B. Revue de littérature sur les problèmes en
résolution
Parler de gestion et de suivi des participations étatiques
revient à envisager l'Etat dans une logique d'actionnaire.
CARTIER-BRESSON (2010, p.1) écrit : ...l'Etat a acquis
des participations, majoritaires ou minoritaires, dans de nombreuses
sociétés anonymes. Il a luimême constitué des
sociétés, seul ou avec d'autres actionnaires. Ces initiatives ont
obéi à des objectifs d'intérêt général
distincts de ceux qui animent ordinairement des actionnaires privés,
tels que le soutien d'activités de service public, l'appropriation
d'entreprises en vue d'orienter leur gestion vers des fins de politique
économique et sociale, le sauvetage ou le contrôle d'entreprises
stratégiques. Elles n'en ont pas moins fait de lui le détenteur
d'importantes prérogatives politiques et financières dans une
multitude de sociétés anonymes, en même temps que le
propriétaire d'un immense portefeuille d'actions.
Pour BOUCHIKHI et BENDIABDELLAH (2008) : La notion d' «
Etat actionnaire » est une notion récente. Elle apparaît
liée à la notion d' « entreprises publiques » et
évoque de grandes formes d'entités telles que la forme EPIC
(établissement public à caractère industriel et
commercial, pas de capital réparti en actions, fonds propres = dotation)
et la forme de sociétés commerciales (sociétés
anonymes, pour la plupart, capital réparti en actions, régies par
le code de commerce).
Après ces contributions d'ordre général
sur le sujet en étude, nous aborderons les réflexions
antérieures relatives aux problèmes spécifiques
liés à la problématique de la gestion et du suivi
satisfaisants des participations de l'Etat.
V1 Sur le problème spécifique n°1
Pendant une cinquantaine d'années, l'organisation de la
direction du Trésor a ainsi mêlé étroitement les
fonctions d'actionnariat, de financement, de réglementation, de
régulation et de tutelle. Outre qu'il est devenu de plus en plus
problématique au regard du droit communautaire, ce mélange des
genres a nui à l'efficacité du contrôle de l'Etat
actionnaire. La volonté de remédier à ces
inconvénients a conduit à la prise de conscience d'une
nécessité d'autonomiser la fonction d'Etat
actionnaire.3 (CARTIER-BRESSON, 2010, p.294)
C'est ainsi qu'en 1998, suite à une
réorganisation de la direction du Trésor en France, la fonction
d'Etat actionnaire a été confiée à un service
à part entière, le « service des participations », qui
s'est vu chargé « du suivi de l'ensemble des entreprises publiques
et des entreprises dans lesquelles l'Etat détient une participation,
ainsi que des relations entre ces entreprises et l'Etat actionnaire ».
Cette première réforme de l'Etat actionnaire n'a
cependant pas rassemblé l'intégralité des fonctions de
l'Etat actionnaire au sein du service des participations... En outre, cette
réforme n'a pas fourni au service des participations des moyens à
la hauteur de sa vocation à incarner l'Etat actionnaire tant sur le plan
du contrôle des entreprises que sur celui de la gestion des
participations... Enfin et surtout, cette réforme n'a pas mis fin aux
dysfonctionnements du contrôle de l'Etat sur les entreprises publiques...
(CARTIER-BRESSON, 2010, p.296)
3 Il s'agit ici de l'exemple français.
Pour BARBIER de LA SERRE et al. (2003, p.8), l'Etat
actionnaire doit être incarné par une entité
entièrement dédiée à ce rôle, capable
d'adapter ses interventions au secteur de l'entreprise, au taux de
participation de l'Etat à son capital et au degré d'ouverture
à la concurrence de ses marchés.
C'est alors que naît en France, l'Agence des
Participations de l'Etat (APE)4 pour « améliorer
l'efficacité de la fonction d'actionnaire de l'Etat en renforçant
son individualisation ». L'APE est constituée « des
compétences de management dans les entreprises publiques et
privées, des compétences administratives exercées au sein
du ministère des finances ou dans les départements assurant
traditionnellement la tutelle technique des entreprises, ainsi que des
compétences plus spécialisées (comptabilité, audit,
techniques financières...) ».
Forte de ces atouts, l'APE a pu contribuer à une
amélioration des performances de l'Etat actionnaire, non seulement dans
la gestion de son portefeuille de valeurs, mais plus largement dans la
gouvernance des entreprises relevant de sa compétence. (CARTIER-BRESSON,
2010, p.300)
Mais selon la Cour des Comptes française (2008), bien
qu'ayant produit des effets positifs, l'Agence des Participations de l'Etat a
montré certaines limites. Par exemple, « les intérêts
de l'Etat actionnaire minoritaire ne sont pas efficacement défendus
» et « les fonctions patrimoniales ne sont pas toujours
exercées efficacement ».
En Algérie, c'est un Conseil des Participations de
l'Etat qui a été institué par l'article 8 de l'Ordonnance
n°01-04 du 20 août 2001. Ses attributions, aux termes de l'article 9
de la même ordonnance consistent à :
4 L'APE a été érigée en
service à compétence nationale rattachée au ministre
chargé de l'économie et des finances.
- fixer la stratégie globale en matière de
participations de l'Etat et de privatisation ;
- définir et mettre en oeuvre les politiques et programmes
concernant les participations de l'Etat ;
- définir et approuver les politiques et programmes de
privatisation des entreprises publiques économiques ;
- examiner et approuver les dossiers de privatisation.
V1 Sur le problème spécifique n°2
Parce qu'elle met en jeu des fonds publics, la gestion des
participations étatiques doit s'opérer dans le respect des
règles du droit budgétaire et de la comptabilité publique,
a priori fort éloignées de la logique actionnariale. Le
budget est en effet soumis aux grandes règles classiques de
l'unité, de l'universalité et de l'annualité, qui visent
à assurer un emploi des crédits conformes à la
volonté des représentants du peuple. Ces principes ne semblent
pas plus adaptés à l'activité de gestion de portefeuille,
qui requiert souplesse et rapidité, qu'à la fonction
d'investisseur, qui s'exerce sur un horizon pluriannuel. Quant aux
règles de la comptabilité publique, elles procèdent
traditionnellement de l'idée selon laquelle les ressources des
organismes publics sont d'une essence différente de celles des
entreprises privées...La comptabilité publique n'a pas
été conçue pour décrire un vaste portefeuille de
valeurs mobilières. (CARTIER-BRESSON, 2010, p.315)
Pour ARTHUIS (1994), l'approche patrimoniale reste
étrangement absente (chez l'Etat), alors qu'elle constitue un
élément fondamental pour tout investisseur privé. Soumis
aux règles de la comptabilité publique, et au principe de
l'annualité, l'Etat est essentiellement animé par une logique de
trésorerie.
Toute comptabilité, pour CARTIER-BRESSON (2010,
pp.326-327), vise en principe à apporter aux gestionnaires des
informations économiques et financières fiables,
élaborées selon des normes généralement admises. Si
l'Etat dispose d'une comptabilité budgétaire
développée, on lui a souvent reproché de ne disposer que
d'une comptabilité patrimoniale embryonnaire. Cette lacune a
été soulignée dès les années 1930, à
propos notamment de la comptabilisation des participations étatiques.
Cependant les propositions en ce sens se sont heurtées à
l'idée d'une nécessaire spécificité de la
comptabilité étatique, tenant à « l'absence de
recherche de profit et à la poursuite de l'intérêt
général »... Le compte 26 enregistre distinctement les
titres de participations et les dotations et autres formes de participations.
Les rapports de la Cour des comptes sur l'exécution de la loi de
finances ont régulièrement dénoncé les
insuffisances de la comptabilisation des immobilisations de l'Etat, en
particulier de ses participations.
Le passage à une comptabilité patrimoniale, qui
permet à une entreprise de faire apparaître pour chaque
période les variations du revenu et du patrimoine résultant de sa
gestion, est ainsi devenu une priorité en France et la
présentation des comptes de l'Etat a été
améliorée. Ces améliorations ont, entre autres,
porté sur la mise en place d'un nouveau système
d'évaluation des dotations et participations de l'Etat.
Dans le compte général de l'Etat ..., les
participations financières sont comptabilisées en valeur
d'équivalence (quote-part des capitaux propres) pour les entreprises
qu'il contrôle et à leur coût historique (valeur
d'acquisition) pour les entreprises non contrôlées. (Cour des
Comptes, 2008, p.8)
V1 Sur le problème spécifique n°3
La gouvernance d'entreprise est un terme relativement
récent qui décrit un processus que les sociétés
pratiquent depuis toujours. Ce processus vise à garantir que les
affaires et la gestion des sociétés sont assurées
conformément aux normes les plus élevées de
déontologie et d'efficacité, en supposant qu'il s'agit là
du meilleur moyen de préserver et de promouvoir les
intérêts de tous les partenaires de l'entreprise. (BOUCHIKHI et
BENDIABDELLAH, 2008)
Selon le rapport CADBURY (1992), la gouvernance d'entreprise
est le système par lequel les entreprises sont dirigées et
contrôlées. Le conseil d'administration est le responsable de la
gouvernance de son entreprise. Le rôle des actionnaires dans la
gouvernance consiste à nommer les administrateurs et les
vérificateurs aux comptes, et à s'assurer qu'une structure
appropriée de gouvernance soit en place. Les responsabilités des
administrateurs consistent notamment à définir les objectifs
stratégiques de l'entreprise, à assurer la direction
nécessaire pour mettre ceux-ci en vigueur, à superviser la
gestion des affaires, et à faire rapport aux actionnaires sur leurs
fonctions d'administrateurs. Les actions du conseil d'administration sont
assujetties aux lois, aux réglementations ainsi qu'aux actionnaires lors
de la réunion générale.
Pour CHARLETTY (1994), on distingue quatre entités
susceptibles de contribuer au gouvernement des entreprises, soit en donnant aux
dirigeants des incitations de nature à aligner leurs objectifs sur ceux
de leur mandants, soit en améliorant l'information des actionnaires,
soit en incitant ces derniers ou leurs représentants (le conseil
d'administration) à mieux surveiller ou orienter la gestion de
l'entreprise :
- l'environnement légal et institutionnel des
entreprises et en particulier les organes de surveillance des marchés
financiers chargés de veiller à la bonne information des
actionnaires pour les sociétés cotées ;
- le marché des biens et services, les entreprises mal
gérées devant théoriquement disparaître par
sélection naturelle (défaillance) ;
- les marchés financiers, les entreprises moins bien
gérées constituant des cibles naturelles pour des
acquéreurs plus performants (système de contrôle interne)
;
- les actionnaires eux-mêmes avec à leur
tête le conseil d'administration, qu'ils surveillent directement les
dirigeants ou qu'ils mettent en place des mécanismes incitatifs pour les
dirigeants (système de contrôle interne).
BUREAU (1997, p.9) précise que dans le cas des
entreprises publiques, on doit compter sur le dernier terme,
c'est-à-dire le contrôle interne. En effet, l'accumulation de
pertes par une entreprise publique la conduit certes à avoir à
négocier les conditions de sa recapitalisation, mais la faillite est
exclue en général. De même la garantie de l'Etat,
même implicite, lui permet de faire appel à l'épargne dans
de très bonnes conditions, même lorsque sa situation
financière est dégradée.
BUREAU est appuyé par BOUCHKHI et BENDIABDELLAH (2008)
: cependant, les entreprises publiques posent un certain nombre de
problèmes spécifiques de gouvernement d'entreprise :
- l'une de ces spécificités tient au fait que
les entreprises publiques peuvent souffrir aussi bien d'ingérences
politiques directes que de la passivité totale de l'Etat actionnaire
;
- on assiste quelquefois aussi à une dilution des
responsabilités. Les
entreprises publiques sont souvent à l'abri de deux
menaces qui sont
essentielles au contrôle de la gestion dans le secteur
privé, à savoir la menace d'une OPA (offre publique
d'acquisition) et celle d'une faillite ;
- plus fondamentalement, les problèmes de gouvernement
d'entreprise proviennent de l'existence, en matière de
responsabilité des performances des entreprises publiques, d'une
chaîne complexe de délégation des pouvoirs (dirigeants,
conseil d'administration, entité actionnaire, ministères,
pouvoirs publics) où les mandats réels sont soit difficilement
identifiables, soit lointains. Structurer cette chaîne de
responsabilités de manière à garantir des décisions
efficientes et un gouvernement d'entreprise de qualité constitue un vrai
défi.
ESSOMBA AMBASSA affirme qu'il faudrait que les entreprises les
plus performantes soient disposées à recruter les dirigeants les
plus performants. Mais selon lui, la nomination des dirigeants dans les
entreprises publiques ne semble pas obéir à ces règles,
sinon comment expliquer la présence du même dirigeant à la
tête d'une entreprise publique durant des décennies alors qu'elle
alterne des phases de performances et des phases de déficit, comment
expliquer la nomination à la tête d'une entreprise publique plus
prestigieuse de certains dirigeants n'ayant pas été performants
où ils ont exercé précédemment. Le recrutement du
dirigeant d'une entreprise publique ne dépend donc pas essentiellement
de ses compétences managériales, le politique y joue un
rôle privilégié, ce qui tend à réduire
l'effectivité du marché des dirigeants comme mécanisme de
discipline des dirigeants.
Les entreprises publiques ne peuvent être des
entreprises de plein exercice qu'à condition de disposer d'un conseil
d'administration qui fonctionne dans des conditions aussi proches que possible
du droit des sociétés... La notion d'établissement public
à caractère industriel et commercial (EPIC) n'a en effet pas
grand sens pour une entreprise commerciale. Leur transformation en
société anonyme permettrait en revanche
d'associer de manière souple d'autres investisseurs publics ou
privés à leur développement et d'aligner la
responsabilité personnelle des administrateurs sur le droit commun des
sociétés. (BARBIER de LA SERRE et al. , 2003, p.13)
BARBIER de LA SERRE et al. (2003) poursuit : il doit
être clair que la responsabilité de la gestion de l'entreprise
relève exclusivement de ses dirigeants sous le contrôle de son
conseil d'administration.
Il faut, pour finir, noter les lignes directrices de l'OCDE
visant à instaurer des règles équitables pour les
entreprises publiques et privées se trouvant en concurrence :
- une séparation claire du rôle d'actionnaire de
l'Etat et de ses fonctions de réglementation ;
- une plus grande flexibilité dans les structures de
capital, en même temps qu'un accès à des conditions
équitables au financement ;
- une simplification de la chaîne de
responsabilité au moyen d'une coordination plus efficace de la fonction
actionnariale au sein de l'administration publique ;
- la réduction des ingérences politiques dans la
gestion au jour le jour des entreprises ;
- l'introduction d'un processus transparent de nomination des
administrateurs, sur la base de leurs compétences et de leur
qualification ;
- une définition précise du mandat des conseils
d'administration et le respect de leur indépendance ;
- une séparation des fonctions de président et
de directeur général et l'attribution aux conseils
d'administration du pouvoir de nommer les directeurs généraux
;
- un suivi systématique des performances du conseil
d'administration ;
- une amélioration de la transparence par le renforcement
des dispositifs de contrôle interne ;
- la réalisation d'audits externes indépendants
s'appuyant sur les normes internationales ;
- la divulgation des aides financières de l'Etat ;
- la production de rapports agrégés sur les
performances des entreprises publiques.
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