Le Front Farabundo Marti de Libération Nationale au Salvador: 1980- 2009( Télécharger le fichier original )par Kacou Elom Jean-Michel ADOBOE Université de Lomé Togo - Maà®trise en histoire contemporaine 2010 |
3. Les conséquences de la colonisation et ses survivances
Nous pensons pour notre part que la colonisation du continent latino-américain, de par sa nature et ses institutions, a entraîné de nombreuses conséquences aux nouveaux Etats qui se constituèrent dans la logique des indépendances de ce sous-continent. Ces pays héritèrent des problèmes hérités de l'époque coloniale. La détention de vastes et riches terres voire leurs confiscations par les colons puis par leurs successeurs et héritiers furent le prélude à la constitution d'une véritable oligarchie qui va détenir l'essentiel du pouvoir entre ses mains et va s'enrichir sur le dos de la grande majorité de la population laissée à elle-même et dépourvue de terres. Cette situation conduira à une certaine instabilité politique engendrée aussi par une situation économique précaire. Tout ceci précipita l'entrée de nouveaux acteurs sur la scène politique : l'immixtion des militaires qui instaurèrent une véritable dictature et le développement de mouvements de contestations politiques et sociales alimentés par des formations révolutionnaires. 3.1. Le développement de l'aristocratie salvadorienneLa conquête de l'Amérique latine a eu aussi pour conséquence l'installation d'une aristocratie foncière. La propriété féodale qui, régnait encore en Europe au XVè siècle, fut transplantée aux Indes ; d'immenses domaines furent constitués en faveur des conquistadores et de leurs compagnons (Chaunu 1995 : 42). Dans son entrée dans l'ère contemporaine, cette région vit l'apparition d'hommes forts les « caudillos » donnant naissance au caudillisme et l'assise puis la consolidation d'une aristocratie foncière évoluant vers une véritable oligarchie. En effet, en Amérique latine, au XIXè siècle, le pouvoir local, régional voire national est bien souvent accaparé par des personnages tout-puissants (les caudillos). Ce qui va accroître le pouvoir de ces derniers c'est aussi le désordre et l'instabilité politique qui régnaient aux sorties des indépendances. Il arrivait même que dans les rivalités qui les opposaient, un caudillo réussisse à s'imposer aux autres, s'érige donc en unique et seul gouvernant du pays en installant un régime dictatorial et népotiste. Grâce à l'entretien de véritables armées privées, ils peuvent passer de la gestion d'une propriété à la domination d'une région entière. C'est le cas du dictateur dominicain Trujillo, caudillo unique qui règne sans partage sur l'île de 1930 à 1960. Par ailleurs il faut noter que par rapport à l'apparition d'une société rurale profondément inégalitaire due au régime colonial et l'anarchie qui s'en est suivi à la suite des indépendances ; les critères de valeur et de puissance du caudillo reposaient sur la possession de terres. La grande propriété - latifundio, hacienda, estancia, fazenda, fundo ou finca suivant selon les régions - était à la fois le moteur de la vie économique des pays et un modèle d'organisation sociale (Dabène 2006 : 3). Entre le caudillo ou entre le propriétaire terriens et ses travailleurs agricoles, il existait une relation basée sur le clientélisme. Cependant des groupes économiquement dominants exerçant directement le pouvoir c'est-à-dire liés aux activités d'exportation vont évoluer pour se constituer en une véritable oligarchie dominante. Les caudillos furent évincés voire intégrés dans un système de collaboration avec le pouvoir central. Au Salvador, comme nous l'avons évoqué précédemment l'indépendance ne modifia en rien le sort des populations indigènes qui restèrent soumises aux grands propriétaires terriens. Les grandes exploitations mises en place par les colons et leurs successeurs, au détriment des terrains appartenant aux communes, c'est-à-dire exploités selon un système communautaire très élaboré et ignorant la propriété privée, s'orientèrent vers la grande culture de l'indigo et du café (Erdozain et Barth 1982 : 12). Cette classe dominante, celle des grands propriétaires terriens, s'accapara le pouvoir politique et militaire. On appelle au Salvador ceux qui détiennent ce pouvoir oligarchique notamment le pouvoir économique à base agraire : les « quatorze familles » des cafetaleros (caféiculteurs). L'introduction d'un nouveau produit, le café dans le pays dans les années 1850 va contribuer à l'assise économique de ces « quatorze familles ». L'indigo qui constituait la principale source de revenus de cette nouvelle société salvadorienne fut abandonné au profit du café. Ceci est dû au fait que lorsque furent découverts les colorants chimiques, à partir de 1860, il a fallu trouver un nouveau produit de substitution exportable et rentable. C'est dans ce contexte que fut introduit le café. Pour permettre le développement de cette culture des mesures furent adoptées : « Des lois furent promulguées qui permirent l'expulsion des dernières communautés indiennes subsistantes, l'interdiction de faire paître les troupeaux sur les terres à l'abandon et firent disparaître tout ce qui restait de terres communales. » (Erdozain et Barth 1982 : 15). Ces nouvelles lois furent qualifiées de « reforme ou révolution libérale ». Conséquence un nombre important de paysans fut réduit au chômage. Ayant déjà leur police pour contraindre les paysans à travailler dans leurs plantations, les grands propriétaires créèrent également leurs propres banques pour financer leur production et investirent leurs richesses dans les appareils d'Etat (Erdozain et Barth 1982 : 15). En témoigne le tableau n°1 ci-dessous, qui montre comment ces riches propriétaires terriens étaient pour l'ensemble des caféiculteurs et avaient entre leurs mains le pouvoir au Salvador. Tableau n°1 : Salvador : quelques-unes des « quatorze familles » et leurs secteurs d'activité.
Source: Rouquié (1987:143) Au vu de ce tableau, il ressort que les quelques-unes des grandes familles qui s'accaparent le pouvoir au Salvador sont presque présentes dans tous les secteurs de l'activité économique. On peut même l'observer à travers la famille De Sola dans ledit tableau. Ceci témoigne de l'emprise sociopolitique et économique de ces familles oligarchiques au Salvador. En effet ces familles sont présentes dans presque tous les secteurs de l'activité économique et dans leur ensemble concentrent entre leurs mains l'essentiel du pouvoir économique. Cela leur a permis d'avoir une assise économique et une certaine emprise sur la vie sociopolitique au Salvador, en faisant ainsi du pays leur propriété privée pendant qu'une grande masse de la population vit dans l'extrême pauvreté et dépend totalement d'eux. C'est grâce à ce pouvoir, qu'ils prirent une part active à l'exercice des décisions dans le pays, le plus souvent épaulés par les militaires. En outre Ce fut la plupart d'un des leurs qui occupa le pouvoir suprême19(*). Par ailleurs les capitaux étrangers commencèrent à s'intéresser au café salvadorien vers 1920 ; ils sont d'abord européens, britanniques surtout, puis à la faveur de la Première Guerre Mondiale, nord-américains exposant le pays à l'impérialisme états-unien. La grande crise mondiale de 1929 atteint le Salvador : l'effondrement du prix du café empêche, en 1931, d'effectuer la récolte, unique gagne-pain pour des centaines de milliers d'ouvriers agricoles : c'est la famine. Des révoltes éclatent. Le gouvernement interdit les réunions syndicales et la circulation des écrits marxistes. Farabundo Martí est arrêté et expulsé (Erdozain et Barth 1982 : 17). En outre, sur le plan politique, les premières élections libres organisées en 1931, portaient au pouvoir Arturo Araujo. Ce dernier sans parvenir à accomplir les promesses faites aux ouvriers et paysans, doit aussi faire face à l'hostilité de l'oligarchie. Les conditions économiques précaires, les mécontentements politiques nés de la grande dépression de 1929, précipitèrent sa chute et provoquèrent l'immixtion de l'armée dans la vie politique. * 19 De 1913 à 1931 le gouvernement fut dirigé par une véritable « dynastie », celle de la famille Quinonez-Melendez. Durant cette période éclatèrent des conflits, à l'intérieur même de l'oligarchie, entre les tenants agro-exportateurs traditionnels et ceux qui s'ouvraient à l'influence nord-américaine, prônant la diversification de l'appareil de production (Erdozain et Barth 1982 : 15). |
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