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Les enjeux géopolitiques de la "percée" chinoise au Sénégal

( Télécharger le fichier original )
par Xavier Aurégan
Institut Français de Géopolitique - Master 2007
  

Disponible en mode multipage

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RemerCIementS

Cette étude n'aurait pu être sans l'aide et le soutien de nombreuses personnes, je tiens ici à les remercier.

Je souhaite tout d'abord remercier mes parents, Bernard et Patricia Aurégan, sans qui ce mémoire n'aurait jamais vu le jour. Je remercie aussi mon amie, Mélanie Le Cerf, pour son soutien moral. Pour leurs conseils et leurs participations aux débats ayant trait à ce mémoire, je remercie Emmanuel Lelore et Benoît Puichaud, étudiants en Master 1 de Géopolitique à l'Institut Français de Géopolitique ainsi que l'ensemble de mes camarades et amis. Également étudiante mais en Master 2, Marie Gaborit avec qui j'aurai effectué une partie de l'étude de terrain au Sénégal. Merci à Jean-Pierre Gaborit pour l'accueil chaleureux lors du séminaire de Niassam. J'ai rencontré à Dakar, lors de mes recherches, de nombreuses personnes, spécialistes ou non, qui m'accordèrent de leur temps. Leurs conseils, leur disponibilités furent très importants : un grand merci à Monsieur et madame Yin, Momar Ndao, Moustapha Sakho, Dougoutigui Coulibaly et Samir Jarmache, de même les participants du séminaire. Il est entendu que je remercie tous les Sénégalais avec lesquels j'ai échangé points de vue et remarques politiques et sociales.

Je tiens enfin à remercier l'équipe enseignante de l'Institut lui-même pour m'avoir donné la chance de réaliser ce mémoire et cette étude de terrain, et, en premier lieu, monsieur Alain gascon, mon directeur de recherche, pour ses conseils et recommandations précieux.

Liste des abréviations et sigles

AFD Agence française de développement

AFP Alliance des forces de progrès

AGOA African growth and opportunity act

AICESIS Association internationale des conseils économiques et sociaux et institutions

similaires

ANSD Agence nationale de la statistique et de la démographie

APIX Agence nationale chargée de la promotion de l'investissement et des grands travaux

APS Agence de presse sénégalaise

ASCOSEN Association des consommateurs du Sénégal

BAD Banque africaine de développement

BADEA Banque arabe pour le développement économique en Afrique

BCEAO Banque Centrale des États d'Afrique de l'Ouest

BID Banque islamique de développement

BTP Bâtiments et travaux publics

CCIAD Chambre de commerce, d'industrie et d'agriculture de Dakar

CEDEAO Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest

CEMAC Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale

CGC China geo-engineering corporation

CIAN Conseil français des investisseurs en Afrique

CIFAS Club des investisseurs français au Sénégal

CIFC China national fisheries cooperation

CMEC China national machinery & equipement import & export corporation

CNDPA Conseil national pour la défense du pouvoir d'achat du citoyen

CNES Confédération nationale des employeurs du Sénégal

CNP Conseil national du patronat

CNRS Centre national de la recherche scientifique

CRAES Conseil de la république pour les affaires économiques et sociales

CSA Confédération des syndicats autonomes

CSCL China shipping container lines Shenzen co., Ltd dongguan branch

CSE Compagnie sahélienne d'entreprise

CSS Compagnie sucrière sénégalaise

ECOMOG Economic community of West african States cease-fire monitoring group

EDF Électricité de France

FAD Fonds africain pour le développement

FCFA Francs de la communauté financière d'Afrique

FIDAK Foire internationale de Dakar

FMI Fonds monétaire international

FODES Fonds de développement économique et social

GAIPES Groupements des armateurs et industriels de la pêche au Sénégal

GMD Grands moulins de Dakar

ICS Industries chimiques sénégalaises

IDE Investissement direct à l'étranger

IFFCO Indian farmers fertilizer cooperative

IRD Institut de recherche pour le développement

MFDC Mouvement des forces démocratiques de la Casamance

MEDEF Mouvement des entreprises de France

NEPAD Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique

NPI Nouveaux pays industrialisés

NSTS Nouvelle société du textile sénégalais

NTIC Nouvelles technologies de l'information et de la communication

OMC Organisation mondiale du commerce

ONDH Organisation nationale des droits de l'Homme

ONU Organisation des nations unies

OTAN Organisation du traité de l'atlantique Nord

OTASE Organisation du traité de l'Asie du Sud-Est

OUA Organisation de l'unité africaine

PCC Parti communiste chinois

PDS Parti démocratique sénégalais

PI13 Produit intérieur brut

PVD Pays en voie de développement

PS Parti socialiste (sénégalais)

RADDHO Rencontre africaine des droits de l'Homme

RPC République populaire de Chine

RTS Radiodiffusion télévision sénégalaise

SCA Stratégie de croissance accélérée

SENELEC Société nationale d'électricité du Sénégal

SIGELEC Société industrielle de générateurs électriques

SINOPEC Compagnie pétrochimique de Chine

SMIC Salaire minimum interprofessionnel de croissance

SOCOCIM Société de commercialisation du ciment

SODEFITEX Société de développement et des fibres textiles

SONACOS Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal

SONATEL Société nationale des télécommunications du Sénégal

UA Union africaine

UE Union européenne

UEMOA Union économique et monétaire Ouest-africaine

UNACOIS Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal

UNACOIS/DEF Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal/Développement

économique et financier

UNCS Union nationale des consommateurs du Sénégal

URSS Union des républiques socialistes soviétiques

ZES Zone économique spéciale

INTRODUCTION

La Chine-Afrique. Paradoxalement un concept nouveau, (les ouvrages et études sont encore peu abondants), mais néanmoins intéressant, les relations Chine-Afrique sont de plus en plus d'actualité.

Les médias internationaux et nationaux décrivent avec plus ou moins d'intégrité, ou d'objectivité, ce rapport géopolitique. La Chine fait vendre, inquiète, surprend, intéresse.

De la même manière, l'Afrique subsaharienne est incluse dans les unes des journaux, parfois en ouverture des médias télévisés. Son développement intéresse, malgré les négationnistes qui ne sont plus représentatifs.

Chine et Sénégal : deux entités inégales, présentant un déséquilibre ? Quels sont les rapports économiques, diplomatiques entre la Chine puissante et le Sénégal pays relativement pauvre, à l'échelle internationale ? Quels sont les enjeux géopolitiques de cette relation, entre leurs capitales respectives, Pékin et Dakar, distantes de 12 000 km environ ?

Zone conflictuelle, au carrefour de deux « empires » que sont les États-unis d'Amérique et l'Europe de l'Ouest, la région de l'Afrique Noire constitue une zone géopolitique de première importance.

La République Populaire de Chine représente le troisième partenaire commercial pour l'Afrique au sud du Sahara et est donc devenue incontournable.

Son sous-sol, ses ressources, sont depuis plus de trois siècles enviés, convoités, récupérés. Elle participe comme d'autres régions à l'équilibre du monde.

La guerre froide se joua également en Afrique. La Chine soutint certains gouvernements, pourtant chasses-gardées des Soviétiques ou des anciennes métropoles européennes.

Avec l'effondrement de ce bloc et le recul progressif des puissances situées de chaque côté de l'océan Atlantique, la Chine à aujourd'hui plus que jamais un rôle à jouer. Quel est le poids de cette politique, de cette diplomatie ?

J'intègrerai, car il ne faut les négliger, divers acteurs, tels que : la France, l'Inde, le Brésil et dans une moindre mesure, le « monde arabe » pour ses financements.

Le cadre temporel est ici considérable. Le Sénégal qui noua les premières relations diplomatiques avec la Chine en 1971, reconnu l'île de Taiwan en 1996 pour finalement la désapprouver en 2005.

La communauté chinoise expatriée, estimée à environ 170 000 personnes, joue un rôle prépondérant dans l'économie et la politique de certains États africains. L'étude de sa « diaspora » est par conséquent indispensable

Cette enquête sur le terrain, réalisée au Sénégal a pour but d'apporter au lecteur des éléments concrets, permettant de clarifier les relations Chine-Afrique (Sénégal).

Je propose de mener cette réflexion suivant trois axes :

La première partie étudiera la présence chinoise au Sénégal et les particularités de cette relation diplomatique passée et renouvelée, en présentant un état des lieux diplomatique, économique et humain.

Les relations Chine-Sénégal sont basées sur un pragmatisme bilatéral, tant politique qu'économique. Les principaux secteurs d'activités, où la Chine est implantée, seront analysés, car le pays asiatique propose un partenariat très prometteur.

La deuxième partie sera consacrée à l'étude de la population chinoise implantée au Sénégal. Qui sont ces chinois installés et travaillant sur le territoire sénégalais et notamment à Dakar, la capitale? Combien sont-ils, d'où viennent t'ils, comment sont-ils arrivés quelles activités exercent t'ils, pourquoi sont-ils installés au Sénégal, pour combien de temps, quels sont leurs objectifs ou aspirations, quels liens avec leur pays d'origine ?

Cette présence ne passe pas inaperçue et amène à différentes représentations locales, comment, de quelle manière, sont perçus et accueillit les ressortissants asiatiques au Sénégal ?

Ces derniers ne formant pas la seule communauté étrangère au Sénégal, qui sont les autres protagonistes implantés dans ce pays de l'Afrique de l'Ouest.

La troisième partie étudiera la relation sino-sénégalaise dans le contexte plus global de la Chine-Afrique.

Le Sénégal est il caractéristique de ces relations ?

L'étude de son sous-sol, de ses ressources potentiellement exploitables, sa position géographique seront analysés au premier chapitre.

Le deuxième chapitre retracera l'histoire des rapports sino-africains, de la conférence internationale de Bandung, au dernier forum de l'année 2006.

Enfin, quels sont les enjeux et perspectives pour les Sénégalais et plus généralement pour les Africains induits par les relations Chine-Afrique ?

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PREMIÈRE PARTIE : LA PRÉSENCE CHINOISE AU SÉNÉGAL

CHAPITRE I : ÉTAT DES LIEUX

1. La diplomatie : un pragmatisme de part et d'autre

L'ambassade de la République Populaire de Chine1 installée avenue des Ambassadeurs dans le quartier Fann (confer photos ci-dessous) est le symbole matériel du rétablissement des relations diplomatiques sino-sénégalaises. Ces relations sont fortement marquées par un réalisme et un opportunisme, tant chinois que sénégalais. Un pragmatisme donc qui va à l'encontre des relations franco-sénégalaises, basées sur une continuité historique, ce que François-Xavier Verschave appelle la « Françafrique »2.

La Chine (carte A page 7) quant à elle, propose à qui veut l'entendre et partager son point de vue, une relation « gagnant-gagnant » : stigmatisant les effets de la colonisation, de la décolonisation et des néocolonialistes.

« La Chine estime que l'exploitation et le pillage des anciens et nouveaux colonialistes sont à l'origine de la pauvreté des pays en voie de développement [PVD]3. En s'appuyant sur leur supériorité technologique, la manipulation des institutions financières internationales et l'ancien ordre économique international, où ils occupent une place prépondérante, les pays développés ont tiré, à travers des activités économiques, financières et commerciales inéquitables et irrationnelles, des profits exorbitants des PVD, de sorte que ces derniers se trouvent accablés de dettes et confrontés à de graves difficultés économiques. Aujourd'hui, avec la globalisation économique, l'interdépendance s'est accrue [elle propose une nouvelle donne politique internationale :] la Chine pense que faire tout son possible pour aider les PVD est une obligation internationale qu'elle doit remplir. La Chine n'ajoute aucune condition politique à son aide. Pour répondre aux nouvelles

1 J'appellerai Chine ou RPC la République Populaire de Chine et Taiwan la République de Chine.

2 Verschave, François-Xavier, De la Françafrique à la Mafiafrique, Éditions Tribord, Bruxelles, 2004.

3 Pour les abréviations, se référer à la Liste des abréviations et sigles pages 2 et 3.

circonstances [l'indépendance de l'ensemble des États], la Chine a proposé de nouveaux principes d'aide étrangère : égalité, réciprocité, efficacité, diversité et développement en commun ».

La Chine s'appuie sur les principes déjà énoncés lors de la conférence de Bandung en avril 1955 (cf Troisième partie, Chapitre II, 1, page 124) et réitérés en mai 1996 lors de la tournée africaine du président Jiang Zemin4 - « proposition en cinq points en vue de développer les relations sino-africaines :

1) être honnête et amical en vue de devenir des amis confiants 24 heures sur 24 ;

2) se traiter sur un pied d'égalité, respecter mutuellement la souveraineté et ne pas s'ingérer dans les affaires intérieures ;

3) oeuvrer au développement en commun sur la base de la réciprocité ;

4) intensifier les consultations et multiplier la coopération dans les affaires internationales ;

5) s'orienter vers l'avenir en vue de créer un monde meilleur. »5.

Quelle est la place du Sénégal dans cette volonté chinoise de développer ses relations internationales : il est au coeur même de ce mécanisme.

Le Sénégal profite ou subit, nous le verrons plus loin, de cette impassible machine qu'est le ministère des Affaires étrangères chinois. Ce ministère est actuellement dirigé par M. Yang Jiechi (nommé fin avril 2007, il était ambassadeur aux États-unis d'Amérique et remplace Li Zhaoxing l'emblématique ministre, mais étant donné l'importance des affaires extérieures dans ce pays, ce ministère est soigneusement contrôlé par le président lui-même, M. Hu Jintao, ainsi que ses grands prédécesseurs le faisait, Mao Zedong, Liu Shaoqi ou Jiang Zemin par exemple).

Si le Sénégal n'est pas l'État africain le plus intéressant pour la RPC (peu de ressources naturelles), il reste néanmoins un partenaire, possédant certains atouts

(cf Troisième partie, Chapitre I, page1 18), dans un continent subsaharien où les puissances historiques, le Royaume-Uni et la France, remettent en question leurs obligations et présences économiques et politiques (pour la France se référer au Chapitre II, point 2 de la Deuxième Partie, page 99).

4 Jiang Zemin (1926- ), homme d'État chinois, président de la République Populaire de Chine de 1993 à 2003. Microsoft Encarta 2006.

5 Citations extraites de La Politique de la Chine à l'égard de l'Afrique, Janvier 2006, pp. 67 à 106 (document officiel).

L 'Ambassade de la République Populaire de Chine au Sénégal, route de la corniche Ouest angle
avenue des Ambassadeurs, Dakar, le 2 février 2007.

Le principal fait récent dans les relations bilatérales est sans contexte le rétablissement de ces relations le mardi 25 octobre 2005. Par la signature du « Communiqué6 conjoint sur le rétablissement des relations diplomatiques entre la République Populaire de Chine et la République du Sénégal », les ministres des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio pour le Sénégal et Li Zhaoxing pour la RPC, officialisent les relations diplomatiques (cf photo).

www.bj.china-embassy.org

Rétablissement des relations diplomatiques sino-sénégalaises le 25 octobre 2005.

Ces relations furent institutionnalisées le 7 décembre 1971 puis stoppées le 9 janvier 1996 sous la présidence d'Abdou Diouf lors de la reconnaissance par Dakar (capitale sénégalaise) de la République de Chine ou Taiwan. Ce phénomène du chat et de la souris, ou reconnaissance pragmatique, n'est pas isolé (cf Troisième Partie, Chapitre II, point 2, page 132).

6 Annexe presse et citations page 181.

Le Sénégal, conscient de la force économique et politique de la RPC ne pouvait ignorer éternellement l'actuelle quatrième puissance mondiale7. « Une analyse objective et approfondie de la géopolitique mondiale »8, « les États n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts »9 affirme le premier des Sénégalais, paraphrasant le général de Gaulle.

Taiwan malgré sa vigoureuse politique du chéquier ne pouvait concurrencer la Chine.

Dakar tente également par cette occasion de réaliser un de ses objectifs majeurs : la RPC disposant du statut de membre permanent du Conseil de sécurité à l'ONU10 et disposant du droit de veto, elle souhaite depuis de nombreuses années voir un État africain siéger au Conseil de l'organisation mondiale.

Le Sénégal, de par son histoire, sa stabilité politique et économique et son activisme panafricain, est l'État le mieux placé pour ravir ce siège. A. Wade le sait et agit en conséquence : les cinq membres permanents au Conseil de sécurité de l'ONU étant les États- unis, la France, la Russie, le Royaume-Uni et la RPC, le Sénégal devait obligatoirement compter avec la voix chinoise.

Selon Cheikh Tidiane Gadio, le ministre des Affaires étrangères, en mai 2005, soit seulement cinq mois avant le rétablissement : « la Chine « n'est pas hostile » au Sénégal, soulignant que sur les cinq membres du Conseil de sécurité, quatre sont « très favorables » à la candidature du Sénégal à un poste de membre au Conseil de sécurité des Nations unies [...] il nous faut absolument gérer le cas de la Chine. Nous ne pouvons pas dire tout ce que nous faisons mais la Chine n'est pas hostile à notre pays [...] les signaux sont plus que rassurants [...] tout faire pour que la muraille de Chine ne soit pas un obstacle infranchissable »11.

Tout faire revient aujourd'hui à dire que la reconnaissance de Taiwan était un obstacle réel aux ambitions onusiennes. Car le Sénégal n'est pas le seul État africain à briguer ce mandat, l'Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya, l'Égypte, l'Algérie et la Libye sont ses principaux concurrents. Cette erreur diplomatique apparaît aujourd'hui sans conséquences. Mais ces dernières années (avant 2005), la diplomatie sénégalaise dut mener des réflexions et actes prudents afin de normaliser les relations avec Beijing12.

Le rétablissement est donc vécu comme une certaines victoire. L'intérêt stratégique de cette relation est sans équivoque.

Les autorités sénégalaises affirment par ailleurs « comme son talon d'Achille l'absence de relations diplomatiques avec Pékin, c'est-à-dire avec 20 à 25 % de l'Humanité », et, « la Chine

7 Selon la Banque Mondiale.

8 Observateur Paalga du 17 avril 2007, N° 6867.

9 rfi.fr du 26 octobre 2005, http://www.rfi.fr/francais/actu/articles/070/article 39420.asp

10 Organisation des Nations Unies.

11 APS du 2 mai 2005.

12 Pékin, capitale de la RPC.

semble très loin, mais au point de vue stratégique, elle est en fait proche de nous. Ignorer la Chine équivaut à boucher soi-même la voie de dialogue avec un pays puissant ».

Une phrase résume cette réconciliation, celle de l'ambassadeur autrichien au Sénégal, président et fondateur du centre de réflexion Europe-Afrique pour la prévention des conflits et des crises internationales, Gerhard Weinberger : « il suffit de savoir que deux et deux font quatre pour savoir que la Chine dans ces cas-là et dans d'autres est totalement et absolument incontournable »13.

Mais quelles sont les revendications, perspectives et moyens de cette relation ? Concrètement, quelles sont les réalisations déjà obtenues par les deux parties ?

La véritable revendication de la RPC est l'obligation pour son associé diplomatique de ne reconnaître qu'une seule Chine. Le Sénégal obéit à ce premier principe en déclarant et affirmant dans le Communiqué conjoint sur le rétablissement des relations diplomatiques entre la République Populaire de Chine et la République du Sénégal, qu'il ne reconnaît qu'une et unique Chine dans le monde. De fait, la RPC est le gouvernement légal, Taiwan faisant partie intégrante du territoire.

Toujours dans le cadre des revendications et propositions, la Chine souhaite « se traiter avec sincérité pour approfondir la confiance politique ». Elle veut augmenter les rapports, visites officielles entre les deux États pour amplifier les échanges entre les départements gouvernementaux, les institutions législatives et les partis politiques.

Beijing propose de « coopérer suivant les principes de réciprocité et de gagnant-gagnant pour un développement partagé ». Encourager la coopération dans des domaines aussi diverses que les infrastructures, l'agriculture, l'exploitation des ressources naturelles, la culture, la médecine, l'éducation et la formation sont également ses priorités.

La Chine incite ses sociétés « performantes » à tirer profit d'une « coopération mutuellement bénéfique » en recevant aides et facilitées pour leurs investissements et exploitation au Sénégal.

Concernant les Nations Unies et les relations internationales, « la Chine est prête à intensifier sa concertation, coordination et coopération avec le Sénégal au sein des Nations Unis (ONU), de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC), du Forum sur la Coopération sino-africaine et dans d'autres enceintes multilatérales, pour oeuvrer ensemble au développement du nouveau type de partenariat stratégique sino-africain et à la promotion de la paix, de la stabilité, du développement et de la prospérité dans leurs régions et dans le monde »14.

Ces revendications chinoises entrent donc dans le cadre de l'Accord de coopération économique et technique entre la Chine et le Sénégal. La Chine conformément aux idées reçues a

13 APS du 25 juin 2006.

14 Citations extraites de www.fmprc.gov.cn, 22 juin 2006.

une politique diplomatique offensive, au Sénégal, et en Afrique plus largement. Ce terme, offensive, peut bien sûr cacher plusieurs idées et raisons d'être. La politique extérieure de la Chine au Sénégal est offensive dans le sens où les règles strictes et précises sont formulées. Les règles sont posées « cartes sur table ». Mais hormis le soutien sénégalais aux sociétés chinoises, ces principes sont bénéfiques aux deux parties, et, plus emprunts d'humanisme, de « coopération mutuellement bénéfique » que néolibéraux ou paternalistes.

Le second point de ce chapitre démontrera d'ailleurs qu'elle ne tire pas un bénéfice incommensurable de ces relations.

Que recherche la République du Sénégal dans le rétablissement des relations diplomatiques avec la Chine ? A première vue, elle participe à la tendance générale, en Afrique, où Taiwan perd un à un ses partenaires, ouvrant son territoire à l'État en passe d'instaurer un nouvel ordre politique et, qui sait, économique mondial. Elle projette son avenir et réfléchis à une éventuelle place onusienne. Ces raisons sont certes suffisantes (possibilités de commercer avec la première puissance démographique mondiale, le prochain marché intérieur mondial, la future puissance internationale et siéger à l'ONU) mais d'autres choix sont intervenus dans cette décision.

La recherche de nouveaux partenaires économiques et politiques sur la scène internationale est une des priorités des différents gouvernements sénégalais depuis l'indépendance en 1960 sous la présidence de Léopold Sédar Senghor. Asie (Japon, Chine, Taiwan, Corée du Sud et Inde), Amérique Latine (Brésil), Moyen-Orient (Iran) et Maghreb (Maroc, Algérie), Amérique du Nord (États-unis et Canada) et Océanie (Australie) sont les partenaires choisis par le Sénégal pour pallier à la prépondérance politique et économique française.

Lier des relations avec la RPC, les États-unis et l'Iran est l'exemple du déploiement diplomatique sénégalais sur la scène internationale : aucune idée reçue, seule la qualité du rapport compte.

Ceci étant dit, je souhaite avant d'aborder concrètement les aides entrant dans le cadre de la coopération sino-sénégalaise, revenir sur ce choix chinois.

Lorsqu'il reconnaît la Chine continentale, le Sénégal change dans un sens, un allié politique et économique pour un autre, plus intéressant et ce sur tous les plans, il faut le concéder. Que deviennent les aides de Taipeh15 ? Les relations sont-elles intégralement fermées ?

La réponse est non et oui. Non car Dakar désire conserver « des liens économiques, commerciaux et culturels »16. Oui car « Taipeh en a d'ailleurs immédiatement tiré les conséquences en annonçant, le même jour, outre le rappel de son ambassadeur, l'arrêt de tous les projets en cours

15 Taipei ou Taipeh est la capitale de l'île de Taiwan (République de Chine).

16 Op. cit. [8], page 11.

d'exécution dans le cadre de la coopération sénégalo-taiwanaise »17. Taiwan ou l'île de Formose selon l'appellation portugaise regrette amèrement cette décision en déclarant « c'est sous la pression politique, et appâté par une récompense financière, que le Sénégal a repris ses relations diplomatiques avec la Chine ». Mais depuis 1996, de nombreux projets économiques et sociaux ont été signés (voir tableau ci-dessous).

De 2001 à 2005, 200 milliards de Francs CFA18, soit environ 305 millions d'euros, ont été versé au Sénégal par l'île située sur la façade maritime Est-asiatique19.

Motivation économique plutôt qu'idéologique et politique, Taiwan ne rivalisa pas non plus dans les domaines des aides, si importantes soient-elles, pour la population sénégalaise.

La coopération sino-sénégalaise

Loin de moi l'idée d'imposer la Chine comme remplaçante de la France sur le plan économique, politique et culturel, elle propose néanmoins des caractéristiques intéressantes, parfois semblables et voisines de la politique extérieure de la France au Sénégal. Cela tombe bien : le gouvernement sénégalais souhaite lui diversifier ses partenaires.

L'aide chinoise touche tous les domaines, tous les secteurs. Si le rétablissement des relations est récent et ne présente encore que peu d'exemples de coopérations et aides, je vais tenter, grâce aux informations obtenues, de tracer les grandes lignes de cette coopération sino-sénégalaise, avant et après la parenthèse taiwanaise.

En guise de préambule, je dirai simplement que cette aide est multiforme, multisectorielle et relativement importante pour un État ne présentant pas de ressources énergétiques.

Si les grands travaux et grandes réalisations accaparent l'ensemble des crédits, la population n'est pas en reste et profite de cette manne (se reporter à la carte B, page 16) : ainsi deux années après l'officialisation de leurs relations, le Sénégal a bénéficié (en novembre 1973) d'un prêt de 50 millions de dollars remboursable en 25 ans (10 ans de délai de franchise) pour des projets de développement rural (hydraulique villageoise, riziculture du fleuve, barrages-écluses en Casamance, aménagements sylvo-pastoral du nord, fixation des dunes...), ainsi que pour un stade de 60.000 places à Dakar 20.

Pour plus de lisibilité, le tableau suivant énonce les aides, réalisations, subventions et partenariats.

17 cp. cit. [9], p. 11.

18 FCFA : 1 Euro équivaut à 655,957 FCFA.

19 Mission économique de l'Ambassade de France à Dakar.

20 Bulletin de l'Afrique noire, N° 886 du 27 octobre 1976.

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Certaines précisions sont nécessaires.

Antérieurement à la suspension des relations officielles en 1996, la Chine apporta son savoir-faire et son aide financière à la réalisation du stade de l'Amitié à Dakar (et actuellement à la réfection des 11 stades régionaux, le Sénégal comptant 11 régions administratives).

Le barrage d'Affiniam en Casamance (Sud du Sénégal, région naturelle de type mangrove) est une réalisation hydro-agricole qui permit l'aménagement de cette région en récupérant des terres cultivables. Aujourd'hui, le résultat est extrêmement positif car 7000 hectares sur les 12000 ont été gagnés et distribués aux paysans pour la riziculture, domaine où les chinois ont évidemment apporté leur savoir-faire ancestral. Enfin, dernier point, la salinité a baissé de 5 grammes au litre à 2, rendant donc ces terres cultivables (sol autrefois surchargé en sel, dont la population locale, la plus pauvre du Sénégal, à besoin).

Désormais des experts chinois coopèrent dans le maraîchage à Sangalkam21 (30 km à l'Est de Dakar) à Matam (mission technique de 11 membres, Matam est proche du fleuve Sénégal, au Nord-Est du pays) et à la riziculture à Podor (située sur le fleuve Sénégal au Nord du Sénégal, à 215 km de Saint-Louis), l'objectif étant l'autosuffisance alimentaire, prédite en 2015 par le ministre du Commerce, de la consommation et de l'artisanat, Khoureïssy Thiam.

Le pétrole est également au centre de la coopération : une délégation chinoise composée entre autres du directeur adjoint de la Compagnie pétrochimique de Chine (SINOPEC) vint courant 2006 sur le territoire de l'État africain dont la devise est « Un Peuple - Un But - Une Foi », devise inscrite sur l'obélisque au Nord du boulevard du général de Gaulle (cf photos ci-dessous). Cette compagnie qui a investi plusieurs milliards de dollars en Afrique (spécialisée dans la prospection) ouvre de nouvelles perspectives au gouvernement sénégalais.

Au niveau culturel la Chine reprend les projets taiwanais, ainsi l'Université du futur, la Bibliothèque Nationale, les espaces jeunes. Les étudiants sénégalais obtiennent par ailleurs des bourses de Pékin (environ 60 à 70 bourses annuelles seulement comparées aux 40 visas journaliers accordés22) et des professeurs chinois enseignent à l'Université Cheick Anta Diop de Dakar, à Thiès (Est de Dakar) et à Saint-Louis.

Un gigantesque projet est en cours de réalisation : le parc culturel national. Situé près de la gare ferroviaire et ayant une emprise au sol de 30 hectares, il accueillera le Grand théâtre national, l'École d'architecture, les Archives nationales, l'école des Beaux Arts, la bibliothèque nationale,

21 Annexe presse et citations page 181.

22 Selon Monsieur Liou de la mission économique chinoise de Dakar.

le musée des civilisations et le musée d'art contemporain. Ce sont les sept merveilles de Dakar, selon A. Wade. Entièrement financé par la RPC, il préfigure le Dakar de demain.

Dans la santé, une assistance est octroyée à la lutte contre le paludisme. Selon l'Agence de Presse Sénégalaise (APS), par laquelle j'obtins ces informations, « la fourniture de médicaments contre le paludisme d'une valeur de 2 millions de yuans (environ 1,3 milliard FCFA soit près de 2 millions d'euros) » est transmise par la RPC ; sans omettre les médecins chinois envoyés en renfort dans les principaux hôpitaux sénégalais et les recherches sur le qinghaosu, ou artémisine, menées par Zhenxing Wei, décédé en 199923.

Ce traitement semble porter ses fruits car « selon les experts chinois, la Chine a fait des progrès considérables dans la lutte contre ce fléau, du fait que le nombre de malades est passé de 60 millions en 1949 à 35 000 aujourd'hui sur tout le territoire national. »24. L'ouverture du séminaire le 20 Novembre 2006 à Dakar, sur la coopération sino-sénégalaise dans la lutte contre le paludisme, est donc justifié et prometteur.

La Chine offre identiquement 300 000 euros au Fonds de Solidarité numérique (structure créée par le président maître A. Wade) ; un lot de matériel bureautique25 d'une valeur de 750 millions FCFA (environ 29 000 euros) au Conseil de la République pour les Affaires Économiques et Sociales (CRAES).

Elle signe un contrat de financement pour 70 millions de dollars en faveur de la SENELEC (Société nationale d'électricité du Sénégal), par le biais de l'entreprise China National Machinery dont l'objectif est la réhabilitation des installations à Dakar.

Preuve en est que la Chine distribue également aux populations autochtones, si, toutefois, l'argent est bel et bien réparti : Li Zhaoxing, ancien ministre des Affaires étrangères remet à son homologue un chèque de 200 000 dollars en faveur des sinistrés d'inondations de grande ampleur, malheureusement récurrentes au Sénégal en hivernage (ou saison des pluies, typique du climat sahélien), qui touchèrent Dakar fin août 2005.

Les deux pays relancent les vieilles coopérations datant des années 1970, par exemple, entre l'agence de presse Xinhua (Chine Nouvelle) et l'APS permettant un échange d'informations et d'expériences. Chen Shun le chef du bureau de l'agence Chine Nouvelle fut d'ailleurs formé à l'Université de Dakar.

23 En annexe page 181.

24 Xinhua du 21 novembre 2006, www.china.org.cn/french/275547.htm

25 « 6 ordinateurs Pc, 8 ordinateurs portables, 9 onduleurs, 12 cartouches imprimantes, 6 imprimantes laser, 2 appareils numériques et 2 caméras numériques ».

Le Soleil du 31 mars 2007.

Au sein de l'Assemblée Nationale, je constate la création d'un groupe d'amitié Chine- Sénégal qui permet les relations entre les deux Parlements. L'échange de délégations, échanges de points de vue concernant les grandes organisations internationales dont elles sont membres, par exemple, l'Aicesis ou Association internationale des conseils économiques et sociaux et institutions similaires. Le Sénégal pourrait à cette occasion rappeler à la Chine que le pluralisme politique (partis d'opposition) est un gage de démocratie.

Une relation de bien moindre importance est le sport. La Chine construit en Afrique de prestigieux complexes, souvent footballistiques. Le football en Afrique Subsaharienne est pour les jeunes, une des seules possibilités de s'exiler et est avec la lutte, le sport national au Sénégal. Il n'est donc pas étonnant que des équipes chinoises aillent chez les Lions (appellation de l'équipe nationale Sénégalaise) rencontrer les équipes autochtones et y faire des stages de préparation. L'athlétisme pourrait également être au coeur des relations sportives.

Le secteur militaire est lui aussi concerné dans ces nouvelles relations bilatérales. Le 3 mars 2006, « le chef d'état-major général des forces armées du Sénégal, Pape Khalilou Fall, a eu, jeudi à Pékin, avec le ministre chinois de la Défense nationale, Cao Gangchuan, des entretiens à l'issue desquels les deux hommes sont convenus de consolider les relations militaires entre leurs pays ». Si la source (APS) ne présente pas les perspectives de cette relation militaro-politique, je peux simplement présumer un échange de savoir-faire (chinois et français dans le cas du Sénégal) et des pourparlers concernant la présence militaire chinoise au Soudan et dans les futurs conflits africains.

Un traitement douanier avantageux est réservé aux exportateurs sénégalais. Selon l'APS, « quelque 194 produits d'origine sénégalaise peuvent bénéficier d'un traitement douanier préférentiel de la Chine [...] cette initiative chinoise concerne essentiellement les produits halieutiques, agricoles, miniers, chimiques, des cuirs et peaux, du bois, du coton, du textile et des vêtements, des produits de la bijouterie et d'artisanat ». Dakar souhaite par la même occasion provoquer certains partenariats, ciblés, tels le riz, l'arachide et l'asperge, les filières horticoles, l'aquaculture, les télécommunications et informatiques, le textile et la création d'unités d'assemblage de produits intermédiaires chinois dont l'électroménager, de la quincaillerie, des matériaux de constructions, des produits textiles et des chaussures .

En définitive, le but recherché est clairement affiché par les économistes sénégalais : « la partie sénégalaise voudrait d'une utilisation du Sénégal, comme plateforme de distribution de la sous-région à l'instar de Dubaï »26.

La Chine annule les dettes des États africains et le Sénégal ne fait pas exception : elle a annulé la dette bilatérale pour un montant de 10 milliards de FCFA (plus de 15 millions d'euros). Le titre du Moniteur Africain 1V° 451 du 21 mai 1970 est visionnaire, en remplaçant toutefois « Afrique » par Sénégal : « CHINE POPULAIRE : le commerce avec l'Afrique, d'un volume modeste, veut être avant tout, l'affirmation d'une présence politique ».

J'ai, dans ce premier point, énumérer les principales clauses rentrant dans le cadre des relations diplomatiques entre ces deux pays étudiés, que sont le Sénégal et la Chine. Ces relations très récentes27 ouvrent néanmoins de nombreuses portes et possibilités de développement au Sénégal. L'économie, le commerce, l'agriculture, la science, la technologie, le transport, l'infrastructure et la mise en valeur des ressources humaines sont autant de domaines à explorer entre les deux parties. Un exemple, la volonté de A. Wade de développer son pays en incitant les sociétés chinoises à s'installer, comme en témoigne l'APS, le 25 juin 2006, lors du voyage en Chine du chef de l'État : « [j'ai] demandé aux entrepreneurs chinois de venir s'établir au Sénégal afin de bénéficier des facilités accordées dans le cadre de l'AGOA (Loi américaine pour la croissance et les opportunités d'affaires en Afrique) ». Les relations bilatérales vont permettre une intensification des consultations et des coopérations à l'échelle internationale comme régionale.

A ce stade, il est nécessaire de visualiser la présence chinoise au Sénégal, en termes économiques.

26 Ces citations ressortent des différents articles de l'APS (organisme de presse officiel avec Le Quotidien, et, Xinhua pour la Chine), www.aps.sn

27 Voir en annexe Visites et rencontres officielles les relations diplomatiques depuis 2005, pages 145 et 146.

Obélisque de l'indépendance du Sénégal. Ce monument est situé à l'extrémité Nord
Du boulevard du général de Gaulle. Le 3 février 2007.

2. L'économie : un partenariat prometteur

Ce titre résume bien l'état des lieux économique de la position chinoise au Sénégal. La Chine, d'années en années, se positionne comme un partenaire non seulement de plus en plus important, viable, mais surtout, comme un des tout premiers importateurs et exportateurs.

En 2005, la Chine devient le quinzième importateur, ou, pays client du Sénégal ; elle figurait à la quarantième place en 2000. Identiquement, elle se classe au septième rang des exportateurs en 2005 ; elle gagne cinq places en cinq ans (voir graphique 1). La RPC devient donc incontournable dans l'économie sénégalaise. Bien sûr, elle reste considérablement en deçà du rôle économique global de la France et des États européens. Mais sa responsabilité est ailleurs. Elle se trouve dans l'économie dite micro-économique (consommateurs) et dans ce domaine, son implication est grande, même si la Chine en tant qu'État n'y joue que peu de fonctions.

Il convient dans cette subdivision du premier chapitre d'éclairer le lecteur sur la présence économique chinoise au Sénégal. Pour ce faire, je vais décrire et analyser cette section graduellement, en y appliquant une relation d'ordre décroissante. La place de la Chine dans l'économie sénégalaise en premier lieu en incorporant les importations et exportations, les secteurs économiques où la Chine investit et joue un rôle, les grandes réalisations chinoises au Sénégal et en dernier lieu, la responsabilité directe et indirecte de la Chine dans l'économie informelle dans la République du Sénégal, dont les produits made in China.

La place de la Chine dans l'économie globale

Tout d'abord un peu de prospective. Si la Chine continue sur la même évolution, elle sera au premier rang des exportations sénégalaises en 2008 et en 2012 pour les importations. Bien sûr, cette progression sera plus lente au fur et à mesure qu'elle se hissera dans ce classement, mais tout de même, sur cette période 2001-2005, l'ascension (graphique 1) est fulgurante et prometteuse ! Si l'on fait la moyenne entre les rangs exportations et importations, la Chine figure en 2005 à la 1 1e place, elle se trouvait à la 26e cinq années auparavant.

La Chine et le Sénégal, au regard de ces chiffres, n'ont pas attendu la reprise des relations en Octobre 2005 pour commercer. Pourtant, ces échanges commerciaux restent modestes. Dans l'annexe Ta page 147, sur la période 1996-2005, les exportations sénégalaises vers la Chine ne dépassent pas les 2 %, les importations 4 %. C'est peu, quasiment insignifiant. Toutefois, les exportations comme les importations augmentent régulièrement. Il faut nuancer. Les exportations du Sénégal vers la Chine restent faibles. Les importations28, à l'opposé, sont plus importantes comme le démontre le graphique 2. Le rouge représentant les importations sénégalaises de Chine l'établi. Les courbes, dans les deux cas, augmentent. Le graphique 3 propose la même tendance sur la période 1996-2005. Sur ce dernier, un fléchissement est visible en 1997 et 2000. Le premier correspond à la reconnaissance de Taiwan par le Sénégal, le second est plus ardu à définir. S'agit t'il d'un fait isolé au cas chinois ? Il semble que non.

28 Doing Business, pratique des affaires en 2006-créer des emplois, Éditions ESKA, Banque Mondiale, 2006.

Une parenthèse s'impose : il faut savoir que le Sénégal figure en bonne position dans le classement « où est-ce facile d'exporter » de la Banque Mondiale, page 71. Il faut 6 jours, le Danemark en comparaison, premier sur cette liste, est à 5. Par ailleurs, pages 120 à 122, le tableau « commerce transfrontalier » nous indique certains éléments : il faut 6 documents pour l'exportation au Sénégal (6 en Chine et 7 en France) ; il faut 8 signatures (7 en Chine et 3 en France) ; il faut donc 6 jours (20 vers la Chine et 22 en France). Concernant l'importation, il faut 10 documents (11 en Chine et 13 en France) ; 12 signatures (contre 8 en Chine et seulement 3 en France) et 26 jours (pour 24 en Chine et 23 en France). Une dernière donnée, la « facilité de faire des affaires » classe le Sénégal à la 132e position (la France est 44e, la Chine 9 1e).

Sur les graphiques 4 et 5, une légère baisse dans les exportations et importations est visible. Concernant les exportations, en 1997, une relative baisse s'opère pour l'Europe, l'Amérique et l'Asie mais en 2000-2001, seules les régions Asie et Afrique sont touchées. Il faut donc noter que la Chine n'est pas isolée dans cette baisse des exportations sénégalaises et notamment pour l'année 2000 (1996-1997 s'explique, principalement, par l'arrêt des relations bilatérales). Pour les importations, la même constatation s'impose : en 1996-1997, l'Asie et l'Amérique sont touchées, en 2000, l'Europe, l'Amérique et l'Asie. Je conclurai cette analyse en affirmant une relative décroissance des échanges commerciaux du Sénégal en 1996-1997 et surtout en 2000.

Je reviens sur ces exportations sénégalaises vers la RPC. En m'appuyant sur les graphiques 6, 7 et 8, je démontre l'augmentation croissante de ces exportations. Le nombre de produits (5 à 18), leurs valeurs (1 213 771 952 à 3 973 342 711) ou leurs poids (1 584 834 à 6 564 911) en atteste29.

Quelles sont ces exportations, quelle en est la nature ? C'est le secteur de la pêche qui accapare l'ensemble des produits. Le coton en second, les « peaux brutes de bovins ou d'équidés », les « dérivés halogènes des hydrocarbures30 », les « autres produits » et les « voiture de tourisme, autres véhicules de transport de personnes » enfin31.

À ce sujet, les voitures chinoises, une parenthèse s'avère nécessaire. Ces dernières années, les constructeurs chinois, en retard technologiquement, achetaient les moteurs japonais, réputés

29 Ces figures ont été réalisées à l'aide des données de l'annexe Ib, page 147.

30 Éléments chimiques tels que le fluor, le chlore, le brome, l'iode et l'astate, www.wikipédia.org

31 Annexe Ic, page 148.

fiables, pour les monter sur leurs automobiles bon marché. La Chine vend d'ores et déjà des moyens de locomotion en Afrique, ce n'est pas une nouveauté, elle vend des motos et mobylettes à Douala, au Cameroun par exemple à trois fois moins cher que ses concurrents : « les Camerounais se sont donc équipés en masse pour développer un nouveau métier : moto-taxi. » [...] « C'est bien ça a amorti la pauvreté au Cameroun, maintenant c'est à la portée de n'importe qui, n'importe quel Camerounais peut avoir une moto, les Chinois ont gagné le marché, ils ont simplifié la vie, la vie est devenue un peu moins cher »32. Mais la nouveauté, est la création dans les usines chinoises de moteurs 100 % Chinois. La découverte du tout premier concessionnaire en Afrique de l'Ouest, Espace Auto, est importante. La vendeuse, peu formée à répondre à des questions exigeant des réponses précises, m'apporte cette seule information, qui vaut toutes les informations, sur ces modèles (annexe Id, page 149) moins chers que la Logan33 : après les scooters et autres deux-roues, ce sont les voitures que la Chine tente d'exporter sur le continent africain, si besoin est, en bradant la voiture.

Au sujet des importations, grâce à l'annexe Ie, page 150, je peux distinguer les produits importés. Le thé, le tissu, les chaussures, les « machines et appareils pour le conditionnement de l'air », les « appareils récepteurs de télévision, y. c. vidéo » et « autres produits » représentent la majorité des importations.

Avant d'éclairer au mieux le lecteur et de définir les principaux secteurs d'activité où la Chine joue un rôle important ou du moins non négligeable, je dois remettre la place de cet État au niveau international. La Chine fait partie de la région géographique Asie. Quatre autres régions sont analysées, l'Europe, l'Afrique, l'Amérique, l'Océanie. Selon le classement de l'ANSD, certains partenaires économiques, ne pouvant être intégrés dans ces régions, sont classés dans Autres.

Quelle est l'évolution des exportations (graphiques 9, 10 et 11) et importations (graphiques 12, 13 et 14) sénégalaises pour la période 2001-2005 selon les régions ? Dans ces différentes figures, on perçoit bien la place occupée par l'Asie : c'est la troisième région cliente du Sénégal et de même pour les importations sénégalaises, derrière l'Europe et l'Afrique, mais devant l'Amérique et l'Océanie. L'Europe y est donc prépondérante, s'expliquant par le facteur historique (Traite, colonisation, décolonisation, néocolonialisme). L'Afrique de par sa proximité géographique est de fait en seconde position, il est naturellement plus aisé pour un État d'échanger, de commercer avec les marchés voisins que distants.

32 Un oeil sur la planète, que fait la France en Afrique ?, 5 Décembre 2005, France 2.

33 La Logan est une automobile Dacia (marque du groupe Renault) fabriquée et destinée au marché Est Européen (Roumanie et Bulgarie notamment puis au marché Sud-américain). Son prix minimum s'accorde sur ses prestations minimums. Les constructeurs chinois (Chery et GWM) et leurs voitures (Chery, Safe ou Hover) sont les copies conformes de cette volonté d'inonder les marchés africains et Sud-américains peu enclins à se pourvoir d'autos européennes et américaines, inaccessibles.

La logique historique voudrait pourtant que ce soit l'Amérique et en tête les États-unis qui devancent économiquement les pays asiatiques. Mais la conférence de Bandung y est pour une large part, responsable de ce constat (point 2. du Chapitre II de la Troisième partie, page 132). D'ailleurs les États-unis, plus soucieux de protéger leurs points d'ancrage pétroliers et sécuritaires en Afrique Subsaharienne, en oublient certains principes diplomatiques essentiels (et peu estimés de l'actuelle équipe présidentielle étasunienne), dont celui-ci : une bonne relation diplomatique commence par de bonnes relations commerciales. L'Asie tient donc sa place. Mais dans cette Asie, que représente la RPC ? Car c'est bien là une question essentielle. Elle représente 2,84 % des pays clients (exportations du Sénégal) et 16,42 % des pays fournisseurs (importations) sur cette période. Soit, une moyenne de 9,63 %. La Chine représente donc environ 9 % des échanges commerciaux du Sénégal avec l'Asie, elle-même classée en troisième position des régions partenaires du Sénégal34. C'est peu. C'est modeste.

34 Données en Annexe If, page 151.

Je vais maintenant changer d'échelle et examiner la position chinoise par rapport à certains États, délibérément choisis. La France, les États-unis, le Liban, la RPC, l'Inde, la République de Chine et le Brésil sont ici étudiés en raison de leur particularités historiques (France, États-unis et Liban) et économiques (Inde et Brésil). J'aurai pu ajouter certains États africains tels le Mali, la Côte d'Ivoire par exemple, pour leurs liens historiques et économiques, toujours mais autres, avec le Sénégal, mais ceci n'aurait eu comme effet que d'alourdir l'étude de données non essentielles à la compréhension.

Les graphiques 15, 16, 17, 18, 19 et 20 et les cartes C et D, pages 32 et 33 expriment l'idée de la place de la Chine en comparaison de ces pays.

30

À l'export, elle se classe derrière l'Inde, la France et devant les États-unis, Taiwan, le Liban et le Brésil.

À l'import, elle est toujours en troisième position mais cette fois derrière la France et les États-unis et devant le Brésil, l'Inde, Taiwan et le Liban.

Cette période définie (2000-2005) permet de faire une moyenne des exportations (3,61 %) et importations (7,86 %) sénégalaises par rapport à la Chine continentale. Elle permet par ailleurs une évolution des exportations (négative) et des importations (positive). Par conséquent, le Sénégal exporte de moins en moins et importe de plus en plus vers et envers la République Populaire de Chine.

Je ne détaillerai pas plus ces graphiques, mais il faut remarquer dans, l'Évolution des exportations sénégalaises en millions de francs CFA par pays étudié, que les pays sont scindés en deux groupes : le groupe à évolution positive comprenant les États-unis d'Amérique, l'Inde et la République de Chine et le groupe à évolution négative où la France, le Liban, la Chine et le Brésil importent moins de produits sénégalais.

Sur la figure Évolution des importations sénégalaises en millions de francs CFA par pays étudié, aucune distinction hormis de par l'importance de ces importations, ne peut être faite. Le Sénégal importe beaucoup et de façon croissante et exporte peu, de façon discontinue, selon ses partenaires.

De même, je peux démontrer à l'échelle régionale les rapports économiques entretenus avec le Sénégal (cartes E et F pages 36 et 37). L'Europe ainsi que l'Afrique sortent du lot respectivement avec 37,2 % et 32,8 % pour les exportations et 63,8 % et 18 % pour les importations. A l'export, l'Asie en troisième position importe 18,5 % du total des exportations (en millions de FCFA) et devance l'Afrique à l'import avec 18,6 %. Les Amériques, l'Océanie et « Autre pays » sont de moindre importance. Le lecteur pourra par ailleurs apprécier l'évolution des échanges commerciaux sur les deux cartes. Concernant les importations, l'Asie double son volume de 1996 à 2005.

Ayant je l'espère éclairci le lecteur par ces données, il convient de synthétiser cela.

Premièrement, la balance commerciale Sénégalaise est déficitaire, comme la majorité des États d'ailleurs, les États-unis y compris. Sur le graphique 21, le Sénégal est seulement bénéficiaire avec Taiwan (au troisième trimestre 2006) et de 150 millions de FCFA soit environ 230 000 euros. Sur une échelle-temps plus grande (graphique 22), entre 2000 et 2005, seuls l'Inde et le Liban dans une moindre mesure apportent une balance commerciale positive au Sénégal. La conclusion est simple : l'Inde importe des phosphates (Deuxième partie Chapitre II, page 109) et ne vend que très peu au Sénégal. Le Liban de par sa communauté présente au Sénégal, achète certains produits

finis. Les autres partenaires exportent beaucoup, importent peu. La Chine plus précisément, exporte une quantité non négligeable de thé, de textile, de matériaux de construction pour ne citer que ces exemples. Ses importations sénégalaises (pêche et tissus) ne comblent pas l'excédent (Annexe Ib, page 147). Sur la période 2000-2005, elle importe pour 0,48 % des exportations totales du Sénégal et exporte pour 3,11 %. Pour l'Asie, elle dépasse les 15 % dans les importations sénégalaises mais est à environ 2 % pour les exportations vers ce continent économique. Si certains secteurs ressortent, la pêche, le textile, il n'en reste pas moins que le poids chinois sur l'économie de l'État d'Afrique de l'Ouest est ailleurs.

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Ayant visualiser la place de la Chine dans l'économie sénégalaise, je vais décrire les secteurs importants rentrant en ligne de compte dans leurs relations commerciales : la pêche et ses produits halieutiques, le textile, les matériaux de construction, les marchandises made in China et les grands projets gouvernementaux.

Pénétration chinoise dans les secteurs économiques sénégalais : cas de la pêche

Le secteur de la pêche au Sénégal est d'une importance capitale. Ce secteur participe à hauteur de 21,7 % des recettes d'exportations ou 165 milliards de FCFA, en 2005.

La pêche artisanale permet à des milliers de foyers de se nourrir, de vivre tout simplement35 : la population active dans cette activité est de 103 843 dont 96 030 hommes. Environ 15 % de la population active sénégalaise vit de la pêche.

Il faut par conséquent distinguer la pêche artisanale de la pêche industrielle, soit, comme dans tous les pays à l'échelle monde. La pêche artisanale donc concentre 5 000 pirogues et 89 % des débarquements de la pêche maritime globale. Il faut savoir qu'en parallèle de la raréfaction des ressources halieutiques, le parc piroguier s'est vu amputé de 48 % : de 10 707 pirogues en 1997, il est passé à 5615 en 2005. Les quantités débarquées représentent paradoxalement 406 248 tonnes en 2005 contre 394 996 en 2004. Les principaux produits sont les poissons, les mollusques et les crustacés.

Ce secteur crée de l'emploi, occupé par les hommes sur les pirogues (voir photo ci-dessous) et féminin pour la transformation des produits. 58 % des produits alimentaires halieutiques sont consommés au Sénégal. Les 42 % restants sont exportés en Afrique de l'Ouest à 97 %, en Europe pour 2 %. Le reste en Asie36.

Le poisson, fait partie intégrante de la culture et de l'alimentation sénégalaise. Le Thieb bou Djen, plat local très bon marché préparé à base de riz et de poisson grillé en est l'exemple. La viande, de bonne ou mauvaise qualité étant onéreuse, le poisson est le plat indispensable à la santé (apport de protéines), restant accessible à la majorité. Si la pêche artisanale correspond à l'ensemble des débarquements de la pêche maritime Sénégalaise, je ne vais pas négliger la pêche industrielle, d'autant que c'est ce secteur qui m'importe dans l'étude.

35 Selon la source ci-dessous [36].

36 Situation Économique et Sociale du Sénégal Édition 2005, Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD).

Preuve de l'importance de cette activité, le village de pêcheurs en contrebas du palais présidentiel, auprès de l'Océanium, sur le Plateau dakarois. Le 29 février 2007.

La pêche industrielle au Sénégal représentait en 2005 138 navires, 36 097 débarquements. Elle est strictement implantée à Dakar et inclut des armateurs étrangers. Selon la Situation Économique et Sociale du Sénégal de 2005, « elle ravitaille le frigorifique du port, et les usines de transformation. La pêche chalutière, la pêche thonière et la pêche sardinière constituent les trois composantes de la pêche industrielle. Elles ont débarqué en 2005, 50 900 tonnes avec une hausse de 12,8% par rapport à l'année 2004. ».

La pêche chalutière assure 71 % des débarquements, 2 % pour la pêche sardinière et 27 % pour la thonière. Les exportations de produits halieutiques sont de 118 712 tonnes en 2005 (+ 1,1 % par rapport à 2004) pour une valeur de 165,14 milliards de FCFA (environ 250 millions d'euros). L'Europe importe à 66 %, l'Afrique, 25 % et l'Asie 7 % (+ 5,5 % par rapport à 2004) sont les principaux clients. L'Asie importe pour 0,006 tonnes donc 6 kilos, soit environ 4 milliards de FCFA (ou environ 6 millions d'euros) en 2005.

Quelle est la place de la Chine dans ces statistiques ? Il est difficile de le savoir. Les seuls chiffres plausibles sont 16 375 972 FCFA de l'annexe Ib « Poissons plats (Pleuronectides, Bothides, Cynoglossides, Soleides, Scophthalmides et Citharides) ». Selon une autre source, en Annexe Ic, page 148, le total en 2005 des exportations sénégalaises (halieutiques) vers la Chine serait de 561 998 679 millions de FCFA. Ce chiffre plus vraisemblable se rapprocherait de la vérité.

Mais la Chine n'est pas seulement importatrice, elle participe activement au développement du secteur de la pêche au Sénégal, et bien sûr, à l'exploitation de ses ressources. À ce sujet, le numéro 204 de l'hebdomadaire La Documentation Africaine, du 26 octobre 1976, annonce déjà cet enjeu37.

37 En annexe entretiens, page 182.

Les sociétés Sénégal Pêche et Sénégal Armement « sont deux sociétés de droit sénégalaises qui ont des partenaires Chinois. 51 % du capital est détenu par le privé sénégalais. »38. Ces entreprises détenues à 49 % par des capitaux chinois (filiales de l'entreprise d'État China National Fisheries Cooperation (CIFC), premier groupe chinois de pêche) exercent depuis les années 195039. Sous contrôle japonais et dirigée par une famille Italienne, ces sociétés Sénégal Pêche et Sénégal Armement sont revendues aux Coréens au milieu des années 1970, la cause étant le coût de la main d'oeuvre. Les Japonais deviennent négociants et vendent les navires aux Coréens, moins exigeants en terme de salaires. En 1984, les Coréens peu compétitifs et détruisant les ressources halieutiques du Sénégal par surexploitation des fonds marins, revendent les entreprises aux Chinois qui désirent investir en Afrique du fait de la raréfaction des ressources sur la façade maritime chinoise (Mer de Chine Méridionale). Ces derniers prisent un certain poisson jaune devenu introuvable en Asie du Sud-Est. Selon M. Yin : « un besoin intérieur, une opportunité extérieure ». Fin 1984, la première flottille chinoise (pavillons de complaisance40) débarque à Dakar mais étendant leurs zones de pêche jusqu'en Guinée Bissau, ils se font notoirement remarquer et accusent certaines critiques.

Cette année, le président de la société Africamer (qui ne m'aura jamais accordé d'entretien malgré mes nombreuses relances) El Hadji Daouda Faye, actuel ministre des Sports41, ne paie qu'une fois sur cinq la société codétenue par les Chinois, d'où une accumulation de dettes (10 milliards de FCFA) envers cette dernière. S'ensuit une crise sociale, où environ 2000 emplois sont directement remis en cause, comme en témoigne la presse locale42.

Heureusement, la bonne gestion de Sénégal Pêche et Armement permet la sauvegarde des salaires, donnant aux dirigeants chinois une image positive (65 % des créances sont abandonnées, le reste dans les années suivantes). Actuellement, la société possède 14 chalutiers glaciers et 12 chalutiers congélateurs dont la moitié naviguent.

Plus simplement, une entité (Sénégal Armement, premier armateur au Sénégal) exploite et l'autre (Sénégal Pêche) transforme (c'est l'une des plus grandes unités de transformation de poisson dans ce pays). Elles se distinguent par leurs activités élargies, permettant de la pêche au conditionnement, d'exporter les produits selon les normes internationales (norme du froid). D'ailleurs, la transformation sur place occasionnant de la valeur ajoutée et surtout, exportant au

38 Entretien avec Monsieur Dougoutigui Coulibaly, secrétaire général du Groupement des Armateurs et des Industriels de la Pêche au Sénégal (GAIPES).

39 Historique selon Monsieur Yin, entre autres, propriétaire du restaurant La Noix d'Or à Dakar (cf carte 0 page 180 et l'annexe entretiens page 161). Il travailla à Sénégal Pêche.

40 Bateaux immatriculés au Sénégal pour avoir accès aux eaux territoriales sénégalaises.

41 Confirmation sur le site du Ministère des sports, www.sports.gouv.sn

42 Presse et citations page 182.

minimum à 80 % (par rapport au C.A.) permet d'obtenir le statut de l'entreprise franche. Une réserve cependant, Sénégal Armement ne bénéficie pas d'exonérations (portant sur les avantages fiscaux et douaniers).

Toujours selon M. Yin, Africa Sea Food, dirigée par un certain « Tian », eut le projet de créer une usine spécialisée dans les sardinelles, financée par la Banque Mondiale. L'usine sitôt construite fut fermée du fait de contentieux à propos de la caisse de recouvrement. La presse locale accusa la « mafia chinoise » de profiter des aides.

Toutefois, trois années après la reprise par les actionnaires chinois, Sénégal Pêche devient le leader du secteur et se permet de doubler son chiffre d'affaires par rapport à Africamer. En 1999, année exceptionnelle s'il en est, 45 millions de FCFA sont comptabilisés grâce à « l'année du poulpe »43 (généralement l'entreprise est plutôt proche des 25 millions de chiffre d'affaires). En 1999 toujours, la société emploie 2000 employés dont une quinzaine de Chinois originaires de la province du Henan.

En complément, je citerai la Direction de la Protection et de la Surveillance des Pêches, en annexe, page 182.

Afin de conclure sur le secteur de la pêche, je citerai certains faits et anecdotes intéressantes. Aujourd'hui, le dépôt de bilan à Africamer est imminent. Malgré une démarche auprès du président Wade et une aide financière gouvernementale, l'entreprise stagne. La cause : ces années de détournements imputables aux dirigeants sénégalais. La pêcherie frigorifiée n'est plus rentable. Elle aussi est en crise.

Un cas pourrait être approfondi, celui de Dakar Marine. Cette société devant être privatisée, les Chinois postulaient au rachat. Principaux clients, techniciens de cette entreprise et des navires, ils étaient légitimes. Pourtant, la France ou plutôt le secteur privé français refusa de céder les parts, de crainte de voir ce secteur accaparé par les gestionnaires asiatiques. C'est finalement des fonds portugais qui reprirent l'activité, preuve de conflits d'intérêts et de pouvoirs dans ce secteur précieux du Sénégal.

Il faut enfin noter la présence des entrepreneurs chinois et de leurs employés durant cette période, 1984 à de nos jours, malgré l'arrêt des relations bilatérales. Des Chinois combattus par le GAIPES, mais plus soucieux de l'environnement que les exploitants précédents (Japonais et Coréens) et créant de la valeur ajoutée, créant des emplois44, donc, attirant la bienveillance.

43 Confirmée par Monsieur Coulibaly.

44 Entretien avec M. Coulibaly : voir l'annexe entretiens, page 174.

Le transit Asie-Afrique

Le secteur maritime sénégalais ne se limite pas à la seule pêche. Un point sur lequel il faut se pencher est le transit international, notamment d'Asie vers l'Afrique de l'Ouest45. Ce transit fait débat chez les responsables sénégalais. C'est par ce moyen et donc par les conteneurs que sont déchargés les produits made in China destinés au marché sénégalais.

Un exemple précis est la société China Shipping Container Lines Shenzen Co., Ltd Dongguan Branch (CSCL), dirigée à Dakar par Sogui Diop. Cette société créée dans les années 1970 et qui exerce la manutention, la consigne et le transit possède 70 navires, dont un accostant tous les quinze jours à Dakar (mais aussi en Côte d'Ivoire, au Ghana et au Nigéria). Les produits selon Monsieur Diop, sont du « divers », « par exemple de l'habillement pour l'import et du coton, sel et poisson à l'export ». Le textile est caractéristique des produits made in China vendus à Dakar. CSCL est le seul pavillon chinois au Sénégal. Les Chinois de Chine, je dois le préciser, pragmatiques et ambitieux, voient un nombre croissant de conteneurs appareillés dans les ports de Shanghai46 (le plus grand et le plus exploité en RPC) à destination de l'Afrique et donc de l'Afrique de l'Ouest : ils en tirent les conséquences et s'installent directement à l'arrivée, ici Dakar. Pourquoi laisser des parts de marchés aux concurrents français, espagnols ou panaméens ? D'autant que la nouvelle voie maritime du Nord, passant par le Nord du Canada sera un gain de temps sans précédents dans les échanges maritimes internationaux. S'il faut encore quelques années et certaines infrastructures pour voir aboutir ce projet rêvé par tous les commerciaux asiatiques et européens, cette perspective est également intéressante pour l'Afrique de l'Ouest.

45 Une nouvelle « ligne maritime Tanger-Cotonou via Casablanca, Las Palmas, Dakar, Abidjan et Lomé permettra de désenclaver le continent ». Elle va « intercepter l'ensemble du fret qui va en Afrique », selon Taoufik Benjebara, le directeur général du groupe marocain Comanav. « En ligne de mire, les ports espagnols de Barcelone et Valence, où arrive une majorité des bateaux venant d'Asie [...] en assurant la liaison entre la ligne africaine et ses différents ports, nous allons croiser les deux autoroutes maritimes du monde et ainsi ouvrir le continent ». « Les opérateurs chinois cherchaient un nouvel armateur » car le fret Asie-Afique est en augmentation de 15 % par an.

Jeune Afrique du 4 au 10 février 2007, N° 2404, p. 72.

46 Voir carte G, page 43.

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Le secteur du textile, autre domaine économique à forte concurrence

Un autre secteur où la Chine et ses expatriés détiennent un rôle économique est le textile.

Le textile représente 8 % des exportations totales sénégalaises (en Chine)47 et une part non négligeable des importations, difficile à estimer. Le textile qui au Sénégal est surtout le vêtement, l'habillement, est entré depuis l'apparition du textile en provenance de la Chine dans une crise structurelle. Car c'est bien une évolution du marché qui caractérise cette crise économique. Toutes les usines (il y en a 8, deux fois plus il y a vingt ans) sont en déficit. Pourtant, et c'est le comble en quelque sorte : ce sont les Sénégalais qui importèrent les premiers ces habits à prix défiant toute concurrence locale.

Visitant des entrepôts et unités d'assemblages, lorsque je demandais de quel pays était originaire le tissu, tous me répondaient le Mali ou le Sénégal. Pourtant, les inscriptions indiquant la provenance du textile parlent d'elles-mêmes (voir photo).

Cartons made in (the people's republic of) China déposés derrière un atelier d'assemblage

(pantalons et chemises), proche du marché Sandaga, Plateau, Dakar.

Le 28 février 2007.

47 L'impact de l'émergence chinoise et indienne en Afrique, Étude de cas sur le Sénégal, Eric Hazard, Lotje De Vries, Mamadou Alimou Barry, Alexis Aka Anouan, Enda Prospectives Dialogues Politiques, 2007

L'industrie locale est donc très affectée. Pour preuve, les déclarations du secrétaire de la Nouvelle Société du Textile Sénégalais (NSTS), Monsieur Diongue48. Il déclare lors d'un entretien, à propos de cette concurrence : « c'est de la concurrence déloyale ! Au niveau de la main d'oeuvre, de l'électricité, des marges bénéficiaires, des ingrédients, et cætera ! A cause d'eux nos activités sont gelées ! Ce n'est pas un coût analytique, les prix et marges sont fixés. ». Lorsque je lui demande par quels moyens les fournisseurs chinois se permettent de vendre à des prix défiant toute concurrence, il rétorque : « ils se concertent avec le gouvernement ! En plus ils engagent des prisonniers condamnés aux travaux forcés ! ».

Certes, Monsieur Diongue possède un avis tranché. Mais il n'est pas le seul (Chapitre I de la Deuxième Partie, page 84).

Le secteur du textile au Sénégal n'est pas composé de la seule industrie. La confection artisanale et la friperie rentrent en ligne de compte. La confection par les artisans résiste mieux : les couturiers et tailleurs (estimés à 30 000), satisfont à une demande particulière : les fêtes religieuses (et coutumières) ainsi qu'à la pratique récurrente des Sénégalais à ce corps de métier, pour confectionner les habits traditionnels (et les renforcer, le textile acheté restant de qualité très moyenne). Les artisans « eux ne sont pas réellement révoltés [de la concurrence chinoise], ils sont mécontents de la façon de faire des commerçants en général : avec leurs marges notamment. Ah oui, en plus, ils ne signent pas [made in Senegal] à la demande des commerçants, pour qu'ils signent made in Italy par exemple ! ». Momar Ndao, président national de l'Association des Consommateurs du Sénégal (ASCOSEN) explique donc que les artisans sénégalais, peu touchés, protestent contre tous les commerçants sénégalais qui se permettent de confortables marges au détriment de ces producteurs et, qu'en signant ceci, ils dénaturent leur travail afin de toucher une plus large clientèle car « selon les moeurs, les meilleurs produits viennent toujours de l'extérieur ! ». La friperie quant à elle est directement affectée.

La friperie est le textile vendu sur les marchés locaux. Elle est de fait directement en concurrence avec les produits chinois, de qualité et à prix bas : « le commerce des produits textiles chinois pourrait bien se substituer totalement ou en très grande partie à cette activité commerciale. ». A ma question portant sur la présence positive ou négative des commerçants chinois, Momar Ndao répond : « avant on achetait dans des friperies, aujourd'hui pour 1000 francs, on habille un enfant. Au Sénégal, c'est spécifique, pour les femmes, il vaut mieux pouvoir changer de vêtements que de garder un habit longtemps : si une femme met toujours les mêmes vêtements, elle sera mal vue. Donc, elles préfèrent beaucoup de produits peu chers qu'un de qualité cher ! ».

48 Voir l'annexe entretiens pour les transcriptions des entretiens réalisés lors de l'étude de terrain effectuée durant le mois de Février 2007, pages 161 à 179.

Vous l'aurez compris, la manière de se vêtir, la fréquence à laquelle la gente féminine porte ses habits déterminent le statut social de la femme sénégalaise. La qualité devrait donc être un argument majeur à l'achat. Mais c'est le paraître qui compte. Il n'y a pas de réflexe consommateur sur le long terme, « le consommateur sénégalais n'a pas de démarche logique, scientifique. Pour les textiles, on peut acheter un tissu de basse qualité mais bien le coudre chez le tailleur. ». Enfin, en est t'il de même dans la sous-région ? « Non, le Mauritanien est peu sédentaire. L'homme a toujours une robe blanche et il ne change que les chemises, contrairement aux Sénégalais qui se changent tous les jours. En Mauritanie, l'habit à moins d'importance, ici, on est plus coquets, on suit une certaine mode. ».

L'article annexé, page 183 de Malick Ndaw du Sud Quotidien est quant à lui très critique (mais réaliste d'après mes observations).

Une donnée intéressante est celle des prix à la consommation. « Habillement et chaussures » est à la baisse (-5,9 % de 2003 à 2005), cette baisse étant directement imputable aux fournisseurs et commerçants chinois. Plus précisément, l'inflation cumulée entre Décembre 2005 et Décembre 2004 est de -13,7 % pour les « tissus pour habillement », -9,1 % pour les « vêtements pour enfants et bébé », -4,5 % pour les « chaussures pour hommes » et 0 % pour celles des femmes. Tous ces produits sont vendus par l'intermédiaire des fournisseurs chinois, commerçants chinois, Sénégalais et Sénégalais d'origine libanaise, et, les bana-bana : ce sont des vendeurs ambulants, où la gente féminine prédomine. Elles achètent aux commerçants chinois ou libanais des produits qu'elles revendront dans les quartiers périphériques et dans le centre (Plateau) de Dakar. M'entretenant avec le président de l'Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal (UNACOIS), Moustapha Sakho, il déclare en parlant des bana-bana : « on ne trouve plus de bonnes ! Elles viennent travailler une journée et l'autre elles vont acheter sur le boulevard [du général de Gaulle, à forte implantation de commerçants chinois] pour tel prix et revendent dans les quartiers. »

L'influence positive (baisse du coût de la vie) des produits made in China se ressent fortement ici, avec une interrogation concernant les « chaussures pour femmes » cependant. Ces chaussures ont envahi le marché intérieur du Sénégal. On les trouve partout et en grosse quantité (voir photo). Comment est-ce possible une inflation à 0 % ? Ce chiffre perturbe, à mon sens, la qualité des données fournies par l'ANSD.

Un autre chiffre, cette fois dans la logique de ce que j 'ai observé, est celui des « articles de bijouterie, de joaillerie et d'horlogerie » : l'inflation négative (- 4,2 %) respecte mon raisonnement49. Mais, le secteur du textile ne serait plus un investissement rentable pour les Chinois comme le confirme Monsieur Yin : « le textile ça ne marche plus. ».

49 Op. cit. [36], p. 38.

Le témoignage de son épouse, Mme Yin, précis et en connaissance de cause car elle travaille dans ce secteur depuis cinq années, apporte certains éléments attrayants (voir l'annexe entretiens, page 162). Elle produit en Chine et exporte au Sénégal. Elle ne produit pas en Afrique car le tissage est réalisé dans les mêmes conditions qu'en Afrique de l'Ouest. Il existerait environ trente chaînes de montage pour la wax (tissu traditionnel représentant moins de 10 % du marché sénégalais) en Chine, dont la production est exportée au Mali, en Côte d'Ivoire ou au Nigéria : et non au Sénégal, car la wax est le signe qualitatif, d'où des tarifs plus élevés. De plus, le marché sénégalais est moins important que dans ces pays susnommés.

Mais si les usines chinoises produisent et copient, elles n'inventent pas : les dessins, figurés... ne sont que reproduits en Asie. Mais le savoir-faire chinois est identique, notamment pour le batik (technique de teinture du tissu). Où sont situées les fabriques ? Mme yin apporte un élément de réponse : « dans la province de Shandong [Nord-Est] où il y a une longue histoire du textile ».

Ce marché serait saturé, la rentabilité ne serait plus assurée. Qu'en disent les professionnels du secteur ? Mme Yin, spécialiste en la matière (ils sont trois Chinois au Sénégal à importer et vendre), répond : « avant 12 yards [unité de mesure] c'était 9500 [15 €] aujourd'hui c'est 7000 [10 €], il n'y a plus de bénéfices pour personne. Je suis la première à avoir importé de Chine la wax et j'ai donc fait baisser les prix. Les Sénégalais veulent toujours moins 100 francs [CFA] mais avant [l'arrivée des Chinois] c'était plus cher, et en plus ils payent le tailleur pour 4000 francs [6 €] ! Au Mali, ils font la différence mais pas ici, ils ne paient pas pour la qualité. Ici ils veulent des prix bas donc la qualité est basse et on change les produits. En Chine, c'est la fabrique du monde, les produits sont importés, transformés et exportés, pas vendus dans le marché intérieur, c'est juste pour la main d'oeuvre ».

Une question importante est celle de la vente. Au Sénégal, les commerçants ou devrais- je dire, les détaillants, vendent au détail, au mieux, en semi-gros. Elle, vend toujours en gros, par conteneurs entiers. Quelques clients lui suffisent afin de récupérer ses crédits. Et fait-elle crédit justement ? « Non, comme ils n'épargnent pas, je ne fais pas d'avances, il faut être clair dès le début. Par exemple si une femme est enceinte, elle ne l'est pas d'hier ! Par contre, pour les maladies c'est de l'imprévu, donc je fais des avances sur salaire. ». Il y a trois Chinois dans le textile au Sénégal.

Comme je la sollicite sur le contexte économique local et sa représentation des Sénégalais, elle rétorque « ici, il y a un problème immobilier, c'est trop libéral, en plus il n'y a pas d'industries, de ressources contre l'inflation générale, donc... Il y a toujours des problèmes d'argent, ici, il n'y a rien, il faut tout importer, donc le Sénégal doit toujours de l'argent, il investit donc la balance commerciale...Le droits de douanes sont élevés donc les produits importés ne sont pas réexportés vers la Gambie [Banjul] qui est un port franc, ou Cotonou [Bénin]. Pourtant, le prix

du transport [Asie-Afrique] n'est pas cher, c'est moins de 10 % du prix total [...] ici, la productivité est faible, en Chine, ils travaillent huit heures avec juste cinq minutes de pause toilettes. Ici, il faut trois fois trente minutes pour la prière, ils font la sieste, ils ne travaillent pas le week-end... ».

En complément, l'extrait de l'article de Sylvie Bredeloup et Brigitte Bertoncello (annexe presse et citations, page 183).

Plus largement, je reviendrai sur l'ensemble des produits made in China à la fin de ce chapitre.

Marché aux chaussures destinées aux femmes, centre de Dakar. Les chaussures fabriquées en
Chine occupent l'ensemble du marché sénégalais. La raison, les prix défiant toute concurrence
(notamment française et italienne). Marché Sandaga, Plateau, Dakar. Le 17 février 2007.

Le BTP au Sénégal, de profondes mutations liées à une société chinoise

Le dernier secteur où la Chine et ses représentants sont implantés est le secteur du BTP (Bâtiments et Travaux Publics). Là encore, une étude spécifique devrait être réalisée. Mais le manque de temps et le manque de moyens m'obligent à en tracer seulement les grandes lignes, à en ressortir les principaux points.

Le BTP est en plein essor au Sénégal. La spéculation foncière y est importante. Les Chinois par l'entreprise Henan Chine amènent les prix à la baisse et s'octroient un nombre croissant de marchés. Voici ce qu'il faut retenir.

Depuis le début du conflit larvé Ivoirien, en Décembre 199950, le Sénégal connaît au sein de sa capitale Dakar une spéculation foncière spectaculaire. Quels liens ? La migration des représentations onusiennes et des étudiants ivoiriens au Sénégal s'est doublée d'une brusque augmentation des loyers. Abidjan n'est plus la capitale politique officieuse de l'Afrique de l'Ouest, c'est Dakar, notamment pour les entreprises et organismes officiels francophones. Bien sûr cette spéculation est limitée au centre-ville, c'est-à-dire le Plateau. Quoique, elle touche également le petit quartier de Gibraltar à l'Est du boulevard du général de Gaulle (Carte H, page 53), principal artère pour entrer sur le Plateau, boulevard historique et connu de tous les Sénégalais car c'est la rue où tous les ans est célébrée l'indépendance de la République, jusqu'à l'obélisque (voir photo en point 1.). C'est donc un axe capital, permettant d'accéder au Plateau au Sud donc mais de remonter vers les quartiers résidentiels du Nord (quartiers HLM, Grand Dakar, SICAP, Grand Yoff : Carte O de l'annexe entretiens, page 180).

Gibraltar est un quartier différent des autres (annexe presse et citations, page 184). Leurs commerces se situant à proximité, sous-entendu, sur le boulevard, il est logique de voir cette évolution urbaine. M. Yin apporte quelques éléments de réponse : « [le loyer] était de 50 [FCFA soit 76 €] à 100000 [150 €], aujourd'hui c'est 400000 [600 €] et les magasins de 500 [750 €] à 700000 [1050 €]. ». Momar Ndao également : « oui, en moyenne c'est 20 % d'augmentation par an ! Cela dépend de la demande. ». La question qui est posée est combien de temps les Chinois et Sénégalais pourront supporter cette inflation immobilière ?

Le BTP est donc en plein essor. Ses coûts sont revus à la baisse depuis l'apparition des Chinois par l'intermédiaire de l'entreprise Henan Chine (China Henan International Cooperation Group Co.). Comme son appellation l'indique, elle est originaire de la province du Henan (Carte G, page 43). C'est une filiale sénégalaise de l'entreprise d'État chinoise Chico. C'est une « entreprise privée de droit sénégalais appartenant à 100 pourcent à la société mère chinoise »51. Arrivée en 1984 (années d'apparition des Chinois dans le secteur de la pêche) au Sénégal pour construire le stade de l'Amitié (renommé stade Léopold Sédar Senghor en 2001) et ses parkings en 1992, elle a également construit l'Ambassade de Chine et l'Agence Nationale de la Banque Centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO).

50 En Décembre 1999, un putsch à l'encontre du président Henri-Konan Bédié est organisé. Commence un vide politique où le général Robert Gueï puis Laurent Gbagbo dirigent le pays. L'élection de ce dernier, contestée par l'opposition et notamment par Alassane Ouattara, accusé de non-ivoirité, est encore remise en cause. Conflit larvé, aux relents ethniques, nationalistes et xénophobes envers les États voisins et leurs populations (surtout le Burkina Faso), cela résume grossièrement ce litige. Bien sûr, le décès d'Houphouët-Boigny en Décembre 1993 marque certainement le début de cette paralysie politique Ivoirienne.

51 Historique selon l'étude citée en note de bas de page [47], page 44, et mes connaissances acquises durant l'étude de terrain.

De grandes réalisations donc (voir photos ci-dessous). Les dernières réalisations sont l'autoroute à péage qui doit permettre à Dakar de réguler les flux de circulation, un chantier d'alimentation d'eau de Dakar et la réhabilitation de la voie ferrée Dakar-Thiès. Pour l'autoroute, elle s'est associée à l'entreprise Jean Lefebvre Sénégal (Henan Chine possède les compétences dans les ponts et viaducs, J. L. Sénégal, devenue depuis Talix Group, dans les chaussées).

Durant la dizaine d'années où le Sénégal et la RPC n'entretenaient plus de relations, elle est tout de même restée (dans les locaux de l'Ambassade de Chine), sans toutefois remporter les contrats. Alors comment fait-elle pour proposer des tarifs aussi bas et remporter les appels d'offres ? Premièrement, elle recoure exclusivement à des machines chinoises, moins onéreuses que celles d'origine européenne. Les ingénieurs et ouvriers ont donc un accès rapide aux pièces de rechange, et à l'utilisation même (ce qui ne peut être le cas pour les employés sénégalais). L'entreprise emploie et travaille avec deux équipes : une de jour, une de nuit, ce qui, il est logique, augmente la productivité et de fait, diminue les délais de chantiers. Enfin, et c'est lié, les techniques étant chinoises, elle emploie des techniciens chinois, dont les salaires sont égaux aux ouvriers sénégalais.

Je proposerai, pour compléter, la question suivante : le gouvernement du Sénégal cherche certes les prix les plus accessibles, mais ne cherche t-il pas à favoriser certaines entreprises, liées à certains États ?

La Chine par ses entreprises est relativement bien implantée au Sénégal, pour preuve ce récapitulatif (page suivante).

Le pont de Médina Ndiatbé relie l'île à Morphil aux autres localités de la région de SaintLouis52). La boucle de Dakar53 est un réseau de ligne électrique, par la société China National Machinery & Equipement Import & Export Corporation (CMEC). Intranet 2 et l'équipement des zones rurales en téléphonie fixe avec l'opérateur leader au Sénégal la Sonatel (Intranet du gouvernement étendu aux ambassades, sous-préfectures, préfectures et consulats.

Certaines réalisations sont directement financées par Pékin (le théâtre, la boucle de Dakar et Intranet 2 sans omettre le stade de Dakar, l'hôpital Silence...).

52 Annexe Ig, page 152.

53 Selon le rapport produit par la mission économique française au Sénégal, ce projet ne fut soumis à aucun appel d'offre, faisant débat dans le milieu d'affaires français et au détriment de l'entreprise Areva. Ceci est révélateur. C'est aussi un délit d'initiés. Concernant la centrale électrique au charbon, le même rapport déclare « les experts chinois sont en effet sceptiques sur l'opportunité de fournir une technologie si polluante car cela pourrait nuire à l'image de la Chine dans la région et les coûts de transport du charbon, d'installation et de fonctionnement de la technologie de dépollution rendent le projet peu rentable pour le Sénégal. ».

En résumé, plus de quarante projets, pour une enveloppe financière globale d'environ mille milliard de FCFA ou approximativement 1 milliard et demi d'euros, ont été concrétisés (pour une vision plus synthétisée, se référer à la carte B, page 16).

Réalisations

Coûts

Société

Grand théâtre national

18,5 milliards de FCF
ou 28 millions d'euros

 

Autoroute Malick Sy-Diamnadio

23 milliards ou

35 millions d'euros

Henan Chine

Pont de Médina Ndiatbé

7 milliards de FCFA,

plus de 10 millions d'euros

 

Boucle de Dakar

35 milliards de FCFA, 53 millions d'euros

CMEC

Intranet 2 et l'équipement des zones rurales en téléphonie fixe

55 milliards de FCFA, 84 millions d'euros

Huawei Technology

Centrale de charbon (puissance de 250 Méga Watt)

175 milliards de FCFA, 167 millions d'euros

Metallurgical Construction Corporation

Réseau téléphonique en zones rurales

18,5 milliards de FCFA, soit 28 millions d'euros

Huawei

Usine de lubrifiants

 
 

Plate-forme de services aux entreprises (pétrole)

10 milliards de FCFA, plus de 15 millions d'euros

 

Raffinerie (cinq millions de tonnes)

250 milliards de FCFA ou environ 380 millions d'euros

 
 

Mais la Chine qui malgré ces réalisations, est encore modeste en comparaison de la France, tente d'activer ses relais diplomatiques pour s'introduire dans le plus grand nombre de secteurs économiques. L'accord de coopération agricole, d'un montant de 37,5 milliards de FCFA (57 millions d'euros), le traitement douanier préférentiel, les sociétés de bâtiment et d'architecture, les sociétés King Long United Automotiv Industry (bus, sans oublier Espace Auto concessionnaire d'automobiles chinoises) et Prima (télévisions) démontrent les perspectives chinoises. Ces derniers jours (Avril-Mai 2007), une mission d'experts procèdent à des études pour la réfection des onze stades régionaux et au mois de Juillet 2007 démarreront les travaux du stade omnisport

de Pikine (Est de Dakar)54. Mais la compétition entre sociétés chinoises va permettre à l'État sénégalais de casser les prix car la CGC (China Geo-engineering Corporation) serait en passe de s'installer sur le territoire sénégalais où elle a d'ores et déjà réalisé des conduites d'eau sur 12 km : c'est une concurrente directe d'Henan Chine. Ces sociétés peuvent enfin profiter de l'expérience acquise dans ces pays africains : l'Afrique est un territoire expérimental pour ces futures grandes multinationales.

www.atepa.com www.senegal.free.fr

L 'Agence Nationale de la BCEAO (boulevard du général de Gaulle) à Dakar

et le stade Léopold Sédar Senghor (route de Yoff dans le quartier des Parcelles assainies):

deux réalisations chinoises au Sénégal

.

La pêche, le textile et le BTP sont les principaux secteurs économiques où la Chine et ses représentants sont implantés au Sénégal. Mais plus que ces derniers, ce sont les produits et marchandises originaires de Chine qui forment l'essentiel du pied a terre chinois dans la République d'Afrique de l'Ouest.

54 Le Soleil, http://www.lesoleil.sn/article.php3?id article=24247

53

Les produits made in China

La liste des marchandises issues du pays de l'Asie du Sud-Est est longue et en perpétuelle évolution. J'ai (en Annexe 1h, page 153) listé les produits relevés. J'ai tenté un classement de ceux qui apparaissent régulièrement, de ceux qui sont les plus recherchés et vendus. Ces articles sont proposés à la vente selon un ordre hiérarchique et décroissant. En haut de cette pyramide (carte I, page 55) je propose les fournisseurs et exportateurs chinois installés en RPC. Les importateurs chinois, sénégalais et libanais font transiter ces produits par conteneurs vers le Sénégal. A l'arrivée, les grossistes revendent en gros et semi gros aux détaillants. Eux-mêmes, les commerçants, échangent avec les bana-bana qui parcourront les rues de Dakar (voir photo ci- dessous). Les chalands pourront enfin négocier leurs achats une fois utilisés pour monnayer les marchandises d'occasions à certains vendeurs établis sur les trottoirs, ne proposant que ces produits d'occasion. Voici l'évolution des fabrications d'origine chinoise, les made in China. Les photos en Annexe 1h suite, page 154, représentent ces articles.

Femmes sénégalaises négociant les marchandises chinoises (échoppe du boulevard de

Gaulle) qu'elles revendront quelques heures ou quelques jours plus tard dans les rues et
quartiers de Dakar.

Le 15 février 2007.

Des faits sont indispensables à signaler tels : l'emploi systématique de jeunes hommes sénégalais servant de traducteurs et donc de vendeurs dans les commerces chinois55 (voir photo suivante). Souvent seuls, ils peuvent selon la taille de la boutique être jusqu'à trois. M'étant entretenu avec eux, ils déclarent pour la majorité aimer travailler avec les commerçants originaires d'Asie. Certains avouent être mieux payés (jusqu'à 50 000 FCFA mensuel - 76 euros, correspondant au SMIC sénégalais), d'autres autant que leurs confrères travaillant chez les Libanais (salaire se rapprochant du SMIC : un commerçant libanais affirme les payer jusqu'à 100 000 FCFA, 150 euros). Quelques uns d'entre eux diront tout de même qu'il est plus difficile d'oeuvrer pour eux, étant donné le volume horaire travaillé et le sens particulier qu'accordent ces commerçants au mot travail, différent dans les moeurs sénégalaises.

Également, la lutte au niveau de la Direction des Douanes contre la contrefaçon56. Un exemple est la pile. La Sigelec (Société industrielle de générateurs électriques) est en Mars 2007 au bord du gouffre financier. 300 emplois sont en jeu. Les piles contrefaites ont petit à petit grignoté

55 Ils sont employés pour faire la jonction commerciale entre les clients sénégalais et le propriétaire chinois. Ils vendent, assurent la sécurité et la surveillance de la boutique et parfois assurent les livraisons.

56 Annexe Ii, page 155.

ce marché. La cause : les importateurs sénégalais qui fabriquent en Chine de fausses piles. La conséquence : un tiers de production en moins et une main d'oeuvre remise en cause et soucieuse de son avenir au sein de cette société. Contrefaçon et fraude favorisent l'économie informelle.

Il n'y a pas que les piles. Canton (ou Guangzhou, capitale de la province du Guangdong, Sud-Est de la RPC) est la ville la plus africaine de Chine. Des milliers d'immigrants originaires de l'Afrique francophone, notamment, s'y sont installés. Textile, loueurs de DVD, ils sont intégrés. Les Chinois ont désormais adopté ces « diables noirs », à tel point que certains se reconvertissent dans la coiffure afro. Le système est le même qu'au Sénégal, à l'opposé : « les patrons sont africains, les vendeuses chinoises : « Tous mes clients sont africains. Ils ont davantage confiance si les vendeurs sont chinois », dit le jeune patron d'Africa Best Company, vente en gros de maillots d'équipes de basket américaines. ». De même, « pas la peine de parler mandarin, les calculettes remplacent les palabres » 57.

Il faut somme toute comprendre que l'économie informelle, ou « populaire58 » qui représenterait de 40 à 70 % de l'économie dite formelle, permet à des millions de foyers de vivre. Les commerçants chinois et leurs produits à bas prix permettent de créer des emplois directs (traducteurs-vendeurs) et surtout indirects (bana-bana, vendeurs installés devant la boutique, vendeurs de produits d'occasion : ils octroient un second salaire, féminin en majorité) et enfin amènent les prix à la baisse des biens de consommation courante et indispensables. À leur sujet (les bana-bana), il faut savoir qu'en décembre 2004, l'État sénégalais, dans le cadre de la promotion de la mobilité urbaine, a chassé les commerçants ambulants, ou bana-bana, du rond-point Petersen (gare ferroviaire)59.

Pour conclure, je vais mentionner certaines phrases, recueillies lors des entretiens, qui résument parfaitement certaines idées : « grâce à la concentration humaine, les produits sont pas chers et tout le monde est équipé [comprendre en Chine]. [...] C'est certain qu'ils sont de mauvaise qualité mais que veux-tu, les Sénégalais achètent et demandent des qualités toujours moins chers, alors les Chinois fournissent » ; « Comme je dis toujours, à Noël, tous les enfants peuvent avoir un cadeau, même s'il dure deux jours ! » 60.

Il est flagrant que ces consommateurs à revenus modestes accèdent avec ces produits à la société de consommation et plus largement à la mondialisation. Il est enfin également incontestable que Dakar et ses habitants, toute proportion gardée bien entendu, se sinisent.

57 Libération du 3 novembre 2006.

58 « Économie populaire » selon Oussynou Niang de l'UNACOIS-Def.

59 Voir l'annexe des citations, page 184.

60 Monsieur Yin et Monsieur Papa Nall Fall, président de la commission économique et financière (du Conseil National du Patronat) et responsable au Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales.

Traducteurs-vendeurs sénégalais travaillant pour les Chinois propriétaires des commerces

situés sur le boulevard de Gaulle. Le 15 février 2007.

Les grands travaux de Abdoulaye Wade

L'ultime point abordé dans ce premier chapitre et cette partie économique est les grands travaux de l'ère61 Abdoulaye Wade. Le 10 juillet 2000 (date essentielle pour le Sénégal), le décret n° 2003-562 fixe « les règles d'organisation et de fonctionnement de l'Agence nationale chargée de la Promotion de l'Investissement et des Grands travaux (APIX) ».

Cette agence62 devient le guichet unique pour tout investissement étranger (centralisation des pouvoirs et moyens). Huit grands projets sont proposés et à l'étude : le nouvel aéroport international, l'autoroute à péage, la cité des affaires de l'Afrique de l'Ouest, le chemin de fer à écartement standard, le port du futur, le port minéralier de Bargny, la réhabilitation du port de Saint-Louis et l'exploitation des mines de fer du Sénégal Oriental (se reporter en annexe IIn page 158)

Ces projets amènent directement à diverses réflexions. Désenclavement de la capitale, rayonnement culturel mais aussi et bien sûr des financements considérables de ces possibles éléphants blancs... Qui va produire ces grands travaux est bien la question essentielle. Certains d'entre eux retiennent l'attention.

61 Élu en 2000 et réélu en 2007.

62 Annexe Ij, page 155.

Le nouvel aéroport international de Diass (Est de Dakar) doit déconcentrer la capitale. L'actuel aéroport Léopold Sédar Senghor se trouve au Nord-Ouest de la cité63. Un aéroport exige des structures adaptées : une empreinte au sol suffisante et des voies de communication correspondantes. Si des réserves émanent de l'opposition socialiste dont le leader est Ousmane Tanor Dieng (rentabilité d'un tel projet alors que l'aéroport actuel est déjà peu productif), je pense pour ma part que ce n'est pas totalement inutile et vain : gain de dizaines d'hectares reconvertibles en logements et désenclavement du Nord-Ouest de la capitale, si l'autoroute devant relier Diass à Dakar est réalisée dans de bonnes conditions. La directrice générale de l'APIX, Mme Aminata Niane64, en parlant du Sénégal, veut « faire de notre pays une zone géopolitique touristique en Afrique de l'Ouest »65 . Mais le journal Wal Fadjri rapporte des faits très intéressants66.

Cette affaire de corruption, fréquente au Sénégal (je peux ajouter indulgence inconvenante et clanisme), n'est pas isolée. Déjà, au commencement des travaux de l'autoroute à péage, le consortium Henan Chine et Jean Lefebvre Sénégal arrêtent les travaux suite à la révélation de l'affaire de Thiès : dans le cadre de la réhabilitation de Thiès, ville située à 70 km à l'Est de Dakar, de gargantuesques chantiers sont ouverts. L'enveloppe consentie par le président de la république, Maître Wade, est de 20 milliards de FCFA, plus de 30 millions d'euros. Idrissa Seck, maire de Thiès et premier ministre de l'époque, en 2004, doit rénover sa cité pour accueillir la fête de l'indépendance délocalisée selon les voeux du chef d'État. I. Seck détournera 26 milliards de FCFA (près de 40 millions d'euros). Il sera condamné par la Haute Cour de Justice pour atteinte à la défense nationale et à la sûreté de l'État. Mais c'est bien le Sénégal et sa classe politique qui en sortent perdants. S'en suit une atmosphère de doutes et de scepticisme quant aux autres chantiers.

Ce ne sont pas les seules mésaventures qui atteignent la Chine et ses Hommes installés au Sénégal, l'affaire dite des passeports sénégalais en est la preuve. Le 31 juillet 1998, le corps d'une Chinoise de 32 ans est découvert le long des berges de la Seine à Bonnières (Yvelines). Elle est enveloppée dans du tissu et des larges bandes de Scotch, à la manière d'une momie. L'autopsie révèle qu'elle est décédée de neuf coups de couteaux avant d'être égorgée. En octobre 1998, à Colombes (Hauts-de-Seine), une Chinoise de 4 ans est retrouvée dans les mêmes circonstances. L'analyse ADN révèle le lien de parenté entre ces deux victimes. La gendarmerie nationale découvre que deux jours auparavant la découverte de la mère,

63 L'aéroport étudie la possibilité d'une ligne directe Dakar-Beijing. Les Chinois sont donc obligés de transiter par Paris, Madrid ou Milan afin de se diriger vers Dakar. La ligne Shanghai-Dakar via Paris Charles de Gaulle semblerait la plus usitée.

64 Que j'ai tenté en vain de rencontrer.

65 L'Observateur du 21 décembre 2006.

66 Se reporter en annexe, page 184.

un promeneur avait repérer un sac rose contenant des documents en langue chinoise, une carte de Sécurité sociale, des idéogrammes porte-bonheur et un numéro de téléphone mobile. Ce numéro appartient à un habitant du « Chinatown » parisien dont l'appartement est loué par un couple, ayant une fille, et dont les murs ont été nettoyés. Ce sont donc la mère et la fille retrouvées dans la Seine. L'agence immobilière a photocopié leurs passeports, sénégalais. L'affaire judiciaire devient une affaire d'État car Dakar, lors de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, en juillet 1997, crée un organisme « destiné à inciter des Chinois à investir au Sénégal », le Fonds de Développement Économique et Social, FODES). Pour investir, ils doivent, une fois à Dakar, recevoir un « passeport de service sénégalais » et régler « 20 000 dollars par personne ou par couple et 5 000 par enfant ». « Le FODES va brasser des centaines de milliers de dollars, [car] nombre de résidents cherchent à tout prix des papiers étrangers, pour échapper à l'emprise de Pékin [...] mais une partie - on évoque 600 000 dollars - se serait évaporée entre Hongkong et Dakar, provoquant une affaire d'État au Sénégal ». L'article67 conclu « la mort de Mary et Linda Chen est- elle directement liée à ces passeports ? [...] deux pistes : soit Boyson Wong et sa famille n'auraient pas remboursé l'argent avancé par la mafia chinoise pour l'achat des précieux papiers, soit ils étaient venus en France pour monter des « affaires » qui auraient empiété sur les activités d'une bande rivale. ».

L'état des lieux que je présente ici (cf carte B, page 16) est autant que je puisse le faire complet et détaillé. La principale entrave à la réalisation de ce premier chapitre est le manque et le sérieux des chiffres, données et informations recueillies. S'il est fréquent d'entendre et lire « le principal problème (en Afrique) est la fiabilité des chiffres », c'est malheureusement un a priori vérifiable dans mon cas.

Ces partenariats diplomatiques et économiques ne pouvant se réaliser sans les Hommes, je vais à présent décrire cette « diaspora » chinoise présente dans cet État de l'Afrique Subsaharienne qu'est le Sénégal68.

67 L'express du 16 janvier 2003.

68 Je dois préciser que certains éléments du premier chapitre seront repris et approfondis dans les chapitres et parties suivantes.

CHAPITRE II. - LA « DIASPORA » CHINOISE

La diaspora est la dispersion d'un peuple, d'une ethnie à travers le monde69. D'après Emmanuel Ma Mung, « deux caractères morphologiques objectifs définissent au minimum une diaspora : la multi polarisation de la migration d'un même groupe national, ethnique ou religieux entre différents pays et l'interpolarité des relations, c'est-à-dire les liens migratoires, économiques, informatifs ou affectifs »70.

« Longtemps limité à la diaspora juive, le mot tend à s'appliquer à toute dissémination : diaspora arménienne, libanaise, indienne. L'existence d'une diaspora tient : à une dispersion contrainte, en l'absence de pays propre ; à une difficulté d'existence plus ou moins momentanée (diaspora portugaise, irlandaise) ; ou à un choix d'activité et de mode de vie, comme pour les « Levantins », Indiens, Haoussa, qui ont choisi des professions d'intermédiaires dans une certaine étendue, voire dans le Monde entier »71.

On peut donc, d'après ces définitions, parler de diaspora chinoise. Seulement, elles ne proposent pas de chiffres minimaux, alors à partir de combien de migrants ce qualificatif peut-il être proposé ? Serai-ce plus scientifique de la qualifier de communauté ? Assurément au regard du Petit Larousse illustré : « groupe social ayant des caractères, des intérêts communs ; ensemble des habitants d'un même lieu, d'un même État ». La population chinoise établie à Dakar (et au Sénégal pour le premier point) est donc une communauté ou diaspora en devenir. Le titre provocateur est donc prospectif.

Une certitude, tous sont des « huaqiao » : les hua qiao sont les Chinois d'outre-mer qui ont conservé leur nationalité. Plusieurs appellations couvrent ce terme : des migrants temporaires (les techniciens, experts et employés, et, les commerçants), des ressortissants chinois résidant outremer (les Chinois qui comptent et les commerçants, classés dans ces deux catégories) mais également des Chinois d'outre-mer naturalisés mais dont le sentiment d'appartenance reste chinois, ainsi que leurs relations économiques et familiales et enfin les Chinois d'outre-mer naturalisés et plus ou moins assimilés. Ces deux dernières catégories ne peuvent qualifier les ressortissants chinois vivant au Sénégal. Hua qiao vient de qiao désignant les émigrés temporaires.

69 Dictionnaire encyclopédique Larousse

70 Ma Mung. E., La diaspora chinoise, géographie d'une migration, Géophrys, Paris, 2000, pages 8 et 9

71 Brunet, Roger, Ferras, Robert, Théry, Hervé, « Les mots de la Géographie - Dictionnaire critique », Reclus - La Documentation Française, Montpellier-Paris, 2001, p. 158.

Si un groupe social émane de l'ensemble de ces acteurs, elle est divisible par trois : Les techniciens, experts et employés ; les Chinois qui comptent, installés depuis un certain temps et s'étant intégré dans l'économie et la société locale et, les commerçant

1. Techniciens, experts et employés

Ce n'est pas un classement démographique, social ou économique. Les techniciens, experts et employés sont plus nombreux que les Chinois insérés dans la vie socio-économique sénégalaise mais inférieurs en nombre que les commerçants. Ils sont moins fortunés que les deux groupes suivants, moins intégrés également. Qui sont-ils ? Que font-ils ? Où exercent-ils ?...

Les techniciens et experts sont directement envoyés par le Parti Communiste Chinois (PCC).

Ils sont originaires de la RPC, mais des villes évidemment. Car il existe toujours en Chine une frontière sociale entre les citadins et ruraux. Cette affectation sociale est transmise par les liens du sang. Ainsi, chacun est à sa place : un Chinois né en campagne ne peut a priori vivre en ville et accéder à de hautes fonctions administratives et politiques. Mais l'urbanisation exponentielle des cités chinoises est la conséquence de ces millions de ruraux, au chômage dans leurs territoires d'origine, venus s'installer dans les bidonvilles et autres baraquements situés dans les quartiers Ouest des villes chinoises. Cet article (en annexe page 185) résume le sort de ces « parias chinois ».

À leur sujet, il m'est difficile d'apporter des éclaircissements précis et nombreux. Le témoignage de Monsieur Liou, diplomate à la mission économique chinoise apporte des réponses. Ces Chinois ne travaillant pas pour des sociétés ou organismes, ils sont envoyés au Sénégal sur ordre du gouvernement. Ils travaillent essentiellement dans l'agriculture, la santé et le BTP. Ils, car ce sont des hommes, s'installent pour une durée de une à deux années, remplacés par leurs confrères. Un « roulement » est fait.

Que font-ils ? « Ils donnent une assistance technique, des cours, forment. Ils vont dans les campagnes donner des cours pour le riz et les légumes. Ça marche bien, même si la terre est trop salée ou sablée. On apporte la technique. ».

Les Chinois forment par ailleurs des fonctionnaires sénégalais, « une trentaine déjà. ».

Comment sont-ils choisis, ces stagiaires sénégalais ? « On adresse une note verbale au ministère des Affaires étrangères et il transmet aux différents ministères. ». Dans le domaine administratif et de la gestion, ils (les Sénégalais) reçoivent une formation, un savoir-faire.

La Chine où l'administration, bridée par le gouvernement, est importante (en nombre et en pouvoir), apporte sa technique, sa pratique et ses procédés à une administration sénégalaise où les lacunes sont omniprésentes. Les ingénieurs et scientifiques sont majoritairement issus de formations agronomes, hormis à Dakar et sa périphérie où des médecins et ingénieurs (dans le BTP) exercent à l'hôpital principal de Pikine et sur les grands travaux (autoroute, théâtre, stade...). Là encore, que ce soit les fonctionnaires, les agronomes et techniciens, le rôle chinois est d'apporter le savoir- faire, apporter une participation concrète aux relations diplomatiques et, suppléer à l'hégémonie française.

Ces Chinois permettent aussi d'apporter une aide directe - hôpitaux, agriculture - et indirecte - techniciens du BTP - à la population sénégalaise. L'aide directe est intéressante : le Sénégal est un des rares pays africains à posséder les moyens d'une autosuffisance alimentaire dont l'aliment essentiel est le riz. Les connaissances millénaires de la Chine à ce sujet sont primordiales. Le riz est cultivé en Casamance et dans une moindre mesure le long du fleuve Saloum. Ces écosystèmes sont des mangroves : « formation végétale caractéristique des régions côtières intertropicales, constituée de forêts impénétrables de palétuviers, qui fixent leurs fortes racines dans les baies aux eaux calmes, où se déposent boues et limons »72.

Les agronomes dispensent également des cours et pratiques aux agriculteurs sénégalais dans les cultures céréalières (blé) et légumineuses (arachide). Les céréales font l'objet d'une priorité économique, dixit Cheikh Tidiane Gadio le ministre des Affaires étrangères : « nous avons aussi décidé que la coopération agricole entre les 2 pays aille dans les 2 sens, parce qu'avant, la coopération agricole chinoise était une grande assistance au Sénégal en termes d'expertise. Maintenant, le Sénégal aussi est intéressé à trouver des débouchés à ses produits céréaliers en Chine »73. Les techniciens interviennent aussi dans le domaine sanitaire et social. La mission médicale a l'hôpital Silence de Ziguinchor et surtout, l'aide à la lutte contre le paludisme : « maladie parasitaire produite par un protozoaire parasite du sang, le plasmodium (ou hématozoaire de Laveran), et transmise par un moustique des régions chaudes et marécageuses, l'anophèle »74.

Sur la carte B, page 16, où je représente spatialement l'ensemble des réalisations, aides et financements chinois apportés dans le cadre diplomatique et économique sino-sénégalais, les techniciens et experts asiatiques occupent l'ensemble du territoire. Les régions administratives

72 Petit Larousse illustré, 1990.

73 Déclaration issue de l'accord de coopération économique, durant la visite du ministre chinois des Affaires étrangères Li Zhaoxing les 12 et 13 janvier 2006.

74 Petit Larousse illustré, 1990.

de Saint-Louis, de Thiès et de Dakar sont logiquement surreprésentées, de par le nombre d'habitants au kilomètre carré et la richesse de ces régions administratives75.

Ces informations, faibles, seront dans le futur proche, enrichies, je l'espère pour la population rurale sénégalaise, par de nouveaux projets et accords sino-sénégalais. A ce jour, il y a approximativement une vingtaine de techniciens et experts chinois oeuvrant sur l'ensemble du territoire. Il me reste dans ce point, à aborder le rôle des employés chinois.

Les employés sont les salariés (de sociétés chinoises) implantées au Sénégal. Ils sont une trentaine par entreprises, selon M. Liou. Henan Chine, les sociétés Sénégal Pêche et Armement et Huawei sont les principales firmes. Si, lors de la construction du stade de l'Amitié, les ouvriers étaient majoritaires, ce n'est plus le cas aujourd'hui, pour plusieurs raisons. Premièrement, la présence d'ouvriers chinois est très mal perçue par les Sénégalais qui accusent le gouvernement de ne pas appliquer la « préférence nationale », donc de pourvoir en travail des Chinois plutôt que des Sénégalais. Tous les entretiens révèlent la volonté de remédier au principal maux local, et avec la corruption : le chômage. Si la Chine investit au Sénégal, elle doit créer de la valeur ajoutée, de la richesse. Les ouvriers doivent de fait être de nationalité sénégalaise.

Deuxièmement et c'est lié, lorsque les ouvriers chinois s'installent dans un pays africain, ils sont confinés sur des territoires, à proximité des chantiers, dont ils ne sortent pas ou peu. Ils n'achètent pas, je devrais dire jamais, de nourriture locale, de fournitures locales... Aucune valeur ajoutée là encore.

Enfin, ces ouvriers travaillent par équipes de jour et de nuit et sont payés suivant la législation chinoise, soit deux fois moins chers que les Sénégalais. Ceci dérange fortement les moeurs, des Sénégalais et autres peuples de ce vaste continent subsaharien. Ces employés chinois rentrent pour la plupart en Asie leur contrat respecté, mais certains s'installent ayant des perspectives économiques. Monsieur Yin est l'un d'entre eux. Ceux-ci ne deviennent pas commerçants au sens détaillants du mot, mais investissent dans l'industrie, le textile, le bâtiment, la restauration. Ces hommes et femmes vont devenir au fil des années les Chinois insérés dans la vie socio-économique sénégalaise ou les Chinois qui comptent

75 La population de ces régions est respectivement de 764 347, 1 385 058 et 2 452 656 habitants. La densité est de 40, 208 et 4484 habitants par kilomètre carré. Ces régions accueillent les plus grandes villes, d'où, créations de richesses.

ANSD.

2. Les Chinois insérés dans la vie socio-économique sénégalaise ou les Chinois qui comptent

Ce sont donc ces Chinois qui après leur fonction professionnelle première, au Sénégal, décident de rester afin d'y établir une activité différente. Pourquoi ne pas la créer au pays, en Chine ? Les raisons sont simples, la démographie (1 milliard 300 millions environ), le coût du mètre carré, les pressions familiales et sociales (les parents et le milieu social déterminent souvent l'avenir de l'homme) font qu'il est difficile de créer selon ses aspirations. Le Sénégal offre l'inverse : une industrie à développer ou tout simplement à générer, un loyer abordable en comparaison des grandes villes chinoises, pas de pressions occasionnées par le cercle familial et social (car il n'est pas présent). Avec peu de moyens, on peut facilement concevoir une société, un restaurant.

Pour démontrer et argumenter ce raisonnement, je prendrai un cas concret, le couple Yin. Il travaille et vit au Sénégal depuis 2002. Monsieur Yin, son contrat terminé avec la société sénégalo-chinoise Sénégal Pêche, il crée une société d'export-import, puis de tourisme. Lorsque sa femme, ayant parachevé ses études d'économie à Chicago, le rejoint, ils fondent ce qui, selon eux, leur sert de réfrigérateur, le restaurant La Noix d'Or. Cette étape franchie, ils peuvent à leur guise investir dans les secteurs les plus prometteurs, j'ai nommé, le textile pour Madame Yin et la construction pour son mari. Clairvoyants, entrepreneurs dans l'âme, je ne doute pas un seul instant que ces projets professionnels seront les derniers. Mme Yin est déjà en relation avec la communauté libanaise pour fonder une société de textile en Gambie (dans la capitale Banjul) où les salaires et taxes sont moins élevés que dans l'État limitrophe, le Sénégal. Tous les deux apportent à leur pays d'accueil une valeur ajoutée, par le restaurant où les serveurs et gardiens sont Sénégalais, par les sociétés crées où les employés sont également autochtones. Un regret cependant, est qu'ils ne soient que peu intégrés dans la vie locale et en particulier, en contact avec les commerçants chinois.

Mais ils ne sont les seuls Chinois importants au Sénégal. Les restaurateurs76 du Hanoï, du X.Y, du Mandarin et du Saveurs d'Asie ont connu un parcours semblable. Celui du X.Y aide les nouveaux arrivants (commerçants) et accueille, du moins le soir où je m'y suis rendu, une clientèle à cent pourcent chinoise (environ quinze clients, dont des employés de Sénégal Pêche et des commerçants). Une Chinoise, propriétaire de Les cheveux Jing Ying est la représentante officieuse des détaillants chinois. Malheureusement, elle avait quitté le Sénégal un an auparavant mon arrivée. Un entretien avec un Chinois plus ou moins retraité, car ils ne le sont jamais, louant une petite villa à Gibraltar, m'apprend que les nouveaux migrants, arrivant sans moyens suffisants pour importer le

76 Carte H , page 53

premier stock de marchandises, se font prêter la somme nécessaire et remboursent au fur et à mesure : c'est ainsi qu'un fleuriste sénégalais fait faillite, près du marché Malien (Nord-Est du Plateau), provoquée par l'arrivée du fleuriste asiatique, pratiquant des tarifs plus abordables.

Monsieur Yin, propriétaire de La Noix d'Or, restaurant situé
rue Aimé Césaire angle E Fann Résidence.
Le 3 février 2007.
Salon de coiffure Les cheveux Jing Ying, propriété de l'ancienne représentante officieuse
des commerçants chinois, boulevard du général de Gaulle.
Le 14 février 2007.

Saveurs d'Asie, restaurant chinois, 21 rue de Thann, Plateau, Dakar. Le 27 février 2007.

Restaurant X. Y., 97 rue de Bayeux angle Felix Faure, Plateau, Dakar. Le 27 février 2007.
Restaurant Le Mandarin, Place de l'Indépendance, Plateau, Dakar. Le 27 février 2007.

Certains commerces reflètent la réussite. Je n'en localiserai que deux, le Lin Shi Store et le Prospere : ces commerces n'ont aucun point commun avec les boutiques traditionnelles du boulevard de Gaulle, de l' « allée Chinoise ». Ils proposent des produits différents (literie, objets d'art, produits de qualité moyenne et haute) et sont agencés à l'occidentale.

Commerces Lin Shi Store (rue Mohammed V) et Prosp ere placé sur l'avenue Faidherbe.
Le 27 février 2007.

Mais les commerces sont tous, mis à part ces deux donc, de simples boutiques où les produits se chevauchent, où les propriétaires représentent la majorité des Chinois installés au Sénégal : les commerçants chinois.

3. Les commerçants

Les commerçants chinois représentant la majorité de cette communauté implantée au Sénégal sont exclusivement établis à Dakar. De nombreuses interrogations émanent quant à cette population. Il est vrai qu'ils ne passent pas inaperçus. En contradiction avec les Libanais, toubabs et peuples africains limitrophes : les Libanais, comme je l'expliquerai dans le chapitre II de la seconde partie, page 94, sont depuis plusieurs générations intégrés ; les toubabs ou blancs, terme familier et amical désignant les Européens et notamment Français, sont également depuis longtemps assimilés et agrégés dans la société sénégalaise ; les Maliens, Gambiens, Mauritaniens et Guinéens sont de par leur couleur de peau également confondus. Les Chinois sont les seuls à attirer autant de curiosité à leur égard, les Indiens passant, et c'est insolite, plus inaperçus (car plus rares et spatialement limités aux mines de phosphate).

Physiquement et socialement différents des Sénégalais, ce sont les étrangers les plus distincts de tous les groupes sociaux vivant dans ce pays et dans la grouillante Dakar. Plusieurs explications peuvent être apportées : leur physionomie bien sûr, éloignée des traits physiques des habitants de l'Afrique de l'Ouest, le fait que ce soient les derniers migrants dans cet État de la Teranga77, leur intégration sociale, leur statut de commerçants et enfin leurs moeurs et manières de vivre.

Le Sénégal accueille depuis toujours les nouveaux arrivants avec bienveillance. Ce n'est pas un hasard si c'est actuellement un des derniers pays et plus précisément une des dernières capitales africaine où un blanc peut se promener seul sans risques. Le seul ennui est le perpétuel quémandeur, ou bana-bana venant demander quelques FCFA ou voulant vendre à tout prix des objets souvent inutiles ou touristiques. Les Talibés sont des enfants, instruits religieusement (je rappelle que la religion principale au Sénégal est l'Islam, pratiqué à 90 %, même si les moeurs sénégalaises font qu'il est plus ou moins respecté (alcool, pratiques sexuelles). Les jeunes surtout, ont une forte tendance à l'interpréter à leur guise, ce qui ne les empêche pas pour autant de l'exercer quotidiennement.) Ils sont livrés à eux-mêmes et doivent obtenir par tous les moyens des francs qui leur permettront de se nourrir.

Je reprends, c'est la dernière communauté à s'installer, ce qui amène à un questionnement sur la capacité d'accueil de la société sénégalaise (voir le troisième point de ce chapitre).

77 Hospitalité, ou accueil en wolof.

Les Sénégalais comme tout peuple78, subit des pressions politiques nationalistes. L'emploi étant précaire et rare (dans le formel j'entends), certains ne se gênent pas pour clamer la dangerosité de cette population asiatique. Leur emploi et statut sont par ailleurs des difficultés supplémentaires à leur intégration.

Un bref rappel historique est souhaitable : dans un premier temps, les sénégalo-libanais (Libanais pour clarifier) commencent à faire des allers-retours en Chine où ils achètent les produits made in China. Les Sénégalais de souche voyant cette occasion les rejoignent. Mais les Chinois du Sénégal et plus précisément de Henan Chine et Sénégal Pêche et S. Armement interprètent rapidement la conjoncture, parlant de facto la langue et ayant des contacts familiaux et autres au pays, dans la « fabrique du monde », vont après leurs contrats, rester en Afrique afin d'y créer des commerces. Petit à petit, ce sont les Chinois qui vont organiser le marché (import et export), s'appuyant sur certains Sénégalais pour réguler et répartir la marchandise une fois entrée et contrôlée au port de Dakar. Ayant désormais accaparé ce marché, ils sont accusés de ne pas redistribuer les richesses, d'autant que leur style de vie favorise ce sentiment : ils n'achètent pas de produits sénégalais, ne mangent pas sénégalais, ne se vêtissent pas selon les coutumes locales... Tout ce dont ces commerçants chinois ont besoin, consomment, est importé de Chine (vélos, nourriture, habits). L'intégration n'est pas facilitée car ils se regroupent géographiquement, entraînant un effet loupe, une représentation démultipliée par rapport au nombre total d'hommes et femmes implantés à Dakar. Enfin, leurs produits sont aujourd'hui si visibles, car achetés par toutes les couches sociales sénégalaises, je peux dire en quelque sorte, que la Chine est omniprésente dans les rues et foyers dakarois.

Les commerçants chinois (majoritairement jeunes : 20 à 40 ans) sont installés sur trois territoires urbains de la capitale, à forte valeur ajoutée et à valeur symbolique. Le phénomène de diffusion spatiale a joué. Les premiers commerçants s'installent vers la fin des années 1990 sur le boulevard du général de Gaulle. Lorsqu'en 2003 cette voie essentielle devient saturée (il n'est plus possible d'ajouter des commerces ou saturation foncière due au quartier densément peuplé de la Médina et à l'autoroute côté Est), les nouveaux migrants vont s'installer sur

78 L'Europe est malheureusement la plus distinguée en la matière : la France et l'Italie sont des États où le regain nationaliste est le plus fort. Immigration choisie, filtrée, les étrangers sont accusés dans ces trois territoires de tous les maux (mais également en Suisse, en Belgique, en Pologne, en Bosnie-Herzégovine et bien sûr en Russie). Mais sur tous les continents, la méfiance envers les clandestins, sans-papiers, ou émigrés tout simplement, est forte. Aux États-unis où le gouvernement Bush souhaite ériger un mur le long de la frontière Sud, pour stopper les migrants Sud-Américains ; en Israël où le mur sépare les colonies des territoires Palestiniens, afin d'éviter la multiplication des attentats terroristes, et, en Côte d'Ivoire, pour ne citer que ces exemples, où le rejet ethnique est fort ainsi qu'un nationalisme (contre les Burkinabés) exacerbé par la pauvreté et le désarroi politique. Des signes encourageants tout de même avec l'arrivée au pouvoir de Romano Prodi, mettant fin au règne de Berlusconi et de son oligarchie (mais les partis d'extrême droite, l'Alleanza nazionale et la Lega Nord, sont toujours très présents comme le Front national et le Vlaams Blok en Belgique ou le Hrvatska stranka prava et le Srpska demokratska stranka en Bosnie-Herzégovine). N'étant pas essentiel à l'étude je ne détaillerai pas plus.

Aurégan, Xavier, Le risque de l'extrême droite en Europe, Rennes, 2006 (dossier de Licence 3 de Géographie, Rennes 2).

l'avenue Faidherbe et les allées Papa Guèye Fall, ce qui représente le prolongement naturel du boulevard, vers le Sud, vers la grande mosquée et le Plateau. Si l'avenue Faidherbe est le prolongement naturel du boulevard, les allées Papa Guèye Fall se dirigent vers la gare Petersen où les Chinois rachètent les hangars et garages privés où les automobiles sont en réparation. On peut facilement observer un commerçant chinois implanté entre deux ateliers sénégalais.

L'ensemble des magasins achetés, loués, les commerçants chinois dernièrement arrivés vont s'implanter à quelques mètres de leurs confrères, sur l' « allée chinoise » (terme appliqué par les Sénégalais eux-mêmes) ou début de l'avenue Faidherbe. Sur la carte J, page 71 (et H, page 53), je présente schématiquement ces trois territoires. Ces commerçants modifient l'espace urbain79 : ce sont des espaces références, appartenant au patrimoine commun. Ces phénomènes diasporiques sont identifiables : un facteur quantitatif avec une concentration urbaine réelle et spatialisée et, un rôle économique indiscutable (ce sont les phénomènes diasporiques selon Pierre Trolliet).

Le boulevard de Gaulle (appelé également boulevard du Centenaire) compte 129 commerces dont 84 % environ sont tenus par les Chinois. L' « allée chinoise » compte elle 92 % de commerçants chinois et l'avenue Faidherbe angle allées Papa Guèye Fall, 71 %. Au total, je dénombre 163 commerces chinois contre 36 sénégalais sur ces trois territoires urbains étudiés. 82 % du total (199) sont gérés par ces détaillants venus d'Asie80. C'est un fort pourcentage.

Puis-je dénommé ce territoire « Chinatown » ? Selon la définition de P. Trolliet, il est difficile de faire la comparaison : « c'est un quartier affecté a une implantation chinoise, souvent voulu et défini comme tel, au sein d'une agglomération préexistante ou en création et qui a fini, par sa taille, sa structure, sa cohérence, par devenir une ville dans la ville [...] ville dans la ville, la Chinatown est dotée d'une dense infrastructure ethnique - commerces, artisans, temples, associations, journaux... - au service d'une société structurée et stratifiée, dotée d'une quasi- autonomie mais qui s'ouvre sectoriellement vers l'extérieur par ses restaurants, surtout. Elle a constitué et constitue encore ici ou là un maillon essentiel de la chaîne migratoire en tant que foyer d'accueil des nouveaux migrants et conservatoire identitaire de la communauté émigrée. Cette fonction d'accueil, qui opère comme un sas entre le pays natal et le pays d'arrivée - pour l'apprentissage de la langue, pour un premier emploi, pour s'intégrer aux réseaux ethniques, etc. - a valu très vite à toutes les Chinatowns une surcharge démographique de plus en plus considérable qui s'est traduite par un de leurs caractères bien visibles - les foules et l'animation de leurs rues ».

Certes certaines similitudes et concordances apparaissent (quartier de Dakar, commerces, foyer d'accueil, foule et animation) mais je ne peux pour autant qualifier ce territoire de

79 « Nous ne voulons pas de ce que font les Chinois sur les Allées du Centenaire qui peuvent devenir nos Champs-Élysées. Ils peuvent établir des partenariats avec les commerçants sénégalais et ne pas transformer ces allées en souks », dixit le ministre du Commerce.

Le Soleil du 7 décembre 2005.

80 En Annexe Ik, page 156, je propose certaines photographies de ces commerces.

« Chinatown ». Telle la communauté qui est une diaspora en devenir, cette zone urbaine est un Chinatown en devenir.

Il existe également trois autres commerces que je ne peux insérer dans le même groupe, deux sont cités plus haut, le dernier étant le Chinatel, boutique spécialisée dans les téléphones mobiles et proposant à la vente des appareils MP3, vidéos, informatiques... (Annexe Il, page 157).

ci

 

Une étude spécifique devait être faite sur ces hommes et femmes81. Elle révèle des informations et donnés intéressantes. Elle porte sur 39 de ces protagonistes, ceux ayant répondu au questionnaire proposé.

22 d'entre eux sont originaires de la province du Henan, dans le centre-Est de la RPC. C'est une province pauvre et peuplée82. Les provinces du Fujian (6 d'entre eux), de Shanghai (3), du Zhejiang (4), du Hubei, de Hebei et du Jiangxi (1 personne pour chacune des trois dernières) sont également représentées (voir ci-dessous et carte G, page 43). Un commerçant affirme par ailleurs être originaire de Russie.

Depuis combien de temps sont-ils au Sénégal ? Depuis six mois pour six d'entre eux, cinq sont installés depuis une année, un depuis un an et demi, huit depuis deux ans, trois depuis deux ans et demi, huit depuis trois ans, trois depuis quatre ans, six depuis cinq, deux depuis deux ans et une seule depuis sept années.

81 Avec Marie Gaborit, étudiante en seconde année du Master de Géopolitique, à l'Institut Français de Géopolitique.

82 Peuplée d'environ 100 millions d'habitants, elle demeure rurale et pauvre. En 2002, elle ne participe qu'à hauteur de 6 % du PIB (Produit intérieur brut) national. L'agriculture (blé, coton, tabac, arachides et sésames) et l'industrie (charbon, textile, fer, acier et aluminium) restent les principaux revenus de cette province, malgré son rôle historique : ce fut le centre politique de l'Empire chinois pendant des siècles, avec l'apogée, entre 1766 et 1027 avant J.-C., de la ville de Anyong (Nord) qui en était la capitale sous la dynastie Shang.

www.wikipedia.fr, Microsoft Encarta 2006.

Voir également en annexe presse et citations. , page 185

Ces premiers éléments de réponse révèlent une population relativement homogène. En opposition, ils et elles ne se concertent pas, à l'évidence, pour migrer au Sénégal, l'étendue temporelle l'atteste. La moitié de ces 41 (ceux ayant répondu à la seconde question) sont arrivés depuis 2005 (48 % et en bleu sur le graphique).

A la question pourquoi êtes-vous venus en Afrique, ils répondent à 60 % pour le business. Les deux réponses restantes sont, pour l'Afrique et pour la famille (respectivement 22, 8 et 3 réponses). Je dois préciser que tous ne répondent pas à l'ensemble des interrogations.

La quatrième question qui leur est posée est, que pensez-vous de la qualité de vie ici ? Seulement 5 répondent par l'affirmative : bien. 14 émettent des réserves, 11 ne se sentent pas bien au Sénégal et quatre apportant des réponses que je classe dans « autres », par exemple, « avant bien 900 yuan de douane, plus difficile depuis 2005, frais de douane 1480 yuan ». Parmi ceux ayant répondu avec des réserves et qui ne se sentent pas bien, voici ce qu'ils répondent : « au début c'est dur, difficile de s'adapter, maintenant ça va mieux » et « pas bien, beaucoup de voleurs, mauvaises conditions de vie, transport et environnement ».

A la question ouverte, présentez votre commerce, seulement trois répondent être satisfaits pour 20 répondant « moyen » et 7 ne se satisfaisants pas du leur. Voici leurs réponses : « c'est toujours rentable pour les Chinois de venir faire du commerce » ; « pas mal, assez pour nourrir sa famille mais pas assez pour devenir riche » et donc « beaucoup de stress et de concurrence » ou « les taxes augmentent et les prix baissent ».

La question suivante est, où achetez-vous vos produits ? Ils répondent tous en Chine, ce qui semble logique : il aurait fallu préciser dans la question la province et la ville, mais, certains affinent. La ville la plus fréquemment mentionnée est Yiwu dans la province de Zhejiang, au Sud-Est. Cette ville, qui est aussi un port, est spécialisée dans l'export, à destination de l'Afrique et du Moyen-Orient. Les provinces citées sont (Zhejiang) et Shanghai (qui est donc également une ville). Les cités de Guangzhou (Canton) et Shenzhen sont aussi évoquées par un commerçant. Vous remarquerez que Shenzhen est une zone économique spéciale (ZES) ou Zhongguo Jingji tequ, la plus importante d'ailleurs. Le PCC a créer quatre ZES : dans le Guangdong (villes de Shantou, Shenzhen et Zhuhai), le Fujian (Xiamen), sur le Yangzi Jiang (fleuve Bleu avec Pudong et Qinghuandao) et la ville de Changzhou dans la province du Jiangsu qui n'est pas encore officialisée. A remarquer également les liens entre ces ZES et les ports d'embarquement en carte G, page 43.

Achetez-vous vos produits seuls ou faîtes-vous de l'achat groupé ? Cette question est importante, car elle me permet de comprendre comment sont effectués les commandes, et, s'il existe une organisation au sein des commerçants. Eh bien 26 répondent « seul » contre 8 affirmant acheter en groupe, soit « groupé ». Ce sont des commerçants individuels qui ne lient pas assez de relations avec leurs voisins et compatriotes pour organiser l'achat des produits, pourtant très similaires. Ils possèdent donc, en majorité, leurs propres réseaux d'achat.

D'où vient votre capital d'investissement ? Là encore, la majorité des commerçants possède avant de s'installer leur propre capital nécessaire à la location de l'habitat et du magasin, sans omettre les fonds minimums à l'importation des premières marchandises. 18 d'entre eux possédaient ce capital, mais tout de même 12 ont du pratiquer un crédit pour parvenir à l'objectif commun, être et avoir les moyens matériels et financiers de commercer. 5 ont à la fois apporté un financement personnel et emprunté. A savoir, lorsqu'ils empruntent, c'est à la famille et aux amis ; un seul dit avoir emprunté à une banque, la Banque Populaire de Chine.

Comment choisissez vous les produits que vous achetez ? La grande majorité des réponses suivent logiquement le raisonnement ainsi opéré : ils choisissent seuls, en fonction du marché local, des coutumes et traditions. Trois disent ne pas choisir eux-mêmes leurs produits mais n'approfondissent pas cette démarche. Voici quelques exemples de réponses : « en fonction du marché local », « des prix pas chers », « selon le goût des clients », et même « en observant et avec audace », « en suivant l'ordre du Seigneur ». Visiblement, certaines réponses ne manquent, elles, pas d'audace.

Cette interrogation est quant à elle significative d'une représentation sénégalaise des Chinois : Avez vous reçu de l'aide du gouvernement chinois ? En effet, beaucoup pensent que les commerçants sont financièrement aidés par leur gouvernement pour investir sur le marché africain, qu'en est t'il ? 13 l'affirme, 21 répondent par la négative. En analysant les réponses, une question vient automatiquement à l'esprit, certains (ceux qui seraient aidés) mentent t'ils ou certains (ceux ne recevant aucune aide) sont ils ignorants ? Parmi ceux répondant oui, « l'État a donné des subventions et politiques favorables », « le gouvernement leur fournit une bonne base de production pour faire leurs commandes » et « le gouvernement chinois nous aide et prend soin de nous, le gouvernement africain nous soutien beaucoup », ils expliquent même grossièrement que la RPC n'est pas étrangère à leur volonté de s'installer sur ce continent éloigné et méconnu des leurs. C'est malheureusement une information ardue à vérifier. Mais, au regard des réponses de la seconde question, l'aide étatique si elle existe, est rare, étant donné que plus de la moitié se sont implantés avant 2005, date du rétablissement des relations...

Cette question relativement ouverte a provoquée des réponses qui le sont toutes autant : pourquoi avez vous quitté la Chine pour venir faire du commerce en Afrique ? En regroupant leurs témoignages, une vingtaine expriment l'expérience, le reste, l'argent. Je recueille par exemple « l'Afrique a un avenir prometteur en développement », « le continent africain est la dernière terre vierge », « parce que les gens ont besoin d'expériences variées pour enrichir leur vie et aussi pour subvenir à ses besoins » et dans le domaine uniquement pécuniaire, « pour trouver une voix qui me permette de gagner plus d'argent » ou « parce qu'il est difficile de trouver du travail en Chine ».

Je regroupe les deux questions suivantes en raison de leur sujet : pensez vous rentrer en Chine ou continuer a faire du commerce ici ? Pourquoi ? Et, votre famille est-elle venue aussi ou vous rejoindra-t-elle plus tard ? A la première, ils répondent oui (ils souhaitent rentrer) pour seize d'entre eux et non pour 6. 9 ne savent pas. A la seconde, 15 affirment être venus avec leur famille, ou, qu'elle le rejoindra plus tard et 21 pensent ne pas revoir leurs femmes et enfants avant leur retour au pays.

Les dernières questions sont ciblées, sur leurs commerces. La première étant, présentez les changements que vous avez pu observer dans le commerce. La plupart répondent à l'affirmative, autrement dit, il y a des changements : des modifications diverses : « il n'y a pas de règle les choses

évoluent », « ça suit la mode française », « trop de changement », « la concurrence est de plus en plus forte », « il y a plus de justice et d'égalité ».

L'autre question est : combien de conteneurs importez-vous de Chine chaque année ? Ici aussi les réponses sont différentes : deux importent 1 conteneur par année ; cinq importent de 2 à 3 conteneurs annuels ; deux importent de 3 à 10 ; trois en importent plus de 10 et sept déclarent que cela dépend des années et de la demande.

L'avant-dernière question est, quelle est la valeur marchande de la marchandise contenue dans un conteneur ? Les réponses sont ici éloignées, car l'échelle est pour le moins très grande, de quelques centaines à 5 millions de FCFA !

La dernière est plus précise : quel est le montant en valeur ou en pourcentage de vos bénéfices ? A cette question, je suis en mesure d'affiner les réponses : de 0 à 5 %, neuf réponses ; de 5 à 10, six réponses ; de 10 à 20 %, deux réponses ; de 20 à 30 %, trois commerçants et un seul dit faire plus de 30 % de bénéfices après avoir réglé l'ensemble des dépenses (achats, loyer, salaires...).

Avant de laisser nos protagonistes à leurs occupations professionnelles, nous avions inscrit une dernière épreuve, très ouverte et personnelle : autres informations que vous souhaitez ajouter. Seuls cinq ont répondu mais, leurs propositions et affirmations sont intéressantes : « nous sommes les bienvenus auprès des commerçants et amis de Dakar car 1- on peut fournir les marchandises qu'ils aiment, 2- prix pas cher 3- On a crée des emplois, avant certains étaient des voleurs maintenant ce sont des marchands, 4- les frais douaniers et loyers sont élevés, 5- quand il y a des vols la police est gentille et agit vite, mais même s' ils rattrapent le voleur, on ne peut récupérer la marchandise », « il serait plus intéressant de faire une étude non économique sur les Chinois qui vivent à l'étranger dans des conditions difficiles et comment ils arrivent à s'épanouir malgré ces conditions. Vive la Chine, je suis très fier de mon pays, notre dur labeur est notre fierté », « les containers sont souvent partagés entre plusieurs acheteurs, chacun réservant une certaine quantité de m3. Il y a environ 200 magasins, avec en moyenne 5 containers importés par an par magasin ça fait 1000 conteneurs par an en tout », « citation de la bible [2 Corinthiens, chapitre 5 verset 10]. Car il nous faut tous comparaître devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive selon le bien ou le mal qu'il aura fait, étant dans son corps » et moins philosophique, cette dernière remarque : « il n'y a aucun point commun entre la Chine et l'Afrique mais à cause du chômage, on a pas le choix, il faut partir pour tenter sa chance ailleurs ».

Cette étude qualitative et empirique apporte donc des informations essentielles à la bonne compréhension de la population commerçante chinoise. Mais j'en ai obtenu d'autres durant l'étude

de terrain : entre 20 et 30 % de ces Chinois sont des Chinoises ; fidèles aux clichés, ils possèdent des vélos, travaillent du matin au soir sans jamais se plaindre de leurs conditions (mis à part ces plaintes d'ordre économique relevées) et vivent de manière simple voire rudimentaire : certains magasins abritent des couches ou lits sommaires posés à même le sol. Une anodine remarque mais qui cache en elle bien des révélations sont les comptoirs. Ces comptoirs sont omniprésents chez les commerçants chinois (voir photos de l'Annexe Ij, page 155) mais rares chez les commerçants sénégalais (également installés chez les Libanais). Ces comptoirs où l'on peut lire en très mauvais français « Avis - chère clients(e) : toute marchandise achetée n'est ni échangeable ni remboursable - vérifiez votre monnaie avant de partir - merci de votre compréhension », signé du tampon du ministère de l'Intérieur, sont en fait de véritables murs antivols ! En effet, les Sénégalais ayant pour coutume, c'est peu de le dire, de négocier leurs achats, seraient pendant cinq, dix ou vingt minutes présents dans les commerces (à multiplier par le nombre de clients), jusqu'à l'achat final. Les Chinois ont trouvé la meilleure des parades, ne pas négocier et séparer le magasin, donc les produits, des clients. Le vol s'en trouve diminué.

Une remarque intéressante me vient d'une des vendeuses : elle affirme mettre en location son commerce, le bail, pour s'installer sur l'avenue Faidherbe où « ça marche mieux ». Selon un autre commerçant, c'est de plus en plus dur pour eux car le taux des loyers augmente continuellement. C'est en partie pour cela que la majorité des sondés déclarent vouloir rentrer en Chine sous peu. Le Sénégal n'est pas un eldorado.

Ces informations diverses pourraient être accompagnées de celles-ci : des journalistes de RTS (Radiodiffusion télévision sénégalaise) sont, un après-midi où Marie et moi-même conversions avec les commerçants de l'allée chinoise, venus effectuer un reportage sur ces derniers. Écoutant et parlant avec elle (la journaliste), nous apprenons que son reportage sera clairement à l'encontre des commerçants venus d'Asie. Elle prend parti sans s'en émouvoir. Une autre information donnée par un commerçant concerne la position stratégique du Sénégal : il prétend que ce pays est « le supermarché chinois pour l'Afrique de l'Ouest ». Cette affirmation est pourtant fausse, d'après le couple Yin et plusieurs autres témoins entendus.

Ceci étant dit, des questions doivent émerger chez le lecteur : sont t'ils réellement organisés ? Eh bien oui et non. Oui car il m'est clairement apparu que les nouveaux migrants bénéficient d'aides matérielles et financières, s'ils le souhaite, pour ouvrir l'échoppe et s'intégrer à Dakar. Mais ce n'est bien sûr qu'une organisation officieuse. Non car une organisation officielle a été tentée en 2005 et 2006, et continue de l'être. Malheureusement, les commerçants ne parviennent pas à se décider sur le nom du responsable. Mme Yin fut d'ailleurs proposée, mais son refus comme elle l'indique est plutôt judicieux : « l'Ambassade m'a demandé mais je ne veux pas car il n'y a pas de reconnaissance, pas de retours, ils sont trop individualistes ». Monsieur Liu, du restaurant

Le Mandarin place de l'Indépendance, fut lui aussi proposé, mais étant originaire de Shanghai, il n'était pas légitime.

Une seconde question serait, malgré tous les inconvénients (loyers, adaptation au pays, langue, vols...), pourquoi de nouveaux Chinois migrent au Sénégal ? La réponse est simple : ces agriculteurs et autres employés originaires de la province du Henan ne sont pas fortunés et comme je l'ai indiqué, ne peuvent que difficilement faire évoluer leur statut social, au sein de leur pays d'origine. Leurs compatriotes, par l'intermédiaire de Henan Chine, s'installent les premiers sur le boulevard de Gaulle, ayant pressenti les avantages et bénéfices à court terme d'un tel emploi dans un pays où la vie est relativement chère83. Le bouche à oreille fonctionne lors de retours et de nouveaux migrants du Henan s'installent à Dakar. Si aujourd'hui, certains migrent, la principale raison est monétaire et sociale : accéder en moins de quelques mois au statut de commerçant individuel est une évolution sans précédents pour certains, ce qui reste extrêmement difficile en RPC. Concernant la migration des commerçants, voici la réponse de l'ambassadeur de la RPC à Dakar, Lu Shaye : « je ne sais pas comment les commerçants chinois se sont établis à Dakar. Ce que j'ai constaté, c'est que les commerçants chinois sont venus pour la plupart à Dakar pendant les dix dernières années. Aujourd'hui, ils sont au nombre d'une centaine. Par rapport aux pays voisins, je ne pense pas qu'ils soient si nombreux que ça. D'ailleurs, leur présence à Dakar présente plus d'avantages que de problèmes ».

Cette affirmation confirmerait donc ce que la majorité des interrogés affirment. Il s'agit plus d'une démarche personnelle, individualiste que concertée et en rapport, soutenue par le PCC. Maintenant, quelles sont les aides dont parlent les autres interrogés ? Le commerçant prétextant que « le gouvernement leur fourni une bonne base de production pour faire leurs commandes » répond, seul, à la question comment achetez-vous, seul ou groupé ? Si l'État asiatique souhaitait réellement s'approprier le marché sénégalais, ne serais-ce pas plus aisé d'exporter les produits pour l'ensemble des détaillants établis au Sénégal (qui je le rappelle vendent les mêmes produits), voire à une échelle plus petite, en Afrique de l'Ouest ? Les coûts seraient de fait réduits... Il s'agit peut-être d'usines d'État, là, la production dont parle le commerçant serait effectivement proposée aux professionnels de la vente à un prix moindre. D'autres commerçants ont parlé de visas, de « subventions et politiques favorables ». Je ne pense personnellement pas un instant que l'État favorise ou assiste directement l'ensemble des commerçants chinois migrants en Afrique Subsaharienne. Des aides indirectes sont fournies, c'est certain, telles l'octroi facilité de visas,

83 Selon le recoupement des entretiens, les commerçants sénégalais ont dans un premier temps, subi les tarifs appliqués par les libanais. Les Sénégalais, qui détenaient le monopole commercial ont vu cette concurrence diminuer les marges des produits de consommation courante. L'arrivée des commerçants chinois permit une révolution : les prix ont été divisés par deux, mettant certainement des Sénégalais au chômage mais contribuant à la baisse du coût de la vie. Les foyers purent également acheter plus de produits (habillement, cosmétique, bien-être...) pour plus de personnes. Je rappelle qu'au Sénégal, si la qualité n'est que rarement prisée (sauf chez les favorisés), la quantité est, elle, très importante, dans le textile par exemple.

la conjoncture économique et sociale de la RPC permettant à certains de ses ressortissants de choisir de voyager et s'installer dans des États éloignés idéologiquement et géographiquement. Je n'exclue toutefois aucune possibilité, même certaines pressions habilement menées par l'ambassade ou le gouvernement envers certains dirigeants sénégalais pour favoriser les démarches et l'intégration des migrants. Je rappelle également l'arrivée de la moitié de ces commerçants interrogés post-2005, soit, une moitié arrivée lorsque le Sénégal entretenait encore des relations avec Taipeh.

L'ambassadeur parle d'avantages. Ces atouts, aubaines pour les Dakarois, je l'ai déjà dit, sont la baisse du prix des biens de consommation courante, la possibilité pour les femmes d'obtenir un second salaire familial grâce à la vente des produits chinois dans les quartiers et villes limitrophes de Dakar, l'emploi direct de deux à trois cent jeunes faisant le lien entre la clientèle et le patron chinois. Dans une moindre mesure, des revenus informels pour les douaniers et autres personnels de sécurité du port de Dakar, dédouanant les conteneurs.

Que dit il ? « Parce que ces commerçants chinois sont des privés qui, avec leur arrivée, importent des marchandises chinoises qui sont très bon marché. Bien sûr, ces marchandises ne sont pas « haut de gamme », mais elles ne sont pas de mauvaise qualité. Et cela correspond au pouvoir d'achat de la population ordinaire sénégalaise. C'est pourquoi les commerçants chinois sont bien accueillis par la population sénégalaise. J'entends aussi des contestations envers eux. Mais ce sont surtout de la part des commerçants sénégalais. Ces derniers sont concurrencés. Mais on ne doit pas jeter le bébé en versant l'eau du bain. Il faut réfléchir. Il faut se mettre à table pour essayer de trouver une solution adéquate dans l'intérêt des deux parties. »84. L'ambassadeur ne s'avance pas énormément il est vrai.

D'autres réponses sont données par le rapport produit par la mission économique française : « la présence de ces petits commerçants a un impact important sur l'économie sénégalaise car leurs prix sont bien moins chers que ceux des Sénégalais, qui pourtant se fournissent aussi en Chine. Il est périlleux d'évaluer toutes les causes de ces prix plus bas, mais certaines pistes peuvent être explorées : - le coût de la main d'oeuvre encore bien plus bas que pour les Sénégalais. (Un ingénieur chinois gagnerait autant qu'un journalier sénégalais). - le fait que les Chinois soient envoyés (et subventionnés ?) par leur gouvernement, pour « faire avant tout de la devise » ; ils peuvent donc se permettre de vendre à perte. - l'envoi de marchandises semi finies en pièces détachées qui prennent beaucoup moins de place dans les conteneurs et qui sont plus difficiles à évaluer par la douane. - l'entraide entre les commerçants qui se connaissent tous et n'hésitent pas à se prêter de l'argent, pour faciliter l'installation de nouveaux venus. En effet, lorsqu'un nouveau arrive, il reste quelques temps dans la boutique d'un compatriote pour apprendre des rudiments de français et wolof, les techniques de ventes, en attendant de trouver une échoppe. ».

84 Entretien avec Ndakhté M. Gaye pour le journal privé Wal Fadjri, www.walf.sn/economique/suite.php?rub=3&id art=36771

Leurs conclusions sont trop hâtives. Le premier argument est celui du coût de la main d'oeuvre. Il est plausible mais seulement à très court terme car s'il est certain qu'aujourd'hui ils sont proches, les salaires, ce ne sera pas le cas dans les années à venir. Logiquement, le Sénégalais stagnera, pas le Chinois. De plus, des commerçants affirment gagner autant ici, à Dakar, qu'en Chine ; la différence est au niveau familial et dans le loyer, toujours plus abordable que dans les grandes villes de la côte Est asiatique.

Le second argument concerne les devises. Il est vrai que la Chine possède plus que n'importe quel État, de devises (ses réserves sont estimées à 1 200 milliards de dollars). Mais elles sont originaires des États-unis en grande partie. Si certains commerçants vendent à perte, c'est plus par souci d'écouler ses stocks qu'autre chose. Un commerçant vend beaucoup et à prix bas, défiant toute concurrence je l'accorde. Mais c'est la quantité qui compte, à l'image d'une chaîne de supermarchés. On peut comparer les commerçants achetant en gros et selon un fournisseur commun (8 sur 32 réponses) à des franchisés d'une grande marque française d'hypermarchés, ou plutôt allemande, Lidl, étant donné le peu d'efforts en marketing et agencement ! Si 13 sur 34 commerçants affirment avoir reçu une aide de leur gouvernement, c'est bien plus par souci de protéger ses ressortissants et de trouver des débouchés pour les produits made in China invendables sur le marché intérieur que pour produire les devises, plus aisées à obtenir de l'autre coté de l'Atlantique et en Europe de l'Ouest. Les deux arguments restants sont véridiques : les commerçants envoient des pièces détachées dont certaines sont assemblées sur place, dans les villas et logements. Mais ce n'est qu'une partie infime des marchandises vendues au Sénégal.

L'argument final est l'aide octroyée par leurs compatriotes. Il est également fondé.

Mais ne vous imaginez pas que, pareillement aux « Chinatowns » de San Francisco ou bien Paris, ils sont une dizaine par baraquement, entassés les uns sur les autres, Dakar est à une échelle bien moindre. Par contre vous pouvez imaginez que dans une des principales capitales africaines, au minimum 75 % des produits proposés à la vente dans les rues sont d'origine chinoise. Le textile et l'habillement (chaussures notamment) représentant une bonne part.

Tout cela attise, c'est humain, des représentations diverses. C'est le sujet du prochain chapitre. Avant d'éclairer ce propos, je dois m'arrêter sur certains points. Comptant au minimum deux Chinois par boutiques (car dans certains commerces plusieurs s'y trouvent, jusqu'à quatre : ce sont les migrants récents, qui épargnent dans l'attente d'ouvrir leur propre échoppe), deux cent employés et une centaine d'experts, techniciens et autres (les Chinois qui comptent) réunis, la population originaire de Chine est d'environ 6 à 700 âmes. Ce qui confirmerait les chiffres donnés par M. Yin (500 à 700) mais serait en deçà de M. Liou (environ 800).

Des réactions intéressantes sont celles des commerçants sénégalais et chinois au lendemain de la reprise des relations bilatérales. Voici ce que l'APS relève (en annexe, page 185).

Un sujet primordial est la concurrence qu'exerce entre eux les commerçants. Ce n'est pas négligeable car jusqu'ici la population chinoise est en augmentation : si je compare et ajoute mes chiffres (nombre de commerces chinois) avec l'étude citée en [47], page 44 ; cf. Annexe Im, page 157.

De plus l'étude de S. Bredeloup et B. Bertoncello apporte des éléments supplémentaires : « c'est ainsi qu'à Dakar, l'association des consommateurs sénégalais (ASCOSEN) annonçait le chiffre de 300 commerces chinois en août 2004 et évaluait le nombre de familles à 150 l'année suivante. En 2005, la presse dénombrait 152 boutiques dans lesquelles opèreraient 1200 personnes sans préciser leur nationalité ; A. Sarr, la même année, en comptabilisait 138, réparties dans les trois artères principales de Dakar (allées du Centenaire, allées Papa Guèye Fall et avenue Faidherbe) et estimait à 145 le nombre de vendeurs. A l'évidence, au regard de nos observations établies dans le même périmètre géographique l'année suivante, les 143 boutiques recensées accueillent chacune entre 2 et 4 travailleurs chinois sans compter les employés sénégalais »

Ce faisant, ils mettent en péril les autres détaillants de nationalité sénégalaise et notamment les Libanais. Des faillites dues à cette continuelle baisse des prix qui mécontente par ailleurs les commerçants chinois eux-mêmes. Ces hommes et femmes sont simples, dans le sens où ils n'attendent pas des miracles de leur statut mais seulement un salaire leur permettant de vivre et de faire évoluer quelque peu leur condition sociale. Ils et elles n'ont pas effectué de longues études, (certains ne savent lire et écrire) et ne possèdent pas, de fait, de conscience politique profonde et riche.

Ils sont plutôt individualistes (professionnellement parlant) et ont donc de sérieuses difficultés à s'organiser. L'intégration est affectée par une rotation humaine, (même si pour beaucoup - de clients - un Chinois reste un Chinois). C'est aussi pour cela que leurs opposants y trouvent des occasions supplémentaires pour les critiquer, les déconsidérer et les blâmer.

DEUXIÈME PARTIE : REPRÉSENTATIONS, CONFLITS
D'INTÉRÊTS ET RIVALITÉS DE POUVOIRS

CHAPITRE I. - LES CHINOIS IMPLANTES AU SENEGAL SONT

GENERATEURS DE CONFLITS

1. « Le Chinatown et le China Market » ou la représentation négative

Cette expression relevée d'une discussion85, place de l'Indépendance est caractéristique d'une certaine représentation. Derrière cette vision, cette conception, cette image des Chinois se cache des éléments objectifs et subjectifs. Il existe à Dakar, deux représentations quant à l'implantation des commerçants chinois. De ceux-ci exclusivement car seuls les boutiquiers entraînent, malgré eux, ces débats. Le « Chinatown » désigne le quartier de Gibraltar limitrophe, contigu du boulevard de Gaulle ; le « China Market » le boulevard lui-même et les deux autres territoires cités auparavant. Plus que les hommes et femmes vivant et travaillant dans ces lieux, c'est leur fonction, profession qui est visée. Cette représentation négative est portée essentiellement par un cercle social réduit et définis : les commerçants, le patronat et leurs mandataires.

Les commerçants sont les Libanais dont je parlerai dans le chapitre suivant. Le patronat et leurs mandataires sont les principaux protagonistes de cette représentation. Le patronat au Sénégal est l'UNACOIS, le CNP et la CNES86. Les différents entretiens réalisés auprès de ces instances apportent les réponses et arguments reflétant cette appréciation offensive quant au fait chinois sénégalais.

Que disent t'ils ? Quels sont leurs mots pour exprimer cette menaçante implantation asiatique ? Pourquoi et comment les combattre ? Premièrement, ces interlocuteurs défendent leurs intérêts. Ils représentent des commerçants, industriels et entrepreneurs. Que des personnes attaquent leurs rentes et ils se doivent de répliquer. Que ce soit des étrangers issus d'un pays lointain et

85 Mamadou, 31 ans. Durant mon étude de terrain, j'apprendrai beaucoup de ces innombrables discussions auprès des Dakarois.

86 UNACOIS ou Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal ; le CNP est le Conseil National du Patronat et la CNES est la Confédération Nationale des Employeurs du Sénégal.

encore peu connu, qui ne connaissent pas particulièrement les rouages et commodités du système économique sénégalais sont d'autres arguments subjectifs à leurs charges.

L'argument principal donné est la concurrence déloyale : si les préjudices, soit, la moins- value, ne sont pas connus, tous l'affirme. Les Chinois utiliseraient tous les moyens en leur possession pour proposer ces prix défiant toute concurrence, y compris les moyens illégaux tels l'emploi de condamnés, le non-respect des règlementations et normes, de fausses déclarations, aux douanes, de la moitié des produits importés, la vente à perte, la fabrication illégale dans de petites unités de transformations. Que ce soit Youssoupha Diop (adjoint du directeur exécutif à la CNES ), Papa Nall Fall (président de la commission économique et financière et responsable au Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales au CNP), Oussynou Niang (secrétaire permanent de l'UNACOIS/Def), Diongue (secrétaire de la NSTS ) ou Moustapha Sakho (président de l'UNACOIS ), tous convergent en ce sens (se reporter à l'annexe entretiens).

A mes questions portant sur la qualité des marchandises asiatiques, les réponses sont unanimes : « oui mais avant le Sénégalais avait le goût de la qualité, aujourd'hui c'est juste un besoin de se satisfaire87 [...] le Sénégalais lambda ne fait pas la différence entre la mauvaise et bonne qualité. C'est dans tous les domaines mais aujourd'hui on ne fait plus la différence entre un robinet français et chinois, la copie est excellente ». Monsieur Niang affirme même : « on envoie des déchets au Sénégal, les limites de péremption sont dépassées ! ». Monsieur Diop, quant à lui : « comme vous dites oui, mais la qualité c'est autre chose, mais ça arrange la population... ». Il répondait à ma supposition : les Chinois ont eux contribués à baisser les prix des produits de première nécessité.

Qu'en est t'il de l'emploi crée par ces commerçants ? L'UNACOIS/Def parle d'exploitation, d'esclavage et accuse la communauté en général de ne pas investir, de ne pas proposer de transferts de technologie. Son collègue de l'UNACOIS est plus raisonnable et réaliste en avouant « on peut dire ça mais juste entre 300 et 500. Ce n'est pas bien, c'est de l'informel, ils ne payent pas d'impôts... ».

Je reviens quelques instants sur l'espace urbain occupé par les Asiatiques, dont le quartier résidentiel de Gibraltar. Éléments faisant partie intégrante de cette représentation, il sont soumis à une spéculation foncière sans précédent. Les locataires chinois payent jusqu'à un million et demi de FCFA (loyer annuel, ce qui représente plus de 2 000 euros). Quant au boulevard, et hormis l'espace libre disponible à l'arrivée des premiers détaillants à la fin des années 1990, « c'est évidemment parce que le boulevard est bien entretenu, c'est une fierté à Dakar le boulevard ! En plus, ici ils sont accessibles, le toubab [Blanc en wolof] n'est pas trop accosté », dixit M. Sakho.

87 Réponse démagogue étant donné le peu de moyens dont les foyers sénégalais disposent.

Sur les migrants eux-mêmes, la position commune à ces interlocuteurs est la réglementation. Le nombre de 800 commerçants et chinois semble être la limite acquise. Limite d'ailleurs proposée par A. Wade. Non renouvellement des cartes de séjour, contrôle stricte des entrées et augmentation des commissions (ce qui est en fait la licence commerciale) sont les principales revendications.

D'autres arguments sont avancés. La vente à crédit des marchandises importées de Chine (par les commerçants chinois exclusivement), le subventionnement par l'État chinois, la non- participation des migrants à l'économie locale, le rapatriement de devises achetées à une fois et demi du cours et la polémique au sujet des conteneurs. Le conteneur est associé à un patronyme sénégalais pour ne pas éveiller de soupçons et que ce faisant le commerçant chinois, payant un bakchich au passage, peut en toute quiétude récupérer ses marchandises sans avoir à passer par les contrôleurs et employés du port autonome de Dakar.

Les témoignages sont concordants. Afin de lutter dans la pratique, l'UNACOIS a organisé en août 2004 une manifestation de grande ampleur. Une manifestation dont le point de départ était, symboliquement, le monument de l'indépendance au début du boulevard du général de Gaulle (Nord de l'artère). Ce défilé anti-chinois s'est transformé en grève. Durant trois journées, les syndicats ont bloqué l'ensemble du territoire en baissant les rideaux de tous les commerçants, sénégalais et libanais. Mis à part ces derniers et les représentations citées plus haut, dont la CNES88, la Chambre de commerce participa également à ce tour de force.

Alors comment combattre politiquement ces Chinois, avec l'aide du gouvernement si possible ? A ma question - vous aviez interpellé le gouvernement ? - le président de l'UNACOIS répond « oui, Wade. Il nous avait dit qu'on ne peut pas interdire les Chinois parce qu'il y a des Sénégalais partout dans le monde. Il y a des Sénégalais en Chine qui font du transit... ». Le gouvernement ne reste pas sourd aux arguments, et agit en conséquence : « le ministre du Commerce, Mamadou Diop, a révélé à l'APS que plusieurs tonnes de marchandises convoyées par des commerçants chinois ne disposant pas de licence ont été confisquées par les services compétents [...] nous avons découvert lors des contrôles effectuées que près de 15 pour cent des commerçants chinois n'avaient pas de registre de commerce. Comme nous sommes dans un pays de droit, le ministère de la justice a été saisi et nous avons confisqué plusieurs tonnes de marchandises. Nous avons aussi constaté que les titres de séjour de beaucoup de commerçants arrivaient bientôt à expiration, a poursuivi le ministre, indiquant que c'est un problème qui touche plusieurs départements ministériels comme la justice, l'intérieur et le commerce »89. De même,

88 Paradoxe humoristique, son bulletin contient une publicité pour Espace Auto, dont le slogan est « Espace Auto est également le premier importateur en Afrique des plus grandes marques et automobiles chinoises. Symboles d'une nouvelle génération axée sur le design, la technologie et l'économie, les marques chinoises vont révolutionner le marché de la vente de véhicules neufs ». Annexe IIo, page 158.

89 APS du 4 août 2005.

en Octobre 2003, quatre bar-restaurants tenus par des ressortissants chinois furent fermés par les autorités compétentes (information obtenue par un commerçant libanais sur l'avenue Lamine Guèye).

Comment combattre judiciairement ces Chinois ? Ils saisirent la commission nationale de la concurrence (structure de la Chambre de commerce, d'industrie et d'agriculture de Dakar, CCIAD). Soupçonnant, à raison, l'import de pièces détachées (et non de produits finis) afin de ne pas s'acquitter des taxes les plus élevées, les commerçants chinois se sont fait démasqués. Mais la douane, impartiale ici, a augmenté l'ensemble des taxes : les Sénégalais se sont placés en victimes.

Ceux-ci ont par ailleurs dénoncé les installations non légiférées des commerçants concurrents, les accusant de ne pas être en règle avec le ministère de l'Intérieur (services de l'immigration dont la direction de la police des étrangers et des titres de voyage).

Mais ces protagonistes ne sont pas totalement honnêtes car ils oublient de mentionner un fait : ce sont les commerçants sénégalais, au sens large, qui ont profité les premiers des produits made in China90.

Y a t'il des contacts entre les représentations officielles chinoises et eux ? L'Ambassadeur chinois s'est déplacé (à l'UNACOIS) en 2006 « pour résoudre les problèmes » mais les contacts se sont limités à cette entrevue.

Avant de conclure, que pèsent ces Chinois dans l'économie ? Peu en vérité, car ce sont de petits commerces, mais qui amplifient l'informel. L'économie parallèle est elle très affectée.

Quelle est la position officielle du CNP ? « Nous avons des rapports avec le MEDEF [Mouvement des Entreprises de France], alors ce serait anachronique d'être xénophobe ! ». Étonnante position, le MEDEF n'est pas singulièrement connu pour ses positions anti-racistes et c'était bien des commerçants chinois dont nous parlions à cet instant. Mais une phrase, de Youssoupha Diop, attirera mon attention : « ce pays est le notre, on a un devoir et une responsabilité citoyenne ». Je dois préciser que l'UNACOIS et ses partisans sont qualifiés de xénophobes par leurs opposants, dont j'expliquerai leur représentation dans le prochain point.

Enfin, une autre raison de défiance est l'aménagement urbain. Il y a là de véritables enjeux territoriaux, des rivalités de pouvoirs car les Chinois sont installés dans les rues et boulevards où l'on touche directement les symboles de l'identité nationale : militaire car c'est sur cette voie que

90 La cupidité des commerçants sénégalais n'est pas à démontrer. Jusqu'à l'arrivée des Chinois, ces premiers se sont enrichis grâce aux produits made in China : ils les revendaient jusqu'à trois fois plus cher que leurs actuels concurrents Asiatiques.

Concordant, ce témoignage de Momar Ndao (président national de l'ASCOSEN) : « oui, avant les Sénégalais faisaient même faire les photos en Chine et les revendaient 10000 francs [15 €] alors qu'aujourd'hui les Chinois les vendent 1000 [1,5 €]. Ils les vendent au prix réel. ».

défile ces derniers, idéologique et historique pour la population, et, c'est enfin une fierté nationale car ce territoire reste un des mieux agencés, plus entretenus et convoités.

Cette représentation est clairement hostile aux Chinois. Elle est relayée par deux pouvoirs, au combien importants au Sénégal et dans toutes les démocraties : les pouvoirs politique et médiatique.

L'échiquier politique dans cette République n'est pas scindé en deux camps, mais trois au minimum. Le parti d'Abdoulaye Wade (PDS ou Parti démocratique sénégalais) est sans conteste le plus armé et puissant pour conduire son leader au pouvoir suprême, étant donné sa réélection91. C'est ce qu'on peut nommer la droite libérale voire ultra-libérale, copiée sur le système étasunien. La gauche est représentée par Tanor Dieng, sous le Parti Socialiste (PS). Le troisième parti dont je parle est Rewmi, le parti d'Idrissa Seck, ancien Premier ministre sénégalais sous la première présidence Wade. Il existe également le AFP ou Alliance des Forces de Progrès, classé à droite. C'est son président, Moustapha Niasse qui, il est d'ailleurs le seul, (hormis naturellement A. Wade qui dut se prononcer), a se positionner en faveur ou à l'encontre des commerçants chinois - du moins à en débattre lors de la campagne présidentielle. Dans un article du journal Wal Fadjri, il, selon le journaliste Ndakhté M. Gaye, « promet de faire la lumière ». Son contenu est en annexe presse et citations, page 186. Ce geste en faveur de l'UNACOIS et du patronat sénégalais est éminemment politique. En effet, M. Niasse tente par là de s'attribuer les voix de ces derniers, qui représentent en comparaison, le MEDEF et la CGPME92 en France, ce qui durant une élection présidentielle, compte.

La presse est également d'une importance capitale dans cette représentation. Nouvel horizon est un magazine. Son N° 497 contient un dossier spécial sur les commerçants chinois, son titre : « le péril chinois ». Son introduction : « quand les commerçants sénégalais ont, pour la première fois, stigmatisé la présence de leurs « collègues » chinois, on a vite fait de crier à la xénophobie. Aujourd'hui que tous les secteurs ont fini par être gangrenés, il n'y a qu'un seul mot d'ordre qui vaille : vaincre le péril chinois au nom de la défense de l'économie nationale ».

D'autres journaux s'intéressent à ce débat, tels Le Quotidien, Wal Fadjri, Le Soleil,

L 'Observateur, Sud Quotidien, des journaux électroniques tels Afrik. com... Simplement, le seul média proposant une neutralité est Wal Fadjri. Ses articles prennent en compte les deux camps, les deux représentations et surtout donnent la parole aux « pro-chinois ». Fait rare dans la presse sénégalaise mais également dans les médias visuels. Deux titres d'articles peuvent être cités : « Sénégal : pour ou contre les commerçants chinois ? », daté du 13 août 2004 et « Sénégal: À Kolda, le cachet sous-régional pérennisé, l'absence des chinois déplorée » en date du 6 avril 2007.

91 Réélu en mars 2007 au premier tour avec 55,9 % des voix devant Idrissa Seck (14,9 %) et Ousmane Tanor Dieng qui recueillit 13,5 %. Moustapha Niasse obtint 5,9 % des suffrages exprimés.

92 Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises.

Les Chinois possèdent donc des alliés au Sénégal, et ils sont nombreux.

2. Une politique officielle bienveillante

Riches en nombre car ce sont les clients qui eux-mêmes sont les consommateurs sénégalais qui sont des citoyens donc des électeurs. Le second allié des Asiatiques est le gouvernement. Les consommateurs doivent se regrouper pour unir leurs forces et fédérer les mots d'ordre, les revendications et perspectives : c'est l'ASCOSEN. Ces trois groupes sont, en quelque sorte, les amis des Chinois. Ils défendent leur cause par d'hétéroclites procédés, mais, la finalité est analogue. Il ne sont pas les seuls, mais sont le véritable rempart contre les attaques du camp opposé, hostile à la présence chinoise au Sénégal.

J'ai, dans les lignes et chapitres précédents abordé le thème des consommateurs. Ici, c'est le rôle et la ou les positions de l'Etat sénégalais qui m'importe, avec l'appui de l'ASCOSEN et de son président Momar Ndao. Que dit Abdoulaye Wade à ce sujet ? Fustigeant la thèse de l'invasion chinoise en Afrique et de ses produits, il souhaite commercer avec l'État asiatique sans pour autant « écraser notre industrie pour renvoyer à l'inactivité nos milliers de commerçants ». Abordant le conflit sino-sénégalais, il déclare que son gouvernement a agi avec clairvoyance, que les commerçants chinois sont tous en situation régulière. Toutefois, il estime le nombre de ces détaillants correct, mais si à l'avenir, celui-ci augmentait « cela poserait problème ».

À un niveau supérieur, il souhaite créer une zone franche en faveur des industries chinoises, rappelant que d'autres pays y ont accès. Enfin, il condamne les protagonistes exerçant « une certaine propagande [et] des réflexes négatifs de peur », en soutenant à l'inverse la coopération entre les deux États93.

Son appréciation ne laisse pas de place au doute quant à sa représentation envers les Chinois. Mais le président reconduit dans ses fonctions laisse un goût amer aux amis de l'UNACOIS. Il leur avait en effet promis d'être intransigeant et ferme avec les futurs migrants, en contrôlant les entrées sur le territoire sénégalais. Mais ses paroles ne furent suivies d'aucun acte, exception faite des contrôles douaniers. C'est donc une politique officielle bienveillante à l'égard de la population chinoise. Une politique ouverte, réfléchie et réaliste.

93 Le discours est disponible sur le site Internet de Xinhua du 11 avril 2006.

J'aimerai, avant la description de l'ASCOSEN, proposer un résumé de la perception des consommateurs sénégalais : « si les Chinois n'étaient pas là, ce n'est pas avec mon salaire et avec les cinq enfants que j'ai que je pourrais aller dans les supermarchés ! 94». Les Dakarois sont dans leur majorité, très bienveillants quant à la présence des échoppes et de leurs patrons chinois. Si certains s'agacent sur la forme de leur implantation (regroupée et sur des artères historiques), ils apprécient tout autant leurs tarifs. Ils offrent des emplois aux jeunes, louent au prix fort les maisons et échoppes, sont discrets et honnêtes.

Les commerçants originaires d'Asie sont tout autant perspicaces, comme l'enquête l'a démontré. En annexe presse et citations, page 186, l'article de l'APS donne quelques ressentiments de ces derniers.

Les détaillants chinois sont donc réalistes et connaissent, pour certains du moins, l'instabilité de leurs statuts de commerçants étrangers non intégrés. Ils sont soutenus par plusieurs organisations dont l'ASCOSEN, la RADDHO, la CSA, la CNDPA, l'ONDH et l'UNCS95. Ces six associations et organisations ont participé à l'appel du premier, à la marche en soutien aux commerçants chinois qui répondit à la manifestation et grève, menée par l'UNACOIS début août 2004. Cette manifestation d'environ 300 personnes96 (départ à l'Obélisque et fin devant les locaux de la RTS sur le boulevard de Gaulle et intitulée contre « l'intolérance, le racisme ou la xénophobie de l'UNACOIS ») vit également le soutien de l'Association des employés de commerce des Chinois, le Regroupement des distributeurs de produits chinois et l'Amicale des dockers commis au débarquement des produits chinois. Des individus, comprenez des consommateurs sénégalais, vinrent par ailleurs soutenir leurs détaillants favoris. Si les opposants affichent indiscutablement leurs arguments et rejets envers les commerçants asiatiques, les partisans de la représentation positive, par la voix de Momar Ndao97 qui siège également à l'UEMOA sous le mandat de président des associations de consommateurs, ne manient eux non plus la langue de bois.

Premier point, la perte par les commerçants sénégalais du marché dakarois par leurs « collègues » chinois. En fait, les Chinois ont simplement investi là où les Sénégalais auraient, à terme, perdu. Car ces derniers ne disposent pas des atouts qu'un Chinois lambda possède : la maîtrise de la langue, la connaissance du terrain, de la conjoncture économique et des filières commerciales. Ils se sont donc fait, logiquement, doublé. Ceci a entraîné des rejets et une frustration

94 Phrase prononcée par un père de famille étonné de mon étude, sur le boulevard de Gaulle.

95 La RADDHO est la Rencontre africaine des droits de l'Homme ; la Confédération des syndicats autonomes (CSA) ; Conseil national pour la défense du pouvoir d'achat du citoyen (CNDPA) ; l'Organisation nationale des droits de l'Homme (ONDH) et l'Union nationale des consommateurs du Sénégal (UNCS).

96 Selon l'APS, donc d'après le ministère de l'Intérieur.

97 En annexe entretiens, page 172.

qui peu à peu peut être qualifiée de xénophobe. De plus, une vérité est apparue, celle de leurs tarifs exorbitants imposés à la clientèle : les Chinois ont divisé par deux ou trois ces marges.

Second point, la qualité. Momar Ndao l'affirme, « oui, la qualité est relative. Ça dépend de la satisfaction du consommateur. Comme c'est le paraître qui compte... Il n'y a pas de calculs sur le long terme, le consommateur sénégalais n'a pas de démarche logique, scientifique. Pour les textiles, on peut acheter un tissu de basse qualité mais bien le coudre chez le tailleur ». La qualité est donc moyenne pour ne pas dire mauvaise, mais est ce imputable aux Chinois ou aux consommateurs : c'est bien la demande qui détermine l'offre.

Donc, l'implantation des commerçants est positive : « oui avant on achetait dans des friperies, aujourd'hui pour 1000 francs [1,5 euros], on habille un enfant. [...] Ils les vendent au prix réel. ». L'accès aux produits s'est démocratisé, permettant à ces consommateurs sénégalais de pénétrer dans la société de consommation, d'entrer dans la mondialisation.

Troisième point, les accusations portant sur les conditions d'entrées et règlementations : « oui mais tout commerçant doit avoir ses documents et si le Chinois le possède c'est bon. Pareillement, tous les étrangers doivent respecter la police aux frontières et les conditions du séjour [...] les visas sont étudiés par les ministères au cas par cas. Même quand il n'y a pas d'ambassade [exemple : Chinois de la République Populaire de Chine en 2000] ». Cette position est donc la même que celle du gouvernement.

De plus, l'UNACOIS asserte la présence d'ateliers dans les villas et les échoppes chinoises : « non, les commerçants ne sont pas des fabricants ! On ne peut pas tout remettre en cause ! Par contre c'est vrai qu'ils assemblent certains produits sur place ».

La spéculation foncière leur est elle imputable ? « en moyenne c'est 20 % d'augmentation par an ! Cela dépend de la demande. Mais la réelle raison est l'arrivée des organisations onusiennes ! » et selon lui « la plupart des riverains du boulevard, étant des retraités, ils trouvent des ressources à travers la location de magasins aux commerçants chinois »98. Cette manne financière est capitale pour la grande majorité des bailleurs. Je rappelle le prix des loyers : 400 000 FCFA (600 €) pour une maison et de 500 (750 €) à 700000 (1050 €) pour les échoppes, selon M. Yin. L'APS estime à 100 000 environ le loyer du commerce et à 500 000 FCFA la maison.

Quels sont les moyens de pression ? L'ASCOSEN dispose d'une émission télévisée, en wolof, intitulée Nay Leer (que ce soit clair). Surtout, les associations de consommateurs sur l'ensemble du territoire : 30 000 membres dans toutes les régions. Les militants et relais des associations et organisations citées plus haut sont également précieux. Et leurs revendications ? « la

98APS du 11 août 2004.

qualité des produits, des services, un bon environnement, des banques de développement, la santé, l'administration, la sécurité des biens, les transports... ».

Septième et ultime point, à la question, que feriez-vous pour lutter contre cette concurrence Chinoise ?, Momar Ndao répond : « il faut influer sur les Chinois, faire des micro-industries, des usines d'assemblages, même artisanales [...] des transferts de technologie, de la valeur ajoutée. Par exemple, on a du sable et pour faire le verre il nous faut juste des fours ! ».

Cette représentation bienveillante à l'égard des Asiatiques est subséquemment soutenue par le gouvernement, la population et certaines associations de consommateurs et humanistes. Sans pour autant rentrer dans les clichés, je peux proposer une classification, en d'autres termes, les réfractaires aux marchands sont conservateurs, affichent un nationalisme économique : ce sont des réactionnaires. A l'opposé, l'ONDH, l'ASCOSEN... sont généralement des unions classées à gauche, progressistes donc. Au Sénégal pourtant, les clivages sont moins essentiels et évidents que dans les États européens (Espagne, Italie, France) : le besoin social et de service public est tel que la droite (A.Wade, I. Seck) et la gauche (O. T. Dieng) s'affrontent plus sur l'image des présidentiables que sur les programmes. Bien sûr, l'héritage politique socialiste99 de L. S. Senghor reste omniprésent au P.S. sénégalais.

Le point terminal de ce chapitre, Les conflits d'intérêts ou le rejet des responsabilités est consacré à une tentative de synthèse de la première partie et des représentations.

3. Les conflits d'intérêts ou le rejet des responsabilités

Il existe bien des conflits d'intérêts portant sur la présence des commerçants chinois. Plus économiques que politiques ou idéologiques, ils scindent néanmoins deux camps, deux groupes et en font ressortir deux représentations. Le patronat et les petits entrepreneurs d'un côté, conservateurs et désirant garder leur influence sur la vie économique, en refusant la concurrence chinoise, et, les consommateurs et leurs représentants de l'autre côté, progressistes, libéraux, qui accueillent avec complaisance cette concurrence positive pour les portefeuilles des plus démunis, soit la majorité de la population dakaroise. Le gouvernement quant à lui se positionne dans ce second groupe, appliquant des mesures ponctuelles pour feindre le plaidoyer (envers le

99 Senghor, socialiste, refusa tout amalgame (et projets) avec les idéologies marxistes. Proche de la social-démocratie française actuelle donc (ne remettant pas en cause le capitalisme mondial, mais en l'adaptant aux besoins nationaux).

premier cercle d'individus et syndicats). Ce faisant, il ne cherche pas le règlement des conflits, ne jouant pas son rôle, mais y trouve une occasion d'arborer ses sentiments auprès de la RPC : c'est le rejet des responsabilités.

Rejet des responsabilités également car c'est une nouvelle preuve de leur incapacité à contrôler et tenir l'économie locale. Ces organisations puissantes ne peuvent rivaliser avec le lobbying français. C'est là une frustration. Ensuite, les Libanais s'accaparant le secteur commercial, ils intègrent ces derniers, par la force des choses si je puis dire. Enfin, l'arrivée des Chinois déstabilise de fond en comble ce monopole commercial, des prix notamment. Mauvaise stratégie, manque de clairvoyance, d'objectivité et de spontanéité économique, frustration, voici comment je résumerai la situation qui en devient une représentation.

Il est significatif de voir comment moins de 200 commerçants peuvent en l'espace d'une dizaine d'années, imposer une « révolution » économique (à l'échelle du marché dakarois) et sociale. Politiquement, l'enjeu est plus emprunt de symbolique et de volonté de ne pas contrarier son nouveau partenaire que dogmatique, philosophique, idéologique. Ceci pose une question fondamentale : quelle doit être la politique d'accueil, migratoire, du Sénégal ? L'État doit il affiner les conditions d'entrées, la législation, encadrer leurs activités commerciales ? Actuellement, la réponse est non. Non seulement le gouvernement ne s'y emploie d'aucune manière, mais serai t'il intelligent politiquement, socialement, diplomatiquement, de fermer les frontières à des commerciaux qui de surcroît, profitent à la majorité ? L'État est incohérent, contradictoire et donc dans la confusion.

Je change d'échelle pour revenir au niveau économique national. La coopération entre le pays asiatique et de l'Afrique de l'Ouest reste marginale. Pourtant, en l'espace de cinq années (entre 2000 et 2005 où les deux États n'étaient pas encore liés diplomatiquement) la Chine devint incontournable : elle est la quinzième importatrice et septième exportatrice ; mille milliard de FCFA ont été injectés dans quarante projets et réalisations ; je constate une évolution négative des exportations sénégalaises mais positives à l'inverse et, surtout, la dette (balance commerciale) a augmenté de 36 % en seulement une demie décennie ! Les IDE (Investissements directs à l'étranger) chinois restent confinés à des secteurs restreints et choisis (les ressources halieutiques, le textile, le BTP). Mais ces secteurs étant primordiaux au Sénégal, ce dernier doit enrichir les liens commerciaux existants. Les grands travaux100 et les entreprises chinoises sont autant de possibilités pour le Sénégal de gagner son pari : un partenariat positif avec la Chine. Il faut d'ores et déjà comprendre que le Sénégal n'est pas en position de force pour négocier. Il ne peut que proposer de

100 Spatialisés en annexe IIn, page 158.

nouvelles associations (encore que ce soit la Chine qui le fasse, en général), les multiplier et les étayer.

Géopolitiquement, l'État de la teranga, qui donc ne doit pas toujours être perçu comme tel par les commerçants chinois, a un rôle à joué et a les cartes en main. Économiquement, le système très libéral imposé par A. Wade démontre ses limites. Le gouvernement ne contrôle que les sociétés d'État. L'économie est maîtrisée et assujetti par les Français, les Libanais et dans une moindre mesure, les Indiens et les anciens PVD, aujourd'hui NPI (Nouveaux pays industrialisés, le Brésil notamment) qui rattrapent les vieilles économies européennes issues de la révolution industrielle britannique.

CHAPITRE II. - LeS ChInOIS ne SOnt PaS SeUlS

1. L'influence de la communauté sénégalo-libanaise sur l économie

Les Chinois ne sont pas seuls et pour cause, ce sont les derniers migrants. Mais en l'espace d'une décennie, ils sont en passe d'évincer le oligopole sénégalo-libanais, dans le secteur commercial j'entends. Il est difficile de déterminer le réel poids des sénégalo-libanais sur l'économie, la politique et la société civile sénégalaise. Intégrés, possédant la nationalité sénégalaise101, ils sont donc comptabilisés dans les chiffres et données générales du Sénégal. Dans le domaine commercial, il suffit d'observer : le plus grand nombre des commerces sont tenus à Dakar par les Sénégalais d'origine libanaise et les Chinois (je parle des commerces de taille relativement importante, construits en dur, les petits commerces étant sénégalais). Dans le domaine industriel, ce sont les Libanais qui ont investi, avec les Français. L'indépendance politique n'a en aucun cas permis une indépendance économique. Les Libanais contrôlent l'industrie de

101 La double nationalité en fait car ils conservent la nationalité libanaise, transmise par la voie paternelle.

l'emballage, de l'agro-alimentaire (SIAGRO, Société industrielle agroalimentaire : elle produit l'eau minérale Kirène), les Français : le reste102. Une industrie très faible, un secteur tertiaire en voie de développement et un secteur primaire à la peine, le Sénégal n'est pas la future économie mondiale, c'est peu de le dire. Aucun État ne peut se développer sans une politique industrielle. L'Histoire en témoigne103. Les Libanais l'ont compris.

Un historique s'impose : les premiers Libanais débarquent à Dakar entre 1850 et 1900. Ce sont des maronites, qui tentaient de rejoindre la côte Ouest des États-unis. Le Sénégal sous tutelle française accueillent donc ces maronites, puis chiites. Ces émigrés ont des points communs avec les Sénégalais : ils sont dominés par la France, parlent donc la même langue et pratiquent pour les mêmes religions, chrétienne et musulmane. Ce sont en fait les colons français qui amenèrent les premiers Libanais sur le sol Ouest-Africain. Pourquoi ? Pour imposer au peuple autochtone des partenaires commerciaux viables. Les Libanais débutent en commerçant l'arachide (plus généralement des produits vivriers marchands) et en vendant à crédit les intrants nécessaires à sa culture. Peu à peu, ils se développent et deviennent des détaillants, à l'aide cette fois des crédits français. Je précise que durant cette période, les Sénégalais n'avaient accès aux registres de commerce. De fait, une classe sociale apparaît : les commerçants et intermédiaires libanais, entre les paysans sénégalais et les comptoirs français. Je remonte les années : à l'indépendance du Sénégal, en 1960104, les Libanais investissent dans de petites et légères industries (le plastique notamment). Leurs statuts ? Certains ne possèdent pas de papiers, certains sont français (par l'armée), certains sont sénégalais. La majorité restent Libanais car, je l'ai dit, au Liban, le droit du sang par le père apporte la nationalité, si toutefois l'enfant est dès sa naissance inscrit à l'ambassade. À cette époque, ceux ayant réussi dans le commerce installent leurs familles au Sénégal, créant un réseau naturel libanais105. A la fin des années 1970, un fort besoin de se structurer en tant que communauté apparaît, d'autant que des classes sociales naissent, des conflits d'intérêts se révèlent (entre Libanais ayant réussi et ceux étant resté au statut de simple commerçant). La religion va fédérer les Libanais : le cheikh local devient le médiateur moral, intervient auprès du pouvoir dans l'intérêt de ses fidèles : il est reconnu « grand marabout » par les marabouts sénégalais. Cette première organisation libanaise est contestée. Une seconde apparaît : laïque, elle est toutefois composée de la minorité chrétienne maronite et comprend de riches et puissantes familles telles les Bourgi (cf. photo en fin de point), Sharara, Gandour (dans les cosmétiques)... Les Bourgi sont craints, respectés et pratiquent la politique (un des fils, Ramez, était candidat à la mairie de Dakar). Ce sont les premiers à avoir installer les cinémas au Sénégal par exemple. L'Alliance (ou Mission Notre

102 Hormis l'exploitation minière (Inde), les entreprises d'État et le secteur artisanal.

103 Angleterre, France, Allemagne, États-unis d'Amérique, ex-URSS.., et aujourd'hui la Chine.

104 Le 20 août 1960 suite au démembrement de la Fédération du Mali (comprenant le Sénégal et le Soudan français ou actuel Mali).

105 Les Libanais étaient présents sur l'ensemble du Sénégal car les Français avaient besoin de liens dans tout le pays.

Dame du Liban), car c'est son appellation, devient par la suite une simple association caritative, des conflits de pouvoir ayant empêché son développement. Monsieur Samir Jarmache en est le vice- président (voir plus bas). Plus généralement, dans les années 1980 puis 1990, les Libanais se coupent socialement du Sénégal : ils n'envoient plus leurs enfants à l'école publique, et surtout, en 1996, une femme de ménage se fait assassiner : elle travaillait pour un Libanais. Des manifestations éclatent à Dakar mais rapidement la police arrive à une conclusion différente de celle véhiculée par les palabres sénégalaises : c'est un Nigérian, toxicomane.

Avant de conclure cet historique106, voici quelques informations : à la différence des Chinois, les Libanais consomment et investissent dans l'économie locale (les Libanais au Sénégal sont généralement fiers et aiment extérioriser leurs richesses : automobiles, habillement). Ils occupent des postes stratégiques et des professions libérales (médecins, enseignants, avocats...). La population d'origine libanaise est composée à 90 % de chiites. Au plus fort, dans les années 1980, ils étaient 30 000 ; ils sont aujourd'hui environ 10 000. Majoritairement, ils quittent le Sénégal pour la France et les États-unis (études et emplois) et certains pour la Côte d'Ivoire, pour investir dans le cacao et le café. Une anecdote : en 2000 lors de l'élection présidentielle, la France avait dépêché un navire dans le cas où ses ressortissants et les Libanais s'étaient trouvés dans une situation difficile (à l'image des extraditions au large de Beyrouth durant l'été 2006), et, la RPC avait également affrétée deux navires, au large des îles de Gorée et de la Madeleine.

Un témoignage capital pour appréhender la population d'origine libanaise est celui de S. Jarmache107. Confirmant cet historique, il possède lui aussi une représentation très précise de la communauté chinoise : « la Chine il y a vingt ans, c'était un phénomène. De toute façon ici tous les Asiatiques sont Chinois. Ils vivent comme des fourmis [...] l'Afrique c'est le continent où la Chine va faire des miracles ! C'est un véritable ouragan ! [...] Il y a maximum cinq ans, les Chinois ont débarqué par familles entières. Mais au départ c'est les Libanais qui sont partis en Chine avec les conteneurs. Comme toujours, les Libanais sont les initiés, ils ont appris où et comment partir aux Sénégalais, la filière et le chemin à suivre. Le problème c'est que les Sénégalais sont autorisés à frauder, pas les Libanais, ils se sont donc enrichis de manière extravagante ! Du coup ils se plaignent aujourd'hui, mais ce sont eux qui ont amené le loup dans la bergerie ! [...] Le Chinois prend le pain de la bouche du Sénégalais qui l'a lui-même pris de la bouche du Libanais ! [...] Le Libanais veut un minimum de confort, les Chinois non, ils s'en foutent, ils dorment entre eux, font la loi entre eux... [... ] Ils pénalisent le commerce [... ] c'est l'État chinois qui subventionne.

106 Selon Wael Haidar (employé à Batiplus, société de BTP) et présent au séminaire de Niassam.

107 Vivant au 79 de la rue Galandou Diouf, il est propriétaire de quatre commerces et vice-président de l'Alliance.

Ils vendent les invendus ici. Il y a 5000 conteneurs qui attendent un marché à Hong Kong [...] les Chinois sont partis pour conquérir l'Afrique et rien ne pourra les arrêter ! Les Libanais eux veulent la paix ». Il est aisé de comprendre qu'il soutint l'UNACOIS dans sa démarche : « on était avec eux, on a fait grève en baissant les rideaux. Mais l'accord avec Wade on ne l'a jamais vu de quoi il en était ».

S. Jarmarche certifie l'historique qui ne débuterait selon lui qu'à partir de 1900 : « la diaspora est à l'origine de la misère à cause de l'Empire Ottoman. En 1914-1918, la France, l'Allemagne et l'Angleterre repoussent l'Empire Ottoman. Des pays arabes deviennent indépendants. La France va alors orienter intelligemment les Libanais vers l'Afrique et donc le Sénégal. Les Libanais croyaient aller rejoindre leurs parents aux États-unis mais s'arrêtaient en Afrique de l'Ouest [...] première génération, entre 1900 et 1960 ».

L'article de Luc Ngowet108 confirme.

Les Libanais sont principalement implantés dans le secteur industriel. Mais, avec le temps, certains Libanais ou Sénégalais d'ethnie libanaise109, parviennent à se hisser au rang de simple Sénégalais, comme en témoigne l'article de L'Express (annexe, page 187).

Un autre homme est Haïdar El Ali, élu homme de l'année 2002 ! Il dirige l'association Océanium (où j'ai d'ailleurs logé durant une bonne partie de l'étude de terrain ), sur le Plateau, route de la Corniche Est. L'Océanium est un club de plongée mais représente en fait la principale organisation environnementale au Sénégal : Haïdar est reconnu de la Casamance à St Louis pour ses actions en faveur de la sauvegarde des ressources halieutiques et de l'environnement en général. Très courtisé par le milieu politique, il soutint Ousmane Tanor Dieng, le premier secrétaire du PS.

Enfin, comment parler des Libanais sans évoquer Adnan Houdrouge. Ce milliardaire vivant aujourd'hui à Monaco possède un parcours atypique. Ayant vécu au Sénégal jusqu'à l'obtention de son baccalauréat, il part en Suisse à la fin des années 1960. Il est désormais dirigeant de Mercure International (distribution), une multinationale de 500 millions d'euros. Il est le secrétaire général de la Chambre de commerce et de développement de Monaco et vice-président et actionnaire de l'A.S.Monaco F.C.110 Décoré de la Croix Saint Charles pour « service rendu à Monaco », par le Prince Rainier Albert II, qu'il accompagne lors de ses voyages diplomatiques (Shanghai) et qui lui a confié la création de « Peace and sport » (Paix et sport), il ne revient au Sénégal que dans le cadre de projets économiques. Il est propriétaire des supermarchés Score depuis 1995, aujourd'hui Casino

108 Annexe presse et citations, page 187.

109 Selon Fayçal Sharara, premier vice-président de la CNES et dirigeant une conserverie de thon, la société Pêcheries frigorifiques du Sénégal et Amerger Casamance, une usine de filetage.

110 Association sportive de Monaco Football Club, http://www.asm-fc.com/organigramme.aspx

(seuls supermarchés au Sénégal), du nom du même groupe. Voici donc un homme qui agit en profondeur sur l'économie sénégalaise, mais contrairement à ses semblables, a choisi de ne pas rester dans son pays originel111.

Globalement une question ressort, c'est la suivante : comment une communauté vivant au Sénégal depuis plus d'un siècle peut-elle parvenir à s'assimiler, à s'intégrer. Et, comment une communauté arrivée il y a moins de 10 ans pourrait t'elle le faire ? Les Chinois seraient t'ils les nouveaux souffre-douleur des Sénégalais (après les Libanais) ? Le Sénégal, pays hospitalier, n'a-t-il pas en réalité un double langage, une double pratique ? S'agit t'il de la couleur de peau ? Non, selon plusieurs discussions, les émigrés Noirs (des pays limitrophes) sont également peu reconnus, d'autant que beaucoup mendient et propagent cette mauvaise image du Sénégalais pauvre, sollicitant sans arrêt le toubab.

Ayant fait le tour de cette question libanaise, quels sont dorénavant les liens et possibles antagonismes apparaissant entre les Chinois et Libanais ?

Les liens sont évidents : les Libanais étant les premiers Sénégalais a avoir importé les marchandises made in China, ils sont naturellement les premiers à avoir négocié et rencontré les Asiatiques. Arrivés au Sénégal, ces derniers qui détiennent les réseaux commerciaux Chine-Sénégal n'ont pas la nécessité des services Libanais. Pourtant, ceux-ci connaissent, et pour cause, le terrain et les acteurs. C'est dans ce but que les Chinois qui comptent s'allient et investissent dans le secteur du textile et du BTP.

Les différends sont plus fréquents. Les Chinois ont fait chuter les marges et l'éventuelle croissance des échoppes sénégalo-libanaises. Aujourd'hui, force est de constater que les commerçants originaires du pays du cèdre se fournissent tous auprès des Chinois112, malgré leur réticence à l'avouer, ce qui remet en cause leur place et légitimité même.

Mais ces deux communautés ont un avenir prometteur : les Chinois, nouveaux rois du commerce et les Libanais, dont leur histoire est intimement liée à cette profession, peuvent dorénavant s'unir et investir ensemble. Les objectifs et les moyens se cumulant et s'associant, cette coopération pourrait en l'espace d'une dizaine d'année refonder et bouleverser le tissu économique local, si toutefois les investisseurs chinois osent le faire dans le secteur dont le Sénégal a réellement besoin : l'industrie.

Les Libanais occupent donc un rôle complexe mais essentiel et majeur au Sénégal. Cette population dont les restaurants proposant les chawarmas113 ou kebabs, est historiquement liée à la France et ses ressortissants.

111 Selon l'article de Sud Online, http://www.sudonline.sn/spip.php?article2894

112 Annexe entretiens, page 178.

113 J'ai recensé cinq restaurants libanais dans le centre-ville dakarois.

Rue Bourgi, grande famille libano-sénégalaise. Le 19 février 2007.
Un projet immobilier libanais, place de l'Indépendance. Le 19 février 2007.

2. La France, ancienne colonie, actuelle puissance économique au Sénégal

Qu'est ce que le Sénégal pour la France ? De quelle France d'ailleurs ? Son peuple, hétérogène, façonné et modelé par les nombreuses migrations dont celle du continent africain (Afrique subsaharienne francophone en particulier) étant la dernière en date et celle qui suscite le plus grand nombre de débats, parfois xénophobes, individualistes, arrogants et dédaigneux ? Assurément non. Son gouvernement actuel, qui reprend tous les clichés, a priori et idées de la droite et de l'extrême droite française ? Non plus. C'est bien de l'État français et de son rapport avec l'Afrique colonisée d'où francophone, dont je veux et doit parler ici, ainsi que du secteur privé.

Quelques commentaires historiques ne sont pas superflus : la France s'installe sur la façade maritime africaine (de l'Ouest donc) en 1659 et fonde la ville et capitale de l'A.O.F.114, Saint-Louis, s'implantant de manière irréversible sur le continent ouest africain. Saint-Louis est avec la presqu'île du Cap-Vert (dont le symbole est l'île de Gorée) un des principaux territoires où les

114 Afrique occidentale française

esclaves Noirs embarquent pour le commerce triangulaire : la Traite est officiellement abolie le 29 mars 1815 mais perdurera jusqu'en 1848.

Une parenthèse : le commerce triangulaire est une forme de la Traite des esclaves africains : les nations coloniales européennes (Royaume-Uni et Irlande actuel, France, péninsule ibérique) naviguent vers la côte africaine (de l'Ouest toujours) afin d'y échanger des marchandises destinées au troc, contre les esclaves qui travailleront dans les colonies d'Amérique (côte Ouest dont les États-unis, les Antilles et le Brésil notamment).

Durant cette décennie (1840), la France conquiert l'ensemble du Sénégal sous l'impulsion de Faidherbe115, puis, ce qui deviendra l'A.O.F. à la fin du XIXe. Dakar, quant à elle, est fondée en 1857 et ne deviendra la capitale du Sénégal qu'en 1960, le 4 avril. Par ailleurs, elle devint capitale de l'AOF en 1902, preuve de son importance géostratégique. Le 4 avril 1960, le Sénégal devient juridiquement indépendant. Il est alors fédéré au Mali. Suite à l'échec probant de l'A.O.F. qui était une tentative de fédérer le Sénégal, le Soudan Français (Mali), la Haute-Volta (Burkina Faso) et le royaume de Dahomey (Bénin), De Gaulle qui est opposé au projet, accepte l'indépendance du Sénégal le 20 août 1960. Suite à l'adoption de la constitution du 25 août, Léopold Sédar Senghor devient président le 5 septembre 1960. En 1963, une nouvelle constitution instituant un régime présidentiel est approuvée en conséquence du coup d'État tenté par Mamadou Dia116. Si peu de problèmes sérieux se posent entre ce coup d'État et 1981, après cette date, le processus démocratique va s'accélérer : Abdou Diouf est élu en 1981, puis réélu en 1988 et 1993. Si la démocratie entre dans les moeurs à cette époque, les obstacles économiques et politiques demeurent. De plus, depuis 1982, les insurgés du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) compliquent la tâche déjà ardue du gouvernement. En mars 2000, les contestations grondent car A. Diouf brigue, en quelque sorte, une présidence à vie. Mais, c'est Abdoulaye Wade, se présentant pour la quatrième fois, qui obtient la majorité des suffrages au second tour (58,5 %). Le Sénégal aurait donc opté pour le xopi (changement). Mais, à la lecture de la presse sénégalaise, ce xopi se fait attendre : désillusion, hausse du niveau de vie trop timide, dérive au niveau gouvernemental (quasi culte de la personnalité, malheureusement trop fréquent sur ce continent), laïcité et liberté de parole très « encadrées » (même si le Sénégal possède les médias les plus libres du continent) et accusations fondées de détournements et abus de pouvoirs (Idrissa Seck et Karim Wade). Les électeurs ont donc, malgré tout, en février 2007, choisi la réélection, au premier tour, du chef d'État sortant.

115 Louis Léon César Faidherbe, gouverneur du Sénégal de 1854 à 1861 et de 1863 à 1865.

116 (1910-) Il fut député de l'Assemblée Nationale française en 1956, Premier ministre du Sénégal en 1958 et créa le premier plan de développement économique. Amnistié en 1976 suite à son arrestation dans le cadre d'une tentative de coup d'État (1962), il sera défendu par un certain Abdoulaye Wade. Incarnant l'opposition (paradoxale car dans le gouvernement) au président historique, L. S. Senghor, il fut un des premiers à critiquer ouvertement l'actuel chef d'État. Il reste donc, avec A. Diouf, un des principaux responsables politiques sénégalais encore en vie.

La France n'a officiellement plus de droit de regard et d'ingérence au Sénégal. Mais la réalité est toujours différente et plus complexe. Bien sûr, personne ne verra un responsable politique français affirmer, devant les médias internationaux, que le Quai d'Orsay tient toujours une place prépondérante dans les grandes décisions gouvernementales sénégalaises. Bien sûr, ces mêmes médias ne diront jamais que de hauts responsables français travaillent à la présidence (cabinet politique du président) : du personnel hautement qualifié se défendront les autorités, des enjeux géopolitiques j'affirmerai pour ma part.

La France a donc laissé un héritage culturel, politique, économique et administratif conséquent. N'étant pour autant pas l'adepte de la vision unique, il est irréfutable que les métropoles ont apporté des bienfaits à leurs colonies d'alors. Mais, seulement sur la forme : les routes et voies ferrées, hier servant aux déportations, sont extrêmement utiles aujourd'hui ; l'administration, hier coloniale et dirigée par les gouverneurs, sont aujourd'hui bien souvent les seules formes d'organisation...

Mais, tous ces « apports » ont été effectués dans un cadre politique unilatéral et dans le cadre du système capitaliste, objectivement parlant. Or, les réalistes diront qu'il est indispensable de s'adapter à ce système, car devenu mondial d'où, obligatoire : même le dernier des grands États totalitaristes communistes, la Chine, s'y rallie. Ma réponse est courte : les peuples africains, dans toute leur diversité, ne sont culturellement et socialement pas individualistes. D'où le fossé qui les sépare de ce système libéral, aggravé par le pillage continuel (et sans retombées sociales) de ses ressources et bien entendu par la création d'un produit unique destiné à l'exportation (arachide, coton dont les cours se sont effondrés parallèlement aux deux chocs pétroliers117), par leurs classes politiques formées et soutenues par les ex-métropoles, par leurs dettes contractées auprès du FMI et de la Banque Mondiale.

Je change toutefois d'échelle pour me recentrer sur le cas franco-sénégalais.

Démographiquement, les français sont la première communauté étrangère : en 2005, plus de 18 000 étaient inscrits au registre118. Ce sont en partie ce que les Sénégalais nomment amicalement les « sénégaulois ». Économiquement, selon la même source, « il existe environ 337 entreprises à participation française (ou ayant des liens avec une entreprise en France, ou encore créées localement par des investisseurs français). ». Il suffit d'observer le classement des vingt premières entreprises sénégalaises pour comprendre le poids économiques des sociétés françaises. La Société Nationale de Commercialisation des Oléagineux du Sénégal (Sonacos) est la troisième société en terme de chiffre d'affaires, la Société Nationale des Télécommunications du Sénégal (Sonatel) est

117 1973 (guerre du Kippour opposant Israël à l'Égypte et à la Syrie) et 1979 (Révolution iranienne, instituant une république théocratique islamique, par l'Ayatollah Ruhollah Khomeiny).

118 Registre des Français établis hors de France, Maison des Français de l'étranger, http://www.mfe.org/?SID=5598

classée au rang 4, Total au 7e rang, la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS) au 8e , les Grands Moulins de Dakar (GMD) au 10e, la Société de commercialisation du ciment (SOCOSIM) au 1 1e, au 12e rang la Sénégalaise des Eaux (Saur Internationale), au 13e Laborex et au 14e la Compagnie Sahélienne d'entreprise (CSE). Les trois dernières sociétés classées sont respectivement Colgate Palmolive, Nestlé Sénégal et Scac Delmas Vieljeux. Douze sociétés sur les vingt les plus conséquentes sont françaises ou à capitaux français.

La Sonacos est une société agro-alimentaire. L'actionnaire principal et majoritaire est le groupe français Advens (66,9 % des actions), spécialisé dans le négoce, le stockage et la logistique de produits agroalimentaires. Le groupe possède également D Smet, groupe belge leader mondial dans la construction de raffineries d'huile de table et la société sénégalaise SODEFITEX (Société de Développement et des Fibres Textiles évoluant comme son nom l'indique dans le coton), dont 49 % du capital est détenu par la filiale française DAGRIS.

La Sonatel est un groupe affilié à Orange, soit France Telecom (téléphonie fixe, mobile et Internet) et a réalisé un C.A. d'environ 400 milliards de FCFA (quasiment 610 millions d'euros) en 2006. Sonatel réalisa cette année un bénéfice net de 146,6 milliards de FCFA (environ 223 millions d'€).

Total qui n'est plus à présenter réalisa 60 000 euros de C.A. en 1997.

La CSS est une entreprise française qui produit et exporte le sucre issu de la canne à sucre, dans le secteur de l'agro-alimentaire (C.A. d'environ 49 millions de FCFA en 2001, soit environ 74 700 €).

Les GMD est la première société dans le secteur alimentaire, avec un C.A. en 2001 d'environ 42 millions de FCFA (un peu plus de 64 000 €).

La SOCOCIM, appartenant au groupe VICAT (2 083 millions d'euros dans huit pays : la France et le Sénégal donc, les États-Unis, l'Italie, la Suisse, la Turquie, l'Égypte et le Mali) est elle aussi leader, mais dans le BTP : environ 146 millions d'euros en 2006.

La Sénégalaise des eaux (Saur) appartient désormais au groupe Bouygues très implanté en Afrique de l'Ouest, à 73 %, à EDF International pour 14 % et aux fonds d'investissement à 13 %. Multinationale, elle est présente, hormis dans l'hexagone, en Espagne, en Pologne, en Russie, en Argentine, en Chine et au Sénégal. Son C.A. global est de 1,4 milliard d'€ en 2005.

Laborex, 60 % de part de marché, est le principal importateur de produits pharmaceutiques. Si son capital est totalement sénégalais, elle entretient des liens très étroits avec la France : son bureau d'achat est à Rouen. Son C.A. était de 23, 8 millions de FCFA en 2000 (ou 36 000 €).

La CSE est détenue à 45 % par la société française de travaux publics Fougerolles (un des leaders du marché). Son C.A. est d'environ 30 milliards de FCFA (45 millions d'euros).

Colgate Palmolive, dans le secteur des produits d'entretien effectuait en 1997, environ 21 000 euros de chiffre d'affaire.

Nestlé Sénégal (agro-alimentaire) réalisa 20 000 euros de C.A., approximativement, en 1997.

Enfin, Scac Delmas Vieljeux (transports maritimes) appartient à un autre groupe très bien implanté en Afrique (70 sociétés dans 35 pays) : Bolloré. Le C.A. était quelque peu inférieur à 20 000 euros en 1997119.

Parmi ces sociétés, certaines figurent en bonne place au sein du classement des investissements sur la période 1992-2001 : la SOCOCIM, 3e , a investi 64 573 millions de FCFA, la CSS, 4e , 44 695 millions, Colgate Palmolive en 6e position, avec 10 714 millions, en 8e je retrouve les GMD qui ont investit 10 008 millions, la SODEFITEX 11e avec 8365 millions et Nestlé Sénégal avec 5 394 millions en 14e position. Ce classement regroupe 44 sociétés et est proposé en annexe IIp, page 158.

A un niveau plus global, je proposerai de se reporter aux cartes C et D, pages 32 et 33 ainsi qu'aux graphiques 15 à 22, pages 29 à 35. Il est entendu qu'elle est la première destination et provenance des échanges sénégalais. Elle importe pour 13,07 % et exporte au Sénégal pour 33,22 %. Principal pays client et fournisseur, la France est par ses entreprises privées très bien implantées au Sénégal et ce dans tous les domaines, secteurs de la vie économique : agro- alimentaire et agro-industrie, BTP, télécommunications, hydrocarbures, eau, parachimie, produits d'entretien et transports. Et ce n'est pas un hasard si Mme Viviane Wade, épouse du chef d'État, se déplace à la commémoration du 80e anniversaire de la société Fougerolles, en janvier 2007. Fougerolles appartient au groupe Eiffage, troisième fleuron français dans le BTP120.

Paris est en quelque sorte la capitale officieuse des États africains francophones. Elle accueille les sièges du CIFAS et du CIAN (Club des investisseurs français au Sénégal et Conseil français des investisseurs en Afrique). Ces organisations, comme leur appellation le laisse entendre, aident les nouveaux investisseurs français. Elles publient à cet effet des rapports : le MOCI (CIAN) par exemple où les conjonctures économiques des États africains sont analysées par zones (Afrique du Nord, Afrique de l'Ouest, Afrique centrale, Afrique australe, et, Afrique orientale et océan Indien. Au sujet du Sénégal, voici leur compte rendu : « les entreprises prévoient un chiffre d'affaires en légère augmentation et aucune ne s'attend à une baisse d'activité pour 2007. Quant aux résultats financiers, ils restent très proches de ceux de l'an dernier, puisque cette année encore 1 entreprise sur 2 est nettement bénéficiaire, mais seulement 1 sur 4 faiblement bénéficiaire ou à

119 Les sources permettant d'obtenir ces informations sont les sites Internet des sociétés citées. Également, http://www.senegalonline.com/francais/economie/20-entreprises.htm, pour le classement des 20 premières entreprises.

120 Nettali du 2 janvier 2007, http://www.nettali.net/spip.php?article2068

l'équilibre. Les investisseurs sont supérieurs à ceux de l'exercice écoulé avec une reprise annoncée pour 1 société sur 2. Enfin, un tiers estime que les créances de l'État sont encore élevées.

Dans l'environnement des affaires, les infrastructures portuaires et aériennes, les télécommunications, le secteur bancaire, la qualité du personnel de maîtrise et la sécurité sont toujours les points les plus satisfaisants. Le niveau de corruption est relativement bas. En revanche, le mauvais état du réseau ferroviaire, la fraude douanière, les jugements arbitraires et les coûts très élevés de l'énergie restent les principaux sujets de préoccupation des entreprises. ». Certaines similitudes avec mes propres observations apparaissent. L'objectif reste, cela s'entend, mercantile : « dans une Afrique, tant décriée, le CIAN rappelle notamment par ce rapport et sa lettre trimestrielle, que dans ce continent si proche de l'Europe par l'histoire et la géographie, des initiatives se développent, des entreprises y prospèrent et que c'est une erreur grave de négliger cette partie du monde à laquelle s'intéressent de plus en plus de nouveaux acteurs [comprendre, la Chine, l'Inde, le Brésil...] »121.

Paris c'est aussi l'Élysée et sa « cellule africaine ». Si elle n'a aucune existence juridique, légale, elle est néanmoins présente depuis les années 1950-1960, depuis les indépendances. C'est le général de Gaulle qui le premier crée ce réseau de diplomates, hommes d'affaires et politiciens. Jacques Foccart (1913-1997) est le principal représentant de cette organisation diplomaticoéconomico-politique parallèle (avec Michel Dupuch, Charles Pasqua, Michel de Bonnecorse...). Financements de partis politiques français, détournements occultes au profit de multinationales (ELF), assistances lors des coups d'État, ces faits aujourd'hui avérés sont le côté sombre de la politique africaine de l'État français. Le nouveau gouvernement, n'ayant aucune culture politique africaine, voire internationale, promet un virage dans les relations franco-africaines. N'étant pas essentiel, je ne détaillerai pas plus.

L. S. Senghor, A. Diouf (secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie depuis 2002) et A. Wade ont étudié en France, et ont tous, malgré la tentative de A. Wade de trouver des alternatives à l'ex-métropole (chronologiquement les États-unis et la Chine), lié de profonds liens politiques, économiques et culturels avec la France. Que dit justement ce dernier (cf annexe presse et citations, page) ? La France et le Sénégal, plus largement l'Afrique, sont indissociables et ont des intérêts et perspectives communs : l'immigration, le développement, le terrorisme, l'environnement et le partenariat eurafricain. Il faut cependant écarter des relations le syndrome colonisateur-colonisé.

C'est également le point de vue de Geneviève Lancu, le Consul général de France à Dakar : « la France entretient une coopération extrêmement importante avec le Sénégal. La qualité de nos

121 Le MOCI - les entreprises françaises et l'Afrique, 2007, 18e rapport, N° 1783-1784 du 28 décembre 2006 au 4 janvier 2007

relations de coopération et la place que ce pays occupe aussi bien au niveau administratif que dans le coeur des français n'est plus à démontrer ».

Au niveau étatique, la France est très présente. Elle allège par exemple sa dette extérieure (également appliquée par les créanciers du Club de Paris) qui se voit ramenée à 41,4 % du PIB en 2004 (elle sera à 15 % après l'Initiative du G8)122.

Les sommets France-Afrique font partie intégrante des relations bilatérales. Le dernier en date, le 24ème , des 15 et 16 février 2007, à Cannes, accueillit 48 représentants sur 53 possibles. Quel est l'enjeu d'un tel rassemblement ? Quels en sont les dossiers ? « L'Afrique et l'équilibre du monde » en étaient le thème, les matières premières, le conflit du Darfour, le développement, la lutte contre l'immigration clandestine sont les principaux leitmotiv abordés.

Ce fut donc le dernier sommet de « Chirac l'Africain ». Critiquées, ces rencontres sont organisées afin de remplir certains objectifs : réaffirmer la position française en Afrique et notamment dans son « pré-carré » (Afrique francophone), impulser de nouvelles dynamiques diplomatiques et économiques (contrats, aides, projets de développement), et si possible, faire passer un message à la nouvelle puissance africaine qu'est la RPC. Le prochain sommet, qui se déroulera en Égypte en 2009, promet une participation à la baisse étant donné le peu de maîtrise dont dispose M. Sarkozy sur ce continent. A ce propos, les deux candidats du second tour de l'élection présidentielle en mai 2007, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, avaient promis une nouvelle politique africaine, basée sur plus de transparence. Est-ce à dire que l'ancien président, Jacques Chirac, entretenait un système opaque ?

Pour conclure sur ce sujet, si les principaux domaines étasuniens sont l'approvisionnement en matières premières et la lutte contre le terrorisme, le nouveau gouvernement français souhaite surtout contrôler l'immigration. Le Sénégal est en première ligne. Une phrase d'une mère me marquera : « on en a marre que nos fils partent mourir en mer, maintenant, on va prendre les choses en main [...] on leur dit de rester, que ce n'est pas l'eldorado ! ». Des centaines de vie seront je l'espère ainsi épargnées (les jeunes hommes embarquent en pirogue au large de Saint-Louis, se dirigeant vers la porte de l'Europe : les îles Canaries).

Le Sénégal reste et devient, par le conflit ivoirien, un territoire clé pour la France, géopolitiquement j'entends. 1200 militaires y sont stationnés, ce qui représente la quatrième force militaire française en Afrique, après la Côte d'Ivoire (contingent d'environ 4200 militaires : opération Licorne), la Réunion (4100), Djibouti (2900), à égalité avec le Tchad et devant le Gabon

122 Le club de Paris est un groupe informel de créanciers publics qui a pour but de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiements de nations endettées. www.wikipedia.fr

Le G8 est une organisation regroupant les pays les plus industrialisés, donc riches. Composé des États-unis, du Canada, de la France, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de la Russie et du Japon, il verra sous peu l'apparition de l'Espagne et du Brésil. La Chine pose plus de difficultés, étant donné la nature même de son régime politique. Mais, seuls les intérêts comptent...

avec 1000 fonctionnaires. Une base y est implantée et un accord de défense est signé123. L'ambassade de France, située au Sud-Est du port, est de par sa taille, la plus imposante de toutes. Sa sécurité est également sans rapport avec l'ambassade des États-unis ou de la RPC par exemple. Comment ne pas aborder un des points les plus simples mais si essentiel : la langue. Le français est la langue administrative officielle au Sénégal (comme elle l'est au Mali, en Côte d'Ivoire...), le wolof l'étant pour les affaires : « oui tout le monde parle français au Sénégal, mais c'est que pour l'administration. Le wolof c'est pour le business ! », dixit un Sénégalais d'âge mûr rencontré sur le boulevard de Gaulle.

La France tente également de réaffirmer sa présence en Afrique. Malmenée au Rwanda, en Côte d'Ivoire, elle déploie ses activités économiques dans les pays anglo-saxons (Afrique du Sud, Nigéria...). Son double discours, politique et économique l'atteste : politique dans l'Afrique francophone, économie dans les pays colonisés par le Royaume-Uni. Ce continent est indispensable : le plus rentable de tous. Il existe plus de 2600 entreprises dont 80 % sont bénéficiaires, les privatisations ayant été une véritable aubaine pour certaines...

La France investit dans tous les domaines possible : l'agriculture, l'environnement, l'industrie, le tourisme, la santé, l'éducation et la culture.

L'agriculture est prédominante car les importations françaises représentent environ 20 % du total (des importations françaises). La canne à sucre, l'arachide, les produits halieutiques et les fruits et légumes sont les principales importations agricoles.

L'industrie, je l'ai décrite, est régie par les Français et Libanais. La santé est domaine élémentaire. Elle est cruciale dans un pays où un simple anesthésique est difficile à se procurer. L'hôpital principal de Dakar est d'ailleurs en étroite collaboration avec la France, devenu autonome en 2004. C'est, et de loin, l'infrastructure la plus adaptée et fonctionnelle au Sénégal.

Le secteur touristique : 49,6 % des touristes sont français, en 2005. Les complexes touristiques sont nombreux, du Club Méditerranée sur la pointe Ouest du Cap-Vert, aux petites chambres proposées par les « sénégaulois ».

L'éducation est bien entendu un autre domaine de coopération. Pour exemple, l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar détient des accords universitaires avec une trentaine d'Universités françaises.

123 Le Monde du 13 avril 2006, http://abonnes.lemonde.fr/web/infog/0,47-0@2-3212,54-761588@51-751452,0.html

Accord datant de 1974, les FFCV (Forces françaises du Cap-Vert) sont installées à Dakar, sur sa côte Est, à proximité du port. Il s'agit du 23e bataillon d'infanterie et de marine (Bima).

Rfi du 2 février 2005, http://www.rfi.fr/actufr/articles/062/article 33706.asp

Ce point qui requière à lui seul un mémoire, ne peut être détaillé ici. La France possède de nombreux avantages par rapport à son concurrent direct, ou qui est en passe de le devenir, la Chine. La langue, partagée par les deux parties, son implantation multisectorielle, ses liens politiques et diplomatiques forts et la représentation des Sénégalais vis-à-vis des Français, plutôt positive, bienveillante. Ceci s'explique notamment par l'aide au développement apportée : en 2004, elle s'élève à 410,3 millions d'euros dont 124,2 hors annulation de dettes. Le Sénégal est de fait le premier bénéficiaire de l'APD (Aide publique au développement) : il perçoit 9,4 %124 . Selon cette source, les « secteurs de concentration de l'aide française » sont l'éducation, le secteur productif (« subventions, prêts non souverains concessionnels et non concessionnels, garanties, lignes de refinancement bancaire, expertises, mise à niveau environnementale et sociale des entreprises, partenariats publics/privés, etc. »), les infrastructures, la santé, le développement rural, «la consolidation de l'État de droit et l'amélioration de la gouvernance institutionnelle », l'enseignement supérieur et la recherche (par l'Institut de recherche pour le développement (IRD) par exemple) et « la promotion de la diversité culturelle et du français ».

Un dernier sujet démontrant le poids économico-politique français est le franc CFA. Lors de la ratification par la France des accords de Bretton Woods en 1945, la monnaie en Afrique de l'Ouest alors essentiellement colonisée par la France est le franc des colonies françaises d'Afrique. En 1958, elle est renommée franc de la communauté française d'Afrique, appellation moins coloniale et impérialiste qui n'enlève rien au pouvoir que la France garde sur cette monnaie qu'elle dévalue selon ses besoins (le 11 janvier 1994, quatorze États de la zone franc dévaluent leur monnaie sous pression du FMI et de la Banque Mondiale. C'est la France qui l'annonce et pour cause : les spéculations sont françaises et viennent majoritairement des grandes sociétés implantées en Afrique de l'Ouest). Elle changera de nom pour franc de la communauté financière d'Afrique (pour les membres de l'Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine ou UEMOA) et franc de la coopération financière en Afrique centrale (pour les membres de la Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale ou CEMAC). L'UEMOA regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. La CEMAC le Cameroun, le Congo (Brazzaville), le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République Centrafricaine et le Tchad.

Les deux monnaies (euro et franc CFA) sont liées par une parité fixe, le franc s'apprécie donc en fonction de la monnaie européenne. Cela entraîne la chute des prix des matières premières, celles-ci étant fixées en dollar US moins fort que l'euro, d'où, une baisse des exportations

124 Ministère des Affaires étrangères, http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france 830/aide-au-developpement 1060/politiquefrancaise 3024/instruments-aide 2639/documents-cadres-partenariat-dcp 5219/document-cadre-partenariat-france-senegal-dcp2006-2010 40403.html

(agricoles, de coton...). Cette monnaie forte est avantageuse à l'export, mais contre-productive à l'import, or, la balance commerciale sénégalaise est nettement déficitaire.

La France est membre fondateur de l'Union Européenne. L'U.E. importe 47,28 % des marchandises et exporte pour 92,31 %. Elle est quasiment en situation de monopole, chez les pays fournisseurs ! Quelle est la place française ? Elle totalise 36,01 % (des exportations sénégalaises vers l'U.E. donc) et 51,95 % des importations sénégalaises. Deux autres pays sortent du lot, l'Espagne et l'Italie. S'agissant de l'U.E., se référer aux cartes et graphiques en annexe.

Un procédé navrant, ajouter les annulations de dettes au chiffre global de l'aide attribuée aux États africains, devient fréquent. Selon le rapport de l'organisation Concord, l'Europe accorde en 2006, 48 milliards d'euros125. Mais 13 proviendraient directement des dettes annulées, soit, près de 30 % !

Monsieur Wade comprenant les enjeux d'un tel partenariat, affirme que quatre puissances domineront le monde de demain, soit, les États-unis, la Chine, le Brésil et l'Inde. Il exclue donc l'U.E. qui ne possède pas de réservoir démographique mais encourage les liens entre cette dernière et l'Afrique qui elle possède ces ressources humaines. Un « grand ensemble » géopolitique où l'indépendance de tous sera le gage de relations politiques productives et multilatérales (au contraire du paternalisme français ou anglo-saxon)126. Objectivement, ce type de déclarations permet surtout d'attirer l'attention.

Il est somme toute logique que la première économie mondiale (l'Union européenne) attire et exporte l'ensemble des capitaux. Liens historiques et proximité géographique ne sont pas étrangers à cette prépondérance. La Chine, l'Inde, le Brésil et les partenaires du Maghreb et du Proche et Moyen Orient apparaissent donc dérisoires vis-à-vis l'ex-métropole, cependant, c'est bien un enjeu à moyen terme.

En résumé, la France n'est aucunement menacée au Sénégal (ce n'est pas le cas dans tous les États francophones). À court terme cependant, car les pays dits émergents gagnent chaque année des contrats et du terrain politique. Comme je l'ai brièvement décrit, les sociétés hexagonales sont leaders, mais le BTP, les télécommunications, les activités de la pêche sont trois secteurs d'activités où la Chine joue désormais, à travers son secteur privé, un rôle important. Il en est de même dans d'autres activités...

125 Rfi du 17 mai 2007, http://www.rfi.fr/actufr/articles/089/article 51903.asp

126 L'hebdomadaire du 21 mars 2007, http://www.lhebdomadaire.info/Senegal-Abdoulaye-Wade-appelle-a,1257

Un exemple est les télécommunications. China Télécom est une des plus grandes sociétés, elle compte 25 millions d'abonnés en Chine. Actuellement deux groupes se partagent le marché : la Sonatel (capitaux mixtes, 33,3 % pour France Télécom et 66,7 % revenant à l'État sénégalais) et un groupe privé du nom de Sentel. L'entreprise chinoise serait la troisième mais est en concurrence avec la société saoudienne, Saudi Bin Laden Group. Il est évident que China Télécom dispose d'un atout remarquable : son marché potentiel chinois ! De fait, jouant sur le nombre, elle pourra à terme proposer des tarifs attrayants. De fait également, elle investira des sommes conséquentes dans la recherche, l'un des nombreux secteurs dont la Chine souhaite développer (NTIC pour Nouvelles technologies de l'information et de la communication)127.

Un autre exemple est la participation française à la 17e Fidak (Foire internationale de Dakar).La foire, du 30 novembre au 11 décembre 2006, accueillit des centaines d'exposants. L'information utile ici, est le retour des privés français qui avaient déserté cette réunion l'année précédente pour cause de manque de professionnalisme. Ils n'étaient pas les seuls, les étasuniens, belges ou encore marocains avaient suivi leur exemple. Alors pourquoi revenir ? Pour faire face aux pays asiatiques ! D'ailleurs, l'invitée d'honneur était l'Inde.

Je vais parcourir le globe terrestre afin d'analyser sommairement les partenaires que sont les NPI, nouvelles économies ou encore pays émergents, et en premier lieu, vers l'Est, vers l'Inde.

3. L'Inde, les financements arabes et le Brésil

L'Inde, l'autre Asie qui monte...

L'Inde est elle un partenaire viable et conséquent du Sénégal ? Non et oui. Il n'est pas viable, dans le sens où il n'octroie pas d'aides et de financements, à l'instar de la France et de la Chine. Le Sénégal perçoit en revanche une manne non négligeable provenant des exportations. Géopolitiquement, le rôle indien est infime. Il n'en fut pas toujours ainsi (conférence de Bandung). L'Inde n'est donc qu'un partenaire économique.

127 Nettali du 5 mai 2007, http://www.nettali.net/spip.php?article3307

Globalement, elle importe pour 17,03 % des exportations totales sénégalaises mais n'exporte que pour 1,97 % seulement. Principal client devant la France, sur la période 2000-2005 (carte C, page 32), l'Inde importe des arachides, de la ferraille et surtout des acides phosphoriques et phosphates. Les produits exportés vers le Sénégal sont les tissus de coton, les médicaments et le riz. Ces exportations sont fortement concurrencées.

Le Sénégal a exporté en 2005 pour 98 milliards de FCFA d'acides phosphoriques, une progression de 4,2 % par rapport à 2004. Malgré une baisse en 2003 (80 milliards mais 119 en 2002)128, cet engrais naturel reste un des produits majeur à l'export, avec le phosphate. L'extraction est située à Matam (Nord-Est) et dans une moindre mesure à Namel (Sud-Est). L'annexe IIq, page 159, les représente. L'Inde investit aujourd'hui dans la région de Tambacounda : le fer y est en quantité importante (les réserves potentielles sont de 750 millions de tonnes) et représenteraient jusqu'à 2 milliard de dollars. Mittal Steel a remporté l'appel d'offre et attend les infrastructures devant être réalisées par l'État, afin de pouvoir commencer l'exploitation du gisement de la Falémé. Ces infrastructures sont les suivantes : le chemin de fer (750 km) en direction de la côte Ouest du Sénégal (Rufisque), la modernisation de ce dernier, une infrastructure sidérurgique et la mine en elle-même. Selon monsieur Diop, géologue à la MIFERSO (Société des Mines de Fer du Sénégal Oriental), l'extraction ne sera opérationnelle qu'en 2009 (l'exportation en 2011) mais pourrait s'étaler sur une trentaine d'années, soit autant d'années durant lesquelles le Sénégal percevra ces revenus (750 divisé par 25 millions de tonnes annuelles). Mittal Steel est le leader mondial de la sidérurgie, emploie 330 000 employés dans plus de 60 pays.

Voici la réaction de son président, Lakshmi Mittal : « Nous sommes ravis d'avoir signé hier à Dakar ces accords fermes avec l'État du Sénégal et nous avons hâte de faire avancer cet important projet. Une fois mené à terme, le projet de Falémé constituera une source importante et compétitive pour l'approvisionnement de minerai de fer à nos sites européens. Ce projet représente une étape importante dans notre stratégie visant à faire de l'Afrique Occidentale un pôle majeur d'approvisionnement en minerai de fer pour nos sites sidérurgiques dans le monde entier. Nous sommes convaincus que le Sénégal s'avérera être un emplacement stratégique pour étendre notre présence actuelle sur les marchés en essor de l'Afrique Occidentale. »129.

Il est clair que ces exportations phosphoriques permettent à l'Inde de soutenir ses révolutions verte et blanche, ainsi, ce partenariat ciblé possède encore une marge de manoeuvre satisfaisante, même si ces exportations (au niveau global) sont en baisse, de 1996 à 2005, de 7 à 3 %.

128 ANSD

129 Site Internet de la société, le 23 février 2007, http://www.arcelormittal.com/index.php?lang=en&page=49&tbPress=here&tb0=75

La révolution verte est une politique agricole permettant l'intensification des productions, notamment céréalières. Le Mexique, l'Inde et le Pakistan sont les principaux États à avoir pratiqué cette révolution. La révolution blanche est l'utilisation des ressources agricoles permettant l'essor de l'industrie laitière et de l'élevage (Iran et Inde).

Il est intéressant de voir cette complémentarité sénégalo-indienne dans ce secteur minier. Investissements indiens (ICS) et gains importants pour le Sénégal. Ce n'est pas tout, des transferts de technologie, dont manque cruellement le Sénégal, sont apportés par les firmes indiennes dont Tata.

L'Inde est présente dans les transports : les chemins de fer avec l'entreprise Rites et surtout les transports en commun que sont les autobus avec le groupe Tata et dans une moindre mesure les automobiles Mahindra. Iffco'3° et Oswald exercent dans le domaine de l'industrie chimique.

Les bus et « cars rapides » Tata sont en grande majorité ceux que l'on retrouve dans la capitale sénégalaise (cf photo). Il faut savoir que ces « cars rapides » ont été financés par la Banque Mondiale et par un prêt indien. De fait, l'exportation de véhicules indiens a fait un bond extraordinaire : de 1 million de dollars en 2004, elle atteint 24 million en 2005. Tata a crée une usine d'assemblage à Thiès pour environ 5 milliards de FCFA. Tata est le sixième constructeur mondial d'utilitaires. Son chiffre d'affaires pour 2006 est de 210 millions de dollars en Afrique (1,6 milliard de dollars au niveau international), dans des secteurs aussi variés que l'ingénierie, le cuir, les équipements informatiques, le métal et l'acier, les produits chimiques, le thé, etc....131 .

Un domaine où la concurrence franco-indienne est visible est la ferraille. Ce marché était auparavant contrôlé par la société Benex (française). Le prix d'achat était très faible (20 FCFA le kilo) mais a triplé à l'arrivée des Indiens (60 FCFA le kilo de fer, 2200 FCFA le cuivre et 600 FCFA pour l'aluminium et le laiton). Le Sénégal est aujourd'hui une plaque tournante, avec une activité en plein essor, expliquée par la main d'oeuvre disponible et de l'importante matière première disponible.

Les entreprises indiennes implantées au Sénégal sont, hormis celles citées : SAFINAGE (Société afro-indienne pour l'agriculture et l'élevage) ; Veli Sarl dans l'eau minérale et les jus de fruit ; Premier Agro Oils (« Huilerie Raffinée Transformation de Céréales Locales et Dérivés / Minoterie / Aliments volaille et bétail ») ; Indosen dans le secteur du textile et Senbus Industries dans l' « Assemblage véhicules / Montage de Cycles et Motocycles »132.

130 Indian Farmers Fertilizer Cooperative (IFFCO) détient 26 % du capital des ICS (Industries Chimiques Sénégalaises) l'unique industrie sénégalaise dans le domaine des acides phosphoriques et du phosphate.

131 Site Internet de la société, http://www.tata.com/index.htm

132 Informations obtenues à la mission économique française.

Alors quel est l'objectif du Sénégal quant aux relations entretenues avec l'Inde ? Simplement, diversifier ces partenariats trop ciblés. Ce partenaire modeste, peut, car il en a les capacités, devenir influent au Sénégal, surtout s'il continue à proposer des transferts de savoir-faire et, de fait, créer de la valeur ajoutée.

Enfin, l'Inde n'est pas exempte des aides, timides il est vrai133.

cars Tata stationnés devant le port de Dakar (le 1er mars 2007)

vue arrière d'un car Tata (1er mars 2007)

« car rapide » de marque indienne stationné devant la grande mosquée, avenue Malick Sy (le 15 février 2007)

Il me reste certains partenariats à décrypter. Les financements arabes sont les investissements des États du Maghreb, du Proche et Moyen Orient.

Les financements arabes

Tous ces pays, l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye, l'Égypte, l'Arabie Saoudite ont un point en commun indéniable : leur religion, l'Islam. Ils sont géographiquement proches et ont pour certains (Maghreb) une histoire comparable, je parle ici de la colonisation française.

133 Annexe IIr, page 160.

Au regard de leur participation dérisoire dans les échanges extérieurs sénégalais, l'important est ailleurs : l'Algérie participe à 0,02 % des exportations et 0,10 % des importations sénégalaises ; le Maroc 0,39 % et 0,87 % ; la Tunisie 0,21 % et 0,53 %. Selon le classement de l'ANSD, l'Asie occidentale (comprenant le Liban, la Syrie, l'Irak, l'Iran, Israël, la Jordanie, l'Arabie Saoudite, le Koweït, le Barhein, le Qatar, Dubaï, les Émirats Arabes Unis, Oman, le Yémen, et le Yémen démocratique) ne pèse que 0,25 % et 1,83 %. L'Afrique du Nord dans son ensemble (Canaries, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte et Soudan) représente elle, 1,38 % et 2,29 %, sur la période 2000-2005. Il est étonnant de voir figurer les îles espagnoles dans ce classement : elles n'y change rien mais tout de même !

Ces données reflètent donc le peu de liens commerciaux entre ces deux ensembles et le Sénégal : ajoutés, les importations et exportations n'atteignent pas 6 % (5,75 %).

Non, il faut chercher des informations auprès de la BID (Banque islamique de développement) par exemple. Créée en 1975 à Djeddah en Arabie Saoudite, elle finance des projets tels l'octroi de bourses pour les étudiants, l'assainissement de la ville sainte de Touba, la lutte contre le paludisme, la lutte contre la pauvreté, l'agriculture (coton), la micro-finance, le renforcement du secteur privé, les infrastructures routières et hydroélectriques, des projets pour l'accès à l'eau potable, l'enseignement bilingue, des salles de classes à Diourbel, Louga et Kaolack, deux lycées franco-arabes à Dakar et Kaolack, six collèges, trente écoles franco- arabes... De nombreuses et diverses aides donc134. Il faut noter l'implantation du siège de la BID pour l'Afrique, à Dakar. Cette proximité permettra de décupler les projets. La BID représente 56 États.

Il ne semble pas y avoir de conflits d'intérêts entre la France et la BID ici. Les deux parties et le Sénégal n'y trouveraient d'ailleurs aucun intérêt. Mais les sociétés françaises sont elles en concurrence avec celles provenant du Moyen-Orient. Dubaï ports World, le leader mondial, remporta les contrats du terminal à conteneurs et la construction du port du futur, pour un montant de 200 milliards de FCFA (environ 305 millions d'euros). L'appel d'offre obtenu était une priorité du groupe Bolloré. Les sociétés françaises, largement implantées dans ce secteur maritime sénégalais (pêche, transit) devront donc dorénavant composer avec celles du Moyen-Orient, ici des Émirats Arabes Unis.

Une autre source de financements est la BADEA (Banque arabe pour le développement économique en Afrique). Elle a attribué 29,5 millions de dollars en 2003 à cinq États : le Sénégal, l'île Maurice, le Kenya, la Gambie et le Zimbabwe. Le Sénégal profite également d'une enveloppe de 63,4 millions (répartie entre ce dernier, la Tanzanie, la Guinée, l'île Maurice, l'Ouganda,

134 Sources APS

au Zimbabwe et aux Seychelles). Quels sont les financements prévus ou effectués au Sénégal ? En 2005, l'assainissement des eaux de pluie de la ville de Pikine (11,4 millions de dollars), l'assainissement des eaux usées de la ville de Louga (4 millions) et le financement de micro crédits (enveloppe de 1 million de dollars). La banque administre une assistance technique : un « appui institutionnel en faveur des groupements féminins de la région de la Vallée du fleuve Sénégal », et des « services d'un expert dans le domaine de la micro-finance en appui au Fonds de Promotion Économique ». En 2004, l' « assainissement de la ville de Diourbel » et l' »alimentation en eau potable de l'axe Ndiosmone-Palmarin », une « étude de faisabilité du projet d'aménagement des casiers irrigués de la rive droite du Lampsar » et une autre « étude de faisabilité du projet de construction d'un nouvel aéroport à Dakar ». En 2003, la construction de la « route Linguère - Matam » et l' « assainissement des eaux pluviales de Grand Yoff »135.

Ces exemples démontrent une volonté affichée de financer des réalisations améliorant directement le quotidien des populations sénégalaises. Plutôt productif donc.

Lorsque le président Wade se rend dans ces pays, par exemple aux Émirats Arabes Unis (fin avril 2007), des propositions et perspectives économiques sont échangées, telles l'ouverture d'une ligne aérienne Dubaï-Dakar (en continuité vers l'Amérique du Sud), des investissements probables dans l'immobilier, le tourisme ou encore la prospection pétrolière136. Il en est de même à Téhéran en Iran où le chef d'État sénégalais signa un accord de 282,5 milliards de FCFA (plus de 430 millions d'euros) portant sur une raffinerie de cinq million de tonnes, la réalisation du réseau électrique de la ligne Touba-Tobène-Kaoloack et la création de deux usines, une de fabrication de lubrifiants et une autre de construction d'équipements et de composants électriques137.

Une source de financements, différente, est la Banque Africaine de Développement138 (BAD). Gestion du bétail ruminant, aménagements de voies de communication (85 millions de dollars pour l'aménagement de la route Labé - Sériba - Médina Gounass --Tambacounda ou encore 94 millions de dollars pour l'axe routier Mali-Sénégal), accès à l'électricité et aux ressources halieutiques dans les zones rurales sont quelques exemples. Cette banque n'est pas islamique à proprement parler. Elle est soutenue par une vingtaine de pays tiers et regroupe tous les pays africains (53). Crée en 1963, elle vit apparaître le FAD (Fonds africain pour le développement) en 1972, finançant les opérations citées. Une dernière information nécessaire, son 42e sommet (ainsi que la 33e assemblée annuelle du conseil des gouverneurs du Fonds africain de développement)

135 http://www.badea.org/fr/map.html

136 L'hebdomadaire du 22 avril 2007, http://www.lhebdomadaire.info/Senegal-Le-president-Wade-soumet,3190

137 APS du 29 juin 2006.

138 http://www.afdb.org/portal/page? pageid=473,1& dad=portal& schema=PORTAL

se tint ni plus ni moins à Shanghai, dont l'ouverture fut présidée par le premier ministre Wen Jiabao. C'était la seconde fois que ce sommet était délocalisé (comprendre hors du continent africain), la première étant en Espagne en 2001.

Autant il existe une géopolitique de la langue, ici arabe, autant il existe celle des religions, musulmane dans notre cas. Les soutiens techniques et financiers proviennent pour l'essentiel de la rente pétrolière du Proche et Moyen Orient, ils sont intéressants car dirigés vers et en faveur de la population. Ceci permet aussi de faire passer certains messages : les pays industrialisés, de confession autre, ne sont pas les seuls à pourvoir en aides diverses le Sénégal, et, renforcer les relations entre États dits arabes. Une parenthèse, je dois préciser qu'à l'échelle africaine, et ce depuis les années 1970, peu de gouvernements comptent sur l'aide du « monde arabe ». Malgré leur soutien univoque lors des conflits israëlo-arabes (guerre des Six jours de 1967 et du kippour en 1973 notamment), ils ne reçurent que peu de financements (les pétrodollars).

Le Sénégal possède tout de même une particularité, celle du couple présidentiel, où A. Wade est musulman et son épouse, Viviane Wade, qui possède la double nationalité franco-sénégalaise, est chrétienne.

Je rappelle également que le Sénégal ne fait pas partie de la Ligue des États arabes.

Enfin, selon une expression populaire, je pourrai dire que le gouvernement « mange à tous les râteliers » : tentant en 2000 de s'éloigner de la France, le président se tourne vers l'Atlantique Ouest mais également vers l'Iran, le Maghreb, le Moyen-Orient et donc l'Asie. Pragmatisme et opportunisme sont évidemment deux adjectifs qualifiant la politique extérieure du Sénégal. Simplement, et personne ne peut blâmer Wade, il se tourne vers toutes les puissances en devenir, dont le Brésil fait partie.

Le Brésil

Que représente le Brésil économiquement au Sénégal ? 0,05 % des exportations totales sénégalaises et 3,08 % des importations. Là encore, le partenariat est modeste. Pour l'ensemble du continent américain ? 5,99 % aux exportations sénégalaises et 31,33 % aux importations. Il est en concurrence avec l'autre grand État américain, les États-unis : 0,54 % des exportations totales du Sénégal et 4,21 % des importations. Sur le continent, ils représentent par contre 64,13 et 42,32 %. Je rappelle que le continent américain est la quatrième région partenaire du Sénégal, après l'Europe, l'Afrique et l'Asie (devant l'Océanie).

A l'export, entre 2000 et 2005 (cartes C et D, pages 32 et 33), le Brésil ne représente que 0,3 % mais à l'import, il devient le quatrième partenaire avec 7,35 % derrière la France, les États-unis

et la RPC. Pour développer ces échanges les deux gouvernements, celui de Luiz Inâcio Lula da Silva et de A. Wade, améliorent les routes aériennes et maritimes entre les deux pays. L'ouverture de la ligne Dakar-Fortaleza en est un exemple (état de Ceará dans le Nord-Est).

Le Brésil est reconnu pour son activité agricole et agro-alimentaire. La puissance Sud- américaine a notamment développé le biocarburant (éthanol) en défrichant les territoires Nord (Norte et Centro-Oeste) et précisément dans l'état du Mato Grosso, aggravant la déforestation de la forêt amazonienne. Le Sénégal est dépendant de matières premières. Il est donc logique que le Brésil, possédant ce savoir-faire, signe des accords (biodiesel et éthanol) de coopération technique avec l'État africain. Ces carburants alternatifs au pétrole seront indispensables, pour la substitution au pétrole mais par la même occasion producteurs d'emplois et évidemment, dans le cadre du développement durable (agricole surtout). Transfert de technologie donc mais formation de ressources humaines aussi. Cet accord intervint lors de la visite officielle de A. Wade au Brésil, en mai 2007, lors de la célébration de l'anniversaire de l'indépendance brésilienne (l'ex-métropole étant le Portugal).

Le plus vaste pays de l'Amérique du Sud (8 514 877 km2) apporte par ailleurs ses compétences en matière de lutte antiacridienne (criquets). Ce fléau qui dévaste régulièrement les cultures sahéliennes est combattu, ici, avec les connaissances brésiliennes.

À l'avenant, la République fédérative du Brésil forme techniquement les producteurs laitiers (et croise ses vaches laitières (102 bovins) avec celles de Dahra, dans le centre-Nord), de viande et de l'horticulture.

Un défi extrêmement important est la lutte contre le VIH/SIDA. Brasilia collabore avec Dakar à la fabrication de médicaments antirétroviraux génériques. Deux missions techniques ont d'ores et déjà été effectuées. Sur les quelques 250 ressortissants brésiliens (au Sénégal) 12 sont médecins139.

Au niveau culturel, le Brésil soutient la restauration des sites historiques sénégalais, par exemple, l'île de Gorée et, participe activement aux côtés du Sénégal au festival mondial des arts nègres.

Le sport étant fortement ancré dans la vie quotidienne des deux pays, le football, particulièrement, est l'enjeu d'innombrables échanges techniques.

Un programme de travail sur les droits de l'Homme est aussi à l'étude entre les deux gouvernements.

Enfin, il s'est tenu au mois de novembre 2006 (du 26 au 30) le premier sommet Afrique- Amérique du Sud. Lors de cette rencontre internationale à Abuja (Nigéria), les chefs d'État et de

139 APS

gouvernement ont crée le Forum de Coopération Afrique-Amérique du Sud (qui se réunira tous les deux ans), ont adopté la Déclaration d'Abuja et son plan d'action (principes et domaines de coopération). Cette coopération politique et économique renforcée entre les deux parties doit faire face aux nombreux défis du développement et de la mondialisation. La création d'une banque Sud- Sud, la lutte contre le VIH/SIDA, le défi des biocarburants sont quelques sujets abordés lors du sommet. 57 États furent représentés, dont le Sénégal et le Brésil avec leurs présidents respectifs (45 africains et douze Sud-américains). Il faut également savoir que le nombre des Ambassades brésiliennes a plus que doublé en cinq ans : en 2002, lors de l'arrivée au pouvoir de Lula (réélu en 2006), il existait 13 ambassades sur le continent africain ; en 2007, il y en a 30.

Les Chinois ne sont donc pas seuls à investir au Sénégal.

Les grands perdants, ces prochaines années, seront sans aucun doute les Libanais. Déjà concurrencés par les sociétés françaises, ils le seront par celles provenant d'Asie et dans une moindre mesure, d'Amérique Latine. Les trois puissances de demain, de ces prochaines décennies, la RPC, l'Inde et le Brésil, possèdent les atouts et similarités pour devenir les futures partenaires politiques et économiques des États africains et notamment subsahariens. Un passé « commun » de territoires colonisés par les puissances européennes (respectivement le Royaume-Uni (Hong Kong et l'Inde) et le Portugal), une forte volonté de développement alternatif au modèle étasunien et un enjeu démographique considérable (plus de 3 milliards d'êtres humains cumulés soit la moitié de la population mondiale environ). Depuis la prise de conscience de leur force sociale, politique, idéologique, démographique et donc à terme économique, les pays du Sud (expression largement usitée par les organisations mondiales contrôlées par les pays occidentaux : ONU, Banque Mondiale et FMI) tout en se développant sur le système capitaliste mondial, apportent des notions d'entraides, de solidarités à ce mode de développement. Il est intéressant de voir la vague sociale démocrate en Amérique du Sud, de comprendre les acquis et expériences communistes dans les sociétés et économies asiatiques, africaines. Concernant la France, elle n'est plus en mesure d'imposer sa politique. Le relais privé à depuis la fin de la Traite et surtout après les indépendances repris le flambeau tricolore. Il s'agit donc d'assurer les relations diplomatiques et politiques avant tout. Des relations qui pourraient prendre la forme d'une toile d'araignée, avec une multitude d'acteurs sociaux et économiques représentant les fils fins et les acteurs diplomatiques au centre.

Il s'agit à présent de comprendre l'histoire de la Chine-Afrique. Revenir à une échelle plus petite pour appréhender la situation de la République du Sénégal dans ce contexte sino-africain.

TROISIEME PARTIE

LE SÉNÉGAL DANS LE CONTEXTE

CHINE-AFRIQUE

CHAPITRE I. - Quelle place occupe le Sénégal
dans les rapports SINO-AfRIcAINS ?

C'est bien là une question essentielle. Je vais dans ce premier chapitre répondre aux questions fondamentales ayant trait aux actuelles et futures relations sino-sénégalaises. Quelles sont les limites et possibilités du sous-sol ? Le Sénégal dispose t'il d'une position géographique que je peux qualifier de géostratégique ? Enfin, le volontarisme affiché de l'État permettra t'il de résoudre, en partie du moins, les enjeux de cette relation ?

1. Un territoire pauvre en ressources naturelles

Directement analyser ce sous-sol serait une erreur géographique. Je vais donc succinctement décrire la couverture végétale de ce territoire ainsi que la climatologie.

Le Sénégal est une plaine, dont l'altitude maximale est le mont Assirik (498 m) situé dans le Fouta Djalon, dans la région de Tambacounda (Sud-Est du pays). Le réseau hydrographique peu développé donne au facteur climatique une grande importance à la répartition zonale des domaines. Cette répartition est d'ailleurs progressive, suivant les pluies du Nord et du Sud. Généralement, le paysage est boisé, composé d'arbustes épineux en région sèche, arboré en zone soudanienne et constitué de forêts dans le domaine subguinéen. Hormis les dix régions administratives (Saint- Louis, Louga, Dakar, Thiès, Diourbel, Fatick, Kaolack, Ziguinchor, Kolda et Tambacounda) et ses trente départements, le Sénégal comprend quatre régions ou domaines dits naturels : la région côtière du Nord (de Saint-Louis à la Gambie), la région sahélienne, la région soudanaise, le domaine subguinéen. De plus, des territoires que l'on peut qualifier d'azonaux se trouvent dans la

vallée inondable du Sénégal (forêt de gonakiés), au Cap-Vert, le long de la côte (dépressions) et dans les estuaires du Saloum et de la Casamance (mangroves à palétuviers).

La région côtière est sableuse, érodée par les vents d'Ouest.

Le domaine sahélien est sec par définition, la végétation pauvre (acacias), le sol, composé de graminées annuelles est calcaire, à tendance karstique sur les faibles plateaux.

Le domaine soudanien est celui de la savane forestière à herbacée. L'agriculture y est intensive, au contraire du sahel. C'est un territoire d'élevage (ethnie peul) et de chasse.

Enfin, le domaine subguinéen, en basse Casamance, est peuplé de forêts denses en îlots, dont le palmier à huile. Par l'anthropisation, cette forêt devient une palmeraie. La riziculture y est pratiquée, seul territoire à pouvoir en bénéficier avec Madagascar et quelques zones montagnardes africaines.

La caractéristique principale des territoires sahéliens est l'alternance de saisons, c'est-à-dire une saison sèche de novembre à juin environ et une saison humide, de pluies, de juillet à octobre : c'est un climat tropical à saisons alternées. La biosphère est indissociable de la partie géologique.

L'annexe IIq, page 159, représente les ressources minières du territoire sénégalais. C'est un territoire pauvre, comparé à d'autres pays africains (Nigéria, Soudan et Angola). Le phosphate et le fer sont exploités par les Indiens.

Et le pétrole ? Le pétrole est de loin la ressource la plus importée par la Chine. Plus de 800 000 barils par jour d'origine angolaise (un tiers du pétrole exporté), soudanaise (les trois quarts) ou nigériane. Second consommateur derrière les États-unis, le pays asiatique (environ 7 millions de barils quotidiens) doit pourvoir en énergie fossile son développement effréné. Le Sénégal n'exporte pas encore, l'étude du sous-sol est en cours, soit, la phase de prospection. Sur l'annexe IIIr, page 160, la première carte relativise le potentiel sénégalais. La seconde permet de localiser les blocs, c'est-à-dire, les territoires potentiellement pétrolifères. Un bloc désigne une zone libre, un permis, une zone où une entreprise prospecte (sous contrat donc). Il y a selon Petrosen environ 142 puits actuels. Sans rentrer dans les détails, le bloc de Louga et celui du Sénégal Est sont prometteurs. La Mauritanie exporte par l'intermédiaire de la China National Petroleum Company (CNPC). Les gisements se trouvent à la frontière : il existe donc un potentiel important, mais, le manque de données (sur ces blocs) empêchent toute supposition. Une certitude, la zone AGC (Agence de gestion et de coopération) et plus précisément dome flore contient du pétrole mais lourd, donc difficile à extraire donc peu rentable.

Une dernière indication, 60 000 m3 de gaz sont extraits chaque jour près de la ville de Thiès, par la SENELEC (Société nationale d'électricité du Sénégal.).

Le Sénégal est en résumé un territoire pauvre en ressources naturelles. S'il possède certaines ressources intéressantes (phosphates et pétrole), elles ne seront pas suffisantes pour apporter une manne conséquente, à l'exemple de l'Angola qui se permet grâce au pétrole d'obtenir une croissance supérieure à 20 % en 2006. Limites et possibilités du sous-sol sénégalais, ce pays fait figure d'exception dans les relations sino-africaines. C'est un cas à part, avec toutefois des perspectives intéressantes (pétrole et fer). Si les prédictions des experts de la Petrosen s'avéraient exactes, le fleuve Sénégal deviendrait un enjeu considérable. Également, les enjeux et possibles conflits territoriaux au Sud (gisements offshores, avec la Gambie la Guinée-Bissau et la Guinée) seront à surveiller.

2. Une position géostratégique ?

Le territoire sénégalais se situe à l'extrémité occidentale du continent africain, entre 1 2°8 et 16°41 de latitude Nord et 1 1°21 et 17°32 de longitude Ouest. Ngor-Almadies (quartier de Dakar) est le lieu le plus occidental de l'Afrique. Bordé à l'Ouest par l'océan Atlantique sur 500 à 600 km , faisant une frontière naturelle, les États limitrophes sont, du Sud au Nord, la Guinée-Bissau, la Guinée, le Mali et la Mauritanie. La Gambie se trouve enclavée dans la partie Sud du Sénégal, en bordure du fleuve Gambie et profite d'une ouverture sur l'océan. Au Nord, le fleuve Sénégal trace la frontière avec la Mauritanie, et, son principal affluent, le Falémé, celle du Mali. La superficie du Sénégal est de 197 000 km2.

Quelles sont les premières impressions d'un observateur visualisant un planisphère ? Le Sénégal n'est pas un État enclavé. Son accès à l'océan Atlantique interpelle également. Il se situe au carrefour de quatre zones géostratégiques : l'Amérique du Sud, l'Amérique du Nord, l'Europe de l'Ouest et l'Afrique subsaharienne. Véritable ouverture sur l'intérieur du continent, sur l'Afrique de l'Ouest, il concentre tous les avantages géographiques à l'échelle internationale. À une échelle plus grande, la presqu'île du Cap-Vert, naturelle péninsule, dispose de la baie de Hann, érodée et invitant à l'implantation d'un port, suffisamment à l'abri des courants marins et du vent.

Géographiquement admirablement positionné, bien protégé par la rade naturelle, ouvert jour et nuit, le port autonome de Dakar représente un des principaux enjeux de développement pour la région ouest-africaine. Mesurant dix kilomètres de quais et 177 hectares de plan d'eau, il dispose d'un port de pêche de dix hectares, du plus grand chantier naval de l'Afrique de l'Ouest et est relié

au réseau routier national et international, ainsi qu'à la ligne ferroviaire Dakar-Bamako (et à proximité de l'aéroport international L. S. Senghor). Son activité est en constante augmentation : pour l'année 1998, les embarquements et dépôts représentaient 6 438 000 tonnes de marchandises, en 2005, 9 905 000 tonnes soit, une augmentation d'environ 54% en valeur relative.

Le gouvernement sénégalais, sous l'action d'Abdoulaye Wade, à crée la vision stratégique Port 2010, entrant dans le cadre des grands chantiers, des grands travaux. A une échelle plus petite, le port entre dans le corridor Dakar-Bamako-Ouagadougou-Niamey. Volonté de développer Dakar, de l'inscrire dans une dynamique donc. Si les résultats tendent à rester discrets, les possibilités sont importantes. Le Sénégal se trouve à neuf jours de navigation des États-unis (contre 21 pour l'Afrique Subsaharienne) et proche de l'Union Européenne. Pourtant, le prix du fret à destination des USA reste plus élevé que celui de l'ensemble de l'Afrique Subsaharienne (4000 à 3500 dollars US). Des efforts importants doivent être mis en place afin de remédier à ces carences. Lorsqu'on observe un globe terrestre on s'aperçoit que le Sénégal est un des pays le mieux placé en Afrique, pour relever les multiples défis du développement. Le Sénégal et les États sahéliens, doivent créer la ligne Dakar-Djibouti que les colonisateurs français n'ont jamais pu concevoir (à l'identique des britanniques voulant relier Le Cap au Caire).

Également, le triangle New York-Dakar-la Manche serait une perspective louable et séduisante, si toutefois les échanges, entre ces trois destinations régionales, s'amplifiaient. Pour cela, le Sénégal doit agir en collaboration avec ses voisins limitrophes.

La géostratégie c'est aussi l'aspect militaire. La présence de la base militaire française n'est pas anodine et est avec les 4200 fonctionnaires basés en Côte d'Ivoire pour une raison autre (conflit larvé), la seule présence militaire françaises en Afrique de l'Ouest francophone, le « pré-carré » géopolitique français.

Il est entendu que la République ne se situe sur le corridor pétrolier qui pourrait être représenté par une banane, un arc, du Nigéria au Kazakhstan.

Alors, le Sénégal est il un territoire géostratégique ? Oui assurément, et il le sera d'autant plus dans les prochaines décennies, dans une Afrique de l'Ouest stable, politiquement et économiquement. Mais l'est il pour la Chine ? Il est certain que sa géographie est appréciable, mais la Chine mise, à en croire par ses investissements, indifféremment sur tel ou tel État. Aucune stratégie géographique, politique, ne semble être à l'origine des implantations chinoises. Seules les ressources pétrolifères semblent intervenir.

3. Le Sénégal, un État politique porteur de projets et ambitieux

Depuis son indépendance en 1960, le Sénégal est un des États africains les plus ambitieux. Son influence dépasse ses frontières. Le charisme de L. S .Senghor permit au Sénégal de développer une diplomatie restée très active. Aujourd'hui, le Sénégal est toujours dynamique, pour preuve la participation de A. Wade à la création du NEPAD en 2000 et 2001, le rétablissement des relations sino-sénégalaises (RPC), l'organisation du premier sommet Afrique-Amérique du Sud. L'État et ses ressources humaines sont, par le facteur historique, ouverts sur le monde, sur la politique internationale.

Il serait légitime de voir figurer un État africain au sein du Conseil de sécurité de l'ONU : c'est le dernier continent (avec l'Océanie) qui ne dispose pas de représentant. Compte tenu de sa stabilité politique, économique et sociale, le Sénégal est à mon sens un de ceux qui seraient le plus à même de représenter l'Afrique subsaharienne (avec l'Afrique du Sud).

L'État de la teranga est également très actif à l'échelle continentale.

Le Sénégal fut un des membres fondateurs, le 25 mai 1963 de l'OUA (Organisation de l'unité africaine). Échec représentatif de la difficulté africaine à s'unir, il sera en partie attribué à L. S .Senghor, partisan d'une Afrique des États en non fédérale. Utile dans le processus de décolonisation, elle ne sera jamais la grande organisation dont rêvaient certains dirigeants et peuples (le Ghanéen Kwame Nkrumah par exemple). Immobilisme, conflits de pouvoirs, non-intervention en Afrique du Sud lors de l'apartheid (principe de non-ingérence), elle sera dissoute pour être remplacée par l'U.A. (Union africaine) en 2002, elle-même créée en 2000.

L'U.A. dont le Sénégal fait partie, s'est elle dotée du droit d'ingérence (Togo en 2005).

Membre de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) dès sa création le 28 mai 1975, il participe également à l'Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (ECOMOG). L'ECOMOG est un contingent africain devant garantir les cessez-le-feu dans les pays membres de la CEDEAO. Il intervint lors des guerres civiles du Libéria (contingent de 1 500 militaires entre 1991 et 1993), de la Sierra Léone entre 1991 et 2002 (5 000 militaires lors des trois conflits), de Guinée-Bissau (entre 1998 et 2000 environ) et de Côte d'Ivoire depuis 2002. Le Sénégal participa à d'autres interventions, telles l'opération Turquoise conduite par la France au Rwanda (250 militaires) et en Gambie en 1981 lors de la tentative de coup d'État contre l'ancien président gambien Daouda Diawara.

Comment ne pas parler du NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique) ? Issu de la fusion de deux plans, le Plan Oméga et le Millenium African Plan,

il fut instauré en grande fanfare par cinq chefs d'États, dont Abdoulaye Wade en janvier 2001 lors du sommet France-Afrique de Yaoundé (Cameroun). Là encore l'échec est patent. Peu d'investissements, une bureaucratie empêchant tous projets... Même un de ces principaux architectes, A. Wade semble aujourd'hui s'y désintéressé.

Le véritable frein au développement de ce continent est donc un problème de démocratisation. Les multiples actions, projets, souvent avortés, ne seront productifs que dans un continent où les conflits endogènes seront réglés, un demi-siècle après les indépendances.

Ce rappel permet surtout de comprendre l'activisme politique sénégalais. Certes, la majorité des États, à l'échelle internationale, sont actifs ou désirent l'être sur la scène mondiale, il en va de leur image, rayonnement ou de leur intérêt. Mais en Afrique, des États comme la Somalie, la Côte d'Ivoire par exemple, se replient sur leur passé, sur leurs antagonismes intérieurs. Ce n'est pas le cas du Sénégal.

Au niveau économique, le Sénégal s'est doté d'un cadre institutionnel et juridique : la SCA ou Stratégie de croissance accélérée. Ayant pour objectif de créer une croissance stable et pérenne afin de lutter contre la pauvreté. Cette stratégie doit à l'échelle locale (Sénégal) appuyer les efforts mis en place par l'ONU : les objectifs du millénaire pour le développement. Les huit objectifs que l'on peut retrouver sur le site Internet140 sont les mêmes que le Sénégal doit atteindre. L'APIX est un organe compétent en la matière.

Le rétablissement des relations sino-sénégalaises, prend part, en quelque sorte, à ces défis. Misant sur une coopération stable, riche et là aussi pérenne, l'État africain se donne les moyens d'un tel développement social et économique.

Au regard du volontarisme politique, à toutes les échelles (sous-régionale avec le Mali, la Mauritanie, la Gambie et les Guinées : Guinée-Bissau et Guinée « Conakry » ; régionale en Afrique subsaharienne ; et internationale à l'ONU), le Sénégal a les moyens d'une telle relation avec la RPC. Cette dernière disposant de capacités autres mais compatibles, souhaite faire de l'Afrique un de ses principal partenaire politique et économique (les sommets Chine-Afrique, le sommet de la BAD à Shanghai). Enfin, l'augmentation des relations diplomatiques avec les États africains depuis la conférence de Bandung atteste de cette volonté chinoise de défendre et coopérer avec ces derniers.

140 http://www.un.org/french/millenniumgoals/

CHAPITRE II. - De la conférence de Bandung au
sommet de Beijing 2006,
Le parcours de la Chine-Afrique

C'est le début d'une véritable relation diplomatique et politique entre la Chine et le continent africain. Avant cette date, les relations sino-africaines ne se cantonnent qu'aux échanges commerciaux (les esclaves en faisant partie), notamment entre les provinces du Guangdong, du Hainan et du Fujian avec la façade maritime orientale africaine (Somalie, Éthiopie, Érythrée, archipel de Zanzibar...). L'arrivée au pouvoir de Mao Zedong va accélérer le développement des relations sino-africaines. En effet, de la conférence afro-asiatique à nos jours, les rapports diplomatiques, économiques, sociaux, culturels... vont s'intensifier de décennies en décennies.

1. Bandung, le réveil des États sous influence exogène

La conférence de Bandung en Indonésie, se tenant, du 18 au 24 avril 1955, a réunie 29 pays et plus de 300 représentants appartenant selon Alfred Sauvy, au tiers monde141. Elle s'oppose au pacte de Manille et à l'Otase (Organisation du traité de l'Asie du Sud-Est). L'Otase est un maillon régional créant un cordon sanitaire autour du bloc communiste et réunit les États-unis, le Royaume- Uni, la France, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan, les Philippines et la Thaïlande. Elle est née le 2 mai 1954 de la volonté d'imposer la paix en Indochine : l'Inde, la Birmanie, l'Indonésie, le Ceylan (actuel Sri Lanka) et le Pakistan s'étaient rencontrés à Colombo (capitale du Sri Lanka) afin d'exiger le retrait des troupes françaises en Indochine. Les gouvernements avaient par ailleurs pris position contre la politique des deux blocs, les essais nucléaires, pour l'admission de la Chine à l'ONU, et, de fait, contre le colonialisme occidental.

Lors du mois de décembre 1954, ces mêmes pays se retrouvent à Bogor pour finaliser ce qui deviendra la conférence (sélection des États partenaires à inviter). Hormis ceux cités, l'Afghanistan, le Cambodge, la République Populaire de Chine (RPC), le Japon, le Laos, le Népal, les Philippines, la Thaïlande, la République Populaire du Vietnam (Vietminh) et l'état du Vietnam seront invités,

141 Terme inventé par Alfred Sauvy le 14 août 1952 dans un article paru dans l'Observateur : « Ce tiers monde ignoré, exploité, méprisé comme le tiers état, veut, lui aussi, être quelque chose ».

pour le continent asiatique ; l'Arabie Saoudite, l'Égypte, l'Iran, l'Irak, la Jordanie, le Liban, la Syrie, la Turquie et le Yémen pour le Moyen-Orient ; l'Éthiopie, le Ghana, le Libéria, la Libye et le Soudan pour le continent africain, sont présents. La conférence voit l'entrée du Tiers-Monde sur la scène internationale. L'Égypte qui géographiquement se situe sur le continent africain est ici politiquement incluse au Moyen-Orient par rapport à ses positions politiques proches des États du Moyen-Orient, ceci en raison des déclarations et prises de position de Gamal Abdel Nasser sur le panarabisme.

Concernant le Vietnam, si sa situation complexe, à cette époque, demanderait une étude approfondie, je peux toutefois signaler que le nord (Vietminh ou République Démocratique du Vietnam fondée par Ho Chi Minh en 1945 à Hanoï) est soutenu par l'URSS et la RPC, et, que le sud est soutenu par la France puis les États-unis ; le territoire que nous connaissons actuellement était séparé en deux entités au 17e parallèle.

Cette troisième partie du monde s'inspirant de la résolution onusienne de 1952142 va condamner la colonisation, l'impérialisme occidental, l'apartheid en Afrique du Sud, la politique d'Israël vis-à-vis de la Palestine, la politique française en Afrique Subsaharienne et au Maghreb, et, le non-alignement par rapport aux deux puissances d'alors (autonomie et neutralité vis-à-vis des États-unis et de l'URSS). L'URSS ou Union des Républiques Socialistes Soviétiques formée de l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, l'Estonie, la Géorgie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Lettonie, la Lituanie, la Moldavie, l'Ouzbékistan, la Russie, le Tadjikistan, le Turkménistan et l'Ukraine, soit, quinze républiques socialistes soviétiques.

Elle affirme l'urgence du développement économique de ces pays, exige la stabilisation des prix des matières premières et la création d'un fonds spécial des Nations Unies pour le développement ainsi que la réorientation des ressources de la Banque Mondiale. Le but étant également, et c'est logique, de renforcer les liens entre les peuples représentés.

Telles sont les principales volontés politiques ressortant de la conférence, la principale revendication restant la lutte pour l'indépendance des pays colonisés et notamment en Afrique. Cependant, les solutions pacifiques et la recherche de négociations sont privilégiées afin de restituer la liberté aux peuples et États sous domination étrangère, souvent française ou anglaise. Le fait est que la plupart des pays asiatiques sont en 1955 indépendants contrairement aux États d'Afrique, c'est pourquoi la conférence se déroule en Asie et non en Afrique.

Parmi les principaux représentants, l'Indien Nehru, l'Égyptien Nasser, l'Indonésien Sukarno et le Chinois Zhou Enlai font partie des dirigeants les plus écoutés et applaudis. Leur influence dépassant largement leur patrie, la preuve en est avec le panarabisme neutre de Nasser qui influera

142 Résolution adoptée sur les rapports de la Troisième Commission - 637 (VII). Droit des peuples et des nations à disposer d'eux- mêmes - 403ème séance plénière, le 16 décembre 1952.

l'ensemble des pays musulmans, du Maroc à l'Indonésie. Ces délégations présentes sur l'île de Java représentent la moitié de la population mondiale mais seulement huit pour cent de la richesse globale. Elles sont unies par plusieurs facteurs (passé colonial, problèmes de développement, problèmes politiques et culturels) les amenant à se regrouper, afin de lutter plus efficacement dans l'ordre mondial trouble de cette époque. Car la menace pesante et permanente du conflit larvé entre occidentaux regroupés dans l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et soviétiques signataires du Pacte de Varsovie (alliance militaire du 14 mai 1955 entre la majorité des États du bloc communiste) amène les pays non-engagés (ou force interétatique), dans cette course à l'armement nucléaire, à se prononcer en faveur de la paix mondiale.

L'OTAN est une organisation politico-militaire regroupant l'Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, le Canada, le Danemark, l'Espagne, l'Estonie, les États-unis, la France, la Grèce, la Hongrie, l'Islande, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République Tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie et la Turquie. Crée le 4 avril 1949 à Washington, il a pour objectif de maintenir la puissance soviétique dans ses frontières d'alors (cf URSS et Pacte de Varsovie) et de répondre collectivement dans le cas d'une attaque russe, dans n'importe quel état signataire (article 5).

Le Pacte de Varsovie regroupe lui l'URSS, l'Albanie, la Bulgarie, la Roumanie, la RDA (République Démocratique Allemande ou Allemagne de l'est), la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie. Pour conclure ce rappel, la Chine est invitée en tant qu'observateur et la Yougoslavie dirigée par le charismatique Tito, n'intègrera pas le Pacte, préférant garder son indépendance politique vis-à-vis de Moscou.

« Nous sommes unis par la haine du colonialisme, sous quelque forme qu'il apparaisse ; nous sommes unis par la haine du racisme et par la détermination commune de préserver et de stabiliser la paix dans le monde », dit à cette occasion l'Indonésien Sukarno, qui, lors du discours inaugural, déclara tout de go : « Que naissent une nouvelle Asie et une nouvelle Afrique ». C'est d'ailleurs le même ton employé par le président de la conférence, le premier ministre Indonésien Sastroamidjojo, pour la cérémonie de clôture : « Aujourd'hui, nous savons tous que nous avions besoin de tolérance. Nous devons vivre ensemble dans la paix comme des voisins amicaux. C'est la seule vraie fondation de la prospérité de l'humanité. J'espère que nous continueront à avancer sur la voie que nous avons choisie ensemble, et espère que la Conférence de Bandung deviendra le phare qui guidera l'avenir de l'Asie et de l'Afrique »143.

La conférence fut divisée en trois commissions, une commission politique, une commission traitant de la coopération économique entre les 29 participants et une commission pour la coopération culturelle. Au cours des débats, trois tendances principales sortirent, se sont

143 Les citations sont empruntées sur le site http://french.cri.cn

dégagées : une tendance pro-occidentale avec notamment la Turquie et le Pakistan ; une tendance pro soviétique (Chine et République Démocratique du Vietnam) et une troisième, n'adhérant à aucune des deux évoquées et ne s'alignant en aucun cas sur la politique tant occidentale que soviétique ; elle est représentée par l'Inde et l'Égypte qui condamnent la logique des blocs. Si des tensions et désaccords sont apparus, il n'en reste pas moins que des accords ont été conclus. D'ailleurs, si consensus il n'y avait eu, la légitimité des pays non-alignés aurait été difficilement tenable, les principaux états se devaient de céder sur certains points telle la demande d'aide financière des organisations internationales dont l'ONU pour financer et garantir la paix ou pour soutenir le développement économique de la zone Asie et Afrique.

De facto, la résolution finale de la conférence de Bandung peut se résumer en dix points, eux-mêmes fondés sur cinq principes fondamentaux. Ces principes, pourtant inspirés par Nehru144, ressemblent à ceux appliqués par la Chine en Afrique de nos jours : principes de non-agression, de respect mutuel des souverainetés, de non-ingérence dans les affaires intérieures, de réciprocité des avantages dans les contrats et principe de coexistence pacifique.

Pour résumer cette résolution, je décrirai ce communiqué comme vigoureusement empreint de neutralisme (car trop indien) et malheureusement trop peu impliqué à décrire et proposer une ligne commune face aux deux grandes puissances. De plus, la division opposant les non-alignés, les pro-occidentaux et pays communistes ne peut qu'affaiblir ce groupe, cette coalition d'États sur la scène internationale. D'ailleurs si je respecte par principe cette résolution, il n'en reste pas moins que je n'aperçois aucune volonté de contrecarrer les plans capitalistes d'un côté comme les plans impérialistes staliniens de l'autre. Enfin, que les liens entre Asie, Moyen-Orient et Afrique se développent est une excellente manière de faire converger les forces, idées et moyens envers le développement des trois régions. Mais, compte tenu de cette division idéologique, les dirigeants et participants de l'époque n'ont fait qu'exacerber la fracture : l'Inde et l'Égypte, en imposant leur neutralité ont briser la possibilité d'une troisième force capable de se positionner comme interlocuteur viable, ont élargi le fossé entre pays pro-occidentaux et pays sous influence soviétique et ont réduit la voix des pays indépendants à deux hommes : les deux voix présentes à la conférence, Nehru et Nasser (puis Tito en Yougoslavie). Si aucun effet direct n'a suivi cette rencontre politique, elle a néanmoins rencontré un certain succès auprès de nombreux États.

L'esprit de Bandung est né et le mouvement des non-alignés s'est crée une base assez solide pour perdurer jusqu'à la chute de l'URSS en 1991. L'aspect le plus intéressant est la mobilisation internationale en faveur du processus de décolonisation engendrée par cette conférence, qui regroupa la moitié de la population mondiale, 29 États et trente mouvements de libération

144 Cinq principes ou Pancha Sula en sanskrit, sont définis par l'Inde : respect mutuel de l'intégrité territoriale et de la souveraineté, abstention de tout acte offensif, non-intervention dans les affaires intérieures d'un autre pays, égalité des droits et entraide mutuelle, coexistence pacifique.

nationale (parmi ces mouvements, le néo-Destour tunisien, l'Istiqlal marocain ou encore le Front de Libération National algérien).

Une dernière parenthèse est à présenter : la conférence ayant crée cette utopie d'un tiers monde politique, pacifique, n'a pas jetée réellement les bases de ce nouvel ordre mondial. Déjà dans les années 1920, après le premier conflit mondial, le président étasunien Woodrow Wilson présentait les quatorze points devant servir au règlement de la paix dont le droit à l'autodétermination des peuples.

Des connexions entre États asiatiques et africains se sont donc établies lors de cette conférence. Si la Chine ne peut s'affirmer comme plateforme géopolitique indiscutable à cette date, elle fait d'ores et déjà figure de puissance alternative aux côtés de l'Inde, du Pakistan et de l'Égypte. Car de relations commerciales avant 1949 et 1955, la Chine noue à présent des relations diplomatiques avec les États africains venus faire entendre leurs arguments à Bandung, le commerce s'efface peu à peu pour laisser la place à la dimension diplomatique et idéologique. Le Petit Livre rouge de Mao devient au fil des années une bible pour certains dirigeants du continent noir.

Si l'époque coloniale à correspondu à un certain affaiblissement de la Chine sur la scène internationale, les indépendances et l'arrivée au pouvoir de Mao Tsé-toung à Beijing en 1949145 correspond au renouveau chinois, s'attelant à dénoncer à haute voie les colonisateurs européens, à réfuter le modèle capitaliste américain et s'autoproclamer leader et grand défenseur des peuples opprimés. De plus, la théorie maoïste des « trois mondes » (selon laquelle le monde bipolaire durant la guerre froide doit intégrer un troisième monde, celui des États non signataires de l'OTAN ou du Pacte de Varsovie) appliquée avec zèle par la diplomatie chinoise n'est pas sans effet sur les territoires dits du tiers monde, et notamment en Afrique Subsaharienne où l'on recherche également une place dans ce monde divisé, bipolaire. Pourtant, la politique extérieure chinoise est unilatérale en Afrique comme ailleurs : ses propres intérêts prévalent sur les besoins des États africains.

Si peu d'États africains (l'Éthiopie, l'Égypte indépendante le 28 février 1922, la Libye le 24 décembre 1951, le Ghana et le Libéria indépendant depuis 1847) sont représentés sur l'île de Java du fait de leur statut de colonie, bon nombre d'entre eux observent avec intérêt les débats et résolutions de la conférence. En effet, un an plus tard, le Soudan (1er janvier 1956), le Maroc (le 2 mars) et la Tunisie (le 20 mars) accèdent à leurs indépendances, suivis du Ghana en 1957 et de la Guinée en 1958. L'Afrique, devenant indépendante au fil des années, va accroître ses contacts

145 Mao Zedong proclame le 1er octobre 1949 du balcon de la Cité interdite (Pékin ou Beijing) l'avènement de la République Populaire de Chine (RPC). Dirigeant le Parti Communiste Chinois (PCC), il oblige Tchang Kaï-Check et le gouvernement du Guomindang (parti nationaliste au pouvoir de 1928 à 1949) à s'exiler sur l'île de Taiwan suite à la défaite contre les troupes de l'Armée Populaire (Longue Marche).

avec le « pays-continent » qu'est la Chine (carte K page 131). Et ce d'autant plus qu'elle se sépare progressivement de l'étreinte des métropoles impérialistes européennes. D'une vision centrée sur le Nord (Europe) et l'Ouest (États-unis), l'Afrique va regarder vers l'Est, et vers tout pays susceptible de lui fournir une aide substantielle dans cette époque décisive.

Seulement, si l'Asie et notamment la patrie de Mao s'intéressent aux peuples Noirs, Taiwan s'empressera également à nouer de solides relations diplomatiques avec l'Afrique (dons et financements), même s'il faut attendre les années 1990 pour que l'île soit en mesure de concurrencer Beijing. Du reste, au terme de la conférence de Bandung, le premier ministre chinois Zhou Enlai, en répondant à la polémique provoquée par certains protagonistes mécontents de la (trop) bonne tournure de cette rencontre, dit, pour répondre à la pression américaine vis-à-vis de Taiwan : « Le peuple chinois et le peuple américain sont amis. Le peuple chinois n'a pas l'intention de se battre contre les États-unis. Le gouvernement chinois est prêt à engager des négociations avec le gouvernement américain afin de voir comment la tension en Extrême-Orient peut être apaisée, notamment dans la région de Taiwan ».

Cette phrase exprime à elle seule la manière de pratiquer la politique dans ce pays millénaire, où Confucius et sa philosophie sont intervenus il y a plus de 2500 ans, c'est-à-dire de ne jamais brusquer qui que ce soit, afin de le convertir à ses volontés. La Chine n'apprécie guère les confrontations frontales. Une autre citation de monsieur Zhou aidera à bien comprendre le point de vue chinois (sur la politique extérieure et les relations internationales) : c'est le principe de « recherche[r] des points communs tout en laissant de côté les divergences».

La conférence de Bandung fut le premier évènement international à mettre en exergue la possible complicité et solidarité entre une région asiatique et le continent africain à majorité colonisé. C'est sur les bases de ce rendez-vous historique - que certains auteurs qualifient de séisme politique tellement il a ouvert la voie à un nouveau système politique international (principes de solidarité entre États pauvres et colonisés, de rejet des grandes puissances et de leur mode de fonctionnement idéologique, politique et économique) - que la Chine s'est forgée son image qui perdurera jusqu'aux années 1990, de pays en développement par excellence. Luttant pour le droit à la souveraineté nationale comme décrit par l'ONU (droit des peuples et des nations à disposer d'eux-mêmes), image d'alternative au système binaire de l'époque et surtout, icône pour les États toujours administrés par les puissances européennes, la Chine « rouge » devient incontournable.

Suivirent d'autres rencontres internationales : la conférence de Belgrade de septembre 1961 développe la notion du « Mouvement des non-alignés ».

Elle est intercalée entre Bandung et la conférence de solidarité des peuples afro-asiatiques (à Moshi en Tanzanie en février 1963), puis celle de La Havane en 1966. Elle ne fera que consolider la volonté des pays participants à s'engager sur une troisième voie et réaffirmer leurs différences et antagonismes avec l'URSS et les États-unis. Par contre, un dirigeant fera date, celui de la République fédérale socialiste de Yougoslavie, soit, Josip Broz Tito ou plus communément appelé le maréchal Tito, qui en défiant le totalitariste Joseph Staline, montrera la voix aux États européens certes, mais également aux États représentés en offrant une dimension planétaire au mouvement.

Durant cette période le Sénégal est donc un des nombreux partenaires de la Chine. Pourtant, à la surprise de cette dernière, Abou Diouf rompt de facto les relations en reconnaissant l'île de Taiwan en 1996. Raisons économiques plus que politiques, Taipeh va apporter durant neuf années une manne relativement importante à l'État sénégalais. Pour les raisons déjà évoquées, A. Wade mettra fin à cette erreur diplomatique en 2005. Après le choix tchadien, il ne reste donc plus que cinq partenaires africains à Taiwan. Si actuellement l'île n'est présente dans la presse qu'à l'occasion de rares circonstances (phrases hostiles prononcées par les deux parties, passage de la flamme olympique sur l'île dans le cadre des jeux olympiques de Beijing en 2008...), ce ne fut pas le cas ces quarante dernières années. Les « deux Chines » se livraient alors à une compétition diplomatique et économique, c'était la course à l'Afrique.

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2. Les deux Chines et la course à l'Afrique

Quelles circonstances ont amené Taiwan à s'investir en Afrique ? Je dois préciser en préambule, que les évènements intérieurs (en RPC) jouèrent un rôle prépondérant dans la politique extérieure chinoise.

La révolution culturelle chinoise de 1966 à 1969 va marquer un temps d'arrêt dans les relations RPC-Afrique, qui avaient pourtant été productives durant les quinze dernières années. Éprouvant de sérieuses difficultés sur son territoire, la Chine n'a plus la capacité d'intervenir largement en Afrique. Elle s'isole également en adressant des reproches pernicieux et virulents à l'égard des Russes. De fait, car elle s'éloigne aussi des pays trop intimes des Étasuniens, elle va s'isoler diplomatiquement et politiquement. Ceci entraîne une levée de boucliers chez ses amis Africains, la jugeant trop critique. Mais compte tenu de ses principes, la Chine apportera pendant ces trois années, sa solidarité avec les mouvements de lutte nationale en alimentant ces derniers en armes : Angola, Mozambique, Afrique du Sud. Elle s'éloigne donc progressivement des pays africains jugés trop proches d'un des deux blocs (Tunisie, Kenya, République Centrafricaine et royaume de Dahomey ou actuel Bénin) mais conserve d'excellentes relations avec le Congo Brazzaville, la Somalie, la Tanzanie, la Guinée, la Zambie et le Mali.

Cependant, le travail effectué par Zhou Enlai porte ses fruits et permet au ministère des Affaires étrangères de compter 19 États africains parmi ses relations diplomatiques. Ces États sont les suivants : Maroc, Algérie, Tunisie et Égypte pour l'Afrique du Nord, Guinée (Conakry), Mali Ghana et Bénin en Afrique de l'Ouest, République Centrafricaine et Congo Brazzaville en Afrique Centrale, Éthiopie, Somalie, Kenya et Tanzanie en Afrique de l'est et Angola, Zambie, Mozambique et Afrique du Sud pour l'Afrique Australe. Madagascar est donc le dernier pays ayant des relations diplomatiques officielles avec Pékin. Ces 19 partenaires pourraient être plus nombreux si l'on compte ceux ayant des relations appuyées avec Beijing, en particulier le Sénégal qui officialisera ses relations en décembre 1971.

Le bilan chinois en Afrique est donc plutôt positif sur le plan idéologique et politique, avec des revers toutefois en Algérie, Égypte et Guinée. Sur le plan économique, ce sont surtout les effets d'annonce de sommes peu élevées pour ne pas dire dérisoires qui constituent l'ensemble des flux financiers entre les deux parties. Pour l'Afrique, ce bilan économique est nettement moins positif car ceux-ci ont été dans l'obligation de baisser leurs taux de change voire leurs revenus réels du fait de la concurrence sur les marchés tiers et sur les marchés africains eux-mêmes (produits alimentaires dont le riz, produits industriels dont le textile). Baisse des prix et concurrence chinoise

entraînant une régression relative du volume des exportations sont donc les points négatifs qu'entraîne l'implantation chinoise dans l'économie africaine.

La Chine à par-dessus tout apporter une assistance militaire (conseils et ventes d'armes) et idéologique dans les conflits opposant les États africains aux occidentaux. Nonobstant, elle a construit des stades et bâtiments officiels. Si une diaspora est présente en Afrique du Sud et Madagascar elle n'est pas encore implantée dans les arrière-pays. L'évolution et la croissance des échanges commerciaux et humains va être faible jusqu'au soudain intérêt taiwanais pour ce continent au début des années 1990. La Chine va dès lors se positionner en Afrique dans l'intention de contrer son rival. Rival qui va s'atteler à déséquilibrer la Chine continentale en la concurrençant sur son terrain, l'aide au développement du continent africain.

Avant de développer ce paragraphe, il est indispensable de faire une parenthèse : je ne vais, dans cette étude, pas prendre position sur le statut de Taiwan146. En effet, ceci demanderait un long développement, inutile dans ce mémoire. Si l'on veut défendre telle ou telle position, on pourra dire que la RPC ne respecte pas idéologiquement ses engagements (autodétermination des peuples) et, inversement, que l'île de Taiwan est dirigée par un gouvernement nationaliste et provocateur, jouant sur la politique du chéquier pour convaincre de sa légitimité.

Cette rivalité commence en 1949. C'est l'année de la création de la RPC. Taiwan conserve néanmoins son siège à l'ONU, ayant ratifié la charte des Nations Unies de 1945. Seulement, au fil des années, la Chine continentale gagnant en popularité et influence, va convaincre au niveau international de sa pertinence à posséder ce siège, ce qu'elle parvint à faire le 25 octobre 1971, avec l'aide des Soviétiques. Cette résolution 2758 (XXVI) évince la République de Chine ou Taiwan, qui est donc remplacée par la RPC.

Le rôle des États africains fut d'une importance capitale, car leurs votes représentèrent 32,9%147. Dès cette admission, la Chine, nantie de son siège, aurait due prouver sa reconnaissance aux pays l'ayant aidé à obtenir ce dernier. Il n'en est rien. Les relations sino-africaines vont au contraire être dirigées unilatéralement, et surtout, dirigées dans les coulisses par les forces exogènes que sont l'URSS et les États-Unis. L'URSS, en premier lieu, car la Chine tente à se démarquer de son allié historique en raison de la politique russe jugée par trop impérialiste et non conforme au socialisme maoïste. En coopérant avec les États en conflit avec l'URSS ou indirectement, en

146 Devenue de facto indépendante à la suite de la prise de pouvoir par le Guomindang (en 1949 lorsque ce gouvernement se délocalise suite à la création du gouvernement communiste de Mao Zedong), elle ne l'est pas selon la République Populaire de Chine. Elle ne l'est pas au niveau international car elle perd son siège et sa reconnaissance par l'ONU en 1971 au profit de la Chine continentale qui considère l'île comme une province rebelle, aidée en ce sens par de nombreux États, dont ceux d'Afrique.

147 La Chine continentale obtint son siège par 76 voix pour, 35 voix contre et 17 abstentions. 25 états africains votèrent en faveur de la RPC.

accordant d'importantes aides aux États en conflits avec les pays soutenus par Moscou, Pékin joue pleinement son rôle de troisième force internationale, au profit bien sûr de Washington.

Les États-Unis d'ailleurs sont la priorité chinoise. La visite du président américain Richard Nixon en février 1972 va permettre aux deux parties d'engager des relations diplomatiques, officiellement établies en 1978, et, de lever l'embargo commercial qui affecte la Chine. De plus, ces relations seront une des conditions de l'ouverture économique chinoise des années 1980, favorisée par les réformes économiques opérées par Deng Xiaoping à la mort de Mao en 1976.

La concurrence sino-soviétique fait donc rage sur le continent africain, la Chine soutenant financièrement les pays proches de l'URSS tels que l'Égypte, le Congo Brazzaville, la Somalie, la Zambie, le Soudan et la Tanzanie où la construction du chemin de fer reliant la Tanzanie à la Zambie (Tanzam) accapare à elle seule la moitié des aides. Cette construction plus politique qu'économique (pour la Chine) lui donne une image positive et positionne le pays comme, dorénavant, indiscutablement décisif et incontournable.

En 1972 et 1973, la manne chinoise s'élargit au Bénin, à Madagascar, à Maurice, au Cameroun, au Burkina-Faso, au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo), à la Tunisie, au Togo, au Nigeria, au Rwanda et au Sénégal. Dans les années 1980, changeant de politique, Pékin va soutenir cette fois des pays proches de l'Union Soviétique, tels la Libye, l'Éthiopie et le Lesotho. Elle soutient également le combat Sud-africain, la lutte contre l'apartheid.

Au milieu des années 1980, un changement irréversible va s'opérer : la politique intérieure chinoise va réguler la politique extérieure. Le PCC qui avait entamé en 1978 une réforme économique voit les conséquences de son action : l'économie planifiée, importée d'URSS, fait place au socialisme de marché. La collectivisation de l'agriculture est remplacée par la responsabilité individuelle, l'industrie d'état voie l'arrivée du patronat, en fait, une libéralisation plus ou moins contrôlée s'opère. L'économie marchande prend le pas sur l'économie planifiée par le PCC. Ce glissement vers le capitalisme contrôlé à sauvé le régime mais entraîne d'innombrables problèmes économiques tels que l'endettement des banques publiques, de gérants d'industrie légère, de paysans... que le gouvernement doit rembourser. L'économie mixte est de rigueur (en 1992, le système économique devient économie de marché socialiste), c'est l'époque de l'enrichissement des provinces situées sur les façades maritimes, endettement des autres. Donc, en 1985, ces réformes accaparent l'ensemble des dépenses publiques, laissant peu de marge de manoeuvre au ministère des Affaires étrangères.

L'Afrique en général est directement touchée. Quatre ans plus tard, soit en 1989, intervient l'évènement de la place de Tian An Men, évènement qui provoque immédiatement des sanctions internationales (sans parler du séisme diplomatique). Cette période est par ailleurs marquée par l'effondrement de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques le 26 décembre 1991.

Ces données vont considérablement changer la donne géopolitique mondiale. La Chine va rechercher de nouveaux soutiens car la fin de la guerre froide et ses besoins énergétiques l'obligent à intervenir massivement en Afrique et au Moyen Orient. Ce dernier étant instable géopolitiquement et saturé économiquement (par les États-unis et les États européens), le choix africain est rapidement effectué. Parallèlement, ce continent à également des besoins primordiaux et directs : obtenir des capitaux et financements, du savoir-faire et des produits peu chers, bon marché, en résumé, chinois !

A l'aube des années 1990, l'ensemble des pays composant le continent africain ont des relations diplomatiques avec Pékin. Seulement, c'est sans compter sur l'île qui désire depuis son éviction des Nations Unies se repositionner et obtenir un statut officiel auprès de l'ONU et de la scène internationale. Pour ce faire, elle va en premier lieu faire les yeux doux aux États-Unis qui lui apporte en échange une reconnaissance partielle. Ensuite sa stratégie va s'appliquer à nouer avec les pays africains des relations diplomatiques, essentiellement basées sur les aides financières.

De fait, dès octobre 1989, le Libéria noue des relations avec Taiwan, suivit du Lesotho en avril 1990, de la Guinée-Bissau en mai, la République Centrafricaine en juillet 1991, le Niger en juin 1992, le Burkina Faso en février 1994, la Gambie en juillet 1995, le Sénégal en janvier 1996, Sao Tomé et Principe en mai 1997 et avec le Tchad en août 1997.

Isoler diplomatiquement Pékin est le principal souci du gouvernement taiwanais. Taiwan réussit donc un petit exploit en récupérant ainsi, grâce à sa manne, ces pays antérieurement alliés de Beijing. Toutefois, le succès est relatif car dès 1994, le Lesotho répond aux avances de la RPC, soit, environ quatre années après la volte-face taiwanaise. Le Niger quant à lui retourne sa veste en 1996, l'Afrique du Sud, la République Centrafricaine et la Guinée Bissau en 1998, le Libéria en 2003, le Sénégal le 25 octobre 2005 et dernièrement le Tchad en août 2006. Début 2007, il ne reste donc que cinq États africains (carte K, page 131) ayant encore des relations diplomatiques avec Taiwan, soit, le Burkina Faso, la Gambie, le Malawi et Sao Tomé et Principe. Mais, étant donné l'influence de Pékin, sa détermination à s'approvisionner énergiquement, son panel d'offres et aides, pour combien de temps encore ces cinq irréductibles continueront à affirmer envers et contre tous l'existence des deux Chines ?

La RPC est donc en 2007 en passe de réaliser un objectif principal : évincer Taiwan, la circonscrire sur la scène internationale. L'Afrique est pour elle autant qu'un enjeu économique est un enjeu géopolitique. Les récents sommets en sont la preuve.

3. Les sommets Chine-Afrique annoncent-ils une nouvelle géopolitique mondiale ?

La valeur totale des échanges commerciaux entre la Chine et l'Afrique subsaharienne ou Noire est passée d'environ 820 millions de dollars en 1977, à 10 milliards en 2000 puis 37 milliards en 2005. Elle devrait atteindre 100 milliards de dollars d'ici 2010. Pourtant, ces échanges ne représentent que 3 % du commerce extérieur chinois (comparés aux 15 % ; soit 200 milliards avec l'U.E. pour l'année 2005). Paradoxalement, si en 2004 les exportations chinoises (vers l'Afrique) ont augmenté de 37 % et ses importations de 81 %, le continent africain reste un partenaire économique relativement peu important. Et encore, ses importations sont restreintes aux matières premières (chrome, platine, cobalt, fer, or, argent et bois) dont le pétrole figure au rang 1 (25 % environ du pétrole importé est originaire d'Afrique). Enjeu économique certes, en concurrençant les autres grandes puissances (États-unis, États européens notamment) mais politique également, en offrant au plus grand nombre un panel de subventions et aides, comme je l'ai décrit pour le Sénégal. Et cela, n'exige aucune contrepartie politique (transparence, droits de l'homme) des États africains.

Les cartes L et M, pages 139 et 140, représentent les exportations et importations de l'Afrique subsaharienne aux années 2000 et 2004, cartographiant l'évolution. Ces deux cartes démontrent l'augmentation des échanges, le rouge et ses nuances devenant plus présents en 2004. La carte N, page 141, représente la balance commerciale des États africains avec la RPC en 2004. Fort logiquement, ceux exportant du pétrole et autres ressources énergétiques (Angola, Congo, Soudan, Tchad, Gabon et Zimbabwe) possèdent une balance positive (ainsi que le Mali et le Burkina Faso exportant le coton). A l'inverse, ceux ne possédant ou n'exportant pas encore leurs ressources, affichent un déficit, tel le Sénégal.

Si redevenir la première puissance mondiale, contenir les multiples conflits internes (dans le milieu rural et particulièrement dans sa partie occidentale) sont des principes et objectifs premiers, instaurer un nouvel ordre (géo)politique mondial en s'appuyant sur tout État susceptible d'apporter son aide, est donc une perspective non négligeable au sein du PCC. C'est une des raisons des sommets Chine-Afrique. Trois sommets en six ans, l'ensemble des États africains présents, organisés fastueusement, la réussite est au rendez-vous.

Le premier sommet de 2000 (10 au 12 octobre), à Pékin, rassembla déjà 45 États africains. La Chine expose son principe de gagnant-gagnant, autrement dit, les deux parties y trouvent leurs intérêts. La Chine annule ou réduit la dette de 32 États pour un montant global de 10 milliards de dollars. L'Afrique en contrepartie, permet à 600 sociétés asiatiques de s'installer sur son territoire.

Toutefois, Pékin ne reçut que quatre chefs d'État africains : Gnassimbgé Eyadema du Togo, Abdelaziz Bouteflika président de la république algérienne, Frederick Chiluba pour la Zambie et Benjamin Mkapa pour la Tanzanie. Le secrétaire général de l'OUA, Salim Ahmed Salim, s'était également déplacé.

Le second se déroule cette fois en Éthiopie (25 et 26 novembre 2003), dans la capitale Addis-abeba. Cinq présidents, trois vice-présidents, deux premiers ministres ainsi que le président de la commission de l'Union africaine, Alpha Omar Konaré, font le déplacement.

Là encore l'économie est omniprésente avec la ratification du plan d'action 2004-2006. La coopération est au centre des négociations (dans les domaines de l'exploitation de ressources naturelles, agriculture, transports, tourisme, formation...) avec les investissements bilatéraux. Mais la politique est cette fois abordée : la Chine signe un engagement pour la paix régionale, tout en soutenant le gouvernement soudanien. La volonté de ne pas pratiquer l'ingérence (à l'image de la France par exemple) est le but recherché et atteint ; tout en se positionnant contre la guerre, ce qui ne mange pas de pain, pour reprendre une expression courante. Il n'empêche, le Libéria rejoint la RPC. Le Sénégal en 2005 et le Tchad en 2006 suivront.

Le troisième forum sino-africain de 2006 (du 3 au 5 novembre à Beijing) accueillit 48 chefs d'États et délégations. Celui-ci pourtant similaire aux précédents, fut très médiatisé. La banderole de 18 km, de l'aéroport au Palais du Peuple, où l'on pouvait admirer les quarante années des relations sino-africaines ne fut pas étrangère à cet engouement médiatique. C'était tout de même le plus important évènement diplomatique depuis la révolution de 1949.

Le forum sur la coopération Chine-Afrique adopta le plan d'action de Beijing 2007-2009. Globalement, deux milliards de dollars furent attribués pour mener à bien les accords de financement, tels la construction de 900 km de voies ferrées au Nigéria, la construction du Sénat gabonais, une industrie de production d'aluminium en Égypte, 200 millions de dollars pour la production de cuir en Zambie ou encore la suppression des droits de douanes pour 190 produits (pour 28 États les moins développés). Directement adressé aux populations, la construction de 4000 écoles en milieu rural à l'horizon 2009, la formation de 15 000 africains, la construction de 30 hôpitaux... Ces quelques exemples démontre cette volonté chinoise du rapport gagnant-gagnant : ces investissements créent de l'emploi et en contrepartie, le pays receveur, exporte évidemment les ressources produites grâce à la création de l'industrie... Des industries qui ne sont pas toutes chinoises : environ 170 000 Chinois sont installée en Afrique dont la majorité sont employés dans ces sociétés. Les grandes réalisations (Sénat ici mais stades, palais présidentiels ailleurs) servent la notoriété de la RPC et entretiennent les relations entre dirigeants.

Ces dirigeants qui se sont déplacés m'amènent à une réflexion : pourquoi ne pas simplement mandater le président de l'U.A. (dont le siège situé à Addis-Abeba est financé par la Chine), et celui du NEPAD par exemple ? La réponse est simple, ce forum devient au fil des années, non seulement un rendez-vous capital, mais surtout une source financière inestimable pour tous les États africains. Là où la France et l'Europe ont échoué, la Chine en déployant aides et financements colossaux, a gagné.

Alors s'agit t'il d'une nouvelle géopolitique mondiale ? Tout en étant prudent, il est certain que la RPC est parvenue à ses objectifs : le PCC ne choisi plus ses partenaires africains en fonction de la nature idéologique des régimes. Tous les États (ne reconnaissant Taiwan) échangent aujourd'hui avec le pays asiatique, le cadre s'est élargi, il est devenu global. Ceci, de par la nature de l'offre diplomatique et politique et par la quantité des subventions, aides..., favorise la bienveillance à son égard, sur le continent. Un appui stratégique si l'on pense que dans les prochaines années et décennies, la Chine aura besoin d'un maximum de partenaires au sein des organisations internationales, afin de mener à bien ses projets géopolitiques. Personne ne doute un instant que cette dernière sera Le Pays du XXIe siècle, il ne s'agit que d'une question de temps. Les futurs conflits sino-étasuniens détermineront de qui la communauté internationale souhaite voir la prépondérance, quelle super-puissance dirigera l'économie, la politique mondiale et sur quelles bases : un capitalisme ultra-libéral enrichissant les riches et appauvrissant les pauvres où les multinationales possèderont les tenants et aboutissants, ou, un modèle encore difficilement identifiable, mêlant capitalisme et État autoritaire, libéralisme ciblé géographiquement et structurellement, et, interventionnisme étatique. Ce modèle ne peut en aucune manière être international, mais peut cependant être régi sous la forme de régions (Asie, Moyen-Orient, Afrique, Europe, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Océanie ?). Les extravagantes disparités chinoises amènent également à bien des questionnements sur ce mode de développement national. Mais la Chine possède des avantages : une vision sur le long terme (à la différence des États-unis), une image positive dans les pays du Sud (n'appelle t'on pas le groupe des 77 plus la Chine ?), un potentiel démographique donc militaire sans comparaison aucune et donc, un État fort, puissant, capable en théorie de mener plus d'un milliard d'individus à tel ou tel objectif.

Ce sommet placé sous le thème « Amitié, paix, coopération et développement » préfigure donc à mon sens une nouvelle organisation des relations internationales, basé sur la coopération entre régions. Le sommet Afrique-Amérique du Sud en est la preuve.

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CONCLUSION

L'objectif de cette étude était de mettre en perspective les relations bilatérales sinosénégalaises. Qui profite au mieux de ce partenariat ?

Économiquement, c'est la RPC. Elle à d'ores et déjà investit dans les secteurs les plus rentables et les plus performants du Sénégal, tels que le secteur maritime (la pêche et le transit) ; le textile ; le BTP.

Le secteur de la pêche devra répondre à l'ultimatum naturel qu'est la raréfaction des ressources halieutiques. Les sociétés sino-sénégalaises sont pour une part imputables à ce constat. L'expérience chinoise dans ce domaine est une opportunité.

Un secteur très préoccupant est celui du textile. Le coton déjà soumis à la concurrence américaine (subventions) n'est plus compétitif avec l'arrivée du textile chinois. Les opérateurs asiatiques n'investissent donc pas. Une opportunité là encore, est la modernisation des industries sénégalaises avec l'appui des sociétés chinoises.

Le BTP profite lui d'une croissance régulière et importante. Si les tarifs appliqués par Henan Chine sont un avantage (création d'infrastructures à bas coûts), le transfert de savoir-faire est faible et les investissements demeurent peu importants.

Ces trois secteurs économiques ne sont pas négligeables dans l'économie sénégalaise et ce sont donc les trois principales implantations chinoises, avec le commerce des produits made in China.

La Chine s'offre ainsi des débouchés.

Ces produits de basse qualité que l'on retrouve sur tous les étals africains sont rarement proposés sur le marché intérieur chinois : c'est donc bien une offre spécifique.

Ces produits sont vendus par des commerçants chinois, qui par leur présence, sont à l'origine de tensions et des conflits d'intérêts. Concurrencés, désavoués, les organisations syndicales et patronales exercent un repli identitaire. Ce capitalisme patriotique n'est pas propre au Sénégal, mais il est ici plus qu'ailleurs (U.E. et États-unis), difficile à mettre en oeuvre, faute de moyens et de soutiens suffisants.

Les enjeux et perspectives de l'État sénégalais sont donc :

- Diversifier les échanges commerciaux (avec la RPC) et trouver des filières d'exportations
afin de combler le déficit commercial, attirer les IDE en sorte en s'appuyant sur la SCA.

- Prendre ses responsabilités et clarifier la situation des commerçants chinois.

- Négocier avec les deux géants asiatiques dans le cadre de leurs intérêts mutuels, dont les subventions font partie (exemple de la Politique agricole commune).

- Certains secteurs dont j'ai peu parlé, sont l'agriculture, l'agro-industrie, les télécommunications, les services et le tourisme.

- Favoriser la compétition entre l'Inde et la Chine, la première fournissant en échange des matières premières, les transferts de savoir-faire, de technologie, indispensables. La seconde étant incontournable économiquement et politiquement. L'appel d'offre des gisements de fer de la Falémé, proche de la ville de Tambacounda, a été remporté par une société indienne. Ceci permettra de nuancer le poids politico-économique chinois.

- Parvenir à se positionner comme interlocuteur privilégié et indispensable dans les relations Chine-Afrique, impulsées par Hu Jintao et son prédécesseur, Jiang Zemin, et ce en dépit du sous-sol.

- Profiter de la situation de carrefour pour attirer les IDE, profiter également (et entretenir) le climat de confiance et de stabilité relatif au Sénégal, comparé aux tensions présentes en Afrique de l'Ouest (Guinée et Côte d'Ivoire).

- Tirer profit des gisements de fer de la Falémé, du phosphate et du pétrole pour investir dans le secteur public car même les ultra-libéraux du FMI et de la Banque Mondiale le reconnaisse, les biens publics sont indispensables à l'économie de marché. Le Sénégal doit donc investir dans les biens publics, qui sont donc, des jeux à somme positive.

Une perspective non négligeable est la hausse des salaires sur la façade maritime chinoise. L'Afrique et le Sénégal, pourraient profiter de délocalisations occidentales. D'ailleurs, toutes les conditions sont réunies : la langue, la connaissance des marchés, l'implantation déjà plus que centenaire.

Plus présente dans cette économie qu'au premier abord, j'ai donc remarqué cette implantation grandissante, qui a priori, ne faiblira pas ces prochaines années, au contraire.

Le gouvernement sénégalais doit non seulement composer avec la Chine, mais l'intégrer dans sa stratégie de croissance accélérée, car les investissements industriels sont une nécessité.

Les sociétés implantées pourraient également effectuer sur le territoire sénégalais une période de rodage, d'appréhension du marché local et international. Les transferts et échanges de savoirs, de technologies, doivent être la première revendication.

Le gouvernement devra par ailleurs gérer les tensions, si un véritable Chinatown voit le jour. La réaction à moyen terme des Libanais pourrait être pour le moins néfaste.

Le Sénégal doit diversifier ses partenaires économiques et politiques, en tenant compte de la concurrence France-Chine. Je rappelle que la France représente toujours 80 % des IDE. Si

Abdoulaye Wade n'a pas obtenu un partenariat privilégié auprès des États-Unis, la Chine est à l'inverse une réussite diplomatique.

Fort de ses atouts diplomatiques, stratégiques et géographiques, le Sénégal devra trouver sa place dans les relations sino africaines, car s'il n'est pas indispensable au développement de la Chine, l'inverse est moins évident.

N'excluant pas de possibles surenchères dans ces prochaines décennies, il lui faudra anticiper le futur proche, qui pourrait donner un intérêt premier à l'Afrique subsaharienne, étant donné la raréfaction des ressources fossiles. Un engagement plus important des puissances européennes, américaines et asiatiques sur la région subsaharienne, n'est pas à exclure.

L'enjeu pour l'Afrique est donc son organisation politique. La fédération africaine verra t'elle le jour ? L'Organisation de l'unité africaine (OUA) devait selon le Ghanéen Nkrumah y répondre. S'il n'en fut pas ainsi, la question est toujours d'actualité. Par ce moyen, l'Afrique ou du moins l'Afrique subsaharienne qui présente une homogénéité géographique, historique (sans tomber dans le déterminisme par ailleurs), pourrait enfin, d'une unique voix, parler à l'ensemble de la communauté internationale. Les défis, enjeux, conflits pourraient de fait être résolus ou abordés par un organe central.

Il semble évident que l'ensemble des conflits du XXe siècle (en Afrique) ne se limite pas aux frontières tracées par les puissances européennes, leurs règlements ne peuvent donc qu'être régionaux. L'individualisme serait une grave erreur : les États les plus riches (ceux ayant les ressources naturelles) accapareront l'ensemble des flux financiers, contribuant à l'enclavement des pays ne possédant d'économie stable et de produits d'exportations. La Chine comme les autres favorisera les échanges avec les premiers au détriment des seconds.

Le Sénégal est à même de prendre une place importante dans ce défi.

À long terme d'ailleurs, quelle sera la politique africaine de la Chine, dès lors qu'elle aura réintégrer Taiwan et trouvé de nouveaux partenaires commerciaux, de nouveaux fournisseurs de ressources (énergétiques notamment) ? Continuera t'elle de proposer un mode de développement alternatif, différent, lorsque sa classe moyenne sera constituée ? Faut il se méfier de la Chine, car celle-ci ne donnera pas indéfiniment sans recevoir en retour ?

L'État sénégalais doit tenir compte de toutes ces données, clarifier ses attentes, définir ses moyens, et, prendre ses responsabilités. Ce sont les conditions sine qua non.

AnnexeS

1. Annexes

Visites et rencontres officielles

Année 2005

· 25 Octobre : Le conseiller d'État Tang Jiaxuan rencontre au Pavillon empourpré (ville de Zhongnanhai), Cheikh Tidiane Gadio, ministre sénégalais des Affaires étrangères.

· 24 Novembre : Wang Tongqing, le chargé d'affaires chinois par intérim et son équipe sont à Dakar pour la préparation de la réouverture de l'Ambassade de Chine au Sénégal.

Année 2006

· 12 et 13 Janvier : Le ministre chinois des Affaires étrangères Li Zhaoxing et sa délégation se rendent au Sénégal afin d'y rencontrer Macky Sall, le Premier Ministre et son homologue sénégalais Cheikh Tidiane Gadio. La délégation sénégalaise fut composée du ministre d'État, Ministre des Infrastructures, de l'Équipement et des Transports terrestres (Habib Sy), de l'Éducation (Pr. Moustapha Sourang), de la Santé et de la Prévention médicale (Abdou Fall), de l'Agriculture et de la Sécurité alimentaire (Farba Senghor), de la Culture et du Patrimoine historique classé (Mame Birame Diouf), des Sports (El Hadj Daouda Faye), des PME, de l'Entreprenariat féminin et de la Micro-finance (Maïmouna Sourang Ndir), de la Jeunesse et de l'Emploi (Aliou Sow), du ministre délégué au Budget (Cheikh Hadjibou Soumaré) ; des députés de l'Assemblée Nationale Doudou Wade et Abdoulaye Dramé, de directeurs nationaux et hauts fonctionnaires sénégalais.

Il s'agissait pour ces deux équipes ministérielles de se pencher avant tout sur la dette sénégalaise.

· du 2 au 4 Mars : 200 personnalités de divers secteurs économiques (télécommunications, BTP, pharmacie, mines, pêche, agriculture et autres) chinois et sénégalais se rencontrent à Dakar. Parmi eux, Zhao Chuang, directeur adjoint du Département de la Coopération du ministère chinois du Commerce et Mamadou Lamine Niang, le président de l'Union nationale des Chambres de Commerce, d'Industrie et d'Agriculture pour le Sénégal.

· du 24 au 30 Avril : Macky Sall, secrétaire général national adjoint du PDS (Parti Démocratique Sénégalais au pouvoir, A. Wade en étant le président) conduit une délégation en RPC, sur invitation de son homologue, le Parti Communiste Chinois (PCC).

· 25 Avril : L'ambassadeur de la RPC au Sénégal et le ministre des Affaires étrangères sénégalais signent un protocole d'accord concernant le Grand Théâtre national et le Musée des Arts*.

· du 3 au 4 Juin : Le président du Conseil économique et social de Chine (et vice-président de la Consultation politique du peuple chinois), Wang Zong Yu, rencontre, dans le cadre du renforcement des relations entre les deux pays, Mbaye Jacques Diop, le président du Conseil de la République pour les Affaires économiques et sociales. Monsieur W. Zong Yu préside également à cette occasion un colloque international organisé par l'Association internationale des Conseils économiques et sociaux et institutions assimilées (AICESIS).

· 16 Juin : Le ministre de la Culture et du Patrimoine historique classé, Mame Birame Diouf, signe avec le chargé d'affaires de la coopération chinoise, Wang Tongqing, la convention sur le théâtre dakarois.


· du 22 au 28 Juin : Visite d'État de six jours de Abdoulaye Wade, président de la République du Sénégal en RPC où il s'entretient avec le président chinois, Hu Jintao. Il est accompagné de sa délégation ministérielle (Cheikh Tidiane Gadio, Aminata Tall, ministre d'État), Madické Niang à l'Energie et aux Mines, Oumar Sarr au Patrimoine bâti, Construction et Habitat, et Georges Tendeng, de l'Enseignement technique et Formation professionnelle) et de sa femme, Viviane Wade.

· 17 Septembre : L'Association pour l'amitié avec l'étranger de la RPC est reçue par le Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales à Dakar.

· 20 Septembre : A la Chambre de Commerce et d'Industrie dakaroise, la CPAFFC (Association chinoise pour l'amitié avec les peules étrangers) conduite par Wang Yunze, son vice-président, rencontre les membres du CRAES (Conseil de la République pour les Affaires Sociales) et des opérateurs économiques privés sénégalais. Cette visite est organisée par le journaliste et écrivain Adama Gaye. La délégation chinoise s'est par ailleurs rendue au siège de l'Association des écrivains du Sénégal.

· du 3 au 5 Octobre : Le vice-ministre chinois du Commerce, Wei Jianguo, accompagné de hauts fonctionnaires et d'opérateurs économiques négocient durant trois jours l'initiative chinoise du traitement douanier préférentiel (avec le ministre du Commerce sénégalais, Mamadou Diop et les représentants de différents ministères).

· Sommet Chine-Afrique de Beijing, du 3 au 5 Novembre 2006 : Abdoulaye Wade et sa délégation (la ministre d'État, le ministre des Affaires étrangères, le ministre du Commerce, le ministre de la Coopération internationale décentralisée, le ministre de l'Urbanisme, le ministre de la Famille, le ministre des Pme/Pmi, la Directrice générale du Fonds de Promotion économique, le Directeur général de l'Aprosi ainsi que plusieurs conseillers, des syndicats de travailleurs, des jeunes et des représentants du patronat sénégalais : la CNES, le CNP , l'UNACOIS et l'UNACOIS/Def, la Fédération des forestiers) se rendent en Chine. Le secteur privé participe aux travaux du « Haut dialogue des affaires » organisé en marge du sommet. Le gouvernement rencontre leurs homologues chinois. Le chef d'État sénégalais accompagné de l'ambassadeur du Sénégal en Chine, son excellence Pape Khalilou Fall, a, hormis les rencontres gouvernementales, débattu de l'Afrique avec les étudiants de l'Université pékinoise, été reçu par les maires de Shenzhen et Shanghai où il a aussi dialoguer avec les chefs d'entreprises, notamment Huawei. Il s'est enfin rendu à Guangzhou (Canton) où il a reçu un groupe de ressortissants sénégalais établis dans cette ville.

Année 2007

· 2 Avril : Han Qide, l'envoyé spécial de Hu Jintao (qui est le vice-président du Comité permanent de l'Assemblée Populaire Nationale : le Parlement chinois) assiste à l'investiture du président sortant Abdoulaye Wade et aux célébrations du 47e anniversaire de l'indépendance du Sénégal.

* Il est de coutume que, lorsque des projets et aides chinoises sont proposées au gouvernement sénégalais, l'ambassadeur chinois rencontre les personnes mandatées et responsables. Exemple : le 15 Janvier 2007, l'ambassadeur Lu Shaye et le ministre des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, procèdent à un échange de lettres portant sur la remise en état des stades Alassane Djigo de Pikine et Ely Manel Fall de Diourbel.

Sources : Agence de Presse Sénégalaise

Annexe Iii

Liste des produits made in China relevés.
Classement selon leurs fréquences d'achat.

1. Chaussures pour femmes et enfants

2. Perles à colliers

3. Bijoux (colliers, bagues, boucles d'oreilles dont amovibles, bracelets, serre-têtes)

4. Textile d'occasion et neuf pour femmes et enfants (robes, sous-vêtements, chaussettes, bonnets, foulards, châles...)

Autres :

Chaussures pour hommes

Tee-shirts imprimés

Parfums de marque française

Ceintures

Gants

Linges de table

Draps

Napperons

Tapis

Lotions capillaires Rajouts capillaires

Élastiques pour cheveux (enfants et femmes) Baumes à lèvres

Baumes rafraîchissants Cirage

Ballons pour enfants représentant des personnages de Walt Disney

Ballons de football Raquettes de badminton

Sacs à dos dont certains pour enfants

Sacs banane

Posters de personnalités (football, acteurs...) Masques de dessins animés

(Spiderman par exemple)

Jouets électroniques pour enfants

Tenues de sport (baseball par exemple)

Vélos pour enfants

Chambres à air et pneus pour bicyclettes Porte-monnaie et portefeuilles

Couvertures et serviettes de plage

Thermostats (différentes tailles, certains pour enfants)

Biberons

Portes-clés

Fleurs en plastique

Pots de fleurs

Crayons à motifs chinois

Petit électroménager

Ustensiles de cuisine et couverts (vaisselle) Équipements de salle de bain

Équipement de jardins

Allume gaz

Allumettes

Cadres électroniques contenant les représen- -tations des personnages religieux

Socles pouvant contenir les photos de

marabouts (présence de l'inscription chinoise : paix et sécurité sur les bonnes personnes)

Toiles et tableaux religieux

Pinces à linge

Housses de téléphones portables

Téléphones portables

Casques audio

Matériel vidéo et audio (télévisions, magnéto- -scopes, lecteurs DVD, walkman, radios, réveils et transistors)

Lampes (dont halogènes)

Ventilateurs

Outils (tournevis, clés, marteaux, vis : matériel de bricolage)

Parapluies

Figurines du Père Noël

Pétards

Cette liste contenant obligatoirement des oublis montre avant tout l'hétérogénéité des marchandises importées et vendues par les commerçants chinois.

154

158

Annexe IIn. Carte des grands projets. Site Internet de l'APIX - http://www.investinsenegal.com/

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2. Entretiens

Dans un souci d'honnêteté envers mes interlocuteurs, j'ai tenté de retranscrire au mieux leurs mots et idées. C'est pour cette raison que je ne rectifie pas certaines fautes et manquements à la langue française. La majorité d'entre eux n'étant pas enregistrés, certaines informations trop parcellaires ne peuvent être retransmises.

Présence Chinoise au Sénégal :

? Commerçants installés à Dakar

Les réponses étant multiples du fait du caractère quantitatif de cette étude, je ne fournirai ici que les questions posées. J'ai, avec Marie Gaborit, effectué une étude auprès de ces derniers : se reporter au troisième point du chapitre II de la première partie.

? Monsieur Yin

Monsieur Yin nous reçoit (avec Marie Gaborit) dans son luxueux restaurant La Noix d'Or, situé sur la Corniche Ouest, à l'ouest de la presqu'île du Cap Vert.

X.A : Qui êtes-vous ?

M. Yin : Je me définirai comme adepte de Confucius, matérialiste et marxiste-léniniste. Je suis vraiment un mélange. Je viens de la province très riche du Jiangsu. J'ai fait en Chine des études d'agronomie et de la langue française. Ensuite j'ai été envoyé en Afrique pour conseiller les entreprises dans la riziculture afin d'aider le Mali à son indépendance : aides et crédits sans intérêts sur 30 ans. J'ai fait 8 pays africains, le Mali, le Burundi, le Bénin, la Guinée-Conakry puis le Sénégal.

X.A : Vous êtes encore payé par l'Etat chinois ?

M. Yin : Oui je suis retraité de l'Etat j'ai une pension.

X.A : Depuis quand êtes-vous au Sénégal ?

M. Yin : Je suis arrivé il y a 4 ans, je me suis habitué au pays mais toujours pas à tout, pas à la cuisine ! X.A : Vous parlez très bien le français...

M. Yin : Oui j'ai été environ 30 à 40 fois à Paris dans des délégations et j'ai étudié à Montpellier. J'aime beaucoup Honoré de Balzac que j'ai traduit, le mouvement des réalistes. J'aime aussi Tolstoï...

X.A : Comment et pourquoi êtes-vous arrivé à Dakar ?

M. Yin : Je suis arrivé pour travailler avec Sénégal Pêche, ensuite, mon contrat terminé, j'ai crée une société d'export-import et de tourisme. Maintenant j'ai ouvert le restaurant et je crée une société dans le PVC, pour les fenêtres... Ici, c'est encore rare mais c'est moins cher que le fer ou le bois et ça résiste mieux...

X.A : Et quant aux Chinois vivant au Sénégal ?

M. Yin : Il doit y avoir 200 à 250 magasins sur le boulevard donc de 500 à 700 Chinois. Il y a quelques problèmes avec cette population, par exemple, les Sénégalais font des trous dans les murs des boutiques ou des maisons pour voler les marchandises, maintenant, les commerçants dorment dans les mêmes pièces que leurs marchandises.

X.A : Comment parviennent-ils à migrer ici ?

M. Yin : Les nouveaux migrants n'ont pas de visas, ils les achètent aux fonctionnaires corrompus. X.A : Combien ça coûte ?

M. Yin : Un visa c'est 500000 (760 6) et la carte de séjour 1 million (1500 €).

X.A : Les médias occidentaux et français parlent beaucoup de la Chine-Afrique...

M. Yin : Oui pourtant au contraire des Français, les Chinois ne veulent pas quitter la Chine (en faisant une parenthèse sur la Chine et son économie) : Mao lors de la révolution à émis des objections sur la planification. En France ou aux USA, c'est le contraire. On peut pas tout laisser libéral, faut centraliser car l'état peut mobiliser les capitaux, c'est plus rapide et plus simple pour les achats au contraire des capitaux privés... Les produits fabriqués dans les campagnes ne sont pas aux normes internationales, françaises ou américaines. Dans les campagnes, ils achètent les machines, la technologie occidentale pour produire et vendre sur le marché intérieur et le surplus est exporté.

X.A : Les Chinois sont regroupés, organisés ?

M. Yin : Non, les commerçants ne se regroupent pas en association, c'est dur de s'unir. Il y a eut une proposition de se confédérer mais c'est pas possible, les commerçants ont un capital trop faible et sont égoïstes, en plus ils se font concurrence donc les prix chutent.

X.A : Leurs affaires marchent t 'elles ?

M. Yin : Depuis deux ans, ça marche moins car l'UNACOIS met des bâtons dans les roues, ils font pression. Ensuite, le prix du revient augmente, le loyer aussi : avant c'était de 50 (Francs CFA* ou FCFA, soit 76 6) à 100000 (150 €), aujourd'hui c'est 400000 (600 6) et les magasins de 500 (750 6) à 700000 (1050 6).

X.A : Par an ?

M. Yin : Oui. A Gibraltar 3 c'est 350000 (530 6) mais ici c'est plus cher, il y a moins de voleurs. X.A : Et les conteneurs ?

M. Yin : Avant c'était de 7 à 8 millions (10600 € à 12170 6) mais aujourd'hui à cause des douaniers corrompus c'est de 12 à 14 millions (18200 € à 21300 6).

X.A : Et les taxes ?

M. Yin : Elles ont baissé de 5 %, de 25 à 18 % pour tous les Sénégalais en 2006 mais pas pour les Chinois, c'est l'inverse (sous-entendu pour les Libanais et Sénégalais, mais la corruption touche particulièrement les Chinois). X.A : 12 à 14 millions, c'est pour dédouaner les conteneurs ?

M. Yin : Oui, avant c'était de 7 à 8 mais aujourd'hui c'est 14 : il y a les taxes de douanes, la TVA, l'examen des conteneurs, la main d'oeuvre pour le déchargement, le transport Asie-Afrique. En plus, les Chinois vont en Chine inspecter leurs conteneurs et pour savoir quoi exporter au Sénégal, donc environ 2 fois par an ça fait 2 visas par an...

X.A : Combien de temps dure la traversée ?

M. Yin : C'est 35 à 45 jours pour le transport, 3 mois maximum. Aujourd'hui il faut 10 personnes pour chaque conteneur mais avant une seule (sous-entendu, il faut corrompre dix personnes).

X.A : Quels sont les secteurs qui marchent ?

M. Yin : Le textile ça ne marche plus.

X.A : Quel est l'investissement pour investir ?

M. Yin : Il faut de 2 à 3 millions de Yuan (196000 à 294000 6) pour un projet. Par exemple, dans les produits phytosanitaires ou engrais chimiques, on rachète aux Français pour revendre les produits ici.

X.A : Les affaires sont-elles bonnes au Sénégal ?

M. Yin : Non, les Africains ne respectent pas les normes, n'ont pas de parole, je n'aime pas travailler avec eux. Ils pensent que les aides sont normales, ils comptent dessus, ils attendent des dons. Mais il faut faire de la collaboration internationale, si les Chinois investissent, il faut un retour sur investissement. Moi je respecte la pensée de Confucius, je respecte mes parents, les règles, la moralité.

X.A : Avez-vous des enfants ?

M. Yin : Oui j'ai deux filles dont une qui est mariée avec un Japonais...

X.A : Et lors de la reconnaissance de Taiwan par le Sénégal, y a-t-il eut des conflits ici ?

M. Yin : Non pas de réels problèmes, mais il n'a fallu qu'une semaine pour vider l'ambassade ! (sous-entendu, l'ambassade de Taiwan à été vidée de ses locaux en une semaine, afin d 'y accueillir les Chinois de la République Populaire de Chine en 2005 lors de la réhabilitation)

X.A : Pour revenir à la Chine-Afrique, quelle est votre position ou comment voyez-vous cette relation (on parle de pillage ou au contraire de co-développement) ?

M. Yin : Les votes africains ont beaucoup aidé la Chine à obtenir son siège à l'ONU, c'est une raison de du soutien Chinois en Afrique. Mais il y a beaucoup de propagande occidentale contre la Chine. Ici, c'est tout petit, au Nigéria, ils sont 50000, en Algérie 100000. Ici c'est comme en Côte d'Ivoire.

X.A : Et les produits made in China sont de plus en plus visibles en Afrique...

M. Yin : Grâce à la concentration humaine, les produits sont pas chers et tout le monde est équipé. X.A : Mais les détracteurs dénigrent ces produits qui seraient de qualité médiocre...

M. Yin : C'est certain qu'ils sont de mauvaise qualité mais que veux-tu, les Sénégalais achètent et demande des qualités toujours moins chers, alors les Chinois fournissent. C'est l'offre et la demande. Mais en Chine on fabrique et achète des produits de meilleure qualité.

X.A : Le Sénégal est t 'il une plateforme pour la sous-région ?

M. Yin : Non, il n'y a pas de réelle possibilité d'exporter vers la sous-région. Un peu avec la Gambie.

Fin de l'entretien, salutations d'usage

* 1 Euro est égal à 655, 957 FCFA.

? Madame Yin

Madame Yin nous reçoit (avec Marie Gaborit) au restaurant. X.A : En quelle année êtes-vous arrivée au Sénégal ?

Mme Yin : Je suis arrivée en 1998.

X.A : Quelles études avez-vous faites ?

Mme Yin : J'ai étudié à Chicago, l'économie (The University of Chicago Graduate School of Business). X.A: Dans quel secteur travaillez-vous ?

Mme Yin : Dans le textile.

X.A : Depuis combien de temps ?

Mme Yin : Depuis cinq ans.

X.A : Vous importez de Chine ?

Mme Yin : Oui, selon la demande sénégalaise, je fais fabriquer les produits en Chine. Ces produits sont réservés à l'export, en Chine, on n'achète pas ce type de textile.

X.A : Pourquoi ne pas produire sur place ?

Mme Yin : C'est la même manière de tisser donc on n'a pas besoin d'investir ici. Par contre, c'est du coton égyptien, car les fils chinois sont trop courts. Il y a environ trente chaînes de montages pour la wax, mais on ne la vend pas au Sénégal, c'est trop cher (tissu africain traditionnel, est vendu au Mali et au Nigéria par exemple). Au Nigéria, c'est le Chan Group qui vend, c'est une grosse industrie reconnue.

X.A : Avez-vous des magasins ?

Mme Yin : J'ai un magasin à Yoff (nord de la presqu'île du Cap Vert) et deux boutiques à l'angle El Hadj Abdoukarim Bourgi et Lamine Guèye (plateau de Dakar).

X.A : Mais comment faites-vous pour créer les motifs spéciaux ?

Mme Yin : Pour le design, je copie les motifs et les reproduits en Chine. En Afrique, ils ont un meilleur sens des couleurs. On ne peut pas inventer. On ne crée pas. Pour le batik (technique de teinture du tissu), ce n'est pas la même technologie, on achète le tissu et on peint dessus.

X.A : Est-ce rentable d'investir au Sénégal ?

Mme Yin : Non, la main d'oeuvre est trop chère, en plus ce n'est pas un grand marché, ce n'est pas intéressant. Par exemple, en Inde, c'est de meilleure qualité mais on produit pourtant en Chine car on veut les prix les plus faibles. X.A : Où sont situées les usines ?

Mme Yin : Elles sont dans la province de Shandong (Nord-Est) où il y a une longue histoire du textile. X.A : Vous importez tout de Shandong ?

Mme Yin : J'importe du bazar, la wax c'est moins rentable et trop cher pour les Africains. La wax c'est moins de 10 % du marché au Sénégal. Avant 12 yards (unité de mesure) c'était 9500 (15 6) aujourd'hui c'est 7000 (10 €), il n'y a plus de bénéfices pour personne. Je suis la première à avoir importé de Chine la wax et j'ai donc fait baisser les prix. Les Sénégalais veulent toujours moins 100 francs (CFA) mais avant (l'arrivée des Chinois) c'était plus cher, et en plus ils payent le tailleur pour 4000 francs (6 €) ! Au Mali, ils font la différence mais pas ici, ils ne paient pas pour la qualité. Ici ils veulent des prix bas donc la qualité est basse et on change les produits. En Chine, c'est la fabrique du monde, les produits sont importés, transformés et exportés, pas vendus dans le marché intérieur, c'est juste pour la main d'oeuvre.

X.A : Vous vendez en gros, détail ?

Mme Yin : En gros et par conteneur, il me suffit de trois clients qui ont des boutiques, comme ça je récupère mes crédits facilement.

X.A : Vous faites crédit ?

Mme Yin : Non, comme ils n'épargnent pas, je ne fais pas d'avances, il faut être clair dès le début. Par exemple si une femme est enceinte, elle ne l'est pas d'hier ! Par contre, pour les maladies c'est de l'imprévu, donc je fais des avances sur salaire.

X.A : Que pensez-vous du contexte économique ?

Mme Yin : Ici, il y a un problème immobilier, c'est trop libéral, en plus il n'y a pas d'industries, de ressources contre l'inflation générale, donc... Il y a toujours des problèmes d'argent, ici, il n'y a rien, il faut tout importer, donc le Sénégal doit toujours de l'argent, il investit donc la balance commerciale... Le droits de douanes sont élevés donc les produits importés ne sont pas réexportés vers la Gambie qui est un port franc, ou Cotonou. Pourtant, le prix du transport (Asie-Afrique) n'est pas cher, c'est moins de 10 % du prix total.

X.A : A combien s'élèvent les taxes ?

Mme Yin : Pour le textile c'est environ 50 %. Il n'y a pas de bons économistes, le gouvernement est trop

libéral.

X.A : Combien de Chinois sont dans ce secteur ?

Mme Yin : Il y a trois Chinois. Les Sénégalais vont acheter en Chine aussi. Dans le secteur de l'habillement, 70 à 75 % vient de Chine, le reste d'Inde, du Pakistan, d'Indonésie, de Thaïlande et 1 % d'Europe. Ici, ils gaspillent : quand ils ont besoin de six yards, ils en achètent 8, plus le tailleur qui gaspille... Donc maintenant quand ils ont besoin de 6 yards, je vend 4.

X.A : Vous partez en Chine pour les achats ?

Mme Yin : Oui, mon mari est trop occidental, il se ferait rouler. Je rentre 2 à 3 fois par an. Ici, la productivité est faible, en Chine, ils travaillent huit heures avec juste cinq minutes de pause toilettes. Ici, il faut trois fois trente minutes pour la prière, ils font la sieste, ils ne travaillent pas le week-end...

X.A : Quels sont vos projets ?

Mme Yin : Une usine de bois et un investissement avec un Libanais en Gambie (dans le textile). X.A : Y a-t-il une organisation chinoise ?

Mme Yin : Non, l'ambassade m'a demandé mais je ne veux pas car il n'y a pas de reconnaissance, pas de retours, ils sont trop individualistes (les commerçants Chinois).

X.A : Vos employés dans le restaurant sont Chinois (en cuisine, les serveurs sont Sénégalais) ?

Mme Yin : Oui, ils restent deux à trois ans pour se faire de l'argent et rentrent car ils n'ont pas de dépenses, ils sont logés, nourris, blanchis, contrairement en Chine où le logement est très cher en ville. Ici, les Sénégalais profitent des Chinois, ils multiplient par 10 % les loyers mais ce n'est pas normal, on ne loue pas pour six mois ou un an. Moi je loue pour dix ans.

X.A : Que pensez-vous de l 'UNA COIS ?

Mme Yin : Les Chinois gèrent mal leur implantation, ils font trop de bruit, il ne faut pas faire de commerce de détail, toujours faire en gros sinon il y a des problèmes (les prix sont tirés vers le bas) et sont en première ligne. L'UNACOIS est contre le détail mais les Sénégalais pensent que deux ou trois articles c'est déjà du gros !

X.A : Les Libanais ?

Mme Yin : Eux ils ont des prix fixes, sont organisés... Les Chinois grignotent leurs marges pour avoir plus de clients, donc il y a concurrence entre eux.

X.A : La politique des Chinois est mauvaise ?!

Mme Yin : Oui elle est suicidaire à long terme !

X.A : Et plus largement, en Afrique ?

Mme Yin : Les Chinois en Afrique sont là depuis longtemps, ce n'est pas une nouveauté, mais il n'y a pas de nouveaux marchés : ils sont trop pauvres.

Fin de l'entretien

? Mission Économique Chinoise

Après une rapide présentation (étudiant à l'IFG, faisant une étude de terrain sur la présence Chinoise au Sénégal) qui est de fait effectuée à chaque début d'entretien (c'est pour cette raison que je ne le rappellerai pas), le jeune homme se présente :

Je m'appelle Liou.

X.A : Quelle fonction occupez-vous ?

M. Liou : J'ai le statut de diplomate.

X.A : Quel est votre parcours ?

M. Liou : Je suis arrivé il y a huit mois. Je suis de la province de Shandong. J'ai étudié le français et le commerce à l'Université de Pékin. Je travaillais au Gabon et au Tchad pour une société de prospection internationale. X.A : Pourquoi l'Afrique ?

M. Liou : C'est sur ordre du gouvernement...

X.A : Quel est le but de cette mission économique au Sénégal ?

M. Liou : On intervient auprès des entreprises...

X.A : Lesquelles ?

M. Liou : China géologique dans la construction à Dakar, dans l'informatique, les télécommunications. X.A : Combien de Chinois travaillent pour ces entreprises ?

M. Liou : Environ trente personnes pour chacune.

X.A : Sinon, que faites vous ?

M. Liou : Le but est de promouvoir les relations sino-sénégalaises avec le ministère des Affaires étrangères. X.A : Vous avez des relations avec d'autres ministères ?

M. Liou : Oui, le ministère de l'Économie et des finances, du commerce, de l'agriculture, dans quasiment tous les domaines... Nous travaillons aussi à la réhabilitation des relations Chine-Sénégal, dans le domaine médical, de l'agriculture, du BTP. Nous proposons aussi une assistance gouvernementale pour le développement du Sénégal.

X.A : Vous avez des exemples ?

M. Liou : Les travaux du grand théâtre de Dakar : un appel d'offre à été lancé et c'est une entreprise chinoise qui l'a pris.

X.A : Donc, des employés Chinois sont sur ce chantier ?

M. Liou : Des techniciens, les ouvriers sont sénégalais. C'est un cadeau offert par la Chine lors de la réhabilitation. La mission économique à un rôle d'intermédiaire.

X.A : Quelles sont vos relations avec les ministères ?

M. Liou : C'est difficile, on a des difficultés pour se comprendre, ils ont leur point de vue, leurs idées, leurs manières de faire, ça prend du temps, ils sont entêtés.

X.A : Il y a beaucoup de corruption au niveau gouvernemental, particulièrement...

M. Liou : Des fois on accepte les bakchich, car on est au Sénégal...

X.A : Quel est votre rôle dans le domaine médical ? Avant la reconnaissance de Taiwan par le Sénégal, la Chine formait des médecins à Ziguinchor, à l'hôpital Silence.

M. Liou : Maintenant, on s'installe dans l'hôpital de Pikine (Est de Dakar) à cause de l'instabilité (en Casamance).

X.A : Et en agriculture ?

M. Liou : C'est des experts agronomes qui viennent, une dizaine, ils font un roulement.

X.A : Dans quelle région ?

M. Liou : Ils sont installés près du lac Rose (Est de Dakar).

X.A : Que font-ils ?

M. Liou : Ils donnent une assistance technique, des cours, forment. Ils vont dans les campagnes donner des cours pour le riz et les légumes. Ça marche bien, même si la terre est trop salée ou sablée. On apporte la technique. Sinon on forme des fonctionnaires Sénégalais, une trentaine déjà.

X.A : Dans quels domaines ?

M. Liou : Dans différents domaines car plusieurs ministères. Le domaine administratif, pour la gestion. Mais on n'est pas encore très bien installé.

X.A : Quels sont les fonctionnaires choisis ?

M. Liou : On adresse une note verbale au ministère des Affaires étrangères et il transmet aux différents ministères.

X.A : Combien de Chinois vivent au Sénégal et à Dakar ?

M. Liou : Ils vivent tous à Dakar. Je dirai environ 800. Les commerçants viennent du Henan (centre-Est de la Chine, province pauvre). Ceux qui travaillent pour les entreprises viennent de partout.

X.A : Et comment se développent les relations ?

M. Liou : Très rapidement, Wade est venu deux fois en Chine. On accorde 40 visas par jour pour les Sénégalais, depuis 2005. En fait c'est pour promouvoir les projets dans le cadre des accords bipartites. Donc on donne une assistance au Sénégal pour les projets.

X.A : Avant l'arrêt des relations, la Chine construisait, enseignait... A ujourd 'hui, c'est donc la même volonté ? M. Liou : Oui, par exemple, on va remettre en état les onze stades du Sénégal.

X.A : Le gouvernement n'a pas de problèmes avec Wade étant donné qu'il se tourne beaucoup vers les États-

unis ?

M. Liou : Il va gagner aux élections.

X.A : Et concernant la parenthèse avec Taiwan ?

M. Liou : Il n'y aurait pas eu de réhabilitation si le Sénégal n'avait pas arrêté avec Taiwan.

Fin de l'entretien

? PETROSEN ou Senegal National Oil Company

X.A: Bonjour, je vais vous demander votre nom...

Bonjour, je m'appelle Mamadou Ka.

X.A : Et que faîtes vous à Petrosen ?

M. Ka : Je suis géologue à l'exploration.

X.A : Vous pouvez me parler des ressources pétrolifères au Sénégal ? (Il me montre la carte des blocs et permis du bassin sédimentaire sénégalais)

M. Ka : Selon les couleurs, les blocs sont attribués aux différentes sociétés. Donc lorsqu'une zone est marquée permis c'est qu'une entreprise est sous contrat et qu'elle prospecte. Il n'y a que dans la zone AGC (Agence de Gestion et de Coopération) qu'on exploite (Sud-Ouest du Sénégal, au large de la Guinée Bissau) mais le pétrole est lourd (donc l'extraction est moins rentable).

X.A : Qu'est ce que la phase de prospection ?

M. Ka : C'est l'étude du sous-sol. Tous les blocs sont en état de prospection, hormis l'ACG où on a donc trouvé du pétrole.

X.A : Quelles sont ces sociétés ?

M. Ka : Al Thani est basée à Dubaï elle est dans l'immobilier ; Hunt Oil c'est américain, de Dallas ; Fortesa est Américaine également, Maurel & Prom c'est Français, Energy Africa était Malaisienne mais elle a été rachetée par une société irlandaise, Edison c'est Italien.

X.A : Combien de puits sont déjà installés ?

M. Ka : A l'heure actuelle entre 140 et 142.

X.A : Et quelles sont les réserves estimées ?

M. Ka : A environ 5OO à 1 milliard de barils.

X.A : Et le pétrole prospecté est facile à exploiter ?

M. Ka : Disons que pour l'instant ce n'est que du off-shore, mais ce n'est pas trop profond, environ 200 mètres au maximum. Par contre, il y a une zone sismique à Rufisque, et là c'est profond.

X.A : Et concernant le gaz de Thiès ?

M. Ka : A Thiès, on exploite 60000 mètres cubes par jour.

X.A : Oui, on l'a vu, en Mauritanie, le pétrole rapporte, enfin commence à rapporter une manne, certains détracteurs de Wade lui reproche de ne pas dévoiler les véritables ressources...

M. Ka : En fait, on est attractif, on a une législation de 1998. Mais il faut tout faire pour faire venir les gens,

pour les impôts. D'ailleurs, en Mauritanie, au nord du fleuve Sénégal, c'est une société chinoise qui prospecte.

X.A : La CNPC (China National Petroleum Corporation) ? Il y aurait donc du pétrole dans le bloc de Louga ?

M. Ka : Oui la CNPC et il faudrait prospecter à Louga mais il n'y a encore aucune entreprise intéressée. X.A : Quelles sont les mesures incitatives ?

M. Ka : Par exemple, il n'y pas de taxes lors de l'exploration, d'ailleurs on prospecte pour eux. X.A : Et qu'en est t 'il de la région de Tambacounda, au sud-est ?

M. Ka : Elle est prometteuse !

X.A : Oui, le terrain est très faillé, ils ont trouvé du gaz...

M. Ka : Oui mais le problème c'est le transport, il faut créer une autoroute, un port en Casamance... Ce sera long et coûteux !

Fin de l'entretien

Entreprises

? Nouvelle Société du Textile Sénégalais (NSTS)

X.A : Bonjour, quelle fonction occupez-vous à NSTS ?

Bonjour, je suis le secrétaire.

X.A : Et vous vous appelez...

Diongue.

X.A : Très bien, quelles sont les principales activités de NSTS ?

M. Diongue : On pratique la filature, le tissage, le tricotage, la confection, l'anoblissement (teinture et impression). En fait on est présent de la fibre jusqu'au vêtement.

X.A : En quelle année a-t-elle été créée ?

M. Diongue : En 1991, en 2002 on a fusionné avec INCOSEN.

X.A : Et quel est votre Chiffre d'Affaire (C.A) ?

M. Diongue : Le C.A est de 2 milliards (environ 3 millions d'euros).

X.A : Que pensez-vous des entreprises chinoises dans ce secteur ?

M. Diongue : C'est de la concurrence déloyale ! Au niveau de la main d'oeuvre, de l'électricité, des marges bénéficaires, des ingrédients, et cætera ! A cause d'eux nos activités sont gelées ! C'est pas un coût analytique, les prix et marges sont fixés.

X.A : Et comment ces Chinois peuvent-ils vendre à des prix si bas ? Certains vêtements sont vendus au même prix que la matière première, comment l'expliquez-vous ?

M. Diongue : Ils se concertent avec le gouvernement ! En plus ils engagent des prisonniers condamnés aux travaux forcés !

X.A : Et que fait le gouvernement sénégalais pour garder ces activités ?

M. Diongue : Rien, avant, en 1986, il y avait une commission textile, toutes les importations textile étaient soumises à une commission. En plus il y a la concurrence de la Gambie.

X.A : Le textile est acheminé au port franc de Banjul ?

M. Diongue : Oui mais ils fabriquent aussi, ils sont moins chers que les Sénégalais.

X.A : Comment vous employez-vous pour faire pression sur le gouvernement ?

M. Diongue : Justement, là on gèle les activités pour faire pression. On a fermé quatre usines. X.A : Lesquelles ?

M. Diongue : Deux a Thiès, une à Louga et une à Kaolack.

X.A : Vous êtes soumis aux mêmes taxes que les Chinois ?

M. Diongue : Oui mais elles ne sont pas assez fortes pour délocaliser.

X.A : Quelle est votre position par rapport à l 'UNA COIS ?

M. Diongue : On est avec eux.

X.A : Et que faudrait-il pour relancer la production ?

M. Diongue : Il faut réinstaurer la commission textile. Elle agréait ou non.

X.A : C'est-à-dire ?

M. Diongue : Si un tee-shirt chinois était vendu à 300 francs ici et que nos tee-shirts étaient au même prix, les commissaires rejetaient le produit chinois.

Fin de l'entretien

? Société des Mines de Fer du Sénégal Oriental (MIFERSO)

Bonjour, je suis X.A, étudiant...

Bonjour ! Macoumba Diop, géologue.

X.A : Qu'est ce que la MIFERSO ?

M. Diop : C'est une société étatique autonome. Nos activités c'est majoritairement pour l'Etat. X.A : Quelles sont les sociétés intéressées par le gisement dans la région de Tambacounda ?

M. Diop : Il y en a plusieurs. Mitsubishi, Mettal Steel, Kumba Iron Ore (Afrique du Sud) et une entreprise

chinoise.

X.A : Quelle est l'estimation des réserves ?

M. Diop : Les réserves certifiées sont à 450 millions de tonnes.

X.A : Et les réserves potentielles ?

M. Diop : Les réserves probables sont à 750 millions. Mais pour qu'une entreprise prenne le marché il faut que ces réserves soient certifiées.

X.A : Quelle somme représente cette extraction ?

M. Diop : En tout environ 2 milliards de dollars.

X.A : J'ai lu dans la presse que pour extraire le fer, l'Etat envisage de moderniser le port en Casamance ?

M. Diop : En fait il y a quatre composantes dans ce projet : il y a la mine, le chemin de fer à construire vers le port qu'il faut donc moderniser et la sidérurgie.

X.A : Et à quelle date le gisement sera exploitable ?

M. Diop : D'ici deux ans minimum mais l'exportation en elle-même d'ici quatre ans. C'est le gisement de fer de la Falémé pour préciser.

X.A : Y a t'il d'ores et déjà des sociétés sur le terrain ?

M. Diop : Oui, la Kumba pour certifier les réserves. Si les 750 millions sont prouvées, la durée de vie de la mine sera donc de trente années au rythme d'une exploitation de 25 millions par année.

X.A : Selon vous, quelle est la mieux placée ?

M. Diop : Kumba et Mittal je pense. Peut être un joint venture ?!

Fin de l'entretien

? China Shipping Container Lines Shenzen Co., Ltd Dongguan Branch (CSCL)

Bonjour, comment je vais tout d'abord noter votre nom s'il vous plait.

Bonjour, je suis Sogui Diop.

X.A : Quelles sont les activités de votre entreprise ?

S. Diop : On fait de la manutention, consignataire, transitaire. On est un agent maritime en quelque sorte. X.A : Lorsque j'étais venu la première fois, votre collègue m 'a informé de votre voyage en Chine...

S. Diop : Oui, c'est mon deuxième voyage. Je ne suis agent que depuis un an.

X.A : Et que faisiez-vous ?

S. Diop : C'est une réunion d'agences avec 150 personnes de partout dans le monde.

X.A : Vous parlez chinois ? Quelle est votre qualification ?

S. Diop : Eh non, c'est trop difficile ! Sinon je suis agent importateur.

X.A : Et depuis quand est t 'elle créée ?

S. Diop : Depuis les années 1970.

X.A : Vous pouvez m'expliquer l'objet de l'entreprise ?

S. Diop : En fait, CSCL est un armateur basé à Shanghai, ici on représente les agents de Dakar. X.A : Et combien de navires la société possède t 'elle ?

S. Diop : Environ 70.

X.A : Qui font le transit Chine-Sénégal ?

S. Diop : Non, ici c'est juste un bateau tous les quinze jours.

X.A : D'accord. Et combien de conteneurs ?

S. Diop : C'est 4000 conteneurs, dont 200 pour Dakar. On en prévoit jusqu'à 400.

X.A : Quel est le trajet des transporteurs ?

S. Diop : C'est Dakar, Côte d'Ivoire, Ghana et Nigéria. Il y a différents conteneurs : 20 pieds c'est 18 tonnes et 40 pieds c'est 25.

X.A : Quels sont les produits exportés, importés ?

S. Diop : C'est surtout du divers, par exemple de l'habillement pour l'import et du coton, sel et poisson à l'export. Mais il y a beaucoup d'armateurs qui importent et exportent vers la Chine, par contre on est le seul pavillon chinois.

X.A : J'ai lu dans la presse, Jeune Afrique pour le citer, que le gouvernement chinois est en instance de créer une nouvelle route commerciale vers l'Afrique de l'Ouest pour éviter l'Espagne ou l'Italie...

S. Diop : Non, je ne suis pas au courant. Nous, on vient d'Anvers vers Dakar. Mais dans tous les ports, Côte d'Ivoire, Ghana, Nigéria, Afrique du Sud, on a des agents représentants.

X.A : Et que pensez-vous des Chinois, de la Chine ?

S. Diop : Je trouve ça très intéressant de travailler avec eux. C'est un grand peuple, ça me fait plaisir. X.A : Existe-t-il des armateurs avec des liaisons plus régulières ?

S. Diop : Oui par exemple Delmas il y a des bateaux réguliers, toutes les semaines.

Fin de l'entretien, c'était l'heure de la prière.

Syndicats et représentations

? Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal (UNACOIS)

Je suis reçu par Ismaël Dikhaet, secrétaire départemental de la région Dakar pour l'UNACOIS. En attendant le président Moustapha Sakho, il m'explique son statut et ses activités. Il est président de la section UCAD de l'UNACOIS (pour l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar). Il est présent à l'Union depuis deux ans et représente les prestataires de services de l'Université. Arrive donc le directeur général.

X.A : Quelle est la date de création de l 'UNACOIS ?

M. Sakho : De 1989. C'est le plus grand syndicat, on compte 100000 membres.

X.A : Comment devient-on membre ?

M. Sakho : Il faut être commerçant et acheter la carte 2000 francs (3 euros) et cotiser à hauteur de 5000 (7,60 euros) à un million (1500 euros) selon la taille de l'entreprise.

X.A : Vous êtes subventionné ?

M. Sakho : Non.

X.A : Pourquoi intègre t 'on l 'UNACOIS ?

I. Dikhaet : Pour le dynamisme ! Avec l'UNACOIS, on a un réel poids...

X.A : Et ce sont donc toutes les entreprises ou commerçants...

M. Sakho : Oui, des entreprises informelles aux PME.

X.A : Vous êtes donc le relais politique des commerçants ?

M. Sakho : Oui, avant, il y avait des contraintes, on était pourchassé dans nos limites, et les commerçants allaient plutôt voir les marabouts. Mais mieux vaut se réunir !

X.A : Parlez-moi de la grève et des manifestations anti-chinoises...

M. Sakho : Eh bien, pendant trois jours on a fermé les boutiques, on a fait un blocage sur tout le territoire, le pays était bloqué et l'état a eu peur ! Mais on a fait d'autres grèves, pour le riz : le prix du riz était géré par l'état mais les commerçants voulaient libéraliser le prix et on avait le soutien de la Banque Mondiale donc la filière s'est libéralisée même si le riz est importé.

X.A : Le Sénégal est producteur pourtant le riz est importé...

M. Sakho : Oui, mais aujourd'hui il y a le choix, il n'y a plus de rupture, il y a différentes qualités. Avant, on n'avait qu'un choix, maintenant, on mange du riz thaïlandais, vietnamien...

X.A : Au sujet des commerçants Chinois ?

M. Sakho : La grève de 2004 était contre les Chinois et contre le sucre. Une entreprise française ne devait pas importer juste produire sur place, en plus elle a le monopole, ce n'est pas encore libéralisé.

X.A : Il y avait combien de Chinois lors de la grève ?

M. Sakho : En 2003, ils étaient une dizaine mais depuis ils augmentent tous les ans ! On veut briser leur mécanisme, leur stratégie.

X.A : Expliquez-moi...

M. Sakho : Ils ne vendent que des produits chinois, fabriqués par eux-mêmes, au Cameroun c'est différent. On parle même du mouton chinois importé pour les fêtes !

X.A : Que pensez-vous des produits made in China ?

M. Sakho : C'est de la qualité zéro. En plus leurs produits sont pas règlementés, les jouets et chaussures par exemple ne répondent pas aux conditions tropicales.

X.A : La qualité est mauvaise mais c'est la demande qui détermine l'offre...

M. Sakho : Oui la qualité est nulle mais il faut faire en sorte que les bons produits soient accessibles par tous. X.A : Comment expliquez-vous l'implantation des commerçants chinois sur le boulevard (du général de Gaulle) ?

M. Sakho : C'est évidemment parce que le boulevard est bien entretenu, c'est une fierté à Dakar le boulevard ! En plus, ici ils sont accessibles, le toubab (Blanc en wolof) n'est pas trop accosté.

X.A : Ils logent également à Gibraltar (quartier résidentiel jouxtant le boulevard)...

M. Sakho : Ils occupent toutes les maisons parce qu'ils payent jusqu'à un million et demi (plus de deux milles

euros) !

X.A : Et concernant les douanes ?

M. Sakho : On nous a dit que les Chinois produisaient eux-mêmes sur place !

X.A : C'est-à-dire ?

M. Sakho : Ils montent eux-mêmes les produits dans leurs commerces ou maisons, ce sont de petites industries ! Ils déchargent même la nuit pour ne pas se faire voir !

X.A : Et en ce qui concerne les conteneurs ?

M. Sakho : Ils déclarent la moitié et passent sans payer toutes les marchandises.

X.A : Comment se passe l'arrivée au port ?

M. Sakho : Au départ, c'est un Sénégalais qui dédouane car le conteneur est au nom d'un Sénégalais, c'est un intermédiaire qui dédouane...

X.A : Et pendant l'arrêt des relations ?

M. Sakho : Là c'était des semi-clandestins, venus comme touristes donc en situation irrégulière. X.A : J'ai appris que les Chinois achètent leurs passeports...

M. Sakho : C'est vrai. Le premier Sénégalais qui a travaillé avec eux a gagné beaucoup d'argent, il a même appris le chinois.

X.A : Il s'appelle comment ?

M. Sakho : Moustapha mais il est en France maintenant !

X.A : Et vous avez des relations avec la mission économique chinoise ?

M. Sakho : L'année dernière l'ambassade de Chine est venue pour résoudre les problèmes. Aujourd'hui on a plus de relations.

X.A : Vous aviez interpellé le gouvernement ?

M. Sakho : Oui, Wade. Il nous avait dit qu'on peut pas interdire les Chinois parce qu'il y a des Sénégalais partout dans le monde. Il y a des Sénégalais en Chine qui font du transit...

X.A : D'accord. J'ai appris que les Chinois se font concurrence entre eux... M. Sakho : Oui ils vendent au même prix en gros ou en détail ! Il y a un problème, tout le monde qui dit vendre

en gros vend en détail dans des boutiques ! A cause d'eux, on ne trouve plus de bonnes ! Elles viennent travailler une

journée et l'autre elles vont acheter sur le boulevard pour tel prix et revendent dans les quartiers.

X.A : Donc, ils créent de l'emploi ?!

M. Sakho : On peut dire ça mais juste entre 300 et 500. Ce n'est pas bien, c'est de l'informel, ils ne payent pas d'impôts... Maintenant c'est fini, avant on avait des rues qui nous appartenait !

X.A : Concernant les Libanais...

M. Sakho : Eux, ils participent à la vie locale, les Chinois ne dépensent pas, ils importent même le papier toilette ! Ils ne vont pas à la banque, il y a une fuite des devises qui sont converties en dollar et rapatriées en Chine !

X.A : Vous ne voulez aucun Chinois à Dakar ?

M. Sakho : Peut être pas mais il faut réglementer, les limiter sinon demain ils seront dans toutes les villes. A terme, leurs cartes de séjour ne doivent pas être renouvelées, il faut rester à 800 comme nous l'avait promis Wade mais les douanes ont augmenté les cartes de séjour. Il faut des commissions, multiplier par deux pour les obliger à partir d'eux-mêmes. Les Chinois n'achètent pas leur marchandise : on leur envoie de Chine et lorsqu'ils ont vendu, ils rapatrient les devises. Le gouvernement chinois les incite : il y a un système pour envoyer les Chinois ailleurs : ils sont subventionnés par l'état. Ce sont des éclaireurs !

X.A : Et à quelle fréquence les conteneurs arrivent-ils à Dakar ?

M. Sakho : De Chine, en moyenne une dizaine par jours.

X.A : Comment réagi la Chambre de Commerce ?

M. Sakho : Elle nous soutient, les artisans en ont assez, ils ne vendent plus.

X.A : S'ils ne vendent plus c'est parce que leurs prix sont trop hauts par rapport à la concurrence ?! M. Sakho : Oui, les Sénégalais ne peuvent pas payer les bons produits.

X.A : En Afrique, les commerçants Chinois s'implantent de plus en plus, est-ce positif ?

M. Sakho : Non, pas du tout, cela fait du chômage, surtout pour les petits commerçants.

X.A : Et qu'elle est l'évolution possible pour ces prochaines années ?

M. Sakho : Il est certain que si le gouvernement laisse les Chinois s'installer ils seront des milliers, comme aux Etats-Unis ou en France !

X.A : Enfin, pourquoi ne pas fédérer les deux UNA COIS pour faire pression, d'un bloc, sur le gouvernement ? M. Sakho : C'est tout à fait vrai, en février, nous allons tenter de nous réunir pour être plus gros et ainsi avoir une parole forte avant et après les présidentielles.

Fin de l'entretien, salutations d'usage.

? UNACOIS-Développement économique et financier

Je me présente aux locaux de l'UNACOIS-DEF situés en plein centre du quartier commercial du Plateau de Dakar. Les deux hommes finissant leur prière sur un tapis placé dans une grande cour m'envoie Oussynou Niang, le secrétaire permanent.

X.A : Bonjour, je suis passé à l 'UNA COIS sur le boulevard. J'aimerai connaître votre point de vue quant au fait chinois et notamment sur les commerçants.

O. Niang : Oui, comme l'UNACOIS, on est monté au créneau pour interpeller les pouvoirs publics. Pour la commission d'implantation des migrants. Même si avant cette époque, on n'avait pas de relations avec le gouvernement chinois.

X.A : C'est l'époque de Taiwan ? Et vous n'aviez aucune relation ?

O. Niang : Oui mais on avait tout de même des relations commerciales.

X.A : Que pensez-vous de ces Chinois ?

O. Niang : C'est de la concurrence déloyale ! C'est un géant !

X.A : Et concernant les commerçants ?

O. Niang : Pour eux, ils ont vu leur chiffre d'affaire baisser de plus en plus.

X.A : Vous avez donc participé à la marche ?

O. Niang : Oui mais elle n'était pas autorisée, pendant la grève, tous les rideaux étaient baissés. X.A : Que diriez-vous des produits made in China ?

O. Niang : C'est un problème car ce sont des produits de pacotille !

X.A : Pourtant les Sénégalais se déplacent en Chine pour importer ?!

O. Niang : Oui mais ils ne sont plus concurrentiels ! Pourtant le Sénégal a signé la loi anti-dumping ! Mais la matière première est au même prix que les produits finis, donc les commerçants Sénégalais sont toujours pénalisés. Les produits ne sont pas certifiés, c'est de la pacotille et il n'y a pas de structure qui règlemente.

X.A : Comment arrivent-ils à vendre ces produits à de tels prix ?

O. Niang : C'est parce qu'ils importent des pièces détachées. Pas des produits finis. Ils fabriquent sur place,

sous les comptoirs, ils ont des usines de transformation, de montage. C'est un système mystérieux, opaque !

X.A : Mais les Sénégalais n'achètent de toute manière aucun produit de qualité, ils préfèrent acheter le même

produit trois fois par an mais à un prix très bas.

O. Niang : Oui mais avant le Sénégalais avait le goût de la qualité, aujourd'hui c'est juste un besoin de se satisfaire.

X.A : Et les Libanais ?

O. Niang : Eux ils sont sérieux, ils vendent de la qualité mais ils ne sont pas non plus épargnés par les Chinois donc ils collaborent avec eux.

X.A : Comment cela ?

O. Niang : Ils achètent ensemble un conteneur et vendent les mêmes produits.

X.A : Par exemple ?

O. Niang : Le Sénégalais lambda ne fait pas la différence entre la mauvaise et bonne qualité. C'est dans tous les domaines mais aujourd'hui on ne fait plus la différence entre un robinet français et chinois, la copie est excellente.

X.A : Pour les Chinois, comment font-ils pour investir alors qu'ils viennent majoritairement d'une province très pauvre, paysanne ?

O. Niang : C'est pas difficile, ils peuvent investir en moins d'une semaine, ils envoient par Internet ! X.A : Ils créent des emplois ?

O. Niang : Non ! C'est de l'exploitation, de l'esclavage ! Ils inondent le marché de leurs produits défectueux ! X.A : Ils ne participent pas à l'économie ?

O. Niang : Non, il faudrait qu'ils investissent dans les secteurs porteurs, pour le PIB (Produit Intérieur Brut), il n'y a pas de transfert de technologie ! Les Sénégalais ne bénéficient pas de leur technologie. En plus, on envoie des déchets au Sénégal, les limites de péremption sont dépassées !

X.A : Vous pouvez me parler de l'UNACOIS-DEF ?

O. Niang : Oui, on représente 60000 commerçants, et quelques industries. On a comme mission d'intervenir dans la micro finance, on facilite les visas, on est partenaire avec la France, l'Indonésie, l'Iran, Dubaï, avec l'ambassade l'Inde...

X.A : Avec les États-unis ?

O. Niang : Non, on s'est juste limité à des discussions.

X.A : Selon vous, que représente le secteur dit informel ?

O. Niang : C'est environ 60 % du PIB. Mais on préfère l'appeler l'économie populaire. Vous savez ici on ne parle pas d'informel ! C'est un concept flou dont la définition pose problème !

X.A : Et dans le tertiaire ?

O. Niang : Non, vous savez le tertiaire tourne au ralenti !

Fin de l'entretien.

? Conseil National du Patronat (CNP)

Je m'entretien avec Monsieur Papa Nall Fall, président de la commission économique et financière et responsable au Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales.

X.A : De quelle année date le CNP ?

Papa Nall F. : De 1961, pour répondre à votre prochaine question, notre budget est de 4500 milliards par an (moins de 7 millions d'euros).

X.A : D'accord ! Vous représentez qui et combien ?

Papa Nall F. : Environ 27 syndicats pour 1200 entreprises.

X.A : Travaillez-vous avec les entreprises chinoises ?

Papa Nall F. : Oui, avec Henan Chine, dans le BTP.

X.A : Oui c'est l'entreprise qui travaille sur l'autoroute ?

Papa Nall F. : Oui, et Jean Lefèbvre est en association avec l'entreprise chinoise pour l'élargissement. X.A : Vous représentez beaucoup d'entreprises françaises ?

Papa Nall F. : Toutes, les vieilles et les plus jeunes.

X.A : Concernant les Chinois, que représentent-ils dans l'économie ?

Papa Nall F. : Très peu, la part de marché est faible, ils sont surtout dans les petits commerces. X.A : Et dans l'informel...

Papa Nall F. : L'informel a tendance à gonfler... Pour les entreprises chinoises, tout dépendra de la qualité de l'offre chinoise.

X.A : Et font-elles concurrence aux autres entreprises dans les secteurs déjà représentés ?

Papa Nall F. : Oui, dans le BTP, le coût a déjà baissé ! Mais il n'y a que des modifications structurelles internes qui permettent d'analyser l'impact positif ou négatif. Il faut du transfert de savoir-faire, de la valeur ajoutée...

X.A : Les Chinois sont régulièrement victimes...

Papa Nall F. : Il ne faut pas toujours voir le mauvais coté.

X.A : Quelles est la position du CNP ?

Papa Nall F. : Nous avons des rapports avec le MEDEF (Mouvement des Entreprises de France), alors ce serait anachronique d'être xénophobe !

Fin de l'entretien.

? Confédération Nationale des Employeurs du Sénégal (CNES) Youssoupha Diop, adjoint du directeur exécutif m'accueille.

X.A : Qu'est ce que la CNES ?

Y. Diop : C'est une organisation patronale qui regroupe des entreprises dans tous les secteurs (industrie, commerce, services, professions libérales...).

X.A : Que faites-vous pour elles ?

Y. Diop : C'est pour la promotion des chefs d'entreprises sénégalaises (et multinationales étrangères). X.A : Oui...

Y. Diop : On ne représente pas les artisans, que le commerce formel, les industriels du textile, de l'emballage...

X.A : Combien d'entreprises ?

Y. Diop : Environ 1600.

X.A : Vous représentez des sociétés chinoises ?

Y. Diop : Non.

X.A : Ces dernières concurrencent-elles les entreprises sénégalaises ?

Y. Diop : Oui mais on ne peut chiffrer les dommages et pertes causées. Mais ce qui est sûr est que le mal

existe.

X.A : Il n'y a pas d'études qui chiffrent ces dommages ?

Y. Diop : Non, je ne sais pas ce que représente en pourcentage ces pertes, il n'y a pas d'études à tous les niveaux...

X.A : Quel rôle avez-vous par rapport au CNP... ?

Y. Diop : En fait, la CNES a été à la base de la création du CNP, en 1993, il y a eut écartement, des divergences. La CNP s'occupe plus des entreprises étrangères.

X.A : Quelle est votre position par rapport aux entreprises chinoises ?

Y. Diop : Ce pays est le notre, on a un devoir et une responsabilité citoyenne.

X.A : Et par rapport aux entreprises françaises ?

Y. Diop : Là, le capital français est important, surtout jusqu'à la fin des années 1980 et 1990, aujourd'hui ça a tendance à s'inverser. Maintenant les capitaux viennent du Maroc, de l'Inde, de la Chine et des pays Arabes.

X.A : Et les Libanais ?

Y. Diop : Ici ils sont considérés comme Sénégalais, ils sont très présents. Au début ils étaient dans le commerce, aujourd'hui dans les industries, des PME, les industries de transformation alimentaire. Ce sont les Sénégalais qui ont pris les parts de marchés des commerçants Libanais.

X.A : Que faudrait-il pour développer l'industrie sénégalaise ?

Y. Diop : Beaucoup de choses ! Il faudrait, c'est ce que l'on prône, un environnement favorable aux investissements, notamment dans le secteur industriel. Il faut assainir l'environnement, l'accès à la terre et au foncier. Il faut assouplir le code du travail (embaucher et licencier plus aisément). Il nous faut un vrai secteur judiciaire en cas de conflits, lutter contre la corruption ; et il y a les problèmes des infrastructures, de la mobilité urbaine, le problème des financements des entreprises (car les banques financent peu avec des taux d'intérêts élevés)...

X.A : Monsieur Wade tente de le faire, en construisant l'autoroute payante ?

Y. Diop : Oui, il y a une volonté de désengorger Dakar. Il y a des critères et des mesures d'encouragement, mais je suis sceptique...

X.A : Le nouvel aéroport également...

Y. Diop : Oui alors là l'actuel est déjà sous-exploité et il y a des problèmes de mise aux normes alors au lieu de construire un nouveau...

X.A : Et les enjeux du foncier ?

Y. Diop : Oui, depuis le conflit en Côte d'Ivoire, et l'ONU et les étudiants Ivoiriens, il y a une forte demande. X.A : Oui d'où concentration et spéculation... Les Chinois ont eux contribués à baisser les prix des produits de première nécessité...

Y. Diop : Comme vous dites oui, mais la qualité c'est autre chose, mais ça arrange la population... Comme je dis toujours, à Noël, tous les enfants peuvent avoir un cadeau, même s'il dure deux jours !

X.A : Vous avez combattu les migrants Chinois avec l 'UNA COIS ?

Y. Diop : Oui, on a tiré la sonnette d'alarme, à cause de l'invasion. Maintenant, avec la réhabilitation, toutes

les portes sont ouvertes. Mais on est pas contre qu'ils viennent, à condition qu'ils investissent parce qu'eux tout ce qui

les intéresse, c'est de rapatrier les devises ! Les commerçants sont subventionnés par le gouvernement chinois.
X.A : Comment expliquez-vous que ces commerçants vendent au prix de la matière première ?

Y. Diop : (haussement d'épaules...)

X.A : Oui ?

Y. Diop : Ils sont très bien organisés, c'est toute une filière, toute une stratégie, c'est un encerclement, un positionnement. On a même vu des Chinois avec des passeports Sénégalais et une carte d'identité !

X.A : J'ai lu dans la presse que Wade n'est pas contre un Chinatown dakarois ?!

Y. Diop : Oui, nous non plus mais il faut réguler en contrôlant les entrées.

Fin de l'entretien.

? Association des Consommateurs du Sénégal (ASCOSEN)

Le président national Momar Ndao, qui est par ailleurs mandaté comme président des associations de consommateurs à l'Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) me reçoit dans son bureau situé sur la VDN ou voie de dégagement Nord.

X.A : Parlez-moi de la contestation des commerçants sénégalais à l'encontre des Chinois.

M. Ndao : Oui, c'est un problème économique : les Sénégalais allaient en Chine acheter les produits et les Chinois les ont doublé. De fait, les Chinois vendent tous les produits maintenant : les chaussures, le textile, les bibelots, la maroquinerie, les sacs, les gravures...

X.A : Oui j 'ai observé dans certains taxis les photos de marabouts. Le cadre est fabriqué en Chine

M. Ndao : Oui, avant les Sénégalais faisaient même faire les photos en Chine et les revendaient 10000 francs (15 6) alors qu'aujourd'hui les Chinois les vendent 1000 (1,5 €). Ils les vendent au prix réel.

X.A : Donc les commerçants ont commencé à critiquer ces Chinois...

M. Ndao : Oui, ils voyaient leurs marges diminuer, d'où des propos xénophobes. Nous on leur dit qu'un Sénégalais ne peut pas être xénophobe, c'est contraire à l'éthique, de ne pas accueillir. La guerre économique ne doit pas être transformée en xénophobie.

X.A : Certains parlent de falsification des permis de commercer ?

M. Ndao : Oui mais tout commerçant doit avoir ses documents et si le Chinois le possède c'est bon. Pareillement, tous les étrangers doivent respecter la police aux frontières et les conditions du séjour.

X.A : La mission économique chinoise parle de corruption, pour les visas et autres...

M. Ndao : Oui, mais les visas sont étudiés par les ministères au cas par cas. Même quand il n'y a pas d'ambassade (exemple : Chinois de la République Populaire de Chine en 2000).

X.A : Sinon à l 'UNA COIS on nous a parlé de fabriques derrière les comptoirs ?

M. Ndao : Non, les commerçants ne sont pas des fabricants ! On ne peut pas tout remettre en cause ! Par contre c'est vrai qu'ils assemblent certains produits sur place.

X.A : Concernant les artisans Sénégalais ?

M. Ndao : Oui, eux ne sont pas réellement révoltés, ils sont mécontents de la façon de faire des commerçants en général : avec leurs marges notamment. Ah oui, en plus, ils ne signent pas (made in Sénégal) à la demande des commerçants, pour qu'ils signent made in Italy par exemple !

X.A : Pour quelles raisons, signe d'une meilleure qualité ?

M. Ndao : Oui, et selon les moeurs, les meilleurs produits viennent toujours de l'extérieur !

X.A : Pensez-vous que la présence des Chinois est positive ?

M. Ndao : Oui c'est certain, aujourd'hui, dans les villages on utilise des verres en verre. Avant, c'était le caoutchouc car ça ne casse pas mais avec les prix des Chinois on achète du verre.

X.A : C'est le cas aussi pour les vêtements...

M. Ndao : Oui avant on achetait dans des friperies, aujourd'hui pour 1000 francs (1,5 euro), on habille un enfant. Au Sénégal, c'est spécifique, pour les femmes, il vaut mieux pouvoir changer de vêtements que de garder un habit longtemps : si une femme met toujours les mêmes vêtements, elle sera mal vue. Donc, elles préfèrent beaucoup de produits peu chers qu'un de qualité cher !

X.A : Oui par contre les Chinois n'arrivent à copier les motifs sénégalais ?

M. Ndao : Oui pour l'instant, mais ils étudient comment faire le bazin.

X.A : Sinon, les Chinois ont fait exploser le prix des loyers, notamment à Gibraltar...

M. Ndao : Oui, en moyenne c'est 20 % d'augmentation par an ! Cela dépend de la demande. Mais la réelle raison est l'arrivée des organisations onusiennes !

X.A : Sont-ils organisés ?

M. Ndao : Il y a une ancienne organisation, l'amitié sino-sénégalaise qui est en léthargie.

X.A : D'accord. Concernant la qualité dénoncée ?

M. Ndao : Oui, la qualité est relative. Ça dépend de la satisfaction du consommateur. Comme c'est le paraître qui compte... Il n'y a pas de calculs sur le long terme, le consommateur Sénégalais n'a pas de démarche logique, scientifique. Pour les textiles, on peut acheter un tissu de basse qualité mais bien le coudre chez le tailleur.

X.A : C'est la même logique au Mali, en Mauritanie ?

M. Ndao : Non, le Mauritanien est peu sédentaire. L'homme a toujours une robe blanche et il ne change que les chemises, contrairement aux Sénégalais qui se changent tous les jours. En Mauritanie, l'habit à moins d'importance, ici, on est plus coquets, on suit une certaine mode.

X.A : Que feriez-vous pour lutter contre cette concurrence Chinoise ?

M. Ndao : Il faut influer sur les Chinois, faire des micro-industries, des usines d'assemblages, même artisanales.

X.A : Qu'attendez-vous des Chinois ou des investissements ?

M. Ndao : Il faut des transferts de technologie, de la valeur ajoutée. Par exemple, on a du sable et pour faire le verre il nous faut juste des fours !

X.A : Parlez-moi de l 'ASCOSEN...

M. Ndao : Oui, elle a été crée le 4 novembre 1989. Nous avons 30000 membres dans toutes les régions et plus de la moitié ont leur carte de membre.

X.A : Quelles sont vos revendications ?

M. Ndao : La qualité des produits, des services, un bon environnement, des banques de développement, la santé, l'administration, la sécurité des biens, les transports... Si vous voulez savoir, nous sommes un organisme très incriminé !

X.A : Pourquoi ?

M. Ndao : Par exemple on a fermé Coca pendant une semaine, à cause de moisissures relevées. On relève aussi des problèmes sur les produits pharmaceutiques qui ne sont pas aux normes, sur ou sous dosés...

X.A : Vous avez manifesté contre l 'UNA COIS, en faveur des commerçants Chinois...

M. Ndao : Oui nous étions les seuls.

X.A : Oui, où sont installés les Chinois ?

M. Ndao : Ils sont très marginaux hormis à Dakar. Mais on consomme leurs produits dans tout le Sénégal car peu chers. Cela crée des emplois, surtout chez les femmes.

X.A : Quels sont vos moyens d'action ?

M. Ndao : On a la presse, une émission de télé en wolof.

X.A : Quelle est cette émission ?

M. Ndao : C'est Nay Leer (que ce soit clair), c'est pour éduquer le consommateur.

X.A : Vous avez des relations avec les asso françaises ? Par exemple 50 millions de consommateurs ?

M. Ndao : Oui, on veut s'allier pour avoir de nouvelles idées et moyens. Mais je vais souvent sur leur site pour

voir.

X.A : Vous êtes présents dans toutes les régions, c'est-à-dire ?

M. Ndao : En fait, dans chaque hôpital par exemple, on a une asso de consommateurs. On a aussi un conseil des infrastructures, pour contrôler les infrastructures et leurs cohérences, la transparence.

X.A : Pour le BTP?

M. Ndao : Là ya un bureau de contrôle.

X.A : Vous êtes rémunérés?

M. Ndao : Non, nous sommes tous bénévoles, moi je suis consultant.

X.A : Il existe des associations au Mali, en Mauritanie ?

M. Ndao : Oui, je suis d'ailleurs le président des associations de consommateurs à l'UEMOA. Fin de l'entretien.

? Groupement des Armateurs et des Industriels de la Pêche au Sénégal (GAIPES)

Le secrétaire général Monsieur Dougoutigui Coulibaly me salue et m'invite à m'asseoir.

X.A : Qu'est ce que la société Sénégal Pêche ?

D. Coulibaly : Sénégal Pêche et Sénégal Armement sont des sociétés différentes. Ce sont deux sociétés de droit Sénégalaises qui ont des partenaires Chinois. 51 % du capital est détenu par le privé Sénégalais.

X.A : Donc vous travaillez avec eux (les Chinois) ?

D. Coulibaly : Oui indirectement.

X.A : Combien de sociétés représentez-vous ?

D. Coulibaly : 24.

X.A : Et Africamer ?

D. Coulibaly : Oui elle a des conserveries de thon, des unités de transformation et de congélation. Elle a une flotte ... C'est une société intégrée.

X.A : Pouvez-vous me parler du secteur de la pêche au Sénégal ?

D. Coulibaly : Oui bien sûr, je vais vous faire un historique rapide... Au départ, c'est le commerce avec les Français, le groupe Adrien Michel. A la fin des années 1970 c'est Senepesca, un groupe Japonais puis au début des années 1980 les Coréens. Les Coréens ne sont pas des investisseurs, ils suivaient le poulpe, c'était des sociétés mal montées et ils travaillaient avec des pavillons de complaisance. Ils payaient comme faire valoir les Sénégalais soi-disant comme partenaires. Quand ils sont partis après le poulpe, on les a retrouvés dans d'autres milieux du monde.

X.A : Oui et après ce fut les Chinois...

D. Coulibaly : Oui, lorsque les ressources se sont faites rares à cause des Coréens, les Chinois sont arrivés et ont racheté Africa Sea Food (spécialisé dans les sardinelles) mais il n'y avait pas de compétitivité car la transformation et le stockage étaient trop chers. Ils ont investis et acheté des « bateaux glaciers et congélo ».

X.A : Il y a eut une excellente année à la fin des années 1990 ?

D. Coulibaly : Oui en 1999, le poulpe est revenu et on a exporté environ 124000 tonnes !

X.A : Les Chinois sont plus soucieux de l'environnement ?

D. Coulibaly : Oui un peu plus que les autres Asiatiques. Mais il faut une pratique responsable, pas un gaspillage démesuré et être conforme avec la législation. Donc c'est tout de même bien que ce soit le Sénégal qui détienne 51 % du capital.

X.A : Ici, les Chinois produisent de la valeur ajoutée ?

D. Coulibaly : Oui, il y a des retombées comme la balance commerciale, des emplois, des devises à l'exportation qui reviennent au Sénégal.

X.A : Vous n'avez donc pas combattu les Chinois ?

D. Coulibaly : Si, nous avons été à l'origine du combat contre les Chinois. Contre le chalutage en boeuf. X.A : Qu'est ce que la chalutage en boeuf ?

D. Coulibaly : C'est lorsqu'on tire un filet géant avec deux bateaux ! C'est totalement dévastateur : contre la préservation et la conservation des ressources halieutiques ! Maintenant c'est fini, c'est inscrit dans la loi de 98-02.

X.A : Depuis quand ?

D. Coulibaly : Depuis 1999, 2000.

X.A : Et où en est le secteur de la pêche au Sénégal aujourd'hui ?

D. Coulibaly : C'est toujours très important, en terme de stabilité sociale, d'emplois, de devises. C'est 30 % à l'exportation. Même si ça coince, les entreprises ont fermé, en 1993, il y en avait une centaine, aujourd'hui, c'est cinquante ! La crise a favorisé...

X.A : Quelle crise ?

D. Coulibaly : Les ressources se sont raréfiées, les conditions d'exploitation sont devenues difficiles et le marché de plus en plus dur, il y a une sévère concurrence, on rencontre les produits d'élevage d'Asie, d'Europe qui subventionne ses pêcheurs.

X.A : Par exemple ?

D. Coulibaly : Par exemple nous les produits sauvages c'est 1000 Francs, celui du Pérou c'est 500 Francs (1,5 € et 0,75 6).

X.A : Et quelles sont les conditions d'exploitation ?

D. Coulibaly : C'est le gazole, la main d'oeuvre, les différents intervenants, la dévaluation (du Franc CFA en 1994) a été positive pour les prix maintenus en devises pour l'exportation mais multipliés par deux pour l'importation. X.A : La pêche industrielle survit donc ?

D. Coulibaly : Oui, il n'y a plus beaucoup de profits mais elle reste la principale donne financière. X.A : Quelles conditions permettraient la relance ?

D. Coulibaly : Hum, il faudrait que l'on s'adapte, se réajuste, suivre les techniques et les normes, suivre les volontés des consommateurs. Il faudrait mettre en place un label et créer des richesses au niveau qualitatif.

X.A : Vers quelles régions exporte le Sénégal ?

D. Coulibaly : A 60 % c'est vers l'Europe. Mais avec l'AGOA (L'African Growth and Opportunity Act), on tente de diversifier, puis vers la Chine, le Canada.

X.A : Et l'état investit ?

D. Coulibaly : Non, le libéralisme a ses limites ! Il faut pourtant protéger car dans deux ou trois ans on n'aura plus rien. Le Sénégal ne peut plus aujourd'hui obtenir de licences car c'est surexploité ! Mais le secteur est sous contrôle, il est trop important pour le pays, on est conforme aux lois et règlementations.

X.A : Le privé est sous contrôle ?

D. Coulibaly : Oui. Surtout le privé.

X.A : Et pensez-vous que la Chine investirait ces prochaines années ?

D. Coulibaly : Non, pas pour l'instant vu les ressources. Si c'est pour augmenter la capacité, la flotte ou pour moderniser les usines, faire de la valeur ajoutée avec des techniques nouvelles, des expertises, du knowledge (connaissance), oui.

X.A : J'ai entendu parler de trafics de devises avec les marins chinois ?

D. Coulibaly : Oui sûrement !

X.A : Oui ?

D. Coulibaly : Sur les plages, quand il y a moins de volumes, il y a des Chinois qui viennent dans les grands hôtels et achètent plus du double du prix pour l'export avec l'agrément des pêcheurs !

X.A : Avant de conclure, vous pouvez me parler des Chinois ? Ils travaillent comment ?

D. Coulibaly : On peut dire qu'ils travaillent correctement. Mais c'est difficile avec eux, ils sont liés au gouvernement donc la concurrence est dure. D'ailleurs, quand il y a pénurie de poissons ici, ils se font livrés ailleurs en Afrique.

X.A : Ils ont d'autres implantations...

D. Coulibaly : Oui, avant ils trichaient beaucoup mais maintenant ça va.

X.A : Comment cela ?

D. Coulibaly : Ils allaient pêcher dans les zones interdites...

X.A : Ils sont bien intégrés ?

D. Coulibaly : Non, ils sont très réservés. Moi je n'ai jamais de contacts avec eux contrairement aux Sénégalais (les Sénégalais possédant 51 % du capital de Sénégal Pêche). Ils sont un peu bizarres. En plus ils sont subventionnés par l'état pour faire rentrer les devises.

X.A : Oui beaucoup de gens que j 'ai rencontré affirment cela, mais qui peut le prouver ?

D. Coulibaly : Pour le prouver c'est très difficile. Tout ne revient pas au Sénégal, il y a toujours la possibilité de faire circuler les devises. Mais comme tout n'est pas vendu ici c'est difficile !

Fin de l'entretien

Présence sénégalo-libanaise

? Samir Jarmache

Samir Jarmache reçoit chez lui. Je suis accompagné de Jihane Raugemar, étudiante à Bordeaux III et préparant son mémoire sur la population Libanaise au Sénégal.

J'ai effectué deux entretiens avec Samir Jarmache :

Premier entretien :

X.A : Pouvez-vous me parler de la population libanaise vivant au Sénégal ? Ou plutôt de la population libanosénégalaise ?

S. Jarmache : Oui car on ne distingue pas les deux ! Les Libanais sont Sénégalais !

X.A : Pouvez-vous me rappeler leur histoire ?

S. Jarmache : La diaspora est à l'origine de la misère à cause de l'Empire Ottoman. En 1914-1918, la France, l'Allemagne et l'Angleterre repoussent l'Empire Ottoman. Des pays arabes deviennent indépendants. La France va alors orienter intelligemment les Libanais vers l'Afrique et donc le Sénégal. Les Libanais croyaient aller rejoindre leurs parents aux Etats-Unis mais s'arrêtaient en Afrique de l'Ouest.

X.A : Vos parents ont suivis le même parcours ?

S. Jarmache : Oui, c'est la première génération, entre 1900 et 1960, il y a eut deux vagues. Mon père est parti vers 1920 car il était orphelin. Il est venu seul. Il est originaire du Nord du Liban.

X.A : Vous avez de la famille aux États-unis ?

S. Jarmache : Oui, mon oncle. Il est donc arrivé sur un vieux rafiot ! Et il est débarqué vers Rufisque (Sud-Est de Dakar).

X.A : Les migrants venaient seuls ou en famille ?

S. Jarmache : Ils étaient souvent célibataires. Ils partaient pour les Amériques.

X.A : Et durant les guerres...

S. Jarmache : J'ai quitté le Liban pendant six ans, vers 1948.

X.A : Votre père donc...

S. Jarmache : Il voulait partir aux États-unis avec les gens du village mais ils étaient trop fatigués. C'est la première vague. Dans chaque village, dans la brousse, il y avait un commerçant libanais, c'était les pionniers. Moi mon père est resté à Dakar, j'ai donc pu aller à l'école publique à Dakar.

X.A : C'est général aux migrants ce parcours ?

S. Jarmache : Oui, à 80 %, c'est le cursus familial commun. De toute manière, on ne peut parler d'histoire sans intégrer la question Libanaise. Même la Banque Mondiale en a parlé !

X.A : Aujourd'hui, quelle est votre activité ?

S. Jarmache : J'ai deux magasins, plus une quincaillerie et une droguerie.

X.A : Ah oui, vous êtes donc de la seconde génération...

S. Jarmache : Oui, la troisième est partie aux USA, en France et y reste. Mais elle reste attachée au Sénégal. X.A : Concernant les Chinois vivant à Dakar ?

S. Jarmache : Oui, la Chine il y a vingt ans, c'était un phénomène. De toute façon ici tous les Asiatiques sont Chinois. Ils vivent comme des fourmis.

X.A : Que faisaient-ils lors de l'arrêt des relations, pendant les relations sénégalo-taiwanaises ? S. Jarmache : Ils construisaient les stades, les hôpitaux, les infrastructures quoi.

X.A : Financés par le gouvernement ?

S. Jarmache : Oui c'est la Chine qui paye. L'Europe n'a pas vu que quand la Chine met son petit doigt ils s'investissent. Pour Taiwan, ça leur a coûté des milliards, le Sénégal sous Diouf, a tiré son épingle du jeu dans l'agriculture, les infrastructures, la médecine. Il a exploité le clash. Mais quand l'Europe a vu le péril jaune, c'était trop tard.

X.A : L'Afrique serait le nouvel eldorado Chinois ?

S. Jarmache : Oui c'est sûr ! L'Afrique c'est le continent où la Chine va faire des miracles ! C'est un véritable ouragan !

X.A : Vous connaissez l'histoire des migrants ?

S. Jarmache : Il y a maximum cinq ans, les Chinois ont débarqué par familles entières. Mais au départ c'est les Libanais qui sont partis en Chine avec les conteneurs. Comme toujours, les Libanais sont les initiés, ils ont appris où et comment partir aux Sénégalais, la filière et le chemin à suivre. Le problème c'est que les Sénégalais sont autorisés à frauder, pas les Libanais, ils se sont donc enrichis de manière extravagante ! Du coup ils se plaignent aujourd'hui, mais ce sont eux qui ont amené le loup dans la bergerie !

X.A : Et...

S. Jarmache : Le Chinois prend le pain de la bouche du Sénégalais qui l'a lui-même pris de la bouche du Libanais !

X.A : D'accord... Vous avez donc vu la tentative des commerçants pour stopper les Chinois ? S. Jarmache : Oui, j'étais au code du commerce ! C'est une concurrence déloyale.

X.A : Il y a de fortes disparités entre les Chinois et les Libanais, dans le mode de vie...

S. Jarmache : Le Libanais veut un minimum de confort, les Chinois non, ils s'en foutent, ils dorment entre eux, font la loi entre eux... Ah oui, il faut que vous le sachiez pour votre mémoire, à l'époque de la présidence Senghor, il a enlevé les prérogatives aux Libanais, il a empêché les Libanais d'acheter de l'arachide, donc ils n'avaient plus de raisons de rester en brousse et sont revenus en ville pour l'instruction des enfants.

X.A : Il n'y a donc plus de Libanais en brousse ?

S. Jarmache : Non, nous sommes partout sur le territoire mais en ville. En plus il y a eut des périodes de sécheresse donc les jeunes sont partis. Mais c'est le génie Libanais, on s'adapte à tout... Il y a même une diaspora bis qui est partie en Australie ! Vous voyez ! En fait l'élément Libanais a toujours été combattu ! Les Libanais musulmans ont été interdits d'aller à la Mosquée, d'apprendre l'arabe dans les écoles pour éviter l'assimilation mais on s'adapte !

X.A : Oui vous êtes maronite ?

S. Jarmache : Oui mais la majorité sont Chiites à 90 %.

X.A : Et les Sunnites ?

S. Jarmache : Très peu.

X.A : Et les druzes ?

S. Jarmache : Pareil.

X.A : Vous devez avoir beaucoup de liens avec les Français ?

S. Jarmache : Oui mais il y a une différence ! Le Français n'a jamais voulu apprendre le wolof, se mettre au niveau des Sénégalais, le Libanais si. De toute façon, derrière chaque grand homme africain il y a un Libanais ! Mais ça ne se voit pas dans la politique interne car l'Etat est le plus mauvais payeur !

X.A : La seconde génération s'est diversifiée ? Elle n'est plus que commerçante ?

S. Jarmache : Oui, ils sont les leaders dans les études, le commerce, l'industrie, le sport, la médecine... On a une culture différente des Noirs. Par exemple, les Blanches mariées aux Noirs repartent toujours un mois après le retour au pays du mari !

X.A : Comment cela ?

S. Jarmache : C'est quand le mari revient dans son milieu naturel !

X.A : Les Libanais sont donc bien intégrés ?

S. Jarmache : Oui c'est sûr mais c'est différent en France ! Mon frère est professeur de droit à Bordeaux et aujourd'hui il représente la France à l'étranger ! Ici on n'a même pas le droit d'être planton !

X.A : Et la troisième génération se sépare donc du pays ?!

S. Jarmache : Oui, elle vient ici comme les occidentaux, pour se faire dorer !

X.A : Quelles sont les organisations libanaises ?

S. Jarmache : Il y en a deux principales : l'Alliance mais qui est en stand-by. C'est la Mission Notre Dame du Liban, qui est une association de bienfaisance.

X.A : Oui vous êtes le vice-président de l'Alliance, qui est chrétienne ?

S. Jarmache : Oui, et le Cheikh pour les musulmans, mais il n'y a pas de distinctions entres communautés religieuses, nous sommes tous Libanais et Sénégalais !

X.A : J'ai entendu une histoire, vous pouvez me la confirmer ? C'est en 1992, 1993, le meurtre de la bonne...

S. Jarmache : Ah d'accord ! Oui, elle a été tuée soi-disant par un Libanais, on a frôlé la catastrophe à cette

époque !

X.A : Oui, il y a eut des manifestations anti-libanaises ?

S. Jarmache : Très peu, c'était une manifestation peu hostile en fait...

X.A : Cette bonne (qui travaillait au domicile de Libanais), qui l'a tuée ?

S. Jarmache : On a vérifié deux jours plus tard que c'était des dealers ! Ce sont toujours les Libanais qui sont les premiers à être visés ! Heureusement la France était là pour nous protéger !

X.A : Pour revenir à l'Alliance, que fait t 'elle précisément ?

S. Jarmache : C'est une association de la seconde génération, créée par des intellectuels pour lutter contre la non-intégration. Il y a aussi une association de docteurs.

X.A : Ils sont nombreux ?

S. Jarmache : Tous les docteurs ou presque sont libanais, ils sont environ 150.

X.A : Combien sont commerçants à Dakar ?

S. Jarmache : C'est difficile à dire. Ils sont partout mais très présents rue Diouf et Lamine Guèye. X.A : Et les Chinois concurrencent...

S. Jarmache : Ils pénalisent le commerce, nous, on a des clients depuis longtemps, qui demandent de la qualité. X.A : Oui, et où achetez-vous ?

S. Jarmache : Je ne fais que recevoir...

X.A : De Chine ?

S. Jarmache : ...

X.A : Les Libanais achètent aux Chinois ?

S. Jarmache : Oui mais que les perles.

X.A : Que des perles ?

S. Jarmache : ...

X.A : Pourquoi les Sénégalais achètent aux Libanais alors que les Chinois sont moins chers ? S. Jarmache : Je ne sais pas...

Second entretien

X.A : Vous me parliez des commerçants chinois...

S. Jarmache : Oui, et je préfère un Chinois à un Américain !

X.A : Pourquoi ?

S. Jarmache : C'est leur logique, je ne les aime pas...

X.A : D'accord, donc les Chinois...

S. Jarmache : Oui, c'est l'Etat chinois qui subventionne. Ils vendent les invendus ici. Il y a 5000 conteneurs qui attendent un marché à Hong Kong.

X.A : Et que pensez-vous des relations sino-sénégalaises ?

S. Jarmache : Ce sont des relations d'Etat à État, on ne peut rien faire, si ce n'est plus intéressant, on partira ailleurs, comme on l'a toujours fait !

X.A : Que faisiez-vous durant la grève organisée par l 'UNACOIS ?

S. Jarmache : On était avec eux, on a fait grève en baissant les rideaux. Mais l'accord avec Wade on ne l'a jamais vu de quoi il en était.

X.A : Vous êtes donc opposés à Wade ?

S. Jarmache : Non, surtout pas, Wade c'est l'homme du Sénégal...

X.A : Pour revenir à la communauté libanaise, quel était le rôle de la France ?

S. Jarmache : Les Français pour diffuser leurs produits et les produits alimentaires (vivriers et vivriers marchands) dans la brousse déléguaient ces choses aux Libanais.

X.A : Et durant l'ère Senghor, vous n'aviez plus les privilèges établis par les Français ?

S. Jarmache : Oui, on a été combattu par les autochtones qui avaient certains privilèges, il y avait une loi qui disait qu'on devait renier la nationalité libanaise pour opter pour la nationalité sénégalaise. Bref, aujourd'hui, il y a plus d'hommes d'affaires sénégalais même si on garde des pouvoirs. Par exemple, les privilèges des Sénégalais leur permettaient d'importer des produits finis. Mais grâce au génie, à la ténacité Libanaise, on a une place importante, par exemple de distributeurs.

X.A : Et avec les Chinois ?

S. Jarmache : Jusqu'à il y a dix ans, la Chine exportait en Afrique et les Libanais y sont allé puis les Chinois ont pris le relais. Les Libanais sont même installés en Chine, à Taipeh, Hong Kong. Ce sont des relais entre les industriels Chinois et les clients Africains.

X.A : Les Libanais sont relativement riches ?

S. Jarmache : Oui et non, il y a des familles qui vivent dans le besoin et vivent de l'argent de la générosité. X.A : Les Chinois exportent et importent au Sénégal des produits de basse qualité...

S. Jarmache : Cà c'est sûr mais avec le temps ils monteront d'un cran... Les Chinois sont partis pour conquérir l'Afrique et rien ne pourra les arrêter ! Les Libanais eux veulent la paix.

X.A : Ils n'ont pas de stratégie ?

S. Jarmache : Non, il n'y a que l'insécurité qui pourrait les faire partir.

X.A : Est-ce positif ou négatif alors cette concurrence Chinoise ?

S. Jarmache : C'est bien fait pour eux si les Chinois prennent tout, ils ont été racistes... Il n'y a aucun élu Blanc. On leur en veut et on leur a dit à un moment. Moi je le dis à des responsables. En tout cas la France a un grand rôle à jouer. Même dans le cas des musulmans, en France on les dénigre, mais ici 80 % des intellectuels sont musulmans...

X.A : Tous les Libanais ne sont pas affectés par la présence chinoise ?

S. Jarmache : Non, les industriels non. Eux gèrent tout. Mais pour le commerce c'est la Chine. Ils achètent tous là-bas, il y a un million d'articles.

X.A : Dans quels secteurs investissent-ils ?

S. Jarmache : Dans l'immobilier par exemple. Ici chacun à sa maison.

Fin des entretiens.

? Commerçants Libanais

Un seul commerçant a daigné me répondre : il est situé dans la rue Galandou Diouf.

X.A : Vous êtes de la seconde génération ?

Oui, mes parents sont restés en brousse.

X.A : Vous avez des enfants ?

Oui, une fille qui a fini ses études d'expert comptable.

X.A : Que pensez-vous de la concurrence Chinoise ?

En fait elle touche surtout les Sénégalais, les Libanais sont plus dans l'industrie. Moi je ne suis pas affecté en

tout cas.

X.A : Vous achetez des produits chinois ?

Oui, tout ce que vous voyez (chaussures et textile), ça vient de Chine.

X.A : Que pensez-vous de l 'UNA COIS et de sa politique ?

Je suis à 100 % avec eux. Moi je suis optimiste !

X.A : Vous êtes musulman ?

Oui.

X.A : Chiite ?

Oui, comme 90 % des musulmans en Afrique !

X.A : Avez-vous de la famille au Liban ?

Oui j'ai deux frères.

X.A : Et ici...

Ici, j'ai par exemple mon beau-frère qui construit un hôtel place de l'Indépendance, vous voyez... X.A : Oui. Le Liban est dangereux en ce moment, que pensez-vous de cette guerre ?

Je suis contre, même si on est resté ici, on suit ça de très près.

X.A : Est-ce difficile de faire des affaires au Sénégal ?

Non, pas plus qu'ailleurs, c'est dans les pays à risques qu'on gagne de l'argent !

X.A : Vous vendez principalement en gros ?

Oui, tous les Libanais

X.A : Que pensez-vous des Chinois ?

.Ils ne sont pas bénéfiques au Sénégal, ils n'apportent rien...

X.A : A votre avis, qui paye le mieux ses employés Sénégalais ?

Moi je les paye 100000 francs (150 € par mois), plus la nourriture, le transport, car on travaille ensemble, on est de la même famille ! Les Chinois eux les paye 40000 francs maximum (60 €).

X.A : A quel montant se trouve le minimum de salaire ?

A 55000 (83 €). Vous savez, les Sénégalais ont trois ou quatre femmes, donc il faut des revenus annexes... X.A : Vous voulez parler de l'informel ?

Oui de la corruption quoi, c'est un système installé par les colons... Mais ce n'est pas plus corrompu qu'en Europe, en France, ici c'est pour vivre ! C'est le système capitaliste ! On dédouane en Espagne, en Italie, il y a des Sénégalais qui vivent ici mais travaillent là-bas : on n'est même pas obligé de passer par des douanes formelles ! On achète les douaniers qui amènent les marchandises jusqu'à chez nous !

X.A : C'est plus rentable ?

C'est plus rapide surtout ! Il faut un mois pour dédouaner et faire entrer le conteneur, par voie informelle c'est une journée !

Fin de l'entretien, il devait travailler.

Séminaire de Niar,am du 3 et 4 février 2007

Ce séminaire organisé par Marie Gaborit et dont l'objet est « la Chine et le Sénégal, entre discours officiels optimistes et réalités complexes, comment les chinois étendent-ils leurs présence sur le sol sénégalais et quelles peuvent en être les conséquences pour le pays ? ». Il accueillit Marie Gaborit donc, son père Jean- Pierre, Éric Hazard (à l'ONG Enda Tiers Monde), Babacar Fael et Waël Haidar (employés à Batiplus, société de BTP), Nazrine (amie et future femme de Waël), Yann (retraité, il travaillait avec l'UNESCO à Dakar), Carla (fille de Yann et ayant vécu trente années au Soudan) et moi-même.

Il permit d'échanger les idées, représentations, effets positifs et négatifs de la présence Chinoise au Sénégal et en Afrique.

Les principaux thèmes abordés furent la présence chinoise au Sénégal, la présence libanaise (Deuxième partie, chapitre II et point 1), l'historique de Sénégal Pêche et Armement (Première partie, chapitre I, point 2).

Ec

3. Presse et citations

Page 10

« Conformément aux intérêts et aux aspirations des peuples chinois et sénégalais, la République Populaire de Chine et la République du Sénégal ont décidé de rétablir leurs relations diplomatiques au niveau d'ambassadeurs à partir du 25 octobre 2005.

La République Populaire de Chine et la République du Sénégal sont convenues d'échanger de nouveau des ambassadeurs et de s'accorder, sur la base de la réciprocité, des facilités pour le fonctionnement de leurs ambassades respectives.

Le Gouvernement de la République Populaire de Chine soutient le Gouvernement de la République du Sénégal dans ses efforts déployés pour la sauvegarde de la souveraineté d'État et le développement de l'économie nationale. Le Gouvernement de la République du Sénégal reconnaît qu'il n'y a qu'une Chine dans le monde, que le Gouvernement de la République Populaire de Chine est l'unique gouvernement légal représentant toute la Chine et que Taiwan fait partie intégrante du territoire chinois. Le Gouvernement de la République Populaire de Chine apprécie cette position du Gouvernement de la République du Sénégal.

Après la cérémonie de signature, les Ministres des Affaires étrangères des deux pays ont eu un entretien officiel au cours duquel ils ont procédé à un échange de vues approfondi sur les relations bilatérales et les questions d'intérêt commun et sont parvenus à une large identité de vues. ».

Xinhua du 25 octobre 2005.

Page 17

Le centre agricole de Sangalkam. Les agronomes chinois ont remplacés ceux originaires de Taiwan. Voici leur témoignage : « en quittant ce lieu, nos prédécesseurs ont presque tout emporté : des machines, des ustensiles, des outils... Les pompes à eau ont été bradées et des installations sapées. A notre arrivée en novembre 2006, nous avons trouvé les locaux complètement vides comme une coque d'ceuf cassée déplore le chef de l'équipe d'agronomes chinois, Yang Tingming, 58 ans [...] et ce n'est pas tout, les champs étaient envahis par les herbes folles, si bien que rien n'y pousse sans un aménagement de fond en comble ». L'article ajoute, « planter 25 espèces de légumes comme par exemple les choux, les haricots, les aubergines, les concombres, les tomates, les ciboulettes [...] ont déjà organisé trois séances de formation technique à l'intention des cultivateurs locaux [...] en outre, sachant que beaucoup de personnes sont analphabètes, ils ont conçu un plan de formation plus direct et plus facile à suivre, sous l'appellation « de bouche à oreille et de main en main » [...] très prochainement, l'équipe chinoise va se scinder en deux groupes de cinq membres chacun, l'un toujours à Sangalkam et l'autre à Podor (nord) pour se livrer à la riziculture avec les habitants riverains du fleuve Sénégal. ».

Le Quotidien du 22 octobre 2004.

Page 18

« Combien sont les Africains qui connaissent le nom de Zhenxing Wei ? Il mérite d'être célébré partout dans le monde, et davantage sur un continent où un enfant meurt du paludisme toutes les trente secondes. Décédé le 7 septembre 1999 dans la ville de Jinan où il servait à l'Institut de Recherche de Shandon, Wei était un professeur de médecine traditionnelle chinoise. C'est lui qui, à partir des années 1960, a mené une enquête sur les propriétés de réduction de la fièvre par l'artémisine. Depuis deux mille ans, les Chinois utilisent la plante médicinale dont elle provient pour lutter contre la fièvre et le paludisme. Ils l'appellent qinghaosu, une armoire dans leur langue. C'est en 1972 que des chimistes chinois ont isolé la substance responsable de son action thérapeutique. Depuis lors, son efficacité a franchi les frontières. Personne ne doute désormais que l'artémisine peut éliminer, en moins de trois jours, le virus et la fièvre causés par le paludisme. Il s'agit d'un médicament qui peut même sauver la vie de ceux qui contractent la version la plus dangereuse, cérébrale, de la maladie. Sa découverte a évité la mort à des centaines de milliers de personnes. Cela mérite d'être souligné au moment précis où les remèdes utilisés en Afrique pendant des décennies, comme la chloroquine, la quinine ou le fansidar, ont commencé à perdre leur efficacité d'antan à cause de la résistance développée par le virus. Aucun autre médicament n'offre, à ce jour, un aussi grand espoir que l'artémisine, mais il n'est que l'un des nombreux traitements que révèlent les résultats obtenus par des siècles de médecine traditionnelle chinoise »

Gaye, Adama, Chine-Afrique : Le dragon et l'autruche - Essai d'analyse de l'évolution contrastée des relations sinoafricaines : sainte ou impie alliance du XXIème siècle ?, L'Harmattan, juillet 2006, Paris, pp. 9 et 10.

Page 39

« Cinq pays Ouest-Africains s'organisent pour la défense de leurs ressources halieutiques : réunis à Dakar, les ministres chargés de la pêche du Sénégal, de la Mauritanie, du Cap-Vert, de la Gambie et de la Guinée Bissau ont proposé la création d'un comité de concertation doté d'un secrétariat permanent pour la défense de leurs richesses halieutiques dans les domaines de la détection, de la poursuite, et de la répression des navires délinquants dans les eaux relevant de la juridiction nationale des Etats de la sous-région. Par ailleurs, la Conférence a recommandé qu'une attention particulière soit portée à la promotion de la pêche artisanale et à la création de flottes et d'industries locales concernant la pêche ».

Car Adrien Senghor, ministre sénégalais du développement rural dit : « il s'agit d'imposer un respect strict de la souveraineté de chaque État face au pillage des ressources maritimes par des pays industrialisés de l'Est comme de l'Ouest dotés de flottes sophistiquées ».

M. Senghor fait ici allusion au Japon et à la Corée, mais la Chine continentale est directement visée car intéressée par les ressources halieutiques.

La Documentation Africaine, du 26 octobre 1976

Page 40

« Pilier important de l'économie du Sénégal en termes d'entrées de devises, le secteur de la pêche ploie aujourd'hui sous des difficultés sans précédent. Pourvoyeur d'emplois, avec en moyenne plus de 500 000 actifs, 12% du Pib du secteur primaire et 2,5% du Pib total, la pêche traverse une zone de tempête qui oblige les industriels à mettre la clé sous le paillasson. Senemer, Africamer, Sochechal, Interco, entre autres entreprises de pêche, ont fini de se noyer dans les eaux troubles d'une gestion gabégique dépourvue de tout système de contrôle [...] de 2000 à nos jours, pas moins d'une dizaine d'entreprises ont fermé boutique. [...] Africamer a contraint ses 2 500 employés au chômage [...] et la liste est longue pour un secteur occupé à 80% par les femmes. Une catastrophe sociale causée par une combinaison de plusieurs facteurs, notamment la gestion opaque et laxiste de certains chefs d'entreprise, mus par leur cupidité au détriment de l'intérêt de leur société. [...] Africamer, naguère une référence dans le secteur de la pêche, a perdu son lustre d'antan. L'entreprise dirigée pendant longtemps par l'actuel ministre des Sports, El Hadji Daouda Faye, agonise aujourd'hui si elle n'a pas fini de tirer sa révérence. La société se débat dans une situation chaotique. Plus de 2500 employés désormais occupés à raser les murs. Des pères et mères de familles en détresse. Leurs enfants exclus du système scolaire pour non-paiement, sans oublier les centaines de foyers détruits. Les permanents sont restés 13 mois sans salaires. Les journaliers pour leur part, n'ont pas vu la couleur de leur argent depuis plus de 15 semaines. Ils accusent leur directeur d'être responsable de la faillite de l'entreprise »

L'Observateur du 17 mai 2006

Page 41

« Le poisson et les produits halieutiques frais constituent le produit d'exportation le plus important et le plus précieux du Sénégal. Le revenu annuel total dégagé par l'exportation des produits marins s'élève à environ 165 milliards de Franc CFA, soit 28 pour cent de la valeur des exportations nationales. Son importance sociale et économique est donc considérable. Or, compte tenu des risques réels de surexploitation, le secteur des pêches est vulnérable. Les pêcheurs artisanaux se plaignent de la diminution des captures, un phénomène imputable, selon eux, aux accords de pêche et aussi, aux bateaux de nationalité asiatique. Cela crée des tensions entre navires de pêche industrielle et pêcheurs artisanaux (en pirogues). Depuis une dizaine d'années, le gouvernement sénégalais s'efforce de contrôler davantage le secteur des pêches, mais la définition et la mise en place d'une politique nationale claire, voire durable reste à définir. En raison de ce manque de vision et des opportunités d'affaires à court terme que représentaient les ressources halieutiques sénégalaises, les entreprises sénégalo-chinoise « Sénégal Pêche » et « Sénégal Armement » ont prospéré, en dépit de la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. La société « Sénégal Armement » a été créée en 1987, lorsque les opérateurs de la « China National Fish Cooperation » ont immatriculé leurs chalutiers en territoire sénégalais, par le biais d'un partenaire local. L'objectif de la société chinoise était ainsi d'élargir sa zone d'intervention pour garantir l'approvisionnement de ses marchés, mais aussi, possiblement, pour accroître l'utilisation d'une flotte surdimensionnée pour les eaux territoriales chinoises. Cependant, en raison de la du déclin des ressources

marines du Sénégal et de la hausse des prix du pétrole, seuls 12 des 30 chalutiers initialement en activité sont encore utilisés à ce jour. « Sénégal Pêche » est une usine de transformation de poisson qui exporte principalement ses produits vers l'Europe, et dans une moindre mesure vers l'Asie, où son principal client est le Japon. Le poisson provient de plusieurs source : les prises effectuées par les chalutiers de Sénégal Armement représentent environ 40 pour cent du total, le secteur artisanal et les mareyeurs des aires locales de débarquement de pêche environ 10 pour cent. En outre, 50 pour cent des produits sont fournis par les chalutiers de la CIFC, qui pêchent en Afrique de l'Ouest sous pavillons chinois et de complaisance nationaux, et débarquent leurs captures à Dakar. En 2003, les produits halieutiques représentaient 67 pour cent des exportations globales (en valeur) du Sénégal vers la Chine. Toutefois, l'Asie ne représentait en 2003 que tout juste 7 % des volumes d'exportations sénégalaises de poisson contre 52 % pour l'Europe. La même année, en termes de valeur des exportations, l'Asie représentait 10 % (comparé à 81 % pour l'Europe). Le marché asiatique s'intéresse notamment aux ailerons de requins, aux céphalopodes et aux mollusques. Cependant, le marché chinois est important pour « Sénégal Pêche » puisque la quasi-totalité des produits halieutiques de Sénégal Pêche y trouvent des acquéreurs. Compte tenu des problèmes de surexploitation des ressources halieutiques sénégalaises, des controverses qui entourent l'activité des opérateurs chinois dans les eaux sénégalaises et de la pression exercée sur le gouvernement pour qu'il résolve ce problème, il semble que les entreprises chinoises de pêche devront s'entendre avec les autorités et les pêcheurs locaux pour adapter leurs activités et faire preuve de davantage de transparence. ».

Direction de la Protection et de la Surveillance des Pêches

Page 46

« Quel secteur d'activité au Sénégal échappe à la contrefaçon ? question facile, réponse sèche : aucun ! Tant pour les marques étrangères que les nationales, le fléau s'étend à tous les secteurs, de la maroquinerie en passant par les oeuvres artistiques, l'horlogerie, la lunetterie, la parfumerie, les cosmétiques, l'électronique, la maroquinerie, les produits d'hygiène, mais aussi le petit matériel électrique, les articles de bricolage, la serrurerie, la robinetterie, la papeterie et surtout les médicaments, sont l'objet d'un marché parallèle qui s'approvisionne essentiellement en Chine [...] mais il est un secteur comme le textile, inscrit comme une priorité gouvernementale dans la fameuse Stratégie de croissance accélérée (Sca) et dont l'impact désastreux de la contrefaçon sur la situation de l'industrie locale est palpable. Une industrie locale qui, déjà confrontée a sa faible compétitivité en raison du coût élevé des facteurs de production, la vétusté des unités (devenues rares), la volatilité du cours mondial du coton, les difficultés d'approvisionnement en matières premières, a du mal à survivre face à la concurrence de la friperie et des tissus étrangers - asiatiques en particulier - et l'importance de la fraude qui signe le déclin malheureux du secteur. ».

Que préconise le gouvernement ? « Le directeur de l'Industrie prônait il y a quelques jours, entre autres mesures, « l'instauration du port obligatoire de l'uniforme dans les écoles, doublé d'une suspension de l'importation de la friperie » qui est pour lui « le réceptacle de toutes les pratiques (fraude, contrefaçon, contrebande...) », afin de doper le secteur du textile et de la confection. Mesures pertinentes qui reviendraient à rétablir l'équilibre voire à garantir, ipso facto, par des actions énergiques et sans complaisance, la survie d'une industrie locale très mal en point, d'une filière malade et d'un marché sénégalais du textile bien fripé par une concurrence... contrefaite.

Sud Quotidien du 19 mars 2007

Page 48

« Les secteurs économiques les plus touchés par cette concurrence chinoise sont le textile et l'électroménager. D'après l'un des grossistes libanais dakarois, « depuis trois ans, les tissus chinois inondent le marché. Ils ont imité le tissu nigérian, "Angel", reprenant la marque et apposant le logo "garantie wax de qualité" alors qu'il n'y a aucun contrôle et que le tissu est très fin, de qualité médiocre. Le wax Sotiba [usine locale] se vend à 8500 francs CFA le yard alors que le Chinois se vend 7000 francs CFA [...] Tous les magasins maintenant sont obligés de vendre du tissu chinois car c'est ce qui intéresse le client qui a de moins en moins d'argent ». Il semblerait même que les représentants commerciaux de Sotiba soient conduits à racheter eux-mêmes des tissus fabriqués en Chine alors que leur propre usine implantée dans la région dakaroise périclite. Comme partout en Afrique, depuis l'essor de la friperie et aujourd'hui en lien avec la concurrence chinoise, l'industrie textile décline notablement au Sénégal en dépit des multiples restructurations. L'usine Sotexka à Kaolack a fermé ses portes alors que celle de Thiès (FTT) était reprise par la Nouvelle Société Textile Sénégalaise. Mais cette dernière a dû arrêter la production de pagnes africains en 2005, ne pouvant rivaliser avec les tarifs proposés par les fabricants chinois. Premier fournisseur de tee-shirts du pays, elle connaît également des difficultés croissantes sur ce créneau. Les fripiers qui, depuis quelques années, avaient porté un

coup sérieux aux vendeurs de wax et couturiers, à mesure que se dégradait le pouvoir d'achat des consommateurs, sont eux-mêmes concurrencés par les commerçants chinois écoulant des vêtements neufs à des prix inférieurs. « Pour 1 000 francs CFA, tu peux avoir un short et un tee-shirt pour la fête de la Tabaski pour ton enfant, ce n'est même pas le prix d'un ensemble à la friperie. Mais dans le futur, c'est dangereux pour celui qui nourrit sa famille car c'est un trou, tu dois remplacer souvent, c'est pas la bonne qualité. »

Bredeloup, Sylvie, Bertoncello, Brigitte, La migration chinoise en Afrique : accélérateur du développement ou « sanglot de l'homme noir » ? », Afrique contemporaine, N° 218, Février 2006, pp.199 à 224.

Page 49

« C'était un cadre de vie idéal. Il était bâti sur le modèle des logements sociaux qui, alors, poussaient comme des champignons dans la capitale sénégalaise. Refuge de rêve et de retraite, l'endroit présentait l'avantage d'offrir un habitat accessible en termes de coûts, sans oublier la cerise sur le gâteau, qui le rendait encore plus attractif, à savoir sa proximité avec le centre-ville qui permettait d'éviter le piège des nombreux embouteillages qui, déjà, transformaient souvent la capitale sénégalaise en un véritable enfer. [...] Mais brusquement, tout a changé avec la rapidité d'un éclair que personne ou presque n'a vu venir. Comme un tsunami humain, des hommes et des femmes aux yeux bridés, cheveux ras et noirs, aussi discrets que redoutablement efficaces, tels des félins, sont arrivés. Pour se faire une place aux côtés des autochtones, ils n'ont pas hésité à les bousculer, en louant au prix fort la plupart des maisons du quartier [...] leurs maisons furent reconfigurées pour faire place à des échoppes chinoises, mais aussi pour permettre aux nouveaux venus de se loger dans les arrière-cours. Du jour au lendemain, un nouveau « Chinatown » tropical voyait le jour.

Gaye, Adama, Chine-Afrique : Le dragon et l'autruche - Essai d'analyse de l'évolution contrastée des relations sinoafricaines : sainte ou impie alliance du XXIème siècle ?, L'Harmattan, juillet 2006, Paris, pp. 25 et 26.

Page 56

« S'il est facile pour les vendeurs ambulants et autres rabatteurs de dénicher les lieux où ils peuvent s'approvisionner à moindre frais en jouets et autres gadgets, il reste que le fait de les écouler relève d'un véritable tour de force. En effet, désengorgement du centre-ville oblige, les commerçants ont été chassés du rond-point Petersen, le lieu où la plupart d'entre eux avaient l'habitude d'exercer. D'où la colère de Ibra Sall, porte parole des commerçants ambulants du rond-point Petersen, qui tempête: « pourtant, nous travaillons ici pour gagner notre pain quotidien et voila que cette mesure nous réduit tous au chômage ». Interrogé, ce responsable de la ville de Dakar justifie la mesure de déguerpissement par le fait par que « la situation de Petersen était insoutenable, la circulation était bloquée, car les commerçant avaient pris possession de la chaussée et du carrefour ». Les éternelles courses-poursuites entre forces de l'ordre et commerçants ambulants, dopés par la flopée de produits à bon marché des Chinois, sont loin de s'estomper... »

APS du 29 décembre 2004.

Page 58

« Les Chinois ont été frustrés de la façon dont ils ont été traités dans le marché de la construction de l'aéroport de Diass [...] le consortium Zakhem/Etat chinois n'a pas été retenu. Alors qu'il était sorti premier devant le groupe saoudien Ben Laden [...] sorti en tête de l'appel d'offres non seulement grâce à la viabilité technique de son offre, mais aussi puisqu'il est moins disant de près de 100 millions de dollars, soit 55 milliards de francs environ [...] il s'y ajoute que le consortium avait déjà mis sur la table quelque 180 millions de dollars [près de 100 milliards de francs] correspondant au financement de 90 % du projet [...] il apparaît désormais que cet appel d'offres a été conduit en totale illégalité. Lequel appel d'offre rappellerait certaines pratiques déjà en exergue lors de chantiers [...] des commissions de près de 20 milliards de francs ont été prévues dans le cadre de ce marché [...] l'homme d'affaires, Pierre Aïm, serait impliqué dans ce dossier. Celui-là même qui avait touché une commission dans le cadre des fonds taïwanais » (cf Chapitre II de la Troisième partie).

Wal Fadjri du 2 janvier 2007.

Page 61

« Partout ailleurs, à Pékin, Shanghai, Shenzhen, où le « miracle chinois » est en marche, ils sont des millions - plus de 100, selon les statistiques officielles, 140 d'après Human Rights in China [...] à avoir pris, comme Xiang Long, le chemin des villes. Ce phénomène migratoire, consécutif à la politique d'ouverture et de réformes initiée par Deng Xiaoping au début des années 80, est aujourd'hui l'un des piliers de la croissance chinoise. Entassés à la périphérie des villes, les mingong forment un gigantesque réservoir de main d'oeuvre taillable et corvéable à merci. Ils représentent 80 % des ouvriers dans le bâtiment et les travaux publics et occupent près de 70 % des emplois non qualifiés dans le secteur de l'électronique. Ces émigrés sans bagages, fuyant la misère des campagnes et attirés par les lumières de la ville, ne bénéficient d'aucune protection sociale. Ils sont en effet considérés par l'administration comme des ouvriers clandestins, ayant quitté leurs villages sans y avoir été autorisés. Ils sont les dernières victimes du régime d'assignation à résidence mis en place sous Mao pour maîtriser les flux migratoires internes. Bien qu'assoupli, ce système de domiciliation obligatoire, attestée par un certificat, le hukou [...] perdure et continue à diviser la Chine, entre villes et campagnes, faisant de l'ensemble des travailleurs migrants des sans-papiers de l'intérieur. ».

Alternatives économiques N° 252 de novembre 2006.

Page 72

« Les ressortissants de cette région essentiellement agricole, grande productrice de tabac, vivent dans des conditions misérables d'autant que le froid y sévit une bonne partie de l'année. L'exode en ville constitue souvent leur seul salut. Ils font partie de ces « migrants ruraux » qui, dans les années 1980, en pleine « décollectivatisation » des campagnes, ont afflué de manière temporaire dans les bourgs voisins où une industrialisation des campagnes a été lancée par le gouvernement [...] migrants les moins démunis s'appuient sur les réseaux en place pour envisager une migration internationale. ».

Bredeloup, Sylvie, Bertoncello, Brigitte, La migration chinoise en Afrique : accélérateur du développement ou « sanglot de l'homme noir » ? », Afrique contemporaine, N° 218, Février 2006, pp.199 à 224.

Page 83

« Je suis très content des nouvelles relations entre la Chine et le Sénégal » a déclaré dans un français approximatif, Gao Feng, commerçant arrivé à Dakar il y a six mois [...] avant, se souvient-il, « tout était difficile. J'espère avoir une carte de séjour avec la réouverture de l'ambassade de Chine populaire à Dakar ; c'est bon », s'est exclamé de son côté, Hui Dong installé à Dakar depuis quatre ans pour étudier le français. Il estime que cette nouvelle donne favorisera les échanges universitaires entre les deux pays, « il était très difficile pour nous de venir étudier ici », se souvient Hui Dong ajoutant que beaucoup d'étudiants chinois aimeraient venir apprendre le français au Sénégal. « Mais avec toutes les difficultés pour avoir les papiers, ils abandonnent », déplore-il qu'avec la reprise prochaine des activités d'une ambassade, les choses vont changer ; Pour Feng Wei, la reprise des relations vient atténuer le « calvaire » que vivent, selon lui, les Chinois au Sénégal. « Notre prochain ambassadeur au Sénégal va coopérer avec la police pour nous sécuriser ici », espère-t-il. Il souligne que ce nouvel accord va améliorer les relations commerciales entre les deux peuples ». Côté Sénégalais : « Nous ne sommes pas contre les Chinois, mais ce sont leur façon de faire que nous n'aimons pas », déclare-t-il ajoutant qu'en plus « leurs produits ne sont pas bons et c'est la raison pour laquelle ils vendent à 100 francs CFA ce qui doit coûter 500 francs ». Saliou Séne, un autre commerçant, ajoute : « le rétablissement des relations est une bonne chose, c'est dans notre intérêt mais, les chinois doivent partir parce que ce qu'ils vendent n'est de la bonne qualité. Depuis qu'ils [les commerçants chinois] sont arrivés, tu peux rester une journée entière sans rien vendre et tu es obligé de payer les taxes » a-t-il déploré estimant que le gouvernement a tardé à rétablir les relations avec la Chine populaire. « On attend la suite », indique un vendeur d'appareils électroniques, membre de l'Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (UNACOIS), organisation ayant toujours dénoncé la concurrence déloyale des Chinois. « La Chine populaire nous arrange le plus. Le commerce mondial se fait aujourd'hui en Chine. Et nous avions d'énormes problèmes pour obtenir des visas » a ajouté le commerçant sous le couvert de l'anonymat. « J'ai un visa de Chine mais à chaque fois que je quitte une ville pour une autre, au cours de mes voyages en Chine, je rencontre beaucoup de problèmes. Il nous faut aller jusqu'à Paris où Dubaï pour le visa », raconte-il espérant qu'avec l'accord signé mardi à Pékin, ce sera plus facile et moins cher. La gérante d'un magasin de porcelaine à Sandaga, le grand marché du centre-ville de Dakar estime que si c'est simplement pour avoir une place de permanent au conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU) que le Sénégal à fait ça, ça ne vaut pas le coût. « On a laissé les Taïwanais investir des milliards dans le pays et subitement on rompt avec eux, c'est de la malhonnêteté » a-t- elle déploré en se posant des questions sur ce que le Sénégal va chercher dans la jungle qu'est l'ONU où seuls les riches commandent. Abondant dans le même sens, Xian Li Lang alias Singua, s'est dit « très contente en espérant beaucoup plus de sécurité et moins de problème dans les affaires. Le rétablissement des relations entre la Chine et le Sénégal va permettre aux Chinois de mieux connaître le Sénégal », pense M. Wei relevant que mardi, des amis l'ont appelé de Chine pour en savoir plus sur le Sénégal ».

APS

Page 88

« Les conditions d'établissement des commerçants chinois sont obscures aux yeux du candidat de la coalition Alternative 2007. Et ce chef de file de ce regroupement politique veut connaître, d'une manière claire, les conditions dans lesquelles les commerçants chinois sont établis au Sénégal [...] lors de sa visite aux membres de l'Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois). « Dans quelles conditions, les commerçants chinois sont installés au Sénégal ? Est-ce un accord international avec le président de la République populaire de Chine... ? », s'est-il demandé sur un accent comique. [...] « Si nous arrivons au pouvoir par la grâce de Dieu, il n'y aura pas de chasse aux sorcières. Je ne les chasserai pas. Mais je vais quand même revoir leur affaire » a-t-il promis aux commerçants. [...] « Le commerçant sénégalais qui achète, par exemple, des chaussures à l'étranger, paye beaucoup d'argent durant toutes les étapes de la marchandise. Une fois la marchandise arrivée dans son magasin, il n'arrive pas à vendre la paire de chaussure à 3000 francs parce que le Chinois vend à côté le même produit à 1000 francs. Çà ce n'est pas normal. C'est ça qui est à l'origine de la faillite du commerce sénégalais »

Wal Fadjri du 23 février 2007.

Page 90

« Les chinois sont en Europe, aux États-Unis et partout dans le monde, mais nous respectons toujours les lois et règlements des pays qui nous accueillent (Liu Hongugun établi au niveau de la rue Amadou Assane Ndoye x rue Jean Jaurès et spécialisé dans les chaussures) » [...] exerçant auparavant au Togo et au Ghana, il explique le choix de s'installer finalement au Sénégal par l'ouverture et la stabilité politique du pays, « nous sommes prêt à redoubler d'effort pour mériter la confiance du peuple sénégalais et nous nous battrons pour le développement de l'économie du pays [...] nous achetons directement nos marchandises en Chine et nous les acheminons au Sénégal à l'aide de containers, pour ensuite les revendre a des prix très bas. Nous préférons avoir 200 voire 300 francs de bénéfice sur chaque produit vendu et l'écouler rapidement que de le garder dans nos cartons » [...] on veut travailler sainement avec tout le monde ». Selon Lui, plusieurs commerçants membres de l'UNACOIS viennent s'approvisionner en articles chez eux pour les revendre ensuite sur le marché. Il a confié s'étonner donc d'entendre les mêmes personnes demander qu'on les expulse du Sénégal. Pour sa part, Jin Hongxin, établi depuis 6 ans au Sénégal, affirme sans ambages que tous les commerçants chinois installés à Dakar sont en règle et ne font pas de concurrence déloyale aux Sénégalais. Pour lui, les marchandises proposées sont très conformes à la bourse des sénégalais pauvres, car la situation de plusieurs familles est très difficile. « C'est pourquoi nous faisons venir de Chine des chaussures, des vêtements, des jouets, des sacs pour écoliers et tout ce dont les familles sans moyens ont besoin pour le leur proposer à des prix très abordables. Nous n'avons pas le même problème que les commerçants sénégalais qui achètent leurs produits à Dubaï et qui viennent les revendre au Sénégal. Ils y cherchent de gros bénéfices, ce qui n'est pas notre cas », ajoute Jin. Il a également souligné qu'avec l'installation des commerçants chinois au Sénégal, les Sénégalais sans emplois ont pu trouver un créneau, en achetant et revendant des produits chinois, tirant quelques bénéfices de leur petit commerce. « Avec un capital de 5 à 10.000 francs CFA, ces jeunes sénégalais se retrouvent, au finish, avec des dizaines de milliers de francs », souligne Jin qui ajoute que « les propriétaires sénégalais de magasins loués par les Chinois bénéficient de leur installation dans le pays, en plus des taxes reversés à l'Etat sénégalais ». Le doyen des commerçants chinois au Sénégal, Shen Wenqi établi à la rue Faidherbe x Petersen, ne cache pas son amertume concernant la réaction de certains commerçants sénégalais, mais se dit très réconforté par la réaction des autorités et des populations. « Pour nous chinois, le peuple sénégalais fait partie des peuple les plus ouverts au monde et je suis fier d'être ici », clame-t-il. Il déplore cependant le fait que ses compatriotes ne sont pas bien organisés, chacun étant occupé à ses affaires. « Aujourd'hui, nous travaillons à les regrouper et à essayer d'avoir la solidarité de tous les chinois installés au Sénégal et à partir de cette base, intégrer les coutumes et règles de vie du pays qui nous accueille », indique Shen qui gère une usine en chine soulignant que le Sénégal a besoin de se développer, estimant que « l'apport des Chinois sera bénéfique à l'économie du pays. Dans un contexte de pauvreté très avancée, il faut des mécanismes pour faire de sorte que chacun puisse trouver ce qu'il veut et selon sa bourse. Nous Chinois sommes conscients de cela et nous faisons venir au Sénégal des marchandises qui s'adaptent aux besoins des populations », dit-il. « Nous ne sommes pas là pour dicter notre loi et aujourd'hui nous essayons de trouver un lieu idéal pour y faire notre commerce, comme au centre commercial El hadji Maodo Sylla (de la grande mosquée de Dakar), où nos compatriotes s'installent petit à petit », assure Shen. Il a ajouté que lui et ses compatriotes s'installeront là où les autorités voudront et confié que l'idée d'un grand centre d'achat chinois est en vue. « Nous essayons de nous organiser pour la réalisation d'un grand china-town à Dakar ». D'autres commerçants comme Bao Jia Sen et Ding déplorent, eux, la barrière de la langue qui empêche la communication entre Chinois et Sénégalais. « Nous essayons d'apprendre le français et le wolof. En plus, nous prenons avec nous un à deux employés qui sont sénégalais et qui servent d'intermédiaire », souligne cependant Ding ».

APS du 5 septembre 2004

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« Leur histoire semble toujours commencer de la même façon : en quête d'une vie meilleure, leurs aïeux, parents ou grands-parents, ont quitté le pays d'origine pour aller vivre, dans les pays d'accueil, l'hospitalité des habitants autant que des débuts difficiles, la misère, parfois la guerre, et enfin la fortune et la gloire. L'histoire des Libanais d'Afrique est souvent ainsi faite. Selon les sources, ils seraient sur ce continent entre 250 000 et 300 000 : de 50 000 à 80 000 en Côte d'Ivoire, 30 000 au Sénégal, 25 000 au Nigeria, moins de 10 000 en Sierra Leone, au Ghana, au Gabon... De confessions diverses, chrétiens maronites, musulmans sunnites et essentiellement chiites [...] une première vague d'émigration abandonne, dès le début du XIXe siècle, la région de la montagne libanaise pour se rendre en Égypte. La seconde conduit, entre 1850 et 1950, 400 000 Libanais vers le Nouveau monde. C'est à peu près à ce moment-là que les premiers émigrants débarquent aussi en Afrique. « Au début, c'est quasiment par "accident" qu'ils arrivent sur ce continent, explique Nadim Shehadi, chercheur au Centre d'études libanaises d'Oxford (Angleterre). Les premiers ont soit raté le bateau, soit été floués par les voyagistes qui leur promettaient les Amériques en les faisant passer par Dakar ou Marseille. » [...] les communautés libano-africaines occupent de très larges pans de l'activité économique des pays d'accueil. Au Sénégal, selon l'hebdomadaire français L'Express (24/10/2002), la communauté libanaise détient 60 % des PME-PMI [...] il existe pourtant, à côté d'hommes d'affaires aux comportements fort divers, des médecins, des avocats, des enseignants, voire des hommes politiques - même si beaucoup demeurent de discrets conseillers des chefs d'Etats - ayant pris fait et cause pour leur pays d'adoption. Les Libanais de la deuxième, troisième ou quatrième génération parlent les langues locales, se marient parfois avec les habitants du pays d'accueil qu'ils considèrent comme le leur. Ils se sentent ni plus ni moins sénégalais, maliens, ivoiriens, sierra-léonais, gabonais même s'ils ne perdent pas totalement attache avec le pays du Cèdre. Ils veulent avant tout être jugés à l'aune de ce qu'ils font et non de clichés. En dépit des marques de patriotisme dont ils peuvent faire preuve, un sentiment de suspicion pèse toujours sur eux. « On reste avant tout blanc et on est vu comme tel », regrette Mary Ambourouet, un Libanais né au Gabon il y a vingt-neuf ans, et qui se dit fier d'avoir « pris un nom de Libreville ».

Rfi.fr du 10 juillet 2003, http://www.rfi.fr/fichiers/MFI/CultureSociete/952.asp

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« Les Sénégalais d'origine libanaise vivent, c'est vrai, repliés sur eux-mêmes. « Le communautarisme libanais n'est pas différent de celui des Sénégalais de New York ou des immigrés du monde entier. Et n'oublions pas qu'au temps de la colonie Arabes et Africains fréquentaient des mosquées distinctes: ce cloisonnement obligatoire a influencé les rapports sociaux, c'est certain », plaide Fayçal Sharara. Qui balaie une autre critique récurrente: « On nous reproche l'absence de mariages mixtes. Mais l'intégration ne se joue pas au niveau de la ceinture! Le fond du débat consiste à savoir si les Libanais participent au développement du pays et partagent des aspirations communes avec le reste de la nation. La réponse est oui. » Réputé pour sa stabilité, le pays de la teranga (mot wolof pour hospitalité) n'est pas entièrement à l'abri de troubles intercommunautaires. Les mini-émeutes de 1996, déclenchées par un fait divers, sont encore dans les mémoires. Cette année-là, une employée de maison est retrouvée assassinée au domicile d'un Libanais. Avant que la police n'ait le temps de démasquer le criminel - un Nigérian - la rue désigne spontanément la communauté libanaise à la vindicte. Une foule hostile se masse dans le centre-ville. Avec l'aide de certains médias, le mouvement est vite désamorcé. « Mais cet épisode nous a profondément traumatisés. Ce fut un électrochoc », se souvient Fayçal Sharara, qui décide alors, avec d'autres, de fonder l'Alliance. L'objectif unique de cette association laïque est de rapprocher les deux communautés, en remédiant au déficit d'image des Libanais. Une conférence publique est organisée, pour briser tabous et non-dits. « Il fallait mettre la "question libanaise" sur la place publique. On m'a dit: "Tu es fou!"; "Ne braquons pas les projecteurs sur nous!", autrement dit: vivons cachés pour être heureux. A mon sens, il faut au contraire sortir du ghetto et participer davantage à la vie de la cité. » Depuis, l'Alliance a convaincu les Libanais, ces abstentionnistes congénitaux, de la nécessité de sortir de l'ombre en votant lors des élections, manière d'affirmer leur citoyenneté. Jusqu'à présent, rares sont les Libanais à s'être aventurés dans les sables mouvants de la politique, hormis Kazem Sharara (père de Fayçal), ex-conseiller du président Diouf, Fares Attyé, ex-militant socialiste, Samir Abou Risk, aujourd'hui conseiller municipal de Rufisque, ou encore feu Ramez Bourgi. Au vrai, ils ne s'y sentent pas les bienvenus. «Pas un seul haut fonctionnaire, député ou ministre n'est d'origine libanaise. Parmi 60 conseillers, le président Abdoulaye Wade n'a pas daigné choisir un seul Libanais... Notre communauté comporte pourtant des gens de talent qui, à l'instar des Corses en France, estiment devoir être représentés au niveau de l'État », remarque Samir Jarmache, vice-président de l'Alliance. ».

L 'Express du 24 octobre 2002, http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/liban/dossier.asp?ida=358580&p=1

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« Pour des raisons liées à l'histoire, au statut et au rôle de la France dans le monde, l'Afrique en général et le Sénégal en particulier s'intéressent évidemment à tout changement politique majeur en France [...] de toute évidence, la France et nous avons désormais plusieurs défis à relever ensemble : notamment la question de l'immigration, la coopération pour le développement (qui n'est pas nécessairement le co-développement), la lutte contre le terrorisme, la protection de l'environnement et le futur partenariat eurafricain, pour ne citer que quelques exemples. En scrutant l'horizon, beaucoup d'observateurs du futur voient dans leur «radar» de nouvelles puissances qui domineront le monde : la Chine, l'Inde, le Brésil et les États-unis d'Amérique. L'Europe n'y apparaît au mieux qu'en pointillé, l'Afrique de façon encore plus discrète, marginale. [...] C'est pourquoi je pense que l'Afrique, riche de ses immenses potentialités humaines et naturelles - quoique freinée par son retard technologique -, et l'Europe, nantie de ses formidables avancées technologiques et scientifiques - mais souffrant d'un déclin démographique -, peuvent forger un avenir commun dans un véritable partenariat stratégique, fondé sur une nouvelle solidarité objective, débarrassée de tout complexe d'anciens colonisés et d'esprit paternaliste. [...] Cette dimension humaine est irréductible dans les relations franco-africaines, plus encore dans les relations franco-sénégalaises. Nos intérêts sont liés et interdépendants. On ne peut effacer d'un trait ce legs historique. En somme, il y aura toujours un besoin d'Afrique pour la France comme il y aura toujours un besoin de France pour l'Afrique ».

Le Figaro du 15 mai 2007

5. Bibliographie

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Atlas et ouvrages géopolitiques généraux

L'État du monde -- Annuaire économique géopolitique mondial, La Découverte, Paris, 2004, 672 pages. GÉRÉ, François, La nouvelle géopolitique - guerres et paix aujourd'hui, Larousse, Paris, 2005, pp. 120 à 122.

POURTIER, Roland, DUGOT, Philippe, HENRIET, Jean-Michel, LOISON, Gérard, MUTIN, Georges, Géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, Nathan, Paris, 2006, 351 pages.

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Site du gouvernement du Sénégal : http://www.gouv.sn/

Site de l'Agence chargée de la promotion de l'investissement et des grands travaux : http://www.apix.sn/ Site de l'Agence de presse sénégalaise : http://www.aps.sn/

Site de l'Agence nationale de la statistique et de la démographie : http://www.ansd.org/

Site des Archives : http://www.archivesdusenegal.gouv.sn/

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Site de l'Agence de presse chinoise : http://www.french.xinhuanet.com/ Centre d'informations Internet de Chine : http://french.china.org.cn/

Sites 9nternet en rapport avec les entretiens effectués

PETROSEN: http://www.petrosen.sn/ MIFERSO: http://miferso.net/

UNACOIS: http://www.unacois.sn/ CNP: http://www.cnp.sn/

CNES : http://www.cnes.sn/

ASCOSEN: http://www.ascosen.sn/






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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci