Université Paris I
Panthéon-Sorbonne
UFR de sciences économiques 02
Master 2 Recherche Economie des ressources humaines et des
politiques sociales
L'influence des principes de la doctrine
sociale de l 'Eglise sur les politiques de
ressources humaines des entreprises
Sous la direction du Professeur Jean-Marie
Monnier Mémoire présenté et soutenu par Ranim
El-Hage
Paris
L'Université de Paris I Panthéon - Sorbonne
n'entend donner aucune approbation ni désapprobation aux opinions
émises dans ce mémoire ; elles doivent être
considérées comme propres à leur auteur.
A la mémoire de Père Simon El-Zind
Remerciements
Je tiens à assurer de mes remerciements tous ceux qui ont
contribué à la réussite de ce mémoire.
Ma meilleure reconnaissance va au Professeur Jean-Marie
Monnier, directeur de ce travail, qui a généreusement
donné de son temps pour orienter mes efforts et me procurer quelques
références-clés. Je tiens particulièrement à
lui exprimer toute ma gratitude pour ses encouragements réconfortants,
surtout lorsque j'allais à nos réunions de travail avec le
sentiment d'avoir fait du surplace depuis la dernière rencontre.
Un grand merci à M. le Professeur Bernard Gazier,
directeur de ce master. C'est lui qui, dès la réunion de
prérentrée, m'a donné le feu vert pour entamer ce sujet
pas très exploité dans les filières académiques, et
m'a suggéré comme directeur le Professeur Jean-Marie Monnier,
expert dans les questions inhérentes au catholicisme social.
Je voudrais surtout exprimer ma très grande gratitude
aux interlocuteurs de ce mémoire, MM. Pierre Deschamps, Emmanuel Gravier
et Xavier Grenet, qui sont les dignes messagers de la pensée sociale
chrétienne et qui confirment la pertinence sociale et la portée
humaine de cette doctrine.
Je tiens également à remercier à l'avance
tous les membres du jury pour le temps qu'ils accorderont à la lecture
et à l'évaluation de ce mémoire.
Finalement, je voudrais remercier mon père, Dr. Youssef
Kamal El-Hage, à qui je dois mon éclairage sur la doctrine
sociale de l'Eglise et mon intérêt pour ses principes depuis que
j'ai décidé, il y a deux ans, de poursuivre mes études
dans la voie de l'économie du travail et des ressources humaines.
Introduction
Le communisme, on le sait bien, s'est effondré.
Cependant on pourrait, dans une certaine mesure, comparer ses buts à
ceux de la « Doctrine Sociale de l'Eglise » (DSE),1 qui
s'est progressivement affirmée pendant plus d'un siècle :
comparer les buts, certes, surtout celui de contrebalancer le pouvoir du
capital lorsque ce dernier piétine la dignité de «
l'inférieur », mais pas les moyens. En effet, le communisme
«met une arme tranchante au service de sa doctrine, l'arme de la lutte
des classes, mobilisant les foules. »2 Cette arme est
offensive et souvent sanglante, à l'opposé même de la
pensée chrétienne qui, quant à elle, n'espère que
réconcilier, de manière harmonieuse et pacifique, capital et
travail.
L'histoire de la DSE commence en 1891, avec l'encyclique
Rerum novarum du Pape Léon XIII, qui pose les bases des trois
axes fondamentaux de l'entreprise : la justice sociale, la recherche du bien
commun et le rôle des corps intermédiaires. Mais le terme
« entreprise » n'apparaît pour la première fois qu'en
1931. Des concepts tels que « organisation, formation et évolution
des carrières » sont encore plus tardifs. Ce n'est qu'après
la Seconde Guerre mondiale que l'entreprise s'insère vraiment, en tant
que telle, dans l'ensemble de la DSE, dont les exigences et articulations, en
perpétuelle expansion, y font de plus en plus référence.
Aujourd'hui, on pourrait dire que les grands principes de la DSE sont
considérés par les grands entrepreneurs de ce monde, constamment
déchirés dans leurs réflexions entre rentabilité
financière et solidarité humaine, comme une vision d'ensemble de
plus en plus directrice. Cette vision, quant à elle, aspire à
« l'organisation de la cité », notamment à l'heure
actuelle où le retour du capital et de l'actionnariat, et le
développement de la société de consommation et de ses
médias, lancent les valeurs chrétiennes de l'entreprise dans une
aventure sans précédent. La « guerre non sanglante » de
la DSE contre le déséquilibre capital-travail n'est pas encore
gagnée, d'autant moins que les armes du capitalisme à outrance se
sont encore plus dangereusement développées
1 Par le terme « Eglise », nous entendons
plus précisément l'Eglise catholique tout au long de ce
travail.
2 Michel Albert, Les Eglises face à l'entreprise,
Ed. du Centurion, 1991, p. 9
et que se sont ajoutés à la bataille les chiffres
d'affaires colossaux des « monstres internationaux souterrains » qui
parasitent l'économie mondiale et la santé humaine.
Le corpus de l'enseignement social de l'Eglise ne cesse,
depuis plus de cent ans, de se développer au rythme des besoins de
l'humanité. En cela, il consolide les activités de toutes les ONG
ramant à contre-courant dans un monde cruel, toujours témoin de
la dangereuse séduction de la fortune au détriment des exigences
de justice et de solidarité humaine.
Aussi, dès ses premières interventions dans
l'entreprise, l'Eglise s'est efforcée d'enrichir de manière
convaincante le vocabulaire managérial en ajoutant « participation
», « consultation » et « dialogue » à «
rentabilité », « déficit » et « marché
financier ».
L'Eglise n'a donc ni défendu le socialisme, ni
adopté le libéralisme. Elle a soigneusement recueilli de chacun
des idées-forces qui, une fois explicitées de façon plus
nuancée, se révèlent conformes aux valeurs
chrétiennes. Ainsi, la DSE défend la liberté individuelle
d'entreprendre et le droit à la propriété privée,
tous deux issus du libéralisme, mais seulement dans la mesure où
leurs fruits bénéficieront au bien commun, au
développement de l'Homme et à la préservation de
l'environnement. Et bien que l'Eglise ait sanctionné l'idée de
l'existence de « syndicats » pour les travailleurs, idée
curieusement amorcée par le libéralisme, elle ne cesse de
rappeler que « les rapports au sein du monde du travail doivent
être caractérisés par la collaboration », car
« dans tout système social, autant le travail que le capital
sont indispensables au processus de production. »3 Enfin,
si le socialisme entend par principe de subsidiarité l'idée selon
laquelle l'Union est tenue de prendre en charge toute tâche qui, du fait
de son ampleur et pour des motifs de mise en oeuvre efficace, est susceptible
d'être mieux exécutée par l'Union que par les Etats pris
isolément, le pape Pie XI entend par contre, dans son encyclique
Quadragesimo anno de 1931, que l'élément
supérieur aide l'élément inférieur
3 Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium
de la Doctrine Sociale de l 'Eglise, Libreria Editrice Vaticana , 2005, n.
306.
à mieux exécuter par lui-même la
tâche que ce dernier est à même d'entreprendre de la
manière la plus efficace, sans toutefois se substituer à lui ou
le faire à sa place. Ainsi, l'Eglise entend encourager l'individu
à l'innovation et à la création simultanée de
valeur et d'emploi plutôt que de le voir démotivé par
l'assistanat et donc démuni de tout esprit d'initiative pouvant servir
la communauté.
Cette idéologie nouvelle, une sorte de troisième
voie, une doctrine de « juste milieu », soutenue sans réserve
par les uns, farouchement contestée par les autres, surtout pour sa
position jugée plutôt indécise et sans option ferme, a
suscité l'apparition d'une abondante littérature couvrant tous
les aspects de la vie sociale, notamment le monde du travail, la vie des
entreprises et le partenariat social. Mais c'est bien le « Compendium
de la Doctrine Sociale de l'Eglise », publié en 2005 par les
soins du « Conseil Pontifical Justice et Paix », qui regroupe le
mieux les grands principes de la pensée chrétienne sur la
question sociale. Ce Compendium est devenu un peu comme une « Bible du
management », qu'un nombre non négligeable de croyants, de
prêtres, de penseurs, de sociologues mais aussi d'entrepreneurs et de
responsables économiques, consultent régulièrement pour
prendre du recul et parfois pour s'y réfugier loin du monde implacable
des affaires. Les décideurs chrétiens en affaires deviennent
conscients qu'ils sont trop souvent conditionnés par la seule loi du
profit, ce qui les éloigne de leur vraie vocation. Ces moments de recul
et de recueillement sont certes rares, mais perçus comme chers et
sacrés, et parfois déterminants dans toute prise de
décision radicale, susceptible de bousculer les collaborateurs dans
l'entreprise, le groupe ou le réseau d'entreprises. Que de fois, en
effet, une simple signature d'un contrat « mal pensé », ou un
deal « appétissant » pour faire monter en flèche la
valeur des actions, a pu mettre des centaines de travailleurs au chômage,
des milliers d'enfants hors des écoles, et enfoncer d'innombrables
foyers dans la misère.
Penser avant d'agir, traduire son idéal de vie par des
initiatives quotidiennes, exercer l'autorité pour coordonner et non pour
détrôner, résister aux difficultés
économiques par la créativité, l'innovation, et
l'investissement dans le capital productif, voire essentiellement dans le
capital humain, au lieu d'en réduire lâchement l'effectif :
tels sont les principaux défis
économico-éthiques posés aux responsables entrepreneuriaux
dans les moments de crise et qu'ils sont tenus de relever.
Le but de ce mémoire est de retracer l'histoire de la DSE
depuis ses origines et de déceler son impact actuel sur le «
business contemporain ».
Dans une première partie, nous passerons en revue les
principales encycliques sociales ainsi que quelques interventions des papes
dans le monde du travail. Dans cette même partie, l'éthique
d'entreprise sera formalisée dans son cadre universel « laïque
», sans encore rentrer dans le détail de l'apport spécifique
de l'enseignement social de l'Eglise pour cette éthique. Dans une
deuxième partie, nous discuterons des principes de la DSE touchant le
monde du travail et des ressources humaines, pour dégager ensuite, dans
une troisième partie, les fondements d'un modèle de management
chrétien. La quatrième partie, empirique quant à elle,
présentera diverses associations et regroupements de dirigeants
chrétiens en France ainsi que leurs principales activités. La
dernière partie, qui complète la précédente,
portera sur des entrevues que j 'ai pu passer avec des entrepreneurs
chrétiens engagés, soucieux de mettre les exigences de leur foi
au service des communautés qu'ils dirigent. Leur souci de rendre
aisé mon accès aux locaux de leurs entreprises, l'observation de
leur cadre de travail, l'expression des visages de leurs collaborateurs, ainsi
que la transparence de leurs entretiens avec moi, seraient en soi dignes
d'être longuement relatés tant ils sont intimement
corrélés au contenu même des témoignages,
eux-mêmes fidèles aux principes fondamentaux de la DSE. Je
synthétiserai les difficultés auxquelles ces chefs d'entreprise
ont dû faire face, ainsi que les erreurs que nombre d'entre eux ont
avoué avoir commises et dont ils ont pu éviter les
conséquences néfastes grâce à une négociation
loyale avec leurs partenaires dans l'entreprise. Ces cadres occupent des postes
de responsabilités différentes : membre d'un directoire
hétérogène, DRH, propriétaire PDG. Les marges de
manoeuvre dont ils disposent varient en conséquence. Mais autant la
marge est réduite, autant le responsable est naturellement porté
à incarner un plus grand faisceau de valeurs humaines. Investi de la
confiance de ses supérieurs, il peut alors engendrer, grâce
à sa conscience professionnelle innée et à
ses convictions éthiques et humaines par-delà
l'entreprise, une nette amélioration des conditions de travail.
***
I. Les principaux textes de l'Eglise sur le
monde du travail et l'éthique
d'entreprise
I.1 Les principales encycliques sociales sur le travail
de Léon XIII à Jean-Paul II
I.1.a Léon XIII : Encyclique « Rerum novarum
» sur la condition des ouvriers (1891)
La toute première encyclique sociale de l'Eglise,
Rerum novarum, promulguée par Léon XIII en 1891, est
apparue au moment du passage d'une partie de l'Europe de l'agriculture à
la société industrielle (voir annexe 1). Cette encyclique
historique constitue à juste titre la charte des travailleurs et la base
de toutes les encycliques sociales ultérieures sur le travail. Son
inspiration sera régulièrement célébrée et
actualisée par plusieurs encycliques ou lettres apostoliques
postérieures (Quadragesimo anno de Pie XI, Mater et
Magistra de Jean XXIII, Octogesima adveniens de Paul VI,
Laborem exercens et Centesimus annus de Jean-Paul II).
L'axe de réflexion central dans Rerum novarum
est la question ouvrière dans toute son ampleur. L'encyclique
analyse les rapports travail-capital et les modalités de coexistence des
classes dans un climat sain et productif. Travailleurs, capitalistes, et
dirigeants publics ont des devoirs les uns envers les autres. Tous ont des
droits inaliénables qu'il est digne de respecter et d'acquérir,
tout en respectant le principe de collaboration, opposé à la
lutte des classes, comme moteur fondamental pour le changement social, une
approche en soi tout à fait non-marxiste puisqu'elle n'engendre pas le
conflit. C'est le passage de l'ère agricole à l'ère
industrielle qui a opéré une transformation dramatique dans les
rapports entre patrons et ouvriers. Les nouveaux rythmes de travail industriel,
conditionnés par la production de masse et à la chaîne, ont
figé les travailleurs et renforcé leur dépendance
vis-à-vis de l'usine, devenue leur source, parfois unique, de
gagne-pain. A la même époque, les corporations étaient
abolies, d'où la disparition d'une protection autrefois indispensable
pour les subordonnés. Dans ce contexte, tout sentiment d'appartenance,
religieuse ou autre, disparaissait, et les
travailleurs se retrouvaient isolés et sans
résistance face à leurs maîtres, qui se partageaient la
majorité des richesses mondiales en la concentrant dans leurs
réseaux industriels et commerciaux.
Le fait est que chaque partenaire social - travailleurs,
patrons, pouvoirs publics - doit apporter son concours pour harmoniser l'action
commune dans un environnement désormais
déréglementé. Rerum novarum insiste sur le fait
que les classes ne doivent pas être ennemies mais complémentaires,
et l'équilibre de leur co-existence doit être assuré et
entretenu. Une sorte de « solidarité organique » au sein d'une
collectivité dans laquelle « l'individu tout en devenant plus
autonome apparaît aussi comme plus dépendant.
»4 La survie de l'une de ces classes dépend alors
de celle de l'autre. L'ouvrier a le devoir d'accomplir fidèlement le
travail qu'il s'est engagé à honorer, et ce par contrat libre et
initiative personnelle. Il doit prendre soin du capital matériel que son
patron lui a confié, et mettre toute son âme pour assurer une
production de qualité, quelque soit sa nature. Le travailleur a
d'ailleurs bien plus d'estime pour la matière, rare à ses yeux,
que le patron. Ses revendications doivent se faire à travers un dialogue
noble avec son supérieur. Toute réaction violente doit être
évitée. Toutefois, un travailleur intelligent est avant tout
vigilant dans le choix de ses maîtres. Il doit savoir échapper
à tout contrat qui soit « trop beau pour être vrai »,
qui ne mènerait qu'à la ruine de la relation d'emploi. Le travail
physique n'est point une honte pour l'homme ; bien au contraire. C'est un moyen
de préserver son dynamisme et sa vitalité. Le patron doit veiller
à la dignité de son dépendant. Au-delà des
conditions de travail et du respect des différences d'âge et de
sexe, il doit respecter le temps libre du travailleur, que ce dernier aimerait
et même devrait consacrer à sa famille et à sa formation
continue. Le patron n'a aucun droit d'entraver l'épargne du travailleur,
qui n'est pas abondante et dont l'accumulation lui confie un droit de «
propriété privée ». L'Etat, quant à lui, doit
veiller tout particulièrement sur le sort des travailleurs, qui sont les
plus démunis dans l'édifice social, et s'engager à
améliorer leurs conditions de vie, tant pour assurer la
sécurité générale de tous que pour éviter
les crimes de subsistance.
4 Emile Durkheim, Préface de De la division
du travail, 1893.
I.1.b Pie XI : Encyclique « Quadragesimo
anno » sur l'instauration de l'ordre social (1931)
Quarante ans après Rerum novarum, la relation
capital-travail a de nouveau évolué. Deux ans après la
grave crise économique de 1929, les entreprises sont en
difficulté et le chômage touche de plein fouet le monde ouvrier.
Dans la foulée de cette crise mondiale sans précédent, Pie
XI publie en 1931 son encyclique Quadragesimo anno pour
commémorer les quarante ans de Rerum novarum. Il y
préconise un nouvel ordre social, basé sur une nouvelle
manière de répartir les fruits de la croissance. L'idée du
salaire de subsistance devrait désormais être
écartée. Certes, la propriété privée du
capitaliste est toujours respectée, mais le développement et la
multiplication du fruit du capital ne pourraient avoir lieu sans le roulement
et la consommation de la société. Il faut revenir à
l'idée de l'accumulation de l'épargne, qui permet au pauvre de
faire face aux charges familiales, et à l'incertitude qui le touche en
premier. Le subordonné a le droit de pouvoir offrir à ses enfants
plus de chances et d'opportunités qu'il n'en a eu lui-même. De ce
fait, ouvriers et employés devraient être plus impliqués
dans la propriété de l'entreprise, dans sa gestion et dans ses
profits.
Léon XIII avait déjà
précisé que le salaire ne se calculait pas simplement par une
formule mathématique proportionnelle à la productivité du
« louage d'ouvrage ». Notons aussi que les professions sont
étroitement solidaires, car la force de travail bénéficie
aussi bien à l'individu qu'à la société. La
rémunération devrait alors augmenter proportionnellement aux
avantages dont bénéficie l'entourage suite à la
consommation ou l'utilisation de la valeur créée, et ce en
particulier à une époque où la femme n'avait pas encore
accédé officiellement au marché du travail, et où
il était primordial qu'elle ne soit pas obligée de
négliger l'éducation des enfants et l'harmonie de son foyer pour
travailler à la survie du ménage dans des conditions
épuisantes. Le salaire masculin devrait donc suppléer aux besoins
de toute la famille, sans pour cela atteindre des niveaux utopiques qui
mettraient en péril la compétitivité de l'entreprise et
accélèreraient sa ruine, au détriment du travailleur
lui-même et de la société, exposée de ce fait
à un chômage de masse, voire à une ruine structurelle. En
contrepartie, l'entreprise aurait le devoir de ne point négliger le
souci de son développement et de son progrès économique,
et devrait se
voir dans l'obligation d'assumer la responsabilité pour
toute dépression qu'elle aurait pu éviter si elle avait
été plus vigilante dans sa gouvernance.
Dans ce contexte de crise généralisée
à laquelle l'entreprise est incapable de faire face, même en
mettant tous ses efforts dans la bonne gérance interne, les pouvoirs
publics ont un rôle primordial à jouer. Et si la
prospérité des nations est étroitement liée
à la modération des tensions entre les classes, il est
nécessaire de faire converger les efforts vers l'élaboration
d'une politique salariale qui soit acceptée par tous, une politique qui
permette à l'ouvrier de se procurer, au-delà de la simple
subsistance, des fonds de réserve lui permettant de saisir les
opportunités nouvelles pour améliorer son statut
économique. A ce niveau, les autorités publiques ne sont pas
uniquement tenues d'améliorer la situation des défavorisés
à travers une redistribution des richesses, mais surtout en leur
délégant le maximum de tâches qu'ils seraient aptes
à entreprendre. Ceci découle du respect du principe de
subsidiarité, qui sera par la suite abondamment abordé et mis en
valeur dans cette encyclique.
Pour ce qui est de l'ordre social, préconisé par
Pie XI, il consiste à regrouper les travailleurs par métiers et
par branches d'activité afin qu'ils puissent valoriser leurs
intérêts communs et les défendre continuellement, tout en
les orientant vers le bien commun de la société, qui ne peut ni
être livrée au libre jeu de la concurrence, ni
délaissée entre les mains de la dictature, et qui a donc besoin
d'institutions intermédiaires conçues sur les principes de
justice, de charité et de collaboration économique. On
était bien loin de cet idéal dans le monde de Pie XI, régi
par des oligarchies sans aucun scrupule éthique ou professionnel. Ces
oligarchies accaparaient pouvoir et richesses, disposant illégalement
des ressources des nations, qu'ils détournaient à leurs profits
personnels. Cette immoralité des dirigeants avait fini par atteindre les
travailleurs, surtout les plus jeunes, qui se voyaient lésés,
harcelés et désorientés en début de parcours
professionnel. Ils étaient alors séduits par l'argent facile et
succombaient, souvent bien tôt, aux réseaux de corruption d'autant
que la Grande Guerre et la Grande Crise avaient poussé les gens à
se lancer dans la criminalité et dans les affaires du « dirty money
».
I.1.c Jean-Paul II : Encyclique « Laborem exercens
» sur l'homme au travail (1981)
Quatre-vingt dix ans après Rerum novarum, Jean
Paul II consacre l'encyclique Laborem exercens au travail, «
bien fondamental de la personne, facteur primordial de l'activité
économique et clef de toute la question sociale.»5
Entretemps, plusieurs papes étaient intervenus sur des questions
sociales de prime importance. Jean XXIII, dans son encyclique Mater et
magistra (1961), commémorant le soixante-dixième
anniversaire de Rerum novarum, avait abordé le thème de
l'universalisation de la question sociale : les inégalités
à l'intérieur des nations sont désormais ressenties au
niveau international, faisant ressortir clairement la situation dramatique dans
laquelle se trouvait le tiers monde pauvre. Et Paul VI, dans sa lettre
apostolique Octogesima adveniens (1971), à l'occasion du
quatre-vingtième anniversaire de Rerum novarum,
réfléchissait sur les problèmes complexes de la
société post-industrielle, notamment du chômage, de la
condition des jeunes, de l'accroissement démographique et des
discriminations, et sur l'insuffisance des idéologies existantes pour
répondre à ces défis. Ainsi, de pontificat en pontificat,
les papes se faisaient régulièrement le porte-parole d'une
société universelle juste et fraternelle qu'il devenait de plus
en plus urgent de construire.
Dans Laborem exercens, Jean-Paul II relance le
débat sur le travail humain. Face au chômage de masse qui gagne en
intensité depuis les chocs pétroliers, il souligne l'importance
particulière des entreprises, responsables de veiller à ce que
leurs innovations continues et leurs gains de parts de marché se
traduisent par une création d'emplois. L'Eglise rame à
contre-courant dans une mer de plus en plus agitée.
Avec le développement de nouvelles formes «
sociales » du capitalisme, on aurait pu croire que le travail serait
désormais pensé et évalué plus humainement
qu'auparavant, mais un nouveau facteur est venu s'ajouter à
l'équation sociale : la mondialisation de l'économie, et donc la
multiplication des employeurs agissant en interdépendance. L'idée
de l'autarcie est désormais dépassée. L'employeur d'une
entreprise dépend de son
5 Compendium de la Doctrine Sociale de l 'Eglise,
n. 101.
secteur, et le secteur, à son tour, de
l'économie nationale, elle-même dépendante des conditions
économiques de l'extérieur. Ces employeurs invisibles, distants
mais influents, sont appelés employeurs indirects. Bien qu'ils
n'interviennent pas dans les détails des contrats de la relation directe
employeur-salarié, ils peuvent influencer les salaires et les
trajectoires des employés, et même conditionner les termes du
contrat que fixe le patron direct. Pour Jean-Paul II, le principal employeur
indirect qui soit responsable, d'un point de vue éthique, de mener une
politique juste de travail est bien l'Etat, notamment en adoptant des
politiques tendant à résorber le chômage. Le pape
s'inquiète surtout pour les jeunes diplômés atteints par la
crise du chômage, et préconise alors la nécessité de
subventionner ces périodes de crise selon le principe de l'usage commun
des biens.
A l'époque, les différents Etats sont certes
interdépendants, notamment au niveau économique, et plus aucun
pays ne peut vivre en parfaite autosuffisance. Mais les grands pays
industrialisés profitent d'un avantage comparatif par rapport aux plus
petits. Ils dominent le marché et les secteurs dans lesquels ils sont
impliqués. Cette monopolisation les incite à hausser les prix des
outputs et à baisser jusqu'à exploitation les prix des inputs,
d'où l'apparition dans ces pays d'une main d'oeuvre, souvent
étrangère, vouée aux travaux physiques rudes dans des
conditions de servilité. C'est le « quart-monde », et cette
nouvelle servilité ne fait qu'accroître les clivages entre les
pays. Dans ces conditions, le droit du travailleur devient on ne peut plus
élastique. L'employeur s'en sert comme «marge de manoeuvre »
pour rééquilibrer son bilan en cas de tout choc pouvant freiner
le roulement de son activité. C'est pourquoi Jean-Paul II recommande la
prise en considération du droit inaliénable des travailleurs, qui
doit demeurer un paramètre constant et inviolable pour l'entreprise. Ce
droit doit aussi être préservé par les employeurs
indirects, et en particulier par l'Etat.
Ainsi, Jean-Paul II se concentre sur le problème du
chômage, sur la nécessité de sa prise en charge collective,
et sur l'urgence de trouver des solutions en stimulant la création
d'emplois avant que la crise ne se traduise en une impasse structurelle
parasitant la santé globale de l'économie nationale. Chaque
chômeur a droit à la vie et à la subsistance à
travers le principe de l'usage commun des biens.
I.1.d Jean-Paul II : Encyclique «
Sollicitudo rei socialis » sur la préoccupation de la question
sociale (1987)
En 1967, le pape Paul VI publia une célèbre
encyclique sociale, Populorum progressio, consacrée aussi bien
au développement solidaire de l'humanité qu'au
développement intégral de l'homme. Pour que chaque personne sur
la planète puisse profiter du développement, défini comme
« le passage, pour chacun et pour tous, de conditions moins humaines
à des conditions plus humaines,»6 le pape fait
appel au principe de solidarité entre peuples riches et peuples
pauvres au niveau mondial.
Vingt ans après, Jean-Paul II commémore le
vingtième anniversaire de Populorum progressio en publiant son
encyclique Sollicitudo rei socialis, qui aborde à nouveaux
frais le thème du développement. Il y a, dit l'encyclique, une
différence entre progrès et développement, et c'est ce
dernier qui, au-delà de la possession des biens et des services
matériels nécessaires, favorise la plénitude de l' «
être » humain. Pour cela, le pape préconise de nouveau la
solidarité entre les peuples, allant même jusqu'à affirmer,
en évoquant la devise du pontificat de Pie XII, « Opus
iustitiae pax », la paix est le fruit de la justice : «
Aujourd'hui on peut dire, avec la même justesse et la même
force d'inspiration biblique : Opus solidaritatis pax, la paix est le
fruit de la solidarité.»7
Sur un registre parallèle, Jean Paul II rappelle
l'importance du droit à l'initiative économique, souvent
étouffé dans des Etats dont l'appareil bureaucratique, fortement
informatisé, est l'unique organe d'organisation, de décision,
sinon même de possession. Or, souligne le pape, la «
personnalité créative du citoyen »8 est
éthiquement incompressible et ne peut, comme le prétendent
certains, se fondre au nom d'une prétendue « égalité
», qui ne serait pas la véritable égalité mais une
sorte de nivellement par le bas. Cette personnalité créatrice
permet de combattre la bureaucratie dominante, ainsi que la concentration des
richesses dans les mains d'une minorité. Dans le cas
6 Paul VI, Populorum progressio, n. 20.
7 Jean Paul II, Sollicitudo rei socialis, n.
39.
8 Jean Paul II, Sollicitudo rei socialis, n.
15
contraire, c'est-à-dire en présence d'un Etat
entravant le droit à l'initiative en matière économique et
démotivant l'innovation, les citoyens, par frustration ou par
désespoir, vont se désintéresser de la vie nationale, et
les plus qualifiés d'entre eux seront poussés à
émigrer. De même, toute entrave aux autres droits humains, tels
que les droits à l'expression, à l'association et à la
liberté religieuse, appauvrira avant tout la santé sociale ainsi
que l'harmonie de la diversité d'un peuple.
I.1.e Jean-Paul II : Encyclique
«Centesimus annus» sur les cent premières années de
pensée sociale de l'Eglise (1991)
Pour le centenaire de Rerum novarum, Jean-Paul II
publie sa troisième encyclique sociale, Centesimus annus, en y
faisant ressortir la continuité doctrinale de cent ans d'enseignement
social de l'Eglise.
En matière de « travail », l'encyclique
rappelle les recommandations de Léon XIII qui, à l'époque,
était intervenu pour redimensionner ce concept, non limité
à son apport laborieux, mais conditionné par la vocation de la
personne dans le domaine de la création de richesses et dans le domaine
social et familial.
Les papes n'ont pas épargné les critiques au
socialisme déresponsabilisant la personne et allant à l'encontre
du bien commun. La triste expérience historique des pays socialistes a
apporté la preuve d'une augmentation de l'aliénation sous ces
régimes et d'une pénurie accrue des ressources. Rerum novarum
s'oppose donc à l'étatisation des instruments de production,
qui réduirait chaque citoyen à n'être qu'un boulon dans la
machine de l'Etat. L'Etat a à charge de déterminer un cadre
juridique sain qui stimulerait l'initiative privée en prônant une
sphère privée autonome et créatrice d'emplois.
Léon XIII avait pris la défense absolue de la
propriété privée. Ses successeurs ont eu une vision plus
modérée à ce niveau. Ils ne s'opposent pas à la
liberté des marchés ni au profit, indicateur du bon
fonctionnement de l'activité, mais exigent un contrôle
légitime par les partenaires sociaux afin de garantir les besoins
fondamentaux de toute la société. L'entreprise est avant tout une
communauté de personnes qui se met au service
de la société entière en multipliant les
richesses qu'elle manipule. L'Eglise reconnaît le caractère
positif du marché, qui ne peut être reconnu comme tel qu'à
travers le développement intégral de la personne humaine, y
compris dans le travail, où elle améliore son efficacité
et sa créativité. C'est à ce niveau que l'Eglise se situe
au-delà des deux courants classiques du socialisme et du capitalisme, en
instaurant un ordre social dirigé par l'Etat, mutualisant les risques
économiques et sociaux et mobilisant ainsi de nouvelles ressources au
service de l'investissement dans le bien commun. Ceci passe par une
démocratie authentique et une orientation intellectuelle idéale
afin que la coresponsabilité soit acceptée par toute la
société. Jean-Paul II insiste également sur la
réalisation d'une production ex-post de qualité, en soulignant le
problème de l'environnement ainsi que les répercussions du
travail sur la famille.
I.1.f Benoît XVI : Encyclique « Deus caritas
est » sur le Dieu amour (2005)
Durant sa première année de pontificat,
Benoît XVI publie sa première encyclique, Deus caritas
est, le 25 décembre 2005. Cette encyclique n'est pas à
proprement parler une encyclique sociale. Le pape n'y traite pas explicitement
des questions inhérentes au travail et à l'organisation des
ressources humaines. Il véhicule toutefois des recommandations qui
peuvent éclairer les patrons d'entreprise dans leurs démarches
qu'ils souhaiteraient chrétiennes. Benoît XVI parle de «
manifestation de l'amour » dans la communauté à
travers la charité. Luc avait bien dit que « tous ceux qui
étaient devenus croyants vivaient ensemble, et ils mettaient tout en
commun ; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en
partager le prix entre tous selon les besoins de chacun.» (Ac 2,
44-45) Les pauvres ont besoin de charité, mais aussi d'une justice qui
puisse leur donner les chances d'investir leurs dons et leur bonne
volonté pour faire sortir leurs familles de la misère. Ainsi, la
charité du patron doit aller au-delà de l'entreprise, en
investissant une partie de ses profits dans des activités sociales
utiles aux pauvres, activités qui ont besoin de financement, et
même parfois d'un simple soutien moral et humain de la part des
fortunés, qui sont souvent les dirigeants et les porte- paroles de la
communauté.
I.2 Quelques interventions (lettres et allocutions) des
papes dans le monde des ouvriers et des dirigeants
I.2. a PIE XII : Allocution aux
représentants des organisations patronales et ouvrières de
l'industrie électrique italienne (Rome, 25 janvier 1946)
Dans cette allocution du 25 janvier 1946, Pie XII s'adresse
simultanément aux patrons et aux ouvriers. Il prône leur
participation à l'élaboration de l'ordre et de la paix sociale en
les invitant à collaborer à la production et en les appelant
à préserver la cohésion interne de la
société de travail et son unité. Il dénonce toute
doctrine légitimant à tout prix, et quelles que soient les
conséquences, des rapports de force et une lutte perpétuelle
entre capital et travail. Pie XII parle de « pacification sociale »,
qui ne peut être obtenue par simple affaiblissement ou élimination
de l'une des parties prenantes, à savoir les travailleurs, car ils sont
le principal moteur de la dynamique d'entreprise, le levier de la demande du
marché et le premier acteur pour vitaliser l'économie nationale.
La lutte des classes ne doit point être perçue comme une
fatalité absolue. Bien qu'il puisse toujours y avoir des contestations
en termes de répartition des gains, tant au sein de la
micro-communauté qui est l'entreprise qu'au niveau national, travail et
capital sont invités à coopérer avec harmonie. Pie XII les
unit autour des mêmes orientations afin de participer ensemble au bien
commun, fruit de leurs labeurs conjoints. « Cette unité doit
être le fondement de l'ordre social futur », dit Sa
Sainteté. La disjonction du syndicat et du patronat n'est
qu'organisationnelle. Du point de vue de leurs missions, les deux partenaires
devraient solidairement regarder dans la même direction afin de pouvoir
assurer à la communauté un bien commun mis en oeuvre par
l'interaction de leurs rapports économiques, collaborant en harmonie et
« communiquant un souffle de vie spirituelle » et de bonne
volonté.
I.2.b PIE XII : Allocution au 9ème Congrès
de l'UNIA PAC (Rome, 7 mai 1949)
Dans cette allocution à l'Union Internationale des
Associations Patronales Catholiques (UNIAPAC), Pie XII adresse un message
à tous les patrons du monde. Après
avoir remercié l'audience d'avoir accueilli à
bras ouverts les principes de la doctrine sociale chrétienne, il
précise qu'il leur faut soigneusement circonscrire leur marge de
manoeuvre entre les limites du droit public et leurs aspirations personnelles.
A l'intérieur de cet espace, les patrons doivent rester maîtres de
leurs décisions, tout en évitant le despotisme.
Réaffirmant l'enseignement de son prédécesseur, il
déclare que l'établissement d'un statut de droit public pour
l'économie sociale serait la manière la plus directe pour
établir un ordre économique juste. Il est tout à fait
légitime que les pourvoyeurs de capitaux bénéficient d'une
partie majeure du fruit de l'activité, mais ils sont tenus, en revanche,
de participer plus fortement que leurs subordonnés à la
revitalisation de la santé économique globale en finançant
des activités qui bénéficieraient davantage à la
communauté qu'à leurs intérêts privés. Pie
XII ne nie pas l'importance de la nationalisation des entreprises au cas
où le capitalisme privé menace la santé publique à
travers une aliénation déraisonnable du personnel, mais cette
mesure publique, accommodant provisoirement le privé, ne doit viser que
la création d'un contexte plus favorable pour donner un nouvel essor
à la libre initiative des individus. Une relance vigoureuse et efficace
de l'activité économique implique donc que le concept de la libre
initiative économique soit étendu aux hiérarchies
inférieures afin qu'elles puissent participer plus énergiquement
à fructifier le capital national. Pour un dirigeant, l'enjeu de son
engagement chrétien est la réconciliation entre la
primordialité de ses décisions et l'inaliénable
liberté d'initiative de ses collaborateurs.
I.2.c PIE XII : Allocution au
1er Congrès national italien de la petite
entreprise (Rome, 20 janvier 1956)
Ce congrès a réuni tous les partisans de la
libre entreprise ainsi que ceux qui se félicitent du
développement notable du « micro-tissu industriel »,
essentiellement sur les cinquante dernières années. Selon Pie
XII, la constitution d'une micro-entreprise ne doit nullement être
perçue comme un moyen de recherche d'intérêts purement
privés. Bien au contraire, il souligne que les 70000 entreprises
industrielles italiennes de l'époque (ce nombre a probablement
doublé depuis) ont un potentiel économique considérable,
notamment à travers la main d'oeuvre spécialisée et
polyvalente capable de répondre à une multitude de besoins pour
la société. Cette polyvalence ne va pas de soi. Elle exige
des qualités techniques et humaines du chef
d'entreprise et une collaboration sincère et
délibérée des travailleurs avec la direction,
collaboration d'autant plus directe que le nombre de participants est
restreint. De plus, le nombre limité de chefs assistants à
fonctions diverses responsabilise davantage les cadres d'entreprise et permet
d'éclore plus facilement leurs qualités intellectuelles et
techniques ainsi que leur générosité et leur esprit
d'ouverture et de patience pour gérer simultanément tous les
détails problématiques dans l'entreprise. Leur capacité de
réussir la gérance de l'entreprise dépendra avant tout de
leur aspiration intense au vrai progrès social et de l'absence en eux de
tout éventuel caprice personnel pouvant entraver les conditions de vie
des travailleurs. A partir du moment où ces derniers remarquent la
priorité de l'intérêt collectif sur celui du pouvoir
personnel, leur sentiment d'aliénation disparaîtra et, confiants
en leur patron et en ses aspirations saines envers leurs carrières et
leurs familles, ils deviendront plus volontaires, mobilisateurs, preneurs
d'initiative et générateurs d'idées nouvelles. Ils seront
prêts à investir leurs efforts et leurs compétences dans
une communauté constructive qui donne sens à leur activité
et qui s'engage dans une mission de développement sur le double plan des
produits matériels et des capacités humaines.
I.2.d Pie XII : Lettre à la
43ème Semaine Sociale de France sur les exigences
humaines de l'expansion économique (Marseille, 17-22 juillet 1956)
« La productivité n'est pas une fin en
soi », dit Pie XII dans cette lettre. La classe laborieuse doit
être bénéficiaire du différentiel de gain qu'elle
engendre. La machine a certes réduit le temps de travail, mais ce gain
de temps devrait se traduire par un gain de capacité à participer
davantage à l'expansion économique et au développement
culturel et social de la nation. Dieu a invité l'homme à
exploiter son univers et les richesses que la terre lui a offertes. La science
n'a pas manqué de respecter cette mission dans la mesure où elle
a servi la réalisation du mieux-être des peuples et estimé
que l'intelligence de l'homme va bien au-delà de celle de la machine. Le
bon progrès technique est donc celui qui est apte à mobiliser des
sommes colossales pour investir dans la recherche scientifique et la formation
des individus afin de les initier aux compétences industrielles
requises. L'Eglise se doit alors de rappeler, notamment aux pays
industrialisés, que tout progrès économique est invalide
et dévastateur s'il mène la classe ouvrière et leurs
familles à la misère et dans la rue, car la
décadence de la santé sociale ne tarderait pas à
réabsorber toutes les richesses que la science s'est appliquée
à engendrer.
I.2.e Paul VI : Lettre aux Assises Nationales du
CFPC sur le chef d'entreprise et l'avenir de la société
industrielle (Lille, 27 avril 1970)
« Ne craignez pas l'interpellation de l 'Evangile au
coeur de vos soucis », conseille Paul VI dans cette lettre aux
assises nationales du CFPC. Le Saint-Père a tenu à soutenir les
chefs d'entreprise dans les périodes industrielles difficiles en leur
rappelant que seul leur foi chrétienne a pu et pourra les
éclairer sur la bonne décision à prendre au carrefour des
exigences techniques, financières et humaines d'une entreprise. Le
souffle humain doit traverser les fonctions et modes de gestion de toute
entreprise. On comprend pourquoi Paul VI insiste sur le primat du dialogue
social et de la coopération. La capacité d'un chef d'entreprise
à développer des relations contractuelles avec ses
employés est une innovation en elle-même et un progrès dont
le fruit servira à tous. La collaboration et la délégation
des tâches enrichira l'avenir mais relâchera aussi les anciennes
tensions professionnelles. Pour réaliser tout cela, Paul VI conseille
aux chefs d'entreprise de veiller avec bienveillance au bon déroulement
des contacts humains dans leurs sociétés et d'ouvrir le dialogue
social à d'autres entités économiques pour accroître
les possibilités de partage au sein de la communauté et
progresser dans la réalisation du mieux-être de tous, du plus haut
cadre au plus petit ouvrier.
I.2.f Jean-Paul II : Discours lors de sa rencontre
avec le monde du travail (Barcelone, 7 novembre 1982)
« L'entreprise est pour l'homme et non l'homme pour
l'entreprise », proclame le Pape Jean-Paul II dans ce discours,
prolongeant ainsi une autre affirmation capitale de l'encyclique Laborem
exercens : « Il faut souligner et mettre en relief le primat de
l'homme dans le processus de production, le primat de l'homme par rapport
aux choses. Tout ce qui est contenu dans le concept de «capital»,
au sens restreint du terme, est seulement un ensemble de choses. Comme sujet du
travail, et quel que soit le travail qu'il
accomplit, l'homme, et lui seul, est une personne. Cette
vérité contient en elle-même des conséquences
importantes et décisives. »9
Face aux difficultés économiques actuelles qui
s'étendent à tous les secteurs de l'économie mondiale, les
patrons sont appelés à poursuivre leur mission, à
embaucher, à prendre des risques, et encouragés à inviter
leurs subordonnés à prendre ces risques avec eux et à
supporter la charge de toutes ces avancées, quitte à en partager
proportionnellement les bénéfices. Il ne faut surtout pas que le
chef renie tout ce qu'il a déjà accompli quand «ça va
mal » pour aller se blottir dans une fonction comportant moins
d'engagements. S'il le faisait, il ne pourrait plus rien offrir au
développement du bien commun et abandonnerait ainsi sa vocation
suprême, celle d'innover et d'investir pour ouvrir de nouvelles
possibilités de travail et éloigner le spectre du chômage
de masse et de la misère. Il faut que la communauté de vie que
l'entrepreneur a bâtie soit constamment promue en vue du perfectionnement
du personnel, condition indispensable pour une production efficace et
profitable. C'est en ces moments de crise que le patron sera
éclairé par sa foi chrétienne sur le fait qu'il ne doit
point abandonner les plus démunis de ses employés, notamment les
immigrés. C'est alors qu'il doit se rappeler que le « capital
doit être au service du travail et non le travail au service du capital
».10 Jean- Paul II fait entre autres appel à la
solidarité constructive de la communauté espagnole afin que le
chômage ne soit jamais un sort inéluctable, mais un défi
que la société est toujours tenue de relever, sans jamais y
succomber.
I.2.g Jean-Paul II : Discours aux ouvriers et
dirigeants de l'usine Lancia - Auto (Chivasso, 19 mars 1990)
Jean-Paul II a personnellement visité les secteurs de
cette usine et observé comment le progrès technique a
affecté l'organisation du travail. Il est certain, observe-t- il, que la
technique et l'automatisation du circuit productif sont des alliées de
l'homme et qu'elles lui facilitent le travail en le perfectionnant et en
l'augmentant, mais elles ne doivent en aucun cas restreindre le champ de
l'organisation du travail. Il faut une
9 Jean Paul II, Laborem exercens, n. 12.
10 Jean Paul II, Laborem exercens, n. 23.
solidarité absolue à l'intérieur de
l'entreprise pour que tous les membres supportent de manière
égale les séquelles de la restructuration. La défense de
la dignité humaine doit être assumée par une voix syndicale
tenace qui limite l'élimination des postes de travail ou promeut leur
augmentation. Jean-Paul II affirme aussi que la société Lancia
s'est étendue au marché international grâce à sa
demande extérieure, et qu'elle se doit donc de réserver une place
non seulement aux travailleurs italiens mais à la main d'oeuvre
immigrée qui a tant contribué au rayonnement de l'industrie
italienne.
I.2.h Benoît XVI : Discours aux membres de
l'Union chrétienne des chefs d'entreprises (UCID) (Rome, 4 mars 2006)
Dans ce discours, Benoît XVI s'adresse aux chefs
d'entreprises de l'UCID, les félicitant de s'être orientés
« vers une éthique qui aille au-delà de la simple
déontologie professionnelle ». Les chefs d'entreprise sont
également complimentés pour leur esprit de justice guidé
par l'amour et s'élevant jusqu'à la charité et la
gratuité, ce qui révèle leur vrai « engagement
social chrétien ». Leur participation efficace à la vie
sociale par l'entremise de leurs apports personnels les détache de la
matière et donne à leur organisation une
crédibilité sociale particulière. Benoît XVI incite
les chefs d'entreprise à se ressourcer régulièrement dans
le Compendium de la Doctrine sociale de l'Eglise pour se faire éclairer
dans leurs parcours professionnels. Leur « solide inspiration
sociale » doit être constamment « nourrie et
renouvelée ». La DSE est un « point de
référence » pour la recherche de solutions
inhérentes au monde du travail dont ils ont la charge. Le
Saint-Père n'a pas oublié de saluer l'UCID pour sa « Charte
des valeurs », pour les jeunes de l'UCID, pour son engagement pratique
attesté par des actions sur le terrain et surtout pour l'importance
qu'elle reconnaît à la famille, cellule vitale d'une
société harmonieuse.
I.2.i Benoît XVI : Discours aux dirigeants
des associations chrétiennes des travailleurs italiens (ACLI) (Rome, 27
janvier 2006)
Ce discours est adressé à l'occasion du
60ème anniversaire de l'ACLI, fondée par le Pape Pie
XII en 1945 à la Saint Joseph, patron dont le pape se sert comme
symbole
pour introduire l'idée d'humaniser le monde du travail
en cette ère économique actuelle très complexe, en
perpétuelle mutation et trop souvent en rupture avec la conscience
humaine. Il rappelle aux membres de l'ACLI les « consignes » de base
qu'ils se sont engagés à respecter depuis la création de
leur association : la dignité du travail et l'importance du repos, la
priorité du travail sur le capital, la charité chrétienne,
la priorité de l'être sur l'avoir. Le pape invite également
l'audience à se servir de la technologie pour améliorer
l'existence humaine et non pour la ruiner irréversiblement, à
utiliser la justice au service de la démocratie, à respecter le
partage du bien commun en sauvegardant les droits des plus démunis,
à être activement présents dans la vie sociale et à
y « élargir les frontières de leur action sociale
».
* * *
De 1891 jusqu'à nos jours, les papes n'ont jamais
cessé de porter la plus grande attention à la mutation des
marchés. Léon XIII a commencé par la question
ouvrière, soulignant les devoirs de l'Etat et du capital envers les
travailleurs. Pie XI a ensuite ouvert le débat sur le salaire, qui doit
aller bien au-delà du salaire de subsistance. Jean- Paul II, quant
à lui, a dès l'apparition du chômage de masse
insisté sur l'importance de la conversion des profits en nouveaux
emplois, surtout au moment où la mondialisation a multiplié le
nombre d'employeurs. Dans Sollicitudo rei socialis, il prône la
solidarité entre les peuples, l'importance de leur diversité et
le respect de la créativité individuelle. Dans Centesimus
annus, il affirme qu'il faut responsabiliser les personnes tout en les
protégeant par un cadre juridique afin de stimuler l'initiative
privée. Il faut aussi instituer un ordre social qui co-responsabilise
les gens envers le bien commun de manière à préserver la
famille et l'environnement. Dans ses premières interventions,
Benoît XVI enseigne aux patrons la charité et exige que la
technologie soit au service de l'homme et non la cause de son
aliénation.
I.3 L'éthique d'entreprise
I.3.a Une discipline nouvelle
La « Responsabilité Sociale d'Entreprise »
(RSE) est un terme de plus en plus usité de nos jours. Il est l'objet
d'un intérêt croissant depuis la fin des années 1980.
L'entreprise doit désormais assumer des responsabilités sociales
et écologiques en plus de ses engagements économiques et
juridiques. En d'autres termes, elle doit agir avec son entourage dans une
perspective de développement durable. Un grand nombre d'entreprises ont
pu apporter la preuve que l'éthique n'était pas une
réflexion trop naïve pour le business mais, au contraire, que sa
légitimité et son efficacité économique sont tout
à fait justifiées. Par ailleurs, les préoccupations du
personnel en ce qui concerne les avancées de la technologie, parfois
perçues comme facteurs susceptibles d'étouffer davantage leurs
droits et leurs marges de manoeuvre, ont intensifié l'engagement des
managers à promouvoir une « éthique des affaires ».
L'exigence croissante des consommateurs ainsi que la tension que créent
la concurrence et la diversification des produits et des choix ont
également contribué à l'expansion de ce nouveau champ
éthique.
Le mot « éthique » vient du grec
ethos, qui signifie moeurs. L'éthique est la toile de fond des
règles de conduite et des relations professionnelles que se fixe chaque
entreprise. Elle se concrétise souvent par une charte éthique
formalisée : c'est l'éthique spécifique de
l'entreprise concernée, qui a désormais une identité
propre. En revanche, l'éthique de l'entreprise est à distinguer
du concept de l'éthique dans les entreprises au sens large. La
question éthique ne se pose donc pas uniquement aux décideurs,
mais également à tous les membres d'une entreprise.
L'éthique doit alors, un peu caricaturalement et à travers
l'interaction des collaborateurs, être transmise de haut en bas, de bas
en haut, de gauche à droite et de droite à gauche. Elle se
distingue de la déontologie, plus succincte, qui consiste en un ensemble
de règles concernant une seule profession bien précise.
C'est surtout dans la mesure où les membres d'une
entreprise sont les plus libres, où ils disposent d'une large marge de
manoeuvre et de créativité et où les choix de contraintes
sont multiples, que la question éthique s'impose. Le principal enjeu de
l'éthique est de trouver la stratégie convenable pour concilier
au mieux les différents intérêts des parties prenantes,
intérêts qui, par définition, ne peuvent être
entièrement satisfaits simultanément.
I.3.b L'élaboration et la diffusion de
l'éthique au sein d'une entreprise
L'éthique d'entreprise s'interroge avant tout sur le
rôle de chacun, sur ses responsabilités et sur les limites de ses
droits afin d'établir un climat de confiance entre les membres d'une
entreprise. La formalisation de cette éthique commence par l'application
des règles de conduite par le dirigeant lui-même, qui va insuffler
l'esprit éthique de l'entreprise aux employés. C'est au moment
où la personnalité particulière du patron, avec son
arrière-plan culturel et social, est reflétée dans les
relations professionnelles entre les parties prenantes que les principes
éthiques se trouvent réellement concrétisées.
Les crises de ce siècle ayant montré que la
sécurité de l'emploi ne peut et ne doit plus être garantie,
toute institution doit s'engager à assurer à ses employés
les conditions nécessaires pour un épanouissement au travail
ainsi que des perspectives de formation permanente et de polyvalence
professionnelle sur le long terme en fonction de leurs efforts et de leurs
aspirations personnelles. L'éthique d'une entreprise tourne alors autour
de l'employabilité de la personne elle-même et non plus autour de
la sécurité de son parcours.
Quelles sont les étapes de formalisation de
l'éthique d'entreprise?
Le processus de formalisation de l'éthique d'entreprise
se divise en deux étapes : l'élaboration de la charte (ou de tout
autre document fondateur), et la diffusion de cet instrument.
L'élaboration : On institue tout d'abord un
groupe de travail formé de personnes représentant les
différents départements de l'entreprise. A la tête de ce
groupe, le patron désigne un coordinateur pour la réflexion
éthique. Deux alternatives de travail sont alors possibles : soit on
demande au groupe de travail de rédiger un document à partir de
la vision précise de la direction, soit on concède au groupe une
plus grande marge de manoeuvre pour qu'il définisse lui-même les
objectifs éthiques à la lumière de sa culture
d'entreprise. Le document final ne devra pas se contenter de souligner les
idéaux à atteindre, mais fera également ressortir les
difficultés passées que l'entreprise a été en
mesure de surmonter d'une manière éthique. Les salariés
sont constamment soumis à des enquêtes pour dégager leurs
perceptions vis-à-vis des valeurs organisationnelles au sein de leur
entreprise, et on s'attend à ce qu'ils soient d'autant plus ravis que la
compatibilité entre leurs aspirations personnelles et celles de
l'entreprise est grande. La formalisation se fait aussi par comparaison
à d'autres entreprises similaires. Il existe un certain mimétisme
entre les entreprises, surtout lorsqu'elles opèrent sur un même
marché et sur une clientèle qui les met en concurrence.
L'éthique est effectivement assimilée à une valeur
boursière qui doit être maintenue vers le haut pour assurer un
plus grand pouvoir de marché.
La diffusion : Le principal acteur de la diffusion de
l'éthique est le département des ressources humaines dans
l'entreprise, qui annexe souvent le document éthique au contrat de
travail. La manière et la prise en charge de diffuser le document
éthique aux anciens employés de l'entreprise varient selon les
pays. En France, les cadres communiquent l'information verticalement à
leurs subordonnés et horizontalement à leurs collègues
d'outre-mer. Souvent, les documents éthiques sont destinés aux
personnes concernées par la pré-embauche, aux fournisseurs et
même à la clientèle. De plus, des séminaires et
forums sur le sujet ont régulièrement lieu afin de sensibiliser
l'audience par des témoignages directs, souvent par le patron
lui-même, sur l'authenticité de l'engagement éthique de
l'entreprise.
L'éthique ne se diffuse pas du jour au lendemain. Elle
doit être entretenue et ses valeurs mises à jour pour
préserver le standing de l'entreprise. Pour cette surveillance continue,
un comité éthique est désigné par le conseil
d'administration. Il est chargé du suivi et du contrôle des normes
éthico-juridiques et de leur application dans l'activité de
l'entreprise en tenant compte du cadre juridique du pays dans lequel elle
opère. Ce comité doit actualiser la politique éthique
selon les évolutions de l'environnement, du marché et de la
politique suivie par les autres compagnies, concurrentes ou non. Il doit ainsi
former et informer le personnel sur ces nouvelles prescriptions et veiller
à ce que la mise en application ne reste pas sans effet. Cette formation
doit présenter divers cas de confrontation à un dilemme
éthico-économique ainsi que leurs solutions optimales, alimentant
le dialogue social et l'interaction entre collaborateurs sur tout
problème de nature éthique. En 1999, près de 75% des
grandes entreprises américaines avaient déjà eu recours
à la formation éthique.
Dans certaines entreprises, on nomme également des
déontologues et des ergonomes qui, comme le comité
éthique, sont responsables de veiller à la diffusion de la
politique éthique et à son respect, mais qui, contrairement
à lui, sont tenus de soumettre des rapports sur tous les comportements
du personnel, bons ou mauvais, afin qu'ils soient débattus par la
hiérarchie supérieure.
Les acteurs les plus contraignants pour les transgresseurs des
normes éthiques sont les audits éthiques, qui interviennent
annuellement, et parfois mensuellement, pour un contrôle
méticuleux sur le respect des normes. Ce contrôle se fait
également auprès des fournisseurs et, dans certains cas,
auprès des sous-traitants. Les sanctions sont plus correctives
qu'éliminatoires dans la mesure où toute relation professionnelle
occasionne des dégâts et des pertes à l'entreprise si elle
est brusquement rompue à cause d'une mauvaise conduite éthique.
Le contrôle des moeurs d'entreprise n'est pas aisé, même si
des normes internationales tiennent déjà lieu de
référence, comme la norme SA 8000. Cette dernière
définit les conventions sociales fondées sur celles de
l'organisation internationale du travail et couvre le travail des enfants, le
travail forcé, l'hygiène et la sécurité du travail,
la liberté syndicale et le droit au dialogue social, la
discrimination,
notamment à l'embauche, le temps de travail, les
règles de discipline et de conduite, les rémunérations et
la formation des salaires, et les stratégies de management du personnel.
A partir de 2008, la norme internationale ISO 26000 établira les lignes
directrices de la responsabilité sociale au sein des entreprises (voir
annexe 2).
L'audit transmet son bilan à la direction de
l'entreprise et aux autorités éthiques du pays qui
réglemente l'éthique d'entreprise. Outre les problèmes
humains, ce bilan couvre également les champs environnementaux et
sociaux externes. Depuis presque vingt ans, des entreprises de renom, telles
que Danone et Shell, se sont engagées dans le développement
durable.
Elaborer des bilans environnementaux est de plus en plus
légiféré dans les pays développés. Ainsi,
les entreprises britanniques sont obligées, depuis le 1er
juillet 2000, de publier des rapports concernant l'impact de leurs
activités sur l'environnement. En France, la loi NRE (Nouvelles
Régulations Economiques) de 2001 régit les deux volets social et
environnemental. Sur le plan social, cette loi contrôle essentiellement
l'effectif et les nouvelles embauches, les plans de sauvegarde de l'emploi, les
rémunérations et relations professionnelles, la formation et
l'employabilité des travailleurs handicapés, et les conditions
d'opération de la sous-traitance. Sur le plan environnemental, elle
couvre notamment la consommation d'eau, la consommation de carburants et de
matière combustibles, et les plans d'action de l'entreprise pour
préserver l'environnement et limiter les dégâts à
son encontre.
I.3.c Ethique et responsabilité de
l'entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes et de
l'environnement
Les actionnaires et les salariés : La
responsabilité sociale des entreprises dépasse le simple cadre
législatif. Elle permet à chacune de décrire son
idéal de management et de le mettre en pratique selon son propre
jugement. Un dirigeant d'entreprise a plusieurs objectifs à
déléguer et à faire exécuter: recueillir les
bénéfices, les redistribuer à toutes les parties prenantes
selon leur contribution, et notamment assurer un retour correct aux financeurs
de l'activité et aux investisseurs de capitaux. L'éthique tend
alors à limiter les
sommes irréalistes que pourrait toucher le dirigeant
d'entreprise en instituant des stocks options et des avantages en nature pour
le bénéfice des salariés, qui sont bien évidemment
en position inégale par rapport à leur patron. Outre le contrat
économique passé entre employeur et employé, les patrons
s'engagent à signer un contrat psychologique avec leurs
subordonnés pour atténuer les effets pervers causés par la
promotion des intérêts personnels de ces derniers au
détriment de ceux de l'entreprise. Cela peut se concrétiser sous
forme d'un salaire d'efficience, en contrepartie duquel le salarié
s'engage à travailler pour l'intérêt général
de son entreprise. Le contrat psychologique repose sur des engagements moraux
réciproques et sur des échanges implicites de promesses
mutuelles. Depuis les années 1980, le contrat psychologique fait
tâche d'huile avec les mutations technologiques et les exigences des
marchés, ce qui exige plus de vigilance en termes de qualité et
de compétence des ressources humaines. Ce contrat est alors moins
axé sur la sécurité, la permanence, l'engagement sur le
long terme, la carrière en interne, et la loyauté du
salarié, facteurs qui assurent un revenu croissant avec le temps, que
sur la flexibilité, l'adaptabilité, la polyvalence, les
connaissances et les compétences de l'employé, facteurs qui lui
permettent de s'épanouir et de « se recycler » tout au long de
sa vie active. L'entreprise devient ainsi un lieu de motivation et de
développement des personnes et de leurs talents et implique tous les
niveaux hiérarchiques afin d'assurer cet épanouissement pour tous
dans la vie professionnelle et afin que chacun ait le goût et le courage
d'ajouter à la créativité de l'entreprise de la valeur en
input pour obtenir plus d'expansion et de pouvoir de marché en output.
Le dialogue avec les parties prenantes et la délégation des
tâches permet à tous et à chacun de connaître les
attentes des autres et ainsi de trouver plus facilement la solution
adéquate satisfaisant la majorité dans un climat de confiance
réciproque. L'entreprise doit également informer à temps
ses parties prenantes en interne sur les orientations futures de l'entreprise
et sur ses perspectives d'expansion sur le terrain, ou même sur ses plans
de restructuration forcée suite à la crise du pays et de la
région. Ainsi les restructurations ne peuvent être
légitimées si la vie de l'entreprise n'est pas réellement
en jeu et si elle ne découle que d'un débarras de
responsabilités. En cas de scénario catastrophe, l'entreprise est
dans l'obligation de justifier tout licenciement et d'accorder
un délai de préavis. Ensuite, elle doit s'engager
à aider ses salariés à être reclassés
ailleurs.
Les partenaires externes : Les fournisseurs ponctuels
et efficaces, ainsi que la clientèle fidèle aux produits
commercialisés d'une entreprise, sont des partenaires externes que toute
entreprise doit absolument conserver en vue d'amples collaborations
ultérieures, surtout lorsque de telles collaborations dans le
passé ont fait preuve de succès et ont donné
entière satisfaction.
L'environnement : L'environnement est partie «
donnante » avant d'être partie « prenante ». C'est le
principal fournisseur de toute entreprise, fidèle et ponctuel en
général, et pouvant réserver des surprises bonnes ou
mauvaises selon les saisons, les régions et les années. C'est
pour cela que l'entreprise et tout son entourage ont une responsabilité
suprême envers cette partie. Les dégâts de l'industrie sur
l'environnement sont majeurs, immédiats et, ce qui est pire,
différés. Ils nuisent aux ressources naturelles et risquent de
faire disparaître des espèces de faune et de flore, perturbant
ainsi tout l'écosystème et privant les générations
futures de ressources essentielles à leur santé. Outre la
prévention, les quotas, les lois et les bons à polluer, toute
entreprise doit établir des plans proactifs, débloquer des fonds
et réserver un temps annuel pour des services non lucratifs tel que le
nettoyage des côtes ou le recyclage du papier.
Le pays et la société : Un pays dans
lequel une entreprise vient s'établir donne à cette
dernière des caractéristiques et une identité unique et
lui assure le roulement continu de son activité et de son succès.
Le respect de l'entreprise pour le pays hôte ne passe pas seulement par
le respect de ses lois. Pour être « citoyen » fidèle,
l'entreprise doit investir une partie de ses bénéfices dans le
bien-être de la collectivité, et donc essentiellement dans
l'innovation, l'établissement de nouvelles filières et la
création de nouveaux emplois, avec tout ce que cela comporte comme
obligations au niveau de la gestion du personnel. Ce n'est qu'à travers
de telles démarches que l'entreprise pourra maintenir une
réputation irréprochable et inspirer confiance à ses
collaborateurs internes et externes, augmentant leur nombre et leur
qualité, qu'ils soient ou non installés dans le pays.
I.3.d Ethique et responsabilité des
salariés
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les
salariés subordonnés et en situation défavorable par
rapport à leurs dirigeants ne sont pas exclus de la
responsabilité sociale envers les autres. Les obligations entre
collaborateurs d'une même entreprise se font toujours dans les deux sens.
Certaines obligations des salariés sont déjà
mentionnées dans le contrat de travail, donc dès le début
de la relation de travail, tandis que d'autres sont ajoutées au fur et
à mesure selon le profil, le comportement, la famille, la
ponctualité, la présence et l'assiduité du salarié.
L'employeur fixe alors, en plus du règlement intérieur
général, des normes de conduite supplémentaires à
chaque catégorie de parties prenantes pour orienter leurs comportements
avec les autres collègues au sein de l'entreprise ainsi que leurs
rapports avec les acteurs externes.
En interne, un salarié doit respecter son
collègue, notamment son subordonné, et favoriser le dialogue dans
le microgroupe avec lequel il collabore. Il doit éviter toute
discrimination raciale, sexuelle ou religieuse, et faire preuve de
tolérance et d'ouverture d'esprit. Il doit aussi veiller à
l'assurance de l'égalité des chances au niveau des emplois. A un
niveau un peu plus personnel, le salarié est tenu, en ce qui concerne
les tâches qu'il est chargé d'exécuter, de préserver
la confidentialité des informations qu'il traite et de ne pas les
dévoiler à des collègues non concernés, encore
moins à des gens extérieurs à l'entreprise. Il doit
protéger le patrimoine de son entreprise et ne pas le détourner
à des fins personnelles.
En externe, un salarié, dans le cadre de son travail,
ne doit exploiter aucune décision pour son intérêt
personnel au détriment de celui de l'entreprise. Il ne peut
spéculer sur les titres au nom de l'entreprise, et n'a aucun droit
d'utiliser les informations confidentielles de l'entreprise à des fins
privées, ni le nom de cette dernière pour défendre
implicitement une cause en son nom.
D'autre part, un salarié a, envers lui-même et sa
famille, l'obligation sociale de réclamer auprès de son employeur
ses droits de repos et de congés payés afin de jouir d'un
meilleur épanouissement et d'atteindre une meilleure efficacité
dans son travail.
I.3.e Les différentes visions des pays
vis-à-vis de l'éthique
Les pratiques organisationnelles ainsi que la vision
vis-à-vis de l'éthique et de la responsabilité sociale de
l'entreprise varient selon les pays. Geert Hofstede, psychologue
néerlandais spécialisée dans le culturalisme, montre dans
une enquête statistique, publiée en 1980 et menée dans 72
filiales IBM partout dans le monde, que, contrairement aux apparences, aucune
convergence des cultures n'est observée dans le sillage de la
mondialisation, et que cette dernière est donc loin d'être
uniformisante. La culture, la valeur et les moeurs initient les comportements
humains, mais la nature du marché et du commerce peut également
jouer un rôle dans le choix de l'éthique. Dans ce qui suit, nous
exposons brièvement la situation éthique aux Etats-Unis, berceau
de l'éthique des affaires, de la sphère asiatique (Japon et
Chine), de l'Europe et du monde musulman. Dans les trois premiers cas, nous
sommes en présence de territoires économiques et commerciaux
géants, où la main d'oeuvre est sujette à de fortes
contraintes dues aux mutations technologiques.
A) - Business ethics à
l'américaine
Aux Etats-Unis, 90% des grandes entreprises ont
déjà formalisé une politique éthique individuelle.
En 1950, 15 à 30% de ces grandes entreprises possédaient
déjà un code éthique. Actuellement, les Etats-Unis sont le
pays qui regroupe le plus grand nombre de codes éthiques dans le
monde.
Depuis le début des années 1970,
l'éthique est une spécialisation formalisée et
indépendante aux Etats-Unis, et ce après avoir été
bien auparavant partie intégrante dans plusieurs cursus
d'économie et de gestion.
La vision américaine de l'éthique est souvent
jugée utilitariste. Selon cette vision, « Ethics is good business
», c'est-à-dire que l'éthique n'est pas mise au service d'un
idéal qui aille au-delà du profit, mais simplement au service de
la matière et de l'extraction de la plus grande plus-value possible pour
l'image de l'entreprise. L'éthique est conçue
parce qu'elle est nécessaire à la
réussite commerciale de l'entreprise et à sa survie face à
la concurrence internationale, et non parce qu'elle est
considérée comme une exigence morale absolue, au-delà des
considérations matérielles. Les codes éthiques
américains sont très managériaux. Ils consistent
essentiellement à cerner les droits et responsabilités de chacun,
à véhiculer des règles générales de conduite
et à entretenir la loyauté du personnel. Les entreprises
américaines ont souvent eu recours à des codes éthiques
pour responsabiliser juridiquement tout salarié à comportement
douteux, voire illégal, et dont le contrat de travail était, de
ce fait, en risque de résiliation.
En 1977, les Etats-Unis ont formalisé le Foreign
Corrupt Practices Act (FCPA) suite à des affaires illégales
commises par des entreprises américaines à l'étranger.
Cette loi rend les citoyens américains passibles de poursuites
pénales en cas de tout abus envers un fonctionnaire étranger,
leur imposant de fortes amendes et éventuellement des peines de prison.
En conséquence, le FCPA impose aux entreprises un contrôle
éthique interne très serré. Toutefois, cette loi a un
caractère plutôt préventif que rectificatif, ce qui a
permis à un bon nombre d'entreprises, par le seul fait d'avoir fait
preuve de l'existence d'un programme de prévention au moment de leur
implication dans des affaires illicites, d'échapper au versement d'une
grande partie des amendes, jusqu'à 95% dans quelques cas. Cet
état de fait un peu laxiste a motivé les entreprises à
développer leurs propres normes éthiques et à
contrôler leur application avec plus d'exigence. Ainsi, une plus grande
marge de manoeuvre revenait aux dirigeants, qui pouvaient alors manipuler les
termes du contrat du travail selon la gravité de la faute commise.
Là aussi les critiques se sont multipliées, car un pourcentage
élevé de dirigeants avait abusé des possibilités de
la loi pour comprimer le nombre d'employés. D'autres lois ont
été alors promulguées pour légitimer une
surveillance directe des entreprises par le gouvernement américain.
B) - L'éthique communautaire asiatique (Japon et
Chine)
L'éthique des affaires au Japon s'est inspirée
des valeurs traditionnelles issues des principaux courants religieux qui ont
façonné le peuple japonais : le confucianisme, le bouddhisme et
le shintoïsme. Le premier légitime l'existence de la
hiérarchie et des
obligations de dévouement et de loyauté à
cette hiérarchie. Le second, à travers l'enseignement du zen,
considère le travail comme une action sacrée dont la culture
japonaise a pour vocation d'améliorer continuellement les
méthodes, les stratégies et les processus de décision et
d'exécution. Le shintoïsme, quant à lui, met l'accent sur le
primat des rapports interindividuels, sur la réputation, et sur le
regard de la société et des autres. En somme, une éthique
japonaise d'entreprise prône, avant tout, un sentiment d'appartenance au
groupe et une identité sociale de l'employé, et c'est cela qui
inspire le comportement éthique des individus.
Les codes éthiques, formalisés par 40% des
entreprises japonaises, sont peu indicatifs et stratégiques. Ils
comprennent plutôt des préceptes philosophiques véhiculant
des normes de conduite allant au-delà du monde des transactions
matérielles. Ces normes recommandent aux anciens d'apporter aide,
attention et accompagnement aux plus jeunes salariés en vue de
transmettre les valeurs traditionnelles et de les incarner dans les nouveaux
processus de production. Toute entreprise doit avoir comme vocation
première l'intérêt de la collectivité, et exister
pour la nation et son développement. L'abnégation individuelle
est nécessaire pour le bien-être collectif, ce qui explique le
service clientèle tant admiré dans les entreprises japonaises
ainsi que la confiance aveugle entre clients et fournisseurs. Ceci dit, les
plus grands vices éthiques dont souffre le business japonais sont la
discrimination sexuelle, bien loin d'avoir disparu, et l'aliénation des
salariés. La dimension collective du groupe a aussi des incidences
négatives lorsque l'individu se sent personnellement
déresponsabilisé de toute charge qui, à la base, lui
incombe. En bref, l'originalité de l'éthique japonaise
résulte de la combinaison entre les valeurs humaines traditionnelles,
parfois archaïques, et une économie florissante, dynamisée
au niveau international par une production high-tech à la pointe du
progrès. Le Japon est un géant de la production économique
mondiale, mais qui a consenti une place privilégiée à sa
propre éthique (dont par exemple « les cercles de qualité
») inspirée d'une tradition multiséculaire : un
véritable paradoxe qui surprend tout l'Occident.
La Chine, actuellement en expansion encore plus rapide que celle
du Japon, a des valeurs éthiques similaires dans le monde des affaires.
Mais, contrairement aux emplois
japonais plutôt stables, réalisés au
détriment de la dimension individuelle, les entreprises chinoises, qui
sont leaders mondiales, ont un taux de turnover de la main d'oeuvre avoisinant
les 20%, et une bonne gestion de leurs ressources humines se fait en assurant
à chacun une polyvalence dans la formation et l'expérience
professionnelles, engendrant un parcours de travail plus mitigé et des
perspectives de carrières plus prometteuses. Ce qu'exige principalement
un salarié chinois de son entreprise est qu'elle lui assure un plan de
carrière suffisamment valorisateur, avec accès à la
promotion au moment où le marché du travail s'échauffe.
Lui importent aussi la réputation de l'entreprise et l'équilibre
en son sein entre vie professionnelle et vie privée. Tout comme les
entreprises japonaises, les entreprises chinoises se distinguent par leur
maîtrise du commerce international, tout en veillant à ce que la
tradition se perpétue dans les nouveaux processus de gestion, et ce en
vue de souder les équipes et d'assurer une coopération efficace
entre les partenaires de l'entreprise.
C) - L'éthique au sein de la communauté
européenne
L'éthique des affaires en Europe a été
importée des Etats-Unis à travers les filiales américaines
qui se sont implantées en Europe et qui avaient pour mission de
poursuivre les mêmes stratégies éthiques que la
société-mère là où elles opéraient
dans le monde. De ce fait, les pays européens ont tendance à
régler leurs problèmes éthiques à
l'intérieur de leurs noyaux de négociations plutôt qu'au
niveau national et communautaire. L'unification politico-économique n'a
pas encore unifié les traditions. La formalisation de l'éthique a
commencé dans les pays germanophones et les pays nordiques bien avant
les pays du sud de l'Europe. Les allemands ont établi des codes
éthiques par branche professionnelle. En France, l'éthique a
plutôt un cachet philosophique et religieux, et l'inspiration
chrétienne y est prépondérante. L'éthique
française de l'entreprise reste donc axée sur la personne, et
s'applique selon la foi et les convictions de chaque chef d'entreprise. Bien
que près de la moitié des entreprises françaises ont
formalisé des codes éthiques assez universels, elles sont loin de
se ranger sur la tradition américaine. Les pays européens ont
tous un tronc commun : celui de l'héritage chrétien, ce qui rend
les stratégies humaines des affaires assez homogènes et en
atténue les tensions. Cela ne signifie pas pour autant
que la coordination des enseignements éthiques est devenue commune et
évidente entre les membres de l'Union. Les commissions formelles pour
parrainer l'éthique des affaires à l'échelle
européenne se multiplient, mais concrètement les codes
éthiques ne se ressemblent que peu. Il semble bien qu'il existe une
certaine « dépendance du sentier » suivi historiquement et
traditionnellement par chaque nation, et cette spécificité n'a
pas pu être bouleversée jusqu'à présent par la
suppression des barrières et l'ouverture des frontières.
D) - L'éthique dans les pays islamiques
Les principes de base de l'éthique des affaires
conçue par l'islam reposent, à l'instar des visions «
laïques » et chrétiennes, sur la primauté de la
dignité de l'homme au travail, sur le juste salaire, et sur la
protection de l'environnement. Toutefois, on note une grande
hétérogénéité dans les différents
pays islamiques face à la discrimination sexuelle à l'embauche et
aux conditions de travail. La ségrégation des secteurs et des
métiers y est remarquable, notamment en Arabie Saoudite et en
Afghanistan. Malgré cette distinction sexuelle au niveau de
l'éducation et du travail dans les pays appliquant à la lettre
les commandements de la Shari 'a Mouallimat (la loi sacrée
enseignante), le modèle de management islamique s'appuie sur la
responsabilité individuelle et sur la promotion des capacités des
travailleurs. Le travail y est considéré comme une
réalisation de soi. Adhérer à une organisation et
respecter des normes spécifiques forme l'homme et l'oriente sur la bonne
voie divine à travers son autodiscipline, sa patience, sa diligence, sa
gratitude, sa modestie et son abnégation. Il est difficile d'isoler la
religion du monde des affaires dans ces pays. Peu d'études ont
été entreprises sur les spécificités musulmanes
dans la gestion des ressources humaines, mais nous passerons en revue
quelques-unes d'entre-elles : l'Iran (1997), la Malaisie (1995) et les pays du
Moyen-Orient (1980).
En Iran, le manager est un leader qui a la tutelle de ses
subordonnés, notamment des plus jeunes, et auxquels il doit une
formation continue tout au long de leur parcours professionnel. Former la
prochaine génération de managers est sa vocation principale pour
servir sa société. Les femmes sont actives et accèdent
à des niveaux éducatifs
souvent plus élevés que ceux des hommes, selon
les formations et les secteurs d'activité. Les femmes sont très
souvent voilées dans les postes de direction, mais interagissent de
manière très occidentale avec leur entourage et leurs
collaborateurs étrangers quand il s'agit de business au niveau
international.
En Malaisie, la situation est très particulière.
Assez traditionnels, les Malaisiens ont manifestement transposé leurs
coutumes religieuses dans leurs rythmes, horaires et cadres de travail. Si la
personne a une formation initiale en management, elle est recrutée
beaucoup plus aisément si elle a par ailleurs une formation sur les
valeurs de l'Islam. Les Malaisiens sont constamment entraînés
à faire apparaître leur foi et leurs moeurs religieuses dans leur
travail.
Dans les pays arabes du Moyen-Orient, l'organigramme d'une
entreprise à cachet musulman est assez pyramidal. La prise de
décision est restreinte à la personne ou au micro-comité
dirigeant. La consultation des parties prenantes est assez rare. Les fonctions
sont déléguées à des subordonnés, mais le
dialogue social reste assez faible. L'idée de comité d'entreprise
est presque inconnue, et le travail d'équipe est lui-même
très hiérarchisé.
En bref, on peut constater que les moeurs islamiques ne
peuvent aller de pair avec les nouvelles logiques industrielles si elles ne
sont pas « flexibilisées » lors de leur intégration
dans les nouveaux processus de production. L'éthique islamique des
affaires se distingue le plus nettement par sa propre spécificité
au niveau du secteur bancaire. Selon la pensée islamique, les richesses
appartiennent à Dieu, et l'homme a la tutelle de préserver et de
faire fructifier ces richesses pour que le surplus engendré serve la
collectivité et non les intérêts personnels. La
rentabilité du capital par l'entremise des intérêts ainsi
que la spéculation sont donc prohibées. De plus, le dirigeant n'a
pas le droit d'investir ses plus-values dans la production de biens interdits
par la religion, tels que l'alcool, la pornographie et le porc. Un
comité de Shari 'a est chargé de surveiller la
conformité des comportements des dirigeants aux préceptes
islamiques et de contrôler que les bénéfices ne soient pas
colossaux et trop douteux. On enseigne aux débutants en
études financières les Souloukiyat (les
conduites) afin de les orienter sur la bonne voie et la bonne utilisation des
ressources matérielles. Les banques islamiques s'engagent
également dans des oeuvres charitables à travers les caisses de
la Zakat (aumône), et ce en vue de partager une partie des
actifs liquides avec les démunis.
I.3.f Ethique sociale et efficacité
économique : une compatibilité possible et nécessaire
Toute entreprise à but lucratif doit
générer des bénéfices en vendant et/ou louant ses
biens et services pour sa survie et son développement. L'éthique
des affaires, avec ses valeurs appliquées dans l'entreprise à la
recherche de rentabilité, n'est pas uniquement celle qui découle
d'une aspiration purement charitable du chef d'entreprise. L'importance de
l'éthique des affaires, qui imprègne de plus en plus les modes de
gouvernance, quel que soit le background spirituel ou culturel des dirigeants,
est saisie au moment où son absence remet en question la
rentabilité de l'entreprise et la freine jusqu'à sa vente
à perte. L'efficacité de l'éthique apparaît dans les
bilans à long terme, et c'est pourquoi elle n'intéresse pas les
adeptes du « fast easy money », obnubilés par la
rentabilité de court terme mais sans vision pour le lendemain.
Une bonne partie des chefs d'entreprise ont toujours la
conviction qu'éthique et intérêts personnels ne peuvent
aller de pair. Ils sont convaincus que l'éthique et ses exigences sont
un coût fixe pour l'entreprise, sans rentabilité mesurable au
rythme de la production et de la mutation de ses processus. Pour certains, il
est inconcevable de sacrifier certains bénéfices pour une
pérennité plus solide de l'entreprise et son expansion sur les
marchés mondiaux. Il est évident qu'en période de crise,
l'arbitrage entre éthique et survie de l'entreprise devient un enjeu
critique, et la ceinture éthique risque d'être serrée, mais
certaines lois éthiques restent toujours incompressibles, même en
temps de crise, sous peine de compromettre l'activité de l'entreprise et
d'accélérer son écroulement.
Comment expliquer aux « fétichistes » du capital
que la responsabilité sociale de l'entreprise est un facteur principal
de la performance économique ?
La détérioration du climat social dans
l'entreprise entraîne un effet « boule de neige » qui peut
s'avérer fatal pour la survie de l'entreprise. Pour cela, il faut
prévoir dès le départ des stratégies de gouvernance
dans une optique de développement social durable afin d'obtenir des
effets bénéfiques assez rapides sur la productivité. La
diffusion d'un climat de confiance entre employés est source de
motivation personnelle. Leur réunion autour d'un même projet
d'entreprise réduit les risques de conflits sociaux et diminue le taux
d'absentéisme ainsi que le taux d'accidents de travail liés au
stress et à la mauvaise gestion des rotations du personnel,
évitant ainsi les grèves et la déstabilisation du
collectif de travail. Cette confiance accrue mutualise le risque d'entreprise
et donne une meilleure agilité et un plus grand courage à
l'expansion de l'entreprise sur le marché. La réputation d'une
entreprise en tant que promotrice de climat social sain et de gouvernance
loyale lui permet également de réduire les coûts de
transactions en réglant de manière informelle des
opérations chères mais rentables.
Afin de motiver les grands entrepreneurs à s'engager
dans l'éthique des affaires, une gamme d'indices boursiers «
éthiques » a été créée. Ces indices
sont basés sur des critères exigeants et sélectifs
concernant les enjeux sociaux et environnementaux. La perception de
l'éthique d'entreprise a été totalement
réévaluée à la hausse avec le lancement du premier
indice mondial d'éthique, le DJSGI (Dow Jones Sustainability Group
Index). Actuellement, les indices éthiques sont plutôt
sous-pondérés pour les entreprises des secteurs industriel et
énergétique, vu leur génération de pollution et
leur impact néfaste sur l'environnement, mais sur-pondérés
pour des entreprises de hautes technologies, réputés «
socially friendly ». L'existence d'indices éthiques au même
titre que les indicateurs financiers classiques révèle
désormais que la gouvernance de qualité passe forcément
par une promotion durable de l'éthique d'entreprise. Pour toute
entreprise, un indice éthique performant élargit
considérablement son portefeuille clients par effet de réputation
et de notoriété au regard de la société.
***
Pour être au service de la prospérité
économique et sociale, l'éthique d'entreprise ne peut se limiter
à être un document « hors série » universel,
uniforme et publié comme annexe des lois, codes et contrats de chaque
entreprise. Toutes les stratégies mondiales sont et doivent être
différentes, mais elles doivent aussi orienter toute personne active et
productive à regarder dans la même direction que tous ses
semblables. Tous les êtres humains actifs et productifs sont égaux
en droits et en devoirs au regard de l'éthique ; ce ne sont que les
fonctions exécutives sur le terrain qui varient. Le monde a
déjà pris le recul nécessaire pour apprécier
l'apport effectif de l'éthique à l'économie. Les chefs
d'entreprise commencent enfin à se réveiller, car ils ont compris
que l'effort qu'on leur demande de consentir n'est pas exclusif, mais englobe
tous les partenaires de l'entreprise, et que leur intérêt
personnel est non seulement conservé, mais fructifié à
terme. La principale qualité d'un bon dirigeant est donc la patience et
la lucidité stratégique afin de percevoir ce que lui
réserve l'éthique comme prospérité durable et
véritable au-delà de l'horizon visible.
II. Les principes de la doctrine sociale de
l'Eglise
Les principes de la DSE constituent la charte concrète
de l'Eglise sur les orientations à respecter dans le domaine
économique et social à la lumière de la foi
chrétienne. Tous ces principes, qui constituent les véritables
fondements de l'enseignement social de l'Eglise, reposent sur le principe
suprême de la dignité de la personne humaine. Ils cernent les
critères de conduite de l'action sociale dans le climat
économique actuel incertain où les réseaux industriels et
financiers s'entortillent, et où le géant fait de l'ombre au
petit artisan. Ils concernent toute personne, active ou inactive, vu que le
monde est ouvert, que personne n'est exclu de la misère et que des
millions sont condamnés à vivre en marge de la
société.
Les principes de la DSE forment un « corpus »
éthique de l'Eglise. Le mot latin, qui signifie corps en
français, fait référence à la
nécessité d'appliquer tous ces principes simultanément
pour réaliser un ordre humain juste, un peu comme les organes d'un
corps, qui n'est réellement sain que lorsque tous ses organes
fonctionnent ensemble correctement. Cette image du corps a déjà
été développée par Léon XIII dans Rerum
novarum.
II.1 Le bien commun
« Une société qui, à tous les
niveaux, désire véritablement demeurer au service de l'être
humain, est celle qui se fixe le bien commun pour objectif prioritaire, dans la
mesure où c'est un bien appartenant à tous les hommes et à
tout l'homme. »1 1 Ce principe recommande à chaque
individu d'investir ses capacités intellectuelles, financières et
morales de manière à ce que tout ce qui puisse réaliser
son « être », le soit « avec » et « pour »
les autres, surtout les plus défaillants. Le postulat de bien commun est
souvent bouleversé par la conception individualiste de la vie. Cet amour
du prochain est inexistant chez les libéraux et les socialistes, car les
solidarités et souverainetés
11 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 165.
corporatives sont combattues au nom de l'individualisme et de
la libre concurrence absolue. Le respect du bien commun passe tout d'abord par
le respect des droits fondamentaux et de la promotion intégrale de la
personne. Le bien commun doit être préservé de
manière durable, car il ne s'agit pas uniquement d'en faire
bénéficier les autres dans l'immédiat, mais les
générations à venir. La participation au bien commun n'est
pas un choix à faire. Tous les membres de la société sont
responsables de son développement, ainsi que du juste partage de la
richesse commune. Chacun doit en avoir la tutelle comme si ce bien était
sa propriété privée.
La responsabilité de poursuivre le bien commun revient
aux individus, aux corps intermédiaires, à la
société dans son ensemble, mais aussi à l'Etat, car «
le bien commun est la raison d'être de l'autorité
politique. »12 Cette autorité doit garantir la
cohésion et l'unité du corps social, mais aussi et surtout le
respect des droits humains et des droits communautaires afin que le partage des
bénéfices du bien commun se fasse dans une transparence absolue.
Pour conduire une vie vraiment humaine, l'individu et la famille ne peuvent
vivre « en autarcie ». La socialisation est en elle-même un
processus déterminant pour participer au bien commun. Notons que le bien
commun doit coexister harmonieusement avec le bien particulier et ne pas le
détruire. La démocratie au gouvernement est alors la clé
des bonnes décisions, qui le seront d'autant mieux qu'elles visent
à faire profiter les démunis et les marginaux des fruits du bien
commun. Il est tout aussi important de reconnaître que le bien commun
n'est pas une fin en soi. Ce n'est pas un simple bien socio-économique,
et sa raison d'être va bien au-delà de la matière. Il vise
à épanouir l'homme dans toutes ses dimensions, y compris celle de
son ouverture à la transcendance. Le bien commun englobe les
diversités culturelles et religieuses d'une société, et
est indicateur du degré d'acceptation des différences par les
individus. L'entreprise est elle-même une sorte de bien commun, puisque
tous ses membres participent simultanément à son
développement et à son expansion.
12 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 168.
II.2 La subsidiarité
«De même qu'on ne peut enlever aux
particuliers, pour les transférer à la communauté, les
attributions dont ils sont capables de s'acquitter de leur seule initiative et
par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en
même temps que troubler d'une façon très dommageable
l'ordre social, que de retirer aux groupements d'ordre inférieur, pour
les confier à une collectivité plus vaste et d'un rang plus
élevé, les fonctions qu'ils sont en mesure de remplir
eux-mêmes. L'objet naturel de toute intervention en matière
sociale est d'aider les membres du corps social, et non pas de les
détruire ni de les absorber».13
Tel est, résumé par Pie XI, le principe de
subsidiarité, qui a été probablement introduit dans
l'enseignement de l'Eglise suite aux efforts de Mgr. Wilhelm von Ketteler,
évêque allemand, à la fin du XIXème
siècle, peu avant Rerum novarum. Mais l'idée de
subsidiarité est beaucoup plus ancienne dans la philosophie
politico-économique, et on peut même en trouver quelques
prémices dans la Bible (voir annexe 3). Etymologiquement, le mot
subsidiarité vient du latin subsidium, qui signifie «
secours ».
Au niveau international, les pays industrialisés sont
chargés de soutenir les Etats les plus vulnérables ainsi que les
zones de guerre où les peuples souffrent. La subsidiarité,
à ce niveau, consiste justement à secourir les plus faibles sans
toutefois mettre la main sur les quelques seuls avantages comparatifs
(richesses naturelles, savoir- faire, etc.) dont le territoire dispose par
rapport au reste du monde. Il ne faut jamais priver les individus, les petits
groupes et les petits pays d'assumer leurs responsabilités quand ils
sont en mesure de le faire. Ceci implique une reconnaissance de leur initiative
privée. La « suppléance institutionnelle » ne doit ni
durer dans le temps, ni s'étendre au-delà du strict
nécessaire, ce qui n'est malheureusement pas le cas bien souvent
aujourd'hui, et ceci pour des intérêts géopolitiques ou
pour des raisons de monopolisation économique. Au niveau national, les
acteurs de la subsidiarité sont de plus en plus en interaction. Etat,
famille, école, corps intermédiaires, entreprise,
université, aucune de ses institutions ne peut effectuer la tâche
de l'autre, aucune ne peut fonctionner convenablement sans le
13 Pie XI, Quadragesimo anno, n. 79.
recours au service de l'autre, ni survivre sans servir «
sa collègue ». La subsidiarité exige une coopération
de proximité. Appliquée à l'entreprise, elle change la
nature de l'autorité dirigiste et centralisée telle qu'on l'a
connue avec Taylor et Ford. Elle consiste à valoriser chaque
collaborateur individuellement, en lui délégant une tâche
qu'on juge la meilleure à lui donner pour la réussite du projet,
mais aussi et avant tout pour la réalisation personnelle et
l'autosatisfaction de l'individu, car chaque personne est unique, et donc
source d'originalité et d'apport spécifique à la
communauté humaine. L'autorité existe toujours, mais elle se met
avant tout au service de la clientèle, de son personnel et de tout ce
qui participe à la réussite de l'activité de l'entreprise
et du climat économique global.
Le principe de subsidiarité est lui-même régi
par trois sous-principes :
a- Le principe de compétence, qui vise à
ce que l'échelon supérieur s'interdise d'effectuer toute
tâche qu'un échelon inférieur serait apte à prendre
en charge.
b- Le principe de secours, qui oblige l'échelon
supérieur à décharger l'échelon inférieur
des tâches que ce dernier n'est pas en mesure de réaliser.
c- Le principe de suppléance, qui interdit
l'échelon supérieur de se déresponsabiliser de certaines
tâches et décisions qui lui sont propres et exclusives.
Le grand défi de la subsidiarité, c'est de
pouvoir instaurer une stratégie de gouvernance d'entreprise compatible
avec ses fondements et ses exigences. Une telle stratégie fondée
sur la délégation est certainement défendue par respect de
la personne humaine, donc de la communauté sociale, mais aussi par souci
d'un fonctionnement efficace de la production.
II.3 La solidarité
Il s'agit de l'un des principes piliers qui ne peuvent
échapper à aucun livre d'éthique économique ni
à aucune lettre des souverains pontifes. La subsidiarité n'existe
pas sans la solidarité.
La liberté humaine ne se fortifie que «
lorsque l'homme accepte les inévitables contraintes de la vie
sociale, assume les exigences multiples de la solidarité humaine et
s'engage au service de la communauté des hommes.
»14 La solidarité opère sur un champ aussi vaste
que la planète : entre salariés et employeurs, entre
universités et entreprises, entre ONG et pays démunis, entre
syndicats et habitants, etc. Pour qu'il y ait solidarité, il faut
d'abord que règnent la liberté, l'autonomie et l'initiative. En
sciences économiques et de gestion, on parle de plus en plus de culture
d'entreprise, qui n'est qu'un synonyme de la culture de solidarité. Il
s'agit donc essentiellement d'un patrimoine partagé entre individus, qui
implique un partage et une mutualisation des risques. Dans le cadre d'une
entreprise, la solidarité peut être centralisée
(négociation entre les employés et le comité d'entreprise)
et décentralisée (négociation entre les employés
à travers leurs représentants et les organisations syndicales et
patronales). Les négociations mènent à des accords sur
consentement de la majorité des membres.
Notons que dans le monde actuel, la multiplication très
rapide des moyens de communication « en temps réel » et le
progrès informatique peuvent faciliter la solidarité. Mais il est
aussi bien triste de souligner les disparités qui existent toujours
entre les différents pays du monde. Un vrai engagement sur le plan
éthico-social doit accompagner l'interdépendance croissante de
toutes les institutions économiques.
Le Compendium de la DSE déclare que la
solidarité se présente sous deux aspects complémentaires:
celle de principe social, qui tend à la modification de toute loi du
marché allant à l'encontre de l'éthique humaine, et celle
de vertu morale, qui consiste en un engagement ferme à travailler pour
le bien commun dans le sens où tout le monde est responsable de chacun
et où chacun est prêt, au sens évangélique du terme,
à « `se perdre' pour l'autre au lieu de l'exploiter.
»15 La DSE exige que la solidarité règne
même là où prévaut une logique de fragmentation,
loin de tout individualisme. Les hommes sont endettés envers leur
société, qui leur procure tant de nouveautés pour le
développement de leur bien-être. En contrepartie, chacun se doit
de s'engager à soutenir
14 Concile OEcuménique Vatican II,
Constitution pastorale «Gaudium et spes», n. 31, §
2.
15 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 193.
son prochain afin de partager avec lui ses difficultés
et ses bonheurs. Solidarité implique pardon, réconciliation et
surtout gratuité. La solidarité, ce sont peut-être ces
paroles simples de la prière scoute : « Seigneur Jésus,
apprenez-nous à être généreux... à donner
sans compter ». Au sein d'une entreprise, il est certes
irréaliste de parler de gratuité absolue, mais les « petits
gestes » qu'un chef peut faire aux employés sans contrepartie
révèleraient son engagement à «donner sans compter
».
II.4 La destination universelle des
biens
« Tous les biens de la nature, tous les trésors
de la grâce appartiennent en commun et indistinctement à tout le
genre humain. »16
« La propriété des moyens de
production, tant dans le domaine industriel qu'agricole, est juste et
légitime si elle permet un travail utile ; au contraire, elle devient
illégitime quand elle n'est pas valorisée ou quand elle sert
à empêcher le travail des autres pour obtenir un gain qui ne
provient pas du développement d'ensemble du travail et de la richesse
sociale, mais plutôt de leur limitation, de l'exploitation illicite, de
la spéculation et de la rupture de la solidarité dans le monde du
travail. Ce type de propriété n 'a aucune justification et
constitue un abus devant Dieu et devant les hommes. »17
Dieu a donné la terre à l'homme pour qu'il en
exploite les richesses et jouisse de ses fruits. Aucun n'est
privilégié, aucun n'est exclu. La terre est elle-même le
principal bien de subsistance que Dieu a offert à l'homme. Elle doit
aussi lui procurer, au-delà de la survie, les moyens nécessaires
à son plein développement. Ce droit de chacun de profiter
gratuitement du bien commun préexiste à toutes lois juridiques et
économiques, à la propriété privée des biens
et aux règles du libre commerce. C'est la propriété
privée qui doit se mettre au service de la destination universelle des
biens. Elle doit être un moyen et non pas une fin. Des
réglementations juridiques au niveau national et international doivent
en surveiller l'expansion pour la ramener à sa finalité
première. La
16 Léon XIII, Rerum novarum, n. 21.
17 Jean-Paul II, Centesimus annus, n. 43
c.
technologie et la production de masse doivent servir à
la multiplication des richesses pour un niveau supérieur de
bien-être de toute la population. Le progrès des uns ne doit pas
être un obstacle au développement des autres. La destination des
biens doit se faire de manière homogène et équitable pour
prévenir sa concentration entre les mains d'une minorité nantie
et l'exploitation de la majorité. L'acquisition des biens
matériels est légitime si elle dérive d'un travail digne
et d'une intelligence vertueuse pour que l'homme « s'assure une zone
indispensable d'autonomie personnelle et familiale. »18
La propriété privée est le principal
catalyseur de la responsabilité humaine. Pour être
légitime, elle doit, selon la DSE, être accessible à tous.
Au-delà des bénéfices personnels et familiaux, tout
patrimoine doit servir le bien commun. C'est pour cela que les
propriétaires se doivent de destiner leurs biens à la production,
à la reproduction et au développement, et de les
déléguer en particulier à ceux qui ont les
compétences d'en faire tirer les meilleurs profits, surtout que les
besoins vitaux, outre la nourriture, deviennent de moins en moins tangibles et
dénombrables, et de plus en plus complexes et développables. Pour
une destination universelle des biens, les monopoles économiques doivent
être estompés et les barrières rompues pour assurer aux
pays, jadis marginalisés, les chances élémentaires de
participer au bien commun en perpétuel perfectionnement. Ces biens
communs doivent venir en aide aux plus démunis, dont la misère
entrave également une croissance soutenable et
généralisée. « Vous avez reçu
gratuitement, donnez gratuitement. »19 Quel que soit le
niveau social d'un individu, il doit venir en aide à son prochain dans
le besoin, en respectant ce que la DSE appelle « l'option
préférentielle des pauvres ». « C'est là une
option, ou une forme spéciale de priorité dans la pratique de la
charité chrétienne (...) Elle s'applique également
à nos responsabilités sociales et donc à notre
façon de vivre, aux décisions que nous avons à prendre de
manière cohérente au sujet de la propriété et de
l'usage des biens. » 20
La charité n'est pas un acte de don personnel. On rend au
pauvre ce qui lui est dû, c'est-à-dire une richesse qui lui est
vitale et que le capitalisme lui a arrachée pour
18 Léon XIII, Rerum novarum, n. 11.
19 Mt 10, 8.
20 Jean Paul II, Sollicitido rei socialis, n.
42.
satisfaire des ambitions secondaires. Cet amour pour les
pauvres est incompatible avec un usage égoïste des richesses et
tout chef d'entreprise doit s'engager à partager équitablement
les fruits du bien commun avec ses travailleurs.
II.5 Le travail
« Ora et labora » (Travaille et prie!)
Cette célèbre devise de Saint Benoît
résume quelque peu la priorité du travail sur le capital dans
l'enseignement social de l'Eglise. Cette priorité est bien
soulignée dans l'encyclique Laborem exercens de Jean-Paul II,
où la place de l'homme sujet et la subjectivité
inhérente au travail sont bien affirmées. Cette
subjectivité attribue au travail humain une dimension plus
éthique et plus digne. La DSE distingue la dimension subjective du
travail de sa dimension objective traditionnelle. Le travail a une
portée considérable sur le psychisme de l'homme, sur son
insertion sociale et sur sa participation au bien commun. Il évite au
travailleur de stocker des « capacités obsolètes » et
lui permet d'accéder à la requalification et à
l'accumulation de capital humain productif d'actualité. Les politiques
actives d'emploi sont donc recommandées par la pensée
chrétienne, qui ne prône point de couver le peuple par
l'assistanat ou de le protéger « à tout prix ».
Soutenir l'activité et créer des emplois sont des
éléments constitutifs du droit fondamental de chacun au travail,
notamment dans le secteur tertiaire, où l'Etat doit s'engager avec
perspicacité. Par ailleurs, les pouvoirs publics doivent adapter les
politiques de la famille et de l'emploi à la réalité
économique afin de ne pas décourager les travailleurs de fonder
une famille et d'y vivre harmonieusement et dignement. On sait que le
chômage a des répercussions matérielles et morales sur les
familles, et que les crises familiales diminuent la productivité du
travailleur et donc nuisent à l'entreprise. Le chômage est
déshumanisant. L'avenir et les conditions de vie des travailleurs ne
sont pas prédéterminés. Un travailleur a pleinement le
droit de faire ses preuves et d'assurer, par son travail, l'avenir qu'il
souhaite à son époux(se), à ses enfants et à toute
autre personne dont il a la charge. Si la terre est le premier don de Dieu,
« elle ne produit pas ses fruits
sans une réponse spécifique de l'homme au
don de Dieu, c'est-à-dire sans le travail. »21 Or, s'il fut un
temps où « la fécondité naturelle de la terre
paraissait être [...] le facteur principal de richesse [...], en notre
temps, le rôle de travail humain devient un facteur toujours plus
important pour la production des richesses immatérielles et
matérielles. »22 Le travail humanisé est la meilleure
chance que le travailleur puisse saisir pour faire ses preuves, éduquer
son sens de la responsabilité et « coopérer à
l'achèvement de la création divine. »23
Dans le livre de la Genèse, l'homme reflète Dieu
en accomplissant son mandat de travailler et de créer. La situation du
travail est positive et primordiale selon la pensée chrétienne,
alors que d'autres idéologies sont plus proches du sens
étymologique, où « labeur », qui dérive du latin
« labor », signifie peine et où « travail » renvoie
au latin « tripalium », « instrument à trois pals qui
entravait l'esclave et qui servait d'instrument de torture, » 24 et
est donc conçu comme une dure servitude et une pénible
aliénation. Selon l'Eglise, « le travail appartient à la
condition originelle de l'homme et précède sa chute ; il n'est
donc ni une punition ni une malédiction. »25
Le repos sabbatique, tout aussi valorisé que le
travail, « est un rempart contre l'asservissement au travail,
volontaire ou imposé, et contre toute forme d'exploitation,
larvée ou évidente. »26 Un verset du livre
de la Genèse affirme : «Au septième jour, Dieu
chôma après tout l'ouvrage qu'il avait
fait.»27 Dans l'Evangile, le Christ affirme : «
Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le
sabbat ! »28 Le jour de repos est aussi « une
fonction libératrice des dégénérescences
anti-sociales du travail humain. »29 Dans la tradition biblique, il y
avait même toute une année sabbatique qui devait permettre
à l'homme de participer à des activités socio-culturelles
et de servir la
21 Jean Paul II, Centesimus annus, n. 31.
22 Ibid.
23 Concile OEcuménique Vatican II,
Constitution pastorale «Gaudium et spes», n. 67, §
2.
24 Michel Falise et Jérôme
Régnier, Economie et foi, Centurion - Ed. Paulines, 1993, p.
59
25 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.256
26 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.258
27 Gn 2, 2.
28 Mc 2, 27.
29 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.258
communauté à sa manière. «
Pendant six ans tu ensemenceras la terre et tu en engrangeras le produit.
Mais la septième année, tu la laisseras en jachère et tu
en abandonneras le produit ; les pauvres de ton peuple le mangeront.
»30
Les autorités publiques n'ont aucun droit de priver les
citoyens de ce jour de repos et de culte divin pour des raisons de
productivité économique. Les employeurs ont le même devoir
envers leur personnel.
Les recommandations de l'Eglise sur le travail sont
intervenues très tôt, à l'ère des
sociétés agricoles. Aujourd'hui la société est
beaucoup plus dynamique et la révolution industrielle a modifié
le paysage. La question ouvrière reste toujours le principal objet du
débat, notamment leur exploitation dans le travail ainsi que ce qu'on
appelle souvent « l'exploitation idéologique
(socialiste/communiste) des justes revendications du monde du travail.
»31 Dans Rerum novarum sont identifiés les
prémisses des droits des travailleurs, de la protection des ouvriers,
notamment des enfants et des femmes, ainsi que la promotion des salaires et la
surveillance de l'hygiène et des conditions de travail.
La question féminine est centrale et nécessaire
dans toutes les dimensions de la vie sociale. Sa promotion commence par
l'accès inconditionné de l'être humain aux formations
initiales et professionnelles. Le travail en entreprise, quel que soit sa
nature, doit être organisé de manière à permettre
à la femme, tout en remplissant les tâches de son emploi, de ne
pas être retenue au « détriment de sa famille dans
laquelle elle a, en tant que mère, un rôle
irremplaçable. »32 L'Eglise note que les conditions
de travail inégales entre différents sexes restent surtout
apparentes au niveau des salaires et des assurances de santé.
Il en est de même pour le travail des enfants.
Léon XIII avait précisé que l'enfant ne doit entrer
à l'usine qu'après avoir suffisamment développé ses
forces physiques, intellectuelles et morales, phénomène qui ne
peut avoir lieu avant un certain âge. Le
30 Ex 23, 10-11.
31 Compendium de la Doctrine Sociale de l 'Eglise,
n.267
32 Jean Paul II, Laborem exercens, n. 19.
travail des enfants peut, sous certaines formes, être
utile à sa famille et à son expérience personnelle, mais
il ne doit en aucun cas prendre la forme d'une exploitation physique dans des
conditions de véritable esclavage. La DSE traite aussi des
problèmes de l'emploi et du chômage de masse, difficilement
compressible de nos jours.
En somme, et au-delà du « business is business
», l'entreprise et le département sont avant tout des
communautés de personnes, et « chaque chrétien est
invité a une double conversion : s'interroger sur ce que signifie pour
lui son travail, et participer par ses engagements à
l'amélioration des structures du travail. »33
II.6 La centralité de la personne
humaine
« La principale richesse de l'homme, c'est l'homme
lui-même. »34 L'économie doit alors se mettre
au service du développement intégral de l'homme, quel
que soit son origine, son sexe, son statut et ses capacités
innées. L'encyclique Mater et Magistra dénonce tout
système ou structure économique et social qui est « de
nature à compromettre la dignité humaine.
»35 La DSE reprend elle-même ce que la Bible
avait déjà proclamé depuis plus de deux millénaires
et que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (1948) a
réveillé dans les esprits des peuples, à savoir que
l'être humain est unique, inimitable, libre. Toute personne
possédant corps et âme est « entièrement
confiée à elle-même, et c'est dans l'unité de
l'âme et du corps qu'elle est le sujet de ses actes moraux.
»36 C'est ainsi que chaque être humain, avec des
caractéristiques spécifiques, a une contribution exclusive
à apporter à son entourage. Il travaillera la matière
d'une manière unique et en remodèlera l'allure selon ses
aspirations, ses dons et ses qualités personnelles. Personne ne peut
nier que cet output « artisanal » a une valeur unique et bien plus
précieuse que celle d'un objet uniformément produit à la
chaîne tel un « frère jumeau ». C'est bien la
visibilité du travail lui-même dans l'objet produit qui
confère à ce dernier toute sa valeur et enrichit son unité
avec l'auteur humain.
33 Michel Falise et Jérôme
Régnier, Economie et foi, Centurion - Ed. Paulines, 1993,
p.63-64
34 L'entreprise au service de qui ?, Les
Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens, 2005, p.47
35 Jean XXIII, Mater et Magistra, n.83
36 Jean-Paul II, Veritatis splendor, n.
48.
II.7 La participation
Quand il y a subsidiarité, il y a nécessairement
participation de l'individu à la vie économique, sociale,
politique et culturelle de la communauté à laquelle il
adhère. La participation est un droit mais aussi un devoir envers les
autres, afin qu'ils bénéficient de l'unique apport de chacun pour
l'élaboration et le développement du bien commun. L'exigence de
participation s'étend à tous, et surtout aux plus
défavorisés. C'est un pilier de la démocratie. Et la
démocratie exige aux supérieurs « d'informer,
d'écouter et d'impliquer les sujets dans l'exercice des fonctions qu'ils
remplissent. »37 Le principe de participation
appelle la contribution des membres d'une communauté au
développement du bien-être de tous. La syndicalisation est alors
plus que jamais nécessaire au moment où l'individualisme
règne et où la vie publique est encore écrasée dans
un bon nombre de pays à régime dictatorial.
A l'époque du Rerum novarum, on ne parlait que
de travail et de capital, et même plutôt de labeur et de capital.
C'est bien après que s'est créé le concept d'entreprise
sociale ou de communauté de personnes, et que les travailleurs sont
devenus partie prenante dans la production. Pie XI préconise, dans la
mesure du possible, que « le contrat de travail soit quelque
modifié dans le sens d'un contrat de partenariat
»38 sur lequel se règlera le contrat de travail.
Ceci permettra alors aux travailleurs de participer d'une certaine
manière « à la propriété de l'entreprise,
à sa gestion, et aux profits qu'elle apporte. »39
La participation a surtout gagné en intensité
après la deuxième Guerre Mondiale. On commence à parler de
co-gestion et de co-décision à travers un pouvoir externe que
sont les syndicats. « Le déploiement de l'activité de
chacun ne doit pas être totalement soumis à l'autorité
d'autrui », proclame Pie XII.40 Se préoccuper de ce
qu'on appelle aujourd'hui les ressources humaines, et l'élaboration de
comités d'entreprise, sont des
37 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 190
38 Pie XI, Quadragesimo anno, n 65.
39 Pie XI, Quadragesimo anno, n. 65.
40 Jean-Yves Calvez, L 'Eglise et
l'économie, Ed. L'Harmattan, 1999, p.61
développements beaucoup plus récents. Pie XII
insiste sur le fait que les rapports entre participants soient régis par
une justice distributive, de sorte que chacun puisse recueillir les
bénéfices de l'activité proportionnellement à sa
contribution. Il est certain que la décision finale revient aux «
managers », mais cette décision doit, au préalable, avoir
respecté l'avis de la majorité des travailleurs concernés,
car elle affectera avant tout l'organisation du travail et le
déroulement du système de production modifié.
II.8 La justice sociale
La justice sociale est un principe directeur de la DSE et
s'interpénètre avec le principe de solidarité.
Justice ne veut pas dire égalité
mathématique des revenus ou de traitement des contrats, mais
égalité du traitement de chacun selon ses compétences et
ses aspirations. Il faut tenir compte de la diversité des personnes et
des situations. La justice est purement économique lorsqu'il s'agit de
questions relatives aux salaires ou à d'autres rétributions des
employés, tel que leur « aide par un système
d'assurances publiques ou privées qui les protègent au temps de
la vieillesse, de la maladie ou du chômage. »41 Mais
elle devient sociale lorsqu'elle vise la participation des individus à
la gouvernance de leur communauté de personnes d'une manière
égalitaire mais pas forcément uniforme. Il ne s'agit pas d'une
distribution naïve, mais contributive, dans le sens où tout
individu doit bien mériter sa récompense grâce aux efforts
qu'il dépense de plein gré pour l'expansion de l'activité
de son entreprise. La pensée chrétienne est souvent
assimilée à une version modérée du socialisme.
Pourtant, il est bien dit dans Quadragesimo anno : « On ne
peut être en même temps bon chrétien et vrai
socialiste. »42 La principale nuance entre les deux
idéologies est que la pensée chrétienne a le même
souci social, mais elle renonce « aux actes d'hostilité et
à la haine mutuelle »43 et préconise «
une légitime discussion
41 Pie XI, Divini Redemptoris, n.52.
42 Pie XI, Quadragesimo anno, n.120.
43 Pie XI, Quadragesimo anno, n. 123.
d'intérêt, fondée sur la recherche de la
justice, »44 sans refus catégorique de
l'idée de propriété privée.
II.9 L'importance de la famille pour la
personne
Le tout premier livre de la Bible souligne l'importance du
couple et de la famille pour l'être humain : « Il n'est pas bon
que l'homme soit seul. »45 Eve a été
créée pour le compléter et former avec lui « une
seule chair, »46 et tous deux sont engagés dans la
tâche de la procréation, contribuant au dessein du
Créateur. La famille est ainsi le « lieu premier d'
`humanisation' de la personne et de la société. »47
C'est dans la famille que l'enfant s'éveille sur le
bien et le mal et sur les vices et vertus de la vie dans un cadre puéril
propre. La Compendium de la DSE considère la famille comme le «
prototype de tout ordre social »48 du moment qu'elle
est fondée sur le mariage et sur un amour conjugal pouvant contribuer
dignement à l'expansion et à la diversité de la
société. C'est au sein de la famille que l'enfant acquiert le
sens du prochain, et ce en raison de la gratuité des services
interpersonnels et du partage du bien commun familial. C'est aussi à
travers l'affection naturelle, la disponibilité inconditionnelle et la
bienveillance irremplaçable de la mère pour son foyer, son mari
et ses enfants, que l'enfant prend conscience de sa dignité humaine, de
sa personnalité unique, de sa responsabilité vis-à-vis de
l'entourage, et devient ainsi confiant en ses capacités. Une famille
digne de son nom est alors la première cellule vitale d'une
société saine et préfigure la grande famille humaine.
« Une société à la mesure de la famille est la
meilleure garantie contre toute dérive de type individualiste ou
collectiviste, car en elle la personne est toujours au centre de l'attention en
tant que fin et jamais un moyen. (...) Sans familles fortes dans la communion
et stables dans l'engagement, les peuples
44 Pie XI, Quadragesimo anno, n.123
45 Gn 2, 18.
46 Gn 2, 24.
47 Jean Paul II, Exhortation Apostolique Post-Synodale
Chistifideles laici, n. 40.
48 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 211.
s'affaiblissent. (...) C'est dans la famille (...) que se
transmettent le patrimoine spirituel de la communauté religieuse et le
patrimoine naturel de la nation. »49
La DSE affirme la « priorité de la famille par
rapport à la société et à l 'Etat. »50 Ce
sont ces dernières qui sont au service de la famille, et non le
contraire. En vertu du principe de subsidiarité, l'Etat ne peut
ôter à la famille les tâches qu'elle peut remplir par
elle-même, et doit simultanément lui assurer tout le support
matériel et moral nécessaire à son développement et
à son insertion sociale. Dans maints pays développés,
où la famille n'est plus une option préférentielle, on
assiste à un recul de l'assistance de l'Etat envers la famille en
matière d'éducation et de santé. Il en est de même
pour les politiques d'aide à la famille et à la mère de
famille, qui se retrouve souvent livrée à elle-même pour
jongler entre famille et travail afin de subvenir aux besoins essentiels de son
foyer.
La DSE décrit le mariage comme une «
institution » se fondant sur « la nature même de
l'amour conjugal qui, en tant que don total et exclusif, de personne à
personne, comporte un engagement définitif exprimé par le
consentement réciproque, irrévocable et public.
»51 Il en découle, pour le couple, des rapports mutuels
empreints de justice et du respect des droits et des devoirs
réciproques, et ces valeurs seront transmises aux enfants à
travers l'éducation. Malgré le développement des moeurs
sociales et l'avènement récent de structures conjugales
aberrantes, la famille bi-sexuelle reste l'unique cellule qui mérite le
nom de « micro-société humaine », et la seule capable
de discipliner l'ordre social à la source. Elle constitue aussi le cadre
adéquat pour l'adoption d'enfants démunis ayant perdu leurs
parents naturels prématurément.
La famille est la première école pour l'enfant
et contribue ainsi au bien commun. Elle offre à l'enfant une
éducation intégrale et lui inculque les valeurs fondamentales de
la vie sociale, fonction originale qu'aucune autre instance ne peut assumer.
Toutefois, les parents ne sont pas les seuls éducateurs de leurs
enfants. L'éducation en famille doit être complétée
par une socialisation de l'enfant, qui implique sa mise en interaction avec
49 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 213.
50 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 214.
51 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 215.
l'entourage immédiat dans un premier temps, puis avec
l'ensemble de la société ultérieurement. Pour cela, il est
du devoir des parents de confier leurs enfants aux institutions scolaires et
éducatives appropriées. Les parents ont le droit exclusif de
choisir ces institutions pour leurs enfants conformément à leurs
convictions religieuses et à leurs visions globales. Les pouvoirs
publics ont le devoir de garantir ce droit et d'assurer les conditions
concrètes de son exercice, et doivent orienter leur action politique et
législative en vue de la sauvegarde des valeurs de la famille.
Quel rôle pourrait alors jouer l'entreprise pour la
promotion de la vie familiale et l'éducation des enfants ?
Dans Laborem exercens, Jean-Paul II souligne que la
famille est un « terme de référence
»52 important pour l'organisation du travail de
manière éthique et socialisée, notamment au sein des
entreprises. Le travail est une condition essentielle pour fonder une famille
lorsque sa source de subsistance première est le fruit de ce travail. Le
salaire familial est donc une notion primordiale qui devrait être prise
en compte dans les politiques salariales des entreprises. Ce salaire doit
être en mesure d'assurer de dignes conditions de développement
pour les personnes dans leurs foyers. Il peut se traduire par des allocations
familiales et autres contributions pour les personnes à charge, ainsi
que par des aides à la maternité et à l'éducation
des enfants. Outre le salaire, la flexibilité des horaires est
essentielle afin que chaque parent puisse assumer sa fonction,
irremplaçable, au sein de son foyer. A travers une stratégie de
gestion adéquate des ressources humaines, tout patron doit aider ses
employés à préserver et à améliorer leur
épanouissement familial, principal catalyseur de leur paix
intérieure, de leur créativité et de leur
productivité. De plus, les entreprises se doivent de soutenir les
associations de parents qui se regroupent pour débattre de tout obstacle
économique et social allant à l'encontre de l'harmonie familiale
et de la paix sociale, notamment en ce qui concerne la protection de leurs
enfants contre la délinquance.
52 Jean-Paul II, Laborem exercens, n. 10.
Enfin, et en vue de concrétiser leur vocation à
la charité chrétienne, les entreprises doivent engager une partie
de leurs bénéfices dans l'éducation des enfants de
familles nécessiteuses, et épauler les écoles dans les
moments de crise pour assurer à tous les enfants en bas âge
l'exercice de leur droit fondamental à l'éducation
élémentaire.
* * *
Les principes de la DSE visent à orienter les
comportements des agents économiques et à leur indiquer des
normes de conduite. Ils recommandent de respecter la personne humaine dans son
intégralité, de lui déléguer un maximum de
responsabilités et de valoriser sa contribution au développement
du bien commun à travers sa participation, en toute solidarité
avec les autres, à la réalisation d'objectifs communs, et ce dans
un cadre assurant à tous l'égalité des chances, un salaire
digne de la contribution de chacun et la protection de la vie familiale
à tous les niveaux.
III. Les fondements d'un modèle de
management chrétien
Dans ce qui précède, nous avons mis en
perspective les enseignements de l'Eglise et les interventions et
recommandations du Magistère dans le monde du travail et des affaires
d'une part, et l'éthique « laïque », codifiée en
particulier dans les pays développés indépendamment de
tout confessionnalisme, d'autre part. Dans quelle mesure cette éthique
laïque de plus en plus universelle ressemble-t-elle à ce que
recommande l'Eglise ? Les entreprises à toile de fond chrétienne
révèlent-elles des indices particuliers et communs pour
être repérées dans la société ? De telles
questions s'imposent lorsqu'on tente, entre autres, de dresser le
portrait-robot d'une entreprise chrétienne, en distinguant ses
principaux piliers qui, à la base, sont communs à toutes les
entreprises dans le monde quelle que soit leur toile de fond religieuse, mais
dont la nature et les fonctions sont spécifiques et directement
inspirées des recommandations de la doctrine sociale de l'Eglise ou du
contexte historique de cette dernière. L'ambiance au sein d'une
entreprise est alors d'autant plus saine que ses normes de conduite
reflètent la personnalité du dirigeant, et d'autant plus
chrétienne que le dirigeant l'est dans sa vie professionnelle,
privée, familiale et civique, et qu'il arrive à
réconcilier en permanence fatalité du capitalisme et exigences
sociales.
III.1 - Le leadership chrétien
A l'époque du taylorisme, le chef d'entreprise
était un gestionnaire exerçant son autorité grâce
à son know-how et ses compétences techniques. On avait alors un
modèle de management à chefs sourds et subordonnés muets.
Aujourd'hui, on exige d'un dirigeant qu'il soit doué de qualités
morales qui ne relèvent ni de la science, ni de sa formation
professionnelle. Il doit, certes, savoir gérer des biens
matériels pour les développer, mais aussi gouverner des hommes
pour qu'ils se développent. Le vrai leader représente alors cette
personne « multi-tâches », qui applique les règles de
son entreprise tout en mettant son savoir-faire au service de la
communauté d'hommes dont les exigences sont multiples et dont il a
mérité d'être le tuteur. Un leader efficace est avant
tout celui qui délègue et qui sait gagner la
confiance de ses subordonnés. C'est celui qui conçoit son
organigramme dans une perspective plutôt humaine qu'hiérarchique.
Le leader chrétien est celui qui arrive à être en
même temps exigeant, précis, collaborateur et flexible dans ses
prises de décision. Il sait aussi accepter qu'il ne puisse pas
être omniprésent et qu'il ne puisse que gouverner. De ce fait, il
admet que la consultation d'experts plus versés dans les
stratégies et les processus de production lui soit indispensable pour
ses prises de décision. Il comprend que chaque décision prise par
l'entreprise soit en elle-même le plus sacré des biens communs. Le
concept de l'autorité est très particulier dans la pensée
chrétienne ; c'est une autorité indulgente qui arrive à
incarner dans une même personne la personnalité d'un capitaliste
dirigeant et celle d'un animateur social. Le mot autorité vient du latin
« augere » et signifie augmenter : augmenter les
capacités techniques et humaines, et encadrer un terrain de travail de
plus en plus élargi d'une manière souple et socialement
acceptable tout en faisant régner la discipline sans devoir recourir
à la force.
L'autorité chrétienne n'est pas
l'autorité gendarme comme celle que prône la conception
libérale. Elle est, au contraire, celle qui sait mobiliser les bonheurs
individuels et les mettre au service de la prospérité du bien
commun qui, à son tour, se met au service du bien-être de chacun.
Elle s'insère dans un mode de régulation qui admet un
organigramme désormais « plat » et que l'on retrouve dans
toute entreprise moderne.
L'autorité chrétienne assume trois fonctions
fondamentales, informer, motiver et éduquer. Informer, c'est
orienter les salariés vers les objectifs centraux de l'entreprise, qui
constituent sa raison d'être, et situer la place de chacun ainsi que son
rôle exclusif dans le processus d'ensemble dont dépend le
rendement de l'entreprise. Motiver, c'est coordonner harmonieusement
et avec tolérance l'action des salariés pour aller au-delà
de ce qu'exige la contrepartie salariale à travers leur adhésion
et leur implication dans les risques et profits d'un projet partagé
ayant acquis l'unanimité de ses parties prenantes. Eduquer,
enfin, c'est former, pour des raisons économiques et humaines à
la fois, à l'égalité entre les personnes d'une même
organisation pour que toutes et tous participent activement et de plein
gré aux démarches « qualité » de
l'entreprise.
La qualité de « leadership » n'est pas
forcément inhérente au patron, auquel cas il serait un chef
« charismatique par nature ». Cette qualité peut aussi
s'acquérir par l'expérience.
Le leader doit apprendre à reconnaître ses points
forts, qu'il découvre en concrétisant ses projets, et avoir une
vision d'ensemble réaliste pour tester la compatibilité de ses
idées aux contours bien définis. Il doit être visionnaire,
c'est-à-dire projeter l'avenir de son entreprise, tracer sa trajectoire
souhaitée et mettre à exécution la stratégie
envisagée. Le leader doit avoir le don d'écouter ses
collaborateurs et ne jamais s'auto-proclamer « leader », mais laisser
à la communauté de travail elle-même le soin de le faire en
toute satisfaction grâce à ses mesures judicieuses et à son
engagement entier. Le leader est un sage interlocuteur et un bon
conférencier. Il sait justifier la pérennité de son
entreprise par des bilans transparents qui illustrent la trajectoire et la
raison d'être de sa communauté d'hommes. Dans ses paroles, il
désigne toujours par « nous » au lieu de « je » le
sujet des actions et a le courage d'avouer qu'il est incapable de faire
survivre l'entreprise par son seul commandement. Il sait féliciter ses
collaborateurs pour leur souci d'innover, admet les idées fructueuses et
encourage leur réalisation. Un bon leader est également celui qui
apprend à perdre. Cet échec le confronte à une
série de leçons susceptibles de lui faire éviter les
mêmes erreurs. Il lui donne surtout la force et la volonté,
stimulées par son espérance chrétienne, de se redresser et
de poursuivre la réalisation de sa vocation de vie.
Les théories actuelles du leadership en ont
axiomatisé plusieurs types, dont les principaux sont :
A - Le leader « autoritaire et souverain »,
qui ne confie aucune responsabilité aux subordonnés, jugés
incapables de l'assumer. Le leader dicte exactement ce qui doit être
exécuté, et le dialogue avec les membres de l'entreprise est
inexistant. Ce premier type ne ressemble assurément en rien au
modèle du leader chrétien.
B - Le leader « animateur et bon vendeur »
qui, tout en délégant quelques tâches aux membres du
groupe, estime qu'il doit d'abord les former pour une exécution
professionnelle et efficace et les motiver en permanence par la suite afin de
consolider une confiance en eux-mêmes jugée encore fragile. Ce
second modèle ne semble pas encore assez digne d'un leader
chrétien.
C - Le leader « participant et source de soutien
» qui, ayant des membres capables d'assumer des
responsabilités mais à qui il n'en avait point confié dans
le passé, propose maintenant à ses employés une
collaboration mutuelle au moment où le malentendu et la
désaffection règnent, et ce afin de rétablir sa
renommée personnelle au sein de l'entreprise. Il est clair ici que le
leader aurait dû écarter le risque d'une telle frustration bien
avant. Pour ne pas l'avoir fait, il représente un piètre cas de
figure par rapport à la conception chrétienne.
D - Le leader « délégateur et confiant
» qui se voit tenu en conscience, afin d'assurer la
prospérité de son entreprise, de déléguer des
responsabilités aux membres, légitimement appelés «
collaborateurs ». Ils en sont jugés capables, car ils y ont
été entraînés dès leurs débuts, et le
leader a déjà pris le temps et le recul nécessaires pour
éprouver leurs qualités administratives et leur capacité
d'apporter des idées nouvelles. Pour un tel leader, la
compétitivité de l'entreprise passe forcément par la
motivation des employés et par l'implication de chacun dans la gestion
de l'entreprise. Ce cas de figure serait le portrait idéal du leader
chrétien, qui s'engage dès le départ à bâtir
sa stratégie de gestion sur des piliers humains solides pour que les
incertitudes du marché soient incapables de compromettre la
stabilité de son entreprise.
La formule-clé pour devenir un bon leader est,
contrairement à la tendance actuellement prédominante qui est
braquée sur les qualités de plénitude, de ne jamais cesser
de se perfectionner et de se recycler, de délaisser les pistes
habituelles lorsqu'elles deviennent obsolètes, et d'accepter la
nouveauté si son contexte est favorable. Un leader digne de ce nom doit
être en mesure d'avouer ses échecs et de se lancer en toute
confiance dans de nouvelles directions inexplorées.
III.2 La co-gestion, la délégation
et la subsidiarité
Les trois principes de co-gestion, de délégation
et de subsidiarité se situent dans le droit prolongement du leadership
chrétien et sont interdépendants. De plus, ils s'articulent sur
tous les autres principes constitutifs du modèle de management
chrétien. La co-gestion, actuellement connue dans le vocabulaire
managérial sous le nom de « corporate governance »,
est, entre autres, le résultat d'une authentique culture d'entreprise,
explicitée ci-après, qui se soucie aussi bien des exigences du
marché que des intérêts légitimes du personnel. Pour
pouvoir réaliser une co-gestion harmonieuse, il faut que règne
avant tout « une culture de confiance, »53
où les représentants d'intérêts différents
ont la volonté d'aboutir à un compromis dans « un esprit
de tolérance mutuelle »54 pour atteindre un
objectif valorisant le bien commun.
La co-gestion consiste en une pyramide organisationnelle plate
et en une décentralisation des responsabilités, confiées
aux personnes qualifiées directement concernées. La confrontation
des idées hétérogènes de ces dernières
s'avère alors nécessaire et salutaire pour répondre
à une demande plus exigeante, plus diversifiée et plus
compétitive du marché ainsi que pour satisfaire de nouveaux
besoins, promouvant l'offre de l'entreprise et lui faisant gagner de nouvelles
parts de marché.
La co-gestion est régie par le conseil
d'administration, qui cherche la rentabilité économique, et
contrôlée par le comité d'entreprise, qui prône la
cohésion sociale. Le problème d'absence de co-gestion se pose
dans les petites entreprises du secteur tertiaire ainsi que dans l'industrie
robotisée, à effectif réduit, où le comité
d'entreprise est inexistant. En l'absence d'une co-gestion apte à leur
assurer des emplois de longue durée où ils pourraient, à
terme, en récolter les fruits, les salariés sont moins
syndicalisés et leurs carrières moins protégées. De
plus, la flexibilité du temps de travail ainsi que la
discontinuité des emplois réduisent l'efficacité de la
co-gestion dans ses efforts visant à
53 Recommandations de la Commission Cogestion,
Cogestion et nouvelles cultures d'entreprise, Verlag Bertelsmann
Stiftung, Gütersloh, 1998, p.4
54 Ibid.
réaliser un projet de coopération de durée
plus longue que le contrat de travail des collaborateurs.
La modernisation des stratégies de gestion des
ressources humaines a entraîné des effets contradictoires sur
l'efficacité de la co-gestion. Cette dernière est, d'une part,
défendue pour son rôle prépondérant dans la
croissance continue de l'entreprise, mais elle devient, d'autre part, un
phénomène de plus en plus volatile à l'heure actuelle. En
effet, les décisions concernant une entreprise sont prises à un
niveau de plus en plus décentralisé, de sorte que l'effectif
« effectif » de l'entreprise est en baisse et devient de plus en plus
hétérogène. De plus, cet effectif réduit est
remplacé de plus en plus par des fournisseurs et des sous-traitants, et
les liens entre employeurs et salariés ainsi que les
responsabilités de chaque partie prenante deviennent très mal
délimités. Le corpus humain de l'entreprise est ainsi en
perpétuelle désagrégation et risque d'effriter la
cohésion sociale et la collaboration interne et directe.
Une entreprise à vocation chrétienne est tenue
de s'adapter aux évolutions et normes de l'environnement dans lequel
elle opère, mais elle doit aussi veiller à ce que son union
interne reste maintenue. Pour atteindre cet objectif, elle doit cultiver un
dialogue social régulier et continu, inséré dans sa
culture d'entreprise, pour assurer une unanimité dans la prise des
décisions après consultation de toutes les parties, y compris les
sous-traitants, les fournisseurs, les clients et les co-contractants
d'outre-mer. Le chef d'entreprise se doit d'être un chrétien
éclairé, tout en protégeant les valeurs directrices de sa
foi contre les mauvaises surprises. Pour qu'elles soient valides et efficaces,
la cogestion et la co-responsabilisation des salariés et
non-salariés concernés exigent un partage des
bénéfices résiduels ex-post ainsi qu'une participation
croissante des parties prenantes à la propriété de
l'entreprise. Ceci se répand à l'heure actuelle grâce
à l'actionnariat et à la réduction du nombre d'entreprises
purement familiales ou individuelles. Il est alors dans l'intérêt
des dirigeants de favoriser une image saine de leur culture d'entreprise pour
attirer des actionnaires économiquement fiables et prêts à
s'engager dans une activité entrepreunariale mue par des exigences
humaines.
III.3 La culture d'entreprise
La notion de culture d'entreprise est apparue assez
tardivement. Auparavant, on croyait que l'histoire, les valeurs et les
spécificités de l'entreprise faisaient partie des « secrets
du métier » et qu'il fallait les écarter du terrain de la
concurrence. Mais à partir de 1980, la culture d'entreprise s'affirme
dans le langage du business contemporain et se mondialise.
La culture d'entreprise consiste en un ensemble complexe de
valeurs partagées et de normes de conduite communes à un ensemble
humain collaborant pour la prospérité du bien commun.
Au-delà du fait qu'elle oriente les comportements stratégiques de
l'entreprise, la culture d'entreprise englobe tout son historique, rappelle les
noms et « biographies » de ses fondateurs, ses traditions et ses
rituels liés à son contexte socioculturel, ses symboles et
idéologies, ainsi que tout ce qui fait référence à
son identité particulière (logo, tenue vestimentaire, etc.) et
à sa vocation suprême. Il est évident qu'une entreprise ne
peut pas décider de mettre en place du jour au lendemain une culture
d'entreprise. Cette dernière doit s'enraciner graduellement dans le
temps et prendre forme dans le cadre socio-culturel où elle
s'insère. Les recommandations de cette culture sont codifiées
dans une charte qui est constamment remise à jour à la
lumière des développements importants dans l'entreprise.
La charte comprend des valeurs générales, dont
les résultats sont significatifs à l'échelle nationale et
universelle, des valeurs spécifiques, qui sont directement
inspirées des charismes personnels des fondateurs, et des valeurs
opérationnelles, qui inspirent toutes les stratégies de travail
ainsi que les comportements des individus dès la signature de leur
contrat de collaboration. Dans le langage éthique, on parle aussi de
« modérateurs situationnels »55
spécifiques au climat éthique de l'entreprise. Ces
modérateurs affectent les « modérateurs individuels
»56, façonnés par l'environnement familial et
social de l'employé, pour remettre ses actions sur la bonne voie.
55 Samuel Mercier, L'éthique dans les
entreprises, Ed. La Découverte, 2004, p.39
56 Ibid.
La culture d'entreprise doit guider la manière
d'aborder les problèmes quotidiens de management mais aussi et surtout
les situations de changement radical en passant d'une stratégie à
une autre. La culture d'entreprise doit pénétrer tous les
départements d'une entreprise, en particulier dans les affaires du
personnel et les stratégies et décisions concernant la
destinée des ressources humaines. Elle doit orienter les systèmes
de formation et de promotion, jouant un rôle décisif dans les
politiques centrales de l'entreprise.
On a déjà mentionné le risque de
relâchement de la responsabilité individuelle si elle n'est
qu'accessoire par rapport à la responsabilité collective. Dans le
cadre de la culture d'entreprise, les coutumes et rituels risquent d'estomper,
d'une part, cette responsabilité personnelle s'ils sont trop
envahissants, et de figer, d'autre part, les stratégies d'entreprise
face à des problèmes dont la résolution nécessite
une flexibilité dans les processus ou une souplesse dans la modification
de l'organigramme exécutif.
En tant que chrétiens formant le noyau dur d'une
entreprise, toutes les parties prenantes sont engagées à
respecter leur culture d'entreprise, et ce sont les supérieurs qui sont
les premiers responsables de tout comportement non éthique. En effet,
les jeunes débutants, piliers et facteurs d'espoir pour un avenir
prospère, sont très sensibles au comportement exemplaire de leurs
chefs. A travers des enquêtes menées en 1984 auprès de
mille quatre cents managers, Posner et Schmidt ont montré que les
facteurs qui influencent le plus les comportements des employés sont les
comportements de leurs supérieurs et collègues du même
niveau. Mercier écrit, dans une même veine, que « la
focalisation sur la dimension formelle ne permet de disposer que d'une vision
limitée de l'éthique organisationnelle. L'éthique
informelle qui s'exprime dans les comportements et qui sous-tend les relations
interpersonnelles est bien évidemment déterminante.
»57
La culture d'entreprise est alors d'autant plus inspirée
par la moralité et imprégnée de spiritualité que
les membres d'une entreprise ont reçu une solide éducation
57 Samuel Mercier, « La formalisation de
l'éthique en entreprise, un état des lieux », dans
L'éthique d'entreprise à la croisée des chemins,
J. Lauriol et H. Mesure (dir.), Paris, L'Harmattan, 2003, p.67-87.
religieuse dès leur petite enfance et qu'ils sont en
mesure de résoudre les problèmes dans les délais et
s'adapter de manière réaliste aux mutations des marchés
tout en respectant les injonctions de leur foi et de leur morale sans rester
bloqués par des traditions entravant leur créativité.
III.4 Le dialogue social
Il y a dialogue social lorsque les parties prenantes se
réunissent ensemble de manière régulière pour
débattre des défis et enjeux éventuels de l'entreprise
dans une atmosphère sereine, professionnelle et mutuellement
enrichissante. Un dialogue social nécessite de l'écoute, de
l'attention et une ouverture d'esprit. Le mot dialogue, qui vient de
dia-logos, signifie être traversé par une parole. Son
objectif premier est de favoriser la participation démocratique. Le bon
« dialoguiste » est alors celui qui tient compte du point de vue des
autres pour avancer dans sa réflexion, désormais plus nourrie et
plus riche, devenant ainsi capable de dépasser ses
préjugés personnels. Le dialogue social est le pendant naturel
à la responsabilité croissante qui est désormais
confiée aux salariés. Si on demande à ces derniers de
participer davantage au projet d'entreprise, ils sont en droit de s'attendre
à une palette d'informations plus large et « c'est au dirigeant
de s'assurer que la boucle vertueuse -
écoute/discernement/décision - soit pratiquée à
tous les niveaux. »58 Toutes les parties prenantes sont
engagées dans le dialogue social, et chacun a le droit d'y intervenir
dans la mesure où son statut et son expérience confèrent
à ses avis la crédibilité nécessaire. Cette
dernière est acquise et reconnue grâce à une maîtrise
du terrain de travail, à une connaissance minutieuse des rouages de
l'entreprise et à un flair éprouvé pour l'identification
de solutions adéquates aux problèmes qui peuvent survenir.
Animer un dialogue n'est pas évident, surtout quand il
s'agit d'une nouveauté auparavant inexploitée. De prime abord,
les collaborateurs sont réservés, parfois méfiants. Bon
nombre d'entre eux pourraient n'avoir eu, dans le passé, qu'à
exécuter leurs tâches mécaniquement. Elles n'ont jamais
été reconnues comme des personnes
58 Nicolas de Coignac, « Management et dialogue
social », Revue des EDC, Numéro 20, 2006, p.19
créatives pouvant receler une mine d'idées.
Engager le dialogue et le revivifier en permanence est un enjeu majeur pour
l'animateur chrétien. Dieu a appelé l'homme à la parole et
à la faire partager avec d'autres. L'animateur doit commencer par
insuffler de la confiance aux participants, en leur montrant qu'il
s'intéresse réellement à ce qu'ils peuvent apporter pour
la prospérité de la communauté, mais aussi à leurs
problèmes personnels et familiaux qui déstabilisent leur
dynamisme physique et leur santé morale.
Un dialogue social interne enrichit certes l'entreprise, mais
reste souvent insuffisant. Le dialogue social n'est vraiment crucial, et de ce
fait fructueux, que lorsqu'il tourne autour de principes qui s'étendent
au-delà du cadre de l'entreprise pour toucher des politiques nationales
mettant patrons et organisations ouvrières face à face. Un
dialogue social digne de ce nom doit également prendre en compte les
avis et besoins divers de la clientèle. En outre, et avec la
mondialisation grandissante et l'ouverture des frontières, le dialogue
social revêt un nouvel aspect multinational et pluriculturel qui exige
une tolérance sans précédent vis-à-vis de
religions, coutumes et croyances souvent contradictoires. Comme le rappelle le
Compendium, « la doctrine sociale se caractérise par un
constant appel au dialogue entre tous les croyants des religions du monde, afin
qu'ils sachent rechercher ensemble les formes les plus opportunes de
collaboration. »59 La culture d'une entreprise est donc d'autant plus
riche que l'est le dialogue social en son sein, et ce dernier, pour être
pris au sérieux, doit être encadré par des organisations
patronales et syndicales reconnues sur le territoire.
III.5 L'importance des
syndicats
Selon la pensée chrétienne, la lutte des
syndicats n'est pas une lutte de classes mais « une lutte pour la
justice sociale... [qui] doit être comprise comme un engagement normal
« en vue » du juste bien ... ; elle n'est pas une « lutte contre
» les autres. »60 L'Eglise est « vivement
engagée»61 pour le rôle des syndicats, tout
en précisant les contours de leur action : « Etant avant tout
un instrument de solidarité et de justice, le
59 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.537
60 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.306
61 Jean-Paul II, Laborem exercens, n.8
syndicat ne peut abuser des instruments de lutte ; en
raison de sa vocation, il doit vaincre les tentations du corporatisme ; savoir
s 'auto-réglementer et peser les conséquences de ses choix par
rapport à l'horizon du bien commun. »62 La doctrine
sociale prône donc un syndicalisme de « mutuelle
compréhension, de discussion bienveillante et de pacification
»63 et non un syndicalisme de guerre froide. «
L'erreur capitale, c'est de croire que les deux classes sont
ennemies-nées l'une de l'autre, comme si la nature avait armé les
riches et les pauvres pour qu'ils se combattent mutuellement dans un duel
obstiné. »64
Dans une perspective chrétienne, les syndicats sont les
porte-parole de la paix publique. Ils sont chargés de sensibiliser
régulièrement les acteurs économiques aux exigences
sociales à respecter, et de hausser le ton quand les cols bleus se
sentent étranglés. Ils adressent un discours clair, voire
musclé, aux décideurs de tous niveaux, y compris le niveau
national, influençant ainsi la législation en amont. Toutefois,
l'Eglise recommande aux syndicats de garder une certaine distance
vis-à-vis des partis politiques65 et de ne pas s'impliquer
dans des courants idéologiques, mais surtout de veiller aux droits du
travailleur multiconfessionnel et « multi idéologique » au
coeur de ses préoccupations, et prendre particulièrement soin des
conditions de traitement des contrats, notamment des contrats atypiques en
vogue actuellement à cause des fusions, restructurations et autres
délocalisations d'entreprises qui mettent les employés
irréguliers et « intermittents » en grand danger.
La palette des sujets que les syndicats ont le devoir de
défendre s'élargit de plus en plus avec l'augmentation et la
diversification des responsabilités qu'on demande au personnel. Les
syndicats interviennent évidemment dans les politiques salariales, mais
aussi dans celles touchant à la sécurité sociale, aux
conditions d'hygiène, à la culture nationale, à la
régie des moyens de transports, et à tout ce qui peut
améliorer la vie au travail et même la vie privée de la
population active.
62 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.306
63 Léon XIII, Libertas, n.7
64 Léon XIII, Rerum novarum, n. 15
65 L'inquiétude de l'Eglise de voir les
syndicats se mettre au service de fins politiques particulières est
surtout évoquée dans les encycliques Quadragesimo anno
et Laborem exercens.
L'arme syndicale par excellence a toujours été
la grève, constat douloureux d'un échec du dialogue et d'une
défaillance dans la promotion du rôle réel des
travailleurs. « Les travailleurs devraient se voir assurer le
droit de grève et ne pas subir de sanctions pénales
personnelles pour leur participation à la grève »,
souligne Jean-Paul II dans Laborem exercens tout en ajoutant que
« l'abus de la grève (...) est contraire aux exigences du bien
commun de la société. »66
L'Eglise a évidemment appuyé et parrainé
la fondation de syndicats chrétiens, mais elle conseille
également aux différentes organisations syndicales d'associer
leurs forces quand la démocratie est en jeu. Dans ce cas, Jean XXIII
prône une « action qui s'étend au monde du travail tout
entier où elle diffuse de justes principes de pensée et d'action
et fait sentir l'influence bienfaisante du christianisme.
»67 Il ajoute toutefois qu'un « tel cartel n'est
licite qu'à la condition qu'il se fasse seulement dans certains cas
particuliers, que la cause qu'on veut défendre soit juste, qu'il
s'agisse d'accord temporaire et que l'on prenne toutes les précautions
pour éviter les périls qui peuvent provenir d'un tel
rapprochement. »68 Ces précautions ne doivent en
aucun cas empêcher la solidarité entre travailleurs à
l'échelle mondiale «là où l'exigent la
dégradation sociale du sujet du travail, l'exploitation des travailleurs
et les zones croissantes de misère et même de faim.
»69
III.6 Le juste salaire
« La rémunération est l'instrument le
plus important pour réaliser la justice dans les rapports de travail.
»70 Ainsi, le juste salaire est le moyen-clé pour
vérifier si le système socio-économique fonctionne
correctement. C'est bien sûr l'épithète qu'on veut
souligner dans l'expression « juste salaire ». « Si,
contraint par la nécessité ou poussé par la crainte d'un
mal plus grand, le travailleur accepte des conditions dures que, d'ailleurs, il
ne peut refuser parce qu'elles lui sont imposées par le patron ou par
celui
66 Jean-Paul II, Laborem Exercens, n.20
67 Jean XXIII, Mater et Magistra, n. 100
68 Léon XIII, Libertas, n.7
69 Jean-Paul II, Laborem Exercens, n.8
70 Jean-Paul II, Laborem exercens, n. 19
qui fait l'offre de travail, il subit une violence contre
laquelle la justice proteste. »71 Le salaire doit certes
correspondre à l'effort fourni, mais pour être juste, il faut
aussi qu'il soit suffisant. Le calcul du salaire doit donc être
réalisé en fonction du statut familial de l'individu d'une part,
et des plus-values réalisées par l'entreprise d'autre part. Il ne
doit pas subir les contraintes des entreprises face à la concurrence
internationale ou être victime de la rigueur financière. Il
incombe aux pouvoirs publics de fixer les règles générales
sur les salaires pour éviter toute injustice, surtout au niveau des
salaires minimum.
Outre le salaire de subsistance pour une vie décente du
travailleur et des siens, il ne s'est jamais formé jusque-là une
unanimité sur le concept de « salaire familial » au-
delà des idéologies et des croyances, bien qu'on ait
déjà un consensus sur la nécessité d'offrir aux
familles une assistance matérielle spécifique contribuant
à leur sécurité et à leur développement,
comme les allocations familiales et autres contributions pour les personnes
à charge. Le salaire familial en tant que tel, «
nécessaire pour permettre la réalisation d'une épargne
favorisant l'acquisition de telle ou telle forme de propriété
comme garantie de la liberté, »72 n'a
été défendu que par la DSE et dans les milieux
catholiques, lorsqu'en période de crise les ouvriers de tous bords
avaient souhaité que la hausse de leur pouvoir d'achat passe avant leur
couverture maladie. D'autre part, les allocations familiales et la
mutualisation des risques ont épargné à l'industrie des
sommes énormes qu'elle a pu déverser ultérieurement
à l'avantage des familles. Les préoccupations
démographiques ont été un facteur déterminant dans
le développement des allocations familiales, et étaient
également une sorte de salaire incompressible lorsqu'une baisse des
salaires dans l'entreprise devait être envisagée en période
de crise. Les allocations familiales se sont avérées, en tout
cas, un facteur de paix sociale et de fidélisation des travailleurs
à l'entreprise, surtout lorsque leur rareté dans certains
secteurs devient un obstacle pour l'employeur.
71 Léon XIII, Rerum novarum, n. 34
72 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n. 250
Pour pouvoir garder les bons travailleurs, les dirigeants
doivent veiller à ce que la prospérité d'une entreprise
entraîne une augmentation équitable des rétributions du
capital et de ceux du travail. « Il y a injustice s'il y a à la
fois des salaires insuffisants et des rémunérations anormalement
élevées. »73 La rémunération
du capital est nécessaire pour la stimulation d'investissements nouveaux
et donc pour la création de nouveaux emplois, à condition de
revaloriser simultanément la force de travail, notamment si la rente
réalisée a exigé une pression physique et
financière sur les salariés. Toutefois, « si par
négligence et souci insuffisant du progrès économique et
technique, l'entreprise réalise de moindres profits, elle ne peut se
prévaloir de cette circonstance pour réduire le salaire des
travailleurs. »74 Les performances déficitaires
doivent être résorbées sur les salaires
élevés des dirigeants ainsi que sur les rentes des actionnaires.
Le juste profit est légitime, mais « la priorité est
accordée aux apporteurs de travail par la distribution d'un juste
salaire. »75
A l'heure actuelle, la notion de juste salaire est
entachée d'une problématique de ségrégation
sexuelle et/ou ethnique. Cette problématique n'est encore résolue
ni dans les pays tributaires ni dans les grands pays industrialisés,
où des services entiers dont dépendrait l'équilibre social
dans le monde sont principalement régis par des femmes.
III.7 L'entreprise verte
La nature et l'environnement sont des biens communs
fondamentaux et originels pour tous les êtres humains. Au sein de
l'entreprise, toute décision devrait être prise dans une
perspective de développement durable, en évitant de porter
préjudice à l'environnement. En France, depuis la loi relative
aux Nouvelles Régulations Economiques (loi NRE), toute entreprise doit
inclure dans ses rapports annuels un compte-rendu sur ses activités
sociales et écologiques réalisées en faveur de
l'environnement (recyclage, reboisement, etc.). Elle doit aussi adjoindre des
minima environnementaux à ses minima sociaux lorsqu'elle étudie
ses prix dans une perspective
73 Jean XIII, Mater et Magistra, n.71
74 Pie XI, Quadragesimo anno, n.79
75 Philippe Laurent et Emmanuel Jahan, Les Eglises
face à l'entreprise, Ed. Centurion, 1991, p.35-36
de rentabilité. Dans les entreprises multinationales,
on embauche un directeur spécifique qui a pour charge de veiller
à harmoniser les activités de l'entreprise avec ses engagements
en faveur de l'environnement. Actuellement, ce sont surtout la pollution
industrielle et quelques développements biotechnologiques dans le
domaine de l'agriculture qui représentent les plus grands dangers
occasionnés par les entreprises sur le développement durable de
notre planète.
L'Eglise encourage toute application des découvertes
biologiques et génétiques dans l'agriculture et l'industrie tant
qu'elle ne nuit pas à l'écosystème et à la
reproduction naturelle de l'être humain. « Il faut (...) tenir
compte de la nature de chaque être et de ses liens mutuels dans un
système ordonné, »76 proclame Jean-Paul II.
La DSE tient à éveiller les individus sur la
nécessité de conserver « une attitude de prudence et
d'être très attentifs à la nature, aux finalités et
aux styles des diverses formes de technologie appliquée (...) en sachant
les subordonner aux principes et valeurs d'ordre moral qui respectent et
réalisent la dignité de l'homme dans toute sa
plénitude. »77
Un des soucis majeurs de l'Eglise est le bien-être des
générations futures et l'assurance de leur droit au
développement dans un environnement sain et à des ressources
naturelles suffisantes. Dans Centesimus annus, Jean-Paul II met en
garde contre « l'erreur anthropologique » de l'homme de
notre époque lorsqu'il « consomme d'une manière
excessive et désordonnée les ressources de la terre et sa vie
même, » croyant pouvoir disposer arbitrairement de la terre en
la soumettant sans mesure à sa volonté, « comme si elle
n'avait pas une forme et une destination antérieures que Dieu lui a
données, que l'homme peut développer mais qu'il ne doit pas
trahir. »78
Dans une perspective chrétienne, une entreprise est une
communauté de personnes capables de transformer et en un sens de
créer le monde par le travail. Se voyant confier par Dieu la sauvegarde
du milieu naturel tout en jouissant de ses ressources, cette communauté
de doit jamais oublier son devoir impérieux de faire
76 Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis,
n.34
77 Compendium de la Doctrine Sociale de l
'Eglise, n.458
78 Jean-Paul II, Centesimus annus, n.37
bénéficier les générations futures
de ce même droit divin, ce qui devient de moins en moins évident
avec la consommation grandissante de biens préfabriqués et
non-naturels. Les ressources naturelles de la Terre et son équilibre
écologique sont des dons de Dieu que l'humanité se doit de
transmettre de génération en génération
jusqu'à la fin des temps. Tel est l'aspect « diachronique » du
principe de la « destination universelle des biens de la Terre ».
***
Il n'existe pas encore un véritable modèle de
management chrétien que les spécialistes auraient à
élaborer à la lumière des principes de la Doctrine Sociale
de L'Eglise. Toutefois, inspiré par cette dernière, on pourrait
déjà en imaginer une esquisse type. La gouvernance du leader doit
se baser sur la délégation et le contrôle permanent
à travers sa présence auprès des exécuteurs sur le
terrain. A travers un contact plus direct, entre les parties prenantes, le
dialogue social sera grandement facilité et les tensions
apaisées. La culture d'entreprise se doit d'abord de promouvoir la
dignité des salariés et de leur assurer un juste salaire juste
à la mesure de leurs compétences et de leur assiduité.
Elle doit aussi favoriser la défense de leurs intérêts
durables au niveau de l'entreprise, du secteur d'activité et de la
nation.
IV. Quelques associations d'entrepreneurs
et
de cadres chrétiens : localisation, membres
et
activités
Après avoir exposé théoriquement comment
l'éthique devrait s'affirmer dans le monde des affaires, principalement
à la lumière de la DSE mais aussi selon une approche
aconfessionnelle bien connue aujourd'hui sous le nom de «
Responsabilité Sociale d'Entreprise » (RSE), nous nous proposons
maintenant d'explorer ses applications sur le terrain français.
Où se trouvent en France les entrepreneurs
chrétiens ? Sont-ils nombreux ? Se regroupent-ils ? Partagent-ils
quelque chose ? Dans cette quatrième partie, nous introduirons les deux
principales associations patronales chrétiennes en France, les EDC
(Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens) et les MCC
(Mouvement des Cadres Chrétiens). Elles ne sont peut-être
pas les seules, mais elles sont apparemment les plus connues et les plus
actives sur le terrain. Pour les situer en perspective, nous
présenterons, en guise d'introduction, l'UNIAPAC, siège mondial
des associations d'entrepreneurs catholiques, et en guise de conclusion, la
CFTC (Confédération Française des Travailleurs
Chrétiens).
IV.1 L'Union Internationale Chrétienne des
Dirigeants d'Entreprise (UNIAPA C)
En 1931, et à l'occasion du quarantième
anniversaire de l'encyclique Rerum novarum, naissent les «
Conférences Internationales des Associations de Patrons
Catholiques », qui regroupent des fédérations
d'entrepreneurs catholiques français, belges et hollandais ainsi que des
fédérations italiennes, allemandes et tchèques à
titre d'observateurs.
Après la deuxième Guerre Mondiale, ces «
Conférences » s'ouvrent à d'autres pays européens et
aux pays latino-américains. En 1949, elles décident de changer de
nom pour devenir l' « Union
Internationale des Associations
Patronales Catholiques », avec les
initiales UNIAPAC.
En 1962, l'UNIAPAC devient une association oecuménique
sous la nouvelle appellation d' « Union Internationale Chrétienne
des Dirigeants d'Entreprise » (International Christian Union of
Business Executives), mais elle conserve ses anciennes initiales. A la
même époque, l'UNIAPAC commence à accueillir des membres de
l'Asie et de l'Afrique.
Aujourd'hui, l'UNIAPAC regroupe quelque 35000 entreprises et
membres individuels des quatre coins du monde, avec une forte concentration
européenne et latino- américaine. Le secrétariat
général de l'UNIAPAC est actuellement basé à Paris
(24, rue Amiral Hamelin). L'UNIAPAC fédère plusieurs associations
de dirigeants chrétiens réparties sur plus de 25 pays, dont
l'Allemagne, la France, la Suisse, la Belgique, l'Espagne, le Portugal,
l'Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la
Slovénie, le Brésil, l'Argentine, le Mexique, l'Uruguay, le
Chili, le Paraguay, l'Equateur, la Thaïlande et le Congo. L'UNIAPAC est
actuellement présidée par le Mexicain José Ignacio
Mariscal Torroella, avec comme vice-présidents le Français Pierre
Lecocq, président d'UNIAPAC-Europe, et l'Argentin Luis Riva,
président d'UNIAPAC- Amérique Latine, et comme secrétaire
général le Français Laurent Mortreuil. Toutes les
associations adhérentes à l'UNIAPAC y ont des
représentants79 qui sont souvent les présidents des
associations nationales. Ces associations se réunissent une à
deux fois par an en congrès fermé dans un pays membre pour
partager leurs activités et débattre des problèmes
internationaux d'actualité. Les membres d'honneur sont toujours
d'anciens présidents ou membres des hauts directoires de l'UNIAPAC. Il y
a aussi un conseiller spirituel permanent pour accompagner les activités
de l'UNIAPAC.80
Le dernier congrès de l'UNIAPAC a eu lieu à
Lisbonne, les 25-27 mai 2006, sur le thème : « Développer
les compétences des dirigeants d'entreprise pour servir les personnes
dans le monde moderne » (Empowering Business Leaders to Serve Mankind
in a Modern World). Ce congrès international, le
vingt-deuxième du genre dans l'histoire de
79 Les représentants de
fédérations françaises à l'UNIAPAC sont
actuellement Pierre Deschamps, qui représente les EDC, et Philippe
Ledouble, qui représente les MCC.
80 Le conseiller spirituel actuel de l'UNIAPAC est le
Père jésuite Edouard Herr.
l'UNIAPAC, a été inauguré par le cardinal
Renato R. Martino, président du « Conseil Pontifical Justice et
Paix » et du « Conseil Pontifical pour les Migrants et les
Itinérants ».
IV.2 Les Entrepreneurs et Dirigeants
Chrétiens (EDC)
Créée en 1926, la
Confédération Française des Professions (CFP)
regroupe des syndicats d'employeurs chrétiens décidés
à « réintégrer dans le monde des affaires la
morale et la conscience ». En 1948, la CFP devient le Centre
Français du Patronat Chrétien (CFPC), mais cet organisme
prend l'aspect d'une équipe de mise en pratique de la pensée
sociale chrétienne plutôt que d'un mouvement syndical et
professionnel. En 1958, on associe à la CFPC le sous-titre «
Centre Chrétien des Patrons et Dirigeants d'Entreprise
Français » pour marquer que le mouvement est ouvert à
tous ceux qui ont la volonté de promouvoir la Doctrine Sociale de
l'Église en s'appuyant sur un centre chrétien. En l'an 2000, la
CFPC devient les Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens (EDC)
pour accueillir les patrons désireux de mettre en concordance leur foi
chrétienne et leur vie professionnelle.
Membre de l'UNIAPAC, à la constitution duquel il a
été déterminant, les EDC représentent l'un des
mouvements les plus organisés et les plus respectés en France,
avec un organigramme bien établi et des activités
régulières. Son président actuel est, depuis avril 2006,
M. Pierre Deschamps. Le bureau national, sis au 24 rue Amiral Hamelin,
regroupe, à part le président, un conseiller spirituel national
(le Père Olivier Morand), deux vice-présidents (Jean-Luc Bour et
Thierry du Parc), un trésorier national, les présidents de
régions et de commissions permanentes, des groupes de travail ainsi que
d'autres officiers permanents. Les EDC ont aussi un comité de vigilance
composé majoritairement d'anciens présidents nationaux et
régionaux ainsi que de quelques personnalités extérieures
qualifiées afin d'évaluer le travail annuel et de «
veiller à ce que les orientations et les actions engagées par
le mouvement soient en conformité avec son objet ».
Aujourd'hui les EDC rassemblent plus de 2000 dirigeants de tous les
secteurs.
Les EDC sont un mouvement oecuménique implanté
sur tout le territoire français. Ce mouvemnet est organisé en 200
équipes locales, appelées sections, comptant chacune une dizaine
de membres accompagnés d'un conseiller spirituel. La section se
réunit une fois par mois. Au cours de ces réunions, un partage
d'expériences et de problèmes dans la vie d'entreprise, mais
aussi dans la vie personnelle, a lieu. Tout en respectant la
confidentialité des propos, les sections s'efforcent de rédiger
des rapports internes afin de dégager des orientations
générales et des pistes d'action. A partir des sections, les EDC
sont structurés en 19 régions, avec pour chacune un bureau
régional animé par un président régional et
accompagné par un conseiller spirituel régional.
Les membres se rassemblent annuellement en assises, qui se
tiennent en alternance une fois au niveau régional, et la suivante au
niveau national. Les dernières assises nationales ont eu lieu en 2006,
à Bordeaux, sur le thème « Entrepreneurs et cris du
monde ». Les prochaines assises nationales auront lieu en mars 2008,
à Marseille, sur le thème « Diriger et servir ». Au
cours de ces assises, des experts dans le business et dans l'économie
débattent avec des psychologues, des ergonomes et des membres du
clergé de thèmes majeurs intéressant les entreprises.
Les EDC organisent aussi des rencontres matinales, «
Les Matins des EDC », à laquelle sont invités des
responsables politiques ou des personnalités internationales qui
débattent avec les membres et même nouent avec eux des liens
professionnels.
Les EDC publient régulièrement des ouvrages,
dont par exemple les livres intitulés L'entreprise au service de qui
? et Progresser sur le licenciement collectif. Ces publications
sont généralement rédigées par une équipe
d'auteurs appartenant au mouvement. Les EDC publient également une revue
bimestrielle, Dirigeants Chrétiens, qui est très
appréciée et qui aborde, dans chaque numéro, un
thème majeur sur lequel on passe des entrevues avec des travailleurs,
des syndicalistes, des associations patronales, des spécialistes membres
ou non des EDC, le tout accompagné de témoignages
d'expériences vécues plus ou moins réussies. La revue
expose également les principales
activités des EDC pour la période
considérée et introduit les nouveaux ouvrages sur le
marché touchant aux thèmes de l'économie et de
l'Eglise.
IV.3 Le Mouvement Chrétien des Cadres et
Dirigeants (MCC)
L'intuition originaire du « Mouvement Chrétien
des Cadres et Dirigeants » est née dans les années
1891-92, lorsqu'un jeune jésuite pas encore prêtre,
Henri-Régis Pupey-Girard, maître d'internat auprès des
étudiants préparant leurs concours d'entrée dans les
grandes écoles, eut l'idée de créer pour les
ingénieurs une association comparable à celles regroupant
déjà les ouvriers. Au terme d'une retraite spirituelle
réunissant quelques-uns de ses élèves admis à
l'Ecole Centrale, ainsi que d'autres issus de promotions plus anciennes, une
charte pour une « Union des Ingénieurs Catholiques » (UIC) est
élaborée.
En 1906, et suite aux lois de séparation de l'Eglise et
de l'Etat, l'UIC devient l'« Union Sociale d'Ingénieurs Catholiques
» (USIC). Formée d'élèves ingénieurs encore en
formation, les « stagiaires », et de jeunes ingénieurs
lancés dans la vie professionnelle, son but est d'intéresser ses
membres à la « question sociale » et de leur faire prendre
conscience de la dimension sociale de l'activité économique. La
doctrine de l'USIC fut élaborée au gré des rencontres
entre les membres et à la lumière de leurs pistes de recherche.
Leur objectif de l'époque : que « l'esprit chrétien
pénètre peu à peu dans les milieux dont les membres de
l'USIC ont la responsabilité ».
En 1937, l'USIC gagne du terrain et, dans son orbite,
naît un autre mouvement comprenant deux branches (celle des cadres et
celle des dirigeants), qui s'intitulera « Mouvement des
Ingénieurs et Chefs d'Industrie de l'Action Catholique »
(MICIAC). Le but du MICIAC n'est pas uniquement de moraliser la
société, mais aussi de la rechristianiser. L'accent est donc mis
sur le fait de passer à la mise en pratique de la doctrine et de ne plus
rester dans l'abstraction des valeurs. En 1965, l'USIC et le MISIAC mettent fin
à leur dédoublement et fusionnent pour former le MCC, dont le but
principal est de ne pas limiter le christianisme à une simple
idéologie, mais de l'appliquer
au quotidien, y compris sur le lieu du travail et dans le
monde des affaires. Leur devise est la suivante : « A la rencontre de
l'autre, placer l'homme au coeur de nos pratiques économiques
».
Aujourd'hui, le MCC regroupe quelque 7000 membres, assez
homogènes quant à leur niveau académique mais très
diversifiés quant à leur provenance professionnelle (chefs
d'entreprise, cadres, ingénieurs et intellectuels). Une enquête
menée auprès d'un échantillon représentatif de la
population du MCC a montré qu'ils envisagent leur profession avant tout
comme une mise en application de leurs compétences, mais aussi de leurs
convictions et valeurs morales héritées de leur foi
chrétienne. L'aspect le plus intéressant qui ressort de
l'enquête est que près de 25% des membres ont moins de 36 ans. Ce
sont donc de jeunes cadres dévoués à la
responsabilité sociale dès le début de leur
carrière. Ajoutons que la majorité des membres ont des familles
d'au moins quatre enfants, que le tiers des membres sont des femmes, et que la
famille reste pour eux une institution sacrée dont ils prennent le plus
grand soin parallèlement à leur performance professionnelle. Le
siège du MCC est sis au 18, rue Varenne. Les membres, présents
sur tout le territoire français mais surreprésentés dans
les zones urbaines, se réunissent par équipes de prière et
de réflexion. Ces équipes sont souvent formées de couples
qui essaient de trouver des solutions aux problèmes humains auxquels
leur communauté fait face et d'apporter une assistance utile dans la
mesure du possible.
Chaque membre actif paie une cotisation annuelle et s'abonne
à la revue bimestrielle des MCC, « Responsables ».
Cette revue, comme celle des EDC, aborde les thèmes de la vie
économique et sociale qui sont d'actualité et qui posent
problème. Elle dresse aussi une rétrospective des principales
activités passées du mouvement, et recueille des
témoignages de personnes représentatives sur la scène
entrepreunariale et politique. «Responsables » est
également offerte au public externe, qui peut s'y abonner. Le MCC tient
également des rencontres nationales annuelles, mais la plupart des WE de
rencontres ont lieu par secteurs et départements, toujours
accompagnés par un conseiller spirituel. En été, les
rencontres se multiplient et les MCC organisent une « Université
d'été », qui consiste en de longues
journées de recueillement, de méditation et de partage. Les
membres du MCC s'entraident à trouver des emplois pour ceux qui en ont
besoin.
Notons que le MCC restent en contact régulier avec les
EDC, mais aussi avec d'autres associations apparentées, et cultivent
avec elles des relations solides. La plupart de ces grands mouvements se
retrouvent régulièrement une fois par an dans le cadre des «
Semaines Sociales de France », assemblée nationale gigantesque qui
regroupe gestionnaires, professionnels et intellectuels chrétiens de
tous bords.
IV.4 ...et du côté des travailleurs:
La Confédération Française des Travailleurs
Chrétiens (CFTC)
C'est en 1919 que les syndicats chrétiens ressentent le
besoin d'une coordination entre eux. Ils créent alors la
Confédération Française des Travailleurs
Chrétiens (CFTC). Selon l'article premier de ses statuts, «
la Confédération se déclare, s'inspire et se
réclame des principes de la morale sociale chrétienne
». Jules Zirnheld en est le premier président, poste qu'il occupera
jusqu'en 1940. La CFTC commence avec 312 syndicats. En 1937, elle en comptait
déjà 2000. Aujourd'hui, elle réunit plusieurs centaines de
milliers d'adhérents. La CFTC s'est toujours démarquée de
l'autre grand courant du syndicalisme français, la
Confédération Générale des Travailleurs
(CGT). Opposée à la politisation syndicale de cette
dernière et à ses tendances révolutionnaires, la CFTC
s'est toujours voulue réformiste et a toujours privilégié
le syndicalisme de négociation, qui aboutit à un accord «
gagnant gagnant » entre les salariés et les représentants
patronaux. En 1964, une fraction de la CFTC, voulant abandonner la
référence aux valeurs chrétiennes, se scinde et fonde la
Confédération Française Démocratique du
Travail (CFDT). Selon la CFTC, la référence à
l'inspiration sociale chrétienne appelle trois grands principes qu'elle
entend respecter et faire respecter dans le monde du travail : le
caractère sacré de la dignité humaine, le service du bien
commun et le respect du principe de subsidiarité.
La CFTC fut partie prenante de toutes les principales
négociations syndicales en France au cours du XXe siècle. Elle a
participé à la généralisation des assurances
sociales
et des retraites complémentaires. En 1980, elle est
à l'origine d'une loi qui permet aux chômeurs d'être
considérés comme travailleurs et donc de maintenir leur droit
à la retraite. En 1988, elle soutient la création du revenu
minimum d'insertion (le RMI) qui ouvre de nouveaux droits aux prestations
sociales. En 1995, et sur proposition de la CFTC, le Plan Juppé, qui est
à la base de l'assurance maladie universelle, est institué.
Le siège de la CFTC est situé au 13, rue des
Ecluses-St-Martin. Son président confédéral actuel est
Jacques Voisin, réélu en 2005 pour un deuxième mandat. Le
secrétaire général est Jacky Dintinger, et le
trésorier confédéral Philippe Louis. Le bureau
confédéral supervise l'activité des syndicats
affiliés à la CFTC, qui sont invités tous les trois ans
à participer à un congrès national pour dresser le bilan
des années passées et tracer les orientations pour les
années à venir. C'est au cours de ces congrès qu'est
élu le nouveau président confédéral ainsi que les
membres du conseil confédéral.
. La CFTC intervient dans tout ce qui a trait aux droits des
travailleurs, à leur
protection sociale, à leurs allocations chômage,
à leurs pensions de retraite, à leurs salaires en termes de
pouvoir d'achat, à leur discrimination à l'embauche et au
règlement des conflits au travail de manière pacifique. Elle
veille également à ce que les salariés soient
assurés d'une harmonie entre leur vie professionnelle et leur vie
familiale, et à ce que la précarité des travaux ingrats
soit réduite. Elle impose le dialogue social à toutes les
entreprises, notamment au sein des PME.
Pour conseiller le gouvernement et participer à
l'élaboration des lois et des politiques économiques et sociales,
la CFTC envoie un groupe de conseillers au Conseil Economique et Social (CES).
Le président du groupe CFTC au sein du CES est Michel Coquillion,
vice-président de la CFTC et, depuis novembre 2006, également
vice- président du CES.
La CFTC a fait preuve de vitalité à travers le
CES en contribuant à l'élaboration du rapport de synthèse
du Conseil Economique et Social européen et en marquant ainsi de son
empreinte la Stratégie de Lisbonne (2000), dont l'un des objectifs est
de
moderniser le modèle social européen en
investissant dans les ressources humaines et en luttant contre l'exclusion
sociale.
***
Au sein de l'UNIAPAC, les entrepreneurs chrétiens du
monde entier se réunissent régulièrement pour se
recueillir et réfléchir sur leur vocation à la
lumière des enseignements de la Doctrine Sociale de l'Eglise. En France,
le MCC, les EDC et autres associations apparentées se partagent, dans un
même souci, leurs idées, leurs problèmes, et leurs
succès, sans jamais faire des « business deals ». Il s'agit
donc de dirigeants et de d'entrepreneurs qui ont de l'estime pour leurs
employés et qui tentent de consolider la dignité du travailleur
en s'éclairant de la morale chrétienne, objectif dont la CFTC se
fait le porte-parole au niveau du syndicalisme français.
V. Témoignages et évaluations
Cette cinquième partie, qui complète la
précédente, portera sur des témoignages recueillis en
interviewant directement quelques entrepreneurs français
chrétiennement engagés. Cette partie, facile à parcourir,
a pourtant été celle dont la réalisation a
nécessité le plus de temps et d'efforts. Trouver des personnes
chrétiennement engagées dans leur parcours professionnel n'est
peut-être pas très difficile, mais en trouver quelques-unes qui
veulent bien donner de leur temps pour témoigner de leur
expérience à une étudiante étrangère sur
simple demande par courriel n'est pas aussi évident. Ainsi, parmi la
vingtaine de dirigeants à fonctions et profils différents que j
'ai sélectionnés et auprès desquels j 'ai sollicité
un entretien, quatre ont répondu « prêt » dans un laps
de temps étonnamment court. Toutefois, je n'ai pas pu réaliser
mon entretien avec l'un d'eux, le PDG de Poweo, M. Charles Beigbeder, pour
incompatibilité mutuelle d'horaires. Malgré cela, je tiens
à le remercier pour avoir été le premier à
répondre à mon appel et à montrer de
l'intérêt à mon sujet. En revanche, je reproduis en
résumé (voir annexe 4) un entretien avec M. Gérald Roux,
directeur chez Koné Ascenseurs, que j'ai extrait à partir des
archives de l'émission radio Face aux Chrétiens sur la
chaîne RCF (Radio des Chrétiens de France).
Les trois autres interviewés, MM. Pierre Deschamps,
Emmanuel Gravier et Xavier Grenet, ont volontiers répondu à une
même série de questions et ont pu me consacrer au moins une
quarantaine de minutes chacun. Le fait qu'ils aient des fonctions
différentes et des pouvoirs de décision dissemblables a pu
élargir mes idées à propos de ce qu'un responsable peut
ajouter de social aux finalités économiques de son entreprise
avec une marge de manoeuvre variable. A sa façon, chacun d'eux a pu
m'aider, grâce à son témoignage sincère et son
attitude simple, à tirer de nouvelles conclusions intéressantes.
Tous m'ont chaleureusement accueilli, ont été ponctuels avec moi
et m'ont accordé tout le temps nécessaire pour que je leur
présente l'objectif de mon travail de recherche et que j'obtienne les
réponses souhaitées à toutes les questions qui me
semblaient primordiales pour réaliser ma note de synthèse.
Les trois dirigeants ont apporté leurs témoignages
en répondant au questionnaire suivant :
1 - Comment concevez-vous la nature du management
souhaité de nos jours? Qu'est-ce que le leadership selon vous ?
2 - Avez-vous une charte éthique dans votre entreprise
?
3 - Quelles sont les principales valeurs de votre entreprise
(salariés, fournisseurs, clients etc.) ?
4 - Y a-t-il chez vous une culture d'entreprise ?
5 - Quelle est l'importance du dialogue social dans votre
entreprise ?
6 - Comment gérez-vous les licenciements d'une
manière éthique ? Que faites-vous pour limiter le nombre de vos
licenciements ?
7 - Quelles sont les opportunités de
carrières à long terme que vous proposez ? Comment se fait la
formation des salariés ? Que pensez-vous du lien université -
entreprise en France ?
8 - Quel est le lien entre l'éthique de votre
entreprise et son efficacité économique ?
9 - Quel est votre regard sur la gouvernance d'entreprise
à la lumière de vos valeurs chrétiennes ?
10 - Quelles sont les principales activités sociales
organisées au sein de votre entreprise ?
11 - Avez-vous déjà eu des réactions
positives envers votre mode de gouvernance de la part de vos travailleurs
?
De surcroît, chaque dirigeant a répondu à
des questions spécifiques concernant son engagement dans une certaine
association de dirigeants chrétiens. Ainsi, Pierre Deschamps, actuel
président des EDC, a été interrogé sur la vie et
les activités de ce mouvement. Xavier Grenet, quant à lui, a
été interrogé sur les activités du MCC dont il
avait été l'ex-président. Emmanuel Gravier, de son
côté, m'a très brièvement présenté
l'APM (Association du Progrès du Management), à laquelle il
adhère. Grâce à un documentaire réalisé par
« Casa Dei Productions » et intitulé « Patrons
Chrétiens », je savais que M. Gravier avait été en
mission au Liban il y a une vingtaine d'années. Ma curiosité m'a
alors poussé à lui poser des questions sur son séjour au
Liban, et je crois
pouvoir conclure que son expérience libanaise a
été bien inspiratrice pour son business actuel.
V.1 Résumé du témoignage de Pierre
Deschamps (Entretien le 6
mars 2007 au siège des EDC)
Vers la fin des années 60, Pierre Deschamps a
été l'un des fondateurs de l'entreprise UNILOG,
société de consultants et d'ingénieurs
spécialisée dans les services informatiques. Il a
été membre de son directoire durant plusieurs années.
Depuis 3 ans, il est président de son conseil de surveillance. Il est
aussi président des EDC depuis avril 2006.
Selon Deschamps, « même avec un
président exécutif qui a des convictions chrétiennes, on
n'a pas encore nécessairement une entreprise chrétienne. Ce qui
caractérise un dirigeant chrétien, c'est qu'il va analyser le
problème auquel il fait face au sein de l'entreprise dans une
perspective plus large. Il va se poser des questions qu'un autre ne se poserait
pas, notamment en ce qui concerne les salariés, parce que la religion
chrétienne souligne fortement la valeur de la relation aux autres.
»
Deux entrepreneurs fortement chrétiens qui dirigent
deux entreprises identiques exposées à un problème
identique n'y apporteront pas forcément une réponse identique.
Selon Deschamps, la doctrine sociale en tant que telle ne donne pas de recette
pour agir en entreprise, « elle ne fait qu'éclairer les
données du problème à résoudre. » Le
contexte économique avec ses critères d'efficacité
complique les données du problème éthique à
résoudre et ne simplifie donc pas l'énoncé de sa
réponse.
Dans le cadre d'UNILOG, dont le directoire est de 5 personnes,
chacun connaît les convictions de l'autre, mais on ne dit jamais par
exemple, au cours des réunions du directoire : « Moi, je suis
chrétien et je veux que la décision aille dans ce sens
». Le directoire d'UNILOG était formé de deux
chrétiens engagés, deux chrétiens non pratiquants, et un
dirigeant de confession juive. Deschamps a toujours pris ses
décisions
au sein du directoire à la lumière de ses
convictions chrétiennes. Il suggérait d'orienter la
décision finale dans tel ou tel sens, mais sans jamais expliciter
pourquoi il s'y prenait ainsi. Petit à petit, ses prises de positions
ont pu révéler son appartenance chrétienne à ceux
qui l'ont connu, surtout lorsqu'il a assumé durant des années une
responsabilité dans le domaine des ressources humaines d'UNILOG.
UNILOG se caractérise par le fait que le personnel de
l'entreprise est relativement homogène en termes de culture et de niveau
(80% des salariés ont un Bac +5 et 20% un Bac +2 ou 3). Tant
l'équipe dirigeante que les jeunes ingénieurs recrutés
sont issus du même terreau. Il y a juste l'expérience et
l'âge qui varient, et le dialogue interpersonnel est grandement
facilité par cette commune culture universitaire de base. Grâce
à cette homogénéité entre collaborateurs,
l'ambiance de travail chez UNILOG est assez conviviale.
A UNILOG, on ne recrute que des débutants,
c'est-à-dire de jeunes diplômés sans expérience, car
on considère que cela favorise la culture commune et la cohésion
interne. Pour construire la pyramide de l'entreprise, il faut des chefs de
projet dans la hiérarchie intermédiaire et des managers au
sommet. « Les débutants d'aujourd'hui sont les chefs de projet
de demain et les managers d'après-demain», observe Deschamps.
Il existe donc chez UNILOG une sorte de marché interne, et comme la
société est en forte progression grâce à la
croissance du secteur informatique, le modèle basé sur le
recrutement de débutants entraîne l'existence de vraies
perspectives de carrières. « Les opportunités de
progression existent et sont le résultat de la croissance: les chefs de
projet sont recrutés en interne et les jeunes recrutés les
remplacent. » Ce schéma fonctionne depuis presque 40 ans. La
notion de leadership est rendue possible par le fait que tout au long de la
pyramide, le chef immédiat de quelqu'un était à la place
de ce dernier 2 ou 3 ans auparavant. « Ceci crée une valeur de
confiance et d'exemplarité. Il faut être un exemple au niveau
professionnel et au niveau comportemental. »
Pierre Deschamps distingue le dialogue social, celui officiel
entre patronat et forces ouvrières, du dialogue interne entre les
parties prenantes de l'entreprise. Les
représentants de personnel sont certes importants, mais
ne sont que complémentaires au dialogue managérial, qu'il ne faut
pas négliger. Le dialogue social est ouvert à tous, mais les
personnes qui s'y engagent sont souvent des personnes qui considèrent
que l'entreprise ne reconnaît pas leur travail à sa juste valeur
et qui cherchent de ce fait à imposer cette reconnaissance à
l'entreprise. Or à UNILOG, il n'y a jamais eu de grèves, et
beaucoup d'accords ont été signés à la demande des
salariés.
UNILOG n'a pas recours aux licenciements économiques.
Les licenciements personnels sont rares, et n'ont lieu que dans des cas de
force majeure. Deschamps avoue qu' « on se sent davantage responsable
quand on a pris les jeunes au berceau ».
La décision de licencier quelqu'un pour un motif
économique ou personnel doit être prise pour des raisons valables
et ne doit jamais être influencée par les convictions
chrétiennes du décideur. En revanche, « lorsque la
décision de licencier est prise, il y a une manière de licencier,
et c'est là où le fait d'être chrétien pour un
dirigeant va le distinguer de ce que va faire un autre. »
En général, une personne licenciée n'a
pas beaucoup de difficulté pour se recaser ailleurs. L'entreprise,
grâce à ses relations, essaie de le replacer, sinon elle le garde
souvent plus longtemps car, pour la recherche d'un nouvel emploi, il vaut mieux
ne pas être « appelé à la maison » par le cabinet
de recrutement d'une autre entreprise. De même, la recommandation de
l'ancien employeur (cité comme référence) pèse dans
l'embauche pour un nouveau travail. Alors ce dernier essaie d'être
à la fois positif et juste. Il explicite les qualités de la
personne et donne la raison du licenciement de manière à ne pas
porter préjudice au salarié.
« Le dirigeant doit se sentir concerné par la
personne licenciée. » Il doit l'aider à se relancer
dans le marché du travail et être à sa disposition pour lui
suggérer de nouvelles pistes. Il doit mettre sa renommée et ses
relations publiques à son service pour qu'elle puisse redresser sa
situation.
UNILOG a une charte qui définit « l'offre de
l'entreprise à ses salariés » ainsi que ce qui est
demandé aux salariés en contrepartie. On l'appelle la "UNILOG
way", ou l'art et la manière de vivre ensemble à UNILOG. On
y retrouve les grands principes de management, notamment la progression des
carrières.
A UNILOG, on cherchait autrefois à recruter des jeunes
diplômés en informatique. Aujourd'hui, on préfère
plutôt recruter des jeunes diplômés qui n'ont pas fait
d'informatique dans leurs études, mais « qui ont une tête
bien faite et bien pleine », quitte à ce qu'ils
acquièrent leur complément de formation en informatique au sein
de l'entreprise. UNILOG a souvent du mal à recruter. En 2007, on y avait
besoin de 1500 jeunes diplômés. Comme on ne les trouve pas tous
dans la seule filière informatique, il faut élargir l'horizon de
l'embauche. Les salariés acceptent donc cette transposition, et UNILOG
doit assurer la formation en contrepartie. Tous les ingénieurs d'UNILOG
enrichissent régulièrement leurs compétences, qu'elles
soient techniques ou managériales, grâce à "
l'Université UNILOG ". Cette actualisation permanente des connaissances,
à laquelle UNILOG consacre chaque année 8% de sa masse salariale,
garantit aux collaborateurs de nombreuses possibilités
d'évolution. Deschamps croit que «le chômage peut
être partiellement résorbé à travers un
système éducatif plus cohérent avec la demande des
entreprises. » Le lien et la coordination université -
entreprise sont faibles en France. Outre les forums, il faut que durant les
années universitaires les étudiants soient beaucoup mieux mis au
courant des activités des entreprises et de la situation du
marché du travail.
En ce qui concerne le lien entre équité et
efficacité, Deschamps parle de « bien- être professionnel
» et de « motivation des salariés », et il
est convaincu qu'il y a un lien très étroit entre
l'efficacité économique des salariés et leur
épanouissement.
Selon Deschamps, les hiérarchies inférieures
peuvent apporter beaucoup de réponses à des questions que se pose
un dirigeant consciencieux de sa responsabilité humaine. Le dialogue
social à ce niveau est utile pour signaler des insatisfactions.
Deschamps observe qu'à UNILOG, il y a beaucoup plus de démissions
que de
licenciements, et l'entreprise a plutôt besoin de
retenir les personnes chez elle. Le taux de démission est de 10 à
12% par an. Il est dû à plusieurs raisons, dont certaines ne sont
pas toujours avouées par les démissionnaires. La motivation du
salarié se relâche d'autant plus que le taux embauche-licenciement
ou embauche-démission augmente, et ce relâchement croît
lorsque la concurrence sur le marché est grande. La plupart des
démissionnaires restent généralement en bon terme avec
l'entreprise, et un grand nombre y est même revenu. «
Jusqu'à ce jour, je reçois tous les ans des cartes de voeux
d'anciens collaborateurs », signale Deschamps.
UNILOG regroupe 8000 personnes, dont 5000 membres en
Ile-de-France. Une telle masse est très difficile à encadrer pour
l'organisation d'activités sociales communes. Le personnel est donc
organisé en secteurs autonomes de 300 personnes environ, et c'est
à ce niveau que se font les rassemblements. Chaque secteur organise
chaque année un week-end dans une région vacancière,
souvent au bord de la mer, car la moyenne d'âge est de 30 ans et «
il faut adapter le cadre aux désirs de la majorité.
»
Les EDC
Pierre Deschamps est depuis 15 ans membre des EDC, et depuis
avril 2006 son président. Il confie que « les membres de ce
mouvement sont localisés un peu partout en France. Ils ont la même
vision chrétienne et viennent de secteurs très différents
et variés. » Deschamps insiste sur le fait que «
c'est un mouvement de personnes et non un mouvement d'entreprises.
» Le critère principal d'adhésion aux EDC, c'est qu'il faut
être « en position de prise de décision et de direction
et il faut qu'il s'agisse de décisions qui ont de l'impact sur les
personnes. » Les EDC sont divisés en sections d'une dizaine de
membres chacune. A chaque réunion de section, une personne propose un
cas à discuter. Dans une ambiance de confiance et de franchise, on va
élargir la perspective du problème, et « la personne ne
repart pas avec la solution, mais avec un éclairage plus complet.
» Chez les EDC, « on ne fait pas de business, et c'est même
interdit. » On peut aider l'autre, mais seulement gratuitement, et
sans contrainte d'acquisitions d'entreprises, par exemple.
Selon Deschamps, les EDC comptent 2000 membres en France. Ils
se réunissent tous les 2 ans en assises nationales pendant les
années paires. Deschamps veut « attirer les jeunes en
particulier au mouvement » pour assurer son développement et
surtout sa relève.
Deschamps rappelle que les EDC adhèrent à
l'UNIAPAC et en sont l'un des membres les plus importants. Le directoire est
constitué des présidents des associations membres et se
réunit deux fois par an. Les EDC s'activent surtout en Europe et en
Amérique Latine, et c'est pourquoi « les réunions du
directoire se tiennent une fois en Europe et une fois en Amérique
Latine. »
En France, observe Deschamps, « le nombre des membres
des EDC est relativement constant depuis très longtemps, et c'est
rassurant pour les chrétiens. » Deschamps est satisfait des
activités des EDC, mais selon lui il y a certainement des perspectives
de développement au-delà de ce qui a été
réalisé jusqu'à présent.
Evaluation de l'entretien
Que ce soit chez UNILOG ou chez les EDC, Pierre Deshamps a de
l'ancienneté. Comme beaucoup de personnes engagées humainement,
il n'a pas abusé du pouvoir qui lui a été confié,
mais a essayé d'en tirer le meilleur pour son entourage. Mon entretien
de près d'une heure avec lui m'a permis de constater plusieurs faits.
Tout d'abord, Deschamps attache une importance majeure non seulement au
recrutement des jeunes, mais à leur progression interne. On sent qu'il a
à coeur de promouvoir les juniors. Il insiste à ce qu'ils soient
bien formés à travers le « UNILOG IT Training
» afin qu'on puisse leur déléguer des tâches et des
pouvoirs en vue de leur progression. Le principe de subsidiarité semble
jouer un rôle primordial chez lui. Son souci nettement manifesté
à l'encontre des démissions et des licenciements et le soutien
qu'UNILOG apporte aux dépourvus d'emplois révèlent une
forte solidarité au sein de cette communauté de travail. Lors de
l'entretien, il a maintes fois fait référence à la
doctrine sociale de l'Eglise et à ses
principes. La solidarité ressentie chez les
collaborateurs d'UNILOG facilite leur dialogue social. UNILOG jouit d'ailleurs
d'une réputation internationale pour ce qui a trait à
l'expérience précieuse qu'une personne peut y acquérir et
la valeur qu'elle peut ajouter au curriculum vitae de cette personne. Par
nature et par expérience, Deschamps regarde toujours au-delà de
l'horizon immédiat et dans une perspective de développement
durable. Un des piliers de ce développement est de dénicher les
compétences des jeunes et d'investir dans leur esprit inventif, et
Deschamps ne manque aucune occasion pour souligner clairement leur contribution
irremplaçable aux idées et à la dynamique de
l'entreprise.
V.2 Résumé du témoignage
d'Emmanuel Gravier (Entretien le 8
mars 2007 au siège de
RésoElec)
Emmanuel Gravier est PDG et propriétaire du groupe
d'entreprises RésoElec, spécialisé dans l'installation
électrique. Le groupe, dont Financièrélec est
l'entreprise de base, est principalement installé à Rennes, Lyon
et Paris. Gravier a réussi plusieurs rachats d'entreprises dont les
propriétaires sont passés à la retraite.
Gravier observe que son groupe réunit «
environ 800 profils » et qu'on y trouve « beaucoup de
délégation, et délégation veut dire confiance.
» « L'important », insiste-t- il, « ce n'est
pas d'avoir des valeurs, mais de les faire ressentir aux travailleurs. Il faut
que ça soit concret, et la délégation est alors un
élément principal dans le nouveau management. » Le
siège central de RésoElec est une équipe de 5 ou 6
personnes qui dirigent un groupe de 800. Selon Gravier, « la
contrepartie de la confiance, c'est la confiance. » Il veut bien en
prendre le risque et même en payer le prix car, concède-t-il,
« c'est pour ça qu'il y a beaucoup d'erreurs. »
Toutefois, ajoute-t-il aussitôt, « ce n'est que la prise de
risque qui développe et rend prospère les affaires.» A
preuve que « RésoElec, entre 2000 et 2007, est passé de
6 millions à 69 millions d'euros de CA » et que « le
groupe rassemble aujourd'hui 17 sociétés dans quatre secteurs
d'activités. »
Gravier souligne que « le rôle du patron est un
rôle de "coaching" et d'accompagnement. Le leadership implique être
présent physiquement sur le terrain. La doctrine sociale est la source
d'inspiration pour le vrai leadership. Le leadership se travaille et se compose
de charisme et d'attention aux gens. Il y a une façon de communiquer. Il
faut diriger des gens et pas des entreprises. »
RésoElec a une charte éthique. A partir des
documents que Gravier m'a refilés à ce sujet, j'ai pu
dégager six attitudes directrices qui forment l'ossature de cette charte
:
1. Réussir ensemble : en partageant une vision
stratégique, en développant un esprit d'équipe et en
valorisant les succès.
2. Porter l'ambition au plus haut : en imaginant de
nouvelles solutions, en se fixant des objectifs apparemment hors d'atteinte, en
rêvant et en prenant des risques calculés.
3. Parler vrai : en créant une ambiance de
confiance pour permettre à chacun de s'exprimer et de défendre
librement ses idées auprès de toute la hiérarchie.
4. Maîtriser la complexité : en gardant
l'obsession du passage à l'acte et en résistant au
perfectionnisme quand il devient paralysant.
5. Voir vrai : en élargissant son champ de vision
et en anticipant les évolutions des marchés pour repérer
les concurrents de demain et devancer les attentes des clients.
6. Avoir le sens du temps : en alliant puissance et
rapidité et en accélérant la prise de décision pour
rester un moteur de l'innovation.
« Mais la charte ne sert à rien »,
ajoute Gravier, « si les travailleurs n'en ressentent pas du
résultat concret. Le leader doit toujours commencer à s'imposer
ce qu'il exige des autres. »
Gravier est un homme qui a le sens de la primauté de
l'humain dans la fonction de leadership. « Le vrai leader est celui
qui aime ses gars. Si ce n'est pas un drame de voir partir quelqu'un [=
licenciement], alors c'est grave. » Un autre élément
constitutif de ce leadership est la collaboration : le vrai leader «
doit être courageux et avoir une vision de long terme, mettre ses
collaborateurs au coeur de ses stratégies et les impliquer dans les
responsabilités sociale et économique des entreprises.
»
Concernant le dialogue social, Gravier souligne qu' «
il y a des comités d'entreprises dans toutes les firmes, et l'une
d'elles est syndicalisée. » Dans les firmes de
RésoEléc, « on organise souvent des réunions
entre moi, les chefs d'entreprises et les travailleurs pour me poser des
questions. Et ce ne sont souvent pas des questions d'argent, mais il s'agit
souvent de: « où on va? Les carrières, jusqu'où ?
» Il y a ceux qui peuvent et ce qui veulent. Il y a des formations
externes et des formations internes. L'évolution des travailleurs
dépend avant tout de leurs motivations personnelles. Des entrevues
personnelles de 10 à 15 min ont lieu une fois par an avec chaque
travailleur. La moitié de l'effectif sont des ouvriers et l'autre
moitié des cadres, généralement ingénieurs ou
techniciens supérieurs. Il y a une rareté dans ces deux domaines,
donc on essaie de faire évoluer les membres, de les former, de les
motiver et de les garder. »
Pour ce qui a trait au lien université-entreprise,
Gravier observe que « les
forums. ne suffisent
pas ». En contrepartie, ajoute-t-il, « il n'y a pas vraiment
une industrie de haute technologie en France, d'où la
nécessité d'un "know how" et de l'expérience plutôt
que de hauts diplômés. En plus, l'entreprise est un lieu
d'intégration, on y apprend plus qu 'à l'université.
»
En ce qui concerne la question du licenciement, Gravier note
que « le licenciement fait partie de la gestion » et
remarque qu' « un patron chrétien doit être un bon
patron; c'est celui qui peut faire en sorte que les travailleurs soient
contents chez lui. » Mais le plus important reste l'aspect de
dignité humaine dans le licenciement : « Il faut essayer de
traiter humainement les licenciements: lui trouver un travail, accorder des
indemnités, mais l'essentiel, c'est la considération qu'on donne
à la personne. » Gravier avait été
lui-même licencié quand il était président de 2000
personnes : « Il faut valoriser la personne licenciée et
j'essaie personnellement de le faire avec le maximum de respect. »
Chez RésoElec, « le recrutement se fait par le
bas et l'évolution se fait à l'intérieur de l'entreprise.
La taille des entreprises est de 80 personnes maximum. Il
s'agit donc de structures familiales et on essaie de ne
pas déraciner les employés, par exemple les Bretons restent en
Bretagne, etc. Les groupes sont alors assez homogènes au moment
où les hommes ont de plus en plus besoin qu'on s'occupe d'eux dans un
environnement de financiarisation où, en parallèle, les
actionnaires sont de plus en plus financiers avec une seule obsession: le
profit. »
Dans un tel environnement, Gravier estime que le patron a
alors une fonction d'intermédiaire qui devient de plus en plus difficile
car il est d'une part soumis à la pression des actionnaires, dont il
doit mettre en oeuvre les objectifs, et d'autre part aux exigences
éthiques envers ses subordonnés et avant tout envers
lui-même. Voilà pourquoi il a choisi la stratégie de
l'actionnariat minoritaire. « Quand on est propriétaire et
dirigeant, on arrive à avoir une cohérence entre son
éthique de vie et son comportement quotidien ; il y a toujours tension
mais on est moins soumis à la tension financière. »
Revenant au concept de l'éthique
délégataire, capitale à ses yeux, il note toutefois
qu'elle doit être orientée et coordonnée pour qu'elle
puisse donner un bon résultat économique : « En laissant
les gens complètement autonomes, on ne peut garantir le succès
économique. »
Selon Gravier, gouverner à la lumière de ses
valeurs chrétiennes, c'est arriver à faire co-exister et faire
co-prospérer le capital et la personne humaine. Il renvoie au principe
du bien commun lorsqu'il dit trouver « un lien important entre le
capital et celui qui fait évoluer le capital. » Il est certain
que Gravier peut se permettre d'appliquer son éthique personnelle plus
facilement que lorsqu'il a affaire à un actionnariat élargi.
Mais, remarque-t-il, « la contrainte est encore immense: clients,
ressources humaines, intervenants, etc. Il faut donc du recul pour chaque
dirigeant. La respiration est indispensable: retraites, moments de discussion
éthique. »
Pour ce qui est des activités sociales de
RésoElec, et si on met de côté le séminaire annuel
organisé sous forme d'assemblée générale afin
d'évaluer l'année échue et de proposer les objectifs
à atteindre pour l'année à venir, il y a, pour chaque
secteur,
une fête annuelle au début de l'été
et des déjeuners conviviaux quatre fois par an. Une tradition sociale
solide chez RésoElec est de célébrer la fête de
l'Epiphanie et de partager la galette des rois.
Quant aux réactions des travailleurs envers son mode de
gouvernance, Gravier croit pouvoir dire en leur nom qu'effectivement «
il y a une spécificité dans le lien humain » à
RésoElec, mais il avoue avoir entendu des réactions
négatives aussi. Il reste en contact permanent avec quatre personnes
qu'il a dû licencier. Le principal objectif de Gravier, c'est de pouvoir
appliquer ce qu'il dit et que les travailleurs ressentent du concret.
Son expérience militaire risquée au Liban et la
soumission aux ordres lui a beaucoup enseigné comment diriger des
personnes soumises. Jadis il a été à leur place, et ceci
le rapproche des travailleurs.
Concernant l'Association du Progrès du Management
(APM), à laquelle il adhère, Gravier précise que ses
réunions ont lieu une fois par mois et qu'elles comportent un
échange et des discussions avec des intervenants spécialistes. Il
considère que ces réunions mensuelles représentent un
temps fort dans la vie des entrepreneurs membres et qu'elle leur permet de
partager leurs problèmes loin de tout stress pour se ressourcer et
reprendre adéquatement l'exercice de leurs tâches de
dirigeants.
Evaluation de l'entretien
Emmanuel GRAVIER est un entrepreneur qui a commencé au
point zéro. Il a financé sa première entreprise moyennant
un emprunt et a beaucoup enduré avant d'atteindre son statut actuel. De
plus, son expérience unique au Liban au cours de la guerre aurait pu lui
coûter la vie. Il a donc appris sur le vif à apprécier la
valeur de l'argent, et surtout celle de la vie de l'homme et de sa
dignité, simultanément nobles et fragiles.
Comme Pierre Deschamps, il insiste sur la
délégation à l'intérieur de l'entreprise et sur la
confiance que le dirigeant doit inspirer aux employés du haut de son
poste. Il a également exprimé la même inquiétude
quant à la pénurie de compétences technologiques
proposée par le système universitaire français.
Voilà qui pousse à renforcer la formation interne prise en charge
par l'entreprise et à ne jamais la négliger ou l'épargner
sous prétexte qu'elle est pesante sur la masse salariale.
Dans le documentaire réalisé par « Casa Dei
Productions » sur les patrons chrétiens, on voit Gravier s'adresser
à des ouvriers d'usine. Ceci est révélateur de son mode de
gouvernance spécifique: il est très souvent sur le terrain, et
toute la pyramide du personnel a déjà vu, salué ou
été interviewé par son PDG. Gravier insiste aussi sur le
fait de ne pas déraciner les personnes de leur habitat naturel, ce qui
révèle son intérêt pour la famille et l'importance
pour lui que celle-ci reste unie et rassemblée dans son quotidien.
Gravier lui-même est père de cinq enfants, chose qui reste
plutôt exceptionnelle en France malgré la crainte avouée
des pouvoirs publics et les incitations financières à la
procréation.
En ce qui concerne la propriété des capitaux, il
avoue qu'il est moins contraint que d'autres dirigeants par les pressions des
actionnaires, puisqu'il est majoritairement propriétaire de son
réseau d'entreprise. Il invite tous les dirigeants, chrétiens ou
non, à aborder sérieusement le problème de trouver leur
stratégie optimale pour accorder leurs objectifs financiers à
leurs exigences éthiques et leurs responsabilités sociales.
Finalement, sa référence au bien commun, quand
il dit trouver un lien important entre le capital et celui qui fait
évoluer le capital, mérite d'être soulignée. En
effet, le capital doit pouvoir être plus ou moins accessible à
toute personne afin qu'elle puisse le fructifier d'une manière qui lui
soit propre et pouvoir en bénéficier.
V.3 Résumé du témoignage de Xavier
Grenet (Entretien du 11 mai
2007 au siège de St-Gobain)
Selon Xavier Grenet, « on ne dirige plus aujourd'hui
comme on dirigeait il y a quelques années. Dans toute fonction, il faut
être légitimé. Il faut créer la confiance pour que
les gens acceptent de vous suivre. Si la hiérarchie est réduite,
le chef existe toujours. Le management aujourd'hui doit être fondé
sur la compétence et l'autorité, la seconde nécessairement
liée à la première, mais surtout sur le respect des
personnes et la reconnaissance de ceux qu'on veut conduire. »
Grenet a passé 34 ans à St-Gobain. Directeur des
ressources humaines du pôle vitrage du groupe, il a, en tant que
directeur des cadres, eu plus de 5000 entretiens personnels avec des futurs
cadres et reçu des hommes et des femmes de plus de 60
nationalités différentes. Pour lui, « le respect de la
différence est primordial. Le point commun à tous est la
reconnaissance qui est au coeur du management. Etre Homme, c'est être
reconnu par d'autres. Exister, c'est toujours exister par le regard de l'autre.
Confronté à un choix, un DRH recrute des gens qui lui inspirent
confiance et qui semblent être prêts à rentrer dans
l'aventure des autres. Le patron doit avoir de l'autorité, être
présent. Il faut avoir le goût de la performance de l'autre, le
sens de l'autre, celui de déléguer des fonctions à
d'autres, et la capacité de former l'autre, de le motiver et de l'aider
à avancer. Il faut jumeler reconnaissance et autorité pour un bon
management. »
Le leadership, selon Grenet, « c'est la
capacité de conduire une équipe, la capacité
d'entraîner. » Pour cela, « il faut avoir de la vision
et être capable de segmenter et de classer les choses par ordre
d'importance. Le leader doit être doux, mais pas mou ; il doit montrer
les grands horizons et avoir des capacités de relations humaines.
» Un bon leader doit s'exprimer mais aussi savoir faire exprimer. De
même, « il faut savoir se faire aimer, pas en se vendant mais en
se faisant considérer, pas parce qu'on va offrir le chemin le plus
facile de la démagogie, mais parce qu'on va situer des axes et inviter
à l'effort. »
Concernant la charte éthique de l'entreprise, Grenet se
base sur la parabole évangélique de la brebis perdue : «
On ne peut être chrétien sans avoir la vision de l'Homme
unique. Il ne faut pas observer l'Homme à l'aune de son utilité,
car on le détruit en l 'instrumentalisant. Kant dit qu'on ne peut jamais
considérer autrui comme un moyen ou une ressource seulement, mais
toujours comme une fin. L'homme le plus humble, le plus petit, est porteur
d'absolu et nécessite un respect absolu. La réflexion sur ses
mots véhicule les valeurs du management idéal. Les machines se
cassent mais ne sont jamais en grève. Le respect des personnes passe au
premier rang. Il faut porter de l'attention à chacun. »
Pour Grenet, la règle éthique de base, c'est de
dire ce que nous faisons mais avant tout de faire ce que nous disons : «
On ne peut exiger quelque chose de quelqu'un sans être le bon
exemple. Pascal dit que la force doit être au service du droit. A
St-Gobain, les jeunes générations ont poussé le groupe
à faire une charte éthique. Ces générations, qui
ont vu leurs ancêtres peu bien menés dans l'entreprise, ont
demandé davantage un droit de regard, et elles ont raison. Les jeunes
générations sont bien demandeuses, et la nouvelle gouvernance
consiste à écouter les jeunes, qui eux véhiculent les
nouvelles nécessités pour la continuité du groupe. Ainsi,
et pendant deux ans, les principes ont été élaborés
à partir de l'écoute de l'autre. » Se voulant plus
spécifique sur ces principes, Grenet ajoute : « Il faut que les
principes viennent de l'intérieur. Existent alors des principes de
comportements personnels et des principes d'actions collectives. » Le
principe de comportement personnel consiste en un engagement professionnel
assidu et à « être au service du bien commun,
accompagné du principe du respect de l'autre. » Au niveau de
l'action collective, il faut montrer « de l'intégrité et
de l'honnêteté au budget et à la gestion des fonds, une
loyauté envers tous les niveaux et une solidarité de faire passer
l'intérêt général de St-Gobain avant les
succès individuels de chaque entité. »
On respecte quatre principes d'action à St-Gobain:
1. Respect des lois dans des pays hôtes
2. Respect de l'hygiène, de la sécurité et
de l'environnement
3. Respect de la santé et de la sécurité
des personnes au travail
4. Droit des employés.
Grenet explique que « le premier principe, c'est
l'engagement professionnel, c'est un devoir ; le dernier principe c'est le
droit des travailleurs, c'est un droit. » Quant aux deux autres, ils
relèvent plutôt du bon ordre dans la société, et
« cet ordre est essentiel. On est d'abord au service d'un bien commun
qui est plus grand que nous, et il faut être d'accord sur ce
principe. »
En ce qui concerne la culture d'entreprise à St-Gobain,
Grenet répond que « c'est un groupe connu, où existe une
grande diversité de métiers et de secteurs. Le groupe est donc
extrêmement étendu, mais il est en même temps discret et
n'occupe pas trop la une des journaux. La culture de St-Gobain est beaucoup
liée au respect des personnes. Nous avons davantage besoin des autres
pour réussir. Et c'est ce qui fait l'attachement au groupe. »
A ce propos, Grenet remarque aussi que « les membres se reconnaissent
de génération en génération, même si elles ne
se rencontrent que très rarement. »
Sur le thème du dialogue social au sein du groupe,
Grenet observe qu'il est très important et qu'il y a rarement eu des
drames. Côté licenciements, « à St-Gobain, on
essaie toujours de les gérer de manière éthique.
» Grenet a dû fermer une usine, et ce fut pour lui une
expérience très douloureuse : « Il faut respecter les
personnes et les accompagner après le licenciement. Il ne faut jamais
confondre l'éthique et la matérialité de nos actes. Il
faut promouvoir les personnes quand c'est nécessaire, mais parfois cela
peut se révéler non éthique. Souvent il faut se
séparer des gens pour leur bien car ils se trouvent face à une
impasse.»
Beaucoup de personnes ont été aidées par
Grenet à quitter le groupe. Il les a écoutées et leur a
montré tout le respect qui leur était dû : « Il y
a des manières parfaitement éthiques de gérer des actes
durs. Après la fermeture de l'usine, on a en quelques mois recasé
toutes les personnes. C'est la compétitivité qui permet de
limiter les licenciements. »
Grenet a des idées très claires en ce qui
concerne la vraie portée de son poste : « Le métier des
ressources humaines passe par l'écoute et consiste à
connaître les personnes, pas avec naïveté mais avec
bienveillance, et c'est elle qui fait exister les autres. Il est important que
tous ceux qui sont la parole de la maison soient des personnes à qui on
puisse faire confiance. Il ne faut pas seulement exécuter des oeuvres,
mais confronter les décisions avec les avis des autres. Les
décisions humaines sont toujours hésitantes, et donc on a besoin
de l'autre. »
Grenet explique que le recrutement à St-Gobain se fait
en général « du bas de l'échelle des cadres
qualifiés, et il y a des parcours qualifiants avec toutes sortes
d'outils, tels que les bourses d'emplois avec des entretiens annuels
d'appréciation, et les « people reviews », qui permettent de
voir l'évolution des carrières. La formation se fait en interne,
et on est en train de créer une université interne à
Aubervilliers, intitulée « Ecole de management de St-Gobain ».
Cette université va enseigner les langues, les techniques, mais aussi la
connaissance du groupe et son esprit, et ce pour diffuser la culture de
StGobain à travers des cours de Young Managers, de management et
développement, et de management opérationnel, avec un
séminaire de management international. L'appréciation annuelle
à la suite de ces formations internes va permettre d'avoir une vision
plus lointaine des carrières et de voir si le profil est fonctionnel et
opérationnel. On entre progressivement dans la connaissance de
soi-même, on écoute son désir, on observe le regard des
autres pour voir s'ils sont d'accord. Aucun cadre ne peut dépendre d'un
seul autre, il faut le regard de tous. Quand on recrute, on regarde avant tout
les compétences humaines. Il faut choisir ceux qui ont envie d'entrer
dans une aventure collective. Quant à ceux qui veulent rejoindre le
groupe pour une aventure personnelle et strictement individuelle, il faut
absolument leur ouvrir la porte de sortie et non la porte d'entrée. Il
faut être sensible à la chimie humaine pour adhérer
à St-Gobain.»
Pour allier exigence éthique à efficacité
économique, un DRH doit d'abord « être une existence
propre. Il faut qu'il soit crédible et qu'il échange des
engagements et des promesses sincères. L' « éthique paie
» car les comportements éthiques sont facteurs
d'efficacité, et on gagne mieux la guerre. Le retour
sur investissement serait beaucoup plus grand. C'est l'attitude morale qui
mène à l'efficacité.»
La foi chrétienne a appris à Grenet que la vraie
joie, « c'est celle de voir les autres avancer et grandir.
L'évangile ne donne pas de recettes, mais oriente et éclaire le
dirigeant.» Grenet se réfère volontiers à la
parabole des deux poissons et des cinq pains, avec lesquels Jésus a pu
nourrir une foule de 5000 personnes : « Il y a en permanence une
disproportion entre les capacités d'une personne et ses enjeux. Mais si
on a le courage d'essayer d'être fidèle aux autres et de surmonter
ses inquiétudes humaines, il y a quelque chose de
possible.»
La principale activité qui soit simultanément
sociale et économique, c'est le plan d'épargne du groupe. Ainsi,
« le salarié est le principal actionnaire du groupe.»
En général, les activités sociales se font au niveau des
filiales, et « en ce qui concerne les top dirigeants du groupe, ils se
réunissent trois jours par an avec le président en colloque
fermé. »
Le MCC sont comme les EDC, une association de
réflexion, comme l'explique Grenet. La principale vérité
qu'on essaie de transmettre à chaque membre, « c'est d'irriguer
sa vie de l'amour et de l'écoute de l'autre », surtout dans le
cadre de sa vie professionnelle, où le risque de voir surgir des
tensions humaines est le plus élevé.
Evaluation de l'entretien
Xavier Grenet est philosophe de formation. Il est donc venu de
loin au monde des affaires. En revanche, c'est un homme très
cultivé, qui cite maints philosophes et penseurs, la doctrine sociale,
les enseignements des souverains pontifes et surtout l'Evangile. C'est un homme
qui se donne des moments de réflexion intense pour savoir orienter sa
vie professionnelle et ses responsabilités avec les autres. Le centre de
gravité de sa fonction, c'est l'autre et non pas lui-même.
En tant que DRH de St-Gobain, ses responsabilités n'ont
pas été minimes, loin de là. Elles ont été
dignement assumées à travers le respect de l'autre, surtout le
respect de la différence, et la reconnaissance des compétences et
de l'effort des autres, surtout de ceux qu'il voit très peu, à
savoir ceux qui travaillent dans les filiales d'outre-mer. Son
ancienneté et son expérience lui ont appris à s'adapter et
à écouter des personnes très différentes. Un DRH
doit avant tout être présent sur le terrain, et Grenet n'a pas
manqué de le faire. Il a beaucoup voyagé, et les cadres
internationaux dont il a la responsabilité le connaissent tous.
Le dialogue social est au coeur de sa stratégie de
gouvernance. Grenet, comme Deschamps et Gravier, a insisté sur la
délégation et, par voie de conséquence, sur le principe de
subsidiarité. Sa devise : Toujours confier des tâches aux autres
pour les faire travailler, en respectant le sens de la performance de l'autre,
surtout de celle des jeunes, seuls vrais garants de la continuité d'un
groupe aussi étendu que St-Gobain. Pour garantir sa préservation
à travers les générations, le patrimoine de St-Gobain doit
être transmis aux plus jeunes, surtout à travers la
solidarité intergénérationnelle, concept auquel Grenet n'a
pas manqué d'insister et de faire référence. Comme dans
les deux autres cas d'entreprises explicités ci-dessus, le marché
interne est la caractéristique principale de l'organigramme. La
formation interne des jeunes s'impose alors aux entreprises, qui les
réunissent et les sensibilisent davantage au bien commun.
Grenet est lui-même très sensible et
profondément attaché à ce bien commun. Bien qu'il ne soit
plus DRH de St-Gobain, il a toujours un bureau au siège du groupe,
à la Défense. Les employés continuent à le
consulter si souvent que, durant les quatre-vingt dix minutes d'entretien que
j'ai passées dans son bureau, je n'aurais jamais pu deviner qu'il avait
cessé d'être directeur actif s'il ne me l'avait pas dit
auparavant.
* * *
Trois dirigeants différents dans trois secteurs
différents, assumant trois fonctions différentes, mais
portés par une même conviction : ils sont conscients qu'un leader
qui n'a pas la vocation des autres n'en est pas un. La DSE et la morale
chrétienne ont inspiré leurs carrières et leur ont
inculqué le respect de la dignité humaine, du principe de
subsidiarité, de la solidarité entre employeurs et
employés, ainsi qu'un attachement indéfectible à la
promotion du bien commun.
Conclusion
Avec persévérance et régularité,
les souverains pontifes, de Léon XIII à Benoît XVI, ont
été les grands défenseurs d'un ordre économique et
social basé sur la vérité, la justice, la charité
et la liberté. Ils ont enseigné que la personne humaine est un
sujet de droits et de devoirs, et qu'il représente la fin
dernière de la société, qui lui est ordonnée. Ils
ont soigneusement explicité les recommandations de l'Eglise en
matière d'organisation d'une société qui place le respect
de la dignité humaine au coeur de ses mutations continuelles. Ils sont
intervenus pour la réconciliation des peuples et des classes en conflit,
pour une expansion économique à visage humain, et se sont
particulièrement intéressés à l'homme dans son
cadre de travail quotidien.
« L 'Eglise s'est efforcée avec
ténacité d'obtenir qu'on tienne compte de l'homme plus que des
avantages techniques et économiques », avait proclamé
Pie XII.81 La personne humaine doit être prise en compte sous
tous ses aspects afin que ses besoins primordiaux, matériels et
spirituels, soient satisfaits. Son travail doit lui permettre de se nourrir, de
se loger, de se soigner, mais aussi d'aller à la rencontre d'autres
personnes et de promouvoir avec eux le bien commun, qui leur permet de se
réaliser ensemble. Le travail doit permettre à toute personne de
choisir librement ce qui convient à son développement personnel
et à celui de sa famille. Ceci est assuré par une politique
salariale appropriée et par un nombre réaliste d'heures de
travail. Le temps extraprofessionnel doit permettre au travailleur
d'élargir ses horizons dans les domaines qu'il souhaite, de se reposer,
de rester avec ses proches, et de nourrir, seul ou en communauté, sa vie
sociale, culturelle et spirituelle. Quel que soit l'usage dont il en fera, ce
temps est son droit.
Chaque pape s'est, à un moment donné de
l'histoire, prononcé sous un angle particulier sur le droit du
travailleur. Léon XIII a pris la défense de l'ouvrier victime au
moment où les tensions entre libéralisme et socialisme
étaient à leur apogée. Pie XI a
81 Cité dans Benjamin Guillemaind,
Libéralisme-socialisme : deux frères ennemis face
à la doctrine sociale de l'Eglise, Téqui Editeur, 2001, p.
23.
abordé la notion d'un salaire qui aille au-delà
du salaire de subsistance. Il a recommandé une politique salariale qui
implique désormais le travailleur dans les bénéfices de
l'entreprise au moment où sa créativité est
sollicitée pour faire face à la concurrence et pour que
l'entreprise puisse augmenter ses chances de se tailler une part de la demande,
désormais de plus en plus diversifiée.82 Dans
Laborem exercens, Jean-Paul II intervient dans les premières
phases du chômage de masse et condamne les profits non réinvestis
dans la recherche en vue de créer de nouveaux débouchés et
de nouveaux emplois. Dans Sollicitudo rei socialis, il prône
l'importance de la diversité des personnes et le respect de la
contribution de chacun à la prospérité et au
développement du bien commun. Dans Centesimus annus, il
critique le socialisme, lui reprochant la déresponsabilisation des
personnes et la dévalorisation de l'initiative privée, et
prône un ordre social de coresponsabilité qui dépasse aussi
bien le socialisme que le capitalisme et aspire à la promotion du bien
commun et à la défense des droits de la famille et de
l'environnement. Benoît XVI, quant à lui, n'a pas encore
apporté de contribution précise à la doctrine sociale,
mais a invité les patrons et les détenteurs de capitaux, dans
Deus caritas est, à aider les pauvres et les démunis et
à investir une partie de leurs bénéfices annuels dans les
associations sociales, environnementales et humanitaires.
Ces recommandations ont été formulées
sous forme de principes orientant les comportements humains et esquissant les
fondements d'un modèle de management type que les entrepreneurs
chrétiens sont appelés à suivre à leur
manière et selon des marges de manoeuvre variées. Ce
modèle de management se base sur un leadership délégateur
qui co-responsabilise ses parties prenantes et les réunit solidairement
autour d'un bien commun qu'elles essaient de fructifier ensemble en participant
aux justes bénéfices de leur travail.
* * *
82 Dan le même ordre d'idées,
François Michelin a précisé, au cours de son intervention
dans le cadre du colloque « Humaniser le travail dans une
société libre » organisé le 10 mars 2007
à Paris par l'Association des Economistes Catholiques, que «
c'est le client qui commande, pas moi. Le travail voit sa finalité
dans l'oeuvre » de l'ouvrier, qu'il nomme « oeuvrier », et
cette oeuvre n'a et ne crée de la valeur que grâce aux clients.
Une politique salariale plus élargie et complexe s'impose donc
indépendamment de l'avis de l'employeur.
A la lumière de cette rétrospective, on voit que
l'Eglise ne prétend jamais s'octroyer une expertise bien précise
en matière économique ou gestionnaire. Elle ne fait que souligner
les grands principes assurant la bonne régulation de ces domaines. Bien
qu'assaillie de toutes parts par les idéologies politiques et le monde
agressif des affaires, qui essaient de lui ôter toute compétence
dans ce domaine, l'Eglise n'est jamais revenue sur ses positions, et aucune
instance n'a pu étouffer son discours. Elle a eu le mérite de
continuer courageusement à se prononcer sur les démarches et les
stratégies en matière entreprenariale, dénonçant au
besoin toute dérive. Cependant, les souverains pontifes ont pris soin de
souligner qu'ils n'entendent point proposer de solutions techniques aux
dirigeants ni intervenir dans l'élaboration de leurs plans. L'Eglise ne
se mêle pas de leurs affaires. Mais, dans l'absolu, elle ne leur
concèdera point le dicton : « Les affaires sont les
affaires », car « il y a des affaires qu'on ne fait pas
».83
L'Eglise et les souverains pontifes ne tirent leurs sujets de
réflexion que de la vie économique concrète. Celle-ci est
si riche en développements qu'aucun pape ne pourra manquer d'y
repérer des faiblesses, des effets pervers ainsi que les douleurs des
victimes. Xavier Fontanet, PDG d'Essilor, a d'ailleurs lui-même dit en
substance, au cours de son intervention dans le cadre du colloque «
Humaniser le travail dans une société libre »,
cité ci-dessus, qu'aucun responsable ne pourra par la ruse estomper les
maladresses qu'il a commise envers ses parties prenantes, car de nos jours les
médias sont là pour détecter et divulguer tout abus,
surtout dans les pays démocratiques et économiquement
développés, où ces médias jouissent de la
liberté d'expression.
Par ailleurs, il faut espérer que l'Eglise puisse
enrichir sa réflexion sur les justes politiques de gouvernance
managériale en s'ouvrant sur des contributions proprement laïques
en matière d'éthique d'entreprise, et ce dans une sorte de
dialogue social éternel à double sens. En effet, si à
travers ses encycliques pontificales et les principes de sa doctrine sociale
l'Eglise a elle-même lancé le débat et influencé les
dirigeants et entrepreneurs de tous bords, ce sont bien ces derniers qui
peuvent élargir la pensée de l'Eglise par de nouvelles
problématiques concrètes sur lesquelles elle peut
réfléchir et
83 Philippe De Weck, Les Eglises face à
l'entreprise, Ed. du Centurion, 1991, p.234
déboucher sur de nouveaux développements doctrinaux
en harmonie avec les enjeux grandissants de l'éthique d'entreprise.
Il est réconfortant de constater que les principes de
la DSE ont démontré une grande fertilité, et que des
milliers de dirigeants et entrepreneurs à travers le monde les ont fait
siens dans leurs politiques de gouvernance. Ils se sont regroupés en
associations légales et reconnues au niveau international (UNIAPAC)
ainsi qu'au niveau national (les EDC, MCC et autres associations pour la
France) pour diffuser leur pensée éthique des affaires. De tels
groupements peuvent susciter, entre autres, des recherches académiques
intéressantes qui viendraient enrichir la pensée sociale
chrétienne, et ce mémoire se veut modestement dans ce sillage. Je
me permets de constater, sur une note personnelle, que si j'avais eu à
faire mon mémoire de master au Liban par exemple, je n'aurai eu ni la
matière première ni les témoignages de première
main pour l'achever correctement, et il y a lieu d'espérer que les
choses changeront bientôt dans mon pays, car il y a déjà
quelques ébauches intéressantes pour réunir une
fédération d'entrepreneurs chrétiens libanais qui
rejoindrait l'UNIAPAC.
Mais parler d'outil adéquat pour une recherche
académique reste quand même secondaire par rapport à
l'importance d'avoir effectivement de telles communautés de personnes
qui se déclarent chrétiennes et pratiquent leurs convictions et
principes dans la gestion de leurs affaires au service du bien commun. Et il
est certain que de telles associations sont d'autant plus aisément
instituées et acceptées que le pays hôte adopte une
politique nationale respectueuse des libertés religieuses fondamentales,
comme c'est bien le cas en France, et au Liban jusqu'à
présent.
Comme nous avons pu le constater plus haut dans le paragraphe
où il avait été question de l'éthique d'entreprise
laïque, les lignes directrices de la DSE en matière de gestion
d'entreprise ne sont pas étrangères à d'autres confessions
et idéologies populaires. Le Japon, dont le patrimoine culturel et
spirituel est très éloigné du catholicisme, est le premier
pays à avoir légiféré et instauré ce qu'on
appelle les « cercles de qualité » dans la majorité de
ses entreprises. De même, à partir de 2009, la norme ISO
26000 devrait, en principe, être universellement
imposée aux entreprises afin de labelliser le respect de la
responsabilité sociale de l'entreprise telle que stipulée dans
cette nouvelle norme.
Il reste que, « en ce qui concerne la question
sociale, personne n 'a présenté un programme qui dépasse
la doctrine sociale de l 'Eglise en sécurité, consistance et
réalisme,»84 étant entendu que
«l'Eglise n'a pas de modèle à
proposer.»85 La DSE, qui n'est pas une idéologie,
peut se révéler d'une grande force inspiratrice pour
résoudre les nouveaux problèmes dus à la mondialisation
grandissante de l'économie et des nouvelles industries
transfrontalières du vice et du crime. Et lorsque la communauté
humaine aura reconnu, avec le pape Jean XXIII dans son encyclique Pacem in
Terris (1963), que la sauvegarde de l'ordre moral universel exige,
au-delà de la fragmentation des Etats, la constitution d'une
autorité publique de compétence universelle, elle-même
respectueuse du principe de subsidiarité vis-à-vis de ces Etats,
alors elle réalisera que la DSE est un corpus doctrinal lucide qui fonde
l'ordre mondial juste et qui répond au plus profond besoin des hommes
d'aujourd'hui.
* * *
84 Benjamin Guillemaind,
Libéralisme-socialisme : deux frères ennemis face à la
doctrine sociale de l'Eglise, Ed. Pierre Téqui, 2001, p.34
85 Jean-Paul II, Centesimus annus, n.43
Annexes
Annexe 1
De la révolution de 1848 à l'encyclique
de Léon XIII
L'euphorie des premiers jours de la révolution de 1848,
où se multiplient les demandes d'une vraie législation du travail
et les prises de position économique souhaitant une transformation des
rapports de production et une association des intérêts des patrons
et des ouvriers, ne va pas durer. Des journées d'émeute
provoquent l'inquiétude, tandis que la fermeture des Ateliers Nationaux
conduit à l'insurrection. La bourgeoisie et le peuple, unis dans une
révolution fraternelle en février, vont désormais
s'affronter avec violence. La bourgeoisie s'allie peu à peu avec
l'Eglise, elle-même traumatisée par la mort de l'archevêque
de Paris, Mgr Affre, tué sur les barricades en juin 1848.
Le relais est pris en Allemagne en particulier grâce
à l'action de Mgr Ketteler, archevêque de Mayence. A la veille du
Concile Vatican I, pour lequel un schéma est préparé, les
évêques allemands déclarent : « Le devoir de l'Eglise
est de travailler de toutes ses forces à résoudre la question
sociale qui est le problème le plus important de notre
époque...Si l'Eglise ne savait pas trouver et apporter le remède,
il faudrait désespérer de la solution pacifique de la question
sociale. » Emmenés en captivité après le
désastre de 1870, Albert de Mun et Robert de la Tour du Pin
découvriront le catholicisme social.
En mars 1881, le comte de Breda et la Tour du Pin adressent au
Vatican deux mémoires qui peuvent être considérés
comme les premiers dossiers qui aboutiront à Rerum novarum. On
y dénonce la durée illimitée du travail et démontre
la nécessité d'une intervention de l'Etat pour protéger
les ouvriers contre les conséquences de la
concurrence internationale. Il est souhaité que le pape
prenne une initiative : réunir une conférence des gouvernements
européens au Vatican dans laquelle le pape, tout en ne prenant pas de
décisions, plaiderait la cause des pauvres et des ouvriers.
A la suite d'évènements sociaux dramatiques en
Allemagne, en Angleterre, en Suisse et aux Etats-Unis, Léon XIII publie
donc son encyclique sur la question sociale Rerum novarum, le 15 mai
1891.
(Extrait des Rencontres Economiques d'Aix-en-Provence 2007 du
Cercle des Economistes - Session 6 : Esprit du capitalisme : culture et
religions - site internet :
www.lecercledeseconomistes.asso.fr/IMG/pdf/J_C_Descubes.pdf)
Annexe 2
L'ISO jette les bases des lignes directrices ISO 26000
pour la responsabilité sociale
La future norme ISO 26000, qui établira des lignes
directrices pour la responsabilité sociale, a franchi une étape
importante. L'ISO s'est maintenant prononcée sur la structure et le
contenu général de la norme, et s'est fixé pour cible de
publier le document au dernier trimestre de 2008.
Le groupe de travail de l'ISO sur la responsabilité
sociale (GTRS) a mis au point les éléments fondamentaux de l'ISO
26000 lors de sa deuxième réunion organisée du 26 au 30
septembre 2005 à Bangkok, Thaïlande. L'ISO 26000 fournira aux
organisations des directives harmonisées sur la responsabilité
sociale, approuvées sur le plan international, inspirées des
meilleures pratiques et dans la ligne des déclarations et conventions
adoptées dans ce domaine par les Nations Unies et ses institutions
spécialisées, en particulier par l'Organisation internationale du
travail (OIT). Le référentiel ne spécifiera pas des
exigences permettant d'utiliser la norme 26000 à des fins de
certification.
La réunion de Bangkok, qui a rassemblé des
experts de 54 pays membres de l'ISO (dont 45 à titre de participants et
neuf en qualité d'observateurs), 24 organisations internationales en
liaison, y compris l'OIT, soit au total quelque 350 personnes, a
enregistré une progression marquée du nombre des pays en
développement présents par rapport à leur participation
à la première réunion, tenue en mars 2005 au
Brésil.
L'un des principaux résultats de la réunion de
Bangkok a été l'élaboration de la
«spécification du projet» (la structure) de l'ISO 26000. Le
GTRS a retenu le plan suivant pour structurer le contenu de la future norme:
Introduction
1. Domaine d'application
2. Références normatives
3. Termes et définitions
4. Contexte RS dans lequel opèrent tous les organismes
5. Principes RS intéressant les organismes
6. Lignes directrices sur la thématique et la
problématique centrales en matière de RS
7. Lignes directrices pour la mise en oeuvre de la RS par les
organismes Annexes
Bibliographie
La rédaction des articles 1, 4, 5, 6 et 7 sera
répartie entre trois groupes d'études que le GTRS va mettre en
place dans les 2 à 3 prochains mois et dont la composition assurera une
représentation équilibrée des parties prenantes au sein du
GT, à savoir l'industrie, les gouvernements, le monde du travail, les
associations de consommateurs, les organisations non gouvernementales, les
secteurs des services, les services de soutien, la recherche, etc. En outre, la
responsabilité de direction des groupes d'étude sera
partagée entre les pays développés et les pays en
développement. Pour les autres articles de la norme, la
responsabilité des travaux de rédaction n'a pas encore
été attribuée.
Les directives préparées par le GTRS pour aider
les groupes d'études dans leur travail rédactionnel
précisent que l'ISO 26000 doit être un document parfaitement
clair, compréhensible et objectif, applicable à tous les types
d'organismes, y compris aux administrations publiques.
La réunion de Bangkok a également permis
d'établir un calendrier pour le projet ISO 26000 avec pour cibles
l'achèvement d'un premier projet en novembre-décembre 2007, un
projet final en septembre 2008 et la publication de la Norme internationale en
octobre 2008.
Les deux dirigeants du GTRS ont chacun donné leur point
de vue sur les progrès réalisés. Pour M. Jorge E.R.
Cajazeira, président désigné par l'ABNT (Brésil),
« notre première réunion au Brésil s'était
caractérisée par son dynamisme et par beaucoup d'énergie
investie tous azimuts. A Bangkok, l'énergie était toujours aussi
intense, mais bien focalisée. Cette réunion remarquable a permis
de bien avancer sur l'ISO 26000. La
norme devant refléter un consensus international de
toutes les catégories de protagonistes qu'affecte la question de la
responsabilité sociale, le GTRS réunit des personnes
représentant différents secteurs d'activité et un large
éventail d'expériences. Nous nous constituons en équipe et
si l'avenir comporte sa part de difficultés, le GTRS s'emploiera
à les surmonter avec détermination, car nous savons l'importance
de notre travail. »
M. Staffan Söderberg, vice-président par
intérim désigné par le SIS (Suède), partage ce
point de vue: « La responsabilité sociale est un nouveau
domaine pour l'ISO, qui fait intervenir de nouveaux partenaires comme les
syndicats et les organisations non gouvernementales et qui implique des
méthodes de travail innovantes permettant d'assurer une participation
efficace de tous les acteurs. Si l'examen des problèmes est intense et
serré, nous avons du respect les uns envers les autres et c'est
certainement ce bon état d'esprit qu'ont apprécié les
participants qui ont fait part de leur satisfaction du déroulement de la
réunion de Bangkok et de leurs attentes positives pour les prochaines
étapes. »
(Extrait des communiqués de presse de l'organisation
internationale de normalisation (ISO) - 14 octobre 2005; site internet :
www.iso.org/io/fr/commcentre/pressreleases/archives/2005/Ref972.html)
Annexe 3
Délégation et subsidiarité dans la
Bible Ancien Testament : Jethro à Moïse
L'attitude de Moïse avec Israël relève bien
de la délégation. Jethro conseille, par exemple, à son
gendre Moïse d'alléger sa tâche de chef du peuple
hébreu en choisissant des hommes capables de le relayer : « Le
beau-père de Moïse, témoin du labeur écrasant qu'il
s'imposait pour le peuple, lui dit : « Comment t'y prends-tu pour traiter
les affaires du peuple ? Pourquoi sièges-tu seul, alors que tout le
peuple se presse autour de toi du matin jusqu'au soir ?... » Le
beau-père de Moïse lui dit : « Tu t'y prends mal ! A coup
sûr tu t'épuiseras et aussi ces gens qui sont avec toi...
Choisis-toi parmi tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, et
fais-en des chefs du peuple : chefs de milliers, chefs de centaines, chefs de
cinquantaines, et chefs de dizaines ...Ils te défèreront toutes
les causes difficiles et arbitreront eux-mêmes les cas de moindre
importance. »86
Moïse suivra les conseils puisqu'il dira plus tard :
« Je ne puis porter seul la charge de vous tous...Amenez donc des
hommes habiles, perspicaces et éprouvés de chacune de vos tribus
que j'en fasse vos chefs. »87
Nouveau Testament : Jésus aux douze
apôtres
Dans le Nouveau Testament, en envoyant ses disciples en
mission, Jésus leur a délégué son propre pouvoir :
« Qui vous écoute, m'écoute. »88 :
« Il appelle à lui ceux qu'il voulait. Ils vinrent à lui
et il en institua douze pour être ses compagnons et pour les envoyer
prêcher, avec pouvoir de chasser des démons.
»89 Mais le Christ leur a appris aussi que l'exercice de
ces pouvoirs est en réalité un service. L'autorité est
donc fondée sur le service et non sur le pouvoir : « Celui qui
voudra devenir grand parmi vous, se fera
|
86 Exode 18/13-27.
87 Dt 1/9-18.
88 Luc 10/16, Mt 10/40, Mc 9/37, Jn 13/20
89 Mt 10/1-4, Mc 3/13-19, Luc 9/1-2
votre serviteur... C'est ainsi que le fils de l'Homme n'est
pas venu pour être servi mais pour servir. »90
(Extrait du livre de Jean-Pierre Audoyer, Le Nouveau
Management, Critiques et Réponses Chrétiennes, Editions de
l'Emmanuel, 1997)
90 Mt 20/25-28, Mc 10/42-45, Luc 22/24-27.
Annexe 4
Entretien avec Gérald Roux, directeur
général de Koné Ascenseurs
Objectifs de l'entreprise : Une accessibilité
pour tous, surtout pour les handicapés ; la place
prépondérante de l'homme ; le développement
durable.
Gérald Roux est directeur général des
ascenseurs Koné en France depuis l'an 2000. Depuis qu'il a 22 ans,
Gérald Roux travaille à Koné et a de ce fait
été marqué par maintes valeurs, grâce surtout
à des séjours prolongés et enrichissants dans plusieurs
pays (2 ans au Luxembourg, 1 an en Italie). C'est à la fraternité
des Arts et Métiers de Cluny qu'il a appris le travail et la vie de
groupe. Il a également été chef scout, et il doit au
scoutisme d'avoir acquis une vraie formation humaine, richesse
indéniable selon lui pour apprendre à surmonter les
difficultés et à aider les autres à le faire. Dès
son plus jeune âge, des responsabilités de chef lui sont
confiées pour animer une équipe.
A 30 ans, il est muté à Nice et devient
directeur technique et directeur d'usine. Avec ses responsabilités
croissantes au sein de Koné, il s'investit encore plus dans le respect
des valeurs de cette entreprise.
Koné est une entreprise très innovante au niveau
industriel mais aussi au niveau humain. Sa culture d'entreprise est humanitaire
et respectueuse de l'environnement. Ses propriétaires, une famille
finlandaise, sont constamment présents sur le terrain en toute
simplicité pour diriger les travaux d'exécution et même
pour y participer. Cette famille s'intéresse particulièrement
à l'écologie et veille au respect de la nature et au
développement durable : « Chez Koné, mener l'action dans
la durée est primordial». Koné réalise
annuellement quelque 45 millions d'euros en CA et emploie 3500 salariés.
La place de la personne humaine y est prépondérante et les
relations sociales très pacifiques. Depuis 1974, Koné n'a jamais
connu un jour de grève grâce à son dialogue social et
à ses intéressements précoces. En 1981, ce fabricant lance
sur le marché mondial
une nouvelle génération d'ascenseurs avec portes
automatiques, idée peu exploitée et commercialisée
à l'époque.
A Koné, aucun licenciement individuel n'a lieu, car on
table sur une formation importante du personnel grâce à un centre
de formation unique en Europe (27 formateurs en 2008). La formation est
technique, mais il s'agit aussi d'une formation de passerelle et de
modernisation continue et de recyclage pour amortir les charges liées
aux mutations de l'économie et de l'entreprise. Beaucoup d'anciens
travailleurs, même dans les usines qui ont fermé, ont
trouvé rapidement du travail.
Entre 2006 et 2007, 400 personnes ont été
recrutées sur la base de leurs compétences techniques dans le
secteur des portes automatiques des bâtiments.
A la suite de la loi du 2 juillet 2003 sur la
rénovation nécessaire des bâtiments en France, Koné
s'est engagé, en 2005 et 2006, dans un grand redémarrage au
niveau de la sécurité des ascenseurs en France.
A Koné ascenseurs, l'accessibilité pour tous a
deux volets. D'une part, on favorise le recrutement d'employés
handicapés dans les locaux de l'entreprise, où tous les
étages leur sont accessibles. D'autre part, on essaie de promouvoir une
culture générale visant à faciliter l'accessibilité
aux personnes handicapées dans les endroits publics.
Cette entreprise est le quatrième géant mondial
dans la construction d'ascenseurs, avec des filiales dans 40 pays. Koné
fabrique aussi des trottoirs et des tapis roulants. C'est sa dernière
innovation, et l'entreprise s'y engage pleinement.
La mondialisation des échanges s'est
avérée motivante et en même temps difficile pour
Koné, ce qui l'a forcé à s'adapter aux nouvelles exigences
de la concurrence. Koné a alors opté pour une ambitieuse
stratégie de création de nouveaux emplois dans une perspective de
développement durable. Sur ses 3500 emplois aujourd'hui, 1500 sont de
nouvelles tâches par rapport à 1980.
Côté environnement, Koné se donne comme but d'innover dans
le domaine de l'économie en énergie.
Gérald Roux insiste sur la responsabilité
sociétale de l'entreprise plutôt que sur sa responsabilité
éthique : accompagner et former des salariés ; répondre
à toutes les attentes des partenaires de l'entreprise, y compris des
salariés et des sous-traitants. Le licenciement selon lui peut
être une option, mais il faut l'éviter à travers une bonne
croissance et beaucoup d'innovation basée sur des études
stratégiques et des estimations solides.
Koné France a pour objectif de continuer à
croître dans le sillage des nouvelles transformations économiques
et des retournements de marchés, qu'il faut pouvoir anticiper.
En 2005, l'ascenseur de la plus haute tour du monde, un des plus
rapides sur la planète, est un ascenseur Koné.
Aujourd'hui, Koné est classé
26ème mondial dans la catégorie des entreprises de
grande renommée.
(Extrait des archives de l'émission radio Face aux
Chrétiens sur la chaîne RCF)
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l'Islam », Groupe Eyrolles, Editions Eyrolles.
MERCIER Samuel, (2004), L'éthique
dans les entreprises, Paris, Collection Repères, Editions La
Découverte
PRAS Bernard, (2007), « Management et islam
: vers une convergence de valeurs », Revue française de
gestion, Editions Lavoisier, n°171, p.91-95
SAUVY Alfred, (1972), « Histoire
économique de la France : entre les deux guerres », Editions
Fayard, p.380-381
SCHMITZ Jean-Marie, (2005), « Doctrine
sociale, vision chrétienne du travail et développement de la
personne », Académie d'Education et d'Etudes Sociales, Travaux
2004-2005.
SIAGH Lachemi, (2003), L'Islam et le monde
des affaires : argent, éthique et gouvernance, Paris, Editions
d'Organisation.
TAYEB Monir, (1997), « Islamic revival in
Asia and human resources management », MCB University Press, Vol.19,
n°4, p.352-354
VINTROU Françoise (2006), «
Management et dialogue social » (Entrevue avec Nicolas de Coignac),
Dirigeants Chrétiens, n°20, p.10-12
Sites Internet
www.vatican.va
www.lesedc.org
www.catholique.org
www.uniapac.org
www.mcc.asso.fr
www.cftc.fr
Table des matières
Page
Remerciements 5
Introduction 7
I. Les principaux textes de l'Eglise sur le monde du
travail 12 et l' éthique d'entreprise
I.1- Les principales encycliques sociales sur le travail
de Léon XIII à Jean- 12
Paul II
I.1 .a Léon XIII : Encyclique « Rerum
novarum » sur la condition des ouvriers 12
(1891)
I.1 .b Pie XI : Encyclique « Quadragesimo
anno » sur l'instauration de 14
l'ordre social (1931)
I.1 .c Jean-Paul II : Encyclique « Laborem
exercens » sur l'homme 16
au travail (1981)
I.1 .d Jean-Paul II : Encyclique « Sollicitudo
rei socialis » sur la préoccupation de 18
la question sociale (1987)
I.1 .e Jean-Paul II : Encyclique « Centesimus
annus » sur les cent premières 19
années de pensée sociale de l'Eglise (1991)
I.1 .f Benoît XVI : Encyclique « Deus
caritas est » sur le Dieu amour (2005) 20
I.2 - Quelques interventions (lettres et allocutions) des
papes dans le monde 21
des ouvriers et des dirigeants
I.2.a Pie XII : Allocution aux représentants des
organisations patronales et 21
ouvrières de l'industrie électrique italienne
(Rome, 25 janvier 1946)
I.2.b Pie XII : Allocution au 9ème
congrès de l'UNIAPAC (Rome, 7 mai 1949) 21
I.2.c Pie XII : Allocution au 1er
congrès national de la petite entreprise 22
(Rome, 20 janvier 1956)
I.2.d Pie XII : Lettre à la 43ème
Semaine Sociale de France sur les exigences 23
humaines de l'expansion économique (Marseille, 17-22
juillet 1956)
I.2.e Paul VI : Lettre aux Assises Nationales du CFPC sur
le chef d'entreprise et 24
l'avenir de la société industrielle (Lille, 27
avril 1970)
I.2.f Jean-Paul II : Discours lors de sa rencontre avec le
monde du travail 24
(Barcelone, 7 novembre 1982)
I.2.g Jean-Paul II : Discours aux ouvriers et dirigeants
de l'usine 25
Lancia - Auto (Chivasso, 19 mars 1990)
I.2.h Benoît XVI : Discours aux membres de l'Union
chrétienne 26
des chefs d'entreprises (UCID) (Rome, 4 mars 2006)
I.2.i Benoît XVI : Discours aux dirigeants des
associations chrétiennes 26
des travailleurs italiens (ACLI) (Rome, 27 janvier 2006)
I.3 - L'éthique d'entreprise 28
I.3 .a Une discipline nouvelle 28
I.3.b L'élaboration et la diffusion de l'éthique au
sein d'une entreprise 29
I.3.c Ethique et responsabilité de l'entreprise
vis-à-vis de ses parties 32
prenantes et de l'environnement
I.3 .d Ethique et responsabilité des salariés 35
I.3.e Les différentes visions des pays vis-à-vis de
l'éthique 36
A - Business ethics à l'américaine 36
B - L'éthique communautaire asiatique (Japon et Chine)
37
C - L'éthique au sein de la communauté
européenne 39
D - L'éthique dans les pays islamiques 40
I.3 .f Ethique sociale et efficacité économique :
une compatibilité possible et 42
nécessaire
II. Les principes de la doctrine sociale de
l'Eglise 45
II.1 - Le bien commun 45
II.2 - La subsidiarité 47
II.3 - La solidarité 48
II.4 - La destination universelle des biens 50
II.5 - Le travail 52
II.6 - La centralité de la personne humaine 55
II.7 - La participation 56
II.8 - La justice sociale 57
II.9 - L'importance de la famille pour la personne 58
III. Les fondements d'un modèle de management
chrétien 62
III.1 - Le leadership chrétien 62
III.2 - La co-gestion, la subsidiarité et la
délégation 66
III.3 - La culture d'entreprise 68
III.4 - Le dialogue social 70
III.5 - L'importance des syndicats 71
III.6 - Le juste salaire 73
III.7 - L'entreprise verte 75
IV. Quelques associations d'entrepreneurs et de cadres
chrétiens : 78
localisation, membres et activités
IV.1 - L'Union Internationale Chrétienne des Dirigeants
d'Entreprise (UNIAPAC) 78
IV.2 - Les Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens (EDC)
80
IV.3 - Le Mouvement Chrétien des Cadres et Dirigeants
(MCC) 82
IV.4 - ... et du côté des travailleurs: La
Confédération Française des Travailleurs 84
Chrétiens (CFTC)
V. Témoignages et
évaluations 87
V. 1 - Résumé du témoignage de Pierre
Deschamps (Entretien le 6 mars 2007 au 89
siège des EDC)
V.2 - Résumé du témoignage d'Emmanuel
Gravier (Entretien le 8 mars 2007 au 95
siège de RésoElec)
V.3 - Résumé du témoignage
de Xavier Grenet (Entretien du 11 mai 2007 au 101
siège de St-Gobain)
Conclusion 108
Annexes 113
Annexe 1 De la révolution de 1848 à l'encyclique de
Léon XIII 113
Annexe 2 L'ISO jette les base des lignes directrices ISO 26000
pour la 115
responsabilité sociale
Annexe 3 Délégation et subsidiarité dans la
Bible 118
Annexe 4 Entretien avec Gérald Roux, directeur
général de Koné Ascenseurs 120
Références 123
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