UNIVERSITE CATHOLIQUE D'AFRIQUE CENTRALE
INSTITUT CATHOLIQUE DE YAOUNDE FACULTE DE SCIENCES
SOCIALES ET GESTION
MASTER GOUVERNANCE ET POLITIQUES PUBLIQUES
MEMOIRE
LE BIR ET LA GP DANS LA POLITIQUE DE DtFENSE ET DE
StCURITt DU CAMEROUN
SOCIOANALYSE DU ROLE PRtSIDENTIEL, DES
CONCEPTS STRATtGIQUES ET D'EMPLOI DES FORCES
RtDIGt ET S OUTENU EN -UE DE L'OBTENTION DU MASTER EN
GOUVERNANCE ET POLITIQUES PUBLIQUES
PAR
MONSIEUR HANS DE MARIE HEUNGOUP NGANGTCHO
LICENCIt EN SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES
SOUS LA DIRECTION DU
DOCTEUR MATHIAS ERIC OWONA NGUINI
ANNtE ACADtMIQUE 2010- 2011
DEDICACE
JE DOME CE TRAVAIL :
n A mes parents, NGANGTCHO Marcel et NDONDA
Géneviève ;
n A BIANKEU Guy Julien et NYAWAH Bibiche, mes frères
et soeurs.
REMERCIEMENT~
Ce travail n'a été rendu possible que grâce
au soutien de certaines personnes. Je pense spécialement :
· Au Docteur Mathias Éric OWONA NGUINI,
Coordonnateur scientifique de la FPAE et Directeur de ce mémoire, pour
sa disponibilité, ses conseils et ses encouragements.
· Au Révérend Père Martin BRIBA, Doyen
de la Faculté de Sciences Sociales et Gestion, pour son soutien durant
mes études à l'UCAC;
· A Colomban LEBAS et Jean-Paul HANON, maitres de
conférences à Sciences Po Paris pour m'avoir initié aux
études de stratégie, de défense et de
sécurité;
· Au Commandant Emmanuel ELA ELA, qui a mis à ma
disposition sa documentation et ses travaux.
Mes remerciements s'adressent en général :
· A tous les enseignants du Master Gouvernance et
Politiques Publiques (GPP) de l'UCAC et de Sciences Po Paris, dont les
enseignements ont permis de construire le profil de ce mémoire;
· Aux camarades et frères du Master GPP de l'UCAC et
du Master Affaires Internationales de Sciences Po, pour les riches moments
passés ensemble;
· A toutes les personnes qui m'ont accordé un
entretien ;
Et enfin, mes remerciements vont :
· Aux Collègues du CERDA et de la FPAE, pour la
relecture du texte
· A mes amis, pour leur soutien moral.
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS
BBR: Bataillon Blindé de Reconnaissance
BCS : Bataillon de Commandement et de Services
BLI: Bataillon Léger d'Intervention BIR: Bataillon
d'Intervention Rapide BQG: Brigade du Quartier Général BSA:
Bataillon Spécial Amphibie
BTAP: Bataillon des Troupes Aéroportées de
Koutaba
CARNEGIE : Carnegie Endowment for International Peace
CEDEAO: Communauté Économique des États de
l'Afrique de l'Ouest
CEEAC: Communauté Économique des États de
l'Afrique Centrale
CEMA : Chef d'État-Major des Armées
CEMAC: Communauté Économique et Monétaire
d'Afrique Centrale
CND : Centre National de la Documentation
CENER: Centre National d'Études et de Recherche
CERI : Centre d'Étude et de Recherche Internationale
CNI: Council for National Intelligence CNS: Conseil National de
Sécurité
CERDA: Cercle de Réflexion sur le Développement de
l'Afrique
CIA: Central Intelligence Agency CIJ: Cour Internationale de
Justice CPS: Conseil de Paix et de Sécurité
CREPS : Centre de Recherches et d'Études Politiques et
Stratégiques CRM: Centre de Recherche Militaire
CSID: Cours Supérieur Interarmées de
Défense
DGSN: Délégation Générale à la
Sureté Nationale
DSP: Direction de la Sécurité
Présidentielle
DGRE: Direction Générale de la Recherche
Extérieure
EMA : État-Major des Armées EMIA: École
Militaire Interarmées
EMP : État-Major Particulier du Président de la
République
ESIR : Équipe Spéciale d'Intervention Rapide
FAI : Fusiliers de l'Armée de l'Air FMC : Fusiliers Marins
Commandos
GMI : Groupement Mobile d'Intervention GP: Garde
Présidentielle
GPIGN: Groupement Polyvalent de la Gendarmerie Nationale
GR: Garde Républicaine
GSO: Groupement Spécial d'Opération FAA: Forces
Africaines en Attente FAC: Forces Armées du Cameroun FAN: Forces
Armées du Nigeria
FBI: Federal Buro of Investigation
FPAE: Fondation Paul Ango Ela de Géopolitique en Afrique
Centrale FRS : Fondation pour la Recherche Stratégique
ICG: International Crisis Group
IEP de Paris : Institut d'Études Politiques de Paris
IRIC: Institut des Relations Internationales du Cameroun MGPP :
Master Gouvernance et Politiques Publiques MINDEF: Ministère de la
Défense
OTAN: Organisation du Traité Atlantique Nord
PACDS: Politique Africaine Commune de Défense et de
Sécurité PDSC: Politique de Défense et de
Sécurité du Cameroun
PDSN: Politique de Défense et de Sécurité
Nationale
RDPC: Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais
REMIA: Région Militaire interarmées
RMA: Revolution on Military Affairs
SED: Secrétariat d'État à la
Défense
SEMIL: Sécurité Militaire
TNT: Trinitrotoluène
TNP: Traité de Non-prolifération
Nucléaire
UA: Union Africaine
UCAC: Université Catholique d'Afrique Centrale UNC: Union
Nationale du Cameroun
UPC: Union des Populations du Cameroun
USSS: United State Secret Services
RESUME
L'ordre et la sécurité publics constituent
l'ontogenèse de l'État du Cameroun. Depuis le coup d'État
manqué du 06 avril 1984, l'ordre et la sécurité publics
s'inscrivent désormais dans une téléologie : la survie
présidentielle. Partant du constat que les forces de défense et
de sécurité constituent la condition sine qua non de la survie
présidentielle, qu'elles y sont directement ou indirectement
employées, on peut se demander :
Comment les forces de l'ordre perpétuent-elles l'ordre
politique, tout en étant fabriquées par cet ordre ? Quels
rôles jouent le BIR et la GP dans la politique de défense et de
sécurité du Cameroun ? Quelle métaphysique sous-tend cette
politique de défense et de sécurité ? Quels en sont les
non-dits, le caché et l'invisible ?
Pour comprendre la place du BIR et de la GP dans la politique
de défense et de sécurité du Cameroun, il faut
étudier la cognation et l'alliage entre l'armée et le pouvoir
politique sous le régime BIYA. En vérité, le BIR et la GP
ne sont que les instruments de la politique officieuse de défense et de
sécurité au Cameroun, qui est la reproduction du système
de domination politique.
M 0TS CLES BIR, GP, pouvoir, Cameroun,
défense, sécurité, stratégie, président.
SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE 8
PREMIERE PARTIE 28
L'AFFIRMATION DE LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE COMME CENTRE
PRETORIEN DE PUISSANCE : EVOLUTION DU SYSTEME MILITARO-SECURITAIRE ETATIQUE
APRES AVRIL 1984 28
CHAPITRE I 30
DECENTRAGE ET RECENTRAGE PRESIDENTIELS DANS LE SYSTEME
ETATIQUE CAMEROUNAIS 30
SECTION I LA TRANSITION CHAOTIQUE DE 1982 A 1984 OU LE
DECENTRAGE PRESIDENTIEL 31
SECTION II LA DYNAMIQUE DU RECENTRAGE ET LA CONSECRATION DU
ROLE PRESIDENTIEL 41
CHAPITRE II 52
LA POLITIQUE PRETORIENNE DE DEFENSE ET DE SECURITE DU
CAMEROUN 52
SECTION I LA CONFIGURATION OFFICIELLE DE LA POLITIQUE DE
DEFENSE ET DE LA SECURITE NATIONALE 53
SECTION II LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DANS LA POLITIQUE DE
DEFENSE ET DE SECURITE DU CAMEROUN 62
DEUXIEME PARTIE 74
LA CONFIRMATION DE LA PRESIDENCE COMME CENTRE PRETORIEN DE
PUISSANCE : LE RECADRAGE SOUVERAIN DU BIR ET DE LA GP 74
CHAPITRE 3 76
LE BIR ET LA GP AU COEUR DE LA CONFIGURATION SECURITAIRE
PRESIDENTIELLE 76
SECTION I ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU BIR ET DE LA
GP 77
SECTION II LA NOUVELLE INGENIERIE DE LA PROPHYLAXIE
POLITIQUE 84
CHAPITRE 4 96
LE BIR ET LA GP, HISTOIRE D'UNE FRAGILITE DE LA DEFENSE DU
CAMEROUN: RETROSPECTIVE ET PROSPECTIVE 96
SECTION I ENDOSCOPIE ET ARCHEOLOGIE DE LA DEFENSE ET LA
SECURITE AU CAMEROUN 97
SECTION II ELEMENTS DE PROSPECTIVE SOCIOPOLITIQUE,
SOCIOGEOPOLITIQUE ET SOCIOSTRATEGIQUE 107
CONCLUSION GENERALE 120
TABLE DES MATIERES 133
INTRODUCTION GENERALE
L'étude de la politique de défense et de
sécurité du Cameroun donne à lire une contradiction entre
le concept stratégique de défense et la doctrine d'emploi des
forces. Le concept stratégique de défense camerounais a
été formulé aux lendemains des indépendances. Cette
formulation est inhérente aux préoccupations sécuritaires
et politiques qui travaillaient les élites postcoloniales et l'ancienne
métropole coloniale, à savoir : le mouvement
Upéciste1. Le concept stratégique camerounais
de « défense populaire » procède à la fois de
l'environnement stratégique (dissuasion à l'égard du
Nigéria) et des conduites sociopolitiques qui ont mu les pouvoirs
publics sous le premier régime: l' « ordre et la
sécurité publics ».2
La défense populaire se définit comme « la
symbiose entre l'armée et le peuple pour faire face aux menaces contre
la nation. Cela implique des rapports harmonieux entre l'armée et les
populations qui devront en constituer les supports
permanents».3 Sauf que, historiquement, les forces
armées camerounaises ont été essentiellement un instrument
de répression des populations. Elles ont été la roue de
secours d'un pouvoir impopulaire et ont sévi plusieurs fois contre les
populations. La socioanalyse des forces armées camerounaises permet de
constater une fracture interne entre l'armée régulière et
les forces spéciales directement placées sous le contrôle
du président de la République.
En effet, le champ de la défense et de la
sécurité d'après le 06 avril 1984 est marqué au
Cameroun par la prééminence du fait présidentiel. La
présidentialisation de la défense et de la sécurité
s'accompagne de la création de deux corps d'élites : la GP qui
remplace la GR en 1985 et le BIR qui remplace le BLI en 2001. Pour comprendre
le fonctionnement de ces corps, il faut faire la sociologie de la politique de
défense et de sécurité du Cameroun; de même, pour
faire la sociologie de la PDSC, il faut comprendre l'« État au
Cameroun ».4 Le BIR et la GP constituent la clef de voûte
de la PDSC sous le second régime. Ils sont inhérents
1 L'armée camerounaise, créée
par ordonnance n°59/57 du 11 novembre 1959 portant création de
l'armée camerounaise et organisation générale de la
défense, va s'atteler durant les dix premières années
marquant sa naissance à combattre les nationalistes appartenant à
l'Union des Populations du Cameroun. Le mouvement Upéciste
réclame la « vraie » indépendance du Cameroun et le
départ des colons ainsi que des élites néocoloniales. Lire
MBEMBE Achille, La naissance du maquis dans le sud du Cameroun : 1920-1960,
histoire des usages de la raison en colonie, Paris, Karthala, 1996.
2 BELOMO ESSONO Chantal Pélagie, « L'ordre
et la sécurité publics dans la construction de l'État au
Cameroun », Thèse de doctorat en science politique, IEP de
Bordeaux, 6 février 2007.
3 BIYA Paul, Discours à l'occasion de la sortie
de la promotion « Rigueur et Moralisation » de l'EMIA, 09 novembre
1985.
4 BAYART Jean-François, L'État au
Cameroun, Paris, PFNSP, 1985.
au « renouveau »5, et parachèvent
la transmutation du système étatique camerounais post-6 avril
1984. Ils ne sont pas seulement au coeur du dispositif de
sécurité et de défense du Cameroun, ils sont le dispositif
de sécurité et de défense du Cameroun et
matérialisent la « Présidence
impériale»6 comme « ontologie »7 et
« téléologie »8 de la sécurité
et de la défense au Cameroun.
I- Contexte de l'étude
Pour ce travail, le contexte joue un rôle essentiel,
dans la mesure où l'essentiel de notre analyse suit le mouvement
historique de réorganisation du système étatique et du
système de défense camerounais. Trois aspects du contexte peuvent
être retenus : le contexte politique, le contexte socioéconomique
et le contexte sécuritaire et de défense.
A- Le contexte politique
Le contexte politique camerounais permet de comprendre la
place du BIR et de la GP dans le dispositif de sécurité et de
défense camerounais. A partir de la tentative de coup d'État du
06 avril 1984, le champ politique camerounais a connu un recentrage, qui place
la présidence au coeur de la production politique. Le repositionnement
présidentiel dans le jeu politique commande l'univers des possibles
politiques camerounais. Le parti au pouvoir, RDPC, occupe certes une place
importante de la vie politique (162/180 à l'assemblée nationale);
mais, en réalité, la personne du président transcende ce
parti.
Ce contexte politique est également marqué, au
plan national, par la réforme constitutionnelle d'avril 2008 et d'avril
2011, les modifications sur la loi électorale et l'organe en charge des
élections (ELECAM), et les échéances électorales
d'octobre 2011. Au plan international, le contexte politique est marqué
par les révolutions arabes, les récents évènements
en Côte d'Ivoire, en Lybie et au Burkina Faso et la multitude
d'élections qui auront lieu en Afrique.
5 Le Renouveau constitue le slogan politique du
Président camerounais dès 1982. Il signifie la rupture avec la
politique du régime AHIDJO.
6 OWONA NGUINI Mathias Éric, « Les
gouvernements perpétuels en Afrique centrale : le temps politique
présidentialiste entre autoritarisme et parlementarisme dans la CEMAC
», in Enjeux géopolitiques en Afrique centrale, Paris,
L'Harmattan, 2010, p.p. 255-268.
7 BELOMO ESSONO Chantal Pélagie, Op.
cit., 2007.
8 Ibidem.
B- Le contexte socioéconomique
L'analyse de la politique de défense et de
sécurité nationale est indissociable du contexte de
précarité socioéconomique dans lequel elle se
déploie. Le Cameroun sous le second régime commence par la
sévère crise économique de la fin des années 80. La
dégradation économique au début des années 90
n'entraîne pas qu'un recul du PNB global et par tête d'habitant. La
paupérisation de la société qui va suivre est totale et
« anthropologique ».9 La paupérisation
pénètre tous les corps de la société. Le concept
stratégique de défense populaire et la PDSC sont affectés
par la minceur des moyens dont dispose l'État. La paupérisation
entraîne, au niveau de la défense, le maintien du concept de
défense populaire, la précarisation du soldat, du gendarme et du
policier. Il ne s'agit pas d'une précarisation salariale, mais de la
précarisation de la formation, des matériels et des
équipements de l'armée. La paupérisation est
anthropologique, parce qu'elle pénètre le corps social. Le
paradigme néopatrimonial10 permet de cerner le
caractère total de la précarisation sociétale. Le concept
Mvengien de paupérisation anthropologique permet de cerner les logiques
« prétoriennes »11 et d'absorption de
l'État. Le contexte socioéconomique donne à lire
l'institution des forces armées comme un refuge contre la
pauvreté, ce qui se traduit par une croissance
accélérée des effectifs des forces de défense et de
sécurité et une profusion des candidats aux concours de l'EMIA et
de la police.12
C- Le contexte sécuritaire et de défense
Le contexte sécuritaire et de défense est
marqué par la prééminence du dispositif
sécuritaire-présidentiel dans la politique de défense et
de sécurité du Cameroun. Hormis les trois périodes de la
rébellion (1955-1958, 1960-1966, 1967-1968) et la gestion du conflit
périphérique de Bakassi (1993-2008), les forces armées ont
essentiellement servi aux fins répressives et de maintien de l'ordre et
de la sécurité publics. Deux évènements marquent le
parcours sécuritaire et de défense du Cameroun. D'abord, le coup
d'État manqué du 06 avril 1984 qui constitue le premier moment de
la présidentialisation sécuritaire, avec la dissolution de la
garde républicaine et la création de la garde
présidentielle. Ensuite, les évènements du
9 MVENG Engelberg, Paupérisation et
développement en Afrique, Paris, Karthala, 1992.
10MEDARD Jean-François, L'État
sous-développé en Afrique noire : clientélisme politique
ou néopatrimonialisme, CEAN, Institut d'Études Politiques de
Bordeaux, 1981.
11 HUNTINGTON Samuel Pierre, Le choc des
civilisations, Paris, Odile Jacob, 2000.
12 FENKAM Frédéric, Les
révélations de Jean Fochivé. Le chef de la police
politique des présidents Ahidjo et Biya, Paris, Éditions
Minsi, 2003.
28 février 2008 qui ont permis au BIR de s'illustrer
comme forces de dernier secours dans la défense des édifices
présidentiels et le maintien de l'ordre public.
En général, le contexte sécuritaire et de
défense est celui de la montée de l'insécurité et
de la fragilisation de la défense camerounaise au profit du «
surinvestissement sécuritaire présidentiel ».13
Les « clivages »14 au sein de l'armée entre les
forces spéciales et l'armée classique; et l'étiolement du
lien armée-nation caractérisent le contexte sécuritaire et
de défense. Les cas de bagarres entre les forces de l'ordre et
d'incivisme se multiplient. Le contexte sécuritaire/défense est
aussi celui de l'embourgeoisement des hauts gradés de la défense
et la sécurité, et la prolifération des unités
d'élites.
II- Délimitation du sujet
La délimitation consiste à préciser les
limites géographiques, temporelles et matérielles du sujet, afin
de clarifier le cadre de l'étude.
A- Délimitation géographique
Yaoundé est le chef-lieu de la région du Centre
et du département du MFOUNDI. Il constitue une population de 3 millions
d'habitants et une superficie de 306 km2. Nous avons choisi Yaoundé
comme cadre spatial d'investigation de ce travail. Le choix de Yaoundé
se justifie par le fait qu'il met en lumière la
présidentialisation de la défense et la construction
géopolitique du pouvoir politique au Cameroun. Capitale politique,
siège des institutions, et donc de la présidence de la
République, Yaoundé est au centre des préoccupations de
défense du Cameroun. Le choix de Yaoundé, en tant qu'abritant
l'institution présidentielle, permet de situer cette ville comme «
centre géographique »15 de la PDSC.
B- Délimitation temporelle
Ce travail analyse la politique de défense du Cameroun
de 1984 à 2011. Cette délimitation dans le temps est, toutefois,
relative; la délimitation étant ici inhérente aux dates de
création des objets étudiés : la GP en 1985 et le BIR en
1999. L'armée camerounaise, ellemême date au plan juridique du
décret n°59/57 du 11 novembre 1959 portant organisation
13 ELA Pierre, Dossiers noirs sur le
Cameroun, Paris, Pyramide Papyrus Presse, 2002, pp. 21-22.
14 Entretien le 19 avril 2011 à 11 heures avec
le Dr. Elie MVIE MEKA, ancien directeur des études à l'EMIA.
15 SINDJOUN Luc, « Construction et
déconstruction locales de l'ordre politique au Cameroun : la
sociogenèse de l'État », Thèse pour le doctorat
d'État en Science politique, Université de Yaoundé2,
1994.
générale de la défense et création
de l'armée camerounaise. Ensuite, les faits étudiés sont
liés à l'âge juridique de l'État du Cameroun :
1960-2011. Cette étude fait la sociogenèse de la PSDC avec un
marquage principal de la période du 06 avril 1984 à 2011.
C- Délimitation matérielle
Nous avons abordé ce travail sous les prismes de la
science politique, la sociologie, les relations internationales, la
stratégie et l'histoire militaire.
La « science politique » explique le mode de
dévolution du pouvoir et le fonctionnement de l'État au Cameroun.
Une lecture politiste permet de déceler les non-dits, le caché et
l'invisible du rôle présidentiel dans le champ politique
camerounais. L'analyse politologique met au jour
l'hégémonie et la totalisation présidentielle dans le
champ sécuritaire. Elle nous permet de comprendre l'ontologie et la
téléologie de l'État au Cameroun. Elle permet d'ouvrir la
« boite noire »16 du système politique camerounais
et de comprendre la transmutation qu'il subit depuis avril 1984.
En ce qui concerne la sociologie, notamment la sociologie
militaire, elle vient en complément de la science politique. Elle est
essentielle pour ce travail, dans la mesure où elle a permis d'analyser
le BIR et la GP dans leur quotidienneté et leur nudité. Pourquoi
x et y s'engagent-ils dans l'armée camerounaise ? Comment se pense-t-on
lorsqu'on s'appelle commando BIR ou GP ? S'agissant des relations
internationales, elles permettent d'analyser l'État et la PSDC dans
leurs aspects sous-régionaux, africains et internationaux. Elles
permettent de comprendre la transnationalisation des entrepreneurs
d'insécurité et d'identifier les réseaux régionaux
de politiques publiques de défense et de sécurité qui
participent de la PDSC. La PDSC s'incorpore également dans les
catégories de la politique étrangère du Cameroun. Enfin,
la stratégie et l'histoire militaire nous permettent de constater une
contradiction entre le concept stratégique camerounais de défense
et l'emploi des forces de défense qui, dans l'histoire du Cameroun, ont
essentiellement été utilisées à des fins
répressives.
16 EASTON David, A system analysis of political
life, New York (N.Y.), Wiley, 1965.
III- Clarification des concepts
Les concepts sont au coeur de l'épistémologie
des sciences sociales et du politique. Ils structurent la pensée
scientifique. Dans le cadre de ce travail, les concepts qui structurent notre
réflexion sont : la politique de défense et de
sécurité, concept stratégique et emploi des forces, BIR et
GP.
A- Politique de défense et de sécurité
nationale
D'après le dictionnaire de la stratégie, on
entend par défense : «L'ensemble des actes permettant à un
individu ou à un collectif de se garder d'un danger ponctuel pesant sur
son intégrité ou sur ses droits».17 Cette
définition appréhende la défense sous son sens
général; elle ne permet pas de lire la défense sous ses
aspects stratégique et politique. L'ordonnance du 7 janvier 1959 portant
organisation générale de la défense en France propose une
approche global-stratégique du concept de défense : « La
défense a pour objet d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et
contre toutes les formes d'agression, la sécurité et
l'intégrité du territoire, ainsi que la vie des populations
».18 Cette définition prend en compte trois
éléments essentiels : l'organisation de la défense doit
couvrir le temps de paix comme le temps de guerre, la menace étant
continue; une nécessaire coopération permanente entre les
services publics militaires et non militaires; la défense du territoire
est globale. La défense se subdivise en défense militaire et
défense civile ou protection civile. Aujourd'hui, la notion de
défense est globale. Aucune armée moderne ne la restreint plus au
seul champ militaire; la défense est dorénavant associée
à la sécurité nationale. La sécurité
nationale forme un tout à plusieurs éléments : «
défense nationale, sécurité de l'État,
sécurité des personnes et des biens».19
Peut-on parler de PDSC ? Primo, le Cameroun n'a jamais
formulé de livre blanc sur la défense et la
sécurité nationale. Pour étudier la PDSC, il faut se
référer à la « culture stratégique
»20 du pays et aux discours des deux chefs d'État
adressés aux forces armées. Secundo, l'inceste entre
l'armée, la gendarmerie et la police dans le maintien de l'ordre et la
sécurité publics fait qu'il y a amalgame entre le secteur de la
défense et celui de la sécurité.
17 MONTBRIAL Thierry, KLEIN John, Dictionnaire de
la stratégie, Paris, PUF, 2000.
18 Ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation
générale de la défense en France.
19 ELA Pierre, Op. cit., 2002, p. 21.
20 PEMBOURA Aïcha, « Le processus de
formation de la culture stratégique camerounaise : analyse du rôle
des écoles militaires », Mémoire pour le DEA en Science
politique, Université de Yaoundé2, 2007.
B- Concept stratégique et emploi des forces
Historiquement, l'on fait remonter la stratégie en tant
que science à SUNTSU : « L'art de la guerre », publié
au 5ème siècle avant Jésus Christ. Par la
suite, Nicolas MACHIAVEL va publier un autre « L'art de la guerre ».
Viennent après les stratégistes contemporains : Carl Von
CLAUSEWITZ, « De la guerre »; MAO ZE DONG, « La stratégie
de la guerre révolutionnaire en Chine»; Raymond Aron, « Paix
et guerre entre les nations »; Basil LIDELL HAART, « La
stratégie indirecte »; André BEAUFRE « Introduction
à la stratégie»; Thomas SCHELLING, « Stratégie
du conflit »; Philippe MASSON « De la mer et de la stratégie
». Que l'on considère la stratégie au sens strictement
militaire, « L'art d'utiliser les batailles comme moyen pour atteindre le
but de la guerre »21, ou qu'on la définisse au sens
global, « Le rôle de la grande stratégie consiste en effet
à coordonner et diriger toutes les ressources de la nation ou d'une
coalition afin d'atteindre le but défini par la politique fondamentale :
l'évitement de la guerre ou la guerre »22; il ressort
que la stratégie est l'art de combiner l'ensemble des ressources d'une
nation pour atteindre la fin politique.
Dans la conduite de la guerre moderne, chaque État
adopte un concept stratégique; entendu comme la philosophie qui guide la
conduite de la guerre ou la recherche de la paix. Le concept stratégique
précise la grammaire autour de laquelle vont s'articuler la
défense et la sécurité nationale. S'agissant du Cameroun,
le concept stratégique est celui de « défense populaire
». Si le concept stratégique revêt un sens philosophique, le
concept d'emploi des forces ou doctrine d'emploi des forces ou encore l'emploi
des forces en revanche est très pratique. D'après Pierre
SEMENGUE, l'emploi des forces concerne : « le dimensionnement des forces,
l'équipement des forces, l'instruction des personnels et l'entrainement
des forces, leur positionnement sur le terrain, le soutien logistique des
forces, les règles d'usage des forces et l'usage des
forces».23 Au Cameroun, l'emploi des forces comprend par
exemple la catégorisation des forces, la définition de leurs
tâches et de leurs effectifs, la définition des moyens logistiques
mis à leur disposition, l'organisation des forces et l'utilisation des
forces. C'est ce dernier point qui retient notre attention. Dans le cadre de ce
travail, lorsque nous évoquerons l'emploi des forces, il s'agira de :
quelles sont les règles qui encadrent l'utilisation des forces de
l'ordre, d'une part; et comment elles sont utilisées, d'autre part ?
21 CARL VON CLAUSEWITZ, De la guerre, Paris,
Éditions Rivage poche, 2006.
22 HAART LIDELL Basil, Strategy: the indirect approach,
third edition, London, India: Natraj Publishers, 2003.
23 ATEBA EYENE Charles, Le Général
Pierre SEMENGUE. Toute une vie dans les Armées, Yaoundé,
Éditions clé, 2002.
IV- Intérêt du sujet
Il existe très peu de travaux sur la politique de
défense et de sécurité du Cameroun; et quasiment aucun sur
le BIR et la GP. La littérature sur la PDSC se réduit à la
thèse de doctorat d'ELA ELA Emmanuel, et dans une large mesure celle
d'ELIE MVIE MEKA. Ce travail présente un intérêt
sociopolitique et scientifique.
A- Intérêt sociopolitique
L'intérêt sociopolitique de ce travail est qu'il
permet d'interroger le système politique camerounais, dont la politique
de défense et de sécurité constitue l'expression du
recentrage présidentiel dans le champ étatique, à travers
l'emploi du BIR et de la GP. Ce texte est précisément utile dans
un contexte d'échéances électorales à venir. Le
dernier rapport d'International Crisis Group24
présente le Cameroun comme un État fragile et souligne les
risques réels d'une « transition chaotique » en octobre
2011.
B- Intérêt scientifique Ce travail est
intéressant sur le plan scientifique pour quatre raisons :
1-) Il rénove les problématiques sur le «
noumène » et le « phénomène » de
l'État au Cameroun, et situe le présidentialisme comme paradigme
dominant du schéma gouvernant camerounais.
2-) Il dépasse le domaine d'analyse
stratégico-sécuritaire de la PDSC, et propose une analyse
sociopolitique globale de la défense et la sécurité.
3-) Il fait une analyse du BIR et de la GP dans leur
organisation et leur fonctionnement, tout en précisant leur rôle
dans la PDSC.
4-) Enfin, il démontre que le BIR et la GP constituent
« l'alpha » et « l'oméga » de la défense
nationale, et pourraient être à terme au centre de la transition
politique au Cameroun.
24 International Crisis Group, « Cameroun : les
dangers d'un régime en pleine fracture », Rapport n°161, 24
juin 2010.
V- État de la question
Les études sur la défense et la
sécurité comptent, à ce jour, parmi les
problématiques dominantes du champ de la science politique et des
relations internationales. Au Cameroun, un seul travail de thèse a
été consacré à la politique de défense
nationale. La quasi-virginité du champ de la recherche sur la politique
de défense au Cameroun contraste avec la floraison des travaux sur
l'État; ce qui a fait dire à Luc SINDJOUN que : « Le
succès de l'État comme mode d'organisation sociale a constamment
été à la mesure de son succès scientifique en tant
qu'objet d'étude ».25 Cette revue de littérature
présente les approches de la sécurité, les approches de la
défense et les approches de l'État en Afrique.
A- Approches de la sécurité
Le débat sur la sécurité en Afrique et au
Cameroun tourne autour de la recherche des causes et des facteurs des conflits
et de l'instabilité politique. Certains expliquent
l'insécurité en Afrique par l'approche géopolitique;
d'autres à partir de l'État postcolonial.
Parmi les courants qui expliquent l'insécurité
en Afrique, l'approche géopolitique est la plus dominante. Cette
approche s'inspire elle-même d'approches complémentaires telles
que le réalisme, l'approche bipolaire et post bipolaire, et le
néomarxisme. D'après cette approche, les conflits en Afrique sont
suscités et attisés par les grandes puissances. Le tenant de
cette approche est : Marc Louis ROPIVIA. Avant 1990, ces conflits
s'inscrivaient dans l'ordre bipolaire. Les conflits étaient
suscités par les deux blocs pour renverser des gouvernements
non-affiliés. Après 1990, le vent de démocratisation et le
déclassement stratégique de l'Afrique va entrainer l'effondrement
des régimes autoritaires. C'est l'époque où il y a eu le
plus de guerre civiles et coups d'État en Afrique. Le versant post
bipolaire de cette approche mentionne le reclassement stratégique de
l'Afrique dans la géopolitique post-11 septembre, non seulement dans le
cadre de la « guerre mondiale contre la terreur », mais aussi en
raison des difficultés d'accès aux hydrocarbures dans le Moyen
Orient, et la découverte des gisements pétroliers
off-shore en Afrique. Enfin, le dernier versant de l'approche
géopolitique analyse la conflictualité en Afrique sous le prisme
du néomarxisme. Pour assurer leurs besoins en ressources naturelles et
minières, les grandes puissances tentent d'installer à la
tête des gouvernements africains des «bureaucrates compradores
»26 qui leur
25 SINDJOUN Luc, L'État ailleurs. Entre
noyau dur et case vide, Paris, Economica, 2002, p. 1.
26 AMIN Samir, Le développement
inégal, paris, 1973.
sont favorables. Dans la pratique, le chef d'État
déposé par la puissance hégémonique sert en retour
les intérêts et la cause de l'hégémon. Lorsque ce
dernier refuse de s'exécuter, il est éjecté par les
grandes puissances. A ce titre, les relations Occident-Afrique, en
général, et la « francafrique »27, en
particulier, s'inscrivent dans une logique de captation et de prédation
des ressources naturelles africaines par le biais des « successions
présidentielles »28. L'analyse « transitologique
» permet de situer la lutte pour le contrôle des ressources
étatiques comme trait saillant de la conflictualité africaine.
Dans le contexte post bipolaire, ces luttes sont entretenues par les «
centres du centre » pour le contrôle des « centres de la
périphérie ».29
Hormis les puissances occidentales, les puissances
émergentes tentent également de s'accaparer une part du «
gâteau africain »: c'est ce que Marc Louis ROPIVIA appelle le «
paradigme de l'impérialisme tropical Gondwanien ».30 Il
s'agit d'un nouvel impérialisme, non plus venu de l'Occident, mais des
puissances émergentes : Brésil, Russie, Inde et Chine. Ces
puissances ont besoin pour le développement de leurs économies et
de leurs armées de ressources énergétiques et
minières dont l'Afrique regorge. L'approche géopolitique est la
plus répandue dans l'explication des facteurs d'insécurité
en Afrique. D'autres approchent plus endogènes abordent les facteurs
internes de l'insécurité en Afrique.
Parmi les « approches endogènes », l'approche
dominante est celle qui situe l'État postcolonial comme facteur
d'insécurité en Afrique. L'État postcolonial serait-il
réellement insécure ? C'est du moins ce que pense TSHIYEMBE
MWAYILA. D'après lui, « les États africains sont le
résultat d'une segmentation arbitraire qui n'a pas tenu compte des
réalités socioculturelles de l'Afrique »31. Les
peuples de la même tribu se trouvent partagés entre deux
États. Dans le même temps, « la réalité
étatique n'est elle-même pas suffisamment sédimentée
dans les esprits des populations »32. Cet état de fait
est à l'origine de nombreux conflits sur le continent. L'État
postcolonial préexistant à la nation, il constitue un facteur
d'insécurité du fait de son héritage
sociogéographique, géographico-culturel et de son hybridation
transnationale avec le crime. De même, l'État postcolonial est
facteur d'insécurité au sens des sécuritaires critiques,
c'est-à-dire qu'il produit de la violence et de
l'insécurité vis-à-vis de sa population; c'est le produit
d'une histoire achevée : la colonisation.
27 VERSCHAVE François Xavier, La
francafrique : le plus long scandale de la république, Paris,
Stock, 1998.
28 SINDJOUN Luc, Op.cit, 1996.
29 AMIN Samir, Op. cit., 1973.
30 ROPIVIA Marc-Louis, « Géopolitique et
géostratégie : l'Afrique noire et l'avènement de
l'impérialisme tropical gondwanien », in Cahiers de
géographie du Québec, Vol 30, n0 79, 1966, pp. 5-19.
31 MWAYILA TSIYEMBE, L'État postcolonial facteur
d'insécurité en Afrique, Dakar, Présence africaine,
1990.
32 Ibidem.
B- Approches de la défense
L'étude de la défense en Afrique peut se faire
sous deux formes. D'une part, il s'agit d'évoquer l'architecture de
défense commune et de sécurité collective; d'autre part,
de présenter l'état de l'art sur les armées en Afrique et
au Cameroun spécifiquement.
La déclaration de Politique Africaine Commune de
Défense et de Sécurité (PACDS) a été
adoptée, en 2004, à Syrte en Libye. Elle constitue l'acte
fondateur de la politique de défense et de sécurité
panafricaine. L'article 2 (a) de la PACDS mentionne que ses objectifs sont : la
prévention et la résolution des conflits, le maintien de la paix.
Cette politique part du désir des chefs d'États africains
d'instaurer un mécanisme africain de défense commune et de
sécurité collective. Cette politique s'inscrit dans le prisme de
la « renaissance africaine », avec comme souci de trouver une «
solution africaine aux problèmes africains ». Le Pacte de
Nonagression et de Défense Commune de l'UA, adopté le 31 janvier
2005 à Abuja sous l'initiative du Congo Brazzaville, introduit une
responsabilité collective des États africains en matière
de défense. En son article 2 (c), il dispose : « Toute agression ou
menace d'agression dirigée contre l'un quelconque des États
membres constitue une agression ou une menace contre l'ensemble des
États membres de l'Union».33 Cet article oblige chaque
État membre à intervenir en cas d'agression contre un autre. Au
plan institutionnel, l'organe de suivi et de mise en oeuvre de la PACDS est le
Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l'UA, entrée en
vigueur le 26 décembre 2003. Le CPS chapeaute l'architecture de la
défense commune et de sécurité collective en Afrique. Il
s'occupe du suivi et de la mise en oeuvre du Système Continental
d'Alerte Rapide; il organise le Comité d'état-major de l'UA et de
la Force Africaine en Attente (FAA); il se prononce sur les situations de crise
au sein du continent. Créée en 2006, la FAA est le bras
séculier de la PACDS. Elle peut être mobilisée par le CPS
pour prévenir ou résoudre un conflit ou une guerre civile sur le
continent africain; ce d'autant que le Pacte de non-agression et de
défense commune a défini l'agression au sens large. A ce jour,
l'Union Africaine a déjà effectué plusieurs missions de
maintien de la paix, notamment en Somalie et au Soudan. Toutefois, la FAA n'est
pas encore opérationnelle. La mise sur pieds de la FAA se heurte aux
problèmes logistiques, financiers et d'effectifs.
Si au plan régional la mise en oeuvre des
mécanismes de défense commune et de sécurité
collective avance peu, aux échelles sous-régionales, en revanche,
il y a de réels progrès. De la CEDEAO à la CEEAC, les
différentes missions de maintien de la paix sous-
33 Pacte de Non-agression et de défense commune
de l'Union africaine, 31 janvier 2005.
régionales se sont multipliées ces
dernières années. Au sein de la CEEAC, le Conseil de Paix et de
Sécurité d'Afrique Centrale (COPAX), le Pacte de Non-agression de
Solidarité et d'Assistance Mutuelle de la CEMAC (28 janvier 2004), la
Force Multinationale en Afrique Centrale (FOMAC), la Brigade Régionale
(BR), le Système Alerte Avancée pour l'Afrique Centrale (MARAC)
et la Commission pour la Défense et la Sécurité (CDS)
constituent la technologie de la défense commune et de la
sécurité collective en Afrique centrale. S'agissant du Cameroun,
il abrite la base logistique de la FAA et le Comité d'état-major
régional (CER) de la CEEAC. Sous l'égide des Nations Unies et de
l'UA, une mission de paix de la CEEAC a été menée avec
succès en RCA (FOMUC). Actuellement, le Cours Supérieur
Interarmées de Défense (CSID), à vocation régionale
forme les officiers de la CEEAC au maintien de la paix.
C- Approches de l'État
La catégorie « État en Afrique»
constitue un méta-concept et un métadiscours, qui renvoient aux
problématiques instituées de
l'État-épithète. L'aporie épistémique
résulte de l'incapacité d'aseptiser et d'exorciser les
pré-schèmes et les « pré-constructions savantes
» de l'État.34 Dans le cadre de ce travail, nous allons
ressortir deux approches : l'approche de l'historicité de
Jean-François BAYART et les approches
écologiques-sociogénétiques.
> L'État en Afrique vu d'ailleurs : les biais
essentialistes et éthiques
L'État en Afrique ou au Cameroun, vu d'ailleurs,
c'est-à-dire de l'occident, est calfeutré par les biais
essentialistes et éthiques. En effet, l'étude de l'État en
Afrique est dominée par un certain nombre de paradigmes et d'auteurs.
Parmi eux, le plus cité au Cameroun est Jean-François BAYART.
Les travaux de Jean-François BAYART sont dominés
par les questions d'historicité et de greffe de l'État en
Afrique. Dans ses ouvrages « L'État au Cameroun » et «
L'État en Afrique : la politique du ventre », les mérites de
l'auteur sont d'avoir su rompre avec le développementalisme et le
dépendantisme ambiants de l'heure pour mettre le curseur sur la
période précoloniale, et montrer finalement comment la
construction de l'État en Afrique ressort d'une « alliance
hégémonique entre les dominants d'hier et ceux d'aujourd'hui; les
dominés d'hier restant encore dominés aujourd'hui
».35 Ce travail monographique restitue l'historicité des
trajectoires étatiques africaines. L'État au Cameroun de BAYART
est incontestablement un chef-d'oeuvre académique; dix années de
recherches pour cerner un
34 SINDJOUN Luc, Op. cit., 1994.
35 BAYART Jean-François, Op. cit.,
1985.
objet, c'est rare aujourd'hui. Cela dit, comme le reconnait
Bayart lui-même, l'État-nation, comme cadre d'étude du
Cameroun, est en soi déjà « contestable ».36
Comme le souligne Janvier ONANA, BAYART amplifie plantureusement l'impact de la
période précoloniale dans la construction de l'État du
Cameroun; au détriment de la période coloniale, moment
privilégié de la naissance du « Kamerun ».37
De fait, c'est le congrès de 1884 et la pénétration
allemande qui donne sa longueur et largeur au Cameroun actuel. La
période coloniale et les premières années de
l'indépendance sont celles du travail sur l'inconscient collectif
camerounais. La colonisation est paradoxalement l'espace-temps de la
socialisation étatique et de l'« émergence d'un champ
politique professionnalisé ».38 Certes il y a eu Vasco
de GAMMA avec son rio dos Camaroes, mais comme l'affirme Jean-Pierre
FOGUI, « L'intégration politique au Cameroun » ne commence
véritablement que sous la période coloniale.39 Il y a
donc un biais essentialiste dans la thèse de BAYART.
Cependant, l'oeuvre de BAYART sur la réinvention
indigène de l'État dans la « La greffe de l'État
»40 nous semble être la moins contestable de ses oeuvres.
BAYART n'a pas tord de voir en l'État en Afrique une réinvention
locale. Son approche historiciste lui a permis de restituer l'État en
Afrique en tant que « soi », et non par rapport à l'occident.
Comme le souligne Luc SINDJOUN à la 4ème page de
l'introduction de « L'État ailleurs. Entre noyau dur et case vide
», l'État ailleurs n'est pas qu'un État importé. Il
est surtout un « État exporté »41 qui a
été et qui est réinventé. Il est aux interstices du
path dependence et du path contingence.42 Parmi
les approches de l'État en Afrique et surtout de l'État au
Cameroun, les approches écologiques et sociogénétiques
sont également à considérer.
> Approches écologiques et
sociogénétiques
Le champ des études étatistes camerounaises est
de plus en plus marqué par la génération 1960-1975. Ces
auteurs ont tous en commun d'essayer de rompre avec les
analyses-clichées et caricaturales de l'État en Afrique et au
Cameroun. Parmi eux, on distingue Luc SINDJOUN et son approche
écologique, d'une part; Mathias Éric OWONA NGUINI, Chantal
Pélagie BELOMO ESSONO et leurs approches sociogénétiques
de l'État, d'autre part.
36 Ibid., p. 4.
37 ONANA Janvier, « Professionnalisation
politique et constitution d'un champ politique », Thèse de doctorat
en science politique, Université de Paris X-Nanterre, 2001.
38 Ibid., p. 15.
39 FOGUI Jean Pierre, L'intégration
politique au Cameroun : une analyse centre-périphérie,
Paris, LGDJ, 1990.
40 BAYART Jean-François, La greffe de
l'État, Paris, 1997.
41 SINDJOUN Luc, Op. cit., 2002, p. 4.
42 Ibid., p.15.
La « statogénèse » de l'État du
Cameroun se doit d'être lue dans la « bijection » entre le
centre et la périphérie. Dépassant les thèses de
l'«injection », Luc SINDJOUN montre que la pénétration
périphérique de l'État central s'accompagne d'une
absorption et d'une colonisation locale de l'État. Le continuum «
monopole-oligopole »43, dont parle l'auteur, contrevient
à l'unilatéralité du centre et au mythe de l'État
transcendant. Toutefois, cette approche est elle-même discutable, tant du
point de vue de la sociogenèse éliasienne dont s'inspire SINDJOUN
que du point de vue de l'approche de l'historicité de BAYART. En effet,
si pour SINDJOUN la pénétration politique au Cameroun
démystifie l'État qui devient un État en
négociation; pour BAYART, la pénétration politique se
caractérise par la violence exacerbée : d'où
l'État-traumatisme. Ces deux approches sont incompatibles. A la
vérité, il nous paraît que l'approche écologique de
SINDJOUN est tout juste complémentaire à celle de BAYART, car le
récit de l'histoire montre que la violence a présidé
à la pénétration politique au Cameroun. Sans doute, y
a-t-il eu colonisation locale de l'État, mais ce qui est premier c'est
la violence. De ce fait, on ne peut nier la pertinence de la thèse de
SINDJOUN sur l'État mis à nu dans l'arrière pays.
Toutefois, le monopole-oligopole qu'il évoque n'est pas compatible avec
l'État-traumatisme, encore moins avec l'État-président.
L'ordre et la sécurité publics constituent
l'ontogenèse de l'État du Cameroun comme le démontre
Chantal BELOMO. Mais l'ordre et la sécurité publics
s'avèrent plus difficiles à garantir en périphérie
qu'au centre. Dans un contexte de « la parcellarisation sécuritaire
et de sécurisation à géométrie variable
»44, de catégorisation des « régions
rebelles », la thèse d'OWONA NGUINI sur « le monopole
hégémonique d'un centre sur la périphérie et d'un
jacobinisme venu de l'extérieur »45 s'avère
pertinente. Cette thèse contredit celle de SINDJOUN sur le «
monopole-oligopole ». Néanmoins, cette thèse est
elle-même contestable en ce qu'elle estime que ce monopole est venu de
l'extérieur; ce qui n'est pas unanimement vrai du point de vue culturel
au Cameroun. S'il est vrai que les peuples « Béti », par
exemple, ont toujours été gouvernés suivant un
modèle diffus, les peuples de l'Ouest et du Nord au Cameroun connaissent
un système d'autorité plus pyramidal, caractérisé
par le monopole du roi sur tout son espace territorial. De surcroit, lorsqu'on
observe le Cameroun sous le premier régime comme sous le second, la
vigueur avec laquelle les deux présidents se sont échinés
à défendre l'unité nationale de façon jacobine
assure le contraire.
43 SINDJOUN Luc, Op. cit., 1994.
44 BELOMO ESSONO, Op. cit., février
2007.
45 OWONA NGUINI Mathias Éric, «« La
sociogenèse de l'ordre politique au Cameroun, entre autoritarisme
et démocratie (1978-1996) les régimes politiques et
économiques au gré des conjonctures et des
configurations socio-historiques », Thèse de doctorat en science
politique, IEP de Bordeaux - Université de Bordeaux IV, 1997.
VI- Problématique
L'ordre et la sécurité publics constituent
l'ontogenèse de l'État du Cameroun. Depuis le coup d'État
manqué du 06 avril 1984, l'ordre et la sécurité publics
s'inscrivent désormais dans une téléologie : la survie
présidentielle. La mécanique du système post-06 avril est
marquée par l'hégémonie présidentielle dans le
champ politique et dans la configuration des dynamiques de pouvoir au sein du
« méta-champ »46 étatique. Ce recentrage
présidentiel entraîne le travestissement de la politique de
défense et de sécurité et rend le concept
stratégique de défense inopérant. Partant du constat que
les forces de défense et de sécurité constituent la
condition sine qua non de la survie présidentielle, qu'elles y sont
directement ou indirectement employées, on peut se demander :
Comment les forces de l'ordre perpétuent-elles l'ordre
politique, tout en étant fabriquées par cet ordre ? Quels
rôles jouent le BIR et la GP dans la politique de défense et de
sécurité du Cameroun ? Quelle métaphysique sous-tend cette
politique de défense et de sécurité ? Quels en sont les
non-dits, le caché et l'invisible ?
Transmutation du système
étatique
Contradiction entre le
concept stratégique de
défense et l'emploides
forces
Présidentialisation de la
PDSC
Au total, la question centrale de ce travail est :
Comment appréhender la politique de défense et
de sécurité du Cameroun dans le sens de la
présidentialisation, à partir de la contradiction entre le
concept stratégique de défense et l'emploi des forces?
46 DECHAUX (J-H.), « Sur le concept de
configuration: quelques failles dans la sociologie de Norbert ELIAS », in,
Cahiers internationaux de sociologie, Vol. 99, Paris, PUF,
juillet-décembre 1995.
VII- Hypothèse de travail
D'après Madeleine GRAWITZ, l'hypothèse se
définit comme une « tentative théorique de réponse
à une problématique »47. Selon la méthode
hypothético-déductive, les hypothèses doivent être
confrontées aux faits pour vérification. La vérification
permet de passer de la « politologie spontanée » à la
« politologie réflexive ».48 Si l'hypothèse
est confirmée ; elle peut faire l'objet de théorie
générale. A contrario si l'hypothèse est infirmée,
elle tombe en désuétude.49 Ce travail va s'articuler
autour d'une hypothèse principale et de quatre hypothèses
secondaires.
Hypothèse principale
L'hypothèse principale de ce travail peut être
formulée comme suit. L'étude des politiques de
sécurité et de défense du Cameroun donne à lire une
contradiction entre le concept stratégique et l'emploi des forces de
défense, notamment du BIR et de la GP. Cette contradiction marque la
transmutation du système étatique du Cameroun sous le
deuxième régime, qui, se caractérise par la
présidentialisation de la PDSC. Dans ce contexte, le président
n'est plus garant de l'ordre public et de la défense du territoire; il
est l'ordre public et la défense du territoire.
Hypothèses secondaires
L'hypothèse principale se décline en quatre
hypothèses secondaires:
- La PSDC présente une contradiction entre le concept
stratégique de sécurité et de défense et l'emploi
des forces de défense;
- Cette contradiction s'explique par le repositionnement
présidentiel dans le champ politique et dans le dispositif de
défense et de sécurité post-06 avril 1984;
- Dans ce repositionnement le BIR et la GP jouent un rôle
névralgique, tant du point de vue de la reproduction du système
politique que de la défense et la sécurité nationale;
- Enfin, si le BIR et la GP renforcent la ceinture de
sécurité présidentielle, ils constituent paradoxalement
une source d'instabilité potentielle et de fragilité pour la
défense camerounaise.
47 GRAWITZ Madeleine, Méthode des sciences
sociales, 10è édition, Paris, PUF, 1991.
48 SINDJOUN Luc, Op. cit., 1994.
49BACHELARD Gaston, La formation de l'esprit
scientifique, Paris, Vrin, 1977. Lire aussi DURKHEIM Émile, Les
règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1997.
VIII- Cadre méthodologique
Le cadre méthodologique de ce travail comprend le bloc des
méthodes d'analyse, d'une part; et les techniques d'enquête,
d'autre part.
A- Méthode d'analyse
L'analyse des politiques de sécurité et de
défense du Cameroun permet de distinguer la défense contre les
ennemis de l'intérieur d'une part ; et la défense contre les
agressions extérieures d'autre part. Il nous a semblé
nécessaire de mobiliser deux approches pour saisir la complexité
du sujet. La socioanalyse de la PSDC se fera à la lumière des
concepts de « champ »50 et de « configuration
»51 (approche constructiviste) ; et du « systémisme
»52.
> L'approche constructiviste
Le concept bourdieusien de champ est particulièrement
adapté à cette étude, dans la mesure où il permet
d'envisager les domaines politique et de défense comme un espace
d'interrelation, d'interdépendance et de lutte entre les dominants et
les dominés pour le contrôle du champ. Le dominant est dans ce
contexte le président de la République, et de façon
générale l'exécutif présidentiel. On peut
légitiment parler de champ politique au Cameroun, de champ
sécuritaire et de défense. Quant à l'analyse «
configurationnelle » ou « figurationnnelle » éliasienne,
elle permet de saisir l'État au Cameroun comme un métachamp au
sein duquel les dominants des champs politique, économique, culturel,
scientifique, sécuritaire, luttent pour le contrôle des ressources
du méta-champ étatique. Ici, les dominants sont dans une «
guerre de tous contre tous », mais ils sont aussi dans des rapports de
collaboration et d'interdépendance. L'analyse configurationnelle permet
d'envisager « la police du prince » et la « bourgeoisie
militaire », non plus dans un « registre prétorien »,
mais comme ressources du « pouvoir perpétuel »53,
à partir d'une logique d'« alliance des dominants
»54 et de néo-patrimonialisation des mobilités
sociales et politiques.
> Le systémisme
S'agissant du systémisme, il permet d'entrer dans la boite
noire du système politique camerounais et de prendre la mesure de
l'impact de la tentative de déstabilisation de
l'élément
50 BOURDIEU Pierre, Propos sur le champ politique,
Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2000. Lire aussi La noblesse
d'État. Grandes Écoles et esprit de corps, Paris,
Minuit, 1989.
51 ELIAS Norbert, La civilisation des moeurs,
Paris, Calmann-Lévy, 1991.
52 EASTON David, Op. cit., 1965.
53 OWONA NGUNI, « Les gouvernements
perpétuels en Afrique centrale : le temps politique
présidentialiste entre autoritarisme et parlementarisme dans la CEMAC
», in Enjeux géopolitiques en Afrique centrale, Paris,
L'Harmattan, 2010.
54 BAYART Jean-François, Op. cit.,
1985.
principal du système en 1984 sur l'ensemble du
fonctionnement du système. A ce titre, l'impact du 06 avril 1984 dans le
système politique camerounais est plus important qu'on ne l'imagine. Le
système s'est depuis 1984 adapté à son environnement. Sauf
que le systémisme de David EASTON a de sérieuses limites. Ces
limites sont corrigées si l'on y ajoute la vision de Nicklas LUHMAN ou
néosystémisme. Selon lui, le système ne peut pas s'adapter
à son environnement, puisque la complexité est trop grande. Il
réduit donc la complexité afin de se légitimer; à
ce titre il est autoréférentiel. Les deux approches ne sont pas
exclusives. Car le système tente de s'adapter; ce fut le cas avec la
présidentialisation sécuritaire dès 1984 ou la
libéralisation de la vie politique en 1990, ou encore la hausse du
salaire des fonctionnaires suite aux émeutes de 2008. Dans ces cas, le
système n'a pas muté de son plein gré. Face aux tentatives
de déstabilisation, il a intégré les inputs et
s'est remodelé.
B- Techniques d'enquête
Ce travail recoupe vingt-cinq analyses d'entretien. Nous avons
procédé, pour la collecte des données de terrain, aux
entretiens individuels semi-directifs. L'entretien semidirectif nous a permis
d'avoir accès aux représentations des acteurs et à
l'ethnographie du cadre de vie. Ces entretiens se sont
révélés particulièrement riches et fructueux.
Toutefois, le taux de non-réponse de 70% pour les militaires
sollicités et de 15% pour les civils est à souligner. Cela
s'explique certes par la sensibilité du secteur de la défense et
de la sécurité au Cameroun, étant donné que ce
secteur est le coeur du système de domination politique.
En dehors des entretiens, les travaux aux archives nationales
du Cameroun, aux bibliothèques de l'EMIA, du Ministère de la
défense et de la FPAE nous ont permis d'obtenir des données
d'analyse stratégico-militaires. Dans le même sens, les Quotidiens
Cameroon Tribune, Mutations et Le Jour nous ont
renseigné sur les éléments d'actualité. Les
bibliothèques de l'Université de Yaoundé I, de
Yaoundé II, de l'IRIC, de l'UCAC et de l'IEP de Paris nous ont fourni le
cadre théorique nécessaire. Internet n'a pas été en
reste, il a contribué, par ses sites spécialisés dans la
défense, au premier déblayage de notre ignorance du sujet. Au
total, nous avons effectué 25 entretiens, des recherches
bibliographiques et documentaires, collecter des lois, textes
règlementaires, directives présidentielles, coupures de journaux,
rapports d'études, notes internes et textes officiels
> Présentation du terrain de l'étude
L'étude s'est déroulée à
Yaoundé. Yaoundé est le siège des États-majors de
la police, la gendarmerie, l'armée, les services secrets; mieux, du BIR
et de la GP. L'étude ayant mis
l'accent sur la présidentialisation du dispositif
sécuritaire et de défense, Yaoundé est le cadre
idéal pour une observation du dispositif de sécurité
présidentiel ou des hauts commis de l'État. Le choix du site de
Yaoundé est dicté par des impératifs de l'objet
d'étude et par le fait que Yaoundé représente le coeur de
la stabilité hégémonique du système politique du
Cameroun : « quand Yaoundé vit, le Cameroun respire
».55 De manière précise, l'enquête s'est
effectuée au MINDEF, à l'état-major de la gendarmerie
nationale, à la DGSN et au domicile des interviewés. Deux
enseignants nous ont reçu aux Universités de Yaoundé I et
de Yaoundé II.
> Présentation de l'échantillon
L'échantillon des personnes interviewées
concerne les personnes ressources suivantes: 3 universitaires et grands
témoins, 8 civils56, 4 soldats du BIR/GP, 2 hauts
gradés du BIR/GP, 1 agent de la DSP, 6 hauts gradés de
l'armée et de la gendarmerie et 1 haut gradé de la police. Soit
vingt-cinq personnes ressources au total. L'enquête s'est
effectuée du 1er avril au 15 juin 2011 au sein de la ville de
Yaoundé.
IX- Structure du texte
Ce travail va être articulé autour de deux parties
ayant chacune deux chapitres.
La première partie analyse l'affirmation de la
présidence de la République comme centre prétorien de
puissance : évolution du système militaro-sécuritaire
étatique après 1984 (Première partie). Dans le premier
chapitre, nous analysons la prééminence de l'institution
présidentielle en tant qu'hégémonie
bureaucratico-administrative. Le chapitre 2 fait une étude de
l'organisation du dispositif de défense et de sécurité
camerounais. La seconde partie est consacrée à la confirmation de
la présidence comme centre prétorien de puissance : le recadrage
du BIR et de la GP. Elle étudie la place du BIR et de la GP dans la
politique de défense et de sécurité du Cameroun. Le
chapitre 3 fait une étude du BIR et de la GP dans la configuration
sécuritaire-présidentielle. Cette partie s'achève sur le
chapitre 4 qui s'intitule : « Le BIR et la GP, histoire
d'une fragilité de la défense et de la sécurité du
Cameroun : rétrospective et prospective ».
55 BIYA Paul, Discours à l'assemblée
nationale sur la tenue d'une conférence nationale souveraine, 1992. Il
dira à ce sujet qu'elle est sans objet. Ce qui va donner lieu à
de nombreuses contestations au sein du territoire national. Pour finir, la
conférence nationale souveraine sera substituée par la
conférence tripartite.
56 Il s'agit des citoyens lambda avec qui nous avons
eu un entretien pour savoir quelles étaient leurs opinions du BIR et de
la GP, du rapport entre l'armée et le pouvoir politique.
PREMIERE PARTIE
L'AFFIRMATION DE LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE
COMME CENTRE PRETORIEN DE PUISSANCE : EVOLUTION DU SYSTEME
MILITARO- SECURITAIRE ETATIQUE APRES AVRIL 1984
INTRODUCTION PARTIELLE
Il est légitime d'affirmer que la centralité de
l'institution présidentielle et du président de la
république dans le système étatique ne commence pas au
Cameroun avec le régime de Paul BIYA. Dans son livre «
Introduction à la politique camerounaise », Abel EYINGA le
montre bien en soulignant la prégnance du président de la
République et la centralité de l'institution
présidentielle dans la vie politique camerounaise sous le régime
AHIDJO.57 De même, il est tout aussi légitime de dire
que l'autocratie comme mode de gouvernement et la violence politique ne
commencent pas au Cameroun sous le second régime. FOCHIVE Jean dans
« ses révélations » souligne à suffisance
comment la violence, la répression et l'autoritarisme font partie des
legs d'AHIDJO à son successeur.58
De fait, la succession présidentielle du 6 novembre
1982, s'accompagne de la transmission des modes de gouvernement, des arts de
faire la politique, jusqu'au lexique politique. On assiste véritablement
à une succession au sens juridique d'héritage du patrimoine
coercitif et présidentialiste du de cujus politique (AHIDJO).
Or la rémanence politique du de cujus entraîne une crise de
succession présidentielle, caractérisée par un
exécutif bicéphale, qui se dénouera avec les
évènements de la nuit du 06 au 07 avril 1984.
Il y a véritablement eu décentrage
présidentiel dans le système étatique camerounais entre
1982 et 1984 : l'UNC d'une part, la présidence de la République
d'autre part. La maîtrise par l'actuel chef de l'État des
ressources et attributs liés à sa fonction lui ont permis de
triompher d'Ahmadou AHIDJO. Le coup d'État manqué d'avril 1984
n'est venu que confirmer une rupture qui était déjà
consommée.
Après le 6 avril 1984, commence l'ère du
recentrage présidentiel. Ce recentrage est marqué par la
stabilité de l'hégémonie
bureaucratico-présidentielle et par le repositionnement du
président de la République comme figure transcendantale du
système étatique. Le plus important ici n'est pas seulement de
savoir s'il y a repositionnement, mais par quels moyens et quelles ressources
ce repositionnement s'opère. Dans un contexte
d'illégitimité populaire, ce repositionnement se
caractérise essentiellement par la présidentialisation de la
politique de défense et de sécurité nationale, laquelle
politique de défense et de sécurité est travaillée
par l'obsession de la sécurité présidentielle et le
marquage coercitif de la contestation. A cet effet, le renouveau national
s'apparente à un renouveau de la politique de défense et de
sécurité.
57 EYINGA Abel, Introduction à la politique
camerounaise, Paris, L'Harmattan, 1984.
58 EBOUA Samuel, D'Ahidjo à Biya : le
changement au Cameroun, Paris, L'Harmattan, 1996.
CHAPITRE I
DECENTRAGE ET RECENTRAGE PRESIDENTIELS DANS
LE SYSTEME ETATIQUE CAMEROUNAIS
« Le président de la République du
Cameroun, bien que jouissant d'une importante marge de manoeuvre, est pris
dans un réseau d'interdépendances».59
Luc SINDJOUN
L'hégémonie présidentielle a
été contestée au Cameroun entre 1982 et 1984; ce qui ne
devait être qu'une transition néopatrimoniale est devenu une
transition chaotique. Avant 1982, la prédominance présidentielle
dans le système politique n'avait pas été
contestée. Or le retrait du président Ahmadou AHIDJO, puis son
désir de maintenir le nouveau président sous sa tutelle,
entraîne la crise de succession entre l'ex-président de la
République et le nouveau. Cette crise se manifeste par la structure
bicéphale du pouvoir, avec d'un côté, le président
du parti-État UNC; de l'autre le président de la
République, vice-président de l'UNC. La tentative de coup
d'État d'avril 1984 constitue une conjoncture critique qui a
entraîné une transition chaotique. Cette crise, qui a mis à
épreuve la fonction présidentielle, a paradoxalement
été le moment privilégié où elle a
démontré sa supériorité. Finalement, l'institution
présidentielle s'en sort avec une influence plus notable dans le champ
étatique et politique. En réalité, s'il est vrai que la
domination présidentielle dans le système étatique est
inhérente au système de domination politique; s'il est vrai qu'il
faut penser l'hégémonie présidentielle en termes de «
formation dirigeante », d'«alliance entre les dominants » et de
« noblesse d'État »; l'étude du système actuel
ne peut faire l'impasse sur l'anthropomorphisme étatique et la
personnification du pouvoir.
En vérité, l'évocation des concepts
« formation dirigeante », « réseau
d'interdépendance », « président qui n'a pas les mains
libres » participe d'une stratégie de déresponsabilisation
présidentielle et de perpétuation du pouvoir. Les
mécanismes de discrédit des collaborateurs, des opposants et des
concurrents éventuels permettent de s'affirmer aux yeux de la nation
comme le moins coupable : le moindre mal.
59 SINDJOUN Luc, op. cit., 1996, p. 2.
SECTION I LA TRANSITION CHAOTIQUE DE 1982 A
1984 OU LE DECENTRAGE PRESIDENTIEL
La transition de 1982 à 1984 a été
déstabilisatrice pour le pouvoir présidentiel. Elle l'a surtout
été parce que l'adversaire du président de la
république n'était ni un rebelle, ni un maquisard. Au contraire,
c'était le «père de la nation», celui à qui Paul
BIYA doit toute sa carrière politique, jusqu'à son adoubement
comme président de la République. Comment était-il
possible d'expliquer à la nation que celui qui jusqu'alors fut le
bâtisseur infatigable était devenu un subversif. Cette situation a
été rendue particulièrement difficile parce que le
président AHIDJO restait le président de l'Union Nationale
Camerounaise, le parti-État, au sein duquel le président Paul
BIYA n'était que le deuxième vice-président. La
déstabilisation présidentielle se caractérise en premier
lieu par la structure du pouvoir bicéphale. La tentative de coup
d'État de 1984 est le deuxième moment de la
déstabilisation présidentielle.
I- La structure du pouvoir bicéphale
Le bicéphalisme se caractérise au Cameroun par
la présence de deux présidents : le président de la
République et le président de l'UNC. Il constitue un moment
privilégié du décentrage dans la mesure où il donne
lieu à une mise en concurrence du président de la
République et du président de l'UNC pour le contrôle des
ressources de l'État. Cet épisode concurrentiel s'achève
par la rupture entre les deux présidents le 22 août 1983.
I. A- La concurrence pour le contrôle des ressources
de l'État
Le 4 novembre 1982, tout juste revenu de sa visite
médicale en France, le président AHIDJO reçoit en audience
Paul BIYA (Premier ministre) à 9 heures du matin, puis le reste du
gouvernement et ses proches collaborateurs à 10 heures. Ils les
informent que son état de santé ne lui permet pas de continuer,
et que ses médecins lui ont conseillé un repos total d'un an. Il
leur annonce par la suite qu'il démissionne à la faveur du
premier ministre Paul BIYA. Sa démission avait semble-t-il pris de court
ses proches collaborateurs, qui se demandaient pourquoi quitter le pouvoir
à un moment où il était au zénith de sa domination
politique60. D'après les Mémoires de Samuel
EBOUA, les collaborateurs du chef de l'État aurait tenté de
l'en dissuader et l'aurait même supplié. Toujours est-il que la
soirée du 4 novembre, AHIDJO annonce sa démission à 20
heures à la nation, présente son successeur Paul BIYA en
affirmant que celui-ci mérite la confiance de tous les camerounais.
60 Il faut se rappeler qu'il y a juste deux ans, il
célébrait le vingtième anniversaire de son accession au
pouvoir.
Deux jours après l'annonce par le président
AHIDJO de sa démission, Paul BIYA prête serment le 06 novembre
à 10 heures à l'Assemblée nationale. Son message s'inscrit
dans l'hommage et la continuité de la politique du président
AHIDJO. On peut retenir :
En cette circonstance solennelle et émouvante,
l'heure est à l'hommage. En effet, à mon illustre
prédécesseur, mieux, à celui dont j'ai eu l'insigne
honneur d'être pendant des années le collaborateur, je dois un
grand et vibrant hommage emprunt de déférence et d'admiration.
Digne et prestigieux fils de ce pays, père de la nation camerounaise,
artisan de son unité et de son développement, le président
Ahidjo se sera révélé à nos yeux comme un
géant de l'histoire camerounaise, de l'histoire africaine et de
l'histoire tout court. (...) J'entends situer l'action des années
à venir sous le double signe de l'engagement et de la
fidélité. L'engagement d'ordre constitutionnel, la
fidélité d'ordre politique à un homme, S.E. Ahmadou
Ahidjo, à un peuple, le peuple camerounais.61
Ces paroles traduisent qu'il n'y avait pas de cacophonie en ce
moment entre la vision de l'État du nouveau président et celle
d'AHIDJO. Les termes « continuité » et «
fidélité » reviennent à plusieurs reprises dans le
discours du nouveau président. En étudiant ce discours, on y
retrouve le lexique politique du président sortant. Les termes tels que
« ordre », « sécurité », « paix »
et « unité » reviennent abondamment dans le vocabulaire
politique du nouveau président. L'exégèse des premiers
discours permet de constater qu'au départ, le président entrant
s'inscrit véritablement dans la continuité et la
fidélité à l'ancien régime. Il n'hésite
d'ailleurs pas à rendre hommage aux premières lignes de chacun de
ses discours à son «illustre prédécesseur».
Toutefois, soutenir que le nouveau président n'était pas mu d'une
mauvaise intention à l'endroit de son prédécesseur au
moment où il prend fonction, ne signifie pas que celui-ci ne travaillait
pas depuis à affiner sa posture de dauphin idéal.
La succession comme mode d'alternance au sommet de
l'État au Cameroun paraît « normale », si l'on
considère qu'il s'agit d'un système de gouvernement
autoreproducteur et perpétuel. Dans le cadre d'un système de
domination néopatrimonial, ce qui préoccupe le plus la classe
dirigeante, c'est la stabilité du système de domination.
L'éventualité d'une transition successorale était
très créditée par Jean-François BAYART et KONTCHOU
KOUOMEGNI. Cette éventualité était d'autant plus
créditée qu'elle était au coeur des alliances politiques
au sein de l'UNC. A cet effet, Samuel EBOUA affirme que depuis la
réforme constitutionnelle
61 Prestation de serment à l'assemblée
nationale le 06 novembre 1982, in Le message du renouveau national.
Discours et interviews du président Paul BIYA, An I,
éditions SOPECAM, 1984, p. 11.
de 1975, la succession présidentielle était
devenue un enjeu par rapport auquel s'opposaient ou s'alliaient les
élites dirigeantes. C'est dans ce sens que Luc SINDJOUN mentionne que
:
La succession présidentielle du 6 novembre 1982,
perçue comme un évènement a été soudaine;
par contre, entendue comme un mode de reproduction des élites
dirigeantes, comme une structure d'action politique, elle était
prévisible parce qu'inscrite dans l'horizon politique des attentes
politico-constitutionnelles. La succession présidentielle peut
être interprétée, comme relevant de la dynamique du
marché gouvernant dont la structuration avait envisagé
l'éventualité de la démission du président de la
République.62
En revanche, là où plusieurs analystes se sont
trompés, c'est sur l'identité du potentiel successeur. Pour la
plupart, et précisément pour BAYART, c'est Samuel EBOUA qui
succèderait. Les noms de NDAM NJOYA et AYISSI MVODO étaient aussi
avancés. Mais avec le recul, on se rend bien compte que c'est le premier
ministre de l'époque Paul BIYA qui avait usé de la meilleure
stratégie de positionnement. Tandis que ses rivaux dans le marché
gouvernant avaient développé une posture de futur
présidentiable; c'est la « stratégie du chat qui fait
semblant de ne pas s'intéresser à la souris » qu'a su mettre
en oeuvre le président Paul BIYA. Faignant de ne pas s'intéresser
au pouvoir, Paul BIYA, qui aux dires de MONGO BETI, est d'une
médiocrité à pleurer, a gravi, de sa sortie à l'IEP
de Paris à la primature, les échelons de la haute administration.
Pour le système et pour le président AHIDJO, Paul BIYA
présentait le meilleur profil : médiocre, d'une tribu peu
nombreuse, obéissant et donc contrôlable. De surcroît, ce
dernier doit toute sa carrière à AHIDJO. Il était le
candidat idéal qui puisse permettre au système de se
perpétuer tout en laissant au président AHIDJO une marge de
manoeuvre.
Bref, Paul BIYA succède à Ahmadou AHIDJO. La
courte idylle qui avait suivi la prestation de serment du nouveau
président ne dure pas six semaines. Commence alors une concurrence entre
le président Paul BIYA et le président AHIDJO. L'accession de
Paul BIYA à la magistrature suprême, dans une large mesure,
portait les germes d'un conflit politique. La concurrence qui se déroule
est avant tout une concurrence entre positions dans le champ politique
post-successoral.
62 SINDJOUN Luc, Op. cit., 1996, p. 6.
I.B- Du bicéphalisme à la rupture
Le bicéphalisme va de la période du 06 novembre
au 22 août 1983. A ce moment, survient la confrontation brutale, puis la
rupture. Cette rupture va être consommée avec la tentative de coup
d'état le 06 avril 1984.
Après la prestation de serment de Paul BIYA, AHIDJO
s'envole le même soir pour un séjour en France. Le 10
décembre, il rentre de son séjour, accueilli à
l'aéroport de Yaoundé par le président de la
République. Jusqu'à ce moment, les deux hommes n'ont pas encore
eu de différend notable. Le 11 décembre 1982, au cours de la
réunion du bureau politique de l'UNC, AHIDJO accorde une
délégation générale des pouvoirs à Paul
BIYA, qui devient par décision N° 8/PN/UNC/82 vice-président
du parti unique. La position de président de la République,
vice-président de l'UNC, loin d'être importante semble participer
d'une stratégie de «tutellisation» de Paul BIYA par Ahmadou
AHIDJO. C'est dans ce sens qu'il faut apprécier ces paroles d'AHIDJO
lors de sa communication de ce jour : « M. le président de la
République, vice-président du comité central,
chargé de diriger ou de veiller à la bonne tenue de ces assises
à pu le faire d'heureuse manière et m'en a rendu compte.
L'exercice de ce pouvoir d'appréciation emporte production des relations
verticales ».63
La manifestation la plus spectaculaire d'Ahmadou AHIDJO sur la
scène politique se traduit par l'exclusion de Moussa YAYA du parti
unique le 10 janvier 1983 et le lancement d'une tournée provinciale
à partir de Bafoussam du 23 au 29 janvier 1983. Quel qu'ait
été l'objet de cette tournée, au compte du nouveau
président, ou pour déstabiliser le nouveau président,
toujours est-il que l'inflation de l'image et de la parole; bref de
l'ex-président n'arrange pas le nouveau. L'économie de la mise en
scène simultanée des deux présidents ne pouvait qu'aller
dans le sens de la confrontation. Cette confrontation se manifeste en premier
lieu au niveau protocolaire. Le protocole, entendu comme mise en forme de
l'ordre politique, comme symbolisation de la distinction hiérarchique
est le premier lieu de la guerre froide. En janvier 1983, au cours d'une
réunion du parti UNC, AHIDJO avait bénéficié des
faveurs de la préséance face à Paul BIYA. En revanche, en
mars 1983, lors de la cérémonie publique de remise du prix Dag
HAMMARSKJOLD, le président Paul BIYA obtient la préséance
sur l'ancien. Le 31 janvier 1983, il affirme au Cameroon tribune :
« L'UNC définit les grandes orientations que le gouvernement doit
mettre en oeuvre ».64 Le vedettariat du parti unique, traduit
par la fréquence des réunions du comité central et
l'ouverture officielle de la campagne
63 SINDJOUN Luc, op. cit, 1996, p. 26.
64 Cameroon tribune, Interview de BIYA Paul,
31 janvier 1983.
électorale le 14 mai 1983 par Ahmadou AHIDJO et non par
le chef de l'État, met en péril la place du président
BIYA.
Cette concurrence tourne à la confrontation brutale et
à la rupture avec l'annonce le 22 août 1983 d'un complot contre la
sécurité de la République. Bien que le nom d'AHIDJO ne
soit pas mentionné, c'est clairement lui qui est visé. Certains
situent la rupture à partir du décret n° 83/276 du 18 juin
portant remaniement ministériel. Pris souverainement par le
président Paul BIYA, contrairement aux deux autres décrets, il
marque la volonté présidentielle de contrôle des
dispositifs de patronage politico-bureaucratique. Ce décret permet au
président de déstructurer les réseaux de soutien à
AHIDJO, notamment en évinçant Samuel EBOUA, Sadou DAOUDOU, AYISSI
MVODO, MAÏKANO Abdoulaye, HAMADOU Moustapha, BELLO BOUBA et Guillaume
BWELE. L'arme du décret permet au président Paul BIYA de
préparer les réseaux de l'instrumentalisation de l'armée,
notamment en nommant le 23 juin 1983 trois nouveaux généraux,
NGANSO SUNDJI, OUMAROUDJAM YAYA et TATAW James. C'est dans ce contexte de
rayonnement du décret qu'Ahmadou AHIDJO quitte le Cameroun le 19 juillet
de la même année pour ne plus y revenir.
Le 22 août 1983 le président de la
République annonce à la radio la découverte d'un complot
contre la sécurité de l'État. L'annonce d'un complot
contre la sécurité de la République dans lequel sont
impliqués Ahmadou AHIDJO, son intendant Ibrahim OUMAROU, et son aide de
camp SALATOU Adamou constitue un parricide symbolique et ouvre la voie à
la légitimation judiciaire du discrédit de l'ancien
président. Le procès qui s'ouvre le 23 février 1984
s'achève le 28 février par la condamnation à mort pour
avoir : « incité à la haine contre le gouvernement de la
République, participé à une entreprise de subversion en
propageant des rumeurs malveillantes sur le remaniement ministériel du
18 juin 1983 et enfin conspirer en vue d'assassiner le chef de l'État et
de renverser les autorités de la République
».65
En plus, Ahmadou AHIDJO est condamné à cinq ans
de détention et à une amende de vingt millions de FCFA. En ce
moment, AHIDJO qui a démissionné de la tête de l'UNC le 27
août 1983 est politiquement mort. La rupture qui a lieu entre les deux
présidents va être définitive et officialisée avec
la tentative de coup d'état du 06 avril 1984.
65 Procès verbaux des accusés du 06
avril 1984.
II- La tentative de déstabilisation du 06 avril
1984
L'étude de la tentative de déstabilisation
présidentielle dans la nuit du 6 au 7 avril par les
éléments de la garde républicaine soulève deux
préoccupations jusqu'à ce jour non entièrement
élucidées : quels ont été les instigateurs ?
Comment se sont déroulés les faits ?
II.A- La détermination des
responsabilités
Qui ou quels sont les responsables du coup d'état
manqué d'avril 1984 ? On peut répondre à cette question de
trois façons. Soit l'on adopte la version officielle, qui consiste
à dire que la tentative de putsch ne fut que le fait d'une
minorité de l'armée assoiffée de pouvoir. Soit l'on
considère qu'Ahmadou AHIDJO aurait été l'instigateur du
coup d'état manqué. Soit encore l'on situe la tentative dans le
sillage de la construction de l'hégémonie
présidentielle.
La première approche, celle officielle, est la moins
crédible. Elle tente de détribaliser le coup d'état, alors
même que la mutinerie serait survenue d'un texte signé du chef de
l'État le 4 avril qui mutait le gros des effectifs de la Garde
Républicaine, originaires du Nord, vers la gendarmerie. Indubitablement,
ceux qui ont perpétré le coup d'état étaient en
majorité ressortissants de la province du Nord. Mais, le pouvoir tente
de détribaliser le putsch afin d'éviter de perdre le
contrôle du pays. L'unité nationale et la détribalisation
des putschistes sont évoquées afin d'éviter de
cristalliser le débat identitaire. De fait, depuis le début du
bras de fer entre les deux présidents, la base ethno-régionale du
pouvoir de l'actuel président avait été affirmée.
Le texte signé le 04 avril s'inscrit dans le processus
déjà enclenché de « bétïsation » et
de déboulonnement des hauts cadres Nordistes de l'administration.
L'évocation de l'unité nationale ici ne sert que de
prétexte à la construction hégémonique du charisme
présidentiel. A cet effet, quatre jours après la tentative, le
président affirme ceci :
L'histoire retiendra que les formations ayant
participé au rétablissement de la situation comprenaient des
camerounais de toutes origines, sans distinction de leur appartenance ethnique,
régionale ou religieuse. La responsabilité du coup d'état
manqué est celle d'une minorité d'ambitieux assoiffés de
pouvoir et non celle de telle ou telle province ou de camerounais de telle ou
telle religion. 66
S'agissant de la deuxième approche de la tentative de
putsch, elle est la plus communément partagée par les
camerounais. Pourtant, elle non plus ne rassemble un faisceau
66 BIYA Paul, « Message à la nation
», 10 avril 1984.
d'indices suffisamment pertinent pour présumer de sa
vraisemblance. Ceux qui défendent cette version avancent deux
idées : d'une part, les acteurs de la tentative de putsch étaient
bien des militaires de la Garde Républicaine, ressortissants du Nord et
donc partisans du président Ahidjo; d'autre part, celui-ci n'avait plus
rien à perdre, vu que la rupture avait été
définitive depuis le 28 février avec sa condamnation à
cinq ans de détention et à une amende de 20 millions de FCFA pour
« Outrage au chef de l'État ». Pour eux, le coup d'état
manqué d'avril 1984 ne serait que le prolongement du complot contre la
sécurité de l'État fomenté en juin 1983. Il faut
dire que pour l'époque, il y avait de quoi persuader le citoyen lambda
de la véracité de cette version, tant AHIDJO n'y allait plus de
main molle dans ses interviews à l'encontre de son successeur. En effet,
le 05 mars 1984, après la condamnation à mort de son intendant
Ibrahim OUMAROU, son aide de camp SALATOU Adamou, et à sa propre
condamnation par contumace, l'ex président affirme lors d'une
conférence de presse donnée à Paris : « Trop, c'est
trop... A bon entendeur salut !».67 Le 06 avril 1984,
interrogé à Radio Monte-Carlo sur les évènements de
Yaoundé, sur le coup d'état qui a cours, il déclare :
« Je n'ai rien à voir avec ce qui se passe, on m'a trop
insulté et trop dénigré; qu'ils se débrouillent. Si
ce sont mes partisans, ils auront le dessus ».68
Cependant, Les révélations de Jean
FOCHIVE69 et l'analyse du déroulement du coup
d'état ne permettent pas d'accréditer qu'AHIDJO aurait pu
être le fomentateur du putsch. FOCHIVE affirme que l'un de ses agents
infiltré comme garde de corps du président AHIDJO en France avait
mis ce dernier sur écoute et surveillait tous ses faits et gestes
à l'étranger. Cet agent a assuré qu'Ahmadou AHIDJO avait
été lui-même surpris par les évènements du 06
avril. De surcroît, la nuit du 05 avril, l'un des acteurs de la tentative
ayant pris peur avait vidé son sac chez le Colonel Claude MEKA,
Directeur de la Sécurité Présidentielle. FOCHIVE souligne
à juste titre que la rapidité et la cohérence de la
riposte des forces armées loyalistes laissent subodorer que certains
d'entre eux étaient informés à l'avance du putsch. Il
affirme également que huit jours avant la tentative, il avait
envoyé un courrier à la présidence pour les informer de
l'imminence d'un coup d'état. Pour lui, le fait que l'enquête lui
ait été retirée par la présidence, alors que ses
services étaient proches de la vérité témoigne de
ce que le président de la République ait voulu protéger
certains militaires.
67 AHIDJO Ahmadou, « conférence de presse
donnée à Paris », 06 mars 1984.
68 Ibid., Interview à Radio
Monte-Carlo, 06 avril 1984.
69 FENKAM, Frédéric, op. cit.,
2003.
En fait, ce qui est à l'oeuvre dans cette tentative,
c'est la « fabrication autoritaire du nouveau président-pontife
».70 La déification du faisant-fonction actuel passe par
la réification de l'ancien faisant-fonction. Autant il serait naïf
de croire au fameux complot contre la sécurité de l'État
de juin 1983; autant, il serait encore plus ingénu de croire que le
président AHIDJO a suscité le coup d'état manqué
d'avril 1984. De toute évidence, la betïsation du pouvoir
et la reconstruction violente de l'hégémonie
présidentielle sont des hypothèses qui donnent le mieux sens
à la tentative de déstabilisation
présidentielle.71 En réalité, la tentative de
coup d'état est salvatrice pour Paul BIYA, en ce sens qu'elle lui a
permis de s'affirmer comme président à part entière, comme
maître d'oeuvre du partage des dépouilles. La tentative de coup
d'état vu comme une betïsation du pouvoir ou un
procédé d'expurgation des « nostalgiques »72
du système ancien est très plausible. Non seulement le texte
signé le 04 avril visait à écarté de la
sécurité présidentielle les ressortissants du Nord, mais
en plus, manifestement, certaines autorités militaires, notamment de la
sécurité présidentielle étaient au courant à
l'avance. Il est donc possible qu'il y ait eu instrumentation de la tentative
de coup d'état pour consolider la base ethno-régionale du pouvoir
présidentiel. Ceci ne peut être mieux compris qu'en
étudiant dans les faits le déroulement de la tentative de coup
d'état.
II.B- La tentative de coup d'état : entre conjoncture
critique et mobilisation politico-militaire
Le coup d'état commence le vendredi 06 avril 1984
à 3 heures du matin. Il est exécuté par les
éléments de la Garde Républicaine (GR). Les fers de lance
du putsch sont : le Colonel SALE Ibrahim (Commandant de la GR), le Capitaine
ABALELE (Commandant de l'escadron blindé de la GR), le Capitaine AWAL
ABASSI (Commandant du groupe d'artillerie de la GR), le Capitaine ABALI et le
Commissaire Amadou SADOU.
A 3 heures, seize véhiculent blindés de la GR
entreprennent de prendre d'assaut le palais de l'unité et de destituer
le président Paul BIYA. Celui-ci se réfugie avec sa femme au
Bunker. Il a avec lui l'aide de camp et sept éléments de la DSP
commandés par le colonel Ivo DESANCIO YENWO. Pendant ce temps, le
directeur de la DSP, le Colonel Claude MEKA appelle à 3h50 le chef
d'état-major de l'armée, le Général de brigade
Pierre SEMENGUE pour lui faire part de la situation. Pierre SEMENGUE qui vient
d'être prévenu de la tentative de coup d'état,
reçoit la nouvelle de sa femme que deux blindés de la GR tentent
de pénétrer au sein de sa concession. Simultanément, un
détachement des mutins conquérait le quartier
général, l'école nationale de police, l'aéroport de
Yaoundé, puis la radio nationale.
70 SINDJOUN, Op. cit., 1996.
71 Ibidem.
72 Ibidem.
De 3 heures à 5heures, les mutins ont pris le
contrôle des sites stratégiques de la défense. Ils ont
cerné le chef d'état major des armées ; ils ont pu
pénétrer au sein du palais mais progressent difficilement suite
à la résistance âpre des éléments de la DSP
au niveau de la seconde barrière. A ce moment, le rapport de force sur
le terrain leur ait très favorable. A 13h, les mutins annoncent le
communiqué suivant :
Camerounaises, Camerounais, l`armée nationale vient
de libérer le peuple camerounais de la bande à Biya, de leur
tyrannie et de leur escroquerie et de leur rapine incalculable et
inqualifiable. Oui, l'armée a décidé de mettre fin
à la politique criminelle de cet individu contre l'unité
nationale de notre cher et beau pays. En fait, le Cameroun vient de vivre au
cours de ces quinze derniers mois qu'a duré le régime BIYA les
heures les plus noires de son histoire.73
L'armée camerounaise comptait environ 12 000 hommes en
avril 1984, dont 1 100 de la GR. Parmi les 1 100, presque 900 sont des
ressortissants du Nord et fidèles au Colonel SALE, le chef de fil de la
mutinerie. La GR disposait des équipements de combat suivants :
Pare-balles, fusils-mitrailleurs, grenades, lance-roquettes, véhicules
blindés, batteries sol-air et sol-sol. Durant les 3 premières
heures du coup d'état, elle a pu obtenir les armes et les munitions
entreposées au Quartier Général (QG), et contrôlait
l'accès aux dépôts d'armes et de munitions; ce qui privait
les forces loyalistes d'une riposte. L'armée régulière
quant à elle comptait 10 900 hommes, y compris la gendarmerie, dont 2
000 basés à Yaoundé, principalement au QG. Le QG occupe
une place essentielle dans le dispositif de défense camerounais,
puisqu'il a pour mission la défense de la capitale. Il regroupe les
meilleurs éléments de l'armée régulière et
dispose des meilleurs équipements. De ce fait, la prise du QG par les
mutins constituait une victoire stratégique importante. C'est dire
qu'avec un rapport de 1 100 contre 2 000, les mutins avaient effectué le
gros du travail : ils tenaient leur coup d'état. D'où la question
: comment expliquer leur échec, alors que ceux-ci contrôlaient la
quasitotalité des espaces stratégiques de défense de la
capitale ?
L'argument de la mauvaise formation soulevé par le
Général SEMENGUE ne nous semble pas pertinent pour expliquer les
causes de l'échec de la mutinerie. En effet, les unités de la GR
étaient recrutées parmi les meilleurs éléments de
la gendarmerie, et subissaient en plus un entraînement spécial. Or
les gendarmes suivent le même entraînement que les militaires. Par
conséquent, affirmer que l'échec des mutins est dû à
leur mauvaise formation,
73 ATEBA EYENE Charles, op. cit., 2002, p.
121.
c'est affirmer que l'armée camerounaise est mal
formée, puisque les soldats de la GR étaient choisis parmi les
meilleurs de l'armée. Il nous paraît donc que l'échec des
mutins est dû à l'impréparation et à la
précipitation de leur projet. En effet, les Procès verbaux du
tribunal militaire soulignent que les mutins avaient prévu effectuer
leur tentative au mois de juin 1984. Mais, constatant le 4 avril, que le chef
de l'État avait pris un décret qui les affectait à la
gendarmerie; laquelle affectation rendait désormais leur projet
impossible, ils ont dû anticiper la date du coup d'état.
D'où un certain dilettantisme qui a permis aux forces loyalistes
d'organiser la riposte.
Pour revenir au déroulement des faits, de 3h50 à
5h30 les mutins ont tenté en vain de mettre la main sur le chef
d'état-major Pierre SEMENGUE. Au cours de cette opération, ils
commettent trois erreurs. D'abord, ils oublient de couper le câble du
téléphone. Or, c'est grâce au téléphone que
Pierre SEMENGUE a pu de sa maison contacter le colonel MPAY à Douala, le
Colonel BENAE MPECKE à KRIBI, le Colonel WANGALI, le Colonel MAMBOU
DEFFO, le Colonel SAMOBO, puis KOUTABA, MBALMAYO et l'état-major pour
leur prescrire de conduire leurs troupes vers Yaoundé. Ensuite, les
mutins auraient dû organiser un commando pour tenter de capturer
SEMENGUE, cela aurait été plus facile et rapide que la tentative
de le déloger par des tirs depuis les véhicules blindés.
Celui-ci a pu les intimider grâce à un pistolet-militaire et
quatre grenades offensives/défensives. Au cours de cet échange,
SEMENGUE reçoit deux balles au bras droit; il parviendra à
s'échapper de son domicile à 6 heures. La troisième erreur
que commettent les mutins, c'est lors de la diffusion de leur message à
la nation. Ils ne prennent pas la peine de s'assurer que le message est
diffusé sur l'étendue du territoire nationale. Or, ce message n'a
été audible qu'à la station radio du Centre-sud.
A partir de 13 heures, la riposte va être
organisée par les forces loyalistes. L'étatmajor de crise est
supervisé par le ministre des forces armées ANDZE TSOUNGUI et le
chef d'état major des armées Pierre SEMENGUE. Peu à peu,
les points stratégiques tenus par les mutins vont être repris. A
15 heures, la radio nationale est reprise et commence à diffuser les
musiques consacrées au président: « Paul BIYA, nous te
disons, nous militants de l'UNC, tu es l'homme de la dynamique nouvelle, tu es
l'homme de la concorde et l'homme de la justice. Jamais, jamais, tu ne
failliras ».74 A 16 heures, l'École nationale de police
est reprise et permet aux forces loyalistes d'avoir accès aux armes et
aux munitions. A 19 heures, les
74 Source : Archives nationales du Cameroun et
SOPECAM.
parachutistes de Koutaba atterrissent à Nkolbisson ; et
à 21 heures ils reprennent l'aéroport grâce notamment aux
tirs Air-sol des avions foucades. Concomitamment, une bataille féroce se
déroule au QG qui est repris. Puis c'est le palais de l'unité. La
reconquête du palais était particulièrement laborieuse. Le
07 avril au matin, entre 08 et 09 heures, les hélicoptères
gazelles prenaient à partie les blindés de la GR à
l'intérieur et à l'extérieur du palais
présidentiel. Cette opération était combinée avec
une attaque terrestre du détachement du colonel BENAE MPECKE qui devait
s'emparer du palais de l'unité et délivrer le président de
la République. A 10 heures, le général Pierre SEMENGUE se
rend à la présidence pour remettre son arme au chef de
l'État et l'informer que la mutinerie a été matée.
Selon la version officielle, le putsch a fait 70 morts dont 10 loyalistes, 60
mutins. Il y a eu également 1300 prisonniers et une cinquantaine de
blessés. Pour la BBC, il y aurait 2000 tués. Radio France
Internationale parle de 500 personnes décédées et l'UPC de
6000 morts.
Suite à cette tentative de déstabilisation, le
système étatique camerounais va connaitre un recentrage autour de
la présidence de la République. Ce recentrage situe la
présidence de la République comme « centre de forces »
du système étatique.
SECTION II LA DYNAMIQUE DU RECENTRAGE ET LA
CONSECRATION DU ROLE PRESIDENTIEL
Après la crise de succession présidentielle
(1982-1984), l'exercice du pouvoir au Cameroun a connu un recentrage,
marqué par la prééminence du rôle
présidentiel. Le repositionnement présidentiel dans le
système étatique s'est effectué par le biais du collectif
bureaucratico-présidentiel. Ce collectif a lui-même
été instrumenté par le président de la
République; ce qui lui a permis de parfaire sa stature d'être au
dessus de la mêlée.
I- L'hégémonie du collectif
bureaucratico-présidentiel dans le système
étatique
Le collectif bureaucratico-présidentiel constitue la
catégorie sociale dominante dans le système étatique et
politique du Cameroun. Ce collectif constitue le patrimoine
hégémonique transmis au chef de l'État actuel. Ce
collectif est constamment composé et recomposé. La magie du
décret permet au président de la République d'ajuster le
collectif en fonction des inputs adressés au système. 1993, 1997
et février 2008 constituent des dates expérimentables de ce
procédé.
I.A- Architecture du collectif
bureaucratico-présidentiel
Le collectif bureaucratico-présidentiel ici, c'est la
cour, le principat. C'est tous ceux qui ont intérêt à voir
le règne présidentiel se pérenniser, tous ceux qui ont
intérêt à avoir un regard bienveillant à
l'égard du président de la République. Le collectif est la
catégorie sociale dominante. Il est constitué de la formation
dirigeante et des « boss »75 du système.
Le concept de collectif bureaucratico-présidentiel
permet de penser l'exercice du pouvoir au Cameroun en termes de formation
dirigeante, c'est-à-dire d'agents hégémoniques en
interdépendance76. La bureaucratie, entendue comme
catégorie sociale hégémonique monopolisant les marques
« État'' et «présidence'', est un ordre
stratifié qui se distingue du prolétariat et du
tiers-État. Le collectif bureaucratico-présidentiel est avant
tout une noblesse d'État, avec ses rites et ses
distinctions.77 Envisager dans ce sens, le pouvoir au Cameroun se
présente comme une dignité à la quelle on accède
par la grâce présidentielle. Dans son livre « Cameroun : qui
gouverne ? » Pierre Flambeau NGAYAP dresse le portrait de la formation
dirigeante camerounaise. Celle-ci est composée de l'équipe
gouvernementale, des autorités déconcentrées
nommées par le chef de l'État, des officiers
généraux des forces armées et de la police, des
autorités décentralisées, des membres de
l'assemblée nationale. La plupart des agents hégémoniques,
présentés par Pierre Flambeau NGAYAP sont fabriqués par le
décret présidentiel. Le décret présidentiel est la
clef de l'ascension sociale.
L'équipe gouvernementale incarne la noblesse
d'État. Les rites et liturgies politiques sont les moments d'ataraxie et
de catharsis. Dans l'orthodoxie gouvernante camerounaise, les anciens ministres
font toujours partie de l'équipe gouvernementale, puisque l'on
accède à la noblesse une fois pour toute. La seule disgrâce
n'intervient que lorsqu'un membre de la cour se met à convoiter la place
du prince.78 Les récits de Samuel EBOUA, Jean FOCHIVE et
plusieurs anciens ministres font état de ce que même après
avoir quitté le gouvernement, ceux-ci recevaient
régulièrement des «enveloppes du chef de
l'État''.79 L'image des anciens ministres qui se refusent
à quitter la capitale, traduit que le gouvernement au Cameroun est
perpétuel. Chaque ancien ministre sait qu'un jour ou l'autre il
retrouvera un strapontin
75 Appellation des personnalités importantes
au Cameroun. Nom d'origine américaine pour désigner les grands
patrons. Le boss system a été utilisé dans la science
politique américaine pour décrire l'alliance entre les milieux
d'affaires et la politique.
76 ELIAS Norbert, Op. cit., 1974, pp.
142-154.
77 BOURDIEU Pierre, « La représentation
politique. Éléments pour une théorie du champ politique
», Actes de la recherche en sciences sociales, n° 36 /37,
1981, pp. 3-24.
78 Opération Épervier, affaire Titus
EDZOA, Opération Antilope, etc.
79 FENKAM Frédéric, Op. cit.,
2003.
ministériel; c'est justement pour cela qu'ils
reçoivent des enveloppes, parce qu'ils n'ont pas cessé de faire
partie du collectif et du gouvernement.
La noblesse d'État est une noblesse de tyrannie et du
pouvoir illimité. Paradoxalement, cette noblesse véhicule un
certain «idéal'' auprès des « sans importance
»80: l'idéal de pouvoir être un jour un
«Gomna''.81 C'est justement pour cela que c'est une noblesse,
puisqu'elle se présente aux yeux des cadets sociaux comme le
parachèvement de toute oeuvre humaine. La noblesse du pouvoir qui se
conjugue à la bourgeoisie accroît la séduction des
prolétaires. Ici, le prolétariat ne souhaite pas toujours la mort
du système. Quelque fois, il cherche tout simplement à devenir le
dominant du système ; tant les figures et rites de la domination
véhiculent une catharsis auprès des «rien
-rien''.82 Les faits-évènements de 1993 renvoient
à un conflit de cohabitation verticale entre professionnels et acteurs
politique en voie de professionnalisation; entre dominants en quête de
pérennité et dominés en quête de domination au sujet
de la représentation politique. Dans le même sens, la revanche des
cadets sociaux en février 2008 exprime la frustration du
tiers-État.
Par ailleurs, au-delà des figures officielles du
collectif bureaucratico-présidentiel. Celui-ci est en outre
composé des «boss'' du système. Ce n'est qu'en n'incluant la
catégorie des «boss'' qu'on peut rendre compte de l'exercice du
pouvoir au Cameroun. Quelle place accorder, par exemple, à la
première dame, à la belle mère du chef de l'État ou
à tel neveu du président qui ferait trembler un ministre ? La
catégorie du « boss » permet de dépasser la formation
dirigeante et restitue en partie la dimension personnelle du pouvoir
présidentiel camerounais. Finalement, le positionnement au sein du
marché gouvernant dépend certes de son rang officiel, mais aussi
et surtout de la proximité personnelle que l'on a avec le prince.
Par-delà l'officiel, le caché, l'occulte et l'invisible du
pouvoir sont à prendre en compte. Le collectif
bureaucratico-présidentiel ne s'entend plus à ce moment comme
l'ensemble des agents visibles du pouvoir, mais intègre aussi les «
agents invisibles ».83
80 BAYART Jean-François, Op. cit.,
1985.
81 Idem.
82 Propos d'un enquêté, 18 mai 2011.
83 Les agents invisibles sont les acteurs de l'ombre, les
multiples conseillés qui ont une influence notable sur les choix
présidentiels.
Figure1 : Ossature du collectif
bureaucratico-présidentiel au Cameroun
AMITIES PRESIDENTIE LLES
PARENTE PRESIDENTIE LLE
BOSS SYSTEM
PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
DU CAMEROUN
FORMATION DIRIGEANTE
PARLEMENT
GOUVERNE MENT
HOMMES DE L'OMBRE
HOMMES D'AFFAIRE
FORCES ARMEES DU CAMEROUN
COUR SUPREME
RDPC
Source : Hans De Marie HEUNGOUP
NGANGTCHO
ILLUSTRATION DE LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE C
OMME CENTRE DE FORCE DU SYSTEME ETATIQUE CAMER OUNAIS
FORCES ARMEES DU CAMEROUN
PRESIDENCE DE
LA REPUBLIQUE DU CAMEROUN
B OSS SYSTEM
FORMATION DIRIGEANTE
Source : Hans De Marie HEUNGOUP
NGANGTCHO
I.B- L'instrumentation du collectif
bureaucratico-présidentiel au profit du président de la
République
Le collectif bureaucratico-présidentiel a pour but la
reproduction du système de domination politique. Il n'est pas
forcément attaché à la personne de Paul BIYA. Le Collectif
n'est donc attaché au prince, qu'en vertu de son statut et non de son
indivis. Toutefois, il serait naïf de croire que le collectif tient le
prince en l'état actuel des choses. En effet, face aux résultats
de la gouvernance au Cameroun, le sacrifice du collectif permet au prince de
s'affirmer comme le moindre mal. De même, l'instrumentation des couleurs
ethno-régionales et de la bipolarité Nord-Sud permet au prince de
se présenter à la nation comme le garant de l'unité
nationale.
La disqualification symbolique du collectif, entendu comme le
discrédit de la formation dirigeante, de l'opposition et de la
société civile, sert les intérêts du prince. Dans un
contexte où le camerounais moyen est persuadé que tous ceux qui
veulent accéder au principat feront la même chose que le prince,
celui-ci peut s'affirmer comme le moindre mal. En fait, l'image d'une classe
politique, économique et sociale totalement corrompue permet au prince
de jeter le discrédit sur ses concurrents et successeurs potentiels. Le
cas de l'opposition camerounaise est patent. Un discrédit entoure
d'emblée toute personne qui voudrait créer un parti politique,
accusée de chercher du « gombo ».84 Cela n'est pas
totalement faux, mais cela n'est pas totalement vrai non plus. En
vérité, l'image de la société camerounaise
pénétrée par la corruption est salutaire au
président de la République, qui peut ainsi apparaître comme
celui qui fait le mieux. Combien de fois n'a-t-on pas entendu des camerounais
dire : « le problème, ce n'est pas le président de la
République, mais ce sont les collaborateurs qui exécutent mal ses
instructions ».85 Combien de fois n'a-t-on pas entendu dire que
: « le président a les mains liés; qu'il n'est pas le
responsable ».86 L'autoinfantilisation et
l'auto-déresponsabilisation du président lui permettent de
déprésidentialiser les critiques de sa gestion du pouvoir. A
contrario, l'infantilisation qui est faite de l'opposition contribue à
la disqualification symbolique et morale de celle-ci.
Au Cameroun, le mécontentement social est permanent,
mais personne n'est crédible pour le capitaliser. La logique du «on
va faire comment ?» est symptomatologique de la résignation
sociale. L'étiologie de l'inertie au Cameroun permet de prendre la
mesure du degré de conscience que les camerounais ont du maillage
reproductif du système. La
84 Il s'agit de la corruption en « Camfranglais
», un langage parlé par les jeunes dans les milieux non
officiels.
85 Propos d'enquêtés, 22 mai 2011.
86 Propos d'enquêtés, 22 mai 2011.
suppression du statut de premier ministre-dauphin et la
disqualification qui a court des successeurs présidentiels potentiels
amoindrit la probabilité d'une transition à la 06 novembre. Face
à cette « conjoncture critique », l'hypothèse d'une
transition post-mortem du président de la République
constitue une « fenêtre d'opportunité » prise au
sérieux par les formations politiques. Au sein même du RDPC, les
acteurs en compétition au sein du marché gouvernant tentent
d'améliorer leurs « chances de puissance » post-BIYA. Dans ce
«bruit», le président Paul BIYA se place comme celui qui
combat l'inertie, le tribalisme et la gabegie. La figure de l'homme au dessus
du vice est construite et entretenue. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre
la protestation forte de la formation dirigeante lorsque le président a
été accusé de corruption par le Comité Catholique
contre la Faim et pour le Développement (CCFD-Terre solidaire). De
même, l'offrande en holocauste d'anciens membres de l'équipe
gouvernementale ne lui permet pas seulement d'anéantir le « bruit
successoral », mais aussi de faire des « cadeaux » au peuple.
Par ailleurs, le président échappe au contrôle du collectif
par le biais de l'ethno-régionalisation du jeu politique.
L'ethno-régionalisation déplace la compétition
hégémonique au niveau régional. En effet, les
échelles périphériques sont des « lieux vides de
pouvoir ».87 Le lieu du pouvoir central étant
partiellement hors-jeu, le jeu politique se déroule véritablement
au sein des périphéries. La périphérie est
attrayante parce qu'elle représente un espace fluide.88
Cependant, cette fluidité est contrôlée, dans la mesure
où le décret présidentiel dope les chances de puissance
périphérique.
Bref, si l'on peut envisager l'exercice du pouvoir au Cameroun
dans une perspective polyarchique; si le concept, de collectif
bureaucratico-présidentiel permet de rendre compte du schéma
gouvernant; il reste essentiel de considérer la dimension
personnifiée de l'exercice du pouvoir au Cameroun sous le second
régime.
II- La personnification du pouvoir, marqueur du
recentrage présidentiel
Peut-on penser le Cameroun sans Paul BIYA ? Cette question
pourrait résumer les débats sur la personnification du pouvoir au
Cameroun. La personnification constitue une ressource importante du recentrage
présidentiel. L'adoration présidentielle est un marqueur de la
personnification. La personnification se traduit aussi par le «
statomorphisme » et le « cannibalisme d'État ».
87 LEFORT Claude, L'invention
démocratique, Paris, Fayard, 1981.
88 La périphérie est
réalité le seul espace politique où les acteurs peuvent se
mouvoir à « égalité ». Mais même à
ce niveau, le pouvoir contribue encore à fabriquer les élites
périphériques.
II.A- La présidentolatrie dans le système
BIYA
La Présidentolatrie ou adoration de la personne du
président constitue à ce jour un trait spécifique de la
politique camerounaise. Le Cameroun sous le premier régime était
déjà un régime personnel et personnifié. Sous le
second régime, cette personnification s'est accrue et s'accroit à
mesure que la domination du président se fait totale. Il convient de
distinguer adoration présidentielle d'une part; et mystique du pouvoir
d'autre part.
Au Cameroun sous le second régime l'adoration
présidentielle se fait de manière douce. Ce qui est à
l'oeuvre, c'est le renforcement du charisme présidentiel. La
présence des effigies du président de la République dans
les locaux de l'assemblée nationale, dans les bureaux des entreprises
privées, et chose curieuse, dans les domiciles privés participe
de la production de l'omniprésence présidentielle. Le message
véhiculé est celui du président qui voit tout. La photo du
président qui est présentée est celle où il est
jeune (49 ans); c'est la construction de la dimension atemporelle du pouvoir
BIYA. Notons que les caractéristiques d'omniprésence,
d'omnipotence, d'atemporalité, conférées au
président de la République sont celles attribuées dans les
religions aux dieux. L'adoration, les louanges et les liturgies sont des
propriétés divines. La religion présidentielle a son
clergé, ses rites et croyances, ses sacrements et sa doctrine.
L'ordination ministérielle constitue un moment clé du
prosélytisme politique. L'évangile du «merci
présidentiel» est le commencement et la fin de tout discours
officiel. Cette adoration et cette religiosité font du président
un mi-homme mi-dieu. Comprendre le refrain « Paul BIYA ! Paul BIYA ! Notre
Président. Père de la nation, Paul BIYA toujours vainqueur
»89 permet de comprendre l'exercice du pouvoir au Cameroun.
La personnification peut également se lire sous le
prisme de la mystique politique. La mystique politique camerounaise s'inscrit
dans le cadre d'une structure pyramidale et monopolistique du pouvoir. Le
concept « zoo-politique »90 permet de replacer la figure
du lion dans l'univers mystique du politique africain. Le lion est le roi de la
forêt. D'ailleurs le lion camerounais se veut indomptable. La «
politique totémique »91 était parfaitement
observable lors des élections présidentielles de 1992. Au cours
de la campagne, les militants du RDPC marchaient avec l'image de Paul BIYA
à laquelle était ajoutée l'image du lion. Le
89 Chanson entonnée lors des
défilés et des manifestations politiques par les adhérents
du RDPC. A la conférence d'Africa 21, tenue en mai 2010 au Cameroun,
l'une des championnes politiques du RDPC, connu sous le nom de Françoise
FONNING a entonné cette chanson. Cette chanson est également
enseignée aux enfants dès leur plus jeune âge. Nous
mêmes en tant que camerounais avons été socialisé
à cette chanson, dès l'âge de six ans.
90 KIFON Émile, La politique
totémique, Yaoundé, inédit, 2011.
91 Ibidem.
totem lion traduit la puissance du candidat BIYA. Le slogan
qui accompagnait la campagne du président en 1992 était «
l'homme lion, l'homme courage ». A cet effet, Paul BIYA affirmait dans une
lettre ouverte au peuple camerounais, « il faut avoir the lion's fighting
spirit »92. L'homme-lion, l'homme-léopard sont des
représentations totémiques du pouvoir.
Par ailleurs, la personnification, voire la déification
du pouvoir présidentiel s'accompagne, d'un repositionnement au sein des
ordres ésotériques. La construction du pouvoir transcendantal du
président se nourrit également de la mystique traditionnelle. En
1997, lorsque l'ancien secrétaire général à la
présidence, Titus EDZOA, décide de briguer la magistrature
suprême, il est aussitôt évincé du champ politique.
Ce qui est le plus important, c'est que Titus EDZOA, était
l'aîné de Paul BIYA au sein de l'Ancien et Mystique Ordre de la
Rose-Croix. Or, le pouvoir présidentiel au Cameroun «exprime la
nécessité» d'être absolu. Il ne pouvait donc
être possible qu'un concurrent présidentiel soit supérieur
au président dans les ordres ésotériques. Pour ce faire,
le président va sortir de la Rose-croix où il occupait un
échelon inférieur pour être intronisé comme grand
maître dans la Franc-maçonnerie; ce qui lui permet de s'affirmer
comme maître du visible et de l'invisible. Dans le même sens,
après les élections de 1992, le président de la
République va faire le tour du Cameroun. Un élément
pertinent de cette tournée est que le président se fait
introniser à chaque fois au rang de grand maître dans chacune des
chefferies ethno-régionales. Il ne faut pas juste y voir la
promiscuité du pouvoir traditionnel au pouvoir légal-rationnel au
Cameroun. Car, ces sacres traduisent aussi une légitimation du
président de la République comme grand maître du monde
invisible.
II.B- « Statomorphisme » et « statophagie
» dans le système Biya
Le « statomorphisme », anthropomorphisme
étatique, ou la tendance à identifier le président de la
République à l'État ou l'État au président
de la République; et la statophagie ou cannibalisme d'État sont
inhérents à la personnification du pouvoir au Cameroun.
Que l'on soit en système démocratique ou non
démocratique, le chef de l'État reste le représentant de
l'État. En système démocratique, le président est
délégué par le peuple pour agir en son nom et pour son
compte; mais il n'est ni le peuple, ni l'État. L'exercice tyrannique ou
despotique du pouvoir ne relève pas automatiquement du statomorphisme;
mais d'une dérive excessive de l'exercice du pouvoir. La
démocratie implique la non occurrence du statomorphisme; mais la non
occurrence de la démocratie n'implique pas forcément le
statomorphisme.
92 BIYA Paul, « Lettre ouverte au peuple
camerounais », Cameroun Tribune, le 5 Novembre 2009.
Au Cameroun, la paternité de la nation et de
l'État qui est conférée au président de la
République frise le statomorphisme. Il y a une co-naturalité du
président Paul BIYA à l'État du Cameroun; une
consubstantialité du père (le président) au fils (la
nation). L'eucharistie politique camerounaise est réalisée au
cours de la transsubstantiation des espèces du « président
» et de l' « État ».93 Le dogme de la
transsubstantiation constitue le mystère le plus essentiel de la
métaphysique politique camerounaise. L'absorption de l'État, le
rabotage des institutions étatiques et de la loi fondamentale sont
symptomatiques du statomorphisme. Dans un cas, c'est l'État prend la
forme du président de la République; dans l'autre, c'est le
président qui prend la forme de l'État.
Dans le premier cas le statomorphisme est bottum-up;
cela se joue au niveau de l'imaginaire collectif camerounais. La
longévité au pouvoir du président y a contribué
pour beaucoup; étant donné que 70% des camerounais ayant moins de
30 ans n'ont connu qu'un seul président. A côté de la
longévité, la domination absolue du président sur le
système politique accroît le statomorphisme dans les
représentations populaires. Dans le second cas, le statomorphisme est
top-dawn. L'hyper centralité du président et
l'hypertrophie du pouvoir présidentiel entraînent l'absorption de
l'État. C'est à ce niveau que s'exprime la dissymétrie
entre le président et l'État au Cameroun. Le président
n'est pas comptable devant la nation, ni pour se faire élire, ni dans la
gestion du pouvoir. Il n'est pas non plus comptable devant les institutions de
l'État. A cet effet, le Sénat, le Conseil constitutionnel, la
Haute Cour de Justice, la Cour de sureté de l'État et l'article
66 de la constitution ne sont pas encore mis en place. Ce vide institutionnel
garantit la non-comptabilité du président de la
République. De même, l'adaptation régulière de la
constitution de manière favorable à la réélection
du président donne à lire la dissymétrie entre le
président et la constitution. Le monopole des « chances puissance
» et le monopole des « chances de développement »
contribuent à l'héroïsation de la personne
présidentielle. C'est dans ce sens qu'un enquêté nous
affirmait : « Si vous voulez une route bitumée dans votre village,
faites une marche en faveur du candidat naturel. Si vous voulez un ministre
dans votre tribu, apportez des motions de soutien ».94 Cette
héroïsation de la personne du président relève de la
science fiction : c'est le président-Prométhée. Le
président maitrisant les chances de développement, il peut les
accorder aux régions qui sont lui favorables.
93 La transsubstantiation est le dogme cardinal de
la catholicité. Jésus Christ est supposé dans cette
religion être le Dieu qui se transforme en espèce du pain et du
vain. Il en est de même avec la transsubstantiation dans le
système politique camerounais. On peut d'ailleurs faire le
parallèle avec la catholicité affichée du président
de la République, qui en 30 ans de règne fait venir 3 papes au
Cameroun.
94 Entretien avec un chauffeur de taxi, au cours du
trajet MOKOLO-NKOLBISSON, 10 avril 2011.
En vérité, l'absoluité
présidentielle ne serait pas possible sans le cannibalisme
d'État. Pour dominer, le hard power ne suffit pas. Il faut ajouter
à cela un soft power. Il faut que les positions de pouvoir que le prince
propose soient attrayantes. Pourquoi les camerounais se battraient-ils pour un
strapontin ministériel, si cela n'était accompagné d'une
possibilité d'enrichissement et de pouvoir absolu. Le principe est que
ceux qui sont dans la Cour doivent être enviés, d'où une
certaine noblesse d'État. Pour ce faire, l'embourgeoisement constitue un
appât irrésistible dans un contexte de pauvreté. A ce
moment, la manducation des ressources de l'État et même de
l'État est une composante nécessaire pour la reproduction du
système. Il faut que l'État soit mangé pour que le
collectif bureaucratico-présidentiel puisse avoir un train de vie
attrayant.
Ce chapitre a abordé la centralité du
président de la République dans le système étatique
camerounais. Il en ressort que le rôle présidentiel a connu un
décentrage partiel pendant la période post-transitoire
(1982-1984). Ce décentrage a été principalement
marqué par la cohabitation entre le président de la
République Paul BIYA et le président de l'UNC Ahmadou AHIDJO.
Cette cohabitation a débouché sur une guerre ouverte dès
le 22 août 1983, avec la mise en accusation de l'ex président pour
atteinte à la sécurité de l'État. Cette guerre
s'achève par la condamnation par contumace de l'ancien président
en février 1984 et la tentative de coup d'état d'avril 1984. Bien
que cet épisode ait déstabilisé le président de la
République, elle lui permet paradoxalement d'asseoir son
hégémonie et son charisme : c'est le début du recentrage
présidentiel.
Ce recentrage apparaît sous un double prisme :
l'hégémonie du collectif bureaucraticoprésidentiel dans le
système étatique et la personnification du pouvoir. Le premier
prisme permet d'envisager l'exercice du pouvoir au Cameroun en termes de
formation dirigeante et non d'individu. Elle permet de dépasser la
lecture présidentialiste et personnifiée de l'exercice du pouvoir
au Cameroun. Elle a rendu compte des chaines de dépendance dans
lesquelles s'inscrit le pouvoir du président. Dans le même temps,
elle reste muette à rendre compte du poids actuel de la personne du
président dans le système politique. C'est pourquoi l'approche
par la personnification rend compte de l'état réel de la
domination présidentielle dans le système étatique.
CHAPITRE II LA POLITIQUE PRETORIENNE DE DEFENSE ET
DE SECURITE DU CAMEROUN
« La politique de défense du Cameroun est
essentiellement conduite par le président de la République, chef
de l'État, chef suprême des forces armées
».95
Commandant Emmanuel ELA ELA
L'étude sociohistorique de la construction de
l'État au Cameroun nous apprend la connexité entre l'armée
et le pouvoir politique. L'État au Cameroun est né dans un
contexte de « tensions sécuritaires »; ce qui a permis
l'alliance de l'armée au pouvoir politique. Cette alliance est
hégémonique. Le politique qui fabrique l'armée s'appuie en
retour sur elle pour se reproduire. En accordant des bénéfices
symboliques à l'armée, le pouvoir garantit sa survie. Cette
alliance est à ce jour le coeur de la stabilité
hégémonique du système étatique post 06 avril 1984.
Le noyau de l'alliance est le président de la République, chef de
l'État et chef suprême des armées.
Il faut partir de cette idée pour étudier la
politique de défense et de sécurité du Cameroun. Tenir
cette assertion pour fil conducteur de l'analyse, annoncé ici en termes
d'élaboration d'une sociologie politique des forces armées du
Cameroun, amène à porter l'attention conjointement sur la
configuration officielle de la PDSC et sur le rôle présidentiel
dans la fabrication de la défense et la sécurité. Il est
question d'étudier ici la technologie institutionnelle et juridique de
l'organisation militaire, d'une part; le concept stratégique et l'emploi
des forces, d'autre part (Section I). Il s'agit ensuite de voir comment le
président exerce au concret son hégémonie sur les forces
armées; ce qui donne lieu à la «prétorisation»
des forces de défense et à la présidentialisation de la
PDSN (Section II).
95 Commandant ELA ELA Emmanuel, Op. cit.,
2001, p. 15.
SECTION I LA CONFIGURATION OFFICIELLE DE LA
POLITIQUE DE DEFENSE ET DE LA SECURITE NATIONALE
On entend par configuration de la PDSN, l'organisation
juridique et matérielle des forces de défense du Cameroun; les
concepts sur lesquels elles s'appuient et l'usage de ces forces. L'étude
de la configuration de la PDSN consiste à interroger l'adéquation
entre le concept stratégique et l'emploi des forces.
I- La configuration des forces de défense du
Cameroun
L'armée camerounaise a été
créée par l'ordonnance n° 59-57 du 11 novembre 1959 portant
création de l'armée camerounaise et organisation
générale de la défense. Les forces de défense
camerounaises sont constituées des forces régulières et
des forces spéciales. Ces derniers constituent une innovation majeure de
la PDSC.
I.A- Les forces armées régulières : la
suprématie logistique et numérique de l'armée de
terre
D'après le décret n° 2001/178 du 25 Juillet
2001 portant organisation générale de la Défense et des
États-Majors Centraux, les Forces de Défense ont pour mission :
« d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les
formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du
territoire; de pourvoir au respect des alliances, traités et accords
internationaux ».96 Les forces de défense camerounaises
se composent des formations d'active et de réserve. Les forces de
défense camerounaises sont placées sous l'autorité du
ministre délégué à la présidence,
chargé de la défense. Elles comprennent :
> les Forces de la Gendarmerie Nationale ; > les Forces de
l'Armée de Terre ;
> les Forces de l'Armée de l'Air ;
> les Forces de la Marine Nationale.
L'organisation des forces de l'armée de terre est
régie par le décret n° 2001-183 du 25 juillet 2001 portant
réorganisation des formations de combat de l'Armée de Terre.
D'après ce texte, « les formations de combat de l'armée de
Terre sont des unités professionnelles qui
96 Décret n° 2001/178 du 25 Juillet 2001 portant
organisation générale de la Défense et des
États-Majors Centraux
participent avec les autres Forces de Défense à
la défense des intérêts vitaux de la Nation
».97 Les formations de l'armée de terre sont
réparties au sein des trois régions militaires interarmées
du Cameroun (RMI). Elles comprennent : les formations de combat,
d'intervention, de soutien et d'appui, qui sont réparties dans les
unités suivantes : la Brigade du Quartier Général; la
Brigade d'Intervention Rapide; des Brigades d'Infanterie Motorisée; des
Bataillons d'Infanterie Motorisée; des Bataillons de Soutien; des
Bataillons d'Appui; des Bataillons d'Intervention Rapide; un Régiment de
Génie; un Régiment d'Artillerie Sol-Air; un Régiment
d'Artillerie Sol-Sol; les Forces de Réserve Spéciale.
L'armée de terre occupe au Cameroun la part la plus
importante du budget de la défense. Elle est la plus
équipée. Elle dispose d'un budget 80 milliards de FCFA, soit 40%
du budget de la défense du Cameroun. Ses effectifs sont en constante
augmentation. De 1990 à 2010, ses effectifs sont passés de 10 000
à 18 000 soit une augmentation de 80%; soit également 1/2 des
effectifs globaux des forces de défense camerounaises. S'agissant des
équipements, elle dispose d'hélicoptères, avions foucades,
Alpha Jets et Mig-21, environ 150 véhicules blindés, 250
véhicules légers.98 Cette suprématie de
l'armée de terre a une triple causalité. Dans un premier temps,
les menaces qui pèsent directement sur les frontières
camerounaises interpellent prioritairement l'armée de Terre; la
deuxième cause, c'est le coup élevé des équipements
au sein des autres forces armées, (Air, et Marine); enfin,
l'armée de terre au Cameroun est surtout une « force
prétorienne ».99 Le contexte sociopolitique camerounais
associe directement les formations de l'armée de terre au maintien de
l'ordre, sous-entendu, le maintien de l'ordre politique. En effet, lors des
manifestations de 1992, de 1993, de 1997, de février 2008, ce sont les
formations de l'armée de terre qui sont venues à la rescousse du
pouvoir d'Étoudi.
S'agissant de la Gendarmerie Nationale, elle fait l'objet du
décret n° 2001/181 du 25 Juillet 2001 portant organisation de la
Gendarmerie Nationale. Les Forces de la Gendarmerie Nationale sont une
composante des forces de défense. Leur action s'exerce sur toute
l'étendue du territoire national et plus particulièrement dans
les zones rurales et sur les voies de communication. Placée sous
l'autorité du Secrétaire d'État à la Défense
(SED), la gendarmerie nationale comprend : les Services Centraux, les
Commandements Territoriaux et
97 Décret n° 2001-183 du 25 juillet 2001
portant réorganisation des formations de combat de l'Armée de
Terre
98 Source, entretien avec le responsable de la
communication du MINDEF.
99 L'armée de terre fut la première
à être créée au Cameroun. Elle a dès 1959
été essentiellement associée à mater le mouvement
Upéciste et les contestations de 1990, 1993, 2001 et 2008.
les Commandements et Formations spécialisés. La GN
effectue des missions générales et
particulières.100 Les missions générales sont
:
> L'exécution des missions au profit du Ministre de
l'Administration Territoriale et du Ministre de la Justice;
> L'exécution des missions de police administrative et
de police judiciaire;
> Elle se tient également à la disposition des
autres Chefs de départements ministériels dans le cadre des
missions qui lui sont dévolues.
Les missions particulières sont :
> La participation à la défense nationale;
> La participation au maintien de la sûreté
intérieure de l'État;
> Les missions de police militaire et de police judiciaire
militaire.
Les Forces de l'Armée de l'Air sont une composante des
Forces de Défense dont l'emploi requiert principalement l'utilisation de
l'espace aérien. Elles comprennent le personnel militaire en position
soit d'active, soit de disponibilité, soit de réserve.
D'après la loi n° 67/LF/9 du 12 juin 1967 portant organisation
générale de la défense, les formations composant
l'Armée de l'Air sont réparties entre :
> l'État-major de l'Armée de l'Air;
> les Forces aériennes; > les Bases
aériennes; > le Centre de ravitaillement technique.
Les Forces Aériennes comprennent :
> les éléments aériens ;
> les éléments terrestres composés de
fusiliers de l'air ;
> les éléments de soutien notamment : des Bases,
des Organismes spécialisés, des Écoles.
100 Décret n° 2001/181 du 25 Juillet 2001 portant
organisation de la Gendarmerie Nationale.
Les commandements de ces formations sont organiques et
opérationnels. Les Bases aériennes sont les lieux de
stationnement des unités et formations et/ou des moyens de support et de
soutien de l'Armée de l'Air répartis éventuellement en
unités. Chaque Base aérienne est placée sous
l'autorité d'un Commandant de Base aérienne, responsable de
l'emploi des ressources et de l'administration du personnel.101
Enfin, les Forces de la Marine Nationale sont une composante
des Forces de Défense dont l'emploi requiert principalement
l'utilisation des milieux marin et maritime. La Marine Nationale se compose :
de forces de surface et de forces de fusiliers marins. Les formations de la
Marine Nationale sont réparties entre :
> l'État-major de la Marine ;
> les Commandements Militaires Territoriaux de la Marine ;
> les Forces de la Marine ;
> les Bases Navales.
Les Forces de la Marine comprennent :
> des éléments navals, notamment des
bâtiments et embarcations ; > des éléments terrestres
composés de fusiliers marins commandos ;
> des éléments de soutien, notamment des Bases,
des Organismes spécialisés, des Écoles;
> des éléments aériens.
Les Bases Navales sont les lieux de stationnement des forces
de la Marine et des moyens de soutien répartis éventuellement en
unités. Chaque Base Navale est placée sous l'autorité d'un
Commandant de Base Navale, responsable de l'emploi des ressources et de
l'administration du personnel.102
L'étude de l'organisation des forces de défense
régulières au Cameroun (active et de réserve) permet de
constater la suprématie numérique et logistique de l'armée
de terre. Par exemple, chacune des composantes des Forces armées (Terre,
Mer, Air) est placée sous le
101 Décret N° 2002/037 du 04 Février 2002
portant création et organisation des forces de l'armée de
l'air.
102 Décret N°2002/036 du 04 Février 2002,
portant création et organisation des Forces de la Marine Nationale.
commandement d'un État-major. Ces États-majors,
plus le SED sont placés sous le commandement du chef d'État-major
de l'armée camerounaise; lequel est sous l'autorité du Ministre
chargé de la défense. Historiquement, le Chef d'État Major
des Armées a toujours été au Cameroun un
général de l'armée de Terre. Et les officiers
généraux les plus emblématiques de l'armée
camerounaise (SEMENGUE, BENAE, MPAY) proviennent de l'armée de Terre.
Ce qui est également à souligner, c'est l'effort
d'interopérabilité et d'interarmité qui est fait dans la
composition des trois régions militaires : Centre, sud et Est, avec pour
commandement territorial Yaoundé; Littoral, Ouest, Nord-ouest et
Sud-ouest, avec pour commandement territorial Douala; et Adamaoua,
extrême-nord et Nord, avec pour commandement territorial Garoua. Mais cet
effort reste très insuffisant, au regard du manque d'exercices
interarmées. Cette présentation aurait pu consacrer une part
importante au Centre de Renseignement militaire et à la Division de la
Sécurité Militaire. Si ces organes ont avant tout pour mission la
contre-ingérence et le contre-espionnage armé, ils constituent
néanmoins une source de disciplinarisation et de moralisation des forces
de défense camerounaises.
Selon la définition de l'OTAN, l'expression forces
spéciales (FS) désigne « les unités
spécifiquement formées, instruites et entraînées
pour mener un éventail de missions particulières, allant des
« opérations spéciales » dans le cadre d'un conflit
classique à celles relevant de la guerre non
conventionnelle».103 La création des forces
spéciales marque une évolution dans la politique de
défense du Cameroun, notamment de la doctrine d'emploi des forces. Cette
évolution correspond aux nouvelles menaces de défense et de
sécurité qui pèsent sur le Cameroun. Parallèlement,
elle s'inscrit dans un contexte d'inefficience et de
néopatrimonialisation des forces armées régulières.
Cette section va faire une analyse comparée des forces spéciales
camerounaises, à l'exclusion du BIR et de la GP.
Les composantes des forces spéciales camerounaises
proviennent essentiellement de l'armée de terre. Il s'agit : du
Bataillon Spécial Amphibie (BSA), du Bataillon des Troupes
Aéroportées de Koutaba (BTAP), du Groupement Polyvalent
d'Intervention de la Gendarmerie Nationale (GPIGN), du Bataillon Blindé
de Reconnaissance (BBR), auxquels on peut ajouter la Bataillon du Quartier
Général (BQG). A ces forces spéciales terrestres, on peut
ajouter les Fusiliers Marins Commandos (FMC), qui ressortent de la
compétence de l'armée de l'Air; et les Fusiliers de
l'Armée de l'Air (FAA), qui appartiennent à la Marine
Nationale.
103 HUSSON Jean-Pierre, Encyclopédie des forces
spéciales du monde, Histoire & Collections, Paris, 2000.
Depuis la chute du mur de Berlin, les États africains
dont le Cameroun sont confrontés à de nouvelles menaces sur leur
sécurité et leur défense. Ces menaces sont pour le
Cameroun : le conflit avec le Nigéria au sujet de la péninsule de
Bakassi, l'insécurité post-conflit à Bakassi, la
porosité des frontières limitrophes du Tchad, de la RCA et du
Gabon, la gestion sécuritaire des réfugiés. Au plan
interne, ces menaces sont liées au « grand banditisme »,
l'extension du phénomène de coupeurs de route. Ces menaces
surviennent dans un contexte d'inefficience de l'armée
régulière. La corruption fonctionnelle dans le recrutement et la
gestion des carrières préparait mal cette armée à
affronter les défis de la défense et de la sécurité
actuels. Ces nouvelles criminalités constituent également une
réponse sociale des populations à la gestion chaotique du
pouvoir. Face au développement à géométrie
variable, le grand banditisme et l'insécurité se
présentent comme une fenêtre d'opportunité pour les couches
les plus défavorisées. L'extension des pôles de «
grand banditisme » correspond à la géographie de la
misère au Cameroun.104
Ces mutations de l'insécurité ont conduit
à une évolution de la politique de défense et de
sécurité du Cameroun, qui accorde dorénavant la place
principale aux forces spéciales. L'idée c'est de confier aux
forces spéciales la gestion de la défense et de la
sécurité du pays, face à l'inefficience des forces
régulières, qui sont avant tout sociales. Les forces
spéciales sus-évoquées sont organisées autour de la
Brigade du Quartier Général et de la Brigade d'intervention
Rapide, pour ce qui est de l'armée de terre.105
La Brigade de quartier général est une grande
unité chargée d'assurer la protection de la Capitale et le
soutien des organismes institutionnels. Aux ordres du commandant de la
Première région militaire interarmées, elle est
constituée de : un État-major; un Bataillon de Commandement et de
Soutien ; un Bataillon de Protection. L'exécution de ses missions est
soumise à l'accord préalable du Président de la
République.
La Brigade d'Intervention Rapide est une unité de
combat tactique placée aux ordres du Chef d'État-major des
armées. Elle est constituée des Formations suivantes : le
Bataillon Spécial Amphibie (BSA) le Bataillon Blindé de
Reconnaissance issu de la Réserve Générale (BBR); le
Bataillon des Troupes Aéroportées (BTAP). L'exécution de
ses missions est soumise à l'accord préalable du Président
de la République.
104 SAÏBOU ISSA, Les coupeurs de route. Histoire du
banditisme rural et transfrontalier dans le bassin du lac Tchad, Paris,
Karthala, 2010, p.p. 8-20.
105 Décret n° 2001-183 du 25 juillet 2001 portant
réorganisation des formations de combat de l'Armée de Terre.
S'agissant des FMC, ils sont placés sous
l'autorité du Chef d'État-major de la Marine nationale. Mais
l'exécution de leurs missions est soumise à l'approbation
préalable du président de la République. Il en est de
même des Fusiller de l'Armée de l'air, qui sont placés sous
l'autorité du chef d'État-major de l'Armée de l'ai, mais
dont l'exécution des missions est soumise préalablement au
président de la République.
Au total, les forces spéciales camerounaises
constituent une réponse du politique aux contraintes nouvelles qui
pèsent sur la défense et la sécurité du territoire.
Elles sont mieux entraînées et mieux équipées que
les armées régulières. Leur formation répond
à des objectifs précis et opérationnels. Toutefois, la
multiplication des forces spéciales ne constitue pas forcément
une aubaine pour la défense et la sécurité du
territoire.106 La relégation de l'armée
régulière au second plan et sa relative marginalisation au sein
des opérations de combat, entraîne la routinisation des forces
spéciales; ce qui déroge même au principe de forces
spéciales.
II- Le concept stratégique et l'emploi des forces
en débat
La problématique de cette section peut se
résumer de façon suivante : l'emploi des forces armées
camerounaises correspond-il au concept stratégique de défense ?
Par emploi des forces, il faut entendre non seulement la spécialisation
des forces armées camerounaises et leur extension hors du triangle
national, mais aussi et surtout l'utilisation des forces armées aux fins
de répression des populations.
II.A- Le concept de défense populaire
Le Cameroun va, dès son accession à
l'indépendance en 1960, opter pour la défense populaire comme
concept d'emploi des forces. Avant d'examiner les différentes
évolutions de ce concept depuis les indépendances,
interrogeons-nous un instant sur le pourquoi de ce concept au Cameroun.
Les raisons qui ont motivé le choix des
autorités camerounaises semblent multiples. D'abord, en tant que jeune
État qui accède à la souveraineté en pleine guerre
froide, au prix du sang et avec des moyens modestes, il apparaît
évident aux autorités que, pour faire face à la
rébellion, il faut impliquer l'ensemble de la nation qui, en formant un
bloc, peut constituer un bastion de résistance. C'est du moins, pour
cela que le président AHIDJO souligne à
106 Les résultats des forces spéciales ne sont pas
exceptionnellement plus éloquents que ceux des forces
régulières engagées dans les régions.
l'époque que la défense populaire peut
être d'un grand secours dissuasif. Si l'adversaire a la certitude de
trouver en face de lui une volonté sans faille et décidée
à ne pas céder, une défense populaire l'obligerait
à constater qu'aucun succès immédiat ne justifie de sa
part la réalisation de sa menace. Mais, au-delà de son
caractère défensif et dissuasif, le concept de défense
populaire, tout en faisant de l'armée une puissance relative et
d'avant-garde, chargée d'encadrer les masses populaires contre l'ennemi,
présente en outre un avantage économique que SADOU DAOUDA, alors
ministre des Forces armées met en exergue en ces termes :
En raison de ses faibles ressources, le Cameroun ne
disposera pas avant longtemps des forces capables d'être dissuasives par
leurs effectifs et leurs équipements. Ses forces
régulières ne pourront jamais, et ne devront jamais, d'ailleurs,
dépasser un seuil au-delà duquel leur poids sur les ressources du
pays constituerait une gêne ou un frein à son
développement. C'est pourquoi sa défense ne doit pas être
l'apanage des seuls militaires, mais l'affaire de tous. Elle doit être
populaire.107
Le président Paul BIYA reviendra également sur
ce concept pour souligner un autre élément; le lien entre
armée-nation : « la défense populaire est la symbiose entre
les forces armées et la nation (...) et représente la
résistance morale et civique de la nation »108.
En somme, la défense populaire a donc été
consacrée au Cameroun comme concept opératoire pour l'emploi des
forces pour quatre raisons : elle permet au jeune État de faire face
à la rébellion dans un contexte de guerre froide, elle a un effet
dissuasif sur les ennemis extérieurs, elle consacre le lien entre
armée et nation et permet, en évitant le tout militaire, de
réaliser des économies d'échelle pour les consacrer au
développement du pays. Mais au-delà de cette économie du
choix, quelles évolutions a connu ce concept dans le temps?
Une analyse chronologique de la politique de défense du
Cameroun, fondée sur les déclarations et les textes, laisse
observer une évolution en trois phases. Une première phase
couvrirait les années 50-60 au cours de laquelle émerge dans
l'urgence et sous le feu de l'action, le concept d'emploi des forces, sans
véritable élaboration doctrinale. Une seconde phase allant des
années 70 aux années 80 au cours de laquelle s'élabore la
politique camerounaise de défense dans sa globalité et sa
complexité.
Pour ce qui concerne la première phase, elle recouvre
deux textes fondateurs qui vont de l'ordonnance n° 59/57 du 11 novembre
1959 portant création des forces armées camerounaises et
organisation générale de la défense, dans ses articles 3,
5, 17, et 19 où on trouve déjà les termes de mobilisation
générale et de service national comme ancêtre lointain
107 SADOU DAOUDA, « Discours à l'assemblée
nationale », le 15 janvier 1971.
108 BIYA Paul, « Discours à l'occasion de la sortie
de la promotion « Vigilance » de l'EMIA », 30 juillet 1983.
du concept de défense populaire, à la loi
n° 67/LF/9 du 12 juin 1967 portant organisation générale de
la défense, puisqu'elle consacre dans ses articles 2, 5 et 12 le
caractère national et populaire de la défense de la patrie. Tout
au long de cette période, la priorité est à l'action. Le
travail de la conception est réduit à sa plus simple expression,
et ceci d'autant plus que pour l'essentiel, les forces armées
camerounaises s'adossent sur l'expertise française.
La seconde phase tout en se nourrissant de la loi de 1967
rappelée plus haut s'ouvre par le discours du président AHIDJO,
le 15 août 1970, devant les élèves officiers de la
promotion du 10ème anniversaire de l'indépendance.
C'est à cette occasion qu'il souligne que notre défense doit
être nationale, c'est-à-dire l'affaire du peuple tout entier. Il
ajoute qu'une nation défendue par le peuple est invincible. Il s'agit,
soutient-il, de créer pour l'envahisseur, un éventuel
guêpier, inévitable, inexorable, le mettant ici et là en
état d'infériorité et à exploiter par nos forces
armées, relativement critique par le nombre, mais de la meilleure
qualité pour l'attaque, mobiles, agressives et
déterminées.
II.B- Évolution de la politique de défense
et contradiction avec l'emploi des forces au Cameroun
L'évolution de la politique de défense au
Cameroun connaît sous le régime du président BIYA une
troisième phase qui va de 1990 à aujourd'hui. Elle se
caractérise par deux principales orientations qui, à bien
observer, semblent dépasser le cadre du concept de défense
populaire. D'un côté, se propage une forte internationalisation de
la politique camerounaise de défense, laquelle se manifeste par une
projection des forces de plus en plus régulière dans la
sous-région, en Afrique et dans le monde. Ce mouvement ayant pour
pendant, la signature de nombreux traités et pactes de non-agression,
entre États de la sous-région, voire du continent. De l'autre
côté, la publication des 21 décrets réorganisant
l'armée du 25 juillet 2001, confirme la tendance observée tout au
long des années 90, à savoir, l'émergence de nouveaux
territoires de commandement et la création de plus en plus
d'unités spécialisées. On peut dans ce sens citer les
décrets n° 92/156 du 17 juillet 1992 portant réorganisation
du commandement militaire territorial ; n° 93/212 du 4 août 1993,
portant nouvelles appellations des formations et unités des forces
armées ; n° 93/0940 du 4 septembre 1993, portant mise sur pied du
1er bataillon de fusiliers marins commandos et n° 99/015 du 1er
février 1999, portant création du Groupement polyvalent
d'intervention de la Gendarmerie nationale (GPIGN).109
A côté des contraintes opérationnelles qui
contredisent l'esprit de la défense populaire, l'autre versant, le plus
important, concerne l'effritement du lien armée-nation. En effet,
109 Ibidem.
l'histoire du Cameroun est parsemée des confrontations
brutales entre l'armée et la population. Qu'il s'agisse de son histoire
la plus récente avec les tirs à balles réelles contre les
populations en février 2008 ou celle de 2001 avec le « Commandement
opérationnel »110 à Douala ou encore l'histoire
de 1997. Dans chacun de ces cas, l'armée nationale est intervenue contre
les populations de façon disproportionnée, faisant de nombreuses
familles endeuillées.
Cette utilisation de l'armée dans le champ civil n'est
pas de nature à donner à l'armée camerounaise un visage
sympathique aux yeux de la population. De ce fait, le lien arméenation
qui constitue pourtant un volet névralgique de la défense
populaire s'en trouve effrité. L'inceste entre l'armée et le
pouvoir politique, hérité du pouvoir colonial, fait des forces
armées camerounaises un allié du pouvoir politique contre le
peuple. Cette alliance des dominants est à restituer dans un contexte
d'illégitimité populaire de l'exécutif gouvernant. Le
soutien des forces armées à un pouvoir que nombre de camerounais
jugent illégitime contribue à donner aux forces armées
camerounaises une image d'armée prétorienne, tout à
l'opposée de l'image d'armée républicaine, d'armée
de développement qu'elles affichent à chaque défilé
du 20 mai. Le casernement de l'armée camerounaise et son confinement aux
missions de défense du territoire constitue une solution à ce
problème. Dans le même sens, la fin du service national
obligatoire n'est qu'un exemple parmi tant d'autres de l'ineffectivité
des moments de brassage entre l'armée et la population. Ces moments de
brassage se résument aujourd'hui pour l'essentiel aux tournois sportifs
entre civils et militaires.
SECTION II LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DANS
LA POLITIQUE DE DEFENSE ET DE SECURITE DU CAMEROUN
Le président de la République est le chef de
l'État, chef des forces armées camerounaises et responsable de la
défense nationale. A ce titre, il définit la politique de
défense de la nation. Cependant, force est de constater qu'il y a un
réel décalage entre la configuration officielle de la politique
de défense et sa praxis. Ce décalage concerne la
prétorisation et la présidentialisation des forces armées
camerounaises (FAC). Cette section va aborder le statut du président de
la République et les ressources de l'hégémonie
présidentielle dans le champ de la défense et de la
sécurité au Cameroun.
110 OWONA NGUINI Mathias Éric, « Le commandement
opérationnel: solution durable à l'insécurité ou
régulation passagère ? », in Enjeux, n°3,
avril-juin 2000, pp. 12-16.
I- Le président de la République,
imperator et chef suprême des forces armées
camerounaises
Le président de la République du Cameroun est le
chef suprême des FAC. Comme nous l'avons souligné
précédemment, ce statut est inhérent à sa
qualité de chef de l'État, garant de l'indépendance, de
l'unité nationale et de l'intégrité physique du
territoire. A ce titre, il se charge de l'élaboration et de la conduite
de la politique de défense. Cependant, cette politique, axée sur
le concept de défense populaire, est travestie par les buts politiques
et la primauté accordée à la sécurité
présidentielle.
I.A- L'élaboration et la conduite de la politique de
défense
La politique de défense d'un État peut être
définie comme :
L'ensemble des grandes options et principes politiques,
stratégiques et militaires qu'il adopte en vue d'assurer sa
défense. La politique de défense précise le concept
stratégique, la doctrine d'emploi des forces, la nature des relations
internationales, notamment sa contribution à des alliances, accords
militaires; les missions des forces armées, les relations entre
l'armée et la nation.111
La politique de défense d'un État découle
de sa doctrine stratégique. Au Cameroun, cette doctrine s'articule
autour de trois axiomes fondamentaux: d'abord la neutralité, qui se
définit en termes de non ingérence dans les affaires
intérieures d'un autre État, de non recours à la force et
de pacifisme; ensuite le non-alignement, qui se conçoit en termes de
refus d'un protectorat quelconque; enfin la diversification des partenaires
stratégiques et la coopération privilégiée avec la
France (accords de défense) et Israël (sécurité
présidentielle et BIR).
La politique de défense du Cameroun est
élaborée par le Président de la République, d'une
part; les organes d'aide à la prise de décision et des organes
à l'échelon gouvernemental et régional, d'autre part. Dans
l'État-président, le président est la clef de voute du
système politique. A cet effet, le constituant du 18 janvier 1996 le
consacre dans l'article 8 alinéas 2 comme le chef suprême des
forces armées. L'article 8 alinéas 3 poursuit : «il veille
à la sécurité intérieure et extérieure de la
République ».112 L'article 9 alinéas 1 et 2 quant
à lui fixe les pouvoirs de crise ou les pouvoirs exceptionnels du
président de la République, notamment la déclaration de
l'État d'urgence ou de l'État d'exception. Il établit ses
prérogatives en cas de péril grave menaçant
l'intégrité du territoire, la vie, l'indépendance ou les
institutions de la République. Ce statut du président est
explicité par la loi du 12 juin 1967:
111 OTAN, Op. cit., 2000.
112 Constitution du 18 janvier 1996 de la République du
Cameroun.
Le président de la République définit
la politique de défense et pourvoie à sa mise en oeuvre... Il est
chef suprême de toutes les forces de défense, il assure la
direction supérieure de maintien de l'ordre et décide de la
préparation et de la conduite générale des
opérations militaires...Il anime et coordonne à l'échelon
national toutes les activités intéressant la
défense.113
Le président définit donc la politique de
défense qui est exécutée par le ministre de la
défense. Ce dernier est du reste ministre délégué
à la présidence, chargé de la défense. Il n'a donc
qu'une délégation d'exécution, ce qui signifie clairement
que le vrai patron de la défense camerounaise est le président de
la République. Le décret de 1959, portant création de
l'armée camerounaise et organisation générale de la
défense, stipulait en son temps que les grandes orientations en
matière de défense et de sécurité étaient
prises en conseil de ministre, présidé par le premier ministre,
chef du gouvernement. La loi du 12 juin 1967 quant à elle a
précisé que le président de la République,
responsable de la politique nationale de défense, est assisté :
« d'un Conseil Supérieur de la défense nationale, d'un
comité technique de défense nationale et dispose d'un
secrétariat permanent à la défense nationale... et d'un
comité de défense ».114 Ces deux textes
ancêtres de la défense nationale consacraient la compétence
de la production de la politique de défense au pouvoir civil. A titre
comparatif, c'est le pouvoir civil, sous le commandement du président de
la République, qui fabrique la politique de défense dans la
plupart des pays dont le Cameroun s'est inspiré pour ses textes. En
France, le président de la République définit la politique
de défense avec la Commission du livre blanc, qui est majoritairement
composée de civils. Aux États-Unis, c'est dans le cadre du
National Council of Security, un organe administratif comprenant le
vice-président, le secrétaire à la défense, le
secrétaire d'État, le conseiller à la
sécurité nationale, les comités départementaux que
le président OBAMA définit la politique de défense des
États-Unis, le Defence White Paper of US, distinct du
Quadriennal Defence Review élaboré par le
Département de la défense.
Cette tradition s'inscrit dans le cadre des pays
démocratiques où le pouvoir militaire est séparé et
soumis au pouvoir civil. Or en Afrique en général, on ne peut
dire qu'il y a une séparation étanche entre l'armée et le
pouvoir politique. Au contraire, les armées africaines sont au coeur de
la fabrication et de la production du pouvoir politique. Si dans certains pays
comme la Lybie ou la Mauritanie ou encore le Congo Brazzaville, cela
apparaît de façon évidente, étant donné que
les chefs d'État des ces pays sont des officiers arrivés au
pouvoir
113 Loi n° 67 /LF/9 du 12 juin 1967 portant organisation
générale de la défense.
114 Article 7 et 8 de la loi n° 67 /LF/9 du 12 juin 1967.
par putsch ; au Cameroun, l'immixtion de l'armée dans
le champ politique s'est effectuée de façon insidieuse depuis
l'épisode crisogénique de 1984. C'est la politique de
l'échange ; du don contre don. C'est dans ce sens qu'il faut
interpréter le « cadeau » fait aux forces armées par le
président BIYA en leur confiant l'élaboration de la politique de
défense.
Figure3 : Schéma simplifié des
acteurs intervenants dans l'élaboration de la politique de
défense
ETAT-MAJOR PARTICULIER
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
MINISTERE DE LA DEFENSE
CONSEIL NATIONAL DE SECURITE
SECRETARIAT D'ETAT A LA DEFENSE
DELEGATION GENERALE A LA SURETE
NATIONALE
Source : Hans De Marie HEUNGOUP NGANGTCHO
I.B- La préséance de la
sécurité présidentielle et le travestissement
préto-présidentiel de la politique de défense et de
sécurité nationale
Le travestissement s'exprime ici en termes de construction
hégémonique et de monopole présidentiel dans le champ de
la défense et de la sécurité. Il commence avec le
décret le décret n° 83/539 du 5 novembre 1983, qui
créé l'état-major particulier du président de la
République. Celui-ci a pour mission de « tenir le président
de la République au courant de toutes les affaires militaires. Toutes
ces prérogatives lui confèrent les pleins pouvoirs sur le plan de
la défense ».115 Ce décret nomme également
trois généraux : James TATAW, WANGALI, NGANSO SUNDJI.
L'opportunité de ce décret est à mettre en relation avec
la crise politique liée à la querelle de succession entre les
deux présidents. La crise politique permet le renforcement des
mécanismes présidentiels en matière de modalités de
défense. Ce travestissement a comme effet induit : la
prééminence de la sécurité du président.
L'obsession du coup d'état et l'obsession
sécuritaire du président de la République du Cameroun
constituent les leitmotive de la préséance de la
sécurité présidentielle. Cette préséance se
caractérise par la prévalence de la sécurité
présidentielle, le surinvestissement de la sécurité
présidentielle et la spectacularisation des dispositifs de protection du
président.
S'agissant de la prévalence accordée à la
sécurité du président de la République du Cameroun,
elle est incontestable. Cette incontestabilité est elle-même
liée à l'incontestabilité de la prééminence
présidentielle au sein de l'État-président. Comme nous le
faisait remarquer un enquêté, « depuis le coup d'état
manqué d'avril 1984, le président ne pense plus qu'à sa
sécurité »116. La prévalence est
marquée par la monopolisation des appareils de sécurité et
de défense aux fins de la sécurité du président. De
façon immédiate, la sécurité présidentielle
est assurée par la Direction de la Sécurité
Présidentielle et la Garde Présidentielle. Mais de facto, la
Sécurité Militaire (SEMIL), la Direction de la Recherche
Extérieure (DRE), le Secrétariat d'État à la
Défense, la DGSN contribuent à la sécurité du
président. Dans le collectif bureaucratico-présidentiel, le
président de la République est le coeur du système, et la
transition néopatrimoniale est la meilleure chance pour le
système de se perpétuer. De ce fait, un assassinat contre la
personne du président perturberait l'équilibre des forces et des
tensions. La sécurité présidentielle ne concerne pas que
le président, elle concerne également les membres de la famille
présidentielle et les édifices présidentiels. La
sécurité présidentielle se caractérise en outre
part son « ethnomorphisme ». Le Colonel AMOUGOU Emmanuel a
115 Article 3 du décret n° 83/539 du 5 novembre 1983
portant création d'un État-major particulier du président
de la République.
116 Entretien avec un officier de police le 18 mai 2011.
été nommé par décret n°
2011/055 du 11 mars 2011 Chef d'État-major Particulier du
Président de la République. Le Colonel ETOUNDI NSOE Raymond
Thomas a été nommé par décret n° 2011/057 du
11 mars 2011 Commandant de la Garde Présidentielle. Tous les deux sont
de l'ethnie présidentielle. Le nouveau commandant du BIR, le Ministre de
la défense et le chef d'État-major des armées sont de
l'ethnie présidentielle. Seul le General de Brigade Yvo DESCANCIO,
Directeur de la sécurité présidentielle n'est pas
ressortissant du même groupe ethno-régional que le
président. Toutefois, cette exception est relative, lorsqu'on sait le
rôle qu'il a joué dans la protection du président pendant
la tentative d'avril 1984. Alors capitaine en 1984, il avait assuré avec
une équipe de six éléments de la DSP la protection du
bunker présidentiel pendant 36 heures. Et surtout, il a passé
toute sa carrière militaire, dès sa sortie de formation, à
la DSP. Il a certes été affecté une fois, mais il ne fit
pas six mois et revint à son bercail, la sécurité
présidentielle. Sa présence à ce poste relève de la
gratification pour son fidéisme au président Paul BIYA. Par
ailleurs, le recensement ethnique des éléments qui composent la
GP et la DSP laisse apercevoir une forte communauté du groupe
ethno-régional présidentiel. C'est à ce titre que l'on
peut parler d'ethnomorphisme de la sécurité
présidentielle. Cet ethnomorphisme est « normal » dans le
système politique camerounais. La construction du charisme
présidentiel depuis juin 1983 s'appuyait déjà sur la
dimension ethnique. Lorsque Luc SINDJOUN parle du président de la
République qui a les mains liées; ce qu'il évoque, c'est
la pesanteur de son clan ethnique. Au-delà de la rhétorique sur
l'unité nationale et l'équilibre régional, la production
ethnique du « eux » et de « nous » fait partie de la
psychologie de la protection du président. De plus, cette situation est
amplifiée par l'illégitimité du président.
En ce qui concerne le surinvestissement de la
sécurité présidentielle, il se présente en termes
de troupes et de budget. Le budget de la sécurité du
président n'est pas connu. Il est donc difficile d'y pérorer.
Sauf que des témoignages des personnalités telles Pierre ELA ou
Sadou DAOUDOU, Samuel EBOUA, ayant travaillé très
étroitement dans ce domaine sont unanimes sur le surinvestissement
financier dans la protection du président de la République. Ce
surinvestissement concerne également les effectifs de la garde
présidentielle. En France, 3200 Garde républicains travaillent en
tout au service de la sécurité présidentielle. Aux
ÉtatsUnis, ce sont 3200 agents spéciaux de l'United States
Secrets Service (USSS) qui travaillent pour la sécurité
présidentielle. Dans ce dernier cas, la sécurité
présidentielle concerne également celle des candidats à la
présidence, 120 jours avant le début des élections
présidentielles; celle des anciens présidents, jusqu'à dix
ans après leur fin de mandat. Au
Cameroun, la GP a 2000 effectifs. Ces effectifs sont certes
moins nombreux que ceux des pays précités, mais il faut se
rappeler qu'aux États-Unis, 3200 personnes travaillent pour la
sécurité présidentielle sur une armée de plus d'un
million de combattants. Au Cameroun, ce sont 2 000 Gpistes pour une
armée de 40 000 hommes, y compris la gendarmerie. Si l'on ajoute les
effectifs de la DSP, estimés à 150, on atteint le ratio de 6% des
effectifs des forces armées. Surtout, cette protection est restreinte
à la personne du président, sa famille et les logements
présidentiels ; alors qu'elle est plus élargie aux
États-Unis et en France, dont le Cameroun tire l'essentiel de son
organisation militaire. En outre, les soldats de la GP sont les mieux
formés et les mieux équipés, du moins en logistique et
matériel de guerre terrestre.
Enfin, le travestissement de la sécurité
présidentielle est également caractérisé par la
sécurité-spectacle, notamment le spectacle des sorties
présidentielles. Au-delà du pré-débat sur
l'efficacité ou non des dispositifs de sécurité
présidentielle, vu qu'il n'y a jamais eu de coup d'État au
Cameroun, le barrage et le nettoyage des routes, la disposition des Gpistes
« armés jusqu'aux dents » sur les toits des immeubles et des
habitations, le polissement vestimentaire des forces de l'ordre participent de
l'ostentation et de la sécurité-spectacle. Cette
spectacularisation sécuritaire est une forme de
théâtralisation du pouvoir et de réaffirmation de l'ordre
politique.
II- Les ressources de l'hégémonie
présidentielle dans le champ de la défense et de
la sécurité
Le président de la République est le chef de
l'État et chef suprême des forces armées camerounaises. Ace
titre, il dispose déjà de la primauté dans le champ de la
défense et de la sécurité. Cette primauté se fait
hégémonie par la maîtrise que lui confère sa
position des chances de puissance dans le champ de la défense et de la
sécurité et par le contrôle effectif de l'engagement des
forces armées.
II.A- Le contrôle des chances de puissance dans le
champ sécuritaire et de défense
Le contrôle des chances de puissance constitue la
ressource principale de l'hégémonie présidentielle dans le
champ de la défense et de la sécurité. Il entraîne
la subordination de la personne nommée vis-à-vis de la personne
du président. Cette subordination est plus accrue dans le champ
militaire. C'est un champ très hiérarchisé et les logiques
de domination sont encore plus accentuées qu'au sein du champ civil.
D'après la constitution du 18 janvier 1996, le président de la
République nomme aux emplois civils et militaires. Dans la pratique,
le
président nomme à quasiment tous les empois
militaires. Une étude des 21 textes du 25 juillet 2001 montre que ce
pouvoir nominatif est total et s'exerce jusqu'aux échelons les plus
réduits du Ministère de la défense, de la DGSN, du SED, de
l'État-major général et des États-majors
spécialisés. En effet, ces différents textes
prévoient que président nomme jusqu'aux chargés
d'étude assistant et secrétaires des chargés
d'étude. L'objectif, c'est qu'il n'y ait pas de médiateur dans la
subordination des forces armées au prince. Cette tactique politique est
fort intéressante. Elle permet de fragiliser le pouvoir des officiers
généraux et du MINDEF vis-à-vis des officiers subalternes.
La relation entre le président et l'officier est directe, elle ne passe
pas par la médiation des officiers généraux. En fait, la
puissance du décret présidentiel dans la trajectoire du soldat
fait davantage de lui un subordonné et crée un lien personnel
avec la personne du président de la République qui l'a fait
roitelet. Par le décret, l'armée est associée à la
formation dirigeante et à la « société de Cour
».117
Le système de défense et de
sécurité est organisé de telle enseigne que
l'allégeance se fasse directement à la personne du
président. Cette organisation obéit également à une
logique vieille de l'alliance hégémonique. Toutes les
armées, tous les secteurs militaires, sont surveillés, mis en
concurrence et se contrôlent les uns les autres. Chaque armée
(Terre, Mer, Air) dispose de son service de renseignement. Chacun de ses
services contrôle l'autre. La SEMIL contrôle les trois
armées, mais elle est elle-même surveillée par le
Renseignement Militaire (CRM), que la SEMIL surveille rétroactivement.
La DGSN surveille le territoire, mais est également surveillée
par la DGRE, qu'elle surveille aussi par ailleurs. La DSP ellemême
espionne et surveille les forces. Bref, il s'agit d'un maillage intelligent qui
permet au système de défense et de sécurité de
s'autoréguler, de s'autocontrôler. Il s'agit d'un schéma
établi pour éviter toute alliance contre l'exécutif
présidentiel des différents secteurs de l'armée.
Par ailleurs, l'embourgeoisement des soldats, et
principalement des officiers généraux, participe de la logique
générale de curialisation et de néo-patrimonialisation qui
est déjà effective dans le volet civil du système
étatique. L'embourgeoisement au Cameroun est une marque de la
distinction et de la noblesse d'État. Il paraît donc normal que
les officiers généraux soient rétribués de leur
alliance au collectif bureaucratico-présidentiel. Le gouvernement
perpétuel au Cameroun ou le gouvernement ne varietur concerne
également le gouvernement de l'armée camerounaise. La
longévité de carrière des généraux et
contre-
117 ELIAS Norbert, La civilisation des moeurs, Paris,
Calmann-Lévy, 1991.
amiraux comme SEMENGUE, James TATAW, NGANSO SUNDJI est le
penchant de la longévité politique. Quand bien même ceux-ci
auraient déjà dépassé l'âge légal
d'exercice pour les officiers généraux fixé à 63
ans. Le cas de Pierre SEMENGUE, âgé de 73 ans est
emblématique à cet égard. Ceci ne concerne pas que
l'armée, mais également la police et les services de
renseignement camerounais. La nomination d'un commissaire divisionnaire
retraité à la tête de la DGSN le montre bien. La
reconversion des anciens commissaires divisionnaires à la tête des
ambassades et consulats du Cameroun montre que la logique est de maintenir les
acteurs dans le système. Maintenir les acteurs dans le système
permet de calmer la frustration qu'ils subissent lorsqu'on leur retire la
mangeoire. Parallèlement, cela permet également de les surveiller
et les contrôler, de réduire leur « zone d'incertitude
».118 Un général ou un commissaire divisionnaire
à la retraite, ca peut être dangereux. On reste donc toujours dans
le collectif et le système, même lorsqu'on est en retraite.
II.B- Le contrôle effectif de l'engagement des
instruments de défense et de sécuritéLe
président de la République du Cameroun, en plus de sa
maîtrise des chances de
puissance, exerce un contrôle effectif et direct sur les
forces armées du Cameroun. Ce contrôle est plus prononcé et
encadré textuellement lorsqu'il s'agit des forces spéciales. Il
exerce également un contrôle immédiat sur les appareils de
répression policière.
La politique de défense du Cameroun consacre de plus en
plus une place importante aux forces spéciales. Vu le contexte
néopatrimonial qui entoure la sélection des candidats et la
gestion de leur carrière, les forces spéciales se
présentent comme un atout stratégique majeur pour la
défense du territoire. Les forces spéciales dont il s'agit sont :
le BSA, le BIMA, le BTAP, les FAI, les FMC, le BBR, le BQG, etc. En effet,
d'après le Décret n° 2001-183 du 25 juillet 2001 portant
réorganisation des formations de combat de l'Armée de Terre,
l'engagement, le déplacement et l'exécution des missions du BQG,
du BBR, du BTAP, du BSA sont soumis à l'autorisation préalable du
président de la République. Le président est donc le seul
à valider les missions, l'engagement et le déplacement des forces
spéciales de l'armée de terre, regroupées autour de la
Brigade d'Intervention Rapide (BIR). Le cas spécifique du BIR sera
évoqué en deuxième partie de ce travail. Sur le plan
logistique, le déplacement et l'engagement des régiments
d'artillerie sol-sol et sol-air, de l'infanterie, des blindés et
hélicoptères de combat de l'armée de terre se fait sur
aval du président.
118 CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhard, L'acteur et le
système, Paris, 1981.
La même disposition revient lorsque l'on étudie
le décret portant organisation de l'armée de l'air. En effet,
l'article premier du Décret N° 2002/037 du 04 Février 2002
portant création et organisation des forces de l'armée de l'air
dispose que: « l'engagement et l'exécution des missions des forces
de l'armée de l'air et spécialement des Fusiliers de
l'Armée de l'Air sont soumis à l'autorisation préalable du
président de la République ».119 C'est au sein de
l'armée de l'air que le déplacement et l'engagement de la
logistique est le plus contrôlé par le président. Tout
avion et hélicoptère de combat reçoit avant son
déplacement et son engagement dans une mission, l'autorisation du
président. Son itinéraire est bien précisé. Cette
dernière mention est d'une part liée au fait que l'avion
constitue une ressource stratégique pour l'armée camerounaise, le
pays ne disposant que de vingt aéronefs et trente
hélicoptères. D'autre part, cela s'inscrit également dans
le sillage de la protection du palais présidentiel, étant
donné que la garde présidentielle ne dispose ni d'avion, ni
d'hélicoptère pour neutraliser une éventuelle mutinerie
d'un pilote de l'Armée de l'air.
Du côté de la Marine nationale, la tutelle
présidentielle concerne les FMC et les Palmeurs de combat. Leur
engagement et l'exercice de leur mission est soumis également à
l'accord préalable du président de la République.
D'après le décret N°2002/036 du 04 février 2002,
portant création et organisation des Forces de la Marine Nationale, la
logistique de combat naval, notamment les forces de surface, composées
de Bâtiments et d'Embarcations ; les Forces de Fusiliers Marins et de
Palmeurs de combat ; les éléments de soutien, est directement
contrôlée par le président. L'exécution de leur
mission est soumise à l'autorisation préalable du
président de la République. En plus du contrôle effectif et
direct des fores spéciales des trois armées du Cameroun, le
président de la République exerce un contrôle
immédiat sur les appareils répressifs.
Parler d'appareils répressifs est un abus de langage,
vu que les forces armées sont aussi souvent employées à
des fins répressives. Mais il s'agit ici de s'arrêter sur le
contrôle que le président a de la sureté nationale, de la
gendarmerie nationale et de la police politique. S'agissant de la Sureté
nationale, l'article2 du Décret n° 2002/003 du 4 janvier 2002
portant organisation de la Délégation Générale
à la Sûreté Nationale dispose que : « La
Sûreté nationale est un corps de commandement et d'administration
placé sous l'autorité du
119 Décret N° 2002/037 du 04 Février 2002
portant création et organisation des forces de l'armée de
l'air.
Président de la République qui en est le chef
suprême ».120 L'article 5 du même Décret
poursuit :
La Sûreté nationale relève de
l'autorité directe du Président de la République. Elle
exécute les missions qui lui sont confiées par les
autorités gouvernementales dans le cadre de leurs compétences
respectives, en se conformant aux directives du Président de la
République (...) En matière de défense et en situation
opérationnelle, elle est mise en oeuvre par le Président de la
République et coopère étroitement avec les
ministères chargés de la Défense et de l'Administration
territoriale.121
La profusion de l'évocation du président de la
République et des mentions expresses de l'autorité directe qu'il
exerce sur le DGSN, montre clairement que la mainmise présidentielle sur
les forces nationales de police. Comme nous l'avons souligné pour le
Ministère de la Défense, ici, le responsable de la
sûreté nationale, comme son nom l'indique n'est qu'un
délégué. Ce qui revient à dire que le vrai patron
de la sureté nationale, c'est le président de la
République.
Enfin, le contrôle est immédiat, direct et
effectif en ce qui concerne la DGRE, l'ex CENER. Il suffit de lire les
révélations de Jean FOCHIVE, qui a été directeur de
la DRG, du CND, du CENER, puis de la DGRE pour comprendre le lien direct que le
président entretien avec ses services de renseignement. Il
précise tout de même que ce lien fut moins étroit sous le
régime BIYA que sous celui d'AHIDJO.
120 Décret n° 2002/003 du 4 janvier 2002 portant
organisation de la Délégation Générale à la
Sûreté Nationale.
121 Ibidem.
CONCLUSION PARTIELLE
Cette partie a étudié de quoi est faite la
politique de défense et de sécurité du Cameroun, et
surtout a montré la place et le rôle de celle-ci dans le
système politique camerounais. Il en ressort que la politique de
défense et de sécurité du Cameroun s'articule autour du
concept de défense populaire, lequel concept est contradictoire à
la relation entre l'armée et la population dans ce pays. Cette
contradiction est elle-même inhérente au rôle et à la
place des forces armées dans le système politique. Ce rôle
et cette place se résument schématiquement à la survie du
président de la République ; ce qui donne lieu à un
travestissement de la politique de défense et de sécurité
nationale.
Pour comprendre cela, il faut comprendre le système
politique camerounais. Il faut étudier le décentrage et le
recentrage dans le système étatique. La dynamique du
décentrage cristallisée par les évènements de la
nuit du 06 au 07 avril 1984 a conduit à un recentrage et un
repositionnement du président de la République dans le champ
politique et étatique. Les vocables et expressions statomorphisme et
statophagie ont été usités pour montrer la
consubstantialité de l'État du Cameroun au président de la
République du Cameroun.
Toutefois, cette partie a perçu, au-delà de la
personnification, la place du collectif bureaucratico-présidentiel,
incarné par la formation dirigeante et le boss system, dans la
production des cadres cognitifs de la gouvernance camerounaise et de
l'ascension sociale. Ce qui se donne à penser n'est pas se qui ce donne
à observer ; étant donné que le président de la
République a les mains liés et en même temps n'a pas les
mains liés.
DEUXIEME PARTIE
LA CONFIRMATION DE LA PRESIDENCE COMME CENTRE
PRETORIEN DE PUISSANCE : LE RECADRAGE SOUVERAIN DU BIR ET DE LA
GP
INTRODUCTION PARTIELLE
La question du recadrage présidentiel de la GP et du
BIR est intimement liée à la consolidation militaire du charisme
présidentiel. Lorsqu'on remonte à la colonisation et aux
années d'indépendance, on se rend compte que l'inceste entre
l'armée et le pouvoir politique est inhérent à l'histoire
du Cameroun. Le Cameroun hérite le 1er janvier 1960 d'une
armée fortement politisée ; en accointance avec le pouvoir
colonial, puis postcolonial. Dans ce contexte, les forces armées du
Cameroun assumeront essentiellement les fonctions policières ; leur
principale mission étant l'ordre et la sécurité
publics.122
Au-delà de la corruption des FAC, le problème le
plus sinueux de l'État postcolonial camerounais reste l'aporie du
contrat social entre gouvernants et gouvernés.123 Comme
l'exécutif colonial autrefois, l'exécutif postcolonial ne dispose
pas de la légitimité populaire. La bourgeoisie bureaucratique
compradore tient sa légitimité du « centre
».124 Dans cette situation d'illégitimité, le
maintien au pouvoir devient l'exigence absolue des pouvoirs
périphériques d'Afrique noire. Cette exigence va engendrer la
filiation entre l'armée et le pouvoir politique au Cameroun. Cette
filiation a connu un tournant majeur avec la tentative de coup d'état du
06 avril 1984. A partir de ce jour, le prince a plus que jamais
été obsédé par sa sécurité. Le
président va prendre en main le contrôle absolu des forces
armées. La GR est dissolue et remplacée par la GP. L'EMP et le
SED sont créés. Les services de renseignements sont
restructurés : le CND devient le CENER. Puis plus tard la DGRE. Un CNS
est mis en place dès 1986. Dans le même temps, l'armée sera
de plus en plus utilisée pour venir à bout des opposants au
régime.
Le 28 février, le BIR est appelé à la
rescousse du palais présidentiel menacé par les manifestants.
C'est également le BIR qui attiédira la ville de Douala. Cette
action va lui valoir de bénéficier de la confiance du
président et d'être avec la GP les forces militaires principales
du Cameroun. Au chapitre 3, nous allons situer la place du BIR et la GP au sein
de la configuration sécuritaire du président de la
République. Le chapitre 4 fait la rétrospective et la prospective
de la défense et de la sécurité du Cameroun.
122 Général OUMMAROUDAJAM YAYA,
L'ordre et la sécurité publics, mission principale de la
gendarmerie du Cameroun, Paris, Karthala, 1998.
123 BELOMO ESSONO Chantal Pélagie, «
Crise sociopolitique de février 2008 : nouvelle gouvernementalité
au Cameroun », in
www.apsanet.com,
consulté le 15 juillet 2009. Lire aussi sa communication à
l'Association Française de Science politique en 2010.
124 SAMIR AMIN, Op. cit., 1973.
CHAPITRE 3 LE BIR ET LA GP AU CCEUR DE LA
CONFIGURATION SECURITAIRE PRESIDENTIELLE
«Face à l'émergence de nouvelles formes
de criminalités et du banditisme transfrontalier, les BIR s'imposent
comme la réponse proportionnée et décisive de l'ETAT
».125
Capitaine François PELENE, Chef d'État-major,
2è BIR
La question qui travaille ce chapitre se pose en ces termes :
quels sont la place et le rôle du BIR dans la configuration du
système de défense et de sécurité du
président de la République du Cameroun ? Peut-on dire que le BIR
et la GP jouent leur rôle ? Quelle analyse bilancière peut-on
faire ? Ces questions débouchent sur un truisme : celui de la
prétoprésidentialisation des forces de défense et de
sécurité du Cameroun.
La Garde présidentielle en particulier assure depuis sa
création en 1985 la sécurité du président de la
République. C'est une force intimement liée du point de vue
ethnique et politique au président de la République. Au cours de
la section consacrée à la Garde présidentielle nous
évoquerons, son organisation et son fonctionnement, d'une part; ses
capacités opérationnelles de défense et de
sécurité, d'autre part. Le Bataillon d'Intervention Rapide (BIR),
nouveau né des forces spéciales, par transformation de l'ancien
Bataillon Léger d'Intervention (BLI), contribue depuis sa reprise en
main par le défunt Colonel Israélien Abraham Sir VAN et les
évènements de février 2008, une force étroitement
liée au président de la République. Associé souvent
au cortège et à la sécurisation des manifestions
auxquelles le président prend part, il constitue surtout
l'élément stratégique et opérationnel majeur de la
stabilité de l'exécutif gouvernant et de la défense du
territoire.
Paradoxalement, ces deux forces constituent une source de
fragilité de la défense du territoire. Cette fragilité
s'entend du point de vue socio-militaire, sociopolitique et
sociogéopolitique.
125 Capitaine François PELENE, « Bataillon
d'intervention rapide, composante essentielle des forces de défense
», in Honneurs et Fidélité, numéro
spécial du 20 mai 2009, p. 30.
SECTION I ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU BIR ET DE
LA GP
L'étude de l'organisation du BIR et de la GP donne
à lire d'une part, une force militaire
préto-présidentielle dont le but est la sécurité du
président, des édifices présidentiels et les honneurs aux
chefs d'état; d'autre part, une force spéciale placée sous
l'autorité directe du président de la République,
associée à la sécurité présidentielle et qui
constitue l'atout stratégique majeur de la défense
camerounaise.
I- La GP, archétype de la
préto-présidentialisation sécuritaire
Dans presque tous les pays du monde, il existe un corps
spécialisé chargé de la sécurité
présidentielle. Mais, la sécurité présidentielle
n'est pas gérée de la même façon. En effet, chaque
pays a ses traditions militaires et de sécurité. Selon que l'on
est en France, en Allemagne, en Chine, en Russie ou en Afrique du sud, la
sécurité du président n'est pas gérée de la
même façon. Mais au-delà de ces variables, la constante
générale que l'on peut dégager est que la
sécurité présidentielle est intimement liée au
système politique et à la forme de régime. Au Cameroun, le
système politique et la nature du régime font de la GP une force
nécessairement préto-présidentielle.
I.A- Organisation d'une force
pétro-présidentielle
La GP est née dans un contexte de défiance du
président vis-à-vis de la GR. Les éléments de la
GR, en majorité ressortissants de la province de l'ex président,
étaient soupçonnés de lui être encore
fidèles. Avant même l'épisode sanglant du 06 avril, le
président s'apprêtait déjà à prendre un texte
pour les écarter de sa sécurité. Ce désir
d'écarter les affidés de l'ancien régime était mu
par les pressions de l'élite Béti. L'on sait que la construction
du charisme présidentiel au Cameroun s'est assise sur le facteur
ethnique. Le décret n° 84-113 du 11 avril 1984 portant dissolution
du commandement de la Garde Républicaine dissout le commandement de la
GR. Les éléments précédemment de ce commandement
sont remis à la disposition du Délégué
général à la gendarmerie nationale. Ceux
bénéficiant d'avantages pécuniaires et en nature de leurs
anciens emplois les conservent à titre individuel jusqu'au 30 juin 1984.
Les équipements de l'escadron blindé et du groupement
d'artillerie de l'ex GR sont reversés au Quartier général.
Les équipements du groupe d'escadrons à pied, de l'escadron de
cavalerie et de l'escadron de musique sont reversés à la
Délégation générale à la Gendarmerie
nationale. Quant à la garde et la protection du palais, elles sont
assurées provisoirement par
une formation du Quartier général. La garde et la
protection des autres palais et résidences présidentiels sont
assurées par les Légions de gendarmerie territorialement
compétentes.126
Entre le 06 avril, 1984 et 15 janvier 1985, c'est le Quartier
général qui assurait la sécurité et la protection
du palais. Même si le décret confie plusieurs missions à la
Gendarmerie et plus tard à la police, la tentative de coup d'état
a entraîné un certain discrédit de la gendarmerie et de la
police. Lorsque la GP naît le 21 mai 1985, la suprématie de
l'armée et notamment de l'armée de terre va se ressentir dans la
sélection des éléments qui en feront partie. Le facteur
ethnique va être crucial dans le choix des éléments de la
nouvelle GP.
D'après le décret n° 85/738 du 21 mai 1985,
portant création de la GP, la GP est un corps des forces armées
spécialisées dont la mission est la garde et la protection du
palais et du président de la République. En plus de cette mission
principale, elle rend les honneurs au chef de l'état et aux chefs
d'états étrangers. Elle assure également la protection des
palais et résidences présidentiels des régions. La garde
présidentielle est présente et honore les grandes
manifestations.127 La GP ne dépend pas du Ministère de
la défense. Elle dépend directement du président de la
République. Au concret, le Commandant de la GP est sous
l'autorité du Chef d'état major particulier du président
de la République et du directeur de la sécurité
présidentielle. Le commandant de la GP fait partie de l'état
major particulier du président et du Conseil National de
Sécurité. Autrefois, les éléments de la GR
étaient choisis parmi les meilleurs élèves des
écoles de Gendarmerie. Aujourd'hui, la GP est une force essentiellement
militaire. Même si on trouve au sein de la GP toutes les composantes des
FAC, les militaires dominent en effectif. Le recrutement se fait en même
temps que celui des éléments du BIR, et ce sont les meilleurs
éléments de cette formation conjointe qui rejoignent la GP. La GP
est donc nécessairement une force de combat surentraînée et
bien équipée pour le contexte local.
Pour mieux comprendre cela, il faut se référer
à l'organisation de la GP. Le cadre organique de la GP est fixé
par le décret n° 85/738 du 21 mai 1985 portant création et
organisation de la GP précise les structures qui la composent.
D'après ce texte, la GP est constituée :
> d'un état-major,
> d'un Groupement de soutien et de Commandement,
126 Décret n° 84-113 du 11 avril 1984 portant
dissolution du commandement de la Garde Républicaine
127 Décret n° 85/738 du 21 mai 985, portant
création et organisation de la garde présidentielle.
> d'un Groupement d'honneur,
> de Groupements de reconnaissance et d'appui, > de groupes
d'intervention
> et d'un centre d'instruction.128
L'état-major est organisé en trois bureaux. Au
sein de la GP, on peut distinguer les groupements de combat des groupements
d'honneur et autres groupements. Parmi les groupements de combat, il y a :
> le Groupement de commandement et de soutien qui est
constitué de la Compagnie protection-sécurité, la
Compagnie de transport, la Compagnie d'État Major et la Compagnie
médicale. C'est le Groupement le plus important au sein de la GP, tant
en ce qui concerne le niveau stratégique de ses missions, que le nombre
de ses effectifs, de ses équipements et de son budget.
> Ensuite, Le Groupement de reconnaissance et d'appui,
constitué de la Compagnie antiterroriste, l'Escadron de reconnaissance,
la Batterie d'artillerie sol-air et la Batterie d'Artillerie sol-sol.
> Puis, le Premier groupement d'intervention,
constitué de la 10ème compagnie de commandement,
d'appui et de soutien, des 11ème, 16ème,
17ème et 18ème Compagnie d'intervention.
> Le Deuxième groupement d'intervention comprend la
20ème Compagnie de commandement d'appui et de soutien, des
22ème, 23ème, 24ème et
29ème compagnies d'intervention.
Ces différentes compagnies sont réparties en
cinq groupes d'intervention de la GP. En ce qui concerne les autres organes, il
y a le Groupement d'honneur qui comprend : la Compagnie de commandement et
d'honneur, l'escadron motocycliste, l'escadron à cheval et la Compagnie
de musique. Puis, le Centre d'instruction de la GP qui est organisé en
deux compagnies d'encadrement et cinq compagnies de soutien. Le quartier
général de la GP est situé à Yaoundé, au
quartier OBILI.
128 Ibidem.
ORGANIGRAMME DE LA GP
GROUPEMENT DE COMMANDEMENT
ET DE SOUTIEN
GROUPEMENT DE RECONNAISSANCE
ET D'APPUI
ETAT MAJOR
GROUPEMENT D'HONNEUR GROUPEMENTS D'INTERVENTION CENTRE
D'INSTRUCTION
Source : Hans De Marie HEUNGOUP NGANGTCHO
I.B- Capacités opérationnelles de la GP
La GP est une force de combat; susceptible d'être
associée aux missions de défense nationale. Composée
d'environ 2000 éléments, dont 1300 combattants, elle constitue
une véritable armée dans l'armée. La GP est un groupe
auto-suffisant. On y retrouve toutes les composantes des forces armées
régulières. Cette armée miniature, majoritairement
composée du groupe ethno-régional du président, comme le
fut autrefois la GR de l'ex président AHIDJO, constitue une roue de
secours du président face à une éventuelle volteface de
l'armée régulière. La GP définie au Cameroun comme
une force de secours destinée à protéger le
président en cas de rupture de l'alliance hégémonique avec
l'armée régulière permet de comprendre sa place dans le
système politique et le dispositif de défense camerounais.
L'objectif est de parer aux agressions contre la personne du président
et sa famille sous toutes ses formes. Il peut s'agir d'une tentative
d'assassinat contre le président, comme une tentative de putsch comme en
avril 1984.
S'agissant des capacités opérationnelles, la GP
a disposé la moitié de ses effectifs au sein de la capitale. La
base d'OBILI abrite l'essentiel des effectifs de la GP du centre. Le reste des
effectifs est déployé dans les différentes bases
régionales de la GP et affecté à la protection des
résidences et palais présidentiels régionaux. La GP est
particulièrement présente au village natal du chef de
l'état à MVO MEKA. L'importance de la GP à ce coin
perdu du Cameroun est stratégique, étant
donné que le président y séjourne souvent. La GP
camerounaise est une force essentiellement terrestre. Elle ne dispose pas
d'équipements navals : bâtiments et navires de guerre. Elle ne
dispose pas non plus d'équipements aériens et aéronavals :
avions, hélicoptères. En revanche, elle dispose de radars, de
matériels de détection avancés, de l'artillerie sol-sol et
sol-air, des défenses anti-missiles. Elle dispose également des
chars d'assaut, de véhicules blindés, des tanks et de la batterie
de combat: fusil, grenades, lance-roquettes.
C'est donc une véritable force de combat. D'ailleurs, on
l'a vue combattre à Bakassiavec le reste de l'armée
régulière, précisément en 1997, lors de la riposte
de l'armée
camerounaise à l'invasion nigériane. Il sied de
préciser tout de même que la sécurité de la personne
du président n'est pas assurée par la GP, mais par la DSP. En
réalité, la DSP joue le rôle que joue les services de
sécurité présidentiels dans d'autres pays;
c'est-à-dire une sécurité rapprochée. On peut donc
dire que la GP intervient au deuxième niveau dans le système de
gestion de la sécurité du président et de sa famille.
Quant au BIR, il intervient au troisième niveau. Sa position est
délicate, étant donné que le BIR n'est pas exclusivement
une force de sécurité présidentielle comme la GP. Il
contribue également à la défense et à la
sécurité du territoire au quotidien.
II- Le BIR au coeur des mécanismes
présidentiels de défense et de sécurité
Le Bataillon d'Intervention Rapide, plus connu des camerounais
sous le sigle BIR est la transformation de l'ancien Bataillon Léger
d'Intervention, créé en 1999 pour faire face aux nouvelles
menaces contre la sécurité du territoire, notamment les coupeurs
de route du Nord et de l'Extrême Nord. Du BLI au BIR et février
2008, le BIR a muté par l'étendue de ses missions, la
spécificité de sa formation et de son commandement, par
l'augmentation de ses effectifs, de ses équipements. Aujourd'hui, le BIR
a un poids sans égal dans le dispositif de défense
camerounais.
II.A- Le BLI, le BIR et le recadrage présidentiel
post-28 février 2008
Le BIR a été né en 1999 sous
l'appellation de Bataillon Léger d'Intervention. D'après le
décret n° 99-16 du 1er février 1999, le BLI est
une formation de la réserve générale d'infanterie
spécialisée dans les actions de type commando. Sous
l'autorité d'un commandant de bataillon, assisté d'un commandant
en second, nommées par arrêté présidentiel, le BLI
comprend :
> Un état-major ;
> Une compagnie de commandement et de services ; > Des
unités légères d'intervention.129
Le BLI naît dans un contexte de montée de la
criminalité transfrontalière activée par le
phénomène des coupeurs de route et la multiplication des groupes
armés non contrôlés dans l'espace de la CEEAC. La
création du BLI fait suite à l'échec de l'armée
régulière et de la gendarmerie à venir à bout du
phénomène dans les régions de l'Adamaoua, du Nord, de
l'Extrême-Nord et de l'Est. Cet échec des forces
régulières est à relier au contexte fragmentaire de
l'armée du Cameroun, avec des unités régulières peu
équipées et des forces spéciales qui
bénéficient d'un régiment de faveur. Le BLI est en
concurrence dans la lutte contre les nouvelles formes de criminalité
avec le GPIGN, qui lutte contre le grand banditisme. Mais le BIR va très
vite se démarquer et se distinguer du reste des forces spéciales
du fait des succès qu'il engrange.
En 2001, le BLI est confié à AVI Abraham SIRVAN,
un Colonel retraité de l'armée israélienne et ancien
attaché de défense à l'ambassade d'Israël à
Yaoundé, qui est lié par un contrat privé à la
présidence. Il devient alors le BIR et dépend directement de la
présidence de la République. A partir de ce moment, le BIR va
devenir peu à peu l'atout stratégique majeur de la défense
camerounaise. Les recrutements et la formation du BIR sont les plus physiques
des forces armées du Cameroun. La formation militaire s'achève
par la difficile marche commando de 400 Km, avec une charge au dos de 15
Kilos.130 Les militaires du BIR sont parmi les plus habiles au
maniement des armes. L'implication d'Israël dans l'encadrement du BIR en
particulier et de la sécurité présidentielle en
général date de la tentative de coup d'État de 1984 :
doutant de la loyauté des Français qui assuraient
jusque-là sa sécurité, Paul Biya s'est tourné vers
les États-Unis. Ces derniers ont à leur tour sous-traité
le marché à Israël. Les éléments de GP sont
habillés avec le même uniforme que celui de l'armée
israélienne et ceux du BIR portent celui des forces spéciales
israéliennes. Israël est auréolé d'un mythe au
Cameroun ; plus même que des pays plus puissants militairement comme la
France et les États-Unis. L'implication d'Israël dans la formation
et l'encadrement du BIR et de la GP contribue à mystifier et mythifier
ces corps.
129 Décret n° 99-16 du 1er février
portant création du Bataillon Léger d'Intervention 1999.
130 Honneur et fidélité, N° spécial du
20 mai 2009.
A partir des émeutes de février 2008, le
rôle du BIR a considérablement changé. Il a
été appelé en renfort pour sécuriser Douala, puis
Yaoundé et le palais présidentiel, menacés par les
manifestants. Depuis mars 2009, ses effectifs ont été
augmentés et il a remplacé à Bakassi les forces
traditionnelles. Mais cette présence accrue du BIR, qui compte
désormais au moins 4000 hommes, cause des problèmes. En le
déployant notamment à Bakassi, Paul BIYA a marqué sa
défiance vis-à-vis de l'armée traditionnelle. Celle-ci se
sent lésée. Les moyens donnés au BIR, qui apparaît
comme une armée dans l'armée, sont plus importants et
perfectionnés que les siens. Les éléments du BIR ont des
avantages et primes que n'ont pas les soldats ordinaires, ce qui suscitent
jalousies et tensions. Depuis 2010, le BIR est associé à la
sécurité du président. S'il ne participe qu'indirectement,
sa présence s'explique par l'image d'invincibilité et la crainte
qu'il suscite auprès des camerounais. La présence du BIR aux
abords des itinéraires du cortège présidentiel est surtout
dissuasive.
Si le BIR est associé à la GP au dispositif de
sécurité présidentiel, sa mission principale reste et
demeure la défense du territoire.
II.B- Le BIR stratégique et le BIR
opérationnel
Le BIR est actuellement la force la plus équipée
et la plus entraînée du Cameroun. C'est véritablement le
coeur du système de défense et de sécurité du
territoire. Le BIR se déploie actuellement sur un quadruple plan : la
sécurisation de la presqu'ile de Bakassi ; la lutte contre les coupeurs
de route ; il est associé au sein de chaque région militaire
à la brigade d'intervention rapide ; et la sécurité
présidentielle. Les missions du BIR se sont énormément
étendues en dix ans. Forts de 4000 hommes, d'un matériel de
guerre polyvalent (terre, mer et air) et d'un entrainement adéquat, les
éléments du BIR occupent à ce jour un rôle de
premier plan dans la défense du territoire.
A Bakassi, c'est le BIR-DELTA, un groupement du BIR, qui
assure la sécurité et la protection du territoire contre les
actes de piraterie, rançonnage et sabotage de tous ordres. Le BIR-DELTA
dispose d'un bâtiment de guerre, des chaloupes et embarcations, des
radars et d'un hélicoptère. Il bénéficie
également du soutien de l'armée de l'air qui surveille la zone
avec deux avions. Les Forces Marines Commando, les Palmeurs de Combat et le
Bataillon Spécial Amphibie aident aussi le BIR dans cette tâche.
Le BIR-DELTA suscite à la fois la crainte et la fascination des
populations. Lorsque l'on observe les défilés de ces
dernières années, on peut faire un constat : chaque passage du
BIR-DELTA est suivi d'un tonnerre d'applaudissements. Le défilé
du cinquantenaire de l'armée camerounaise et le récent
défilé du 20 mai en sont les illustrations les plus
récentes. Il y a donc à la fois crainte et fascination.
Aux jours d'aujourd'hui, on a du mal à qualifier le BIR
de forces spéciales, eu égard à la taille de ses effectifs
par rapport à ceux de l'armée camerounaise. Le BIR
représente 10% des forces armées du Cameroun. C'est surtout une
armée aux mains du prince. Le BIR a son propre drapeau, marqué du
sceau du lion. Son recrutement est centralisé, contrairement à
celui du reste des recrutements de l'armée, y compris les forces
spéciales. La multiplication des unités spéciales au sein
de l'armée, de la gendarmerie et de la police ces dernières
années est la marque du régime du renouveau. Le renouveau
militaire et sécuritaire passe par la création d'unités
spéciales directement pilotées depuis la présidence ; ce
qui constitue une défiance vis-à-vis de l'armée
régulière. En effet, le suréquipement (selon le contexte
local) du BIR contraste avec celui de l'armée régulière.
Les victoires que le BIR remporte contribuent à en faire l'armée
du prince, ou l'armée sur qui le prince peut compter. La
flexibilité de son commandement contribue à son efficacité
opérationnelle. Lors de la récente attaque de la banque Ecobank
à Douala, tandis que les forces armées régulières
tentaient d'avoir le MINDEF pour avoir l'autorisation de faire décoller
un hélicoptère de combat, le BIR était déjà
à la poursuite des criminels. D'après le Comandant de la
région militaire du littoral, le BIR aurait intercepté ces
braqueurs au niveau des berges de Bakassi et aurait fait seize morts parmi les
assaillants. Si l'efficacité opérationnelle du BIR en tant que
forces spéciales ne peut être remise en cause, son
efficacité stratégique en revanche peut être
questionnée, en termes de fragilisation de la défense
camerounaise.
Dans le contexte camerounais, l'armée est l'essence de la
prophylaxie politique, c'est pourquoi il y a un biais dans la politique de
défense.
SECTION II LA NOUVELLE INGENIERIE DE LA PROPHYLAXIE
POLITIQUE
Dans le système bureaucratico-présidentiel, la
présidentialisation, des forces de défense et de
sécurité constitue la condition sine qua non de la
perpétuité du gouvernement. Cette présidentialisation se
définit en termes de contrôle du chef de l'État des
appareils sécuritaires et militaires, mais aussi en termes de
monopolisation des moyens de défense et de sécurité au
profit du chef de l'État et du collectif
bureaucratico-présidentiel, la sécurité et la
défense apparaissant en ce moment comme une ressource politique, un bien
dont ne peuvent avoir droit que les membres du clergé d'État.
I- La technologie sécuritaire du gouvernement
perpétuel
La technologie politico-sécuritaire du gouvernement
perpétuel se décline en deux volets : la gestion
présidentialiste des forces de défense et la gestion
présidentialiste des forces de sécurité.
I.A- La gestion présidentialiste des forces de
défense
La gestion présidentialiste des forces de défense
est identifiable à la fois dans l'organigramme des états-majors
interarmées et le fonctionnement des organes de la défense.
La présidence de la République est le centre de
force et de gravité en matière de défense au Cameroun. Le
MINDEF ne dispose que des pouvoirs qu'on veut bien lui accorder. La
création en 1983 d'un état-major particulier du président
de la République marque la primauté de la personne du
président dans la conduite de la défense. D'après un
enquêté, « les vraies décisions se prennent à
ce niveau, nous on se charge juste d'appliquer ».131 Ces
paroles d'un haut gradé de l'armée camerounaise témoignent
que tout se noue et se dénoue au niveau de l'état-major
particulier du président de la République. C'est donc à
juste titre qu'au Cameroun on n'a pas un Ministre de la Défense, mais un
ministre délégué à la présidence,
chargé de la défense. Cette situation est particulièrement
aggravée avec la prolifération des unités
spéciales, comme nouvelle doctrine opérationnelle d'emploi des
forces du Cameroun.
D'après Elie MVIE MEKA,
L'armée régulière a marquée
son inefficacité à assurer la défense et la
sécurité du pays. Face aux nouvelles menaces et aux nouvelles
criminalités, il était important de doter le pays des forces
spécialement entraînées et équipées, capables
de défendre la souveraineté du pays. Tout ceci est du au fait que
l'armée est une institution sociale dans notre pays. J'avais dit au
président d'arrêter le recrutement militaire, que nous ne pouvons
pas entretenir une armée de 40 000 hommes. Mais comme il faut trouver du
boulot aux gens.132
L'analyse que l'on peut faire de ces propos est que les forces
spéciales constituent une réponse présidentielle face aux
défis de la défense et de la sécurité et à
l'incapacité de l'armée régulière d'assumer ce
rôle. L'armée régulière qui apparaît
pléthorique pour les 180 milliards de Francs CFA de budget de
l'armée camerounaise, il faut les substituer par des forces
spéciales. Et ces forces spéciales sont directement
contrôlées par le président. Le cas du BIR
131 Interview avec un Colonel de l'armée de Terre du
Cameroun, 23 mai 2011.
132 Entretien le 19 avril 2011 à 11 heures avec le Dr.
Elie MVIE MEKA, ancien directeur des études à l'EMIA.
que nous venons d'évoquer, qui compte tout de
même 4000 hommes sur une armée qui ne compte que 40 000, est
patent. Le MINDEF ici n'a aucun mot à dire, ce d'autant que l'ex colonel
du BIR était lié à un contrat « privé »
à la présidence de la République. Les autres forces telles
que le BSA, le BTAP, le FAI, les FMC sont liées pour leur
déplacement ou leur engagement à l'approbation du
président. De même, le matériel de guerre aéronaval
est contrôlé par le président.
I.B- La gestion présidentialiste des forces de
sécuritéLa gestion présidentialiste des forces de
défense a comme corolaire la gestion
présidentialiste des forces de sécurité.
Une distinction qui est en réalité factice, dans un environnement
d'imbroglio entre le champ de la défense et celui de la
sécurité. La gestion présidentialiste des forces de
sécurité est caractérisée par le contrôle des
forces de police à travers la DGSN et des forces de la Gendarmerie
à travers le SED, la monopolisation des services de renseignement et de
services secrets, et le contrôle des unités spéciales de la
gendarmerie (GPIGN) et de la police (ESIR, GSO) par le président de la
République.
Comme pour le secteur de la défense, le patron de la
police camerounaise est le président de la République, le DGSN
n'étant effectivement comme son nom y fait référence un
délégué. Nommé par le président, ainsi que
tous ses collaborateurs, il exécute les missions définies par
celui-ci. L'étude du décret de 2001, portant organisation de la
DGSN, permet de concevoir l'atrophie des pouvoirs du
délégué au profit de celui qui l'a nommé : le chef
de l'État. Ici, la présidence apparait également comme le
centre de force de la sécurité au Cameroun. L'ESIR,
financé par les États-Unis et le GSO, financé par la
France sont directement liés à la présidence, et ne
dépendent pas de la DGSN.
Le SED obéit à la même configuration et au
même principe de fonctionnement : celui de la prééminence
présidentielle. La coexistence du MINDEF et du SED est par ailleurs
problématique. Pourquoi créer un SED alors qu'il y a
déjà un MINDEF ? La réponse réside dans le fait que
le SED effectue surtout des missions de police. Même si le SEMIL et le
CRM sont rattachés au MINDEF, dans les faits le renseignement militaire
camerounais provient du SED. La gestion des forces de sécurité se
caractérise par la monopolisation et la confiscation des services de
renseignement aux fins de prévention de la déstabilisation et de
la sécurité intérieure, qui dans le contexte camerounais
signifie la prévention d'un coup d'état ou d'un assassinat conte
la personne du président. Les services secrets et les services de
renseignement du Cameroun sont le lieu par excellence où la
sécurité présidentielle
surplombe la sécurité de la nation. Ils sont
également le lieu d'expérimentation de l'obsession
sécuritaire. Tandis que les services secrets chinois tentent de «
voler » les savoirs technologiques des firmes occidentales, tandis que les
services secrets américains participent à la guerre
économique, à la lutte contre le terrorisme ou à
consolider les régimes qui leur sont favorables ; au Cameroun, le
rôle prépondérant des services secrets est la survie
présidentielle.133
Enfin, le dernier né en date de la
présidentialisation sécuritaire est le Conseil National de
sécurité, créé par décret n° 2009/004
du 8 janvier 2009, portant création et organisation d'un Conseil
national de sécurité. Ce décret abroge le décret de
1986, portant organisation du comité interministériel du
renseignement. Le Conseil est appelé à : « faire
périodiquement la synthèse des renseignements intéressant
la sécurité intérieure et extérieure de la nation;
formuler des propositions d'orientation de renseignement prévisionnel;
donner son avis sur tout dossier à lui soumis par le président de
la République ».134
Le Conseil national de sécurité est
administrativement rattaché au secrétariat général
de la présidence de la République. Sont membres du CNS
camerounais:
> le Secrétaire Général de la
Présidence de la République;
> le Ministre chargé de l'Administration territoriale
et de la Décentralisation > le Ministre chargé de la
Défense;
> le Ministre chargé des Relations extérieures
;
> le Directeur du Cabinet civil du Président de la
République;
> le Délégué général
à la Sûreté nationale;
> le Secrétaire d'État à la
Défense ;
> le chef d'état-major des armées;
> le chef d'état-major particulier du Président
de la République ;
> le Directeur de la sécurité
présidentielle;
> le Directeur général de la Recherche
extérieure;
> le Directeur central de la coordination à la
gendarmerie nationale;
> le commandant de la garde présidentielle.
133 France 24, Émission Intelligence économique,
les services secrets français et américains, mai 2011.
134 Décret n° 2009/004 du 8 janvier 2009, portant
création et organisation d'un Conseil national de
sécurité.
II. Le palais d'Étoudi et le cortège
présidentiel dans le sillage de l'ostentation
sécuritaire
Depuis avril 1984, le coeur du système bat d'abord pour
la sécurité de son chef. Il est question ici d'étudier les
lieux privilégiés de la manifestation de la puissance
sécuritaire du président de la République. Il s'agit du
cortège présidentiel et du palais d'Étoudi. Mais avant, il
est sied d'évoquer une marque particulière du dispositif de
sécurité présidentiel : l'ostentation.
II.A- L'ostentation sécuritaire : entre dissuasion et
autoreprésentation du pouvoir
L'ostentation est une marque de fabrique du dispositif de
sécurité présidentiel au Cameroun. L'ostentation se
définit ici en termes de nombre d'appareils et de moyens logistiques,
humains et de guerre qui sont mobilisés pour la défense du palais
ou les sorties du président, et qui tendent à être
montrés aux populations. Tout se passe comme s'il était question
d'envoyer un message aux populations. Cette «starisation» du
cortège et de la sécurité présidentiels peut se
lire sous les prismes multiples. La dissuasion semble être le premier
effet recherché.
En ce moment, la première menace et le premier danger
qui guette la sécurité du président n'est pas un
éventuel sniper ou une tentative de déstabilisation depuis
l'extérieur, mais la population camerounaise. Si cette population ne
peut s'exprimer par la voie des urnes, un acte déferlement massif des
populations sur le convoie présidentiel ou un acte de lynchage comme
cela s'est produit en République Centrafricaine sous le régime de
Jean BEDEL BOKASSA, n'est pas à exclure. La musculation du dispositif de
sécurité du président et son exposition participent
indubitablement d'une stratégie de dissuasion, afin de créer un
sentiment d'« indétronabilité » : c'est la construction
fantasmée de l'invincibilité du président.
Cet étalage sécuritaire peut également
être compris comme une autoreprésentation du pouvoir
présidentiel, productrice d'hégémonie symbolique. Le temps
et les activités s'arrêtent au passage du cortège du
président. Ceci est particulièrement sensible à
Yaoundé, dans la mesure où il n'y a pas suffisamment de routes.
L'axe central qui va de la Poste centrale à MVAN est cardinal pour la
circulation des biens et des personnes. Et une fois qu'il est bloqué, ce
sont les activités et le temps qui sont suspendus. L'effet
recherché, c'est la réaffirmation de la prééminence
présidentielle. Fortement militarisée, la sécurité
du président mobilise tous les appareils de sécurité et de
défense, et particulièrement la GP et le BIR depuis
février 2008. Il se pose alors la question de l'efficacité du
dispositif sécuritaire présidentiel.
II.B- Attaquabilité et inattaquabilité du
cortège présidentiel et du palais
d'ÉtoudiPeut-on mener avec succès une attaque
contre le cortège du président ou la présidence de la
République au Cameroun? D'entrée de jeu, la réponse est
positive. Tout dépend des moyens que l'on serait capable de mobiliser et
de la coordination de ses moyens.
Attaquabilité et inattaquabilité de la
présidence de la République
Parler d'attaquabilité et d'inattaquabilité de
la présidence de la République du Cameroun relève en
quelque sorte de la science fiction. Mais en fonction des données
disponibles, l'on peut tout de même dégager quatre
scénarios d'attaquabilité ou d'inattaquabilité.
Scénario 1 : l'hypothèse du 06 avril
1984
Une répétition du 06 avril 1984 peut-elle avoir
raison de la présidence et du président ? Il ne peut y avoir de
réponse définitive, sauf à avoir accès à
toutes les informations de défense et de sécurité du
palais d'une part ; et toutes les informations sur le nombre, la logistique, la
chaine de commandement et la manoeuvre tactique et opérationnelle des
assaillants, d'autre part. Toutefois, à partir de ce qui ce donne
à observer, on peut faire des simulations.
L'hypothèse d'une révolution de palais,
c'est-à-dire au sein du clan présidentiel et
précisément du groupe Béti, est fort peu envisageable ;
étant donné que la solution de rechange ne satisferait pas
forcément l'opinion nationale et internationale, qui espère que
le pouvoir revienne à une autre région. Les risques d'un
embrasement du pays sont donc réels. Mais si jamais par surprise, les
éléments de la GP, sous la houlette du commandant AMOUGOU
Noël, décidaient d'évincer le président actuel,
celui-ci aurait très peu de chance d'échapper à une
destitution. Ceci pour trois raisons. Primo, en 1984, le président Paul
BIYA avait bénéficié du soutien général de
l'armée, parce que celle-ci, dirigée par un Béti, voyait
dans le coup d'état, une tentative de prise de pouvoir par le Nord, soit
un rétablissement de l'ancien président AHIDJO au pouvoir. Ce qui
n'allait pas forcément dans le sens de leurs intérêts. Non
seulement pour des raisons claniques, mais aussi parce qu'AHIDJO n'aurait pas
manqué de sanctionner ceux qui l'avaient raillé quand il n'avait
plus le pouvoir. L'armée dirigée par un Pierre SEMENGUE qui vient
à la rescousse du président n'a presque pas le choix. En le
faisant, les militaires consolidaient certes la dimension régionale du
pouvoir politique, mais ils sauvaient aussi leur tête, notamment les
officiers généraux. Or, si la révolution venait de
l'Inside, c'est-à-dire de l'armée et du clan Béti
matérialisé par la GP, les
chances d'un soutien massif de l'armée au
président seraient minces. On l'a vue en février 2008, il a fallu
déplacer le BIR et Koutaba pour sécuriser la présidence,
alors que les éléments des forces de défense et de
sécurité présents avaient toute la logistique pour faire
ce travail. C'est dire qu'il pourrait avoir une entente tacite entre la
soldatesque et les putschistes, dans la mesure où le marasme
économique affecte aussi l'armée. L'embourgeoisement dont il est
souvent fait question concerne les officiers généraux et les
officiers supérieurs. Quid du reste de l'armée ? Deuxio, le
président Paul BIYA bénéficiait en 1984 d'un certain
état de grâce. La propagande contre l'ex président marchait
bien, et les camerounais dans leur large majorité avait accueilli
très bien l'homme du renouveau, de la rigueur et de la moralisation. Un
coup d'état même réussi aurait été
impopulaire. Il n'est pas certain que ce soit le cas aujourd'hui.
L'impopularité et l'illégitimité chronique dont jouissent
le président et l'équipe gouvernementale fait qu'un coup
d'état pourrait être apprécié come une
délivrance par les populations. Tertio, la GP d'aujourd'hui aurait un
avantage opérationnel que n'eût pas la GR d'hier : elle ajusterait
son coup en tenant compte du déroulement de la tentative du 06 avril. En
fonction de celle-ci, elle pourrait anticiper la réaction du reste de
l'armée et corriger les erreurs que furent les putschistes de la GR en
1984.
Scénario 2 : le 06 avril 1984
inversé
Que se passerait-il si l'armée tentait de prendre le
pouvoir, sans la complicité de la GP ? Il est difficile d'envisager une
révolution de palais, sans une complicité de la GP en raison des
arguments sus-évoqués. Dans ce cas, la GP peut-elle faire
échec à une tentative de prise de pouvoir par l'armée ? Et
quelles en seraient les conséquences ?
Déjà l'armée au Cameroun n'est pas un
groupe homogène, et c'est véritablement à juste titre que
l'on parle des forces armées du Cameroun. Non seulement cette
homogénéité n'est pas acquise, mais elle l'est encore
moins si l'on tient compte des forces spéciales, qui ne dépendent
pas du MINDEF, mais directement de la présidence. De surcroit, le
positionnement stratégique des membres de l'ethnie présidentielle
et des fidèles du président depuis 1984 comme Yvo DESCANCIO
anéantit cette possibilité. En effet, l'hypothèse d'une
armée en corps qui foncerait droit sur le palais d'Étoudi ou le
cortège présidentiel est réduite à néant, en
raison des choix d'alliance et des contraintes opérationnelles. Mais si
jamais, il advenait une « crise hégémonique
»135, marquée par la rupture du contrat d'alliance entre
l'armée et le pouvoir en place, même dans ce cas, les chances
d'une destitution du président ne seraient pas
135 Au sens de BAYART Jean-François, L'État au
Cameroun, Paris, PFNSP, 1985.
acquises. Tout dépendrait alors du comportement du BIR
qui, pour l'instant, est acquis au président de la République. Si
le BIR se range du côté des putschistes, le président
pourrait tomber. Les 2000 hommes que constitue la GP peuvent certes prendre le
maquis, mais on imagine mal un Paul BIYA, l'homme de la bourgeoisie, entrain de
prendre les costumes du rebelle. Si en revanche le BIR se range du
côté du pouvoir en place, la donne sera plus complexe pour les
putschistes. Ils auraient alors à faire à une armée de
6000 hommes mieux entrainée et mieux équipée qu'eux. Le
pays pourrait alors en ce moment durablement se diviser et deux facteurs
pourraient faire pencher la balance du côté des putschistes : le
soutien de la population et le soutien des puissances étrangères
aux putschistes.
Scénario 3 : une révolution du type
printemps arabe
C'est le scénario d'une révolution globale des
populations qui se décideraient par exemple à en découdre
avec le locataire d'Étoudi. Une telle action peu difficilement aboutir,
étant donné le niveau élevé du renseignement
camerounais; du moins en ce qui concerne les actions de déstabilisation
interne. L'hypothèse du peuple en corps convergeant vers Étoudi
est peu vraisemblable pour deux raisons. D'une part, l'armée et la
police feraient l'effort de circonscrire les populations de chaque
région de manière à ce qu'elles n'atteignent pas
Yaoundé. D'autre part, un dispositif spécial GP et BIR,
ajouté au BQG et aux forces de sécurité de la capitale a
toutes les chances de contenir la population de la ville ; ce d'autant que les
forces armées n'hésitent souvent pas à tirer à
balles réelles sur les populations. De surcroit, historiquement
Yaoundé n'a pas souvent été le foyer de la contestation au
Cameroun. C'est plutôt à Douala que revient ce titre. Les
émeutes de février 2008 sont le seul cas de l'histoire
récente du Cameroun où Yaoundé a été
associé aux manifestations et revendications populaires. Par ailleurs le
système néopatrimonial a pénétré la plupart
des corps sociaux ; de sorte que dans le cadre d'une action collective il est
fort probable que chacun cherche à profiter des bénéfices
de la mobilisation sans pour autant supporter le coût : c'est la logique
du free rider qui pourrait dominer.136 Autre handicap, le
système néopatrimonial fait qu'il n'est pas exclut que quelques
figures éminentes de la protestation se laissent
corrompre137, ou à défaut que prévale à
un certain moment la logique du chacun pour soi. De fait, l'histoire de
mobilisations sociales au Cameroun, montre que les entrepreneurs de l'action
citoyenne n'ont
136 Voir OLSON MANCUR, La logique d'action
collective.
137 La corruption des entrepreneurs de la mobilisation
constitue une des ressources du gouvernement perpétuel camerounais.
Cette corruption peut s'effectuer sous la forme monétaire, comme avec
les leaders de mobilisations estudiantines ou les chefs de file de
l'opposition. Elle peut aussi prendre la forme des avantages en nature, comme
une proposition de nomination ministérielle pour un entrepreneur
politique contestataire ou encore une proposition de bourse d'étude
à l'étranger pour un chef de fil d'une mobilisation
estudiantine.
pas souvent su régler les problèmes qui naissent
à l'occasion de l'action collective, et surtout la fameuse question de
l'usure du mouvement sur laquelle le pouvoir en place s'appuie toujours.
Février 2008 est l'exemple même d'une mobilisation qui aurait pu
aboutir à une conjoncture fluide si elle était suffisamment
encadrée et manoeuvrée. Enfin, l'autre aspect est celui de la
liquidation ou de l'emprisonnement d'éventuels leaders d'un tel
mouvement. En février 2008, dès le début des
manifestations, le pouvoir a tôt fait d'arrêter et d'emprisonner
MBOUA MASSOCK. De telles manoeuvres sont de nature à saupoudrer l'action
déstabilisatrice, dans la mesure où les populations se
retrouveraient sans leader et expert pour conduire la révolution
à son terme. Cependant, le pouvoir peut vaciller si trois situations
cumulatives se produisent. Il peut s'agir du soutien tacite ou actif d'une
frange de l'armée ; de la militarisation comme en Lybie de la
révolution et d'un soutien international, qui dans le cas camerounais
sera sans doute acquis étant donné que le régime BIYA
n'est pas en odeur de sainteté auprès du bloc occidental.
Scénario 4 : une action commando
C'est le scénario d'une action commando du type de
celle qui a été menée en 2009 en Guinée Bissau
contre la présidence de la République et qui s'est soldée
par un échec. C'est également le scénario de ces types
d'action auxquelles nous avaient habitué dans les années 80-90
les mercenaires des grandes puissances qui installaient et délogeaient
tel ou tel chef d'État ne servant pas leurs intérêts. C'est
aussi le scénario de multiples coups d'état fomentés en
Amérique latine par la CIA.
Au Cameroun, une telle action si elle est dirigée
contre la présidence peut difficilement réussir. Non seulement en
raison du positionnement géographique du palais présidentiel.
Mais aussi par le fait que Yaoundé est un hearthland. Les
commandos seront probablement aperçus avant d'arriver au lieu du combat.
Or la GP et la DSP étant alertées à l'avance, ils n'auront
aucune chance de succès. Le seul moyen de réussir une telle
action dans le contexte géopolitique et militaire de la
présidence du Cameroun est de bénéficier de l'effet de
surprise. Or les assaillants ne pourront pas bénéficier de cet
effet.
Tableau1 : Probabilité d'attaque de la
présidence de la République
|
TRES IMPROBABLE
|
IMPROBABLE
|
PLUTeT IMPROBABLE
|
PLrrer PROBABLE
|
PROBABLE
|
TRES PROBABLE
|
SCENARIO I
|
X
|
|
|
|
|
|
SCENARIO
2
|
|
|
|
|
X
|
|
SCENARIO
3
|
|
|
|
X
|
|
|
SCENARIO
4
|
|
|
X
|
|
|
X
|
TOTAL
|
X
|
|
X
|
X
|
X
|
X
|
Source : Hans De Marie HEUNGOUP
NGANGTCHO
Au vu de ce tableau, la conclusion que l'on peut en tirer,
c'est que la présidence de la République du Cameroun n'est pas
à l'abri d'une déstabilisation et pourrait ne pas résister
en cas d'attaque dans trois hypothèses. Qu'en est-il du cortège
présidentiel ?
Attaquabilité et inattaquabilité du
cortège présidentiel
Si l'attaque la présidence s'avère une
opération périlleuse, celle du cortège est comparativement
facile. Comme pour le précédent tableau, nous avons
dégagé quatre hypothèses correspondant à des
scénarios.
Scénario 1 : un déferlement
populaire
Que se passerait-il si la population de Yaoundé se
décidait à lyncher le cortège du président ? La
conclusion immédiate est que le président ne serait pas atteint.
D'abord parce que les passages présidentiels font l'objet d'un tel
filtrage des populations qui font la haie qu'en général ce sont
les partisans du pouvoir en place (RDPC) qui sont autorisés à
être présents. Et même si une telle action devait se
produire, la population se retrouverait dans les premiers moments de la
contestation en effectif numérique inférieur par rapport aux
forces de l'ordre qui de surcroit sont armées. Ce qui laisserait assez
de temps pour procéder à l'extraction du président et de
sa suite et les mettre à l'abri. Une telle initiative nous semble
à tous points de vue irrémédiablement vouée
à l'échec.
Scénario 2 : révolution de
palais
Le cortège du président peut-il résister
à une mutinerie de l'armée ou de la GP ? La réponse n'est
pas évidente et dépend de plusieurs facteurs. Dans un premier
temps, si le collectif hégémonique Béti-RDPC se
décidait à éliminer son « champion », via la
complicité de la DSP ou de la GP, c'est absolument certain, le
président serait déchu. En revanche, si l'armée se
décide à procéder à un coup d'état via
l'attaque du cortège présidentiel, il n'est pas absolument
certain qu'elle réussie sans la complicité de la GP et de la DSP.
Il est même fort possible qu'une telle action soit vouée à
l'échec. Les putschistes devront faire face en ce moment à une GP
bien entraînée et dévouée. L'issue de la bataille ne
sera pas décisive dans la mesure où même s'ils vainquent,
cela leur prendre beaucoup de temps. Lequel temps est assez suffisant pour
procéder à une extirpation du président. Les putschistes
ne pourront pas bénéficier des véhicules lourds
(Blindés, avions, hélicoptères), étant donné
que pendant les déplacements du président sur le territoire
national, la SEMIL veille à ce que tous les véhicules lourds de
la capitale soit neutralisés. Ce n'est donc que par la complicité
des éléments de la sécurité présidentielle
(DSP, GP) qu'une manoeuvre militaire contre le cortège a toutes ses
chances de réussir.
Scénario 3 : action d'un sniper
Un sniper peut-il dénicher le président durant
son déplacement dans la capitale ? Aucune réponse
définitive n'est possible. Et le fait que ce ne se soit jamais
passé ne signifie pas que ce ne soit pas possible. Même dans des
pays aux compétences sécuritaires avérées, il
arrive toujours que l'on puisse atteindre un chef d'état par le moyen
d'un tir à distance d'un sniper. Au Cameroun, l'utilisation des
limousines blindées annihile une telle hypothèse, sauf à
utiliser des moyens lourds comme les lance-roquettes. Du coup, le seul moyen de
réussir un tel coup est d'attendre le moment où le
président sort de son véhicule.
Scénario 4 : action commando
Enfin, une action commando peut-elle réussir contre le
cortège du président ? Ici également, comme dans le
précédent scénario, aucune réponse n'est
définitive. Toutefois, le dispositif policier et militaire du
cortège, de même que la surveillance de l'espace aérien de
la capitale accroit les contraintes opérationnelles d'une telle action.
Mais rien n'est jamais sûr dans cette matière. Ces derniers mois
ont vu un commando américain venir à bout de Ben Laden, sans que
le Pakistan ne soit au courant que son espace aérien était
entrain d'être violé.
Or, le Pakistan dispose de meilleurs radars et engins de
détection spatiaux que la Cameroun. Il semble qu'ici tout
dépendra de celui qui fera le coup.
Tableau2 : Probabilité d'attaque du
cortège présidentiel
|
TRES IMPROBABLE
|
IMPROBABLE
|
PLrror IMPROBABLE
|
PLrror PROBABLE
|
PROBABLE
|
TRES PROBABLE
|
SCENARIO I
|
X
|
|
|
|
|
|
SCENARIO
2
|
|
|
|
|
X
|
|
SCENARIO
3
|
|
|
|
X
|
|
|
SCENARIO
4
|
|
|
X
|
|
|
X
|
TOTAL
|
X
|
|
X
|
X
|
X
|
X
|
Source : Hans De Marie HEUNGOUP NGANGTCHO
Ce chapitre a évalué la place et le rôle
du BIR et de la GP dans la configuration sécuritaire
présidentielle. Depuis 1986, la gendarmerie nationale qui constituait la
force d'élite du Cameroun est tombée en disgrâce au profit
de l'armée. Le président a créé le SED qui remplace
la SEI. Aujourd'hui, c'est l'armée qui a le vent en pourpre, puisqu'elle
est venue à la rescousse du pouvoir à plusieurs reprises. Parmi
les militaires, le BIR et la GP se situent au coeur de la configuration du
pouvoir présidentiel. La GP comme le BIR sont des forces
spéciales parmi les mieux entraînées du Cameroun et de
l'Afrique. Si la GP a pour rôle exclusif la protection du
président, le BIR en revanche constitue une vraie force de
défense camerounaise. Il ressort de ce chapitre qu'à ce jour il
est l'atout majeur du Cameroun contre une agression éventuelle ou une
guerre civile intérieure.
CHAPITRE 4 LE BIR ET LA GP, HISTOIRE D'UNE FRAGILITE
DE LA DEFENSE DU CAMEROUN: RETROSPECTIVE ET PROSPECTIVE
« Toutes les armées étant les
premières du monde, seule l'épreuve du combat rétablir la
hiérarchie authentique entre elles ».138
Raymond ARON
Le précédent chapitre a fait état de
place du BIR et de la GP dans la configuration sécuritaire
présidentielle. Il a démontré que le BIR et la GP sont des
dispositifs essentiels dans la défense de la présidence de la
République et la pérennité de l'exécutif
gouvernant. Il a montré également que la GP joue à ce jour
un rôle névralgique dans la défense nationale ; que le BIR
constitue l'atout stratégique majeur du Cameroun. Présenté
ainsi, ce tableau occulte les nombreux actes d'indiscipline du BIR, les
clivages accentués entre ce corps et les forces
régulières. Présenté ainsi, ce tableau occulte la
symbolique préto-présidentielle de la GP qui accroit la fracture
entre l'armée et le peuple. Présenté ainsi, ce tableau
oublie de faire savoir qu'une fracture entre l'armée et le peuple serait
suicidaire pour un pays qui a adopté comme concept stratégique :
la défense populaire.
Cela nous conduit à réinterroger les motifs
officieux de la politique de défense du Cameroun et à
démêler l'écheveau de la totalisation sécuritaire du
président de la République. L'obsession sécuritaire
présidentielle et la philosophie politique du gouvernement
perpétuel expliquent la création et l'engraissement de ces corps
de défense. Toute chose étant égale par ailleurs, la
monopolisation présidentielle des FAC en général et du BIR
et la GP en particulier entraine la fragilité de la défense du
territoire. Le BIR et la GP deviennent à ce moment le talon d'Achille du
dispositif de défense et de sécurité camerounais.
Ce chapitre va présenter quelques
éléments de prospective sociopolitique, sociogéopolitique
et sociostratégique de la défense camerounaise (Section 2). Mais
avant, une rétrospective sociologique et historique est
nécessaire (Section 1).
138 ARON Raymond, Paix et guerre entre les
nations, Paris, Calmann-Lévy, 1984, p. 64.
SECTION I ENDOSCOPIE ET ARCHEOLOGIE DE LA DEFENSE
ET LA SECURITE AU CAMEROUN
L'étude archéologique de la défense et
sécurité du Cameroun croise deux moments : la défense du
Cameroun précolonial et colonial ; et la défense du Cameroun
postcolonial, notamment durant le conflit de BAKASSI. Cette étude permet
de faire aisément la chirurgie endoscopique des capacités
camerounaises de défense et de sécurité.
I- Une lecture archéologique de la défense
et de la sécurité du Cameroun
La littérature sur la défense du Cameroun
pendant la période précoloniale et coloniale est maigre. En
revanche, lorsqu'il s'agit de parler d'une question plus récente comme
le conflit BAKASSI, il ne manque pas quoi lire et qui interviewé.
I.A- La défense du Kamerun précolonial et
colonial
Il n'existe quasiment aucun document sur la défense du
Cameroun précolonial et colonial. Cela peut s'expliquer aisément,
vu que l'armée camerounaise est née en 1959. Avant cette date, il
n'existait pas d'armée camerounaise. Le Cameroun de cette époque
étant alors sous mandat des Nations Unies. L'histoire du nationalisme,
du protonationalisme, de la résistance à la
pénétration allemande dans le Nord du Cameroun est fort utile en
ce moment d'errance et de cécité stratégique. L'objectif
ici est de s'interroger sur les arts de faire la défense en Afrique et
au Cameroun avant la modernité occidentale. Cela revient à
s'inspirer des victoires militaires africaines et camerounaises face à
l'occident.
Parmi les faits marquants de la proto-défense
camerounaise, c'est-à-dire de 1474 à 1919, l'histoire de la
résistance armée BAKWERI (1891-1894) au colonialisme allemand est
fort instructive. L'histoire de la résistance militaire des BAKWERI
contre les Allemands est également l'histoire du chef KUVA LIKENYE de
Buea. La défaite épique des forces Allemandes en 1891 demeure
l'un des chapitres les plus glorieux de l'histoire militaire du Cameroun. La
première guerre Bakweri-allemande de 1891 a ses origines dans le
désir du gouvernement colonial allemand d'occuper le territoire autour
du Mont Cameroun. Ce territoire est stratégique par la richesse du sol
et du sous-sol. Le casus bellus BakweriAllemagne est d'ordre
géoéconomique.
En novembre 1891 une force expéditionnaire allemande,
menée par le Commandant Karl FREIHER GRAVENREUTH, est envoyée
pour combattre les poches de résistance et
faire une démonstration de force. Le contingent
allemand a également inclus les soldats du Dahomey, du Togo et de la
Sierra Leone qui avaient débarqué quelques jours plus tôt
au port de Victoria (Limbe). Quand le chef KUVA LIKENYE s'est rendu compte de
l'attaque imminente des forces allemandes, il a disposé ses hommes
(environ 400, tous des paysans locaux). Un accrochage mémorable eut lieu
au ravin de NAMONGE. Malgré les forces allemandes supérieures,
les hommes de KUVA LIKENYE ont tenu leur terre et stoppé
l'avancée allemande à Buea. Le commandant allemand, Karl FREIHER
GRANVENREUTH, fut tué. Pendant les trois années à venir,
les BAKWERI ont tenu les Allemands en échec, les empêchant de
s'implanter sérieusement dans la région. Cette défaite eut
des répercussions importantes pour la suite de la colonisation
Allemande, en effet les troupes auraient du s'implanter plus loin à
l'intérieur du pays, afin de contrecarrer les mouvements
Français. En mars 1894, l'Allemagne signe un accord, avec la France, qui
fixe la frontière orientale du Cameroun bien plus étroitement que
prévu. Grâce à leur victoire sur les forces
impérialistes Allemandes, les BAKWERI ont, avec succès, ralenti
l'avance des Allemands dans l'intérieur du pays camerounais.
Dans l'histoire de la pénétration allemande, le
14 juillet 1884 correspond à la signature du traité
germano-camerounais. Le drapeau Allemand est planté sur le plateau JOSS.
Jusqu'en 1907, les Allemands vont explorer le Cameroun et délimiter ses
frontières en passant des accords avec la France et l'Angleterre.
Cependant, les militaires allemands ont fait face à plusieurs
résistances. Parmi elles ont peut citer :
- Les DOUALA avec l'exécution de DOUALA MANGA BELL ;
- Au sud avec les exécutions de MADOLLA et Martin Paul
SAMBA ; - Les BASSA et les BAKOKO ;
- Les LAMIDO de TIBATI, de NGAOUNDERE et de REY BOUBA.
Au Cameroun récent, c'est-à-dire
franco-britannique, la défense a été essentiellement
assurée par les empires coloniaux. L'entreprise coloniale a
été une entreprise de fabrication du Cameroun actuel. La tutelle
et le mandat des Nations Unies ont contribué à la fabrication de
ce pays. Toutefois, l'histoire des nationalismes africains et camerounais
représente une école pour la construction de la défense
nationale camerounaise. Lorsque Pierre SEMENGUE raconte sa lutte contre l'UPC
dans le maquis, un détail retient l'attention. Pour lui, la
troisième période rebelle était mal organisée et
n'as pas fait d'escarmouche. Il n'a pas eu du mal à la mater. Or cette
période était conduite par des nationalistes modernes,
c'est-à-dire
ayant appris la science du blanc. Ils disposaient de plus de
moyens financiers, de plus de logistique et matériel de guerre que les
deux premières rébellions, mais ils n'ont pas pu inquiéter
l'armée. Pourtant, SEMENGUE reconnait qu'il a eu le plus grand mal
à venir à bout des deux premières rébellions, qui
étaient certes beaucoup moins armées et équipées
que la troisième, mais ont énormément
inquiété le pouvoir colonial. A cet effet, de YETNA LEBA et du
Commandant KISSAMBA, il affirme : « ces paysans étaient très
rustiques. Ils étaient peu nombreux et avaient très peu de
moyens, mais ils réussissaient toujours à nous échapper.
C'était vraiment difficile de comprendre leur stratégie
».139 Rappelons que ces propos sont ceux d'un officier
général camerounais qui a fait l'une des meilleures écoles
de formation militaire occidentale, à savoir Saint Cyr. Il reconnait
avoir déjoué aisément la troisième rébellion
plus encline aux techniques occidentales de la guerre. Mais avoir eu beaucoup
de peine à venir à bout d'une rébellion de paysans peu
équipés et peu nombreux.
139 ATEBA EYENE Charles, Op. cit., 2006.
I.B- La défense du Kamerun postcolonial : affaire
Bakassi
La frontière camerouno-nigériane longue de 1690 Km
a fait l'objet d'un conflit
juridico-politique et militaire entre le Cameroun et le
Nigéria. Le conflit qui a débuté le 16 mai 1981 connait
son apogée en 1996 avec la riposte camerounaise à l'agression
nigériane. Ce conflit s'est achevé le 14 août 2008 par la
décision de la CIJ de rétrocéder la péninsule
querellée au Cameroun. Le tableau ci-dessous fait un état des
lieux des forces en présence.
Tableau3 : Les effectifs des forces camerounaises
et nigérianes en 1994.
DEFENSE
|
CAMEROUN
|
NIGERIA
|
EFFECTIF TOTAL
|
28 000
|
85 000
|
ARMEE DE TERRE
|
14 000
|
62 000
|
ARMEE DE L'AIR
|
1500
|
7300
|
GARDE NATI ONALE
|
/
|
7000
|
GENDARMERIE
|
11 000
|
/
|
MARINE NATIONALE
|
EFFECTIF TOTAL
|
1600
|
9500
|
FREGATES
|
/
|
2
|
CORVETTES
|
/
|
2
|
VEDETTES LANCE MISSILES
|
/
|
6
|
GARDES coTES
|
2
|
53
|
NAVIRES PORTEURS DE MINES
|
/
|
2
|
PATROUILLEURS
|
1
|
/
|
PATROUILLEURS PORTEr MISSILES
|
1
|
/
|
Source : Emmanuel ELA ELA
Ce que l'on ignore, c'est que le Cameroun n'a pas que
gagné cette guerre sur le terrain juridique et politique. De fait, sans
l'action des forces armées camerounaises qui ont repoussé les
forces nigérianes, qui avaient déjà
pénétré à 10 Km du territoire, la décision
de la CIJ
140
ELA ELA Emmanuel, Op. cit., 2001, p. 68.
n'aurait pas été aussi facilement
acceptée. Le conflit de Bakassi met aux prises la
12ème puissance militaire africaine à la
7ème. Elle met aux prises la deuxième économie
africaine à la 21ème. Elle met aux prises 135 millions
d'habitants à 14 millions. Lorsque le Président SANI ABACHA du
Nigéria lance en 1993 l'opération HARMONY IV, il mobilise 3
bataillons d'infanterie mécanisée et 1 bataillon amphibie pour
l'armée de terre. Les forces aériennes sont dotées
d'hélicoptères de transport et d'assaut ;
d'hélicoptères de type Puma, Lynx ; Alpha Jets ; MIG 21. Ces
forces possédaient également des canons de 155 mm dont la
portée de tir en cas de tir atteignait la zone camerounaise. Le
Nigéria mobilise en somme 10 000 hommes, des moyens aériens, des
vedettes rapides, des bâtiments de guerre ; et surtout le JONATHAN.
La riposte camerounaise prend l'appellation d'opération
DELTA. Le Cameroun mobilise 3 groupements de combat, 1 compagnie du BBR, 1
compagnie du BTAP, 1 compagnie des FMC, 2 Batterie d'Artillerie Sol-Sol, 2
Sections du Génie Combat, 1 Batterie d'Artillerie Sol-Air, 1
Détachement Milan du 51ème Bataillon
Interarmées (BIA), 1 section Prévôté à Shell
Creek et 1 Division de 45 vedettes et embarcations rapides (DIVET). Au total,
les forces camerounaises mobilisent 5000 hommes, 3 avions de combat Alpha Jets,
7 hélicoptères Puma et Gazelle. La résistance de
l'armée camerounaise, malgré le déséquilibre du
rapport de force repose sur l'efficacité politique et
stratégique, l'efficacité opérative et l'efficacité
tactique des FAC, et sur les faiblesses nigérianes. En effet, les FAC
disposaient d'une meilleure soldatesque que les FAN. Si l'on observe le tableau
ci-dessous, on se rend compte que le Cameroun dépense deux fois plus
d'argent par militaire que le Nigéria. En dehors du plan financier, les
soldats Cameroun étaient beaucoup mieux formés que ceux du
Nigéria. Un Officier camerounais met en moyenne 2 ans pour sa formation
contre 6 mois pour le Nigéria. Un simple soldat met 9 mois contre 45
jours pour le Nigéria. La capacité tactique et
opérationnelle des officiers généraux camerounais a
pesé sur l'issu du conflit. Dans cette guerre, le Cameroun a perdu 200
à 300 hommes, dont 120 en décembre 1993. La guerre a fait
plusieurs disparus et près de 200 prisonniers de guerre. Le Cameroun a
également perdu 3 hélicoptères, 1 Sweep Ship, des
armes et des munitions. Du côté du Nigéria on
dénombre 3000 morts, dont 2000 lors de la contre-attaque camerounaise de
mars 1996, des centaines de prisonniers et disparus, le Jonathan, des armes et
munitions.
La souveraineté camerounaise ayant été
reconnue par l'arrêt de la CIJ du 10 octobre 2002 et par l'accord de
Greentree du 14 août 2008, BAKASSI a été
rétrocédé au Cameroun.
Tableau4 : État des défenses
nigériane et camerounaise en 2006.141
DEFENSE
|
CAMEROUN
|
|
NIGERIA
|
|
EFFECTIF TOTAL
|
14 000
|
|
78 500
|
|
BUDGET
|
197 MILLIONS
DOLLARS
|
DE
|
572 MILLIONS
DOLLARS
|
DE
|
DEPENSES MILITAIRES
|
1,63% DE PNB
|
|
1,92% DE PNB
|
|
EVOLUTION DU BUDGET DE LA
DEFENSE
|
+5%
|
|
+22, 58%
|
|
DEPENSES MILITAIRES PAR HABITANT
|
12 DOLLARS
|
|
4 DOLLARS
|
|
DEPENSES MILITAIRES PAR MILITAIRE
|
14 071 DOLLARS
|
|
7287 DOLLARS
|
|
ARMEE DE TERRE
|
EFFECTIFS
|
12 500
|
|
62 000
|
|
VEHICULES BLINDES
|
110
|
|
9500
|
|
FORCES AERIENNES
|
EFFECTIFS
|
300
|
|
9500
|
|
ANIONS DE
COMBAT
|
4
|
|
50
|
|
MARINE NATIONALE
|
EFFECTIFS
|
1300
|
|
7000
|
|
SOUS MARINS
|
2
|
|
/
|
|
CORVETTES
|
/
|
|
5
|
|
FREGATES
|
/
|
|
1
|
|
Source : Ernest Claude
MESSINGA142.
II. Endoscopie des capacités camerounaises de
défense et de sécurité
L'étude des capacités camerounaises de
défense et de sécurité permet de distinguer les
capacités opérationnelles, d'une part ; et les atouts
stratégico-militaires, d'autre part.
141 Hormis gendarmerie et GP camerounaises d'une part ; et Garde
nationale et GR nigérianes d'autre part.
142 MESSINGA Ernest Claude, op. cit., 2009,
p.p. 97-113.
II.A- Les capacités opérationnelles de
l'armée camerounaise
Le concept d'emploi des forces camerounais a
opéré une mutation qui remonte aux années 90.
L'armée régulière est de plus en plus supplantée
par les unités spéciales. Cette évolution est en partie
inhérente à la montée de l'insécurité
régionale et aux transformations des menaces qui pèsent sur la
sécurité du territoire. Elle s'inscrit également dans un
contexte d'inefficacité de l'armée régulière et
d'incapacité pour le budget de la défense camerounais à
entrainer et équiper convenablement une armée qui
désormais compte 40 000 hommes, y compris Gendarmerie, BIR et GP. Ce
phénomène n'affecte pas que le secteur de la défense. La
sureté nationale elle-même a connu une évolution avec la
création ces vingt dernières années d'unités
spéciales de la police (ESIR, GSO). Globalement, sur les 40 000 hommes
que représentent les FAC, 10 000 font partie des forces et unités
spéciales. Le BIR et la GP à eux seuls réunissent 6000.
Les 4000 restants sont répartis en BSA, FMC, FAI, etc. Le Cameroun
dispose donc d'une soldatesque de troisième et de quatrième
catégorie. Les forces de « 3ème catégorie »
s'entrainent peu et sont peu équipées. En revanche, celles de
« 4ème catégorie » disposent d'un
entraînement et d'un équipement de haut niveau, du moins pour le
contexte national et africain.143
Comparé aux puissances militaires mondiales, le
Cameroun est plus que nain. Mais comparé aux puissances militaires
africaines, le Cameroun a un niveau moyen ; ce qui lui vaut de figurer à
la 12ème position de notre classement des armées
nationales africaines. Les pays comme le Djibouti, le Benin, le Burkina Faso
ont des armées de moins de 5000 hommes, avec un budget de la
défense inférieur à 100 millions de dollars/an. Des pays
comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Ghana, le Togo, le
Mali, le Niger, la Mauritanie, le Gabon, le Tchad, la Guinée
Équatoriale ont des armées de moins de 20 000 hommes et un budget
de la défense qui ne dépasse pas les 200 millions de dollars. Ces
pays souvent comparés au Cameroun en matière économique
sont nettement inférieur à celui-ci en matière de
défense. En revanche, quelques pays comme l'Algérie, l'Afrique du
Sud, la Tunisie, l'Angola et l'Égypte ont des armées de plus de
80 000 hommes avec un budget de la défense de 5, 5 milliards de
dollars/an pour l'Algérie et l'Afrique du Sud ; 3 à 4 milliards
de dollars/an pour la Tunisie, l'Égypte et l'Angola ; et 1 à 2
milliards de dollars/an pour le Nigéria et le Maroc.
Sur le plan logistique, le Cameroun se classe également
à la 12ème position des armées africaines, avec
un budget de la défense de 400 millions de dollars. A côté
des armées de Côte
143 MESSE Léonard, « L'État-major des
armées et l'entraînement des forces », Mémoire de
Master Sécurité, Défense, Stratégie et Gestion des
Conflits, de l'Université de Yaoundé, CREPS, 2010.
d'ivoire, du Malawi et de Djibouti qui ne disposent d'aucun
hélicoptère ; à côté des armées
tchadienne, gabonaise, centrafricaine qui ne disposent d'aucun avion de combat
; les FAC comptent environ 30 hélicoptères de types Gazelle et
Puma et 20 avions de combats de type Alpha Jets et Foucade. Elles
bénéficient pour la surveillance aérienne des radars. Cela
contribue à la dissuasion et à la sanctuarisation du territoire
camerounais vis-à-vis des pays « frères » africains.
Mais la logistique aérienne camerounais est bien en deca du niveau
nigérian, 90 avions de combat ; algérien, 120 avions de combat ;
ou angolais, 100 avions de combat. Cinq pays africains comptent des satellites
à moyen orbite circumterrestre (MEO). Il s'agit de l'Afrique du sud, le
Nigéria, l'Algérie, la Lybie et la Tunisie.
Avec 200 chars d'assaut et véhicules blindés, 20
000 hommes, l'armée de terre camerounaise fait partie des 15
premières en Afrique. La marine camerounaise n'est pas en reste : deux
sous marins, 50 vedettes rapides d'embarcation, deux bâtiments de guerre
dont un appartenant au BIR-DELTA, une force spéciale maritime (Les FMC)
et 2000 hommes l'armée marine camerounaise a un niveau africain moyen.
En Afrique, les huit premières puissances maritimes disposent de sous
marins, corvettes, frégates et bâtiment de guerre. Aucun pays
africains ne dispose de sous marins lanceurs d'engin à propulsion
nucléaire. L'armée africaine ayant le plus grand potentiel
logistique maritime est l'Afrique du sud. Mais aucun de ces pays ne dispose
pour l'instant de porte-avion. Seules l'Algérie et l'Afrique du sud ont
mis officiellement en agenda la construction d'un porte-avion : 2015 pour
l'Afrique du sud et 2017 pour l'Algérie.
En dehors de la logistique, de l'effectif des troupes et du
budget de la défense, le niveau de formation des soldats camerounais et
l'intelligence tactique des officiers généraux accroissent le
potentiel opérationnel des FAC. Dans la seule vraie guerre que le
Cameroun indépendant ait connue, c'est le niveau de formation,
l'intelligence du combat et l'habileté des officiers et soldats
camerounais qui a fait la différence face à une armée
nigériane plus équipée et plus nombreuse. L'EMIA, KOUTABA,
AWAE, CSID, CAMPO, etc. confèrent à leurs lauréats un
niveau opérationnel et d'intelligence de combat de premier choix en
Afrique. Ces écoles militaires sont parmi les meilleures en Afrique.
II.B- Les atouts stratégiques du Cameroun
Le Cameroun dispose de plusieurs atouts stratégiques
pour la défense de la nation. Parmi ces atouts, certains sont militaires
et d'autres non-militaires. Parmi les atouts militaires, on peut citer : les
FAC, la réserve, le concept de défense, les accords de
défense, la culture
stratégique. Parmi les atouts non-militaires, on
retient : la politique étrangère pacifiste et neutre du Cameroun,
le réseau d'alliance diplomatico-militaire camerounais, son
indépendance stratégique, le nationalisme camerounais, la
capacité de résilience des populations, le relief et le climat
camerounais, et le fait que le Cameroun constitue un Étatpivot dans la
CEEAC ; ce qui fait que sa déstabilisation pourrait entrainer celle de
la région toute entière.
S'agissant des atouts militaires, les FAC constituent à
elles seules déjà un élément de dissuasion contre
toute attaque éventuelle d'un pays frontalier du Cameroun ou de quelque
pays africains que ce soit. Mais face à une armée de plan mondial
comme la Grande Bretagne, la France, les États-Unis, les FAC ne
pourraient pas résister. D'autres avantages stratégiques du
Cameroun pourraient alors contribuer à consolider la «
sanctuarisation défensive »144 du territoire. La
réserve mobilisable et la réserve non mobilisable pourraient
jouer un rôle fondamental dans la défense nationale en cas de
conflit de haute intensité. De même le concept d'emploi des forces
camerounais, même s'il ne cadre pas vraiment avec l'environnement
sociopolitique, est un élément cardinal de la dissuasion
camerounaise. Une armée qui fait corps avec le peuple serait impossible
à vaincre. Les Américains ont rencontré ce problème
au Vietnam. Malgré leur supériorité militaire
incontestable, ils n'ont pas su triompher des Viêt-Cong. La
réserve et le concept d'emploi des forces, s'ils sont bien
utilisés pourrait permettre de sanctuariser le territoire camerounais.
Ensuite, les accords de défense entre le Cameroun et la France, et, la
culture stratégique camerounaise concourent à la sanctuarisation
défensive du territoire national. Dans le conflit opposant le Cameroun
au Nigéria, la France n'a pas mis en oeuvre les accords de
défense dans la mesure où elle souhaitait éviter un
embrasement de la région pour éviter l'embrasement de deux pays
où elle a des intérêts pétrostratégiques,
mais la simple menace de l'intervention française, plus la riposte
camerounaise a poussé le Nigéria a renoncé à
d'autres attaques. Au sujet de cette menace, on sait qu'en 1996, la France a
fait atterrir 4 hélicoptères Gazelle à Douala, remplis de
conseillers et d'experts militaires français.145 Il est fort
probable que la France ne serait jamais allée jusqu'à
l'engagement général, mais cela a contribué à
dissuader le gouvernement nigérian, ou au moins à donner à
son peuple une excuse officielle par rapport aux pertes subies par les soldats
nigérians lors de la riposte camerounaise.
144 Par opposition à la « sanctuarisation
agressive » qu'obtient tout État nucléaire (Corée du
Nord), la sanctuarisation défensive permet juste d'annihiler tout projet
d'agression extérieure, du fait du coût prohibitif que
représenterait une telle initiative.
145 EBA'A Guy Roger, Affaire BAKASSI. Genèse,
évolution et dénouement de l'affaire de la frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun-Nigéria (1993-2002),
Yaoundé, Presses de l'UCAC, 2007.
S'agissant des atouts non-militaires, la politique
étrangère du Cameroun milite en faveur de la sanctuarisation du
territoire. Le pacifisme et la neutralité qui la constituent fait que le
Cameroun n'a jamais soutenu ou encourager une rébellion d'un pays
voisin. Ce pacifisme et cette neutralité jouent en faveur du Cameroun,
dans la mesure où elle lui évite des rancunes des pays voisins et
contribue à relativiser les occasions de conflit. A chaque fois que les
camerounais ont été expulsés manu militari de
Guinée Équatoriale, le gouvernement de Yaoundé n'a pas
véritablement protesté. Au plan stratégique, cette
politique prive les potentiels adversaires du Cameroun des occasions de
conflit. L'indépendance stratégique et la variabilité du
réseau d'alliance diplomatico-militaire camerounais renforcent sa
dissuasion. En refusant l'implantation de bases étrangères sur le
sol camerounais et en promouvant une culture stratégique
d'indépendance, le président AHIDJO avait posé les jalons
de l'indépendance stratégique du Cameroun. Cette
indépendance se décline tant au plan militaire qu'au plan
non-militaire. Au plan militaire, le Cameroun ne dépend pas d'un seul
pays ou d'un groupe d'alliance pour l'achat des armes et la formation de ses
soldats. Le réseau d'alliance diplomatique et militaire du Cameroun est
très varié. Ce qui permet au pays de ne pas être
dépendant d'une puissance, et donc d'avoir une certaine marge
d'autonomie et de manoeuvre. Cette indépendance est visible au plan
économique, le pays ne dépendant d'aucun pays riverain pour ses
exportations et ses importations, pour son alimentation, etc. Bref, le Cameroun
dispose d'un ensemble de ressources économiques qui font que, bien
géré, il serait autosuffisant sur les plans
énergétiques, alimentaires, commerciaux, etc.
Par ailleurs, le Cameroun est considéré comme l'
« État-pivot »146 dans la région Afrique
centrale CEEAC. Le concept d'État-pivot est d'origine américaine.
Avec les attentats du Wall Street center, la lutte contre le
terrorisme mondial passe par la pacification et la stabilisation des failed
state, des collapsed state et des collapsing state. Le
gouvernement camerounais a su tirer partie de ce contexte en se
présentant aux yeux des États-Unis comme l'exception de paix dans
une Afrique centrale rongée par les conflits et l'instabilité.
Les ÉtatsUnis étant favorable à un Cameroun
État-pivot de la région CEEAC, les autres puissances ne peuvent
que suivre. Ce qui traduit le souci des puissances mondiales de construire la
paix dans le golfe de guinée et l'Afrique centrale CEEAC à partir
du noyau camerounais.
Après avoir présenté les capacités
opérationnelles et les atouts stratégiques du Cameroun, nous
allons étudier la dimension prospective de cette défense.
146 Un état pivot est un état
considéré comme garant de la stabilité d'une
région.
SECTION II ELEMENTS DE PROSPECTIVE
SOCIOPOLITIQUE,
SOCIOGEOPOLITIQUE ET SOCIOSTRATEGIQUE
Quelle politique de défense et de
sécurité pour quel Cameroun en 2035 ? Comment adapter le concept
stratégique à l'environnement sociopolitique et
sociogéopolitique ? Quels harcèlements, contraintes et conflits
pèseront d'ici 2035 sur la sécurité nationale ? L'objectif
ici n'est pas de prévoir le futur, mais plus humblement d'essayer d'en
être des artisans, plutôt que de simples spectateurs ou des
victimes.
I- La fragilité sociopolitique et
sociogéopolitique du Cameroun
La prospective est une praxéologie ; le diagnostic est
la base de la prospective.147 Dans le contexte camerounais, projeter
sur vingt-cinq ans un plan général d'emploi des forces requiert
un diagnostic des faiblesses de notre politique de défense. Ces
faiblesses sont d'ordre sociopolitique et sociogéopolitique. Il s'agit
des clivages entre les unités spéciales et l'armée
régulière d'une part ; et de l'étiolement du lien
armée-nation d'autre part.
I.A- Les clivages entre les unités spéciales et
l'armée régulière : frictions internes,
mutinerie, conventionnalisation et routinisation
La défense et la sécurité camerounaise sont
marquées par les clivages entre les unités
spéciales des forces armées et l'armée
régulière. Ces clivages apparaissent au niveau du recrutement, de
la formation, de l'équipement, de l'entraînement des forces et de
la prise en charge matérielle du soldat. La sociologie militaire
camerounaise permet d'expliquer les frustrations et les ressentiments que
peuvent avoir les soldats des forces armées à l'encontre de leurs
frères d'armes des forces spéciales. Ces frustrations se sont
accentuées ces dernières années; ce d'autant plus que le
pouvoir politique en accordant toute son attention aux unités
spéciales a marqué sa défiance vis-à-vis des forces
traditionnelles. Les clivages sont aggravés par l'arrogance des forces
spéciales ; en particulier, le BIR et la GP. Celles-ci sont bien
conscientes que le pouvoir compte sur elles pour se reproduire et pour la
stabilité du pays. A rebours, l'arrogance des forces spéciales
accroit les ressentiments et les frustrations des soldats de l'armée
régulière. Au lieu que la création des forces
spéciales aboutisse à ce qu'Elie MVIE MEKA appelle «
l'émulation totale des forces armées
régulières»148, on assiste
147 Première année à l'école
militaire Saint Cyr.
148 Entretien avec Elie MVIE MEKA, Op. cit. 2011.
au contraire à ce qu'Alain FOGUE a appelé « la
logique de défiance interne entre les forces spéciales et les
forces armées régulières».149
Les clivages entre les forces de l'ordre ont
généré par le passé des affrontements entre forces
spéciales et forces armées régulières, d'une part;
entre forces spéciales et forces de sureté nationale, d'autre
part. De même, le classement des forces agit comme un marqueur social et
symbolique. Un policier avec qui nous avons eu un entretien nous a dit
détester les militaires. Nous lui avons demandé s'il
détestait plutôt les forces spéciales ; il a répondu
les militaires « tous bords ».150 Son sentiment n'est,
sans doute pas, celui de toute la police camerounaise, mais il exprime la
frustration des forces de 1ère catégorie face aux
forces de 2ème, de 3ème, puis de
4ème catégorie. Comme il le soulignait, « les
militaires se croient tout puissants. Ils croient que parce qu'ils ont les plus
long fusils ; ils sont plus forts. Je ne sais même pas ce qu'on leur met
dans la tête à KOUTABA. Un petit que tu as vu hier-hier grandir,
dès qu'on lui donne son fusil, il croit qu'il est le plus fort
».151 A propos des soldats du BIR, il affirme : « c'est
les voyous. Tu as déjà discuté avec eux. C'est les gars
qu'on ramasse au village ».152 Pour TCHOUNGUI Charles
Condition, un civil qui dit avoir été agressé par les
éléments du BIR, « les gars là sont pires que les
bandits. Les gars-là t'ont déjà agressé un jour ?
Je t'assure que je suis un gars qui sort la nuit, mais on ne m'a jamais fait
peur comme ca ».153 Le même verbe continue lorsque nous
interrogeons un Colonel de la Gendarmerie au SED. Celui-ci affirme que les
gendarmes sont supérieurs aux militaires et aux soldats du BIR. A ce
sujet, il dit précisément : « Nous les gendarmes, nous
subissons la même formation que ces gens. Nous faisons tous ce qu'ils
font ; et en plus nous assumons les missions policières. La Gendarmerie
est un corps de l'armée complet. Elle dispose d'atouts militaires et
policiers. Face aux militaires, nous sommes plus instruits et mieux aguerris
pour relever les défis de défense et de sécurité
fixés par le chef de l'État ».154 Au cours des
entretiens suivants avec les forces armées, de la GP et de la DSP, des
paragraphes de ce type reviennent. Il y a des soldats du BIR qui estimaient
qu'ils étaient « mieux habiles »155 que ceux de la
GP ; ceux de la GP qui nous rétorqué que le BIR c'était la
« force brute ».156 Enfin, un Commandant de la DSP nous a
fait savoir que son corps était le plus sensible. Au départ de
l'entretien, en plus de la
149 Entretien avec Alain FOGUE, 25 mai 2011.
150 Entretien avec un policier 12 mai 2011.
151 Idem.
152 Idem.
153 Entretien avec un Colonel de la Gendarmerie au SED, 25 mai
2011.
154 Ibidem.
155 Entretien avec des éléments du BIR.
156 Entretien avec des éléments de la GP.
lettre d'autorisation de recherche du ministre de la
défense, il exige celle du Directeur de la sécurité
présidentielle, le Général de division Yvo DESCANCIO.
Puis, nous discutons. Lorsque nous abordons la sécurité
présidentielle, il nous demande ce que nous voulons faire avec la
sécurité du président. Puis, il dit « tu sais que
c'est un domaine très sensible. C'est nous qui contrôlons tout. Ca
c'est mon petit frère, et, s'il t'a conduit vers moi ; je te fais
confiance. Mais avec le contexte de ces derniers temps, je ne peux rien dire
».157 Nous lui demandons de quel contexte il s'agit. Il
répond : « toi-même tu ne vois pas. La Lybie, la Côte
d'Ivoire. Tu suis les informations ? ».158 Nous lui demandons
ensuite si le BIR est désormais associé à la
sécurité du président, et n'y a-t-il pas cacophonie avec
la GP ? Il répond : « laisse les gens-là s'embrouiller. Les
vraies choses se passent chez nous ».159 Nous lui demandons
quelles vraies choses ? Il répond « les vraies choses
».160 Nous poursuivons en demandant, est-ce à dire que
le BIR et la GP ne sont pas les vraies choses ? Il répond : « c'est
le décor ».161 L'analyse que l'on peut faire de ces
entretiens est qu'il y a, parmi les forces armées et de police du
Cameroun, les frustrés et les frustrants. Parmi les frustrants, il y a
un conflit de centralité et de primauté dans la défense et
la sécurité du territoire. Les éléments du BIR, de
la GP, de la gendarmerie, de la DSP se pensent chacun être le noeud de la
stabilité du Cameroun.
Ces divisions constituent le talon d'Achille de la
défense camerounaise. Elles ont déjà conduit à des
frictions au sein de l'armée ; ou entre l'armée et la police. A
long terme, elles pourraient catalyser une mutinerie. A long terme la
sur-utilisation des forces spéciales au détriment des FAC
régulières pourrait causer la « routinisation » et la
« conventionnalisation » des forces spéciales, principalement
du BIR.
En ce qui concerne les frictions, elles sont nombreuses. Ces
dernières années, les colonnes des journaux Mutations et
Le Jour ne cessent de livrer au public des informations sur les cas de
bagarres entre policiers et militaires. A Douala les éléments du
GMI ont tabassé les policiers du commissariat du 7ème
arrondissement, après que ceux-ci aient gardé à vue par
erreur leur Colonel. Au stade Marion les soldats du BBR et les
éléments d'ESIR se sont affrontés. A Yaoundé, des
éléments du BIR sont régulièrement pris dans les
bagarres avec les éléments des autres corps. Sur ce dernier
point, un éclairage du Code militaire est important. Au Cameroun, le
Code militaire prévoit que c'est le Gendarme qui peut procéder
à une
157 Entretien avec un Commandant de la DSP, 04 mai 2011 à
ODZA.
158 Ibidem.
159 Ibidem.
160 Ibidem.
161 Ibidem.
arrestation d'un militaire ; ou à défaut la
SEMIL. Or, lorsque les militaires se retrouvent en infraction au Code civil,
pénal ou militaire, il est arrivé que des policiers
arrivés en urgence essaient de leur passer des menottes. Cela peut en
partie expliquer la rixe entre les éléments d'ESIR et un
militaire du BIR ; rixe qui a coûté la vie au soldat. Toutefois,
cela n'oblitère pas le fait que les frictions de tous ordres sont le lot
actuel des FAC et des FSN. Ces cas de bagarres font peser sur la défense
un risque sérieux à long terme de mutinerie et de
routinisation.
Jusqu'à présent, le collectif
bureaucratico-présidentiel n'a pu se maintenir au pouvoir qu'en
associant les FAC et les FNS à l'alliance hégémonique. Le
pacte d'acier entre l'armée et le pouvoir pourrait fondre, du fait de la
limite des ressources de l'État. En réalité, même
dans un État néopatrimonial, le gouvernement reste contraint par
la pression des « sans importance »162 et la finitude des
ressources de l'État. Le gouvernement ne peut pas ponctionner les
ressources étatiques à l'infini, dans la mesure où
celles-ci s'amenuisent. Le danger lorsqu'elles finissent, c'est qu'elle
entraine les injonctions des institutions financières internationales et
des grandes puissances. Il y a donc lieu vu cette exigence de modérer
l'embourgeoisement du collectif. Dans ce contexte, l'armée camerounaise,
avec ses 40 000 effectifs se voit de plus en plus écartée du
collectif, au profit des officiers généraux et d'une frange de
l'armée. L'exclusion d'une partie de l'armée du collectif est de
nature à provoquer une mutinerie ; étant donné que
même si ceux-ci appartiennent désormais à la classe des
cadets sociaux, ils conservent le privilège d'avoir des armes, et donc
de pouvoir imposer leur volonté plus facilement que le ferait la
société civile et le bas peuple. A ce jour, le CRM et la SEMIL
sont constamment en veille. Lors des évènements de février
2008, c'est cette frange de l'armée qui a laissé faire les
émeutiers, au point où le pouvoir fut obligé de faire
venir le BIR et les troupes de KOUTABA pour mater la grogne sociale. Le risque
d'une mutinerie au sein des FAC est bien réel. Ce risque serait
négatif pour la défense du territoire s'il aboutit à la
partition du pays en deux armées ou à la constitution d'un groupe
rebelle. En revanche, si la mutinerie aboutit plutôt à une
transition politique, cela pourrait déboucher sur un adoucissement des
tensions entre militaires.
La guerre civile et les dynamiques fragmentaires ne sont pas
les seuls dangers qui menacent la défense et la sécurité
du territoire national. Cette sécurité est d'ores et
déjà affectée du fait de la sur-utilisation des Forces
spéciales. En confiant à des forces spéciales
162 BAYART Jean-François, Op. cit., 1985.
des missions des forces armées
régulières, en les sur-utilisant, le danger qui guette la
défense camerounaise et même la sécurité
présidentielle, c'est la routinisation, voire la conventionnalisation de
ces forces, qui à terme perdent de leur lumière. En effet, le
principe même des forces spéciales, c'est leur
exceptionnalité, leur dimension enchanteresque. L'image du soldat du BIR
ou de la GP, mal vêtu, que l'on peut désormais croiser à
MOKOLO, ou saoul dans une vente à emporter (Bar) de la capitale,
contribue à démystifier et à démythifier ces corps.
Ce sont les forces spéciales dans l'ordinaire, la banalité du
quotidien. La clé de l'atomisation des libertés, de la congestion
cérébrale et du maintien au pouvoir est d'exercer une emprise
psychologique forte sur les populations. Pour y parvenir, il faut non seulement
de la distance entre la classe dirigeante et la classe dirigée (pour
éviter le mépris), mais surtout des forces de l'ordre craintes.
Au Cameroun, la police est moins crainte que le reste des forces de l'ordre,
pas forcément parce qu'elle serait la moins capable de réprimer
la population. Mais tout simplement parce qu'elle ne bénéficie
pas de cet effet de distanciation dont bénéficient les autres
corps armés. Au-delà des questions de corruption, de sa formation
et de son armement insuffisant par rapport à celui des autres forces, la
question de la distance et de la proximité est centrale dans l'exercice
de la tyrannie. De ce fait, au Cameroun, lorsqu'un nouveau corps vient
d'être créé, il bénéficie les
premières années de cet effet distance ; ce qui contribue
à le crédibiliser auprès de populations. Il suscite
à la fois la peur et la fascination. Puis, quelques années
après, ce corps rentre dans l'ordinaire de la nudité des FAC. Ce
fut le cas pour le GSO qui, les deux premières années de sa
création, était aux dires de tous le corps qui allait ramener la
tranquillité dans le pays. Le même bruit a eu court avec ESIR, le
GPIGN. Du côté de l'armée, les années AHIDJO
étaient à la gloire de la gendarmerie, les GMI. Puis, il y a eu
le BBR. Bref, la profusion de l'image nue, fatiguée, assommée,
sale, bref de l'image humaine des forces spéciales camerounaises
contribue à les dé-déifier. C'est dans ce sens que nous
parlons de fragilité de la sécurité présidentielle,
étant donné que ces forces spéciales, en occurrence le BIR
et la GP, constituent le liquide amniotique du pouvoir politique actuel. Au
niveau de la défense nationale, la sur-utilisation des forces
spéciales finira par entrainer leur routinisation ; ceteris
paribus, l'on assistera à rouille mécanique des forces
conventionnelles. Depuis 2008, le BIR a remplacé les FAC de
l'opération DELTA. Il est présent à ce jour dans quasiment
toutes les opérations de défense du Cameroun. En 2010, le BIR est
intervenu au Gabon pour sécuriser les élections
présidentielles. A Douala, Yaoundé, à l'Est, dans le grand
Nord, le BIR est associé dans le cadre des Brigades d'intervention
rapide des REMIL à presque toutes les opérations. Leur
contribution dans la sécurisation des cortèges
présidentiels de l'aéroport ; de la sécurisation de
la ville lors des grandes manifestations est également
régulière. Le danger qui guette le BIR d'ici quelques
années est sa routinisation. Pour l'instant, le fait qu'ils
dépendent directement du président de la République et
soient associés à la protection présidentielle maintien
leur standing élevé par rapport aux autres forces
spéciales déjà en voie de routinisation. Si cela arrive,
la mécanique de défense nationale se grippera.
I.B- L'étiolement du lien armée-nation :
tensions sociopolitiques
Le lien armée-nation fait partie inhérente de la
stratégie de défense de tous les pays au monde. Lorsqu'on lit la
politique de défense des États européens,
américains, asiatiques ou africains, partout, la référence
au lien armée-nation est permanente. Au Cameroun, le
lienarmée-nation est le coeur de la politique de défense, vu que
le concept stratégique actuellement en vigueur est celui de
défense populaire. Et comme l'ont souligné les discours des deux
présidents adressés aux forces armées, le concept de
défense populaire est adossé sur la symbiose entre l'armée
et la population. Toutefois, ce lien n'a vraiment jamais pu se tisser à
cause de l'utilisation des forces armées à des fins
répressives. Ce postulat est renforcé aujourd'hui par la
multiplication des cas d'indiscipline et d'incivisme dans l'armée.
De fait, le pouvoir au Cameroun s'est construit à
partir du « traumatisme d'État ». Pour se maintenir au
pouvoir, il a fallu susciter la peur au sein des populations.
L'Étattraumatisme se perpétue en formatant les consciences. Pour
ce faire, il s'est toujours appuyé sur l'armée. Ce qui fait que
le lien entre l'armée et la population est comparable au rapport du
subordonné à l'« homme en tenue »163. Le
rapport de l'armée et de la police à la population est encore
vécu comme sous la période coloniale. Dans les faits, l'abus de
pouvoir de la part des hommes en tenue est monnaie courante. Les cas de
bastonnade, de détention arbitraire, de fouille corporelle non
règlementaire sont relayés régulièrement par les
journaux camerounais. Vu sous un prisme axiologique, ces pratiques sont
pathologiques. Vu sous un prisme sociohistorique, ces pratiques ne sont que le
prolongement de l'ordre politique camerounais. Les FAC sont en partie le
prolongement des forces armées coloniales. Le même snobisme, le
même dédain pour les populations s'est reproduit. L'ordre
politique postcolonial au Cameroun est la continuité de l'ordre
politique colonial. De même, il y a une continuité entre les
forces armées coloniales et les forces armées postcoloniales
camerounaises.
163 Il s'agit ici des hommes en tenu par rapport aux civils.
Dans plusieurs langues nationales camerounaises, l'homme en tenu est traduit
par Gô tu ; c'est-à-dire celui qui tient le fusil. Ceci
s'explique par ce qu'aux yeux de ses populations, et c'est le cas dans la
pratique, les forces de l'ordre n'ont jamais cessé d'être des
forces coloniales.
II- La fragilité sociostratégique du
Cameroun
La fragilité sociostratégique fait
référence à l'ensemble des faiblesses de la
stratégie de défense camerounaise qui ont leurs sources dans la
société. L'étude sociostratégique du Cameroun nous
conduira à interroger la culture stratégique de ce pays. Ceci
permettra de scénariser et de projeter des situations
polémologiques.
II.A- Culture stratégique camerounaise
La culture stratégique est « l'ensemble des
pratiques traditionnelles et des habitudes de pensée qui, dans une
société géographiquement définie, gouverne
l'organisation et l'emploi de la force militaire au service d'objectifs
politiques ».164 Elle témoigne de la difficulté
qui existe à dissocier la stratégie de la société
et de la culture où elle est élaborée. La culture
stratégique comme toute culture est acquise. Le processus de
socialisation à une culture stratégique se fait à travers
une double dimension immatérielle et matérielle. Ainsi dans une
société donnée, un ensemble de valeurs, d'attitudes, de
pratiques traditionnelles formatent l`individu, et s'érigent pour lui en
principes et postulats fondamentaux dictés par la politique. Aussi,
l'étude d'une culture stratégique dans une société
donnée, doit-elle tenir compte des expériences spécifiques
de cette dernière. Il n'existe pas, en dehors de la doctrine d'emploi
des forces camerounaises éditée en 1980 et classée «
secret défense »165, des documents qui
définissent le système de défense camerounais et la
doctrine d'opérationnalisation de ce système. Toutefois,
L'analyse de six facteurs permet de déterminer non seulement la culture
stratégique dans un pays, mais aussi de cerner les
spécificités nationales. Ces facteurs sont : l'assise
géopolitique; le réseau international; l'idéologie et la
culture politique; la culture militaire.
La stratégie au Cameroun est définie par le
politique, tandis que le militaire se charge de mener à bien les
missions définies par le politique. En effet, la hiérarchie
stratégique compte trois grands axes principaux que sont : le premier
niveau qui est le niveau stratégique où le politique
élabore la politique de défense ; le deuxième niveau qui
est le niveau opérationnel où les États-majors
opérationnalisent la politique de défense ; le
troisième
164 CARNES L., « American strategic culture».
In comparative strategy. Vol 3, 1985.
165 Cette doctrine d'emploi des forces, énonce des
idées directrices qui doivent permettre la conduite de l'action
militaire en cas de conflit opposant le Cameroun à un autre pays. En
matière de défense les informations sont classifiées selon
leur nature et leur accès est limité aux personnes ayant fait
l'objet d'une habilitation particulière. On distingue quatre niveaux de
protection des informations en matière de défense classée
par ordre croissant : diffusion restreinte(il s'agit
des informations qui peuvent être connue de tous les militaires mais en
respect des règles de discrétion professionnelle) ;
confidentiel défense ( il s'agit des
informations qui, exploitées peuvent conduire à divulguer un
secret défense) ; secret défense ( ce
sont les informations dont la divulgation peut nuire à la
défense) ; très secret ( ce sont les informations qui
concernent les priorités gouvernementales de défense).
niveau, qui est le niveau tactique où les forces
armées sont mises en scène. Au niveau de l'État-major, le
militaire joue le rôle de conseil et donne si le politique le sollicite,
un avis pour la prise des décisions stratégiques. La formation
diversifiée des officiers camerounais entraîne dans l'armée
nationale une multitude de perceptions du métier des armes. Les
fondamentaux de l'art militaire se transmettent au cours de la formation
initiale. 85 % des officiers reçoivent leur formation initiale au
Cameroun. Cette réalité laisse penser que l'essentiel des
officiers camerounais ont un fond culturel militaire en commun. En effet, selon
le directeur des études et des programmes de la formation Initiale de
l'EMIAC, le Capitaine de frégate Georges NJOFANG, dès la
création de cette école militaire, le programme de formation
était fondamentalement militaire car le pays avait besoin de militaires
pour lutter contre la guérilla.166
La culture stratégique du Cameroun n'existe à ce
jour dans aucun document publié. Mais la culture militaire,
décrite comme la « base de l'efficacité militaire »,
peut contribuer à expliquer les « motivations, aspirations, normes
et règles de conduite », ce que l'on pourrait appeler l'essence
d'une armée dans une société donnée.167
Dans cette perspective, la culture militaire, l'un des éléments
déterminant de la culture stratégique, prédispose dans le
contexte camerounais, à la formation d'une culture stratégique.
La culture militaire au Cameroun est poreuse, dans la mesure où elle ne
représente pas un monolithe fermé au monde extérieur. Elle
est un système vivant, dynamique, ouverte au monde. Cet état de
chose prédispose la culture stratégique au Cameroun à
être une culture stratégique hybride. Ces caractères de la
culture militaire au Cameroun sont non seulement le produit de ses
spécificités nationales mais aussi de l'évolution de
l'environnement international auquel elle s'adapte. C'est ainsi qu'au lendemain
de l'indépendance, le Cameroun va signer avec la France au
départ, mais aussi avec d'autres pays étrangers par la suite, des
accords de coopération dans tous les domaines et dans le domaine
militaire en particulier. Le constat que l'on peut faire est que, les officiers
camerounais, tout au long de leur formation dans différents pays, se
retrouvent socialisés à des cultures militaires distinctes. Cette
réalité n'est possible que parce que la culture militaire
camerounaise est poreuse. La culture militaire se transmet par l'enseignement,
voire par l'habitus professionnel. Elle s'acquiert dans les écoles de
formation militaire lors des stages. En se formant dans les écoles
étrangères dans le cadre des différents accords de
coopération, les officiers camerounais sont dépositaires de
cultures militaires
166 Honneur et fidélité, n° spécial
du 20 mai 2005, p. 12.
167 PEMBOURA Aïcha, « Le processus de formation de la
culture stratégique au Cameroun : l'exemple des écoles militaires
», Mémoire de DEA en science politique, Université
de Yaoundé II, 2009, p. 45.
diverses. Le Cameroun étant dans ce contexte le terrain
de multiples cultures militaires, la culture militaire proprement camerounaise
se présente comme étant poreuse, prédisposant de ce fait
à la formation d'une culture stratégique hybride au Cameroun.
Le Cameroun mène une diplomatie qui s'articule autour
de quelques notions phares, à savoir la présence active, la
participation effective, le rayonnement et la solidarité mondiale. Parmi
les principes directeurs de ces notions, l'on compte en troisième
position la coopération internationale, après
l'indépendance nationale et le non-alignement.168 La
coopération est dans cette perspective un volet essentiel des forces de
défense camerounaises. Elle caractérise la capacité de
l'institution militaire à échanger avec
l'extérieure.169 Dès lors, la coopération ayant
comme objectif l'instauration d'un climat d'échange
réciproquement bénéfique entre les différentes
parties, l'on peut se demander quels sont les enjeux de la coopération
entre le Cameroun et ses pays amis en matière militaire,
particulièrement en ce qui concerne la formation des officiers
camerounais. Cette coopération peut être perçue comme un
partenariat au service non seulement de l'amélioration de la
présence française, de son influence au Cameroun, mais aussi de
l'amélioration de la formation de l'élite militaire camerounaise.
Aussi, la coopération militaire entre le Cameroun et ses partenaires
marocain, grec et chinois se présente-t-elle comme des partenariats
bénéfiques pour une diversification de la coopération
camerounaise en matière militaire.170 La promotion de la paix
par le Cameroun cadre avec cette ligne éditoriale et est
caractérisée par le triptyque suivant : la sécurité
à l'intérieur des frontières camerounaises en se
préservant des guerres civiles et d'éventuelles agressions ;
l'intangibilité des frontières africaines. Le Cameroun fait du
non recours à la force un précepte fondamental de sa diplomatie.
Ce pays n'a jamais été en guerre contre une puissance
étrangère ; tout au plus a-t-il connu quelques différends
avec ses voisins Équatoguinéens, Gabonais et Nigérian.
En somme, la stratégie de défense du Cameroun qui
se veut « populaire » est « défensive » et «
dissuasive »171.
168 Le non-alignement dont il est question est
nécessairement un non-alignement de façade, puisque sur
l'essentiel des questions internationales, le Cameroun adopte la position
française. Si elle ne le présente pas n'nécessairement
publiquement, cela se fait sentir lors des votes aux nations unies.
169 Honneur et fidélité, n° spécial
du 20 mai 2006, p. 32.
170 PEMBOURA Aïcha, op. cit., 2008, p. 56.
171 Commandant ELA ELA, op. cit., 2001, p. 62.
II.B- Simulations et analyses polémologiques
La simulation est une activité essentielle de la
prospective. Elle est pourtant l'enfant pauvre de la défense
camerounaise. Au MINDEF, il y a en tout une personne chargée des
études générales de prospective pour l'Afrique ; et une
autre chargée des études générales de prospective
pour le reste du monde. Et parmi leurs études, les simulations sont
marginales. L'étude des profils et background des officiers
nommés à ces fonctions explique en partie la quasi inexistence de
war's game analyze au Cameroun. Dans le cadre de ce livre, nous ne
pouvons prétendre avoir pris en compte l'ensemble des variables et
contraintes mathématiques qu'une simulation polémologique impose.
Il s'agit simplement de proposer un éclairage prospectif en fonction du
matériau dont nous avons disposé. Nous allons simuler, suivant la
répartition du bureau des Études générales au
MINDEF, deux conflits entre le Cameroun et deux pays de la CEEAC. Ce choix
s'est effectué en fonction du degré de tensions qui persistent
entre le Cameroun et ces pays.
Probabilités de tensions sous-régionales en
Afrique centrale
Ce volet concerne la probabilité pour le Cameroun de se
trouver en conflit avec les pays africains. L'espace de pertinence de cette
projection est limité en raison de la vastitude d'une projection sur les
54 États africains, mais surtout parce les pays africains, mêmes
les plus développés ne disposent pas de capacités de
projection de leurs forces suffisantes pour aller faire la guerre au sein d'une
autre région ; de surcroit à un pays qui militairement n'est pas
un nain en Afrique. C'est pourquoi nous avons limité cette prospective
à l'Afrique centrale CEEAC. Et dans cette Afrique centrale, il s'agit
précisément de deux pays avec lesquels le Cameroun a
été le plus en tension : le Nigéria et la Guinée
Équatoriale.
NIGERIA
La probabilité d'une tension militaire entre le Cameroun
et le Nigéria est dépendante de deux facteurs que nous pouvons
étudier.
Scénario1 : Putsch militaire au
Nigéria
Le Cameroun peut-il se retrouver en conflit militaire avec le
Nigéria si jamais un militaire arrivait au pouvoir au Nigéria par
putsch ? C'est l'hypothèse d'une non-reconnaissance des accords de
Greentree par l'autorité militaire putschiste. Cette
hypothèse est elle-même inhérente à la
probabilité d'un coup d'état militaire au Nigéria. Sur ce
sujet, il sied de dire que la démocratie nigériane, qui commence
à se mettre en place, du moins du
point de vue du suffrage universel, est très loin
d'être irréversible. Des poches de tension et des clivages
ethno-religieux existent encore dans ce pays. La probabilité qu'un
putsch militaire ait lieu au Nigéria n'est pas à écarter.
De même, si cela devait se produire, il n'est pas à écarter
également que les nouvelles autorités se montrent plus
entreprenantes en ce qui concerne le contrôle de l'espace
géostratégique que constitue BAKASSI. Autrefois, ce fut un
militaire, le Général SANI ABACHA qui avait lancé
l'offensive en 1993. Et la hiérarchie militaire nigériane n'a pas
jusqu'à présent toléré la riposte camerounaise de
1996, encore moins la démarche judicaire de l'ex président
OLESEGUN OBASANDJO. De ce fait, il est plutôt probable que si les
militaires arrivaient au pouvoir au Nigéria par putsch, ils remettraient
les accords entre OBANSANDJO et Paul BIYA en cause.
Scénario2 : Altercation entre les FAC et les
FAN
Si jamais il survenait une altercation faisant des morts
côté Nigérians entre les FAC et les FAN, du fait par
exemple d'un tir de missile perdu camerounais sur le sol Nigérian, cela
suffirait-il à déclencher un conflit militaire entre les deux
pays ? Il faut déjà se souvenir qu'en 1986, c'est une situation
de même nature qui a déclenché le différend entre le
Nigéria et le Cameroun. Dans une telle situation, il est fort probable
que les autorités camerounaises présenteront leurs excuses aux
autorités nigérianes. La réaction Nigériane
dépendra de celui qui sera au pouvoir et quels seront ses buts
inavoués. Si c'est un GOODLUCK JONATHAN qui est à la tête
du Nigéria, il est fort probable qu'il demandera d'importants dommages
et intérêts au Cameroun et, sans doute une sanction des militaires
camerounais à l'origine de cette bavure. Si en revanche à la
tête du Nigéria se trouve à ce moment un SANI ABACHA bis,
alors il est fort probable qu'ABUJA saisisse l'opportunité qui s'offre
à lui pour reconquérir la péninsule de BAKASSI. Compte
tenu des arguments énoncés, il est plutôt improbable
actuellement qu'une tension militaire ait lieu entre le Cameroun et le
Nigéria.
GUINEE EQUATORIALE
Un conflit Malabo-Yaoundé peut-il avoir lieu ? Il n'y a
pas à scénariser dans ce cas, la réponse est actuellement
non, mais à long terme oui. Actuellement, cela est impossible, parce que
le Cameroun et la Guinée équatoriale ne sont pas, comme le
Nigéria et le Cameroun au sujet de Bakassi ou le Cameroun et le Gabon au
sujet de l'île MBAMIE à la frontière D du
Cameroun, en situation de tension frontalière. Pour autant, le
ressentiment de Malabo à l'encontre de Yaoundé est grand. Le
snobisme du gouvernement AHIDJO et des camerounais vis-à-vis des
Équato-guinéens dans les années 60 à 90 est encore
vécu négativement dans ce
pays d'Afrique Centrale. A l'époque du tout puissant
Cameroun et de la toute petite Guinée équatoriale, le Cameroun a
même décliné des propositions de rattachement de ce pays.
Aujourd'hui, la Guinée équatoriale retrouve quelques
prospérités, et elle entend le faire savoir. Les autorités
guinéennes saisissent toutes les occasions pour le faire comprendre au
Cameroun. Mais la principale source de tension qui pourrait
éventuellement dégénérer en conflit est la question
de l'expulsion des camerounais résidant en Guinée
équatoriale.
Tableau7 : Probabilité de tensions
sous-régionales impliquant le Cameroun
|
TRÈS IMPROBABLE
|
IMPROBABLE
|
PLuTerT IMPROBABLE
|
PLrrerr PROBABLE
|
PROBABLE
|
TRÈS PROBABLE
|
NIGERIA
|
ScENARIO'I
|
|
|
|
X
|
|
|
ScENARI O2
|
|
|
X
|
|
|
|
GUINEE EQUATORIALE
|
ScENARIO'I
|
X
|
|
|
|
|
|
ScENARI O2
|
|
|
|
X
|
|
|
TOTAL
|
X
|
|
X
|
XX
|
|
|
Source : Hans De Marie HEUNGOUP
NGANGTCHO
CONCLUSION PARTIELLE
Cette partie a répondu à la question de savoir
quelle est la place du BIR et de la GP dans la politique de défense et
de sécurité du Cameroun et, précisément dans la
configuration sécuritaire présidentielle. Elle a mobilisé
le concept préto-présidentiel comme cadre paradigmatique
d'élaboration de la politique de défense officieuse. Le recadrage
présidentiel du BIR et de la GP est présenté en deux
chapitres : d'une part, la place du BIR et de la GP dans la configuration
sécuritaire présidentielle ; d'autre part, le BIR et la GP,
histoire d'une fragilité de la défense et sécurité
du territoire.
Il apparait qu'autant la GP constitue exclusivement une force
pétro-présidentielle, autant le BIR en plus d'être
pétro-présidentiel mène également avec
succès des missions de défense et de sécurisation du
triangle national. Toutes deux sont les meilleures unités d'élite
du Cameroun. Elles sont les mieux formées, les mieux
équipées, les mieux traitées et sont directement
liées à la personne du président de la République.
Ce qui ne manque, d'ailleurs, pas de susciter des clivages au sein de
l'armée entre les forces régulières et les forces
spéciales. Ce qui est plus à craindre, c'est la concurrence et
les conflits entre le BIR et la GP, tous deux en concurrence pour le monopole
du champ militaire camerounaise. La socioanalyse du rapport BIR et GP donne
à penser un hégémon (la GP) qui voit son prestige et son
influence relativisée et amoindrie par le nouvel arrivant le BIR.
Ce qui apparaît ensuite, c'est qu'au plan de la
prospective, l'exclusion des forces régulières entrainera la
routinisation du BIR. Quand à la GP, son aura est lié à la
pérennité du pouvoir en place. Si jamais le prince venait
à s'éteindre, la GP, perdrait tout de suite de son crédit,
du fait de sa fidélité ethno-politique au président
actuel. Ce fut le cas, en 1984, lorsque la GR fut dissoute. Le décret
avait déjà été pris avant même la tentative
de coup d'état. Dans un système néopatrimonial, chaque
président amène sa garde prétorienne qui, très
souvent, a une coloration ethnique.
Enfin, ce que l'on peut retenir de cette partie, c'est la
dimension prospective de la stratégie de défense et de
sécurité du Cameroun. Cet essai de prospective a permis
d'élaborer plusieurs types de scénarios. Ils concernent la
probabilité d'une tension entre le Cameroun et deux pays de la CEEAC.
Dans le premier cas, l'éventualité d'une reprise du conflit
militaire à BAKASSI entre le Cameroun et le Nigéria est moyenne;
dans le second cas, l'éventualité d'une tension militaire entre
Malabo et Yaoundé est quasi inexistante.
CONCLUS1ON GENERALE
Cette étude a porté sur « le BIR et la GP
dans la politique de défense et de sécurité du Cameroun.
Socioanalyse du rôle présidentiel, des concepts stratégique
et d'emploi des forces ». Le BIR et la GP constituent l'« alpha
» et l'« oméga » de la politique de défense et de
sécurité du Cameroun. Ils se déploient comme les forces de
prou de l'action perpétuitaire et hégémonique du pouvoir
présidentiel. Notre hypothèse de départ était qu'il
existe au sein de la PDSC une contradiction entre le concept stratégique
et l'emploi des forces de défense, notamment, du BIR et de la GP. Cette
contradiction s'inscrit dans la transmutation du système étatique
du Cameroun sous le deuxième régime qui se caractérise par
la présidentialisation de la PDSC. Dans ce contexte, le président
n'est plus garant de l'ordre public et de la défense du territoire; il
est l'ordre public et la défense du territoire. Notre hypothèse a
été vérifiée. Il y a bien une
présidentialisation de la défense et de la sécurité
du territoire ; laquelle présidentialisation a pu être
observée à partir de l'étude des textes, de la vie
politique camerounaise et des propos des vingt-cinq personnes ressources que
nous avons interviewées.
Cette étude s'est démarquée de celles
existantes parce qu'elle a mobilisé la sociologie politique des forces
armées du Cameroun et l'étude sociostratégique de la
politique de défense et de sécurité. Au terme, de ce
travail, quatre lois générales peuvent être
dégagées. Elles permettent de donner un « sens
»172 à la politique de défense et de
sécurité du Cameroun. Ces lois peuvent s'énoncer de
façon suivante : la politique de défense et de
sécurité du Cameroun est essentiellement fille du système
politique camerounais (1) ; l'alliance entre l'armée et le pouvoir
présidentiel structure et fabrique le champ politique camerounais (2) ;
le recadrage préto-présidentiel du BIR et de la GP est la
confirmation de la présidence de la République comme «
centre de force » du système politique camerounais (3) ; le BIR et
la GP constituent à la fois un atout et une limite majeur pour la
défense et la sécurité du territoire national (4).
1- SYSTEME POLITIQUE ET POLITIQUE DE DEFENSE AU
CAMEROUN
La constante générale qui s'est
dégagée de l'étude que nous avons menée est
qu'il
existe une filiation entre le système politique et la
politique de défense ; en ce sens que le système politique
engendre la politique de défense et de sécurité d'un
État. Ce constat peut faire l'objet de généralisation
en dehors du triangle national. Selon qu'un État est une
172 ZAKI LAÏDI, Un monde privé de
sens, Paris, Fayard, 1994.
dictature ou une démocratie, cela interagit
nécessairement sur la politique de défense de ce dernier. Pendant
la période NAZI, l'Allemagne avait une politique de défense et de
sécurité qui n'a plus rien de comparable avec l'actuelle
politique de défense et de sécurité nationale
déclinée dans le récent « Livre blanc allemand de la
défense et de la sécurité »173.
Aujourd'hui, l'Allemagne prône l'intangibilité des
frontières, le principe de la non-agression. Ce ne fut pas
forcément le cas lorsqu'en 1938, Adolphe HITLER décida d'envahir
la Pologne. Le même constat peut être fait pour le Japon, pour
l'Italie Mussolinienne, pour l'Espagne Franciste, pour la France de Bonaparte,
etc. En Afrique également, cette constante fait office de loi
générale. La politique de défense de l'Afrique du sud sous
l'Apartheid n'est pas la même qu'aujourd'hui. Pour le Cameroun, on peut
dire que l'on assiste à la répétition du scénario
sud-africain. Les enjeux dans le contexte qui est le nôtre se posent en
termes de domination, de pérennité au pouvoir et d'exclusion
d'une majorité des populations (les cadets sociaux) du partage du «
gâteau national ». En Afrique du sud, l'armée avait fait
alliance avec le pouvoir blanc, qui en fait est la bourgeoisie, pour mater et
exclure les catégories noires, qui en fait sont le prolétariat.
Au Cameroun, c'est la même situation, à l'exception de la donne
raciale. L'armée coloniale au Cameroun avait fait alliance avec le
pouvoir politique colonial, puis après la colonisation, l'armée
postcoloniale a fait alliance avec le pouvoir politique postcolonial, qui, en
fait représente la bourgeoisie dans notre contexte. Les cadets sociaux
sont exclus. Dans le système politique actuel, le président de la
République représente l'acteur clé de la
pérennisation de la formation dirigeante et du collectif
bureaucratico-présidentiel. Dans ce contexte, la
prééminence présidentielle dans le champ politique
déteint nécessairement sur l'armée et sur la politique de
défense de ce pays. D'où la
prétoprésidentialisation de la politique de défense et de
sécurité du Cameroun ; ce qui entraine une contradiction entre le
concept stratégique de défense et la doctrine d'emploi des forces
de défense, soit un travestissement de la politique de défense et
de sécurité.
II- ARMEE, P OUV OIR PRESIDENTIEL ET FABRICATION DE L'
ORDRE P OLITIQUE
L'alliance entre l'armée et le pouvoir
présidentiel structure et fabrique l'ordre
politique au Cameroun. Dépositaire du monopole de la
contrainte légitime et illégitime, l'armée est la
clé de voute du régime autoritaire. Elle permet au pouvoir
présidentiel d'assurer son hégémonie sur le reste de la
société, et par là, fabrique l'ordre politique
camerounais. La
173 MINDEF République fédérale d'Allemagne,
Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale,
téléchargeable sur le site du MINDEF d'Allemagne.
situation camerounaise est bien particulière, puisque
le président de la République exerce désormais son
hégémonie et son contrôle même sur l'armée.
Nous sommes bien loin d'une armée qui détiendrait les rênes
du pouvoir, et dont le président ne serait que le fantoche écran
exécutif. Au Cameroun, le président exerce dans les faits un
contrôle réel sur l'armée et la politique de
défense. Il y a donc symétrie. L'armée contribue à
fabriquer l'ordre politique et en retour le pouvoir politique récompense
les militaires. Le rapport armée-pouvoir présidentiel est inscrit
dans ce pays dans le partenariat gagnant-gagnant.
111- LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE C OMME a CENTRE DE
FORCE )) DANS SYSTEME POLITIQUE CAMER OUNAIS
Le recadrage préto-présidentiel du BIR et de la
GP a ceci de particulier qu'il confirme la présidence de la
République du Cameroun comme centre de force dans le système
étatique, et le président de la République comme
hégémon en chef du champ politique. Si la
téléologie officieuse des FAC s'inscrit dans la reproduction de
l'ordre hégémonique bureaucraticoprésidentiel, le
contrôle de ces forces par le président repositionne la
présidence dans le champ du pouvoir au Cameroun. Le fait que le ministre
de la défense ne soit qu'un délégué rattaché
à la présidence ; et le fait que les deux unités
d'élite les plus entrainées soient directement liées
à la présidence, permettent d'appréhender la place de la
présidence de la République dans le système
étatique. Le présidentialisme ou l'État-président
n'est possible au Cameroun que grâce au surpoids de la présidence
dans le système étatique, et les pouvoirs qui lui sont
conférés dans le champ politique. La centralité de la
présidence dépasse largement le cadre du secteur de la
défense. L'exemple du BIR et de la GP constitue finalement un cas parmi
tant d'autres de la centralité présidentielle dans le
système étatique.
1V- LE B1R ET LA GP, ELEMENT DE FRAGILITE DE LA DEFENSE
ET DE LA SECURITE DU TERRITOIRE
Le BIR et la GP s'inscrivent nécessairement dans la
téléologie des FAC. A ce titre, ils concourent à la
reproduction de l'ordre politique. Cette situation qui est patente pour la GP,
du point de vue de sa mission officielle et de sa coloration ethnique, l'ait
également à un moindre degré pour le BIR, du point de vue
de ses recrutements et entrainements, de son rattachement à la
présidence et de son association à la sécurisation et
à la protection du cortège présidentiel, des
édifices et palais présidentiels régionaux. La
présence du BIR à MVOMEKA et ces deux dernières
années le long des trajets qu'emprunte le président
témoigne de ce caractère prétorien. Ce recadrage date pour
la GP du 21 mai 1985. La tentative
de putsch de l'ancienne GR a amené le pouvoir actuel
à privatiser et à ethniciser sa sécurité. Tandis
que le recadrage du BIR date de février 2008. Leur démonstration
de force à Douala et à Yaoundé et leur capacité de
violence physique et symbolique a permis au pouvoir de mater les
émeutes. Depuis lors, le BIR bénéficie des bonnes
grâces du prince.
La question qui se pose ici, c'est quel est l'impact de
l'action du BIR et de la GP dans le dispositif de défense et de
sécurité camerounais ? Inévitablement, la réponse
diverge pour le BIR et la GP. La GP comme son nom y fait
référence n'est qu'associée à la
sécurité du président de la République et de sa
famille, et donc son impact ou son efficience dans la sécurité et
la défense des « camerounais au quotidien »174
n'existe pas. En revanche, le BIR contribue véritablement à la
défense de ce pays ; tant du point de vue de la sécurisation de
ses frontières maritimes à BAKASSI et à Limbé,
qu'à la lutte contre le grand banditisme dans les régions du
Nord, du Littoral et de l'Est. Toutefois, ces forces, qu'il s'agisse du BIR ou
de la GP représenteront une fragilité pour la défense du
territoire, du fait de leur association à un pouvoir illégitime,
dans un contexte où le concept stratégique de défense est
la défense populaire. De surcroit, les clivages entre l'armée et
la marginalisation en équipement et en entrainement de l'armée
régulière réduisent les possibilités
d'interopérabilité et d'interarmité. Le BIR et la GP
pourraient bien se retrouver seuls à défendre le pays en cas
d'agression. En plus, le snobisme qu'affichent ces forces à
l'égard des autres ne favorise pas la cohésion interne ; ce qui
donne lieu à une cassure au sein de l'armée camerounaise.
Si cet ouvrage venait à clôturer le champ de la
réflexion dont elle est potentiellement porteuse, une telle intention,
il faudrait l'ordonner à une ambition autre que celle qui est la
nôtre. Notre objectif, tout humble, n'était autre que de susciter
la réflexion, de semer des inquiétudes nouvelles : l'objectif
n'était point de « regarder ce que personne n'a encore
regardé, mais de méditer comme personne n'a encore
médité sur ce que tout le monde a devant les yeux » (Arthur
SCHOPENHAUER). Au demeurant, ce travail nous laisse d'avantage avec les
interrogations que des certitudes. Comment penser une armée
républicaine au sein d'un régime prétorien ? Faut-il
d'emblée conclure à l'impossibilité congénitale de
l'État du Cameroun à générer une armée
républicaine ? Quelles opportunités de recherche
présentent l'armée camerounaise au chercheur en science politique
?
174 PADIOLEAU Jean Gustave, L'État au concret,
Paris, P.U.F., 1982.
BIBLIOGRAPHIE
I- MANUELS, TRAITES ET DICTIONNAIRES
A-) MANUELS ET TRAITES
> BATTITELLA Dario, Théories des relations
internationales, 3ème édition mise à
jour et augmentée, Paris, Presses de Sciences Po, 2010.
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méthode sociologique, Paris, PUF, 1973.
> GRAWITZ Madeleine, Méthodes des sciences
sociales, 10ème édition, Paris, Dalloz, 1991.
> SCHEMEIL Yves, Introduction à la science
politique, Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2010.
B-) RECUEILS ET DICTIONNAIRES
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stratégie, Paris, PUF, 2000.
II- OUVRAGES
B-) OUVRAGES GENERAUX
> ARON Raymond, Paix et guerre entre les nations,
Paris, Calmann-Lévy, 1984.
> AUSTIN, Quand dire, c'est faire, Paris, Seuil,
1970.
> BACHELARD Gaston, La formation des l'esprit
scientifique, Paris, Vrin, 1977.
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sur l'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1992.
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l'État, Paris, 1997.
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sociale de la réalité, Paris, Méridiens-Klincksieck,
1986.
> BOURDIEU Pierre, Propos sur le champ politique,
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et esprit de corps, Paris, Minuit, 1989.
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3ème édition, 2007. > Carl Von CLAUSEWITZ, De la
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> CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhard, L'acteur et le
système, Paris, 1981.
> DE CERTEAU Michel, L'invention du quotidien, tome 1. Les
arts de faire, Paris,
Gallimard, 1990.
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Atlantic Area, Princeton, Princeton University Press, 1957.
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New York (N.Y.), Wiley, 1965. > ELIAS Norbert, La civilisation des
moeurs, Paris, Calmann-Lévy, 1991.
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LIDELL Basil, Strategy: the indirect approach, third revised edition
and
further enlarged London: Faber and Faber, 1954.
> HOBBES Thomas, Le Léviathan, traité de la
matière, de la forme et du pouvoir de la république
ecclésiastique et civile, Paris, Sirey, 1971.
> HUSSON Jean-Pierre, Encyclopédie des forces
spéciales du monde, 2 tomes, Histoire & Collections, Paris,
2000.
> HUNTINGTON Samuel Pierre, Le choc des
civilisations, Paris, Odile Jacob, 2009. > LEFORT Claude,
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> MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, Paris, Paris,
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Paris, P.U.F., 1982.
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Paris, PUF, Collections Que sais-je ? 2008.
> SUN-TSU, L'art de la guerre, Paris, Flammarion,
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New York, Mac-Graw-Hill, 1979.
> WOLFERS Arnold, Discord and collaboration,
Baltimore, John Hopkins University Press, 1962.
B-) OUVRAGES SPECIALISES
> ANGO ELA Paul, La prévention des conflits en
Afrique centrale. Prospective pour une culture de la paix, Paris,
Karthala, 2001.
> ATEBA EYENE Charles, Le Général Pierre
SEMENGUE. Toute une vie dans les Armées, Yaoundé,
Éditions clé, 2002.
> BAYART Jean-François, L'État au
Cameroun, Paris, PFNSP, 1985.
> DELTOMBE Thomas, DOMERGUE Manuel, TATSITSA (J.)
Kamerun! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique
1948-1971, Paris, La découverte, 2011.
> EBOUSSI BOULAGA Fabien, La démocratie de transit
au Cameroun, Paris, L'Harmattan, 1997.
> ELA Pierre, Dossiers noirs sur le Cameroun, Paris,
Pyramide papyrus presse, 2002.
> EYINGA Abel, Introduction à la politique
camerounaise, Paris, L'Harmattan, 1984.
> FOGUI Jean Pierre, L'intégration politique au
Cameroun : une analyse centrepériphérie, Paris, LGDJ,
1990.
> MEDARD Jean-François, L'État
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néopatrimonialisme, CEAN, IEP de Bordeaux, 1981.
- « L'État néopatrimonial en Afrique noire
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> MBEMBE Achille, La naissance du maquis dans le sud
Cameroun (1920-1960) : histoire des usages de la raison en colonie, Paris,
Karthala, 1996.
- De la postcolonie. Essaie sur l'imagination politique dans
l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000.
> NGAYAP Pierre Flambeau, Cameroun : qui gouverne
?, Paris, L'Harmattan, 1983.
> OUMAROUDJAM YAYA, L'ordre public : mission principale
de la gendarmerie nationale (Cameroun), Paris, Karthala, 1998.
> RICHARD Joseph, Le mouvement nationaliste au
Cameroun, Paris, Karthala, 1987.
> SAÏBOU ISSA, Les coupeurs de route. Histoire du
grand banditisme rural et transfrontalier dans le bassin du lac Tchad,
Paris, Karthala, 2010.
> SINDJOUN Luc, L'État en Afrique : entre noyau
dur et case vide, Paris, Economica, 2002.
> TERTRAIS Bruno, L'arme nucléaire, Paris,
PUF, Collection Que sais-je ? 2008.
> TSHIYEMBE MWAYILA, L'État post colonial facteur
d'insécurité en Afrique, Dakar, Présence africaine,
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> VERSCHAVE François Xavier, La francafrique : le
plus long scandale de la république, Paris, Stock, 1998.
> ZARTMAN William, L'effondrement de l'État :
désintégration et restauration du pouvoir légitime,
Paris, Nouveaux Horizons, 1999.
III- ARTICLES
A-) ARTICLES GENERAUX
> BALZACQ (T.), « Qu'est-ce que la
sécurité nationale? », in Revue Internationale et
Stratégique, hiver 2003-2004, 52, pp. 32-50.
> BOURDIEU Pierre, « La représentation
politique. Éléments pour une théorie scientifique du champ
politique », Actes de la recherche en sciences sociales, n°
36/37, 1981, pp. 3-24.
> BUZAN Barry, «Rethinking security after cold
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> HERZ John, «Idealist internationalism and the security
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> ROPIVIA Marc-Louis, « Géopolitique et
géostratégie : l'Afrique noire et l'avènement de
l'impérialisme tropical gondwanien », in Cahiers de
géographie du Québec, Vol 30, n° 79, 1966, pp. 5-19.
B-) ARTICLES SPECIALISES
> BANGOURA Dominique, « État et
sécurité en Afrique », in Politique africaine
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> BELOMO ESSONO Chantal Pélagie, « Crise
sociopolitique de février 2008 : nouvelle gouvernementalité au
Cameroun », in
www.apsanet.com,
consulté le 15 juillet 2009.
> BIDIMA Innocent Bertrand, « Les forces
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> Capitaine François PELENE, « Bataillon
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spécial du 20 mai 2009.
> KIFON Émile, « La politique totémique en
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> OLINGA Alain Didier, « La question anglophone dans le
Cameroun d'aujourd'hui », in Revue Juridique et Politique, 1994,
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> ONOHIOLO SOULEY, « L'an 2008 », in
L'état du Cameroun, Yaoundé, Éditions Terroirs,
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> OWONA NGUINI Mathias Éric, « Les
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présidentialiste entre autoritarisme et parlementarisme dans la CEMAC
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L'Harmattan, 2010.
- OWONA NGUINI Mathias Éric, OYONO Jean Bosco, «
Le commandement opérationnel: solution durable à
l'insécurité ou régulation passagère ? », in
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IV- THESES ET MEMOIRES
A-) THESES
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la sécurité publics dans la construction de l'État au
Cameroun », Thèse de doctorat en science politique, IEP de
Bordeaux-Université de Bordeaux IV, 2007.
> ELA ELA Emmanuel, « la politique de défense du
Cameroun depuis 1959: contraintes et réalités »,
thèse de doctorat en science politique, Université de Nantes,
2000.
> KAMDJOM, Luc Colbert, « La politique de
coopération Française en matière de défense et de
sécurité en Afrique subsaharienne : le cas du Cameroun, »
Thèse de doctorat en science politique, Université de Paris VIII,
1999.
> ONANA Janvier, « Professionnalisation politique et
constitution d'un cham politique. L'émergence d'un champ politique
professionnalisé au Cameroun sous administration coloniale
française (1946-1956) », Thèse de doctorat en science
politique, Université Paris X Nanterre, 2004.
> OWONA NGUINI Mathias Éric, « La
sociogenèse de l'ordre politique au Cameroun, entre autoritarisme et
démocratie (1978-1996) les régimes politiques et
économiques au gré des conjonctures et des configurations
socio-historiques », Thèse de doctorat en science politique, IEP de
Bordeaux - Université de Bordeaux IV, 1997.
> SINDJOUN Luc, « Construction et
déconstruction locales de l'ordre politique au Cameroun : la
sociogenèse de l'État », Thèse pour le doctorat
d'État en Science politique, Université de Yaoundé II,
1994.
B-) MEMOIRES
> BISSAY Ferdinand Aimé, « Le centre de
perfectionnement aux techniques de maintien de l'ordre face aux défis de
la modernité », Mémoire de Master Stratégie,
défense, sécurité et gestion des catastrophes,
Université de Yaoundé, CREPS, 2010.
> DIOBA Octave, « La doctrine et la culture
stratégiques françaises dans la formation locale de
l'élite militaire africaine : désengagement français ou
renforcement des capacités africaines de sécurité
collective », Mémoire de Master Stratégie, défense,
sécurité et gestion des catastrophes, Université de
Yaoundé II, CREPS, 2010.
> EKOUTOU ENGONO Raphaël, « La
problématique de la sécurité nationale et
transfrontalière : le cas des coupeurs de route », Mémoire
pour le Master en Stratégie et Défense, Université de
Yaoundé II, 2008.
> MESSE Léonard, « L'État major des
armées et l'entrainement des forces », Mémoire de Master
Stratégie, défense, sécurité et gestion des
catastrophes, Université de Yaoundé II, CREPS, 2010.
> MESSINGA Claude Ernest, « Les forces armées
face aux enjeux militaires dans le golfe de Guinée : le cas du conflit
armé de Bakassi », Mémoire pour le DEA en Science politique,
Université de Yaoundé II, 2007.
> PEMBOURA Aïcha, « Le processus de formation de
la culture stratégique camerounaise : analyse du rôle des
écoles militaires », Mémoire pour le DEA en Science
politique, Université de Yaoundé II, 2007.
V- DOCUMENTS
A-) TEXTES OFFICIELS
> La constitution de la République du Cameroun, loi
n° 96-06 du 18 janvier 1996.
> Décret N°2001/177 du 25 juillet 2001 portant
organisation du Ministère de la défense.
> Décret N°2001/181 du 25 juillet 2001 Portant
organisation de la Gendarmerie Nationale.
> Décret N°2001/182 du 25 juillet 2001 fixant les
attributions des chefs d'État-major.
> Décret N°2001/183 du 25 juillet 2001 portant
réorganisation des formations de combat de l'armée de terre.
> Décret N°2002 portant création et
organisation des forces de défense
> Décret N°2002/ 036 du 04 février 2002
portant création et organisation des forces de la marine nationale.
> Décret N°2002/037 du 04 février 2002,
portant création et organisation des forces de l'armée de
l'Air.
> Décret N°540 du 05 novembre 1983 portant
organisation du ministère des forces armées et du
commandement.
> Décret N°66 /DF282 du 18 juin 1966 portant
organisation du commandement de l'armée de terre.
> Décret N°83/539 du 05 novembre 1983 portant
création d'un état-major particulier du Président de la
République.
> Loi N°67/LF/9 DU 12 juin 1967 portant organisation
générale de la défense au Cameroun
> Ordonnance du 07 janvier 1959 portant organisation
générale de la défense en France.
> Ordonnance N°59 /57 du 11 novembre 1959 portant
création de l'armée camerounaise et organisation
générale de la défense.
B-) RAPPORTS, AVIS ET COMMUNICATIONS
> AHIDJO Ahmadou, Anthologie des discours, 1957-1979,
Yaoundé, Les nouvelles éditions classiques, 1980.
> BELOMO ESSONO Chantal Pélagie, Communication
à l'Association française de science politique, 2010.
> BIYA Paul, « Discours à l'occasion du
cinquantenaire des armées du Cameroun », Bamenda, 2011.
- « Discours d'investiture », 6 novembre 1982.
- « Discours à l'occasion de la sortie de la
promotion « Vigilance » de l'EMIA », 30 juillet 1983.
- « Discours à la suite de la tentative de coup
d'État », 8 avril 1984.
- « Message à la nation », 10 avril 1984.
- « Discours à l'occasion du premier congrès
ordinaire du RDPC », 1985. - « Discours sur les émeutes de la
faim », Yaoundé, 28 février 2008.
- « Discours à l'occasion de l'unité
nationale», Yaoundé, 20 mai 2011.
- « Lettre ouverte au peuple camerounais »,
Cameroun Tribune, le 5 Novembre 2009.
> SADOU DAOUDA, « Discours à l'assemblée
nationale », le 15 janvier 1971.
> SINDJOUN Luc, Le président de la
république du Cameroun (1982-1996). Les acteurs politiques et leur
rôle dans le jeu politique, CEAN-Bordeaux, Travaux et documents
n°50, 1996.
C-) AUTRES DOCUMENTS
> Département de la défense des
États-Unis, National Space policy, 2007.
- Département de la défense des États-Unis,
Quadriennal defense Review, 2009.
> Diplomatie, Géopolitique et
géostratégie des mers et des océans,
Hors-série 13, Aoûtseptembre 2010.
> Diplomatie, L'état des conflits dans le
monde, mars-avril 2011.
> Cameroon Tribune, Interview d'AHIDJO Ahmadou,
janvier 1983. - Cameroon tribune, Interview de BIYA Paul, 31 janvier
1983.
> Honneur et fidélité, Numéro
spécial du, 20 mai 2005. - Honneur et fidélité,
Numéro spécial du 20 mai 2006. - Honneur et
fidélité, Numéro spécial du, 20 mai 2009. - Honneur
et fidélité, Numéro spécial du 20 mai 201.
- Honneur et fidélité, Numéro spécial
du 20 mai 2011.
> International Crisis Group, « Cameroun : les dangers
d'un régime en pleine fracture », Rapport n°161, 24 juin 2010,
36 pages.
> Interview du Ministre français de la défense
à France 24, mai 2011.
> Le Jour, Les statistiques de l'insécurité
en 2010, n°920, 19 avril 2011.
> Le Monde, Bilan géostratégique. Les
nouveaux rapports de force planétaire, Horssérie,
décembre 2010.
> MINDEF France, Livre blanc sur la défense et la
sécurité nationale, Paris, Odile Jacob, 2008.
> Pacte de Non-agression et de défense commune de
l'Union africaine, 31 janvier 2005.
> Presidency of the united state of America, National
security Strategy of the United State, February 2010.
> Procès verbaux des accusés du 06 avril
1984.
TABLE DES MATIERES
DEDICACE 2
REMERCIEMENTS 3
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS 4
RESUME 7
INTRODUCTION GENERALE 8
I- Contexte de l'étude 10
A- Le contexte politique 10
B- Le contexte socioéconomique 11
C- Le contexte sécuritaire et de défense 11
II- Délimitation du sujet 12
A- Délimitation géographique 12
B- Délimitation temporelle 12
C- Délimitation matérielle 13
III- Clarification des concepts 14
A- Politique de défense et de sécurité
nationale 14
B- Concept stratégique et emploi des forces 15
IV- Intérêt du sujet 16
A- Intérêt sociopolitique 16
B- Intérêt scientifique 16
V- État de la question 17
A- Approches de la sécurité 17
B- Approches de la défense 19
C- Approches de l'État 20
~ L'État en Afrique vu d'ailleurs : les biais
essentialistes et éthiques 20
~ Approches écologiques et sociogénétiques
21
VI- Problématique 23
VII- Hypothèse de travail 24
VIII- Cadre méthodologique 25
A- Méthode d'analyse 25
~ L'approche constructiviste 25
~ Le systémisme 25
B- Techniques d'enquête 26
~ Présentation du terrain de l'étude 26
~ Présentation de l'échantillon 27
IX- Structure du texte 27
PREMIERE PARTIE 28
L'AFFIRMATION DE LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE COMME
CENTRE PRETORIEN DE PUISSANCE : EVOLUTION DU SYSTEME
MILITARO- SECURITAIRE ETATIQUE APRES AVRIL 1984 28
INTRODUCTION PARTIELLE 29
CHAPITRE I 30
DECENTRAGE ET RECENTRAGE PRESIDENTIELS DANS LE SYSTEME
ETATIQUE CAMEROUNAIS 30
SECTION I LA TRANSITION CHAOTIQUE DE 1982 A 1984 OU LE DECENTRAGE
PRESIDENTIEL 31
I- La structure du pouvoir bicéphale 31
I. A- La concurrence pour le contrôle des ressources de
l'État 31
I.B- Du bicéphalisme à la rupture 34
II- La tentative de déstabilisation du 06 avril 1984
36
II.A- La détermination des responsabilités 36
II.B- La tentative de coup d'état : entre conjoncture
critique et mobilisation politicomilitaire 38
SECTION II LA DYNAMIQUE DU RECENTRAGE ET LA CONSECRATION DU ROLE
PRESIDENTIEL 41
I- L'hégémonie du collectif
bureaucratico-présidentiel dans le système étatique 41
I.A- Architecture du collectif bureaucratico-présidentiel
42
I.B- L'instrumentation du collectif
bureaucratico-présidentiel au profit du président de la
République 46
II- La personnification du pouvoir, marqueur du recentrage
présidentiel 47
II.A- La présidentolatrie dans le système BIYA
48
II.B- « Statomorphisme » et « statophagie »
dans le système Biya 49
CHAPITRE II 52
LA POLITIQUE PRETORIENNE DE DEFENSE ET DE SECURITE DU CAMEROUN ..
52
SECTION I LA CONFIGURATION OFFICIELLE DE LA POLITIQUE DE DEFENSE
ET DE LA SECURITE NATIONALE 53
I- La configuration des forces de défense du Cameroun
53
I.A- Les forces armées régulières : la
suprématie logistique et numérique de l'armée de terre
53
II- Le concept stratégique et l'emploi des forces en
débat 59
II.A- Le concept de défense populaire 59
II.B- Évolution de la politique de défense et
contradiction avec l'emploi des forces au Cameroun 61
SECTION II LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DANS LA POLITIQUE DE
DEFENSE ET DE SECURITE DU CAMEROUN 62
I- Le président de la République, imperator et
chef suprême des forces armées camerounaises 63
I.A- L'élaboration et la conduite de la politique de
défense 63
I.B- La préséance de la sécurité
présidentielle et le travestissement préto-présidentiel de
la politique de défense et de sécurité nationale 66
II- Les ressources de l'hégémonie
présidentielle dans le champ de la défense et de la
sécurité 68
II.A- Le contrôle des chances de puissance dans le champ
sécuritaire et de défense .. 68 II.B- Le contrôle
effectif de l'engagement des instruments de défense et de
sécurité .. 70
CONCLUSION PARTIELLE 73
DEUXIEME PARTIE 74
LA CONFIRMATION DE LA PRESIDENCE COMME CENTRE PRETORIEN
DE PUISSANCE : LE RECADRAGE SOUVERAIN DU BIR ET DE LA GP 74
INTRODUCTION PARTIELLE 75
CHAPITRE 3 76
LE BIR ET LA GP AU COEUR DE LA CONFIGURATION
SECURITAIRE PRESIDENTIELLE 76
SECTION I ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU BIR ET DE
LA GP ... 77
I- La GP, archétype de la
préto-présidentialisation sécuritaire 77
I.A- Organisation d'une force pétro-présidentielle
77
I.B- Capacités opérationnelles de la GP 80
II- Le BIR au coeur des mécanismes présidentiels
de défense et de sécurité 81
II.A- Le BLI, le BIR et le recadrage présidentiel post-28
février 2008 81
II.B- Le BIR stratégique et le BIR opérationnel
83
SECTION II LA NOUVELLE INGENIERIE DE LA PROPHYLAXIE POLITIQUE
84
I- La technologie sécuritaire du gouvernement
perpétuel 85
I.A- La gestion présidentialiste des forces de
défense 85
I.B- La gestion présidentialiste des forces de
sécurité 86
II. Le palais d'Étoudi et le cortège
présidentiel dans le sillage de l'ostentation sécuritaire 88
II.A- L'ostentation sécuritaire : entre dissuasion et
autoreprésentation du pouvoir 88
II.B- Attaquabilité et inattaquabilité du
cortège présidentiel et du palais d'Étoudi 89
CHAPITRE 4 96
LE BIR ET LA GP, HISTOIRE D'UNE FRAGILITE DE LA DEFENSE DU
CAMEROUN: RETROSPECTIVE ET PROSPECTIVE 96
SECTION I ENDOSCOPIE ET ARCHEOLOGIE DE LA DEFENSE ET LA SECURITE
AU CAMEROUN 97
I- Une lecture archéologique de la défense et de la
sécurité du Cameroun 97
I.A- La défense du Kamerun précolonial et colonial
97
I.B- La défense du Kamerun postcolonial : affaire Bakassi
100
II. Endoscopie des capacités camerounaises de
défense et de sécurité 102
II.A- Les capacités opérationnelles de
l'armée camerounaise 103
II.B- Les atouts stratégiques du Cameroun 104
SECTION II ELEMENTS DE PROSPECTIVE SOCIOPOLITIQUE,
SOCIOGEOPOLITIQUE ET SOCIOSTRATEGIQUE 107
I- La fragilité sociopolitique et
sociogéopolitique du Cameroun 107
I.A- Les clivages entre les unités spéciales et
l'armée régulière : frictions internes, mutinerie,
conventionnalisation et routinisation 107
I.B- L'étiolement du lien armée-nation : tensions
sociopolitiques 112
II- La fragilité sociostratégique du Cameroun
113
II.A- Culture stratégique camerounaise 113
II.B- Simulations et analyses polémologiques 116
CONCLUSION PARTIELLE 119
CONCLUSION GENERALE 120
I- Système politique et politique de défense au
Cameroun 120
II- Armée, pouvoir présidentiel et fabrication de
l'ordre politique 121
III- La présidence de la République comme «
centre de force » dans système politique camerounais 122
IV- Le BIR et la GP, élément de fragilité de
la défense et de la sécurité du territoire 122
BIBLIOGRAPHIE 124
TABLE DES MATIERES 133
ANNEXES 138
ANNEXE n°1 : Guide d'entretien 139
ANNEXE n°2 LISTE DES ORGANIGRAMMES, FIGURES, ET TABLEAUX
FIGURANT DANS LE TEXTE 140
ANNEXE n°3 : Classement des 15 premières
Armées d'Afrique 141
ANNEXE n° 4 : Présentation des grades dans
l'armée camerounaise 142
ANNEXES
ANNEXE N°1 : GUIDE D'ENTRETIEN
ANNEXE N° 2 : LISTE DES TABLEAUX,
FIGURES ET ORGANIGRAMMES FIGURANT DANS LE TEXTE
ANNEXE N° 3 : CLASSEMENT DES 1 5 PREMIERES
ARMEES
D'AFRIQUE
ANNEXE N° 4 : PRESENTATION DES
GRADES DANS L'ARMEE CAMEROUNAISE
ANNEXE N°'I : GUIDE D'ENTRETIEN
A-) Identification et trajectoire sociale et
professionnelle
> Age
> Fonctions
> Ressources économiques
> Ethnie
> Religion
B-) Système politique
> Légitimité de l'exécutif
gouvernant
> Légitimité
présidentielle
> Relation armée-pouvoir politique
C-) Politique défense et de sécurité
du Cameroun
> Concepts stratégique et d'Emploi des
forces
> Défense populaire
D-) Regards sur l'armée camerounaise
E-) Situation sécuritaire et de défense au
Cameroun
F-) Sécurité
présidentielle
G-) BIR-DELA et de la GP
> Efficacité et Discipline
> Relations avec les autres forces armées et
de sécurité
> Lien armée-nation
ANNEXE N°2 LISTE DES ORGANIGRAMMES, FIGURES,
ET
|
TABLEAUX FIGURANT DANS LE TEXTE
|
N°
|
LIBELLES
|
1
|
Figure1 : Ossature du collectif
bureaucratico-présidentiel au Cameroun
|
2
|
Figure3: Les acteurs intervenant dans
l'élaboration de la politique de défense du
Cameroun
|
3
|
Tableau1 : Probabilité d'attaque de la
présidence de la République du
Cameroun
|
4
|
Tableau2 : Probabilité d'attaque du cortège
présidentiel
|
5
|
Tableau3 : Les effectifs des forces armées
camerounaise et nigériane en 1994
|
6
|
Tableau4 : État des défenses
nigériane et camerounaise en 2006
|
7
|
Tableau6: Probabilité de tensions
sous-régionales impliquant le Cameroun
|
8
|
Organigramme de la GP
|
ANNEXE N°3 : CLASSEMENT DES 15 PREMIERES
ARMEES
D'AFRIQUE
Le classement est effectué à partir de cinq
critères. Chaque armée reçoit une notation
qui va de 1 à 5 ; ce qui permet de comptabiliser le
nombre de points de chaque armée. La note est attribuée sur 25.
Il sied de préciser que ces notes sont attribuées en fonction du
niveau moyen des armées africaines. Elles seraient donc bien
inférieures s'il fallait avoir pour base de référence les
armées de la planète.
RANG
|
PAYS
|
|
TOTAL
|
CRITERES
|
EFFECTIF
|
L OGISTIQUE
|
BUDGET
|
ART DE LA
GUERRE
|
STABILITÉ ECONOMIQUE ET POLITIQUE
|
|
1ER
|
ALGERIE
|
5
|
5
|
5
|
4
|
3
|
22/25
|
2EME
|
AFRIQUE DU SUD
|
4
|
4
|
5
|
2
|
5
|
21/25
|
3EME
|
TUNISIE
|
4
|
4
|
4
|
3
|
4
|
19/25
|
4EME
|
EGYPTE
|
4
|
4
|
4
|
3
|
4
|
19/25
|
5 tME
|
ANGOLA
|
4
|
4
|
4
|
4
|
2
|
18/25
|
6EME
|
MAROC
|
4
|
4
|
3
|
3
|
4
|
18/25
|
7EME
|
NIGERIA
|
4
|
4
|
3
|
2
|
3
|
16/25
|
8EME
|
LYBIE
|
4
|
4
|
3
|
3
|
3
|
15/25
|
9EME
|
OUGANDA
|
3
|
3
|
3
|
3
|
2
|
14/25
|
1O EME
|
KENYA
|
3
|
3
|
3
|
3
|
2
|
14/25
|
11 EME
|
SOUDAN
|
4
|
3
|
2
|
3
|
2
|
14/25
|
12 ÈME
|
CAMEROUN
|
3
|
2
|
2
|
3
|
3
|
13/25
|
13 ÈME
|
RWANDA
|
3
|
1
|
2
|
4
|
3
|
13 /25
|
14 ÈME
|
ZIMBABWE
|
3
|
2
|
2
|
3
|
1
|
11 /25
|
15ÈME
|
GHANA
|
2
|
2
|
2
|
1
|
4
|
11 /25
|
Source : Hans De Marie HEUNGOUP
NGANGTCHO
ANNEXE N° 4 : PRESENTATION DES GRADES DANS
L'ARMtE CAMEROUNAISE
La hiérarchie des grades des
officiers
GENDARMERIE NATIONALE
|
ARMEE DE TERRE
|
ARMEE DE L'AIR
|
MARINE NATIONALE
|
OFFICIERS GENERAUX
|
GENERAL DE DIVISION
|
GENERAL DE DIVISION
|
GENERAL DE DIVION AtRIENNE
|
VICE-AMIRAL
|
GENERAL DE BRIGADE
|
GENERAL DE BRIGADE
|
GENERAL DE BRIGADE AtRIENNE
|
CONTRE-AMIRAL
|
OFFICIERS SUPERIEURS
|
COLONEL
|
COLONEL
|
COLONEL
|
CAPITAINE DE VAISSEAU
|
LIEUTENANT COLONEL
|
LIEUTENANT COLONEL
|
LIEUTENANT COLONEL
|
CAPITAINE DE FRtGATE
|
CHEF D'ESCADRON
|
CHEF DE BATAILLON
|
COMMANDANT
|
CAPITAINE DE CORVETTE
|
OFFICIERS SUBALTERNES
|
CAPITAINE
|
CAPITAINE
|
CAPITAINE
|
LIEUTENANT DE VAISSEAU
|
LIEUTENANT
|
LIEUTENANT
|
LIEUTENANT
|
ENSEIGNE DE VAISSEAU DE 1 ERE CLASSE
|
SOUS-LIEUTENANT
|
SOUS-LIEUTENANT
|
SOUS-LIEUTENANT
|
ENSEIGNE DE VAISSEAU DE
2EME CLASSE
|
La hiérarchie des grades des sous
officiers
GENDARMERIE NATIONALE
|
ARMEE DE TERRE
|
ARMEE DE L'AIR
|
MARINE NATIONALE
|
ASPIRANT
|
ASPIRANT
|
ASPIRANT
|
ASPIRANT
|
ADJUDANT-CHEF MAJOR
|
ADJUDANT-CHEF MAJOR
|
ADJUDANT-CHEF MAJOR
|
MAITRE PRINCIPAL MAJOR
|
ADJUDANT CHEF
|
ADJUDANT-CHEF
|
ADJUDANT-CHEF
|
MAITRE PRINCIPAL
|
ADJUDANT
|
ADJUDANT
|
ADJUDANT
|
PREMIER MAITRE
|
MARtCHAL DES-
LOGIS- CHEF
|
SERGENT-CHEF
|
SERGENT-CHEF
|
MAITRE
|
MARtCHAL DES-
LOGIS
|
SERGENT
|
SERGENT
|
SECOND-MAITRE
|
Source : Hans De Marie HEUNGOUP NGANGTCHO
|