Programme d'Enseignement à Distance Université Jean
Moulin - Lyon 3
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Année académique 2010/2011
La privatisation de la sécurité : un
dessaisissement des fonctions régaliennes de l'Etat
Sous la direction de Monsieur François David
Mémoire de recherche
Auteur : Michael VISEUX
michaelviseux@hotmail.fr
Master 2 en science politique Relations
internationales Sécurité Internationale et Défense
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Programme d'Enseignement à Distance Université Jean
Moulin - Lyon 3
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Année académique 2010/2011
La privatisation de la sécurité : un
dessaisissement des fonctions régaliennes de l'Etat
Sous la direction de Monsieur François David
Mémoire de recherche
Auteur : Michael VISEUX
michaelviseux@hotmail.fr
Master 2 en science politique Relations
internationales Sécurité Internationale et Défense
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Remerciements
Je souhaiterais faire part de ma gratitude au Professeur
François David, qui m'a fait l'honneur de bien vouloir encadrer ce
travail de ses remarques utiles.
Je remercie également ma hiérarchie de m'avoir
permis de pouvoir soutenir ce mémoire.
Un grand merci enfin à mon épouse. Ce projet
n'aurait jamais abouti sans sa bienveillance et ses encouragements
permanents.
La privatisation de la sécurité : un
dessaisissement des fonctions régaliennes de l'Etat
SOMMAIRE
Introduction
Partie 1 : Taxonomie des sociétés
militaires et de sécurité privées (SMSP)
Préambule : Définition de la notion de
mercenaire
Chapitre 1 : Le mercenariat : des auxiliaires de guerre au
mercenariat entrepreneurial
Chapitre 2 : Le néo mercenariat : Entreprises
contemporaines et développement de secteurs de compétences
Chapitre 3 : Cas particulier des entreprises du secteur du
renseignement : l'implication des gouvernements
Partie 2 : La transformation des fonctions
régaliennes de l'Etat
Préambule : Le cycle des normes
Chapitre 1 : Le recours aux SMP : une norme internationale
inéluctable
Chapitre 2 : Le recours aux SMP : les dangers pour l'Etat, le
public au service du privé
Chapitre 3 : La maîtrise de l'impact des SMP : l'adaptation
de l'Etat au processus de privatisation de la norme
Conclusion
Liste des Abréviations et Acronymes
Les sigles et abréviations utilisés dans ce
mémoire sont classés par ordre alphabétique dans la
présente liste. Le paragraphe n°1 regroupe les sigles propres
à la privatisation. Le paragraphe n°2 comporte des sigles
divers.
1- Sigles propres à la privatisation de la
sécurité
- ASG Asia Security Group
- DBA Defense Base Act
- G4S Group for Security Corp
- IPOA International Peace Operation Association
- MPRI Military Professionnal Resources Incorporated
- PCC Private Combat Company
- PMC Private Military Company
- PFI Private finance Initiative
- SMP Société militaire privée
- SMSP Société militaire et de
sécurité privée
- SSP Société de Sécurité
Privée
2- Sigles divers
- CBO Congress Budget Office
- CICR Comité International de la Croix Rouge
- CSNU Conseil de Sécurité des Nations Unies
- DOD Department of Defense
- DPSD Direction de la Protection et de la Sécurité
de la Défense
- FAA Forces Armées Angolaises
- FLN Front de Libération Nationale
- GAO Cour des comptes américaine
- ONG Organisation Non Gouvernemental
- ONU Organisation des Nations Unies
- OTAN Organisation du Traité de l'Atlantique Nord
- OUA Organisation de l'Unité Africaine
- MPLA Mouvement de Libération du Peuple Angolais
- NTIC Nouvelle Technologie de l'Information et de la
Communication
- RUF Revolutionnary United Front
- SANDF Force armée nationale sud-africaine
- SGNU Secrétariat Général des Nations
Unies
- UE Union Européenne
- UNITA Union Nationale pour l'Indépendance Totale de
l'Angola
« Le soldat gratuit, ça c'était du
nouveau » Céline, Voyage au bout de la nuit
« Qui tient son Etat fondé sur les troupes
mercenaires n'aura jamais stabilité »,
Machiavel, Le Prince
Introduction
La rupture brutale de l'équilibre de la terreur entre
les deux grandes puissances de la guerre froide n'a pas rendu le monde plus
sûr ni plus équilibré. Bien au contraire, la chute du Bloc
soviétique a entraîné une multitude de conflits et de
crises régionales qui nécessitent le recours à la force
dans le cadre d'opérations de rétablissement ou de maintien de la
paix. La réduction continue des budgets de défense et des
effectifs militaires amorcée depuis 1990 a réduit de
manière significative la capacité d'intervention des Etats. En
outre, les attentats du 11 septembre ont brutalement
révélé l'existence d'une autre forme de violence
supra-étatique, à savoir le terrorisme mondial, islamique en
particulier que les Etats doivent impérativement contrer. Ainsi, devant
la multiplication des crises cette dernière décennie, les Etats
et les grandes organisations internationales ont de plus en plus recours
à l'emploi de sociétés militaires privées pour la
gestion des crises. Inscrit dans le panel des compétences de ces
entreprises, le renseignement est un domaine sensible qui ne doit pas souffrir
d'une privatisation dénuée d'une réflexion
préalable.
L'inflexion de type libéral constatée depuis
trois décennies et l'étatisation croissante inspirée par
la norme libérale, ont des conséquences directes sur les forces
armées et les activités de défense en
général.
La globalisation a fait évoluer les formes d'engagement
militaire. En effet la disparition des logiques régionales et la
nécessité d'engager des forces partout dans le monde constituent
ce premier facteur, encore imprévu il y a dix ans. Comme le souligne
Jean-Jacques Roche1, il existe un lien suprême entre la
mondialisation et la souveraineté des Etats. Dans son ouvrage, il aborde
les problèmes de sécurité sous l'angle des revendications
sociales. Il cite ainsi Pierre de Senarclens2 pour qui « la
dynamique de la mondialisation entraîne [...] des
phénomènes d'aliénation qui font le lit de projets
politiques d'inspiration totalitaire ». Selon l'auteur, ces
évolutions expliquent que les conflits de l'après-guerre froide
diffèrent des conflits interétatiques envisagés par les
rédacteurs de la Charte de San Francisco3.
1 ROCHE, Jean-Jacques, « Théories des
relations internationales », Clefs politique, 3° édition,
Montchrestien, 1999, 160 pages.
2 de SENARCLENS Pierre, Mondialisation,
Souveraineté et Théories des Relations Internationales, Paris,
Armand Colin, 1998, 218 pages.
3 Ibid., p. 180.
Le deuxième point réside dans le fait que
l'opinion, devenue globale, est largement attachée à la
légitimité des causes et nécessite que le recours à
la force contre une entité soit désormais international et
validé par des instances supranationales, telles que l'Organisation des
Nations Unies (ONU).
Troisième fait, l'ouverture des frontières et
l'augmentation de la criminalité internationale contribuent si ce n'est
à déstabiliser les relations internationales, du moins en changer
les caractéristiques en profondeur. Ainsi, la sécurité de
nos démocraties se joue actuellement dans des lieux diversifiés
et lointains, dans lesquelles nos forces de sécurité ont des
difficultés à garantir la tranquillité des citoyens. En
témoigne la résurgence des activités criminelles telles
que l'enlèvement de salariés d'entreprises. Pour les groupes
criminels et mafieux et dans une moindre mesure les groupes fondamentalistes
tels que Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) ou Al Qaïda dans la
Péninsule Arabique (AQPA), le rapt contre rançon est devenu le
moyen de nuire à l'Occident, à la France en particulier. Faute de
pouvoir frapper l'ennemi lointain au coeur, les groupuscules criminels et
terroristes se focalisent sur les expatriés, moins
protégés et plus exposés. Ce nouveau danger impose aux
Etats de se prémunir avec des moyens adaptés.
Ces nouvelles missions accaparent un volume croissant de
l'activité des forces. La réduction du format des armées
occidentales contraint les Etats à recourir de plus en plus à
l'emploi de sociétés militaires et de sécurité
privées, notamment pour la sécurisation de ses installations
sensibles à l'étranger (Areva, Total).
L'Etat, en tant qu'organisation sociale, est
généralement considéré comme le détenteur du
monopole de la violence légitime. Le néo-libéralisme,
emporté par la mondialisation a atteint la sphère de la
Défense. La disparition des menaces aux frontières a
entraîné un retour à la privatisation de la guerre. La
menace tangible semble s'estomper et avec elle le caractère
impérieux de la défense de la nation s'atténue. Ainsi,
l'Etat semble se dessaisir de l'un de ses pouvoirs régaliens essentiel :
l'organisation et la conduite des forces armées en vue de la
défense des citoyens
.
Cette étude vise à comprendre comment la
privatisation de la défense bouleverse les principes fondateurs de
l'Etat, français en particulier.
Dans un premier temps, il s'agira de démontrer que les
sociétés militaires et de sécurité privées
contemporaines se sont débarrassées de l'étiquette
douteuse du mercenariat et que toutes n'ont pas la même portée
éthique ni la même implication dans la transformation de la
souveraineté absolue de l'Etat. La deuxième partie s'attachera
à étudier par une approche
libérale en se basant sur les théories des
Relations Internationales, de quelle manière la privatisation de la
violence, à l'échelle internationale et en France en particulier,
peut entraîner un émiettement de la puissance étatique si
son recours inéluctable n'est pas entièrement encadré.
Nous nous pencherons ainsi dans cette partie sur les prérogatives de
l'Etat-Nation dans les années qui viennent. La France est
réticente à employer des sociétés qu'elle qualifie
encore de mercenaires et donc d'illégales.
L'utilisation massive des sociétés militaires et
de sécurité privées (SMSP) en Irak puis en Afghanistan
nous a brutalement fait prendre conscience d'un nouveau mode de gestion de la
guerre et des crises. Après l'intervention militaire et le succès
de la force, les théâtres imposent aux Etats de longs processus de
stabilisation et de reconstruction, que les armées
régulières ne peuvent plus assurer.
L'emploi des sociétés militaires et de
sécurité privées pose de nombreux problèmes
juridiques aux Etats qui les emploient. En témoignent les nombreuses
bavures commises par les salariés locaux ou étrangers, en
Afghanistan, sur la population notamment. Les sociétés usent la
patience des populations et des dirigeants afghans.
Outre le problème de légalité de leurs
actions, les SMSP soulèvent le problème de la souveraineté
des Etats.
En Afghanistan, les salariés de SMSP sont devenues le
premier contingent de la coalition, augmentant de fait le sentiment
d'impuissance de la toute jeune armée afghane. En outre les policiers
afghans peinent à faire appliquer l'ordre quand les salariés du
privé s'astreignent de discipline et tirent sur la population.
L'annonce en 2010 faite par le président Karzaï
d'interdire les SMSP étrangères en Afghanistan et le
décret du 18 août nous a amené à nous pencher sur la
question de la gestion de ces sociétés et leur impact sur la
souveraineté de l'Etat.
Partie 1 :
Taxonomie des sociétés militaires et
de
sécurité privées (SMSP)
Préambule : définition de la notion de
mercenaire
La notion de mercenaire a été largement
décriée dans l'histoire. Encore aujourd'hui, elle est empreinte
de controverse en France car elle renvoie à une vision négative
du métier. Toutefois, il n'en a pas toujours été ainsi. Il
n'y a qu'à constater la tendance sous l'Ancien Régime à
employer massivement des régiments étrangers Suisses, Ecossais et
Irlandais. Si la France a utilisé très largement les services de
ces mercenaires, il convient de souligner que le pays s'est
détourné de cette pratique, à l'inverse des
sociétés anglo-saxonnes qui ont plongées massivement dans
le recours aux sociétés de mercenaires, dites militaires
privées.
Dans notre étude, les enjeux attachés à
la définition du terme mercenaire sont primordiaux dans la mesure
où ils conditionnent largement le point de vue du chercheur et l'opinion
qu'il attache au phénomène de privatisation de la
sécurité.
Le dictionnaire Larousse définit le mercenaire sous un
prisme financier. Du latin mercenarius, tiré du mot
merces (salaire), l'adjectif mercenaire qualifie littéralement
une personne qui ne travaille que pour un salaire, qui est inspirée
par le profit. Le mercenaire est un soldat qui sert pour de l'argent
un gouvernement étranger4.
L'article 47 du protocole I du 8 juin 1977 aux Conventions de
Genève du 12 août 1949, relatif à la protection des
victimes des conflits armés internationaux donne du mercenaire la
définition suivante :
1. Un mercenaire n'a pas droit au statut de combattant ou de
prisonnier de guerre.
2. Le terme "mercenaire" s'entend de toute personne :
a) qui est spécialement recrutée dans le pays ou
à l'étranger pour combattre dans un conflit armé;
b) qui en fait prend une part directe aux hostilités;
c) qui prend part aux hostilités essentiellement en
vue d'obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement
promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une
rémunération matérielle nettement supérieure
à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant
un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette
Partie;
4 Le petit Larousse illustré, édition
2008, page 638.
d) qui n'est ni ressortissant d'une Partie au conflit, ni
résident du territoire contrôlé par une Partie au
conflit;
e) qui n'est pas membre des forces armées d'une Partie au
conflit;
f) qui n'a pas été envoyée par un Etat
autre qu'une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des
forces armées dudit Etat.
L'article n°1 est primordial dans la mesure où il
témoigne de la volonté marquée des Etats rédacteurs
de dissuader de l'usage des mercenaires dans un conflit armé. Le
mercenaire est considéré comme un civil qui peut être
poursuivi pour ses actions violentes, là où un combattant
régulier ne peut l'être. Comme le souligne le sénateur
Michel Pelchat, viceprésident de la commission des Affaires
étrangères, de la défense et des forces armées sur
le projet de loi relatif à la répression de l'activité de
mercenaire, le statut de prisonnier de guerre ne trouve à s'appliquer
que dans le cadre de conflits armés internationaux. Dans le cas de
conflits armés internes dans lesquels la majorité des mercenaires
interviennent, aucun régime protecteur semblable à celui du
prisonnier de guerre n'existe. Rien n'empêche le législateur du
pays en conflit de prévoir des sanctions pénales aggravées
s'il s'agit d'un combattant étranger motivé par l'appât du
gain.
Toutefois, il est à noter que cette définition
fournie par la convention est cumulative. En effet, il est impératif de
répondre à la totalité des critères pour être
taxé de « mercenaire ». Le protocole de 1977 permet «
indirectement de lutter contre le mercenariat, en créant un
régime juridique dissuasif, il n'a pas pour objet de servir de
base à des incriminations en droit international pénal.
Le mercenariat ne figure d'ailleurs pas parmi les infractions ou les
infractions graves énumérées par l'article
855. »
Certes le protocole additionnel comporte des lacunes mais
comme le souligne la commission, il s'agit de l'instrument international le
plus aboutit sur la question du mercenariat. En outre, il recueille
l'assentiment le plus vaste, puisque 161 Etats, dont la France, sont parties
à ce texte.
5 Rapport n°142, session 2002-2003, fait au
nom de la commission des Affaires Etrangères, de la Défense et
des forces armées sur le projet de loi relatif à la
répression de l'activité de mercenaires, 37 pages, disponible le
11 juillet 2011 sur le site
http://www.legifrance.gouv.fr.
En sus du protocole I du 8 juin 1977 additionnel aux conventions
de Genève du 12 août 1949, la convention de l'Organisation de
l'Unité Africaine (OUA) sur l'élimination du mercenariat en
Afrique signée à Libreville le 3 juillet 1977 pose une
définition de l'activité mercenaire. Cette convention africaine
est l'aboutissement d'une concertation lancée en 1971 par les dirigeants
de l'Organisation de l'Unité Africaine réunis à Addis
Abeba6 qui dénonçaient « l'agression des
mercenaires en Afrique » et lancèrent un appel « aux
pays du monde entier pour qu'ils appliquent des lois décrétant
que le recrutement et l'entraînement sur leurs territoires sont des
crimes punissables et pour qu'ils dissuadent leurs citoyens de s'enrôler
comme mercenaires7. »
Largement inspiré du protocole additionnel des
conventions de Genève, la définition du mercenaire qu'en fixe la
convention exige la participation directe aux hostilités, mais à
la différence du protocole, elle procède à une
incrimination du mercenariat en le qualifiant de crime. En ce sens, la
convention africaine va plus loin que la charte internationale.
Toutefois, cette convention est conçue pour interdire
l'emploi de mercenaires pour lutter contre les mouvements de libération
nationale. Elle n'empêche pas les gouvernements africains de «
recourir eux-mêmes aux mercenaires pour se
défendre8 ». La convention de l'OUA ajoute une
dimension politique à la définition du mercenariat. En effet,
elle perçoit le mercenaire comme un acteur pesant dans les
décisions politiques de l'OUA et donc comme un facteur
d'instabilité du continent africain.
Ainsi, la définition du mercenariat dépend
très largement de la perception de la personne qui le désigne.
Que l'on soit partisan ou détracteur, le mercenaire ne
bénéficie pas de la même délimitation. Le projet de
cette étude n'est pas de dresser une liste exhaustive de toutes les
définitions du mercenariat. Il existe autant de versions que de
chercheurs sur le sujet. Toutefois, ces deux premiers exemples
témoignent de la difficulté de définir clairement et de
manière unanime le mercenariat.
Ne pouvant nier l'existence des sociétés
militaires privées, le Livre Blanc sur la défense et
la sécurité nationale de 2008 définit les SMP comme
étant « un organisme civil, privé,
impliquédans le cadre d'opérations militaires dans la
fourniture d'aide, de conseil et d'appui
6 Capitale de l'Ethiopie.
7 Propos rapportés dans le rapport 142 du
Sénat, p.9.
8 Rapport 142 du Sénat, p.9.
militaire, et offrant des prestations traditionnellement
assurées par les forces armées nationales9.
»
Cette définition française place d'emblée le
recours au privé en concurrence avec les forces
régulières. Cette notion de concurrence sera
développée dans la suite de l'étude.
Comme nous le verrons dans la typologie qui va suivre, les
employés d'une firme militaire privée ne sont pas recrutés
pour participer à un conflit déterminé. Ils font partie
d'un vivier de salariés de l'entreprise et à ce titre, ne
remplissent pas d'emblée le premier critère du protocole
additionnel aux conventions de Genève. Ainsi, ces salariés ne
peuvent être considérés comme des mercenaires. Cette
subtilité est bien pratique pour les Etats. En effet, le flou qui
entoure la définition du mercenaire permet aux gouvernements qui le
souhaitent d'avoir recours à ce type de services sans être
accusés. Ils se dédouanent ainsi des abus en tous genres que
pourraient commettre ces sociétés de sécurité
privées. Comprendre l'histoire du phénomène «
mercenaire » est aussi important que tenter de définir le
mercenariat. Si elles ne portent plus le nom de sociétés de
mercenariat, les firmes proposant des services de sécurité
privées répondent à d'autres appellations.
Chapitre 1 : Le mercenariat : des auxiliaires de guerre au
mercenariat entrepreneurial
Le terme « mercenariat » est associé à
l'image négative des pages de l'histoire africaine qu'ont écrites
un Bob Denard10 ou un Eben Barlow11. Trop souvent, le
mercenaire est perçu comme un être corruptible, assoiffé
d'argent, dénué d'éthique, se vendant au plus offrant. Il
n'en est rien. Le mercenariat ne découle pas de la décolonisation
africaine mais constitue une pratique vieille de plusieurs siècles,
parfaitement ancrée dans les moeurs de l'humanité. Dans cette
partie, il s'agira de montrer que le mercenariat a revêtu plusieurs
formes commerciales et idéologiques, s'adaptant sans cesse aux
époques traversées. D'une simple marchandise à
l'antiquité, le mercenaire est devenu une matière
précieuse à l'heure de la décolonisation. Enfin, avec le
besoin de sécurité mondial crée par l'effondrement du bloc
soviétique, le mercenariat s'est réinventé, grâce
notamment à l'argent des complexes militaro-industriels, pour devenir
enfin de véritables entreprises commerciales.
9 Livre Blanc sur la défense et la
sécurité nationale, Odile Jacob, 2008, p. 329.
10 (1927-2007), célèbre mercenaire
français, ayant agi pour le compte du SDECE français, il
participe à des coups d'état au Katanga puis propose ses services
aux Comores.
11 Fondateur de la société
sud-africaine Executive Outcomes, le lieutenant-colonel Barlow est un ancien du
32 Bataillon « Buffalo » sud-africain. Spécialiste du
renseignement et ancien des forces spéciales, après la fermeture
de sa société, il devient consultant et expert des questions de
défense. Il enseigne à présent dans des
universités.
I. Histoire du mercenariat
A. Période antique
Déjà sous le règne des Pharaons
de l'Ancien Empire, on retrouve des traces de mercenariat. En effet, comme le
souligne Philippe Chapleau, avec l'intensification du commerce et l'expansion
de l'empire égyptien, la convoitise des proches voisins pousse les
Pharaons à se doter d'une force de protection plus conséquente
qu'alors12. L'ancienne Egypte se tourne alors vers des
supplétifs étrangers pour augmenter massivement leurs effectifs
militaires nationaux. L'ancienne Egypte se tourne alors vers des
supplétifs étrangers pour augmenter massivement leurs effectifs
militaires nationaux. C'est sous la Basse Epoque égyptienne (environ
1000 à 330 avant JC) que le recours à des soldats «
étrangers » fut le plus important. Plus tard, vers 700 avant
JC, les Cités-Etats grecques eurent également recours aux
mercenaires pour défendre leurs portes. En raison de leur faible
démographie, les Cités-Etats ne pouvaient constituer une
armée citoyenne respectable13. L'utilisation de mercenaires
fut une pratique très développée dans le bassin
hellénique. Cette pratique posait déjà des
problèmes de conscience et d'emploi à la classe dirigeante.
Ainsi, le philosophe Xénophon écrivait vers 400 avant JC que
l'armée athénienne se discréditait aux yeux du monde en
recrutant des étrangers en son sein14.
Rome n'échappa pas non plus au recours
à la force mercenaire. Avec l'expansion de l'empire romain, il devint
difficile de lever une armée de nationaux. Aussi, les empereurs
eurent-ils systématiquement recours à des supplétifs pour
garder les frontières du royaume. Ces « barbares »
étaient attirés par l'argent mais aussi par la promesse
d'acquérir la citoyenneté romaine pour service rendu. Ainsi,
selon Tite-Live15, près de six cents mercenaires
crétois sont employés à la bataille de Trasimène en
217 avant JC. Toutefois, les empereurs romains se limitèrent à
maintenir au plus bas niveau l'emploi d'auxiliaires de combat.
La légendaire Carthage, ville ennemie de la
cité romaine, ne pu se soustraire à l'emploi de mercenaires
aguerris. Ainsi, lors de la Première Guerre Punique, Carthage alignait
près de 150 000 hommes. Tous ces soldats n'étaient pas
carthaginois. A l'issue du conflit, 20 000 d'entre eux, oubliés par
leurs chefs, ne furent pas payés par la cité ruinée. Ces
mercenaires se
12 CHAPLEAU Philippe, « Les mercenaires : De
l'antiquité à nos jours », Editions Ouest-France, 2006
p.9.
13 HANSON V.D., « Les guerres grecques, 1400 -
146 av. J.C. », Paris, Editions Autrement, collection Atlas des
Guerres, 1999 p.20.
14 HANSON V.D, Ibid, p.136.
15 TITE-LIVE, XXIV, 30, 13
soulevèrent alors. Ce fut la « Révolte des
Mercenaires16 », dont il est notamment fait mention par
Flaubert dans son roman « Salammbô ».
Si la période antique a vu se fonder le principe du
mercenaire, c'est bien à l'époque féodale qu'un changement
majeur s'est opéré.
B. Moyen Age
La féodalité est un système pyramidal qui
s'articule entre un suzerain et plusieurs vassaux, qui ont prêté
serment d'allégeance au suzerain. Ce suzerain peut également
être le vassal d'un seigneur plus puissant. Pour les campagnes
militaires, le suzerain requiert l'assistance de ses vassaux. Ceux-ci sont
chargés de la mise sur pied d'une armée. Chaque vassal doit en
effet à son suzerain le service d'ost, à savoir quarante jours de
service sur une année et ce, à titre gratuit (l'entretien de la
troupe est à la charge du vassal). Les seigneurs faisaient alors appel
à leurs « gens » pour armer les troupes occasionnelles. Ce
système, mal ordonné, engendra un problème majeur. En
effet, ces « soldats occasionnels », lorsqu'ils n'étaient pas
envoyés au combat, étaient désoeuvrés. Ils se
réunissaient alors en bandes et commettaient des forfaits pour leur
propre compte. Les Cottereaux furent l'une de ces bandes d' «
écorcheurs ». La guerre de cent ans (1337-1453) vint tout changer.
En effet, l'« Archiprêtre » Arnaud de Cervole17 eut
l'idée de rassembler autour de sa bannière des milliers de
soldats aguerris mais désoeuvrés et de proposer les services de
sa compagnie blanche au plus offrant. A sa manière, de Cervole
a crée le principe de société militaire privée.
Comme le souligne Peter Singer18, c'est l'absence de pouvoir central
à cette époque qui a favorisé le développement de
ce type d'organisations. C'est en Italie que l'essor de ces
sociétés fut le plus fulgurant. En effet, l'Italie constitue le
premier marché pour les mercenaires, en raison de la multitude de
CitésEtats qui se partagent une part importante des richesses. Ces
royaumes étaient en concurrence sur les trois plans politique,
économique et culturel et se faisaient régulièrement la
guerre. Confrontés au manque de ressources humaine et financière
pour lever une armée citoyenne, ces Cités-Etats firent appel aux
milices privées pour la défense de leurs intérêts.
Cette solution
16 CHAPLEAU Ph., MISSER F., « Mercenaires S.A.
», Paris, Editions Desclée De Brouwer, 1998, p.15.
17 Arnaud de Cervole, dit l'Archiprêtre, fut
un célèbre chef mercenaire dans les compagnies du XIVème
siècle. Fils cadet d'une modeste famille de petits seigneurs, il se
distingue lors de la guerre de cent ans et se voit rapidement élever par
le roi au rang de capitaine puis enfin de chambellan. Il s'enrichit grâce
aux nombreuses campagnes militaires de l'époque. Il peut-être
considéré à plus d'un titre comme un brigand et un
pillard.
18 SINGER Warren Peter, Corporate Warriors, The Rise of the
Privatized Military Industry,Cornell, Cornell University Press, 2003, 348
p.
s'imposa dès le 14ème siècle
à travers toute l'Italie19. Ainsi, les Condottieri,
liés à leurs employeurs par la condotta, devinrent
très vite incontournables. Ces Condottieri furent très vite
redoutables pour leurs employeurs et demandèrent des terres pour
rétribution de leurs services. Leur pouvoir devint immense et mit en
danger la stabilité des Cités-Etats. Ainsi, à l'instar du
grec Xénophon, Nicolas Machiavel20 mit en garde les puissants
contre l'usage des Condottieri : « Qui tient son Etat fondé sur
les troupes mercenaires n'aura jamais stabilité, ni
sécurité car elles sont sans unité, ambitieuses,
indisciplinées, infidèles, vaillantes avec les amis ; avec les
ennemis, lâches [...] La raison en est qu'ils n'ont d'autre amour ni
d'autre raison qui les retiennent au camp qu'un peu de solde, ce qui n'est pas
suffisant à faire qu'ils veuillent mourir pour toi. » Pour
Machiavel, la défense du pays basé sur l'emploi de mercenaires
est dangereuse dans la mesure où elle repose sur la santé
économique du pays ; loyauté rime avec fortune.
Les Suisses constituèrent par la suite les plus fameux
mercenaires d'Europe. Leur compétence fut très recherchée
et mise notamment au service du Pontificat. Le mercenariat continua de se
développer tout au long de la première moitié du
XVIIème siècle, pour devenir la première
industrie en Europe. Albrecht von Wallenstein21 devint l'un des
hommes les plus puissants d'Europe en constituant une gigantesque armée
privée.
C. Les Etats modernes
La Guerre de Trente ans (1618-1648) marqua l'apogée de
l'emploi des mercenaires. Devant le nombre de mercenaires employés dans
ce conflit et la masse de pertes subies, les gouvernements réagissent.
Le traité de Westphalie de 1648 vint mettre un terme au conflit et
favorisa l'avènement de l'Etat-Nation et de la notion du contrat social.
L'idée du peuple en arme se développe, atténuant
progressivement l'emploi de milices privées. Ainsi, les armées
nationales se développent massivement. En France, le cheminement est
plus long ; les mercenaires demeurent la norme dans les armées du Roy.
Le Duc de Choiseul, ministre de la Guerre de Louis XV, tenait se discours au
sujet du mercenaire : « L'acquisition d'un soldat étranger
équivaut à trois hommes : celui qu'on achète, celui qu'on
empêche l'ennemi
19 ROSI Jean-Didier, PRIVATISATION DE LA VIOLENCE,
Des mercenaires aux Sociétés militaires et de
sécurité privées, Paris, Editions L'Harmattan, 2009,
281 pages, p.28.
20 MACHIAVEL Nicolas, Le Prince, Chapitre XII :
Combien de sortes d'armées il y a, et des soldats mercenaires,
Editions Garnier-Flammarion, Paris, 1980, p.141.
21 Albrecht Wenzel Eusebius von Wallenstein ou
Waldstein, né le24 septembre 1583 et mort le 25 février 1634, est
un homme de guerre de la noblesse tchèque. Il a été le
plus fameux condottiere au service de l'Empire pendant la guerre de Trente Ans,
devenu généralissime des armées impériales, duc de
Friedland et de Mecklembourg.
d'acheter et le Français que l'on conserve à
l'agriculture22. » En France, il faudra attendre la
révolution pour que la nation se consacre à son armée et
que le peuple tout entier soutienne l'effort de guerre. Au
XIXème siècle, le mercenaire perd
définitivement de son prestige et de son utilité. Il faudra
attendre les conflits post-coloniaux pour voir réapparaître
massivement le mercenariat. La notion de souveraineté de l'Etat a ainsi
supprimé le recours au mercenaire. Au XIXème
siècle, le soldat idéologique remplace le mercenaire. On se bat
à présent pour des idées, pour la défense de
valeurs et d'un pays, non plus par cupidité. Céline (voyage au
bout de la nuit).
D. Cas particulier de la Légion
Etrangère.
Créée en 1831 par Louis-Philippe, la
Légion Etrangère permet à la France d'augmenter
substantiellement ses capacités militaires, défensives et
offensives. Une seule restriction d'emploi est posée, ces forces
supplétives ne peuvent être engagées qu'en dehors de la
métropole. La Légion Etrangère est engagée pour la
première fois en Algérie en 1831 afin de mater l'insurrection (la
France venait d'annexer l'Algérie fin 1830). Cette troupe aguerrie se
bâti rapidement une réputation à la hauteur de son courage
et de son dévouement à la France. La Légion est
engagée une unique fois sur le territoire métropolitain en 1870,
alors que la France est en grande difficulté face à la Prusse.
Les légionnaires furent rapatriés d'Algérie puis
intégrés à l'armée française jusqu'à
l'armistice général de 187123. Le cas de la
Légion Etrangère pose un problème fondamental dans notre
cas d'étude. A la question : la Légion estelle une force
mercenaire ? Il ne peut y avoir de réponse tranchée. En effet,
tout dépend de la définition donnée au mercenaire. De nos
jours, les régiments « étrangers » sont une composante
de l'armée de terre française. Ces régiments sont sous
commandement opérationnel des brigades de l'armée de terre et
sont gérés par le Commandement des Forces Terrestres de la
même manière que les autres régiments français.
Toutefois, il existe un commandement de la Légion Etrangère
(...). En outre, les drapeaux de la Légion Etrangère arborent la
devise « Honneur et Fidélité », différente de la
devise « Honneur et Patrie » brodée sur tous les
régiments de la « régulière ». Il est
légitime de s'interroger sur le sens à donner à cette
devise. A qui la Légion est-elle fidèle ? A la France ? Les
légionnaires sont fidèles à leurs chefs. Ces chefs sont
des officiers français fidèles à la République
française. De manière
22 CHAPLEAU Ph. Ibid. p.33.
23 ROSI, J-D, Ibid. pp 41, 42.
purement logique, les légionnaires sont par
conséquent fidèles à la France. Mais, au sens des
principes républicains énoncés par Marat, à savoir
que la République est indivisible, la Légion peut
être considérée comme une force mercenaire,
détachée de la République et de la Nation. Toutefois, son
étroit contrôle par le politique et les efforts
d'intégrations consentis ont fortement atténué le
passé mercenaire de la Légion Etrangère.
Comme nous venons de le voir, le mercenariat a pris naissance
dans l'Antiquité. D'une force d'appoint, cette pratique a lentement
évolué en activité commerciale lucrative jusqu'à
devenir une norme dans les pays européens. Profondément
ancré en Europe à partir du XVIème
siècle, son emploi s'estompe progressivement avec les Lumières et
l'avènement de l'Etat-Nation.
En sommeil au XIXème siècle, le
mercenariat connaît un essor à partir des années 1960.
L'essor des « chiens de guerre »
E. Les conflits post-coloniaux
La décolonisation engendra un désordre en
Afrique sans précédent dans l'histoire. La création
arbitraire de pays et les découvertes de ressources naturelles
précieuses et les luttent pour leurs conservations ont été
un terreau généreux au développement de certains groupes
de mercenaires. Ces « dogs of war » à l'image du
français Bob Denard, le britannique Mike Hoare ou encore le belge Jean
Schramme. Ces soldats de fortune, emmenés par un anticommunisme
exacerbé, sont intervenus en Afrique dans de nombreux conflits internes.
Ainsi, Bob Denard mit momentanément ses soldats au service de l'Union
Nationale pour l'Indépendance Totale de l'Angola (UNITA). L'Angola est
le second pays producteur de pétrole du continent africain. Après
le départ des Portugais, le pays est rapidement plongé dans un
conflit opposant les forces marxistes du Mouvement de Libération du
Peuple Angolais (MPLA) alors au pouvoir à l'UNITA de Jonas Savimbi.
Des unités de mercenaires s'illustrent dans de nombreux
pays, comme au Katanga en 1960, au Yémen en 1963 ou encore au Kurdistan
en 1974.
En 1975, le français Bob Denard est suspecté de
préparer un coup d'Etat contre le régime en place aux Comores.
« Le Corsaire de la République » est impliqué dans le
renversement du président autoproclamé Abdallah puis dans son
retour en 1978. Le mercenaire reste aux affaires aux Comores jusqu'en 1989,
année de l'assassinat du président Abdallah puis rentre en
France. En 1995, il participe au renversement du nouveau régime en place
aux Comores puis retourne à Paris24. Qu'il ait agit sur
demande du gouvernement français ou non, Bob Denard incarne
l'archétype du « mercenaire indépendant », guidé
par son idéologie et le goût des affaires, et a contribué
à l'écriture des pages de la décolonisation africaine.
Denard n'est pas le seul « affreux » à avoir sévi en
Afrique, mais il nous semblait opportun de souligner son action afin de
témoigner de l'importance du mercenaire dans la décolonisation
africaine. Toutefois il est nécessaire de rappeler que le mercenariat a
débuté son essor en raison de la multitude de tensions intra et
supra étatiques entraînées par la décolonisation. Ce
ne sont pas les mercenaires qui ont fait l'Histoire africaine, ils n'y ont que
participés certes, mais violemment. Selon Jean-Didier Rosi, ce sont les
Etats faibles, «minés par le népotisme» qui
24 Compte rendu des audiences du procès Denard,
http://www.comores95.info/Blog%20du%20proces%20Denard.htm#jugement.
ont été « livrés sur un plateau
d'argent, d'or et de diamant à des baroudeurs sans scrupules dont
l'unique souci était de s'enrichir vite et bien
»25.
Si les conflits post-coloniaux ont progressivement
ramené le mercenariat sur la scène mondiale, la fin du
régime de la terreur, entretenu par les deux puissances majeures,
constitue l'évènement majeur de l'essor des
sociétés militaires privées et de la nouvelle
économie mercenariale.
F. La fin d'un monde bipolaire
« La [fin de la] Guerre Froide a laissé un vide
béant et j'ai vu u'une niche venait de se créer sur le
marché [de la guerre]26. » Eben Barlow, fondateur
d'Executive Outcomes, 2002
La rupture brutale de l'équilibre de la terreur entre
les deux grandes puissances de la guerre froide n'a pas rendu le monde plus
sûr ni plus équilibré. Bien au contraire, la chute du Bloc
soviétique a entraîné une multitude de conflits et de
crises régionales qui nécessitent le recours à la force
dans le cadre d'opérations de rétablissement ou de maintien de la
paix. Ainsi le Réseau francophone de recherche sur les opérations
de paix recense près de soixante opérations (menées sous
mandat de l'Union européenne, de l'ONU ou de l'OTAN) depuis 1990. Deux
facteurs majeurs liés à l'effondrement du bloc soviétique
peuvent à notre sens expliquer l'essor des sociétés
militaires privées.
Le premier point réside dans le fait que les petits
pays, jadis placés sous protectorat des deux Grands, n'ont plus les
moyens de faire face à la multitude de conflits liés à la
fin de l'équilibre est-ouest. Les subventions fournies par les deux
hyper puissances n'ont plus cours, les petits gouvernements ou les dictatures
n'ont plus les moyens d'entretenir une armée professionnelle et ont par
conséquent recours à des armées privées. Le second
point concerne la réduction continue des budgets de défense et
des effectifs militaires amorcée depuis 1990. Cette baisse drastique de
l'effort de défense a réduit de manière significative la
capacité d'intervention des états. En effet la folle
frénésie de la course aux armements engendrée par la
guerre froide a rapidement pris fin en 1990. En outre, les attentats du 11
septembre ont brutalement révélé l'existence d'une autre
forme de violence supra-étatique, à savoir le terrorisme mondial,
islamique en particulier que les états doivent impérativement
contrer. Ainsi, devant la multiplication des crises cette dernière
décennie, les états et les grandes
25 ROSI J-D, Ibid. Pp 73,74.
26 SINGER Peter Warren, Corporate Warriors : The
Rise of the Privatized Military Industry, Cornell University Press, 2008,
p.101.
organisations internationales ont de plus en plus recours
à l'emploi de sociétés militaires privées pour la
gestion des crises.
G. « Chiens de guerre » : les exemples
anglo-saxons
Executive Outcomes
Cette société devint rapidement
célèbre et marqua l'histoire du mercenariat par le
déploiement d'unités combattantes sur le champ de bataille.
En 1993, le gouvernement acculé par les forces de
l'UNITA fait alors appel aux membres d'une jeune société
sud-africaine créée en 1989 par Eben Barlow : Executive Outcomes
(EO). Fondée par un ancien membre du 32° bataillon des Forces
armées nationales sud-africaines (SANDF), la société se
présente comme une firme commerciale et affirme vendre un produit. Elle
se propose en effet de mener des opérations pour le compte d'un Etat. En
cela, EO se pose en pionnière du mercenariat entrepreneurial. La
société s'inscrit dans une logique voulue par Prétoria
à la fin de l'Apartheid, à savoir reclasser les anciens des
forces spéciales dans une structure bien organisée. Cette
société multiethnique va alors profiter du savoir-faire
irremplaçable de nombreux membres des unités d'élites
sud-africaines et va mettre sa compétence au service de causes plus que
douteuses et d'entreprises implantées en Afrique. Car EO fait partie
d'un conglomérat de sociétés de sécurité
privée et de compagnies minières. Executive Outcomes s'est
distingué lors du conflit angolais. Sollicitée par le MPLA pour
former les forces armées angolaises (FAA) pour un contrat total de 40
millions de dollars, la firme est rapidement évincée du pays par
les Etats-Unis. L'administration du président Clinton introduit alors
une société américaine, MPRI, qui reprend le contrat de
formation de l'armée angolaise27. EO se réfugie alors
dans l'ouest africain et sera impliqué dans l'affaire des «
diamants de sang » en Sierra Leone, dont le film « Blood Diamond
» de Edward Zwick fait référence. EO, à la demande du
gouvernement local, harcèle sans relâche les combattants du
Revolutionnary United Front (RUF) et s'attire rapidement les foudres des ONG,
de l'Afrique du Sud mais surtout des Etats-Unis. Sous la pression
internationale et l'adoption par le gouvernement sud-africain du Foreign
Assistance Military Act le 1er janvier 1999 (législation
portant sur la répression des activités mercenaires), EO s'auto
dissout.
Sandline International Ltd.
27 SPICER Tim, «An Unorthodox Soldier»,
édition Mainstream, 1999, pp.50-51.
Société britannique homologue à EO,
Sandline est dissoute, suite à un scandale impliquant le gouvernement
britannique dans le contournement d'un embargo sur l'importation d'armement.
Selon un rapport d'enquête du Parlement britannique, en 1997, Tim Spicer,
aurait été chargé par un tiers indien proche de l'ancien
président de Sierra Leone, Ahmad Tejan Kabbah (évincé par
le RUF), de recruter des mercenaires et d'acheter de l'armement à
destination de Sierra Leone. L'envoi d'armes, depuis la Bulgarie jusqu'en en
Afrique, en totale violation de l'embargo voté par le Conseil de
Sécurité des Nations Unies (CSNU), a suscité l'indignation
internationale et la colère de la couronne britannique. En effet, pour
se tirer d'affaire, les dirigeants de Sandline International Ltd
affirmèrent que le gouvernement britannique était au courant des
agissements de la société et qu'il aurait couvert la transaction.
En réalité, seuls quelques hauts fonctionnaires britanniques
connaissaient les intentions de la société. Cette
révélation déclencha une crise sans
précédent à Londres qui faillit pousser Tony Blair
à la démission. La société militaire privée
fut dissoute en 2004.
Executive Outcomes et Sandline International Ltd sont deux
entreprises qui témoignent de la volonté de leurs dirigeants de
donner une légitimité au mercenariat et une image acceptable du
mercenaire. Intégrées dans des structures financières
globalisées aux capitaux solides, ces firmes ont rapidement pris une
dimension internationale. Ces deux entreprises possédaient les
ressources financières et la capacité logistique de
répondre à toutes les attentes de leurs clients potentiels. Selon
Philippe Chapleau, Ibis Air, une compagnie de charter, fut rachetée par
EO afin d'offrir à celle-ci une « indépendance
opérationnelle » vis-à-vis de la concurrence. Malgré
des ressources immenses et une organisation bien structurée, EO et
Sandline ont vacillé sous le poids de l'image d' « Affreux »
encore accolée au mercenariat.
La fermeture de ces deux sociétés marque la fin
des sociétés combattantes dans la sphère des compagnies
privées de sécurité. Toutefois, on dénote que ce
type de sociétés a largement satisfait les employeurs et ravi le
secteur militaro-industriel, américain notamment. EO et Sandline ont
contribué de manière significative à faire évoluer
le mercenariat. Dans le contexte de la professionnalisation des armées,
devenue évidente au XXIème siècle, les
sociétés militaires privées délaissent la
sphère combattante et évoluent vers d'autres secteurs de la
défense.
Ainsi cet historique permet de prendre conscience de la
naissance du mercenariat et de l'évolution de cette activité tout
au long de l'histoire des peuples. D'un emploi massif dans la majorité
des conflits qui ont marqué l'histoire, le mercenaire est à
présent employé de façon marginale.
Chapitre 2 : Le néo mercenariat : Entreprises
contemporaines et développement de secteurs de compétences
I. Le besoin de typologie
A. Contexte
Afin de parfaitement appréhender les enjeux liés
à l'emploi des sociétés militaires privées dans la
remise en cause de la souveraineté de l'Etat, il convient de faire un
travail préalable d'analyse des secteurs d'interventions de ces
nouvelles sociétés militaires privées. En effet, il s'agit
de réellement pouvoir distinguer ces sociétés militaires
d'autres organismes nationaux ou non gouvernementaux. Dans notre étude,
nous allons tenter d'établir une typologie, qui permettra de mieux
comprendre les enjeux pour la souveraineté des Etats, de la
privatisation.
De nombreux chercheurs ont auparavant tenté de
procéder à une semblable classification. Ce travail de typologie
a rapidement atteint ses limites en raison de la complexité des secteurs
de compétence des firmes privées28. Christopher
Kinsey, un expert britannique de sociétés militaires
privées, souligne cette difficulté en expliquant dans ces travaux
de recherche que certaines sociétés fournissent des services
couvrant un large panel. En effet, une société peut à la
fois effectuer des travaux de gardiennage, de construction de bâtiments
et de déminage.
Outre ce flou engendré par les différentes
sphères de compétence des SMSP, la dénomination de ces
sociétés pose un problème plus grave encore. Encore
parfois appelés mercenaires, les membres de ces sociétés
préfèrent le qualificatif de « contractors ». Il
conviendra donc dans cette étude de démêler
l'écheveau et de proposer une typologie qui puisse répondre
à l'exigence de discrimination qui s'impose lorsque l'on parle des
SMSP.
B. Les limites de la dichotomie
Le terme SMSP regroupe deux grandes catégories de
sociétés, les sociétés de sécurité
privées (SSP) et les sociétés militaires privées
(SMP). Cette dichotomie sert souvent de classification lors de recherche sur le
thème de la privatisation de la violence. Cette typologie, que nous
jugeons de simpliste, oppose d'une part les sociétés qui offrent
des services passifs aux sociétés qui s'aventurent sur des panels
de compétences qualifiés d'offensif. Ainsi les SSP s'occuperaient
de la protection des installations militaires et des personnes. Les SMP quant
à
28 KINSEY Christopher, Corporate Soldier and
International Security : the Rise of Private Military Compagnies, Londres,
Routledges, 2006, pp 31-33.
elles, fourniraient des activités relevant des
opérations de combat, du renseignement, de l'appui opérationnel
et stratégique et de la logistique.
Cette typologie minimaliste présente un défaut
majeur. En effet, le caractère offensif ou défensif d'une
activité repose sur la perception qu'en ont les acteurs (salariés
comme clients). En outre, au sens militaire de la stratégie, afin de se
prémunir d'une attaque à venir de l'ennemi, l'ami, alors en
posture défensive, doit parfois frapper un grand coup sur les
arrières de l'ennemi. L'ami passe ponctuellement d'une attitude
défensive à offensive, sans que cela modifie à long terme
ses buts de guerre. En outre, cette typologie ne prend pas en compte la
dimension éthique de la société privée. En effet,
depuis les nombreuses lois adoptées par les états et les
déboires des sociétés comme EO, le caractère «
propre » et la charte éthique de la société
privée est un critère majeur de classification. Il convient donc
d'être prudent dans le choix de la typologie retenue.
II. Méthodologie de la classification
Pour réaliser notre typologie, la méthode
utilisée s'appuiera sur les travaux de Peter Warren Singer.
A. Les travaux de Peter Warren Singer29
Dans son ouvrage déjà cité en
référence, le chercheur énonce six critères qui lui
permettent de dresser un comparatif entre le marché du mercenariat (dit
classique) et l'économie de marché que représentent les
Private Military Companies (PMC). Les six critères de Singer
sont :
- le théâtre d'action de la société
(1);
- l'employeur de la société (2) ;
- les motivations de la société (3) ;
- le(s) mode(s) de recrutement de la société (4)
;
- le business-model de la société (5) ;
- le service proposé par la société (6).
Ces six critères, appliqués systématiquement
à chaque entreprise étudiée, permettraient de distinguer
la sphère de compétence de la société et de dresser
une typologie satisfaisante.
Toutefois, eu égard à notre étude, nous
avons fais le choix d'introduire un septième critère de
sélection, le cadre juridique (7) dans le lequel évolue la
société. En effet, devant la réticence de certains
états à promouvoir le recours aux SMP, il nous a paru opportun de
prêter un oeil attentif au cadre légal dans lequel évolue
les SMP. Outre la manière dont les opinions publiques internationales et
les gouvernements perçoivent l'attitude des SMP et la conception qu'ils
se font des services proposés par les firmes de guerre, la perception
des dirigeants des SMP de leur propre entreprise sera
considérée.
29 Professeur de sciences politiques américain,
Peter Waren Singer est expert de l'évolution militaire au
XXIème siècle.
B. De la légalité de ces firmes de guerre
L'important est de savoir si la société s'engage
à respecter une charte de bonne conduite, et par conséquent, de
connaître le degré de respectabilité (si toutefois cet
aspect peut être relevé sur une échelle) de cette
entreprise. Ce critère nous permettra de réfléchir
à l'opportunité par un Etat démocratique et scrupuleux, de
recourir à cette société pour ses opérations. Sans
toutefois rentrer dans les méandres dans un débat sur la guerre
juste, il parait évident que la guerre doit aujourd'hui pouvoir se
justifier. Soumise dans la plupart des cas à l'approbation des
parlements et si possible soutenue par des entités supranationales
(comme les Nations Unies), les opérations de maintien de la paix et les
interventions militaires doivent être menées avec la plus grande
transparence. En outre, le développement des nouvelles technologies de
l'information et de la communication (NTIC) propulse la guerre sur des devants
médiatiques jamais inégalés jusqu'à présent.
Chaque évènement isolé devient très vite
planétaire, relayé par les télévisions du monde
entier et circulant à très grande vitesse sur la toile
développée par les réseaux sociaux. Ainsi, l'action
militaire doit être propre, afin de ne pas s'attirer le
mécontentement de l'opinion publique internationale. Cette nouvelle
norme du XXIème siècle touchait déjà les
états et les gouvernements de la planète, elle atteint
aujourd'hui les entités non gouvernementales, au sein desquelles
évoluent les sociétés militaires et de
sécurité privées.
III. Typologie
A. Le mercenariat classique : type n°1
Le mercenaire est dans la majorité des cas un «
étranger » (critère n°1) du pays dans lequel il exerce
son activité. L'état ou l'entité qui l'emploi ne le
considère pas comme une de ses forces légitimes (2) mais comme un
simple « auxiliaire » salarié (3). Le soldat
intérimaire est motivé par l'argent et la soif d'action. Le
recrutement (4) de ce type de soldat est mené de manière
discrète, parle biais de réseau internes. De même, le
client (par exemple un état) engage le groupe mercenaire selon ses
besoins (le volume et la durée de la mission sont arbitraires)(5). La
nature des services proposés par le mercenaire est le combat. A ce
titre, il ne diffère pas du soldat conventionnel (6). In fine le
mercenaire n'évolue pas dans un cadre juridique légal. Son action
est discrète et souvent condamnable par les lois nationales et
internationales (7). Tous ces critères définis permettent
d'affecter le mercenariat classique dans un premier groupe, le type n°1.
Le type n°1 correspond ainsi à des sociétés qui se
distinguent par leur participation directe au combat.
Exemple :
- Bob Denard
- Les « Affreux »
B. Les Private Combat Companies (PCC) : le type
n°2
La fin de la guerre froide, la multiplication des crises
régionales inhérentes à la rupture brutale de
l'équilibre est-ouest et la mise sur le marché de milliers de
soldats désoeuvrés (suite à la réduction du format
des armées modernes) sont trois critères majeurs qui poussent
à la mutation du secteur du mercenariat. De groupes ad hoc, les bandes
de mercenaires se muent en structures organisées, munies d'un
modèle économique et d'arguments commerciaux efficaces.
Désignées par Christopher Kinsey30 sous le terme de
Private Combat Companies, ce type de sociétés
nées au début des années 1990, constituera le
deuxième type de notre classification.
30 Le professeur Christopher Kinsey est spécialiste de la
question de l'impact de la sécurité privée sur les
politiques internationales.
A l'instar des mercenaires, les sociétés de type
n°2 agissent à l'étranger (au sens du siège
social)(1). Comme les mercenaires, elles agissent au service des Etats mais
aussi, et là réside la différence avec le type n°1,
ces sociétés reçoivent comme clients des groupes
industriels privés (2). Comme pour le type n°1, c'est l'appât
du gain qui motive ces sociétés, à la différence
que celui-ci est tourné à présent vers le groupe et non
vers l'individu (3). D'un recrutement discret au temps du mercenaire, on passe
alors à un recrutement structuré, basé sur un
réseau de compétence (anciens membres de forces spéciales
notamment). Des bases de données sont créées (4). Les
sociétés sont structurées et possèdent un
siège social. En outre, elles sont le plus souvent regroupées au
sein d'un consortium plus vaste qui augmente la puissance économique de
la société (5). Le service proposé au client demeure le
combat ou l'appui direct aux forces gouvernementales (au sens militaire du
terme). L'entraînement de forces professionnelles peut ponctuellement
être délivré (6), comme l'a fait la société
Executive Outcomes au profit des Forces Armées Angolaises. Bien que
possédant un siège social, ces sociétés agissent le
plus souvent en marge des lois internationales (7). Désignées
comme des groupes de mercenaires par les observateurs des Nations Unies, elles
ne résistèrent pas à la pression internationale.
Comme le souligne en 1997 l'ancien rapporteur spécial
pour la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, Enrique
Ballesteros31, le mercenariat nuit très gravement aux droits
de l'Homme et à l'autodétermination des peuples. En effet, les
articles 117 et 118 de sa conclusion sont amers envers les mercenaires. Nous
avons jugés opportuns de les citer ici.
- Article 117 : L'activité mercenaire et le
comportement même du mercenaire compromettant sérieusement
l'exercice des droits de l'homme,
l'autodétermination des peuples, la stabilité
des gouvernements constitutionnels ainsi que la paix
et la sécurité internationales, l'activité
mercenaire et le métier de mercenaire doivent être clairement et
catégoriquement interdits. Considérer qu'il est
des cas où l'activité mercenaire peut être illégale
et des cas où elle peut être légale est une distinction
dangereuse qui peut nuire aux relations internationales de paix et de respect
entre les Etats.
- Article 118 : En l'état actuel des choses, les
dispositions internationales relatives aux mercenaires sont lacunaires ou
insuffisantes et ambiguës, ce qui prête à des
interprétations
31 Rapport sur la question de l'utilisation de
mercenaires comme moyen de violer les droits de l'homme et d'empêcher
l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes,
présenté par le Rapporteur spécial, M. Enrique Bernales
Ballesteros, conformément à la résolution 1995/5 et
à la décision 1996/113 de la Commission des droits de l'homme,
disponible le 13 juillet 2011 à l'adresse suivante :
http://www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/TestFrame/f504de29db55c8f58025666b0059cfb6?Opendocumen
t.
contradictoires. Cette situation, aggravée par le fait
que dans la plupart des pays la législation soit
silencieuse sur le mercenariat en tant que délit
autonome et qu'il n'existe pas non plus d'accord d'extradition qui garantisse
dans tous les cas la répression de ce délit,
facilite la perpétration d'actes criminels
et dans de nombreux cas l'impunité de leurs auteurs.
L'article 117 est intéressant dans la mesure où
le rapport spécial de l'ONU demande l'interdiction formelle du recours
au mercenariat. Selon lui, aucun gouvernement ni chercheur ne devrait
opérer de distinction entre le cadre légal de certaines
activités et le cadre illégale d'autres activités
mercenaires. Pour le rapporteur spécial, mener une classification des
activités donnerait une opportunité immense aux mercenaires qui
tenteraient de dissimuler leurs activités.
Si Enrique Ballesteros se montre intransigeant avec les
mercenaires, il concède que le secteur du mercenariat subit une
transformation certaine, liée au développement fulgurant de la
demande suite à l'ère post guerre froide. Il le mentionne
notamment à l'article 124 de son rapport : « Les activités
mercenaires sont diversifiées et sont en pleine mutation... ».
Devant la faiblesse des lois de l'époque, il ne suggère pas mais
exige que les gouvernements condamnent fermement les activités
mercenaires et mettent en place des mesures concrètes de lutte contre
les activités mercenaires.
En outre, il développe un thème important qui
s'inscrit pleinement dans notre étude. Il dénonce les collusions
existant entre SMP et mercenaires. Ainsi, l'article 128 de son rapport dispose
: « Il est apparu - et c'est une tendance internationale nouvelle -
des sociétés enregistrées légalement, dont le but
est d'assurer des services de sécurité, de conseil et
d'instruction militaires aux forces armées et policières de
gouvernements légitimes. Quelquesunes de ces sociétés ont
été accusées de recruter des mercenaires et de
dépasser les tâches d'instruction et de conseil pour : intervenir
militairement dans des combats et s'occuper d'affaires politiques,
économiques et financières du pays avec lequel elles ont
passé contrat. Si cette tendance se confirme, la notion de
sécurité et la nature des relations internationales
fondées sur la souveraineté de l'Etat qui ont
caractérisé le XXème siècle, ainsi que
le système international de protection et de promotion des droits de
l'homme s'en trouveraient bouleversés ». Il suggère
alors à la commission de mettre en place un organe de surveillance des
SMP.
Enrique Ballesteros dénonce clairement dans son rapport
les agissements de certaines sociétés mercenariales. Pour ses
recherches, il s'est rendu avec son équipe en Afrique du Sud
afin d'enquêter au plus près sur les agissements des
sociétés sud-africaines. De ses voyages aux
Royaume-Uni, il rapporte que le gouvernement britannique se
montre très inquiet au sujet du vide juridique laissé par la
législation internationale.
In fine, monsieur Ballesteros se montre très acerbe au
sujet des grands groupes industriels occidentaux, allant même
jusqu'à dénoncer des collaborations étroites entre les
firmes multinationales, les banques américaines ou britanniques et
l'industrie de l'armement. En outre selon lui, des similitudes troublantes
entre Etats occidentaux existeraient : « Les Etats Unis ont leur
Military Professional Resources Incorporated, la Grande Bretagne Defense
Systems Limited, l'Afrique du Sud Executive Outcomes, la France sa COFRAS
(...). » Il classe ainsi sans retenue ces sociétés dans le
groupe des compagnies privées de mercenaires. Nous apporterons une
réserve quant à la classification de MPRI et de COFRAS dans cette
catégorie de sociétés.
En effet, COFRAS est une filiale de la société
Défense Conseil International, société entièrement
légale aux agissements transparents. MPRI est une société
américaine créée en 1987, qui bénéficie
d'une bonne image auprès de l'opinion internationale.
Soupçonnée en 1995 d'avoir participé de manière
active aux opérations militaires aux côtés de
l'armée croate, MPRI a essuyé de nombreuses tentatives de
discrédits. Ces allégations n'ont jamais été
prouvées. C'est à ces épisodes douteux que monsieur
Enrique Ballesteros fait allusion dans son rapport.
Ces sociétés, de type n°2, ont aujourd'hui
disparu. La société MPRI, malgré les tentatives de
calomnies de certains auteurs et chercheurs, ne peut pas être
classée dans cette catégorie.
Exemples de sociétés de type n°2 : -
Executive Outcomes ;
- Sandline International Ltd ; - Gurkha Security Guards.
C. Les sociétés d'appui stratégique :
le type n°3
Présentes sur les théâtres majeurs
actuels, ces sociétés offrent des prestations dans la
sphère de l'opérationnel. Les services fournis sont de domaines
très variés : déminage, renseignement, escorte de convois,
sécurisation d'axes ou d'infrastructures.
Ces sociétés opèrent à
l'étranger et sont sollicitées sur les principaux
théâtres d'opérations (1).
Sollicitées par les gouvernements, par les ONG ou les
structures supra étatiques comme l'OTAN ou l'UE, ces
sociétés peuvent également répondre à
l'appel de groupes industriels privés (2). Motivée par le
développement économique de leur entreprise, ces
sociétés tentent de gagner la majorité des contrats «
juteux » initiés par les nombreux conflits (3). Disposant d'une
large base de données, ces sociétés ont recours à
l'expertise de nombreux anciens militaires, formés aux méthodes
du déminage ou de la protection rapprochée (4). Ces
sociétés possèdent un fort esprit d'équipe,
véhiculé par des cadres dynamiques. Ces entreprises sont
articulées autour d'un modèle économique viable et
animées d'un esprit d'équipe solide, centré sur
l'expertise de ses membres (5). Les services proposés par ces
sociétés ont été énumérés en
début de paragraphe (6). Globalement, ce qui distingue ces
sociétés de celles de deux premiers types repose sur le
caractère légal de leurs actions. Les sociétés
d'appui stratégiques comme Ronco Consulting
(société réputée de déminage) s'inscrivent
pleinement dans un cadre juridique solide et jouissent d'une
légitimité totale sur les théâtres
d'opérations (7). Très bien ancrées dans le paysage
opérationnel, ces sociétés sont devenues des acteurs
incontournables de la sécurisation des zones de conflits. Elles
constituent le type n°3 de notre typologie.
Exemple de sociétés de type n°3 :
- Ronco Consulting ;
- Erinys (siège social Dubai).
D. Les sociétés de logistique : le type
n°4
Opérant le plus souvent à l'extérieur de
leurs frontières, ces sociétés de logistique peuvent
ponctuellement être engagées dans la lutte contre les catastrophes
naturelles - en 2005, après la catastrophe engendrée par le
passage du cyclone Katrina, des membres de la société KBR, dont
le siège social se situe à Houston ont été
mandatés pour la reconstruction dans des zones de la
Nouvelle-Orléans. Ainsi, ces nouvelles sociétés peuvent
opérer aussi bien sur le territoire national qu'à
l'étranger (1). Ainsi, on retrouve la société KBR en Irak,
au Koweït, en Afghanistan où la société est notamment
chargée de la protection de l'aéroport-base de KAIA (Kaboul
International Airport). Mandatées par les gouvernements, les ONG et les
organisations internationales gouvernementales mais aussi par d'autres
sociétés militaires privées dans le cadre de
sous-traitances (2), ces sociétés sont motivées par le
profit engendré par les immenses chantiers liés à la
reconstruction post-conflit (3). Bénéficiant d'une base de
données contenant les noms de centaines de cadres
compétents, ces sociétés de logistique s'appuient
également sur des recrutements locaux afin d'asseoir leur
autorité et leur légitimité dans les zones où elles
servent. Les salariés locaux constituent également une main
d'oeuvre bon marché dont il semble difficile de se passer pour
dégager des bénéfices conséquents (4). A l'image de
la société KBR qui se définit « comme un grand
fournisseur de services de Défense32 », ces nouvelles
firmes sont de véritables multinationales, dont les succursales
innombrables recouvrent la quasi-totalité du globe (5). Les services
proposés par ces sociétés de logistique sont la
construction des axes routiers, l'aménagement des bases militaires, la
restauration collective, la collecte et la distribution d'eau potable, etc (6).
Ne bénéficiant pas du droit de port d'armes, les employés
de ces sociétés fournissent un service qui s'inscrit pleinement
dans la légalité. Les missions conduites sont menées dans
le strict respect des lois internationales et tentent de se conformer aux lois
nationales des pays hôtes (7).
Ces sociétés de logistique ne conduisent pas de
missions à caractère militaire. Elles sont chargées de
tâches annexes, dont la légitimité est établie. Ne
portant pas d'armes, elles ne sont pas concernées par les nombreuses
restrictions d'emploi des SMP qui voient le jour dans les zones de conflits.
Par leur attitude non hostile, ces sociétés
bénéficient d'une image favorable qui leur permet
d'évoluer dans tous types d'environnement.
Exemples de sociétés de type n°4 :
- KBR (Kellogg, Brown and Root) ;
- Serco-Sodexho Defence;
- PAE (Pacific Architects and Engineers);
- Dyncorp.
32 http://www.kbr.com/
E. Les sociétés de consultance : le type
n°5
« Nous n'appuyons pas sur la gâchette. Nous
entraînons les gens à appuyer sur la gâchette
».33
Les sociétés pouvant être
regroupées dans ce type constituent, à notre sens, le cas
d'étude le plus intéressant. Désignées sous le
terme de sociétés de consultance, ces sociétés
proposent des services tels que la formation, de cadres ou de personnels, ou
encore le conseil aux gouvernements. La citation choisie pour illustrer cette
partie est lourde de sous-entendus et témoigne parfaitement de la
difficulté pour les clients, qu'ils soient gouvernementaux ou
d'intérêts privés, de recourir à ce type de
sociétés.
Les services dits de « conseil » recouvrent
principalement deux aspects militaires, la formation de personnels et le
guidage des dirigeants dans le choix du matériel et des doctrines
militaires.
Dans le domaine de la doctrine, la société peut
ainsi imposer ses propres choix stratégiques et son mode de
pensée au pays client. Parfois, le pays cible n'est pas le client. En
effet, l'armée américaine a notamment chargé une
société militaire privée, spécialisée dans
le conseil, de former les neuf premiers bataillons de la toute nouvelle
armée irakienne. Ainsi, Vinnell s'est vu confié par le Pentagone
en juin 2003 cette lourde mission de formation. Pour les généraux
américains, utiliser cette société possède le
double avantage (1) d'épargner les soldats américains et de les
recentrer sur des actions de combat et (2) de s'assurer que les nouveaux
soldats irakiens seront formés à l' « américaine
». Les dirigeants des Etats-Unis s'assurent de fait une double
tranquillité d'esprit. En effet, en cas de soulèvement, il sera
plus facile de combattre une armée dont on connaît parfaitement
les procédures et les modes d'actions et qui plus est, utilise les
matériels qu'on lui a vendus tout récemment. Car les instructeurs
de la société Vinnell sont majoritairement américains,
rompus aux tactiques américaines. En outre, ils vantent sans
relâche aux officiers irakiens moulés à leur image, les
mérites et la supériorité du matériel issu de
l'industrie américaine de l'armement. Une autre société
américaine s'est vue confiée un juteux contrat par le Pentagone :
MPRI. La Military Professionnal Rand Inc, rachetée en 2000 par la
société L3 Communications (spécialisée dans
l'électronique et le renseignement économique) est en charge de
la rédaction de la doctrine de l'Armée Nationale Afghane (ANA).
Les cadres de MPRI sont en outre chargés de la formation et du conseil
des
33 Citation d'un cadre de la société
Vinnell, rapportée par K.Willenston, L.Norman dans « Saudi Arabia ;
This Gun for Hire », Newsweek, 24 février 1975
chefs de corps des Kandak afghans. MPRI a été
fondée en 1988 par huit généraux américains
à la retraite. Comptant parmi ces cadres l'ancien directeur de la
formation du FBI, M. Wolfinger et un ancien chef d'état-major de
l'armée de terre américaine, le général Carl Vuono
ainsi que Harry Soyster, ancien directeur de la Defense Intelligence Agency
(les renseignements militaires américains)34, la
société se définit comme « la plus grande
entreprise d'expertise militaire du monde35 ». La
société disposerait d'une base de données de près
de 14000 experts, disponibles sur ordres. MPRI a bâti sa
notoriété sur son expertise et son refus formel de prendre part
aux combats. Son site Internet est éloquent.
Utiliser ce type de sociétés procure des avantages
certains pour qui sait les utiliser à bon escient.
Toutefois, la frontière est floue entre le conseil
militaire et la mise en pratique sur le terrain. Le déploiement de
membres d'une société de ce type aux côtés de
soldats en formation évoluant sur le terrain est proscrit. Se
déployer sur le terrain comme « mentor » ne rentre pas dans
leur champ de compétences. En raison de l'absence d'organes de
contrôle indépendant, il convient de s'en remettre à la
candeur supposée des portes paroles de ces sociétés.
Toutefois des faits tangibles viennent prouver que la
frontière est mince entre conseil et intervention. En effet, en 2004,
lors de la bataille de Najaf, des soldats américains et des membres de
la célèbre société Blackwater ont été
encerclés par les insurgés. Réfugiés sur un toit
pour échapper aux tirs des rebelles, ils ont été
héliportés par un hélicoptère de la
société Blackwater. Le problème lié à la
société Blackwater est que les contrats signés avec le
Pentagone le sont pour des services défensifs (sécurité de
sites ou protection d'autorités) ou de formation. Toutefois, on retrouve
ses membres régulièrement aux côtés des forces
spéciales américaines. Avec les méthodes peu
conventionnelles de ces employés, la société se fait de
nombreux ennemis. Après la fusillade déclenchée par des
employés de Blackwater au centre de Bagdad le 16 septembre 2007 qui
coûta la vie à 17 civils irakiens36 (ils ne portaient
pas d'armes), le gouvernement irakien décida de ne pas renouveler
l'autorisation de cette société à exercer dans le pays. En
effet, dès le lendemain de la fusillade, le porte-parole du
ministère irakien de l'Intérieur, Abdul-Karim Khalaf,
déclarait que « le fait d'être chargé de la
sécurité ne les [autorisait] pas à tirer sur les gens
n'importe comment »37 Cette décision irakienne est un
véritable coût de massue pour les dirigeants de Blackwater.
Ancrée dans le
34 ROSI J-D, Ibid. p99.
35 Slogan disponible sur le site internet de la
société.
36 LESNES Corinne, « La société
Blackwater impliquée dans une fusillade à Bagdad », Le
Monde, le 18 septembre 2007.
37 Même article qu'à la note 22.
paysage irakien depuis mars 200338, assumant de
nombreux contrats avec le Pentagone et les grands groupes pétroliers, la
société doit se résoudre à rebaptiser Xe en
février 2009. Elle bascule ses activités en Afghanistan, autre
théâtre majeur où elle était déjà bien
implantée mais ces pertes financières s'élèvent
à plusieurs millions de dollars.
Ces sociétés de type n°5 agissent le plus
souvent sur les théâtres majeurs. Leurs sièges sociaux
étant le plus souvent domiciliés aux Etats-Unis, nous pouvons
largement considérer que le territoire d'action est l'étranger.
Toutefois, à l'instar des sociétés de type n°4,
certaines sociétés peuvent ponctuellement intervenir sur le
territoire national, comme lors du cyclone Katrina (1). Les employeurs sont les
gouvernements ou de grands groupes industriels (2). La motivation de ce type de
société est sans conteste le développement
économique, par le biais de la multiplication des contrats, sur tous les
terrains (3). Le mode de recrutement est identique à celui des
sociétés de type n°3. Dans le cas de la
société Blackwater, le recrutement de cadres est effectué
exclusivement parmi un vivier composé d'américains (4). Comme
pour les sociétés de type n°3, l'esprit d'entreprise est
particulièrement marqué et les cadres tentent de promouvoir
l'entreprise (5). Le service proposé par ces sociétés de
type n°5 est la formation et le conseil militaire. Aucun organe de
contrôle ne supervise le respect des règles par ces entreprises
sur le terrain. Il est donc très aisé pour les membres de ces
sociétés de passer à des postures offensives. En ce sens,
les sociétés contrevenantes rejoignent l'attitude des
sociétés de type n°2 (6) et contribuent à ternir
l'image de marque des sociétés militaires privées. En ce
qui concerne la légalité de ces sociétés, il est
évident que ces nouvelles firmes agissent dans le respect des lois.
Leurs principaux clients étant des structures étatiques ou de
plus en plus des acteurs non gouvernementaux soucieux de leur image, les
sociétés de type n°4 recherchent l'appui des
décideurs. De fait, ces sociétés ne trichent pas avec la
réglementation internationale mais des dérapages demeurent
possibles (7).
Exemples de sociétés de type n°5 : - Xe
(sociétés américaines) ; - Vinnell ;
- DynCorp International ;
- MPRI (Military Professionnal Rand Inc).
38 Dans ses recherches, Georges-Henri Bricet des
Vallons estime entre 1200 et 1400 le nombre d'employés de Blackwater en
Irak à la fin de l'année 2008. Chiffres qu'il a obtenus par le
biais de sources ouvertes.
Toutes ces sociétés ont leur siège social
basé aux Etats-Unis. Ces quatre sociétés se partagent la
majorité des grands contrats en Irak et en Afghanistan. Elles peuvent
être largement considérées comme le « fer de lance
» de la politique étrangère des Etats-Unis. Ce sujet sera
développé dans la seconde partie de cette étude car il
nous semble central au problème lié à l'emploi des SMP par
les puissances européennes. En effet, les sociétés
américaines et anglosaxonnes dominent le marché mondial de la
sécurité privée. Cette hégémonie
américaine met en danger l'indépendance des pays européens
et de la France en particulier.
F. Cas de la société Secopex
La société française Secopex présente
de nombreux points d'intérêts.
En premier lieu, la société est définie
par ses dirigeants comme une société militaire privée de
type anglo-saxon. L'ancien président directeur général et
fondateur de la société, Pierre Marziali39, expliquait
au cours d'une interview menée en 2007 par Alexandre Suzler, que ses
employés « assur[aient] des missions de formation et de conseil
militaire, ainsi que des opérations en milieu hostile à
l'étranger. »
Dès sa création, la société a
revendiqué avec vigueur son statut de société d'appui
stratégique et opérationnel. Cette mention apparaît
d'ailleurs sur la page d'accueil du site Internet de la société.
Forte de près de 2000 employés, la société
déclare proposer des services variés : analystes, universitaires,
spécialistes du renseignement, pilotes, infirmiers, gardes du corps,
linguistes, logisticiens, démineurs...
De part cette multitude de services proposés, la
société peut être classée dans la catégorie
des sociétés de type 3, de type 4 et 5.
Elle dispense aussi bien des services de conseils, de
formation, que de sécurité. Considérant que la
majorité des services proposés revêt un caractère
d'appui stratégique, nous avons choisi de la classer dans le type
n°3. En effet, la société française déclare
elle-même être « attentive aux besoins de ses clients,
SECOPEX revendique une expertise et une expérience
opérationnelles sur l'ensemble des cinq continents et s'appuie sur un
vaste réseau de correspondants et de sociétés partenaires
à l'international40. »
39 Ancien sous-officier parachutiste français,
mort en mai 2011 à Benghazi.
40 Mention disponible sur le site Internet de la
société,
www.secopex.com
Frappée en mai 2011 par la mort de son PDG en
Lybie41, la société ne cesse depuis sa création
de retenir l'attention des détracteurs des SMP. En outre, la
société est très mal perçue dans le monde
militaire. Les employés, pour la plupart d'anciens militaires ou
policiers français, véhiculent une mauvaise image, qui rejaillit
souvent sur le travail des militaires aux côtés desquels la
société est engagée à l'international.
Régulièrement dénoncée par les médias pour
fournir des services d'appuis stratégiques aux multiples parties d'un
conflit, la société se défend de mener des actions proches
du mercenariat.
La société Secopex, par la mauvaise image
qu'elle véhicule dans la presse spécialisée, contribue
à augmenter les réticences de la France à se tourner
résolument vers l'emploi des SMP.
L'historique développé dans le premier paragraphe
nous a permis de dégager deux grands types de mercenariat : le
mercenariat classique et le néo mercenariat entrepreneurial.
Le mercenariat a connu un développement
accéléré au début des années 1990,
favorisé par la résurgence d'une multitude de crises
régionales.
L'histoire du phénomène de privatisation nous
permet de distinguer cinq formes de mercenariat.
Nous l'aurons aisément compris, les types n°1 et
n°2 ont officiellement disparu. Plus aucune mention de ce type de
mercenariat ne figure dans aucun conflit. Le type n°4, concernant les
sociétés logistiques apportent un intérêt moindre
à notre étude. En effet, aucune ambiguïté ne peut
être soulevée quant à leur emploi. Se bornant à des
tâches « non militaires » de soutien logistique, ces
sociétés n'entravent pas la bonne conduite des opérations
militaires.
Toutefois, il nous semblait important de les faire figurer
dans notre typologie car elles sont le vecteur de la banalisation du
phénomène de la privatisation de la guerre. Employée
à l'origine par les Etats pour permettre aux forces armées de se
recentrer sur leur « coeur de métier », elles ont tracé
la voie à deux autres types de sociétés,
caractérisée par des services plus belligènes.
La typologie proposée sera un outil pratique tout au
long de notre étude car elle nous permettra de distinguer de
manière aisée les implications liées à l'emploi des
SMP par les acteurs étatiques. Le choix actuel de la France de ne pas
recourir à ce type de sociétés pourra notamment être
débattu rapidement.
41 La version officielle stipule que Pierre Marziali a
été tué lors d'un contrôle policier en Lybie. Il
s'était rendu dans le pays en crise afin d'implanter une antenne de sa
société.
|
Type n°1
|
Type n°2
|
Type n°3
|
Type n°4
|
Type n°5
|
Mercenariat
|
Private Combat Companies
|
Sociétés d'appui stratégique
|
Sociétés de logistique
|
Sociétés de consultance
|
1- Théâtre d'action
|
Etranger
|
Etranger
|
Etranger
|
Etranger / Territoire national
|
Etranger / Territoire national
|
2- Employeur
|
Contrat avec un Etat ou un groupe de dirigeants
|
Contrat avec un Etat / des
groupes industriels
|
Etats / ONG / OIG
|
Etats, ONG, OIG / Autres SMP (sous-
traitance)
|
Etats, groupes industriels
|
3- Motivation de la
société
|
Appât du gain / Aventure
|
Profits tournés vers le société
|
Profits de la société
/ Développement international
|
Profits liés à la reconstruction des
pays
|
Profits / Rayonnement planétaire
|
4- Mode de recrutement
|
Bouche à oreilles / Réseaux secrets
|
Anciens militaires / Base de données (BDD)
|
BDD / Anciens militaires spécialisés
/ Offres d'emploi standards avec CV
|
BDD pour les cadres mais large recrutement local
|
BDD / Anciens militaires spécialisés
/ Offres d'emploi standards avec CV
|
5- Business- model
|
Groupement temporaire d'individus
|
Sociétés organisées / Filiales de
consortium
|
Sociétés structurées / Fort esprit
d'équipe / Corporation
|
Esprit d'équipe chez les cadres permanents
|
Sociétés structurées / Fort esprit
d'équipe / Corporation
|
6- Service proposé par la
société
|
Combat
|
Combat / Appui aux forces / Formation
|
Renseignement / Déminage / Protection
|
Gardiennage, nettoyage, fret, restauration
|
Formation / Conseil militaire
|
7- Légalité du
service proposé
|
Caractère illégal
au vu de la réglementation internationale
|
Activités dénoncées par les
restrictions nationales
|
Activités conformes
aux législations nationales
|
Activités conformes
aux législations nationales
|
Activités légales
/ Dérapages possibles mais limités
|
|
Exemples
|
Affreux
|
Executive Outcomes
|
Ronco
|
KBR, Securitas
|
Xe, MPRI
|
Chapitre 3 : Cas particulier des entreprises du secteur du
renseignement : l'implication des gouvernements
Bien que les sociétés de type n°5 se
dégagent clairement des autres sociétés par le
caractère ambigu de leurs actions, les sociétés de type
n°3, proposant leurs savoir-faire dans le domaine du renseignement, posent
un sérieux problème de légitimité et
d'indépendance à leurs employeurs.
Parmi les plus hautes fonctions régaliennes de l'Etat,
le renseignement figure en première place. Déléguer la
fonction du renseignement étatique serait un exercice périlleux.
Rapidement soumises à une logique de résultat, les entreprises
dédiées au renseignement pourraient produire de faux documents
qui justifieraient leurs salaires mais ne reflèteraient pas la
réalité. Pire, les sociétés travaillant au profit
d'un état A pourraient revendre les informations obtenues à un
état B, dévoilant ainsi la stratégie de l'état A.
En effet, la société Risk Advisory Group, société
européenne d'investigation et de renseignement,
spécialisée dans l'analyse stratégique et le support
opérationnel, possède son siège social à Londres et
à Moscou. Les nationalités de ses employés sont multiples
: Britanniques, Allemand, Français, Russes, etc.42 La
société recrute à la sortie des universités mais
également parmi d'anciens membres des services de renseignement
européens. Sans toutefois tomber dans une logique de conspiration,
comment ne pas penser qu'un employé, bien que soumis à une clause
de confidentialité, puisse devenir une source pour ses anciens
collègues ?
De fait, la nécessité se fait sentir pour les
états occidentaux de promouvoir leurs propres firmes de renseignements,
au risque de voir ses objectifs de renseignement à la merci du plus
offrant. Car la privatisation de la violence poursuit sa marche
inéluctable, générée par la fin de la Guerre Froide
et accélérée par les attentats du 11 septembre et les deux
guerres en Irak et en Afghanistan.
Aux Etats-Unis, le recours aux firmes privées de
renseignement s'est mu en une véritable addiction. Ce
phénomène fait d'ailleurs l'objet d'un paragraphe du livre de
Georges-Henri Bricet des Vallons43. Selon l'auteur, 50% des agents
clandestins de la CIA sont des « contractors ». En outre les
activités du National Reconnaissance Office sont privatisées
à 100 % et la direction de la Direction of National Intelligence, organe
de coordination des
42 Voir le site internet de la société,
accessible le 1er juillet à l'adresse :
http://www.riskadvisory.net
43 Bricet des Vallons, Ibid. pp 207-212.
services américains de renseignement, a été
confiée au président du lobby américain du renseignement
privé, Mike McConnell.
Ainsi, le renseignement américain est devenu une
véritable « industrie dominée par les intérêts
du privé »44.
La privatisation du renseignement et plus largement celle de
la violence sont devenues une norme. Cette norme structure et élabore la
politique étrangère des Etats-Unis notamment. Cette «
contagion » gagne l'Europe. La folie de la privatisation est en
déjà à un stade très avancé aux Royaume-Uni
et commence à imprimer sa marque dans la plupart des pays
européens. Seule la France se montre encore réticente à
l'emploi de ces sociétés.
Profondément attaché aux valeurs de
l'identité nationale française, le gouvernement français
pense encore que l'Etat détient un pouvoir significatif. Il s'accroche
avec fermeté à la sauvegarde de ses devoirs régaliens.
La France n'externalise encore que très peu. Lorsque
l'Etat français a recours à l'externalisation, c'est pour
déléguer des tâches périphériques, comme
l'alimentation ou la santé. Cette privatisation forcée
s'effectue, semble-t-il, avec réticences.
Quelles sont les raisons de cette norme internationale qu'est
la privatisation des métiers de la sécurité ? Quels en
sont les risques pour les Etats, la France en particulier ? Comment la France
peut-elle se positionner sur le marché de la privatisation en favorisant
l'essor de sociétés militaires privées françaises ?
Sans réaction française à court terme, le pays risque de
devoir sacrifier une partie de son indépendance, en recourant aux
services de sociétés militaires privées
américaines. Ces sociétés, devenues en quelques
décennies le bras armés de la politique étrangère
des Etats-Unis, sont gérées par des capitaux privés et
répondent à une logique d'actionnariat intense.
Face au phénomène de la privatisation, comment ne
pas redouter une mise en péril de la souveraineté des Etats qui
louent les services des SMP ?
Ces questionnements seront l'objet de notre seconde partie.
44 SHORROCK T : « Spies for Hire »,
édition Simon & Schuster, New York, 2009.
Partie 2 :
La transformation des fonctions
régaliennes de l'Etat
Préambule : Le cycle des normes
Cette partie a pour ambition d'aborder le
phénomène de la privatisation sous le prisme de la théorie
des Relations Internationales. La notion de norme internationale, longuement
développée par les chercheurs Martha Finnemore et Kathryn
Sikkink45 sera au centre de cette partie. Pour ce faire, nous avons
choisi d'utiliser les supports de cours relatifs au module des Acteurs non
gouvernementaux, placé sous la direction de Frédéric
Ramel, et le texte intitulé : Le mystère de
l'énonciation : normes et normalités en relations
internationales, de Yves Schemeil et Wolf-Dieter Eberwein46.
Bien que la notion de norme soit difficile à
appréhender et à définir avec précision, comme le
soulignent les nombreux chercheurs en sciences politiques qui s'y sont
risqués, notre étude s'attachera à démontrer que le
phénomène de privatisation répond à un processus
similaire à celui décrit par Martha Finnemore et Kathryn Sikkink.
Les deux chercheurs estiment que la norme est démontrée lorsque
« la ratification par un nombre significatif d'Etats, formant une
« masse critique » constituent la preuve de son
effectivité47. »
Selon Martha Finnemore et Kathryn Sikkink, le cycle vital des
normes est ponctué par trois phases :
- l'émergence,
- l'acceptation (ou cascade de la norme),
- l'internalisation.
Chacune de ces phases se caractériserait par la
présence d'acteurs, de motifs d'agir et de mécanismes d'adoption
distincts.
La première phase dite d'émergence, renvoie
à la persuasion des Etats par des entrepreneurs de normes qui utilisent
leurs réseaux d'expertise et d'information. Le lien peut rapidement
être trouvé entre les réseaux d'expertise et les
consortiums privés de la sécurité.
La seconde se traduit par une dynamique d'imitation ou
plutôt de socialisation par laquelle les Etats reconnaissent la
légitimité de la norme.
La dernière phase contribue à rendre la norme en
question indéniable en raison de son incorporation dans l'arsenal
juridique des Etats. Dans le cas de la privatisation de la
sécurité,
45 Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, «
International Norm Dynamics and Political Change », International
Organization, 52, 1998, p. 896.
46 Professeurs à l'Institut d'Etudes Politiques
de Grenoble.
47 Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, Ibid. pp.
887-916.
les esquisses d'arsenaux juridiques mis en place afin de juguler
l'action des SMP tendent à confirmer l'existence de cette
troisième phase.
Reprises dans un tableau, les trois phases qui constituent le
cycle vital des normes sont reportées à la figure n°1. Ce
cycle des normes sera utilisé dans la seconde partie de ce
développement, l'étude de la contrainte normative.
Les travaux de Wolf-Dieter Eberwein et Yves Schemeil sont
intéressants dans la mesure où ils complètent les
énoncés du cycle des normes.
Leurs travaux s'articulent autour de l'idée centrale de
l'existence de trois caractéristiques propres à
l'émergence des normes internationales.
- La première serait que la création de la norme
est le fruit de la volonté d'acteurs privés, qui avec l'aide des
dirigeants étatiques, persuaderaient des tiers à se conformer
à la norme.
- La seconde caractéristique réside dans la
localisation de l'épicentre de la norme, à savoir le continent
nord-américain.
- Enfin, l'antagonisme existant entre les partisans de la
mondialisation des normes marchandes et les fervents défenseurs de la
socialisation des normes, constitue le dernier facteur de l'émergence
des normes internationales.
Le modèle développé par les deux chercheurs
grenoblois s'applique particulièrement au phénomène de
privatisation de la sécurité.
En effet, dans le cadre du débat sur les SMP, les
partisans de la norme antérieure du concept de monopôle
étatique de la violence sont opposés à l'idée du
moment libéral, constaté par Susan Strange48 et
appliqué par les Etats occidentaux.
De plus, le phénomène de privatisation de la
sécurité a été amorcé aux Etats-Unis. C'est
un critère de référence pour les deux chercheurs.
Enfin, les collusions dénoncées entre les
dirigeants américains et les lobbies de l'industrie de la
sécurité privée montrent explicitement que le
modèle développé s'applique aux sociétés
militaires privées.
A la lumière de ces deux théories
complémentaires, trois points seront successivement abordés dans
le développement. Le premier concerne les diverses clefs de
compréhension de l'émergence de la norme. Nous verrons que la
norme répond parfaitement aux dynamiques caractérisées par
les approches théoriques. Le deuxième point s'attachera à
expliquer
48 (1923-1998), Susan Strange est une des fondatrices
de l'économie politique internationale. Auteur de la thèse du
déclin hégémonique et du retrait de l'Etat.
comment le recours au privé pour les missions de
sécurité constitue un péril majeur pour la
souveraineté des Etats. Enfin, le dernier développement
détaillera la notion de contrainte normative. Nous étudierons
alors les outils dont disposent les Etats pour s'adapter à cette norme
inéluctable et tenter de juguler l'action du privé sur le
public.
Chapitre 1 : Le recours aux SMP : une norme
internationale inéluctable
Le contexte de la norme : diverses approches du
phénomène mondial
« La réduction générale des forces
armées consécutive à la fin de la guerre froide [...] met
sur le marché surabondance d'hommes et de matériel.
»
Richard Banégas, docteur en Sciences Politiques,
199849.
La fin de la Guerre Froide puis l'abolition de l'Apartheid
laissent du jour au lendemain plusieurs centaines de milliers de soldats sans
profession. En outre, en Europe, la fin des années 90 marque la
suspension de la conscription pour la plupart des pays européens,
exception faite de l'Italie et de l'Allemagne.
En effet, selon Jean-Jacques Roche, la fin de la guerre froide
s'est traduite pour beaucoup de pays par un mouvement général de
professionnalisation.
Plusieurs points sont à l'origine de ce
phénomène :
- la disparition de la menace directe aux frontières ;
- la prise en compte des besoins pacifiques de la
société ;
- la sophistication croissante des matériels ;
- la multiplication des opérations extérieures et
des crises régionales.
En outre, la convergence des modèles économiques
sous l'influence du modèle anglo-saxon a largement contribué
à l'accélération de la privatisation.
L'hégémonie du système américain (au sein duquel
s'est développé le mercenariat entrepreneurial) et le triomphe de
l'économie libérale ont poussé les autres Etats à
imiter le système américain.
Les Etats-Unis ont dès le début des années
1990 privilégié le développement des SMP sous la
direction d'anciens généraux à la retraite (cas de MPRI
par exemple). Cette méthode a eu
49 BANEGAS Richard, «Le nouveau business
mercenaires», Critique Internationale, n°1, automne 1998.
pour effet de propager les principes de fonctionnement de
l'économie dominante, à savoir le modèle américain.
Dès lors, ce modèle a été imité par tous.
Les deux raisons développées en préambule ne
suffisent pas à expliquer l'essor des SMP à l'échelle
planétaire. Trois autres axes d'approche vont être
envisagés à présent.
I. Approche économique
Lorsqu'il s'agit de justifier publiquement le recours à
l'externationalisation des missions de sécurité, l'argument phare
avancé par les décideurs politiques réside dans l'aspect
économique des services proposés. Ces arguments sont d'ailleurs
très largement repris par les sociétés militaires
privées, qui sont de véritables entreprises commerciales.
Depuis la fin de la guerre froide et la disparition pour les
puissances occidentales de la menace à l'Est, force est de constater que
la réduction des budgets de la défense va de paire avec le
dégraissage massif du format des armées. Entre 1987 et 1997, les
effectifs cumulés de la France, de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis et
de la Russie sont passés de 5,23 à 1,24 millions
d'hommes50.
Comme les chiffres le montrent, les puissances occidentales
sont engagées dans une réduction progressive des budgets de
défense. Bien qu'ils atteignent encore des sommes astronomiques, des
coupes sévères vont encore avoir lieu. En cette période de
troubles planétaires marquée par la crise qui affecte les
marchés financiers, les pistes d'économie sont activement
recherchées. Ainsi les économies potentielles liées
à l'outsourcing militaire (terme américain pour la privatisation)
permettraient de dégager des millions d'euros chaque année. Cet
argent pourrait être réinjecté dans la conduite des
politiques sociales ou dans le secteur de l'enseignement, voire de la
recherche.
A titre d'exemple, des études ont été
menées, dès 2000, sur le coût réel de l'emploi de
SMP par rapport à des troupes régulières.
En effet, les firmes privées ne sont
rémunérées que lorsqu'elles sont employées. Les
soldats professionnels sont soldés tout au long de leur carrière
ou de leur contrat dans les forces. Qu'ils soient en opération, à
l'entraînement, en permissions ou en congé maladie, les soldats
constituent une charge terrible pour les Etats qui les emploient, au sens de la
masse salariale que ces soldats représentent. Les employés des
SMP, quant à eux, ne sont à considérer que comme des
intérimaires ; leurs services sont loués. Cette idée de
location de la sécurité à
50 IISS, The military Balance, 1987-1997.
moindre coût rencontre de nombreux soutiens, que ce soit
dans la sphère publique comme dans le privé.
Déjà en 2006, Jean-Marie Vignolles
écrivait : « le contrat passé entre la Sierra Leone et
Executive Outcomes, en 1995, a certes coûté 35 millions de dollars
au gouvernement de Freetown pour huit mois d'intervention [...] mais cette
somme semble bien dérisoire quand on la compare aux 247 millions que le
déploiement précédent et finalement inefficace
d'observateurs de l'ONU avait coûté, pour une mission d'une
durée totale de vingt et un mois51. »
Ainsi, le Department of Defense américain a
estimé pouvoir récupérer près de 60 milliards de
dollars pour la période 2006-2012. Cette somme colossale serait
épargnée en remplaçant les unités
régulières américaines par des troupes composées
d'employés de 60 sociétés privées, toutes
américaines. L'effectif global de ces soldats de location serait
porté à 30 000 hommes et femmes. L'économie
espérée est considérable. Afin de comprendre le
mécanisme de cette économie, nous allons nous appuyer sur les
travaux du chercheur français Georges-Henri Bricet des Vallons. Dans son
ouvrage, Irak, terre mercenaire, il met en balance le coût d'une
unité d'infanterie de l'Army américaine et de celui de
l'équivalent privé52. Pour ce faire, il utilise les
publications du Congress Budget Office (CBO) et s'appuie sur un
contrat, juteux, passé entre la société Blackwater et le
Pentagone. Ce contrat concerne la fourniture de 189 hommes. En
considérant le format standard de l'US Army, à savoir une
unité sur le terrain pour deux unités en base arrière, le
coût total de la force régulière s'élève
à 110,1 millions de dollars. L'unité fournie par Blackwater
coûtera 98,5 millions de dollars. Ce coût estimé comprend
les dépenses en personnels, en équipement, en véhicules
mais également en assurance. Car le coût de l'assurance
pèse fortement dans la balance et sera développé plus loin
dans l'étude. L'économie réalisée pour le
contribuable américain est de 11,6 millions de dollars53.
Le recours aux SMP comme moyen de se soustraire aux lourdeurs
des dépenses de défense semble attractif. Toutefois, très
peu d'études ont à ce jour été publiées. Les
sociétés ne communiquent que rarement sur le montant des contrats
passés avec les gouvernements et ces derniers ne s'expriment pas sur le
sujet.
Si l'emploi de SMP en temps de paix permet de dégager
des économies, cette vérité est loin d'être
réaliste dès lors que le recours est effectué en temps de
guerre. En effet, le brouillard de
51 VIGNOLLES J-M, « De Carthage à Bagdad,
le nouvel âge d'or des mercenaires », Editions des Riaux, Paris,
2006, p.88.
52 BRICET des Vallons, Ibid. p.166-168.
53 Congress Budget Office, Contractor's Support of US
Operations in Iraq, août 2008.
la guerre clausewitzien et l'incertitude qu'il engendre sur la
durée du conflit et sur son intensité, ne permettent pas de
livrer une étude comptable précise. Les contrats qui courent sur
plusieurs années engendrent des coûts difficilement quantifiables.
En outre, le montant des services proposés par les SMP est fonction du
cours des matières premières, notamment du pétrole et de
l'acier. De même, les prix sont également liés à la
dangerosité du théâtre ou encore aux catastrophes
naturelles.
Cas de l'Afghanistan
Ce phénomène de surcoût a
été constaté en Afghanistan. En effet, les troupes de
l'OTAN ont de plus en plus recours à des entreprises privées pour
l'acheminement et la sécurisation des flux logistiques. Le flux
logistique repose à 60 % sur un transit par le Pakistan, depuis le port
de Karachi et via le passage de Khyber, jusqu'à Kaboul puis Bagram. Les
entreprises doivent régulièrement payer une taxe routière
et doivent négocier de longues heures avec les douaniers pakistanais
avant de pénétrer sur le sol afghan. En outre, les convois sont
épisodiquement attaqués par des milices privées, par des
groupes de combattants insurgés, ou par des soldats pakistanais (ces
derniers cherchant à compléter un faible salaire payé
irrégulièrement). Le trafic routier a été fortement
entravé l'été dernier lors des inondations survenues au
Pakistan à l'été 2010. Les routes principales au centre et
à l'ouest du pays ont été fermées. Les axes
secondaires ont rapidement été submergés par le flot de
véhicules en attente le long de la route vers Kaboul. En outre, des
milliers de réfugiés ont fui les zones dévastées,
augmentant par leur nombre les difficultés de circulation. L'OTAN a par
conséquent perdu quantité de produits et a dû faire
circuler ses convois sur des couloirs logistiques de variantement. Le
Northern Distribution Network a donc rapidement pris de l'ampleur au
cours de l'été 2010 afin de palier au manque de fluidité
des couloirs logistiques du sud. Ce virage logistique a induit un surcoût
énorme pour l'OTAN et les pays contributeurs54.
Dans le cas de longs conflits exigeants, la rentabilité
constatée en temps de paix, n'a plus lieu. Outre cette différence
de régime entre temps de paix et temps de guerre, le coût de
l'assurance est un autre paramètre du coût de la guerre.
Pour étudier ce facteur, nous utiliserons le cas des
Etats-Unis.
54 Articles disponibles sur le site de l'ISAF,
http://www.isaf.nato.int
En effet, Georges-Henri Bricet des Vallons rapporte que les
« frais liés aux pensions d'invalidité des anciens
combattants pourraient se chiffrer entre 400 et 700 milliards de dollars
à l'horizon 201755. »
Les contrats qui lient les Etats-Unis aux firmes de
sécurité privées qu'ils emploient, stipulent que les
salariés doivent obligatoirement avoir souscrit une assurance. Le
Defense Base Act (DBA), une police d'assurance américaine,
impose aux dirigeants des sociétés privées de souscrire
une assurance pour leurs employés. Semblables aux polices d'assurances
françaises, elles couvrent les frais médicaux en tous genres.
Toutefois, si la blessure ou le décès résulte de acte de
guerre ou de terrorisme, c'est le gouvernement américain qui rembourse
les frais directement à l'assureur.
Les compagnies d'assurances, peu scrupuleuses, invoquent
régulièrement le DBA afin de dégager des marges
substantielles.
De fait, c'est bien le contribuable américain qui paie les
factures d'assurances des salariés du privé.
Les trois facteurs développés dans ce point
mènent à la conclusion que le recours aux SMP présente des
avantages économiques certains, qui nécessitent toutefois de
véritables études de marché. De fait, l'argument
économique est à considérer avec réserve.
Toutefois, d'un point de vue de l'analyse économique,
la notion de « patriotisme économique » peut être
abordée. Avec la mondialisation et la libéralisation des
marchés, les nations sont à présent en compétition
sur le terrain économique. Gagner des parts de marché est devenu
primordial pour survivre dans la jungle capitaliste. Dans ce contexte, les
entreprises sont forcées de se prémunir de la concurrence
malveillante d'autres sociétés avides. La notion d'intelligence
économique, l'engouement national pour cette discipline et le
développement de sociétés de conseil en intelligence
économique témoignent de la volonté des pouvoirs publics
de déléguer au privé la charge de protéger les
entreprises qualifiées d'intérêt stratégique pour la
nation. En France, cette délégation est encore au stade du
balbutiement puisque la Direction de la Protection et de la
Sécurité de la Défense (DPSD), a entres autres la mission
de veiller à la sécurité du personnel, des informations,
des matériels et des installations sensibles relevant de la
défense nationale. Toutefois, nous pouvons rappeler la lutte des
services de veille économique de la société Dassault, lors
de la tentative de vente du Rafale au Brésil.
55 BRICET des Vallons, Ibid. p. 169.
II. Approche politique et sociétale
Outre l'avantage économique que le recours au
privé peut engendrer à court terme, la privatisation
présente un coût politique certain. Le sujet de la privatisation
est pourtant très peu discuté en France, alors qu'outre
Atlantique ou au Royaume-Uni, le sujet fait débat. Le gouvernement
britannique a d'ailleurs placé la question de la privatisation au centre
de son green paper, équivalent du livre blanc français.
Le rapport parlementaire britannique met l'accent sur les enjeux du recours au
privé, sur les avantages et les inconvénients de l'apparition de
civils au milieu du champ de bataille mais aussi sur les moyens possibles de
réguler l'action des SMP et de limiter leur pouvoir de nuisance.
En acceptant ouvertement le débat, le gouvernement
britannique se déclare partisan d'une privatisation préalablement
réfléchie.
A. Flexibilité et discrétion
Les enjeux politiques de l'emploi des SMP sont bien réels
et les avantages certains.
Comme le souligne Deborah Avant : « si vous envoyez
des soldats, quelqu'un le saura ; s'il s'agit d'une entreprise privée,
quasiment personne. » La grande flexibilité et la
discrétion dont peuvent faire preuve des « conseillers en civils
» constituent un atout majeur pour les Etats désireux d'agir en
toute discrétion.
Nous pouvons citer comme exemple révélateur de
ce phénomène l'action de la société MPRI dans les
Balkans. Envoyée à la demande du Pentagone, la
société américaine s'est mue en relais de la politique
étrangère des Etats-Unis dans cette zone fragile de l'Europe. Les
EtatsUnis, grâce aux conseillers civils américains de la
société, ont pu ainsi imposer leur volonté de
manière douce et non visible, sans pour autant déchaîner la
colère de Moscou. Plutôt que l'intervention directe de troupes
régulières, les Etats-Unis ont opté pour une approche plus
douce, qui pourrait véritablement être qualifiée de
sournoise par les détracteurs des SMP.
Bien que régulièrement citée par les
chercheurs intéressés par le sujet de la privatisation, la
citation d'Olivier Hubac est caractéristique du phénomène.
Selon lui, les sociétés militaires privées «
constituent une force d'appoint en politique étrangère qui
permet d'intervenir en sous-main. En cas de dérapage, il sera d'ailleurs
plus facile pour l'Etat de nier les faits56. »
56 Olivier HUBAC, « L'essor du mercenariat entrepreneurial
», « Mercenaires et polices privées : la privatisation de
la violence armée », Manchecourt, édition Universalis,
Le tour du sujet, 2005, p.40.
Pour un Etat, employer des SMP permet de mener des actions en
marge de la politique officielle du pays. De fait, ces sociétés
privées permettent de conserver un des grands principes de la guerre,
exprimé par Foch, à savoir conserver une large liberté
d'action.
B. Impact émotionnel
La discrétion et la flexibilité de l'emploi des
SMP ne sont pas les seuls atouts politiques. Il existe un deuxième
facteur d'importance, à savoir le « poids des morts » dans
l'opinion publique nationale. Le général français Bernard
de Bressy déclarait en 1999 : « Il s'agit de mener un type de
guerre pour un coût minimal, voire nul, en vies
humaines57. » En effet, depuis la guerre du Vietnam et le
traumatisme engendré par les nombreuses pertes de l'armée
américaine, les gouvernements américains, qu'ils soient
républicains ou démocrates, ont fait du concept de «
zéro mort » un moyen de ménager l'opinion publique. Car les
opinions publiques sont intéressées par le devenir des soldats de
la nation. La mort de civils sous contrat ne comporte pas la même charge
émotionnelle que la mort d'un soldat professionnel. Selon le site
icasualties58, entre avril 2003 et septembre 2010, il y aurait eu
468 contractors tués en Irak.
En outre, dans le cas des Etats-Unis, le recours aux SMP
permet de contourner, légalement, les limitations d'effectifs
imposées par le Congré américain. Ainsi, le Congré
a plafonné à 500 le nombre de militaires américains
autorisés à stationner sur le territoire de Colombie (dans le
cadre du plan Colombie de lutte contre le narcotrafic). En revanche, le
Congré ne s'est pas exprimé sur le nombre d'employés de la
firme DynCorp autorisés à oeuvrer dans le pays
sud-américain.
III. Approche militaire
L'externationalisation repose sur le fondement suivant :
libérer les armées régulières des tâches
annexes de logistiques et d'intendances afin de pouvoir se recentrer sur le
« coeur de métier ». Même si le débat qui entoure
l'approche opérationnelle des SMP est largement contesté, aux
Etats-Unis et en France en particulier, il convient d'admettre que les
employés des SMP représentent en 2011 le deuxième
contingent mondial de nature sécuritaire après les forces
armées des Etats-Unis. En outre, la Révolution dans les Affaires
Militaires ont radicalement changé les méthodes de combat, tant
au niveau stratégique, que tactique. Ainsi,
57 De BRESSY Bernard, « La guerre zéro
mort : un rêve américain ? », Revue de la Défense
Nationale, n°4, Paris, avril 2009.
58 Chiffres disponibles le 16 juin à l'adresse
http://icasualties.org/Iraq/Contractors.aspx
dans le cas de la France, les actuelle «
opérations de guerre » se caractérisent par la place des
technologies et des quatre D énoncés par l'ancien chef
d'état-major des armées, le général d'armée
Georgelin : « Durcissement, Durée, Dispersion et Diversification
». Ces caractéristiques exigeantes entraînent des besoins en
effectifs et en qualification de plus en plus importants. Les armées
occidentales réduisent continuellement leur format des armées.
Pour la France, cette baisse représente un volume de 54 000 personnels
d'ici 2015.
Outre la réduction des effectifs militaires, les
technologies utilisées sont de plus en plus pointues. De fait,
l'entretien, la réparation et l'utilisation de certains armements
requiert des compétences techniques extrêmement poussées.
Dans le cas des systèmes d'information, les versions utilisées
proposées par la société Thales évoluent
rapidement. Les développeurs mettent régulièrement
à jour les logiciels. Les exploitants doivent par conséquent
périodiquement suivre un stage de remise à niveau. Ces stages
sont coûteux en terme d'indemnités et de temps. Souvent, ces
compétences rares, dont disposent les salariés des SMP
spécialisées dans l'armement de pointe, ne sont pas
utilisées en temps de paix et hors période d'engagement
opérationnel. Le recours au secteur privé permet de disposer de
ces compétences à moindres frais pour l'institution. Aux
Etats-Unis, selon Olivier Hubac, près de 28 % des systèmes
d'armes sont du ressort du privé. Ainsi, sur le plan humain, les
Etats-Unis réalisent une économie non négligeable
grâce au privé.
De fait, lorsque les effectifs militaires sont maintenus au plus
bas niveau, soit du fait des parlementaires soit en raison du format des
armées, il peut être bénéfique de recourir au
privé. Cette procédure permet de soulager les forces et de les
recentrer sur le « coeur de métier ». Toutefois, il convient
de délimiter avec soin les tâches qui peuvent être
externalisables.
Parmi les « tâches non combattantes », nous
pouvons citer le ravitaillement, le transport, l'alimentation, la
traduction/interprétariat et la formation, bien que ce point puisse
être débattu. Globalement, ces tâches correspondent aux
métiers des armes du Matériel et du Train.
Les britanniques se sont dotés du Private Finance
Initiative (PFI). Ce partenariat public privé prévoit
l'acquisition et le maintien opérationnel de divers matériels et
équipements qui ne sont pas utilisés en permanence par les
forces. Ainsi, Jean-Didier Rosi nous apprend que le
gouvernement britannique loue à la société
Air Tanker des Airbus A 330 militarisés. Hors engagements
opérationnels, ces avions sont mis à dispositions d'autres
organismes civils59.
La France a choisi également ce mode de fonctionnement
pour la gestion d'une partie de son parc immobilier. Un document publié
en 2006 par le secrétariat général pour l'administration
(SGA), concatène et développe les points de modernisation de
l'armée française. En outre, ce texte aborde de manière
précise la politique d'externationalisation du pays60.
In fine, les sociétés de type n°4, comme
KBR, proposent des services pointus, à l'excellence reconnue et qui
s'adaptent au plus près des forces. Globalement, ce type de
compétences ne pose pas problème. En revanche, les
sociétés d'appui stratégique pose un problème de
commandement au chef militaire. Employées directement par le niveau
politique, elles ne sont pas subordonnées au militaire, et par
conséquent peuvent nuire à l'action de la force. C'est pourquoi
la France procède à l'externationalisation de manière
très prudente.
Ce problème sera débattu plus longuement dans le
paragraphe B de cette partie.
IV. La mutation du phénomène
belliqueux
En guise de conclusion de cette partie dédiée
à l'étude des causes possibles du phénomène de
privatisation, nous voudrions développer une dernière approche.
Il s'agit de l'asymétrie des nouveaux conflits.
A. L'asymétrie des conflits actuels
Le monde depuis l'effondrement du bloc soviétique a
profondément changé. En outre, le visage de la guerre s'est
métamorphosé. La norme ancienne d'affrontements
symétriques entre deux grandes puissances industrielles, aux
armées développées, à laisser place à des
luttes asymétriques. Cette asymétrie constatée dès
le début des années 1990 s'est fortement accentuée
après les attentats du 11 septembre 2001. Ceux-ci ont
révélé à l'opinion publique internationale une
nouvelle forme de menace, transfrontalière cette fois : le terrorisme
mondial.
Souvent qualifié de combat théorique, le jihad
global encouragé par les fondamentalistes comme Sayyid Qutb, n'a
jamais réellement trouvé l'écho mondial que ses fondateurs
auraient souhaité. Toutefois, des jihad nationaux ont vu le jour dans
diverses régions du globe. Placés
59 ROSI, J-D, Ibid. p.169.
60 Comité pour la réforme et
l'innovation administrative, « La stratégie ministérielle de
réforme. Bilan et perspectives », nov. 2006, disponible le XX
août à l'adresse
http://www.defense.gouv.fr/sga/layout/set/popup/content/download/46275/459986/file/smr
2006 smr 2006.pdf
pour la plupart sous l'égide de la nébuleuse Al
Qaïda, ces groupes terroristes monopolisent sans relâche, et de
manière toujours plus accrues, les services de renseignements et les
forces armées.
Ainsi, cette nouvelle forme de conflictualité phagocyte
largement les effectifs et les moyens militaires actuels.
A ce paramètre, il convient d'ajouter la
débellicisation croissante des nations occidentales, pour qui la guerre,
faute de la connaître sur son sol, de la voir dans ses villes et ses
rues, est devenue lointaine.
B. Evolution des critères de
sécurité
En outre, les critères de sécurité voulus
par les décideurs politiques et exigés par les opinions publiques
tendent à s'élargir. Comme le souligne Jean-Jacques Roche, «
quand le maintien de la paix se transforme en maintien de l'ordre, il
devient évident que la distinction entre sécurité et
défense s'estompe et que les pratiques couramment admises en
matière de sécurité intérieure (vigiles,
détectives, transport de fonds, ...) diffusent dans les activités
extérieures61. »
La privatisation permet alors d'apporter des solutions,
grâce à des moyens adaptés, à des problèmes
nouveaux de sécurité intérieure, non rencontrés
jusqu'alors.
Enfin, le nouveau concept de « sécurité
globale » exige que les gouvernements apportent une réponse
adaptée et mesurée. Car la sécurité ne concerne
plus que le militaire, elle englobe d'autres aspects tels que
l'économie, l'environnement et les droits de l'homme. Ainsi, comme le
souligne Roche, la fourniture de solutions alternatives devient une
priorité. En ce sens, les SMP sont encouragées à
développer leurs services.
Cette partie aborde le phénomène de privatisation
en explicitant les différentes approches de l'émergence de cette
norme. Ces approches sont économiques, politiques et
opérationnelles. Toutefois, la délégation des Etats
participe au processus classique de diffusion d'une norme. La norme est
créée dans un pays, puis reprise par d'autres Etats qui les font
adopter par leurs opinions publiques nationales.
La logique de privatisation de la force s'inscrit pleinement,
à notre sens, dans le cycle des normes tel qu'énoncé par
Martha Finnemore et Kathryn Sikkink. En outre, la question de la privatisation
de la sécurité trouve sa légitimité à
travers les travaux de Yves Schemeil et Wolf-Dieter Eberwein.
61 ROCHE Jean-Jacques, « Privatisation de la
sécurité ou les nouveaux mercenaires », Les rendez-vous du
CHEar, février 2008, pp. 6-7.
Chapitre 2 : Le recours aux SMP : les dangers pour
l'Etat, le public au service du
privé.
Deborah Avant, professeur de sciences politiques à
l'université Irvine de Californie, a publié en 2005 un ouvrage
sur la privatisation de la sécurité et l'impact
généré par ce phénomène sur la
capacité des Etats à résoudre un conflit ou une crise.
Dans ses recherches, elle met en garde sur les dangers du recours aux SMP pour
l'indépendance stratégique du pays client. Ces
sociétés étant mues par une dynamique de profits et de
résultats, leurs intérêts divergent presque
systématiquement avec les intérêts des Etats. De
manière générale, elle écrit que « le fait
que les Etats-Unis, la Grande Bretagne, l'Australie, les Nations-Unies louent
des services privés de sécurité, peut réduire le
contrôle de l'Etat sur son propre territoire national et par la suite
compliquer la résolution du conflit62. »
Dans sa conclusion, elle met en garde les Etats sur les
dangers de la mondialisation et de la privatisation à outrance. Elle se
montre favorable à la conservation d'une séparation
marquée entre public et privé et prône la sauvegarde de la
souveraineté de l'Etat, dans la sphère de la
sécurité.
Dans cette partie, seront abordés les nombreux
problèmes de l'utilisation des SMP par le public.
I. Antagonisme entre logiques économiques et
objectifs politiques
La grande majorité des sociétés
militaires privées qui passent actuellement des contrats d'envergure
avec les grandes puissances occidentales sont des filiales de grands groupes
industriels. Liées étroitement avec les complexes
militaro-industriels, leur situation financière est confortable.
Toutefois, ces sociétés sont soumises à une logique
d'actionnariat divers, comme les fonds de pension et les holdings
financières internationales. Financées par des capitaux
privés, ces sociétés sont soumises à
résultats.
Le premier danger que nous pouvons citer réside dans une
éventuelle faillite de ces sociétés.
62 AVANT Deborah, D, The market for force : the
consequences of privatizing security, Cambridge University Press, 2005, 302
pages.
Avec la crise des marchés financiers qui sévit
depuis 2007, il est possible, bien que peu probable, que les investisseurs
privés cherchent à retirer leurs capitaux de ces
sociétés. Il résulterait de ce phénomène une
faillite des SMP. Le danger est réel sur le terrain.
En effet, une société engagée aux
côtés de troupes régulières qui se verrait en
faillite mettrait en péril la mission militaire. Le danger de la
faillite est réel puisqu'il conditionne le succès des armes.
Le deuxième paramètre à prendre en compte
repose sur la question de la fiabilité à long terme des SMP. Les
sociétés militaires privées s'inscrivent dans un
marché concurrentiel. Des fusions acquisitions régulières
rythment la vie de ces sociétés.
Ainsi la société américaine MPRI
s'est vue rachetée par le géant de l'électronique L3, qui
a également fusionné avec la société Titan
Corp. Le risque est faible lorsque les sociétés
rachetées sont de la même nationalité que la
société dominante. En revanche, lorsque les nationalités
diffèrent, les Etats clients peuvent être confrontés
à un changement de politique. A titre d'exemple, nous pouvons citer la
société britannique, Armor Group, rachetée par la
firme danoise G4S.
Le troisième point d'importance concerne l'objectif
principal des SMP. En effet, ces sociétés, bien que parfois mues
par des idéaux démocratiques, recherchent avant tout le profit.
Les sociétés militaires privées sont des entités
commerciales en quête de bénéfices. Les
sociétés privées se nourrissent de l'instabilité
mondiale. Les SMP ont en effet connu un essor financier sans
précédent grâce aux deux conflits en Irak et en
Afghanistan. La question de la légitimité de leurs intentions
peut se poser au chercheur.
En outre, l'annonce en 2010 du président Karzaï de
voir les SMP quitter l'Afghanistan a provoqué un séisme de grande
ampleur dans les milieux de la sécurité, mais également
dans les pays de la coalition. En effet, pour les gouvernements
étrangers représentés à Kaboul, les SMP sont les
garants de la sécurité de leurs emprises diplomatiques et des
bâtiments officiels. Officiellement pour le gouvernement afghan, les SMP
sont une insulte permanente à la souveraineté du pays. En effet,
les conventions internationales stipulent que la sécurité
extérieure des ambassades et des représentations diplomatiques
doit être du ressort du pays hôte. Actuellement, les
bâtiments dans la capitale afghane sont gardés par des gardes
privés. Il n'y a qu'à traverser la zone verte dans la capitale
afghane pour s'en convaincre. Officieusement, Hamed Wali Karzaï, le
demi-frère du Président afghan, était l'actionnaire
majoritaire de la société afghane Asia
Security Group (ASG)63. Le départ des SMP occidentales
d'Afghanistan signifierait la récupération d'un nombre non
négligeable de contrats.
L'appel afghan a été lancé, mais le
départ de ces sociétés n'a pas été encore
programmé par les pays de la coalition qui redoutent de voir les forces
de sécurité afghanes dépassées par la recrudescence
de la violence.
Ainsi, les motivations économiques des SMP peuvent
représenter une première difficulté dans la mesure
où elles suivent un objectif de maximisation du profit. Cette logique
semble s'opposer à la poursuite des objectifs politiques des Etats
clients.
II. La sur-dépendance des armées au
privé
« Nous devons nous prémunir contre l'influence
illégitime que le complexe militaro-industriel tente d'acquérir,
ouvertement ou de manière cachée64. »
Dwight Eisenhower, Président des Etats-Unis
d'Amériques
La politique d'externalisation amorcée aux Etats-Unis
dès la guerre de Corée et accélérée par les
conflits en Irak et en Afghanistan, a atteint un point de non-retour.
Le marché de la sécurité privée a
pris une telle ampleur aux Etats-Unis qu'il devient difficilement convenable
d'opérer un retour en arrière.
Les entreprises de sécurité privées ont
s'inscrivent à présent dans tous les secteurs de la
défense américaine.
Le DoD américain a progressivement fait de
l'outsourcing son bras armé. Ce phénomène
inquiétant a été qualifié par Bricet des Vallons
comme une « surdépendance des armées au secteur
militaire privé65 ». Le spécialiste de la
privatisation fournit de nombreux exemples de surdépendance au
privé, dont les plus pertinents sont exposés dans le
développement qui suit.
63 Société de sécurité
privée afghane spécialisée dans les escortes de convoi.
Elle emploie près de 10 000 salariés. La société
exerce la majorité dans le sud du pays (provinces de l'Helmand et de
Kandahar), zone fief du demi-frère du président afghan.
64 EISENHOWER, D, Discours de fin de mandat, 17
janvier 1961.
65 BRICET des VALLONS, G-H, Ibid. p.204.
A. Dépouillement matériel et
immatériel
Les SMP sont devenues un acteur incontournable du champ de
bataille. Présentes à de nombreux niveaux, elles participent
aujourd'hui activement à la reconstruction des pays
dévastés par la guerre. Le contingent de civils représente
une force importante.
Précisément, le nombre de contractors en
activité en Irak et en Afghanistan est impossible à obtenir. Les
sociétés privées ne communiquent pas sur le nombre exact
de salariés employés. En outre, les SMP sont nombreuses à
recourir à la main d'oeuvre locale, bon marché et
corvéable à souhait.
En 2005, le nombre de SMP présentes en Irak
était porté à 60, pour un effectif global de 20 000
hommes. En 2006, le nombre d'entreprises a triplé. Selon la cour des
comptes américaine (GAO), il est possible d'estimer le nombre de
salariés de sociétés privées à 120 000. Cet
effectif porterait ainsi le ratio civil/militaire à 1 contre 1. Selon
Bricet des Vallons, cette proportion a été atteinte aux
Etats-Unis uniquement lors de la guerre des Balkans, où les effectifs
civils, estimés à 20 000 civils sous contrat, rivalisaient avec
le chiffre des 20 000 militaires déployés66. Un
tableau récapitulatif, présenté à la figure
n°2 reprend l'évolution de la démographie des forces civiles
au sein de l'armée américaine depuis la guerre
d'Indépendance.
A Kaboul, le ministère de l'Intérieur Afghan
recense 52 SMP répertoriées. 25 000 contractors seraient
officiellement enregistrés auprès du ministère. Toutefois,
le Congré américain rapporte que beaucoup de
sociétés travaillent sans licence. De fait, les experts de la
question tablent sur un effectif de 100 000 contractors, locaux ou
étrangers, travaillant en Afghanistan.
Avec des volumes de force aussi élevés, les
civils sous contrats représentent un contingent non négligeable.
Les armées régulières doivent par conséquent les
intégrer pleinement dans les opérations, civiles et
militaires.
Devant le perfectionnement des systèmes d'armes
utilisés, les armées occidentales et les Etats-Unis en
particulier confient de plus en plus la préparation et la gestion de ces
matériels à des sociétés
spécialisées. De fait, les moyens capacitaires des armées
sont alors grandement affectés, en particulier dans le domaine de la
haute technologie : « certaines missions ont été si
massivement externalisées que le gouvernement ne possède plus le
savoir-faire et la capacité de les remplir sans les
contractors67. »
66 BRICET des VALLONS, G-H, Ibid. p. 26.
67 SCHATMANN Noël, « Blackwater and Friends
: America's Achilles's Heel ? », Danger Room, 2007.
Ce qui est vrai pour les matériels et les savoir-faire,
l'est tout particulièrement pour les personnels. Bricet des Vallons
développe la notion de « Soldier Drain » et dresse le bilan de
l'externalisation sur les armées régulières. Nous
préférons parler de la notion de problème de
fidélisation.
L'attrition est un phénomène qui tend à
prendre de l'ampleur dans les armées occidentales. Ce début du
XXIème siècle est caractérisé par
l'exode massif des militaires vers le privé. Ce phénomène
est particulièrement préoccupant outre-atlantique.
En effet, l'attractivité des salaires et du
matériel moderne mis à disposition des employés des SMP
représente un atout majeur de recrutement d'anciens soldats par les
firmes de sécurité. Ce phénomène de migration est
souligné par Deborah Avant. Dans son ouvrage, elle met en avant le
caractère attractif des salaires proposés par les firmes de
sécurité aux anciens militaires : « PERSONNEL MILITAIRE
recherché. A la recherche de candidats possédant une
expérience militaire et/ou judiciaire. Toute expérience dans les
forces spéciales particulièrement bienvenue. Les personnes
doivent être capables de travailler dans un environnement hostile durant
de longues périodes. Salaire : compétitif68
».
En outre, elle soulève le problème que pose le
départ anticipé de certains personnels militaires
spécialisés en terme de coût pour l'Etat. En effet, les
pilotes d'hélicoptères ou les membres des forces spéciales
ont une empreinte financière particulièrement lourde en terme de
formation.
Les militaires résistent de moins en moins à
l'appel des sirènes du privé et les institutions militaires
peinent à concurrencer les recruteurs.
B. Le projet Matrix, le privé au contrôle du
privé
A la suite de nombreuses bavures commises en Irak par des
employés de SMP, le commandement de la Coalition prend la lourde
décision de créer un organe de surveillance des SMP
opérant sur le théâtre irakien. Contre toute attente, la
direction de cet organe est confiée à une autre
société de sécurité privée, la firme
britannique Aegis. De part le nombre de contrats que la
société honore sur le sol irakien, Aegis se positionne
comme la société leader en Irak. Ce nouveau statut lui
confère alors une autorité suprême. A sa
supériorité sur le marché s'ajoute à présent
sa supériorité morale.
68 AVANT Deborah D, The Market for Force, The consequences
of Privatizing Security, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
«320 Help Wanted MILITARY PERSONNEL. Seeking candidates with military
and/or law enforcement experience. Experience in any branch of Special Forces
is particulary welcome. Individuals must be able to work and live in a hostile
field environment for extended periods of time. Salary :
competitive»
Le projet Matrix est ainsi mis sur pied en mai 2004. Une base
de données recensant la totalité des incidents est
créée. Toutefois, l'inscription au Reconstruction Operation
Center repose sur le volontariat des sociétés. Il ne s'agit
que d'une base de données statistique, sans grand intérêt
pour le commandement américain. Sa seule utilité réside
dans le fait de calmer les autorités irakiennes.
Nous pouvons toutefois nous étonner que cet organe de
contrôle n'ait pas été confié à une
autorité morale relevant de la sphère public. Il aurait
été aisé de confier ce rôle à une commission
sénatoriale ou un groupe d'observateurs de l'ONU.
Cette volonté de l'Etat de déléguer cette
compétence au privé démontre clairement la situation
d'asservissement à la filière entrepreuneuriale.
III. La frustration des forces armées
régulières
Cette promiscuité imposée peut provoquer un
conflit d'intérêt entre civils et militaire. Le champ d'action de
certaines sociétés, comme celles du type n°3, peut parfois
rivaliser avec l'action des soldats gouvernementaux.
En outre se pose régulièrement du commandement
des salariés des SMP. Les firmes honorent un contrat spécifique
qui n'est pas toujours lié à l'action des unités
militaires. Ainsi, il est courant pour des militaires d'observer des civils
armés au milieu de leur zone d'opération sans connaître ni
leur mission ni leur objectif à court et moyen terme. C'est
régulièrement le cas en Afghanistan le long des Highway
(autoroutes circulaires qui longent la frontière afghane). De nombreuses
sociétés privées engagent des locaux. Ces
sociétés s'appuient sur leur connaissance du milieu de ces
véritables milices privées. Cependant il est souvent difficile de
les distinguer de groupes d'insurgés qui jalonnent les axes. De fait,
des dommages collatéraux surviennent régulièrement.
L'externalisation des tâches périphériques
de la Défense est un phénomène qui peu à peu
s'installe dans les esprits des militaires. Sur les théâtres,
civils et militaires se côtoient. Les salariés du privé en
armes se fondent peu à peu dans le paysage militaire. Toutefois, cet
amalgame civil/militaire n'est pas sans poser quelques problèmes,
liés notamment au ressenti des soldats réguliers. Ainsi
confrontés à la sous-traitance, les militaires de toutes
nationalités, américains en tête, ressentent un profond
malaise69.
69 MAKKI Sami, Processus et bilan de l'externalisation dans
l'armée britannique - Quels enseignements pour
En effet, les militaires présentent parfois un
sentiment de frustration face à la débauche de moyens mis en
oeuvre par les SMP (armement, tenues adaptées, salaires, liberté
d'action, responsabilités et autonomie).
En outre, l'action des SMP peut également changer la
perception des opinions publiques sur le rôle voire l'utilité de
l'institution militaire.
Face au phénomène de privatisation, Peter Warren
Singer n'hésite pas à parler d'échec des armées
nationales. Selon lui, le remplacement des militaires par des contractors dans
leurs tâches habituelles (déminage, génie, renseignement),
peut s'interpréter comme un véritable échec. Il parle
notamment de « menace de la position des militaires dans la
société70 ». SINGER choisit des termes forts
afin de marquer les esprits et de sensibiliser les gouvernements au danger de
la privatisation arbitraire.
IV. Les SMP dans une logique de contre-insurrection :
la compromission de la mission des forces armées
L'impact des acteurs privés sur le champ de bataille peut
avoir des répercussions non négligeables jusqu'au niveau
stratégique, en particulier lors de bavures ou de tirs fratricides. Sans
être exhaustif, il nous a paru opportun de rappeler l'épisode de
la bataille de Falloujah. En 2004, quatre employés de la
société Blackwater sont lynchés par la foule après
l'attaque par des insurgés d'un véhicule américain dont
ils avaient la charge. Cet épisode malheureux donne lieu à une
offensive militaire américaine. Au cours de ce carnage, 36 soldats
américains près de 200 insurgés et environ 600 civils sont
tués. De nombreux autres sont blessés.
Cette fois ci, les militaires sont venus au secours de
salariés d'une société privée. La force militaire a
été détournée de sa mission principale et son image
en a souffert tant dans l'opinion publique américaine qu'au sein du
gouvernement irakien.
Les conflits asymétriques actuels nécessitent des
réponses adaptées. Aussi l'OTAN a-t-il développé
une stratégie de contre insurrection en Afghanistan, la COIN.
la France ?, Les documents du SD, n°66, Octobre
2004, p. 83.
70 SINGER Peter Warren, Corporate Warriors, The Rise of the
Privatized Military Industry, Cornell, Cornell University Press, 2003, p.
197-198.
Il nous a semblé important de rappeler les lois
spécifiques de la contre insurrection au sens de Galula71.
Galula a défini quatre lois spécifiques de la
contre insurrection :
- le soutien de la population est aussi vital pour les loyalistes
que pour l'insurgé ;
- ce soutien s'obtient par l'action d'une minorité active
et impose aux loyalistes d'inventer une contre-cause ;
- le soutien de la population ne s'obtient que si le loyaliste
est en position de force, c'est à dire s'il peut s'appuyer sur une
organisation politique solidement ancrée dans la population ;
- l'intensité des efforts et la quantité de
moyens sont essentiels. Les efforts ne doivent donc pas être
dilués dans tout le pays : ils doivent être appliqués
successivement à chaque région.
La population est au coeur des doctrines de contre
insurrection. C'est pourquoi « gagner le coeur et les esprits » de la
population est primordial et probablement plus important que de s'assurer la
suprématie tactique sur les insurgés. Pour vaincre
l'insurrection, il est nécessaire de couper la population des
insurgés et s'attirer le soutien de celle-ci.
Les incidents impliquant des membres de sociétés
militaires privés sont nombreux. Toutefois, d'après la Cour des
comptes américaines, en 2009, plus de 300 militaires américains
avaient déjà fait l'objet de poursuite alors qu'aucun contractor
n'a été sanctionné judiciairement. Après que le
collectif Human Rights Watch ait dénoncé les abus des entreprises
de néo mercenariat, un mémorandum de la Cour des comptes
américaine a relevé le nombre et les motifs de licenciement de
salariés de la société Blackwater entre 2003 et 2007. Sur
un total de près de 120 licenciements, près de 25 % sont
liés à des infractions liées aux règles d'emploi
des armes (à savoir le non respect des règles d'engagement, tirs
fratricides, dommages collatéraux) et encore un quart concerne la prise
d'alcool et de stupéfiants. Ce tableau sera repris dans son
intégralité en figure n°3.
Jacques Follorou, dans un article publié en 2009 dans le
quotidien Le Monde, dénonce les nombreux incidents survenus avec des
employés de SMP en Afghanistan. Ainsi, il rappelle l'épisode
d'octobre 2009 au cours duquel des soldats de l'Armée Nationale Afghane
se sont
71 Saint-Cyrien, le lieutenant-colonel David Galula
a été acteur puis observateur des deux guerres majeures de
décolonisation françaises avant de devenir chercheur à
l'université de Harvard. Il est l'auteur de deux ouvrages militaires sur
la lutte contre insurrectionnelle. Il est considéré à ce
jour par la communauté militaire américaine comme le principal
stratège français du XXème siècle.
soulevés contre leurs instructeurs britanniques qui
consommaient de l'alcool devant eux, lors du jeune du Ramadan72.
Les abus trop souvent rapportés dans les médias
ont fini par lasser les opinions publiques internationales. Dans une logique de
contre insurrection, l'attitude d'employés de SMP peu scrupuleux nuisent
à l'action de la force. Il convient de rappeler que des soldats
appartenant aux forces régulières, adoptent parfois une attitude
peu respectueuse des us et coutumes locaux. Militaires et civils doivent donc
se résoudre à adopter un profil discret qui contribuera aux
succès de la stratégie mise en place par les coalitions. Les SMP,
ont besoin d'être encadrées pour gagner en respectabilité
et devenir de véritables acteurs non étatiques de la
Défense.
Les SMP sont devenus des acteurs incontournables de l'action
politique et militaire. Comme il a été rappelé dans cette
partie, le recours aux services de sociétés militaires
privées induit des dangers pour la souveraineté des Etats. Ces
derniers doivent recourir aux SMP avec précaution. En effet, le
privé peut menacer les relations civilo-militaire mais également
nuire à la politique étrangère des Etats. La question de
l'attitude à adopter par les Etats, la France en particulier, face
à l'émergence de cette norme du recours aux SMP, va être au
centre du point suivant.
72 FOLLOROU, Jacques, « L'Afghanistan, nouveau
marché des sociétés militaires privées », Le
Monde, 20 novembre 2009.
Chapitre 3 : La maîtrise de l'impact des SMP :
l'adaptation de l'Etat au processus de privatisation.
La privatisation de la sphère de la défense et
de la sécurité s'inscrit en dehors de la norme ancienne du
monopole de la violence légitime. Comme tout phénomène
nouveau, la privatisation de la guerre et l'apparition des SMP sont des
évènements inhabituels. De fait, ils suscitent des
appréhensions.
Dans cette partie, nous étudierons brièvement le
concept ancien énoncé par le sociologue allemand Max Weber. Nous
le confronterons ensuite aux théories du cycle des normes et de
Wolf-Dieter Eberwein et Yves Schemeil que nous aurons pris soin d'analyser.
Enfin, nous verrons que la privatisation de la sécurité est une
norme qui peut être régulée à deux niveaux, interne
et international.
I. Le monopole de la violence légitime
Le besoin de sécurité, comme l'a montré
le psychologue Maslow, est un des premiers besoins fondamentaux
nécessaires à la survie et au développement de la personne
humaine73. Dans la pyramide de Maslow74, ce
besoin se situe immédiatement au dessus des besoins physiologiques
(soif, faim, protection contre les intempéries, santé, etc.) et
avant les besoins psychologiques (appartenance, estime de soi, auto
réalisation) et de spiritualité.
Les Etats sont dépositaires des missions de
défense collective. Ils ont acquis le monopole de l'emploi de la force,
parfois au détriment des individus qui perdent le contrôle de leur
propre défense. Ce risque est évident si le monopole appartient
à un Etat totalitaire, mais il n'est pas absent dans le cas d'un Etat
démocratique. Confiée entre de mauvaises mains, cette puissance
peut avoir des conséquences néfastes pour les individus.
Ainsi, l'Etat est le dépositaire de la violence
légitime.
Qualifié par Jean-Jacques Roche75 de
modèle idéal-type sublimé, l'approche
wébérienne ne correspond en rien à la
réalité.
73 Abraham Maslow, Motivation et Personnalité,
Harper & Row, New York, 1954.
74 Reportée en figure n°4.
75 ROCHE, JJ, « La privatisation de la
sécurité porte-t-elle atteinte aux pouvoirs régaliens ?
»
Max Weber s'est probablement attaché à calquer
la construction des Etats sur un modèle défini par lui.
Cependant, l'Histoire regorge de cas particuliers. Dans la pensée
wébérienne, l'Etat moderne a toujours été le garant
de la violence. Nous apportons une réserve à cette
théorie. En dressant l'historique du mercenariat, nous avons pu
constater que l'Etat moderne a progressivement privé les seigneurs de
leurs prérogatives militaires, en bannissant notamment les duels et en
constituant une armée nationale. Peu à peu, l'autorité
suprême a pris le contrôle de la violence. De bandes armées,
l'armée est devenue nationale. Les guerres de conquêtes ont
rapidement modernisé le visage de la guerre.
De fait, il est préférable d'appréhender le
concept du monopole de la violence légitime comme un cheminement
intellectuel plutôt que comme une description de la
réalité.
L'Etat ne dispose pas d'emblée du monopole de la
violence.
Cas des guerres de décolonisation.
Si nous considérons la guerre de décolonisation
en Algérie, nous détenons un contre-exemple solide du principe
wébérien. En effet, le Front de Libération National (FLN)
a usé de violences afin d'une part d'éliminer la concurrence
d'autres mouvements de contestation. D'autre part, cette violence a servi
à alerter l'opinion publique française et à faire plier le
gouvernement français. Devant le niveau de violence atteint par le FLN,
le gouvernement a entamé les négociations et a rapidement
consenti à l'indépendance de l'Algérie.
Ce cheminement de la création d'un Etat indépendant
est l'exact opposé du schéma proposé par Max Weber.
Si le concept de monopole de la violence légitime
détenu par l'Etat ne résiste pas à certains faits
historiques, Jean-Jacques Roche souligne que cet idéal-type demeure la
référence des détracteurs de la privatisation de la
guerre76.
Le monopole de la violence légitime apparaît de
fait comme une norme internationale qui fut admise en raison de son
utilité pour les Etats en quête de légitimité. Cette
norme hégémonique est aujourd'hui confrontée à une
autre norme, plus libérale.
Comme le rappellent Wolf-Dieter Eberwein et Yves Schemeil, les
normes se fertilisent mutuellement et évoluent sous la pression de la
mondialisation notamment. Il n'est donc pas surprenant de constater que le
concept wébérien est à présent
dépassé77.
76 ROCHE JJ, Ibid.
II. Acceptation de la norme
« De véritables entreprises de guerre, souvent
d'origine anglo-saxonne, ont, sur ce terreau, pu apparaître et
fructifier. [...] Il est à noter, d'ailleurs, qu'il ne s'agit plus du
mercenariat traditionnel, individuel, mais de véritables entreprises
commerciales, d'autan plus redoutables qu'elles disposent de moyens
importants ».
Michèle Alliot-Marie, Ministre de la Défense
Nationale, 2003
Finnemore et Sikkink le soulignent, « il ne suffit pas de
diffuser une norme pour signifier son acceptation ». Au contraire,
l'acceptation ou « cascade de la norme » est réalisée
lorsque le nombre d'acteurs étatiques qui adoptent la norme atteint un
point de bascule suffisant. Ce seuil n'est jamais défini à
priori.
Wolf-Dieter Eberwein et Yves Schemeil vont plus loin dans
l'analyse des normes et posent deux critères qui conditionnent
l'acceptation de la norme :
- ne pas appliquer la norme devient vite paralysant pour les
Etats ;
- ne pas y adhérer par calcul
d'intérêt78.
La première condition énoncée est
semblable à celle du cycle des normes. Elle concerne en effet le
processus de légitimation de la norme par l'édification de
standards de législation et/ou de ratification. Afin de légaliser
la norme ou de la sanctionner, les Etats mettent en place des processus
formels.
Dans le cas de la privatisation de la défense, ce point se
vérifie lorsque nous observons l'apparition de législations
internes aux Etats. Que ce soit aux Etats-Unis afin de mobiliser les SMP au
service de l'Etat ou en Afrique du Sud afin de limiter leur pouvoir de
nuisance. Comme le détail Jean-Jacques Roche, une législation
trop restrictive traduirait la volonté d'un Etat de se prémunir
contre les effets pervers de la norme.
Cas particulier de la France.
Le 14 avril 2003, la France promulgue une loi
particulièrement restrictive afin de se prémunir d'un possible
appel du mercenariat. Largement inspirée du protocole additionnel
77 SCHEMEIL Y, EBERWEIN WD, « Le
mystère de l'énonciation : normes et normalités en
relations internationales ».
78 SCHEMEIL Y, EBERWEIN WD, Ibid. pp. 20-35.
de 1977, cette loi définit le mercenariat par six
critères cumulatifs. La France tente ainsi officiellement de se
protéger des mercenaires sans toutefois interdire la création de
SMP française. Elle n'interdit pas non plus de souscrire un contrat de
défense avec une SMP d'origine étrangère,
américaine par exemple.
En ce qui concerne la seconde condition d'acceptation de la
norme de la privatisation de la sécurité, les travaux de Eberwein
et Schemeil apportent un éclairage précis sur la notion de
dessaisissement des fonctions régaliennes de l'Etat. En effet, une
évolution de la politique des Etats vers l'acceptation de la norme peut
être motivée par des considérations tactiques
(récupération d'un bénéfice immédiat) ou
d'ordres stratégiques (nécessité de se conformer aux
pratiques du modèle dominant -les Etats-Unis). Les deux chercheurs
avancent également l'adhésion de la norme comme moyen
d'éviter des sanctions internationales. Nous avons choisi de
caractériser ce dernier point comme la contrainte extérieure. Ne
pas céder à la pression internationale (ou celle du
marché), aboutirait à s'exclure radicalement du système.
Ce serait le moyen de se priver de sa liberté d'action et de perdre sa
capacité à proposer de nouvelles initiatives ainsi qu'à
orienter l'évolution de la norme. Car les normes ne sont pas
figées, elles demeurent en constante évolution.
La France, à défaut de se positionner sur le
marché de la guerre privée, se place en situation de
contestation. La loi anti-mercenaire de 2003 atteste de la volonté de la
France de demeurer en marge du système. L'outsourcing en France
représente encore un secteur embryonnaire mais l'idée de la
privatisation progresse lentement dans les milieux décisionnels. Le
ministère de la Défense aborde le thème de la
privatisation de la manière suivante : il s'agit « d'un mode de
gestion ancien qui consiste, pour l'administration, à confier à
un ou des partenaires externes spécialisés, une fonction, une
activité ou un service assurés jusqu'alors en
régie79 ».
Le thème du recours aux SMP par la France commence
à être envisagé dans les cercles de décisions
parisiens. Toutefois, « la France ne semble pas encore
décidée à entrer dans le marché80.
»
79 Directive ministérielle n°007496 du 26
mai 2003 sur la politique d'externalisation au sein du ministère de la
Défense.
80 Cahier de la recherche doctrinale, « L'emploi
des SMP en Afghanistan et en Irak », CDEF, juillet 2010, p. 79.
III. La légitimation de la norme
A la lumière de l'approche théorique des
Relations Internationales et de la notion de norme, il apparaît que la
privatisation de la sécurité et de la sphère de la
Défense constitue une évolution inéluctable des Relations
Internationales. Ce processus de privatisation ne s'imposera qu'aux Etats qui
n'ont pas su ou pas voulu reconnaître son aspect
irrémédiable. Initiée dès les années 1960
aux Etats-Unis, la norme du recours aux SMP s'est métamorphosée
en norme mondiale. Bien que norme internationale, deux outils de
régulations sont envisageables. Ces outils se situent à deux
niveaux.
A. Niveau interne
Le premier niveau de régulation se situe au niveau de
la politique interne des Etats. Nous l'avons précédemment, les
SMP sont un moyen efficace pour les Etats de mener des actions en marge de la
politique officielle. Ces actions sont possibles seulement si des liens de
confiances existent entre les sociétés et l'Etat.
La privatisation de l'Etat, à notre sens, ne constitue
pas le signe du déclin de l'Etat souverain, mais représente le
redéploiement de l'Etat dans la sphère privée. Nous
assistons simplement à la privatisation de l'Etat. La distinction entre
la chose publique et le privé n'est plus aisée. En atteste la
présence toujours plus accrue de hauts fonctionnaires à la
retraite dans les sphères dirigeantes des entreprises de
sécurité privées. Ce phénomène est
particulièrement marqué aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Pour que le partenariat public privé soit efficace, il
est primordial que les SMP ne soient pas totalement autonomes. C'est pourquoi
l'existence du projet Matrix est particulièrement dangereuse
pour la souveraineté des Etats.
Sur le plan des législations internes, le
sénateur Michel Pelchat dresse la liste exhaustive des
réglementations nationales relatives à l'activité
mercenaire81. Ainsi, les Etats-Unis ont élaboré le
U.S. Neutrality Act de 1937, l'Afrique du Sud, le Regulation of
Foreign Military Assistance Act en 1998, les Britanniques le Foreign
Entlistment Act de 1870. A ces nations s'ajoutent le Portugal, la Suisse,
la Belgique, l'Australie, la Russie, l'Ukraine, l'Allemagne et la France.
81 Rapport n°142, session 2002-2003, fait au nom
de la commission des Affaires Etrangères, de la Défense et des
forces armées sur le projet de loi relatif à la répression
de l'activité de mercenaires, p. 11-13.
B. Niveau international
Le second type de régulation intervient au niveau
international.
Selon Jean-Jacques Roche, les Nations-Unies envisagent le
recours aux SMP pour des déploiements rapides82. Cette option
pose évidemment la question délicate du cadre juridique à
imposer aux SMP. Ainsi, le Secrétariat Général des
Nations-Unies (SGNU) pourrait prochainement être à l'origine d'un
code de régulation des SMP.
Cette initiative du SGNU est à mettre en relation avec
la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le
financement et l'instruction de mercenaires, adoptée le 4
décembre 198983. Outre le contenu de ce texte symbolique, le
nombre de pays signataires est significatif de l'intérêt
porté au caractère légal du mercenariat entrepreuneurial.
A ce jour, près de cinquante Etats ont signé cette convention.
Ces deux initiatives participent à la régulation
du marché de la guerre et répondent également au souhait
des néo entrepreneurs de se détacher de l'étiquette
douteuse qui caractérisait les anciens mercenaires.
Ainsi nous pouvons citer l'existence de plusieurs «
syndicats » de SMP. Les firmes de sécurité, soucieuses
d'améliorer leur image auprès de l'opinion publique
internationale et des gouvernements, se sont regroupées en associations
professionnelles dont la principale mission est « de faire du lobbying
auprès des responsables politiques et des dirigeants des organisations
internationales84. Parmi ces syndicats, l'International Peace
Operations Association (IPOA) est le plus significatif. Regroupant une
quarantaine de SMP américaines, l'IPOA s'est doté d'un Code de
Conduite, qui vise à rassurer les gouvernements. Les membres s'engagent
à respecter l'éthique et les valeurs fondamentales des Droits de
l'Homme. Toutefois, les contrevenants à ces règles n'encourent
aucune sanction.
Le code de conduite de l'IPOA est reporté
intégralement en annexe 2.
82 ROCHE JJ, « Insécurité
Publiques, Sécurité Privée - Essais sur les nouveaux
mercenaires »
83 Texte visible dans son intégralité le
20 juillet 2011 à l'adresse :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi
0066-3085 1990 num 36 1 2978
84 ROSI, J-D, Ibid. p.211-212.
C. Cas particulier du Document de Montreux
Le document de Montreux85.
Rédigé en 2008 à l'initiative de la
Suisse et du Comité International de la Croix-Rouge (CICR), le document
de Montreux est aujourd'hui soutenu par 34 Etats. Cherchant à combler le
vide juridique entourant les SMP, le document fixe un ensemble de pratiques
qualifiées de respectables.
Le document distingue :
- l'Etat contractant (le client) ;
- l'Etat où la SMP est implantée ;
- l'Etat où la SMP opère.
Le document s'adresse en priorité aux Etats et
cherchent à sensibiliser sur l'aspect juridique du recours aux SMP.
Ainsi, le document préconise d'identifier les tâches à
privatiser et de clarifier au mieux le statut des employés des
firmes.
Le document de Montreux possède un caractère
symbolique et ne se soustrait en aucune manière à la
volonté politique propre des Etats de contrôler les SMP.
Toutefois, il convient de saluer l'existence d'un tel document, prélude
à une réglementation internationale solide.
85 Annexe à la lettre datée du 2 octobre 2008
adressée au Secrétaire général par le
Représentant permanent de la Suisse auprès de l'Organisation des
Nations Unies : « Document de Montreux sur les obligations juridiques
pertinentes et les bonnes pratiques pour les États en ce qui concerne
les opérations des entreprises militaires et de sécurité
privées opérant pendant les conflits armés ».
Conclusion
Nous pouvons à présent conclure notre travail de
recherche relatif à l'impact de la privatisation sur la
souveraineté de l'Etat.
La première partie de notre raisonnement contribue
à apporter une définition des champs de compétences des
sociétés militaires privées. La typologie
réalisée permet d'évaluer le risque encouru par l'Etat
à sous-traiter tel ou tel champ d'expertise. Les sociétés
de sécurité privées se sont transformées en de
véritables viviers de compétences qui peuvent, dans une certaine
mesure, se substituer aux forces régulières. Cette
première partie fait également état de l'offre
générale proposée par les SMP. Elle permet de saisir le
rôle majeur des sociétés de type n°5. Les
sociétés de consultance telles que Xe sont au coeur de
la polémique soulevée par le débat sur la privatisation de
la sécurité. En outre, cette partie a démontré
qu'il n'existe aucune SMP française aujourd'hui capable de rivaliser
avec les géants anglo-saxons. Cette lacune française contribue
à alimenter le scepticisme des dirigeants français à
l'égard de la privatisation.
La deuxième partie nous a permis d'aborder le point
important du règlement des questions d'éthiques, d'emploi et de
remise en cause de la souveraineté de l'Etat et de l'utilité des
armées nationales. Ces questions essentielles ne pourront être
réglées par le droit uniquement. Le cadre juridique des
entreprises militaires privées doit s'accompagner d'une réflexion
politique aboutie, tant sur le plan interne, qu'au niveau des instances
internationales. Cette réflexion politique doit permettre de
redéfinir le rôle de l'Etat et des acteurs privés dans
l'utilisation de la force armée. Les outils théoriques des
Relations Internationales ont permis de définir le caractère
inéluctable de la norme de privatisation de la sécurité.
Sur les théâtres actuels, le travail conjoint des militaires et
des salariés en arme du civil tend à prouver qu'une part
importante de la Sécurité incombe désormais aux acteurs
non étatiques, tels que les firmes privées de
sécurité.
Au terme de cette étude, il paraît peu probable
que les Etats se dirigent vers une renationalisation de la violence. La
première puissance mondiale est trop largement impliquée dans le
phénomène de privatisation pour qu'il semble possible de faire
marche arrière. Pourtant, des régulations sont encore
envisageables. Il convient de les mettre en place au plus
vite. A défaut, les intérêts privés
prendront inéluctablement le pas sur la chose publique et le retrait de
l'Etat sera consommé.
La France ne semble pas encore disposée à se
saisir activement de la question de la privatisation. Si le pays participe
résolument à la plupart des grands engagements militaires de
cette décennie, il convient de souligner qu'il n'est pas encore
décidé à pénétrer le marché
privé de la guerre. La France reste attachée à
l'idée que la force armée doit demeurer du seul ressort de
l'Etat. Toutefois, le pays ne ferme pas complètement la porte aux SMP
puisque l'état français commence à externaliser des
tâches périphériques, comme le soutien logistique.
In fine, les firmes militaires sont devenues des acteurs avec
lesquels les armées professionnelles doivent compter. Concurrence ou
coopération : quels que soient les rapports qui s'établissent,
ils doivent être clarifiés au travers d'une réglementation
nationale, européenne et internationale. L'enjeu final de l'entente
entre les deux entités civile et privée n'est pas sans
conséquence puisqu'il s'agit de l'efficacité
opérationnelle de l'action militaire et de la crédibilité
politique des Etats engagés dans les conflits et la gestion des crises
régionales et internationales.
Liste des figures
Figure n°1 : Cycle vital des normes
Figure n°2 : Evolution de la
démographie des forces civiles dans l'armée américaine du
XVIIIème au XXIème siècle.
Figure n°3 : Nombres et motifs de
licenciement de personnels de la société Blackwater entre 2003 et
2007.
Figure n°4 : Pyramide de Maslow sur les
besoins fondamentaux des individus.
Figure n°1
|
Phase 1 Emergence de la norme
|
Phase 2 Cascade de la norme
|
Phase 3 Internalisation
|
Acteurs
|
Entrepreneurs de normes dotés
de plateforme institutionnelles
|
Etats, Organisations Internationales, réseaux
|
Juristes, professionnels, bureaucratie
|
Motivations
|
Altruisme, empathie, engagement
|
Légitimité, réputation, estime
|
Conformité
|
Mécanismes dominants
|
Persuasion
|
Socialisation, institutionnalisation, démonstration
|
Habitudes, institutionnalisation
|
Cycle vital des normes
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, « International
Norm Dynamics and Political Change », International Organization, 52,
Automne 1998, p. 898.
Figure n°2
Conflit
|
Civils sous contrat
|
Militaires
|
Ratio civil/militaire
|
Guerre d'Indépendance
|
2000
|
9000
|
1/6
|
Guerre américano-mexicaine
|
6000
|
33 000
|
1/6
|
Guerre de Sécession
|
200 000
|
1 000 000
|
1/5
|
Grande Guerre
|
85 000
|
2 000 000
|
1/24
|
Seconde Guerre Mondiale
|
734 000
|
5 400 000
|
1/7
|
Guerre de Corée
|
156 000
|
393 000
|
1/2.5
|
Guerre du Vietnam
|
70 000
|
359 000
|
1/5
|
Guerre du Golfe
|
9 000
|
500 000
|
1/55
|
Guerre de Balkans
|
20 000
|
20 000
|
1/1
|
Guerre d'Irak
|
200 000
|
130 000
|
1.5/1
|
Origines : sources ouvertes
Figure n°3
Tableau : Nombre et motifs de licenciement chez Blackwater entre
2003 et 200786
Infractions liées aux règles d'emploi des armes
|
28
|
Prise d'alcool et de stupéfiants
|
25
|
Conduite incorrecte ou obscène
|
16
|
Insubordination
|
11
|
Incompétence
|
10
|
Comportement violent
|
10
|
Violation des règles d'engagement
|
8
|
Défaillance ou mensonge dans le rapport d'un incident
|
6
|
Conduite ayan nuit à l'image de Blackwater
|
4
|
Problèmes liés à la délivrance
d'habilitations
|
3
|
Problèmes liés à un stress
post-traumatique
|
1
|
Total
|
122
|
86 Mémorandum du GAO du 1er octobre
2007, non renouvelé depuis.
Figure n°4
Pyramide de Maslow
Liste des annexes
Annexe n°1 : Sites Internet de SMP
Annexe n°2 : Code de conduite de l'IPOA
Annexe n°3 : LOI n° 2003-340 du 14 avril 2003 relative
à la répression de l'activité de Mercenaire
Annexe 1
Sites Internet de SMP
Aegis http://www.aegisworld.com/
Caci International http://www.caci.com/
DynCopr International http://www.dyn-intl.com/
EOD Solutions, Ltd.
http://www.eod-solutions.com
Erinys International
http://www.erinysinternational.
European Landmine Solutions
http://www.landmine-
Group 4 Securicor
http://www.g4s.com
Halliburton http://www.halliburton.com/
Katana http://www.katanasecurity.com/
Kroll http://www.krollworldwide.com/
MPRI
http://www.mpri.com/inex.html
Titan http://www.titan.com/
Xe http://www.xecompany.com/
Annexe 2
International Peace Operation Association Code de
conduite
Préambule
Le présent Code de Conduite vise à faire
respecter les normes éthiques par les sociétés membres
de l'IPOA qui travaillent dans les situations de conflit et de post-conflit
afin qu'ils puissent offrir leurs services au profit de la paix
internationale et de la sécurité humaine.
De plus, les signataires acceptent de suivre tout
règlement relevant du Droit international humanitaire et des droits de
l'Homme ainsi que tout accord et toute convention internationale, y compris,
entre autres:
· La Déclaration universelle des droits de l'Homme
(1948)
· La Convention de Genève (1949)
· Les Protocoles additionnels de la Convention de
Genève (1977)
· La Convention sur l'interdiction des armes chimiques
(1993)
· Les Principes volontaires sur la sécurité
et les droits de l'Homme (2000)
Les membres de l'IPOA ont pris l'engagement de respecter les
principes suivants dans toutes leurs opérations:
1. Des droits de l'homme
1.1 Dans toutes leurs opérations, les signataires
respecteront la dignité de tout être humain et s'adhéreront
strictement à toutes les lois et tous les accords relevant des droits de
l'homme.
1.2 Ils prendront toutes les dispositions utiles pour minimiser
la perte de vies humaines et la destruction des biens.
2. De la transparence 2.1 Les signataires
travailleront avec intégrité, honnêteté, et
équité.
2.2 Les signataires commis dans les opérations de la
paix ou de la stabilité s'engagent, dans la mesure du possible et
conformément aux limitations contractuelles, à être ouverts
et communicatifs avec le Comité International de la Croix Rouge et
d'autres autorités concernées en ce qui concerne la nature de
leurs opérations et tout conflit d'intérêt qui pourrait de
n'importe quelle façon être perçu comme facteur ayant de
l'influence sur les initiatives actuelles ou potentielles.
3. De la responsabilité
3.1 Les signataires comprennent la nature unique de la
situation de conflit ou post-conflit dans laquelle ils travaillent, et ils
reconnaissent entièrement l'importance des lignes de
responsabilité nettes et opératives pour assurer les
opérations de paix efficaces et la viabilité de l'industrie
à long terme.
3.2 Les signataires acceptent de répondre
légalement de leurs actions et celles des employés de la
société devant les autorités compétentes. Alors que
les sociétés elles-mêmes devraient sanctionner les petites
infractions, les signataires s'engagent, dans la mesure du possible et
conformément aux limitations contractuelles et légales, à
coopérer pleinement avec les investigations officielles en ce qui
concerne des allégations des violations contractuelles et celles du
Droit humanitaire international et du Droit des droits de l'homme.
3.3 En outre, les signataires s'engagent à prendre des
actions fermes et définitives si les employés de leur
organisation s'adonnent aux activités illégales.
4. Des clients
4.1 Les signataires s'engagent à ne travailler que pour
les gouvernements légitimes et reconnus, les organisations
internationales, les organisations non-gouvernementales et les
sociétés privées légitimes.
4.2 Les signataires n'acceptent pas des clients illégaux
ou ceux qui contrecarrent activement les efforts internationaux pour la
paix.
4.3 Les signataires s'engagent à maintenir la
confidentialité des informations obtenues par les services fournis,
sauf si procéder ainsi compromet les principes énoncés
ci-dessus.
5. De la sûreté
5.1 En reconnaissant les niveaux de risqué
inhérents aux activités dans les situations de conflit et de
post-conflit, les signataires s'efforceront toujours à travailler de
façon sûre, responsable, et prudente, et feront de leur mieux pour
assurer que tout le personnel de la société se tienne à
ces principes.
6. Des employés
6.1 Les signataires s'assurent que tous leurs employés
sont entièrement informés vis-à-vis du niveau de risque
associé à leur travail, ainsi que des dispositions, des
conditions et du contenu de leurs contrats.
6.2 Les signataires promettent d'assurer que leurs
employés sont en bonne santé, et que tous leurs employés
sont bien passés au crible en ce qui concerne les besoins physiques et
mentaux de leurs obligations conformément aux termes de leur contrat.
6.3 Les signataires s'engagent à utiliser le personnel
suffisamment formé et préparé dans toutes leurs
opérations conformément aux normes bien précises de la
société.
6.4 Tout personnel sera examiné soigneusement, bien
formé, encadré et pourvu d'instruction supplémentaire sur
le cadre légal applicable et les sensibilités régionales
dans la zone des opérations.
6.5 Les signataires s'engagent à ce que tous leurs
employés aient un statu légal dans leurs pays respectifs de
citoyenneté ainsi qu'au niveau international.
6.6 Les signataires acceptant d'agir de façon
responsable et éthique vis-à-vis de leurs employés, y
compris s'assurer que les employés sont traités avec respect et
dignité, et de
répondre de manière appropriée au cas
où les allégations de mauvaise conduite de la part de
l'employé seraient soulevées.
6.7 Le cas échéant, les signataires devraient
chercher les employés représentant largement la population
locale.
6.8 Le paiement de différents salaires à
différentes nationalités doit être basé sur le
mérite et le différentiel économique national, et ne peut
pas être basé sur des critères raciaux, de genre ou des
raisons ethniques.
6.9 Lors de l'embauche d'employés ayant signé un
contrat à durée (in)déterminée, les signataires
acceptent de respecter le niveau d'âge minimum de 15 ans tel que
défini par la Convention sur l'âge minimum (1973).
6.10 Aucun employé ne se verra refuser le droit de
mettre fin à son contrat . En outre, aucun signataire ne peut retenir
les documents personnels de voyage de ses employés contre leur
volonté.
6.11 Les signataires s'engagent à fournir à tous
les employés la formation, l'équipement, et les matériaux
appropriés et nécessaires pour leurs obligations, ainsi que
l'aide médicale si nécessaire et si possible.
6.12 On exige que les employés se comportent
humainement, avec honnêteté, intégrité,
objectivité et diligence.
7. Des assurances
7.1 Les employés locaux et étrangers auront
à leur disposition des polices d'assurances de santé et de vie
proportionnelles à leur salaire et au niveau de risque de leur service
conformément au droit.
8. Du contrôle
8.1 Les signataires approuvent fortement l'utilisation des
contrats détaillés qui précisent le mandat, les
restrictions, les objectifs, les points de références, les
critères pour le retrait et la responsabilité pour
l'opération.
8.2 Les contrats ne seront pas fondés sur une mission
agressive à moins qu'exigés par une autorité
légitime en accord avec le droit international.
8.3 Dans tous les cas - et compte tenu du retrait
sécurisé du personnel et des autres sous la protection des
signataires - les signataires sont commis à se conformer de façon
professionnelle et dans les meilleurs délais aux requêtes
légitimes du client, y compris le retrait d'une opération
à la demande éventuelle du client ou des autorités
gouvernementales compétentes.
9. De l'éthique
9.1 Les signataires promettent d'aller au-delà des
exigences légales minimales et de soutenir les besoins éthiques
impératifs supplémentaires qui sont nécessaires aux
opérations efficaces relatives à la sécurité et la
paix.
9.2 Des règles d'engagement
9.2.1 Les signataires qui pourraient éventuellement
s'engager dans des hostilités armées établiront des «
Règles d'engagement » appropriés avec leurs clients avant le
déploiement, et travailleront avec leur client pour toute modification
nécessaire en cas de changement important au niveau de menace et de la
situation politique.
9.2.2 Tous les règlements devraient se conformer au
Droit international humanitaire et au Droit des droits de l'homme et mettre
l'accent sur la bonne retenue et la prudence afin de réduire le nombre
de victimes et les dommages, tout en sauvegardant le droit inhérent
d'autodéfense. Les signataires s'engagent, si nécessaire,
à employer la force proportionnelle à la menace.
9.3 Du soutien des organisations internationales et
des ONGs/la société civile et la reconstruction
9.3.1 Les signataires reconnaissent que les services fournis par
les organisations humanitaires
sont nécessaires pour mettre fin aux conflits et pour
soulager la souffrance humaine y associée.
9.3.2 Dans la mesure du possible et conformément aux
limitations contractuelles et légales, les signataires s'engagent
à soutenir les efforts des organisations internationales, humanitaires
et les organisations non gouvernementales et d'autres entités qui
oeuvrent à épargner la souffrance humaine et à soutenir
les objectifs de reconstruction et de réconciliation des
opérations de la paix.
9.4 Du Contrôle d'armes
9.4.1 Les signataires qui utilisent les armes promettent
d'accorder une importance capitale en ce qui concerne la responsabilité
et le contrôle de toutes armes et munitions utilisées pendant une
opération.
9.4.2 Ils promettent de soumettre un compte-rendu
authentifié et approprié de ces armes, et de les déclasser
au terme d'un contrat. Les signataires s'abstiennent d'utiliser les armes
illégales, toxiques, ou chimiques ou celles qui pourraient nuire
à la santé à long terme et compliquer l'assainissement
post-conflit et elles se limiteront aux armes appropriées aux
opérations militaires ou celles de sécurité ou de maintien
de l'ordre.
10. Des sociétés partenaires et
sous-contractants
10.1 Dû à la nature complexe des situations de
conflit ou post-conflit, les sociétés recourent souvent aux
services des sociétés partenaires et des sous-contractants pour
l'exécution des obligations de leur contrat.
10.2 Les signataires acceptent de choisir des
sociétés partenaires et des sous-contractants avec le plus grand
soin et la due diligence et d'assurer qu'ils sont en conformité aux
normes éthiques appropriées - en l'occurrence le présent
Code de Conduite.
10.3 Le futur de l'industrie des opérations de paix
dépend de l'excellence technique et éthique.
Il n'est pas seulement important que les
sociétés membres d'IPOA adhèrent aux principes
exprimés dans ce code, mais chaque membre devrait aussi encourager et
soutenir la conformité et l'identification du Code à travers
l'industrie.
11. De l'application
11.1 Le présent Code de Conduite est le code officiel de
l'IPOA et de ses sociétés membres. Les signataires s'engagent
à respecter les normes énumérées dans le
présent Code.
11.2 Tout signataire qui faillit à faire respecter une
disposition quelconque du présent Code peut être sujet de la
révocation de l'IPOA à la discrétion du Conseil
d'Administration de l'IPOA.
11.3 Les membres essayeront de donner les principes de base du
Code de Conduite d'IPOA à leurs employés.
Première version adopté: 1 avril 2001
Onzième version: 1 décembre 2006
Annexe 3
LOI n° 2003-340 du 14 avril 2003 relative à
la répression de l'activité de Mercenaire
L'Assemblée nationale et le Sénat ont
adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont
la teneur suit :
Article unique
Après le chapitre V du titre III du livre IV du code
pénal, il est inséré un chapitre VI ainsi
rédigé :
Chapitre VI
De la participation à une activité de mercenaire
Art. 436-1. - Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000
EUR d'amende le fait :
1° Par toute personne, spécialement
recrutée pour combattre dans un conflit armé et qui n'est ni
ressortissante d'un Etat partie audit conflit armé, ni membre des forces
armées de cet Etat, ni n'a été envoyée en mission
par un Etat autre que l'un de ceux parties au conflit en tant que membre des
forces armées dudit Etat, de prendre ou tenter de prendre une part
directe aux hostilités en vue d'obtenir un avantage personnel ou une
rémunération nettement supérieure à celle qui est
payée ou promise à des combattants ayant un rang et des fonctions
analogues dans les forces armées de la partie pour laquelle elle doit
combattre ;
2° Par toute personne, spécialement
recrutée pour prendre part à un acte concerté de violence
visant à renverser les institutions ou porter atteinte à
l'intégrité territoriale d'un Etat et qui n'est ni ressortissante
de l'Etat contre lequel cet acte est dirigé, ni membre des forces
armées dudit Etat, ni n'a été envoyée en mission
par un Etat, de prendre ou tenter de prendre part à un tel acte en vue
d'obtenir un avantage personnel ou une rémunération
importante.
Art. 436-2. - Le fait de diriger ou d'organiser un groupement
ayant pour objet le recrutement, l'emploi, la rémunération,
l'équipement ou l'instruction militaire d'une personne définie
à l'article 436-1 est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000
EUR d'amende
Art. 436-3. - Lorsque les faits mentionnés au
présent chapitre sont commis à l'étranger par un
Français ou par une personne résidant habituellement sur le
territoire français, la loi française est applicable par
dérogation au deuxième alinéa de l'article 113-6 et les
dispositions de la seconde phrase de l'article 113-8 ne sont pas
applicables.
Art. 436-4. - Les personnes physiques coupables des
infractions prévues par le présent chapitre encourent
également les peines complémentaires suivantes : « 1°
L'interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les
modalités prévues par l'article 131-26 ;
2° La diffusion intégrale ou partielle de la
décision ou d'un communiqué informant le public des motifs et du
dispositif de celle-ci dans les conditions prévues par l'article
131-35
3° L'interdiction de séjour, suivant les
modalités prévues par l'article 131-31.
Art. 436-5. - Les personnes morales peuvent être
déclarées responsables pénalement, dans les conditions
prévues par l'article 121-2, de l'infraction définie à
l'article 436-2.
Les peines encourues par les personnes morales sont :
1° L'amende, selon les modalités prévues par
l'article 131-38 ;
2° Les peines mentionnées à l'article
131-39. « L'interdiction mentionnée au 2° de l'article 131-39
porte sur l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de
l'exercice de laquelle l'infraction a été commise.
La présente loi sera exécutée comme loi de
l'Etat. Fait à Paris, le 14 avril 2003.
Bibliographie
1. Ouvrages
AVANT Deborah D, The Market for Force, The consequences of
Privatizing Security, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, 301
p.
BRICET des VALLONS Georges-Henri, « Irak, terre mercenaire,
les armées privées remplacent les troupes américaines
», Favre, 2009, 268 p.
CHALIAND, Gérard, Dictionnaire de stratégie
militaire des origines à nos jours, Paris, Librairie
académique Perrin, 1998, 792 p.
CHAPLEAU Philippe et MISSIER François, Mercenaires
S.A., Paris, éd. Desclée de Brouwer, 1998, 220 p.
HANSON V.D., « Les guerres grecques, 1400 - 146 av. J.C.
», Paris, Editions Autrement, collection Atlas des Guerres,
1999 173 p.
HOWARD Michael, La Guerre dans l'histoire de l'Occident,
Paris, coll. « Pluriel », éd. Fayard, 1998, 160 p.
Olivier HUBAC, « L'essor du mercenariat
entrepreneurial », « Mercenaires et polices privées :
la privatisation de la violence armée », Manchecourt,
édition Universalis, Le tour du sujet, 2005, 180 p.
JANOWITZ Morris, The Professionnal Soldier: a Social and
Political Portrait, Glencoe, Free Press of Glencoe, 1960, 464 p.
KINSEY Christopher, Corporate Soldiers and international
security, The rise of Private Military Companies, Londres, éd.
Routledge, 2006, 196 p.
MACHIAVEL Nicolas, Le Prince, Chapitre XII : Combien de
sortes d'armées il y a, et des soldats mercenaires, Editions
Garnier-Flammarion, Paris, 1980, 192 p.
PERCY Sarah, Mercenaries, The History of a norm in
International Relations, Oxford, Oxford University Press, 2007, 267 p.
ROCHE, Jean-Jacques, « Théories des relations
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Montchrestien, 1999, 160 p.
ROSI Jean-Didier, PRIVATISATION DE LA VIOLENCE, Des
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SCHEMEIL Y, EBERWEIN WD, « Le mystère de
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de SENARCLENS Pierre, « Mondialisation,
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SHORROCK T : « Spies for Hire »,
édition Simon & Schuster, New York, 2009, 448 p.
SINGER Peter Warren, Corporate Warriors, The Rise of the
Privatized Military Industry, Cornell, Cornell University Press, 2003, 348
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SPICER Tim, «An Unorthodox Soldier»,
édition Mainstream, 1999, 256 p.
VIGNOLLES J-M, « De Carthage à Bagdad, le nouvel
âge d'or des mercenaires », Editions des Riaux, Paris, 2006,
186 p.
2. Articles
BANEGAS Richard, «Le nouveau business
mercenaires», Critique Internationale, n°1, automne 1998.
De BRESSY Bernard, « La guerre zéro mort : un
rêve américain ? », Revue de la Défense
Nationale, n°4, Paris, avril 2009.
CHAPLEAU Philippe, « Les mercenaires : De
l'antiquité à nos jours », Editions OuestFrance,
2006.
FOLLOROU, Jacques, « L'Afghanistan, nouveau marché
des sociétés militaires privées », Le Monde, 20
novembre 2009.
LESNES Corinne, « La société Blackwater
impliquée dans une fusillade à Bagdad », Le Monde, le 18
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MAKKI Sami, Processus et bilan de l'externalisation dans
l'armée britannique - Quels enseignements pour la France ?, Les
documents du SD, n°66, Octobre 2004.
K.Willenston, L.Norman dans « Saudi Arabia ; This Gun for
Hire », Newsweek, 24 février 1975
ROCHE Jean-Jacques, « Privatisation de la
sécurité ou les nouveaux mercenaires », Les rendez-vous
du CHEar, février 2008.
3. Ressources Internet
- Rapport n°142, session 2002-2003, fait au nom de la
commission des Affaires Etrangères, de la Défense et des forces
armées sur le projet de loi relatif à la répression de
l'activité de mercenaires, 37 pages, disponible le 11 juillet 2011 sur
le site
http://www.legifrance.gouv.fr
- Rapport sur la question de l'utilisation de mercenaires
comme moyen de violer les droits de l'homme et d'empêcher l'exercice du
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, présenté
par le Rapporteur spécial, M. Enrique Bernales Ballesteros,
conformément à la résolution 1995/5 et à la
décision 1996/113 de la Commission des droits de l'homme, disponible le
13 juillet 2011 à l'adresse suivante :
http://www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/TestFrame/f504de29db55c8f58025666b0059c
fb6?Opendocument.
- Convention internationale contre le recrutement,
l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires, adoptée
le 4 décembre 1989Texte visible dans son intégralité le 20
juillet 2011 à l'adresse :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi
0066- 3085 1990 num 36 1 2978
4. Divers
- Cahier de la recherche doctrinale, « L'emploi des SMP en
Afghanistan et en Irak », CDEF, juillet 2010, p. 79.
- Directive ministérielle n°007496 du 26 mai 2003 sur
la politique d'externalisation au sein du ministère de la
Défense.
- Livre Blanc sur la défense et la
sécurité nationale, Odile Jacob, 2008, 350 p.
Table des matières
La privatisation de la sécurité : un
dessaisissement des fonctions régaliennes
de l'Etat.
Page de garde 3
Remerciements 4
Sommaire 5
Sigles et acronymes 6
Introduction 9
Partie 1 : Taxonomie des sociétés
militaires et de sécurité privées (SMSP) 11
Préambule : Définition de la notion de mercenaire
12 Chapitre 1 : Le mercenariat : des auxiliaires de guerre au mercenariat
entrepreneurial 15
I. Histoire du mercenariat 16
A. Période antique 16
B. Moyen Age 17
C. Les Etats modernes 19
D. Cas particulier de la Légion Etrangère 19
II. L'essor des « chiens de guerre » 21
A. Les conflits post-coloniaux 21
B. La fin d'un monde bipolaire 22
C. « Chiens de guerre » : les exemples anglo-saxons
23 Chapitre 2 : Le néo mercenariat : Entreprises contemporaines et
développement de secteurs de compétences 25
I. Le besoin de typologie 25
A. Contexte 25
B. Les limites de la dichotomie 25
II. Méthodologie de la classification 27
A. Les travaux de Peter Waren Singer 27
B. De la légalité des firmes de guerre 27
III. Typologie 29
A. Le mercenariat classique : type n°1 29
B. Les Private Combat Companies (PCC) : le type n°2 29
C. Les sociétés d'appui stratégique : le
type n°3 32
D. Les sociétés de logistique : le type n°4
33
E. Les sociétés de consultance : le type n°5
35
F. Cas de la société Secopex 38
Chapitre 3 : Cas particulier des entreprises du secteur du
renseignement : l'implication des 41
Partie 2 : La transformation des fonctions
régaliennes de l'Etat 43
Préambule : Le cycle des normes 44
Chapitre 1 : Le recours aux SMP : une norme internationale
inéluctable ? 46
I. Approche économique 47
II. Approche politique et sociétale 51
A. Flexibilité et discrétion 51
B. Impact émotionnel 52
III. Approche militaire 52
IV. La mutation du phénomène belliqueux 54
A. L'asymétrie des conflits actuels 54
B. Evolution des critères de sécurité 55
Chapitre 2 : Le recours aux SMP : les dangers pour l'Etat, le
public au service du privé 56
I. Antagonisme entre logiques économiques et objectifs
politiques 56
II. La sur-dépendance des armées au privé
58
A. Dépouillement matériel et immatériel
59
B. Le projet Matrix, le privé au contrôle du
privé 60
III. La frustration des forces armées
régulières 61
IV. Les SMP dans une logique de contre-insurrection : la
compromission de la mission des forces armées 62
Chapitre 3 : La maîtrise de l'impact des SMP :
l'adaptation de l'Etat au processus de
privatisation 65
I. Le monopole de la violence légitime 65
II. Acceptation de la norme 67
III. La légitimation de la norme 69
A. Niveau interne 69
B. Niveau international 70
C. Cas particulier du Document de Montreux 71
Conclusion 72
Bibliographie 90
Table des matières 93
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