IV Synthèse des résultats
scientifiques
L'amélioration génétique du
cacaoyer. Des ressources génétiques forestières aux
variétés cultivées.
Introduction
Le cacaoyer (Theobroma cacao, Linné 1753) est
un arbre de la famille des Malvacées, originaire des forêts
pluviales néotropicales, depuis le sud du Mexique (où il ne
pourrait être que féral) jusqu'au nord de la Bolivie. Deux
sous-espèces géographiques sont reconnues, T. cacao
subsp. cacao et T. cacao subsp. sphaerocarpum
(Chevalier) Cuatrecasas 1964, qui correspondent aux deux principaux
groupes cultivés, appelés Criollo et Forastero (le
troisième, Trinitario, est un hybride entre les deux autres). La
connaissance de la structuration génétique de l'espèce a
été affinée depuis (Lanaud et al., 1999 ;
Motamayor et al., 2002, 2008) : l'existence des deux
sous-espèces est maintenant contestée, au profit de celle de
plusieurs groupes morpho-géographiques. L'un de ces groupes est
constitué par les cacaoyers spontanés de Guyane
française.
Le cacaoyer, qui peut atteindre à l'état sauvage
un développement important (25 m de hauteur et 20 m de diamètre
de frondaison), est une plante cauliflore : les inflorescences, et donc les
fruits, sont localisés sur le tronc et les branches. Sur le tronc et les
branches principales, les zones d'apparition des inflorescences évoluent
en massifs appelés "coussinets floraux", qui produisent des fleurs
pendant toute la vie de l'arbre. L'inflorescence est une cyme bipare à
courtes ramifications (1 mm environ). La fleur, petite, est
régulière, complète et pentamère. Le fruit, la
"cabosse", est exploité pour ses graines. Une cabosse normale contient
de 30 à 60 graines entourées d'un abondant mucilage sucré
qui, fermentées et séchées (appelées alors
«fèves»), constituent le cacao marchand, matière
première du chocolat. Le cacaoyer, domestiqué en Amérique
centrale par les Mayas et révélé aux Européens en
1502, fut ensuite répandu par ces derniers dans les zones favorables de
tous les continents.
J'ai commencé à travailler en
amélioration du cacaoyer en 1977, à l'IFCC (Institut
Français du Café et du Cacao), comme VSNA1, en
Côte d'Ivoire. J'ai été embauché ensuite comme
ingénieur-chercheur en 1981. Depuis cette époque, mes travaux sur
le cacaoyer ont concerné deux aspects principaux :
- L'amélioration génétique et la
sélection des variétés en Côte d'Ivoire ; - Les
ressources génétiques sauvages de Guyane.
En parallèle, et fréquemment en liaison avec ces
deux domaines principaux, j'ai également travaillé en :
- Phytotechnie (problématiques du greffage, de la
densité, des concurrences) ;
- Physiologie de la production et élaboration du
rendement (cf ma thèse : Lachenaud,
1991);
- Télédétection des cacaoyères.
Dans cette synthèse, seuls seront abordés les deux
premiers points.
1 Volontaire du Service National Actif
J'ai effectué trois séjours de longue
durée en RCI : de novembre 1977 à avril 1979, de mars 1981
à juin 1988 et de septembre 1997 à juillet 2002, soit environ 13
ans et demi en tout. J'ai pu m'impliquer dans les domaines suivants :
4-1-1 Les variétés hybrides des
générations 1975 et 1979.
Après une première phase de sélection
massale dans le matériel végétal utilisé localement
(Forastero « Amelonado ouest-Africain »), l'amélioration du
cacaoyer en Côte d'Ivoire s'est orientée vers la création
d'hybrides de clones. Ainsi, depuis la fin des années 50, des Forasteros
Haut-Amazoniens (d'abord de niveau G2, puis ensuite G0 et G1, y compris des
haploïdes doublés ; Lanaud et al., 1988) ont
été croisés avec des Forasteros BasAmazoniens Amelonados
«locaux» ou des Trinitarios. Des centaines d'hybrides ont ainsi
été créés et comparés dans des essais en
paires simples («single pairs»). Les meilleurs croisements ont
été distribués aux planteurs à partir de 1974 (une
douzaine de familles). Initialement, les critères de sélection
étaient avant tout la productivité et la taille des fèves,
et secondairement, les résistances aux divers aléas, dont la
pourriture brune (causée par Phytophthora palmivora) et les
punaises mirides. Les descendances hybrides vulgarisées, avec des
rendements pouvant atteindre ou dépasser 2500 kg/ha de cacao marchand en
station de recherche (Besse, 1977), ont nettement surclassé le vieux
matériel Amelonado pour ce critère, mais également pour la
vigueur juvénile (facilitant l'implantation) et la tolérance aux
mirides, fléau de la cacaoculture ivoirienne. Utilisés tels que
distribués (une douzaine seulement de familles F1) ou plus souvent sous
forme de descendances produites chez les planteurs lors de croisements naturels
entre individus de diverses F1, les hybrides (au sens large) ont
été globalement très appréciés, et dans
certaines régions, les Amelonados sont en voie de disparition.
En règle générale, pour la
productivité, les hybrides à mâle Amelonado se sont
montrés supérieurs à ceux comportant un mâle
Trinitario. Toutefois, le minimum commercial de 1 g de moyenne pour le poids
moyen des fèves a parfois imposé de garder des géniteurs
Trinitarios (à grosses fèves). En plus d'une taille de
fève plus grande, les hybrides vulgarisés présentent
certains avantages technologiques par rapport à l'Amelonado, par exemple
un taux de matière grasse plus élevé (Besse, 1977).
Toutefois, la base génétique de ce matériel alors
utilisé par les planteurs était véritablement
étroite.
Lors de mon premier séjour, j'ai pu participer à
la plantation des champs semenciers de la Satmaci (Société de
développement), représentant environ 150 Ha, en trois sites. Il
s'agissait des formules hybrides de la première génération
(Besse, 1977). J'ai été impliqué dans toutes les
opérations (multiplication des clones parents par bouturage, gestion des
parcs-à-bois, préparation des parcelles, plantation, suivi). Ces
champs semenciers ont permis à la Côte d'Ivoire de devenir le
premier producteur mondial.
A partir de 1979, de nouvelles combinaisons hybrides ont
été créés par Mossu (Paulin et al., 1993)
et testées dans un réseau multilocal d'essais. Ces hybrides
étaient nettement plus variés que les premiers.
Etant revenu en RCI, sur la station de Divo, en mars 1981,
j'ai pu suivre, pratiquement depuis les premières observations (vigueur
juvénile), l'essai A19/1 (un des cinq du réseau initial,
planté en juin 1979 à Divo) et planter un autre essai (A18/1), en
mai 1981, soit 95 descendances en tout, en « randomisation totale »,
avec des effectifs familiaux respectivement de 20 et 40. Après plus de
10 ans de suivi, les résultats du réseau d'essais
ont été co-publiés en 1993 (Paulin et
al., 1993). En 1988, après une analyse de l'ensemble des essais de
sélection cacaoyère plantés à Divo, dont les
protocoles étaient souvent trop différents, avec des
témoins parfois absents, j'ai pu planter un essai synthétique,
D15/2, regroupant les meilleures combinaisons hybrides repérées
sur la station. Les résultats de l'essai D15/2 furent co-publiés
en 1999 (Clément et al., 1999) : ils représentent la
première sortie variétale en Côte d'Ivoire depuis la
génération d'hybrides de 1975. Il s'agit de 7 familles
proposées en mélange, présentant une meilleure
résistance à la pourriture brune que les hybrides
précédents, pour un gain de productivité de 18 % par
rapport à la moyenne des témoins de la génération
précédente. Les clones femelles impliqués sont : PA 150,
P7, NA 32, T79/501, T60/887, T85/799 et UPA 409, tous Forasteros
hauts-Amazoniens, et les mâles IFC 2, IFC 5 (Amelonados (( locaux »)
et POR (Trinitario du Vénézuela)
Entre 1981 et 1988, j'ai pu également travailler sur la
méthodologie des essais de sélection en (( randomisation totale
» (Lachenaud, 1984 ; Lotodé et Lachenaud, 1988 ; Lachenaud et
Sounigo, 1991), faire diverses introductions de matériel
végétal à partir des stations de quarantaine (et en
particulier du matériel végétal originaire de Guyane, via
Montpellier) et planter, en 1987 à Divo, avant que les résultats
définitifs du réseau d'essais 1979 ne soient connus, quatre
champs semenciers (un par famille hybride) qui sont encore utilisés
actuellement. En poste en Guyane, j'ai pu étudier dans un essai
comparatif d'hybrides planté en 1984 (en (( randomisation »
totale), le comportement des hybrides ivoiriens de la génération
précédente (Besse, 1977), et en publier les résultats
(Lachenaud et al., 1994). J'ai donc pu acquérir une très
bonne connaissance des hybrides vulgarisés en Côte d'Ivoire.
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