Conclusion Chapitre V
Les berges de la rivière sont un espace dans la ville
dont la caractéristique principale est d'être le lieu de
transition entre l'eau et la terre. Ainsi, les différents types
d'accès à l'eau, particulièrement les ports,
revêtent une importance particulière puisqu'ils permettent de lier
les activités fluviales et terrestres, notamment le trafic de
marchandises. Le développement économique de la ville dès
la fin du XVe siècle entraîne deux conséquences
principales en ce qui concerne les structures portuaires. La premiere, qui
accompagne l'essor des échanges commerciaux, est évidemment la
nécessité de disposer de ports praticables et suffisamment
nombreux afin de permettre une fluidité des ruptures de charge
malgré le changement de support. La deuxième conséquence
est l'augmentation supposée de la capacité de financement du
consulat. Comme celui-ci est responsable, entre autres choses, de l'entretien
de la voirie, si ses possibilités financières s'accroissent l'on
peut supposer que cela a des répercutions sur les aménagements
urbains en général.
Le nombre de ports sur la Saône croît en effet
à partir de la fin du XVe siècle et les phases de
réparations et de constructions sont régulieres jusqu'en 1569
(travaux au port Saint-Vincent) ce qui suppose une implication certaine des
autorités dans les aménagements portuaires même si la ville
a parfois recours à des financements privés. Dans le dernier
tiers du XVIe siècle, une seule phase de travaux semble
être effectuée ; il s'agit de la restauration du port Chalamont
dans les années 1590 que le consulat n'envisage pas de financer
lui-même. La fin du siècle semble donc se caractériser par
un désintérêt politique des structures portuaires. Le
contexte politique troublé et le déclin économique de Lyon
peuvent probablement expliquer cet état de fait. Il faut cependant
préciser que les ports sur la Saône sont déjà
nombreux et il ne semble pas surprenant que d'autres constructions n'aient pas
été effectuées53. De plus, les ports ne sont
pas les seuls édifices qui résultent de la présence d'une
rivière au coeur de la ville ; pour mesurer l'implication politique dans
la gestion fluviale, il convient d'étudier également les
structures qui permettent de traverser la rivière.
53 Un plan de Lyon placé en annexe 2
résume les phases de construction et de travaux portuaires au
XVIe siècle.
Chapitre VI : Franchir la Saône à Lyon
La rivière de Saône traverse la ville de Lyon et
la partage en deux centres urbains qu'il semble fondamental de relier. De ce
point de vue, la rivière constitue un obstacle aux déplacements
dans la ville puisque il faut la franchir pour passer de la presqu'île
à la partie antique de Lyon, que l'on nomme aujourd'hui « Vieux
Lyon », c'est-à-dire pour passer du côté de la colline
de Fourvière et de la primatiale Saint-Jean ou, bien sûr, pour
faire le trajet inverse. L'objet d'étude de ce chapitre est donc la
présentation des différents moyens de franchir la rivière
et particulièrement des infrastructures qui permettent la
traversée de la Saône c'est-àdire les ponts. En effet, la
principale voie de passage d'une rive à l'autre de la Saône est le
pont de pierre que nous présenterons dans un premier temps. Puis, nous
nous intéresserons à un second pont, en bois cette fois,
jeté sur la rivière au cours du XVIe siècle
ainsi qu'aux moyens secondaires qui permettent la traversée. Enfin, nous
élargirons notre analyse aux enjeux de la circulation dans la ville en
général, donc en présentant ces structures fluviales dans
une politique urbanistique plus globale.
A. Le pont de pierre
Un pont est construit à Lyon sur la Saône
dès le XIe siècle. En effet, selon Léon Boitel,
l'archevêque de Lyon Humbert Ier (vers 1048-1077) souhaitait
la réalisation d'un pont permanent sur cette rivière ; il serait
donc l'instigateur de cette construction1. L'historien lyonnais du
XVIe siècle Claude de Rubys, s'appuyant sur les propos de
Guillaume Paradin (l'un de ces auteurs a pu inspirer Léon Boitel),
explique lui aussi que l'édification de ce pont résulte de la
volonté de l'archevêque Humbert et ajoute que la construction date
de l'année 10602. Ces informations sont
complétées par Jean-Baptiste Roch, auteur d'une Histoire des
ponts de Lyon, qui considère que la pont « commencé en
1050, [...] fut inauguré en 1076 par Humbert Ier »3. Cet
auteur fournit même des détails tels que la construction a
été « réalisée avec les pierres de monuments
romains abandonnés » et ce pont comptait des « arches
irrégulières, au nombre de huit »4.
Ce pont, que l'on appelle simplement « pont de
Saône » ou « pont de pierre » au XVIe
siècle (car le pont qui est sur le fleuve n'est construit totalement en
pierre que dans la seconde moitié du siècle5) est le
principal moyen de franchir la Saône. C'est d'ailleurs pour cela que le
nom « pont de Saône » lui convient encore au XVIe
siècle puisqu'il s'agit du seul pont lyonnais jeté sur cette
rivière jusqu'au siècle suivant, ainsi, pour les contemporains,
il n'est pas nécessaire de préciser sa position spatiale dans sa
dénomination. Il semble cependant utile de rappeler que ce pont reliait
la place du Change (rive droite) et les quais qui sont à
proximité de l'église Saint-Nizier. Nous allons donc nous
intéresser à cette grande structure de pierre, à son
aspect et à ses caractéristiques mais aussi aux
réparations qu'il subit au cours du XVIe siècle. A
l'instar de l'étude des rives et particulièrement des ports, il
convient de s'intéresser à l'implication du pouvoir consulaire
dans l'entretien de cet édifice.
1 BOITEL, Léon (dir.), Lyon ancien et
moderne, tome 2, Lyon, éditeur Léon Boitel, 1843, page
440.
2 RUBYS, Claude de, Histoire véritable de
la ville de Lyon, Lyon, imprimeur Bonaventure Nugo, 1604, page 263.
3 ROCH, Jean-Baptiste, Histoire des Ponts de Lyon
de l'époque gallo-romaine à nos fours, Lyon, Editions
Horvath, 1983, page 43.
4 Ibid., page 43.
5 BURNOUF, Joëlle, GUILHOT, Jean-Olivier,
MANDY, Marie-Odile, ORCEL, Christian, Le Pont de la Guillotière ;
Franchir le Rhône à Lyon, Lyon, éditions de la
Circonscription des Antiquités historiques, collection Documents
d'archéologie en Rhône-Alpes, n°5, 1991, page 89.
Dans une lettre royale de Louis XII, donc du début du
XVIe siècle, le pont
de Saône est ainsi décrit : « Il y a ung beau
et grand pont de pierre fait et construit
sur lad. riviere de sosne, pour repasser dung lion a lautre,
lequel pont contient dix
grans arcs de pierre bien faiz »6. Cette
citation rappelle aussitôt la fonction première
de cet édifice (franchir la rivière) et offre
également une présentation succincte de celui-ci. Il est
mentionné dans ce document que ce pont comprend dix arcs, pourtant, sur
le plan scénographique de 1550, dont un détail est figuré
ci-contre7, huit arcs sont représentés et l'on peut
penser qu'un neuvième arc n'est pas visible car il est caché par
les maisons qui le
recouvrent (au niveau de la descente Est du pont
c'est-à-dire en bas à gauche sur
l'image ci-dessus). Cela est confirmé par une description
de 1598 qui précise que le
pont de Saône « a neuf arches, et chaque arche
environ trente quatre pas de
distance »8.
La distance entre les différents arcs du pont
évoquée dans cette présentation de la fin du
XVIe siècle semble exagérée puisque les arcs
sont réputés être insuffisamment larges pour une navigation
aisée. Cependant, nous ne savons pas exactement les repères qui
ont été utilisés pour arriver à cette distance
moyenne et comme les empattements formés par les piles du pont sont
importants, il est possible qu'en divisant la longueur totale du pont par le
nombre d'arcs qu'il comprend, le résultat s'approche de l'estimation
proposée par cet auteur. Il semble
6 AML, DD 256, pièce 40.
7 CHAMPDOR, Albert, Plan scénographique de
la ville de Lyon au XVIe siècle, Trévoux,
Editions de Trévoux, 1981, montage à partir d'extraits des
planches 8 et 13.
8 Description faite par Jacques Esprinchard en 1598,
cité dans GARDES, Gilbert, Le voyage de Lyon, Lyon,
Editions Horvath, 1993, page 232.
de toute façon difficile de fournir les mesures de cet
édifice au XVIe siècle sans élément de
comparaison et sans information précise.
Une des caractéristiques de ce pont est la
présence de maisons de part et d'autre, sur la première arche,
à l'est comme à l'ouest. L'affaire judiciaire au sujet de la
reconstruction d'une de ces maisons (celle de Françoise Piochet, veuve
Pierrevive) développée précédemment9,
avait révélé l'enjeu juridictionnel
représenté par le pont et les maisons qui s'y trouvent. A
l'origine, il semble que ce pont de pierre sur la Saône dépendait
de l'autorité des seigneurs temporels et spirituels de Lyon. En effet,
Léon Boitel évoque un acte de 1167 « réglant les
droits de l'archevêque et du comte de Forez sur la ville, déclare
le pont commun aux deux seigneurs »10. Mais, on l'a vu, le
voyer de la ville de Lyon « ha la sur-intendance sur la santé de
ladicte ville, pavissement et nettoyement des rues [...] reparations et
entretenement des rues, portz, ponts et passages »11. Ainsi,
l'entretien du pont de Saône relève de la charge du voyer et donc
du consulat puisque celui-ci est un officier au service de la
municipalité lyonnaise.
Les entreprises de réparations du pont de Saône
sont peu nombreuses au XVIe siècle ou de faible importance
car très peu apparaissent dans les archives relatives à la voirie
et un sondage des actes consulaires et des comptes de la ville de Lyon n'a
fourni que peu d'exemples. Deux explications semblent possibles : tout d'abord,
cet édifice est suffisamment solide et ne nécessite que peu de
travaux au cours du XVIe siècle. D'autre part, les
dépenses engagées par le consulat pour le pont du Rhône
sont telles que les finances de la ville ne peuvent supporter des travaux aux
deux infrastructures. En effet, même s'il ne s'agit pas ici de
détailler les phases de réparation et de reconstruction du pont
du Rhône, celles-ci sont extrêmement nombreuses ; il est rare qu'un
année s'écoule sans que des maçons et autres artisans ne
soient recrutés par le consulat pour entretenir ce pont.
9 Cf Chapitre II, C.
10 BOITEL, Lyon ancien..., op. cit., page
441.
11 NICOLAY, Nicolas (de), Généralle
description de l'antique et célèbre cité de Lyon, du
païs de
Lyonnois et du Beaujolloys selon l'assiette, limites
et confins d'iceux païs, Lyon, Société de Topographie
historique de Lyon, 1881 (édition de l'ouvrage manuscrit de 1573), page
142.
De plus, le développement des échanges
commerciaux entre Lyon et la péninsule italienne ainsi que «
l'orientation italienne de la politique française »12,
ont conféré à ce pont, point névralgique de la
circulation vers l'extérieur du royaume, une importance grandissante.
Enfin, les réparations effectués au pont du Rhône sont
financées par les revenus du péage de cet édifice alors
que le pont de Saône n'apporte pas de ressources comparables puisqu'il
est dépourvu de tout bureau de douane. En 1503, par exemple, pour des
travaux au pont de Rhône, le consulat établit un « mandement
de cent livres sur les deniers du pont pour fournir aux réparations
»13. Le financement des travaux effectués au pont du
Rhône est donc garanti par les revenus propres à cet
édifice.
Quelques travaux d'entretien sont tout de même entrepris
au pont de Saône. Il s'agit en général de
réparations ponctuelles comme à la fin du mois de septembre 1501,
lorsque la premiere pile du pont, au bord de la rive gauche, fait l'objet d'un
entreprise de consolidation14. Ces travaux semblent s'assimiler
à de la prévention ; le consulat profite du début de
l'automne, lorsque « les eaues sont basses et petites »15,
pour faire réaliser quelques travaux d'entretien. Des entreprises de
réparations peuvent aussi être effectuées au niveau du
couvrement du pont. Par exemple, au début de l'année 1503, le
consulat décide qu'il est nécessaire de « baisser le
pavé et pent du pont de Saonne [...] jusques au hault dudit pont sans
que les ungs excedent les autres ains tout esgallement »16. Il
s'agit donc d'égaliser le sol et d'adoucir la pente du pont sans doute
afin de faciliter les déplacements sur celui-ci.
La principale phase de réparation du pont de
Saône entraîne un différend entre le consulat et des
particuliers, propriétaires de maisons situées sur le pont, du
côté de l'église Saint-Nizier et de part et d'autre de
celui-ci. En effet, à la fin de l'année 1546, les échevins
s'inquiètent de la fragilité du pont et envisagent d'importants
travaux qui nécessitent la destruction des maisons qui s'y trouvent. Les
propriétaires s'y opposent et l'affaire est portée par le
consulat à la cour de
12 DURAND, Georges, GUTTON, Jean-Pierre, « Les
temps modernes et la Révolution », in Le Rhône et Lyon de
la préhistoire à nos fours, (ouvrage collectif),
Saint-Jean-d'Angély (Charente-Maritime), éditions Bordessoules,
1987, page 164.
13 AML, BB 024, f° 430 v° (mardi 7 novembre
1503).
14 AML, BB 024, f°331 v° (jeudi 23 septembre
1501).
15 AML, BB 024, f°332 r° (mardi 28 septembre
1501).
16 AML, BB 024, f°394 r° et f°395
r° (mardi 14 février et mardi 21 février 1503).
justice. Le 20 décembre, le juge ordinaire de Lyon
commet des « maistres massons et charpentiers » pour visiter «
les lieux contencieulx le lendemain a deux heures » soit le 21
décembre 154617. Après une contre-visite
demandée par les propriétaires18, le juge condamne
tout de même ces derniers à « demolir et abbatre promptement
lesd. maisons et boutiques et construire des murailles joignant le grand arc
dudit pont de Saonne [...] et en ce faisant oster et arracher dicellui arc
lesd. appes, clavettes de fert et autres lyemens de bois sans faire et porter
aucun dommaige aud. pont »19. Les happes et les clavettes sont
des types d'attaches, comme des tenons, qui permettent de lier deux
éléments entre eux. Elles permettent probablement de fixer les
habitations au pont pour garantir la fiabilité de l'ensemble. Les
propriétaires, en plus de démolir leurs maisons, sont donc
chargés d'enlever toutes traces de ces édifices et de
reconsolider la structure fluviale.
En plus des visites des lieux effectuées à la
fin de l'année 1546 et au début de 1547, plusieurs rapports
d'expertise commandités par les échevins des 1541, et qu'ils ont
fourni à la cour de justice, leur ont permis d'obtenir officiellement
gain de cause. En effet, le 8 juin 1541, par exemple, plusieurs maîtres
maçons (Antoine Betenod, Claude Bousse, Pierre Vaucher et Etyenne
Rolland) sont allés « soubz les arcs et pilles du pont de saonne Et
mesmement sous les boticques de mathieu paris et ses consortz et [après]
lavoir veu et visité, disons que la pille portant lesd. boticques A
besoing destre revailler en plusieurs lieux tant dans leau que dehors pour
lassurance dud. pont »20. Il semble ainsi que la justification
principale de la sentence est la crainte exprimée par le consulat et
plusieurs artisans, maîtres maçons comme charpentiers, d'une
grande usure d'une partie du pont de Saône et donc du danger de son
effondrement partiel.
La sentence est remise en question une première fois
par une partie des propriétaires, le 11 février 1547, mais le
juge ordinaire d'entériner sa décision car il déclare que
« par eminent peril sera executee et mise a entiere execution sellon sa
forme et teneur nonobstant led. appel »21. Un des
propriétaires décide à nouveau de faire appel de la
sentence qui a été donnée. Il s'agit d'Anthoine
Guérin, qui représente ses trois enfants (Claude, Anthoinette et
Ysabeau), bénéficiaires
17 AML, DD 310, pièce 32, sentence du juge
ordinaire du 11 février 1547, qui récapitule toute l'affaire
(citation de la page 5).
18 Une liste de ceux-ci figure en annexe 3.
19 AML, DD 310, pièce 32, sentence du juge
ordinaire de Lyon du 11 février 1547, pages 15 et 16.
20 AML, DD 310, pièce 31, rapport d'une visite
au pont de Saône du 8 juin 1541.
21 AML, DD 310, pièce 32, sentence du juge
ordinaire de Lyon du 11 février 1547, pages 21 et 22.
testamentaires de la maison de Jehan Faure. Les Guérin
ne remettent pas en cause la démolition des édifices mais
considèrent qu'ils n'ont pas à effectuer les travaux
supplémentaires auxquels ils sont contraints. De plus, il n'acceptent
pas d'être « privez apperpetuyté de ny pouvoir Jamais bastir
ny ediffier ny moins appuyer et mectre clavectes et lyemens contre ledit arc
»22. Ils craignent donc simplement d'être
dépossédés de leurs biens, supposant ainsi une
appropriation de cet espace par le consulat.
Dans cette affaire, un rebondissement est fourni par
l'intervention de l'archevêque de Lyon qui s'adresse directement au
sénéchal. Il se présente comme « appelans
»23, au même titre que les propriétaires,
c'est-à-dire que ceux-ci, avec le soutien de l'archevêque, font
appel de la sentence donnée par le juge ordinaire. La défense du
primat est longuement développée. La première critique
formulée concerne le fait que le jugement a été rendu sans
l'avis des seigneurs de Lyon c'està-dire sans consultation de
l'archevêque lui-même ni des chanoines-comtes de Lyon qui se
constituent donc « appellans comme vrays seigneurs directz desd. maisons
et bouticques » et qui considèrent qu'ils « ont esté
grandement grevez et opprimez »24 dans leurs droits. La
sentence et le pouvoir du consulat sont donc directement remis en cause.
L'archevêque ajoute que, de toute façon, il « vault beaucoup
mieux garder, conserver et retenir lesd. maisons » et cela pour plusieurs
raisons. Le premier argument est évidemment la perte qu'une destruction
représenterait pour les propriétaires. Cependant, l'aspect
esthétique est également mis en avant car, selon
l'archevêque, « si elles estoient abatues y auroit grant
difformité en la rue dud. pont contre decore et ornamentum civitatis
»25. En effet, une telle destruction va à
l'encontre de l'harmonie des constructions sur le pont puisqu'une seule
extrémité de celui-ci serait pourvue d'édifices,
cependant, cet argument semble faible si le risque d'affalement du pont est
réel.
C'est justement cela qui est remis en cause par les plaignants
qui considèrent que les rapports des maîtres jurés «
sont insufisans et deffectueux car ils ont esté baillez seulement sur
led. pretendu eminent peril Mais ne furent enquis
22 AML, DD 310, pièce 32, appel en justice
d'Anthoine Guérin du 16 février 1547, pages 23 à 30.
23 AML, DD 310, pièce 35, appel formulé
par l'archevêque, non daté mais postérieur au 11
février 1547 car écrit en réaction à la sentence
définitive donnée à cette date.
24 AML, DD 310, pièce 35, page 3.
25 AML, DD 310, pièce 35, pages 4 et 5.
ne interrogez sil yavoit remede et moyen de reparer
»26. L'archevêque et les propriétaires demandent
à nouveau que des « gens notables et autres maistres massons et
charpentiers expers et non suspectz »27 soient mandés
pour visiter les lieux et trouver une solution alternative à la
démolition. Malgré l'intervention de l'archevêque et le
recours au sénéchal de Lyon, la sentence est renouvelée
par la sénéchaussée puisqu'il a « été
ordonné que lesd. proprietaires feroient entierement abbatre et demolir
leurdittes maisons et boutiques, pour descouvrir la pile dudit pont sur
laquelle elles sont scituées et assises, pour icelle pille faire reparer
»28. Ainsi, la décision de destruction de ces
bâtiments a été entérinée par la
sénéchaussée et les réparations pourront être
effectuées.
Il ne nous est pas possible d'affirmer que cette
décision judiciaire a été effectivement appliquée
mais il est probable qu'elle le fut, au moins partiellement, et que les
réparations ont été effectuées car aucun document
ne révèle d'autres difficultés à ce sujet. Cette
affaire montre que le pont de Saône représente toujours un enjeu
juridictionnel au milieu du XVIe siècle. Les
prérogatives consulaires sur celui-ci semblent tout de même
admises. Il est par ailleurs aisément compréhensible que cet
unique pont sur la Saône, voie de liaison principale entre les deux
coeurs de la ville, ait une telle importance politique. Il ne constitue
cependant pas le seul moyen de franchir la rivière.
26 AML, DD 310, pièce 35, pages 5 et 6.
27 AML, DD 310, pièce 36, défense des
propriétaires des maisons situées sur le pont de Saône, du
côté de Saint-Nizier dans le cadre de leur recours en appel.
28 AML, DD 310, pièce 39, acte consulaire du
jeudi 12 janvier 1548 qui comprend le résumé du jugement en
appel.
B. Les autres moyens de traverser la rivière
Sur l'ensemble du XVIe siècle à Lyon,
il n'existe qu'un unique pont qui permette de traverser la rivière de
Saône. Il peut sembler étonnant qu'un autre édifice de ce
type n'ait pas été réalisé mais les finances
municipales en matière de construction au cours du XVIe
siècle semblent se concentrer sur les fortifications de la ville ainsi
que sur le pont du Rhône. Cependant, ponctuellement en 1546, un
deuxième pont relie les deux parties de la ville. Ce dernier n'a qu'une
vocation provisoire et c'est peut-être pour cette raison qu'il n'est que
rarement évoqué dans les ouvrages d'histoire de Lyon. Dans le
cadre de notre analyse des moyens permettant de franchir la Saône
à Lyon, il est nécessaire de présenter ce deuxième
pont, même s'il ne fut que provisoire, et d'expliquer les raisons de sa
construction en 1546. Il convient cependant au préalable de
présenter les autres moyens habituels qui permettent de franchir la
Saône avant de nous intéresser au pont de bois.
Même si ce sont les infrastructures fluviales qui
constituent l'objet de ce chapitre, il ne faut pas négliger les autres
supports permettant de traverser la Saône qui sont utilisés par
les riverains du XVIe siècle. Il s'agit donc de
brièvement les évoquer afin d'obtenir une présentation
complète mais aussi de mesurer l'importance du pont de pierre par
rapport à celles-ci. La façon la plus évidente de franchir
une rivière, l'usage d'un pont mis à part, est l'utilisation de
bateaux. L'avantage de ces embarcations est la plus grande liberté de
destination puisque la seule contrainte est la possibilité d'accoster au
lieu d'arrivée. Les débarcadères et les ports,
précédemment présentés, sont nombreux le long des
rives de la Saône et permettent donc de franchir la rivière en de
nombreux endroits dans le cadre de la ville de Lyon.
En effet, les personnes « qui veulent passer de l'un
costé de la ville en l'autre, le font par petis basteaux qui sont en
grand nombre sur la ditte riviere, et i a grand plaisir de voir les femmes se
quereler les unes les autres, pour passer ceux qui se présentent
»29. Cette description apporte plusieurs informations. Tout
d'abord,
29 Description de Jacques Esprinchard en 1598,
cité dans GARDES, Le voyage..., op.cit., page 232.
des bateliers ont pour activité quotidienne de conduire
ceux qui le désirent d'une rive à l'autre de la Saône. Cet
état de fait révèle un usage récurrent des bateaux
de ces voituriers sinon ce métier n'existerait pas. Néanmoins, si
les bateliers se disputent les clients, l'on pourrait conclure que ces derniers
sont peu nombreux. Or, le fait que ces barques de transport d'individus soient
« en grand nombre » infirme cette supposition. Ainsi, on peut penser
que les bateliers voués à faire traverser la rivière sont
si nombreux que la concurrence est importante entre eux ce qui ne semble pas
exclure une fréquentation importante de ces embarcations et donc un
recours régulier aux voituriers pour franchir la Saône.
Ce rôle semble, en général, tenu par des
batelières. D'ailleurs, lorsque Jean-Baptiste Roch décrit les
abords du pont, il évoque « rive gauche, des escaliers en bois
posés le long de la première pile donnaient accès aux
« Bêches » tenues par des marinières
»30. Le fait qu'il s'agisse d'une profession majoritairement
féminine est confirmé par de nombreux documents. Par exemple, en
1546, le chapitre Saint-Jean souhaite que deux bancs soit transporté
d'une rive à l'autre de la Saône ; les chanoines ont recours
à une « batelliere » qu'il rémunère de trois
sous31. Ce service payant n'est évidemment pas utilisé
par tous les riverains puisqu'ils leur suffit d'emprunter le pont pour
traverser la ville, voire certains possèdent sans doute leur propre
embarcation.
Le consulat a parfois recours à ce moyen de transport
pour faire passer des personnes d'une partie de la ville à l'autre.
Ainsi, au mois de mars 1525, « la ville n'ayant pas alors des bateaux lui
appartenant, et pour faciliter aux troupes le rapide passage
»32 de la Saône, les échevins choisissent
d'employer des bateliers à cet effet. Ils décident que « le
cappitaine Jehan Salla et le sieur Edouard grant ordonneront six batelliers au
port de Roanne et aultres six au port saint pol, des plus prudhommes et loyaux
quilz pourront cognoistre pour passer et repasser les gens »33
d'une berge à l'autre en aval de la forteresse de Pierre-Scize soit
plutôt au nord de la ville. Ces bateliers sont
rémunérés pour faire la traversée plusieurs fois
par jour et doivent être disponibles du matin au soir « jusques a ce
que auctrement soit ordonné »34. Un certain nombre de
personnes utilise donc des embarcations,
30 ROCH, Histoire des ponts..., op. cit.,
page 43.
31 ADR, 10 G 572, document produit par le chapitre
Saint-Jean (dépenses pour le jubilé de 1546).
32 NIEPCE, Léopold, rniiiuiilitaire,
Lyon, Bernoux et Cumin, 1897, page 93.
33 AML, BB 044, f°20 v°, acte consulaire du
jeudi 2 mars 1525.
34 AML, BB 044, f°20 v°, acte consulaire du
jeudi 2 mars 1525.
prévues à cet effet, pour traverser la Saône
et les autorités peuvent également y avoir recours.
Un autre moyen de franchir la rivière semble être
mis en place en 1562. En effet, selon Eulalie Sarles, dans le cadre des
nombreux aménagements dans la ville réalisés en 1562-1563
(notamment la construction du port Rontalon sur la rive gauche), un bac est mis
en place, en 1562, pour traverser la Saône35. Il semble qu'il
est installé plutôt au sud de la ville, en aval du pont de
Saône, et légèrement en amont de l'église Saint-Jean
(rive droite) et du nouveau port Rontalon (rive gauche). Il est
nécessaire d'apporter une précision sur la situation
géographique ; en effet, le port Rontalon, qui nous permet de situer le
bac, est en général appelé « port du Roi » par
les auteurs puisqu'il sera effectivement baptisé ainsi mais seulement
à partir de 1574 en l'honneur d'Henri III qui franchit la riviere en
direction de Saint-Jean à partir de cet
embarcadère36.
Si un bac à traille, c'est-à-dire un grand
bateau dont la trajectoire est définie par une corde qui traverse la
rivière et à laquelle il est attaché, est installé
en 1562 de la volonté de l'archevêque ; le consulat, en 1573,
revient sur l'autorisation qu'il avait formulée à ce propos. En
effet, le 7 juillet 1573, lors d'une réunion des échevins, il est
« advisé que pour l'incomodité de la ville [...] le consulat
ny doibt prester aulcun consentement »37. En effet, la mise en
place d'un bac, particulierement d'une traille, peut représenter une
gêne à la navigation, montante comme descendante, car cela permet
de systématiser la traversée de la rivière par une
embarcation lente et imposante (qui permet de « passer les charrettes,
chevaulx et mulletz qui vouldroict traverser »38). Ainsi,
même si un tel dispositif aurait l'avantage de désengorger le pont
de Saône, il représente un obstacle à la navigation et
c'est probablement la raison pour laquelle le consulat s'y oppose en 1573. Il
semble donc qu'il n'est plus question d'un bac sur la Saône des
l'été 1573. Donc, si effectivement il en fut installé un
en 1562, il est supprimé ensuite (l'acte consulaire de 1573 ne permet
pas de déterminer si le bac a été mis en place en 1562
35 KRUMENACKER, Yves (dir.), Lyon 1562 capitale
protestante, Lyon, Editions Olivétan, 2009, page 175.
36 RUBYS, +iLIRirHIériIEFIN ERS.
IEit., page 426.
37 AML, BB 091, f°104 v°, acte consulaire du
mardi 7 juillet 1573.
38 AML, BB 091, f°104 v°, acte consulaire du
mardi 7 juillet 1573.
ou non). Quoi qu'il en soit, pendant la plus grande partie du
XVIe siècle, une telle structure n'existe pas sur la
Saône.
Enfin, le dernier moyen de franchir la Saône qu'il
s'agit de présenter est le pont de bois construit pour une utilisation
ponctuelle en 1546. Il est édifié au mois de juin de cette
année car sa présence est liée à la
célébration d'un jubilé à Lyon. En effet, depuis le
XVe siècle, le pape a accordé à la ville de
Lyon un jubilé à « chaque fois que la fête du
Saint-Sacrement se rencontre avec la fête de saint Jean-Baptiste, le 24
juin »39. Ces fêtes sont plutôt rares (environ une
par siècle) et donc exceptionnelles pour la ville de Lyon. Le premier
jubilé eut lieu en 1451 et celui de 1546 est le suivant. De nombreux
pèlerins viennent à Lyon, à la cathédrale, afin
d'obtenir une indulgence plénière, c'est-à-dire une
absolution de tous leurs péchés, ce qui garantirait une
annulation de leurs peines au purgatoire. Il s'agit donc d'une
célébration importante qui attire de nombreux pèlerins
dans la ville.
En effet, Claude de Rubys explique que pour le grand Pardon et
le Jubilé de la Saint-Jean, en 1546, un nombre substantiel de
pèlerins vient à Lyon notamment de la Bresse, de la Savoie mais
aussi de tout le royaume40. Le chroniqueur Jean Guéraud
estime, quant à lui, que le jubilé de 1546 attire quatre à
cinq cent mille personnes à Lyon41. Ainsi, « pour eviter
la confusion, qu'eust esté, si ceux qui alloyent et venoyent du pardon,
se fussent rencontrés par mesme chemin, pour aller gagner le pont de
Saosne, on fit un pont de boys derrier Saint Iean, sur des batteaux, qui alloit
droict respondre aux degrez, qui sont devant l'Eglise des Celestins
»42. Ces propos sont confirmés par des actes
consulaires. En effet, le 18 juin 1546, les échevins ainsi que des
représentants de la sénéchaussée et de la
primatiale Saint-Jean se réunissent « pour conférer et
donner ordre tant du faict de la politicque que autres quil conviendra et sera
besoing faire pour cause du grand peuple quon pretend estres ict pour ceste
sainct jehan prochain »43.
Ces différentes autorités prennent donc un
certain nombre de mesures pour que le pèlerinage se déroule sans
difficulté aucune. Ils organisent par exemple les
39 BEGHAIN, Patrice, BENOIT, Bruno, CORNELOUP,
Gérard, THEVENON, Bruno, Dictionnaire
historique de Lyon, Lyon, Editions Stéphane
Bachès, 2009, article « jubilé », page 721.
40 RUBYS, Histoire véritable op. cit.,
page 373.
41 BEGHAIN, BENOIT, CORNELOUP, THEVENON,
Dictionnaire historique op. cit., article « jubilé »,
page 721.
42 RUBYS, Histoire véritable op. cit.,
page 373.
43 AML, BB 064, f°140 v°, acte consulaire du
vendredi 18 juin 1546.
conditions de logement des pèlerins, les questions de
ressources en pain ainsi que les mesures de sécurité
nécessaires44. La réalisation d'un pont sur la
Saône est une des mesures définies lors de cette entrevue du
vendredi 18 juin 1546. En effet, « lesd. seigneurs de lesglise ont
pryé et requis lesd. seigneurs conseillers de vouloir faire faire ung
pont de boys [...] pour passer et donner passaige sur saone pour obvyer quil ny
ayt confusion »45. Les échevins acceptent de prendre en
charge la construction de ce pont de bois, qui doit être
réalisé pour le jeudi suivant soit en moins d'une semaine car la
fête de la Saint-Jean est le 24 juin. Ainsi, l'archevêque et les
chanoines-comtes, qui ont plutôt tendance à affirmer leurs droits
sur la rivière et ses infrastructures au cours du XVIe
siècle, au détriment des prérogatives consulaires, donnent
néanmoins la responsabilité de l'édification du nouveau
pont au consulat.
La municipalité lyonnaise se charge effectivement de la
construction de ce pont dont la réalisation est confiée à
Jehan Bas et Loys Bolier. Ces artisans sont rémunérés par
un mandement consulaire du 8 juillet 1546, à hauteur de 60 écus
d'or, « pour avoir faict ung pont de boys de saint Jehan sur saosne tirant
droit a Rontalon »46. Il s'agit d'un pont flottant
c'est-à-dire qu'il est constitué de bateaux attachés les
uns aux autres et surmontés de planches formant une voie empruntable par
les individus. Ce pont est donc réalisé sur la Saône, en
aval du pont de pierre, et relie le quartier Saint-Jean au tènement de
Rontalon. Son utilité est à nouveau évoquée et
même précisée dans un acte consulaire ; il est construit
« parce que le pont de saone de pierre nust esté souffisant pour le
passage du peuple »47. En effet, de façon provisoire,
deux ponts permettent de traverser la rivière ce qui facilite les
déplacements d'une partie de la ville à l'autre. La durée
de la présence de ce pont de bois sur la rivière ne nous est pas
connue mais puisqu'il doit probablement constituer un empêchement
à la navigation, il fut sans doute rapidement démantelé.
De plus, il n'a été réalisé que dans le cadre du
jubilé de l'année 1546, particulièrement pour les jours
d'affluence autour du 24 juin, et perd donc rapidement son
intérêt.
44 AML, BB 064, f°141 r° et v°, acte
consulaire du vendredi 18 juin 1546.
45 AML, BB 064, f°141 v° et f°142
r°, acte consulaire du vendredi 18 juin 1546.
46 AML, BB 065, f°31 v°, acte consulaire du
jeudi 8 juillet 1546.
47 AML, BB 065, f°31 v°, acte consulaire du
jeudi 8 juillet 1546.
Finalement, hormis le pont de pierre, le principal moyen de
franchir la rivière de Saône à Lyon est l'utilisation de
barques. Celle-ci semble plutôt développée puisque
l'activité de certains bateliers est dévolue à cet usage.
Par ailleurs, il est possible qu'un bac à traille soit mis en place dans
la seconde moitié du siècle mais probablement pour une courte
durée. De même, un pont de bois est provisoirement jeté sur
la Saône en 1546 dans le cadre du jubilé de la Saint-Jean afin de
pallier aux difficultés de circulation d'un nombre important de
pèlerins venus pour l'occasion, et donc afin d'assurer une
deuxième voie de liaison dans la ville, qui s'ajoute au pont de pierre.
Ce dernier reste néanmoins le principal lien entre les deux parties de
la ville de Lyon au XVIe siècle.
C. L'enjeu de la circulation dans la ville
Il semble évident que les deux parties de la ville de
Lyon doivent pouvoir être reliées et que la présence d'un
pont est essentielle. Les moyens de franchir la rivière de Saône
sont plutôt limités et le pont de pierre est le principal axe de
communication « entre la ville des Chanoines et la ville des Bourgeois
»48. Plus que cela, le pont de Saône semble constituer un
point névralgique de passage dans la ville de Lyon et c'est ce que nous
allons démontrer. Ensuite, afin de mieux cerner l'importance de cette
voie de circulation et de ses abords, il convient de replacer les enjeux qui se
dégagent ainsi que la façon dont ils sont pris en charge par les
autorités municipales dans la politique consulaire
générale.
De nombreux indices révèlent l'importance
fondamental de circuler sur les deux ponts de la ville, et
particulièrement sur le pont de Saône. En effet, l'on peut penser
que « le regroupement des zones actives autour de l'axe de circulation que
constituent le pont de Pierre sur la Saône, achevé dès 1167
et le pont du Rhône »49 montre que ces édifices constituent
les principales voies de circulation de la ville. De plus, même s'il y a
d'autres moyens de franchir la rivière de Saône, ils sont
probablement d'un usage moins courant et moins aisé que « la rue
dudit pont »50 de pierre. L'on peut en effet assimiler le pont
de Saône à une rue de la ville mais dont l'unicité lui
confère un statut particulier qui laisse escompter une prise en charge
politique prononcée de cet axe.
Or le pont de Saône est également un lieu
stratégique de la ville ; un point névralgique qu'il s'agit, pour
les autorités, de maîtriser. L'historien lyonnais Claude de Rubys
évoque un complot protestant avorté le 4 septembre 1561. Il
explique qu'à la nuit tombée « Maligny et ses gens [...]
s'acheminarent le petit pas droict vers le Pont de Saosne, qui est au milieu de
la ville, resolus de se saisir des deux descentes de ce pont
»51. A la suite de cet épisode, le lieutenant
général de la sénéchaussée, Nery Tourveon,
aurait décidé de faire garder le pont jour et nuit mais
48 ROCH, Histoire des ponts~ op. cit., page
43.
49 BAYARD, Françoise, CAYEZ, Pierre, PELLETIER,
André, ROSSIAUD, Jacques, Histoire de Lyon des origines à nos
jours, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2007, page 351.
50 AML, DD 310, pièce 35, document produit par
l'archevêque de Lyon au sujet des maisons situées sur le pont, du
côté de Saint-Nizier, dont le consulat souhaite la
démolition en 1547.
51 RUBYS, Histoire véritable op. cit.,
page 386.
« il fut contrainct de s'en retourner en France, et
demeura le tout sans effect »52. Donc la réalisation
d'un poste de garde sur cet édifice n'a pas été
effectuée mais, selon Claude de Rubys, elle a été
envisagée. Cet épisode révèle l'importance
stratégique de contrôler le pont de Saône
c'est-à-dire l'édifice central de la ville de Lyon et le moyen
essentiel de la communication de part et d'autre de la rivière. En
effet, se saisir du pont revient à contrôler l'axe primordial de
circulation dans la ville et représente un enjeu politique mais aussi
économique et social puisque cette voie est nécessaire aux
déplacements de part et d'autre de la ville tant des individus que des
marchandises.
La circulation sur le pont de Saône est donc essentielle
et la politique consulaire à son encontre le confirme. En effet, les
affaires judiciaires, précédemment
présentées53, au sujet des maisons situées aux
deux extrémités du pont, ont montré que le consulat semble
défavorable à la présence de ces édifices. En
effet, lorsqu'il s'agit d'un demande de reconstruction d'une maison sur le pont
en 1528, la municipalité s'y oppose, obtient gain de cause d'un point de
vue juridique, et ne cede que suite à l'intervention du comte de
Saint-Pol, lieutenant du roi, donc probablement de façon contrainte. De
plus, lorsque le consulat souhaite la démolition des maisons qui sont
sur le pont, du côté de Saint-Nizier pour effectuer des travaux de
réparations, il n'évoque jamais la possibilité que
celles-ci soient ensuite reconstruites. Même si l'utilité
d'entretenir le pont ne semble pas discutable, l'on peut penser que le consulat
tente de tirer profit de la situation afin que ces maisons gênantes
disparaissent et, par conséquent, que la circulation à
l'entrée du pont soit moins entravée. En effet, ces maisons
« assises sur les piles à chaque extrémité du pont
[...] en rendait l'abord difficile et dangereux »54. Il semble
donc probable que l'enjeu de la circulation sur le pont ait encouragé le
consulat dans ses prises de positions défavorables à la
présence de maisons de part et d'autre de l'édifice.
Celles-ci ne sont pas les seuls éléments qui
empiètent sur la voie de passage que constitue le pont de Saône.
En effet, il « est équipé, dans sa partie centrale, de
52 RUBYS, Histoire véritable~ op. cit.,
page 388.
53 Deux affaires à ce sujet ont
été présentées. Tout d'abord, l'opposition du
consulat à la reconstruction de la maison de Françoise de
Pierrevive en 1528 (Chapitre 2, section 3) puis la volonté du consulat,
en 1547, qu'une partie des maisons du pont soient détruites afin de
procéder à des réparations (Chapitre 6, section 1).
54 BOITEL, Lyon ancien op. cit., page 442.
bancs de pierre disposés le long de ses parapets qui
sont, depuis le XVe siècle au moins, le lieu des changeurs
manuels et des revendeurs. Perpétuellement encombré de mercerie
[...], ils accueillent aussi des aiguiseurs de couteaux »55.
Cette description fournie par Anne Montenach révèle clairement
une occupation diversifiée mais surtout conséquente du pont par
des vendeurs. Elle explique même qu'il « est colonisé par les
colporteurs et les merciers »56. Les autorités,
conscientes de la gêne que ces marchands et leurs étals
représentent pour la circulation sur le pont, tentent de lutter contre
leur présence. Le 4 mars 1556, les représentants de la ville et
de l'archevêché se réunissent à la
sénéchaussée pour traiter ce sujet. Ils décident
à l'unanimité que « ledict pont doit demeurer vuyde et que
lon doibt chasser lesd. merciers, vendeurs, revendeurs, hors d'icelluy pour
laisser le passaige public et commun en liberté »57. Les
marchands qui officient sur le pont, informés de la décision,
viennent se plaindre au consulat le 10 mars 1556, expliquant qu'ils sont cent
vingt vendeurs en ce lieu et qu'il s'agit pour eux du « moyen de vivre et
de nourrir leursd. femmes et enfans »58. Les échevins
restent fermes mais, même s'ils ont été provisoirement
expulsés, les vendeurs reviennent peu à peu sur le pont car ils
constituent toujours une gêne à la circulation au XVIIe
siècle. Ce problème n'est pas caractéristique de la ville
de Lyon puisque selon Jean Mesqui, « en 1555, les édiles de
Grenoble adressaient supplique au roi pour obtenir la destruction des
échoppes fixes sur le pont Vieux, la circulation devenant impossible les
jours de marché »59.
Les échevins tentent donc de rendre plus aisée
la circulation sur le pont de Saône. Celui-ci permet aux individus mais
aussi à des véhicules tels que des charrettes de traverser la
rivière sans difficulté. Il s'agit d'ailleurs de la seule voie de
liaison pour les chevaux et les charrettes et ceux-ci ont besoin d'espace pour
se déplacer. Or, lorsque l'archevêque de Lyon propose la
réalisation d'un bac à traille en face de la primatiale
Saint-Jean, un des arguments qu'il avance est la possibilité de faire
traverser des animaux, des charges importantes et des carrioles grâce
à cette
55 MONTENACH, Anne, Espaces et pratiques du
commerce alimentaire à Lyon au XVIIe siècle, Grenoble,
Presses universitaires de Grenoble, Collection "La Pierre et l'Ecrit", 2009,
page 79.
56 Ibid., page 77.
57 AML, BB 078, f°149 r°, compte-rendu de la
séance à la sénéchaussée, mercredi 4 mars
1556.
58 AML, BB 078, f°153 v° et f° 154
r°, acte consulaire du mardi 10 mars 1556.
59 MESQUI, Jean, Le Pont en France avant le temps
des ingénieurs, Paris, Editions Picard, Collection Grands Manuels,
1986, page 92.
structure. Il semble donc légitime de se demander les
motivations du refus consulaire. La gêne que le bac peut
représenter pour la navigation a déjà été
évoquée, mais l'on peut penser qu'il y a également des
motivations politiques et économiques.
En effet, l'usage du bac est payant c'est-à-dire que
les personnes qui l'utilisent pourront « traverser de laultre
cousté de la Riviere de saosne a la part de fourviere En payant ce que
sera advisé et accordé pour chacunes charrette, cheval ou mulletz
»60. La mise en place du bac s'accompagnerait, en quelque
sorte, de l'établissement d'un droit de passage sur la rivière,
au moins sur les marchandises et les moyens de locomotion si ce n'est sur les
personnes. Les droits de péage sur les rivières sont au
bénéfice des seigneurs ayant la juridiction sur celles-ci. Ainsi,
les avantages de la création d'un bac à Lyon reviendraient
directement à l'archevêque et aux chanoines-comtes de la ville,
qui disposent des droits sur la rivière de Saône. L'on peut donc
supposer que cet élément financier est une des motivations du
refus formulé par le consulat au sujet de l'établissement d'un
bac à traille sur la Saône en 1573.
Enfin, développer la circulation sur la Saône,
par le biais d'un bac ou d'un pont, au niveau de la primatiale Saint-Jean,
n'est peut-être pas à l'avantage du pouvoir consulaire car les
intérêts économiques, jusqu'alors concentrés de part
et d'autre du pont de Saône pourrait partiellement se déplacer
plus au sud de la ville. En effet, une voie d'accès direct au quartier
Saint-Jean se placerait dans la continuité du pont du Rhône et de
la rue de la Barre (qui longe la place Bellecour, au sud de la
presqu'île), aménagée au début des années
1560. Ainsi, les produits qui arrivent dans la ville par le pont du Rhône
pourraient transiter directement vers la partie ouest de Lyon (donc Saint-Jean)
sans forcément passer par le coeur de la ville et le pont de pierre sur
la Saône. Le contrôle de la circulation dans la ville pourrait
être affaiblit et l'emprise du pouvoir consulaire sur la principale voie
de liaison fluviale diminuée.
Il semble que le consulat s'acquitte favorablement de la
présence d'un unique pont permanent dans la ville, qui est sous son
autorité. Il essaye d'en faciliter l'accès et de rendre les
conditions de circulation optimales sur cet axe.
60 AML, BB 091, f°104 v°, acte consulaire du
mardi 7 juillet 1573.
D'ailleurs, il semble que « le principe essentiel de la
« voirie " consiste à fluidifier le trafic tout en
sécurisant les rues [...] ce qui passe par la lutte contre tout
empiètement anarchique sur l'espace ouvert de la ville (rues, places et
ports) "61. Le consulat, responsable de la voirie, est
évidemment préoccupé, comme nous l'avons montré,
par les questions de circulation et donc par l'étroitesse des voies. De
plus, les prémices de la notion d' « espace public »
c'est-à-dire d'un espace qui est à l'usage de tous, qu'aucun
particulier ne peut s'approprier et qui est géré par les
autorités, apparaissent clairement dans les décisions
consulaires. Cette notion est un moyen pour le pouvoir municipal de mieux
maîtriser l'aménagement urbain, le tracé des rues et, par
conséquent, la bonne police dans la ville. Avec le développement
de cette césure entre ce qui est « public ", relevant alors des
autorités, et ce qui est « privé " ou « particulier ",
naissent une vigilance particulière de la part du pouvoir politique et
une lutte contre l'usurpation de l'espace collectif. Les premières
tentatives de règlementation des saillies et des avancées des
bâtiments entrent dans cette logique. Les initiatives, dans ce domaine,
sont encore limitées au XVIe siècle et la politique de
ce que l'on appelle « les alignements " prend peu à peu de
l'ampleur et est une caractéristique du siècle
suivant62.
61 MONTENACH, Espaces et pratiques..., op. cit.,
pages 132-133.
62 BAYARD, CAYEZ, PELLETIER, ROSSIAUD, Histoire
de Lyon..., op. cit., page 350.
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