2. Le jeu des provocations et leurs
destinataires :
Provocation : Technique de communication qui a pour but
d'inciter une personne à agir, à réagir. Elle peut
être de différents ordres et avoir différents buts. Elle
consiste à prêcher le faux pour avoir le vrai, obligeant l'autre
à se justifier. Si l'autre ne se justifie pas cela permet de donner
l'illusion de la validité des idées et du raisonnement, on
retrouve cette idée dans le vieil adage « le dernier qui parle
à toujours raison.
Elle diffère de l'argumentation car elle mobilise un
ensemble de techniques permettant de rendre la présentation des faits
insupportable pour le locuteur auquel elle s'adresse. Le silence pouvant
être interprété comme une acceptation implicite. Le fait
que les univers médiatiques soient hermétiques permet
d'empêcher le dialogue et donc d'accentuer ce phénomène, le
fait que les médias soient contrôlés empêche le
débat intérieur. Un locuteur emploie ces techniques dans divers
buts. Le débat politique est un lieu de confrontation d'opinions
où les faits et la réalité sont souvent moins importants
que la joute orale et la démonstration. Suivant le public auquel est
adressé le discours les provocations seront plus ou moins claires,
tranchantes. Il est intéressant de voir si les provocations,
diffamations et injures se retrouvent face à tous les publics, par
exemple si on ne les trouve que dans le cadre national et dans des milieux
gagnés ou peu contestés. Le statut de l'individu qui utilise ses
techniques de communication est aussi important, son degré d'exposition
dans les médias internationaux, sa fonction, ses responsabilités.
La provocation ici, se base sur des assertions fausses ou
réductrices, de la diffamation, des insultes ouvertes ou voilées,
utilisant les mots afin de toucher le pathos de la personne provoquée.
Elle se base sur la mobilisation de la signification implicite ou explicite des
mots ou associations de mots employés en jouant sur les
présupposés, les sous entendus. Elle peut donc utiliser la
rhétorique dans le but de provoquer. Elle peut également utiliser
le raisonnement dans l'absurde ou dans l'absolu, allant contre le bon sens, la
rationalité ou la légalité, en avouant ouvertement une
infraction à l'ordre commun afin de provoquer une vive réaction
de l'autre. Enfin est considéré comme provocation l'annonce d'un
plan ou d'une ambition qui va contre les droits ou les projets d'un adversaire
ou qui fait peser une menace à terme sur lui.
La provocation est punie par exemple par la loi
française lorsqu'elle appelle à la haine ou à la
discrimination et lorsqu'elle porte sur un attribut d'une personne ou d'un
groupe de personnes. La diffamation et l'injure sont, elles aussi punies par la
loi française. La provocation est aussi punie par l'article 7 de la
déclaration universelle des droits de l'homme quand elle incite à
porter atteinte à ces droits. La provocation et la diffamation
représentent les outils principaux d'une stratégie de
contestation.
a. Analyse des
données en fonction de l'auteur :
Parmi le corpus, on remarque que les officiels en poste
à l'AIEA et les anciens officiels provoquent peu. Si l'on prend les
discours du président Ahmadinejad les provocations se font sous la forme
de phrases claires, argumentée, exposant ouvertement son point de vue.
Elles veulent faire un bilan et clamer l'impuissance et la perversion du
système international. Il fait appel au champ lexical et
sémantique du mouvement des non alignés et de l'intégrisme
religieux.
Ensuite dans le discours de l'Ayatollah Khamenei, on peut
clairement identifier ici aussi le champ lexical des non alignés. Il
relève des contradictions du monde, oppresseur/ oppressé, il
tente de trouver des stratégies mises en place par l'ennemi ce qui
permet d'insister sur l'idée de résistance en utilisant des
raisonnements et des déclarations du type « nous ne voudrons
jamais, on ne peut pas ». Il essaye de mettre en lumière un
complot des puissances qui veulent « grâce à leurs
moyens médiatiques et leurs réseaux politiques »,
«s'ingérer dans le monde » et « contrôler
la république islamique d'Iran ». Il est le décideur
final dans la chaîne de gouvernement, c'est son discours qui est le plus
instructif. Un autre aspect de son discours est la référence
à dieu et au caractère divin de la résistance et de
chacunes des actions. « Si nous ne nous défendons pas, dieu
nous le reprochera », « Les pressions historiques auraient
tué n'importe qui mais pas nous, nous sommes bénis, aidés
de dieu ». On trouve des phrases chocs, montrant l'inutilité
des sanctions, des pressions. « Les sanctions n'ont servi qu'à
développer l'armée, les potentialités locales ».
L'Ayatollah Khamenei utilise des dictons, faisant appel au sens commun et au
« pathos » de l'interlocuteur : « On ne peut
pas prendre la proie au loup par la négociation, il faut lui la prendre
par la force ». On trouve aussi des provocations mettant en jeu le
futur, de type « nous ne sommes qu'au début du chemin/ la
jeunesse achèvera la voie », qui renvoie à un futur
dont personne ne peut être sûr et qui donc donne la force à
cette assertion. Un grand nombre de techniques sont utilisées pour
convaincre sa population et représentent une provocation pour le lecteur
étranger ou ne partageant pas le même paradigme de pensée.
L'Ayatollah Khamenei utilise des néologismes « Djihad
universitaire », et lance même « l'année
de "l'innovation" ». Il utilise enfin des figures de
rhétoriques « ils nous sanctionnent alors qu'ils sont, eux
aussi coupables », argument utilisant un cliché commun, qui
tente de disqualifier l'auteur car il n'est pas parfait et permet de
dévier la réponse au sujet. Il y en a d'autre « le
Djihad universitaire est une flèche qui atteint l'ennemi en plein
coeur », ici on procède par analogie, après avoir
expliqué que le djihad universitaire était un outil pacifique de
résistance à l'ennemi et avoir proposé comme
réussite ultime de ce « combat » l'invention d'un
radar, il le compare à une flèche en plein coeur. Ce qui renvoie
à un champ sémantique très hostile et menaçant la
vie de son ennemi.
Le troisième acteur présent est l'imam Yazdi. Il
n'y a dans le corpus qu'un seul de ses textes cependant il nous livre un bon
aperçu de ses convictions. Ses propos sont clairs, mais rentrent en
contradiction avec certains aspects du discours de l'Ayatollah Khamenei. La
principale singularité est qu'il rejette lui la science dans son
discours, « Eradication of innovation, corruption and
superstition ». Cette phrase est dérangeante et montre que
l'ensemble des acteurs ne partage pas la même opinion en Iran, il n'y a
pas de pensée unique, même chez les plus conservateurs. Pour lui
le système international est une coalition des forces de
l'infidélité et de l'hypocrisie, servant du dollar et qui
viennent soumettre et voler les pays pauvres. Toujours un mélange de non
alignés et de marxisme. En tant qu'iman il fait bien sûre
référence à la religion et emploi un terme que seul le
président américain peut se permettre de prononcer, pour lui les
puissances hostiles mettent en place une « Neo Crusade against the
progress ». Chose qui est difficile à comprendre car elle
rentre en contradiction avec le propos précédent. Pour lui il
faut éradiquer l'innovation pour faire vivre les lois sacrées
mais il se plaint après du fait que les États hostiles
l'empêchent de progresser. Ce mot renvoyant clairement à la
science et donc à l'innovation.
Enfin il reste les documents provenant de l'IRNA. On trouve
principalement des tentatives de diffamation et de discréditation. Elles
essayent de convaincre les récepteurs du message par la déduction
logique. Voilà quelques exemples codés après
analyse :
«Iranian doesn't need US => US deprive Iranian nation
from legal rights»
«Fully acknowledge in private => bargain directly in
order to take advantage»
«Send wrong information => politicised nuclear
case»
«No compromise => brake bilateral agreement; become
never ending demand»
On trouve des menaces de vengeance, de divulguer des
informations :
«God will humiliate the great power; Lot of untold
stories about Iranian nuclear program; any country moving in line of super
power would suffer lost and taste the agony of defeat »
La presse fait des références au passé en
«remuant le couteau dans la plaie» ou en rappelant des faits d'armes
dans la résistance
« anti-hégémonique » : « Nuclear
issue is 100 times as important as oil nationalisation»
On trouve enfin des affirmations fausses ou intenables faisant
plus appel au pathos des interlocuteurs :
« if they think they can force Iran to negotiate
from lower position they should know that this era as ended ; Iran will not
longer negotiate as it become normalized ; Would reject any incentive ; if
there any pre condition , they should be ours; Iran mastered the nuclear energy
for peace full purpose; Iran nuclear energy is totally
indigenous »
Grâce à cette distribution en fonction des
auteurs on peut remarquer que les provocations vont decrescendo en fonction de
l'exposition médiatique internationale et de la proximité avec
les organismes internationaux. Cela peut être expliqué par la
socialisation que procurent les régimes, les acteurs loin des forums
internationaux et de la médiatisation provoquent plus que ceux qui sont
devant la scène.
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