L'intégration des valeurs traditionnelles congolaises dans l'amélioration du système éducatif moderne en RDC. Cas de l'initiation traditionnelle Lega de 1905 à 2008( Télécharger le fichier original )par Spartacus KABALA MUNYEMO Université pédagogique nationale - Diplôme d'études approfondies 2012 |
III.4.3. STRATEGIES D'INTEGRATIONIl est reconnu que la valeur humaine est universelle dans son essence ; mais elle prend des formes particulières dans ses manifestations. A cet effet, nous examinons dans cette partie de travail, l'importante et difficile question du choix d'un ensemble de décisions et d'actions pédagogiques relatives aux moyens et ressources à mettre en oeuvre en vue d'intégrer effectivement dans l'enseignement, les valeurs qui constituent des représentations propres sur lesquelles la société congolaise s'édifie en assurant son équilibre, son maintien et sa perpétuation. En nous gardant de perdre de vue certaines résolutions positives des réformes pédagogiques détaillées au deuxième chapitre, nous présentons nos propositions de stratégies en deux catégories importantes : Primo, il s'agit des stratégies à développer au sein du système éducatif conventionnel, c'est-à-dire, dans l'enseignement assuré à l'école maternelle, en primaire, au secondaire, au supérieur et universitaire. Secundo, nous développons des mécanismes pour assurer l'éducation non conventionnelle, autrement dit, celle qui se réalise par différentes organisations (foyers sociaux, centres d'encadrement et de formation, Organisation Non Gouvernementale de Développement...) par les médias, par les jeunes eux-mêmes dans les quartiers, etc. III.4.3.1. Stratégies d'intégration à l'enseignement conventionnela. La prise en charge effective de l'enseignement par l'Etat
L'une des faiblesses fondamentales de l'enseignement actuel est le quasi abandon de l'éducation par l'Etat. Plusieurs écoles fonctionnent dans des irrégularités notoires : programme d'enseignement suranné ; enseignants non ou peu qualifiés et mal payés ; infrastructures délabrées ; etc. Eu égard à cela, nous pensons que la prise en charge effective, par l'Etat, des établissements d'enseignement s'impose de manière urgente. Retenons que, « Les efforts considérables consentis en direction de l'éducation pour tous resteront inefficaces si la mobilisation de l'Etat n'est pas totale. Et si l'Etat ne se mobilise pas totalement, toute perspective de développement durable ne cessera de s'éloigner »94(*). b. L'intégration et la généralisation des langues nationales Une relation est établie entre la « maîtrise de la langue d'enseignement » (français) et les « compétences de l'apprenant. » Ce préjugé rend pratiquement impossible le travail de la négociation didactique et fait du savoir-faire le seul critère d'évaluation des compétences95(*). A ce sujet, il sied de rappeler que la traduction de la Bible dans les langues locales, en particulier les quatre langues nationales (lingala, kikongo, tshiluba et swahili) a créé des conditions de formation favorables à l'évangélisation. A cet effet nous proposons l'intégration et la généralisation des langues nationales à l'école maternelle et à l'école primaire en vue d'accroitre l'efficacité de la compréhension des connaissances apprises.
c. Le recours à la littérature orale congolaise (proverbes, devinettes, contes...) En énumérant les valeurs traditionnelles à intégrer dans l'enseignement moderne (voir le premier chapitre), nous avons noté que les proverbes, devinettes, contes...revêtent de grandes leçons morales orientées vers une action réelle. Ainsi, compte tenu de la dimension éducative et de socialisation que regorgent ces éléments de la littérature orale traditionnelle, il ressort la nécessité de se servir de ces outils pour assurer, à tous les niveaux, un enseignement de qualité, surtout aux enfants. Rappelons que ladite littérature remplit plusieurs fonctions notamment, la fonction ludique (divertissement et détente), la fonction pédagogique (initiation aux valeurs cardinales de la société), la fonction politique et idéologique (lutter contre l'injustice sociale, promouvoir la paix), la fonction initiatique (L'initié a accès à certains codes secrets pour entrer dans le monde des adultes), et la fonction fantasmatique (la mise en scène des tensions et des affrontements de la vie familiale).
Pour stimuler davantage la prise en compte de la littérature orale, il s'avère indispensable de brosser, à l'attention du lecteur, les fonctions spécifiques et cruciales de contes, mythes, légendes, proverbes, romans, pièces de théâtre...qui sont des éléments symboles de l'art traditionnel congolais, en particulier et africains, en général. · La fonction pédagogique : Lorsque l'enseignant raconte, il intègre, à la fin du récit, un message moral qui édifie les apprenants et qui prend le soin de baliser leurs bonnes conduites afin de contribuer à leur plein épanouissement. Ainsi, la fonction pédagogique des contes, légendes, proverbes... sert essentiellement à initier les jeunes générations aux valeurs cardinales de la société (civisme, solidarité, sens d'innovation, honnêteté...).
Pour ce faire, il est demandé, sinon prôné, l'obéissance aux coutumes et aux ancêtres. C'est ainsi que les contes mettent en scène une organisation sociale et économique forte, basée sur la hiérarchie et les strates sociales dans l'univers des fables. C'est le procédé de l'anthropomorphisme qui permet par métaphore, de critiquer et de stigmatiser les individus dans la société. Il y a donc à travers la fonction pédagogique, une puissante référence aux ancêtres dont le socle est essentiellement assuré par la gérontocratie. Comme le note si bien CHEVRIER, la fonction pédagogique de la littérature orale "permet de concilier les forces du bien et d'exorciser les forces du mal. On comprend donc l'importance qui est attachée à la parole bien dite ; car à certains moments la parole a véritablement valeur d'acte"96(*) . Comme on peut le remarquer, la plupart des récits sont souvent conçu pour expliquer un conflit, ou un méfait assorti d'un dénouement. Les auteurs de ces récits s'inspirent de la morale sociale en vigueur au sein de la société ; il y a comme une sanction infligée à toute infraction à la norme admise. C'est un procédé qui répond aussi au souci politique et idéologique du maintien de l'ordre. A ce niveau, les gouvernés et les gouvernants ne sont pas épargnés. Les chefs et les subalternes d'une part ; les responsables politiques comme le peuple d'autre part ne sont pas au dessus de la loi et se doivent de respecter la coutume (loi). Tout compte fait, notons que la vertu principale des contes, en tant que support pédagogique, tient de leur caractère cérémonial ou le merveilleux et l'imaginaire se retrouvent en établissant dans des rapports de complémentarité97(*). · La fonction ludique : Après une longue période de travail intense et de réflexion, il est conseillé à l'enseignant de faire reposer la mémoire des apprenants par des leçons (activités) qui ne font pas dépenser beaucoup d'attentions. C'est ainsi que les devinettes, les contes, les chants, les épopées, les récits mythologiques, etc, ont pour fonction de satisfaire les besoins de s apprenants, qui désirent se "délecter". Cependant, le plaisir éprouvé par les apprenants en auditionnant un conte, par exemple, est consubstantiel à la fonction pédagogique que nous venons d'étayer ci-haut. · La fonction politique et idéologique : Tout programme d'enseignement est censé regorger un ensemble de conceptions partagées par une société et propres à une époque donnée. C'est que nous qualifions de l'idéologie de l'enseignement. En effet, la mise en scène des problèmes vitaux a pour souci d'une part, de juguler les tensions découlant des inégalités, des injustices sociales, d'autre part de créer la cohésion sociale du groupe. C'est ainsi que nous avons des types de discours qui existent entre les groupes sociaux, basés sur la parenté à plaisanterie, jouant le rôle cathartique de régulateur de tensions sociales. Tel est le cas des Lega et des Bangubangu. La fonction politique et idéologique de la littérature orale, est axée surtout sur les grandes orientations assignées par les intellectuels des sociétés. Nous voyons que ces rôles politique et idéologique s'adressent beaucoup plus aux adultes qu'aux jeunes. · La fonction initiatique : Dans les pages précédentes, nous avons fait voir que, par l'initiation, l'initié accède aux connaissances secrètes relatives à la classe ou catégorie sociale à laquelle il entre. Raison pour laquelle, la fonction initiatique de la littérature orale se manifeste essentiellement à travers un langage métaphorique permettant de franchir l'étape de la mort symbolique (la réclusion dans le camp d'initiation) pour renaître dans un monde nouveau : l'intégration dans la vie adulte au sein du monde social. On apprend aux circoncis pendant tout ce temps, certains secrets propres au groupe : les interdits, la genèse du clan, le secret des plantes etc. De la même façon, à travers les contes,
devinettes, légendes...l'enseignant doit faire parvenir les apprenants
à comprendre que, par l'enseignement reçu à
l'école, ils découvrent des secrets de la société
qu'ils n'auraient pas découverts s'ils restaient sans aller à
l'école et retenir tous les enseignements reçus. Nous avons deux héros au départ ; le premier entreprend une quête en surmontant une série d'épreuves tout en évitant les pièges. Puis il revient gratifié de sa quête ; le second héros, jaloux du succès du premier, se lance aussi à la quête, mais il surmonte mal les épreuves et commet une série de bévues ; il est ensuite puni et mit à mort sous plusieurs chefs d'inculpation. · La fonction fantasmatique : Précisons que le fantasme est une représentation imaginaire liée à des pulsions et à des désirs inconscients. En effet, la fonction fantasmatique de la littérature orale résulte de la mise en scène des tensions et des affrontements de la vie familiale. Il y a dans ce cadre opposition de la parenté de sang à la parenté d'alliance; les hommes aux femmes, la vie à la mort. En effet, l'enseignant a le devoir de montrer aux apprenants que, par exemple, deux collègues d'écoles peuvent entretenir de bonnes relations plus que deux frères consanguins. Cela peut se traduire par le récit de la courge qui
avale tout sur son passage pour en définitive être fendue en deux
par un coup de corne d'un bélier. L'évocation du symbole
phallique est évidente à travers les cornes tandis que le
réceptacle féminin est connoté par la courge. Tout ceci
concoure à la réflexion. Certains contes mettent davantage en scène des personnages qui consomment des quantités énormes de nourriture. Ce procédé que nous retrouvons dans certains contes Lega est proche des prouesses alimentaires du personnage Gargantua de Rabelais qui, est en fait, semble un reflet du procédé fantasmatique du crève-la-faim qui permet par exemple en temps de famine ou de disette, d'exorciser le spectre de la faim. Au regard de ce qui précède, le cours ou leçon d'histoire apparaît comme une matière à la fois importante et d'une grande sensibilité. Étant donné que cette discipline accorde une place prépondérante aux conflits, elle est à même de jouer un rôle considérable dans la promotion d'une culture de paix et dans l'établissement de rapports harmonieux entre les peuples. En effet, nous disons, chaque fois que cela est possible, les enseignants devront commencer les leçons d'histoire par l'audition de traditionnalistes ou de griots, apport sur lequel pourra s'appuyer la leçon du jour. d. La désaliénation culturelle Par la colonisation, le colonisateur s'était doté le devoir de civiliser « les races inférieures » dont les congolais, c'est-à-dire, d' amener ceux-ci à un état de développement plus complexe d' un point de vue culturel et matériel . A propos, voici ce qu'écrit JEAN SURET-CANALE : « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai! Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures [...] parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures.[...]99(*) Ainsi, le blanc avait réussi à rendre certains comportements du congolais plus raffiné dans ses manières de vivre conformément à la culture occidentale et au détriment des valeurs culturelles congolaises. Conséquemment, le colonisé a été aliéné, car, jusqu'en ce jour, il vit plusieurs formes d'asservissement le mettant en situation de dépendance du fait de contraintes extérieurs (économiques, politiques, sociale, culturelles...) conduisant à la perte de sa « liberté ». En effet, chaque enseignement doit faire preuve d'une affirmation de l'identité culturelle nationale qui passe par la « désaliénation culturelle » résolument voulue des modes de penser et d'agir étrangers à la réalité congolaise, en particulier et africaine en général. Toutes les activités éducatives doivent être au dessus de toute forme d'extraversion culturelle qui caractérise encore trop souvent certains comportements, tant des apprenants que ceux des enseignants. Pour y parvenir, le recours aux théâtrales, chants, danses... d'inspiration traditionnelle dans les institutions d'enseignement est un outil prompt et efficace. * 94 M. KUPELESA, Le défit de la qualité de l'éducation scolaire en RDC, www.pygmalioeducation.free.fr, 2006,p.1 consulté le 13 Avril 2009 * 95B. MOPONDI., Des objectifs de l'enseignement à la formation des enseignants en République Démocratique du Congo, www.bomboma.org Consulté le 4 Mai 2009 * 96 J. CHEVRIER, Littérature nègre, Armand Colin, 1984, p. 201 * 97 A.L. SISAO, l'art africain dans la littérature orale, www.bf.refer.org Consulté le 07 Février 2008 * 98 D. PAULME, citée par A.L. SISAO, Op.Cit., www.bf.refer.org Consulté le 21 Septembre 2008 * 99 J. SURET-CANALE, Afrique Noire, Géographie, Civilisations, Histoire, Éditions Sociales, www. jacques.more.pagesperso-orange.fr, 1885, p.244. Consulté le 24 septembre 2008 |
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