2.1.2 Les auteurs anglo-saxons traduits dans les collections
françaises.
Le besoin de consommer américain, après la fin
de la deuxième guerre mondiale, se matérialise entre autres dans
l'apparition des premières oeuvres d'auteurs américains traduites
dans des collections françaises. Déjà dans les
années trente, certains auteurs noirs américains sont
publiés chez Gallimard dans la collection « Chefs-d'oeuvre du
roman d'Aventure ». Ainsi, en 1932, Dashiell Hammett avait
publié The glass key, dont l'illustration est
influencée par le style des Detective magazines. Proche du
genre « faits divers illustrés », on montre en gros
plan, dans un cercle formé par la tête d'une clé, une femme
terrorisée. Ceci s'inscrivant dans le contexte de violence et de peur
généré notamment par l'épisode de la prohibition.
Il est intéressant de mettre en parallèle illustration originale,
marquée par le contexte américain et sa réappropriation
dans l'édition française chez Gallimard. Plus sobre,
l'édition française se contente de suggérer l'orientation
du texte en disposant des indices en première de couverture. La
clé est toujours présente, dont on devine qu'elle est un
élément important du roman et le serpent, qui ne figurait pas
dans l'édition originale. Notons le passage à la photographie,
dans les deux cas, dans un souci de réalisme.
Plus généralement, les collections
françaises vont privilégier les auteurs dont le nom évoque
l'Amérique. Toujours chez Gallimard, la « Série
Noire » est crée en 1945 et ne publiera pendant longtemps que
des auteurs anglo-saxons. Notons que dans le domaine de l'illustration de
couverture, la tendance française est à l'édulcoration,
quand l'édition originale est trop stigmatisée par le contexte.
Voyons d'abord l'exemple d'un roman de Peter Cheyney, Sinister errand,
publié en 1946 par les Presses de la cité. La similitude entre
l'édition originale et l'édition française est frappante.
Dans les deux cas, le titre en lettres blanches se détache sur fond
noir ; le choix de la police est le même. L'illustration, assez
sobre, ne donne aucune indication au lecteur. Pas de modification, car pas de
stigmatisation. Mais dans cet autre exemple, le célébrissime
roman de James Hadley Chase, No orchids for miss Blandish, 1938,
l'illustration de couverture est radicalement modifiée par
« la série noire ». S'inscrivant dans la mouvance de
l'engouement pour tout ce qui vient d'Amérique, le livre est
inspiré du contexte de violence américain. L'illustration de
l'édition anglaise rappelle immanquablement les illustrations des
Detective Magazine. L'histoire, celle d'une jeune
héritière milliardaire, enlevée la veille de son mariage,
dont la vie bascule en enfer, pourrait d'ailleurs faire la une des journaux
spécialisés américains. L'illustration originale montre
une jeune femme légèrement vêtue sur fond noir dans une
pose alanguie. L'expression du visage est ambiguë, entre souffrance et
invitation au plaisir ; comme dans les Detective Magazines, la
femme n'est jamais tout à fait une victime, mais un être a double
visage. La stratégie commerciale du roman de Chase reprend donc celle
des éditeurs américains. L'image a elle seule annonce le
texte qui bascule dans un univers de violence et de sexe. Publié
dans la « Série Noire » en 1946, le traitement de
l'illustration est tout à fait différent. Très sobre -
nous verrons que la stratégie de Gallimard s'inscrit dans une
démarche différente -, la couverture du roman de Chase se limite
à un fond noir sur lequel se détache en haut, police blanche, le
nom de la collection, le nom de l'auteur, et le titre tranche en jaune, dans
une police plus large. Plus d'image chez Gallimard. Ceci n'est pas un hasard ou
une négligence ; les collections françaises on joué
une importance capitale dans le développement du roman noir
français et la démarche commerciale de chacune repose sur
l'illustration des couvertures.
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