Conclusion
Il s'avère cependant utile, pour conclure, de remarquer
que ne n'est pas tous les utilisateurs qui visitent tous les types de sites. En
effet, les données de l'enquête présentées dans les
tableaux 22 et 23 révèlent que les sites pornographiques,
racistes et religieux sont les moins fréquentés par les usagers
avec dans l'ordre 65%, 10% et 8,3% des réponses obtenues. Les raisons
qui poussent les utilisateurs à ne pas consulter ces genres de sites
sont multiples mais les plus en vue sont leur manque d'intérêt
(26,6%), leur caractère obscène, malsain (8,3%) et la pudeur de
certains utilisateurs (8,3%).
Tableau n° 22 : les sites non
visités par les usagers
|
Nombre de réponses
|
%
|
Quels sites ne visitez-vous jamais ?
|
Aucun
|
5
|
8,3
|
Racistes
|
6
|
10
|
pornographiques
|
39
|
65
|
Religieux
|
5
|
8,3
|
discussions / rencontres
|
3
|
5
|
Sport
|
1
|
1,7
|
recherches
|
1
|
1,7
|
TOTAL
|
60
|
100,0
|
Tableau n° 23 : les raisons de la
non visite de ces sites
|
Nombre de réponses
|
%
|
Pour quelle(s) raison(s) ne
les visitez-vous jamais ?
|
|
5*
|
8,3
|
les actes de pédophilie
|
1
|
1,7
|
c'est incorrect
|
3
|
5,0
|
c'est malsain
|
5
|
8,3
|
c'est inutile
|
4
|
6,7
|
C'est irrespectueux et sordide
|
1
|
1,7
|
c'est tabou au Sénégal
|
2
|
3,3
|
ça me fait du mal
|
1
|
1,7
|
ce n'est pas éducatif
|
4
|
6,7
|
certaines actions me mettent hors de moi
|
1
|
1,7
|
c'est contraire à ma religion
|
3
|
5,0
|
influence néfaste
|
1
|
1,7
|
j'ai honte de cela
|
5
|
8,3
|
je ne les aime pas
|
2
|
3,3
|
Je suis jeune et on me l'interdit
|
2
|
3,3
|
ce n'est pas intéressant
|
16
|
26,6
|
par prudence
|
1
|
1,7
|
je n'ai pas de temps pour ça
|
3
|
5,0
|
TOTAL
|
60
|
100,1
|
* Ce sont là les usagers qui avaient répondu par
« aucun » dans le tableau n°22 et qui n'ont donc pas
répondu à la question. Sources :
enquêtes, juin - août 2004.
CONCLUSION GENERALE
Il suffit tout juste de regarder et non pas d'être
observateur averti pour remarquer la présence massive des
télécentres à Ouagou Niayes et dans tout l'espace urbain
dakarois. Les cybercafés eux, sont moins présents mais suivent au
pas l'empreinte des télécentres qui les « engendrent »
parfois.
C'est que les Sénégalais sont vraiment aptes
à développer des stratégies de survie, or
télécentres et cybercafés constituent des filons d'or, des
moyens pour survivre dans un pays comme le nôtre, marqué par une
profonde crise économique qui touche un large pan de la
société. Télécentres et cybercafés sont des
créneaux porteurs, créateurs d'emplois et de richesses. Ils
intéressent actuellement presque tout le monde et caporalisent de ce
fait beaucoup d'acteurs en même temps qu'ils suscitent de multiples
enjeux. Dans ce contexte, cette étude a paru opportune. D'ailleurs,
beaucoup de leçons ont été apprises de son processus
notamment en ce qui concerne l'appropriation de ces outils de communication par
les populations et leur territorialité.
Pour ce qui est de l'appropriation,
le processus diffère selon qu'il s'agit des télécentres ou
des cybercafés. En effet, les télécentres
présentent un accès moins complexe et plus démocratique
pour le commun des Sénégalais. Il n'est pas besoin d'un niveau
d'instruction élevé, s'il en est même besoin, ni d'une
certaine aisance financière pour avoir accès aux services des
télécentres. La grande difficulté résiderait
certainement dans l'ouverture de l'infrastructure qui requiert le versement
d'au moins d'un demi-million de francs CFA comme dépôt de garantie
à la Sonatel. Une telle somme n'est guère à la
portée de la bourse du Sénégalais moyen, ce qui explique
que les propriétaires des télécentres de Ouagou Niayes
soient des personnes d'une assise financière plus ou moins confortable,
des commerçants en majorité. Par ailleurs, le contexte des
télécentres est marqué par le monopole de la Sonatel qui
règne en maître dans le secteur des
télécommunications. Cette situation entraîne un malaise
général et un courroux collectif chez les exploitants de
télécentres soucieux de préserver l'emploi
créé. Ils dénoncent, entre autres, la concurrence
déloyale, résultat de l'implantation sauvage des
télécentres, renforcée par l'absence notoire de
réglementation visant à assainir le secteur. Par contre,
l'appropriation des cybercafés par les populations s'avère plus
complexe et moins rapide. En effet, elle est subordonnée à la
satisfaction de certaines exigences discriminatoires dont un niveau
d'instruction assez satisfaisant, la maîtrise de l'outil informatique, la
maîtrise (comprendre, savoir lire et écrire) d'une ou de plusieurs
langues d'usage, et éventuellement la capacité financière
à honorer la facture de la connexion à l'Internet.
L'appropriation des cybercafés devient ainsi le fait d'une certaine
élite (même si la tendance est à la
généralisation) qui y va d'habitude d'un processus à deux
étapes : une étape de curiosité et d'envie de
découvrir l'Internet qu'ils pensaient être à priori pour
les
« autres » ; une étape de
démythification et d'utilisation de l'outil dans les divers domaines de
la vie économique et sociale où le besoin est exprimé.
Aussi, contrairement au secteur des télécentres, les exploitants
de cybercafés ne sont-ils pas obligés de passer par la Sonatel
pour disposer d'une connexion à l'Internet. Les fournisseurs
d'accès font légion, le marché est plus libre et
l'exploitant a plus de latitude de souscrire un abonnement auprès du
fournisseur de son choix. Le principal enjeu soulevé actuellement par
l'ouverture et l'appropriation des cybercafés par les populations est
plutôt la saturation du marché qui se profile à l'horizon
et le problème de l'équité qui se pose en terme de
distribution spatiale et de tarification. Sinon, comment comprendre le fait de
payer entre 250 francs CFA et 500 francs CFA seulement pour une heure de
connexion à Dakar alors qu'il faut parfois jusqu'à 2 000 francs
dans les autres régions du pays ?
Pour ce qui est de la
territorialité, l'étude a
révélé qu'elle est fortement commandée par une
logique commerciale et dans une moindre mesure par des considérations
subjectives d'ordre social comme le fait d'appartenir à un espace. En
effet, tandis que certains propriétaires affirment avoir implanté
leurs télécentres ou cybercafés à Ouagou Niayes
parce que c'est un quartier populeux susceptible de leur fournir une grosse
clientèle, d'autres par contre soutiennent y avoir ouvert leurs
structures tout simplement parce qu'ils y habitent. Mais dans un cas comme dans
l'autre, le résultat est le même. Les télécentres et
cybercafés ont colonisé l'espace du quartier même s'ils ne
le structurent pas encore. On trouve au moins un télécentre dans
presque toutes les rues ou les coins de rue surtout dans celles passantes ou
à forte concentration d'activités économiques.
L'importance numérique des télécentres ne manque pas de
susciter des enjeux territoriaux. Certains d'entre eux sont spatialement
très rapprochés, côte à côte et se livrent de
ce fait à une rude concurrence qui cause parfois la faillite de ceux
exténués par la lourdeur des charges d'exploitation. Tous les
exploitants n'ont pas les mêmes charges : certains sont
propriétaires de leurs locaux, d'autres ne le sont pas. Ce sont
d'habitude les premiers qui proposent les tarifs les moins onéreux, les
autres vendant plus cher parce que devant s'acquitter davantage de frais. La
territorialité est par ailleurs marquée par des disparités
moins sévères avec les télécentres qu'avec les
cybercafés. Les télécentres, en effet, se retrouvent
partout dans le quartier tandis qu'aucun cybercafé n'est localisé
à O.N.1 (ce secteur du quartier qui détient le plus important
niveau de précarité) où le seul cybercafé qu'il a
jadis abrité à vite fait de fermer ses portes. Partant de ce
constat, il n'est abusif de dire que les cybercafés ne s'implantent pas
n'importe où, mais plutôt dans les espaces
socio-géographiques accessibles et au potentiel d'utilisateurs
avéré.
Télécentres et cybercafés ou plutôt
le téléphone et l'Internet sont d'un grand apport dans la vie de
relation des populations. Avec ces technologies, l'échange et la
communication ne sont plus basés sur le voisinage et la proximité
spatiale. Elles offrent une nouvelle conception de la notion de
distance et favorisent une hybridation des interfaces
local/global, centre/périphérie. Le téléphone et
l'Internet rendent l'information accessible à moindre coût en
faisant fi de la distance. Ils permettent d'effacer les contraintes
traditionnelles de localisation et de créer de nouvelles formes
d'organisation, en réseaux sociaux fortement instrumentés par la
compression du temps et la rapidité de circulation de l'information.
Enfin, bien utilisés ils peuvent contribuer à soulager la
pauvreté et à corriger les inégalités
socio-économiques.
Toutefois, il est important d'insister sur le fait que ces
outils de communication ne sont pas exempts de limites et même d'effets
pervers. Ils ne peuvent pas, par exemple, se substituer aux contacts physiques
indispensables dans certaines situations, surtout au moment de prendre des
décisions importantes ou de s'engager. Ainsi, comme le souligne Michel
Lussault (1995, p. 156), de façon un peu paradoxe, plus il y a de
télécommunication, plus il y a de déplacements physiques.
Mais ces derniers changent de nature. Ils sont de moins en moins motivés
par des nécessités d'ordre instrumental (les
téléinformations les remplacent très économiquement
dans ce cas) et de plus en plus par le désir de vivre les
échanges comme création d'intersubjectivité
partagée. Par ailleurs, ces technologies de communication, l'Internet en
particulier, peuvent provoquer beaucoup de maux (comme la pornographie,
l'incitation à la drogue, à la violence...) en raison de
l'inadéquation de leur contenu avec les contextes des utilisateurs. En
l'absence de politiques préventives ou correctives effectives, ces maux
accentuent les dérives et consacrent la perversion des individus et des
sociétés. Enfin, l'utilisation des NTIC est socialement
biaisée. L'étude a montré par exemple que l'accès
à l'Internet est inégal entre les sexes, les groupes d'âge,
les groupes ethniques, les catégories socio-économiques, le
nombre de personnes appartenant aux catégories nanties dépassant
de loin celui des individus aux conditions sociales moins favorables. Castells
(2001, p. 277) avertit que les TIC ne sont [ ....] pas à la source d'une
inégalité et d'une exclusion sociales croissantes. Mais leur
utilisation biaisée par un système capitaliste mondial dynamique
et déréglementé a déclenché un processus qui
semble conduire à une iniquité sociale croissante dans tous les
pays du monde, en contraste absolu avec les promesses de l' Ere de
l'Information.
L'étude aura, en définitive, permis de relever
des acquis intéressants mais qui ne sont pas cependant susceptibles de
généralisation. Beaucoup de zones d'ombre subsistent
et des perspectives se dégagent. Voilà donc
quelques-unes d'entre elles qui pourraient faire l'objet de recherches
futures.
E Les investigations menées dans le quartier Ouagou
Niayes ont permis de constater que le nombre de télécentres
fermés est très considérable. Le phénomène
de faillite/fermeture est si important qu'il ne paraît plus
spécifique à Ouagou Niayes mais général. Cependant,
limités par des contraintes de temps, nous nous sommes uniquement
arrêtés au constat. Des études plus poussées
sont donc nécessaires pour appréhender les
véritables raisons de la fermeture des télécentres et
dépasser les clichés trop simplistes et réducteurs,
basés sur des considérations empiriques.
151 IL est ressorti des résultats de
l'étude que même au sein de Dakar la capitale qui est
supposée être le laboratoire de test des nouveautés, il
existe des disparités énormes quant à l'accès aux
NTIC. Beaucoup de chefs de ménages ont répondu par : « le
café nous le prenons en famille, c'est une mauvaise habitude que de
prendre du café dehors » à la question n° 27 du
questionnaire ménage. C'est dire donc qu'ils ignorent ce qu'est un
cybercafé. L'accès à l'Internet est donc
différentiel selon les zones, au sein d'une même zone, entre les
sexes, l'age, le niveau d'instruction, les catégories
socio-professionnels, etc. Toutefois quel est l'ordre d'importance des facteurs
d'exclusion ? Et quels sont les éléments explicatifs de cette
différenciation ? Telles sont quelques questions qui mériteraient
d'obtenir des réponses.
151 L'étude s'est quelque peu penché
sur le déploiement spatial des infrastructures de
télécommunication dans un quartier de la capitale et il a
été constaté qu'elles n'ont pas véritablement
d'effet structurant sur l'espace. Elles se superposent uniquement aux espaces
déjà habités, en privilégiant toutefois ceux qui
sont démographiquement plus chargés et qui ont le plus fort
potentiel d'utilisateurs. Mais est-ce que c'est le cas pour toute la capitale ?
Comment se déploient les systèmes de communication entre les
différents quartiers de Dakar et entre ceux--ci et le reste du pays ?
Voilà quelques pistes de réflexion éventuelles.
E Le secteur des
télécommunications au Sénégal est marqué par
un événement innovant : il s'agit du lancement par la Sonatel
Multimédia, en juillet 2004, de la technologie Internet sans fil
dénommé « Sentoo Wifi » (voir annexes). Cette
technologie est destinée à un public varié : les hommes
d'affaires, les entreprises, les individus, les résidences
hôtelières, les restaurants, les cafés et autres structures
accueillant des visiteurs. Les gens auront donc plus que jamais la
liberté de déplacement. Mais il s'avère impossible pour
l'instant de se faire une idée claire du nombre d'usagers potentiels, de
leurs caractéristiques socio-économiques et professionnelles, du
sort qui sera réservé aux centres d'accès publics à
l'Internet que sont les cybercafés. Sentoo Wifi va-t-il
démocratiser l'accès à l'Internet ou à
l'opposé aggraver le fossé existant ? Des études
s'imposent pour être édifié sur ces questions et se parer
aux éventualités car comme le souligne Farhang Rajaee (2001,
p.141), « l'expérience l'a démontré dans le
passé, toute nouvelle aventure occasionne à la fois de la crainte
et de l'espoir ».
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