II. La décentralisation française est-elle
adaptée à la lutte contre le changement climatique ?
De grandes avancées ont eu lieu en matière
d'organisation et de partage du pouvoir ces 30 dernières années,
cependant le chantier est loin d'être fini, la preuve en est les
réformes conséquentes que connaissent l'Etat et les
collectivités territoriales. Dans un premier temps nous verrons en quoi
la décentralisation fut nécessaire et comment elle est
appliquée. Cette partie ne va pas développer en détail le
système décentralisé Français, cependant comprendre
comment sont réparties les compétences et quels sont les limites
de ce système nous permettra d'appréhender le concept de «
territorialisation des politiques publiques » développé dans
la partie suivante.
A. L'inévitable décentralisation
Dès lors que l'on évoque la
décentralisation, nous faisons référence aux lois Defferre
du 2 mars 1982, cependant le processus fut antérieur à ces lois
et continue à nos jours. A travers son histoire la France et surtout les
territoires de France se sont toujours efforcés d'obtenir une
participation plus importante dans les processus de décisions, assurant
ainsi plus de démocratie à la population. La
décentralisation est considérée comme la réponse la
plus adaptée à la gestion publique. A travers ce système
politique, les élus créent un lien de proximité avec les
administrés permettant de gérer au mieux la Cité. Dans
cette quête permanente vers plus de démocratie, il est
incontestable que les lois Defferre revêtent d'une ampleur sans
précédent depuis le début du XIXème siècle.
Ces lois avaient pour but de réduire les résistances à un
bouleversement qui poursuivait trois objectifs : rapprocher les citoyens des
centres de décision, responsabiliser les autorités élues
et leur donner de nouvelles compétences, et favoriser le
développement des initiatives locales.
Selon J.C Thoenig et P. Duran, « La politique de
décentralisation décidée par le gouvernement et par le
Parlement a, de manière inattendue et spectaculaire, redistribué
la donne institutionnelle. Sans nul doute, le changement des règles a
profondément modifié le jeu. Elle constitue une réforme
à la fois rétrospective et prospective. Rétrospective, car
elle
entérine les évolutions de la gestion publique
locale; prospective, car elle ouvre de nouvelles perspectives d'action.
»7
Parmi les principaux changements constitués par ces
lois, les transferts de compétences représente le sujet le plus
controversé. L'Etat a transféré des blocs de
compétences qui étaient auparavant les siennes au
bénéfice des communes, des départements et des
régions.
La loi du 7 janvier 1983 relative à la
répartition des compétences entre les communes, les
départements, les régions et l'Etat a posé trois grands
principes devant présider aux transferts de compétences :
1°) Les transferts doivent être globaux : chaque
domaine de compétence est attribué en totalité soit
à la région, soit au département, soit à la
commune. Mais la loi assortit cette règle d'une réserve : il en
est ainsi « dans la mesure du possible »
2°) Les compétences, à chaque niveau, sont,
en principe, exclusives. Cela signifie que les transferts ne doivent pas
provoquer l'ingérence d'une collectivité dans les affaires d'une
autre. En effet, est interdite toute tutelle exercée par une
collectivité supérieure (par exemple, la région) sur une
collectivité de niveau inférieur (par exemple, le
département ou la commune). Suite à la révision
constitutionnelle de mars 2003, ce principe a été inscrit dans la
Constitution (à l'article 72 alinéa 5).
3°) Les transferts de compétence doivent
être rigoureusement accompagnés du transfert par l'Etat aux
collectivités ou de la mise à leur disposition des moyens
nécessaires à l'exercice des compétences
transférées. Là encore, ce principe a été
constitutionnalisé (à l'article 72-2 alinéa 4 de la
Constitution).
7 Jean Claude Thoenig et Patrice Duran, L'Etat et la gestion
publique territoriale, Revue française de science politique,
46ème année, n°4, 1996.pp. 580-623
Il convient d'ajouter un quatrième principe introduit
par la révision constitutionnelle de mars 2003 : le principe de
subsidiarité. L'article 72 alinéa 2 de la
Constitution dispose ainsi que « Les collectivités territoriales
ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des
compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à
leur échelon ».
Le tableau suivant permet d'avoir une vision complète des
compétences des collectivités.
Tableau des compétences actuelles des
collectivités
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Formation professionnelle et
apprentissage
Région
Définition de la politique régionale et mise en
oeuvre
Département
Communes ou EPCI
Enseignement
Culture, vie
sociale,
jeunesse, sport et loisir
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Lycées (bâtiment, TOS)
· Culture (patrimoine,
éducation, création,
bibliothèques, musées,
archives)
· Sports (subventions)
· Tourisme
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Collèges (bâtiment, TOS)
· Culture (éducation,
création, bibliothèques, musées, archives)
· Sports (équipements et subventions)
· Tourisme
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Ecoles ((bâtiment)
· Culture (éducation, création,
bibliothèques, musées, archives)
· Enfance (crèche, centre de loisirs)
· Sport (équipements et subventions)
· Tourisme
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· Schéma régional (SRADDT)
· CPER
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Espace naturel
Parcs régionaux
Eau (participation au
SDAGE)
SRADDT (avis, approbation)
Espace naturel
Déchets (plan départemental) Eau (participation au
SDAGE)
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Action sociale facultative
(CCAS)
PLU, SCoT, Permis de construire, ZAC
SRADDT (avis, approbation)
Déchets (collecte, traitement) Eau (distribution,
assainissement) Energie (distribution)
Port de plaisance Aérodromes
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Voirie
Transports
Schéma régional
Transports ferroviaires
Voies départementales
Transports routiers et scolaires hors milieu urbain
Voies communales
Transports urbains et scolaires
Communication
Logement et
habitat
Gestion des réseaux
Financement
Gestion des réseaux
Financement, parc et aide (FSL), plan et office de l'habitat
Gestion des réseaux
Financement, parc et aides (PLH)
Développement économique
Sécurité
Aides directes et indirectes
Aides indirectes
Circulation
Prévention de la délinquance Incendie et secours
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Aides indirectes
Police municipale
Circulation et stationnement Prévention de la
délinquance
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Action sociale et médico sociale
Urbanisme
L'action sociale en faveur des personnes âgées,
des personnes handicapées, de l'enfance, de la famille et des personnes
en difficulté
Aménagement du territoire
Environnement
Grands Equipement
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Ports fluviaux Aérodromes
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Ports maritimes, de commerces et de pêches
Aérodromes
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Tableau élaboré par l'auteur
En analysant ce tableau nous constatons que dans plusieurs
domaines les collectivités ont des compétences similaires. Bien
que dans certains cas l'attribution des rôles peut sembler claire
(éducation), la coordination inter-territoriale devient indispensable
pour certaines thématiques, particulièrement celles qui ont
attrait à l'environnement naturel. Afin de se prémunir d'une
rigidité qui nuirait à l'action publique, le législateur
à élaboré une clause générale de
compétence. Par celle-ci la loi dispose
qu'indépendamment des compétences que les collectivités
tiennent expressément de la loi, elles peuvent agir et prendre des
décisions sur le fondement de l'intérêt
général local.
Les bilans couramment dressés relèvent les
nombreux acquis de la décentralisation (meilleure prise en compte des
problèmes locaux, renforcement de la capacité d'initiative des
collectivités, participation accrue des citoyens à
l'échelle locale...) mais ils soulignent aussi des frictions entre
l'Etat et les collectivités et entre collectivités ainsi qu'un
insuffisant transfert de moyens. Il est important pour nous de comprendre les
faiblesses actuelles de ce système de gouvernance car au regard de ce
que nous avons analysé, la centralisation du pouvoir ne va pas de paire
avec les politiques de développement durable qui doivent se reposer en
grande partie sur l'échelon local. Ainsi, la décentralisation
semble être le cadre politique le plus approprié pour
répondre aux enjeux de lutte contre le changement climatique.
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