Politique environnementale et développement durable en Cote d'Ivoire( Télécharger le fichier original )par Brou Germain Alexis Edoh KOMENAN Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest/Unité Universitaire d'Abidjan - Maitrise 2009 |
Section 1 : DU FONDEMENT ÉTHIQUE : LA RELATION HOMME - NATUREEN CÔTE D'IVOIRE Il s'agit de voir quel type de relation s'établit entre l'homme ivoirien et l'environnement en tenant compte de deux dimensions : la dimension philosophico-mystique, dans laquelle la Nature est d'abord maître et parent (Paragraphe 1), ensuite la dimension socioéconomique, qui envisage la Nature comme serviteur et capital (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : La Nature, maître et parentLa conception de la Nature en tant que maître et parent s'enracine dans une vision philosophico-mystique du monde (A) pour se matérialiser dans les types de rapports entretenus par les peuples éburnéens avec la Nature (B).
A. La vision philosophico-mystique du mondeComment se présente cette vision des choses chez les peuples éburnéens ? A ce propos, L'Encyclopédie Générale de la Côte d'Ivoire pose ceci : « Tout le monde s'accorde pour reconnaître que l'Africain appartenant aux sociétés traditionnelles faisait, et fait encore, dans une certaine mesure, à cause de la faible efficacité des anciennes techniques, l'expérience quotidienne que le milieu naturel est plus fort que lui. En ce qui concerne des sociétés du type de celles de la Côte d'Ivoire traditionnelle, le « champ du sacré » recouvre tout ce qui est ressenti comme porteur d'une puissance non explicable par la connaissance. Bien des éléments entrent dans cette catégorie, dans l'entourage de l'individu. Tout d'abord, les éléments non humains. La végétation comporte de multiples composantes chargées de puissance et en tout premier lieu les plantes qui entrent dans la pharmacopée des guérisseurs... Enfin, les végétaux sont considérés comme des partenaires vivants. Il est rare que l'on coupe un arbre ou que l'on en prélève une quelconque partie sans observer un certain type de rite destiné à permettre l'opération... Les lieux peuvent aussi être habités par une puissance. On peut distinguer ceux qui jouissent d'une puissance attachée à leur configuration propre et ceux dans lesquels une puissance a été concentrée grâce à diverses opérations... Particulièrement chargés de puissance, encore, les animaux. L'origine d'une société, d'une tribu ou d'un village, est souvent marquée par l'intervention d'un animal, en général véhicule d'un esprit tutélaire : il y a donc alliance sacrée entre l'animal et les membres de ce groupe. Dès lors, tout ce qui arrive à cet animal peut accroître ou affaiblir la puissance protectrice qu'il exerce sur la communauté : à l'interdiction de le tuer s'ajoute souvent l'obligation de lui porter secours si on l'estime menacé. Quant aux phénomènes astronomiques ou météorologiques, ils sont perçus comme autant de manifestations de puissances supérieures à l'homme. Soleil, lune, pluie, tonnerre, marée, éclipse, séisme sont considérés comme manifestations ou symboles d'une puissance, soit comme puissance eux-mêmes - réalité vivante qu'il s'agit dans tous les cas de se concilier. Les phénomènes anormaux dans ce domaine sont évidemment ressentis comme particulièrement puissants... Dans son milieu naturel, l'homme des spiritualités traditionnelles est ainsi sans cesse confronté à des puissances avec lesquelles il doit compter : le sol, l'air, le ciel, la végétation, les divers lieux, le temps, perçus comme autant de forces à maîtriser pour assumer la vie. De nombreuses ethnies pratiquent le culte des esprits de la nature - Akan, Krou, Koulango, Gouro, Gban, Malinké - ou parfois plus précisément du terroir - Baoulé, Dan... Ainsi le sacré est-il entièrement lié à la vie quotidienne de l'Ivoirien des sociétés traditionnelles. Le « champ » - l'étendue - du sacré est pour lui considérable. Il se meut dans un milieu entièrement magico-religieux où chaque acte, chaque geste peut le confronter à des puissances agissantes (...) la vie quotidienne de l'individu se déroule dans un univers de forces en équilibre les unes par rapport aux autres. Tout acte se doit d'être assuré que l'équilibre sera maintenu durant son déroulement. Pour l'Ivoirien, exister est un acte religieux car cette existence, d'avant la naissance au- delà de la mort physique, se déroule, nuit et jour, suivant le mince cheminement résultant de cet équilibre. »101(*) Voici dépeint le cadre philosophico-mystique du rural ivoirien quant à son rapport à l'environnement. On notera la relative diversité des coutumes religieuses, liée au caractère non moins divers des peuples éburnéens. Cependant, les conditions naturelles, les philosophies sont assez semblables pour que leurs différentes manifestations dégagent le fonds commun de l'animisme. On retrouvera cette vision du monde dans les types de rapports entretenus avec la terre et ses êtres. B. Les types de rapports entretenus Une telle perception des êtres et des choses, une telle place faite au sacré dans le quotidien ne peut qu'engager l'homme des sociétés traditionnelles - et partant la société elle-même - dans toute sa totalité. Car s'il est un domaine qui caractérise les sociétés traditionnelles tant en Afrique qu'ailleurs dans le monde, c'est la conception symbolique et mystique du Cosmos, des éléments, de l'homme et de sa place dans la Nature, qui en constitue le socle même, d'où part toute action102(*). En effet, l'Univers, lieu d'expérience et d'expérimentation du mystère de la vie, de forces visibles et invisibles à l'oeuvre dans les divers phénomènes cosmiques et naturels, source de l'existence humaine et matrice nourricière, ne peut que susciter l'étonnement, l'émerveillement, la crainte, la révérence. Aussi l'homme, conscient de ses limites et de sa finitude face à l'illimité et à l'infini, se subordonne-t-il à toute cette dynamique imposante qui, non seulement lui échappe, mais de surcroît l'entraîne dans l'indifférence vis-à-vis de sa volonté. Pourtant, c'est bel et bien dans ce monde mu par quelque force suprême, Dieu ou/et les esprits, que l'homme est comme propulsé, s'y voit naître, vivre et mourir, c'est au sein de cet espace qu'il conçoit, connaît et expérimente la vie : il y reconnaît une Nature qui, fonctionnant selon un ordre mystérieux, lui procure la nourriture du corps aussi bien que de l'âme, pour le faire vivre. Ce sont là les deux dimensions de l'autorité de la terre sur l'être humain. La nature apparaissant comme maîtresse de l'homme, cela est donc perceptible, ainsi qu'il a été montré plus haut. Les rapports sont fondés sur la conciliation avec les esprits, les forces ou les êtres qui habitent et animent les éléments, le culte à eux rendu pour s'attirer des grâces dans les affaires quotidiennes ou en des étapes clés de l'existence. Quant au lien affectif, parental, il est plus lointain, recouvert qu'il est par cette relation essentiellement négociée qui lie l'homme à son environnement. Les grands systèmes philosophico-religieux existent : ainsi, chez les Baoulé, la triade Nyamé (le Ciel, Dieu) - Assié (la Terre-Mère) - Assassi-oua (le fils de Nyamé et d'Assié). Assié, la Mère, la Terre nourricière, divinité la plus directement en rapport avec les humains, était l'objet d'un culte répandu103(*). La cosmogonie sénoufo évoque l'âge d'or universel, où tous les êtres vivaient dans l'harmonie104(*). Au total, force est de reconnaître l'existence, chez les peuples éburnéens, d'une conscience du caractère sacré de la nature, qui est le fondement de la vie. Cependant, les formes cultuelles et religieuses, dans leurs conceptions vitalistes et environnementales, s'inscrivent plus dans un système de dominant/protecteur (les forces invisibles), à dominé/protégé (l'homme) - système basé sur l'utilisation des ressources de la terre pour les besoins quotidiens, que dans une éthique basée sur la place de l'homme dans la nature et la responsabilité vis-à-vis de l'environnement. On examinera maintenant la Nature envisagée comme serviteur et capital. * 101 Encyclopédie générale de la Côte d'Ivoire, 1978, vol.3, p. 1100-1105. * 102 Voir à ce propos Joseph KI-ZERBO, « L'environnement dans la culture africaine. Les rapports entre les Africains et la Nature », in Les Cahiers du cycle postgrade en sciences de l'environnement, Cahier numéro 1, EPFL, Lausanne, 1996. Cité par Mohamed L. BOUGUERRA, op. cit., p. 46-48. * 103 Bohumil HOLAS, cité par Le Grand Dictionnaire encyclopédique de la Côte d'Ivoire, op. cit., in Article « Assié », vol. 1, p. 141. * 104 Tiona Ferdinand OUATTARA, « le mythe de la création et de l'organisation du monde chez les Sénoufo », in Mémorial de la Côte-d'Ivoire, éditions Ami Abidjan, 1987, tome premier, p. 142-143. |
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