Le Front Farabundo Marti de Libération Nationale au Salvador: 1980- 2009( Télécharger le fichier original )par Kacou Elom Jean-Michel ADOBOE Université de Lomé Togo - Maà®trise en histoire contemporaine 2010 |
Chapitre 2 : CREATION DU FRONT FARABUNDO MARTå DE LIBERATION NATIONALE (FMLN)Résultat d'une atmosphère sociopolitique dégradée, le Salvador à partir des années 1970 et 1980, va connaître le développement d'organisations révolutionnaires optant pour la guérilla. Ces différentes formations vont entreprendre une réalisation inédite : la constitution d'un front révolutionnaire commun pour unir leur force et atteindre leur objectif. C'est dans cette perspective que s'est constitué le FMLN, fruit aussi d'un contexte favorable à sa formation. Dans ce sillage, quel a été le processus de la création du Front Farabundo Martí de libération nationale ? Cette question nous amène à voir d'abord le prélude à la constitution du front révolutionnaire et ensuite la formation du Front Farabundo Martí de libération nationale. 1. Le prélude à la constitution du front révolutionnaireNous pensons pour notre part que l'exclusion socio-économique, engendrée par les crises économiques et la situation de tenure inégalitaire de terre, marque la vie quotidienne de milliers de salvadoriens. Cela a accentué l'inégale répartition des ressources et la hausse du taux de pauvreté. A l'actif de la formation ou de la radicalisation des mouvements de contestation révolutionnaires, il faut ajouter les ingérences étrangères voire leurs dominations. En cela dans le cas du Salvador, l'ingérence américaine dans les affaires intérieures salvadoriennes a contribué à l'organisation des différentes formations révolutionnaires qui s'opposèrent aux régimes dictatoriaux le plus souvent soutenus par Washington. 1.1. Le Panaméricanisme et les débuts de la domination étrangère
Les Etats-Unis voisins de l'Amérique latine peuvent sembler placés par la nature dans une position géographique prédestinée pour exercer leur influence sur les républiques latino-américaines (Chaunu 1995 : 113). En effet, ces deux Amériques libérées presque au même moment du joug colonial ont paru se rapprocher dans les premières décades du XIXè siècle. Mais plus tard il commence à naître chez les Américains un véritable désir d'expansion et de domination de toute la région Amérique latine. Ces idées furent alimentées par différentes doctrines qui sonnèrent le glas au panaméricanisme, signe de l'impérialisme américain dans la région. Impérialisme qui est certes encore perceptible de nos jours sous diverses formes. L'impérialisme a des origines lointaines en Amérique latine. Aux lendemains des indépendances, la pénétration des capitaux étrangers, britannique surtout, se chargea de soumettre le continent à une dépendance d'un nouveau type (Dabène 2006 : 24). Comme nous l'avions souligné précédemment, l'une des causes de l'ingérence étrangère dans les pays latino-américains est aussi à voir dans la dépendance de ces pays sur le plan économique. En effet bien avant la première guerre mondiale, c'était l'Europe par le biais de la Grande Bretagne qui s'imposait sur tous les marchés américains. Mais avec la guerre on va assister à un basculement d'hégémonie de l'Europe vers les Etats-Unis. En Amérique latine ce changement se fit sentir de manière spectaculaire. Aussi bien en ce qui concerne le commerce que les investissements la Grande Bretagne s'effaça (Dabène 2006 : 38). Nous pouvons le constater à travers le tableau n°2 suivant : Tableau n°2 : Importations salvadoriennes des Etats-Unis et de la Grande Bretagne rapportées au total des importations en pourcentage, (1913-1927).
Source : Dabène (2006 : 39). En observant le tableau ci-dessus on note que les importations salvadoriennes en provenance des Etats-Unis de 1913 à 1927 ont connu une hausse passant de 39,5 % à 46,3 % contrairement à ceux provenant de la Grande Bretagne qui ont connu une baisse passant de 27,2 % à 16,1 % à la même période. Ceci s'explique en particulier par la Grande Guerre et ses effets sur l'économie. En effet on va assister à un basculement d'hégémonie de l'Europe vers les Etats-Unis. En raison de la guerre, et notamment des attaques sous-marines menées par les Allemands à partir de 1917, le commerce latino-américain s'orienta vers les Etats-Unis (Dabène 2006 : 37). Même si c'est vrai que les importations en provenance de la Grande Bretagne ne s'estompèrent pas au cours de cette période, ils furent toutefois supplantés par ceux américains qui progressivement évoluèrent sans cesse. Ainsi donc, dès le début du XIXè siècle, les Etats-Unis se découvrent une vocation à dominer l'ensemble des Amériques. Cette vocation découle d'une déclaration faite par le président Jefferson : « cette ultime possession de tout le continent est l'ordre naturel des choses » (Dénécheau, Girault et al 1979 : 30). Cette idée fut reprise sous une autre forme par le président Monroe dans son message annuel au Congrès américain le 2 décembre 1823. Celui-ci signalait aux Européens que l' « Amérique appartenait aux Américains ». Cette fameuse citation élément moteur de ce qu'on va appeler la « doctrine Monroe », va définir et sous-tendre la politique extérieure américaine dans le continent latino-américain. C'est cet avis que partagent D. Puyo et A. Taracena quand elles affirment que : « la politique extérieure américaine a une influence dans les pays de l'isthme depuis la déclaration de la doctrine Monroe en 1823. » (Puyo et Taracena 2007 : 5). Mais cette politique extérieure connut par la suite une note impérialiste. Car il faut que noter les Américains avaient le désir de reprendre le projet de solidarité de l'Amérique latine mais sous une autre forme afin de mieux influencer et assurer leurs intérêts dans la région. La touche impérialiste fut renforcée par le président Roosevelt (Théodore) dans sa politique du « Big stick » qui veut dire « Gros bâton » qui visait avant tout l'Amérique centrale. Le « Big stick » va en effet reprendre les idées de Monroe mais rendant les Américains plus actifs dans la région à travers leurs interventions. Cette lecture impérialiste entraîne de multiples interventions : - à la suite de la guerre de 1898 où ils écrasent l'Espagne, les Etats-Unis annexent Porto Rico ; ils proclament l'indépendance de Cuba, tout s'en attribuant un droit permanent d'intervention et en occupant la base de Guantanamo, -depuis longtemps, les USA s'intéressent à la réalisation d'un canal interocéanique en Amérique centrale ; en 1849, ils obtiennent une concession sur le territoire du Nicaragua ; puis une société française héritière de la compagnie de Lesseps, propose le rachat de la concession et des travaux réalisés à Panama (Dénécheau, Girault et al 1979 : 31). Ainsi donc les Américains au nom du panaméricanisme intervinrent dans les affaires internes des pays latino américains à travers attaques armées ou occupations militaires surtout quand leurs intérêts y sont en jeu. En témoigne le tableau n°3 suivant : Tableau n°3 : Interventions ou occupations militaires nord-américaines en Amérique centrale et Caraïbes entre 1898 et 1933
Source : Dabène (2006 : 27). L'observation de ce tableau nous montre quelques interventions ou occupations américaines dans certains pays de l'Amérique centrale et les Caraïbes. On voit que ces interventions furent successives dans certaines régions que dans d'autres. Cela s'explique par la politique d'expansion des Etats-Unis et les intérêts en jeu. En effet les Etats-Unis vers la fin du XIXè siècle et les débuts du XXè siècle voulurent imposer leurs hégémonies politiques sur l'ensemble du continent américain. La révolution économique qui fit d'eux la première puissance du monde, et l'épuisement de la frontière en 1890 incitèrent ce pays à offrir à son développement capitaliste de nouveaux débouchés et à la suite de nouveaux intérêts. D'où de nombreuses intrusions dans des pays voisins en l'occurrence latino-américains se généralisant parfois en occupations et interventions militaires successives dans les pays tout comme le montre le tableau n°3. Ceci dans le but d'assouvir ses intérêts tant sur le plan économique que géostratégique. Cependant cette intrusion américaine dans les affaires internes des pays latino-américains va entraîner de nombreuses résistances de la part de ces derniers désireux de sauvegarder leur indépendance sur tous les plans. Pas question de sortir d'une domination coloniale où espagnols et portugais se sont illustrés en véritables maîtres, pour rentrer encore dans la domination yankee (états-unienne). Ces interventions nord-américaines provoquèrent des résistances armées29(*) et participèrent au développement de mouvements de contestation qui lutteront pour la libération nationale particulièrement en Amérique centrale. Pour Puyo et Taracena (2007 : 5) : « l'interventionnisme des Etats-Unis dans la région, spécialement dans le cas de l'Amérique centrale, est un facteur qui a contribué à la radicalisation des mouvements de gauche puis au développement d'un sentiment anti-américain très marqué dans les années 1960 et 1970. ». Nous le démontrerons beaucoup plus loin mais il faut sans doute souligner que l'intervention directe et continue des Américains alimentera des thèses idéologiques et anti-impérialistes chez les guérillas, thèses idéologiques qui furent pénétrées profondément par l'idéologie marxiste. * 29 C'est le cas au Nicaragua avec Cesar Augusto Sandino qui va animer la guérilla et va résister à la présence des marines nord-américains dans ce pays. Augustin Farabundo Martí avait été son collaborateur (Garibay 2003 : 231). Et c'est en son hommage que le Front révolutionnaire au Nicaragua, hier mouvement de guérilla et aujourd'hui parti politique, portera le nom de Front Sandiniste de libération nationale. Notre propre opinion à partir de Lemoine (1988), Garibay (2003) et Gandolfi (1989). |
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