Conférence-débats organisée par
l'Ecole Nationale d'Administration et de Magistrature
(ENAM-Tchad).
Thème : Crise Financière et son
Impact sur l'Economie Tchadienne
Les intervenants :
M. GADOM DJAL-GADOM DJAM'ANGAI
Ludé
(Economiste, doctorant) (Economiste,
doctorant)
Contacts : Tél. 66081177/66037206 Courriel
:
ddjalgadom@yahoo.fr/ludedjam@yahoo.fr
Mai 2011
Introduction :
La crise financière puis économique qui s'est
développée depuis l'été 2007 aux Etats Unis est
liée aux fluctuations des variables financières comme le volume
d'émission des obligations et des actions, leurs cours en bourse,
l'encours des crédits, les dépôts bancaires et le taux de
change.
On est en effet passé d'un problème de
marché (les subprimes1) à une crise
financière (le marché des refinancements à court terme)
puis à une crise bancaire, laquelle a, à son tour, des
répercussions macroéconomiques. Dès lors, on peut
légitimement s'interroger sur les raisons pour lesquelles une crise sur
un segment de marché spécifique (le secteur des prêts
immobiliers à risque aux États-Unis) a suscité une
contagion rapide à travers les pays industrialisés pour devenir
finalement une crise mondiale.
Ainsi, comment cette crise a perturbé l'économie de
l'Afrique subsaharienne ? Qu'en est -il pour l'économie tchadienne ?
Notre travail est organisé en deux grandes parties :
I- L'origine et l'évolution de la crise
II- Les répercussions de la crise sur l'économie
tchadienne
1 Aux États-Unis, les subprimes
sont des prêts hypothécaires accordés à des
ménages dont la solvabilité est faible, bien en dessous d'un
prêt prime, c'est-à-dire de première
qualité. Les deux grands pourvoyeurs de crédits « subprimes
» créés par l'État américain sont : Fannie Mae
et Freddie Mac. Ces derniers ont bénéficié initialement de
garanties étatiques privilégiées qui les ont conduits
à prendre des risques très excessifs.
I- Origine et évolution de la crise
financière
La crise financière résulte de l'effet
conjugué de plusieurs facteurs. Elle est partie du système
financier vers l'économie réelle.
1- Déclenchement de la crise
La crise de 2007-2008 a été provoquée
par l'excès d'endettement des ménages aux Etats- Unis, la
décélération, puis la chute, des prix de l'immobilier. En
effet, les ménages américains à faible revenu avaient des
difficultés pour rembourser les crédits qui leur avaient
été accordés pour l'achat de leur logement. Ces
crédits accordés par des établissements financiers
étaient destinés aux ménages qui n'avaient pas les
garanties suffisantes. Ils sont donc des crédits à risque mais
aussi hypothécaires car le logement du ménage est pris en
garantie en cas de défaut de paiement. La faiblesse des taux
d'intérêt au début de l'emprunt a entrainé le
surendettement des ménages américains à faibles revenus.
Le non remboursement de ces derniers a provoqué des perturbations dans
la gestion des établissements financiers et a donné naissance
à la crise financière.
L'expansion des crédits et de la masse monétaire a
plutôt servi à des achats d'actifs financiers et à des
achats de logements (y compris les « subprimes ») : il y a eu
création d'une bulle2 financière et d'une bulle
immobilière.
2- Evolution de la crise
Cette crise qui a pris son origine sur le marché de
l'immobilier s'est très vite propagée à travers le circuit
bancaire et l'économie réelle pour enfin devenir une crise
mondiale. Aux États-Unis, les prêts subprimes ont
été octroyés par des courtiers qui n'étaient pas
des banques, et donc n'étaient pas soumis à une supervision de la
méme qualité que les banques. La récupération par
les banques des titres de créance détenus par ces courtiers a
donné naissance à la titrisation3, principal
amplificateur de la crise sur le marché financier.
Le surendettement des ménages américains a
provoqué toute défaillance dans le remboursement des
crédits qui a entraîné des perturbations dans les places
financières. Les
2 On dit qu'un marché connaît un
phénomène de bulle spéculative lorsque le prix qui s'y
forme s'éloigne durablement du prix d'équilibre qui
correspondrait aux variables économiques fondamentales (taux
d'intérêt, prix de l'immobilier, etc.)
3 La titrisation est une opération
financière pratiquée par les banques et qui consiste à
transformer les crédits immobiliers accordés par les banques en
titre de créance (obligations) qu'un investisseur peut acheter ou vendre
à tout moment.
difficultés de remboursement rencontrées par les
ménages détenteurs de crédits ont entraînéla
baisse des prix de l'immobiier et un effondrement de la valeur des titres. La
chute importante de la valeur des titres (obligations) a conduit au retrait
massif de capitaux par les investisseurs et la mobilisation par les banques
de toutes les ressources pour propre financement.
La mutation de cette crise financière en une crise
économique internationale s'explique par le manque de confiance entre
les acteurs du secteur bancaire. Les banques ne se font plus confiance au point
de cesser de se préter de l'argent, craignant d'encaisser des produits
à grand risque, ou de ne pas être remboursées : le
système de compensation s'effondre. Et les banques, devenant plus
riscophobes, augmentent le rationnement du crédit aux entreprises. Ces
dites entreprises, n'ayant plus les crédits souhaités pour
financer leurs plans de développement, réduisent leurs
activités et licencient une partie plus ou moins importante de leur
personnel. On assiste dès lors à une récession
économique doublée de chômage.
La diffusion à grande échelle de cette crise, fait
qu'aujourd'hui on se trouve sans doute face à une crise de «
système ». Cette crise a donc désormais trois dimensions :
une crise financière, une crise de l'économie réelle et
une crise de système.
Ce mouvement, parti des Etats-Unis, se propage en Europe et dans
les pays émergents et n'épargne pas les pays en
développement.
En effet, les pays avancés (ceux d'Europe) ont tout
d'abord souffert principalement de la crise bancaire des États-Unis.
Par la suite, les pays émergents dotés de systèmes
financiers bien
développés ont ressenti les effets
défavorables des liens financiers transnationaux, par le biais des flux
financiers, des investisseurs boursiers et des taux de change. Enfin, les pays
financièrement moins développés ont beaucoup plus ressenti
la crise sur l'économie réelle. Cependant, les effets sur la
croissance et le commerce sont importants pour tous les pays sous
développés.
En Afrique, particulièrement, les pays tels que :
l'Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya et le Ghana ont été
les premiers à être touchés par la crise du fait de leurs
liens financiers avec les autres régions du monde. Ces pays ont connu
une chute des cours boursiers, une inversion des flux de capitaux et des
tensions sur les taux de change.
D'une manière générale, en Afrique
subsaharienne, la crise se transmet suivant les canaux ci après :
v' Les investissements directs étrangers ;
v' Les transferts des émigrés ;
v' L'aide publique au développement ;
v' Les exportations
Dans ce cadre, comment le Tchad a-t-il vécu cette crise
?
II- Répercussions de la crise financière
sur l'économie tchadienne
Le Tchad, à l'instar des autres pays africains n'a pas
échappé aux effets de contagion de la crise à travers le
ralentissement de la demande mondiale et des flux des capitaux. Nous
analyserons les répercussions de cette crise via les canaux suivants :
Les exportations et l'aide publique au développement.
1- Impact de la crise sur l'économie réelle et
financière
v' Les exportations :
Le Tchad vend son coton et son pétrole sur le
marché mondial. Le ralentissement de la demande des principaux clients
du Tchad (Etats-Unis, Europe et Chine) dû à la crise, s'est
traduit par une chute des cours de ces matières premières. Le
volume global des exportations a fléchi Ainsi, d'après la
BEAC(2009), les exportations totales ont ralenti en pourcentage du PIB de 54%
en 2007, 53.7% en 2008 et ont baissé à 39.5% en 2009. Ce qui a
entraîné une dépréciation du solde commercial de
-26.7% du PIB en 2009 (voir graphique 1).
Graphique 1 : Evolution des
exportations et des soldes de la balance commerciale (2000- 2009)
-100
-120
-20
-40
-60
-80
40
80
60
20
0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
Exportations Soldes
Source : Tableau de bord
BEAC, 2009
La dépréciation du solde commercial s'explique, en
grande partie, par la baisse de la production du coton, de son prix et aussi
bien par le cours du pétrole sur le marché mondial.
La chute successive des cours du pétrole tchadien
allant de 42.8$ en 2007 à 34.7$ en 2009 et la baisse des exportations de
52.67 à 43.2(en millions de barils) pendant cette période, ont
entraîné la contraction des recettes pétrolières de
-26.42% en 2009, passant de 1,6 milliards de dollars en 2008 à 1.2
milliards en 2009 ( voir graphique 2 ).
Graphique 2 : Evolution des recettes
pétrolières et cours de barils tchadiens en dollars
(2003-2009)
Recettes en millions de
dollars
Recettes en millions de dollars
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
2000
1500
1000
500
0
Cours en dollars
Cours en dollars
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
60
50
40
30
20
10
0
Source : Ministère
du pétrole et FMI(2009)
Cette contraction des recettes pétrolières a
occasionné une baisse des recettes budgétaires de l'ordre de
37%4 en 2009. La situation budgétaire s'est fortement
dégradée en 2009. Face à l'évolution croissante des
dépenses publiques, le gouvernement tchadien a dû épuiser
les revenus pétroliers épargnés à la BEAC et s'est
endetté pour compenser le déficit budgétaire.
L'effet de la crise sur le budget a empéché
d'atteindre le taux de croissance de 5 % pour 2009, retenu dans le document de
la Stratégie Nationale de Réduction de la Pauvreté
(SNRPII). Le pays a enregistré d'après la BEAC (2009), un taux de
croissance du PIB de 0.2%.
1' L'aide publique au développement (APD)
L'APD représente les transferts accordés par les
pays industrialisés aux pays en développement pour leur permettre
de financer leurs projets de développement. Les apports de ressources
considérées comme une aide publique au développement
incluent : les dons offerts au secteur public, les opérations en capital
et les dons des organisations non gouvernementales offerts au privé. On
peut différencier :
- Les aides multilatérales qui transitent par les
organisations internationales (FMI et BM)
- Les aides bilatérales qui concernent les dons ou
prêts consentis par un pays à un autre.
Sous l'effet de cette crise, les tirages ont logiquement
diminué au Tchad. On a enregistré une baisse plus importante de
tirages en 2008 et 2009, soient -25.58% en 2008 et -24.08% en 2009 (voir
graphique 3).
Graphique 3 : Données sur les dettes
bilatérale et multilatérale
1000 800 600 400 200
0
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bilatérale multilatérale tirages
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2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
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Source: Direction
Générale de la Dette Publique (Tchad)
4 Calcul fait par les auteurs à partir des
données de la BEAC
La diminution du volume des tirages s'explique par le fait que
les créanciers multilatéraux ont revu en baisse leur
capacité de financement, car ceux-ci ont été
touchés par les effets dévastateurs de la crise. Pendant cette
période (2008-2009), pour compenser son « gap budgétaire
» qui était de l'ordre de 605 milliards de FCFA, le
Tchad aurait du contracter un prêt d'appui budgétaire
auprès de la Lybie.6
Etant donné que la population tchadienne vit à
64% en dessous du seuil de pauvreté monétaire, la crise
financière puis économique, s'est transformée en une crise
sociale. La flambée des prix de produits alimentaires a donné
naissance à une inflation de 8% en 2008 et 10 % en 2009. La hausse des
dépenses publiques et l'augmentation des prix chez les partenaires
commerciaux ont été les principales causes de cette inflation qui
a occasionné les mécontentements de la population en 2010. Le
pouvoir d'achat a diminué, beaucoup de ménages ont vu leur
situation se dégrader. Les effets cumulés de la mauvaise gestion
des ressources pétrolières et de la crise ont creusé
davantage l'écart entre les riches et les pauvres. En outre, les
perturbations politiques (les guerres) et la crise ont concomitamment
donné un coup d'arrêt au progrès vers la réalisation
des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) comme
montre le graphique 4.
Graphique 4 : Tchad-progression vers les OMD,
1990-2015
5 L'essentiel des réalisations internationales
n° 26 Août-Septembre 2009
6 Source : direction de la dette
Source : Rapport FMI-Tchad,
2010
2- Recommandations
Comme la crise est mondiale, les solutions doivent logiquement
venir des pays industrialisés. Néanmoins, les mesures à
prendre peuvent varier d'un pays à un autre suivant la structure de
leurs économies. Dès lors, nous pouvons envisager pour le cas du
Tchad les alternatives suivantes :
- Diversifier le commerce extérieur (définir les
conditions d'une réorientation des ventes extérieures vers les
marchés des pays émergents) ;
- Prôner la substitution à l'importation des
produits alimentaires ;
- Définir une politique budgétaire soutenable
qui permettrait de prendre en compte à long terme les contraintes
budgétaires intertemporelles de l'Etat tout en tenant compte des
contraintes financières à court terme. La maîtrise des
dépenses publiques et la rationalité des investissements publics
sont une exigence pour la réussite d'une telle politique.
- Créer un cadre propice pour encourager les IDE.
Conclusion :
D'une manière générale, le Tchad tout
comme les autres pays d'Afrique Subsaharienne n'a pas trop ressenti les chocs
financiers en raison de l'absence de son intégration sur les
marchés financiers internationaux. Pour autant, il n'a pas
échappé aux effets de contagion de la crise à travers le
ralentissement de la demande mondiale et des flux des capitaux. Bref, le Tchad
n'a pas vécu cette crise sous sa forme systémique.
Bibliographie :
Mohammed BENHAMMOU(2009) : « L'impact de
la crise économique internationale sur le développement
économique et social en Afrique », Centre Marocains d'Etudes
Stratégiques Pascal SALIN (2009) : « La crise
financière : causes, conséquences, solutions », Institut
Constant de Rebecque
Sylvie MATHERAT et Philippe MONGARS(2009) : «
la crise financière », Banque de France
Eurosystème
FMI (2009) : « Impact de la crise
financière mondiale sur l'Afrique subsaharienne »,
Département Afrique
FMI (2010) : Rapport n°10/196 juin, 2010
Washington, D.C.
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