. C'est...je
fais totalement la différence, c'est plus fort, je crois que c'est plus
fort le manque d'affectif, de séduction que le manque de sexe parce que
le sexe vous arrivez à vous assouvir même si vous avez vraiment
envie vous faites cela vous-même et il ne faut pas déconner
voilà ça passe. Tandis que l'affection, il y en a pas, vous
pouvez faire comme vous voulez. Et la séduction aussi. Peut-être
pas beaucoup de personnes, je sais pas mais moi j'étais séducteur
et je le suis toujours mais moi cela m'a manqué peut-être que pour
d'autre s non, on n'est pas tous pareil, je parle pour moi.
Rachel: Et vous pouviez discuter de l'affectivité
avec d'autres détenus ?
Rapha`l: Est-ce qu'on en a parlé? Franchement
j'en n'ai pas trop de souvenir. On parlait de sexualité,
d'expériences sexuelles mais de dehors.
Rachel: Ouais mais un manque ou un....
Roseline: C'est plus par rapport à l'acte que
vous parliez?
Rapha`l: Ouais, comment il était avec une
femme, comment il était ... c'est pour cela que ça devient intime
parce que les gens vous racontent des choses que dehors ils ne raconteraient
même pas, je pense mais euh...
Roseline: Mais est-ce que vous parliez de ces choses
ouvertement? Rapha`l: Ouvertement, à l'atelier, devant les
gardiens.
Roseline: Et de l'affectivité?
Rapha`l : Alors non moi je n'ai pas beaucoup de
souvenir que quelqu'un parlait de manque de caresses, c'est quelque chose qu'on
n'ose pas dire, je sais pas. Est-ce que c'est parce qu'on veut être dur?
Je ne sais pas. Mais là vraiment je n'ai pas de souvenirs qui me
viennent. Par contre des théories de sexe, de cul, alors là oui
alors là, tout le monde avait tout fait. (Rires)
Roseline: Mais alors si on ne parle pas
d'affectivité c'est une sorte de façade?
Rapha`l: Moi je pense, c'est le côté homme
que les femmes n'ont pas. C'est dommage que vous ne puissiez pas avoir de femme
pour comparer.
Roseline: Il faut bien qu'on cible, nous c'est les
hommes qui nous intéressent.
Rapha`l: Moi je pense que nous, il y a beaucoup plus
de fierté, de ... le m%ole dominant et surtout dans un milieu oü on
doit être fort, je pense qu'il y a plus de fierté, Que dire,
ÇOh mon Dieu j'ai envie d'embrasser une femme È, j'ai envie de la
caresser, je sais pas... l'homme il est plus dominant, il est plus... avant, je
sais pas, chez les homosexuels on appelle le coming-out, c'est quand même
dire qu'à un moment il faut vraiment pour que ça se.., de
là à passe r à l'acte, y'a un pas que tout le monde ne
fait pas, peut-être même dehors. Alors imaginez dedans quelqu'un
qui n'est pas du tout, qui a toujours regardé les femmes dehors.
Roseline: Oui, là vous parlez de passer à
l'acte et vous... Rapha`l: Oui mais affectivité.
Roseline: Même un massage ça ne vient pas
?
Rapha`l: Oui c'est ça, moi je vois ça
comme ça. Une fierté...
Roseline: Ceci me fait penser à une chose. En
prison, est-ce qu'il y a des hommes qui pleurent ou qui ont envie de pleurer,
car c'est une émotion aussi?
Rapha`l: Honnêtement, j'en ai peu vu. Moi j'ai
pleuré, je sais que j'ai pleuré mais pas devant les autres...Mais
on se cache.
Roseline: Mais là aussi on se cache?
Rapha`l: Oui les émotions à ce
niveau-là... ? Dans la sensibilité. Ouais ce n'est
peut-être pas le milieu....
Roseline: Elles peuvent sortir mais isolé?
Rapha`l: Moi je pense, ouais. C'est ce que je pense
moi.
Roseline: C'est ce que vous avez vécu?
Rapha`l: Moi c'est ce que j'ai vécu. Moi je
n'aurais jamais pu pleurer dans les bras de quelqu'un, non, non, non. Ç
Ecoute ce qui m'arrive, c'est trop terrible et tout È. Le type en face
m'aurait dit... Mais comment dire? Ouais, il vit la même chose que vous.
Je sais pas que dire, on est là... je sais pas peut-être qu'il y a
des gens... en tout cas personnellement non.
Roseline: D'accord.
Rapha`l: En parloir avoir la larme à
l'Ïil, oui mais c'est encore différent. C'est votre mere, votre
famille, c'est encore différent. Quand votre copine vient vous dire:
Ç lalalala, il s'est passé des choses È, ouais là
vous pleurez mais c'est normal. Mais des que vous sortez, vous essuyez et des
que vous êtes dans vot re cellule et vous recommencez à pleurer et
voilà quoi. Mais c'est que vous avez vraiment besoin de pleurer.
Roseline: Vous aviez des moments affectifs que quand il
y avait votre famille au parloir?
Rapha`l: Ouais, ouais. (Silence)
Roseline: Dans ces moments-là, est-ce que vous
pensiez à faire venir une femme? Aux parloirs intimes ?
Rapha`l: Ah c'est sür. Alors c'est sür. De ca
on en parlait par contre. Ce sujet était ouvert mais tous on avait
envie, personne aurait dit non.
Roseline : Mais vous pouviez en parler?
Rapha`l: Oui on pouvait et on en parlait quand nous
étions en manque de sexe, mais euh... ca s'arrêtait là.
On pensait qu'on pouvait les femmes, avec une femme, mais pas
dans le contexte homme/homme.
Oh oui, les parloirs intimes, ca c'est... le probléme
c'est que vous faites souffrir...moi je dis on est en prison, il y a un
côté dur, la peine c'est une privation de liberté d'accord,
le probléme c'est quand vous mettez votre partenaire dans la même
privation de liberté que vous et je trouve que c'est dégueulasse.
Si j'avais pu lui donner, je ne pensais pas qu'à moi, lui donner
l'affectif, la sexualité, bon peut-être que... bon on en a pas
trop parlé, on avait trop de choses à se parler quand elle venait
au parloir trois quarts d'heure, on ne rentrait pas vraiment dans ce cadr
e-là. Mais euh... mon Dieu si on m'avait proposé ca, mais dix
fois, cent fois, ouais ca c'est sür. Mais d'un autre côté tu
te dis que c'est la prison et que c'e st dur et pis... et pis et pis
voilà.
Rachel: Mais pour vous les parloirs intimes seraient une
bonne chose?
Rapha`l: Moi je pense que c'est une bonne chose, mais
le probléme qui se pose c'est que ca n'existe pas en prison
préventive et vous faites avant un jugement un an, deux ans avant
d'être jugé, c'est un minimum, peut-être huit mois. C'est
vraiment
un minimum mais aprés il faut compter le transfert et du
temps qu'il y a une place qui se libére, non le parloir intime se fait
pas avant deux ans au minimum.
C'est ca le probléme qui se passe, la cassure a
déjà eu lieu. Alors maintenant si c'est un parloir intime pour
vous dire maintenant je suis en prison, je vais mettre une annonce comme quoi
je sais pas ou, à , y'a pas une femme qui veut venir me voir... euh...
là je me dis Ç je ne crois pas que c'est la solution È.
Maintenant vous me dites est-ce qu'on pourrait avoir des prostituées qui
viennent? Je dis pourquoi pas, moi... c'est payer, y'a pas trop de sentiments,
je dis pourquoi pas, ouais. Pis certains, oui pour ceux qui sont mariés,
qui après deux ans sont toujours ensemble. Mais tant mieux pour eux et
heureusement qu'il y ait ça. Mais pour celui qui n'a pas, je pense que
ce n'est pas le moment...il faut être stable pour nouer une... je sais
pas...
Roseline: Donc c'est l'expression, vous vous
êtes suffit à vous-même, et aprés ce que vous avez
dit: Ç je me fais plus de mal qu'autre chose de fantasmer sur quelqu'un
È.
Rapha`l: Mais oui, c'est quelque chose, moi je sais
pas, c'est quelque chose de complétement irréalisable. C'est
comme quand vous regardez un film à la télévision et que
vous fantasmez sur une actrice, et pis vous dites : Ç merde ca ne se
fera jamais È. Je préfére fantasmer sur quelque chose de
concret qui soit plus ou moins objectif, je sais pas mais je me dis que:
Ç tu délires È. Voilà, c'est comme ca.
Rachel: On avait discuté aussi des
préservatifs, la distribution de préservatifs, est-ce que vous
avez vécu la distribution? Ou est-ce que vous y aviez accés dans
un certain endroit? Et qu'en pensez-vous?
Rapha`l: Je trouve que c'est bien, même les
seringues pour les toxicomanes.
Il ne faut pas se voiler la face, les préservatifs,
même chose. Je trouve que c'est bien, celui qui a besoin, il y en a.
C'est -à-dire qu'on allait au médical, vous allez pour une
entorse, n'importe quoi, il y avait toujours un truc et on peut prendre des
préservatifs à ce moment-là, donc c'est un accés
à tout le monde. Bon, moi j'en ai jamais utilisé, jamais pris
mais euh... c'est bien si ça existe et faut croire que ca existe, on en
parle peu et heureusement qu'il y a encore ca car s'il faut encore sortir de
prison avec le SIDA, beuh. Certains sont sortis avec des... manques de drogue,
des...moi j'ai connu avec des overdoses, bon je veux dire que la drogue c'est
encore autre chose, des personnes qui n'avaient encore jamais touché, ca
je dis que c'est un manque affectif aussi, pour plonger là-dedans.
Et pis voilà. Pis tout ce qui est de la prévention,
je peux pas être contre, les préservatifs, je crois que c'est
important, surtout là-dedans quoi.
Rachel: On avait aussi, vous l'avez
évoqué tout à l'heure, la masturbation. Vous disiez que
quelque part c'était pour pallier à un manque. Est-ce que l'acte
suffisait ou... et comment est-il possible de trouver de l'intimité ? Ou
pas?
Rapha`l: Même à cinq c'est possible, et
euh...même à cinq dans une cellule c'est, c'est possible. Y'en a
qui regardent la télé, d'autres qui dorment, il y a toujours un
moment oü on arrive à se faire jouir sans que les autres s'en...
voilà, pas besoin de... il faut faire cela di scrétement et c'est
possible. Des que vous êtes sous la couette, vous êtes intime plus
ou moins, il ne faut pas faire ca... voilà je pense que
c'est possible. Ou bien même si vous êtes à
deux, c'est plus facile parce que l'autre il va bien sortir à un moment.
C'est encore plus facile, il y a plus d'intimité quand on est deux
qu'à plusieurs. Non, ce n'était pas un probléme et il y
avait une toilette encore, une toilette fermée. Il y avait des photos de
femmes, encore une fois, oui les toilettes étaient fermées.
Rachel: Donc là il y avait...?
Rapha`l: La possibilité.
Roseline: Des photos de femmes...
Rapha`l: Oui, on pouvait commander des catalogues
(rires) avec des photos de femmes. Et il y avait aussi des catalogues de photos
d'hommes, on pouvait commander des trucs gay, oui, oui, oui. Au niveau des
catalogues, il y a tout ce que vous voulez, oh mon Dieu, tout.
Roseline: Mais ca ne suffit pas toujours au manque
affectif?
Rapha`l: Ah non, c'est, c'est incomparable. Ma foi,
on a quand même appris qu'on peut vivre sans et aujourd'hui on est... moi
je dis que je suis moins dépendant aujourd'hui. Est-ce que c'est bien,
est-ce que c'est mal? Je suis moins dépendant. Tandis qu'à vingt
ans, j'étais dépendant, j'ai appris à vivre sans, ouais,
voilà. Je sais pas, est-ce c'est un avantage ou un inconvénient?
Je ne sais pas.
Rachel: Est-ce que vous seriez d'accord d'aborder la
question des relations forcées ? Est-ce que vous avez déjà
vu des relations forcées ?
Rapha`l: Non, moi personnellement non et j'en ai pas
entendu parler. A part dans les journaux, mais pas plus que vous.
Rachel: D'accord, ok.
Rapha`l: Non, ca j'ai pas, non. Disons qu'il...vous
parlez d'intimité pour se masturber, vous imaginez l'intimité
qu'il faut pour faire ca? Je sais pas mais deux dans une cellule, forcer, ca
doit être dur à deux. Y'a pas tellement d'endroits ou vous
pouvez...je sais pas si à cinq dans une cellule ils décident d'en
violer un, écoutez ce serait faisable, vous savez il suffit d'un cri ,
ils ouvrent une porte, si vous criez, il y a le maton qui va arriver. Dans les
douches mais si vous criez, et en plus il y a le gardien qui est là, il
faudrait vraiment bien forcer, mettre un savon dans la bouche.
Roseline: Parlez nous un peu des douches. Est-ce un lieu
de rencontre? C'est un lieu sans intimité ? Certains disent que c'est un
lieu plaisant, et pour vous?
Rapha`l: Je peux vous dire que certains vont en slip
de bain, il y a beaucoup, la plupart, d'ailleurs ce qui fait que, parce qu'ils
ne lavaient pas les slips là-bas, alors ce qui se passe c'est qu'on doit
laver nous-mêmes. Alors beaucoup, moi aussi, je rentrais avec mon slip et
aprés je l'enlevais et je le lavais avec mon produit de douche et je
l'essorais. Pis bon, l'intimité, moi j'ai fait du foot et il y avait des
hommes
à poil, moi ca ne me dérange pas. Franchement ce
n'était pas le truc, je l'ai vécu depuis tout petit quoi. En
sport on avait toujours les douches ouvertes.
Roseline: Quand on est dans un milieu fermé,
est-ce que vous pensez que c'est une question d'éducation? Car vous vous
parlez que vous avez été habitué depuis tout petit. Est-ce
que c'est l'éducation qui prime par rapport à la pudeur, à
l'intimité?
Rapha`l: Je pense que c'est une éducation, un
vécu en tout cas. Peut-être qu'il y a des personnes qui sont hyper
pudiques, je ne sais pas.
Roseline: On ne met pas de côté ce qu'on a
vécu?
Rapha`l: Non moi pas, non. Ce n'est pas parce que les
douches, non moi je faisais deux fois par semaine l'entrainement pis encore le
match, on était trois fois par semaine dans les douches à poil,
les onze joueurs et parfois même l'entraineur, donc, non. Donc
l'éducation? Bon à la maison moi j'ai vu mes parents nus,
peut-être que d'autres n'ont jamais vu leurs parents nus, moi c'est une
chose qui pouvait arriver. Ce n'est pas le truc qui me... travaillait
l'esprit.
Rachel: Et durant les parloirs, avez-vous
déjà vu des relations charnelles entre les autres ou
peut-être vous-même?
Rapha`l: Non, mis a part...j'en ai entendu,
maintenant... Ouais je sais que dire. Moi à part rouler des pelles,
s'embrasser, lui tenir la main ou...non, non, non, je dis non. Je crois que je
n'aurais pas pu le faire, il n'y avait pas assez d'intimité. Vis
-à-vis de ma copine, (rire) non. Mais j'ai entendu qu'y en a qui
arrivait mais je sais pas comment. Franchement, en tout cas en
préventive, vous avez un gardien là, vous avez les tables comme
ca, vous êtes en face à face, on sait pas ce qui peut se passer
sous la table mais quand même, vraiment un acte sexuel, vraiment une
relation sexuelle ? Vraiment, j'ai du mal à croire.
Rachel: C'est vraiment face à face, on peut ne
pas être à côté ? Rapha`l: Non, non, non.
Roseline: Est-ce que quand il y avait un contact est-ce
que vous receviez des remarques du maton?
Rapha`l: Non ca jamais, non.
Rachel: On va arriver à la dernière
question. Rapha`l: Attention c'est la plus dure! (Rires)
Rachel: Mais non. (Rires)
Qu'est-ce que vos expériences affectives, alors
euh...bon vous disiez que vous n'avez pas eu d'échange affectif durant
votre détention mais vos relations, est-ce que ca a changé
quelque chose? Est-ce que ca a permis ou changé quelque chose lors de
votre sortie?
Rapha`l: Moi je... vous ai déjà presque
répondu dans un sens parce que je vous ai dit que j'étais moins
dépendant. Ca veut pas dire que je n'ai pas besoin mais je sais que je
peux vire sans, et donc euh... voilà... si ca doit se casser si j'ai une
relation qui casse, je vais moins être à cran, comme on dit comme
un drogué qui... je me dis bon ben voilà je vais retrouver
quelqu'un d'autre, il faut attendre un laps de temps. Ah, je ne sais pas?
Rachel: Est-ce que ca a changé vos relations?
Rapha`l: La relation évolue même avec
l'%oge de toute façon la relation évolue. Estce qu'on fantasme
plus, est-ce qu'on devient un peu plus cochon entre guillemets, y a des femmes
qui m'ont dit ca mais je ne sais pas si c'est l'évolution de l'%oge.
Si c'est... de là à dire que c'est à
cause de la prison, disons que c'est un truc que je n'aimerais pas me dire que
ca m'a fai t du tort euh...sexuellement, je n'aimerais pas. Maintenant euh...ce
qui a changé comme je vous l'ai déjà raconté, par
exemple quand je suis sorti la première fois, quand je dansais avec une
femme j'étais en érection, c'était bizarre pour elle,
bizarre pour moi, donc là je n'avais pas eu de relation euh...
voilà, on devient en rut plus rapidement, donc ca, ca oui, après
ca passe, c'est votre premier congé. Mon dieu en discothèque
c'était terrible, terrible, j'avais honte, pour moi c'était... la
fille pense que c'est un pervers (rire)...moi j'ai toujours ce
côté-là...
Roseline: La première fois que vous êtes
sorti ca vous est arrivé....
Rapha`l: Mon premier congé, ouais, ouais. Je
dansais avec une fille, mon dieu! et là j'ai chopé... on dansait
un slow donc à l'époque des slows, maintenant je ne sais pas s'il
y a encore des slow s... (Rire) Bon après ca redevient normal, pis aussi
peu t- être qu'on a tellement fantasmé, moi je dis cochon, ouais
les femmes m'ont dit: Ç tu es un vrai cochon È. Je sais pas,
peut-être qu'on va plus fantasmer sur le corps, on va plus...
Roseline: C'est ce qui vous est arrivé?
Rapha`l: Ouais, voilà. Est-ce que c'est la
prison, est-ce parce qu'on évolue? Ce n'est pas la même chose avec
une femme aujourd'hui que quand j'avais vingt ans, c'est indéniable.
Roseline : Vous avez plus de patience?
Rapha`l: Maintenant, non, non c'est sür, je ne vais
pas taper à la porte dix fois et faire la roue.
1ère
Roseline : C'est ce que vous faisiez après la
fois en prison?
Rapha`l: Non, non avant, ca pouvait arriver que
j'étais à cran, j'étais comme un drogué quoi, il y
avait un temps....
(Rires)
Et bon voilà.
Roseline: Donc quand vous êtes sorti,
c'était la réaction du corps qui était plus rapide
Rapha`l: Oui mais on a pas peur de perdre...
Roseline : Voilà.
Rapha`l: On a pas peur, cette jalousie malsaine, cette
euh..., on est plus serein j'ai l'impression. A vingt ans je croyais, enfin
c'était une drogue, c'est terrible.
Roseline : Vous parlez de maintenant ou de votre
première libération?
Rapha`l: Là, je vous ai parlé de mon
premier congé. Il fallait trouver une femme dans le week-end, mais cela
ne s'est pas fait, je vous dis la vérité ca ne s'est pas fait.
J'ai flirté, bon voilà mais....
Roseline: Mais après vous avez eu la patience
d'attendre?
Rapha`l: Après oui, j'ai eu la patience
d'attendre quand je suis sorti, ouais, ouais. J'ai eu encore de la chance, j'ai
fait une émission de télévision, donc moi j'ai eu de la
chance après la première incarcération, je n'ai rien eu
à cacher. J'avais une relation qui était...j'ai vu une fille un
soir qui m'a dit: Ç ah je t'ai vu à la télévision
È, je l'ai connue comme ca, on discutait machin, revue mais euh, j'avais
de la chance.
Tandis que maintenant, plus euh... le problème avec la
femme maintenant ce n'est pas l'affectivité et la se xualité, oui
c'est un ma nque quand il n'y a pas, d'accord mais j'ai plus du mal à
dire euh...voilà ou j'ai été, la prison, le... .
Voilà les deux dernières fois je trouve que
c'est trop, trop. C'est ce qui... Je veux pas dire qui m'angoisse mais quand je
connais une fille je me demande ce que je vais lui dire.
Déjà, si elle me demande pour découcher
un soir de semaine, je ne peux pas, il faut que je m'arrange avec Monsieur et
le week -end c'est limite car je travaille encore le week-end. Je suis
réticent dans ce sens-là de devoir dire... et pourtant je pense
que le mieux c'est de pouvoir dire, de s'affirmer de pouvoir dire ce qu'on a
fait et si l'autre accepte pis si elle n'accepte pas bon ben au revoir et
merci. Mais d'un autre côté, si je lui dis el le va avoir peur de
moi, direct.
Roseline : Vous avez encore peur de ca?
Rapha`l: Ouais, ouais, ouais.
Roseline: Ce n'est pas votre personne, c'est le fait
d'avoir été dans ce lieu....pe ut- être ...
Rapha`l: Oui ca fait partie de ma personne quand
même. C'est le mot prison qui fait peur. A ans, elle n'avait pas peur
à ans. Les femmes à cet %oge sont moins portées sur le
sécuritaire, elles sont chez leurs parents je veux dire euh....
Maintenant une femme qui est à , tu as déjà ans et elle a
peut-être
et pis euh... elle a besoin de sécurité et
là elle voit quelqu'un qui est complètement dans
l'insécurité et ca fait flipper. Tu te dis ce mec-là il va
m'emmener ou ? Oü je serai avec lui dans deux ans? Les filles de ans,
elles se
posent moins la question. Elle est encore chez papa, maman,
c'est un autre %oge. Il y a encore l'%oge qui est un facteur, je trouve
intéressant de pouvoir voir avec les différents %oges.
Roseline: Cela veut dire que vous vous sentez pas encore
totalement en sécurité vous-même...
Rapha`l: Mais je suis dans
l'insécurité, je pense que ca peut me bloquer sexuellement,
affectivement, ca peut me bloquer psychiquement parce que je suis dans
l'insécurité.
, le milieu oü on est peut être sécurisant
à certains égards pour soi-
Là, à
mê me mais pour une relation de couple, il n'est pas du
tout sécurisant dans le sens que quand on parle de couple, on parle de ,
de ceci, de cela donc il n'y a rien de cela, aprés on parle de ceci
d'affectivité, et tout, enfin il me semble que c'est un tout. Et
là je me sens dans l'insécurité, ouais ma position est
précaire. Je ne peux pas dire quand est-ce que je vais sortir,
voilà je suis un peu réticent je dois l'avouer.
Rachel: Est-ce que vous aimeriez ajouter quelque chose?
Rapha`l: Non je crois que nous avons fait le tour.
Rachel: On vous remercie beaucoup!
Rapha`l: De rien.
Rachel: Ca été pour vous?
Rapha`l: Oui, pour moi ca été, j'avais
un peu de soucis des questions je ne savais pas ou exactement je mettais les
pieds et puis ce qu'on a discuté entre nous avec les autres
détenus, c'est vrai que le but premier, c'est de pouvoir faire avancer
le la chose, si ca peut faire évoluer cela serait génial. Dans le
sens des parloirs intimes, des choses comme ca pour ceux qui ont vraiment la
famille l'occasion.
Roseline: Ouais en même temps comme l'un de vous
disait Ç c'est injuste que ce soit que les familles car nous aussi on a
des manques È.
Rapha`l: Ma foi on est en prison, y a pas que ca
comme manque, il faut aussi considérer que la prison ce n'est pas un
milieu....je préfére faire des peines plus courtes ou juger les
gens directement qui sachent oü ils vont mais c'est un autre
débat.
Et puis, c'est la lenteur qui tue un couple, la lenteur des
procédures administrative s, vous avez une fille, une famille qui vous
attend dehors, tu sais pas quand est-ce que tu vas enfin revenir à la
maison. Quand tu es dans cette attente tu te dis mais combien de temps.... Si
on te dit c'est deux ans bon j'attends deux ans ok mais si... on vous dit pas,
merde c'est long la préventive et c'est trés, trés dur.
Alors qu'ils mettent des parloirs intimes en préventive alors et
là je suis le premier pour, bon voilà quoi.
Merci
Rachel et Roseline : Merci à vous!
Annexe 6: Entretien exploratoire
Boulé Rachel TB1
Schmid Briachetti Roseline Questionnaire
exploratoire
Directeur d'une prison Notre
présentation
Pouvons-nous enregistrer l'entretien? Il restera
confidentiel, la retranscription ne sera lue que par le maitre de
mémoire.
Etudiantes HES-GE - sollicitation de cet entretien pour avoir une
vision générale
Sexualité en prison - notre représentation : perte
de liberté doit-elle engendrer une interdiction de la
sexualité
Cet entretien est pour nous permettre de problématiser et
pour comprendre les enjeux sauf pour les personnes avec délits sexuels
trés graves.
Notre question de recherche: Comment les personnes
incarcérées vivent-elles leur sexualité dans un milieu
carcéral fermé vu par les TS, les gardiens et c. ?
Ou
Comment les professionnels répondent-ils aux besoins de
sexualité des détenus dans un milieu carcéral
fermé?
Dans les livres parcourus sur leurs parcours de vie en prison,
leurs conditions de vie, les détenus demandent des parloirs intimes.
Questions pour Directeur de prison
A) Manière de l'Institution de traiter la
sexualité des détenus 1. Pouvez-vous nous parler de
l'historique de la prison
Depuis quand?
Pourquoi dans cette prison et d'oü (autorités-
associations- détenus- droit de l'hommeÉ) Qu'est-ce qui peut
être favorisé ou au contraire engendrer comme problème ?
(Maintenir un lien - favorise un besoin, maintenir l'ordre au sein de la prison
ou autresÉ) Pourquoi?
Niveau pratique
Comment ont-ils acces au parloir intime, les conditions à
remplir (marié, etc.)?
Comment se passe la visite - Est-ce un lieu fermé, ouvert
avec ou sans surveillance? La durée - La fréquence?
Y a-t-il un réglement dans le parloir intime ? Peuvent-ils
passer à l'acte? Est-ce que les TS ont un rTMle à jouer au sujet
de la sexualité?
B) Détenus leur manière de vivre la
sexualité à l'intérieur (conditions de vie)
Est-ce que vous pouvez nous décrire une journée
type (matin au coucher) d'une personne incarcérée (vie
quotidienne) ?
Est-ce que les détenus parlent de la sexualité
entre eux - Est-ce un sujet tabou ?
Est-ce que l'absence de sexualité engendre des
problématiques et lesquelles? (violence, pratiques, enjeu de pouvoir,
castration...)
C) Politique suisse-cantonale
Quelle est la politique en suisse dans le milieu carcéral
au sujet de la sexualité ?
Est-ce qu'il existe en Suisse d'autres prisons avec des parloirs
intimes et si non pourquoi?
Il nous semble avoir compris que les Autorités
(fédérales-cantonales) ne traitent pas de cette question
officiellement mais officieusement, avons-nous bien compris? (pas de regles
É)
Organisation- Questions pratiques
Nous aimerions faire des entretiens avec les TS, des gardiens, la
direction.
Est-ce que dans cette prison c'est possible et si oui quelles
démarches devons-nous entreprendre (autorisations - présentation
de notre sujet etc.)?
Est-ce que vous avez de la documentation sur la politique suisse,
des textes de loi, d'autres Institutions?
Est-ce que vous avez des personnes ressources à nous
conseiller qui connaissent bien le sujet? Est-ce que dans le futur, si nous
avons d'autres questions seriez-vous d'accord d'y répondre?
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