0. INTRODUCTION GENERALE
0.1. Point de départ
Nous vivons dans un monde qui a connu et qui connaît
encore d'énormes mutations. Point n'est besoin de rappeler les
différents progrès réalisés dans plusieurs
domaines. Le travail intellectuel et technique a conduit à de grandes
réalisations scientifiques et technologiques. L'homme, animal
raisonnable, use de sa raison pour rendre sa vie plus agréable. En
même temps qu'il fait preuve de raison, l'homme pose aussi des actes
irrationnels qui le déshumanisent. C'est pourquoi, aujourd'hui encore
dans notre monde, bien des défis restent à relever, bien des
questions demeurent sans réponses.
Des hommes, en plusieurs endroits du globe, se demandent
encore et réfléchissent sur des systèmes politiques
à mettre en place pour faciliter une répartition équitable
des biens communs. Au niveau socio-politique, les problèmes de justice,
de droits de l'homme, d'égalité, de liberté et de paix se
posent avec acuité. Ces réalités nous sont
familières. Bien sûr, pas mal de choses ont évolué
dans le bon sens ; beaucoup de solutions ont été
déjà apportées aux problèmes socio-politiques.
D'importantes réflexions ont été menées et sont
encore en train d'être menées pour juguler les crises de pouvoir.
Bien entendu, pour parler comme Eric Weil, « pour nous et aujourd'hui des
problèmes existent et le temps de la pensée n'est pas
révolu1». Voilà pourquoi nous voulons penser
notre situation, réfléchir sur nos problèmes ; car le
visage du monde actuel n'est pas aussi glorieux que d'aucuns le croient. La
solution apportée à un problème donné, engendre
d'autres problèmes, ainsi de suite. Même des questions qui
semblaient avoir été dépassées continuent à
se poser ; du moins, elles ressurgissent de façon remarquable et
attendent des réponses.
Les crises de pouvoir, nous les connaissons autant que les ont
connus nos prédécesseurs ; nous y réfléchissons,
autant qu'ils y ont réfléchi. Seulement, nos réflexions
sont enrichies par les leurs. Nous profitons de leur expérience pour
construire et faire la nôtre. De nos jours comme jadis, des hommes
ploient encore sous la domination des pouvoirs absolus arbitraires. Pour de
longues années, vivant sous des régimes totalitaires et
dictatoriaux, ils assistent, parfois impuissants, aux abus de pouvoir et
à des violations flagrantes de leurs droits les plus
élémentaires. Les valeurs telles que la justice,
l'égalité, la liberté sont foulées aux pieds dans
plusieurs coins du monde. Ceci entrave tout accès au bien
1 Eric WEIL, Philosophie Politique, Paris, Librairie
philosophique J. Vrin, 1971, p. 94.
être et refuse aux hommes tout droit à une vie
digne et descente. Voilà donc ce qui se vit aujourd'hui dans notre monde
marqué par la post-modernité.
C'est ainsi que les questions brûlantes d'hier, encore
valables aujourd'hui et de plus en plus complexes, ne peuvent nous laisser
tranquilles ; nous ne pouvons nous faire bonne conscience sans les avoir prises
en compte dans nos réflexions, sans en avoir fait nos problèmes
et nos préoccupations.
Sans aucune prétention de vouloir résoudre tous
les problèmes du monde dont les enjeux nous échappent pour la
plupart, et vu leur complexité, nous voulons jeter un regard critique
sur les abus de pouvoir qui sont, à notre humble avis, parmi les causes
majeures des misères dans le monde. C'est à juste titre que la
présente réflexion s'oriente sur ce que John Locke2
pense du droit de résistance aux abus de pouvoir. Et la
thèse fondamentale sur laquelle s'appuie cette investigation
s'énonce de la manière suivante : « Le peuple reste le juge
suprême de la façon dont les gouvernants remplissent leur mission.
Ceux-ci ne sont que des députés du peuple qui peuvent être
renvoyés s'ils faillissent à leur mission3 ».
Dès lors, il reste à savoir pourquoi les peuples ne se
lèvent pas toujours pour réclamer leurs droits à la vie,
au bien être, au bon traitement, à la liberté et à
la sécurité en cas d'abus de pouvoir. Pourquoi ne disent-ils pas
toujours non à l'oppression et à la violence ?
2 John Locke, Philosophe, humaniste et médecin anglais,
est né près de Bristol en août 1632 et est mort à
Oates en 1704. Sa famille représente bien le milieu puritain, le monde
de petits propriétaires, attachés à la loi divine et aux
droits nouveaux des entrepreneurs, qui aura raison de la monarchie absolue. Il
succède à Hobbes comme figure dominante de la philosophie
anglaise du XVIIième Siècle. Comme son
prédécesseur, Il se trouvera confronté à la crise
de pouvoir politique. Rappelons que la réflexion philosophique de Hobbes
fut alimentée, en ce siècle si troublé, par la
première révolution anglaise, dont les causes étaient le
conflit du Roi et du Parlement et la guerre civile, à partir de 1640. En
1649, le roi Charles Ier était condamné à mort et
exécuté, la République proclamée, et quelques
années plus tard, Cromwell devenait Lord Protector. Etaient alors en jeu
les questions de la survie et de la nature même de l'Etat, face au
conflit de compétence des différents pouvoirs, au bouleversement
des institutions et à la prolifération des sectes religieuses qui
opposaient la parole et la loi divine à la politique. Depuis la
Restauration, en 1660, le contexte a changé, il s'agit
maintenant, moins de fonder la légitimité de l'institution de
l'Etat et de démontrer les avantages du régime monarchique, que
de définir les droits attachés au pouvoir politique, de
réorganiser la monarchie en insistant sur le devoir du magistrat et les
normes qui doivent régir le bon fonctionnement de l'institution
publique. Au pouvoir absolu de Jacques II, successeur de Charles I, fera place
après la seconde révolution en 1688, une monarchie
constitutionnelle dont Locke sera le théoricien. Publiés en 1690
et présentés par John Locke comme une apologie de la «
glorieuse Révolution » de 1688, les Deux traités de
gouvernement Civil sont d'abord connus comme une des plus rigoureuses critiques
de la monarchie absolue dont le refus est fondé sur l'idée de la
nécessaire subordination de l'activité des gouvernants au
consentement populaire.
3 John LOCKE, Second Traité Du Gouvernement Civil,
§ 240, p. 324-325.
0.2. Problématique
C'est interpellé par des injustices graves et des abus
de pouvoir dans notre monde d'aujourd'hui que nous écrivons cet essai
consacré au droit de résistance aux abus de pouvoir dans
l'oeuvre de John Locke, le second traité du gouvernement civil.
En effet, dans ses Traités du gouvernement civil, John Locke
réfléchit sur les problèmes de la vie sociale dans la
Cité ; problèmes qui d'ailleurs se posent depuis que l'homme vit
en société. Il nous livre sa théorie issue d'une
expérience vécue sur la vie des hommes, sur la gestion de la
chose publique, sur la participation du citoyen à cette gestion. Ainsi
propose-t-il ce qui, pour lui, semble être le meilleur type de
gouvernement. Nous sommes là devant une pensée politique qui a su
brandir des valeurs nouvelles de l'époque moderne telles : la
liberté, le pouvoir du peuple, la laïcité, la
citoyenneté. Il y a une remise en question très
déclarée du pouvoir absolu.
Il ne s'agit pas pour John Locke de congédier la
royauté pour instaurer une révolution anarchique mais
plutôt, instaurer une monarchie constitutionnelle conjuguant l'exercice
du pouvoir avec des exigences de la rationalité en vue de
protéger les intérêts de tous et garantir la
propriété, en maintenant l'ordre grâce au respect des lois.
C'est un appel à la légitimité.
La société politique, née d'un «
pacte social », d'une convention où les hommes décident de
vivre ensemble et de confier leur pouvoir à un magistrat ou à un
groupe d'hommes, doit se maintenir et poursuivre le but pour lequel elle a
été créée. Cependant, les abus peuvent survenir ;
cette société politique peut perdre son harmonie ; son
unité peut être menacée si le pouvoir se détourne de
ses attributions principales pour des intérêts privés.
Ayant conçu un système politique basé sur
une séparation des pouvoirs et sur le respect des lois, John Locke
prévient les abus de pouvoir. Et si jamais ceux-ci arrivaient à
prendre place dans le chef des gouvernants, il y a moyen de faire recours au
droit de résistance pour rétablir l'ordre et garantir la
sécurité de tous. Nous comprendrons alors, avec John Locke, que
si les hommes quittent l'état de nature, c'est pour éviter
l'arbitraire dans le règlement de leurs différends et
protéger leur propriété.
Quand on considère ce qui a présidé
à la création de la société politique, le pouvoir
absolu arbitraire, loin d'apparaître une garantie contre l'état de
guerre, représente lui-même un état de guerre entre les
princes et le peuple. C'est pourquoi, la transgression par les pouvoirs publics
des limites de leur autorité constitue un acte de guerre ou de
rébellion contre
lequel le peuple peut légitimement exercer un droit de
résistance à l'oppression4. C'est de la
considération de ce droit qu'il est essentiellement question dans ce
travail.
0.3. Démarche et méthode
La problématique que s'efforce de traiter la
présente réflexion demeure actuelle, tant notre époque est
marquée par de multiples abus de pouvoir. Pour mieux développer
cette problématique, notre investigation se subdivise en quatre
chapitres.
Le premier chapitre parle de la conception du pouvoir chez
John Locke. Il apporte plus de lumière sur l'origine du pouvoir
politique pour mettre l'accent sur l'importance des lois dans la
société politique, avant d'oser affirmer que le pouvoir est une
fonction, voire une obligation à laquelle les gouvernants sont tenus,
dès le moment où ils acceptent librement de rendre le service que
leur demande le peuple.
Le deuxième chapitre nous laisse considérer avec
John Locke les abus de pouvoir. Nous parlons du pouvoir absolu
arbitraire et de ses implications dans la société politique. Il
est question de voir aussi, en cas d'abus de pouvoir, quel est le sort
réservé aux institutions politiques.
Le troisième chapitre constitue l'axe et le point
central de notre travail. Il parle du droit de résistance aux abus
de pouvoir. En effet, quand un pouvoir se détourne de ce pourquoi
il a été mis en place, il peut être accusé de
rebelle ; de là, réapparaît l'état de nature et
s'installe l'état de guerre dont ce pouvoir est l'auteur. Dans ces
circonstances, que peut faire le peuple ? John Locke dit que le peuple est en
droit de pourvoir à sa sécurité. Et pour clore ce
chapitre, les conditions de la résistance légitime seront
évoquées.
Le dernier chapitre est essentiellement une actualisation de
la lecture que nous aurons faite de la pensée de John Locke sur la
résistance populaire. Nous jetterons un regard critique sur les
abus de pouvoir et sur la résistance civile en Afrique aujourd'hui.
4 Second Traité, §§ 203-207, pp.
293-296.
Chapitre premier :
LA CONCEPTION DU POUVOIR CHEZ JOHN LOCKE
1.1. Introduction
Parler du pouvoir tel que le conçoit et le comprend
John Locke est une entreprise qui nous pousse inévitablement dans un
premier temps, à faire mention de ce qui a conduit à la formation
de la société civile et, dans un deuxième temps, à
considérer les structures mises en place pour consolider ce corps et
assurer sa prospérité. A ce niveau, il sera question de montrer
en quoi l'exercice du pouvoir se fait en fonction des lois qui, lorsqu'elles
sont respectées, garantissent l'ordre public. Finalement, nous
montrerons comment le pouvoir, pris comme fonction (comme service ) et comme
obligation, peut contribuer considérablement à la bonne marche de
la société politique.
1.2. De l'origine du pouvoir politique
1.2.1. Pourquoi la société politique ?
On peut bien se poser la question : pourquoi les hommes se
sont-ils organisés en communauté politique en quittant
l'état de nature ? La même question, John Locke la pose autrement
quand il dit :
<< Si l'homme, dans l'état de nature, est aussi
libre que j'ai dit, s'il est le Seigneur absolu de sa personne et de ses
possessions, égal au plus grand et sujet à personne ; pourquoi se
dépouille-t-il de sa liberté et de cet empire, pourquoi se
soumet-il à la domination et à l'inspection de quelque autre
pouvoir5 ? »
Sa réponse est que dans l'état de nature,
l'homme a un droit, tel que cela a été posé et
présenté ; cependant, la jouissance de ce droit est fort
incertaine et est exposée sans cesse à l'invasion d'autrui. Car,
<< tous les hommes étant rois, tous étant égaux et
la plupart peu exacts observateurs de l'équité et de la justice,
la jouissance d'un bien propre, dans cet état, est mal assurée,
et ne peut guère être tranquille6 ». Dans cet
état, chacun fait de son mieux pour se protéger et
protéger son bien contre les velléités de ceux qui
enfreignent la loi de la nature.
L'état de nature a la loi de nature, qui doit le
régler, et à laquelle chacun est obligé de se soumettre et
d'obéir. La raison est le principe régulateur. Elle enseigne
à tous les hommes,
5 Second Traité, § 236, pp. 320-321.
qu'ils sont tous égaux et indépendants ; et nul
ne doit nuire à un autre, par rapport à sa vie, à sa
santé, à sa liberté, à son bien7. Et
comme la punition en cas de violation de la loi est accordée à
tous, chacun a le droit de punir et de faire exécuter les lois. Cette
situation peut conduire à l'anarchie et au désordre par manque
d'arbitre. C'est ce qui, selon Locke, a obligé les hommes à
quitter cette condition, qui quelque libre qu'elle soit, incite à la
crainte ; les hommes y sont exposés à des perpétuels
dangers. Ce n'est donc pas sans raison qu'ils recherchent d'entrer dans la
société politique et qu'ils souhaitent se joindre à
d'autres hommes qui sont déjà unis ou qui ont dessein de s'unir
et de composer un corps, pour la conservation mutuelle de leur vie, de leur
liberté et de leurs biens ; bref, leurs
propriétés8, pour employer une expression
chère à John Locke à cet effet.
Ainsi, la plus grande et principale fin que se proposent les
hommes, lorsqu'ils s'unissent en communauté politique, est de se
soumettre à un gouvernement qui a pour mission de conserver leurs
propriétés. Ceci n'est pas tout à fait garanti dans
l'état de nature. Et pour Locke, « problématiser la
politique c'est faire de la propriété réelle un objet de
pensée. De sorte que, pour ainsi dire, la propriété est
à elle-même sa propre preuve, elle est ce qui permet de penser le
régime de l'Etat, de la société. Elle est donc pour Locke,
le concept éminent de la pensée politique et, dans le même
temps, elle devient une institution réelle, légitimée et
moralisée. Elle est le centre organisateur de la société
civile, l'origine et la fin de la vie politique : les volontés y tendent
et en procèdent9 ».
Il convient de souligner comme le dit Gérard Mairet,
commentant John Locke : « L'état de nature est un état de
manque, il y manque une loi établie, fixée et promulguée
pour tous, qui sert de norme commune, à laquelle tous les
différends qui peuvent surgir sont rapportés et
évalués10 ». De plus, un pouvoir judiciaire
reconnu fait défaut, de sorte que les passions et l'intérêt
risquent de l'emporter dans les délibérations ; comme chacun
s'institue juge et partie, au lieu de la justice, c'est la vengeance qui
règne.
Bien qu'il soit certain pour Locke que dans l'état de
nature les hommes ont tous les pouvoirs grâce à la liberté
dont ils jouissent, il demeure qu'ils ne peuvent pas en jouir effectivement.
Chacun pouvant faire ce qu'il veut, les droits et les libertés des
autres se trouvent continuellement en danger. On est par ce fait même
exposé à l'arbitraire de tous.
6 Idem.
7 Second Traité, § 6, p.145, pp. 251-252.
8 Ibid., § 237, pp. 321-322.
9 Gérard MAIRET, Les grandes oeuvres politiques,
Paris, Le livre de poche, 1993, p. 144.
10 Idem
L'organisation en communauté politique et la soumission
à un gouvernement n'ont d'autre but que de palier aux limites et
difficultés rencontrées dans la condition naturelle de
l'homme.
1.2.2. L'insatisfaction dans l'état de nature
Locke mentionne trois limites dans l'état de nature qui
rendent difficile une vie communautaire harmonieuse :
Premièrement, il y a un manque des lois
établies, connues, reçues et approuvées d'un commun
contentement qui soient comme l'étendard du droit et du tort, de la
justice et de l'injustice, et comme une commune mesure capable de terminer les
différends qui s'élèvent11.
Deuxièmement, << dans l'état de nature, il
manque un juge reconnu, qui ne soit pas partial, et qui a l'autorité de
déterminer tous les différends, conformément aux lois
établies12 ». La sévérité avec
laquelle on s'emploie à punir les infractions des autres est facilement
transformée en négligence et froideur lorsqu'on est
soi-même concerné.
Troisièmement, << dans l'état de nature,
il manque ordinairement un pouvoir qui soit capable d'appuyer et de soutenir
une sentence donnée, et de l'exécuter. Ceux qui ont commis
quelque crime emploient d'abord, lorsqu'ils peuvent, la force pour soutenir
leur injustice ; et la résistance qu'ils font rend quelque fois la
punition dangereuse, et mortelle même à ceux qui entreprennent de
la faire13 ». Comme on peut le constater, la puissance manque
souvent à l'appui de la décision. Si bien que, s'il advient
qu'une décision raisonnable soit prise, il se peut qu'elle ne puisse
être appliquée. En d'autres termes, celui qui a commis quelque
crime restera impuni tant qu'il sera plus fort que ceux qui cherchent à
faire exécuter la sanction. Ainsi, peut-on dire, l'état de nature
est un état d'impuissance14.
De ce qui précède, il appert que le
système de la vie naturelle n'est pas viable malgré tous les
privilèges qu'on peut y trouver. Les inconvénients auxquels les
hommes s'y trouvent exposés, les contraignent à chercher dans les
lois établies d'un gouvernement, un asile et la conservation de leurs
propriétés. C'est ce qui porte chacun à se défaire
de si bon coeur de son pouvoir pour le remettre entre les mains de celui qui a
été choisi et autorisé à l'exercer. Et
11 Second Traité, § 124, 237.
12 Ibid., § 125, pp. 237-238.
13 Ibid., §126, p. 238.
14 Gérard MAIRET, Les grandes oeuvres politiques,
Paris, Le livre de poche, 1993, p. 144.
voilà proprement le droit original et la source, et du
pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, aussi bien que des
sociétés et des gouvernements mêmes.
Pour assurer son passage de l'état de nature à
la société civile, l'homme se dépouille du pouvoir naturel
qu'il a de faire tout ce qu'il juge à propos pour sa propre conservation
et pour la conservation du reste des hommes, afin qu'il soit
réglé et administré par les lois de la
société ; et ces lois de la société resserrent en
plusieurs choses la liberté qu'on a par les lois de la nature. L'homme
se défait aussi du pouvoir qui consiste à punir et s'engage pour
assister et fortifier le pouvoir exécutif d'une société,
selon que ses lois le demandent.
Quand John Locke décrit l'état de nature comme
privation, dans le chapitre sur les << fins de la société
politiques15 », il veut montrer d'abord que la
société civile est issue de l'état de nature, ensuite que
les deux << états » sont radicalement différents. Dans
l'état de nature la propriété existe. C'est une
donnée de la nature, et un droit ; dans la société civile
elle se conserve. La nature instaure la propriété, la
société la restaure : c'est par la propriété que la
nature s'accomplit elle-même comme société. << Il y a
d'abord un donné qui est un droit (nature), vient ensuite un pouvoir de
préserver ce donné (société)16
».
On voit clairement, à quel point de la nature
procède le bien le plus précieux de l'homme : la
liberté. Celle-ci est un bien appartenant à l'homme par
nature. Possédant ce bien, l'homme possède aussi le droit de le
conserver. Pour ce faire, il le remet à la société pour
mieux le conserver. Puisque conserver sa propriété et sa
liberté sont des données premières existant par nature et
définissant l'homme, la société ne fera que donner force
à la série des droits naturels.
Voilà pourquoi chez John Locke, pour comprendre ce
qu'est une société civile, il faut définir l'état
de nature. Et la société civile n'est que la perfection de
l'état de nature car on ne saurait supposer que des créatures
raisonnables changent leur condition, en vu d'en avoir une plus
mauvaise17. Ainsi, peut-on dire, le passage de l'état de
nature à la société civile est nécessaire quand il
n'a pour fin que la tranquillité, la sûreté et le bien du
peuple. Cependant, il convient de souligner que << sortir de
l'état de nature n'est pas une nécessité absolue, mais
entrer dans l'état social est une garantie
supérieure18 ».
15 Second Traité, §.211, p. 298.
16 Gérard MAIRET, Les grandes oeuvres politiques,
Paris, Le livre de poche, 1993, p. 144.
17 Second Traité, pp. 239-240.
18 Gérard MAIRET, Les grandes oeuvres politiques,
Paris, Le livre de poche, 1993, p. 144.
1.3. Le pouvoir et les lois
Comme a pu le constater Simone Goyard-Fabre, << si donc
il est vrai, ainsi que l'a magistralement exposé R. Polin19,
que la politique de Locke est une << politique morale », on ne
saurait non plus en soustraire la dimension juridique20 ». Et
c'est de cette dimension juridique qu'il est question dans cette section.
La conception que John Locke a de la dimension juridique est
assez complexe parce qu'elle est née de l'interférence de
plusieurs manières de penser le concept de droit et,
corrélativement, de comprendre l'office de la juridiction21.
Ainsi peut-on établir des liens ou des rapports existant entre la
pensée de Locke sur cette question et le modèle biblique. Il
apparaît que la symbolique que l'histoire et la tradition ont
attachée à la personne des rois est l'index d'une carence
juridictionnelle22 de la condition naturelle des hommes ou de
l'état de nature. Dans la tradition historique comme la politique, il
appartient donc exclusivement au magistrat d'exercer, dans la Res publica, le
pouvoir de contrainte et le droit de punir. Tout en acceptant la
nécessité de mettre en place un pouvoir qui garantisse l'ordre
public, Locke n'approuve pas du tout la manière dont Hobbes s'y prend
quand il propose un pouvoir souverain qui loge l'absolu et
l'arbitraire dans l'essence même de l'autorité civile. << Si
donc la symbolique du pouvoir juridictionnel véhiculée par la
tradition et haussée au niveau du philosophème est belle et
majestueuse, Locke, en la recueillant, s'applique à la vider de ses
dangers potentiels23 ».
S'il faut dire ce que Locke entend par pouvoir politique, on
retiendra que pour lui, << le pouvoir politique est ce pouvoir qu'a
chaque homme dans l'état de nature, qu'on a réuni entre les mains
d'une société, et que cette société a remis
à des conducteurs qui ont été choisis, avec cette
assurance et cette condition, soit expresse ou tacite, que ce pouvoir sera
employé pour le bien du corps politique, et pour la conservation de ce
qui appartient en propre à ses membres24 ».
Comme il a été dit, seul un accord volontaire
des individus propriétaires, accord qui a pour fin la garantie de la
propriété, peut instituer la société politique ou
civile. Le pacte social,
19 Raymond POLIN, La politique morale de John LOCKE, PUF,
Paris 1960.
20 Simone GOYARD-FABRE, « Pouvoir juridictionnel et
gouvernement civil dans la philosophie politique de Locke », in Revue
Internationale de Philosophie, n°165, 2/1988, p. 193.
21 Idem, p. 193.
22 Ibid., p.199.
23 Ibid., p. 200.
24 Second Traité, § 171, pp. 271-272.
on le voit, est un contrat entre propriétaires.
<< Le pacte d'association est une figure transitoire de conservation de
propriété et qui a pour fin l'instauration du pouvoir des
propriétaires.
La société politique constituée par un
accord des individus est régie par des lois établies par le
pouvoir législatif constitué des représentants choisis par
le peuple. << La société acquiert le droit de
souveraineté ; et certaines lois sont établies et certains hommes
sont autorisés par la communauté pour les faire exécuter.
Ainsi, << ceux qui composent un seul et même corps, qui ont des
lois communes établies et des juges auxquels ils peuvent appeler, et qui
ont l'autorité de terminer les disputes et les procès, qui
peuvent être parmi eux et de punir ceux qui font tort aux autres et
commettent quelque crime ; ceux-là sont en société civile
les uns avec les autres ; mais ceux qui ne peuvent appeler de même
à aucun tribunal sur la terre, ni à aucune loi positive, sont
toujours dans l'état de nature25 ». Ayant parlé
de la société régie par des lois, cette
société peut être considérée comme
étant une association des propriétaires qui souhaitent se donner
des moyens plus efficaces, un juge, un souverain, des lois pour régler
les différends.
John Locke met un accent particulier sur les institutions qui
doivent diriger la société civile, et il établit un
rapport entre elles et les lois de la société. C'est à
elles d'élaborer les lois et de veiller à leur respect. Elles ont
le pouvoir de juger et de sanctionner. C'est ainsi que John Locke
prévoit trois pouvoirs dans un gouvernement26 :
Le pouvoir législatif élabore des lois pour le
bien public. Il règle comment les forces de la nation peuvent être
employées pour la conservation de la communauté et des ses
membres. Le pouvoir exécutif protège les lois ainsi
établies et les fait exécuter dans toute leur force. Le pouvoir
fédératif, quant à lui, gère les relations
d'amitié et d'inimitié avec les autres Etats. Il s'établit
ainsi un lien interne, une dialectique, même une
complémentarité entre les trois pouvoirs. Le premier, ne
siégeant pas en permanence, reste au niveau de l'élaboration des
lois et l'organisation de la société ; tandis que le
deuxième et le troisième exécutent et protègent ces
lois ; l'un à l'intérieur de l'Etat, l'autre au niveau externe
des relations entre les Etats.
Pour Locke, il est préférable que les deux
derniers pouvoirs soient remis entre les mains d'une seule personne ou d'un
même groupe, car lorsqu'ils se trouvent entre les mains des personnes
distinctes agissant indépendamment, les malheurs peuvent en suivre, les
forces du corps politique de l'Etat étant sous de différents
commandements.
25 Second Traité, § 87, pp. 206-207.
26 Ibid., §§. 143-145, pp. 250-252.
Un accent particulier est à mettre sur l'insistance
qu'émet John Locke concernant la stabilité des lois et la
référence à un juge commun. Il mentionne aussi
explicitement, et avec insistance, que « personne dans la
société ne peut être exempt d'en observer les
lois27 ». C'est sans doute pour éviter l'anarchie et
l'arbitraire.
Pour qu'un corps politique continue d'être tel, il
convient qu'il se meuve du côté où le pousse et
l'entraîne la plus grande force, qui est le consentement du plus grand
nombre. Et chacun est donc obligé de se conformer à ce que le
plus grand nombre conclut et résout. Cela suppose également que
ce soit des décisions raisonnables, concourant au bien de tous.
Quoi que la loi puisse avoir ses exigences et ses contraintes,
elle n'entame pas la liberté des citoyens à proprement parler.
Bien au contraire, les citoyens sont libres d'autant plus qu'ils se
réfèrent à la loi et tiennent à la respecter. Les
lois positives d'un gouvernement établi ont sans doute été
élaborées par des hommes raisonnables. Et les citoyens sont
appelés à parvenir à un certain degré de raison,
pour être capables de connaître les lois et d'en observer les
règles. Ce n'est qu'à ce prix qu'ils peuvent être
considérés comme étant des personnes
libres28.
A ce niveau, il convient de souligner que nous naissons
libres. Et John Locke trouve que « la liberté d'un homme, à
l'âge de discrétion, et la sujétion où est un
enfant, pendant un certain temps, à l'égard de son Père et
de sa Mère, s'accordent si bien, et sont si peu
incompatibles29. Encore une fois, comprenons que la liberté
est pleinement vécue dans la mesure où l'on est soumis à
une loi, à des règles de la société dans laquelle
on vit.
Les lois sont donc importantes dans la vie d'une
société et pour la consolidation de celle-ci. Elles ordonnent et
harmonisent la vie en société. Elles la rendent plus
agréable. Voilà pourquoi, on peut se réjouir d'avoir
quitté l'état de nature. Il fait beau vivre dans une
société où il y a des lois claires et un pouvoir qui les
font exécuter et respecter. Et pour mieux vivre selon l'esprit des lois,
il importe de ne pas les considérer comme venant de l`extérieur
et s'imposant à nous sans notre consentement. Si c'est le cas, elles
seront un véritable poids, difficile à porter. Quand bien
même elles semblent nous venir de l'extérieur, si elles sont
élaborées selon l'esprit de la loi de nature, selon la raison
humaine, les lois relèvent d'une certaine intériorité.
C'est en tant qu'oeuvre de la raison que les lois peuvent être
acceptées comme nécessaires pour la vie en société
et donc pour le bien de tous. Il conviendrait alors de
27 Second Traité, § 94, pp. 212-214.
28 Ibid., § 60, pp. 186-187.
29 Ibid., § 61, pp. 187-188.
les intérioriser, de les porter en soi comme des normes
nécessaires, du moment où l'on adhère à une
société politique.
Sans aucun doute, la problématique de l'institution du
Commonwealth30 inscrit John Locke dans la lignée des penseurs
politiques qui, des Monarchomaques à Rousseau ou à Kant et
à Fichte, en passant par Hobbes et Pufendorf, défendent
l'idée de contrat social. Son originalité tient moins
à sa conception du consentement au pouvoir qu'au caractère de
juridicité essentielle qu'il prête à la
société civile31. Tout en perfectionnant et en
prolongeant la société naturelle, la société civile
lui confère cette qualité qu'est la dimension juridique. Le
fondement juridique de l'état civil permet ainsi à
Locke, même s'il n'emploie pas encore l'expression, d'assimiler
l'état politique à un état de droit : il appartient en
effet exclusivement à la société civile, afin qu'elle
accomplisse sa finalité propre et respecte ainsi la prescription de la
loi de nature, d'assurer un office législateur et «
sanctionnateur32 ». Ainsi, pouvons-nous dire, qu'il n'y a pas
de vie politique possible en l'absence de l'instance positive arbitrale d'un
tribunal.
Pour des raisons d'efficience pratique que l'empirisme
pragmatique de Locke ne perd jamais de vue, il importe que l'exigence
juridictionnelle s'institutionnalise. C'est pourquoi Locke évoque
l'aménagement institutionnel des Républiques et nomme les «
trois pouvoirs » de l'Etat33.
Un statut remarquable est assigné au « pouvoir
législatif ». Cependant, Locke ne fait pas de ce pouvoir, à
l'instar de Bodin ou de Hobbes, le pouvoir de donner et de casser la loi en
quoi réside, selon ces auteurs, l'essence de la
République34. C'est sans doute parce qu'il s'est toujours
dressé contre l'arbitraire et l'absolutisme en quoi il voit, à
l'image de ce qui se passe dans l'Angleterre de son temps, le creuset de la
tyrannie, il établit un noeud serré entre pouvoir
législatif et pouvoir juridictionnel. Par sa dimension principielle et
grâce au contrôle qu'il est habilité à exercer sur
toutes les fonctions de l'Etat, le pouvoir juridictionnel arrête les
tentations du pouvoir arbitraire et absolu.
Il importe ici de retenir qu'il n'y a pas de vie politique
possible en l'absence des lois et d'un pouvoir qui, tout en étant
lui-même soumis à celles-ci, assurent leur respect en sauvegardant
la liberté, la propriété et la paix en face des menaces de
la tyrannie.
30 Ce mot est parfois traduit par République, Res publica
( Cfr. Second Traité, § 133, pp. 241-243. ).
31Second traité, §127, p. 238.
32 Ibid., § 88, pp. 207-208.
33 Ibid., §§143-145, pp. 250-252.
34 Simone GOYARD-FABRE, « Pouvoir juridictionnel et
gouvernement Civil dans la philosophie politique de Locke, in Revue
Internationale de Philosophie ( n°165, 2/1988 ), p. 206.
Les lois positives ne sont légitimes que dans la mesure
où elles s'accordent avec la loi de nature et visent à l'exprimer
de façon explicite et, par conséquent, indiscutable. John Locke
insiste beaucoup sur la présence d'un juge impartial.
1.4. Le pouvoir comme obligation et comme fonction
Pour Locke, le pouvoir sans le droit, c'est bien là le
désordre fondamental, puisqu'il constitue la négation de ce
pourquoi Dieu a donné aux hommes leurs pouvoirs35.
En passant de l'état naturel à l'état
politique, l'homme ne cesse jamais d'ailleurs de vivre dans un état
d'obligation. Mais il passe de l'obligation d'obéir à la loi de
nature dont chacun est arbitre, garant et légitime défenseur,
à l'obligation d'obéir à une loi de nature
redoublée et explicitée par l'obligation d'obéir aux lois
civiles que désormais seul le magistrat a le droit d'édicter, de
garantir et d'imposer par la contrainte. Loin de s'opposer, ces deux formes
d'obligation se concilient entre elles, puisqu'elles règnent sur des
domaines différents et puisque la loi de nature, qui est leur commune
source, oblige de surcroît les hommes, quel que soit l'état de
leur choix, à vivre en société36.
Ce passage de la société naturelle à la
société politique s'explique parfois du fait que les hommes se
sentent comme obligés de vivre au sein d'une société
civile. Il y va de leur bien, de leur protection, de leur désir de
s'accomplir sur terre. Ainsi, comme le présente Raymond Polin, c'est
comme par devoir que les hommes se mettent en société
avec d'autres. « C'est un devoir de l'homme par rapport au genre humain et
par rapport à son humanité en tant que telle ( telle que Dieu a
voulu qu'elle soit )37 . »
L'adhésion à une société politique
émane d'un choix libre ainsi que d'un consentement et d'un engagement
personnel. Et dès le moment où l'on s'est engagé librement
à vivre dans un corps politique estimant y partager le confort, la
sécurité et la paix avec d'autres, on se lie à une sorte
d'obligation. On est obligé de travailler pour la consolidation et la
prospérité de ce corps. C'est pourquoi, il importe que le
consentement à la vie politique soit exprès. « S'il
s'exprime par une déclaration explicite, le consentement entraîne
une perpétuelle et inaltérable paix, sauf au cas où l'on
s'en trouverait délié par la dissolution du corps politique ou
par quelque acte public approprié38 ». Ici, remarquons
que John Locke ne
35 Raymond POLIN, La politique morale de John LOCKE,
Paris, PUF, 1960, p. 183.
36 Idem.
37 Ibid., p. 186.
38 Second Traité, §§120-122., pp.
234-236.
demande pas une soumission sans réserves à un
pouvoir absolu et arbitraire. D'ailleurs, les restrictions qu'il apporte au
caractère éternel de l'obéissance civile le montrent fort
bien.
L'accent mis sur le consentement est très important. Ce
consentement dont il est question est bien le consentement d'un libre pouvoir ;
lui seul compte pour assurer à la société civile un
fonctionnement parfaitement légitime. Car ce consentent ne peut
être libre que s'il est raisonnable et parce que, au fur et à
mesure qu'il est éclairé par la raison, il se comprend comme
obligation et exprime la loi de nature. Naissant d'une obligation morale et
raisonnable, il se tourne de lui-même en obligation morale. C'est une
liberté qui s'engage, mais elle s'engage comme pouvoir de
liberté. Elle ne consent à s'engager que pour se sauvegarder
comme liberté.
Qu'en est-il des obligations des dirigeants ? Le pouvoir de
gouverner consiste à sauvegarder le droit et la propriété
de chacun. L'épée du souverain ne lui est pas donnée pour
défendre son seul bien, mais pour protéger le bien commun. Et
cela est une obligation pour lui.
Les liens qui assurent l'unité de la communauté
politique doivent être avant tout juridiques et moraux ; ils sont de
l'ordre du consentement, de la promesse, de l'engagement, de la confiance, en
un mot, de l'ordre de l'obligation39. Tout pouvoir, pour être
politique doit être juste. La notion de justice montre simplement le
sérieux avec lequel les gouvernants sont appelés à prendre
leur tâche comme relevant de la confiance du peuple. De ce fait
même, ils sont obligés d'être justes. Il faut respecter les
règles du jeu. C'est la seule manière de satisfaire tous ceux qui
sont engagés dans la société.
L'idée de pouvoir, telle qu'elle se développe
chez Locke, n'est jamais, ni tout à fait l'idée de quelque chose
que l'on possède, comme une faculté ou un instrument, comme
quelque chose de matériel dont on aurait la propriété, ni
tout à fait l'idée d'un système de relations entre deux ou
plusieurs hommes et qui serait susceptible de se résoudre en rapports
d'actions et de relations. Locke ramène l'idée de pouvoir
à l'idée d'une fonction qui absorberait et dépasserait les
deux idées précédentes.
C'est pourquoi, tout pouvoir comporte des lois de
fonctionnement, au double sens d'une règle constante et d'une obligation
; et cette loi fournit au pouvoir fonctionnel son expression la plus
adéquate. Le pouvoir est donc une tâche à accomplir, un
service à rendre et pour lequel on est obligé, dès lors
qu'on a accepté librement la direction et la gestion de la chose
publique. Ainsi, le pouvoir d'un homme exprime sa fonction et son obligation
par
39 Raymond POLIN, La politique morale de John LOCKE,
Paris, PUF, 1960, p.196.
rapport à d'autres hommes, mais il définit
l'homme lui-même en le situant et en marquant son rôle dans l'ordre
téléologique naturel40.
Une fonction est à son tour inséparable de la
fin qui définit son sens. Un pouvoir, en tant que fonction, est toujours
un pouvoir d'accomplir une certaine action, une certaine oeuvre, un pouvoir
pour...un pouvoir de...Tout pouvoir étant donné ou
s'établissant en vue d'atteindre une certaine fin, se trouve
défini, mais aussi limité par cette fin même. Le pouvoir
est limité pour ne pas aller au-delà de ce que sa fonction
implique ; surtout si c'est à l'encontre des fins poursuivies par la
société.
Il importe bien d'obéir à quelque loi car tout
refus de faire référence à des lois ne contribue
qu'à l'établissement du désordre, de l'anarchie qu'on a
évitée en quittant l'état de nature. En d'autres termes,
habité par le souci d'assurer sa sécurité et de vivre en
paix, on est obligé d'obéir à quelque loi raisonnable. La
notion d'obligation est donc un impératif catégorique.
Les hommes sont liés aux lois parce qu'il en va de leur
sécurité, de leur paix et de leur bien être.
En acceptant librement de vivre dans une société
politique, on est obligé de respecter ses lois et d'assumer avec
responsabilité toutes les fonctions qu'on se voit confier par la
société, pour le bien de tous. Dieu a donné aux hommes le
pouvoir de conserver leur vie, le pouvoir de s'ériger en maîtres
de la nature, le pouvoir d'assurer la paix et de protéger leur
propriété. Quiconque obéit à la loi de nature,
ensuite à la loi positive, adhère à une communauté
politique dans laquelle il assume une fonction, librement, mais par laquelle il
se sent obligé vis-à-vis de la société.
1.5. Conclusion
Chez John Locke, il importe de comprendre que la
société politique est un état de perfectionnement de
l'état de nature. C'est un passage de l'impuissance à la
puissance de la loi. D'où la promulgation des lois claires, stables et
connues de tous. Un juge commun règle les différends entre les
individus et veille au respect des lois. Une punition prévue par la loi
est infligée à ceux qui troublent l'ordre public. Tout le monde
est tenu au respect de la loi, car là où il n'y a pas de loi, il
n'y a pas de liberté puisque nul n'est à l'abri de l'arbitraire
et des violences des autres. La fin de la loi n'est pas d'abolir ou de
restreindre la liberté ; mais de la protéger et de l'orienter
raisonnablement pour le bien de tous. Et ceux à qui a été
confié
40 Raymond POLIN, op. cit., p.197.
quelque pouvoir de diriger la société civile
sont appelés à considérer cette autorité comme une
obligation vis-à-vis du peuple et une fonction à accomplir en
toute justice. Au cas où ils abuseraient de cette confiance, ils
répondraient à des accusations graves devant le peuple.
Chapitre deuxième : LES ABUS DE POUVOIR
2.1. Introduction
Là où vivent les hommes, malgré les lois
établies que tout le monde est appelé à respecter, il peut
arriver des violations graves compromettant l'avenir de la Communauté
politique. Il peut arriver qu'un Prince dirige l'Etat en fonction de ses
avantages et de ses intérêts propres, sans se
référer aux lois. L'on se demande alors : Que faut-il faire pour
éviter les abus de pouvoir ? En cas d'abus de pouvoir, que deviennent
les Institutions politiques ? Quelles sont les conséquences à
redouter pour le peuple ? Sans prétendre donner des réponses
parfaites à toutes ces questions, à la suite de John Locke, ce
chapitre tentera d'en apporter plus de lumière
2.2. Les limites du pouvoir
La structure et l'étendu du gouvernement civil
découlent de ses origines et de ses missions, qui lui assignent des
limites rigoureuses. Le résultat principal de l'institution du
gouvernement est donc de garantir la liberté, la sécurité
et la propriété des individus en les protégeant contre
l'arbitraire. Ceci n'est possible que si le gouvernement assure le règne
de la loi et non pas la domination d'un homme ou d'un groupe d'hommes. De
là, découle en premier lieu la place prééminente du
pouvoir législatif, qui est le pouvoir suprême et qui a pour
mission d'établir les règles auxquelles chacun doit obéir.
Même s'il peut être exercé par un monarque, ce pouvoir a sa
source dans la collectivité ( ou dans la majorité) puisqu'il
« représente » les hommes qui composent la
société. Pouvoir suprême, il reste néanmoins
limité : il ne peut agir que par le moyen de lois établies et
promulguées, qui ne garantissent que le bien du peuple ; il ne peut
percevoir d'impôts qui n'aient été consentis par le peuple
ou par ses représentants, il n'a « ni le droit ni la
possibilité d'aliéner la compétence en vertu de laquelle
il légifère41 ».
Subordonnés au pouvoir législatif, les pouvoirs
exécutif et fédératif ont aussi des tâches à
accomplir. Le pouvoir exécutif à faire aux individus en tant
qu'ils doivent être soumis à la loi. Et donc la tâche de ce
pouvoir est de garantir la permanence de l'exécution
41 Second Traité, § 142, pp. 249-250.
des lois. Le pouvoir fédératif quant à
lui, a la charge de la sécurité de la société dans
ses rapports avec les autres communautés ou avec les autres individus,
à l'égard de qui elle reste dans l'état de nature.
Le gouvernement civil doit donc être contenu dans les
strictes limites : il a une fonction essentiellement protectrice et il doit
respecter la liberté, l'égalité naturelle. C'est ainsi que
pour prévenir les abus de pouvoir, John Locke limite ce pouvoir. De ce
fait, le pouvoir législatif ne peut pas être absolument arbitraire
sur la vie et les biens du peuple. « Car, le pouvoir n'étant autre
chose que le pouvoir de chaque membre de la société, remis
à cette personne ou à cette assemblée qui est le
législateur, ne saurait être plus grand que celui que toutes les
différentes personnes avaient dans l'état de nature, avant qu'ils
entrassent en société, et eussent remis leur pouvoir à la
communauté qu'ils formèrent ensuite. 42»
Les limites du pouvoir s'expliquent essentiellement quand on
comprend que pour John Locke, il est incompréhensible et inadmissible
qu'un homme, ainsi qu'il a été prouvé, se soumette au
pouvoir arbitraire d'un autre. Dans l'état de nature, n'ayant point un
pouvoir absolu sur la vie, sur la liberté ou sur les possessions
d'autrui, son pouvoir s'étend seulement jusqu'où les lois de la
nature le lui permettent, pour la conservation de sa personne, et pour la
conservation du reste du genre humain. C'est ce que donne et que peut donner
cet homme à une société, et, par ce moyen au pouvoir
législatif. Ce pouvoir ne saurait alors s'étendre plus loin qu'il
ne le faille43. Il doit simplement se limiter au bien public. C'est
un pouvoir qui n'a pour fin que la conservation et par conséquent, il ne
saurait jamais avoir le droit de détruire, de rendre esclave ou
d'appauvrir le peuple.
L'autorité législatrice ou suprême n'a
point le droit d'agir par des décrets arbitraires, et formés
sur-le-champ, mais est tenu de dispenser la justice, et de décider des
droits des sujets par les lois publiées et établies, et par des
juges connus et autorisés. Contrairement à Hobbes qui pense que
pour résoudre des problèmes qui se posent fréquemment dans
l'état, il faut un pouvoir absolu et arbitraire sur les personnes et sur
leurs biens, Locke pense pour sa part qu'un pouvoir arbitraire et absolu, un
gouvernement sans lois établies et stables, ne saurait s'accorder avec
les fins de la société et du gouvernement. Ce serait se mettre
dans une condition pire que celle de l'état de nature, dans lequel on a
la liberté de défendre son droit contre les injures d'autrui, et
de se maintenir, si l'on a assez de force, contre l'invasion d'un homme ou de
plusieurs.
42 Second Traité, §. 135, pp. 246-248.
43 Idem.
Dans ce même ordre, il est à savoir que le bien
de la société seul constitue ce pourquoi le gouvernement est
constitué ou a été mis en place. Le pouvoir arbitraire ne
peut être exercé suivant le bon plaisir, mais suivant des lois
établies et connues ; en sorte que le peuple en même temps les
gouvernants, se tiennent dans de jutes bornes, et ne soient point tentés
d'employer le pouvoir qu'ils ont entre les mains, pour suivre leurs passions et
leurs intérêts, pour faire des lois inconnues et
désavantageuses à la société politique, et qu'elle
n'aurait garde d'approuver.
Une autre limite est que la suprême puissance n'a point
le droit de se saisir d'aucune partie des biens propres d'un particulier, sans
son consentement44. Ce qui engage les différentes personnes
à entrer en société politique, c'est entre autre la fin du
gouvernement qu'ils ont devant eux, à savoir, la conservation de leurs
biens propres. Ceci suppose que les biens propres du peuple doivent être
sacrés et inviolables. C'est donc une erreur flagrante que de croire que
le pouvoir d'un Etat pourra faire ce qu'il veut, et disposer des biens de ses
sujets d'une manière arbitraire ou de se saisir d'une partie de ces
biens comme il lui plaît.
C'est ainsi qu'une manière de remédier à
l'arbitraire du pouvoir législatif est de faire en sorte qu'il ne soit
pas sur pieds de manière fréquente ou permanente. Les membres
seront, après que l'assemblée a été
séparée et dissoute sujets aux lois communes de leur
pays45. Mais dans les gouvernements, où l'autorité
législative réside dans une assemblée stable, ou dans un
homme seul, comme dans les monarchies absolues, il y a toujours à
craindre que cette assemblée, ou ce monarque, ne veuille avoir des
intérêts à part et séparés de ceux de la
communauté ; et ainsi qu'il ne soit disposé à augmenter
ses richesses et son pouvoir, en prenant au peuple ce qu'il trouvera bon. Dans
ces gouvernements, les biens propres ne sont pas en sécurité.
Aussi, l'autorité ne peut pas remettre en d'autres
mains le pouvoir de faire des lois. Car cette autorité n'étant
qu'une autorité confiée par le peuple ; ceux qui l'ont
reçue n'ont pas le droit de la remettre à d'autres. Seuls ont le
droit de faire des lois, les personnes que le peuple a choisies librement ; des
gens en qui il a mis toute sa confiance, son trust.
« Et quand le peuple a dit, nous voulons être
soumis aux lois de tels hommes, et en telle manière, aucune autre
personne n'est en droit de proposer à ce peuple des lois à
observer, puisqu'il n'est tenu de se conformer qu'aux règlements faits
par ceux qu'il a choisis et autorisés pour cela.46 »
Le libéralisme de Locke trouve donc sa figure ultime et
sa dimension tragique,
lorsqu'il accepte simultanément la souveraineté et
le droit de résistance ; mais la grandeur de
44 Second traité, § 138, pp. 246-248.
45 Idem.
Locke est aussi d'avoir su intégrer ces deux logiques
apparemment antagonistes dans une théorie du gouvernement limité,
dont le but est de montrer à quelles conditions les hommes peuvent
établir un corps politique qui neutralise leurs conflits en
représentant leurs intérêts et leurs opinions et en
protégeant leurs droits47.
Telles sont les bornes et les restrictions mises en place pour
que le pouvoir donné en toute confiance par le peuple ne
dégénère pas en arbitraire et en absolutisme car, on
n'entre pas dans la société civile pour vivre sous le poids de
l'anarchie et des injustices. Les restrictions sont mises en relief pour que la
société civile se maintienne, qu'elle poursuive la fin pour
laquelle elle a été instituée afin d'éviter, autant
qu'on le pourra, des conséquences fâcheuses de l'arbitraire et de
l'absolutisme.
2.3. Le pouvoir absolu arbitraire
2.3.1. Les différentes formes de l'arbitraire
Malgré toutes les limites du pouvoir pour éviter
l'absolutisme et l'arbitraire, le risque d'en arriver à ce qui est
redouté demeure. En effet, Il peut arriver que des hommes au pouvoir
agissent contrairement à ce que leur demande leur nature rationnelle ;
et cela malgré toutes les limites du pouvoir. En d'autres termes,
là où il y a des hommes la tyrannie, l'arbitraire ou l'absolu
sont toujours possibles malgré les lois mises en place.
Pour considérer les déviations
communément appelées abus de pouvoir, John Locke montre
combien ils se manifestent dans un Etat sous diverses formes.
Ainsi, la « tyrannie est l'usage d'un pouvoir dont on est
revêtu, mais qu'on exerce, non pour le bien et l'avantage de ceux qui y
sont soumis, mais pour son avantage propre et particulier, et celui-là
poursuit Locke, quelque titre qu'on lui donne, et quelques belles raisons qu'on
allègue, est véritablement tyran, qui propose, non des lois, mais
sa volonté pour règle, et dont les ordres et les actions ne
tendent pas à conserver ce qui appartient en propre à ceux qui
sont sous sa domination, mais à satisfaire son ambition
particulière, sa vengeance, son avarice, ou quelque autre passion
déréglée48 ».
D'où, peut s'établir une différence nette
entre un roi juste et un tyran. Cette différence
John Locke la donne quand il fait intervenir le Roi Jacques Ier
dans son discours au Parlement en 1603. Il parle en ces termes :
« Je préférerais toujours, en faisant de
bonnes lois et des constitutions utiles, le bien public et l'avantage de
tout l'Etat, à mes avantages propres et intérêts
particuliers ; persuadé que je ne suis que l'avantage et le bien de
l'Etat est mon plus grand avantage
46 Ibid., §. 141, pp. 250.
47 Philippe RAYMOND et Stéphane RIALS, « LOCKE John
», in Dictionnaire de philosophie politique, Paris, PUF, 1996, p.
355.
48 Second Traité, § 199, p. 290.
et ma félicité temporelle, et que c'est en ce
point qu'un Roi légitime diffère entièrement d'un tyran.
En effet, il est certain que le principal et le plus grand point de
différence qu'il y a entre un Roi juste, et un tyran et un usurpateur,
consiste en ce qu'au lieu qu'un tyran, superbe ambitieux s'imagine que son
royaume et son peuple sont uniquement faits pour satisfaire ses désirs
et ses appétits déréglés, un Roi juste et
équitable se regarde, au contraire, comme établi pour faire en
sorte que son peuple jouisse tranquillement de ses biens, et de ce qui lui
appartient en propre49 >>.
Le même Roi, dans le discours qu'il prononcera en 1609,
s'exprimera de la manière qui suit :
<< Le Roi s'oblige lui-même, par un double
serment, à observer les lois fondamentales de son royaume : l'un est
serment tacite, qu'il fait en qualité de Roi, et par la nature de sa
dignité, qui l'engage, et bien étroitement, protéger et
son peuple et les lois du royaume, l'autre est un serment exprès qu'il
prête, le jour de son couronnement. De sorte que tout Roi juste, dans un
royaume fondé, est obligé d'observer la paction (Le
pacte ou la convention ) que Dieu fit avec Noé après le
déluge. Désormais, le temps de semer et le temps de moissonner,
le froid et le chaud, l'été et l'hiver, le jour et la nuit, ne
cesseront point, pendant que la terre demeurera. Un Roi donc qui tient les
rênes du gouvernement dans un royaume formé, cesse d'être
Roi, et devient tyran dès qu'il cesse, dans son gouvernement, d'agir
conformément aux lois50 >>.
Dans le même discours, Jacques Ier ajoute :
<< Ainsi, tous les Rois qui ne sont pas tyrans ou
parjures, seront bien aises de se contenir dans les limites de leurs lois ; et
ceux qui leur persuadent le contraire, sont des vipères et une peste
fatale, tant au regard des Rois eux-mêmes, qu'au regard de l'Etat
51>>.
En lisant ce discours, nous avons pu ressortir la
différence que le Roi Jacques Ier fait entre un Roi juste et un tyran.
Quoi qu'il en soit, il faut entendre par abus de pouvoir le fait que les
gouvernants ne fassent pas comme il se doit leur travail ou abandonnent
carrément le travail pour lequel ils ont été élus
par la population.
Pour décrire les fonctions de l'Etat, Locke recourt
à la notion anglaise de trust, qui signifie chez lui que le
lien entre le peuple et les pouvoirs publics n'est pas un contrat,
mais une mission de confiance ou une charge que le peuple confie à ceux
qui le représentent. Le pouvoir politique, fondé sur un trust
reste soumis à l'obligation de réaliser des fins qu'il ne
détermine pas lui-même, mais, dans la mesure où le peuple
le délègue aux gouvernants, ces derniers ne sont pas de simples
exécutants de la volonté populaire. Et les abus commence quand le
peuple n'a plus le contrôle du pouvoir et que le pouvoir abuse de la
confiance du
49 Second Traité, §. 200, pp.290-291.
50 Idem.
51 Idem.
peuple. C'est bien là le début de l'arbitraire,
quand la référence aux lois fait défaut du
côté de l'autorité.
Le mot arbitraire, pris souvent dans un sens
péjoratif, désigne toute décision ou volonté
apparaissant comme capricieuse et non fondée en raison. Il qualifie ce
qui dépend d'une décision purement individuelle et implique
l'intervention d'un << bon plaisir » et non d'une raison
universellement valable. Cet arbitraire peut se manifester quand il s'agit
d'une tyrannie ou d'un pouvoir despotique. A entendre par pouvoir despotique,
tout pouvoir absolu et arbitraire qu'un homme a sur un autre de lui ôter
la vie quand bon lui semble. Ce pouvoir n'est pas un don de la nature, car elle
n'a pas établi cette discrimination entre les hommes ; son attribution
n'est pas l'effet d'un contrat, car l'homme ne saurait donner à autrui
ce pouvoir arbitraire sur sa propre vie, ne l'ayant pas lui-même, il
résulte exclusivement de la déchéance du droit de vivre
qui frappe l'agresseur quand celui-ci entre en guerre contre quelqu'un
d'autre52.
Le pouvoir despotique est à distinguer de la tyrannie
chez Locke. Ce n'est pas un pouvoir naturel. Car, celui-ci prône
l'égalité entre les hommes. Les circonstances qui peuvent
normalement conduire à l'instauration d'un pouvoir despotique sont
celles de la guerre. En effet, pour Locke, si un homme se met en état de
guerre et s'il est vaincu, il n'a pas droit à la vie. Il doit être
considéré comme une bête parce qu'il agit contre la loi
naturelle. Ainsi sur cet homme, on doit exercer un pouvoir despotique qui est,
en réalité, un état de guerre continué. Un
pouvoir despotique n'est pas un pouvoir de convention, c'est-à-dire un
pouvoir qui fait l'unanimité du peuple par le fait du consentement
donné. Toutefois, il cesse d'être lorsqu'il y a accord
exprès entre le prisonnier de la guerre et le vainqueur. Car, l'accord
devient une sorte de consentement donné, ayant pour but la connaissance
d'une autorité dès lors choisie implicitement.
2.3.2. La prérogative et ses dangers
Pour Locke, dans la société politique, le
pouvoir législatif << n'est pas toujours sur pieds » parce
que << l'assemblée de ce pouvoir est d'ordinaire trop nombreuse et
trop lente à dépêcher les affaires qui demandent une
prompte exécution53. Aussi faut-il noter que ce pouvoir ne
prévoit, ni ne pourvoit à tous les accidents et
nécessités qui peuvent survenir ou qui peuvent aller à
l'encontre des lois. C'est la raison pour laquelle le peuple, pour son bien
le
52 Second traité, § 172, pp. 272-273.
53 Ibid., § 160, 263-264.
plus grand, accorde au pouvoir exécutif un autre
pouvoir supplémentaire appelé la prérogative. Celle-ci est
à exercer dans la confiance du peuple avec prudence et
discrétion.
Pour Locke, la prérogative est un pouvoir
discrétionnaire que le peuple accorde au prince -en tant qu'il
détient le pouvoir exécutif - d'agir en cas de
nécessité sans prescrire les lois ou d'agir même contre les
lois lorsque le bien de la nation tout entière l'exige. Autrement dit,
c'est un pouvoir qui permet au prince d'agir au nom du salut public dans des
circonstances imprévisibles et nées du hasard,
c'est-à-dire des circonstances non prévues par des lois
positives. Si la prérogative est accordée au prince, c'est parce
que ses intérêts ne diffèrent pas de ceux du
peuple54.
Les abus de pouvoir peuvent résulter de la
prérogative, car celle-ci comporte beaucoup de danger. En
exerçant la prérogative un pouvoir peut d'un moment à
l'autre verser dans l'arbitraire. Et pourtant quand John Locke parle de la
prérogative, son souci majeur est de bâtir une
société qui repose fondamentalement sur la justice, la raison,
les lois établies pour sauvegarder l'humanité de l'anarchie et de
l'arbitraire. Toutefois, ceci ne se réalise qu'avec la présence
d'un gouvernement considéré comme lieu où chaque individu
en renonçant à sa force brute, peut se réaliser
pleinement. Le gouvernement se charge donc d'établir des lois justes
afin d'éviter toute dégénérescence de la
communauté.
C'est pourquoi la prérogative telle que Locke la
conçoit, ne peut être confiée à n'importe qui. C'est
parce qu'elle peut facilement être changée en un instrument
d'oppression et d'asservissement pour le peuple. Elle peut devenir un pouvoir
arbitraire et un droit de faire de choses préjudiciables au peuple.
C'est ce qui explique d'ailleurs selon Locke, qu'en Angleterre, « la
prérogative a toujours crû entre les mains des plus sages et des
meilleurs princes, parce que le peuple remarquait que toutes leurs actions ne
tendaient qu'au bien public55 ». En d'autres termes, la
prérogative est à confier aux hommes raisonnables et
sensés dont le seul souci est de servir l'intérêt de la
nation tout entière.
Si la prérogative est déviée ou
détournée de son objectif premier qui est le bien du peuple, il
s'ensuit une pure dictature ou une monarchie absolue qui est bien
évidemment source des désordres et des malheurs du peuple ; car
la liberté est opprimée et le bien public n'est plus la fin du
gouvernement. Dans de telles circonstances, il est bon de légitimer le
droit de résistance pour que le peuple se rende justice, parce que le
prince se rebelle et lui déclare la guerre.
54 Second Traité, § 163, pp. 265-266.
55 Ibid.,§ 166, pp. 267-268.
2.4. L'arbitraire et ses conséquences
Le pouvoir arbitraire absolu, loin d'apparaître comme
une garantie contre l'état de guerre, représente en fait
lui-même un état de guerre entre les princes et le peuple. C'est
pourquoi, la transgression par les pouvoirs publics des limites de leur
autorité constitue un acte de guerre ou de rébellion contre
lequel peut légitimement s'exercer un droit de résistance
à l'oppression.
<< Le plaidoyer pour l'état de droit que propose
Locke, en réfutant, dans le premier traité, le patriarcalisme de
Filmer et en soulignant, dans le second traité, les dangers de
l'absolutisme, est une réponse à la fois aux
événements de la doctrine et à la déraison de
l'histoire. Les sociétés humaines, généralement
sorties de la nécessité tout empirique qui a scindé la
communitas originaire en une pluralité de république, se
débattent le plus souvent, rappelle Locke en s'appuyant sur un contrat
historique, avec l'esclavage, la conquête, l'usurpation ou la tyrannie.
Parce que les hommes ne savent pas écouter la voix de la raison
raisonnable qui leur découvrirait la visée
téléologique de la loi de nature, ils installent de
pseudo-gouvernements qui, ne répondait pas aux requêtes juridiques
de l'état civil, les livrent à l'empire de la violence et de
l'injustice56. »
Quand le pouvoir se détourne de ses attributions
premières, une de plus grandes conséquences est que le peuple
devient esclave de ce pouvoir puisqu'il vit sous l'oppression. Il est alors
à souligner que l'esclavage qui naît de la guerre, de la
conquête ou de la tyrannie n'est, ici ou là, que le prolongement
de l'état de guerre avec lequel il est en parfaite
connaturalité57. Les hommes sont installés hors le
droit, ils perdent leur liberté ; << cette liberté par
laquelle l'on est point assujetti à un pouvoir arbitraire et absolu est
si nécessaire, et est unie si étroitement avec la conservation de
l'homme, qu'elle n'en peut être séparée que par ce qui
détruit en même temps la conservation de sa vie58. En
fait, le seul but du pouvoir absolu est précisément d'arracher de
force à l'individu sa propre liberté et de la livrer à une
exploitation immédiate et illimitée.
C'est aussi un état de non-droit qui s'installe
là où le règne de l'arbitraire et de l'absolu prend
racine. Rappelons que << là où finit le droit, commence la
tyrannie59 ». Ceci signifie la victoire de la force sur la
justice et sur la légalité. C'est une situation inconfortable et
insupportable pour le peuple car, le non-droit prend le dessus sur tout ce qui
peut concourir
56 Simone GOYARD-FABRE, « Pouvoir juridictionnel et
gouvernement Civil dans la philosophie politique de Locke », in Revue
Internationale de Philosophie, n°165, 2/1988, p. 209.
57 Second Traité, §§ 22-24, pp.
159-162.
58 Ibid.,§ 16o, pp. 263-264.
59 Ibid., § 202, pp. 292-293.
au bien de la Cité. Puisque les gouvernants font autre
chose que ce qu'ils sont sensés faire, le peuple quant à lui est
tout à fait déçu parce qu'il se voit
dépouillé de tous ses droits.
L'arbitraire ayant mis les gens dans une situation
inacceptable, non souhaitée, il s'ensuit une altération des
pouvoirs législatifs, exécutif et fédératif. C'est
dû au fait qu'il y a une rupture du pacte fondateur et abus de confiance.
Les hommes sont renvoyés à l'état de nature
pré-contractuel et anté-juridique ; ils n'ont
plus qu'à « en appeler au ciel ». Il y a comme
réapparition de l'état de nature.
En effet, la condition politique est annulée ; la
société civile n'existe plus. Par conséquent, les hommes
recouvrent leur droit de nature et, avec lui, leur liberté primordiale :
ils sont à nouveau, eux-mêmes pour eux-mêmes,
défenseurs et exécuteurs de leur droit de nature et,
déliés de toute obligation civique envers un gouvernement qui
n'existe plus, ils sont disponibles pour un nouveau trust et une
nouvelle législature60. Il y a une dissolution de la
légitimité dans la société politique ; il y a
dissolution des gouvernements61. Et une distinction reste
à faire chez John Locke, entre la dissolution de la
société et celle du gouvernement. Les lignes qui suivent
apportent plus de lumière sur cette question.
Une société est dissoute à l'invasion
d'une force étrangère qui subjugue ceux qui se trouvent unis en
société. Dans ce cas, chacun reprend sa liberté et
pourvoit seul à sa sécurité, comme il juge à
propos, en entrant dans quelque autre société. Et quand une
société est dissoute, il en est de même pour son
gouvernement.
Cette dissolution peut arriver lorsque la puissance
législative est altérée puisqu'elle est l'âme
de tout le corps politique. L'union d'une société consiste
à n'avoir qu'une même volonté et un même esprit. Et
c'est le pouvoir législatif qui est l'interprète et le gardien de
cette volonté et de cet esprit. L'établissement du pouvoir
législatif est le premier et fondamental acte de la
société, par lequel on a pourvu à la continuation de
l'union de tous les membres, sous la direction de certaines personnes, et des
lois faites par ces personnes que le peuple a revêtues
d'autorité.
Le pourvoir législatif est aussi altéré
lorsque le Prince empêche que les membres du corps législatif
s'assemblent quand il faut et agissent avec liberté. Ceci détruit
l'autorité législative et met fin au gouvernement. Quand le
Prince change par son pouvoir arbitraire ceux qui élisent les membres de
l'assemblée législative, le pouvoir législatif est aussi
changé. Lorsque le peuple est livré et assujetti à une
puissance étrangère, soit par le Prince, soit par
l'assemblée législative, le pouvoir législatif est aussi
changé et le gouvernement est dissout.
60 Second Traité, § 149, pp. 253-254.
Le gouvernement peut aussi se dissoudre. Premièrement,
quand celui qui a le pouvoir suprême et exécutif néglige ou
abandonne son emploi. Dans ce cas, les lois ne sont pas mises en
exécution ; c'est le désordre, l'anarchie. Deuxièmement
quand le pouvoir législatif ou le Prince agit d'une manière
contraire à la confiance qu'on avait mise en lui, et au pouvoir qui lui
avait été commis.
Ce qui a été dit au sujet du pouvoir
législatif vaut aussi pour le pouvoir exécutif qui a deux
avantages très considérables : avoir sa part dans
l'autorité législative, et faire souverainement exécuter
les lois. De ce fait, ce pouvoir se rend doublement coupable lorsqu'il
entreprend de substituer sa volonté arbitraire à son
crédit. Quand il corrompt les membres de l'assemblée
représentative.
Et toute personne investie d'une autorité qui
excède le pouvoir que la loi donne et qui se sert de la force soumise
à son commandement pour accomplir, aux dépens des sujets, des
actes illégaux, cesse par-là même d'être un magistrat
et, comme elle agit sans pouvoir, on a le droit de lui résister comme
à n'importe quel homme qui porte atteinte aux droits d'un autre par la
force.
2.5. Conclusion
Après ce long périple dans un domaine aussi
complexe que celui des abus de pouvoir, retenons que John Locke
s'érige en un de grands détracteurs de l'arbitraire et de
l'absolutisme. Il dénonce les abus et fait de son mieux pour limiter le
pouvoir des dirigeants afin d'éviter une situation qui serait
chaotique.
Nous avons sans doute compris que ce n'est pas louable, moins
encore digne pour une société que d'être sous une
autorité absolue et arbitraire. Car un tel pouvoir avilit et
déshumanise l'homme ; il compromet la paix et la sécurité
qui doivent régner dans la société civile. Pour John
Locke, si les choses en arrivait là, malgré toutes les limites du
pouvoir, le peuple a le droit d'opposer une résistance légitime.
En effet, c'est au lendemain de la Glorieuse Révolution de
1688, que John Locke composa ses pages retentissantes consacrées au
droit de résistance qu'il place à la fin de son second
traité politique. Il convient alors de considérer de plus
près, dans le chapitre qui suit, ce qu'il entend par droit de
résistance.
Chapitre troisième :
DU DROIT DE RESISTANCE
3.1. Introduction
Comme nous avons eu à le dire
précédemment, il peut arriver qu'un gouvernement abuse de la
confiance du peuple. Et pour ne pas se laisser anéantir, que peut faire
le peuple ? Il est invité à résister, dit John Locke. En
développant cette question du droit de résistance, nous allons
considérer comment l'état de guerre réapparaît et
élit domicile dans une cité régie par l'arbitraire et
l'absolutisme. Quand bien même doit-on résister, comment le faire
? Une opposition au pouvoir peut-elle être légitime ? Telles sont
les questions auxquelles ce chapitre tentera aussi de répondre.
3.2. Réapparition de l'état de guerre
Dans la théorie de Locke, le droit de résistance
découle de la notion d'état de guerre. L'état de guerre
quant à lui, est le résultat historique d'actions humaines
particulières. Il est produit par ces actions, que celles-ci soient
accomplies dans l'état de nature ou dans le cadre d'une
société moderne. Dans les deux cas, cet état peut
survenir. Nous allons d'abord développer la conception de l'état
de guerre afin de parler avec plus de précision du droit de
résistance tant défendu par Locke.
L'état de guerre est déclenché par
l'utilisation de la force. Ainsi, la violence d'une personne à
l'égard d'un autre produit l'état de guerre, dans une
circonstance où il n'y a sur la terre nul supérieur commun,
à qui l'on puisse en appeler. Pour signifier et qualifier cet
état de guerre, John Locke, dans son Second traité du
gouvernement civil parle de la force et de la violence. Ce sont des termes
qui apparaissent tout au long de l'ouvrage pour désigner les instruments
de rupture de la paix dans l'état de nature et de dissolution de la
légitimité dans la société politique62.
L'état de guerre s'installe quand il y a une violence injuste et
soudaine. C'est donc l'emploi de la force illégitimement, et lui seul,
qui place un homme, dans l'état de guerre.
Considérons la manière dont l'état de guerre
s'installe dans l'état de nature. Il faut souligner qu'au départ,
l'état de guerre, selon Locke, est un état d'inimitié et
de destruction.
62 Second Traité, §. 19, pp. 156-157.
« Celui qui déclare à un autre, soit par
paroles, soit par actions, qu'il en veut à sa vie, doit faire cette
déclaration, non avec passion et précipitamment, mais avec un
esprit tranquille : et alors cette déclaration met celui qui l'a fait,
dans l'état de guerre avec celui à qui il l'a faite. En cet
état, la vie du premier est exposée, et peut-être ravie par
le pouvoir de l'autre, ou de quiconque voudra se joindre à lui pour le
défendre et épouser sa querelle : étant juste et
raisonnable que j'aie droit de détruire ce qui me menace de destruction
; car, par les lois fondamentales de la nature, l'homme étant
obligé de se conserver lui-même, autant qu'il est possible ;
lorsque tous ne peuvent pas être conservés, la sûreté
de l'innocent doit être préférée, et un homme peut
en détruire un autre qui lui fait la guerre, ou qui lui donne à
connaître son inimitié et la résolution qu'il a prise de le
perdre : tout de même que je puis tuer un lion ou un loup, parce qu'ils
ne sont pas soumis aux abus de la raison, et n'ont d'autres règles que
celles de la force et de violence. On peut donc traiter comme des bêtes
féroces ces gens dangereux, qui ne manqueraient point de nous
détruire et de nous perdre, si nous tombions en leur
pouvoir63.»
Ce long passage qui commence le chapitre troisième du
Second traité du gouvernement civil consacré à
l'état de guerre, aide à tirer la conséquence selon
laquelle, quiconque tâche d'avoir un autre en son pouvoir absolu, se met
par-là dans l'état de guerre avec lui. Et quand un pouvoir aussi
absolu et arbitraire s'impose sur les hommes dans l'état de nature comme
dans la société civile, on ne peut que constater que son moyen
propre est la force, la violence physique ; aussi entre lui et le reste de
l'espèce humaine, la seule relation qui existe ne peut être que la
guerre. Ce qui prévaut en ce moment là, c'est le désir de
soumettre l'autre à son pouvoir, de le placer sous sa domination sans
son consentement. Cependant, personne ne peut désirer avoir son proche
en son pouvoir absolu, que dans le but de le contraindre par la force à
ce qui est contraire au droit de sa liberté.
Or, la liberté est ce qu'il y a de plus important, ce
dont tout homme vivant selon la loi de nature devrait jouir. Personne n'a le
droit de porter atteinte à la liberté et à la vie d'autrui
sans raison valable. Les droits à la vie et à la liberté
sont indéniables et donnent tout le reste. Quiconque veut s'en emparer
et les ravir à un autre, doit être considéré comme
établit dans l'état de guerre avec ses prochains.
Ce qui vient d'être dit aide à poser qu'un homme,
dans l'état de nature est autorisé de se défendre
légitiment pour sa conservation. Et quiconque introduit l'état de
guerre s'expose à un traitement semblable à celui qu'il a
résolu de faire subir à un autre, et risque sa vie64.
« Quand la violence illégitime perturbe la paix qui est de rigueur
dans l'état de nature, chacun se dresse à bon droit contre
l'agresseur, non pas en raison de l'universalité de la menace du point
de vue du droit naturel, mais parce que l'agresseur a attenté à
l'unité biblique de la
63 Second Traité, §. 16, pp. 154-155.
64 Ibid., § 18, p. 156.
famille tribale et qu'il porte par conséquent la marque
de Caïn65 >>. L'état de nature, s'il est
respecté, préserve la paix et la << sécurité
>> des hommes. Partout où des délits enfreignent cet ordre,
la possibilité s'offre à tous les hommes de prendre des mesures
pour restaurer son intégrité66.
Pour éviter l'état de guerre, où l'on ne
peut avoir recours qu'au ciel, les hommes ont formé des
sociétés politiques, et ont quitté l'état de nature
: il y a une autorité ayant un pouvoir sur terre et auquel on peut faire
appel en cas des différends. C'est ainsi que John Locke marque la fin de
l'état de guerre qui a surgi dans l'état de nature.
Cependant, dans la société politique,
l'état de guerre peut aussi réapparaître. Et cet aspect,
John Locke le prend en compte ; il a prévu cette possibilité. Il
sait que le pouvoir, c'est de la violence potentielle : << plus
élevé est ce pouvoir plus grande est la violence
67>>. Ayant fait l'expérience des structures de
domination sociale de la société dans laquelle il a vécu,
il rejette les abus avec une intensité remarquable. Même dans une
société politique, il est tout à fait possible que le
charme vienne à être rompu ; des structures stables, qui offrent
une protection si rassurante, peuvent devenir un danger mortel. Le droit qui
est la barricade qui protège la paix d'une société
politique et procure la certitude peut être violé. Le bien
être et la liberté peuvent se changer en angoisse et en
assujettissement, auxquels ils s'opposent, suite à une violation du
droit.
Un individu ne doit pas en principe reconnaître la
légitimité du pouvoir absolu qui est au-dessus de lui, que ce
soit dans l'état de nature ou dans une société politique.
Au cas contraire, c'est ses droits juridiques, non sa force physique, qu'il
perd. L'utilisation de la force pour créer pareille dépendance,
quelles que soient les intentions réelles de celui qui l'exerce, peut
être interprétée comme l'ultime exploitation possible de ce
pouvoir simplement en vertu du fait qu'il s'agit d'un rejet de la loi de
nature68. Même dans la société politique, qui
est le remède apporté aux imperfections de l'état de
nature, un tel usage de la force, en l'absence d'un tribunal disponible
auprès duquel la victime d'une agression puisse effectivement recourir
pour son soulagement laisse le droit de guerre contre un agresseur à la
disposition de tous les hommes69. Quand il y a quelque injustice qui
se fait jour dans le chef des juges, il est mal aisé d'envisager ces
déviations et ce désordre autrement que comme un état de
guerre. Si
65 John DUNN, La pensée politique de John Locke,
Paris, PUF, 1991, p. 176.
66 Second Traité, §. 7, p. 146.
67 John DUNN, La pensée politique de John Locke,
Paris, PUF, 1991, p. 175.
68 Second Traité, §. 18, p. 156.
69 Ibid., §. 20, pp. 157-158.
on n'agit pas de bonne foi, on fait la guerre à ceux qui
souffrent. Le seul exercice de la force maintient l'état de guerre dans
la société politique.
3.3. Le pouvoir du peuple de pourvoir à sa
sécurité
3.3.1. Le droit d'opposition dans l'histoire
Quand l'état de guerre s'installe dans une
société politique parce que les gouvernants ont abusé de
leur pouvoir, et de la confiance du peuple, le peuple pour sa part, a le
pouvoir de pourvoir à sa sécurité. En mettant en
évidence le caractère illégitime des
velléités du pouvoir, John Locke ruine les prétentions des
autorités, en rendant aux citoyens le droit de résister
désormais aux actions illégales dont elles se rendent
coupables.
La résistance signifie chez John Locke une condamnation
expresse de l'absolutisme et de l'arbitraire ; une possibilité est
donnée au peuple de reprendre ses droits primordiaux, quand le pouvoir
ou le prince n'assure plus le devoir qui lui avait été
confié par le peuple. En d'autres termes, il s'agit de faire un effort
contre l'usage de la force pour s'opposer à ce qui menace la
liberté. Dans ce sens, résistance peut être
assimilée à révolution et à
opposition. Pour ce qui est de la révolution, elle
consiste, dans le lexique politologue, dans le passage, d'ordinaire brusque et
violent, d'un régime à un autre, passage qui peut aller du coup
d'Etat à la guerre et qui a toujours le pouvoir étatique pour
enjeu central. C'est la fondation d'un temps nouveau. Non pas un retour au
point d'origine, pour la reprise éventuelle d'un cours connu, toujours
le même, mais rupture radicale avec le cours ancien et institution d'un
cours qualitativement autre.
En réalité, le droit d'opposition ne vient pas
de John Locke. C'est un héritage complexe des siècles. Il a une
histoire longue et trouble qui remonte bien au-delà. C'est en jalonnant
le cours des siècles de quelques repères qu'il est possible de
saisir le sens de l'évolution de la conscience politique des citoyens et
la conscience que les hommes ont prise, au fil des temps, du droit d'opposition
ou de résistance70.
Dans l'antiquité grecque déjà,
l'émergence des idées démocratiques va à l'encontre
des éléments conservateurs qui dominaient encore la cité.
Alors qu'Athènes apparaît en pleine expansion, un nombre croissant
d'Athéniens est en mesure de s'intéresser à la vie
publique et les démocrates se montrent de plus en plus actifs.
Cette expansion d'Athènes se retourne donc contre le
pouvoir, une maladroite opération punitive contre les Messéniens
à l'appel des Spartiates fournit l'occasion d'un règlement de
comptes. Cimon qui régnait sur Athènes, rendu responsable d'une
humiliation d'Athènes, est ostracisé en 461. Ses amis
aristocrates sont discrédités par divers scandales. Contre eux
s'élèvent le rigide Ephialte, adversaire décidé de
l'Aréopage, que l'on fera disparaître dans des conditions mal
éclaircies, et Périclès, passe comme lui au parti du
peuple : Athènes va se confier à lui pour les trente brillantes
années de son existence et c'est ce qui vaudra à la
période le nom de Siècle Périclès71.
C'est à l'aube des temps modernes, alors que se sont
formés les jeunes Etats d'Europe, que la conscience politique exprime
ses premières revendications. Les pamphlets vigoureux des monarchomaques
mettent le tyran en accusation. Ce n'est certes pas la première fois que
se développe la critique de la tyrannie. Mais c'est la première
fois que l'on conclut nettement de la critique de ce régime
dégénéré à la légitimité de
l'oppression des citoyens et la nécessité de l'organiser.
Même si, en ce temps là, Luther est réticent et
considère que l'opposition du peuple à son prince est une injure
à Dieu, même si la Boétie, critiquant le tyran, n'accepte
pas que << le branle » lui soit donné pour le renverser, les
monarchomaques huguenots rompent cette réserve, essentiellement parce
qu'ils assignent au pouvoir politique un fondement contractuel.
Tant que le pouvoir politique est fondé en Dieu,
l'idée d'une résistance à l'Etat est inconcevable : un
Etat théocratique ne peut tolérer d'opposition,
c'est-à-dire de limitation à sa puissance, laquelle serait une
offense à Dieu lui-même. En revanche, lorsque les théories
constractualistes sécularisent le pouvoir, les rois ne sont que la
contrepartie de leurs devoirs. En conséquence, tout manquement à
ces devoirs rompt le pacte qui les unit aux gouvernés. Ceux-ci sont donc
fondés à se révolter chaque fois que le prince n'assure
pas ses devoirs royaux. L'opposition est donc légitimée. Elle est
dans la logique même du contrat. Ainsi justifiée, elle peut
prendre des formes plus ou moins graves ou violentes ; elle peut être
aussi rébellion et insurrection ; elle peut aller jusqu'au meurtre du
roi-tyran. Mais, en tout état de cause, c'est une erreur de croire que
cette opposition est le paramètre d'une révolution
démocratique. Elle s'inscrit dans une perspective de logique politique
qui sous-tend une conception anthropocentrique du pouvoir.
Malgré le renversement spectaculaire qu'introduit dans
la doctrine politique la notion de contrat social, le << droit
d'opposition » devait se heurter, à l'attaque classique, à
de très
fortes réticences qui sont parfois des refus
catégoriques. Tandis que Hobbes admet un seul cas de
désobéissance aux ordres des souverains législateurs celui
où l'individu recevrait le commandement de se mutiler ou de se tuer,
Grotius admet bien, au nom du droit naturel, le refus d'obéissance
à un roi qui se déclare ouvertement ennemi de tout son peuple ;
mais il découvre à ce droit, une série d'exceptions si
nombreuses qu'il avoue par là ses hésitations et son embarras
devant ce problème.
3.3.2. L'apport de John Locke
Il appartient à Locke d'avoir au lendemain de la
Glorieuse Révolution de 1688. posé la question du droit
d'opposition en termes incisifs et parfaitement clairs. A la question de savoir
si la résistance est légitime, il répond en disant que
dans les cas où l'illégalité commise frappe non pas des
personnes privées, mais la majorité du peuple, elle constitue
pour l'avenir une menace : alors, l'opposition est légitime.
Un appel en bonne et due forme à la révolution
est lancé : « chaque fois que les législateurs tentent de
saisir et de détruire les biens du peuple, dans ce cas, les
législateurs se mettent en guerre avec le peuple qui en ce moment est
exempt d'obéissance. Le peuple a le droit de reprendre sa liberté
originaire et établir une nouvelle autorité législative
72>>. Le peuple peut retirer son pouvoir pour le remettre
à celui qui pourra assurer sa sécurité.
Il est essentiel de noter que c'est à l'ensemble des
citoyens que John Locke confie, en ultime instance, le droit de faire appliquer
la loi, bafouée par l'arbitraire royal. C'est la raison pour laquelle,
il a établi sur des bases solides le droit de résister à
l'arbitraire d'en haut. Il veut à cet effet ruiner l'idée
filmérienne73 de droit absolu de
propriété privée, tel qu'il se manifeste dans toutes
sortes de relations sociales à l'intérieur de la
société. Contre cette idée génératrice, elle
aussi, de rapports d'esclavage, Locke fait valoir que chaque être humain
possède, en tant que créature de Dieu, un droit naturel de «
créance >> sur la vie, sur la liberté et sur les biens
nécessaires à la conservation. Ces droits inaliénables
privent de toute valeur morale le pouvoir absolu des seigneurs et
propriétaires terriens despotiques sur les serviteurs réduits
à la condition servile, et dépouillés de toute
espèce de propriété74.
Un tel pouvoir, au sein de la société politique,
est nul au regard de la loi parce que le souverain est tenu à la
création des droits-civils qui reflètent aussi fidèlement
que possible les
pp. 154-155.
72 Second Traité, §222, pp. 305-308.
73 Ce mot vient du nom de Filmer que John Locke a longuement
attaqué dans le premier traité du gouvernement civil.
trois droits inaliénables que possède tout
être humain, à savoir : la vie, la liberté et la
propriété.
La révolution constitue donc le moyen ultime de
défense contre l'oppression d'un pouvoir absolu d'un membre de la
société sur un autre, pouvoir qui du fait qu'il
méconnaît les droits des serviteurs, est incomparable avec
l'idée même de société politique75. Ou
encore pourrait-on dire, <<le droit de révolution est le dernier
rempart de l'Etat de droit et de toute société politique
constituée conformément à la loi
naturelle76.
3.4. Les conditions de la résistance
légitime
John Locke accorde au peuple le droit de résister quand
ses droits sont bafoués et que cela comporte des conséquences
graves pour l'avenir de la société politique. Mais il faut
toujours remarquer qu'il n'admet ce droit d'opposition pour le peuple que s'il
s'agit de défendre une loi ou un droit ; jamais le seul
mécontentement ne saurait le justifier. En outre, ce droit d'opposition
ne saurait devenir, une clause continuelle, car l'opposition ne peut se fonder
que dans la loi de nature. John Locke tâche de définir le cadre
dans lequel le droit d'opposition peut s'exercer légitimement. Ainsi se
penchant sur la question, il la pose en ces termes :
<< Quoi, dira-t-on, on peut donc s'opposer aux
commandements et aux ordres d'un Prince ? On peut lui résister toutes
les fois qu'on se croira maltraité, et qu'on s'imaginera qu'il n'a pas
droit de faire ce qu'il fait ? S'il était permis d'en user de la sorte,
toutes les sociétés seraient bientôt renversées et
détruites ; et, au lieu de voir
quelque gouvernement et quelque ordre, on ne verrait qu'anarchie
et confusion.
Je réponds qu'on ne doit opposer la force qu'à
la force injuste et illégitime, et à la violence ; que quiconque
résiste dans quelque autre cas, s'attire une juste condamnation, tant de
la part de Dieu que de la part des hommes ; et qu'il ne s'ensuit point que
toutes les fois qu'on s'opposera aux entreprises d'un Souverain, il en doive
résister des malheurs et de confusion. 77»
Quand l'état de guerre commence à la suite des
abus de pouvoir, en pratique, cela ne peut entraîner la dissolution du
gouvernement qu'à condition que le gouvernement persiste quelque temps
dans cette voie. Pour John Locke, ce n'est pas tout de suite qu'on doit
résister et renverser le Prince. De ce point de vue, il faut comprendre
aussi l'importance de ne pas troubler le gouvernement pour des sujets de peu
d'importance. Et surtout si ce dont il est
74 James TULLY, Locke. Droit naturel et
propriété, Paris, PUF, 1992, p.242.
75 Second Traité, § 174, p. 273.
76 James TULLY, Locke. Droit naturel et
propriété, Paris, PUF, 1992, p.242.
77 Second Traité, §§ 203-204, pp.
292-293.
question ne regarde que quelques particuliers. Le droit de
résister ne troublera pas le gouvernement de manière
intempestive, ni sans raison grave. On ne peut donc pas aussi facilement
inciter le peuple à se soustraire à l'autorité d'un
gouvernement pour des raisons pas du tout graves. Car il n'y a pas de quoi se
révolter quand << des actions vicieuses commises par le
gouvernement ne détruisent pas la nature morale de la communauté
politique dans son entier. Elles ne suppriment pas non plus la totalité
des obligations auxquelles un individu est soumis par son appartenance à
une communauté78 ».
Si le procédé injuste du Prince ou du Magistrat
s'est étendu sur un plus grand nombre de membres de la
société et a attaqué le corps du peuple ; ou si
l'injustice et l'oppression ne sont tombées que sur peu de personnes,
mais à l'égard de certaines choses qui sont de la dernière
conséquence, on ne peut dire que ces victimes ne peuvent résister
à une force si illicite dont on use contre elles79.
Quand bien même il peut être nécessaire
d'user de son droit d'opposition, John Locke précise que cela ne doit
pas se transformer en un règlement de comptes. Il s'agit de repousser
une violence présente et non de tirer vengeance d'une violence
passée. A ce niveau, il y a comme une invitation à la prudence et
au discernement. On se demandera alors si dans tel ou tel autre cas une
résistance s'impose. Serait-ce pour le plus grand bien du peuple ? Loin
d'être annulé, l'usage du droit de résistance est restreint
pour des raisons de responsabilité morale.
John Locke veut éviter à tout prix un
désordre social que semble favoriser l'acceptation de la théorie
normative qu'il embrasse. C'est ce qu'exprime John Dunn quand il dit :
<< La fréquence de la résistance
légitime dépend seulement de celle avec laquelle les
gouvernements informent effectivement leurs sujets de leurs intentions
malfaisantes. Quand elle se produit, la forme de la résistance
dépend de la forme d'organisation sociale caractéristique de la
société et du degré de désorganisation causé
par le mauvais comportement des gouvernants. 80»
Si la résistance n'est pas bien menée,
l'anarchie est à redouter. Car, selon Simone Goyard-Fabre, << les
actes de l'anarchiste sont des crimes, totalement étrangers au droit
d'opposition. Motivés par un désir de vengeance ou par une
vindicte passionnelle, les actes
78 John DUNN, La pensée politique de John Locke,
Paris, PUF, 1991, p. 187.
79 Second Traité, §§. 209, p. 277.
80 John DUNN, La pensée politique de John Locke,
Paris, PUF, 1991, p. 190.
déments de l'anarchiste sont, malgré leurs
prétentions, des actes infra-politiques en quoi la bestialité
domine l'humanité au point de l'abolir81 ».
Le droit de résistance n'est donc pas singulier ; il
est exclusivement celui de la communauté civile, c'est-à-dire,
d'un peuple souverain qui est un corps politique doté d'une
volonté unique82.
Mais alors, une critique peut être faite à Locke.
Pourquoi fait-il dépendre la forme de gouvernement et l'autorité
suprême de l'opinion inconstante et de l'humeur incertaine du peuple ?
Ayant prévu une telle objection, premièrement, il reconnaît
qu'il est vrai, cette hypothèse peut produire des fréquentes
rebellions. Cependant, il soutient qu'un peuple généralement
maltraité contre tout droit ne laissera pas passer une occasion dans
laquelle il peut se délivrer de ses misères83.
Deuxièmement, les révolutions n'arrivent pas dans des Etats pour
de légères fautes commises. Il ne faut donc pas s'étonner
que le peuple se soulève quand il a enduré tant de
maux84. Troisièmement, le pouvoir que le peuple a de pourvoir
de nouveau à sa sûreté, en établissant une nouvelle
puissance législative, quand ses législateurs ont
administré le gouvernement d'une manière contraire à leurs
engagements, est le plus fort rempart qu'on puisse opposer à la
rébellion et le meilleur moyen dont on soit capable de se servir pour la
prévenir et y remédier85.
La rébellion chez John Locke est une action
par laquelle on s'oppose, non aux personnes, mais à l'autorité
qui est fondée uniquement sur les constitutions et les lois du
gouvernement, tous ceux, quels qu'ils soient, qui, par force, enfreignent ces
lois et justifient, par force, la violation de ces lois inviolables, sont
véritablement des rebelles. Avec ces violations s'installe l'état
de guerre86.
S'il arrive un malheur dans la résistance aux
injustices, John Locke souligne qu'il est à imputer non à ceux
qui ne font que défendre leurs droits, mais à ceux qui
envahissent ce qui appartient à leurs prochains. Le bien public, la
conservation de ce qui appartient en propre au peuple et l'avantage de la
société doit être la véritable fin du
gouvernement87.
Il est à savoir que quiconque, soit Prince, ou sujet,
envahit les droits de son peuple ou de son Prince, et donne lieu au
renversement de la forme d'un gouvernement juste, se rend
81 Simone GOYARD-FABRE, « Pouvoir juridictionnel et
gouvernement civil dans la philosophie politique de John LOCKE », in
Revue Internationale de Philosophie ( 2/1988 - n°165 ) , p.211.
82 Simone GOYARD-FABRE, art. cité, p. 211.
83 Second Traité, § 224, pp. 308-309.
84 Ibid., § 225, pp. 309-310.
85 Ibid., § 226, pp. 310-311.
86 Ibid., § 227, pp. 311-312.
87 Ibid., § 230, pp. 313-315.
coupable d'un des plus grands crimes qu'on puisse commettre et
est responsable de tous les malheurs, de tout le sang répandu, de toutes
les rapines, de tous les désordres qui détruisent un gouvernement
et désolent un pays. Tous ceux qui sont coupables d'une si terrible
conséquence, doivent être regardés comme les ennemis du
genre humain, comme une peste fatale aux Etats, et être traités de
la manière qu'ils méritent.
3.5. Conclusion
Ce troisième chapitre nous a sans doute aidés
à comprendre combien il a été grand, l'apport de John
Locke dans la prise de conscience du droit de résistance. Ce droit qui
existait déjà, John Locke l'a pris pour son compte. La crise de
pouvoir de son temps lui a permis de mettre en place une théorie du
gouvernement civil dont la fin serait de protéger les individus et leur
propriété grâce au respect des lois par tous. Voilà
ce qui explique la légitimation du droit d'opposition en cas d'abus de
confiance et de violation des lois de la part des autorités.
Chapitre quatrième :
LA DESOBEISSANCE CIVILE AUJOURD'HUI
4.1. Introduction
Comment expliquer le passage du concept de résistance
dont parle John Locke à l'expression désobéissance
civile ? Il faut dire que les réflexions faites par John Locke sur
le gouvernement et les abus de pouvoir nous ont fort interpellés ; elles
nous ont renvoyés à ce qui se vit dans le monde actuel. Ainsi, en
ce nous concerne, réfléchir sur ce qui nous préoccupe et
nous touche de plus près s'inscrirait pas en dehors des limites du
présent travail.
Dans ce chapitre, nous parlerons de la résistance
civile telle que vécue présentement. Nous en parlerons en
termes de désobéissance civile. Mais avant d'en arriver
là, la question des abus de pouvoir sera évoquée. A cet
effet, nous prendrons l'Afrique d'après les indépendances
à nos jours comme modèle illustratif.
4.2. La floraison des tyrans : cas de l'Afrique
Malgré tous les progrès réalisés
par les sciences politiques, de nos jours, il est étonnant de constater
que les abus de pouvoir continuent à se manifester. Même si de
plus en plus, les peuples prennent conscience de leurs droits, jusqu'à
les revendiquer, il est un fait : des régimes totalitaires persistent
sous diverses formes et continuent à terroriser et à opprimer.
Pour les jeunes Etats d'Afrique, c'est depuis les indépendances que
nombre d'entre eux n'ont presque jamais connu de stabilité politique.
En effet, la période d'après les
indépendances en Afrique a été fortement marquée
par des régimes absolus et totalitaires qui se sont
succédés. Jusqu'aujourd'hui d'ailleurs, des conséquences
sont en train d'être tirées. Ces dernières décennies
sont fortement marquées par de fortes turbulences car, ce n'est pas en
si peu de temps qu'une démocratie peut s'enraciner dans des
sociétés qui n'ont connu que la dictature. C'est un travail de
longue haleine : des structures à changer, des mentalités
à changer, des peuples à former à la culture
démocratique...Il faut l'avouer, qu'ils ne sont pas nombreux, des pays
africains qui ont su surmonter les crises de pouvoir pour arriver à des
compromis politiques viables pour envisager un avenir meilleur.
En regardant l'Afrique aujourd'hui, la situation qui s'offre
à notre observation laisse encore à désirer :
d'innombrables abus de pouvoir sont commis chaque jour. C'est ainsi que notre
souci est de révéler dans ses lignes de faîte et dans ses
traits majeurs, l'image d'ensemble des politiques d'Afrique surtout celle de
l'Afrique noire. Qu'est-ce qui en a généré et en
génère aujourd'hui encore la face pathologique ?
Ngoma-Binda a raison quand il écrit: <<
Née d'une impatience sans doute légitimement inquiète, la
logique politique d'Afrique noire était dés le départ
condamnée à la déficience de par la naïveté
originelle des ambitions administratives des ravisseurs du pouvoir et aussi de
par les mécanismes logiquement inévitables qu'ils étaient
obligés de mettre en route pour le conserver88 ».
Déjà après les indépendances
l'Afrique était mal partie. Devenus responsables de manière
prématurée, les Africains n'ont pas pu s'y prendre avec
lucidité. La catastrophe économique, sociale et culturelle de
l'Afrique actuelle n'est que le résultat parfait, la mesure exacte de la
défaite d'une gestion politique tournée vers la force,
l'arbitraire contre la sagesse, la raison, le discernement, la patience, la
justice, le dialogue et la recherche sincère et démocratique de
voies de salut d'une communauté nationale. Avec un pouvoir ainsi
basé sur la force, on ne peut que tirer des conséquences criantes
: misères, extrême pauvreté, sousdéveloppement...Ces
conséquences trouvent de plus amples explications quand on analyse de
plus près avec Ngoma-Binda89le mode d'accession au pouvoir. A
cet effet, trois éléments essentiels apparaissent à
l'observation de la scène politique africaine :
Premièrement, il y a le désir fulgurant et comme
imprévisible de se porter soi-même au pouvoir dans la
volonté d'opérer le changement d'une situation que l'on imagine
irrémédiablement catastrophique sans sa sainte intervention. Des
interventions militaires dans la politique relèvent initialement d'un
désir, a priori sincère, de sauver une situation sociale,
économique et politique. Ce désir répond à ce que
Ngoma-Binda appelle le complexe du militaire.
<< On se croit compétent en matière de
gouvernement des nations parce qu'on se sait
physiquement fort, tout comme si le degré d'intelligence
d'un individu était directement proportionnel au volume total de ses
muscles.90 »
88 Elie NGOMA-BINDA, « La logique du pouvoir politique en
Afrique noire. Lecture sociologique de l'avènement des dictatures et
partis uniques », in Eglises et démocratisation en Afrique,
Actes de la Dix-neuvième Semaine Théologique de Kinshasa (du
21 au 27 novembre 1993 ), FCK, 1994, p. 64.
89 Idem.
90 Ibid., p. 65.
L'intervention des militaires en politique était une
réponse agressive à une série de troubles au sein de la
classe politique et de situations frustrantes. Les régimes civils ont
été jugés faibles, incapables d'assurer l'ordre, la
tranquillité et la paix sociale que les efforts de développement
économique des nations exigent. Les rivalités au sein de la
classe politique sont à comprendre comme une absence de culture
politique, même de tradition démocratique. Les ambitions et les
rivalités ethniques constituent aussi le fait le fait majeur qui
engendre toutes les secousses politiques de l'Afrique noire post-coloniale. Les
volontés de pouvoir sont mues par le lien de consanguinité. Ce
fait explique une masse d'événements et de
phénomènes traduisant des manquements et d'actes d'abus de
pouvoir graves. C'était donc une erreur pour le pouvoir politique que de
favoriser entre les différents groupes ethniques des
déséquilibres sociaux, culturels, économiques et
politiques sécrétés par des séries variées
de pratiques injustes et discriminatoires installées par le
régime colonial et efficacement reconduites et
régénérées par la logique politique
post-coloniale91.
Ayant fait irruption dans la scène politique, les
militaires ont choisi d'imposer des solutions à la militaire. Ils ont
fini par prendre du goût au pouvoir jusqu'à vouloir s'y maintenir
à jamais. Voulant rester au pouvoir afin de gonfler leurs portefeuilles,
les chefs militaires ont transformé le pouvoir en un véritable
instrument d'oppression et d'exploitation. C'est précisément de
cette manière que nos nations ont été conduites
progressivement à la dérive.
Deuxièmement, considérons l'accession au pouvoir
par des coups d'Etat. Sur cette question, Ngoma-Binda souligne que les
rivalités politiques dont nous avons fait mention
précédemment, « aiguisées par la racine ethnique
écorchée dans son amour-propre et dans sa volonté de
survie, ont fourni le prétexte de la pratique des coups d'Etat
militaires, vite devenue comme un jeu régulier, récréatif,
rêve frivole de bien des officiers voire des soldats non gradés,
dans une manifestation délirante d'une pathologie politique en instance
critique92 ».
Dans leur volonté de puissance, les hommes d'armes ont
usé de leur force pour s'emparer du pouvoir qu'ils ont utilisé,
par après, à leur guise, devenant eux-mêmes des facteurs de
confusions politiques. Du jour au lendemain, il y a une succession effroyable
des coups d'État. Parce que mécontent, un militaire renverse son
prédécesseur, ainsi de suite... Tous ces affrontements n'engagent
pas toujours le peuple. C'est simplement parfois à cause
91 Elie NGOMA-BINDA, art. cité, p. 70.
92 Ibid., p. 71.
de ce que John Locke a précisément appelé
des « affaires de peu d'importance », c'est-à-dire, des
affaires qui ne nécessitent pas le renversement du gouvernement.
Troisièmement, « dans cette implacable logique qui
préside à l'accession au pouvoir, l'atmosphère
psychologique de peur est inévitable : la peur d'une revanche, en
principe tout au moins impitoyable, des ethnies et parents d'homme politiques
frustré, destitués, massacrés93 ».
Après avoir renversé un pouvoir, le nouveau
pouvoir en place est fiévreusement préoccupé, à
l'intérieur comme à l'extérieur, par le choix des
dispositifs de sécurité chaque jour plus nombreux, plus
variés et plus efficaces. Ceci se fait dans la peur de se voir
détrôné, dégradé et
dépossédé, sinon de devoir mourir assassiné, toute
sa famille avec soi, comme on l'a cyniquement fait pour les autres. On vit donc
dans la peur la plus totale. Chaque nouveau coup d'Etat dans un pays voisin, et
même dans un pays lointain, ravive les craintes dans les esprits. Et
puisqu'on fait un mauvais usage du pouvoir, il y a aussi la crainte de
l'abandonner pour être poursuivi plus tard et comparaître devant un
tribunal. On est en fin de compte conduit à rechercher et à
installer des mécanismes pour mettre hors d'état de nuire toutes
oppositions. On s'érige alors président à
vie94. Ainsi se fait, presque automatiquement, la suppression de la
démocratie dans son principe d'alternance du pouvoir. Et pourtant, les
chefs d'Etat lucides devaient comprendre vite que l'exercice trop long du
pouvoir ennuie celui qui le détient et ceux qui le subissent.
A l'ère moderne, c'est une sagesse que de
résister à la tentation d'assimiler le pouvoir au pouvoir
héréditaire ou absolu. « Cette conception du pouvoir est
dépassée. Le temps des monarchies ou des tyrannies est
révolu. Le leader intelligent et à l'esprit moderne ne restera
pas indéfiniment au pouvoir. Il sait que la relève est
inévitable puisque nul n'est indispensable. Il rejette l'idée
après moi le déluge. Sensible aux aspirations
démocratiques des populations, il respecte le droit des autres qui
aspirent au pouvoir.95 » Nous défendons ce principe,
même s'il va à l'encontre d'un courant de pensée fort
répandu en Afrique et selon lequel le pouvoir, en tant que don ce la
Providence tolère mal d'être partagé ou
abandonné96.
Reconnaissons alors des cas, certes rares, des chefs d'Etat
qui ont pu quitter le pouvoir sans aller en prison. A cet effet, les cas de
Senghor au Sénégal, de Nyerere en Tanzanie
93 Elie NGOMA-BINDA, art. cité, p. 75.
94 A ce niveau, il y a lieu de penser au président Mobutu
qui aurait dit que de son vivant, il ne pouvait jamais être appelé
ex-président.
95 Lansiné KABA, Lettre à un ami sur la
politique et le bon usage du pouvoir, Paris, Présence Africaine, p.
101.
96 Idem.
parlent d'eux-mêmes. Quelques volontés de
démocratie et de paix ont été aussi exprimées par
la tenue des conférences nationales. Mais à quoi ont-elles
abouties ? Les violations n'ont pas tardé de venir aussitôt
après ces forums de réconciliation. Il fallait recommencer
à zéro tout le processus démocratique déjà
entamé.
Aujourd'hui encore, l'Afrique vit dans la peur de voir se
perpétrer des tragédies qui compromettent son avenir. Les
faiseurs de coups de force font de promesses de libération, de
démocratie dans des discours pathétiques, porteurs
d'idéologies révolutionnaires, mobilisatrices et euphoriques.
Sauf pour quelques exceptions, ces promesses ont souvent été le
point de départ des dictatures.
<< La promesse de démocratie trop sonore est la
voie qui prépare à la dictature97 ». Dès
qu'il s'installe au sommet du pouvoir, le dictateur entend y rester.
S'étant présenté au début comme un fin
démocrate, il se dépouille de son masque de démocrate et
de révolutionnaire pour dévoiler son vrai visage : celui de
tyran. Pour asseoir le pouvoir le tyran met en place certains
mécanismes. Quatre mécanismes fondamentaux sont relevés
par Ngoma-Binda :
<< 1°La création des partis politiques
uniques, 2° la mise sur pied des polices politiques sécrètes
chargées d'action impitoyable contre les opposants, 3° la
confection des idéologies politiques et méthodes d'action
administratives populistes ayant pour rôle de légitimer la gestion
du pouvoir par la flatterie des réminiscences et nostalgies culturelles
des masses et de se faire accepter à travers l'exigence
surévaluée de l'unité nationaliste, et 4° la double
stratégie machiavélique d'embourgeoisement des frères et
alliés d'une part, propriétaires bénéficiaires du
régime, et de paupérisation sévère des
intellectuels, fonctionnaires, travailleurs et paysans d'autre
part.98 »
De ce qui précède, il découle des
conséquences très malheureuses. Les libertés
démocratiques, collectives et individuelles sont écrasées.
Le parti unique oriente les volontés politiques, les enferme dans ses
idéologies soit disant soucieuses de garantir l'unité et
écarter les résurgences des haines et luttes tribales. Ayant
éliminé l'opposition, la logique politique unitariste ignore le
bénéfice du pouvoir contradictoire et a développé
l'autoritarisme qui a dégradé l'exercice du pouvoir et
empêché la nation de s'orienter vers les véritables voies
de développement.
Après avoir eu quelques pressions de l'intérieur
ou de l'extérieur, certains anciens dictateurs ont fait semblant de
s'ouvrir au courant démocratique en prononçant des discours qui
ont semblé changer leur ancien système politique fondamentalement
basé sur la domination. Ils ont osé libéraliser l'exercice
des activités politiques en autorisant la création
97 Elie NGOMA-BINDA, art. cité, p. 77.
98 Ibid., p. 78.
des partis politiques autres que le parti unique. L'annonce de
la tenue des élections libres et démocratiques a
été même faite. Et pourtant, pour la plupart de ces Chefs
d'Etat, ce n'était qu'une nouvelle manière d'effectuer un retour
en force au pouvoir après un trucage à ces dites élections
en leur faveur. On va donc d'abus en abus, la situation semble loin de
s'améliorer.
Ce tableau qui dépeint les abus de pouvoir et les
violations de droits des citoyens en Afrique noire donne à penser. Pour
notre part, comme John Locke, nous pensons à la résistance
civile. La question qui s'impose à notre réflexion est celle de
savoir dans quelle mesure ce droit de résistance peut-il nous être
utile aujourd'hui. Est-ce une réalité concrète aujourd'hui
?
4.3. La résistance aujourd'hui
4.3.1. La légalisation du droit de
résistance
De John Locke à nos jours, le droit de
résistance a beaucoup évolué. Si pour lui la
résistance au pouvoir trouve son bien-fondé non pas dans le
mécontentement des individus, fussent-ils nombreux, mais dans les
menaces qui pèsent sur l'ordre public, cela vaut aussi pour nous
aujourd'hui. Même si ce droit n'a pas changé en substance, il est
mieux compris aujourd'hui, il est de plus en plus légalisé. La
proclamation des droits universels de l'homme a entre autre consacré le
droit à la liberté au service de quoi se met l'opposition. La
légalisation des mouvements d'opposition distingue les
sociétés d'antan de celles d'aujourd'hui. Des textes
reconnaissent ce droit d'opposition puisque ; c'est un droit de citoyen. C'est
ainsi que la liberté de la presse, la liberté de réunion
et de manifestation, la critique des médias, la grève,
l'objection de conscience... sont devenues peu à peu des expressions
légales du droit d'opposition.
Ce droit de résister à des lois qui
relèvent de l'arbitraire a été appelé par certains
auteurs « la désobéissance civile ». On doit cette
expression à Henri-David Thoreau qui, au milieu du XIXième
Siècle, refusa de payer ses impôts, pour protester contre la
guerre que son pays menait au Mexique99. Il y a une
désintégration des systèmes politiques dont
l'érosion progressive de l'autorité gouvernementale constitue le
symptôme le plus frappant et la cause de cette érosion est
l'inaptitude des rouages gouvernementaux à s'acquitter de leur fonction,
c'est ce qui conduit d'ailleurs les citoyens à douter de leur
légitimité.
Dans les démocraties modernes, la
désobéissance civile a sans doute un rôle de plus en plus
important. L'opposition peut-être considérée comme un
moteur du fonctionnement des
institutions. Les dirigeants sont remis à l'ordre.
C'est un véritable garde-fou à l'arbitraire du pouvoir. C'est une
résistance qui s'adresse à l'illégalité.
La désobéissance civile peut être
violente. Outre la violence, la non-violence est en général
considérée comme une autre caractéristique
nécessaire de la désobéissance civile. Il résulte
en que la désobéissance civile n'est pas la révolution.
« Celui qui fait acte de désobéissance civile accepte les
cadres de l'autorité établie et la légitimité
d'ensemble du système juridique existant, alors que le
révolutionnaire le rejette.100 » Pour notre part, nous
privilégions l'option non-violente de la désobéissance
civile parce qu'elle assure l'institution de la liberté et qu'elle se
déploie sans la prétention d'ouvrir la voie à la guerre
civile. C'est ainsi que la désobéissance civile est plus
rattachée aux méthodes de l'action non violente. Comme les autres
formes de luttes non-violentes, la désobéissance civile repose
sur le principe que l'obéissance à la loi engage la
responsabilité du citoyen, et qu'il porte donc une part de l'injustice
dès lors qu'il obéit à une loi injuste101. En
effet, si l'injustice s'installe dans une société donnée,
le peuple est totalement dans ses droits quand il désobéit
à une loi injuste.
« En somme, la désobéissance civile
naît, elle aussi, de ce constat : je ne suis pas seulement responsable de
ce que je fais mais aussi de ce que je laisse faire. En ce sens, le fondement
de la désobéissance civile est la contestation de la «
légalité », dés lors que celles-ci cautionne une loi
injuste.102 »
N'étant pas qu'une contestation pure, la
désobéissance civile invite et appelle les autorités
à modifier la loi injuste. Cette désobéissance civile
n'est pas de l'anarchie : elle ne vient pas miner la démocratie de
l'intérieur. Mais au contraire, elle implique le respect de la loi.
C'est ainsi qu'à ce propos, Martin Luther King n'hésitait pas
à déclarer : « Je prétends qu'un individu qui
enfreint une loi parce que sa conscience lui dit qu'elle est injuste, et qui
accepte de bon gré la pénalité en restant en prison pour
réveiller la conscience de la communauté sur cette injustice,
exprime de fait le plus grand respect pour la loi103 ».
De John Locke, nous avons appris que l'Etat incarne
l'aspiration des hommes à se donner une instance commune
représentant leur volonté collective et structurant leur
communauté. Cet Etat est l'expression d'un droit à une existence
libre et autonome. Et la désobéissance civile quant à
elle, rappelle juste ces aspirations des hommes quand elles ne
99 Jacques SEMELIN, Pour sortir de la violence, Paris, Les
Editions ouvrières, 1983, p. 91.
100 Hannah ARENDT, Du mensonge à la violence,
Paris, Pocket, 1994, p. 78.
101 Jacques SEMELIN, Pour sortir de la violence, Paris,
Les Editions ouvrières, 1983, p. 92.
102 Idem.
103 Martin Luther King, cité par Jacques SEMELIN, Pour
sortir de la violence, Paris, Les Editions ouvrières, 1983, p.
92.
sont pas prises en compte. Les peuples résistent contre
l'exploitation et l'annihilation de toute humanité en eux. Jacques
Sémelin nous l'apprend fort bien quand il déclare :
« Face à la violence, l'homme sans arme n'est pas
forcément désarmé. Mais l'arme qu'il possède ne se
voit pas. Ce que les yeux voient trahit la réalité du rapport des
forces. Sous le poids de la violence, l'homme peut plier mais pas
nécessairement céder. Il ne cédera pas si la conscience
qu'il a de lui-même est suffisamment forte pour résister au
chantage à la mort qui s'exerce sur lui. La conviction profonde de
l'individu, son attachement à un idéal moral, politique ou
religieux déterminent sa capacité de résistance à
la violence.104 »
« Résister à la violence, c'est conserver
à l'intérieur de soi une parcelle d'autonomie, une zone de
liberté intérieure où l'on est seul à
décider de ce qu'on fait et de ce qu'on ne fait pas, de ce qu'on pense
et de ce qu'on ne pense pas. 105»
4.3.2. Le droit de résistance en Afrique
Dans nos pays d'Afrique, il y a eu et il y a encore des
résistances qu'opposent des populations à des lois injustes et
arbitraires des gouvernants. Ces résistances se sont manifestées
par des grèves, par des marches de protestation non-violentes, parfois
même violentes, des journées ville morte, etc. Face à la
tyrannie qui s'est manifestée sous toutes les formes et
défiées par de multiples violations, les populations ont compris
qu'il fallait quelques fois manifester contre ces violations.
On a entendu s'élever des voix des opprimés,
réagissant contre les dictatures, manifestant leur mécontentement
et leur indignation face aux abus de pouvoir. Ayant compris les
véritables causes des crises et de leurs misères, les peuples
d'Afrique ont eu à revendiquer d'une manière ou d'une autre leurs
droits.
Quoi qu'il en soit, la désobéissance civile
n'est pas suffisamment pratiquée en Afrique. Affamé, et par ce
fait même éloigné de l'espace du pouvoir politique par les
stratèges de la logique politique, le peuple coopère aussi
à la violence des persécuteurs et des oppresseurs. Bien
qu'affamé jusqu'à en mourir, il est envahi par la peur d'exposer
sa vie dans une manifestation publique, même non-violente, pour
conquérir sa liberté et regagner toute sa dignité.
Malgré sa misère et sa pauvreté qui ne font que
s'aggraver, il s'enferme dans la résignation, dans la passivité
et dans une religiosité totalement devenue un opium. A cet effet un
exemple éloquent est celui des Congolais du Congo Démocratique.
Est-ce par ignorance que notre peuple meurt ?
Sans vouloir minimiser la responsabilité des
oppresseurs, nous appelons les victimes à prendre conscience de leur
responsabilité. A savoir, « la violence du persécuteur et
la
104 Jacques SEMELIN, Pour sortir de la violence, Paris,
Les Editions ouvrières, 1983, p. 101.
coopération, active ou passive, volontaire ou
forcée, des victimes sont les deux composantes irréductibles
d'une situation de domination 106». Cette analyse n'est pas
nouvelle, parce que de son temps déjà, Etienne de la
Boétie interpellait sur ce fait dans son Discours de la servitude
volontaire. Il importe donc de réveiller toutes ces consciences qui
dorment afin qu'elles ne participent pas à leur propre destruction. Ce
travail revient entre autre à l'opposition politique. Elle a pour
tâche de dénoncer les abus et le mensonge qui minent la
société politique.
L'affirmation du droit d'opposition est un fruit de la
doctrine libérale dont la paternité est entre autre
attribuée à John Locke. C'est une idée moderne. Presque
toutes les démocraties de notre temps s'en réclament. Ce sont
plutôt des régimes rétrogrades et totalitaires qui
récusent ce droit. Il est aussi communément dit que le droit
d'opposition est un héritage idéologique de la révolution
française puisque la déclaration des droits de l'homme et du
citoyen est la première charte des libertés
politiques107. Aujourd'hui, ce droit paraît aller de soi,
surtout dans les pays occidentaux. Ce n'est pourtant pas le cas dans nos pays
d'Afrique.
4.4. Conclusion
Aujourd'hui encore, les abus de pouvoir sont fréquents
et entraînent des crises graves. Ce qui se passe dans beaucoup de pays
africains en est une des meilleures illustrations. Pour sortir ces pays de
leurs crises, il importerait que les peuples comprennent qu'une réaction
de leur part peut apporter un changement au fonctionnement de l'Etat.
La déclaration des droits de l'homme offre à
tous les hommes la possibilité de revendiquer leurs droits quand ils
sont violés. Dans les pays où elles sont tolérées,
ces revendications se font de plus en plus par des moyens non-violents.
Cependant, si certains pays connaissent une avancée louable dans le
respect de la personne humaine et du traitement à lui réserver,
il y a encore beaucoup de pays où les droits les plus
élémentaires sont bafoués au même moment que le
droit de revendiquer ses droits. Ces pays ont encore un long chemin à
parcourir. Il revient donc à ceux qui ont pris conscience de
l'importance de l'opposition et, de la résistance aux injustices d'aider
le peuple à en prendre aussi conscience pour qu'il pèse de tout
son poids afin de donner de nouvelles orientations pour le bien de tous.
105 Ibid., p. 102.
106 Ibid., p. 80.
107 André JACOB, « Opposition », in Les
notions philosophiques, Dictionnaire, Paris, PUF, 1990, p. 1814.
5. CONCLUSION GENERALE
5.1. Reprise
Au terme de ce pèlerinage effectué dans la
pensée politique de John Locke, surtout en ce qui concerne le droit
de résistance, il nous a été donné de
comprendre comment il fonde la société politique. Celle-ci est
née d'une situation de manque dans l'état de nature. Les hommes
se sont rassemblés en société politique pour
remédier aux insatisfactions et aux manques de l'état de nature.
Ils ont donc choisi un juge commun pour régler les différends
entre eux et ont élu un groupe de personnes chargé
d'élaborer des lois qui puissent régir la nouvelle
société ainsi constituée. Ces lois, inspirées de la
loi de nature, en sont l'actualisation voire la perfection. Elaborées et
promulguées, les lois sont à respecter par tous les membres de la
société sans exception.
Il y a une nette répartition des tâches dans la
société politique. Elle a à sa tête trois pouvoirs
différents : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et
le pouvoir fédératif. Composé des représentants du
peuple et considéré comme étant le pouvoir suprême
de l'Etat, le pouvoir législatif a pour rôle d'élaborer des
lois. Le pouvoir exécutif, pour sa part, gouverne l'Etat et se charge
d'assurer la mise en pratique des lois. Le pouvoir législatif quant
à lui, gère les relations avec les autres Etats.
Ayant remis la direction de la société entre les
mains des individus dignes de confiance choisis par le peuple, John Locke
précise jusqu'où leur pouvoir s'étend. Il donne les
limites au-delà desquelles ne peut s'étendre leur pouvoir. Les
dirigeants sont appelés à être au service de leurs peuples
et à répondre aux exigences de leur fonction en tenant compte
d'un certain nombre de restrictions qui s'y rapportent. C'est afin de garantir
la justice sociale, la paix, la protection des personnes et de leurs biens.
Cependant, malgré toutes ces restrictions, John Locke
n'a pas été aussi naïf pour ne pas prévoir la
possibilité d'une dégénérescence du pouvoir en
absolutisme et en totalitarisme. C'est la raison pour laquelle il consacre le
dernier chapitre de son Second Traité du Gouvernement Civil à la
dissolution des gouvernements. Là, il explique longuement comment les
gouvernements peuvent être dissous s'ils ne répondent plus aux
aspirations du peuple. En dernière ressort, c'est le peuple qui juge du
maintient ou de la dissolution d'un gouvernement. Ceci explique l'importance
qu'accorde John Locke au droit de résistance que nous avons eu
à analyser dans le troisième chapitre de notre travail.
Toutefois, par ses écrits, John Locke interpelle aussi
notre temps. Irrésistiblement, nous avons été conduit
à considérer la résistance civile aujourd'hui dans le
quatrième chapitre de notre travail. Nous nous sommes autorisés
d'appeler aujourd'hui désobéissance civile, à la
suite de Thoreau. Notre souci d'appliquer la pensée de John Locke aux
situations actuelles ne découle certes pas d'un glissement forcé,
mais plutôt d'une attention particulière accordée au cours
même de l'histoire. John Locke nous aide à considérer
aujourd'hui ce qu'il a étudié en son temps ; il nous renvoie
à notre époque. C'est à nous d'étudier l'histoire
afin de voir l'évolution des problèmes et la manière sont
les hommes s'y sont pris pour apporter des solutions. C'est parce qu'il est
à constater, aujourd'hui encore, que les libertés sont toujours
menacées, les régimes totalitaires et absolus subsistent...C'est
ainsi que la pensée de John Locke sur la résistance
retentit comme une sonnée jusqu'ici actuelle. Seulement, cette
pensée doit être considérée et
considérée afin de voir la forme de résistance qui
convient à notre temps et aux situations diverses d'abus de pouvoir.
5.2. Prospective
Il existe un grand besoin d'information et de formation sur
les principes et les méthodes de résistance civile et de l'action
non-violente. La résistance doit conquérir son droit de
cité dans notre culture et dans notre histoire. Il est temps qu'elle
cesse d'être clandestine pour devenir sujet d'études et de
débats. Une relecture de la résistance civile permettra
d'envisager quelle forme lui donner aujourd'hui. Par souci de maintenir la
justice, la paix et l'harmonie dans nos sociétés, notre travail
se veut une modeste contribution aux mécanismes de résistance
à la violence ; mécanismes à mettre en place pour
épargner le peuple des malveillances de la violence et de
l'arbitraire.
Alors qu'en l'homme il y a toujours une part de lui-même
qui l'incline à la violence, pourquoi souscrire à la non-violence
? A la suite de Jacques Sémelin, nous répondons : << C'est
parce qu'elle est porteuse d'une morale politique ; non pas une morale de
pureté mais une morale d'efficacité. Elle repose sur
l'idée que les moyens de l'action politique ne sont pas neutres, que
l'on ne peut utiliser n'importe quel moyen pour construire véritablement
un monde de paix et de justice108 ».
<< Les maux de ce monde proviennent en partie du penchant
de l'homme à dissocier les
conséquences de ses actes du moment des objectifs qu'il
leur assigne dans le futur. Il en résulte une vision assez
schizophrénique de l'existence où l'on prétend
défendre la
108 Jaques SEMELIN, Pour sortir de la violence, Paris, Les
Editions ouvrières, 1983, p.198.
paix par la violence, conquérir la liberté en la
supprimant aux autres. Dès lors, les moyens l'emportent sur une fin qui
n'est plus que formellement affichée.109 »
Il faut alors veiller à ce que la juste logique du
droit d'opposition ne se dérègle pas et ne conduise pas à
la sédition ou même au terrorisme. Il y a un grand risque d'une
dénaturation de ce droit qu'un mauvais usage pervertit. Utilisé
à mauvais escient ou avec mauvaise foi, il peut conduire à des
tragédies.
A ce niveau, il convient de dépasser John Locke pour
qui, il semble difficile, à la limite inconcevable, de résister
à la force et à la violence sans donner des coups110.
En effet pour lui, l'état de guerre qui s'installe en cas d'abus de
pouvoir, rend les parties égales entre elles. C'est une sans doute une
déclaration à placer dans son contexte. Aujourd'hui, plusieurs
procédés non-violents peuvent être appliqués. En
entrant dans la logique de la violence, on finit par se lancer dans une course
effrénée aux armements en instaurant ainsi la logique de la
vengeance dans le seul désir de maltraiter et d'humilier son ennemi.
Depuis plus de deux siècles, les peuples se sont
efforcés de se libérer de l'esclavage, du colonialisme, du
totalitarisme. Cette quête de la liberté et de la justice est bien
loin d'être achevée à en juger par la multitude des
dictatures dans le monde. La lotta continua, peut-on dire. La
liberté est à conquérir infiniment. La lutte à
poursuivre doit tenir compte du fait que la violence a connu d'importantes
mutations avec la présence des dispositifs de guerre capables des
destructions massives. Cela oblige à un nouveau combat : celui
consistant à préserver la vie contre les risques d'une mort
collective.
Il est alors urgent de mettre en oeuvre des formes et des
systèmes de défense qui, tout en permettant aux hommes de
préserver ou de conquérir leurs droits, leur évitent de
courir à leur perte, de s'acheminer plus ou moins malgré eux vers
le suicide nucléaire. Pour sa part, la non-violence est au carrefour de
cette double préoccupation des fondements assez solides pour relever le
défi propre à notre modernité111.
Tout en déclarant légitime la résistance
civile après John Locke et tant d'autres, il nous semble important de
laisser ouvert d'autres champs d'investigation. Pourquoi ne mènerait-on
pas par exemple une réflexion qui aurait pour visée principale
d'étudier la possibilité de rendre effectif le droit de
résistance ? En effet, force est de reconnaître que la
proclamation des droits universels de l'homme et, tout particulièrement
de ce droit d'opposition, peut fort bien, au gré de l'hypocrisie de
certains gouvernements, ne correspondre à aucune effectivité
109 Jacques SEMELIN, op. cit., p. 199.
110 Second Traité, § 235, p. 319.
111 Jaques SEMELIN, Pour sortir de la violence, Paris, Les
Editions ouvrières, 1983, p.200.
concrète. Dès lors, à quoi servent les
déclarations solennelles de droits si, en fait, ceux-ci ne sont ni
respectés, ni reconnus et pour tout dire, sont bafoués. Cette
difficulté entre théorie et pratique peut bien faire l'objet
d'une étude approfondie. Actuellement des questions d'abus de pouvoir,
de résistance à l'oppression, surtout des droits de l'homme, font
de plus en plus partie de multiples débats et études. Nous
espérons que les luttes continuellement menées pour la
liberté, la justice et la paix produiront des résultats
escomptés.
BIBLIOGRAPHIE
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l'anglais, Paris, Desveux, 330 p.
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Traduit par Coste, Edité par Emilienne Naert, Paris, Librairie
philosophique J. Vrin, 1983, 627 p.
2. Ouvrages sur L'Auteur
1. DUNN, J., La pensée politique de John Locke,
Paris, PUF, 1991, 286 p.
2. GILSON, B., L'apport de Locke à la philosophie
générale et politique, Paris, Librairie philosophique J.
Vrin, 2000, 186 p.
3. MAIRET, G., Les grandes oeuvres politiques, Paris, Le
livre de poche, 1993, 288 p.
4. POLIN, R., La politique morale de John LOCKE, PUF,
Paris 1960, p.
5. TULLY, J., Locke. Droit naturel et
propriété, Paris, PUF, 1992, 264 p.
3. Articles sur l'Auteur
1. GOYARD-FABRE, S., << Pouvoir juridictionnel et
gouvernement Civil dans la philosophie politique de Locke », in Revue
Internationale de Philosophie, n°165, (2/1988 ), pp. 192-214.
2. RAYMOND, Ph. et RIALS, S., << Locke », in
Dictionnaire de philosophie politique, Paris, PUF, 1996, pp. 348-355.
3. Autres ouvrages
1. ARENDT, H., Du mensonge à la violence, Paris,
Pocket, 1994, 249 p.
2. ARISTOTE, La politique. Nouvelle traduction avec note
et index par J. Tricot, Paris, Vrin, 1995, 599 p.
3. ASHCRAFT, R., La politique révolutionnaire et les
deux traités du gouvernement de John Locke, Paris, PUF, 1995, 652
p.
4. EBOUSSI BOULAGA, F., Lignes de résistance,
Yaoundé, Editions Clé, 1999, 295 p.
5. GOYARD-FABRE, S., Les fondements de l'ordre juridique,
Paris, PUF, 1992, 387 p.
6. GOYARD-FABRE, S., Les principes philosophiques du droit
politique moderne, Paris, PUF, 1997, 425 p.
7. GOYARD-FABRE, S., La nature, les lois, la
liberté, Paris, PUF, 1993, 360 p.
8. HOBBES, T., Léviathan : Traité de la
matière, de forme et du pouvoir de la république
ecclésiastique et civile, Introduction, traduction et notes de Fr.
Tricaud, Philosophie politique, 1976, 780 p.
9. KABA, L., Lettre à un ami sur la politique et le
bon usage du pouvoir, Paris, Présence Africaine, 1995, 181 p.
10. LOKA-NE-KONGO, Lutte de libération et
piège de l'illusion...Multipartisme intégral et dérive de
l'opposition au Zaïre ( 1990 - 1997 ), Kinshasa, Presses
Universitaires du Congo, 2000, 240 p.
11. MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, Librairie
Hâtier, Paris, s.d., 78 p.
12. RAWLS, J., Théorie de la justice, Traduit de
l'américain par Catherine Audard, Paris, Editions du Seuil, 1991, 668
p.
13. SEMELIN, J., Pour sortir de la violence, Paris, Les
Editions ouvrières, 1983, 202 p.
14. SEMELIN, J., Sans armes face à Hitler. La
résistance civile en Europe 1939-1945, Paris, Editions Payot, 1989,
279 p.
15. THOREAU, D-H., La désobéissance civile,
s.l., Editions Mille et une nuits, 1996, 63p.
16. VAN EFFENTERRE, H., Histoire universelle. L'âge
grec, 550 à 270, Paris, Le livre de poche, 1968, 475 p.
17. WEIL, E., Philosophie Politique, Paris, Librairie
philosophique J. Vrin, 1971, 261 p.
4. Autres articles
1. JACOB, A., « Opposition », in Les notions
philosophiques, Dictionnaire, Paris, PUF, 1990, p. 1813-1816.
2. NGOMA-BINDA, E., « La logique du pouvoir politique en
Afrique noire. Lecture sociologique de l'avènement des dictatures et
partis uniques », in Eglises et démocratisation en Afrique,
Actes de la Dix-neuvième Semaine Théologique de Kinshasa su 21 au
27 novembre 1993, FCK, 1994, pp. 63-92.
TABLE DES MATIERES
0. INTRODUCTION GENERALE 1
0.1. Point de départ 1
0.2. Problématique 3
0.3. Démarche et méthode 4
Chapitre premier : 5
LA CONCEPTION DU POUVOIR CHEZ JOHN LOCKE 5
1.1. Introduction 5
1.2. De l'origine du pouvoir politique 5
1.2.1. Pourquoi la société politique ? 5
1.2.2. L'insatisfaction dans l'état de nature 7
1.3. Le pouvoir et les lois 9
1.4. Le pouvoir comme obligation et comme fonction 13
1.5. Conclusion 15
Chapitre deuxième : 17
LES ABUS DE POUVOIR 17
2.1. Introduction 17
2.2. Les limites du pouvoir 17
2.3. Le pouvoir absolu arbitraire 20
2.3.1. Les différentes formes de l'arbitraire 20
2.3.2. La prérogative et ses dangers 22
2.4. L'arbitraire et ses conséquences 24
2.5. Conclusion 26
Chapitre troisième : 27
DU DROIT DE RESISTANCE 27
3.1. Introduction 27
3.2. Réapparition de l'état de guerre 27
3.3. Le pouvoir du peuple de pourvoir à sa
sécurité 30
3.3.1. Le droit d'opposition dans l'histoire 30
3.3.2. L'apport de John Locke 32
3.4. Les conditions de la résistance légitime 33
3.5. Conclusion 36
Chapitre quatrième : 37
LA DESOBEISSANCE CIVILE AUJOURD'HUI 37
4.1. Introduction 37
4.2. La floraison des tyrans : cas de l'Afrique 37
4.3. La résistance aujourd'hui 42
4.3.1. La légalisation du droit de résistance 42
4.3.2. Le droit de résistance en Afrique 44
4.4. Conclusion 45
5. CONCLUSION GENERALE 46
5.1. Reprise 46
5.2. Prospective 47
BIBLIOGRAPHIE 50
1. Ouvrages de l'Auteur 50
2. Ouvrages sur L'Auteur 50
3. Articles sur l'Auteur 50
3. Autres ouvrages 50
4. Autres articles 51
TABLE DES MATIERES 52
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