PREMIERE PARTIE PROBLEMATIQUE ET CADRE THEORIQUE
Chapitre I : ANALYSE DE LA SITUATION ET QUESTIONDE LA
RECHERCHE
1.1. Analyse de la situation
Selon le rapport sur la santé dans le monde de
l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 2003, 140 millions de
personnes souffraient des troubles liés à l'alcool, un adulte sur
trois fumait du tabac, ce qui représentait 1,2 milliard de personnes et
on a estimé qu'il y avait environ 5 millions de personnes s'injectant
des drogues illicites.
Au Togo, selon le rapport annuel 2010 du Centre Hospitalier
National Spécialisé en Santé Mentale d'Aného, les
statistiques alarmantes des cinq dernières années montrentque la
toxicomanie représente l'une des cinq premières causes
d'hospitalisation au centre à côté de la
schizophrénie, des psychoses hallucinatoires chroniques, des
bouffées délirantes polymorphes et de la dépression
psychotique. Elle représente 20% des hospitalisations et elle constitue
également avec tout ce qu'elle engendre comme troubles mentaux
associés, l'un des plus fréquents motifs de réadmission
(environ 30% sur un taux global de réadmission de 74%).
La présente recherche trouve son origine dans un
constat pertinent : la présence d'une histoire
événementielle constatéelors de nos entretiens cliniques
avec les patients toxicomanes que nous avons reçus au cours de notre
stage au Centre Hospitalier National Spécialisé en Santé
Mentale d'Aného du 1erFévrier au 22 Avril 2011.
D'abord, la majorité des patients que nous avons
rencontrés sont de sexe masculin. Outre l'abondance du sexe masculin,
nous avons constaté que les patients addictifs sont relativement jeunes
avec un pic situé entre 26 et 29 ans.Les qualifications professionnelles
des patients rencontrés sont diverses. Toutefois, elles semblent
être de l'ordre de la classe défavorisée. Les professions
les représentées sont les sans profession, les apprenants et les
employés.
Ensuite, certains patients addictifs décrivaient une
histoire marquée par des difficultés financières,
principalement par la diminution significative des revenus, des
problèmes conjugaux articulés autour des difficultés
relationnelles, des disputes, des interruptions de la vie conjugale, des
séparations ou même des décès de leurs conjoints.
C'est l'exemple d'un polygame de 44 ans resté pendant longtemps sans
emploi qui a connu une vie conjugale pleine de mésententes suivie de la
séparation d'avec sa première femme.
Et puis, d'autres patients addictifs retraçaient la vie
familiale avec des événements familiaux épouvantables
comme des mésententes entre les enfants et / ou les parents, une
séparation d'avec la famille,ou un décès d'un membre de la
famille.En exemple, nous avons le cas d'une patiente de 28 ans
toxicomaneà l'héroïne et au cannabis. Elle est la
18ème enfant de la fratrie,leur vie familiale est pleine de
disputes dramatiques etses parents sont décédés la
même année pendant qu'elle était encore très jeune.
Un autre cas de patient de 25 ans, aîné d'une fratrie de deux
enfants, choyé par sa mère et maltraité par son
père, s'adonne à l'alcool, au tabac et occasionnellement au
cannabis depuis le décès de sa mère.
Enfin, d'autres patients addictifs relataientdes
problèmes de santé comme une maladie ou unaccident grave ; des
difficultés liées au milieu de vie comme un
déménagement suivi d'un changement de voisins mais aussi
desdifficultés de la vie sociale exposées en termes d'une
modification importante du statut social, d'une absence d'aide en cas de
besoin, d'un décès d'un ami procheou des conflits avec la loi.
Dans le souci d'appréhender d'une part les multiples
raisons intervenant essentiellement dans le déterminisme des conduites
de consommation de drogues et d'autre part les conséquences imminentes
issues des événements de vie traumatiques, d'innombrables travaux
ont été réalisé par plusieurs chercheurs.
Les alcooliques ont été l'objet d'une
étude prospective réalisée par Hall et al.(1990).
Les explications données par les alcooliques à leur rechute
formulaient principalement autour d'un état de stress important. Cette
rechercheprécise la précaution avec laquelle il faut
considérer les explications des toxicomanes, d'autant plus qu'elle
s'intéresse aux situations qui peuvent déclencher la rechute des
alcooliques. Cela indique qu'il peut avoir d'autres mobiles intrinsèques
à la personnalité du toxicomane que lui-même peut
méconnaître.
En 1994, Adams et al. ont effectué une
intéressante étude sur le rôle respectif des
événements de vie éprouvants (stress majeurs) et des
tracas quotidiens (stress mineurs) dans la sévérité et les
fluctuations d'un jour à l'autre de la symptomatologie du lupus, sur une
population de 41 sujets. Les auteurs constatent qu'environ 1/5 de la population
étudiée présente des corrélations significatives
entre le stress ou les variables émotionnelles et les symptômes
physiques : ce sous-groupe peut être considéré comme
définissant une population de sujets répondeurs au stress, ce qui
laisse entendre que dans toute affection à composante psychosomatique la
part attribuable à des facteurs psycho-émotionnels est
très variable d'un sujet à un autre.
Larecherche effectuée sur l'addiction tabagique et la
disposition narcissiquechez des fumeurs consultant pour sevrage
tabagique(Fernandez, 1997) trouve son origine dans un double constat : d'une
part, celui d'une variabilité des effets des addictions et d'autre part,
celui d'une variabilité de la disposition narcissique chez les
addictés.Les résultats montrent que les fumeurs ayant une
disposition narcissique moyenne ou forte sont dépendants du tabac
auniveau psychologique et comportemental. Autrement dit, plus les fumeurs sont
narcissiques, plus ils sontdépendants psychologiquement du tabac.
L'examen des relations entre le degré et l'intensité de la
dépendance àla nicotine et le degré et l'intensité
de la dépendance psychologique et comportementale au tabac
révèle le faitsuivant : les fumeurs ayant une
disposition narcissique moyenne ou forte peuvent aussi
être dépendantsphysiologiquement de la nicotine et donc
présenter les deux dépendances associées.
L'étude de l'impact du climat affectif familial sur la
personnalité de l'enfant : cas des toxicomanes de Lomé
(Sévon, 2002) a montré que l'âge actuel, le type de famille
et la position occupée dans la fratrie ne sont pas des facteurs
déterminants dans l'explication de l'étiologie de la toxicomanie.
Cependant, il ressort que le phénomène est essentiellement
masculin, que la consommation se fait en groupe et la plupart des toxicomanes
le sont devenus lorsqu'ils vivaient encore avec leurs parents géniteurs.
D'après les facteurs subjectifs, le désir d'attirer l'attention
des parents constitue un facteur déterminant. Parmi les facteurs
psychologiques, la disqualification du père (absence physique et / ou
psychique) et la surprotection maternelle sont les facteurs
prépondérants entraînant le trouble de l'organisation de la
personnalité pouvant déboucher sur la dépendance à
la drogue.
Clément, Darthout et Nubukpo (2003) estiment que
l'étiopathogénie des démences relève d`un
déterminisme multiple qui implique différents facteurs de
vulnérabilité d`ordre génétique, biologique et
psychopathologique. Les résultats suggéraient que la
fréquence des événements de vie survenus au cours de
l`enfance, mais aussi au cours de la vie de couple et de la vie professionnelle
était significativement plus élevée et le retentissement
affectif plus important chez les sujets déments que chez les sujets
contrôles.
Les travaux effectués (Atger, Corcos,
Perdereau,&Jeammet,2003) révélaientque les conduites
addictives peuvent être considérées comme des
modalités de régulation de l'équilibre psychique du sujet
face aux menaces de perte que représente la problématique de
séparation-individuation qui se rejoue à partir de l'adolescence.
Le recours au comportement survient lorsque les moyens habituels de
régulation, ressources internes du sujet et étayage sur les
objets externes, sont débordés. Les facteurs intervenant dans la
genèse et
la pérennisation des conduites addictives sont
biologiques, psychologiques, culturels et sociaux.
Les récents travaux que nous avons effectués
(Kpelly, 2010) montraient d'une part, que les addictionsaux drogues
dépendentdes types d'attachement parental et d'autre part que, les
toxicomanes d'un attachement insécure détaché sont
dirigés vers l'alcool, le tabac et le cannabis, ceux de l'attachement
insécure préoccupé touchent à la plupart des
substances psychoactives et ceux de l'attachement insécure
désorganisé sont conduits plus vers l'alcool et le tabac.
A la suite du programme Alzheimer, de recherche et de
données (Poillot, Menecier & Ploton, 2011), 59 malades Alzheimer ont
été comparés à 31 sujets témoins, afin de
rechercher une association entre facteurs de vulnérabilité
liés à l'histoire de vie et révélation clinique
ultérieure d'une maladie d'Alzheimer. Des facteurs pathogènes
apparaissent, les malades ont plus souvent été placés
avant l'âge de dix ans et reconnaissent plus d'antécédents
familiaux de nature psychiatrique. La présence
d'évènements de vie difficiles peut influencer les
capacités du sujet à effectuer un travail de deuil ainsi,
l'élaboration des pertes liées au vieillissement peut être
rendue difficile et dépasser les capacités psychiques du
sujet.
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