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La guerre dans la "heimskringla" de snorri sturluson

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par Simon Galli
ENS-LSH - M1 Histoire et archéologie des mondes chrétiens et musulmans 2008
  

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Chapitre 3.

Intégration de la violence et frontière de la

guerre

Ni contre une société et ce qui l'unit, ni en-dehors de cette société, mais bien en son coeur, quoique n'allant jamais tout à fait de soi : c'est ainsi que nous pouvons résumer l'image de la place de la pratique guerrière que nous avons, jusqu'ici, retirée de la Heimskringla. Je propose d'en venir à présent à l'étude plus détaillée des frontières de la guerre - donc à la fois des lignes de faille et des dynamiques d'intégration - et ceci, sur plusieurs plans : formel, lexical, socio-culturel.

Une guerre multiforme

Tout ce que nous avons dit jusqu'ici laisse l'image d'une guerre extrêmement fluide, difficile à définir par des traits formels stables. Ainsi, elle ne peut être définie par l'identité des combattants, puisqu'il peut arriver à tous, du roi au þræll - avec des fréquences bien sûr différentes - d'y prendre part. Elle ne peut être définie par l'utilisation de structures particulières, puisque, si par exemple la hirð y joue un rôle important, elle ne peut se résumer à une institution guerrière, ou que, si l'on peut à l'occasion utiliser quelqu'un comme espion, il est plus courant encore d'obtenir des renseignements grâce à des marchands de passage. Elle ne peut guère être définie par la nature des opérations, assez large, du raid incendiaire visant à assassiner à la bataille rangée, en passant par les raids de pillage. Ni encore vraiment par la nature des stratagèmes mis en oeuvre, qui peuvent jouer sur l'espace (positions avantageuses, embuscades...), sur le temps (interceptions, promptitude à frapper...), sur le renseignement, mais aussi sur les opérations d'infiltration et de sabotage, sur l'assassinat de personnages-clefs, sur la psychologie, sur divers autres éléments de « friction », voire encore parfois sur la technique et la technologie...

Il n'est guère plus heureux de tenter de la définir par l'ampleur, et notamment par l'ampleur numérique, comme nous aurions aisément le réflexe de le faire. La question de la taille des armées scandinaves altimédiévales, et des armées médiévales en général, a été l'objet de débats importants, qui dans les deux cas tendent à conclure que ce sont à de « petites armées » que nous avons affaire - petites de notre point de vue, en tout cas 1. Plusieurs passages de la Heimskringla confirment cette idée de manière nette. Ainsi, lorsque les roitelets de l'Uppland, parents du roi Óláf le Gros, débattent pour décider s'il faut ou non se soulever contre lui en réaction à ses campagnes de conversion forcée, Hroerek, « considéré comme le plus sage des rois qui régnaient là [en Uppland] », déclare : « Même s'il a avec lui près de trois ou quatre cents hommes, cela n'est pas une force si grande que nous ne puissions l'affronter si nous nous mettons tous d'accord sur un plan [d'action] ». Telle est donc l'armée d'un roi de Norvège : trois cents à quatre cents hommes, et encore Hroerek semble-t-il suggérer que c'est là beaucoup. Snorri lui-même estime la force d'Óláf le Gros à environ trois cents (c'est-à-dire 360) hommes ; et au sujet de cette troupe, l'un des partisans de l'insurrection contre Óláf lui fait reproche de « traverser le pays avec une armée, et non pas avec la troupe qui lui est permise par la loi » 2.

L'autre extrémité nous est donnée par le même Óláf le Gros, avant Stiklestad : « lorsqu'il eut rassemblé et compté ses troupes, il détermina qu'il avait plus de trente centaines [3600] d'hommes, ce qui était considéré comme une grande armée » 3. À ces 3600 hommes, il faudrait ajouter ceux de la colonne de Dag Hringsson, allié d'Óláf le Gros, qui marche séparément et n'entre que tardivement

1 Cf. la discussion de la question dans PADDY GRIFFITH, The Viking Art of War, cit., pp. 122-126.

2 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit., pp. 310-311 (OH ch.73-74).

3 Ibid, p. 494 (OH ch.205).

dans la bataille : douze cents [1440] hommes 1. L'armée ennemie est cependant plus nombreuse encore 2. Mais nous sommes là dans un cas particulier, la bataille de Stiklestad étant la plus dramatique de la Heimskringla, le combat le plus paroxystique ; les nombres sont donc peut-être exagérés. Il faut également considérer que dans ces chiffres sont très probablement comptés une certaine proportion de personnes qui suivent une armée, mais ne sont pas véritablement des combattants, proportion d'autant plus importante que le chiffre est élevé. Snorri lui-même le signale, parlant de la facilité avec laquelle un certain Finn le Petit s'infiltre parmi les troupes d'Óláf le Gros : « nulle attention n'y était prêtée, car il y avait de nombreux vagabonds [umrenningar] parmi les troupes » 3.

Une chose paraît claire : au vu du peu d'hommes requis pour former « une armée », il peut être assez aisé et rapide d'en constituer une, même dans un pays aussi peu densément peuplé que la Norvège altimédiévale, pour peu que les circonstances s'y prêtent et que l'on ait l'influence nécessaire. Ainsi, lorsqu'à l'appel de Ragnhild Árnason les Árnason et Erling Skjálgsson, père de Ragnhild, rassemblent une force pour obliger Óláf le Gros à pardonner le meurtre de l'un de ses ármaðr à Stein Skaptason, les deux fils d'Erling apportent « chacun un vaisseau de vingt bancs de rame et un équipage de quatre- vingt-dix hommes », Þorberg Árnason, mari de Ragnhild, ajoute un vaisseau de vingt bancs de rame, et de même pour ses frères Finn et Árni ; enfin se joint à eux Kálf Árnason, avec « un vaisseau de vingt bancs de rame et un bon équipage ». En tout, ont été rassemblés contre Óláf le Gros six vaisseaux de vingt bancs de rame, et, si l'on considère qu'ils portent chacun quatre-vingt-dix hommes - ce qui est une estimation haute 4 - 540 hommes d'équipage. Snorri écrit ensuite : « À ce moment, le roi avait été prévenu de la multitude [fjölmenni] qu'ils avaient avec eux » 5.

Si nous recherchons une marque rituelle de l'état de guerre, nous ne sommes guère plus heureux : il ne se peut déceler, dans la Heimskringla, aucun équivalent aux portes du temple de Janus 6 . On n'y trouvera pas davantage de marque théorique, au sens d'une définition claire, venant de Snorri ou de l'un de ses personnages, de ce qui constitue la guerre, ou un acte de guerre ; pas plus ne trouverons- nous de Jus ad bellum nettement apparent qui définisse qui peut légitimement faire la guerre, et pour quelles raisons. Nous avons d'ailleurs vu que l'utilisation de la violence organisée est accessible à un nombre assez important de personnes, une élite sans doute, mais une élite relativement large ; quoique certains rois tentent d'établir un contrôle monopolistique sur la violence, comme par exemple Harald à la Belle Chevelure une fois sa conquête achevée, ce monopole n'est jamais acquis tout à fait, ni surtout de manière permanente, et il semble tenir bien plus d'une stratégie de circonstance pour renforcer le pouvoir d'un individu, que d'une idée théorique qui réserverait au souverain le droit de faire la guerre. Enfin, comme notre étude nous le laisse attendre, les actes de violence organisée de la Heimskringla, extrêmement fluides, ne s'accompagnent pas d'une quelconque déclaration de guerre ; aussi est-il fort malaisé de distinguer, comme nous aurions tendance à vouloir le faire, entre une guerre « internationale », entre deux souverains, une guerre « civile », une faide... Certaines provocations diplomatiques, dont le plus bel exemple est l'envoi par le roi thelstân d'une épée à Harald à la Belle Chevelure en signe de suzeraineté 7, peuvent faire penser à un défi, sinon à une déclaration de guerre ; mais elles n'aboutissent pas toujours à un affrontement armé, comme le montre justement l'affrontement entre thelstân et Harald, qui reste une lutte - une guerre ? - symbolique, Harald trouvant le moyen d'humilier à son tour Æthelstân 8.

1 Ibid, p. 490 (OH ch.199).

2 Ibid, p. 494 (OH ch.205).

3 Ibid, p. 324 (OH ch.82).

4 Cf. PADDY GRIFFITH, The Viking Art of War, cit., pp. 125-126.

5 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit., pp. 417-418 (OH ch.138).

6 Situé sur le forum romanum, ses portes étaient fermées en temps de guerre, et ouvertes en temps de paix, ce qui n'arrivait cependant que fort rarement, d'après Plutarque. Cf. PLUTARQUE, Vies parallèles, Vie de Numa, XX.

7 Ibid, p. 92 ( HHárf. ch.38 ; HHárf. ch.39 dans l'édition de Finnur Jónsson).

8 La description par Snorri de l'enjeu de cette lutte symbolique est à noter : « Par de telles relations entre les rois,

Définir la guerre par la mise en jeu de certaines institutions est tout aussi insatisfaisant. Même le leiðangr, même la flèche de guerre (herör) malgré son nom, ne correspondent que très imparfaitement à l'activité guerrière. Nous avons vu combien leur efficacité est irrégulière ; et surtout, que toute une série d'actions guerrières ne requièrent aucunement l'utilisation de ces institutions, mais passent par l'appel aux hirðsmenn, aux parents, aux alliés, ou encore, ce qui est courant dans la Heimskringla, à des troupes dont l'origine n'est pas spécifiée et qui sont sans doute un mélange de tout cela, auxquels il faudrait encore ajouter des « soldats de fortune », à l'image de la bande de brigands de Gauka-Þórir et Afra-Fasti 1. De plus, nous l'avons vu, la flèche de guerre est surtout un moyen d'ameuter le voisinage, et ce, pour toute une série de motifs ; par exemple, Orm Lyrgja, « un bóndi qui possédait une grande influence », utilise la flèche de guerre pour appeler ses voisins à l'aide contre le jarl Hákon Sigurðarson, qui veut apparemment forcer la femme d'Orm à coucher avec lui 2.

Peut-on penser que des marqueurs clairs de ce qu'est une guerre, de l'existence ou non d'un état de guerre, existaient, mais ont été omis par Snorri dans son récit ? Qu'il les ait omis par ignorance ou incompréhension semble fort peu probable : certes, Snorri est islandais, et donc originaire d'une société aux institutions bien différentes de celles de la Norvège, qui ne connaît, par exemple, ni royauté, ni leiðangr. Mais il ne faut pas oublier que l'Islande possédait cependant un système légal de codification de la violence fort complexe, que Snorri, en tant que goði (chef et magistrat local) et logsogumaðr, connaissait immanquablement ; de plus, Snorri a sans doute également eu l'occasion de se familiariser avec les institutions norvégiennes au cours de son service auprès du roi Hákon IV. Au vu de l'intérêt de Snorri pour les questions de pouvoir et de conflits, il est peu probable qu'il ait omis de tels aspects par désintérêt, même s'il est vrai que la Heimskringla est relativement pauvre du point de vue de l'histoire institutionnelle - encore qu'elle ne soit pas non plus dénuée de toute indication sur le sujet. La dernière hypothèse possible est celle que Snorri, dans une entreprise de « réalisme politique », a laissé de côté tout marqueur théorique ou institutionnel de la guerre, pour souligner la primauté des rapports de force et la dimension conflictuelle des relations entre les acteurs politiques. Ce n'est pas tout à fait impossible, mais je pense néanmoins que c'est exagérer, ou plutôt mal percevoir, l'intervention de Snorri dans son récit et ses conceptions. Il est plus probable que sa description est globalement juste ; elle n'a en tout cas rien d'incohérent ou d'impossible.

Un exemple montrera et résumera bien, à mon sens, ce que nous venons de dire : celui de l'expédition d'Ásbjorn Selsbani (« Tueur du Phoque »). La cause de ladite expédition semble assez innocente, et loin de toute idée de guerre : Ásbjorn, héritier de Sigurð Þórisson, homme riche et magnat local, entend maintenir le train de vie tenu par son père et continuer à organiser, comme lui, trois banquets par an ; mais il doit faire face à une série de mauvaises récoltes et à une pénurie de grain 3. Il décide donc de partir, à bord d'un navire qu'il possède, chercher du grain vers le sud, malgré l'interdiction faite par le roi Óláf le Gros de tout transport de grain entre la partie nord et la partie sud du pays ; Ásbjorn emmène avec lui vingt hommes. Il fait d'abord halte sur l'île de Kormt, où se trouve un domaine royal, dirigé par Þórir le Phoque (selr). Ásbjorn demande à ce dernier de lui vendre du grain ; Þórir lui répond qu'il va l'aider, en lui disant de faire demi-tour et d'abandonner sa quête de grain, puisque le roi en a interdit le commerce. Ásbjorn rétorque qu'il va cependant continuer, afin de rendre visite à son parent Erling Skjálgsson. Apprenant qu'Ásbjorn a un si puissant parent, Þórir semble devenir plus amène et invite Ásbjorn à lui rendre à nouveau visite sur le chemin du retour. Ásbjorn arrive ensuite chez Erling, et le trouve réticent à contrevenir aux ordres du roi ; mais Erling trouve cependant une ruse légale, et fait vendre du grain à Ásbjorn par ses þrælar, qui « ne sont pas

l'on peut voir que chacun d'entre eux voulait être supérieur à l'autre. Mais ni l'un ni l'autre ne perdirent en dignité à cause de cela, chacun demeurant le souverain suprême de ses propres domaines jusqu'au jour de sa mort. » ; Ibid, p. 93 ( HHárf. ch.39 ; HHárf. ch.40 dans l'édition de Finnur Jónsson).

1 Ibid, pp. 490-491 (OH ch.201).

2 Ibid, pp. 18 9-190 (OT ch.48).

3 Ibid, pp. 377-378 (OH ch.117).

tenus par nos lois et statuts comme nous le sommes » 1. Ásbjorn charge ainsi son navire de grain et se met en route pour revenir à son domaine. Il fait étape pour une nuit dans le détroit de Kormt, près du domaine dirigé par Þórir le Phoque. Celui-ci a vent de son retour, et apprend également que son vaisseau est lourdement chargé ; il rassemble aussitôt ses hommes, pendant la nuit, « de telle sorte qu'au matin, il avait avec lui soixante hommes », avec lesquels il va aussitôt aborder le navire d'Ásbjorn. Il accuse Erling et Ásbjorn de contrevenir aux édits du roi, et, alors qu'Ásbjorn lui fait remarquer qu'il a acheté ce grain à des þrælar, Þórir réplique « qu'il ne serait pas abusé par leurs tours, à lui et à Erling ». « Et à présent, Ásbjorn, [ajoute-t-il], tu vas devoir descendre à terre, ou sinon nous devrons te jeter par-dessus bord, car nous ne voulons pas être encombrés de toi pendant que nous vidons ton navire ». Ásbjorn, « voyant qu'il n'avait pas assez d'hommes pour affronter Þórir », s'exécute ; Þórir lui prend donc tout son grain, et ajoute encore une insulte : « Que ces gens du Hálogaland ont de magnifiques voiles ! Prenez la vieille voile de notre navire de transport et donnez- leur cela ! Elle sera assez bonne pour eux, puisqu'ils voyageront à vide. » Ásbjorn rentre ainsi chez lui, et, son expédition devenant connue, l'on se moque de lui, ce qui le fâche grandement 2.

Ásbjorn décide donc de se venger. Il prend un vaisseau de guerre qu'il possède, et « convoque ses amis, de telle sorte qu'il eut quatre-vingt-dix hommes, tous bien armés ». Il se met en route vers le sud, et avance lentement, car il évite autant que possible de s'approcher de la côte, et navigue donc au large, dans des conditions moins favorables. Il arrive ainsi à Kormt par le large, côté de l'île qui n'est quasiment pas peuplé. Ásbjorn et ses hommes jettent l'ancre ; puis, Ásbjorn ordonne à ses hommes de l'attendre tandis qu'il descend à terre en reconnaissance pour savoir comment sont les choses sur l'île, « car nous ne savons rien de cela » 3. Déguisé, portant une épée sous son manteau, il arrive en pleine visite royale de l'île de Kormt, et s'introduit dans la maison où se déroule le banquet. Entendant Þórir raconter, devant tous, comment il l'a humilié, il tire son épée, charge, et tranche la tête de Þórir, qui roule aux pieds du roi. Óláf le Gros, fort en colère, fait aussitôt saisir Ásbjorn et entend le faire exécuter 4. Skjálg, le fils d'Erling Skjálgsson, tente d'obtenir sa grâce contre compensation, sans succès ; ce que voyant, il part aussi vite qu'il le peut prévenir son père, auquel il déclare : « Ásbjorn, ton parent [...] est à Ogvaldsnes chargé de fers. Et il est plus digne d'un homme [mannlega] de courir à son aide. » 5 Tandis que Þórarin Nefjófsson fait en sorte de retarder l'exécution d'Ásbjorn, ainsi que Skjálg l'en a enjoint « si [il] veut conserver [son] amitié », Erling Skjálgsson rassemble ses forces et envoie des flèches de guerre, de telle sorte qu'il a bientôt avec lui quinze cents (1800) hommes. Il fait voile vers Kormt, débarque, et va immédiatement au bâtiment où Ásbjorn est enfermé pour le libérer. Le roi Óláf et ses hommes assistent alors à la messe ; lorsqu'il en sort, il doit passer entre les rangs des hommes d'Erling, qui se sont rangés de part et d'autre de la porte de l'église. Il marche ainsi à la rencontre d'Erling :

Alors Erling parla comme suit : « L'on me dit que mon parent Ásbjorn a commis une grave offense, et il est fort dommageable, à présent que cela est fait, que toi, sire, en sois fâché. À présent, je suis venu avec l'intention de te proposer une réconciliation et une compensation en son nom, selon les termes que tu détermineras toi-même, contre la permission pour lui de conserver vie et membres, et de rester dans le pays. »

Le roi répondit : « Il me semble, Erling, que tu penses probablement que tu as maintenant tout pouvoir pour décider ce qu'il adviendra d'Ásbjorn. Je ne vois pas pourquoi tu te comportes à présent comme si tu prétendais offrir compensation en son nom. Je suppose que tu es venu avec

1 Ibid, p. 380 (OH ch.117).

2 Ibid, pp. 380-381 (OH ch.117).

3 Ibid, p. 381 (OH ch.118).

4 Ibid, p. 382 (OH ch.118).

5 Ibid, p. 383 (OH ch.118).

une armée [hafa dregið saman her manns 1] dans le but de décider [ráða 2] entre nous. »

Erling répondit : « C'est toi qui as à décider, et à décider de telle manière que nous nous séparions réconciliés. »

Le roi dit : « Entends-tu m'intimider [hraeða mig], Erling ? Est-ce pour cela que tu as une si grande troupe [lið 3] [avec toi] ? »

« Non », répondit-il.

Le roi dit : « Mais si tout cela cache autre chose, n'espère pas que je m'enfuie. »

Erling dit : « Il n'est nul besoin de me rappeler que jusqu'ici, chaque fois que nous nous sommes rencontrés, je n'avais [avec moi] qu'une maigre troupe pour te faire face. À présent, je ne te cacherai pas mes intentions : à savoir, que nous nous séparions réconciliés, et si ce n'est pas le cas, je ne pense pas que je prendrai le risque de te rencontrer à nouveau. »

À ce moment, le visage d'Erling était rouge comme le sang. 4

Grâce à l'intervention de l'évêque Sigurð, le roi Óláf cède, et Ásbjorn est pardonné, à condition de prêter allégeance au roi et de remplacer l'homme qu'il a tué en tant qu'intendant du domaine royal d'Ogvaldsnes, ce qu'Ásbjorn accepte. Cependant, sur les conseils de Þórir le Chien, qui est également son parent, Ásbjorn refuse finalement de devenir « le þræll du roi » 5. Mais, peu de temps après, Ásbjorn Selsbani croise la route d'Ásmund Grankelsson, l'un des hommes du roi Óláf, qui le tue d'un jet de lance. Après quoi, comme nous l'avons déjà évoqué, Sigríð, mère d'Ásbjorn, exige de Þórir le Chien qu'il venge la mort d'Ásbjorn en tuant Óláf le Gros 6.

L'expédition d'Ásbjorn Selsbani est ainsi une étape essentielle dans l'inimitié croissante entre Óláf le Gros, d'une part, et Erling Skjálgsson et Þórir le Chien, d'autre part. Quoiqu'il serait extrêmement exagéré d'en faire la seule cause de la chute finale d'Óláf, il est clair que Snorri considère qu'elle y contribue, ce qui explique le détail avec lequel il la relate. Erling et Þórir sont ensuite des personnages-clefs de la rébellion contre Óláf le Gros, soutenue par Knút le Grand, roi de Danemark. Erling, comme nous l'avons déjà évoqué, est capturé par Óláf le Gros au cours d'une escarmouche, et Óláf tente à nouveau de se réconcilier avec lui, mais l'un de ses hommes, Áslák, tue Erling, ce qu'Óláf lui reproche amèrement : « Malheureux que tu es, pour l'avoir abattu ! Par ce coup tu m'as enlevé la Norvège. » Quant à Þórir le Chien, il fait partie de ceux qui commandent l'armée des boendr à Stiklestad, et de ceux qui portent à Óláf le Gros trois coups mortels 7.

Si je suis resté aussi longtemps sur le récit de l'expédition d'Ásbjorn Selsbani, c'est pour souligner combien il est difficile, dans certains cas - et même en règle générale - de déterminer où et comment commence la « guerre ». En termes d'actions hostiles, c'est Þórir le Phoque qui agit le premier, en rassemblant d'urgence une troupe, avec laquelle il aborde le vaisseau d'Ásbjorn pour faire respecter les édits du roi Óláf - et humilier Ásbjorn par la même occasion. Ou bien, nous pourrions placer la rupture au moment où Ásbjorn part, avec un vaisseau de guerre et quatre-vingt-dix hommes, dans l'intention de tuer Þórir le Phoque, procédant de manière tout à fait comparable - sauf sur la fin - à ces « raids commando » que nous avons évoqués, et qui, nous l'avons vu, sont volontiers utilisés par des rois au cours d'une guerre pour éliminer un chef adverse - quoique l'objectif d'Ásbjorn soit

1 Le verbe draga, dans le sens utilisé ici, désigne le rassemblement, le déploiement, ou le mouvement, notamment d'une troupe ; mais il peut également signifier, entre autres, « dessiner », ou « tirer » ; c'est l'équivalent lexical, et le cousin étymologique, du verbe anglais to draw, qui est, comme draga, très polysémique ; RICHARD CLEASBY; GUDBRAND VIGFÚSSON, An Icelandic-English dictionary, cit., pp. 102-103. Herr désigne « une foule, un peuple » ou « une armée » ; Ibid, p. 258.

2 Ráða est également très polysémique, et ne suppose pas forcément un affrontement, loin de là : il peut signifier « conseiller », « résoudre », « régner », « prévaloir », « expliquer », « entreprendre »... Ibid, pp. 485-487.

3 Mot lui aussi polysémique, comme observé plus haut : « foule », « gent », « maisonnée », « troupeau », « troupe », « flotte »... Ibid, p. 387.

4 SNORRI STURLUSON, Heimskringla. History of the Kings of Norway, cit., pp. 385-386 (OH ch.120).

5 Ibid, p. 387 (OH ch.120).

6 Ibid, pp. 392-393 (OH ch.123).

7 Ibid, p. 515 (OH ch.228).

davantage de se venger que de causer la paralysie de l'adversaire en tuant l'un de ses meneurs. La mobilisation entreprise par Erling Skjálgsson pour aller libérer Ásbjorn, comprenant l'usage de la flèche de guerre, pourrait être une autre possibilité encore, dont la validité peut également s'appuyer sur la manière dont le fait est décrit par Óláf le Gros - « tu es venu avec une armée » - et sur l'échange clairement tendu entre Óláf et Erling, qui menace à mots couverts de se débarrasser d'Óláf. Ou faut-il attendre, pour déclarer qu'il y a guerre, la rébellion qui marque la fin du règne d'Óláf le Gros, au cours de laquelle les coups sont pour de bon échangés entre lui, Erling, et Þórir le Chien ?

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon