Le Front Farabundo Marti de Libération Nationale au Salvador: 1980- 2009( Télécharger le fichier original )par Kacou Elom Jean-Michel ADOBOE Université de Lomé Togo - Maà®trise en histoire contemporaine 2010 |
DEUXIEME PARTIELA LUTTE ARMEE AU SALVADOR DE 1980 À 1992A partir d'octobre 1980, le Front Farabundo Martí de libération nationale vit officiellement le jour. Ce front se décidera d'agir pour mettre fin à une situation d'inégalités sociales et d'oppression du peuple. Le régime en place ne voulant pas donner réponse à leurs revendications, son action s'orientera beaucoup plus dans la lutte armée avec comme principal moyen, la technique de la guerre de guérilla, dans le souci de pouvoir réaliser les objectifs qui lui ont été assignés. De ce fait, en quoi la lutte armée engagée par le front révolutionnaire au Salvador était orientée vers la satisfaction de ses revendications de 1980 à 1992 ? Cette question trouvera sa réponse à travers deux chapitres qui feront l'objet de notre réflexion : « La guerre civile salvadorienne : des origines à l'unification du mouvement révolutionnaire » et « Le Front Farabundo Martí de libération nationale dans la lutte armée ».
Chapitre 3 : LA GUERRE CIVILE SALVADORIENNE : DES ORIGINES À L'UNIFICATION DU MOUVEMENT REVOLUTIONNAIRELes années 1980 au Salvador furent les débuts d'une nouvelle guerre civile, qui dura douze ans, guerre civile à laquelle participa le Front Farabundo Martí de libération nationale formée au cours de ces mêmes années dans le but d'atteindre ses objectifs. Quelles ont été les origines de la guerre civile qui plongea le Salvador pendant douze ans dans la lutte armée ? C'est à cette question que nous allons apporter des éléments de réponses. 1. Les causes de la guerre civileDe nombreuses raisons sont à l'origine du déclenchement par le FMLN de l'insurrection populaire prolongée qui a conduit à une véritable guerre civile. La situation politique, sociale et économique précaire accentuée par de nombreuses inégalités sociales poussèrent de nombreux milliers de salvadoriens à dénoncer les dérives gouvernementales. En effet la population vivait dans un contexte où suite à des élections frauduleuses, elle était victime des répressions, de plus les conditions sociales n'étaient pas améliorées surtout par la mise en place d'une véritable reforme agraire qui prend en compte les intérêts de tous. Tous ces aspects contribuèrent à accentuer le sentiment de mécontentement et préparait le terrain à une véritable révolte généralisée que les mouvements de guérilla n'hésiteront pas à exploiter. Les points culminants de cette situation précaire furent donc le coup d'Etat de 1979 et l'assassinat de l'archevêque de San salvador. 1.1. Le coup d'Etat de 1979 et les troubles civilsAu pouvoir depuis les années 1930, les militaires avec le concours de l'oligarchie terrienne durent recourir à de fraudes massives pour se maintenir au pouvoir lors des différents scrutins. En témoigne les élections présidentielles de 1972 et 1977, les législatives de 1972 et 1974 qui ne furent que des parodies qui envenimaient encore plus une atmosphère politique déjà dégradée. Par ailleurs les répressions dont étaient victimes les organisations populaires et le peuple salvadorien atteignirent leur point culminant. La politique de répression prend vite le dessus avec une intensité accrue : de décembre 1977 à février 1978, on dénombre 790 victimes du terrorisme d'Etat ; 126 pour le seul mois d'avril 1978 (Erdozain et Barth 1982 : 26). Ceci témoigne encore une fois le caractère répressif du régime militaire au Salvador opposé à toute forme de contestation sociale. Cette politique intense de répression du peuple entraîne des mobilisations sociales. Les grèves se multiplient, obligeant le gouvernement à faire de larges concessions. Ainsi tous les mouvements populaires se livraient à de vastes campagnes de contestation et exigèrent une démocratisation du pays. Par exemple, Le BPR occupe l'ambassade de France (mai 1979) et fait ainsi connaître au monde entier la situation du peuple salvadorien. Le gouvernement répond en faisant tirer sur des manifestants et en multipliant les incursions dans les villages : viols, incendies, assassinats (Erdozain et Barth 1982 : 26). Cependant à la crise sociopolitique qui commençait à s'installer, un élément de force majeur vient réconforter les organisations populaires et révolutionnaires dans leur lutte contre le régime dictatorial établi au Salvador. Il s'agit des effets de la révolution sandiniste au Nicaragua en 1979. La chute du dictateur Somoza au Nicaragua, le 19 juillet 1979, fut un encouragement pour tous les Salvadoriens qui ne voyaient d'issue à leur crise que dans la lutte armée (Dabène 2006 : 173). Redoutant une contagion révolutionnaire et d'origine communiste surtout dans la région ; et pour l'éviter, les Etats-Unis vont soutenir un coup d'Etat à caractère préventif qui mis fin au régime du général Romero et ouvrit la période du première junte révolutionnaire composée de civils et de militaires, le 15 octobre 1979. Pour certains auteurs en l'occurrence M. Barth, ce coup d'Etat soutenu par les Etats-Unis comme nous venons juste de le souligner, fut un coup d'Etat sérieusement préparé de longue date. Selon lui des représentants des Etats-Unis avaient effectué plusieurs voyages au Salvador en vue « de barrer la route à l'insurrection et au communisme... »44(*). Pour d'autres à l'instar d'Olivier Dabène, ce coup d'Etat, qui reçut un soutien de la part de l'Eglise catholique lança un processus de démocratisation mitigé dans le pays et suscita l'espoir de nombreuses couches de la population. L'ouverture de la junte aux parties civiles du pays notamment de l'opposition fut perçue comme un début de changement dans le pays. Les éléments modérés de l'opposition (certains d'entre-eux acceptent de faire partie de la junte ; Ramon Mayorca, recteur de l'Université Centre Américaine, Guillermo Ungo, chef du M.N.R.45(*), et Antonio Andino, chef d'entreprise), ainsi que Mgr Romero, croient tout d'abord à une évolution libérale et démocratique (Erdozain et Barth 1982 : 27). Mais il est à noter que le pouvoir réel au sein de cette junte restait aux mains des militaires conservateurs. Par rapport à cet état de fait, les attentes furent néanmoins rapidement frustrées. La « junte révolutionnaire de gouvernement » qui s'installa se trouva dans l'impossibilité d'affirmer son autorité face à une armée qui continuait à réprimer avec force toute forme de contestation sociale au nom de la lutte contre le communisme (Dabène 2006 : 173-174). Face à cette situation de répression et de pérennité d'un ordre social injuste qui accentuent les clivages sociaux et aggravent les mouvements de violences, la nécessité de procéder à une véritable réforme dans le pays s'imposait. C'est dans cet ordre d'idées que la junte révolutionnaire essaya de mettre sur pieds une reforme sociale. La junte annonce des réformes : réforme agraire46(*), nationalisation des banques et du commerce extérieur (Erdozain et Barth 1982 : 27). Mais hélas ces réformes ne purent se réaliser dans ce présent cadre et contexte. Pendant ce temps, la junte commençait à essuyer de nombreuses critiques en son sein suite à son incapacité d'asseoir les séries de reformes promises à la population. Ces critiques aboutirent à des dissensions et contradictions qui vont aller dans le sens de la désintégration et de la dissolution de la junte soixante quinze jours après sa formation. De nombreux hauts fonctionnaires et ministres menacèrent de démissionner si la situation ne s'améliorait pas. Ainsi le 26 décembre les ministres civils lancent un ultimatum aux forces armées, exigeant la destitution du ministre de la Défense, le colonel José Guillermo Garcia et la mise en pratique des reformes annoncées. Devant le refus de l'armée d'obtempérer, le gouvernement démissionne le 3 janvier 1980, à l'exception de quatre ministres. En février 1980, les membres civils de la junte se retirent, parmi eux Guillermo Ungo qui déclare : « Il n'y a aucune organisation ou parti politique, quelle que soit son idéologie, capable de présenter une alternative possible et viable de la crise que vit le Salvador. La seule alternative est celle que présentent les organisations populaires, c'est-à-dire un gouvernement qui émane directement du peuple. » (Erdozain et Barth 1982 : 29). Ainsi pense t-il que la seule solution à la crise que traverse le Salvador est la prise du pouvoir par les organisations populaires et donc par le peuple ; car ces dernières défendent les intérêts du peuple salvadorien opprimé face à une oligarchie terrienne injuste soutenue par le régime militaire répressif. Par ailleurs, après la dissolution de la première junte dite « révolutionnaire », une deuxième junte se formait, avec la participation du Parti démocrate-chrétien (PDC) de Napoleón Duarte. En effet le 3 mars 1980, le leader démocrate-chrétien Napoleón Duarte47(*), entre temps en exil au Venezuela, revient au pays et entre dans la nouvelle junte formée. Le 6 mars, la nouvelle junte militaro-civile adopte les premières mesures de la reforme agraire, mais en même temps elle décrète l'état de siège et suspend les droits civiques et les garanties constitutionnelles. L'état de siège sera régulièrement reconduit et la répression s'accroîtra, surtout dans les campagnes (Erdozain et Barth 1982 : 29). Mgr Romero qui n'avait cessé de dénoncer les méfaits du pouvoir et de l'oligarchie est assassiné le 24 mars. Son assassinat le 24 mars 1980 en pleine messe, ouvrit une période de guerre civile qui provoqua la mort de 70 000 personnes en dix ans. * 44Rapport de Vaky, secrétaire adjoint aux Affaires interaméricaines devant la commission des Affaires étrangères, 11 septembre 1979, cité par (Erdozain et Barth 1982 : 27). * 45 Mouvement nationaliste révolutionnaire est un parti socialiste démocratique. Son programme modéré refuse notamment « La dictature d'une classe sociale et la création d'un parti unique » voir « Supplemento especial : Bases ideológicas del Moviemento Nacional Revolucionario » in Orientación Popular (organe du MNR), février- mars 1987, cité par (Rouquié 1991 : 100). * 46 Elle fut décrétée le 5 mars 1980, voir Dabène (2006 : 174). * 47 Fondateur du Parti démocrate-chrétien en 1962, candidat à la présidentielle de 1972 au nom de toute l'opposition. Remportant les élections, il est arrêté, brutalisé et doit s'exiler au Venezuela. Le 13 décembre 1980, appuyé par Washington qui, pour discréditer et combattre les guérillas de gauche, a besoin d'une apparence de gouvernement modéré, Napoléon Duarte est nommé président de la République (Lemoine 1988 : 137). |
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