Université Victor Segalen Bordeaux
2 Département de sociologie Mémoire de master
L'univers techno de la
Entre marginalité et post-modernité
Par Noémie Lequet Sous la direction de L.
Bucaille Juin 2010
Remerciements
Je tiens à remercier David, Damien, les deux Arnaud,
Marion, Thomas, Jonathan, Laurent, Romain, Elsa et Gaétan sans qui ce
travail aurait été amputé de ses précieux
témoignages.
Une pensée toute particulière à mes
proches ayant ouvert leur carnet d'adresse et m'ayant soutenus, Kévin,
Alain, Sylvie.
Je remercie également Laetitia Bucaille, directrice de
recherche, qui m'a accompagné et conseillé chaque fois que le
besoin s'en faisait sentir.
INTRODUCTION
- L'univers free-party
I- Problématique et hypothèses
5
Problématique 5
Hypothèses 5
II- Méthode 6
PARTIE 1 - HISTOIRE ET MYTHES, PETIT RETOUR EN ARRIERE
10
I- La naissance du virus house 10
II- Festivals et répression britanniques
11
Influences new age travellers et punks 11
Naissance des premiers Sound Systems et rave-parties 13
Diversité des événements techno 13
Criminal Justice Act et migration 14
III- Importation du mouvement en France 15
Scène européenne 15
Evolution française vers la free-party 16
Le mythe Spiral Tribe 16
Accueil du mouvement par les médias et la
société 18
IV- Polarisation française 20
PARTIE 2 - LA TEUF : EXPERIENCE INDIVIDUELLE OU
FUSIONNELLE ? 22
I- Un soir en teuf 22
1- Teuf / Teknival : la même expérience ? 22
2- Une teuf : de l'organisation au rangement 24
Préparation de la teuf par le Sound System 24
Le départ en teuf 25
Le lendemain 26
3- Activités des teufeurs lors d'une free-party 27
II- L'identité de teufeur 29
1- Définition de soi en tant que teufeur 29
2- Les vrais, les faux : distinction externe 32
3- La communauté 34
III- L'expérience teuf 35
1- La musique 35
2- La fusion du groupe 37
3- Drogues et voyages solitaires 39
IV- Conclusion : la fusion est-elle possible ?
41
PARTIE 3 - PARCOURS TECHNOÏSTES 43
I- Processus d'entrée dans le milieu
43
1- Un passé commun : l'école 43
2- Première voie d'entrée dans la teuf : la musique
44
3- Deuxième voie d'entrée dans la teuf : les amis
45
3- Troisième voie d'entrée dans le milieu :
l'attrait pour la marginalité 46
4- Un parcours original : la drogue 46
II- Parcours internes 47
1- Investissement dans le milieu 47
Fréquence de sortie 47
Mode de vie 48
Appartenance à un collectif 49
Vie en communauté 50
2- Sentiment d'appartenance à la société
50
III- Phénomènes de distinctions internes
52
1- Différenciation 52
2- Dé-différenciation 52
3- Différentiation dans le milieu 53
IV- Evolutions 55
1- Sortie du milieu : la retraite 55
2- Professionnalisation 56
PARTIE 4 - UNE DIMENSION IDEOLOGIQUE ET POLITIQUE ?
58
I- Faible conscience politique 58
1- Le vote 58
2- La politique en teuf 59
II- Revendications 60
1- The right to party ! 60
2- Liberté, gratuité, autonomie : des
thèmes récurrents 60
III- Opinions 61
1- Les médias 61
2- Relations avec la police 62
Interventions 63
Provocations 63
3- Une critique plus large, celle de la société
65
IV- Dimension politique 66
1- Zone Autonome Temporaire 66
2- Rupture du contrat social 67
3- Retour au mécanique 67
CONCLUSION 69
INTRODUCTION
L'univers free-party
Le monde de la teuf*1 à proprement parler
est né en Angleterre à la fin des années 80 et a par la
suite franchi la mer pour se propager en France, mais aussi aux Pays-Bas, en
Belgique, en Allemagne, en Espagne, en Italie et en Europe de l'Est sous des
formes parfois très diverses. On traitera ici principalement du cas
français même si un passage par son histoire anglaise est
nécessaire pour comprendre ce qu'il en est aujourd'hui dans
l'hexagone.
Ce mouvement, parce qu'il est lié à une musique
qui n'est pas encore entrée dans les moeurs au point qu'elle est parfois
considérée comme du bruit et à l'usage de substances
psychotropes mais aussi parce qu'il séduit des jeunes de plus en plus
nombreux qui apparaissent comme des marginaux aux yeux d'observateurs
extérieurs, nécessite de s'y pencher de plus près. Ainsi,
depuis le milieu des années 90 en France, quelques chercheurs en
sociologie, mais aussi en anthropologie, en musicologie, ou en histoire ont
produit des analyses du phénomène.
I Problématique et hypothèses
Problématique
On cherchera dans le présent travail à
comprendre quels mécanismes peuvent être à l'origine de
l'existence du monde de la teuf. En effet, comment peut-on expliquer qu'une
scène illégale et par là marginale perdure aujourd'hui,
alors que la musique techno est un peu plus entrée dans les moeurs ?
Il faudra, pour répondre à cette question, se
demander préalablement si l'expérience vécue de la teuf
par les teufeurs est individuelle ou collective. Mais aussi, dans quelle mesure
les teufeurs sont-ils intégrés dans l'univers free-party ? Cette
intégration a-t-elle des conséquences sur leur sentiment
d'affiliation à la société ? Dans quelle mesure peut-on
considérer qu'une dimension idéologique et politique
sous-tendrait le phénomène techno ?
Hypothèses
1 se reporter au glossaire en annexe 1
La formulation d'hypothèses a permis de guider la
recherche et l'analyse du présent travail. Elles sont au nombre de
quatre. Chacune sera traitée dans une partie différente afin de
pouvoir y apporter des éléments de réponse.
1' Hypothèse 1 : L'histoire particulière de la
free-party est à l'origine de la création d'un mythe auquel
s'identifient les teufeurs
1' Hypothèse 2 : La teuf, loin d'être une
expérience individuelle, est un moment fusionnel vécu par
l'ensemble des participants.
1' Hypothèse 3 : La voie d'entrée dans la
free-party empruntée par les teufeurs influe sur leur parcours à
l'intérieur de cet univers.
1' Hypothèse 4 : Malgré une apparente
a-politisation du monde de la free-party, ce mouvement peut être, au
moins partiellement, expliqué par des phénomènes
politiques sous-jacents.
II Méthode
La méthode utilisée dans cette enquête est
principalement une méthode qualitative. Ce choix est en partie
guidé par une contrainte du terrain en lui-même : il n'existe pas,
ou très peu, de données statistiques sur l'univers de la teuf.
Des entretiens formels ont donc été menés avec des acteurs
du monde de la teuf qui y sont plus ou moins investis. En effet, la
diversité de profils des enquêtés a été ici
recherchée afin de pouvoir mettre en évidence la diversité
des parcours et des opinions. Ainsi, dix personnes ont été
interrogées. Certains ont été teufeur mais ne le sont plus
depuis quelques années. Certains n'ont découvert ce milieu que
depuis un ou deux ans, alors que d'autres évoluent dans le milieu depuis
plus de dix ans. Seulement deux femmes ont été
interrogées. Cela s'explique d'une part par la difficulté
à trouver des personnes disposées à faire un entretien (du
fait de l'aspect « invisible » du milieu, mais aussi de la suspicion
qui règne à l'égard de l'observateur extérieur, qui
pourrait faire partie de la BAC par exemple) et d'autre part, probablement
parce que l'image du « teufeur type » est plutôt celle d'un
homme, ce qui aurait inconsciemment influencé les personnes m'ayant
présenté des teufeurs de leur entourage.
Les tableaux suivants présentent les différents
enquêtés en fonction de critères généraux ou
servants ensuite à l'analyse.
|
Sexe
|
Age
|
CSP
|
Actif en tant que teufeur
|
Musicien techno
|
Membre
d'un collectif musical
|
Denis
|
Homme
|
25 ans
|
Ouvrier soudeur
|
Non
|
Non
|
Non
|
Dorian
|
Homme
|
24 ans
|
Barman
|
Oui
|
Oui
|
Non
|
Alban
|
Homme
|
27 ans
|
Ex- chef d'entreprise
|
Non
|
Oui
|
Oui
|
Amaury
|
Homme
|
32 ans
|
Electricien
|
Oui
|
Oui
|
Oui
|
Margot
|
Femme
|
21 ans
|
Peintre en bâtiment
|
Oui
|
Non
|
Non
|
Théo
|
Homme
|
22 ans
|
Cariste
|
Oui
|
Oui
|
Oui
|
Joris
|
Homme
|
29 ans
|
Employé dans une entreprise de climatisation
|
Oui
|
Non
|
Non
|
Lisa
|
Femme
|
23 ans
|
Etudiante en comptabilité
|
Oui
|
Non
|
Oui
|
Roman
|
Homme
|
20 ans
|
Saisonnier
|
Oui
|
Non
|
Oui
|
Gaël
|
Homme
|
25 ans
|
Paysagiste
|
Non
|
Non
|
Non
|
|
Se sent / se dit teufeur
|
Se drogue
|
Apprécie le conflit avec
la police
|
Sensibilité politique /
vote
|
Denis
|
Non
|
Oui
|
Oui
|
Aucune
|
Dorian
|
Oui
|
Oui
|
Non
|
Aucune
|
Alban
|
Oui
|
Oui
|
Non
|
Aucune
|
Amaury
|
Oui
|
Peu
|
Non
|
Aucune
|
Margot
|
Oui
|
Non
|
Non
|
Plutôt de gauche, vote.
|
Théo
|
Oui
|
Non, depuis peu
|
Non
|
Plutôt de gauche, vote rarement
|
Joris
|
Oui
|
N'en parle pas
|
Non
|
Aucune
|
Lisa
|
Oui
|
Non
|
Non
|
Aucune, vote blanc
|
Roman
|
Oui
|
Oui
|
Non
|
Plutôt de gauche, vote
|
Gaël
|
Oui
|
Oui
|
Non
|
Aucune
|
Il faut bien sûr noter que la méthode des
entretiens présente un certain nombre de biais, notamment du fait que
l'on interroge directement la personne sur ses propres agissements et choix. En
effet, l'échange lors de l'entretien formel est basé sur les
souvenirs et l'analyse de son propre vécu. Or, on sait que la
mémoire présente un risque de reconstruction a
posteriori. Ainsi, il faut prendre en compte les logiques et les processus
dans lesquels les acteurs peuvent être pris. De même, on peut se
demander dans quelle mesure le chercheur doit faire confiance au discours
produit par l'acteur. La connaissance de ces biais, loin d'empêcher
l'analyse, doit rester présente tout au long de celle-ci afin de les
éviter au maximum.
Un nombre important d'entretiens informels ont
également été menés lors de diverses séances
d'observation participante. En effet, il semble que pour tenter de comprendre
un milieu tel que celui des free-parties, ce n'est qu'en vivant
l'expérience avec les teufeurs que cet objectif peut être atteint.
Un carnet d'observation a été tenu, permettant par la suite de
ressaisir les moments d'observation afin de les intégrer, d'une
manière ou d'une autre, au présent travail. Pour ces
séances d'observation, le choix a été fait de mettre au
courant de mon statut les teufeurs m'accompagnant aux événements.
Ainsi, pour eux, une étudiante en sociologie venait pour
découvrir la teuf. A l'inverse, pour la foule des teufeurs
présents, je n'étais qu'une teufeuse parmi d'autres.
Quelques photographies ont également été
prises en vue d'utiliser par la suite les méthodes de la sociologie
visuelle. Malheureusement, peu de clichés sont de bonne qualité.
La faible luminosité de la nuit et les divers effets lumineux des
stroboscopes et autres artifices ont en effet rendu assez difficile la prise de
vue.
PARTIE 1 - HISTOIRE ET MYTHES, PETIT RETOUR EN
ARRIERE
« Le caractère le plus profond du mythe, c'est
le pouvoir qu'il prend sur nous, généralement à notre
insu. »
Denis de Rougemont
Avant d'avoir le visage qu'il a aujourd'hui, le
phénomène techno a du naître, évoluer, être
influencé, migrer et subir la répression. Plus qu'un simple
historique, il est nécessaire d'entrevoir ses influences, ses acteurs et
ses déboires afin de comprendre ce qu'il est devenu.
De plus, ce mouvement musical, comme beaucoup d'ailleurs, est
ancré dans son temps. En effet, « les formes sous lesquelles elles
s'assemblent (les styles de musiques) sont attachées à des
époques, à des moments de l'histoire. » (Racine, 2004).
Ainsi, comme le jazz ou le rock à leur époque, la techno est un
indicateur des orientations idéologiques des jeunes (et des moins
jeunes) qu'elle conquiert. Il s'agira donc ici de montrer en quoi son ascension
en dit long sur les peurs et les espérances d'une
génération.
Il faut aussi noter que, comme beaucoup de
phénomènes culturels, la techno apporte avec elle ses mythes. Un
mythe, un récit qui se veut fondateur et explicatif d'une pratique
sociale, est généralement basé sur des faits ayant
réellement existé, mais leur apporte bien souvent une embellie
notoire. En ce qui concerne la scène française, il s'agira donc
de montrer l'importance du Sound System* de la Spiral Tribe dans la naissance
du mouvement et les influences du mythe qu'elle véhicule.
I- La naissance du virus house
La musique techno prend ses origines dans la house
noire américaine des clubs de Detroit et Chicago. Au début des
années 80, elle se joue encore dans des clubs fermés,
réservés le plus souvent aux habitués. Ce qui n'est alors
encore que de la house-techno sera transporté jusqu'à
Ibiza par quelques DJ et deviendra ce qui est alors appelé à
l'époque le balearic-beat*. Ses basses
répétitives et ses ondes hypnotiques jouées par des DJs
espagnols résonnent sur toute l'île jusqu'au petit matin. Lorsque
les clubs ferment, on continue sur la plage. Des touristes anglais,
lassés par la trop forte popularité de San Antonio, affluent
à Ibiza pour y trouver « the jouissance of Amnesia, where nobody is
but everybody belongs » (Redhead, 1993). Déjà, ils
trouvent dans la danse qui accompagne cette nouvelle vibration
une absence du « gaze » sur les corps.
A la fin de l'été 1987, quelques DJs
britanniques importent le balearic-beat dans les clubs anglais ; les
touristes reviennent au pays avec un nouveau style et une nouvelle drogue,
l'ecstasy*. Très vite, le virus de la house est transmis dans
les villes du Nord de l'Angleterre, notamment Liverpool et Manchester où
le club de l'Hacienda devient l'étendard de cette nouvelle vague. C'est
l'obligation de fermeture des clubs à deux heures du matin qui pousse la
jeunesse à organiser des « wharehouse parties »
(littéralement des « soirées entrepôt »), sortes
d'afters privés mis en place à la fermeture des boîtes de
nuit et diffusant de la musique house. Peu à peu, ces
soirées sont organisées indépendamment des sorties de
clubs dans des hangars désaffectés ou des champs. Une nouvelle
esthétique est née. La house devient
l'acidhouse*. Les jeunes fans adoptent le smiley jaune
(sourire béat aux yeux ronds) sur leurs T-shirts en guise de
référence aux années psychédéliques. On est
en 1989.
De son côté, la presse anglaise fustige ce nouvel
élan. Dès ses débuts, ils associent l'acid-house
au LSD - aussi appelé Acid - et à sa cousine proche inscrite au
tableau des stupéfiants en 1985 que les touristes d'Ibiza avaient
ramenée dans leur poches, l'ecstasy. Les tabloïdes titrent sur
« L'horreur de l'acid-house », « Des orgies de sexes et de
drogues » et lancent un appel : « Interdisez ces chansons du diable !
» (Kyrou, 2002). La panique morale est née autour de cette musique
supposée favoriser la consommation de drogue chez les jeunes. A ce
moment là, les wharehouse parties ne sont pas encore des
rave-parties, il faudra pour cela que la répression s'en
mêle. Mais l'on voit déjà apparaître la polarisation
de l'univers techno entre une frange qui reste dans les carcans de la vie
nocturne tolérée et une frange qui se marginalise pour pouvoir
continuer la fête.
II- Festivals et répression britanniques
Influences new age travellers et punks
Parallèlement à cette migration de la vague
house au Royaume-Uni, les grands concerts gratuits (« free
festivals ») se développent dès le début des
années 80. Y affluent ceux que l'on appelle les new age
travellers. Ces voyageurs anglais ont suivi la voie ouverte par les
hippies quelques décennies plus tôt. Depuis la fin des
années 70, les travellers ont choisi une vie d'itinérance en bus
ou en caravane. Ils voyagent de festivals en festivals par convois de
véhicules qui leur servent de maison
consommation et le matérialisme sont rejetés en
bloc.
police les traque et essaie de stopper les convois et les
festivals.
Le festival du solstice d'été à Stonehenge
est
plus tard des hippies, le lieu de convergence annuelle des
festival, en juin 1984, ils sont quelques 50
2003). C'est à la suite de ce rassemblement d'une ampleur
encore jamais vue que
police renforcent leurs raids dans les groupes de 1985 que la
plus forte vague de répression touche les resté dans les
mémoires tant il a été violent. C'est la b
Act est voté en 1986 sous l'impulsion du
Gouvernement Thatcher. Il incorpore un paragraphe réglementant les
convois de masse.
1er juin 1985. Brutalités policières à la
bataille de Beanfield.
L'explosion de la scène punk londonienne a
également joué un rôle imp cette histoire. Ces
crusties (littéralement «
tabula rasa musicale afin d'avoir la plus grande
liberté de création possible. Ils squattent les immeubles
abandonnés et appellent à l'autogestion
Mais cette autogestion et la multiplication des espaces
occupés sans droits ni titres amènent le Premier Ministre
Margaret Thatcher à faire voter le Housing Act (Acte sur
l'habitat) en 1988 (Spault, 2008). Ce texte propulse les punks à la rue
et sur les routes, où ils finiront par rencontrer les new age
travellers. Les punks viennent finalement grossir les rangs des amateurs
du festival de Stonehenge.
Naissance des premiers Sound Systems et rave-parties
C'est lorsque les premiers Sound Systems
itinérants naissent que la techno rencontre le magma des new age
travellers et des crusties dans les grands festivals anglais. Un
Sound System (littéralement « système de son ») est
à l'origine l'ensemble du matériel nécessaire à
l'émission de musique électronique en plein air (tables de
mixage, enceintes, groupe électrogène...). Par extension, c'est
aussi le nom donné au groupe de musiciens qui posent du son (jouent de
la musique) grâce à ce matériel. Les premiers Sound Systems
sont nés en Jamaïque avec la musique dub*. L'idée
est arrivée en Angleterre par la voie de l'immigration. Comme on l'a vu,
l'interdiction d'ouverture des clubs après deux heures du matin, mais
aussi la censure de toute musique électronique sur les ondes
britanniques à la fin des années 80 par le gouvernement Thatcher
(Mousty, 2003) renforcent le phénomène des wharehouse
parties.
Les premières fêtes techno, les
rave-parties s'organisent dès octobre 1990, notamment sous
l'impulsion des Spiral Tribe. C'est aux alentours de Londres que ce
Sound-System s'est constitué. Les premiers mois après sa
formation, la « Spi » se fait une place dans les soirées
underground* londoniennes, jusqu'à prendre la route en juin
1991. Elle devient alors l'un des principaux acteurs de la scène
rave anglaise de l'époque et jouera un rôle important
dans l'arrivée du mouvement en France. Les membres du groupe propulsent
l'esthétique techno plutôt joyeuse jusqu'alors dans un versant
plus sombre. Ils sont underground : ils rejettent la musique
mainstream*. Ils sont hardcore*, leur « musique se veut
bruit : on s'approprie les pollutions sonores que la société
rejette, et on les revendique en ce qu'elles ont de plus insupportable comme
pour construire une frontière implicite. » (Kyrou, 2002). Comme les
punks, ils prônent un modèle d'autogestion ; comme les new age
travellers, ils vivent dans leur camion et vont de fêtes en
fêtes. Leur seule revendication : « The right to party !
» (Le droit de faire la fête).
Diversité des événements techno
Plusieurs types d'événements techno existent
alors à l'époque. La principale césure réside dans
la légalité ou l'illégalité des soirées
organisées. Les free-parties sont clairement dans le versant de
l'illégalité. Elles ont été la réponse
à la répression menée par le gouvernement. Le mot
free fait ici référence à la liberté
d'accès de ces fêtes, de par leur prix libre et l'absence de
service d'ordre à l'entrée. Leur illégalité les
entraîne dans des endroits reculés, où les forces de
l'ordre ne pourront pas les trouver à temps. Pour s'y rendre, les
raveurs ont recours à des techniques d'éviction de celles-ci.
« Petit à petit, l'odeur du gasoil utilisé pour les groupes
électrogènes, va remplacer celles des cotillons foulés. Le
cadre va se faire plus rude, plus radical par manque de moyens, et ces
fêtes vont attirer de plus en plus de monde [...]. » (Mousty,
2003).
De l'autre côté, on trouve les fêtes
légales, qu'elles soient soirées en clubs ou rave parties. Pour
ce qui est des clubs, ils respectent la fermeture légale à deux
heures du matin, et pratiquent des politiques de sélection à
l'entrée très peu appréciées des partisans de
free-parties. Le clubbing, pratique festive incorporée à
l'imaginaire bien pensant anglais, est à l'opposé des raves
hardcore qui se construisent bel et bien dans cette opposition. En ce qui
concerne les rave-parties, ce sont des soirées organisées sur le
mode free-party mais accédant aux exigences de la légalité
: demandes d'autorisations, mise en place d'un service d'ordre...
Criminal Justice Act et migration
En mai 1992, les autorités britanniques empêchent
les convois de se rendre sur le lieu où la fête d'Avon est
généralement célébrée. Le convoi change de
route et s'établit à Castlemorton (Worcestershire). Face à
50 000 ravers, une dizaine de Sound System ont posé du son,
dont la Spiral Tribe qui sera poursuivie en justice pour « troubles
à l'ordre public avec préméditation » à l'issu
de ce festival. La multiplication des raves dans les campagnes britanniques et
les débordements du festival de Castlemorton en 1992 encouragent le
gouvernement à prendre des dispositions spécifiques. Le
Criminal Justice Act est voté en 1994. Il est notamment
composé d'une clause spécifique concernant les manifestations
techno et les travellers. Les raves sont alors définies comme
« un rassemblement en plein air de cent personnes ou plus
(autorisées ou non à occuper les lieux) dans lequel une musique
amplifiée est jouée durant toute la nuit (avec ou sans
permission) ». La loi interdit ces réunions sous l'emblème
d'une musique « aux rythmes répétitifs » et permet aux
autorités la saisie immédiate du matériel sonore en cas
d'infraction.
En 1992, après que la Spiral Tribe soit sortie
innocente du procès attenté à son encontre, ses membres
organisent une fête en plein coeur de Londres pour le solstice
d'été, le site de Stonehenge étant totalement
encerclé par les forces de police. C'est sur les anciens docks de Canary
Wharf, sur l'Isle of Dog qu'ils frappent une dernière fois avant de
quitter le lendemain matin le sol anglais pour la France. Ils impulsent de
cette manière un grand mouvement de migration des Sound Systems fuyant
la répression. En effet, c'est en 1994, après le vote du
Criminal Justice Act, que la plupart des Sounds Systems anglais
rejoignent les Spiral Tribe sur les routes européennes. En Angleterre,
la scène s'étouffe. Les quelques Sound Systems restant se
heurtent désormais à une police beaucoup plus organisée.
L'avenir de la techno hardcore se joue désormais ailleurs.
III- Importation du mouvement en France
Scène européenne
En France, la techno avait déjà fait ses
premières apparitions dès 1988 et 1989 dans quelques clubs de
Paris : le Boy, le Rex et le Palace, lors de
soirées spécialisées. Et « si la composante
homosexuelle de la mouvance techno était importante [à ce moment
là], elle constitue aujourd'hui un fait relativement marginal mais, pour
ces raisons historiques, bien intégré. » (Racine, 2004).
Mais c'est en 1990 que les premières rave-parties fleurissent dans
l'hexagone, du fait de la connexion en réseaux des mondes festifs de
Londres et de Paris. Ici aussi, c'est par le principe des afters que
la techno underground conquis les coeurs, notamment par l'intermédiaire
des mix du dimanche matin du DJ Manu le Malin. Déjà, la
division de la techno en deux mondes et deux systèmes de
représentation, celui des clubs branchés parisiens et celui des
afters undergrounds, est bien réelle.
Ailleurs en Europe, les réactions à
l'arrivée de la techno sont souvent plus précoces, et surtout
beaucoup moins influencées par l'esthétique hardcore des Sound
Systems anglais. En Allemagne, l'arrivée de l'acid-house
coïncide avec la Chute du Mur de Berlin. L'Europe baigne dans une
vague d'optimisme. Les berlinois de l'Est découvrent tous les espaces
qu'il est possible d'investir sans être obligé de demander
d'autorisation. La première Love Parade prend place de manière
imprévue dès juillet 1991. Dans la capitale allemande, les clubs
fleurissent. « Les pièces du puzzle se rejoignent à la
faveur du vent nouveau : libération politique sur les rythmes des
pioches dont on a encore en mémoire les coups sur le mur [...].
»
(Kyrou, 2002). En Italie et en Espagne, le milieu des
années 90 sonne l'heure des premières organisations de grands
festivals techno européens. Ainsi, dans les alentours de Barcelone, le
festival Sonar sera le premier d'une longue lignée. Plus au
Nord, en Belgique et aux Pays-Bas, la fièvre techno monte dès le
début des années 90. Ici, c'est le new-beat qui fait
fureur, une house aseptisée qui fera très peu de fans dans le
versant hardcore importé par les Sound Systems anglais.
Mais c'était sans compter sur la volonté de
transmission du virus des Spiral Tribe et autres Sound Systems qui suivront
leurs traces sur les routes d'Europe.
Evolution française vers la free-party
Fin juin 1992, les Spiral Tribe atterrissent à Paris,
et s'y installent. Ils conquièrent la scène parisienne et
imposent leur image : une bande de travellers anglais hardcore. Ils se
font connaître en province avec une tournée dès la fin
1992, notamment du côté de Montpellier. L'année suivante,
ils sont à l'origine de l'organisation du premier festival
français. Ainsi, en juillet 1993 aux alentours de Beauvais, les Spiral
Tribe et les Nomads (Sound System français) posent le son du premier
teknival. Contrairement à ce qui se pratiquait en Angleterre du
fait de la présence des new age travellers et des punks, la
seule musique à être jouée ici est de la techno. A la suite
de cet événement, nombre de Sound Systems sont
créés à leur image dans l'hexagone
(Hérétiks, Troubles fêtes ou OQP) et les free-parties
prolifèrent. La même année, le magazine mensuel
Coda, commentateur de la scène rave française et
internationale, tire son premier exemplaire. Les magasins
spécialisés vendant les disques vinyles nécessaires
à la création et au mix techno se
créent partout en région parisienne. Ils sont aussi le lieu
oüles adeptes peuvent trouver les flyers*, ces petits
papiers indiquant les soirées à venir et le
numéro de l'infoline*, répondeur
téléphonique donnant des informations sur le lieu de la
fête au dernier moment.
Le mythe Spiral Tribe
Même si d'autres Sound System ont émigré
en Europe dans le but de transmettre le virus techno, les Spiral Tribe restent
en France considérés comme les fondateurs de la free-party, du
style de techno qui s'y joue et des modes de vie qui s'y attachent.
Dès leur arrivée à Paris, les membres du
Sound Systems se divisent en deux sousgroupes informels. Certains, que l'on
appellera les techno travellers auront pour vocation de
prendre la route afin de faire connaître leur
musique de par le monde. Les autres resteront sur
; SP 23
Paris afin d'entretenir le label Network 23
(créé lorsqu'ils étaient encore à Londres
dans sa versio
n française). L'idée est ici de favoriser
la création techno et de presser les vinyles nécessaires
à celle-
ci. Déjà, avec cette première
différenciation dans les approches de l'univers techno
, on voit apparaître une des ambiguïtés
du mouvement, celle d'une esthétique
underground recherchant une certaine
reconnaissance.
Un des multiples logos présents sur les
flyers de la Spiral Tribe, reconnaissables entre
tous par les fans.
La branche techno travellers de la Spiral Tribe est donc
celle qui a pris la route, d'abord en France, et qui a
impulsé le premier teknival. A partir de 1993,
les Spis entament
ndre un
leur campagne européenne. Au départ, ils
prennent la route pour tenter de rejoi collectif d'artistes sculpteurs
utilisant toutes sortes de machines et de vieux véhicules, les
Mutoïds . Ils finissent par les rattraper aux alentours
de Rome. La fusion a lieu. Ensemble, ils parcourent les routes
d'Allemagne, d'Autriche, d'Italie et du Portugal et y organisent des
événements musico-
artistiques.
Ils poussent vers l'Europe de l'Est aux alentours de 1995
et organisent le premier teknival tchèque.
C'est la volonté de conquête de l'Ouest
américain qui signe une nouvelle césure dans
le g
roupe. Ceux qui en ont les moyens financiers partent,
les autres restent. Le voyage aux Etats-Unis est une
débâcle. De leur côté , ceux qui
n'ont pas pu partir, créent de nouveaux Sound Systems
sur le modèle de la Spiral Tirbe. Ainsi, Kaos crée les Sound
Conspiracy et prend de nouveau la route, cette
fois -ci vers Goa* en Inde, berceau des full moon
parties.
Mais plus que leur parcours, c'est bien du mode d'organisation
du groupe et de leurs revendications que nait le mythe. D'abord, il faut noter
que, même si la Spiral Tribe est à l'origine de l'organisation de
nombreux événements techno en France et en Europe, la
frontière assez floue du groupe et sa tendance à se poser comme
initiateur augmente considérablement la perception du nombre de
soirées organisées. En effet, d'une part cela s'explique par
l'attitude choisie par les membres fondateurs de la Spiral Tribe : ils se
posent d'eux-mêmes comme les leaders du mouvement. De cette façon,
ils catalysent l'essor de la mouvance free-party à leur manière.
D'autre part, un amalgame est rapidement fait entre les Spiral Tribe et
l'ensemble des DJs et travellers qui ont participé à un moment
où à un autre à une soirée organisée par
eux. D'ailleurs, cet amalgame est en partie créé par l'attitude
même des membres fondateurs, n'hésitant pas à
répéter lors de chaque free-party : « If you come in the
tribe, you're a Spiral Tribe ! » (Si tu viens dans la tribu, tu es un
Spiral Tribe). Ce Sound System semble donc omniprésent à
l'époque de l'essor de la free-party en France, alors même que la
plupart des membres sont soit à Paris, soit sur les routes d'Europe de
l'Est. Au final, « seul les acteurs ou les passionnés connaissent
les différentes déclinaisons de sounds systems présents
à cette époque. C'est en partie cette méconnaissance qui a
mythifié le sound system et ses membres. » (Mousty, 2003).
Le DVD documentaire sur les World Traveller Adventures jouera
également un rôle important dans la transmission du mythe à
ceux « qui n'étaient pas là ». Il retrace d'une part
l'histoire de la naissance de la Spiral Tribe en Angleterre et de ses
déboires avec les autorités, et d'autre part trois voyages en
Afrique, en Inde et en Europe de l'Est de sound systems
dérivés de la Spiral Tribe tel que Sound Conspiracy. Sur
fond d'humanitaire et d'itinérance, ils organisent des soirées
techno un peu partout dans le monde pour que la musique ne s'arrête
jamais (« music never stops »). C'est par cette
volonté de transmettre leur passion qu'ils deviendront les
emblèmes d'une mouvance musicale en création. Ils
véhiculeront grâce à ce prosélytisme non seulement
leur musique, mais aussi leurs idéaux contestataires et
hardcore.
Accueil du mouvement par les médias et la
société
De 1988 à 1993, le mouvement passe plutôt sous
silence. Mais très vite en France, comme chez nos voisins anglo-saxons,
la scène rave est associée à la consommation et au
marché de drogue. Du fait de la prédominance de la techno
hardcore des Spiral Tribe, c'est aussi le caractère jugé
inhumain et a-musical de ce nouveau style qui est traité. C'est la
réaction des journaux locaux aux différentes petites raves
organisées dans leur région qui
lance la spirale de la panique morale. Jusqu'en 1996, les
journaux nationaux reprennent le sujet et produisent des articles alarmants,
comme ce texte tiré du Nouvel Observateur par Etienne Racine (2004) :
« Les consommateurs d'ecsta, on les repère
à la mini-bouteille d'Evian qu'ils ont à la main pour
éviter la déshydratation. Ils sont les seuls à se tenir
à un centimètre de l'air vibrant des enceintes. Ils y resteront
jusqu'au matin. Mais la grande star de la soirée, c'est bien sûr
le haschich [...]. Affalés dans les bosquets, ils sont peut-être
2000 à faire tourner des pétards. Les plus cassés
cherchent fébrilement dans la terre les restes imaginaires de leur
boulette. On dirait une gigantesque fumerie d'opium en plein air, rassemblant
des étudiants, des fumeurs occasionnels et des scotchés de la
défonce. »
De leur côté, les autorités commence
à se saisir du sujet et lancent une première action
répressive et préventive gouvernementale avec la parution en
janvier 1995 de la circulaire « Les raves, des soirées à
hauts risques : mission de lutte anti-drogue » par la Direction
Générale de la Police Nationale. L'idée est que les raves
ne pouvant malheureusement pas faire l'objet d'une action répressive du
fait des risques dus à une intervention immédiate, doivent faire
l'objet d'une action préventive d'interdiction (Racine, 2004). A
l'échelle locale, une action plus directe est menée par la mairie
d'Avignon en mai 1996 qui établit un arrêté
précisant que « les soirées musicales
dénommées rave-parties sont strictement interdites sur le
territoire communal ».
Mais le mouvement commence à s'organiser. Les
interdictions sont jugées abusives par les organisateurs. Ainsi,
à la suite de l'annulation de la rave Polaris prévue le 24
février 1996 à Lyon mise en oeuvre par des tenanciers de
discothèque ayant fait pression sur la mairie, le collectif Technopol
est crée. Cette association a pour objectif « la défense de
la culture, des arts et des musiques électroniques issues des mouvements
house et techno ». Elle offre un cadre légal et officiel à
la mouvance rave-party. L'association parviendra à obtenir une victoire
symbolique en faisant annuler l'arrêter anti-rave de la mairie d'Avignon.
Outre Technopole, la volonté d'organisation du mouvement est visible
dans la présence d'autres associations sur le terrain. Ainsi, en 1997,
Médecins du Monde lance sa Mission rave. Elle a pour but
d'avoir une action préventive sur les effets et les risques des drogues
et est financée par une action gouvernementale. Déjà, en
1995, un collectif de teufeurs avait vu le jour dans ce but, l'association
Techno Plus.
IV- Polarisation française
S'ensuit alors une polarisation de la scène techno
française. D'un côté, on voit apparaître un versant
du phénomène tendant vers la reconnaissance. Ainsi sont
organisées, dans le sillon des expériences européennes de
la Love Parade de Berlin par exemple, les premières Techno Parades
françaises. En effet, les membres de Technopole, avec le soutien
d'acteurs politiques, notamment Jack Lang, lancent en 1998 la première
Techno Parade dans les rues de Paris. Ils seront 130 000 à affluer cette
année là, de plus en plus les années suivantes. Les
partisans de l'institutionnalisation du mouvement vivent cet
événement comme une libération, une reconnaissance tant
attendue du phénomène techno.
De l'autre côté, la scène rave continue
d'exister et est, du fait de l'apparition d'une mouvance se cantonnant dans des
pratiques festives ayant des formes officielles et tolérées, de
plus en plus stigmatisée. « Il existe donc une rupture
"idéologique" entre les amateurs de boîtes de nuit, "victimes de
la société de consommation", et les adeptes des free-parties,
défenseurs d'un mode de vie alternatif par rapport à cette
société marchande. » (Tessier, 2003).
En 1999, une nouvelle circulaire ministérielle parait :
« Instruction sur les manifestations rave et techno ». Les objectifs
des ministères cosignataires (l'Intérieur, la Défense et
la Culture) sont clairement de promouvoir les événements
légaux d'un côté, et d'avoir les moyens d'engager des
poursuites à l'encontre des organisateurs d'événements
illégaux de l'autre.
La distinction entre rave-party et free-party est alors
très claire. Il y a ceux qui accèdent aux injonctions
gouvernementales de légalité en mettant en place des services
d'ordres et de sécurité et ceux qui choisissent de ne pas
demander d'autorisation. Ils peuvent alors se permettre de ne pas payer de
service d'ordre, de proposer une soirée gratuite ou à prix libre,
de ne pas s'encombrer de demande de licence de débit de boisson ou de
déclaration à la SACEM.
Mais c'est en mai 2001 que le lien entre techno et politique
franchit une nouvelle étape. Le député RPR Thierry Mariani
dépose alors un amendement à la loi sur la sécurité
quotidienne. Ainsi, une clause visant spécifiquement les free-parties se
retrouve à côtoyer dans une même loi des textes sur la
délinquance des mineurs, sur la vente d'armes, ou même sur la
lutte contre le terrorisme. L'article relatif aux rave-parties stipule que les
organisateurs
doivent déclarer l'événement
auprès du préfet du département et obtenir l'autorisation
du propriétaire du terrain. Alors, « si le rassemblement se tient
sans déclaration préalable ou en dépit d'une interdiction
prononcée par le préfet, les officiers de police judiciaire [...]
peuvent saisir le matériel utilisé, pour une durée
maximale de 6 mois, en vue de sa confiscation par le tribunal ».
Après une période estivale où
l'actualité médiatique est ponctuée de discours sur les
événements techno, survient la catastrophe du 11 septembre 2001.
L'heure est alors à la coalition. Le projet de loi est finalement
voté le 31 octobre 2001. Des décrets d'application de la loi
préciseront qu'au dessous d'un seuil de 250 personnes, puis de 500, la
loi n'a pas à être appliquée. Des free-parties de petite
taille, non autorisées mais non illégales, peuvent alors se
développer à nouveau.
PARTIE 2 - LA TEUF : EXPERIENCE INDIVIDUELLE OU
FUSIONNELLE ?
« Il n'y a de communautaire que l'illusion d'être
ensemble. »
Raoul Vaneigem
Deux préjugés existent sur les rave-parties :
celui d'expériences absolument solitaires et celui de soirées
orgiaques sous les effets de l'ecstasy. Mais, du fait de la
méconnaissance de cet univers et du fait que justement, il s'agit de
préjugés, seule une analyse plus profonde permettrait de savoir
de quoi il en retourne. « L'engouement qu'elle génère ne
pourra être compris que de l'intérieur. » (Fontaine et
Fontana, 1996).
Comme on l'a vu, le monde des free-parties est né avec
son temps et est une manifestation de celui-ci. Pour Béatrice
Mabilon-Bonfils, il faut dépasser et déconstruire ces
idées préconçues afin d'avoir « une chance
d'interroger les modalités particulières de l'individualisme
contemporain » (Mabilon-Bonfils, 2004). La question est de savoir si
l'expérience de la teuf est une manifestation de cette montée de
l'individualisme ou, au contraire, une réaction à celle-ci
cherchant à recréer une potentielle fusion originelle.
I- Un soir en teuf
Il s'agit ici de s'enfoncer un peu plus avant dans le
déroulement des différents types de soirées
générées par l'univers free-party. Ainsi, on se demande
comment les teufeurs définissent ces événements, comment
ils sont mis en place et se déroulent, et surtout qu'y font les teufeurs
pendant toute une nuit.
1- Teuf / Teknival : la même expérience ?
S'il fallait donner une définition de la teuf à
proprement parler, il faudrait dire qu'une free-party est une
fête où l'on peut écouter de la musique dite
techno. Le tarif à l'entrée y est libre - lorsque la
fête n'est pas gratuite -, c'est la donation (quelques euros, quelques
cigarettes...). Elle se déroule en général soit en plein
air (dans un champ...) soit dans un bâtiment désaffecté
(ancien hangar...). Les enquêtés, eux, en donnent une
définition beaucoup plus liée à l'expérience de la
fête en elle-même.
« On peut s'amuser, faire la fête, picoler et
écouter de la musique... On peut
rigoler sans forcément d'autorité
derrière nous. » Théo
« Normalement une teuf c'est joyeux, c'est la
fête, c'est faire la fête librement, c'est le partage, c'est la vie
en communauté. » Denis
Surtout, la plupart d'entres-eux font une distinction majeure,
justement dans le type d'expérience, entre les teufs (free-parties) et
les teknivals. Ces derniers sont de gros rassemblements de Sound Systems durant
environ une semaine et généralement légaux.
« Il y avait des lignes et des lignes de Sound Systems.
Je n'avais jamais vu ça. »
Dorian
Les teufeurs qui apprécient les deux sortes
d'événements vont surtout appuyer sur la quantité de
personnes présentes. Ainsi, la teuf apparaît plutôt comme
une soirée entre amis où l'on connaît la plupart des
personnes présentes alors qu'un teknival plutôt comme un lieu de
convergence d'individus ayant la même passion et donc de
découvertes et de rencontres. Deux types d'événements,
deux expériences, deux ensembles de raisons d'y aller.
« Ce n'est pas pareil parce que dans les petites
teufs, tu connais beaucoup plus de monde donc les gens, tu les connais
déjà, alors qu'en teknival tu rencontres plein de monde.
[...] Tu ne passes pas les mêmes soirées, ce n'est pas
pareil. [...] C'est plus festif, c'est moins familial, tu rencontres
plein de monde, tu discutes avec beaucoup plus de monde. » Margot
« Alors qu'en teknival on va en voir vraiment encore
plus, des gens qui vont se déplacer vraiment parce qu'à ce moment
là, financièrement, ils ont mis de l'argent de côté
pour pouvoir sortir les poids lourds. [...] Les teknivals en
général c'est quand même de gros événements
attendus. On voit du beau monde ! » Lisa
De leur côté, ceux qui n'apprécient pas
les teknivals invoquent la même raison : sa légalité.
Ainsi, les teufeurs qui recherchent particulièrement et pour
lui-même l'aspect illégal des teufs ne vont pas trouver le
même plaisir à aller dans un « tekos ».
« Teknival, je n'y allais pas trop. J'étais
plus, quand même, trucs libres. [...] Les tekos ce
n'était pas possible : je ne pouvais pas me permettre tout ce que je
pouvais me permettre en teuf. » Denis
« Je n'y vais pas parce que ce sont des Sarkovals,
tout simplement. » Roman
On voit donc que l'élément le plus important dans
la définition d'un évènement techno pour les teufeurs
est l'aspect festif de celui-ci. Ils font une distinction entre deux
événements
d'ampleurs différentes : la fête peut se faire
entre amis ou au milieu d'une foule de semblables. Cependant, certains
d'entres-eux introduisent un nouveau paramètre : la recherche de
l'illégalité.
2- Une teuf : de l'organisation au rangement
La compréhension des différents
évènements qui se succèdent lors de la mise en place d'une
teuf, du moment où le Sound System évoque l'idée de
l'organisation jusqu'à ce que tout le monde ait quitté le site et
retourne à la vie hors teuf, peut aussi nous éclairer quand
à la nature de ce type de soirées.
Préparation de la teuf par le Sound System
Contrairement à ce que l'on pourrait penser de prime
abord, l'organisation d'une teuf demande du temps et de l'investissement.
D'ailleurs, nombre de teufeurs le reconnaissent et en sont conscients.
« Quand tu vois les moyens qui sont mis en oeuvre
pour organiser un Sound System, pour l'organisation et après pour tout
ce qui est l'électricité, trouver des coins... les chercher, les
trouver, avec ou sans autorisation. [...] Tu montes le sound system,
tu y passes trois jours et tout, et puis après, il faut démonter,
nettoyer... » Gaël
En effet, il s'agit premièrement d'être
organisé en Sound System, en un groupe soudé pour pouvoir mettre
ce genre de manifestation en place, sans l'aide d'aucun professionnel.
Premières démarches, il faut trouver un site assez reculé
de toute habitation afin de ne déranger qu'un minimum de personnes. Ce
site, bien sûr, doit être différent à chaque fois
afin d'éviter l'arrivée trop prématurée des forces
de l'ordre. Une date est ensuite bloquée, des flyers sont
imprimés ou l'information est divulguée sur des forums Internet
dédiés au monde de la teuf. Quelques heures voir quelques jours
avant le début de l'évènement, le Sound System investit
les lieux et s'active à monter le mur de son. Les diverses
compétences des membres sont mises à contribution. Les DJs
installent les platines et le petit matériel sonore, les autres, les
structures porteuses du mur de son, les lumières, le matériel
nécessaire aux effets visuels, les différents
éléments d'art décoratif... Chacun a son rôle
à jouer.
« Après, tout le monde a un petit rôle.
Il y a ceux qui vont installer la décoration. Il y a ceux qui vont
mettre l'ambiance autour de la teuf, soit en jonglant avec le feu, soit en
mettant des installations, [...] des jeux de
lumières. » Théo
« Je suis électricien, étant
donné que je travaille un peu dans les télécoms où
on travaille beaucoup l'électricité. Donc je fais
l'électricien, et l'éclairagiste aussi. Et puis après,
comme on est un groupe, c'est aider... Tu décharges, tu montes,
tu
donnes ton avis pour la disposition du matos. Chacun y met
du sien. » Amaury
Une fois les dernières installations mises en place, la
musique commence à résonner dans la forêt et les premiers
teufeurs arrivent. On voit donc que malgré les apparences, les teufs
sont des événements assez réglés au niveau de leur
déroulement. On ne fait pas une teuf n'importe comment.
Amaury
Il a 32 ans, est père d'une petite fille de quelques
mois, travaille en tant qu'électricien et fait partie d'un des gros
Sound Systems bordelais, Arakneed. C'est Denis qui
lui a parlé de moi, et qui m'emmène à un repas chez lui
oü je suis conviée. Le repas s'éternise. Puis l'entretien
s'enclenche dans la cuisine. Denis m'avait prévenue qu'Amaury avait un
passé assez difficile dont il aimait peu parler, je décide donc
de rogner de l'entretien les questions touchant directement à l'enfance
ou à la famille. Il parle beaucoup, et semble souhaiter m'en dire le
plus possible sur cet univers. L'entretien dure près d'une heure et
demie. Il prend également le temps de me montrer comment mixer sur les
platines installées entre sa cuisine et son salon.
|
Le départ en teuf
De leur côté, ceux que l'on appelle les
spect'acteurs ou les simples teufeurs s'organisent pour pouvoir être
présents. Beaucoup d'entres eux s'informent chaque semaine des teufs
à venir. D'autres sélectionnent en fonction de leurs
préférences musicales.
« Selon la musique, selon les styles musicaux, il y
en a où je n'y vais pas, parce qu'il y en a qui ne m'intéressent
pas. Mais j'y vais aussi pour voir des gens que je ne vois vraiment que
là-bas. » Lisa
Certains, ceux que l'on peut définir comme des travellers,
vont de teuf en teknival sans interruption. Ils sont alors beaucoup plus
mobiles.
« A 3 ou 4 heures arrachés, il y a des mecs qui
m'appellent : « Putain, il y a un tekos qui vient de se poser pour une
semaine, il faut que tu viennes. » Et là, tout le monde dans le
camion, on embarque le son, on se casse. Par rapport à
l'ampleur de la teuf. Sinon, on finit la teuf. S'il n'y a
pas mal de Sound System ou que tu sais que ça va finir le lendemain.
Soit tu finis, tu fais un barbeuc avec tout le monde, tu fais
longtemps et que tu as meilleur à faire
ailleurs.
Dans tous les cas, le moment précédant
l'arrivée sur le lieu de la teuf est vécu comme une source
d'excitation : on se prépare à la soirée
de l'évènement renforce ce sentiment, ainsi que
«
le lieu.
« Mais tu avais un heures ou minuit. Tu app
venir à la teuf confirmée, faut prendre la...".
Et là, t'avais le coeur quis'emballait, t'avais
l'adrénaline au taquet. Avec les potes
y va !". T'étais sur la route, tu metta connaissais
par coeur et t'arrivais, ouais
Après l'arrivée sur le site, c'est le moment de la
teuf à proprement parler, que l'on abordera plus en détail dans
le point suivant. En effet, ce moment particulier
et exige une analyse plus approfondie quant au ressenti des
teufeurs que ce que l'on fait ici
Le lendemain
Teuf des Vingthuitards et de La Clef des
Champs De gauche à droite : un élément de
décoration,
poubelle disposée là par les organisateurs la
veille, afin
Au petit matin, on découvre le site de jour. Les plus
vaillants sont encore en train de danser face au mur. D'autres se
réveillent ou dorment encore. C'est à ce moment là que
l'on aperçoit les « perchés ».
« Au petit matin, les gens ils ont la tête comme
ça ! » Margot
Le dernier matin, alors que la musique est encore bien
présente, le rangement commence. Dans la plupart des cas, les Sound
Systems ont au préalable distribué des sacs poubelles, ou les ont
disposés à divers endroits sur le site. Sinon, ce sont les
teufeurs eux-mêmes qui ont apporté leurs sacs. Alors, on commence
à ramasser les déchets qui n'ont pas été
directement jetés lors de la soirée.
« J'aide mais pour nettoyer plus que pour ranger.
» Roman
« Ils te distribuent des sacs poubelle. »
Margot
« J'aidais surtout à nettoyer le site.
» Alban
« C'est le matin, chacun prend un sac poubelle et on
fait son tour. » Lisa
Parallèlement, le moment de la teuf s'étire loin
dans la journée du dimanche. En effet, contrairement à toute
autre soirée organisée, il n'y a pas de limite d'horaires. Chacun
se prépare à retourner dans sa vie quotidienne à sa
façon.
« A 6 heures, on ne te dit pas dehors. Donc là tu
peux picoler jusqu'à 6 heures situ veux, mais rien ne
t'empêche de partir le dimanche à 9 heures. Tu peux
même
faire ton barbecue sur place avant de partir. Donc,
déjà, tu ne repars pas en état
d'ébriété. » Roman
Il apparaît donc que les différentes
étapes précédant et succédant le moment de la teuf
à proprement parler sont vécu en groupe. Le Sound System est un
collectif où la solidarité et l'entraide sont de mise dans
l'organisation. Les spect'acteurs se préparent psychologiquement et se
rendent sur le site en groupe. Le lendemain, c'est encore une fois ensemble que
l'on participe au rangement ou que l'on prépare son retour.
3- Activités des teufeurs lors d'une free-party
Lors d'une teuf, il y a différents espaces
dédiés à des activités distinctes. Selon leurs
préférences, mais aussi les moments de la soirée, les
teufeurs investissent de manière variée ces espaces.
Premièrement, centre de la teuf, le mur de son est le point de
rassemblement lorsque l'on veut danser ou écouter la musique. Chacun y a
une présence plus ou moins prononcée. Ainsi, il y a ceux qui,
durant tout ou une bonne partie de la nuit, restent proche -
voire le plus proche possible -
« Et après, quand j'étais bien
défoncé, j'étais au mur je ne décrochais pas le mur
de toute la soirée.
« Devant le son ! Bon, on fait des allers
pour re-remplir le verre. Mais sinon,
musique donc je veux en profiter au maximum.
Lorsque les teufeurs ne sont pas « réservé
au groupe d'amis proches, l vous, que l'on vient chercher à boire,
à manger, ou bien de quoi se droguer.
« Donc, tu as ton point de repère, c'est ton
camion.
Mais la plupart font état d'un mouvement cyclique entre
ces différents espaces et un entre deux. En effet, il existe un autre
lieu beaucoup moins facile à définir spatialement. Il s'agit de
l'espace interstitiel entre l'espace
de nouvelles personnes, on discute...
Jongleurs de feu lors
« Je vais dire bonjour, je discute, je rigole beaucoup
j'allume ma clope, et je fais mon tour, je repère.
« Le plus souvent je suis à droit
où. » Théo
« Et puis sinon, après, je me ballade, je vais
rencontrer, je discute. » Théo « Après,
petite ballade aussi, à aller voir les gens pour discuter. »
Margot
Pour d'autres, c'est là que l'on trouve les drogues pour
passer une bonne soirée, ou que l'on vent celles-ci pour gagner un peu
d'argent.
« Au départ, je suis un peu dans le groupe,
à me balader de camion en camion pour voir, forcément, les
produits qui trainent aussi. » Denis
« Et donc tu pars, tu vas faire ce qu'il faut pour faire
rentrer de l'argent, tu reviens. » Alban
De manière générale, un teufeur ne passe
pas l'ensemble de sa soirée au même endroit et avec les
mêmes personnes. Pour certains, une sorte de rituel, ou d'habitude tout
du moins se met en place.
« Ça peut paraître bizarre mais tu fais
toujours la même chose en fait. Tu traces. [...] Tu vas dans le
son, tu vas mixer un peu. » Alban
« On boit, on fume, on mange, on va au son, on
re-boit, on re-fume, on re-mange, on re-va au son. [...] Quand tu n'en
peux plus, tu dors, sinon, tu vois le jour se lever. » Gaël
Certains moments et certains lieux semblent ici être plus
ou moins dédiés à des expériences individuelles ou
collectives.
II- L'identité de teufeur
Comme pour tout groupe d'appartenance, les individus en
faisant partie ont une définition assez claire de celui-ci. Comprendre
quels sont les éléments mis en valeur dans la définition
du teufeur par les individus interrogés permet de mettre en
évidence l'aspect plus ou moins communautaire qu'ils s'en font.
1- Définition de soi en tant que teufeur
Les différents auteurs s'étant penchés
sur le sujet ont tendance à ne reconnaître qu'un seul
élément déterminant : la fréquentation de
soirées teufs. « Teufeurs : Amateurs de concerts techno ayant lieu
sous la forme de free-party. » (Mabilon-Bonfils, 2004).
Margot
Elle a 21 ans et cela fait maintenant six ans qu'elle a
découvert l'univers de la teuf. Je la rencontre par
l'intermédiaire de Théo. L'entretien se déroule chez moi,
sur la terrasse. Elle est venue avec les autres sur Bordeaux pour le concert du
groupe punk les Salles Majestés. Elle ne
semble pas être gênée par la présence du dictaphone
mais ne parle pas énormément. L'entretien dure un peu moins d'une
heure.
|
Par contre, différents éléments
apparaissent dans la définition du teufeur par les teufeurs
eux-mêmes. Ici aussi, le premier aspect important relevé par les
enquêtés est la présence aux événements
techno, ou tout du moins la sensibilité pour ce genre de fêtes.
Mais, sûrement du fait de l'évidence de cet aspect, seulement deux
en font mention.
« Un teufeur, c'est quelqu'un qui va en teuf
régulièrement. » Margot « C'est quelqu'un qui
aime bien faire la fête. » Théo
Dans le même ordre d'idée, beaucoup d'entres-eux
appuient sur la particularité de la musique techno. Pour eux, il est
nécessaire d'apprécier « le son » pour être
teufeur.
« Si t'aime la techno ou si tu ne l'aimes pas. Je
pense que de toutes façons la teuf ça reste de la techno, donc si
tu n'aimes pas la techno, tu ne peux pas être teufeur, ce n'est pas
possible. » Margot
« C'est sûr, c'est quelqu'un qui aime la musique
électronique. » Gaël « C'est les gens qui sont
là pour le son. » Lisa
« C'est surtout une identité par rapport
à la techno ou aux musiques électroniques en tout genres, que ce
soit de l'électro*, de la trance*, en passant par la
house, par la hardtek, de la techno, hardtechno, hardcore, acid...
»
Amaury
La teuf, c'est aussi un état d'esprit. En effet,
beaucoup remarquent le fait que les teufeurs n'ont pas le même mode de
pensée que la plupart des autres personnes.
« Pour moi être un teufeur c'est un état
d'esprit. [...] Le teufeur à la base c'est un état
d'esprit libre, communautaire. Vivre en communauté, se retrouver le
weekend en communauté, faire la fête librement. »
Denis
« Les teufeurs, dès que tu les vois le matin
par exemple, ils attrapent les poches poubelles et puis ils vont nettoyer tout,
ils rendent l'endroit nickel. Ils sont gavé
écolos normalement, enfin, souvent. »
Denis
« C'est quelqu'un qui a un champ libre, qui n'a pas
de limite sur son champ de vision. [...] C'est vraiment un état
d'esprit, une façon de penser. Et voilà, si tu ne l'as pas, tu ne
peux pas te considérer comme teufeur. » Alban
« Ce sont des gens qui sont en marge complètement
de la société. [...] C'est une manière
d'être, d'agir et de penser. » Lisa
« C'est quelqu'un qui, je pense, est plus ouvert que
certains à l'heure actuelle dans la civilisation normale. »
Roman
Mais au-delà des convictions profondes de chacun, ils
reconnaissent tous que l'apparence extérieure est aussi un facteur qui
joue. Ils montrent bien que ce n'est pas une condition nécessaire, mais
plutôt un résultat du mode de pensée, de l'état
d'esprit.
« Tu le vois à sa dégaine. Enfin, à
son camion, à ses fringues, les chiens. »
Margot
« Les trois quarts du temps, le mec il a un treillis, il
a la gueule qui va avec, et tu sais que c'est un teufeur. » Dorian
« C'est sa dégaine, comment il est
habillé, sa façon de faire, sa façon de s'exprimer, tu
reconnais direct. » Alban
« Des gens qui ont un style assez cool. [...]
Mais il ne faut pas se fier aux apparences. » Théo
Mais il y a tout de même différents types de
teufeurs, la plupart d'entres-eux le soulignent. La principale distinction est
faite dans le degré d'investissement dans l'univers de la free-party, ce
qui est généralement lié au mode de vie nomade,
semi-nomade, ou sédentaire.
« Il y en a qui ne vivent que de ça, qui ne font
que ça. [...] Après, tu as le teufeur qui n'y va qu'une
fois de temps en temps. » Margot
« Tu as le teufeur qui, comme nous, va aller tous les
samedis faire les teufs, les teknivals, les offs. Et tu as les travellers qui
vont vivre dans leur bus, dans leur camion, qui fondent leur famille.
» Lisa
« Je ferais plus la différence entre un teufeur
et un traveller si tu veux. »
Roman
C'est à partir de ces différents
éléments de définition et de distinction qu'ils se
définissent eux-mêmes en tant que teufeur ou non-teufeur. Pour
certains, c'est l'état d'esprit qui prime.
« C'est dans la tête. Chacun considère
qu'il est ou non teufeur. » Lisa
« Je ne me définissais pas trop teufeur à
la base. Je ne me suis jamais défini teufeur. [...] Je n'ai pas
l'état d'esprit teufeur. » Denis
Les autres se définissent en général
à l'intérieur du milieu, sur un continuum entre traveller et
teufeur.
« Moi, je suis teufeur occasionnel. » Margot
« Modéré. » Dorian
On remarque donc que les éléments retenus pour
la définition du teufeur et de soi sont des éléments
caractéristiques de l'individu et non du groupe, l'état d'esprit
en particulier. De ce point de vue, il apparaîtrait donc que les teufs
rassembleraient une somme d'individus isolés ayant la même
façon de penser.
2- Les vrais, les faux : distinction externe
Une des principales caractéristiques d'une
communauté est d'avoir des barrières extérieures
relativement nettes. Ainsi, en définissant qui ne fait pas partie de
cette communauté, le sentiment d'appartenance à celle-ci est
renforcé.
Le premier critère évoqué pour
désigner les « faux teufeurs » est celui du rapport à
la drogue et à la teuf. En effet, la définition des
barrières est étroitement liée à la
définition de la teuf elle-même, pour laquelle on ne voit aucune
référence à la drogue. Ainsi, ceux qui viennent en teuf
par utilité pour la drogue sont désignés comme
n'étant pas de « vrais teufeurs ».
« Il y en a qui viennent en BM, mais ils ne restent pas
toute la nuit. Ils viennent chercher la coke et ils repartent. »
Roman
« On voit des gens qui ne viennent que pour ça.
Ils prennent leur truc, ils rentrent. » Lisa
« Les faux c'est les pires. Ils sont là pour
vendre surtout. En même temps c'est des gens qui n'ont rien à
foutre là. » Dorian
« La plupart des dealers ne respectent pas la teuf.
C'est purement commercial. Mais ceux là, on ne les évite pas
parce que c'est eux qui ont le matos. » Denis « Quand tu
vois les cités qui descendent, ils sont là pour faire leur
business. Pour eux, c'est business, ils n'en on rien à foutre du
reste. » Amaury
Une autre caractéristique mise en avant pour
définir cette barrière est l'état d'esprit. Il est en
effet très présent, comme on l'a vu, dans la
définition du teufeur. Ainsi, il y a des gens qui sont présents
lors d'événements techno mais qui ne sont pas vus comme des
teufeurs par les autres, du fait qu'ils n'adoptent pas l'état d'esprit
considéré comme nécessaire. Principalement, les
enquêtés font état d'un manque d'ouverture.
« Tu as des gens en teuf qui sont là, ils sont
choqués. Tu te dis que c'est des gens qui n'ont pas la manière de
penser et qui jugent. » Lisa
« Le vrai teufeur n'a pas de regard sur l'autre.
Viens comme tu es. On est tous différents, mais il n'y a pas de
différences réellement, on ne fait pas de différences.
» Lisa
« Mais tu as tous ces gens qui viennent là comme
ils iraient dans un zoo. [...] Comme si on était des freaks.
» Amaury
Mais ils font également référence à
d'autres aspects évoqués plus haut de l'état d'esprit
teufeur comme le respect, et notamment celui de l'environnement et du site.
« Quand tu vois un lieu de teuf aux infos et que les
mecs ils ont laissé des trucs [...] ce ne sont pas des teufeurs
qui font ça. » Alban
« Il y a trop de gens qui n'ont rien à foutre
là. [...] Ceux qui n'ont aucun respect. » Amaury
Un des enquêtés, Amaury, évoque même
ce qu'il érige en une sorte d'antithèse du teufeur : le
clubber*. En effet, comme on l'a vu plus haut, les codes et les
repères du milieu de la teuf se sont essentiellement construits à
partir de l'histoire de la Spiral Tribe en Angleterre où l'opposition
entre ravers et clubbers avait participé à
l'éclosion de cette scène underground. Il semble, au vu
des discours des enquêtés, que ces représentations sont
toujours présentes.
« Tu as les teufeurs, tu as les fêtards et les
connards. En teuf, tu rencontres des mecs qui ne vivent que pour ça et
qui arrivent en camtard avec tous leurs gamins, comme tu vas avoir de gros
enculés ou des mecs qui sont en boîte tous les weekends et pour
faire bien ils viennent en teuf. » Alban
« Le mec qui arrive et qui danse comme s'il
était sur un podium au Macumba, tu le regardes et tu lui dis : Va faire
ta beach ailleurs ! On ne vit pas dans le même monde. »
Alban
Les frontières, les boundaries de l'univers
rave-party apparaissent donc comme assez claires dans le discours des
enquêtés. Certains mentionnent même la
nécessité de garder celles-ci afin de protéger le milieu
et l'ambiance des soirées.
« Donc, ce n'est pas une communauté, c'est juste
que l'on veille pour ne pas
qu'il y ait de problèmes justement avec qui on fait
venir. » Roman
Ici, la précision de la définition des
frontières externes montre qu'existe une sorte de conscience collective
du teufeur lié à son milieu.
3- La communauté
Il apparaîtrait donc que l'ensemble des teufeurs forme
une sorte de communauté avec des valeurs communes et des
frontières assez claires. Mais au-delà de ce vaste ensemble
impersonnel de semblables, il y a des groupes plus petits qui se forment
à l'intérieur, les groupes d'amis et de connaissances. C'est
autour de ce noyau essentiellement que se construit la solidarité. Les
enquêtés utilisent fréquemment le mot famille pour
l'évoquer.
« C'est vraiment une petite famille. C'est l'entraide
entre nous, c'est le respect de chacun. [...] On est là les uns
pour les autres. » Roman
« On est quand même des gens qui sont assez
soudés. On s'aime bien. On est une grande famille. »
Théo
Ceux d'entre eux qui font partie d'un Sound System parlent
surtout des liens très forts qui existent entre les différents
membres de ceux-ci.
« Je sais que j'ai ma petite tribu à moi, on
vit beaucoup tous ensemble. Du lundi au dimanche, même le soir, on est
ensemble. Il n'y que lorsque l'on est au boulot que l'on n'est pas ensemble.
J'ai l'impression que l'on est une petite communauté. »
Théo
« Chacun y met du sien, on est un groupe, on est unis.
C'est ce qui a toujours fait notre force. » Amaury
« C'est de l'entraide. Ça englobe toujours
cette idée de milieu. Tu n'as pas un Sound System qui va ranger son
camion et qui va te regarder ranger le tien. »
Alban
Chaque teufeur a donc son cercle d'amis dans le milieu et va
la plupart du temps en teuf avec celui-ci. Cependant, les interactions dans une
teuf ne s'arrêtent pas à ce groupe de proches. On fait des
rencontres que l'on revoit de teuf en teuf.
« Et je crois qu'il y en a certain que je n'ai jamais vu
en dehors de teufs. Et pourtant quand on se voit, on est tellement contents de
se voir. » Théo
« Tu revois des gens que tu ne revois que dans des
teufs. » Gaël
Certains soulignent le fait que c'est bien l'univers particulier
de la teuf qui a engendré ces relations et qu'elles ne sont viables que
dans celui-ci.
« En teuf, on est tous potes, ça c'est clair.
Mais en dehors de la teuf, chacun reprend sa vie. » Dorian
« Mais dans la vie courante, on ne se voit pas parce
que chacun a sa vie, chacun a ses connaissances. Par contre, on se voit en teuf
et on est contents de passer un bon moment ensemble. » Amaury
Ces dernières observations tendent à penser que
la teuf serait un moment favorisant particulièrement les échanges
entre individus, que ce soit dans l'entourage proche ou dans la masse
d'inconnus rencontrés au hasard de la soirée.
III- L'expérience teuf
C'est dans l'expérience même de la teuf, de ce
que vivent et ressentent les teufeurs lors de leurs soirées qu'il s'agit
maintenant d'essayer de détecter des éléments de
réponse quant à la nature individuelle ou collective de cette
expérience
1- La musique
La musique est l'élément fondateur et
unificateur des teufs. Elle est le centre de l'attention et participe
activement à l'état d'esprit des personnes présentes. On
se demandera donc si elle a tendance à être vécue et
appréhendée comme un plaisir solitaire ou à partager.
La musique apparaît dans tous les discours comme un
élément essentiel des soirées. Elle est vécue comme
indispensable. Elle est le ciment de cet univers, construit autour de
celle-ci.
« C'est la base qui ramène tout le monde. C'est
vraiment le centre, le point qui fait que tout le monde se réunit.
» Lisa
« On vient pour ça, on vient pour la musique
à l'origine. C'est le plus important. C'est ce qui nous fait danser,
c'est ce qui nous fait passer une bonne soirée. »
Roman
« C'est ce qui donne l'ambiance. S'il n'y a pas de
musique, il n'y a pas de teuf. »
Margot
« L'importance de la musique elle est énorme.
Dès qu'elle s'arrête, en général tout
le monde hurle, tout le monde n'est pas content. »
Théo
« C'est la base. C'est la base de tout. Tu vas en teuf,
s'il n'y a pas de son, ce n'est pas une teuf. » Alban
Selon les espaces de la teuf où l'on se trouve, elle
apparaît avoir une importance différente. Ainsi, lorsque les
teufeurs sont « devant le son », elle devient parfois la seule chose
d'importance. La perception des sens est modifiée, le son entoure le
teufeur.
« J'adore ça et c'est vrai que quand je me mets
devant, j'ai tendance à fermer les yeux et à vraiment rentrer
dans la musique. » Margot
« Ça fait planer. Ça met dans un
état second. [...] Et puis quand on est dans le son, on ne
pense plus à rien, on pense juste à la musique. Et je trouve
ça un peu magique. » Théo
« La transe, c'est déjà être devant
le mur, suivre le son, avoir des pensées que tu n'as pas d'habitude.
» Alban
Mais certains soulignent aussi que, contrairement à ce
que l'on pourrait penser, le dancefloor est également un lieu
d'interaction, que ce soit par des regards, des attitudes, ou même des
conversations engagées au coeur de la musique.
« C'est vrai que devant la musique, il y a des gens qui
vont vraiment rester dans leur son et puis tu en as, ils s'amusent avec
d'autres. » Lisa
« Dans le son. Je préfère discuter en
étant devant. » Margot
Cependant, l'ambiance sonore n'a pas son importance seulement
dans le lieu qui lui est a priori réservé. En effet, que ce soit
dans les voitures ou les camions, ou dans cet espace interstitiel dont on a
déjà parlé, la musique reste indispensable.
« Ça n'a pas d'effet euphorique ou quelque chose
comme ça. J'aime ça. [...]
J'aime bien tracer, papoter, c'est le fait de l'avoir en
fond, ça motive. » Lisa
« Même quand je ne suis pas dans la musique, rien
que le fait de l'entendre et de vivre avec... Rien que quand je vais aller
tripper, discuter avec les gens, parler,
le fait qu'il y ait un fond sonore, ça met l'ambiance,
ça fait du bien. » Théo
Mais jusqu'ici, on parle de la musique électronique en
général. Seulement, comme pour chaque style de musique, il y a
des variantes, plus ou moins appréciées par les différents
adeptes. Ainsi, on choisit les teufs où l'on va en fonction des Sound
Systems présents, mais on choisit également les moments de la
soirée auxquels on va plutôt aller dans le son en fonction de la
musique jouée.
« Je sais qui est en train de poser le son. [...]
Alors je préfère aller écouter tel son que tels autres
sons. » Théo
« Quand la soirée est bien entamée,
c'est plus hardtek et speedcore. Enfin, plus ça va vite et mieux
c'est. [...] Ça dépend vraiment du gars qui mixe.
[...] Quand ça me plait moins, je m'écarte en
général, je vais boire une bière. »
Gaël
De manière générale, pour beaucoup de
teufeurs, la musique a un effet direct sur leur état d'esprit au moment
de la teuf.
« Le son, il t'amène dans un état de
transe, de par sa puissance en fait. C'est des vibrations. »
Dorian
« Quand elle est bonne, elle te met en transe.
[...] C'est indescriptible la musique. [...] C'est mon
carburant. » Amaury
On notera donc que selon les individus et selon les espaces de
la teuf, le plaisir qu'apporte la musique est plus ou moins individuel. Ainsi,
si elle favorise les échanges dans l'espace interstitiel, elle a des
effets plus contrastés sur le dancefloor. Pour certains, elle
permet d'entrer dans une bulle, pour d'autres elle est source d'échanges
interpersonnels. « Elle procure des émotions à l'individu en
même temps qu'elle devient un lien, un dénominateur commun, un
liant avec l'ensemble des autres participants. » (Racine, 2004).
Lisa
C'est un ami étudiant qui me propose de rencontrer
« Lisa et Ben, ses potes teufeurs ». Je suis donc invitée un
soir à prendre l'apéro et à manger. Le Ben en question est
en déplacement pour quelques temps, mais Lisa accepte avec plaisir de
faire un entretien. Elle a 23 ans, est mère d'un petit garçon de
3 ans et prépare un BTS comptabilité. Elle semble à l'aise
et apprécie de parler. Avant la fin de l'entretien, un problème
de piles m'oblige à prendre des notes. Dans l'ensemble, nous avons
parlé pendant environ une heure et demie.
2- La fusion du groupe
Au delà de la musique, une autre chose semble
particulièrement essentielle à la teuf pour les
enquêtés : les autres. En effet, un certain nombre d'entre eux
notent qu'écouter du son à un autre moment n'a pas du tout le
même effet qu'en teuf car l'ambiance n'est pas la même.
« Quand tu l'écoutes ailleurs qu'en teuf, ce
n'est pas pareil. Il y a le contexte, il y a les gens... C'est le tout en fait.
» Margot
Ainsi, la communication et le partage de l'expérience
semblent être nécessaires à l'expérience teuf.
Certains moments ont beau être réservés à
l'appréciation de la musique pour soi, comme on l'a vu, il n'en reste
pas moins que d'autres permettent de créer une synergie entre des
individus qui sont tous là pour apprécier la même chose.
« C'est pour la bonne ambiance, parce qu'on retrouve
toujours les mêmes gueules et que l'on s'est fait des potes. »
Roman
« Il y a de la communication entre les gens, tu passes
ta soirée à discuter, il y a des rencontres. »
Amaury
« En même temps, ils [les médias]
ne peuvent pas trop expliquer le lien que l'on peut créer avec plein
de gens. » Margot
Certaines caractéristiques de la teuf liées
à sa forme engendre un déconditionnement de la vie quotidienne
favorisant le sentiment de vécu collectif. Il s'agit principalement du
temps et de l'espace. En effet, une teuf se déroule la nuit, temps en
rupture avec le temps socialement organisé. Mais, en plus de cela, les
repéres sont brouillés : certains teufeur ne se couchent que
très tard dans la matinée, ou font nuit blanche. On ne dort que
lorsqu'on est fatigué, on ne mange que lorsque l'on a faim... Bref, la
« rupture avec le temps socialement organisé, est lui-même
propice au déconditionnement de la pensée » (Fontaine et
Fontana, 1996).
« Tu te coupes du temps, tu te coupes de la
technologie. Enfin moi, je ne veux jamais savoir l'heure qu'il et quand je suis
en teuf. Hors de question. Tu revis vraiment limite à l'ancienne. Et
à l'époque, les gens ils se parlaient, ils n'avaient pas le choix
parce qu'il fallait bien vivre ensemble, il fallait bien créer une
communauté. » Dorian
« Tu te dis que tu as toute la nuit, jusqu'au matin pour
faire... Tu évacues, tu ne penses plus à rien. »
Lisa
L'existence de cette expérience commune hors du temps
et de l'espace permet la création d'un sentiment de fusion
collective.
« C'est plein de convivialité, les gens sont
amicaux entre eux, ils s'aiment, ils rigolent. [...] Les gens sont
beaucoup plus ouverts les uns aux autres, ils vont beaucoup plus facilement les
uns vers les autres alors qu'ils ne se connaissent pas, ils rigolent entre eux.
» Théo
« Tu n'as même plus besoin d'une raison pour aller
vers les gens. A partir du
moment où tu es en teuf, le monde réel n'existe
plus. » Dorian
Ainsi, il apparaît que ce sentiment collectif de fusion est
un élément essentiel d'une free-party. Elle semble même
recherchée par les teufeurs.
3- Drogues et voyages solitaires
On l'a vu, de nombreux aspects de l'expérience teuf
amènent à penser qu'il s'agirait d'une expérience
communautaire tant elle est liée à la présence des autres
et aux interactions. Cependant, un autre facteur entre ici en compte. En effet,
la présence de substances psychoactives lors des teufs n'est plus
à révéler. La prise de ces dernières par les
teufeurs entraine ce que l'on peut appeler un état modifié de
conscience. Selon Astrid Fontaine et Caroline Fontana, « les états
modifiés de conscience sont des états passagers plus ou moins
spectaculaires distincts d'un état de conscience dit ordinaire. »
(1996). De manière assez générale, on peut penser que ces
« états seconds » sont vécus de manière
plutôt solitaire par les teufeurs.
Il existe différents types de drogues, qui ont chacun
des effets différents. Ainsi, on peut suivre le classement
effectué par Renaud Mousty (2003) en trois sous-groupes ayant des
fonctionnalités diverses. Premièrement, il y a ce que l'on peut
appeler les drogues sociales (cannabis, ecstasy ou alcool s'il est
considéré comme une drogue). Pour des raisons diverses, ces
dernières désinhibent le consommateur et lui permettent d'aller
plus facilement vers les autres. C'est d'ailleurs des effets de l'ecstasy
qu'est né le mythe des teufs comme lieu de débauche sexuelle.
Ensuite, existent les drogues hallucinogènes (LSD ou
kétamine). Comme leur nom l'indique, elles sont à l'origine d'une
perception déformée de la réalité. « Elles
amènent la déformation de l'espace-temps et une perception de la
soirée hautement individuelle. » (Mousty, 2003). Enfin, les
drogues énergisantes, comme les amphétamines, permettent
de tenir toute la soirée.
La plupart des teufeurs interrogés usagers
réguliers de produits psychotropes soulignent le fait qu'ils modifient
leur perception de la musique, des relations qu'ils ont avec les autres ou avec
l'environnement qui les entoure.
« Il y a toujours eu l'addiction aux produits et
à l'alcool. [...] Ça aide pas mal à rentrer dans
le truc. En teuf, j'ai toujours pris des produits. » Denis
« C'est sûr qu'avec un bédo ou un produit,
tu ressens la musique différemment
que quand tu n'as rien. [...] Mais ça
n'accentuait pas spécialement mon relationnel avec la musique, c'est
plutôt dans la perception des choses. [...] Mais ça
t'aide quand même à te mettre dans un état second.
» Gaël
C'est lorsque l'on évoque l'espace du
dancefloor que l'expérience de la drogue semble la plus
influente chez les enquêtés. Certains produits psychotropes ont
pour effet de modifier la perception des sens et de l'environnement : les
teufeurs vivent dans le son une expérience solitaire faite de voyages et
de questionnements.
« J'y suis toujours allé pour la musique et
les produits. Pas que la musique, et pas que les produits. Alors, en
début de soirée je n'étais pas au mur. Je me
défonçais la gueule en fait. Et après, quand
j'étais bien défoncé, j'étais au mur, je ne
décrochais pas le mur de toute la soirée. Tu ne vois pas le temps
passer en fait, moi je ne voyais pas le temps passer, j'étais devant le
mur abruti par la musique. » Denis
« Que ça rentre à fond dans ma
tête. Après, t'entends plus rien autour, t'es dans ta bulle.
D'ailleurs, tu les vois, tous ceux qui sont devant le mur, ce n'est
même
pas la peine de leur parler, ils ne t'entendent pas, ils ne
te voient pas. » Dorian
Cependant, la question des risques liés à cette
consommation est également présente dans le discours de ceux-ci.
Au-delà des risques de bad trip (mauvais voyages), très
peu évoqués par les teufeurs interrogés, le risque le plus
présent est celui de « rester perché », de subir une
décompensation psychiatrique. « Par la transe, le chéper
[perché en verlan] est monté à un niveau plus
élevé de sensations mais n'a pu redescendre à son niveau
normal. » (Pourtau, 2009).
« Je suis tombé dans des états
très... très seconds, très psychédéliques
même, très perché à un point... perdu quoi.
» Denis
« Ceux qui restent perchés, pareil, y en a.
Ils prennent des produits et ils restent perchés. Je pense que eux
ouais. Ils ont tapé vraiment la transe, et du coup le cerveau il n'a pas
suivi. Ils sont restés dedans. T'en voit des perchés des fois.
J'ai eu peur de ça des fois quand même. » Dorian
Pour la plupart d'entre eux cependant, la prise de drogues
n'est pas une condition nécessaire pour vivre « l'expérience
teuf ». Certains n'en ont jamais pris, d'autres ont arrêté ou
diminué pour des raisons diverses. Dans tous les cas, la drogue
apparaît comme liée à la teuf, mais n'influant pas sur le
plaisir ressenti.
« Tout le monde me dit de tester, mais je n'en ressent
pas l'utilité. Je suis bien là-
bas sans rien prendre. [...] Je ne bois pas, je ne
fume pas, je ne me drogue pas. » Lisa
« Avec la musique, tu pars vraiment ailleurs. Sans
drogues, hein. [...] Moi, je bois, mais je ne me suis jamais
droguée. » Margot
« Moi, ça fait plusieurs mois que j'ai
arrêté [la drogue] et je suis toujours hyper
content d'être devant le mur et de m'amuser à
fond avec les copains. » Théo
« Tu n'as pas besoin de boire ou de te droguer pour
aimer quelque chose. C'est comme dans la vie : si tu es en couple, tu ne vas
pas te défoncer pour aimer ton compagnon, parce que sinon, on ne s'en
sortirait plus ! » Amaury
Il faut cependant noter que, pour ceux qui associent teuf et
drogue, cette dernière amène, selon les produits utilisés,
des effets apportant souvent des expériences solitaires. Cependant, un
des enquêtés fait état d'un voyage qu'ils auraient fait
à plusieurs.
« Disons que c'est rare de se retrouver dans le
même délire. J'ai vu des choses sous trips que
généralement tu vois tout seul, et j'ai réussi à
voir les mêmes choses avec mon pote. » Roman
La consommation de produits psychotropes lors d'un
événement techno apparaît donc comme centrale pour la
majorité des enquêtés. Selon les produits utilisés,
elles amènent l'individu à faire l'expérience de deux
côtés ambivalents de la teuf : celui du plaisir personnel et celui
de la fusion collective.
IV- Conclusion : la fusion est-elle possible ?
La teuf apparaît donc, à travers les rituels qui
s'y déroulent et l'expérience de chacun comme à mi-chemin
entre individualité et collectivité. Tout se passe comme si une
volonté de fusion était présente. En effet,
l'esthétique techno est née de la postmodernité, porteuse
d'un dépassement de l'individualisme de la modernité. Mais, selon
Stéphane Hampartzoumian, elle aurait justement pour fonction, à
travers l'expérience de l'impossibilité de cette fusion, un
retour à la réalité du monde pour ces jeunes. « La
fête techno ne consiste pas en l'organisation rituelle d'une fusion
sociale, mais consiste au contraire en l'organisation de l'échec d'une
fusion sociale. » (Mabilon-Bonfils, 2004)
Au vu des entretiens et des observations qui ont
été menés pour cette recherche, il apparaîtrait
plutôt que - la fusion réelle existant ou non - les teufeurs
ressentent cette fusion comme réelle. Pour eux, elle existe et elle est
possible, à travers un mode de pensée différent,
des rituels communs, et une expérience collective. «
La techno s'apparente à un enchantement dans un monde
désenchanté. » (Mabilon-Bonfils, 2004)
PARTIE 3 - PARCOURS TECHNOÏSTES
« Beaucoup de gens, peu d'idées, et comment
faire pour nous différencier les uns des autres ? »
Milan Kundera
Cette partie a pour but de comprendre quelle place prend
l'univers de la teuf à l'échelle d'une vie. On regardera ici de
plus près aux trajectoires individuelles des enquêtés afin
de mettre en évidence des similitudes et de comprendre quels processus
en sont à l'origine.
On utilisera dans cette partie deux termes proposés par
Lionel Pourtau, celui de technoïste et celui de technoïde, afin de
faciliter la compréhension. Si technoïste est un « terme
générique pour désigner les personnes faisant partie de la
subculture liée aux fêtes techno » (Pourtau, 2009), la notion
de technoïde relève d'un degré d'investissement assez
prononcé dans cet univers et concerne « ceux pour qui
l'identité se décline essentiellement autour de ce mode
communautaire [des Sound Systems] » (Pourtau, 2009).
Dans un premier temps, une attention particulière sera
portée aux modes d'entrée dans le milieu de la free party, puis
aux degrés d'investissement dans celui-ci. Une partie sera
consacrée à l'étude des phénomènes de
distinction internes. Enfin, on essaiera de comprendre quelles sont les
évolutions possibles pour les teufeurs.
I- Processus d'entrée dans le milieu
Il existe plusieurs portes pour entrer dans le milieu de la
free-party. On montrera donc que les teufeurs ont emprunté des chemins
différents pour arriver à leurs premières
expériences teuf. Ces options ne sont pas sans conséquences sur
leurs choix à l'intérieur de ce milieu et la suite de leur
parcours. Mais d'abord, on notera premièrement un point commun entre les
enquêtés dans leur histoire précédent
l'entrée en free-party.
1- Un passé commun : l'école
Même si cette période de la vie des
enquêtés ne fait pas à proprement parlé partie de
leur expérience de technoïstes, il faut noter, tant cela revient
dans les entretiens que la plupart font état de difficultés dans
le système scolaire.
« Je n'ai jamais été un grand
passionné des cours. [...] Je n'étais pas la science
infuse. » Roman
« Alors, l'école... ça a été
compliqué. [...] Aujourd'hui, je suis peintre en
bâtiment. » Margot
« J'ai toujours été contre
l'école. Et je m'en suis toujours bien sorti, je m'en sors toujours bien
parce que je suis autodidacte. Je n'étais pas un cancre, mais
j'étais au fond de la classe. » Alban
« L'école j'étais très nul, je
n'aimais pas ça. » Gaël
« Ça ne se passait pas super mal, mais ça
ne se passait pas super bien non plus. Je m'en sortais comme je pouvais.
» Théo
Dans le même ordre d'idée, un des
enquêtés parle d'une préadolescence particulièrement
difficile l'ayant peut-être poussé à rencontrer ce
milieu.
« J'ai eu une enfance pas très cool, parce que
j'ai pas mal de problèmes de santé. » Dorian
Sans vouloir faire de généralités
à partir des quelques entretiens menés, il est donc
intéressant de noter que pour une grande majorité des
enquêtés, la période de l'enfance et de l'adolescence ont
été accompagnées de difficultés scolaires ou
personnelles.
2- Première voie d'entrée dans la teuf : la
musique
Le premier élément de biographie qui peut amener
un individu à intégrer l'univers techno est le goût pour la
musique électronique en général, puis pour ses versants
les moins commerciaux joués en free-parties. Ce premier chemin
emprunté par les teufeurs, comme les autres, ne sont pas exclusifs les
uns des autres.
En effet, pour un nombre important d'enquêtés,
l'attirance vers la musique électronique est le principal facteur
déterminant leur première sortie en teuf.
« Depuis tout petit, j'aime bien la musique
électronique, ça a toujours été le style musical
que j'appréciais. » Roman
« Le style musical de la teuf, j'y ai été
mise hyper jeune. » Lisa
« J'ai baigné dans le son depuis que je suis
gamin. J'ai commencé à mixer avec de vieux vinyles avant d'aller
en teuf. » Alban
« J'ai commencé à écouter depuis
ma tendre enfance tout ce qui était à base de musique
électronique. [...] J'étais encore jeune et je ne
connaissais pas
spécialement le milieu de la teuf. J'avais entre douze
et treize ans. » Amaury
« Ça faisait depuis l'âge de 12 ans que
j'écoutais de la techno commerciale à la radio. [...]
J'ai rencontré une personne qui m'a fait écouter du son. Trop
bien ! C'est la musique que j'ai envie d'écouter depuis que je suis tout
petit ! Première teuf ensuite... » Dorian
Ainsi, une part importante des personnes interviewées
dénote d'une sensibilité particulière pour cette musique
dès le plus jeune âge.
3- Deuxième voie d'entrée dans la teuf : les
amis
Pour une part importante des enquêtés, un des
éléments déterminants de leur entrée dans l'univers
des teufs est apporté par des connaissances, plus ou moins proches. En
effet, c'est souvent l'un d'entre eux qui les amène pour la
première fois en teuf. Ici, la sensibilité pour le milieu arrive
après la première sortie.
Ainsi, pour ceux qui ne sont pas entré dans leur
parcours technoïste par la voie de la musique électronique, le
facteur déterminant est dans la grande majorité des cas la
rencontre de teufeurs les emmenant en teuf.
« Par ma soeur, son copain de l'époque
était un teufeur. Et puis après, j'y suis allée avec
mes potes aussi. Et puis j'ai continué parce que ça m'a plu.
»
Margot
« Et puis, de fil en aiguilles, j'ai rencontré
des gens qui mixaient, et je suis parti en teuf. » Alban
« C'est lui qui va être, entre guillemets, mon
mentor, qui va me montrer comment fonctionne le mix. Ça a
été mes premières teufs. J'avais 17 ans. »
Amaury
Pour d'autres, ce n'est pas une rencontre mais la
découverte du milieu par des amis ou des proches qui les propulse dans
leur première teuf.
« C'est par mes amis. C'est eux qui m'on fait
découvrir ce milieu là. [...] Et en fait, de suite j'ai
accroché. » Roman
« Grace à mon homme. De lui-même un jour
il a voulu essayer. On en avait entendu parler, on connaissait par les
médias. Et puis un jour, il y est parti tout seul un soir. Il en a fait
pendant bien 6 mois où je ne l'ai pas suivi. Et de fil en aiguille,
dès que l'on peut faire garder le petit, moi je suis. Et j'adore !
» Lisa
« On m'a emmené là-bas. Des copains.
Ça m'a bien plu. J'y suis retourné. »
Théo
On remarque donc que ce n'est pas simplement la musique
jouée qui attire les futurs teufeurs, le lien qu'ils entretiennent avec
leur « mentor » est un élément décisif dans leur
parcours.
3- Troisième voie d'entrée dans le milieu :
l'attrait pour la marginalité
Quelques uns d'entre eux avouent aussi avoir
été attirés par l'aspect marginal de cet univers. Ils ont
respectivement été à leur première teuf à
16, 19 et 18 ans, à une période charnière de la vie, la
fin de l'adolescence.
« Je n'avais pas envie de rentrer dans le
système. Je trouvais ça assez honorifique que cette musique reste
hors du système. » Théo
« Je n'arrivais pas à me mettre dans le moule,
ce n'était pas mon truc. [...] Et être teufeur c'est
aussi être en marge de la société. » Lisa
« C'est juste une volonté à un moment
donné d'avoir un autre mode de vie et des goûts
complètement différents de ceux de la plupart des gens.
» Gaël
Ainsi, pour eux, entrer dans l'univers de la free-party et
devenir teufeur était également un moyen de se
différencier de la majorité, d'avoir l'air et de se sentir
différent.
4- Un parcours original : la drogue
On l'a vu, il y a plusieurs voies d'entrée dans le
monde de la free-party qui peuvent se combiner. Ainsi, plusieurs d'entre elles
peuvent avoir été déterminantes pour un seul et même
teufeur. Une dernière voie existe, celle de l'attrait pour la drogue que
l'on peut y trouver.
Un seul des enquêtés, Denis, semble
considérer cet aspect comme particulièrement important. C'est la
drogue et la recherche de la défonce qui le poussent à aller dans
ses premiers événements techno.
« J'ai recommencé à faire ma
première teuf tout seul assez tard, vers 18 ou 19 ans. Et là j'ai
accroché mais parce que là d'entrée... enfin, dans ma vie
réelle, j'étais déjà plus arraché.
J'étais en décalé. [...] C'était la
musique et faut pas se cacher non plus la drogue aussi. La facilité de
prendre des produits quand tu veux. » Denis
Denis
Il a 25 ans lors de l'entretien. Son parcours dans les teufs
est terminé depuis 3 ans (il avait commencé à 19 ans). Je
l'ai rencontré par l'intermédiaire de son travail de soudeur.
L'entretien s'est déroulé un dimanche matin en terrasse, sur les
quais. Denis avait l'air assez à l'aise, même en présence
du dictaphone. L'entretien a duré environ une heure et quart. Denis ne
s'est jamais considéré comme teufeur, il n'avait pas
l'état d'esprit. Il voit cette expérience comme une mauvaise
passe dans sa vie. Il est content d'en être sorti. Son truc,
c'était les teufs hardcore. A la fin de
l'entretien, il s'étonne lui-même d'avoir tant parlé.
II- Parcours internes
Les différents parcours internes reflètent les
options possibles pour chaque teufeur et les choix qu'il a fait par rapport
à celles-ci. On se demande ici quels sont les différents
degrés d'investissement dans le milieu et si cette intégration
dans l'univers des teufs est un signe d'une éventuelle
désocialisation ou désintégration de la
société.
1- Investissement dans le milieu
Plusieurs facteurs permettent de déterminer le
degré d'investissement des teufeurs. Ainsi, on s'intéressera
à la fréquence des sorties, au mode de vie (sédentaire ou
nomade), à l'appartenance à un collectif et à la vie en
communauté technoïde.
Fréquence de sortie
Le premier indice de l'investissement dans le milieu que l'on
peut retenir ici est la fréquence de sortie dans le milieu techno.
Ainsi, les teufeurs interrogés se distinguent en deux groupes, ceux qui
vont indistinctement à tous les événements de leur
région et ceux qui choisissent en fonction des Sound Systems
présents ou d'autres éléments.
Ainsi, ceux qui sortent en teuf tous les weekends au moment de
l'entretien sont généralement les derniers entrés dans le
milieu. Ainsi, c'est le cas de Roman et Lisa, respectivement « teufeurs
» depuis 2 et 3 ans.
« Ça a tendance à être tous les
weekends, même quand il pleut, même quand il fait froid,
été comme hiver, ce n'est pas le temps qui nous arrête.
» Roman
« Au début, c'était de temps en temps.
C'était comme une grosse soirée que tu organises avec tes potes.
Alors que maintenant, c'est tous les weekends. » Lisa
A l'inverse, ceux qui ne vont pas tous les weekends en teuf
évoquent plusieurs raisons. Deux d'entre eux (Margot et Théo,
entrés dans le milieu il y a 6 ans) évoquent le fait que la teuf
n'est pas (ou plus ?) toute leur vie, qu'ils s'intéressent
également à d'autres choses.
« J'aime bien y aller de temps en temps parce que
ça me fait super plaisir mais je n'irais pas tous les weekends parce que
ça n'aurai plus le même intérêt pour moi. Je ne me
vois pas vivre dedans tout le temps, tout le temps à fond. [...]
Je n'aime pas non plus que ça comme musique, je n'aime pas non plus
que l'ambiance teuf. » Margot
« Pendant plusieurs années, comme
j'étais plus jeune, j'y allais quasiment tous les weekends. Maintenant,
j'y vais un peu moins souvent. [...] Ça occupe une partie de ma
vie, mais ce n'est pas la vie. Il y a plein d'autres choses à faire et
à découvrir. » Théo
Les autres pointent le fait que, même si ça a
été le cas pendant leurs premières années dans le
milieu, ils ne vont maintenant plus systématiquement tous les weekends
en teuf. Principalement, ce sont les conditions climatiques qui les rebutent de
plus en plus.
« J'étais pas l'accro de la teuf à y aller
l'hiver sous la pluie. C'était l'été, c'était
festif. » Denis
« Mais moi l'hiver j'hiberne, je me suis trop
galéré à aller en teuf l'hiver, sous la pluie, finir plein
de boue, partir à l'arrache à me peler le cul. C'est une
période, je l'ai fait une fois, un hiver. » Dorian
« Je préfère sélectionner alors
qu'autrefois, on sortait en plein hiver. »
Amaury
On le voit donc bien, si pour certain la sortie en teuf est
devenue systématique le weekend, pour d'autres, elle reste une option
parmi d'autres.
Mode de vie
Un second révélateur de l'investissement dans le
milieu peut être relevé : le choix entre la
sédentarité et le nomadisme traveller. Ainsi, certains
des enquêtés reconnaissent ne pas encore avoir franchi ce qu'ils
considèrent comme un cap. Ils cherchent à montrer en quoi ils se
rapprochent du standard traveller.
« C'est vrai que l'on en a parlé avec Ben de
partir avec un camion. Mais maintenant qu'il y a le petit... On n'a pas le
camion qui ferait que l'on pourrait vivre avec un enfant. » Lisa
« Je ne suis pas traveller en camion, mais en avion.
» Roman
Au contraire, il n'y a qu'un seul enquêté qui,
à un moment de son parcours, a choisi la voie du nomadisme. Il en parle
comme de la période où il est allé le plus loin dans
l'expérience teuf.
« Moi je faisais teuf sur teuf. J'avais mon camtard,
j'avais mon son dans le camion, je partais dès qu'il y avait une info
ou dès que j'avais mes potes qui posaient, ou dès que je
savais qu'il y avait un truc, je prenais mon camtard, mes
potes et on se cassait. » Alban
Alban
Je le rencontre par l'intermédiaire d'une connaissance
commune. Alban me propose de « passer prendre l'apéro à la
maison ». Je m'y rends donc un soir vers 22h. Quelques uns de ses amis
sont présents. On s'isole dans sa chambre (ou sa salle de mixage,
difficile à dire...) pour le temps de l'entretien, qui dure environ une
heure. Il paraît assez gêné par la présence du
dictaphone. Alban était très engagé dans le milieu avant
de tout arrêter et de changer de vie. Lorsque l'on retourne parmi les
autres et que la discussion se prolonge, beaucoup de ses proches semblent avoir
du mal à accepter le passé d'Alban.
Le nomadisme traveller est donc un indicateur de
l'investissement. En effet, prendre la route signifie bien souvent abandonner
le mode de vie standard de la société et se rapprocher de la
figure du « vrai teufeur » dont on a parlé dans la seconde
partie. Il faut bien sûr relier ceci à l'importance du mythe
Spiral Tribe dans l'univers techno. Reproduire le mode de vie des pionniers
c'est se rapprocher de l'investissement total qui était le leur.
Appartenance à un collectif
L'appartenance au groupe informel d'un Sound System est aussi
un indicateur de l'investissement dans le milieu free-party. Parmi les
enquêtés, outre les « simples teufeurs », on peut faire
un regroupement en fonction de l'avancement du Sound System. Ainsi, il y a ceux
qui sont en passe d'en créer un, et ceux qui font ou ont fait activement
partie d'un Sound System.
On remarque plusieurs étapes dans la formation d'un tel
collectif. Parmi les enquêtés,
tous n'en sont pas au même stade.
« On a le notre [Sound System] à la
rigolade... C'est la Cane à Sucre Family. »
Roman
« A Montendre, on pose du son tous seuls avec notre
propre matos. Mais on ne se considère pas comme un Sound System.
» Lisa
« Est-ce que je fais partie d'un Sound System ? Oui.
On est en train de se créer. On commence doucement. On hésite
encore sur le nom : NST 6tem ou La Clef des Champs. » Théo
« Ah, j'ai fait partie de plusieurs Sound Systems.
[...] J'ai monté le Stand Family, mais ça n'a pas
duré longtemps parce qu'on était que deux. [...] Et
puis, j'ai rencontré les gens d'Arakneed et au bout d'un certain temps,
ils m'ont proposé, par la qualité de mix que j'avais, de rentrer
chez eux. » Amaury
Ici, l'investissement devient source de création. Comme
on le verra dans le point suivant, c'est ce qu'Etienne Racine appelle la
professionnalisation dans le milieu. La teuf n'est plus seulement un moment de
détente, elle devient l'univers pour lequelle on développe de
nouvelles compétences. Les teufeurs investissent ici du temps pour la
teuf en dehors même de celle-ci.
Vie en communauté
Dernier indicateur relevé en ce qui concerne
l'investissement dans le milieu, la vie en communauté avec d'autres
teufeurs concerne quelques enquêtés.
« On avait un appart en colocation avec les autres gens
du son. On partait en teuf tous les weekends. » Alban
« C'est vraiment la vie en communauté. Souvent,
on est pas mal à dormir au même endroit. On est tous ensemble
depuis quelques années. On dort bien. »
Théo
Qu'elle soit nomade ou sédentaire, la vie en
communauté technoïde est une nouvelle étape dans le
degré d'investissement. En effet, lorsque l'on vit avec les autres
membres de son Sound System, ou même d'autres teufeurs, les moments de
vie quotidienne deviennent euxaussi réglés sur le monde de la
teuf.
2- Sentiment d'appartenance à la
société
L'investissement dans le milieu de la teuf pourrait d'un
premier abord faire penser à une désintégration de la
société. En effet, le monde des rave-parties étant
considéré comme particulièrement marginal par l'ensemble
de la société, on pourrait penser qu'une compatibilité
entre les deux n'est pas possible. Or, ce n'est pas ce que semblent
révéler les entretiens menés pour cette étude.
Il faut noter que pour la plupart des teufeurs interrogés,
cet investissement dans le milieu de la teuf ne dénote pas
forcément un éloignement de la société globale. La
majorité d'entre eux reconnait, directement ou indirectement, en faire
partie.
« Tu as les teufeuses comme moi qui ont une vie entre
guillemets normale à côté de ça, qui travaillent,
qui ont des amis, qui font d'autres choses. » Margot
« Il y a 6 mois, j'ai passé le concourt de la
douane. Et pourtant, je suis
amoureux des free-parties. Donc, il y a un moment
où ça ne colle pas. [...] C'est pour ça que je
suis en train de me poser plein de questions pour savoir ce que je vais faire.
» Roman
« Est-ce que j'ai l'impression de faire partie de la
société qui m'entoure... Oui et Non. Non, par mes convictions et
mon mode de pensée. Et oui, parce que j'ai aussi une maison, je fais
aussi mes courses et je vais au travail comme tout le monde. »
Gaël
Le seul enquêté à reconnaître qu'il
a, de par son investissement dans le milieu free-party, été
déconnecté de la société qui l'entoure est Denis.
Pour lui, arriver à faire la part des choses entre ces deux mondes
relève de l'exploit. Et même si d'autres abordent également
cette idée, il est le seul à avouer ne pas y être
arrivé.
« Je tire mon chapeau aux teufeurs qui arrivent
pendant des années à suivre la teuf tous les weekends et
paradoxalement la vie normale à côté. Moi je n'ai
pas réussi. Moi je suis tombé en plein dedans. Je ne pensais
plus qu'à me défoncer. »
Denis
Les teufeurs semblent donc dans l'ensemble assez
intégrés dans la société. De leur participation
plus ou moins poussée dans l'univers de la teuf ne découle donc
pas nécessairement, comme on aurait pu le penser, un décrochage,
une désocialisation.
Si désintégration perçue il y a, elle
n'est d'ailleurs pas forcément considérée comme
découlant de l'appartenance à un milieu marginalisé. C'est
ce que relève Alban.
« J'ai quitté la teuf mais je reste un marginal.
» Alban
III- Phénomènes de distinctions internes
Ici, l'étude sera basée sur une analyse des
stratégies identitaires de fans réalisée par Christian Le
Bart (2004) à propos des fans des Beatles. Bien sûr, on n'est pas
fan des free-parties comme on est fan d'un groupe de rock emblématique.
Mais les cadres d'analyses utilisés par cet auteur peuvent être
utiles dans la compréhension des phénomènes de distinction
internes de l'univers des teufs.
Dans cet article, Le Bart cherche à montrer que, dans
nos sociétés contemporaines, l'association de la recherche de
singularité liée à l'individualisme et de la
volonté d'appartenir à une communauté a des
conséquences macro sociales. Pour lui, les phénomènes
liés aux fans des Beatles peuvent être expliqués à
l'aide de trois notions. Ce sont ces notions qui sont utilisées ici dans
le but d'analyser les phénomènes de distinction qui existent
à l'intérieur de l'univers de la free-party.
1- Différenciation
La première phase est la différenciation
adolescente. Comme son nom l'indique, cette étape est liée
à la période charnière qu'est l'adolescence dans la
construction d'une personnalité propre à chaque individu. Le
rejet et le conflit avec les différentes institutions (famille,
école, ...) se manifeste. En effet, l'adolescent a besoin de
créer sa propre personnalité et donc de s'éloigner des
conduites dictées par les instances de socialisation. Ainsi, il cherche
une spécificité qui le distingue. Entrer dans un univers
considéré comme marginal apparaît alors, même si ce
processus est inconscient, comme un bon moyen d'être différent.
L'hostilité des parents et de l'école envers cette nouvelle
caractéristique ne fait que renforcer le goût de l'adolescent pour
cette différence. De plus, le contexte des années 90 et 2000
stigmatise particulièrement la vague free-party et techno. Face à
cette méfiance spécifique, on comprend aisément un
attachement spécifique à ce moyen de différenciation.
Un autre aspect de cette étape est la relation directe
qu'entretient le teufeur avec la musique. Le jeune a alors l'impression que la
musique lui révèle sa personnalité profonde. Il ne fait
plus alors qu'écouter la musique mais il l'a vit. Il faut souligner ici
que la place du mythe Spiral Tribe élevé en exemple à
suivre favorise l'identification des fans. Il a en effet l'impression de vivre
la même histoire.
2- Dé-différenciation
La deuxième phase est ce qu'appelle Le Bart la
dé-différenciation. Elle se fait au niveau des copains, des
soirées rave ou free-party, etc. Le nouveau teufeur, en cherchant
à se différencier, apparait alors aux yeux des autres comme trop
différent. Il devient isolé et désintégré.
Plusieurs options s'offrent à lui pour reconstruire son
intégration. Il peut renoncer à sa passion, la reléguer
à la sphère privée afin qu'elle ne transparaisse pas dans
l'univers social, ou chercher à s'intégrer dans une
communauté de semblables, de teufeurs.
L'appartenance à une communauté permet de se
retrouver dans un univers dans lequel la justification sociale de la passion
n'est plus nécessaire. Ce monde à part qualifie donc sans isoler
puisqu'il est intégrateur. C'est à la croisée entre un
sentiment de différence important et un sentiment d'appartenance
à une communauté que l'optimum de différenciation est
provisoirement atteint.
Mais certains éléments comme la
réalité du nombre de teufeurs lors d'un teknival fait
réaliser à l'individu sa « monstrueuse » ressemblance
aux autres adeptes de free-parties. Il se sent alors noyé dans une foule
d'inconnus et le sentiment de relation particulière à la musique
n'existe plus. Il se sent alors « monstrueusement semblable ».
3- Différentiation dans le milieu
La dernière phase est la différenciation dans le
milieu. Le but est alors de se différencier dans l'univers free-party.
Les particularités du monde de la teuf renforcent le processus à
l'oeuvre. En effet, la multiplicité de ce monde permet de se faire une
place originale à l'intérieur de celui-ci. Il s'agit donc d'une
grande famille qui ne dissout pas l'individu dans la masse.
Naît alors une compétition amicale entre les
teufeurs. Le but est de se sentir le meilleur des teufeurs et de le prouver aux
autres. Il ne s'agit pas réellement d'une recherche de hiérarchie
mais plutôt de singularité. En effet, « le positionnement
dans l'oeuvre s'affine jusqu'à différencier, l'identité
est à ce prix » (Le Bart, 2004). Chacun a donc sa façon de
s'approprier cet univers culturel, à travers une attitude ou le choix de
ses sorties par exemple. Mais il faut noter que la personnalité de
teufeur n'est pas aléatoire, elle cherche à rester en concordance
avec la personnalité « publique ».
Christian Le Bart construit ensuite des idéaux-types de
postures de fan en fonction de deux critères : les modes
d'accomplissement de la passion (être, faire ou avoir) et leur
caractère légitime ou stigmatisé. L'adoption d'une de ces
postures singularise le fan, mais
c'est aussi la vision qu'il a des
|
autres postures
Etre
|
qui le singularise. Faire
|
Avoir
|
Posture légitime
|
Esthète
|
Créateur / Compositeur
|
Expert / Erudit
|
Posture stigmatisée
|
Fan / Groupie
|
Imitateur
|
Collectionneur
|
Il faut remarquer qu'il s'agit d'idéaux-types et donc
que chaque fan ne correspond jamais entièrement à une seule de
ces postures, il s'agit de bricolages identitaires. Bien sûr, en ce qui
concerne les free-parties, la « fan attitude » étant
très peu valorisée, les postures qui découlent de cette
construction sont sensiblement différentes. On peut cependant dresser un
tableau reprenant des exemples de comportements pouvant entrer dans les
différentes catégories.
|
Etre
|
Faire
|
Avoir
|
Posture légitime
|
Y va essentiellement pour la musique
|
Faire partie d'un Sound System
|
A des années d'expérience, peut être
le mentor d'un nouveau
|
Posture stigmatisée
|
Passe tout son
temps sous drogues devant le mur de son
|
N'est que spectateur et non spect'acteur
|
Collectionne les flyers ou les images 23 (Spiral
Tribe)
|
Une autre distinction, qui n'était pas possible pour
les fans des Beatles, peut se faire dans le monde de la free-party. En effet,
si un fan des Beatles reste un fan des Beatles, un amateur de free-parties peut
être adepte de différents styles musicaux, que ce soit de la
jungle*, de la hardtek, de la hardcore... Ainsi,
certains styles sont stigmatisés comme étant porteurs d'attitudes
négatives ou excessives.
« Je ne vais pas plus loin que la hardtek, tout ce qui
est hardcore, frenchcore, ce n'est pas que je ne veux pas, c'est que je ne peux
pas. » Lisa
« Ce weekend c'était les Débraillés
[hardcore]. Rien qu'au nom, ça ne sert à rien, je n'y
vais pas. » Lisa
« Moi qui adore le hardcore, je déteste le
speedcore tu vois. Le speedcore c'est trop articulé. »
Denis
IV- Evolutions
Les pratiques techno, au bout d'un certain temps passé
à évoluer dans le milieu, ont tendance à s'orienter, comme
le montre Etienne Racine, vers deux options principales. D'un
côté, certains technoïstes diminuent leurs sorties en teuf et
finissent par ne plus y aller du tout : c'est la retraite. De l'autre, la
simple pratique de spect'acteur ne suffit plus au technoïste qui
tend à avoir des activités liées au
phénomène techno (organisation de soirées, mixage DJ,
création graphiques, jonglerie...). Il devient un technoïde. C'est
ce que Racine appelle la professionnalisation.
1- Sortie du milieu : la retraite
Comme on peut s'en douter, pour la grande majorité des
teufeurs, leur expérience dans l'univers techno prendra fin à un
moment ou à un autre, malgré le fait qu'il existe quelques
teufeurs ne faisant pas partie de la classe d'âge des jeunes. La question
est de savoir pourquoi et comment.
Trois des teufeurs interrogés ont finalement choisi la
voie de la retraite pour des raisons diverses. Alban, 27 ans, qui était
plutôt très intégré dans le milieu de la free-party,
a diminué sa fréquentation de teufs de manière brusque
dans le but de se sevrer. Pour lui, l'un n'était pas possible sans
l'autre.
« S'il n'y avait pas toutes les drogues qui
tournaient, c'est sûr, j'y serais encore. Mais moi je n'arrivais pas
à aller en teuf sans rien prendre. [...] J'ai
arrêté, j'ai coupé les ponts avec tout le monde. Je me suis
exilé, j'ai quitté Bordeaux pendant 2 ans. » Alban
Gaël, 25 ans, a lui aussi arrêté de
manière brusque, mais moins voulue ou consciente. C'est un
déménagement lui faisant perdre ses contacts dans le milieu qui
l'entraine à ne plus fréquenter d'événements
techno. En effet, l'importance pour lui n'était pas tant la musique que
les personnes présentes.
« Il y a 5 ans, je suis parti et du coup j'ai perdu tout
les contacts que j'avais. Et donc je vais beaucoup moins en teuf. »
Gaël
Le dernier teufeur interrogé à avoir
quitté le monde des free-parties est Denis, 25 ans. Pour une raison
qu'il ne s'explique pas, il a arrêté lorsqu'il a perdu son
travail. De toute manière, comme il le dit lui-même, c'est un
univers qui ne lui convenait pas.
« Et petit à petit, j'ai lâché le
boulot et le reste. Et après c'est bizarre parce que quand j'ai
lâché le boulot, après je suis plus allé en teuf.
[...] Je n'en ai plus jamais refait. Ça ne m'attire pas.
» Denis
Gaël
Il est le frère d'une connaissance et est de passage
sur Bordeaux lorsque nous faisons l'entretien dans mon appartement. Le contexte
n'a pas favorisé l'échange. Ils m'attendent en terrasse avant que
l'on aille chez moi. Sa copine est présente. Ils sont assez
pressés. On ne peut donc pas installer un climat de confiance
agréable avant de commencer l'entretien. On s'installe dans la cuisine,
il pleut dehors. Sa copine, ne voulant surement pas rester seule, tient
à être présente. Au final, l'entretien ne durera qu'une
demi-heure. Gaël semblait vraiment réfléchir avant de donner
chaque réponse pour en dire le maximum en un minimum de phrases.
2- Professionnalisation
Ceux qui ne quitteront pas l'univers de la teuf la feront
cependant évoluer, ils se professionnaliseront à
l'intérieur même de celle-ci. C'est le cas pour trois des teufeurs
interrogés, dont on a déjà parlé quand à
leur investissement particulier dans cet univers.
Pour Théo, c'est le début d'une nouvelle
étape. Au contraire, Amaury est dans la professionnalisation depuis une
dizaine d'années. Quand à Alban, après avoir vécu
cette période de professionnalisation, comme on l'a vu, il a
quitté le milieu.
« Je mixe. Je ne suis pas un érudit mais
j'espère que je vais m'améliorer au fil du temps et avoir un
peu moins le trac de le faire en soirée. [...] Et
puis souvent, je vais jongler avec le feu histoire de mettre un peu
d'ambiance. »
Théo
« Et immédiatement, quand j'ai connu le
côté de la teuf, j'ai tout de suite aussi connu le
côté de la création, de la façon de faire de la
musique. Aujourd'hui, ça fait une dizaine d'année que je fais
partie d'Arakneed. » Amaury
« On partait avec nos camtards pour aller poser du son.
» Alban
Théo
Il est mon premier contact dans le monde de la teuf. Il a 22
ans, fait des free-parties depuis six ans et est en train de monter un Sound
System dans la banlieue de Chartres, La Clef des Champs
(ou NST 6tem). L'entretien se
déroule dans les zones d'herbes sur les quais, le lendemain du concert
punk des Salles Majestés qu'ils sont venus
voir à Bordeaux. Leur train pour Chartres partant une heure et quart
après le début de l'entretien, je lui demande de ne pas trop
s'épancher, sachant qu'il est très bavard. L'entretien durera une
heure.
PARTIE 4 - UNE DIMENSION IDEOLOGIQUE ET POLITIQUE ?
« If you fight politics with politics, is fighting fire
with fire. »
Spiral Tribe
Cette dernière partie cherche à comprendre dans
quelle mesure l'idéologie et la politique permettraient d'expliquer,
partiellement au moins, le phénomène. En effet, on remarquera
que, malgré des revendications en apparence purement festives, on peut
voir derrière ces regroupements un signe de l'affaiblissement de la
confiance en l'Etat.
Dans un premier temps, on s'attachera à montrer que
l'engagement politique des teufeurs est très faible. Les deux points
suivants permettront de révéler les revendications et opinions
majoritaires chez les teufeurs, afin de comprendre, dans un dernier point, les
phénomènes politiques sous-jacents à l'existence et
à la forme que prend le mouvement technoïste.
I- Faible conscience politique 1- Le
vote
La première constatation que l'on peut faire lorsque
l'on s'intéresse à l'opinion politique des teufeurs en termes de
vote est que la grande majorité d'entre eux « ne se réclame
d'aucune posture politique ou idéologique, et ne développe aucune
forme de militantisme ou de prophétisme. » (Gaillot, 2001).
Les teufeurs interrogés dans le cadre de cette
recherche confirment ne pas s'intéresser du tout à la politique ;
ils sont déçus par l'ensemble des partis et des hommes
politiques. Pour eux, tous sont à mettre dans le même sac et
aucune lutte politique n'est valable.
« Mon opinion politique ? Je n'en ai pas. Tous des cons,
tous des pourris. [...] Et en plus, je ne vais pas voter, j'en ai rien
à foutre. » Amaury
« Je ne vais pas voter. Je n'ai jamais voté de ma
vie. [...] Qu'ils aillent se faire foutre, qu'ils se bouffent le cul
entre eux. » Alban
« Je ne m'y suis jamais intéressé, je n'ai
jamais voté de ma vie. [...] C'est tous les mêmes.
» Denis
Ceux qui reconnaissent avoir des préférences,
même si elles ne sont pas très précises, disent voter
plutôt à gauche, lorsqu'ils votent.
« Je vote plutôt à gauche, pour ceux qui
mettront le moins de limites et le moins de répression. »
Théo
« Ma sensibilité politique ? J'aimerai bien
qu'il y en ait une de correcte. [...] Je suis plus de gauche. Pas
extrême gauche non plus, parce que pour moi tout ce qui est extrême
de toute façon ne peut pas fonctionner parce qu'on ne peut pas tous
être pareils. » Margot
On peut donc dire que même si la teuf n'est pas
forcément synonyme d'un refus du vote, elle est souvent synonyme d'une
confiance très limité à l'égard des appareils
politiques.
Dorian
Il a 24 ans, et travaille en tant que barman. Je le rencontre
par l'intermédiaire du voisin de son petit studio à Bordeaux
centre. La discussion s'engage avant même qu'on ne commence formellement
l'entretien. Il est très bavard. L'entretien durera environ deux heures.
Du fait des différents passages dans l'appartement durant l'entretien,
toute une partie est complètement inaudible sur l'enregistrement. En
effet, c'est d'abord le colocataire de Dorian qui se mêle à la
conversation, puis des amis-clients-dealers qui passent un bon moment avec
nous. Dorian fume de nombreuses douilles avec eux, ce qui peut également
expliquer la faiblesse de sa voix ensuite.
2- La politique en teuf
Il s'agit ici de se demander si un quelconque discours ou
volonté d'expression politique aurait sa place lors d'un
événement techno. En effet, le mouvement technoïste, de par
sa nature marginale, est souvent vu comme un rassemblement d'individus à
tendance anarchiste.
En tous cas, la grande majorité des teufeurs
interrogés sont d'accord sur le fait qu'aller en teuf ne reflète
pas une volonté d'expression politique, consciente tout du moins.
« On ne va pas parler de politique en teuf, ça
c'est sûr. [...] Non, on est là pour faire la fête
sans se prendre la tête. » Amaury
« Est-ce qu'en allant en teuf, j'exprime quelque chose
politiquement ? Je ne sais pas. Ce n'est pas le but en tous cas. »
Théo
« Non, je n'exprime rien politiquement en allant en teuf
parce qu'il y a des gens
qui n'ont pas du tout les mêmes idées politiques
que moi. [...] Ce n'est pas le but de toute façon. »
Margot
Quelles que soient leurs opinions politiques, les teufeurs
interrogés considèrent donc que la teuf n'est pas une tribune
d'expression de celles-ci.
II- Revendications
Les revendications portées par le mouvement free-party ne
sont pas, d'un premier abord en tous cas, politiques mais concernent
plutôt uniquement le festif.
1- The right to party !
La seule réelle revendication du mouvement free-party
est née en Angleterre et a émigré avec celui-ci par
l'intermédiaire des Spiral Tribe. « L'unique revendication des
ravers en France est le droit de faire la fête comme ils l'entendent
» (Fontaine et Fontana, 1996), the right to party ! (le droit de
faire la fête). Cette revendication est exprimée par les
enquêtés à diverses reprises.
« L'esprit c'est toujours le même, il est
universel, c'est la fête. » Amaury « On ne fait rien
de mal, on veut juste faire la fête entre nous. » Roman
Ce mouvement n'aurait donc pas de revendications
particulières, mise à part le droit à faire la fête,
ce sans quoi il n'existerait pas.
2- Liberté, gratuité, autonomie : des
thèmes récurrents
Cependant, même s'il ne s'agit pas de revendications
précises, certaines idées sont prônées par
l'ensemble des teufeurs interrogés et peuvent être
considérées comme un ensemble de valeurs fondant un socle de
revendications.
Ainsi, la liberté et la gratuité, deux valeurs
fondamentales de l'univers free-party, sont mises en valeur par les teufeurs
interrogés et souvent citées comme exemples des
différences qui existent entre cet univers et la
société.
« Voilà, l'idéologie principale c'est
d'être dans un endroit où on ne te jugera pas, parce que t'es
black, parce que t'es chinois, parce que t'es un nain, parce que t'es
handicapé, parce que tu as un handicap physique. Il n'y a pas de
jugement. » Amaury
« La liberté d'expression... et la liberté
tout court, la liberté d'action, de faire ce que l'on veut du moment que
l'on ne fait de mal à personne. » Théo
« L'esprit de la teuf c'est quand même la
gratuité, la liberté et l'autosuffisance, alors que la culture de
masse, pas du tout. » Gaël
De la même manière, l'autonomie est placée au
coeur de l'expérience teuf et est érigée en valeur
fondamentale du mouvement.
« Quand tu te retrouves avec plus de mille personnes qui
s'autogèrent, pour moi, elle est là l'autonomie. »
Amaury
« C'est une sorte de zone autonome, une autocratie :
plus ou moins libre échange, plus ou moins libre vente. C'est la
liberté. C'est une forme de liberté. »
Dorian
C'est bien le droit à cette liberté, à cette
gratuité et à cette autonomie qui est revendiqué par la
scène free-party à travers le discours de ses adeptes.
Joris
Il prend contact avec moi par l'intermédiaire de forums
internet où j'avais laissé des appels à contribution. Il
ne veut pas me rencontrer et souhaite que l'entretien se déroule via
Skype, un outil de télécommunication sur internet. Il a 29 ans,
et ne va pas seulement en free-party mais aussi en boîte. Il n'existe pas
d'enregistrement de cet entretien, la prise de note a été mon
seul recours. Hors temps formel de l'entretien, il m'avoue être
déçu par le monde de la teuf.
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III- Opinions
Mais au-delà de revendications de droits pour le
mouvement, les teufeurs ont aussi des avis assez convergents en ce qui concerne
certains aspects de la société.
1- Les médias
Les médias et ce qu'ils véhiculent comme a
priori sur le monde de la teuf sont incontestablement le sujet le plus sensible
pour les teufeurs lorsque l'on parle de l'image de la techno et de la free
party. Tous, sans exception, dénoncent ce qu'ils considèrent
comme une critique ouverte à leur égard.
« Les médias, ils ont créé
beaucoup d'a priori. Tu regardes tous les reportages qui montrent la teuf,
c'est toujours la même chose : les drogues, les descentes de flics.
» Denis
« Les médias en parlent comme si on était
des trucs à parquer, des choses à parquer, à vraiment
mettre à part. » Alban
« Tout ce que l'on voit à la
télé aujourd'hui, c'est le côté de la drogue et du
n'importe quoi, c'est le bordel, c'est crade, c'est des décibels
à donf [à fond en verlan]. » Gaël
« Ils ne montrent que le côté
extrême. [...] Voilà, la façon de dire les choses,
la façon de détourner les choses, et de faire comprendre ce que
l'on a envie aux gens. Ce n'est que de la manipulation. » Dorian
« C'est le mauvais côté de la teuf que l'on
montre à la télé en général. [...]
Ils montrent ce qui les choque le plus. » Margot
« Ils ne montrent vraiment que le mec qui est
allongé dans la boue. Ils ne montrent pas à côté
que peut être sur les cent mille, il y en a trois ou quatre qui
sont allongés dans la boue et tu as tout le reste, ils
sont au calme, dans les camions. » Lisa
Deux raisons sont principalement mises en cause : les choix de
cadrage faits par les journalistes et l'attitude passive du
téléspectateur.
« On ne peut pas dire que c'est faux ce qu'ils
montrent, puisque c'est vrai. Mais c'est le choix de ce qu'ils montrent,
l'heure aussi, le choix des individus. [...] C'est l'information par
la désinformation. » Dorian
« Mais le problème c'est que les gens quand on
leur dit teuf, tout ce qu'ils voient c'est la drogue. Mais ça, ça
viens d'où ? Ça vient de la télévision de toute
façon. Les gens ont trop tendance à gober ce qu'on leur dit. Et
moi, j'ai un conseil à leur donner, c'est de venir pour voir par
eux-mêmes. On ne peut pas se faire une
idée à partir de quelqu'un d'autre. »
Roman
On voit donc ici que les teufeurs ont un discours
particulièrement virulent à l'égard du traitement
journalistique qui est fait de leur mouvement. Mais, comme on va le voir, ce
discours s'inscrit dans une critique plus générale de la
société contemporaine dans son ensemble
2- Relations avec la police
Deuxième institution à s'attirer les foudres des
teufeurs, les forces de l'ordre représentent en effet l'autorité
de l'Etat... celui qui les empêche d'accéder à la
liberté, la gratuité et l'autonomie tant
désirées.
Interventions
Les policiers ou les gendarmes intervenant directement sur un
lieu de free-party peuvent être vus à la fois comme les
représentants d'une autorité inexistante jusqu'à leur
arrivée et comme les annonciateurs de la fin de soirée.
D'ailleurs, certains des teufeurs interrogés témoignent d'un
sentiment assez, voire très, négatif envers les forces de
l'ordre.
« Qu'ils aillent se faire enculer [la police].
Voilà. Je suis contre le système. »
Alban
« Je suis assez anti-flic. Ils abusent de leur pouvoir.
Ils abusent de leur statut. Surtout les CRS. » Denis
« Il y a beaucoup d'excès de zèle,
beaucoup d'abus de pouvoir, de répression à notre égard.
» Gaël
Cependant, il faut noter que la plupart d'entre eux remarque
également qu'il s'agit de les respecter dans la mesure où ce sont
des représentants de la loi, qu'ils ont donc avec eux. Pour ces
teufeurs, leur activité n'est pas juste mais elle est reconnue comme
légitime.
Quelques uns des teufeurs interviewés avancent
l'idée qu'on ne peut pas parler d'eux aussi négativement que
certains le font car leurs agissements rentrent dans le cadre de leur
métier, de leur activité salariée. Ils font donc la
différence entre l'individu et l'agent de police.
« Je les respecte dans le sens où ils ont les
droits, ils ont le pouvoir. [...] C'est un métier comme un
autre, ça reste des gens comme tout le monde. » Lisa
« Je n'ai rien contre eux. De toute façon, ils
font leur métier. Personne n'y peut rien. » Roman
Provocations
Lorsque les forces de police interviennent lors d'une teuf, il
est assez fréquent qu'un certain nombre de teufeurs cherchent à
les provoquer. Or, contrairement à ce que l'on pourrait penser, ceux qui
ont un discours particulièrement anti-flic ne soutiennent pas
forcément ce genre d'agissements.
Ainsi, il est intéressant de voir que, lorsque l'on
demande aux enquêtés s'ils
cautionnent les agissements des teufeurs qui cherchent à
provoquer les forces de l'ordre, la quasi-totalité d'entre eux condamne
sans appel ce genre de comportement.
« On est là pour trouver un terrain d'entente, on
n'est pas là pour se battre. [...] Ça reste leur
travail. Il ne faut pas être con non plus. » Alban
« J'aimerai bien que l'on s'entendent un peu plus,
qu'ils nous comprennent un peu plus. » Théo
« Je préfère discuter quitte à
perdre une heure et qu'ils repartent sans qu'il y ait de problèmes.
» Margot
« Ou même quitte à les protéger.
Une fois, on est resté pendant deux heures à les entourer,
[...] à repousser les teufeurs complètement
alcoolisés et arrachés avec les insultes qui vont avec et qui
vont dans tous les sens. A s'excuser auprès d'eux, à les rassurer
aussi. » Amaury
« Ah non, mais là, c'est carrément tout
le monde qui se met contre le mec qui a jeté la pigne de pin pour lui
dire "T'es vraiment trop con, parce que là, on va tous manger du coup".
» Roman
Seul un des enquêtés avoue avoir
apprécié ce conflit. Il s'agit de Denis. Il est important ici de
se rappeler qu'il s'agit également du seul enquêté qui ne
se soit jamais considéré comme teufeur.
« A l'époque j'aimais ça. Quand je
voyais tous les CRS arriver avec leurs pancartes et leurs cagoules. Une
montée d'adrénaline, allez c'est parti on y va là !
J'aimais cette confrontation avec les pouvoirs publics. » Denis
On peut donc noter que, d'une manière
générale, si la confrontation et la violence physique ne sont que
très peu encouragées par les teufeurs, il n'en reste pas moins
que leur opinion des forces de l'ordre, de leurs comportements et des lois
qu'ils font appliquer est très négative.
Roman
Il est l'un des amis teufeurs de Lisa et Ben présent ce
jour là. Il est le plus enthousiaste à l'idée de partager
son expérience des teufs. Il a 20 ans, cela fait deux ans qu'il fait des
teufs. Il ne semble pas être gêné par le dictaphone, mais
par les oreilles potentiellement indiscrètes de ses amis mangeant
à l'extérieur lorsque la porte est entrouverte. L'entretien dure
une bonne heure.
3- Une critique plus large, celle de la
société
On essaiera ici de montrer que ces critiques envers les
médias et la police, deux éléments de la
société contemporaine - qui sont, il faut le noter, ceux qui sont
le plus directement liés à la teuf puisqu'ils sont en contact
avec elle - sont des signes d'un manque de confiance en cette
société et ses valeurs.
D'une manière générale, les
enquêtés reconnaissent qu'aller en teuf signifie souvent avoir une
opinion assez négative en ce qui concerne la société.
« On est pas mal à avoir une petite haine
envers tout ce qui est la société actuelle, envers le
capitalisme, envers la répression, toutes ces choses là.
»
Théo
« A partir du moment où tu vas en teuf, tu es
contre le système. » Alban
Notamment, c'est la marchandisation de la
société qui est le plus critiquée par les teufeurs
interrogés. Pour eux, la teuf est en dehors de cette recherche de profit
et de cette commercialisation.
« Malheureusement, on vit dans une société
où l'argent est omniprésent. »
Amaury
« Tout ce qui passe dans les médias, c'est de
l'achat. Mais jusqu'au truc le plus banal, c'est de l'achat. C'est de la
propagande à la dépense, c'est un truc de fou. »
Lisa
« Je pense que l'on est le milieu musical le moins
commercial et ça j'en suis assez fier. » Théo
« L'argent que l'on donne [lorsqu'ils prennent
une amende de 135 euros pour stationnement gênant] ça va
être reversé à l'Etat. Et nous, ce que l'on veut montrer si
tu veux, c'est que l'on est indépendants, c'est que l'on sait se
débrouiller seuls. Voilà, donc je suis contre ce système.
» Roman
Cette critique du tout argent prend particulièrement
son sens lorsque l'on en vient à parler de la culture de masse et de la
commercialisation de la culture.
« Les musiques qui passent à la radio, je ne
les aime pas. La télé, je n'aime pas. C'est un bouffe cerveau en
fait. Pour moi, c'est un moyen du gouvernement pour te garder dans le moule
dans lequel ils ont envie de te garder. » Denis
« C'est de la lobotomisation, c'est de la
désinformation. Musicalement, c'est de la merde à la radio ce
qu'on écoute. [...] Ils te lobotomisent à longueur
de
journée la même chose, histoire de bien
t'imprimer le crane : "Achète mon morceau ! Achète mon album !
Vas en boîte !" » Amaury
Mais ce sont aussi les représentants de la
société, les hommes et les femmes de pouvoir, qui sont
considérés comme étant à l'origine des maux de la
société. Ainsi, que ce soit au niveau politique ou
économique, ils sont considérés comme les responsables de
leur condition.
« Je pense que les plus grands dealers de ce monde,
c'est tous les chefs d'entreprises, tous les grands de ce monde, tous les
politiciens. Ils dealent des vies, ils dealent des personnes. »
Théo
« Je pense que dès qu'ils [les membres du
gouvernement] ne peuvent pas avoir le monopole et la main sur quelque
chose, le peu qu'ils vont en montrer, ce n'est que du négatif.
» Lisa
A travers leur discours, c'est donc la société
dans son ensemble que critiquent avec ferveur les teufeurs. Ils remettent en
question les grands choix politiques de société qui sont
établis depuis la création de l'Etat-Nation.
IV- Dimension politique
Il s'agit ici de comprendre en quoi cette virulente critique est
fondatrice du mouvement tant elle en explique la création et les formes
qu'il prend.
1- Zone Autonome Temporaire
La Zone Autonome Temporaire (ou ZAT ou TAZ,
Temporary Autonomous Zone) est une notion développée par
Hakim Bey, écrivain politique se réclamant de l'« anarchisme
ontologique ». Ses écrits, bien qu'ils ne parlent pas directement
des free-parties, peuvent être considérés comme
partiellement explicatifs du phénomène. En effet, même s'il
se refuse à donner une définition claire de la zone autonome
temporaire, il la décrit comme étant une « insurrection sans
engagement direct contre l'Etat, une opération de guérilla qui
libère une zone (de terrain, de temps, d'imagination), puis se dissout,
avant que l'Etat ne l'écrase, pour se reformer ailleurs dans le
temps ou l'espace. » (Bey, 1991).
Une free-party peut être considérée
à bien des égards comme l'une de ces zones autonomes temporaires
décrites par Bey. On avait déjà noté le
caractère éphémère et répétitif de
celles-ci. Lorsque la Spiral Tribe voulait que la musique ne s'arrête
jamais, elle souhaitait
finalement que jamais il ne cesse d'exister des TAZ
techno. D'ailleurs, lorsque Bey prend pour exemple de zone autonome temporaire
les festivals de musique, il entrevoit déjà la revendication
première de ce genre d'événements : « "Se battre pour
le droit à la fête" n'est pas une parodie de la lutte radicale,
mais une nouvelle manifestation de celle-ci, en accord avec une époque
» (Bey, 1991).
2- Rupture du contrat social
On l'a vu plus haut, les teufeurs remettent en question un
certain nombre des aspects de la société telle qu'elle est. Pour
trouver une explication, il faut en revenir aux fondements de celle-ci
dictés par Thomas Hobbes. En effet, pour Lionel Pourtau, « on ne
peut comprendre le développement de ces pratiques sociales qu'en
questionnant l'incapacité grandissante du contrat social à faire
accepter a priori un ordre social homogène et cohérent
» (2005).
Pour Thomas Hobbes, le contrat social entre les hommes est
né du constat que, dans l'état de nature, l'homme subit « la
guerre de tous contre tous ». Ainsi, la nécessité de
préservation de la sécurité de chacun appelle à la
création d'un contrat entre les hommes. Par celui-ci, ils reconnaissent
à l'Etat le monopole de la violence et lui confient leurs
libertés. Les hommes ont donc choisi la sécurité en
échange d'une part de leur liberté.
Cependant, le contrat ne peut fonctionner que tant que les
hommes lui reconnaissent une certaine légitimité. En effet, si
l'Etat, par ses agissements (une violence qui sortirai du cadre de la
protection), va à l'encontre de la sécurité de chacun qui
était au fondement du contrat social, alors il en devient caduque.
Pour Pourtau, les teufeurs considéreraient justement
que l'Etat a rompu le contrat en devenant une menace plus qu'une protection.
Par là, ils retrouvent leur liberté et font secessio
plebis. Plutôt que d'affronter l'ennemi qu'est devenu l'Etat, ils
agissent à ses marges, invisibles. Ainsi, « la ZAT est une
expression de la prise de conscience de l'impossibilité d'une
révolution sociale » (Pourtau, 2005). Déjà, Hakim Bey
insistait sur le fait que l'invisibilité est l'une des principales
forces d'une Temporary Autonomous Zone. En effet, « pourquoi
se soucier d'affronter un "pouvoir" qui a perdu toute signification et
qui n'est plus que pure simulation ? » (Bey, 1991).
3- Retour au mécanique
Cette rupture du pacte hobbesien dans les zones autonomes
temporaires techno peut être un élément explicateur des
phénomènes qui s'y produisent. En effet, nous avions vu dans la
deuxième partie que le mouvement technoïste est animé d'une
recherche du sentiment de fusion communautaire.
Ainsi, l'annulation du contrat social peut amener les teufeurs
à rechercher « un mode de vie jugé plus primitif, plus
authentique » (Pourtau, 2005). Les anciennes solidarités, celles
que Durkheim décrivait comme caractéristiques d'une
société traditionnelle - en tant qu'elles sont liées au
regroupement des individus en communautés de semblables, apparaissent
alors comme le meilleur moyen de se détourner de Léviathan et de
rejoindre, en tribus, Behémoth.
CONCLUSION
La techno hardcore que les membres de la Spiral Tribe
avaient importé en France a évolué vers une
polarité entre, d'une part, une voie reconnue et accepté par la
société mais ayant perdu, pour les adeptes des free-parties, sa
plus value revendicatrice et d'autre part, une voie marginalisée et
invisible, défendant une esthétique hardcore et des
valeurs perçues comme oubliés par la société.
Malgré ce qu'amène à penser cette
esthétique pour l'observateur extérieur, les free-parties ne sont
pas des lieux où les teufeurs sont seuls au milieu d'une foule. Les
interactions entre les individus existent bel et bien, même si elles ne
prennent pas des formes habituelles et reconnaissables. Mais la fusion totale,
recherchée par les ravers, n'apparaît pas
réellement possible. Parmi une foule de semblables appréciant la
même musique au même moment, l'individu existe toujours. Cependant,
le sentiment de fusion vécu par les teufeurs est présent, et
c'est bien là ce qu'il faut retenir. En effet, lorsque l'on cherche
à comprendre le comportement des acteurs, c'est bien plus le sens que
ceux-ci donnent à leurs agissements que leurs sens réels qui
importe.
Les parcours des teufeurs à l'intérieur de cet
univers ne sont pas prédéfinis, ils sont aussi divers que
possible. En effet, plusieurs voies d'entrée existent, notamment la
musique, les amis ou la drogue. Bien sûr, il est très rare qu'un
seul de ces facteurs soit déterminant. Ainsi, chaque teufeur est
allé à sa première teuf du fait d'une association de
causes, et non d'une seule. Ces chemins empruntés définissent en
partie, ou du moins influencent, le parcours du teufeur à
l'intérieur de cet univers. Chacun cherche, d'une manière plus ou
moins poussée, à se différencier à
l'intérieur de cette foule de teufeur. Ils sont teufeurs, mais ils sont
et cherchent avant tout à être eux-mêmes.
Finalement, l'existence de cette culture aux marges de la
société peut être comprise comme une conséquence de
phénomènes macro-sociaux liés à la politique. En
effet, malgré une apparente a-politisation de cet univers, les teufeurs
semblent avoir quelques revendications et surtout partager un ensemble de
valeurs et de critiques envers la société. Ainsi, les
free-parties et le mode de vie les accompagnant peut-il s'expliquer par le
sentiment d'une rupture du contrat social. L'Etat, n'utilisant plus sa violence
dans le seul but d'assurer leur sécurité, les teufeurs
préfèrent créer des Zones Autonomes Temporaires au sein
desquelles ils retrouvent la liberté de l'état de nature. Cela
les amène à revivre (ou du moins à
chercher à revivre) des états fusionnels et
communautaires considérés comme liés à cet
état de nature et à un mode de vie plus primitif que celui que
propose la société.
Finalement, au vu de ces conclusions, on peut être
amené à se demander s'il s'agit d'un
épiphénomène qui ne durera pas ou d'une nouvelle forme de
penser, de la recherche d'une nouvelle manière de vivre ensemble qui
pourrait être annonciatrice d'évolutions futures.
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Filmographie
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France, 52 min.
World Traveller Adventures, de Damien Raclot-Dauliac et
Krystof Gillier
Sitographie
http://www.check-point.fr
www.electroziq.org/
http://www.tripandteuf.org/ http://arakneed-soundsystem.fr/
www.spiral-tribe.org/
ANNEXES
Annexe 1 : Glossaire
Les mots présents dans ce glossaire sont signalés
par un astérisque à leur première apparition dans le
texte.
Acid-house : voir acid et
house.
Acid : Sons évolutifs, aigues et
sifflants. Par extension, style musical associé soit à la
house, soit à la techno, soit à la trance et
mêlant rythmiques et sonorités acides.
Balearic Beat : Une sorte de
house, légère et métissée,
influencée par la pop et les musiques latines.
BPM : Beats per minute. Le nombre de
battements de basse par minute.
Clubber (ou clubeur) : Amateur de
concert techno ayant lieu dans les discothèques ou les clubs.
Drum&bass : Jeu complexe de
percussions et de basse de la jungle, et, par extension, le genre
générique des formes de la jungle.
Dub : Genre musical utilisant les
bases su reggae et une batterie d'effets électroniques.
Ecstasy (ou taz) : Substance
amphétaminique psychostimulante. L'effet d'un comprimé dure entre
4 et 6 heures. Il consiste en un regain d'énergie et une sensation
diffuse de bien-être, de plénitude et de
légèreté.
Electro : On parle parfois d'électro pour
qualifier l'ensemble du genre électronique plutôt que de parler de
techno.
Flyer (ou fly) : Tract ou prospectus
informant d'une soirée free-party. Seule la date, le numéro du
département et le nom du ou des Sound System(s) présent(s) sont
indiqués, ainsi que le numéro de l'infoline.
Goa (full moon parties) :
Etat d'Inde où l'arrivée de la musique électronique a
engendré une musique de transe d'un type bien particulier («
trance Goa » ou « Psychedelic Trance »). Sur
un bpm* lancinant, mais modéré, viennent se greffer les
sons typiques de l'acid-house. Au final, une musique de type
hallucinogène qui emprunte aussi bien aux longs mantras des ragas
indiens qu'aux sons du didgeridoo.
Hardcore : Version
accélérée et industrielle de la techno, violente,
répétitive et instrumentale.
House : Musique techno
caractérisée par l'utilisation de sons acoustiques issus de
musiques noirs américaines : funk, soul. Elle est la première des
musiques techno.
Infoline : Dispositif de boîte
vocale téléphonique permettant d'obtenir des informations au
sujet d'une fête : le lieu, le point de rendez-vous...
Jungle : Genre musical soutenu par des
nappes ambiantes ou des vocaux. La jungle est déterminée par son
tempo très rapide et ses multiples jeux et ruptures de rythme.
Mainstream : Qui reste conforme aux
standards à la mode. Notion utilisée par les adeptes anglophones
de la house et de la techno pour décrire les courants musicaux dominants
: variété, rock...
Minimale : Dérivée de la techno
traditionnelle, la techno minimale propose une structure et un champ spectral
plus minimaliste. Un tempo plus lent, des variations rythmiques et
séquentielles moins fréquentes et des basses qui s'étirent
en contraste avec des percussions très brèves et aigües sont
le propre de ce genre.
Sound System : Système de
sonorisation transportable permettant de diffuser de la musique. Par extension,
collectif d'organisateurs de free-parties synonyme de tribu techno.
Teuf (ou chouille) : Verlan de fête. Mot
souvent utilisé pour désigner une fête techno.
Trance : Variante techno, elle marie
des rythmiques rapides et de longues plaintes synthétiques à
grands renforts de boucles évolutives acides.
Underground : Littéralement,
sous terre. Par extension, culture alternative, en marge de la
société, tenue à l'écart des médias de
masse.
Annexe 2 : Guide d'entretien
1- Trajectoire vers la teuf
- Se présenter. Comment es-tu devenu teufeur ?
Etais-tu attiré par ce genre de musique avant ? Connaissais-tu des gens
dans le milieu ? Etais-tu idéologiquement en accord avec ce milieu
(Z.A.T de Bey, World Traveller Adventures...).
- Trajectoire de vie. Qui sont tes parents ? Ruraux, urbains
? A l'école, comment ça se passait ? Jusqu'où as-tu
été ? Et quand tu as commencé à travailler ?
Comment as-tu découvert l'univers de la teuf ? Quelle place prenait-il
dans ta vie à ce moment là ? Et maintenant ?
2- Identité de teufeur
- Qu'est-ce qu'un teufeur pour toi ? Y a-t-il
différents types de teufeurs ? Comment te placestu par rapport à
ça ? A quoi reconnais-tu un teufeur ? En quoi est-on différent
lorsque l'on est teufeur ? Où places-tu la limite entre teufeur et
non-teufeur ? Y a-t-il des gens qui viennent en teuf mais qui ne sont pas
teufeurs ? En quoi le style vestimentaire est-il important ?
- A ton avis, comment vous voient les gens qui ne sont pas
teufeurs ? Trouves-tu juste la façon dont on parle des teufs et des
teufeurs à la télévision ou dans les journaux ? As-tu
l'impression que les gens te jugent lorsque tu marches dans la rue ? Penses-tu
que tous les teufeurs sont vus de la même manière ?
3- Degré d'investissement et
rôle
- A quelle fréquence vas-tu en teuf ? Fais-tu partie
d'un Sound System ? Mixes-tu ? As-tu un emploi ? Fixe ou saisonnier ? Où
vis-tu ? Chez toi ? Chez des amis ? En colocation ? Dans ton camion ?... Te
déplaces-tu toujours pour les teknivals ? Est-ce que c'est le boulot qui
te permet d'aller en teuf ou la teuf qui te permet de t'évader du boulot
?
- Si tu ne fais pas partie d'un Sound System : Est-ce que tu
aides parfois à organiser des teufs ? Qu'elles sont tes activités
lors de la teuf ? Aides-tu à installer et à ranger ? Y a-t-il des
choses que tu sois le seul à savoir faire dans ton groupe d'amis ?
- Si tu fais partie d'un Sound System : Quel est ton rôle
dans le Sound System ? Pourquoi ? Te sens-tu utile à ton groupe et au
reste de la communauté ? A quelle fréquence organisez-vous
des teufs ? Qui fait quoi dans ces cas là ?
4- Le moment de la fête
- Quelle est l'importance de la musique au moment de la teuf
pour toi ? Quel style de techno préfères-tu ? Pourquoi ? Est-ce
que c'est ce qui se joue le plus fréquemment ? Sais-tu quels sont les
Sound Systems qui jouent lorsque tu vas à une teuf ? Et dans un teknival
?
- Dans quel état te met la musique en teuf ? Y a-t-il
d'autres choses qui y participent que la musique (contexte, drogues...) ?
Prends-tu certains produits pour en profiter mieux ? Où te trouves-tu le
plus souvent quand tu es en teuf ? Qu'y fais-tu ? As-tu déjà
été en transe ?
- Quelle est la part de création dans la hardtek pour toi
?
5- Rapports de genres, de classes, de races, de
générations
- Y a-t-il beaucoup de teufeuses ? Sont-elles dans le
même état d'esprit que les teufeurs ? Apprécient-elles
autant la musique ? Y en a-t-il beaucoup qui mixent ? Pourquoi ? Prennentelles
autant de produits ? Y a-t-il plusieurs styles de teufeuses ? Sont-elles
féminines ? (Respectent-elles les codes de la féminité ?)
Qu'en penses-tu ? Es-tu déjà sorti avec des teufeuses ? Des
non-teufeuses ? Quelle est la différence pour toi ?
- Y a-t-il beaucoup de teufeurs noirs, arabes ou asiatiques ?
Pourquoi, à ton avis ? - De quel milieu social viens-tu ? Et les autres
teufeurs ? Qu'en penses-tu ?
- Y a-t-il de « vieux » teufeurs ? Qu'en penses-tu
?
6- Rapports à la culture dominante
- Que penses-tu de la culture de masse (ce qui passe à
la télé, à la radio) ? Est-ce que tu penses que la teuf /
hardtek en fait partie ? Est en opposition ? Est-ce que cette opposition fait
partie de ce qui t'as attiré dans l'univers de la teuf ? Pourquoi ?
- Quels sont tes rapports avec la police ? Penses-tu que ce
qu'ils font est légitime, qu'ils ont raison de le faire ? Que penses-tu
du conflit avec la police / de ceux qui les provoquent ?
- Quelle est ta sensibilité politique ? Votes-tu ?
Penses-tu qu'en allant en teuf tu revendiques quelque chose politiquement ?
7- Sous-culture, religion ou ethnicité
?
- As-tu l'impression de faire partie de la société
qui t'entoure ? As-tu des valeurs communes / contraires avec elle ?
- Penses-tu qu'il y a des choses qui sont sacrées /
des choses nécessaires dans la teuf ? Pensestu que l'on puisse faire une
teuf n'importe où ? N'importe quand ? N'importe comment ? Pourquoi ?
- Te sens-tu différent ? As-tu l'impression d'être
reconnu comme tel par la société ? As-tu l'impression de faire
partie d'une communauté / d'un ensemble homogène ?
- Penses-tu que l'on puisse dire de la teuf / hardtek que c'est
une culture ? Pourquoi ? Alternative ?
8- Vision du futur
- Pour toi, qu'est-ce qu'une vie réussie ? Le bonheur ?
Où te vois-tu dans 5 / 10 ans ? As-tu des projets ?
Annexe 3 : Retranscription de l'entretien avec
Amaury du Sound System Arakneed
Comment es-tu devenu teufeur ?
J'ai commencé à écouter depuis ma tendre
enfance tout ce qui était à base de musique électronique.
Donc c'est con mais j'ai commencé, il y a très, très
longtemps de ça, sur du classique remasterisé version
électronique. Donc tout ce qui était boîte à rythme,
etcetera. Et puis, tout en évoluant sur les musiques
électroniques qui étaient à l'époque disponibles.
Parce que j'étais encore jeune et je ne connaissais pas
spécialement le milieu de la teuf. J'avais entre douze et treize ans.
Sur les trucs dance qu'il y avait autrefois. J'ai commencé après
à écouter les compilations des Thunder Down ou les Spiral Tribe,
des trucs comme ça. Jusqu'au jour où j'ai rencontré
quelqu'un... Ou sur les compilations Bonsaï, là aussi ça
commençait à prendre une évolution vraiment dans la
musique électronique. Et jusqu'au jour où j'ai eu le plaisir de
rencontrer des gens et dont une personne. C'est lui qui va être, entre
guillemets, mon mentor, qui va me montrer comment fonctionne le mix. Parce que
je n'avais aucune approche de ce genre milieu, déjà dans les
années 95. Donc voilà, quand j'ai commencé à voir
ça, ça a été entre guillemets mes premières
teufs. Où j'avais l'âge de 17 ans, parce qu'on n'avait pas les
mêmes évolutions qu'au jour d'aujourd'hui. Et puis à partir
de là ça a été le déclic. Donc à
partir de là, j'ai commencé à vouloir mixer. J'ai
commencé à acheter mes premiers disques. Et j'avais une vieille
platine Hifi que mon père avait, j'avais une vieille Play Station,
j'avais une vieille chaine Hifi, j'avais une table de mixage qu'on m'avait
donné. Et je m'amusais entre les vinyles que j'achetai, la Play Station
où tu ne peux mettre qu'un CD, à essayer de caler mes premiers
morceaux. Et après jusqu'à investir réellement. J'avais
acheté quand même pas mal de disques avant, jusqu'à acheter
mes deux premières platines, qui m'ont duré dix ans quand
même. Que j'ai revendu pour m'acheter celles-là.
Donc toi, ce qui t'as attiré dans le milieu, c'est
la musique...
Ah oui. Entre autre, parce que il y avait l'ambiance aussi qui
était géniale. Même si les soirées autrefois... le
milieu free n'existait pas ou était très... moins
réputé qu'aujourd'hui. Donc la scène hardtek / hardcore
était loin d'être là. Donc c'était des
soirées... Les gens qui m'ont fait découvrir, ils mixaient trance
surtout. Donc des soirées où tu avais deux cent personnes, et
encore, avec énormément de décorations. Mais c'est proche
de la trance encore aujourd'hui. Des gens très décorés,
très festifs, très joyeux. Il y a de la communication entre les
gens, tu
passes tes soirées à discuter, il y a des
rencontres. Et c'est ça aussi qui m'a apporté. Et puis ce
coté de liberté où tu peux faire la fête sans... tu
peux faire ce que tu veux. Tu peux boire, comme prendre... Personne va te faire
de préjugés parce que... Et puis voilà, ce coté
où tu peux faire la fête sans que les gens ne te préjugent
parce que tu viens faire la fête. Toutes les personnes, tous les styles,
toutes les mentalités, donc voilà, ce n'est pas sélectif.
Tu veux rentrer en boîte, tu te faisais refuser parce que tu étais
habillé en basquets ou parce que tu n'avais pas la bonne tête.
Combien de fois où je me suis fait refuser l'entrée en
boîte parce que tu ne corresponds pas avec le type de clientèle
qui est attendue. Donc il n'y a aucune liberté, tout simplement. Donc,
tu arrives avec tes copains ou ton groupe d'amis en boîte et tu es le
pauvre con qui reste dehors parce qu'on te dit non. En teuf, c'est libre. C'est
l'esprit de la fête, tout simplement. Les gens ils viennent pour faire la
fête. Et ce qu'il y a encore actuellement et qui continue à
évoluer. Les personnes qui viennent dans les soirées c'est pour
ça qu'ils viennent aussi. Ça reste cet endroit où tu peux
faire la fête librement.
Et tout ce qui est Zone Autonome
Temporaire...
Genre un teknival ou une free-party ? Quand on a
commencé à faire nos premières soirées, moi j'ai
commencé avec [nom de groupe], ce n'était pas encore un Sound
System, c'était une bande d'amis où on avait quelques enceintes
et on posait genre un ou deux kilos de son. Et oui, on se faisait une zone
pendant le temps d'une nuit, on allait dans les bois, à
Bussac-forêt ou des trucs comme ça. Et voilà, mais bon les
soirées étaient plus petites, donc c'était plus
côté réunion entre potes. C'était des soirées
entre potes où tu connaissais presque tout le monde à chaque fois
vu que tu avais toujours une petite quantité de personnes. Il est vrai
que ça a énormément évolué au moment
où la scène hardtek a commencé à exploser et
à produire énormément de musique. Ça a pris une
ampleur beaucoup plus grande. Et là, oui, on peut parler de zone
autonome, parce que quand tu te retrouves avec plus de mille personnes qui
s'autogèrent... Deux cent personnes à gérer c'est facile,
quand tu as mille ou deux mille personnes à gérer pour les
organisateurs c'est ingérable. Et pourtant, ils arrivent à se
gérer. Pour moi, elle est là la zone d'autonomie. C'est par la
quantité de gens. Imagines deux milles personnes qui foutent un bordel
monstre, ça peut vite devenir un carreau. Voilà, moi je le vois
comme ça.
Pour toi, c'est quoi un teufeur ?
Ah. Alors un teufeur c'est quelqu'un qui, à travers son
état d'esprit et son type de musique
qu'il écoute... Enfin, c'est surtout une
identité par rapport à la techno ou aux musiques
électroniques en tout genres, que ce soit de l'électro, de la
trance, en passant par la house, par la hardtek, de la techno, hardtechno,
hardcore, acid... C'est une personne qui... Qui en plus, dans sa façon
de s'habiller... Un peu comme le mouvement hippie autrefois, c'était les
pantalons pattes d'eph, les colliers et les couleurs à tout va.
Voilà, c'est quelqu'un qui va s'habiller cool, et puis peut être
qu'au fond de lui il est aussi cool. Et puis qu'il écoute de la techno
ou pas aussi. Mais tout le monde est teufeur à ce moment là. On
peut dire que, indirectement, tu peux aller dans un concert et tu peux te
considérer aussi comme un teufeur. On a attribué le nom teufeur
par rapport aux teufs et aux gens qui y participaient, comme on pourrait dire
les festivalier finalement. Donc je... Après c'est média... Ce
n'est pas un effet de mode mais... C'est compliqué. Je ne peux pas te
définir en fait. C'est quelqu'un qui... Il transmet quelque chose, il
porte à travers lui, de la façon dont il communique. Et puis il a
quelque chose au fond de lui. Mais comme je disais, tout le monde est teufeur
aussi.
Et donc, est-ce qu'il y a différents types de
teufeurs ?
Ah ben comme il y a plusieurs types de personnes dans la vie.
Tout simplement. Tu peux avoir des bons comme des cons. Et malheureusement en
teuf, comme on s'autogère, comme les gens s'autogèrent, on ne
peut pas les surveiller. Donc, dans la vraie vie, tu auras des crevards qui
seront là pour te voler, te cambrioler, te casser tes véhicules
et tu auras de très bonnes personnes qui ont le coeur sur la main et qui
seront toujours là pour t'aider. Ça, c'est la vie. Chacun a sa
personnalité propre. Après, le mouvement, il est ouvert à
tout le monde, donc automatiquement il t'amènera... C'est comme si tu
vas dans un concert, n'importe quel concert. Pourquoi aller en boîte,
pourquoi aller dans un concert pour aller voir des bagarres. C'est pareil. Je
veux dire, tu verras aussi des bagarres de temps en temps... Moins, certes.
Mais tu auras toujours ce type de personne.
Toi, tu te définis comment par rapport à
ça ?
Comment je pourrais me définir en tant que teufeur...
Oui, j'ai été teufeur au début, comme tout le monde. Et
immédiatement quand j'ai connu le côté de la teuf, j'ai
tout de suite aussi connue le coté de la création, de la
façon de faire la musique. Tout de suite ce côté m'a
très intéressé. Parce que j'étais vraiment
tombé dedans quand j'étais petit et donc la techno, la musique
électronique j'en ai écouté. Donc je me suis trouvé
un peu dans les deux positions, autant du côté teufeur que
côté DJ amateur, et puis côté organisateur tout
doucement. Parce
qu'en fait, indirectement, les gens que j'ai rencontrés
organisaient de temps en temps des soirées. Et c'est vrai que tout de
suite, au bout d'à peine 6 mois, j'étais en train de mixer dans
mes premières soirées. Donc en fait, je me suis retrouvé
dans les deux positions, deux côté, acteur et spect-acteur.
Après, moi j'ai essayer de transmettre ce que moi aussi on m'avais
appris, c'est-à-dire l'esprit de la teuf. Faire la teuf sans se prendre
la tête, et puis essayer de faire découvrir aux nouveaux venus
qu'est-ce que c'est la teuf, que ce n'est pas un lieu où tu viens faire
n'importe quoi et que si t'es là pour te défoncer la gueule, ben
il y a des règles... des marques... des conditions de vie. Enfin, pas de
conditions de vie, des marques... Enfin, quelque chose à... Ah, un code
de conduite.
A quoi tu reconnais un teufeur ?
Par sa dégaine souvent, comme on disait tout à
l'heure. Pantalon large, ou pull avec des logos de tout, de tribe. Et puis
c'est vrai, de plus en plus avec la casquette. Alors ça, c'est typique
quand même. Le treillis aussi. Mais par rapport au style de musique
aussi, c'est toujours pareil. Chaque style de musique va emmener son style de
personnes. Tu vas dans les soirées trance, tout le monde est super bien
déguisé, très éclectique, très fluo. Tu vas
avoir des chapeaux dans tous les sens, des fringues... voilà. C'est la
trance. Tu vas en milieu hardcore, hardcore, là c'est treillis, capuche
et tout le monde est dans la vague du son sans communication, sans rien. Parce
qu'il y a très peu de communication, ils sont tous la tête dans
les caissons et ils n'en bougent plus.
En quoi on est différent, quand on est teufeur
?
Tu te sens différent... déjà par le fait
d'aller dans des endroits où les gens ont peur parce que
médiatiquement. Les médias mettent énormément de
répression dessus, et font peur à nos parents, à nos
grands-parents. Ce qui fait que pour eux, quand ils voient qu'une rave partie a
eu lieu et que tu te dis que t'y es allé et ce que les médias ont
dit, c'est pas du tout ça. Donc voilà, on en a une connaissance,
et on n'a pas peur de ce milieu non plus, de cet endroit où on va.
Où places-tu la limite entre teufeur et
non-teufeur ?
Il n'y a pas de limite, finalement. Après, si il y a une
limite parce qu'il y a le problème... En fait, on en revient
toujours... De toute façon, il y aura toujours ce problème de
médiatisation, qui est horrible. Et le côté non teufeur,
tu vois, c'est par exemple quand tu as un teknival, les
médias s'empressent d'annoncer au petit écran
qu'il y a un teknival par ici. Et là forcément tu as des
visiteurs, et dans ces gens là, tu as des teufeurs qui étaient
déjà au courant, d'autres qui n'étaient pas du tout au
courant et qui... « Ah, ben tiens, il y a un teknival. Ah, ben c'est
à côté, on est à deux heures de route, on y va.
» Mais tu as tous ces gens qui viennent là comme ils iraient dans
un zoo. Eux, ils n'ont rien à foutre là, parce que...
voilà. Mais c'est partout pareil. Alors, les gens ils viennent là
avec les enfants et : « Oh, regarde celui là, là-bas !
» Comme si on était des freaks. Mais c'est parce que les
médias ont tellement appuyé, ont tellement fait de mal qu'on est
mal vus maintenant. Quand les gens viennent discuter avec toi, ou avec nous,
ils se rendent compte qu'on n'est pas des lobotomisés de la musique,
qu'on arrive à tenir des discussions sérieuses, ou qu'on a un
emploi, ou qu'on fait des études. On est comme leurs enfants ou comme
eux ils ont été. Mais c'est par la communication que l'on arrive
à leur faire comprendre qui on est. Par contre, si tu laisses parler les
médias, c'est eux qui boufferont tout. Mais comme ils ont toujours fait,
que ce soit avec la techno ou que ce soit pour d'autres affaires. Quand ils s'y
mettent les gars, ce n'est pas pour faire de la pub. Des fois, c'est même
de la casse, de la désinformation. Ils vont raconter des mythos. Et dans
l'ensemble, les gens qu'est-ce qu'ils en retiennent ? Pour eux, c'est les
médias qui disent la vérité. Donc oui, sur des coups comme
ça, t'en retrouve des non teufeurs, c'est sur. Après, on ne peut
pas dire que c'est parce que tu écoutes... T'écoutes pas de la
techno, ben t'es pas un teufeur ! Non. Tant que... Ben aussi, être
teufeur, c'est faire la fête, et sans se prendre la tête. Donc on
retrouve aussi... Il y a beaucoup de choses. Il y a des endroits où,
encore une fois de plus, les gens ils viennent et ils s'en foutent. Ils
viennent faire la fête, c'est tout ce qu'ils demandent. Ils ne veulent
pas se faire prendre la tête et ils savent que personne ne va leur
prendre la tête aussi. Ou c'est rare. C'est très rare, sur une
quantité de gens, ou sur une
quantité de teufs que j'ai pu effectuer, c'est rare
quand même de voir des débordements oütout part en
vrille. Et par contre, tu vois ça en teknival. Comme quoi, il y a
quelque chose qui
fait qu'il y a bien des gens qui n'ont rien à foutre
là. Forcément, puisque c'est les médias qui nous les
ramènent. Ce n'est pas comme s'ils ont trouvé l'info tous seuls.
C'est bête, mais ils ne le savent pas. Ils ne sont pas sur les sites ou
ils n'ont pas les infos par des potes qui sont dedans, les fly qui trainent.
Est-ce que tu as l'impression que les gens te jugent
?
Non, pas du tout. Au contraire, c'est un endroit où,
comme je disais tout à l'heure comme quoi les gens te jugeaient pour
l'entrée en boîte. Alors que là, tu viens, personne viens
te faire chier. Les gens ils s'en foutent. Par contre, ils vont discuter
avec toi sans problème. Mais si tu
ne les aborde pas, eux ils sont de leur côté avec
leurs potes ou toi t'es avec tes potes ou t'es tout seul. Voilà,
l'idéologie principale c'est d'être dans un endroit où on
ne te jugera pas, parce que t'es black, parce que t'es chinois, parce que t'es
un nain, parce que t'es handicapé, parce que tu as un handicap physique.
Il n'y a pas de jugement.
Et en dehors de la teuf ?
Ah, ben là si, tu vois. Voilà, la vie de tous
les jours. Et là, tout de suite tu revois que dans une zone de... Mais
alors là, c'est là où tu te dis : « Quel est le
meilleur des mondes ? Est-ce que c'est la teuf ou est-ce que c'est le monde
où l'on est ? » Alors des fois, tu te dis que tu
préférerais être en teuf parce qu'on ne te juge pas. Alors
que dans la vie on te juge très facilement. Et rien que d'un regard, on
est capable de te juger. Comme on disait tout à l'heure par rapport
à des parents, des familles qui viennent sur un teknival et qui disent
à leurs enfants : « Tiens, mon fils, regarde ceux-là ! C'est
des teufeurs ! ». Encore une fois, on te juge. Mais on juge trop
facilement sans connaître les gens, ou sans connaître ce qu'ils ont
sur le coeur. Donc, là par contre, dans l'univers de la teuf, tu n'as
aucun jugement.
Est-ce que tu penses que tous les teufeurs sont vus de la
même manière ?
Non, pas du tout. Parce que c'est comme tous les gens dans la
vie. Mais on retiendra toujours... C'est une minorité qui fait la
majorité. Donc, le problème c'est que si tu as, dans un lot de
teufeurs, tu as des cons que tu retrouves dans la vie de tous les jours et qui
le sont tout le temps, malheureusement c'est eux que l'on retiendra. Et ce ne
sont pas les bonnes personnes qui seront retenues. Et quand tu vois ce qui est
le plus médiatisé... Parce qu'en teuf tu les vois rarement
finalement les médias, tu les vois en teknival parce que c'est bien pour
eux. Et qui c'est qu'ils vont aller interviewer ? Ah, ce ne sont pas
forcément les meilleurs ! Et tout de suite... On le sait. Il faut quand
même être réaliste et ouvrir les yeux. Toute musique
amène ses drogues. La techno amène ses drogues, mais il est vrai
que le trafic est plus libre ou plus ouvert. Donc, forcément, on le voit
plus facilement. Et les médias, qu'est-ce qu'ils font ? Ils ne vont pas
aller prendre des Sound Systems pour discuter, ils vont aller prendre des bons
arrachés... Enfin, des bons arrachés... des personnes qui
consomment. Et qu'est-ce qu'ils vont leur poser comme questions ? Ce sont des
questions piège. Est-ce que vous trouvez des produits ? Qu'est-ce que
vous consommez ? Et au TF1 du soir, qu'est-ce que tu vois ? Ben, c'est eux, pam
! Donc là, il n'y a pas à tortiller, l'image que l'on va retenir
encore une fois, c'est qu'on est des drogués. Pour la plupart des gens,
à cause d'une minorité. A cause de deux
personnes, tu en as deux mille, ou quinze ou cinquante mille
personnes qui sont tous des drogués. Alors que non. Je suis
désolé, mais tu as quand même des gens qui vivent par la
musique et non par les drogues qui y sont. Tu n'as pas besoin de boire ou de te
droguer pour aimer quelque chose. Comme dans la vie, je ne sais pas, tu es en
couple, tu ne vas pas te défoncer pour aimer ton compagnon, parce que
sinon tu ne t'en sortirais plus !
A quelle fréquence vas-tu en teuf ? Maintenant et
avant...
Avant, j'y étais quand même très
régulièrement. Tous les quinze jours, trois semaines, dès
qu'il y avait... Parce qu'autrefois il y avait moins de soirées et
surtout moins de Sound Systems. Au jour d'aujourd'hui, il y a tellement de
Sound System que finalement tu te retrouves à faire des
soirées... Il y a des soirées tout le temps, tout le temps, tout
le temps. Tous les weekends, tu as des trucs. Alors, tu as de tout et de rien.
Donc, il est vrai que avant tu allais un peu à tout pour te donner une
idée. Et maintenant, au lieu d'aller à tout, tu
sélectionnes. Comme un concert où tu as envie de voir quelqu'un
en particulier, tu vas le voir. Donc c'est pareil. Et il est vrai que
maintenant je sors moins. Mais bon, c'est l'âge aussi. J'ai
commencé mes premières teufs tard pour mon âge. J'ai 32
ans, j'ai commencé j'en avais 17. Donc, ça va faire quinze ans
que je fais des teufs... Et puis maintenant, le fait d'être papa aussi,
on sort toujours un peu moins aussi. Et puis finalement, il y a de moins en
moins de soirées très intéressantes. Moi, les Sound
Systems... Il y a de très bonnes personnes qui mixent, hein, ce n'est
pas la question. Mais finalement, je préfère sortir et me faire
plaisir, devant une bonne façade, ou devant des trucs
intéressants avec des gens qui se cassent le cul à faire de la
déco, à mettre des enceintes qui tiennent la route, que de
m'enquiller des enceintes de chaînes Hifi et des caissons de voiture pour
faire une façade qui ne ressemble à rien. Ben voilà, je
préfère sélectionner. Et puis le temps aussi. Autrefois,
on sortait en plein hiver, on n'avait pas peur. On prenait sa bouteille de rhum
ou sa bouteille de whisky, ou sa bouteille de vodka, ou de gin, ou ce que tu
veux ou tes bières. Tu bois et puis tu viens avec nous. Ce n'est pas que
maintenant, quand il fait -4 dehors... On est bien au chaud quand même
ici à passer des soirées entre amis, ou à écouter
de la musique entre potes sans forcément aller en teuf. Et puis,
forcément, la répression policière aussi qui fait que de
plus en plus...En plus au jour d'aujourd'hui où, maintenant si tu as le
malheur de fumer rien qu'un joint ou tu consommes de l'alcool, tu es encore
plus facilement contrôlable qu'autrefois. Vu qu'elles sont plus
facilement trouvables les soirées pour les flics. A cause, là
aussi, de l'ampleur que ça à pris. Autrefois, tu faisais une
soirée avec 2 kilos, tu avais deux ou trois cent personnes avec 2 kilos,
ils étaient tout fous. Maintenant, tu fais une soirée avec 2
kilos, tu n'as personne. Parce qu'il
faut qu'automatiquement tu ais 20 ou 30 kilos pour que les gens
viennent. Sinon, ce n'est pas intéressant.
Est-ce que tu fais partie d'un Sound System ?
Ah oui ! Ah, j'ai fait partie de plusieurs Sound Systems. J'ai
commencé... Donc quand j'ai commencé à comprendre, quand
j'ai rencontré cette personne qui m'a montré comment on faisait
de la techno finalement. Donc, il y a des disques que l'on pouvait acheter dans
le commerce et que ça se mixait. Donc, là j'ai commencé
par de l'acid-trance à l'époque. Donc très,
très mélodique et des sons un peu anglais. Après, je suis
vite passé sur l'acid-techno, l'acid-tek.
Après, donc là c'était un groupe qui s'appelait... On
était très peu, mais bon on a fait quelques soirées
intéressantes. On a fait la Techno Parade. On a fait deux Techno
Parades. Les deux premières Techno Parades, la 98 et 99. Qui
étaient énormes, c'était impressionnant. Donc on a
posé notre char avec une association de Nantes, qui s'appelait Check
Point à l'époque et qui était une infoline de
soirées, qui regroupait donc les soirées sur un serveur
téléphonique. Et donc moi j'étais bénévole
pour eux, je travaillais pour eux. Donc on a pu faire ces soirées. Et
après, le groupe s'est disloqué, s'est dissout. Donc
après, moi j'ai monté le Stand Family, mais ça n'a pas
duré longtemps parce qu'on était que deux. Et le collègue
m'a abandonné en cours de route. Donc, on a fait une soirée et la
deuxième soirée, je me suis retrouvé tout seul à la
gérer, à tout organiser tout seul. Donc, là, ça
devenait très compliqué parce qu'en logistique et tout ça
devenait très hard. Et puis c'est là aussi où...
c'était la première amande à 135 euros parce qu'on
s'était installés dans un chemin forestier. Ça a un peu
refroidit l'histoire. Et en même temps, je connaissais des personnes qui
tenaient une boutique, qui s'appelait donc Paranorm à Bordeaux et qui
eux faisaient des soirées sous le nom d'Arakneed. Et puis de fil en
aiguille, à force de se connaitre, de passer à la boutique, de
boire un coup avec eux, de leur parler de mes soirées. Par obstination
tout simplement, au bout d'un certain nombre de temps, ils m'ont proposé
de rentrer, par la qualité de mix que j'avais, de rentrer chez eux. Et
donc là c'est vrai que ça a été un peu aussi un
tremplin, encore plus pour moi. D'avoir un nom déjà, parce
qu'avant ce n'était pas non plus... Et puis, de fil en aiguille, tu fais
avancer, tu apportes du tien dans un groupe, tes idées. Tes idées
surtout. C'est énorme en fait. Ce sont les idées de chacun qui
font que tu fais évoluer quelque chose, une passion, dans quelque chose
de concret. Là, tu n'es plus isolé, tout seul. Tout seul, tu ne
peux rien faire. Même avec toute la motivation du monde que tu peux
avoir, tout seul tu n'es pas capable de faire des trucs comme ça. Un
groupe, si. Parce qu'un groupe, il se donne la motivation. Et puis chacun se
donne des taches particulières. Et en avant Guingamp ! Donc,
ça fait depuis 2002 que je suis chez Arakneed. Que je suis
rentré chez eux officiellement, voilà. Officieusement, ça
fait plus longtemps.
Et à quelle fréquence vous organisez des
teufs ?
Alors, on en organisait, à l'époque, avant 2000,
avant que la loi Mariani ne soit votée qui a empêché tout
rassemblement de plus de 500 personnes à caractère festif sans
déclaration préalable auprès de la préfecture. Mais
ça, tout le monde le connait ce texte de loi. Et là, oui, on
faisait des soirées à raison de tous les quinze jours, trois
semaines, voire tous les mois. Et que ce soit en hiver, en été.
On les faisait en extérieur en été puisque c'est plus
facile d'aller dehors. Et en hivers, on trouvait des salles comme les
Chartrons, le Nautilus qui existait à l'époque et qui
était un club à Bordeaux, ou le 4 sans, ou le CAT, ou le Parc des
Expositions en collaboration avec d'autres personnes. Et puis au fur et
à mesure aussi, tu ralentis les fréquences parce que tu vois
qu'on a certes tous une passion qui nous tient à coeur mais on voit
aussi tu as la hache ou la matraque de la justice qui est présente. Et
que oui, quand on organise, c'est super bien, pour les gens, pour les teufeurs,
mais par contre pour toi par contre tu peux vite te retrouver dans des emmerdes
monstres avec des peines de prison, ou de très grosses amandes, ou des
saisies matériel qui peuvent durer très longtemps. Et tout
ça, ça te remet en question. Parce que oui, on a une passion,
mais on n'aimerai pas non plus... On peut prendre des risques, mais pas aller
en prison non plus pour une organisation de soirée. Ce n'est pas le but
non plus. On n'est pas des délinquants non plus. Ce n'est pas parce
qu'on fait de la musique que l'on est des délinquants. Donc, il arrive
un moment où, avec l'âge aussi, tu réfléchis. Mais
tu te dis, je ne vais pas finir mort, ou je ne vais pas aller en prison pour
l'organisation d'une soirée. Donc, ça te fait
réfléchir encore plus. Tout doucement, en hiver il fait froid,
donc tu restes au chaud et tu organise moins de soirées. Tu le fais
l'été. Ça passe encore une année, puis une
deuxième année, puis une troisième année, et puis
tout d'un coup tu subi la première saisie. Et déjà,
là, ça te met un grand blanc dans le doute. Parce que tu rentres,
et au lien d'avoir dans le bâtiment que l'on a qui nous permet de stocker
le matériel... Tu reviens de ta soirée, il n'y a rien. Là
tu prends un tir, hein, c'est un coup de douze, c'est un coup de masse. Et
encore une fois, ça te fait réfléchir. Mais la passion
continue encore à évoluer et fait que l'on va se battre pour
re-récupérer notre matériel. La justice va nous demander
des choses, on va y répondre. A partir de là... Quand tu as
récupéré le son, t'es bien content de l'avoir
récupéré mais tu te dis : « Bon, on va rester
discrets pendant un temps. » Alors tu vas repartir que les quelques plans
en club que l'on a. Parce qu'on a que ça, malheureusement, et
heureusement. Et on va continuer à faire des teufs mais avec encore
moins de... On fera moins de teufs... Enfin, on organisera
moins de soirée. Par contre, on organisera de grosses soirées. Au
lieu de faire plein de petites soirées, on fera deux
événementielles, ou peut-être trois
événementielles. Par contre, ce sera des trucs où les gens
ils s'en rappelleront parce qu'on aura investit. Au lieu d'investir plein de
petits moyens, on investira de gros moyens parce qu'on aura une logistique
encore plus réfléchie qu'avant, parce qu'on aura des taches
particulières à chacun. Et donc demain, pour l'organisation du
Multi-sons, nous auront une réunion. Tout le crew est dans l'obligation
d'être présent de façon à ce qu'on mette toute les
choses au clair. Alors que quand on fait des soirées, on arrive des fois
on a du mal à faire réunir le groupe. Donc, rien que là,
parce qu'on passe à une étape supérieure, on sait que oui
on va s'amuser, mais que finalement on ne va pas s'amuser spécialement,
parce que l'on va avoir beaucoup à gérer et qu'on va avoir plus
à gérer qu'à s'amuser. Bon, on pourra mixer, ce qui va
nous permettre de nous lâcher pendant une heure et demie ou deux heures.
Ou au moins pendant une journée en mixant un peu à droite et
à gauche. Mais par contre, je pense que les gens s'en rappelleront, et
comme toutes les soirées que l'on a organisées ces derniers
temps... Au début c'était des petites soirées, et puis
finalement, de fil en aiguille on s'est retrouvés à faire de
grosses soirées en mettant des moyens de fous, en faisant venir des
graffeurs, en mettant à disposition des murs ou des planches pour qu'ils
graffent, un funambule, du spectacle, des cracheurs de feu, des jeux et
lumières que l'on a loués. Au lieu de louer deux stroboscopes qui
vont clignoter, on va louer des trucs colorés, des lumières
encore plus développées qui font que les gens ils arrivent, pah !
Ils en prennent plein les yeux. Mais par contre, ils en prennent plein les
oreilles, plein les yeux, mais celle-là, ils s'en rappellent. Donc, au
lieu d'en faire dix où tu ne t'en rappelles pas une, tu en fais une, et
ils s'en rappelleront.
Est-ce que tu as un boulot ?
Oui. Heureusement, parce que sinon... J'étais parti
pendant un temps, quand j'ai commencé à mixer. C'était un
grand dilemme avec les parents où - parce que j'étais
hébergé chez eux quand même - où je leur ai dit
voilà : « Moi la musique, j'en gagnerai ma vie. » Alors, je
faisais des autoproductions, comme on a tous fait. Tu avais des cassettes, tu
enregistrais, sur un minidisque moi à l'époque. Et puis ce
minidisque, il passait sur une chaine Hifi. La chaine Hifi enregistrait sur une
cassette. Et alors là, tu enregistrais des cassettes, des cassettes, des
cassettes... Pendant des journées complètes, t'enregistrais tes
cassettes. Et puis tu allais voir l'imprimeur avec ton ordinateur à
l'époque, et avec quelques bases avec Photoshop et encore... Tu faisais
tes petites jaquettes en essayant les effets divers de l'imagerie. Et puis,
Oh, ça pète, un peu de couleur, un peu un effet
négatif. Ouais. Allez, tu écrivais ton nom. Et puis tu allais
voir l'imprimeur. Et avec ton ciseau ou ton cutter chez toi, tu
découpais. Après voilà, être DJ et gagner de
l'argent, il faudrait s'appeler Carl Cox ou des noms comme ça.
Après, moi je ne fais pas non plus de la musique pour l'argent. Donc,
arrivé un moment, il a fallu faire un choix aussi. Voyant que ça
ne fait pas vivre, et que si il y a éventualité que l'on te donne
un cachet en soirée parce qu'on te fait jouer et que la soirée
est payante... Donc c'est un peu normal que si quelqu'un fait une soirée
payante, il se fait un peu d'argent sur ton dos, donc tu peux lui demander
quelque chose. Et prendre 80 euros pour une soirée, finalement c'est
rien. Les 80 euros, ou 500 francs peut-être à l'époque, tu
vas mettre 20 ou 30 euros de gazole dans ton véhicule pour y aller. Il
ne va plus te rester que 30 ou 40 euros. Tu vas boire deux ou trois coups, tu
vas t'amuser avec tes amis. Ben voilà, c'est fini. Je veux dire, tu as
acheté ton pack de bières ou ta bouteille de vin ou de vodka ou
de ce que tu veux. Ben ça y est, finalement, tu les as
dépensés. Donc non, je n'ai jamais fait ça pour l'argent.
Et finalement j'ai été obligé de continuer... Puisque
j'avais arrêté mes études. Et ben de me dire, il va falloir
que tu te trouves quelque chose à faire. Donc, oui, là je
travaille dans une société de communications, tout ce qui est
télécoms, donc tout ce qui est fibre optique, réseau
informatique et tout le tralala. Parce qu'il n'y a que ça qui me permet,
au jour d'aujourd'hui, de faire vivre mon foyer, ou d'essayer en tous cas. Et
puis les soirées, si tu peux te faire toujours un petit cachet, ben
c'est un petit plus, ça fait toujours plaisir. Mais bon, comme j'ai dit,
je ne fais pas ça pour l'argent. Je ne fais pas ça pour
l'argent.
Est-ce que c'est le boulot qui te permet d'aller en
teuf ou la teuf qui te permet de t'évader du boulot ?
C'est plutôt la teuf qui te permet de t'évader du
boulot. Après, le boulot te permet d'aller en teuf aussi parce que c'est
un cercle vicieux. Parce que sans argent... Malheureusement, on vit dans une
société où l'argent est omniprésent et quand tu es
dans le besoin tu ne peux pas aller... Tu es obligé de... Si tu veux
faire rouler un véhicule pour aller t'amuser, ne plus penser à
ton boulot, tu es quand même obligé d'avoir un peu d'argent
derrière. Cet argent, il faut bien qu'il arrive de quelque part. Donc,
du boulot. Si t'es réglo, c'est du boulot.
Est-ce que tu es plutôt teuf ou teknival
?
Ah, je suis plutôt teuf. Teknival, ça ne rime
à rien. C'est... Il y a trop de gens qui n'ont rien à foutre
là, encore une fois de plus. Et dans ces gens là, c'est eux qu'on
retient le plus. Ceux qui
n'ont aucun respect. Ils n'ont même plus de respect...
Ils en arrivent à ne même plus avoir de respect pour les Sound
Systems. Et même si en teuf on arrive à avoir aussi ce genre de
mentalité. Des gens qui... Tu leur demandes une donation, parce que
c'est free party, toi tu prends des risques, il y a des choses que tu mets en
oeuvre. Donc, tu demandes juste à récupérer la location du
groupe électrogène, du gazole aussi. Au moins pour
récupérer, encore une fois, tu ne fais pas ça pour
l'argent. Et quand on voit des crevards à la donation qui sont cinq dans
une voiture et qui ont du mal à te donner 15 centimes pour 5 personnes,
pour une voiture. Ça fait mal parce que tu te dis que tu t'investis pour
des gens qui n'en valent pas la peine. Et eux, en réponse, ils te disent
qu'ils s'en foutent de ta soirée, qu'ils sont juste là pour venir
chercher leur défonce et puis se casser. Donc finalement, quand tu as
ça en face de toi, je te jure que tu as envie de les tarter. Parce
qu'ils n'ont pas l'esprit ou parce que personne ne leur a expliqué, leur
a montré ce que c'était la teuf. Et sans dire qu'il faut donner
20 euros à la donation non plus. Mais un peu de respect pour les gens
qui se cassent le cul à faire que les gens viennent s'amuser.
Quel est ton rôle dans le Sound System
?
Moi je suis... Je fais un peu tout. La logistique au niveau
des camions, la location parce que j'ai des contacts, ce qui me permet de faire
des locations surtout pour des groupes électrogènes. Parce que
c'est pareil, autrefois, on travaillait avec des groupes
électrogènes de 2 kilos, ça allait très bien.
Maintenant, on en est rendu à des groupes de 60 kilos, donc au niveau
logistique, il faut des camions pour les transporter, il faut des permis
spéciaux pour les transporter. Il faut un permis poids lourds, parce que
ton véhicule pèse plus de 3,5 tonnes. Et toute charge
supérieure à 750 kilos est soumise à un permis E. Donc
ça, c'est moi qui m'en occupe. Je suis électricien, étant
donné que je travaille un peu dans les télécoms où
on travaille beaucoup l'électricité. Donc je fais
l'électricien, et l'éclairagiste aussi. Et puis après,
comme on est un groupe, c'est aider... Tu décharges, tu montes, tu
donnes ton avis pour la disposition du matos. Chacun y met du sien, on est un
groupe, on est uni. C'est ce qui a toujours fait notre force. On a toujours
été unis, on n'a jamais voulu faire rentrer d'autres personnes
dans le groupe. Alors on peut nous dire... On peut penser ce qu'on veut de
nous. On est un groupe très fermé, mais à la base on est
une bande d'amis. Et après, on a des gens autour de nous qui gravitent,
d'autres gens que l'on connait. Mais le groupe en lui-même n'a jamais
évolué. Et ce qui fait que peut-être, au jour
d'aujourd'hui, on en est encore là, parce qu'on reste des amis avant
tout qui avaient une passion c'était la musique. La musique nous a fait
nous rencontrer et a fait que l'on a pu donner ce qu'on donne au jour
d'aujourd'hui, toutes
ces soirées qui ont été organisées
à l'époque.
Est-ce que tu te sens utile à ton groupe et au
reste de la communauté ?
Oui, comme tous. Chacun apporte du sien. Chacun apporte sa
pierre à l'édifice. Quand il y en manque un, on s'en rend compte,
parce qu'il y a des choses, des idées... Il a quelque chose qui fera
qu'il manquera quelque chose. Pas forcément la personne, mais d'autres
idées. Mais même la main-d'oeuvre à un moment donné
aussi. Parce que tu as l'utilité d'une personne, autant pour donner le
coup de main pour l'animation, autant pour la sécurité,
surveiller un peu aussi de temps en temps. Parce que ce n'est pas que, mais on
surveille quand même un peu ce qu'il se passe. Surveiller le son, parce
que tu vas avoir des DJ qui ne font pas partie du crew, qui ne connaissent pas
notre système. Tout le monde mixe à sa sauce, et donc quelqu'un
qui ne respecte pas les règles sur une table de mixage. Quand on lui dit
c'est le rouge, ben c'est le rouge. Et quand nous on règle le
matériel pour que le rouge ce soit critique, et que eux ils continuent
sur le rouge parce qu'ils n'ont rien compris sur la gestion du son. Donc si tu
as quelqu'un qui arrive et qui se croit chez lui et qu'il mixe tout à
fond, ce n'est pas 1 kilo qui va casser mais c'est 20 kilos. La
sécurité des filles pour le bar aussi, parce qu'il y a toujours
des bolosses, c'est des boulets qui sont toujours là à leur
prendre la gueule. Alors, c'est vrai que l'on met plus facilement les filles au
bar, c'est commercial. Donc, sans être là, on est toujours
là à surveiller. Et puis gérer
l'électricité. Quand on a une panne électrique, il faut
intervenir très rapidement. Il faut être réactif. Si tu
n'es pas réactif, ça va t'amener où ? Tu risques de
provoquer un échec de ta soirée. Les gens, ils vont repartir de
ta soirée très déçus parce que tu n'aura rien qui a
fonctionné. Donc là, on est là. Donc, tout le monde a son
édifice. Donc quand il manque quelqu'un, on peut le ressentir aussi.
Donc, j'ai mon utilité dans le groupe partout, dans toute action, dans
les choix que l'on fait, tout ce qui est organisation, on donne nos avis,
qu'est-ce qu'on en pense, ce qui ne va pas, ou ce qui pourrait ne pas aller,
qu'est-ce qui pourrait aller. Voilà, à partir de là, on
fait des synthèses. C'est là que servent les réunions
aussi. On arrive à faire, de temps en temps entre nous, quand on fait
des événements, pour faire aussi que l'on ne soit pas surpris.
C'est du carré. On arrive, en fait on a plus de surprises à se
dire : « Tiens, il nous manque ça. ». Ou au dernier moment :
« Oh, putain, tu as oublié ça ! ». Obligé de
courir partout, d'appeler les potes pour demander d'ils peuvent nous
dépanner ça, ça ou ça. Nous habituellement, on
arrive et tout est carré en fait. C'est comme ça. C'est une
petite entreprise en fait. On t'envoie sur un chantier, tu sais ce que tu as
à faire, nous c'est pareil. On sait que quand on y va, il faut faire
ça. On va se poser là, on va décharger, on va monter,
mettre les palettes, monter, sangler. Alors il y en a... Par exemple,
moi je m'occupe souvent des lumières. Parce que je fais
l'électricité et les lumières ça va souvent avec
l'électricité. Donc qui dit les lumières, c'est installer
le pont qui va nous permettre d'installer les lumières à 4 ou 5
mètres de haut. Donc, ça, c'est la mise en place. C'est
très lourd. Et puis, il faut le disposer, le monter, assembler entre
elles les barres, sécuriser, mettre les barres sur le portique,
installer les lights... En plus, tu travailles au sol. Donc il faut que tu ais
une vue d'ensemble de plus tard. Et donc là, tu fais tous tes
câblages électriques. Et une fois que le pont est en haut, si
ça ne te plait pas, tu ne vas pas redescendre le pont ou...
éventuellement peut-être, mais une fois qu'il est monté, il
est monté habituellement. Donc, tu n'y touches plus. Et puis d'autres,
ils vont installer les enceintes. D'autres ils vont sangler parce qu'ils sont
chauffeurs poids lourd donc les sangles ça ne leur fait pas peur, parce
que c'est un peu lourd aussi. Donc, ils vont sangler les enceintes entre elles
pour ne pas que ça bouge ou pour ne pas que quelqu'un prenne une
enceinte sur la tête. Et d'autres qui vont monter la tente que l'on a
pour le bar ou pour mettre les platines dessous. L'autre, il va monter les
platines, l'autre il va faire les branchements du son. Moi je vais faire les
branchements électriques. Tout le monde... C'est très
carré en fait. C'est comme une fourmilière. Chacun sa place, ce
qui fait que ça avance tout seul. Personne ne vient te dire : «
Qu'est-ce que je fais ? Qu'est-ce que je fais ? ». Tout le monde sait ce
qu'il a à faire, tout simplement. Ça fait longtemps que l'on fait
ça ensemble aussi. C'est très solidaire, ce qui fait que
maintenant on n'a plus de surprises. On sait que si on dit demain on
organise... Ok. On n'a pas besoin de dire : « Toi, tu vas t'occuper de
ça. Toi, de ça. ». Tout le monde arrive, instinctivement,
chacun a sa place. Et même si, il fait un truc et il fini avant tout le
monde, il va aller voir son collègue d'à coté lui demander
s'il a besoin d'un coup de main. Ou il va avoir des câbles à
dérouler ou à mettre sous terre pour éviter que les gens
ne s'entravent dedans. Ou faire de la déco, tout simplement. On a
très peu de déco, mais bon, on en a un petit peu. Accrocher une
tenture, mettre un drapeau, installer un filet de camouflage, mettre une
guirlande électrique, mettre de la lumière au bar... Il a
toujours une tache en fait. Il y a toujours quelque chose à faire et
chacun est autonome dans ses démarches.
Quelle est l'importance de la musique au moment de la
teuf ?
Ah, énorme. Elle est énorme parce que c'est elle
qui fera la finalité de ta soirée et l'ambiance aussi que tu vas
apporter. Et il est vrai que... Enfin, je ne sais pas... Le fait d'être
acteur, tu ne t'en rends pas compte quand tu es spect-acteur, de ce qui se
passe. Mais apparemment, toutes les soirées que l'on a
organisées, les gens ont toujours été très
satisfaits des prestations qu'on leur propose. Parce qu'on y met beaucoup de
moyens et en plus au niveau de la musique, on
est très éclectiques dans les styles de musiques
que l'on a et donc dans les évolutions sonores que l'on a. On ne
commence pas hardcore, on ne finit pas hardcore. On peut
commencer break-beat, passer à de la techno, passer à de
la hard-techno, à de la hardtek, hardcore
pour redescendre sur des musiques de drum&bass* ou... Donc la
musique a une importance, c'est elle je pense qui fera que les gens se
rappelleront de la soirée.
Toi, quel style tu préfères ?
Moi, ça fait des années que... Comme je te
disais, j'ai commencé acid-trance, acid-tek. Ensuite,
un problème auquel j'ai été confronté pour
l'acid-tek, on m'a volé un sac une fois, donc il me manque
beaucoup de disques. Et pour retrouver ces disques, c'est très
compliqué. Et en plus, c'était une période où
l'acid se faisait de moins en moins et où la hardtek
était omniprésente. Et comme j'avais déjà un set
hardtek, mais que l'on m'a volé aussi dans l'histoire, parce
que le mec il s'est barré avec mon sac à skeuds, il
s'est barré avec une centaine de disques. Donc, j'ai eu du mal à
m'en remettre aussi, parce que tu ne repars pas loin d'à zéro
aussi. J'ai failli tout arrêter, dans le dégout de voir des
crevards faire ça. En plus, c'était en back-stage, donc
c'est des gens qui avaient accès derrière qui ont volé le
sac. Et puis non, j'ai continué, et je suis resté hardtek. J'ai
évolué hardtek. Même si j'ai des styles qui me plairaient
bien à jouer de temps en temps, mais je continue hardtek. Et je
pense que je suis devenu... Je me fais énormément plaisir avec la
hardtek, j'ai une liberté d'expression avec et je reste
purement hardtek, c'est mon petit truc à moi ça, c'est
mon dada.
Dans quel état ça te met la musique
?
En transe. Quand elle est bonne, elle te met en transe. Et tu
n'as besoin de rien d'autre pour te mettre en transe. Quand tu as les poils de
la dorsale qui s'hérissent ou que tu as les poils du bras qui se mettent
tous droits parce que tu as un son, une mélodie qui te plait. Pouah, il
n'y a rien à... C'est indescriptible, la musique. Et pas danser des
heures, pas devant un mur de son, parce que je n'ai jamais trop dansé.
Enfin, pas des heures, danser devant un DJ ouais pourquoi pas, ou un live, mais
pas toute une nuit, ça c'est sûr. Voilà, ça fait que
pour moi, la musique, il n'y a rien de mieux. Je n'écoute que...
énormément de musiques électroniques. Ça, ça
n'a pas trop changé depuis ma tendre enfance. C'est ma drogue pour moi.
C'est mon carburant. J'avance à ça. Dans tous les
véhicules, c'est toujours de la teck, de la musique
électronique. Dans le camion de ma boîte, c'est teck.
Partout, partout, partout j'écoute de la teck. Pendant les
vendanges, tu travailles avec ton téléphone, tu enregistres un
set, t'écoutes ta teck ! Voilà,
pour moi, il n'y a que ça. Quand tu écoutes la
daube commerciale qu'il a à la radio... Bon, par contre, j'ai
été très longtemps fermé sur les autres styles de
musiques. C'est marrant parce qu'en fait en même temps aussi
c'était, si je peux comparer la techno et le rock par exemple, ou le
hard-rock peu importe, j'allais sur un concert, une soirée où tu
balances du rock, tu vas avoir 1000 watts de musique rock. Et ben, rien que
1000 watts, ça me cassait les oreilles, mais c'est horrible, horrible,
tellement dans les aigus. Et la musique électronique, 1000 watts, t'es
là, pfff. Et tu peux en avoir 10 000 watts, 20 000 watts, 50 000 watts,
ah ben non, ça te... Ce n'est pas pareil. Et je suis encore
focalisé sur ce truc. Si je ne m'abuse, le seul concert que j'ai fait,
c'est Reggae Sun Ska, et encore j'étais invité et je suis
très vite ressorti sur le parking. Et si, le seul concert que j'ai fait,
depuis tout ça, c'était Groundation, c'était du
dub. Et c'était le seul concert de musique que j'ai fait de ma
vie, et c'est où encore c'est arrivé à passer parce que
encore il y a des instruments électroniques et tout le tralala. J'aime
bien, par contre, découvrir. Quelqu'un qui me dit écoutes
ça. Je vais écouter, sans problèmes. Et j'en fais ma
critique moi-même. Alors, je n'écoute pas tout seul, parce que je
n'ai pas forcément de connaissances musicales. Mais, par contre, si on
me fait découvrir, il n'y a pas de soucis. Au contraire, j'aime bien
découvrir, et voir... Après, je peux en faire ma critique aussi.
Ou prendre des idées, des sonorités, des ambiances, des
atmosphères. Et faire avancer encore dans l'état d'esprit du mix
de la musique que je diffuse. Ou dans la façon de mixer. Parce que c'est
bien de mixer, mais tu as quand même ton coeur qui parle, tu racontes
quelque chose, tu as une histoire, quelque chose. Et ça, le fait des
fois d'écouter d'autres types de musique, ça te permet d'ouvrir
une autre case dans ton esprit et d'aller chercher... Donc, tu as
écouté ça, ça t'as donné ça comme
idée. Et après, quand je mixe moi, je travaille beaucoup chez
moi, peut être que je vais être tenté de tracer des
délires comme j'ai écouté. Et voilà.
Est-ce que la transe en teuf, tu penses que ce n'est
que la musique ou il y a aussi le contexte ?
Non, la musique toute seule. Parce que je peux être
derrière, chez moi ou derrière mon poste de radio du
véhicule personnel ou de mon entreprise, mettre mon truc, et pfiou.
Voilà, comme je te disais, tu vas avoir les poils qui se dressent. Tu as
quelque chose qui... C'est électrique ! Et la teuf, encore plus. Il est
vrai qu'autrefois, je m'en rappellerai toujours, maintenant j'ai muri donc
c'est vrai que... Mais tu avais un fly au début, tu ne savais
pas où tu allais. Tu attendais 11 heures ou minuit. Tu appelais le 3672
à l'époque. C'était là : « Donc ouais, pour
venir à la teuf confirmée, faut prendre la... ». Et
là, t'avais le coeur qui s'emballait, t'avais l'adrénaline au
taquet. Avec les potes : « Allez, allez, allez, on y va ! ».
T'étais sur la route, tu
mettais ton CD ou ta cassette à fond que tu connaissais
par coeur et t'arrivais, ouais ! Alors encore plus, ça amplifie. Moins
maintenant, mais le délire il est toujours là parce qu'en fait
finalement, le contexte de l'esprit de la teuf c'est toujours
intéressant parce qu'en plus tu sais que tu vas retrouver les gens que
tu apprécie. Après, il y a les gens aussi avec qui tu es ami ou
copain, enfin, copain surtout, que tu ne croises qu'en teuf. Et tu n'as pas le
numéro. Ou éventuellement tu as le numéro pour où
tu vas le soir, mais dans la vie courante, tu ne te vois pas. Parce que chacun
a sa vie, chacun a ses connaissances et puis voilà. Et par contre, tu te
vois en teuf et tu es content de passer un bon moment en teuf ensemble.
Est-ce que tu prends ou est-ce que tu as eu pris certains
produits ?
Heu... Oui, comme un peu tout le monde, malheureusement. Mais
au fur et à mesure des années, tu te... Déjà,
c'était très gentil par rapport à ce qui se passe
aujourd'hui. C'est peut être aussi un problème de ce
phénomène, où l'on est accablé à cause des
drogues qui tournent, et facilement. Il y avait des drogues, aussi,
peut-être plus propres à l'époque, donc il y avait besoin
de moins en prendre pour faire quelque chose. Donc, oui, oui. Et puis, encore
une fois, avec l'âge... Quand on dit que l'âge ça t'assagit,
oui c'est vrai. Et donc finalement, maintenant... Déjà, je
n'avais pas besoin de... Je n'allais pas en teuf pour forcément trouver
quelque chose. Et puis, des fois, si on prenait un truc avec les copains, ou
des copines et qu'on passait un très bon moment ensemble. Et on pouvait
passer de très bons moments ensemble sans forcément prendre quoi
que ce soit. La drogue a toujours été là. Mais finalement,
on se drogue tous les jours aussi. On fume : on se drogue. On boit : on se
drogue. Voilà. Et on met le nez dehors, ce n'est pas comparable, mais
bon, c'est un peu... Ah, non, ce n'est pas bien ce que je voulais dire.
Où est-ce que tu te trouves le plus souvent quand
tu es en teuf ?
Souvent derrière parce que... Mais j'aime bien
être devant de temps en temps mais pas la tête dans les caissons
non plus. Je tiens à mes oreilles. Je m'en mets déjà assez
dans les oreilles en mixant. Je me rends compte que j'ai quand même un
certain niveau de surdité et je sais pourquoi. Je ne suis pas dupe.
Parce que quand on se met... Le fait de travailler avec de grosses
façades devant, avec de grosses puissances sonores, on ne s'en rend pas
compte, mais nous aussi derrière, on a de très grosses
puissances. Et quand on réalise ce que l'on a devant nous... Alors, sur
le coup on ne réalise pas parce qu'on a besoin d'entendre. Mais quand
pour mixer tu as 4000 watts ou 5000 watts ou 6000 watts, c'est énorme
déjà. Et pour toi tout seul !
T'es le seul public, tu as 6 kilos pour toi. Mais bon, devant,
tu as une façade de 50 kilos, 60 kilos ou 80 kilos. Donc au pire, on a
eu 10 kilos avec une façade de 85 kilos. Mais 10 kilos, quand ça
tape, ça tape aussi. Et bon, les oreilles quand tu ressors de ton mix...
De toutes façons, après un mix, ce n'est même pas la peine
de venir me causer, j'ai le cerveau, tu le prends, tu fais une éponge.
C'est sûr, il faut au moins me laisser une bonne heure avant que je m'en
remette.
Quelle est la place de la création, pour toi, dans
la hardtek ?
La base de la création, c'est la fusion des sons. Je ne
sais pas, moi après, j'ai de la création parce que c'est mon
coeur qui fait la création, tout simplement. Et le fait de travailler,
je n'ai pas trop de surprises non plus. Même si des fois, il m'est
arrivé de faire de l'impro, de la très bonne impro. Mais
même en faisant cette impro, il y a quand même quelque chose, une
connaissance des disques finalement. Et je ne sais pas, c'est le
feeling tout simplement. Je ne sais pas. Apparemment, il y a des gens
qui kiffent vraiment ce que je fais. Mais pour moi, j'essaie de me
faire plaisir, et je sais qu'en me faisant plaisir, je pense que je fais
plaisir au gens. Et finalement, c'est ce que les gens me redisent par
derrière. Donc, c'est une symbiose qu'il y a peut être entre moi,
mes années d'expérience mine de rien, la connaissance et la
pratique. Avant, je ne sais pas, tu étais content de caler un disque. Et
maintenant, caler un disque, en 10 secondes top chrono, ton disque il est
déjà calé. Bon, ça c'est l'expérience aussi.
C'est comme si tu donnes une batterie à quelqu'un qui n'en a jamais
fait, il n'y arrivera pas, on en reparle dans 10 ans. Donc forcément,
avec cette aisance que tu as derrière, ça te permet d'ouvrir
encore plus de portes, de portes, et de portes. Donc voilà. Et je
travaille aussi beaucoup, hein. Et puis je m'écoute. Le fait de
s'écouter, ça te permet aussi de te faire évoluer. Et
puis, dans la finalité, je ne suis jamais content de moi. C'est rare que
je sois content de moi. C'est très rare. Il y a toujours quelque chose
qui ne va pas. Mais parce qu'on ne peut pas se satisfaire soi-même. Il
faut toujours avoir un côté perfectionniste. Sinon, c'est que tu
es trop sûr de toi, et ça, ce n'est pas bon. On ne peut pas
être sur de soi.
Est-ce qu'il y a beaucoup de teufeuses ?
De plus en plus. C'est bien aussi parce qu'avant
c'était un milieu assez fermé aux mecs ou aux couples. Et de plus
en plus on voit des personnes féminines venir amener leur touche aussi
de gaieté et c'est plaisant aussi. Hein, ce n'est pas que je sois macho.
Mais au moins on voit que le milieu s'ouvre. Enfin, il s'est ouvert de toute
façon. Et puis chacun, encore une
fois de plus... Tu communiques, tu enrichis les gens, des gens
viennent d'autres horizons, d'autres régions, et puis ainsi de suite, tu
communiques, tu partages ton savoir, et les gens partagent leur savoir avec
toi. Je trouve ça... Oui, oui, de plus en plus. Et puis la musique, les
styles de musiques surtout amènent des gens différents, des
personnes différentes. Et dans la trance,
énormément, ce qui est marrant, les filles ont plus la
facilité d'y aller. Et peut être parce qu'elles sont plus à
l'aise dans ce milieu, parce que tu t'habilles en sarouel, en trucs
éclectiques, excentriques que tu ne vas pas forcément voir en
milieu hardtek ou hardcore. Parce que tout le monde risque de
te regarder ou c'est tous la moitié des célibataires endurcis,
c'est bon, ils voient une fille, ils sont là : « Rrrrr », ils
font les bolosses. Alors que dans les trance, non, finalement les gens
ils s'en foutent, ils viennent là pour la musique. Un peu chaque musique
amène ses people différents. Par contre, c'est clair que les
filles sont de plus en plus présentes dans le milieu. Mais même
pour mixer, tout simplement. Ce n'est pas qu'un milieu d'hommes. Je veux dire,
tout le monde est capable d'y arriver, c'est un instrument de musique. Et en
plus elles ont leur touche à elles. Elles ne sont pas nombreuses,
certes, mais elles ont leur touche. Donc, c'est toujours marrant, c'est
toujours intéressant.
C'est quoi leur touche ?
C'est la technique. Elles n'ont pas du tout les mêmes
techniques que nous. C'est plus fin, plus dans la finesse. En fait vous
êtes, mais comme dans beaucoup de choses... L'homme il est plus... pas
bourrin, mais bon, PAM ! L'impact. La fille c'est plus discret, et pam !
Ça arrive ni vu ni connu et c'est présent. C'est toujours
intéressant. Il y a de très bonnes DJettes.
Est-ce qu'elles ont le même état d'esprit
?
Ben oui, parce que l'esprit c'est toujours le même, il est
universel, c'est la fête. Est-ce qu'elles prennent autant de
produits ?
Alors là, bonne question. Sûrement parce qu'elles
sont à part égale. Elles ont voulu la parité, elles sont
égales. Et oui, donc oui. Pour moi, il n'y a pas photo. Voire plus,
aussi des fois, tu en trouves, elles sont bien arrachées. Donc au niveau
des produits, comme de l'alcool... Mais bon, ça c'est partout. Elles
pourraient être chez elles et se défoncer la gueule à
l'alcool, se bourrer la gueule. Et voilà, c'est pareil en teuf. Mais
après, moi, je ne focalise pas ma penser sur les teufs = drogues. Donc
après, les gens ils font ce qu'ils veulent. S'ils ont envie de prendre
de tout... Et les jeunes d'aujourd'hui... Enfin, moi, à l'époque,
on se défonçait
beaucoup moins, ça c'est sûr. Et même quand
tu prends des trucs, quand tu prends de l'âge et que tu continues
à évoluer dans ce milieu parce que ça t'apportes quelque
chose, tu te calmes. Et puis il y a beaucoup de personnes que je connais depuis
longue date qui à force se sont calmés aussi de fil en aiguilles.
Parce que finalement tu as autre chose à penser aussi. Et que finalement
tu peux passer de très bonnes soirées aussi sans te dire que tu
as besoin de te défoncer la gueule, avec des stupéfiants en tous
cas. Tu peux passer de très bons moments riens qu'en buvant une
bière et en discutant comme on est en train de faire ce soir.
Est-ce que pour toi, elles respectent les codes de la
féminité ?
Ah ben il y en a... Oui, elles sont toujours aussi
féminines qu'elles sont féminines dans la vie. Par contre, il y
en a, voilà, non, parce qu'elles s'arrachent la gueule. Et le
problème c'est que... Il est là le problème
féminin, c'est que tu as des... Tu as des risques, tu as un risque
minime mais qui est quand même présent, on l'a déjà
vu. Et une femme est plus fragile par rapport à un homme. Je n'ai jamais
entendu qu'une femme avait violé un homme en fait. Par contre, des mecs
violer des gonzesses oui. C'est encore arrivé il n'y a pas très
longtemps, par des mauvaises personnes qui n'ont rien à foutre
là. Et ils sont deux ou trois à avoir violé une nana.
Après, qu'est-ce qui s'est passé ? On ne le sait pas. Dans quel
état était la nana ? Est-ce qu'elle les a allumés ou pas ?
Ou est-ce qu'elle était alcoolisée et qu'ils sont arrivés
à l'embrouiller, ils l'on embarquée dans un coin, et puis ils
l'ont violée ? Je ne sais pas. Une femme doit toujours faire attention.
Mais une femme doit toujours faire attention aussi dans la vie de tous les
jours. Tu vas dans un parking sous-terrain si tu as garée ta bagnole, tu
n'es pas à l'abri de tomber sur un pervers ou une connerie comme
ça. Ben c'est pareil en teuf. En plus, nous on a eu un teknival que l'on
a fait, et là voilà, un teknival c'est vraiment là
où il faut faire très attention à ne pas venir trop tout
seul. Et on a eu quand même une femme... une fille de 21 ou 22 ans ou 19
ans je ne sais plus... 19 je crois qui s'est fait violer et que l'on a
retrouvé morte le dimanche matin avec 22 coups de couteau. Et tout
ça... Un mec qui s'est retrouvé là et qui n'avait rien
à foutre là. Et qu'est-ce qui s'est passé dans la
soirée, on ne le saura pas. Enfin, on n'a pas assisté au tribunal
pour le savoir. Mais en tout cas, le résultat il est là, autant
pour la famille que pour les amis parce que ça peut être
douloureux. Donc voilà, il faut faire attention. Mais bon, que tu ailles
dans un festival, dans un concert, c'est pareil.
Toi, est-ce que tu es déjà sorti avec des
teufeuses ?
[Silence ; sa femme est dans la pièce juste à
côté]. Pfff, ouais non. Enfin oui, si ma femme
d'aujourd'hui elle est un peu teufeuse, un peu. Enfin, vite
fait quoi. Mais bon, ce n'est pas... Ouais, c'est une teufeuse du dimanche.
Après, je n'ai pas eu 50 000 relations dans ma vie, donc comme
ça, ça a été très rapide. Et la
première elle disait qu'elle écoutait du son mais bon, ça
se voyait qu'elle n'en écoutait pas tant que ça. Et puis elle,
elle a faillit me faire arrêter de mixer quand même. Et puis
après quand j'ai rencontré ma femme, elle écoutait de la
teck, elle avait déjà ses amis qui écoutaient de
la teck mais bon, elle n'était pas... On ne s'est pas
spécialement rencontrés par la teuf. On s'est rencontré
par l'intermédiaire d'un groupe d'amis. Après, oui, elle
écoute de la techno, mais ce n'est pas elle qui est tout le temps en
teuf avec moi. Moi, j'y allais tout seul, ou avec mes potes ou avec d'autres
gens, mais j'y vais rarement avec elle, ça c'est sûr. En plus le
problème c'est que... le fait d'être ancien sur la scène,
je connais beaucoup, beaucoup de gens, finalement. Et puis tu as beaucoup de
gens qui discutent et j'aime bien parler, je parle beaucoup. Donc je suis
toujours à droite à gauche pour discuter. Donc si j'amène
des personnes, on risque de me critiquer parce que je ne suis jamais avec eux.
Donc faire chacun son truc tout seul c'est intéressant aussi. Et puis,
tu te retrouves le lendemain matin.
Est-ce qu'il y a beaucoup de teufeurs noirs, arabes ou
asiatiques ?
Heu... Peut-être dans les autres pays, oui, surement.
Après, c'est ouvert à tout le monde, sauf qu'il faut qu'ils
amènent la bonne attitude, la good vibe. Je ne fais pas de
racisme ou quoi mais j'ai vu trop de choses où... Trop de choses par des
gens de couleur différente. Techno Parade 98, ce n'est pas des
français qui se sont foutus sur la gueule. C'est des cité de
rebeus et quand je te dis... C'était une baston, mais putain, je n'avais
jamais vu ça. Mais the baston, la baston
générale. Et c'était des rebeus contre des blacks. Et
comme l'histoire du viol de la fille il n'y a pas très longtemps,
c'était au mois de décembre, c'était trois blacks.
Voilà, après, ça peut être des français
aussi, des blancs, il n'y a pas de... Tu vas aller dans d'autres pays, ils
écoutent aussi de la teck et donc, toi tu arrives, et tu es un
blanc pour eux. Donc, non, il n'y a pas de... Il y a de tout. Maintenant, il
faut qu'ils aient la bonne vibe et que malheureusement, la plupart du
temps, ils sont rares à avoir la bonne vibe. Ils sont plus
là à vouloir casser, violer ou taper des gens, à tirer
profit du truc. Quand tu vois les cités qui descendent, ils sont
là pour faire leur business, entre nous. Pour eux c'est business, ils
n'en n'ont rien à foutre du reste.
De quel milieu social tu viens ?
Heu... Comme tout le monde. J'ai des parents... Mon père
travaillait, ma mère était mère au
foyer, mon père commercial. Et puis il a repris
l'entreprise, donc gérant d'entreprise. Voilà, après,
c'est tout. Comme tout le monde. Je n'ai pas de milieu social. La plus basse.
Enfin, la plus basse... ouvrière.
Qu'est-ce que tu penses de la culture de masse
?
Question piège... Qu'est-ce que tu appelles la culture de
masse ? Ce qui passe à la télé, à la
radio...
Ah, oula ! Oula ! No comment. C'est de la lobotomisation,
c'est de la désinformation. Musicalement, c'est de la merde à la
radio ce qu'on écoute. Enfin, c'est de la merde... pas tout,
heureusement, mais beaucoup trop. Entre Fun radio, Skyrock et tout ça,
NRJ, il n'y en a pas une pour rattraper l'autre. Ils te lobotomisent à
longueur de journée la même chose, histoire de bien t'imprimer le
crane : « Achète mon morceau ! Achète mon album ! Vas en
boîte ! ». Voilà, c'est... Alors, je regarde les informations
histoire de ne pas être trop con, histoire qu'on ne ma parles pas d'un
truc le lendemain et que je fasse : « Heu... Ah. Ah ouais, d'accord.
». Donc j'essaie un peu de regarder, mais ça me gonfle un peu.
Parce que c'est n'importe quoi. Le gouvernement c'est des crétins, les
politiciens c'est des crétins, les médias sont des
crétins... et certains artistes sont des crétins. Enfin, c'est
des crétins... ce n'est pas le bon terme que j'utilise, mais bon. Donc
finalement, je reste dans ma bulle et c'est aussi bien comme ça.
Donc pour toi, la teuf et la hardtek, elles sont en
dehors de ça ?
Ah oui, oui, oui. Ah oui, ça c'est sur. Après,
on peut avoir les gens d'en-face qui disent exactement la même chose de
nous... Que nous on est perchés, on est sur une autre planète et
tout le tralala, parce que ça n'avance pas.
Est-ce qu'elles sont en opposition alors ?
Comme tout mouvement de musique en fait. Comme le rock'n'roll
à l'époque. Le rock est arrivé il y a quelques
années, dans les années 60 ou 70... C'était : «
Oulalala, c'est quoi cette musique de tarés, c'est quoi ce machin ?
». Elle a mis beaucoup de temps à se mettre en place. Elle a mis
presque 20 ans. La techno c'est pareil. Elle a fait peur. Et elle continue
à faire peur. Mais on est là, encore une fois de plus, pour leur
montrer qu'il ne faut pas s'arrêter à des préjugés.
Et qu'on se bat encore et encore. Et que certains ont encore la force de
vouloir
continuer à faire avancer ce mouvement et de montrer
que non, on n'est pas des anarchistes, on a des vies, on travaille, on paie nos
impôts, qu'on n'est pas des trafiquants ou que l'on vit du
système.
Est-ce que pour toi, cette opposition ou cette
illégitimité, fait partie de ce qui t'attire dans l'univers de la
teuf ?
Ah oui, puisque que c'est un état libre. On ne va pas
parler de politique en teuf, ça c'est sûr. Ou de ce que tu as
voté, que t'as voté Le Pen ou que t'as voté Sarkozy. Non,
on est là pour faire la fête sans se prendre la tête.
Voilà, c'est la fête.
Quel est ton rapport avec la police ?
Ecoutes, comme tout le monde. Ils nous font chier. S'ils
peuvent nous emmerder, ils nous emmerdent. Maintenant, on n'est pas des
anarchistes donc on sait fermer notre gueule quand il y en a besoin. Quand on
peut l'ouvrir on en profite. Mais on reste toujours... Ils auront toujours le
dernier mot, ils seront plus forts que toi. Donc ce n'est pas la peine de
vouloir faire ton petit rebelle ou faire ton... Parce que tu vas te prendre un
coup de matraque et puis voilà. Donc ça ne sert à rien.
Ça ne sert à rien de faire : « Moi je, moi je, moi je »
parce que tu vas te faire défoncer. Disons, que c'est eux, c'est
toujours la justice qui a toujours raison. Elle est toujours maître. Il y
a une devise sur la justice, je ne sais plus ce que l'on dit mais, c'est elle
quand même qui aura toujours raison. Donc, finalement, comme tout le
monde, on est obligés de faire avec. Et puis, en même temps, au
début on peut peut-être leur faire peur, mais en communiquant avec
eux, ils nous comprennent plus, comme on pourrait communiquer avec des gens qui
ont peur de notre mouvement à qui on montre qu'on n'est pas non plus des
arrachés comme ils pourraient le croire en arrivant sur le site. Et que
l'on reste... Qu'on est capables de pouvoir discuter, de tenir des discussions
qui tiennent la route. Donc les gendarmes on les respecte aussi, c'est des
humains aussi à la base. On n'est pas là, à les insulter.
Ça aussi, quand on organise des trucs, ça me gonfle de voir des
crétins... Comme quand la dernière fois où on s'est fait
saisir, où dans l'espace de 5 minutes, tu ne fais pas gaffe, et tu te
retrouves avec les bolosses qui sont là pour... Qui vont les insulter,
qui vont s'assoir sur leur capot de voiture, qui vont leur arracher leur
gyrophare, qui vont leur voler leur ordinateur de bord. Tu vois, c'est bon. Ah,
tu ne fais pas ça quand tu es tout seul contre eux, hein ! Remarque,
ça arrive aussi dans les faits divers. Mais bon,
généralement, le gars il s'est fait calmer quand même. De
toute façon, ils ont la justice avec eux. Donc, à moins que tu
sois vraiment, que tu n'ais rien dans ta tête... Tu
réfléchis. Donc, non, non, on les respecte. Et de toute
façon, c'est en les respectant qui te respecteront un minimum. Si tu ne
les respecte pas, ils ne te respecteront pas. Et c'est un peu normal.
Donc tu n'apprécies pas forcément le
conflit avec la police ?
Ce n'est pas l'intérêt, ça va se retourner
contre toi. Donc, non, non. On est plutôt ouverts au dialogue avec elle.
A essayer de... Ou même quitte à les protéger. Une fois, on
est resté pendant deux heures à les entourer parce que si on les
avait laissés tous seuls sur le parking, je pense qu'ils se seraient
fait bouffer par la quantité de teufeurs qui étaient là.
Donc on est resté autour d'eux, et au bout de deux heures... Enfin, ils
ne savaient pas si on pouvait continuer à faire notre teuf ou pas. Et on
attendait l'avis du procureur. Et bon, on est restés autour du
véhicule à repousser les teufeurs complètement
alcoolisés et arrachés avec les insultes qui vont avec et qui
vont dans tous les sens. A s'excuser auprès d'eux, à les rassurer
aussi. Et puis au bout de deux heures, on leur a dit : « Bon,
écoutez, nous ce n'est pas tout, mais on a une organisation à
faire, donc on y va. Et maintenant, c'est à vos risques et
périls. ». Donc ils sont partis, et ils sont revenus le
lendemain.
Est-ce que je peux te demander ce qu'est ta
sensibilité politique ?
Mon opinion politique ? Je n'en ai pas. Tous des cons, tous
des pourris. On est dirigés par un pays de merde, par des connards et
des mecs qui s'enrichissent sur notre dos et qui font n'importe quoi. Donc,
non, je n'ai pas d'opinion politique. Et en plus, je ne vais pas voter, j'en ai
rien à foutre. Ça me dégoute de les voir nous enculer,
détourner des millions d'euros. Et ils ont rien, c'est ça qui est
beau, elle est belle... C'est ce qu'il y a de plus beau. Pourtant, apparemment,
on a un système judiciaire assez violent. Enfin, violent... Mais non,
apparemment, pas avec eux. Donc, moi, ce genre de pourris, ça me
désole. Qu'ils restent où ils sont. Mais bon, c'est ceux qui nous
dirige. Donc bon, on fait avec. Sauf que des fois, on a... Si on compare
à d'autres pays, on a plus de chance que d'autres pays par rapport
à la Sécurité Sociale, aux Assedic, aux aides et tout
ça. Parce que dans d'autres pays, il n'y a pas tout ça. Donc, on
fait avec.
Est-ce que tu penses qu'en allant en teuf, tu exprimes
quelque chose politiquement ? Non. Pas du tout. Loin de là.
Non.
Ok. Est-ce que tu as l'impression de faire partie de la
société qui t'entoure ?
Indirectement, tu es un peu obligé parce que si tu
voulais jouer l'anarchiste, tu ne pourrais pas, tu ne survivrais pas dans le
système comme il est, à moins d'être chef d'entreprise.
Mais sinon, si tu veux bosser... Rien que les piercings. Quand je me suis fait
quelques piercings, j'avais une boîte à qui j'avais essayé
de faire gober que les piercings je les avais déjà avant. Ils
avaient bien vu que les piercings, je m'étais refait un bridge, et un
beau jour le chef d'entreprise m'a dit : « Tu n'étais pas
percé. », « Mais si, j'étais percé ! ».
Mais bon voilà, tu ne peux pas arriver non plus percé de tous les
côtés, tatoué. Voilà, ça se voit. Et puis,
encore une fois si on en revient sur la police, le délit de
faciès c'est encore plus facile pour eux. Donc, tout de suite, on
t'assigne à quelque chose. Donc, ce n'est pas le but du jeu non plus. Je
n'ai pas envie de me faire emmerder dès que je sors ou de me faire
arrêter par le premier condé que je vois sur la route. C'est bon,
ils sont assez relous comme ça. Donc, oui, on est obligé,
malheureusement, de vivre avec la société d'aujourd'hui et de
faire... de se mettre dedans. Sinon, tu ne pourrais pas... Enfin, tu pourrais
être anarchiste, mais il y en a beaucoup qui se disent anarchistes mais
qui ne sont pas du tout anarchistes, parce qu'ils profitent quand même du
système. Un anarchiste, il ne profitera jamais du système.
Est-ce que tu penses avoir des valeurs communes ou
contraires à la société ?
Ah non, contraire. Je suis en décalé. Je vis
avec la société d'aujourd'hui, mais je n'ai pas du tout les
mêmes idéologies de société. Mais bon, tu es
obligé de te mouler dans la société dans laquelle tu vis.
Ou de te fondre en tous cas. Sinon, tu serais... Déjà que tu es
très vite mis dans une catégorie. Alors en plus, si tu ne mets
pas les quelques atouts que tu as de ton côté... Donc, tu es
obligé de faire avec.
Est-ce que pour toi, il y a des choses sacrées
dans la teuf ?
Le respect. Le respect d'autrui déjà, c'est
énorme. Voilà. Je crois qu'il n'y a rien d'autre à dire.
Il ne peut pas y avoir... Le respect, et puis ce côté festif sans
prendre... sans aller chercher les embrouilles avec les gens. Ce
côté-là de la teuf aussi m'a intéressé parce
qu'il arrive de temps en temps qu'il ya ait quelques bagarres mais c'est des
bagarres parce qu'il y a quelque chose qui s'est passé, ou parce que
l'autre il a vu l'ex tatati tatata, ou l'ex a vu sa gonzesse avec un autre
gars, l'autre il a pété un boulard, ou une question de trafic.
Mais sinon c'est rare de voir des bastons comme tu as en sortie de boîte.
Comme tu en vois trop. Donc, ce qu'il y a dans la teuf, c'est ça. Mais
la principale vertu ça reste le respect d'autrui qui se fait de moins en
moins... Enfin, qui va être perdu dans la société
d'aujourd'hui. Tu diras plus
facilement bonjour aux gens que tu croises en teuf, que tu ne
diras bonjour à ton voisin d'étage. Moi, je ne dis pas bonjour
à mon voisin à deux ou trois maisons d'ici parce que c'est un con
fini. Pendant un temps, je lui disais bonjour, et maintenant je ne lui dit plus
bonjour parce que il me prend pour un con. Je ne m'embrouille pas pour autant.
Mais en fait, l'ignorance, je crois que c'est le mieux.
Est-ce que pour toi une teuf ça peut se faire
n'importe où, n'importe quand et n'importe comment ?
Ça peut se faire n'importe où, oui. N'importe
quand, oui. Mais n'importe comment, non. Parce que n'importe comment...
N'importe comment... Je vais te donner un exemple. Tu es allée à
Garorock ?
Oui.
Ben voilà. C'est n'importe comment. Ça ne
m'intéresse pas. Vous êtes contents d'aller emmener vos enceintes
sur un festival ? Je vous laisse faire, mais un jour vous vous ferez saisir,
ça me fera bien rire. Parce que vous ne respectez pas les organisateurs.
Encore un manque de respect. Et pourtant ça se dit un Sound System et
ça se dit être un Sound System, mais ça manque de respect.
Tu ne fais pas ça. Nous, on ne va pas organiser une free et il
ne va pas y avoir des crétins qui vont aller poser un peu plus loin.
Sinon, on va leur expliquer. Remballez tout. Là, le multi-sons qu'on est
en train d'organiser, il va être carré. Et je peux te dire qu'il
n'y aura pas un son sauvage, sinon, ça ne va pas le faire. Comme on ne
veut pas de friteries sauvages. Au festival de Soustons en 2007, il y a une
friterie que l'on n'a pas vu arriver qui s'est installée. On y est
allé nous, notre sons et quelques autres, donc on été
quand même pas mal, on lui a bien expliqué que s'il
n'arrêtait pas, ça allais mal finir pour lui. Et au teknival du
1er mai, on en a fait passer un au bakchich. On lui a dit : «
Mon gars, si tu veux continuer à vendre tes bordels devant notre son,
voilà, il faut que tu passes sévèrement à la
caisse. Sinon, il va falloir vite que tu arrêtes. ». Le mec il a
payé. Parce qu'il sait très bien qu'il n'a rien à faire
ici. Il nous manque de respect. Donc, nous, à partir de là, on
fait notre police. On n'en veut pas. Je peux comprendre que les mecs ils
fassent de la bouffe, mais ils sont là juste pour le business. Ils ne
vont pas aider à faire vivre les Sound Systems et puis en plus, ils sont
capables de rendre les gens malades. Donc en plus, sanitairement... Et comme
les services sanitaires ne se déplaceront pas... Donc voilà, on
préfère les arrêter, plutôt qu'ils aillent foutre
tout le monde malade ou qu'ils manquent de respect.
Est-ce que tu as l'impression d'être reconnu
différent par la société ?
Aujourd'hui ? De toute façon, j'ai toujours
été différent, et ça depuis bien longtemps. Donc,
oui, je suis différent, à tous points de vue, et en plus
musicalement. Même si de plus en plus, avec les années, on fait
moins peur. Moi, je suis souvent habillé avec des pulls à
l'effigie de notre truc, je ne cache pas ma musique. Bon après, je ne
vais pas aller en parler à mon directeur d'agence. Mais, si tu as envie
de discuter avec moi de la techno, j'en discuterai aisément. Mais oui,
je suis différent de la société d'aujourd'hui, ça
c'est sur.
Est-ce que tu as l'impression de faire partie d'une
communauté ?
Ouais. Carrément, la communauté de notre son. Et
on essaie d'inculquer aux gens cet état d'esprit que l'on a. Et s'ils
sont réceptifs, ils comprendront. S'ils ne sont pas réceptifs,
ils comprendront dans un ou deux ans. La vie continue. Ou ils ne comprendront
jamais, ce n'est pas grave. On ne le fait pas... On le fait pour eux, mais
surtout pour nous. On le fait pour un mouvement, on le fait pour une
communauté.
Est-ce que tu penses que l'on peut dire que la teuf c'est
une culture ?
Bien sur. Une culture musicale, même s'il y en a qui
vont dire que c'est du boum boum. Dans la déco, musicalement, ouais,
ça reste quand même une culture. Et certains Sound Systems ont pu
entreprendre ou entreprennent toujours de partir dans d'autres pays. Et de fil
en aiguille, monter un cirque avec deux ou trois fois rien pour donner à
des gens qui n'ont pas de moyen du spectacle, de la musique. Voilà,
c'est une culture, comme tout style de culture. Comme le rock est une culture,
comme chaque musique est une culture finalement. Parce qu'il y a quelque chose
qui gravite autour de chaque... Il y a une mentalité, il y a quelque
chose qui tourne autour de chaque style de musique et qui se partage. Et la
techno c'est pareil. Et on en revient surtout à l'esprit... faire la
fête librement et puis toujours ce côté d'essayer
d'être respectueux. Et puis on arrive quand même à... Au fur
à mesure on a pu voir que... Au début les gens étaient
crados. Même s'il y en a qui sont crado encore aujourd'hui, on arrive
quand même à faire comprendre tout doucement aux gens que, oui, on
fait des teufs, mais on n'est pas là forcément pour ramasser
leurs merdes. Quand ils peuvent laisser leurs merdes dans un sac, ça ne
leur coûte pas grand-chose, et voilà. Et puis nous, on passera
derrière ramasser les sacs, mais bon, ça nous aide beaucoup. Donc
on voit quand même que ce qu'on apporte depuis des années,
ça porte son fruit à force. On ne se bat pas pour rien non plus.
Et rien que ça c'est encore une fois une preuve que l'on n'est pas
là pour rien et qu'à force de se
battre, on fera encore évoluer la chose. Pour
toi, c'est quoi une vie réussie ? Il n'y a pas de vie
réussie.
Et le bonheur ?
Pas de bonheur non plus. Enfin, si. Je ne sais pas. Le bonheur
c'est quand... Oh lala... Le bonheur est à la porte de tout le monde,
comme le bonheur peut t'attendre à chaque virage. Le bonheur c'est ma
femme, c'est ma fille, c'est la musique. Mais après, ouais,
voilà, c'est tout. Après, c'est ma famille, ou ce qu'il en reste
en tous cas. Bon, après, il y a eu beaucoup de malheur, donc c'est dur
d'y voir du bonheur. Mais ça, chaque personne est différente dans
son vécu. Le bonheur, c'est la chose la plus merveilleuse que l'on peut
espérer à chaque personne. Mais bon, c'est difficile parce qu'il
y aura toujours quelque chose pour t'en éloigner. A moins de te retirer
en haut d'une montagne et d'avoir des chèvres et des vaches,
voilà, ta petite maison dans la prairie. Ça c'est là vie.
La vie n'est pas facile donc il y a des parties de bonheur, des parties de
malheur. Après, il faut peser la balance pour savoir ce qui fait que
l'on se lève tous les matins, ou ce qui fait qu'on continue à
vivre. Mais bon, c'est la vie aussi.
Et comment tu te vois dans 10 ans ?
Oh, je ne sais pas, peut-être à faire du son
encore. Ou peut-être ma fille. J'ai déjà une photo d'elle,
alors qu'elle a à peine 8 mois, en train de toucher les platines, la
table de mixage. Ouais, elle aime déjà ça la petite. Ou
peut être que je serais 10 mètres sous terres. Je ne vis pas au
jour le jour mais... Je n'en sais rien en fait. Nul ne sait de quoi demain est
fait. Chaque jour qui passe est un jour différent. Tu te lèves,
tant mieux. Qui dit que demain tu ne vas pas te lever, et puis tu vas prendre
ta douche, tu vas glisser, tu vas te casser les cervicales ? C'est pour
ça, des fois, il ne faut pas non plus... Il faut vivre dans l'instant
présent et ne pas se dire que tu feras ça dans 10 ans. Il faut
essayer d'être le plus heureux possible.
Annexe 4 : Etude de cas en sociologie de
l'information - L'amendement Mariani-Vaillant, protecteur ou
liberticide ?
(Réalisé par Coralie Vogelgesang et Noémie
Lequet dans le cadre du séminaire « Sociologie de l'information
» présenté par Eric Macé)
INTRODUCTION
Contexte et enjeux politiques
On est en période de cohabitation avec Chirac
président et Jospin 1er ministre. Les 11 et 18 mars ont lieu les
élections municipales. C'est une défaite pour la gauche. On est
dans les préparations des élections présidentielles de
2002. Le débat et les enjeux sont tournés vers les thèmes
de sécurité.
Polémique suite à l'amendement, manifestations,
PS divisé. Jack Lang (à l'époque ministre de
l'éducation nationale) y voit une manifestation d'une politique
anti-jeune. D'autres membres du gouvernement comme Bernard Kouchner ou
Catherine Tasca y sont également opposés, ainsi qu'une partie du
PS, l'ensemble du PC et des Verts. Jospin a du mal à trancher, il est
plutôt pour, mais dans la perspective des présidentielles, c'est
prendre le risque de perdre l'électorat des jeunes.
Le monde versus Le figaro
Les deux quotidiens retenus pour l'analyse sont Le
Monde et Le Figaro. Tous deux ont publié un certain nombre
d'articles concernant cet amendement dans la période estivale 2001.
Audelà d'une lecture plus complète, cinq articles par journal,
considérés comme particulièrement représentatifs,
ont été retenus.
L'ANALISE DU DISCOURS
~ Descriptions des raves-parties
Le Figaro
Les journalistes du Figaro renvoient une image plutôt
négative des raves. Dans un article paru
le 1er juin 2001, le journaliste Max Clos fait le
choix d'une description du point de vue de ceux qui subissent ces
événements :
« Les habitants des villages concernés,
saoulés de bruit, subissant leur lieu de vie occupé parfois par
25 000 braillards, leurs champs saccagés, recouverts d'immondices et de
cannettes de bière, sont d'accord. Les préfets sont d'accord.
S'ils n'interviennent pas, c'est qu'ils sont paralysés par la crainte de
déclencher une émeute. » (01.06.01 -
Démocratie en péril ! - Max Clos).
Avant d'être des jeunes, des fêtards,
éventuellement des artistes, ils sont des buveurs de bières et de
potentiels émeutiers. Les raves sont des « rassemblements
sauvages », « de vastes supermarchés de la drogue,
où opèrent des dealers armés ».
Le Monde
« Les raves sont une extraordinaire
opportunité pour notre société si on comprend leur nature
et leur potentiel. Ce sont des lieux d'effervescence artistique, de
mixité sociale, où des gens de toutes origines se retrouvent de
façon pacifique. », Lionel Pourtau, Le Monde du 13 juillet
2001 (« Raves et démagogie »).
On voit bien ici que l'auteur de l'article de manière
élogieuse au sujet des free-parties, quitte à entrer dans la
caricature. Les raves sont montrées sous leur meilleur jour, dans le but
d'en donner un aperçu idyllique, n'appelant pas à la
création d'une loi sécuritaire.
Il s'agit de noter ici, et à chaque fois que cet
article sera cité, qu'il s'agit de l'exposition du point de vue d'un
expert et non d'un article de journaliste. Quoi qu'il en soit, Le
Monde, en lui offrant une place dans ses colonnes, prend position.
~ Prise de position Le Figaro
Ils semblent trancher en faveur de la loi. Les journalistes
insistent sur les questions de sécurité, d'autorisation, de
drogue, de santé,
etc. et ne montrent pas ce que ces
rassemblements peuvent avoir de positif, de créatif.
Récits d'accidents, incendis, fusillade entre dealer,
morts, viols, etc. sur divers raves-parties lors de cette période.
(« Rave-parties : de houleux lendemains de fête » Astrid de
Larminat - 10/07/2001). Des effets de l'extasie sur la
santé des adolescents aux conséquences internationales du
marché de la drogue, la journaliste termine par « Voilà
donc la substance qui circule aujourd'hui à peu près librement
dans les fameuses « raves », au contact de centaines de milliers de
jeunes. Cela parce que la majorité de notre classe politique en a ainsi
décidé par pure complaisance. » (11.08.01 - Classe
politique, ecstasy et démagogie - Xavier Raufer)
Le discours est largement axé sur la
sécurité, les risques, les craintes : « Aujourd'hui ce
sont des danseurs qui s'amassent ainsi incognito mais demain ? En l'absence de
toute surveillance, de tout contrôle, qui donc nos services officiels
laisseront-ils passer sans les voir ? Des troupes entières de dealers ?
Des émeutiers ? Des terroristes ? » (11.08.01 - Classe
politique, ecstasy et démagogie - Xavier Raufer).
La moitié d'un article est consacré au cas d'une
jeune exploitante agricole dont le champ a été
dévasté. Description très détaillée de son
cas, on sait qu'elle cultive des salades et des épinards avec son
frère. Le journaliste lui donne la parole : « Ça nous a
fait de la peine pour nos récoltes : c'était notre gagne-pain qui
s'était volatilisé... », « Ce champ, c'est une
propriété privée. Ces jeunes, qu'ils fassent des
soirées, je ne suis pas contre mais pas n'importe où, pas chez
les gens ! Que diraient-ils si on leur volait 500 F dans leur portemonnaie ?
Ils n'accepteraient sûrement pas. C'est la même chose pour
nous. », « On dit que c'est gratuit mais il ne faut pas se
voiler la face, les organisateurs se remboursent sur la vente d'alcool et de
drogue. Tout cela au détriment de la jeunesse. J'ai vu ces adolescents
pendant deux jours, dans un état second, errant à pied dans les
alentours du village, apparemment perdus. Certains dormaient sous des voitures
et ça faisait mal à voir. Je ne veux pas de tels exemples pour ma
fille de 11 ans. » (07.06.01 - Quand les
rave-parties font danser le PS - Sophie Huet, Marie-Estelle Pech).
Le Monde
« Ils s'efforcent de parler d'une même voix et
ont élaboré un argumentaire qui rappelle les valeurs initiales du
mouvement: liberté, gratuité mais aussi respect de
l'environnement. Les fêtes organisées ces derniers week-ends se
sont d'ailleurs accompagnées de gros efforts de nettoyage. »
(« Partagés entre méfiance et volonté de dialogue,
les raveurs appellent à manifester le 16 juin, Le gouvernement dans une
valse-hésitation sur les raves clandestines. » Fréderic
Chambon, 7 juin 2001).
Ici, l'auteur de l'article souligne que, même si les
raves ont pu être à l'origine de débordements, le mouvement
cherche aujourd'hui à se responsabiliser dans le but d'avoir le moins
d'impact négatif possible sur les riverains ou l'environnement. Bref,
les débordements ne sont pas volontaires, mais bien des dommages non
voulus.
L'article entame directement en prenant le point de vue des
raveurs, insiste sur leurs moyens pour se mobiliser et sur ce qu'ils mettent en
oeuvre. Bref, on pointe surtout les efforts du mouvement pour se
crédibiliser et pour être un acteur de la responsabilisation des
teufeurs. (« Partagés entre méfiance et volonté de
dialogue, les raveurs appellent à manifester le 16 juin, Le gouvernement
dans une valse-hésitation sur les raves clandestines. »
Fréderic Chambon, 7 juin 2001).
« Le week-end des 6 et 7 juillet fut marqué
par plusieurs drames : un accident pendant un concert de musique yiddish
à Strasbourg (12 morts, 84 blessés), deux excursions tragiques
à Chamonix (6 morts et 1 disparu) et une rave à Rouen (1 mort).
Evidemment, personne ne va dire « La musique yiddish tue » ou «
Interdisons aux gens de sortir en montagne sauf s'ils ont une autorisation du
préfet ». Mais la musique techno, elle, se retrouve sur le banc des
accusés. » (Lionel Pourtau, Le Monde du 13 juillet 2001,
« Raves et démagogie »).
Alors que l'on cherche à faire voter une loi dans le
but de protéger les ravers contre euxmêmes, Lionel Pourtau montre
que ce n'est pas forcément les morts dont on parle le plus qui sont le
plus nombreux. Il souligne aussi le lien avec la stéréotypisation
que subit le mouvement techno.
~ Enjeux politiques Le Figaro
Le ton est souvent ironique, voir sarcastique. Les
journalistes reprochent au PS de ne pas s'engager franchement dans le vote de
cette loi, par pure démagogie à l'approche des élections
présidentielles. Ils dénoncent un déni de la
réalité quant au risque de ces manifestions illégales.
« A cette occasion, gauche et hélas !
Opposition confondues, ont, sauf exception rare, rivalisé de
démagogie électoraliste. A entendre les porte-parole des grands
partis, en effet, une coalition de grincheux et d'ultra-répressifs s'en
prenait cruellement à de sympathiques
giga-surprise-parties, au cours desquelles de paisibles
« teufeurs » communiaient dans la musique techno et la « pilule
de l'amour ».
Pour la journaliste Sophie Huet, le PS est vieillissant. Elle
cherche à expliquer sa posture face à cet amendement. Elle montre
avec une étude du Cevipof que les adhérents au PS de moins de 30
ans ne représentent que 5%, et pense qu'il cherche donc à y
remédier, de plus, les moins de 25 ont atteint 52% d'abstention aux
municipales.
Le Monde
« Le gouvernement pourrait en effet se retrouver
doublement perdant : la polémique sur les raves risque, d'une part, de
lui aliéner ce « vote jeune » si convoité et, d'autre
part, de ruiner partiellement quatre ans d'efforts gouvernementaux sur le
thème de la sécurité. », Cécile Prieur et
Pascale Robert-Diard, le 26 juin 2001 (« La polémique sur les raves
parties brouille le discours de M. Jospin sur la sécurité
»). C'est une critique politique directement à l'encontre de cette
loi, non pour son sens propre, mais bien parce qu'elle risquerait de faire
perdre des voix au leader de la gauche.
« Par contre, comment qualifier celui qui «
utilise » un mort pour essayer d'imposer une vision sécuritaire et
une action purement répressive à propos d'un mouvement culturel
qui ne répond pas à ses affinités ? La démagogie,
par définition, se nourrit de tout. », Lionel Pourtau, Le
Monde du 13 juillet 2001 (« Raves et démagogie »). Lionel
Pourtau critique la démagogie des journaux qui utilisent les faits
divers malheureux survenus en free-parties pour appuyer une loi
répressive. La politique de la culture est nettement présente :
ce serait parce qu'ils n'apprécieraient pas la techno en tant que
musique que ces journalistes soutiendraient la loi, et non pas pour de
réelles raisons sécuritaires.
« Cette forme de rassemblement aux
caractéristiques rares à notre époque (gratuité,
spontanéité, autogestion) semble inspirer aux fractions les plus
conservatrices de notre pays une phobie irrationnelle qu'il est
intéressant d'observer. », idem. Il fait entrer la techno dans
l'histoire des différents mouvements qui se sont succédés
dans la répression avant d'être considérés comme
faisant partie du « mainstream » ; le jazz, puis le rock
quelques décennies plus tard. Mouvements conservateurs et mouvement
avant-gardistes sont opposés.
· Les sources
Parmi les acteurs qui interviennent dans les articles
sélectionnés pour Le Monde, on trouve un équilibre entre
les acteurs formels (le Premier Ministre Lionel Jospin, le secrétaire
général adjoint du RPR Jean-François Copé,...) et
les acteurs informels (les teufeurs, les partisans des free-parties, Brieuc,
musicien techno et membre d'un collectif parisien...). Aucun plaignant
(agriculteurs ou habitants de villages concernés) n'a la parole.
En revanche, dans les articles du Figaro, on trouve une large
majorité d'acteurs institutionnels cités (Représentants
politiques, Préfet, lieutenant colonel de la gendarmerie,
président de Médecins du monde). Parmi les 5 articles, un seul
organisateur de rave-parties a eu la parole. Le Figaro donne la parole beaucoup
plus facilement aux agriculteurs et habitants des villages investis par les
raves.
CONCLUSION
Deux présentations différentes d'un
même phénomène = Deux points de vue
Le Monde et Le Figaro ne présentent pas les raves
parties de la même façon, tant dans la description que dans les
choix des sources et de ce qui est montré et ce qui ne l'est pas. Ce
sont deux points de vue qui s'affrontent.
L'évolution de l'amendement et du
mouvement
Après une période estivale où
l'actualité médiatique est ponctuée de discours sur les
événements techno, survient la catastrophe du 11 septembre 2001.
L'heure est alors à la coalition. Le projet de loi est finalement
voté le 31 octobre 2001, alors que la coalition PS avait annoncée
sa souscription. Des décrets d'application de la loi préciseront
qu'au dessous d'un seuil de 250 personnes, puis de 500, la loi n'a pas à
être appliquée. Des free-parties de petite taille, non
autorisées mais non illégales, peuvent alors se développer
à nouveaux.
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