4.1.2. Le Martin chasseur du
Sénégal
4.1.2.1 Composition des pelotes
de régurgitation
Le régime alimentaire de deux nichées
différentes, chacune de 3 jeunes trouvées dans un même nid
d'un même couple bagué, a été étudié
respectivement d'Avril à Mai et en Octobre 2004. Neuf catégories
de proies au total ont été identifiées en proportions
différentes pour ces deux nichées (Tableau-10). Il s'agit de:
Taupins, Hannetons, Tilapias, Batraciens (grenouilles), Charançons,
Sauterelles, Coccinelles, petits chiroptères et libellules.
Tableau-10. Régime alimentaire de
Halcyon senegalensis dans la périphérie de la région
de Kinshasa.
Proies
|
1ère
Nichée : Avril à Mai
|
2ème
Nichée : Octobre
|
Abondance
|
Ab rel.(%)
|
Abondance
|
Ab rel.(%)
|
Mammifères (Chiroptères)
|
0
|
0
|
1
|
3
|
Batraciens
|
4
|
17
|
1
|
3
|
Poissons (Tilapias)
|
6
|
27
|
9
|
26
|
Coléoptères (Elaterides:Taupins)
|
2
|
9
|
3
|
9
|
Coléoptères (Scarabéidé;
Hannetons)
|
4
|
17
|
14
|
39
|
Coléoptères (Coccinelle)
|
1
|
4
|
0
|
0
|
Coléoptères (Charançons)
|
1
|
4
|
0
|
0
|
Odonates
|
0
|
0
|
4
|
11
|
Orthoptères (Sauterelle)
|
3
|
13
|
3
|
9
|
Insectes non identifiés
|
2
|
9
|
0
|
0
|
Comme l'indique le tableau ci-dessus pour les deux
nidifications, les insectes ont représenté 63,8 % des proies
contre 25,7 % pour les poissons de taille variant de 6,5 à 11,5cm. Les
10,3% restant sont essentiellement constitués par une chauve-souris et
des batraciens. Dans l'ensemble, les échantillons ont livré des
résultats semblables.
La distribution de fréquence des proies n'a pas
varié significativement d'une nichée à l'autre
(G4ddl = 5,16 NS).
4.2. DISCUSSION
Au monastère comme aux Symphonies naturelles, les
petits Martins pêcheurs huppés creusent leur terrier en des
endroits facilement repérables. Les terriers sont concentrés sur
un talus ou dans un ravin d'environ 50m de large avec plus de 20 terriers
espacés l'un de l'autre d'environ 2m. Cette particularité qui
peut faire penser à une colonie n'est pas observée chez
Alcedo atthis chez qui la plupart des terriers étudiés
sont généralement situés dans des sites différents
(Libois, 1994 ; 2001). En revanche, la nidification en colonies est un
trait comportemental courant chez Ceryle rudis (Lippens et Wille,
1976 ; Reyer, 1990)
Le Martin-chasseur par contre, établit son nid
généralement dans des cavités d'arbre. Tel est le cas du
nid qui a fait objet de notre étude. Ce nid est difficilement
repérable et parfois se situe à des endroits difficilement
accessibles par l'observateur.
Chez Alcedo cristata, la période de ponte est
très étalée. À Kinshasa, elle couvre au moins cinq
mois (Janvier, Mars, Avril, Septembre, mi-Octobre). Au sud Katanga en
République Démocratique du Congo, Lippens et Wille (1976) ont
observé la ponte chez Alcedo cristata en saison sèche
comme en saison pluvieuse (déjà à partir de Janvier).
Chez Halcyon senegalensis, elle a été observée en
Avril et en Octobre. L'étalement de la période de ponte semble
être une caractéristique chez les Alcedinidae. La
disponibilité de la nourriture serait un facteur déterminant
leurs activités reproductrices. C'est probablement lorsque les
disponibilités alimentaires sont les plus importantes que les oiseaux se
reproduisent. En fait, à chaque saison sèche, les feux de brousse
sont mis dans les savanes herbeuses entourant nos deux sites pour
préparer le sol à l'agriculture sur brûlis et les
étangs sont vidangés (une des techniques les plus
utilisées habituellement pendant la saison sèche pour capturer
les poissons et nettoyer les étangs). Ces pratiques contribueraient
à la diminution des ressources, tant en insectes qu'en poissons
exploités par nos deux Alcedinidae et justifieraient l'absence
de pontes pendant cette saison à Kinshasa. Chez Alcedo atthis,
la période de ponte est aussi très étalée. En
Belgique, Libois (1994) a pu montrer que le début des pontes
était d'autant plus précoce que le mois de mars était
chaud mais qu'il était aussi influencé par la stabilité
hydrologique du milieu, les oiseaux ne s'installant pas aussi vite sur les
rivières sujettes à d'éventuelles crues
printanières que sur les cours d'eau à régime
régularisé. La reproduction de petits Martins-pêcheurs
huppés est fortement influencée par la qualité de son
environnement.
Le régime observé aux deux sites présente
une différence énorme.
L'hétérogénéité porte sur toutes les
catégories de proies à l'exception des « autres
insectes ». Nous ne disposons pas de données sur la
disponibilité et la répartition des proies dans les deux sites
étudiés. Ce pendant les études faites par Davies(1977) sur
la sélection des proies chez A. cristata et par Jan &
Keeps(1994) sur l'impact de l'introduction de la perche du Nil sur le
régime alimentaire de C. rudis montrent que ces
Alcedinidae ajustent leur comportement alimentaire en fonction du site
et de la disponibilité de ressource. L'adaptation du régime
alimentaire des oiseaux aux ressources du milieu a été aussi
signale chez les rapaces (Saint Girons, 1973)
La proportion de proies a varié significativement avec
l'âge des oisillons dans les terriers prospectés. Dans le terrier
F50405, il y a eu augmentation de batraciens et diminution des poissons. Dans
le terrier F50406 (7), la proportion des poissons a augmenté par rapport
aux autres proies, odonates notamment. Enfin, dans le terrier F50429, aucune
différence significative n'est observée. Seuls les
résultats relatifs au terrier F50406 corroborent ceux de Hallet-Libois
(1985) pour Alcedo atthis, de Laudelout & Libois (2003) pour
Ceryle rudis et de Libois & Laudelout (2004) pour A. cristata
qui montrent que des proies plus grandes sont apportées aux jeunes
dès qu'ils atteignent un certain stade de développement
correspondant pratiquement à l'acquisition d'une
« homéothermie de groupe ». Cependant, les
résultats relatifs aux deux autres terriers ne les contredisent pas. En
effet, pour le terrier F50429, les effectifs de proies récoltées
avant que les jeunes n'atteignent l'âge de 8 jours sont très
faibles et justifient probablement l'absence de significativité du test.
Enfin , pour le nid F50405, la modification du régime est flagrante mais
nous ne disposons pas d'informations nous permettant de conclure que les
batraciens prélevés dans la seconde période de
l'élevage étaient des proies énergétiquement plus
avantageuses que les poissons apportés au nid pendant la première
période.
En ce qui concerne l'estimation quantitative de la
consommation par les nichées, 163 proies ont été
dénombrées dans le terrier F50406-7 (4 jeunes), 77 proies dans
F50405 (3 jeunes) et 74 proies dans F50429 (3jeunes). Ce nombre paraît
très faible en regard de ce que l'on pourrait attendre en comparaison
avec Alcedo atthis (Hallet-Libois, 1985). Nous pouvons imputer ce fait
à deux raisons non exclusives l'une de l'autre :
a. lors de la récolte de nos échantillons,
l'ensemble des restes présents au terrier n'a pas été
complètement prélevé ;
b. certaines proies ont pu ne laisser aucun reste, ce serait
p. ex. le cas de têtards d'amphibiens ou d'oligochètes (Alcedo
atthis a été vu mangeant des lombrics :
Thonnérieux, 1982).
La taille des poissons capturés présente aussi
une hétérogénéité significative. En fait, ce
sont les jours 12 et 14 qui introduisent cette
hétérogénéité. Avant le
8ième jour, les différentes pelotes pourraient
être un mélange des proies consommées par les parents et
les jeunes ou uniquement constituées de proies des jeunes. On peut
s'étonner qu'au 2ème jour, il y ait des poissons de 6
cm de longueur. Cette observation rejoint celles faites chez A. atthis,
en Belgique ou A. cristata et C.rudis dans le
lac Nokoué (Hallet-Libois, 1985 ; Laudelout & Libois,
2003 ; Libois & Laudelout, 2004). En effet, les pulli de
martins-pêcheurs peuvent ingurgiter des proies bien plus longues
qu'eux : une fois tué, le poisson est engouffré dans le bec
du jeune, tête en avant. La tête atteint l'estomac, commence
à être digérée alors que le corps dépasse le
bec. Le poisson avance dans le tube digestif au fur et à mesure de sa
« dissolution » dans l'estomac. En revanche, un adulte ne
peut pas se permettre ce genre d'exercice : il ne volera pas la bouche
pleine sauf s'il transporte une proie pour ses jeunes. Les adultes ont
donc tendance à consommer de petites proies alors que, sans doute pour
des raisons d'efficience énergétique, ils apportent des proies
plus grosses à leurs jeunes. Lorsque les jeunes grandissent, cela a
été vu chez A. atthis, C. rudis et aussi A.
cristata (Bénin), les proies apportées au nid ont tendance
à être plus grosses (Hallet-Libois, 1985, Laudelout & Libois,
2003 ; Libois & Laudelout, 2004).
Le poids de poussins de Alcedo cristata est croissant
du 4ème au 14ème jour puis, il
décroît jusqu'à l'envol (16 à 17 jours après
l'éclosion) concomitamment avec la quantité de proies dans le
terrier. Cette diminution de poids est aussi observée chez A.
atthis. Selon Hallet-Libois (1985), elle serait liée à la
réduction de fréquence de nourrissage des poussins. Elle est
caractérisée par la perte d'eau dans les tissus et au niveau des
fourreaux alaires, structures fortement irriguées mais qui disparaissent
progressivement au fur et à mesure qu`émergent les plumes.
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