SOMMAIRE
Introduction.................................................4
1.
Diagnostic des dysfonctionnements du système.7
11 Fonctionnement de la planification
centralisée soviétique et ses
implications................................7
111. Traits généraux de la
centralisation............................... 7
112. Le financement du
plan............................................ 9
113. Le système
bancaire............................................... 10
114. Le commerce
extérieur............................................. 11
115. Un faible progrès
technique......................................12
116. Emergence d'économies
parallèles..............................13
117. La planification : une logique à long
terme.....................16
118. Problème induit
par le système d'économie planifiée........18
119. Le rôle passif de la
monnaie.....................................19
12 Le salariat et l'organisation du
système..............21
121. Problème sur le marché du
travail................................21
122. Organisation et planification de
l'industrie.....................22
123. Organisation de
l'économie......................................23
124. Organisation de l'agriculture, des formes de
propriété
inadaptées..........................................................................24
125. Organisation de la production déficiente et
économie de
pénurie..............................................................................25
126. Le rôle des
syndicats..............................................30
127. Démographie, Rémunération
et problèmes de répartition... 31
128. Tendance de
consommation..................................... 33
129. Pénurie de main d'oeuvre et
suremploi......................... 34
2 La perestroïka comme réponse aux
dysfonctionnements.......................................
36
21. Les tentatives antérieures de
réforme du système36
22. Mise en oeuvre de la transition : la
perestroïka........... 38
221 Traits généraux de l'économie de
transition............. 38
222 Justification de la
perestroïka.............................. 39
23. Les réformes du coeur du système
économique............ 42
231. Dégraissage de la hiérarchie
bureaucratique........... 43
232. La réforme des
salaires................................... 44
233. Retour du commerce de gros............................ 45
234. La réforme des
prix....................................... 45
235. Refonte du
crédit.............................................46
236. Réforme de la monobanque.............................
47
237. Réorganisation de la
R&D................................ 47
24. Réformes périphériques de
nature économique........... 48
241. Le commerce
extérieur................................... 48
242. Réforme de
l'agriculture.................................. 50
25. Les réformes périphériques
dépassant le cadre de
l'économie....................................................................
53
26. Bilan et implosion du
système................................ 57
Conclusion...................................................
64
Bibliographie.............................................................66
Introduction
L'économie soviétique se trouve au début
des années 80 dans une situation alarmante. Son système
économique basé sur une économie centralement
planifiée révèle bien des imperfections. Ces
incohérences sont alors le résultat d'un demi-siècle
d'immobilisme devant un système qui se fissure. Le système de
planification centralisé instauré en URSS à la fin des
années 20 est resté pour l'essentiel inchangé pendant les
cinquante années qui ont suivi. Evidemment, les différents
gouvernants ont tous leur part de responsabilité à des
degrés divers. En effet, si Khrouchtchev a tenté, sans
succès, des changements, il n'en a pas été de même
pour ses successeurs. En atteste l'ère Brejnev qui dirigea le pays
pendant vingt ans, et dont le passage au pouvoir fut marqué par un
immobilisme absolu et qualifié par Gorbatchev de période de
stagnation. Enfin, le passage des gérontocrates Andropov et de
Tchernenko sont quasi négligeables en raison de leur durée (trois
ans à eux deux !), mais n'en sont pas moins
révélateurs d'une tendance au conservatisme et au statu quo.
Ainsi à son arrivée au pouvoir, Gorbatchev
trouve l'économie dans une situation catastrophique dans laquelle les
dysfonctionnements systémiques sont la règle et
l'efficacité l'exception. Les facteurs d'inefficacité
touchent toutes les composantes de l'économie et repose sur des causes
de natures idéologique, organisationnelle, systémique... Ces
innombrables incohérences amènent à s'interroger sur la
pertinence de la planification en tant que mode de fonctionnement
économique mais aussi dans la façon de la pratiquer avec les
modes d'organisations qui en découlent. Les caractéristiques en
terme de monnaie, de marché du travail (et de ses conséquences
sur les salaires), de conditions de travail, de comportements individuels d'un
tel système s'éloignent largement de ce que l'on a l'habitude
d'observer dans les systèmes capitalistes traditionnels. C'est donc dans
un état d'esprit volontariste que Gorbatchev a souhaité rompre
avec l'héritage d'une certaine pratique de la planification et sortir le
pays d'un système qui le conduisait vers un inexorable déclin.
Ainsi la perestroïka qu'il lance à partir de 1985 pose le
problème de la transition. Cette transition du plan vers le
marché a été aujourd'hui adoptée par la
totalité des économies socialistes européennes avec plus
ou moins de succès. Elle se retrouve devant un choix : soit, elle
choisit de réaliser le passage ambitieux, mais risqué, de
l'économie soviétique dans l'ère moderne, soit, elle
maintient un système, certes archaïque, mais qui a fait la preuve
de son efficacité quant à l'atteinte de ses objectifs
idéologiques.
L'étude de l'économie russe nécessite une
approche particulière car il est impossible d'évoquer cet
héritage sans évoquer le poids de l'histoire et le rôle de
l'idéologie. En effet deux éléments d'analyse se
dégagent :
D'une part, l'économie soviétique n'a pas le
même statut d'autonomie par rapport aux autres composantes de la vie
sociale dans les pays occidentaux. Toutes les dimensions du système
social soviétique sont intimement liées, mais elles semblent
largement déterminées par l'idéologie et la politique.
Idéologie par la double utopie communiste d'édification d'une
société sans classe et d'entraînement du reste de
l'humanité dans le sillage de la révolution. Politique ensuite
par la prise en charge par un parti, très fortement organisé, de
l'ensemble de la vie sociale d'un pays immense pour mettre en oeuvre, envers et
contre toutes les résistances, cette utopie. Ainsi, l'économie ne
peut être comprise que par référence à la politique
et à l'idéologie.
D'autre part concernant les comportements de la population,
ceux-ci ne sont pas dictés par l'appartenance à un groupe ou
à une classe sociale. En Union soviétique les comportements sont
d'abord individuels, même s'ils sont soumis à des contraintes
étatiques très fortes. Il en résulte qu'aux
décisions politiques, prises souvent de façon arbitraire dans le
domaine économique, vont répondre des comportements rationnels
d'ajustement individuels. Par exemple une baisse de salaire réel va
provoquer non pas un mouvement de protestation ou de grève, mais une
augmentation de l'absentéisme.
Il apparaît donc important de poser avant toute analyse
ces ressorts psychologiques qui contribuent à expliquer la trajectoire
de l'économie soviétique.
Cette trajectoire a été sinueuse pour
l'économie. A cet effet, la perestroïka et la glasnost devaient
aider à sortir de la crise grâce à une réforme de
nature principalement économique mais s'attaquant aussi aux
problèmes concernant la société, l'administration le
système politique et les relations internationales. Gorbatchev s'attaqua
à ces divers problèmes mais se heurta à l'obstruction de
tous ceux qui bénéficiaient du système. C'est pourquoi on
peut résumer la perestroïka en disant qu'elle s'apparente avant
tout à une lutte entre un homme voulant réformer son pays avant
qu'il ne s'effondre totalement et les inerties d'un système tentaculaire
dont profite une classe de privilégiés.
Ainsi nous nous interrogerons tout au long du
mémoire sur ce qui a poussé Gorbatchev à réformer
l'économie russe et pourquoi cette réforme n'a pas connu le
succès escompté ?
Nous nous efforcerons de répondre à ces
interrogations en démontrant dans une première partie en quoi la
perestroïka était nécessaire en expliquant les
dysfonctionnements de ce système.
Dans un second temps nous expliciterons le contenu des
réformes de Gorbatchev et nous expliquerons les raisons de leur
échec.
1 Diagnostic des dysfonctionnements du
système
11 Fonctionnement de la planification
centralisée soviétique et ses implications
111. Traits généraux de la centralisation
Qu'est ce que la planification ?
A l'instar du marché, les représentations que
l'on peut se faire de la planification sont parfois simplistes et peu
réalistes. En Union soviétique, le plan est une somme de nombreux
plans hiérarchisés, qui constituent un ensemble de projets
initiés des plus hauts niveaux de la hiérarchie économique
vers les niveaux inférieurs. Cet ensemble de plans doit aboutir en fin
de compte à une cohérence globale. Néanmoins «la
planification doit, en réalité, être comprise comme un
processus ininterrompu, complexe, mouvant et contradictoire, comme un ensemble
de rapports économiques qui s'établissent entre les divers agents
de la structure économique, et dans lequel les différents plans
ne représentent qu'un moment, certes important, mais lui-même
transitoire»1(*). Il
convient donc de différencier dans l'analyse élaboration et
exécution des plans, compte tenu des différences
considérables entre le plan sous son aspect formalisé et le
même plan dans son processus réel dans lequel apparaissent des
rapports de force entre agents aux motivations antagonistes.
La planification soviétique combine les
différents aspects décrits ci-dessus : elle peut être
décomposée d'une part en une planification plutôt
indicative à moyen long terme (plans quinquennaux et orientations
à dix ou quinze ans) qui correspond à une stratégie de
développement à très long terme défini par le
parti, et d'autre part en une administration économique (la
planification annuelle), beaucoup plus détaillée et
impérative, qui assure la gestion courante des activités de
l'Etat Monopole.
La planification centralisée est
considérée comme un instrument privilégié des
économies socialistes. Ce système est basé sur un pouvoir
de décision détenu par le centre qui choisit les grandes
orientations macroéconomiques (nous y reviendrons par ailleurs). Une
telle organisation peut apparaître efficace, mais induit des
difficultés dans le fonctionnement. C'est un des aspects qu'aborde W.
Brus dans ses ouvrages2(*).
Le point de départ de sa réflexion est constitué par la
constatation des difficultés réelles rencontrées par une
certaine pratique de la planification centralisée dans les pays
socialistes. Parmi les difficultés on constate que plus une
économie nationale se diversifie, plus le nombre des produits qu'on y
fabrique s'accroît, plus les techniques de production mise en oeuvre se
multiplient, plus, aussi, une forme déterminée de centralisation
risque de devenir inefficace. En effet le centre peut se trouver
submergé par le nombre et la complexité des problèmes
à régler et par la multitude des connaissances et des
informations dont il faut disposer pour les résoudre correctement. Ceci
induirait la mise en place d'une certaine forme de décentralisation et,
également, poserait le problème des diverses formes de liaisons
entre unités de production. Par ailleurs on peut dire que, si la
centralisation des décisions est effectuée dans de mauvaises
conditions, il existe un risque considérable de voir se multiplier les
décisions non fondées, irréalistes ou totalement
inadéquates. Ceci peut, non seulement freiner le développement
des forces productives mais encore aboutir à une situation ou les
décisions prises centralement deviennent formelles. Ainsi, dans ce cas,
le contrôle réel s'effectuant alors à un autre niveau que
celui dont on proclame l'autorité peut entraîner des
conséquences de plus en plus difficiles à maîtriser.
Pour poser une justification économique au recours
à une économie planifiée, Brus explique que « la
supériorité du système socialiste sur le capitalisme se
traduit par la possibilité d'utiliser pleinement les capacités
productives (...), le socialisme est non seulement un système plus
juste mais aussi plus rationnel du point de vue économique. »,
il souligne pour illustrer cela le confort social pour la main d'oeuvre que
représente la suppression du chômage structurel, ou encore le
sentiment d'appartenir à un système plus égalitaire.
Néanmoins il n'élude pas les conséquences
négatives de la planification. En effet il met en exergue les
défauts du système parmi lesquels il perçoit en la
non stimulation du travailleur (qui se voit assurer salaire et emploi) une
limite importante.
De manière plus générale un ensemble
particulièrement complexe est lié d'une part à la question
de la direction économique centralisée et, d'autre part, aux
conditions exigeant un développement maximum de l'initiative de tous les
maillons économiques et une participation active des masses à la
gestion. L'émulation active, créatrice des masses dans
l'activité économique suppose une marge d'autonomie des maillons
économiques, or, la centralisation signifie quelque chose de
diamétralement opposé c'est à dire la concentration du
pouvoir de décision.
L'examen précis des relations plan/marché dans
l'économie soviétique nous permet donc de dire que plan et
marché cohabitent en s'opposant.
Brus explique en conséquence que si la planification
à des vertus et s'appuie sur des fondements théoriques, la
pratique en situation de celle-ci amène à des incohérences
que nous nous efforcerons de décrire.
112. Le financement du plan
La planification financière, dans le cadre du plan
quinquennal, doit assurer que les entreprises et les ménages disposent
de suffisamment de revenus pour pouvoir acquérir les biens et les
services produits dans le cadre du plan. Le plan financier se décompose
en plusieurs plans imbriqués : Le budget de l'Etat, la
planification des crédits, la planification des liquidités, la
balance des revenus et des dépenses des ménages.
Le budget de l'Etat établi par le ministère des
finances draine des revenus principalement en provenance des entreprises et des
ménages. Les deux principales sources de revenus du budget proviennent,
chacune pour 30% de l'impôt sur le chiffre d'affaire et de l'impôt
sur les profits dégagés par les entreprises. Le reste provient de
différentes sources, l'impôt sur le revenu des personnes
privées qui est relativement faible, et l'impôt sur les
salariés de l'Etat.
L'impôt sur le chiffre d'affaire est
intégré dans le prix des biens de consommation.
Du coté des dépenses, le budget affecte une
grande partie des ressources (60%) à des usages qui ne peuvent pas
être financés par le revenu des ventes des entreprises. Dans cela
on trouve le financement des infrastructures, des services collectifs, mais
aussi et surtout une grande part de la production par le biais de prêts
et subventions à la production courante dont 30% sont utilisés au
financement de la culture et de la science et seulement 5% sont
consacrés au financement de la défense. Concernant la
défense la réalité serait supérieure à
5% ; on estime en réalité à 15% le poids des
dépenses militaires qui serait en fait affectée à
différents postes des dépenses budgétaires3(*). Il apparaît par exemple
que le poste «financement de l'économie nationale» contient
les frais de production des armements ou encore le poste«dépenses
socio-culturelles» qui contient le financement de la R&D militaire. On
est donc loin de la transparence.
113. Le système bancaire
Dans la mise en oeuvre de la planification, la Banque
nationale (gosbank) occupe une place prépondérante.4(*) Elle assure plusieurs fonctions
qui sont normalement remplies dans les économies du marché, par
plusieurs institutions : elle est à la fois banque
d'émission, Trésor public, banque de dépôts, banque
d'investissements. Elle assure les opérations financières pour le
compte de l'Etat et sert de banque aux entreprises, elle collecte les
dépôts provenant des ménages : elle émet la
monnaie, détient les réserves d'or et de devises
étrangères, collecte les impôts pour le compte du
ministère des finances, détient les fonds de l'Etat et assure la
distribution des subventions aux entreprises. Parallèlement, elle assure
d'autres fonctions spécialisées comme les prêts sectoriels
(construction, commerce extérieur), collecte de l'épargne des
ménages. C'est donc un système monobancaire. Par ailleurs la
Banque centrale joue un rôle essentiel dans la centralisation des
ressources financières des entreprises.
Elle analyse les prêts et les subventions à
destination des entreprises et elle gère les revenus et les
liquidités de celles-ci, leur interdisant de mobiliser les ressources,
d'opérer des prêts à d'autres entreprises. La banque d'Etat
peut ainsi contrôler tous les revenus et les transactions
réalisées entre les entreprises, vérifier leur
conformité avec les plans qui les concernent. Cela constitue le
contrôle du plan par le rouble. Parallèlement, la Banque d'Etat
établit le plan de crédit à l'économie en
répartissant les crédits planifiés parmi les entreprises
d'Etat et les coopératives ainsi qu'un plan de liquidités
prévoyant le volume de monnaie nécessaire pour assurer les
transactions entre les différents agents économiques.
Théoriquement, le plan prévoit que la
totalité de l'offre doit être consommée par les
ménages. La réalité ne vérifie pas cela. En effet,
les revenus des ménages sont supérieurs à la somme des
ventes. Les ménages ne peuvent pas consommer la totalité de leur
revenu et se trouvent en situation de surliquidité. Ceci s'explique
notamment par une pénurie des biens disponibles sur le
marché5(*).
La spécificité dans ce cas précis se
situe dans le fait que, là où le fonctionnement naturel du
marché aboutirait à l'absorption de cette surliquidité par
un phénomène d'inflation, la fixation des prix (cf. le rôle
passif de la monnaie) empêche de fait toute tendance inflationniste. Cet
excédent monétaire de la population est donc utilisé dans
des circuits parallèles et notamment dans la seconde économie
(cf. La seconde économie : le secteur privé légal et
illégal)
114. Le commerce extérieur
Contrairement à l'idée que l'on peut se faire
selon laquelle l'URSS aurait une économie quasi autarcique, le commerce
extérieur joue un rôle important. L'Etat a, en Union
Soviétique, le monopole du commerce extérieur. Comme tous les
participants au marché mondial, l'Etat soviétique a
intérêt à échanger et à se
spécialiser. Cette spécialisation s'est opérée
notamment dans les productions pétrolière et gazière dans
un premier temps, puis agricole dans un second temps.
Pierre Georges explique dans son ouvrage6(*) que le fonctionnement du
commerce extérieur en URSS est centralisé par le ministère
du commerce extérieur. Il achète aux entreprises
soviétiques aux prix intérieurs les produits qu'il exporte contre
les devises à l'étranger, et réalise les opérations
inverses pour les importations. Pour décider de la
spécialisation, le ministère du commerce extérieur
applique la procédure suivante :
- Tout d'abord, il compare les prix relatifs internationaux et
intérieurs pour sélectionner les produits à exporter et
à importer
- Ensuite, il recherche le maximum de différence entre
importations et exportations valorisées aux prix intérieurs
- Enfin il fait produire aux entreprises nationales les
exportations prévues
Pour faciliter ces tâches, le ministère convertit
les prix étrangers exprimés en toutes sortes de devises, en une
unité de compte spéciale appelée rouble devise selon un
barème de change unique.
Ensuite existe le rouble intérieur qui est une monnaie
inconvertible. Chaque produit dispose d'un coefficient spécifique :
par exemple, dans le cas céréales/petrole, 1$ vaut 1 rouble pour
les céréales, mais 1$ vaut 0,4 roubles pour le pétrole.
Les négociations commerciales de l'Etat monopole soviétique avec
d'autres Etats portent donc en général sur des paquets
d'échanges, et doivent donc se faire séparément avec
chaque Etat : c'est donc un système de bilatéralisme.
Le bilatéralisme a des inconvénients. Il tend,
en effet, à réduire le volume des échanges aux
capacités d'exportations du pays qui a les plus faibles
capacités, ou d'obliger le pays ayant des capacités plus
élevées d'accepter des biens dont il n'est pas très
demandeur.
115. Un faible progrès technique
Le culte du progrès technique constitue depuis
longtemps un des piliers de l'idéologie soviétique officielle,
surtout depuis que le régime s'est fixé comme but, il y a
cinquante ans, de rattraper et dépasser les pays capitalistes
avancés. Pourtant, l'Union soviétique connaît un
décalage important entre la science et la production. En effet son
appareil scientifique est considérable, mais trop souvent la science est
coupée des bureaux de réalisation et ceux-ci de la production. De
plus on observe dans le comportement des managers une attitude
concentrée sur le court terme. (Aspect que l'on retrouve aujourd'hui
dans le capitalisme traditionnel pour des raisons différentes). La
réalisation du plan en cours demeure leur préoccupation
principale. Or le progrès technique recèle en lui-même la
nécessité d'une vision à long terme. De plus l'innovation
suppose une prise de risque qui n'est pas stimulée dans un tel
système. Ces blocages en terme de possibilités d'innovations
prennent trois formes :
- Une modification technique pourrait induire un temps
d'adaptation qui pourrait nuire à la réalisation du plan.
- La prééminence d'objectifs quantitatifs
n'incite pas spécialement à l'amélioration de la
qualité
- La rigidité du système de prix (cf. rôle
passif de la monnaie) fait que l'entreprise ne profite pas d'une
amélioration de la productivité.
On comprend ainsi le peu d'intérêt qu'ont les
gestionnaires à innover.
Par ailleurs la possibilité pour les entreprises de
financer les réparations en capital sur leurs fonds d'amortissement
pousse les entreprises à réparer et maintenir en activité
des équipements souvent obsolètes. Abel Aganbeguian7(*) conseiller économique de
Gorbatchev explique que les inconvénients de cette situation sont
multiples :
- L'hypertrophie des dépenses de réparation
- La ponction de force de travail sur les productions
existantes, puisque l'ensemble de l'investissement va aux nouvelles
constructions
- Le maintien d'un fort taux de travaux manuels
- La baisse du rendement du capital en raison
d'équipements obsolètes et du fait qu'une partie des emplois
reste vacante
Ainsi les unités ont comme particularité d'avoir
en même temps des équipements anciens et très
récents. Ces différences considérables ne permettent pas
la mise en place de normes de production communes et compliquent les effets de
la planification.
116. Emergence d'économies parallèles
Comme nous l'avons noté précédemment, les
incohérences de la planification, y compris les problèmes de
pénurie, aboutissent à l'apparition d'économies
parallèles en plus de l'économie dite officielle dans le cadre du
plan. En effet sur les marchés du travail et de la consommation, la
planification engendre un déséquilibre des relations
Etat/ménages. Ce déséquilibre est compensé par
l'activité autonome de la population et l'existence de marchés
libres. A l'intérieur de l'Etat, le marché ne peut jouer en
raison du rationnement, qui sépare les secteurs prioritaires et non
prioritaires. Ainsi, s'esquisse une répartition de l'économie en
trois grands domaines : l'Etat monopole prioritaire ;
l'activité autonome des ménages ; l'Etat monopole
« normal » 8(*)
La première économie : planification
officielle et parallèle
La première économie est la plus étendue
du point de vue des activités couvertes (elle représente ¾
du revenu national) : Elle concerne les activités de l'Etat
monopole. C'est ce qu'on appelle l'économie officielle. Pourtant son
fonctionnement ne peut être analysé qu'en référence
aux deux autres économies.
Théoriquement soumis au processus de planification
l'Etat monopole non prioritaire s'en éloigne considérablement
dans la réalité, que ce soit dans l'élaboration ou
l'exécution des plans. La centralisation idéale des
activités se trouve ainsi mis à mal, cédant ainsi la place
à un système ou l'autorité centrale rencontre des
difficultés à maîtriser les contradictions internes du
système parmi lesquels l'économie de pénurie décrit
ci dessus. La falsification de l'information est une tendance lourde dans
l'économie soviétique qui pousse l'Etat à engager en
permanence plus d'investissements que ne lui permettrait la capacité de
production des secteurs de l'équipement et de la construction. En
atteste la propension à la dissémination des chantiers qui n'est
qu'un symptôme de ce surinvestissement qui, du reste, est loin de
conduire automatiquement à une croissance rapide. En effet, rappelons
qu'il est motivé par la surtension du plan (matérialisé
par des objectifs élevés) et qu'il est le résultat de la
volonté des entreprises et des ministères de réaliser le
plan à tout prix. Il n'est donc pas surprenant de constater une baisse
permanente de l'efficacité des investissements.
Ces tendances de l'économie socialiste ont ceci en
commun qu'elles reflètent une situation où le propriétaire
légal (le parti) serait dépossédé de son pouvoir de
décision au profit de ses gérants, des cadres de l'Etat monopole,
et du personnel de l'entreprise.
On constate que de nombreux intérêts communs
unissent le personnel des entreprises et leur direction : obtenir un plan
facile, gagner des primes, maintenir un niveau de main d'oeuvre
excédentaire par rapport aux besoins réels. Cette situation
permet d'envisager une sorte d'accord tacite entre les deux parties.
De plus, on observe aussi la coalition possible de
l'entreprise et de son ministère de tutelle : décrocher des
investissements supplémentaires, rechercher des accroissements de
dimension, gages d'une autonomie de décision par rapport à ce que
supposerait une spécialisation efficace. Le résultat de ces
coalitions ferait alors apparaître l'économie soviétique
comme beaucoup plus fractionnée que ne le suppose la planification
centrale, aboutissant à une situation ou les lobbies se disputeraient
les ressources arrachées à un pouvoir central affaibli.
Néanmoins il convient de préciser que ce
mécanisme concerne surtout la part de l'économie de
l'Etat-monopole non prioritaire. Or, les mécanismes de l'économie
parallèle ne fonctionnent que parce qu'il existe à coté un
Etat monopole prioritaire.
La seconde économie : le secteur
privé légal et illégal
L'activité des ménages soviétiques est
très largement liée au secteur public ou quasi public
(officiellement 97% des revenus des ménages salariés et 75% des
ménages kolkhoziens). Néanmoins, à l'instar d'autres pays
européens, il existe en union soviétique une économie
privée plus importante qu'il n'apparaît officiellement. Les
principaux postes des revenus privés sont outre le lopin individuel
officiellement recensé, la production au noir d'alcool, la prestation de
services divers (location, éducation, soins médicaux et
dentaires, réparation et entretien de biens durables), des
activités de construction ou de finition des logements, auxquelles
s'ajoutent les produits du vol et de corruptions diverses. Ainsi on peut donc
dire que la seconde économie apparaît comme l'ensemble des
réactions individuelles de la population à toutes les formes de
contraintes engendrées par l'intervention de l'Etat. Sa
définition peut donc s'élargir pour comprendre trois types de
comportement des ménages : Tout d'abord la recherche d'autonomie
économique par rapport à l'état : La population
soviétique est soumise à des contraintes sur les marchés
officiels : Elle ne peut se procurer les biens de consommation qu'elle
souhaiterait au moyen de ses revenus monétaires, elle est de plus tenue
de respecter les réglementations concernant l'emploi (obligation de
justifier d'une activité salariée). Pour absorber ces
déséquilibres, la population s'appuie sur l'existence des lopins
individuels et des marchés kolkhoziens, qui leur permettent de vendre
des biens à prix libres (donc élevés), ce qui incite les
titulaires de lopin à répondre à la demande. Ainsi on
constate que les deux ingrédients de réactions spontanés
des ménages aux déséquilibres officiels sont : d'une
part une demande excédentaire de biens de consommation non satisfaite
par l'Etat (produits alimentaires), d'autre part les facteurs de production
mobilisables au moyen d'une rémunération élevée
(surfaces cultivables, bâtiments, bétail...).
Ces deux ingrédients sont donc présents dans
l'ensemble de la seconde économie et permettent à la population
Soviétique de résorber les insuffisances de la planification en
organisant une production répondant à ses besoins réels au
moyen de ses capacités propres.
Le second type de comportement des ménages concerne
l'exploitation individuelle du secteur public. Ce sont des pratiques que l'on
trouve notamment dans l'industrie et la construction. Il est en effet
fréquent de voir des ouvriers détourner des fournitures en vue
d'une utilisation non prévue par le plan. De plus il est important de
préciser que ces vols prennent d'autres formes parmi lesquelles la plus
importante concerne le vol de temps de travail c'est à dire
l'absentéisme sous toutes ses formes. Ces différents vols
nécessitent en général des complicités obtenues
notamment au moyen de corruptions diverses
Enfin les comportements
asociaux peuvent être soulignés. Ils sont dus à une
insatisfaction individuelle face aux contraintes de l'Etat. Ces comportements
concernent particulièrement l'alcoolisme contre lequel les
autorités politiques ont souvent tenté de lutter sans parvenir
à l'enrayer significativement. Il convient de rappeler à quel
point les enjeux de cette lutte sont considérables pour le pays. Elle
vise plusieurs finalités : tout d'abord sanitaire et
démographique : que ce soit au niveau des maladies, des accidents
du travail et de la circulation ou encore l'augmentation des naissances
d'enfants handicapés.
Ensuite idéologique : l'alcoolisme étant
considéré contraire aux idéaux communistes et à une
image de rigueur.
Sociale enfin : l'alcoolisme étant une des causes
les plus importantes de divorces dégradant ainsi le rôle de la
cellule familiale dans l'éducation des enfants notamment.
La troisième économie : le secteur
prioritaire planifié
Elle correspond à la production de biens de
« destruction » ; cette section regroupait toute la
production nécessaire au fonctionnement et au développement des
forces armées. (Entretien des hommes, armement, munitions et enfin les
infrastructures correspondantes).
La particularité fondamentale du secteur militaire est
qu'il est le seul secteur à subir une concurrence, celle de son
homologue américain. Ce secteur a longtemps été soumis
à la nécessité de maintenir un niveau de défense
crédible aux yeux de l'autre superpuissance et ne pouvait, de ce fait,
pas se permettre d'avoir un fonctionnement analogue à celui de la
première économie (c'est à dire marqué par des
irrégularités de l'approvisionnement, une mauvaise qualité
des produits...) Ainsi on peut dire que la troisième économie est
la seule qui soit réellement et efficacement planifiée.
Concernant les relations entre l'économie militaire et
civile, il existe entre elles une interdépendance, les ministères
de l'industrie d'armement ayant aussi une production civile. Le consommateur
militaire dispose d'un rapport de force important car
généralement plusieurs entreprises sont mises en concurrence sur
un même programme, par un système d'appel d'offres. Le
marché de l'armement est donc le seul en Union Soviétique
à être dominé par les acheteurs expliquant ainsi
certainement les bonnes performances dans ce domaine et en particulier le fait
qu'il montre une capacité d'innovation supérieure à celle
des secteurs civils.
L'existence de ces diverses économies parallèles
incite à se poser la question suivante : La planification
n'est-elle alors qu'un mythe ?
A cette question on aurait tendance à répondre
par la négative. Non, car bien que le fonctionnement de la
première économie pourrait le laisser penser, on observe que la
planification existe en fait dans sa conception originelle pour les secteurs
prioritaires et notamment pour le domaine militaire. Cette grande portion de
l'Etat monopole est la troisième économie de l'Union
soviétique, qui est la seule fonctionnant suivant les normes officielles
de l'économie planifiée.
117. La planification : une logique à long
terme
Nous rappelons que la logique de la planification est de
considérer que le Marché ne conduit pas systématiquement
à des résultats désirables pour ceux qui y participent et
que, dans de nombreux cas, une décision collective est plus avantageuse
que l'action en ordre dispersé. Néanmoins le projet de
planification est un projet à long terme. Cela signifie que l'on
souhaite favoriser une croissance future en consacrant une plus grande part des
ressources à l'investissement au détriment de la consommation
immédiate. Dans ce cadre là l'Etat donne la priorité aux
industries lourdes c'est à dire qu'il crée une croissance de la
production des moyens de production supérieure à celle de la
production des biens de consommation (notion de génération
sacrifiée). Néanmoins, la priorité à l'industrie
lourde évolue dans le temps. L'économiste américain Albert
Hirschman9(*) a
défendu la thèse de croissance
déséquilibrée, dans laquelle il explique que
l'économie progresse par une succession de déséquilibres
car la croissance se manifeste d'abord dans certaines régions ou
secteurs avant de s'étendre au reste. Il
préconise donc de concentrer les efforts d'investissements sur un nombre
limité de secteurs, qui auront été
sélectionnés pour leurs effets d'entraînement, afin de
créer des pôles de croissance. Cette situation provoquera
l'émergence de goulets d'étranglement que l'Etat (en
l'occurrence la planification) se donnera pour tâche de supprimer au fur
et à mesure de leur apparition. C'est ainsi que, successivement, la
sidérurgie, la mécanique lourde, le pétrole, la chimie ont
pu devenir des secteurs leaders en termes d'efforts consentis.
Cette priorité donnée à l'industrie
lourde répond à la fois aux objectifs à court terme et
à long terme de l'autorité centrale. La planification donne au
Centre des décisions politiques une véritable fonction
d'entrepreneur. C'est le Centre qui décide de créer ou
développer de nouveaux secteurs économiques. Les unités de
production soviétiques n'ont aucune initiative à prendre. De
même les ministères sectoriels sont en principe soumis à la
coordination de l'autorité centrale qui les crée ou les
restructure et leur alloue des ressources de fonctionnement ou de
développement.
L'organisation hiérarchisée est donc liée
à un objectif de croissance rapide. Ainsi, le type de
développement qui en résulte est une croissance de type
extensive, au sens ou elle résulte de la création de nouvelles
unités de production et non de la modernisation des unités
existantes. On préfère donc utiliser plus de facteurs de
production plutôt que d'en utiliser moins, mais de façon plus
rationnelle. De plus en plus inefficace, ce mode de fonctionnement était
visé aux premiers temps de la planification car il répondait aux
objectifs d'extension de l'emploi salarié, d'adoption de techniques de
production les plus modernes et d'industrialisation des régions
arriérées. Ainsi les notions de croissance rapide,
priorités sectorielles, croissance extensive, organisation
hiérarchisée de l'économie forment le système
économique planifié. Cependant nous allons voir que ce
système pose des problèmes importants une fois arrivé
à une certaine maturité économique.
118. Problème induit par le système
d'économie planifiée
D'une façon générale on constate qu'il
existe certains problèmes récurrents liés à
l'économie planifiée. Ces problèmes abordés par
Brus10(*) sont de six
ordres :
Le premier problème concerne les secteurs
sacrifiés au prix d'une croissance rapide. Cela signifie que l'on
privilégie certains secteurs (comme l'industrie lourde) au
détriment d'autres secteurs (comme les services ou l'agroalimentaire).
Ce type de choix a des conséquences importantes et aboutit à des
retards importants à long terme pour ces secteurs. Une fois le retard
pris, les programmes de rattrapage sont d'autant plus coûteux.
Le second problème concerne comme nous l'avons
évoqué plus haut l'épuisement de la croissance extensive
qui nécessite une main d'oeuvre supplémentaire pas
forcément disponible et qui privilégie une augmentation du nombre
d'unités de production. Brus explique que la difficulté ici
réside dans le fait qu'une transition vers une croissance intensive qui
consiste à améliorer l'efficacité des unités
productives, nécessite «une capacité d'innovation et une
souplesse de gestion» plus importante «en contradiction avec le
modèle d'organisation hiérarchisée».
La troisième difficulté est liée à
la précédente. Elle concerne pour Brus, l'incapacité de
l'économie soviétique à produire des produits conformes
aux désirs des utilisateurs. En effet les objectifs en termes
quantitatifs de l'économie soviétique font oublier aux agents
économiques la finalité de la production réside dans la
satisfaction du consommateur. Ainsi le déficit qualitatif des produits
soviétiques apparaît comme quasi inhérent au
système.
Le quatrième problème souligné par Brus
concerne la difficulté pour un centre de décision unique à
maîtriser une économie complexe. La masse grandissante
d'informations et les nombreuses interactions des diverses composantes de
l'économie rendent difficile la maîtrise de son économie
pour le centre qui peut se retrouver submergé.
Le cinquième problème, qui transparaît
dans les problèmes précédents, concerne la
fiabilité à long terme du système mis en place. Son
efficacité a donné lieu à diverses réformes qui se
sont révélées inefficaces.
Enfin, Brus considère que le plus grave des
problèmes du système planifié réside dans la
divergence des préférences entre l'autorité centrale et la
population, et dans la difficulté du pouvoir politique à
légitimer ses choix et à les faire accepter par la population.
Par ailleurs il convient de souligner le poids de l'histoire dans le
comportement de la population. La répression sévère de la
période stalinienne a été fortement
intériorisée par la plus grande partie de la population qui a
abandonné tout esprit d'initiative : tout est attendu de l'Etat et
du parti.
119. Le rôle passif de la monnaie
Prisonnière de la planification centralisée, la
monnaie soviétique n'est jamais parvenue spontanément à
engendrer des transformations économiques et sociales, à cause
des structures de l'économie de pénurie.
Il convient de différencier les deux dimensions de la
monnaie pour montrer le rôle passif que joue la monnaie au sein du
secteur d'Etat. Il est donc important de mentionner les deux secteurs dans
lequel la monnaie joue un rôle actif c'est à dire le marché
du travail et le marché des biens de consommation. Brus11(*) considère à ce
propos que la monnaie dans le modèle centraliste joue un rôle
actif sur le marché du travail et sur le marché des biens de
consommation. En effet Brus souligne que concernant le marché du
travail, à la différence de bien d'autres décisions
centralisées, la politique des salaires doit tenir compte du
marché du travail pour éviter toute rupture d'équilibre
(surtout dans les secteurs considérés comme clefs comme le
bâtiment ou l'industrie lourde) qui pourrait se répercuter
fâcheusement sur l'ensemble du plan.
Concernant le marché des biens de consommation, on
rencontre un problème analogue. Le principe de la liberté de leur
choix entraîne la nécessité d'accepter à la fois le
mécanisme de marché et l'équilibre entre l'offre et la
demande. Comme nous l'avons vu, dans ce type d'économie, le montant
global et la structure de l'offre des biens de consommation sont fixés
par les décisions détaillées du plan. Sont
également fixés le montant global et la structure des revenus de
la population avec ceci que, comme nous l'avons vu, cette structure doit tenir
compte de l'équilibre sur le marché du travail. (ce qui à
son tour influe sur la structure planifiée de l'offre des biens de
consommations)
La monnaie joue donc un rôle actif sur le marché
du travail et sur celui des biens de consommation en ce sens que pour Brus
«les grandeurs économiques exprimées en unité
monétaires (salaires, prix) influent sur les choix effectués par
les auteurs des décisions» (travailleurs, consommateur) et que par
conséquent, «le centre réalise ses préférences
au niveau de la structure de l'emploi et de la structure de la consommation par
l'intermédiaire de ces grandeurs».
En revanche, le rôle de la monnaie se présente
différemment en ce qui concerne les rapports entre l'échelon
central et les entreprises et entre les entreprises elles-mêmes. Le
modèle centraliste induit une individualisation économique des
entreprises ce qui consiste à leur attribuer une certaine somme de
moyens, à organiser leurs liaisons extérieures sous une forme
marchande et monétaire. Le principe à adopter ici est de
compenser des dépenses par les recettes obtenues avec gestion
éventuelle du surplus. D'un coté, l'entreprise doit
établir une comptabilité individualisée des
dépenses et recettes exprimée en unités monétaires,
et de l'autre l'organisme central de planification doit répartir les
ressources tant sous leur forme naturelle (physique) que sous leur forme
monétaire. Les décisions économiques de l'échelon
central définissent : le volume et la structure de sa production,
les méthodes de fabrication, les sources d'approvisionnement et les
voies d'écoulement. De ce fait, pour Brus «la monnaie n'est pas un
instrument actif, réagissant sur le mouvement des facteurs réels.
Elle n'en est que le reflet passif». Cela signifie qu'elle ne renvoie pas
à la véritable valeur des biens. L'entreprise effectue ses
calculs seulement après avoir reçu les décisions. Elle met
seulement en évidence les dépenses indispensables pour des
objectifs de production donnés à l'avance. Ainsi nous voyons donc
qu'elle n'influe pas sur les choix des entreprises. Le résultat
financier planifié est ainsi le reflet passif de la structure des
indices et des prix obligatoires.
Ainsi A.Gorodetskii 12(*) constate que la structure du système des prix
à un niveau qui ne correspondent pas à la réalité.
Il considère au contraire qu'elle reflète et reproduit la
tendance à la baisse de l'efficacité de l'économie
soviétique. Il explique que, le rôle actif de la monnaie dans
l'économie s'est réduit (à la suite d'injections
financières de l'Etat) et que les prix sont devenus un moyen de
redistribution des revenus de la population, ainsi qu'un facteur pour
«l'élimination des disproportions financières». Il
estime que l'aspect négatif pour l'économie de ce système
des prix s'exprime à travers le décalage entre le niveau et la
structure des prix de détail d'un coté et des prix de gros de
l'autre. En effet, concernant le prix de gros d'entreprise il est
constitué par le coût moyen de la branche plus un profit (variable
selon les branches), alors que le prix de détail comprend quant à
lui (en plus du coût moyen et du profit) un impôt sur le chiffre
d'affaire qui s'apparente donc à un impôt indirect payé par
le consommateur final.
De plus les fixations des prix de gros et de détails ne
se font pas suivant la même logique. Les premiers sont fixés selon
la méthode coût plus profit moyen, les seconds en revanche sont
fixés et orientés pour pousser le consommateur à consommer
tel produit plutôt qu'un autre. (Selon sa volonté et ses
objectifs, le gouvernement peut, par exemple, appliquer des taxes très
élevées afin de limiter la demande de biens de luxe et
inversement, dans le but d'éduquer les masses ou de leur transmettre la
''bonne parole'', le gouvernement subventionne fortement le prix des
téléviseurs, des livres, des places de concert, d'opéra ou
de théâtre). Ainsi, l'écart entre prix de gros et de
détail varie selon les produits. Le prix de détail peut donc
varier sans avoir d'effets sur le prix de gros, la différence sera
comblée en conséquence par une évolution du taux de
l'impôt sur le chiffre d'affaire. Nous avons donc un système de
double prix ou les prix à la consommation sont déconnectés
des prix à la distribution étant donné que les
écarts sont comblés par des subventions ou une évolution
de l'impôt sur le chiffre d'affaire.
Ainsi Gorodetskii explique que «l'Etat monopole se trouve
au milieu de plusieurs circuits monétaires normalement
cloisonnés, mais qui communiquent par plusieurs canaux. La banque d'Etat
qui cumule plusieurs fonctions (cf. le système bancaire),
émet les diverses monnaies et les convertit entre elles. La monnaie
fiduciaire utilisée par les ménages et la monnaie scripturale
utilisée par les entreprises sont à parité, mais les
excédents en roubles devises (la monnaie utilisée par les
exportations) sont convertis. Le budget de l'Etat enregistre ainsi des flux
homogènes qui doivent normalement s'équilibrer en
dépenses et recettes». L'analyse du budget pourrait donc donner une
indication sur la contrainte monétaire pesant sur l'ensemble de l'Etat.
Malheureusement les données économiques officielles de l'URSS ne
sont pas fiables, notamment en raison du maquillage volontaire des
dépenses militaires.
12. Le salariat et l'organisation du
système
121. Problème sur marché du travail
D'après la doctrine soviétique officielle, le
salariat aurait été aboli par l'instauration de la
propriété socialiste. La réalité nous a
plutôt conduit à une généralisation du salariat.
Les facteurs de blocage sont nombreux : problèmes
démographiques, organisation industrielle pratiques syndicales,
pénurie de main d'oeuvre, tous à des degrés divers
contribuent à une situation d'inefficience.
Ainsi nous allons montrer en quoi la forme du système
de salariat et l'organisation en vigueur à l'époque en Union
soviétique est génératrice de blocage et de
dysfonctionnements.
Avant d'aborder la critique d'un tel système il
convient de rappeler les principaux traits de son fonctionnement.
122. Organisation et planification de l'industrie
La structure industrielle soviétique comporte trois
niveaux subordonnés :
- Le centre qui représente le sommet
de la hiérarchie où sont prises les grandes décisions
macroéconomiques. Fondamentalement, il s'agit de la direction du parti
communiste, c'est à dire l'appareil politique dominant. Les sommets de
l'appareil d'Etat, c'est à dire le gouvernement, le conseil des
ministres, sont aussi un élément constitutif du centre. On peut y
classer enfin le gosplan, la centrale de planification qui dépend du
conseil des ministres mais qui n'a pas de pouvoir hiérarchique direct
sur les échelons inférieurs. La première fonction du
conseil des ministres est la direction de l'économie nationale, ce qui
signifie, outre l'exercice des fonctions économiques de tout
gouvernement, la responsabilité de la gestion de l'Etat-monopole. Le
conseil des ministres est défini comme le détenteur du pouvoir
exécutif.
- Le second niveau, celui du système ministériel
est décisif pour plusieurs raisons.
Les ministères sont près de cinquante et sont
constitués selon un principe sectoriel, par branche économique.
Toutes les entreprises fabriquant tel type de produit relèvent
théoriquement de l'autorité du ministère de branche. Dans
le système traditionnel, ce dernier établit les plans
opérationnels des entreprises, nomme les directeurs et contrôle
les résultats de leur gestion. De même que le directeur est
à la fois le patron de l'entreprise, son chef, et, par certains
côtés, le représentant de certains de ses
intérêts collectifs vis à vis du ministère, le
ministre est un super patron de la branche. Il est également
l'autorité hiérarchique à laquelle sont soumises les
entreprises, et aussi la tête du lobby sectoriel dans la concurrence pour
les allocations centrales et les conflits avec les autres ministères.
Nous verrons par la suite que ce mélange des genres n'est pas sans
conséquences sur le fonctionnement global.
Dans la structure à trois niveaux, le système
ministériel est traditionnellement un lieu de forte concentration de
pouvoir économique que ce soit vis à vis des entreprises ou par
rapport au centre.
Quant au dernier niveau, celui des entreprises, il est
personnifié par le directeur, d'un coté, placé sous le
contrôle du ministère, et de l'autre investi de la direction
unique dans l'unité dont il a la charge.
123. Organisation de l'économie
L'organisation des entreprises industrielles
soviétiques repose sur une forte division du travail et une structure
hiérarchique dans laquelle les travailleurs ne disposent d'aucun contre
pouvoir matérialisé notamment par le rôle ambivalent des
syndicats (p30). La coupure entre travail manuel et intellectuel, entre travail
de direction et d'exécution, y est profonde.
Concernant l'organisation de l'entreprise soviétique on
peut noter qu'elle s'articule de la façon suivante13(*) :
- Le directeur : Il se situe au sommet de l'organigramme.
Celui-ci est nommé par le ministère dont dépend
l'unité de production. Il n'est responsable de sa gestion que devant
cette autorité supérieure et non par rapport aux travailleurs
écartant de fait l'idée de cogestion. L'état impose en
effet à l'entreprise une tutelle rigide matérialisée par
la planification centralisée dans laquelle la centralisation du pouvoir
est la règle.
Le directeur est un personnage appartenant forcément
à la nomenklatura créant ainsi une forme d'hostilité de la
part des salariés.
Le directeur est assisté dans le système
par :
- L'ingénieur en chef : Il a un
rôle d'expertise et de conseil auprès du directeur
- Les directeurs adjoints : Leur rôle consiste
à assister le directeur pour le service financier, le service du
personnel et pour les questions matérielles et techniques
(approvisionnement, transport), ils sont relativement nombreux en raison d'une
forte bureaucratisation liée à la planification. Le travail
administratif constitue pour certains d'entre eux la totalité de leurs
tâches.
A un niveau plus opérationnel on retrouve :
Les contremaîtres : Ils exercent leur
autorité dans l'atelier et jouent un rôle clé dans
l'organisation du travail en répartissant les taches et en affectant les
travailleurs aux différents postes (ce qui a un effet direct sur les
salaires. Nommé par le directeur, il est l'intermédiaire entre la
direction avec ses services et les travailleurs.
124. Organisation de l'agriculture, des formes de
propriété inadaptées
L'agriculture peut véritablement être
considérée comme le point faible de l'économie
soviétique. Alors que dans la plupart des pays industriels les
agriculteurs représentent une minorité de la population active et
que les récoltes sont supérieures aux besoins, on trouve une
situation inverse en URSS. L'application du principe de « la
propriété du peuple tout entier » conduit à une
situation ou l'Etat possède la quasi-totalité des moyens de
production, hormis la propriété individuelle. Cette
propriété individuelle qui peut prendre des formes diverses
(petit commerce, lopin de terre) peut être remise en cause à tout
moment par l'état.
Les moyens de production prennent essentiellement trois
formes :
- La propriété d'état:
Ici l'état est le propriétaire exclusif des moyens de production.
C'est le cas notamment des industries extractives et manufacturières,
les transports et la plus grande partie de la distribution ainsi qu'une partie
de la terre (les sovkhozes)
- La propriété
coopérative : Les membres des coopératives
agricoles ou industrielles sont propriétaires de leurs biens. Les
coopérateurs sont rassemblés volontairement ou par la force dans
ces structures collectives. En fait cette forme de propriété,
à mi-chemin entre la propriété privée et de la
propriété collective est plus proche de la seconde pour deux
raisons : tout d'abord il est quasi impossible de quitter la
coopérative et de récupérer son bien et en second lieu, le
secteur coopératif (les kolkhozes) est soumis au contrôle du
Centre souvent au même titre que les entreprises du secteur
d'état.
- La propriété privée
est limitée aux biens personnels et à certaines activités
fortement contrôlées (notamment les services) et à une
partie de l'agriculture.
Les deux premières formes de propriété
constituent le secteur socialiste, la troisième, le secteur
privé qui occupe une place tout à fait marginale dans le PIB du
pays. C'est seulement avant l'implosion du système socialiste que ce
secteur a connu une forte extension.
Cette distribution des droits de propriété et la
centralisation qui en résulte vont engendrer des conséquences
négatives sur le plan de la gestion des entreprises socialistes, la
confusion entre possession et gestion. Les firmes socialistes sont
gérées par le centre en l'absence de concurrence et d'instruments
d'incitation. Ces entreprises remplissent de nombreux objectifs, certains
économiques (réaliser les objectifs du plan), d'autres sociaux
(fonction de redistribution) et politiques (conformité aux objectifs du
parti). De manière générale, on peut dire que cette
multiplicité d'objectifs explique l'infériorité en termes
d'efficience du système socialiste. Véritable talon d'Achille des
économies soviétiques l'agriculture soviétique a
été victime des choix prioritaires de l'industrialisation rapide,
d'un mode d'organisation inadapté et d'un statut social mal
considéré. Elle a connu d'importantes mutations notamment par le
biais de la perestroïka qui l'a conduit vers une quasi-privatisation
généralisée
125. Organisation de la production déficiente et
économie de pénurie
L'organisation des entreprises en URSS s'appuie sur les
mêmes principes que leurs homologues occidentales : division
poussée du travail, unité de commandement et de direction,
parcellisation des tâches, travail en équipes,
contremaîtres, production à la chaîne, normes de rendement,
hiérarchie du pouvoir discipline du travail
Néanmoins la comparaison s'arrête là tant
les structures de l'économie soviétique ont été
incapables de mettre en place un équivalent de ce qu'ont
représenté le taylorisme et le fordisme comme formes
d'organisation et modes de régulation économique, dans les pays
occidentaux. ...
D'ailleurs les études sociologiques
réalisées dans l'industrie et dans l'agriculture par
l'académicienne T. Zaslavskaia montrent que «le tiers à
peine des intéressés travaillent à plein rendement. Parmi
les raisons invoquées, figurent la mauvaise organisation du travail, la
faiblesse du système de stimulation, l'inefficacité de la gestion
administrative de la production». Tous ces éléments que nous
nous efforcerons de détailler sont ancrés dans le système
depuis plusieurs décennies.
Le système industriel soviétique se
caractérise par sa tendance à la discontinuité et à
l'irrégularité des approvisionnements. Cette situation s'explique
notamment par les contradictions du système de planification, en
particulier dans les effets perturbateurs de la centralisation des
approvisionnements et les formes de pénurie typique de la
régulation économique. L'explication de la crise
soviétique tiendrait donc, au point de départ, pour une part
mineure à la baisse des productions et, pour une part majeure, à
l'explosion de la demande. Pour reprendre les analyses de l'économiste
hongrois Janos Kornai,14(*) le pouvoir aurait perdu le contrôle des
instruments qui maintenaient les pénuries autour de leur niveau
"normal" et les pénuries croissantes seraient la conséquence
directe de demandes poussées toujours plus haut, en face d'offres
stables ou en déclin, pour des niveaux de prix administrés,
fixés de toute façon à des niveaux trop faibles.
La demande est donc déterminée «par le
haut», définie par l'Etat, avec pour conséquence que,
contrairement à une économie de marché, l'économie
planifiée est entièrement réglementée par les
producteurs, par l'offre. Cette dictature de l'offre conduit à ce que
Kornai appelle l'économie de pénurie. La pénurie au sens
de Kornai détermine une situation ou la demande d'un bien ou service
dépasse l'offre. Il s'agit d'un phénomène typique des
économies socialistes, qui se manifeste sous différentes formes
(marché du travail, biens de consommation, biens de production). Kornai
souligne pour comparer les économies socialistes et capitalistes que la
pénurie est à l'économie socialiste ce que le sous emploi
et la sous utilisation des capacités de production sont aux
systèmes capitalistes : c'est à dire un problème
central. Il considère que l'on peut observer des pénuries dans
tout système économique à ceci prés que la
particularité du système soviétique réside dans le
caractère chronique de la pénurie. Bien qu'elles se manifestent
de façon visible dans la consommation, c'est dans les conditions
particulières de la production que les pénuries trouvent leur
origine. Les imperfections du système nous conduisent donc à
parler d'équilibre de pénurie pour les économies
soviétiques de la même manière que l'on parle
d'équilibre de sous emploi dans une analyse keynésienne des
économies capitalistes. Ainsi la pénurie n'apparaît plus
comme un indice de crise économique mais bel et bien comme un
véritable mode de régulation. Les véritables crises
prennent diverses formes et notamment une plus forte intensité de la
pénurie et se manifeste par certains phénomènes comme la
stagnation de la croissance, la stagnation de la productivité ou une
baisse de l'efficacité des investissements. Ainsi la pénurie doit
être vue comme une caractéristique traditionelle dans ce type
d'économie.
Le trait le plus parlant de cette situation est
personnifié par le spectacle des files d'attentes à Moscou. Cela
est souvent expliquée par la baisse de la production provoquée
par des années de déclin, suivie de la désorganisation de
l'économie planifiée sans remplacement par le marché, et
de la baisse de la productivité due simultanément au
découragement de la population et aux troubles politiques. Au fond, les
problèmes de productivité inhérents à
l'économie soviétique se seraient progressivement
aggravés. Il n'est pas sûr pourtant que les causes de la crise se
trouvent seulement du côté de l'offre :15(*) jusqu'au début de 1990,
les données relatives à la production ne montraient pas de baisse
importante mais seulement un ralentissement de la croissance, le point de
retournement se situant vers la fin 1989.
Il est donc possible d'adopter une approche consistant
à considérer la demande. La situation soviétique
apparaît alors comme une situation d'hyperinflation se développant
dans un contexte de prix officiels fixes et dans des conditions
spécifiques d'économie administrée.
On rencontre dans cette perspective plusieurs
phénomènes très significatifs : la disparition des
marchandises vendues à prix fixes dans les magasins d'Etat, celles-ci
étant détournées vers des circuits d'approvisionnement
direct sur les lieux de travail, ou volées pour le marché noir ;
la montée des prix sur les marchés noirs ; Le recours de plus en
plus fréquent à des devises étrangères (dollars et
marks) pour les transactions internes des particuliers. On dispose de peu de
données pour expliquer complètement cette situation, mais on sait
néanmoins que la source principale de l'hyperinflation est le
déficit budgétaire qui, en l'absence d'institutions
financières, est avant tout financé par émission
monétaire. Ce déficit est passé de 18 milliards de roubles
en 1985 (2,3 % du PIB) à 150 milliards en 1990 (plus de 10 %). Dans le
même ordre d'idée, en 1989, on a imprimé pour 18 milliards
de roubles, en accroissement de 56 % par rapport à 1988. La dette
interne s'accroît aussi rapidement, passant de 310 milliards de roubles
en 1988 à plus de 400 milliards en 1989. L'origine du déficit est
elle-même double : d'une part, les subventions aux entreprises d'Etat
déficitaires, d'autre part, les subventions à la consommation
(logement, alimentation, transport). Une conséquence majeure est le
maintien du chômage à un niveau relativement faible.
Sur un plan plus opérationnel, on constate couramment
que les approvisionnements de l'entreprise en matières premières,
moyens de production, produits semi-finis, ne sont pas livrés à
temps ou selon les spécifications requises. Il s'ensuit des
ralentissements de la production qui se retrouve bloquée et contrainte
à attendre les nouveaux approvisionnements. Ces dysfonctionnements
tendent à se répercuter d'un secteur de l'entreprise à
l'autre, puis d'une entreprise à l'autre. Les premiers mois de la
période planifiée se caractérisent par de nombreux temps
morts, car les ruptures d'approvisionnements ou de stocks y sont plus
fréquents.
En revanche les derniers mois de l'année sont
marqués par ce qu'on appelle la chturmovchtchina, c'est à dire
une accélération des cadences, la suppression des congés,
l'augmentation des heures supplémentaires afin de remplir l'objectif
annuel du plan. On voit ainsi que ce manque de constance du processus productif
est source de désorganisations et à ce sujet une statistique est
éloquente : le temps perdu par la désorganisation du travail
est estimé à plus de 20 % du total16(*). Ces
irrégularités du processus dans lesquelles
accélération et ralentissement de la production se
succède, incitent les directeurs à mettre leur unité de
production dans une posture de suremploi en se constituant un matelas de main
d'oeuvre supplémentaire. Ces accélérations de la
production provoquent des dommages non seulement sur la production elle
même (contrôle qualité plus laxiste, gaspillage...) mais
aussi sur la population (augmentation des maladies, de l'absentéisme).
Le caractère irrégulier du travail et de la
production contribue à démoraliser les travailleurs et, avec
l'absence de contrôle ou de participation à la gestion à
susciter un sentiment de frustration dans le travail qui se répercute
à son tour sur la productivité des ouvriers. Ces nombreux temps
morts sont subis, et sont essentiellement le fait de problèmes
extérieurs à l'entreprise. Ils contribuent à renforcer la
seconde économie (cf. La seconde économie : le secteur
privé légal et illégal). L'absence de discipline de type
taylorisme nécessite des substituts que sont la propagande socialiste,
le contrôle des organisations sociales (cf. rôle des syndicats) ou
encore le parti.
Janos Kornai souligne en étudiant les anomalies
découlant de la nature para économique de la productivité
soviétique les difficultés rencontrées par
l'autorité centrale. En effet celle ci doit apprécier la valeur
des réalisations de ses entreprises au moyen d'objectifs quantitatifs
(production totale, rendement, qualité) qui doivent tous être
mesurés objectivement et isolément et non en proportion de leur
contribution à la profitabilité. L'accomplissement des objectifs
apparaît de ce fait comme un critère trompeur.
Par ailleurs, pour Kornai, il existe à la base de
l'économie planifiée d'autres contradictions fondamentales entre
deux de ses principes : le plan tendu et les priorités.
La tension du plan ne permet pas d'erreur aux entreprises non
prioritaires : en cas de retard dans une livraison ou de tout autre
aléa qui peut survenir dans une unité de production, elles ne
disposent pas de réserves leur permettant de faire face à
l'événement, tandis que les activités prioritaires
disposeront d'une marge.
Kornai prend en considération ces
éléments pour dire qu'il est difficile de définir des
objectifs quantitatifs de production combinés avec des indices
para-économiques tels que la technique et le système de prix
soviétiques sans aboutir à des résultats scandaleux. Ces
résultats sont de deux ordres :
- En premier lieu, les entreprises utiliseront
inévitablement la marge de liberté que leur laisse l'obligation
d'atteindre les objectifs pour chercher à gagner les primes par des
moyens non prévus ce que Kornai appelle une « suracquisition
des primes ». Les entreprises anticipent ces probables pénuries
lors de l'élaboration de leur plan en surestimant leurs besoins et en
sous estimant leurs capacités de production. Cette façon de
procéder apparaît comme antiéconomique car elle est la
résultante d'un gaspillage des ressources et n'obéit pas à
une logique de rentabilité de l'investissement.
- Si en revanche - c'est le second point - les
autorités supérieures s'opposent à cette tendance des
entreprises en rendant les tests plus précis, ces entreprises seront
trop fréquemment paralysées et mises dans l'impossibilité
de prendre des mesures qu'elles devraient évidemment prendre, et
auxquelles elles doivent renoncer. J. Kornai qualifie cette situation de
«contradiction interne du système».
Comme on peut s'y attendre, ces défauts
d'exécution se répercutent en chaîne sur les
« clients » non prioritaires. La pénurie de certains
produits est donc originellement incorporée dans la planification.
Ainsi, force est de constater que l'organisation de la
production dans l'économie soviétique apparaît bien loin
des standards occidentaux à différents niveaux
(régularité de l'approvisionnement, gestion rationnelle des
stocks, division et synchronisation systématique des tâches....).
Contrairement à la gestion du temps des entreprises occidentales qui est
homogène et continu, le temps industriel de l'entreprise
soviétique est hétérogène et discontinu, il a des
effets aliénants sur le travail, mais laisse aux ouvriers des marges de
manoeuvre. Ces anomalies constituent un obstacle à
l'établissement de normes de production plus rationnelles de type
taylorisme.
126. Le rôle des syndicats
Les syndicats soviétiques se trouvent relativement
éloignés de la conception occidentale traditionnelle que l'on
peut avoir en raison notamment des liens étroits qu'ils
entretiennent avec l'Etat. Leur caractéristique essentielle
réside dans le fait qu'ils sont un appareil dépendant du pouvoir
politique et patronal. Leur fonction de défense des
intérêts des salariés s'en trouve ainsi fortement
limitée. En effet, lorsque la protection et la défense des
ouvriers se trouvent en opposition aux buts fondamentaux assignés aux
syndicats (productivisme, discipline, émulation) le syndicat se plie
aux exigences du pouvoir politique et patronal.
Celui-ci est organisé verticalement par branches, et
horizontalement par régions et fédérés au niveau
national. On peut noter par ailleurs que les syndicats incluent tous les
salariés, y compris le directeur et les cadres gestionnaires
sus-cités, et que 99 % des salariés sont
syndiqués17(*).
Concernant les élections des leaders syndicaux, elles
sont manipulées par la direction et par le secrétaire de
l'organisation du parti.
Ainsi on constate que cette série de
caractéristiques du système les différencie des syndicats
occidentaux qui prennent en charge les revendications et les
négociations salariales ainsi que la défense de meilleures
conditions de travail.
Les syndicats soviétiques, quant à eux,
n'interviennent pas dans les négociations salariales car les conventions
collectives ne concernent pas les revenus et ils ont tendance à
négliger largement la défense des conditions de travail. Leur
rôle se cantonne donc à veiller à l'application du contrat
de travail, au droit au travailleur à un salaire correct ainsi qu'au
règlement des petits conflits de travail. Ainsi leur capacité de
défense des travailleurs apparaît dérisoire.
127. Démographie, Rémunération et
problèmes de répartition
D'après la doctrine soviétique officielle, le
salariat aurait été aboli par l'instauration de la
propriété socialiste. La réalité nous a
plutôt montré que les transformations sociales qui font suite
à la révolution des années 30 ont conduit à une
généralisation du salariat.
Les facteurs de blocage sont nombreux : problèmes
démographiques, organisation industrielle pratiques syndicales,
pénurie de main d'oeuvre, ces éléments ont tous à
des degrés divers contribué à une situation
d'inefficience.
Ainsi nous allons montrer en quoi la forme du système
de salariat qui était en vigueur en union soviétique est
génératrice de blocage et de dysfonctionnements.
Il apparaît dans la démographie soviétique
de la fin des années 80 quelques traits
spécifiques :18(*)
Tout d'abord l'Union Soviétique compte, lors de cette
période prés de 300 millions d'habitants pour la majorité
concentrés dans les villes. Le pays se trouve dans une situation de
pénurie de main d'oeuvre, sur laquelle nous reviendrons par la suite,
aggravée par une diminution de la croissance démographique de la
population. Le taux d'activité est très élevé (ce
qui rend les perspectives d'augmentation de ce taux improbable). Un
raisonnement similaire peut être appliqué concernant le taux
d'activité des femmes qui peut être perçu comme un trait
spécifique du système. On constate à ce sujet qu'en
dépit d'une formation en moyenne supérieure à la
population masculine, les femmes ont relativement peu accès aux postes
de direction et sont principalement concentrées dans les travaux les
moins payés dans les branches à bas salaires. (Santé,
commerce, enseignement, communication)
Enfin la proportion du travail manuel et non qualifié
est élevée à cette époque : environ 50
millions d'ouvriers majoritairement ans la construction, l'industrie et
l'agriculture.
Le système de l'emploi en URSS possède un
caractère paradoxal : la main d'oeuvre fait défaut, et est
en même temps en surnombre. La pénurie sur le marché global
du travail coexiste avec des excédents chroniques de force de travail
dans les unités de production. Le modèle de développement
du pays est de type extensif et contribue à cette pénurie. Il est
donc fondé sur un accroissement du capital et du travail employé.
C'est bel et bien cette situation de pénurie relative du travail qui va
conduire les dirigeants soviétiques à passer à un
développement intensif basé sur un système favorisant des
facteurs plus qualitatifs de croissance.
Concernant le mode de rémunération, les
salaires en Union Soviétique comprennent plusieurs
éléments 19(*):
- Une rémunération de base qui correspond
à des grilles de salaires fixées par profession et comprenant
plusieurs échelons constitués par des compléments
individuels de salaires liés aux heures supplémentaires
accomplies, aux conditions de travail et au rendement
- Des primes prélevées sur les profits de
l'entreprise qui dépendent des performances globales de cette
dernière
La rémunération de base (80% de la
rémunération totale) correspond à une norme de rendement
qu'il est presque impossible de ne pas atteindre. Ainsi cela aboutit à
une situation ou apparaissent des anomalies dans les unités
productives : travail peu soigné, forts pourcentages de produits
défectueux sur les lignes de production, déduction des temps
morts dus aux pannes de machines ou aux ruptures d'approvisionnement en
matières premières...
Ces différents attributs sont, de plus,
amplifiés par l'irrégularité des rythmes de production
tout au long de l'année.
Dans ces conditions, il apparaît difficile de parler de
prix du travail et d'incitation. Les primes individuelles étant
garanties, elles se voient perdre leur fonction de stimulation. Ceci est
conforté par les faibles écarts salariaux entre travailleurs peu
qualifiés (ouvriers) et très qualifiés
(ingénieurs). Ainsi le travail semble déconnecté de
l'emploi et de sa rémunération. Le processus de normalisation des
tâches de type taylorisme n'a pu malgré le développement de
l'OST, s'établir pleinement en URSS. Ce système de normes est mal
accepté par les travailleurs qui lui reprochent son aspect opprimant.
Les normes de rendement sont objet de conflits entre direction, et
employés qui cherchent à résister à
l'intensification de ces normes. Ainsi, les entreprises cherchent à
compenser la faiblesse du travail et l'impossibilité d'une normalisation
des rendements par une augmentation des emplois. On en arrive même
à rendre de fait l'emploi obligatoire (réglementation du
''parasitisme'') sans que cela fasse pour autant disparaître les offres
d'emploi non satisfaites. On en arrive au final à un état
permanent de pénurie du travail (suremploi) qui conforte encore plus les
travailleurs dans leur tendance à l'oisiveté.
Les différentes tentatives de modification de la
réglementation des salaires en intégrant notamment des primes
individuelles de rendement n'ont pas abouti et se sont heurtées au fait
que les performances individuelles dépendent souvent de facteurs non
individuels (pannes, ruptures de stocks...).
128. Tendances de consommation
L'ère Brejnev a représenté une
période d'amélioration relative du niveau de vie des
Soviétiques, tout au moins jusqu'au milieu des années 70, moment
à partir duquel les difficultés économiques internes et le
poids des dépenses militaires sont venus freiner l'évolution de
la consommation. Mais Pierre Georges explique que la situation du consommateur
reste paradoxale20(*) : Si son équipement en biens de
consommation durables est aujourd'hui assez élevé, ses besoins
essentiels (alimentation, logement, habillement...) sont loin d'être
satisfaits, et représentent pour lui un souci permanent. Le mouvement de
la consommation suit, à l'instar des pays occidentaux d'après
guerre, la tendance suivante : augmentation de la consommation de produits
industriels et réduction de la part des dépenses alimentaires.
Néanmoins l'augmentation des quantités consommées n'a pas
été accompagnée d'une amélioration de la
qualité de produits, et l'on constate, pour certaines marchandises la
coexistence de pénuries et de stocks d'invendus causés par une
mauvaise qualité des produits.
Pierre Georges souligne donc que le consommateur ne se trouve
pas dans la facilité, tant de nombreux produits de la vie courante sont
difficiles à obtenir. La population perd temps et énergie dans un
contexte ou domine les tendances à la pénurie, les files
d'attente, la désorganisation du système de distribution. Ainsi
en union soviétique le consommateur peut être
considéré comme un quémandeur à la recherche d'un
vendeur approvisionné et de bonne volonté, il se situe dans une
sorte de concurrence entre consommateurs.
Il convient néanmoins de pondérer cette analyse
en mettant en exergue le rôle essentiel joué par la seconde
économie dont l'importance décisive pour les citoyens
atténue cette situation grâce à un système
basé sur le chacun pour soi.
Concernant la situation alimentaire, il apparaît une
situation de tension due notamment à l'irrégularité de
l'approvisionnement pour la viande, les produits laitiers, les fruits et
légumes. La persistance du rationnement pour certains produits de base,
sont un souci important pour la population notamment dans certaines
régions (il existe une hiérarchie des villes dans
l'approvisionnement à la tête de laquelle on trouve Moscou, puis
Leningrad, puis des villes de taille inférieure et enfin les capitales
des républiques fédérées).
De plus, la faiblesse du réseau commercial de
détail ajoute aux difficultés de la consommation, tout comme la
faiblesse des salaires et la segmentation du système commercial
lié notamment aux systèmes de magasins réservés
à la nomenklatura.
En effet celui ci est beaucoup moins étendu que dans
les autres pays européens, les salaires sont faibles et incitent au
détournement et au marché noir. (cf. la seconde
économie)
129. Pénurie de main d'oeuvre et suremploi
La principale caractéristique du marché du
travail en URSS réside dans le fait que l'on est dans une situation de
plein emploi. En effet, la forme de développement est une croissance
extensive. (cf. logique de la planification) Ce type de croissance
résulte d'une situation ou on privilégie la multiplication des
projets ou unités de production au détriment d'investissement
favorisant l'efficacité des unités déjà existantes.
Le choix de cette voie a eu pour effet une pénurie de travail. Cette
situation d'absence de chômage structurel que Brus a qualifié de
«grande victoire»21(*) a néanmoins un revers : Le nombre de
travailleurs excessifs dans les entreprises. Le problème ici
réside dans le fait que le plein emploi s'accompagne automatiquement du
manque de main d'oeuvre. Ce phénomène de plein emploi ne
résulte pas particulièrement d'une volonté politique mais
plutôt du fonctionnement interne du système. Ce suremploi est de
plus nourri par le comportement des managers qui se constituent une
réserve de main d'oeuvre qui sera pleinement utilisée dans la
période de chturmovchtchina (cf. économie de pénurie)
Le marché du travail est donc marqué par la
présence simultanée de pénurie globale de travail et
d'excédents locaux de main d'oeuvre. On se situe donc ici dans un
marché dans lequel le rapport de force est en faveur des travailleurs.
L'insuffisante discipline au travail et le faible niveau de la
productivité trouvent ici leurs causes principales.
Nous avons vu jusqu'ici la multitude de dysfonctionnements qui
caractérisent l'économie soviétique. Ainsi l'esprit de ce
système basé sur une réflexion consistant à
considérer la supériorité du choix collectif sur
l'addition des choix individuels en terme d'intérêt
général doit être présent à l'esprit en terme
d'optimum social (emploi assuré). Cela nous renvoie au débat
présent aujourd'hui dans la vie politique où l'on s'interroge sur
la question suivante : Doit on privilégier l'efficacité
économique ou l'optimum social ? Comme on a coutume de le faire sur
la scène politique, la réponse est sans doute hybride. Quoi qu'il
en soit, ce système induit de nombreux dysfonctionnements. Ces
dysfonctionnements liés à l'économie planifiée
créent des anomalies dans toutes les composantes de l'économie
soviétique. Qu'ils soient dus à des facteurs psychologiques ou
à des dysfonctionnements systémiques (qui sont parfois
interdépendants), les problèmes ont perduré en raison de
la logique interne du système de planification centralisé des
économies socialistes détaillées par Brus et des
spécificités soviétiques. Ainsi, le système de
prix, les problèmes de pénurie étudiés par Kornai,
l'inadaptation du système de propriété, la convergence des
objectifs des salariés et des managers ou d'autres
spécificités sus-cités sont tous le
révélateur de dysfonctionnements majeurs. Ces problèmes
anciens ne peuvent être séparés du poids de
l'idéologie et de l'histoire du pays, ainsi que de sa culture qui est
présente et transparaît dans les esprits des différentes
couches de la société. Ces anomalies dont on a pris conscience
depuis des décennies ont donné lieu à plusieurs tentatives
de réformes plus ou moins radicales du système sans que les
résultats soient à la hauteur des espérances. Ainsi, lors
de son accession au pouvoir le 11 mars 1985, Mikhail Gorbatchev se retrouve
à la tête d'un Etat ou l'économie est inadaptée aux
besoins de la période. Il se livre donc à un diagnostic global
qui peut être résumé en trois points étroitement
liés. M.Gorbatchev regrette : la mentalité d'assistés
(ijdivenstvo) qu'il décèle chez ses concitoyens et dont
les conséquences sont néfastes sur tous les plans, la coupure
croissante entre la société et le parti et la faiblesse
structurelle de l'économie, de plus en plus visible et
problématique. On notera que «le problème des
républiques soviétiques est absent de ce constat
initial»22(*). Nous
verrons, par la suite que c'est un paramètre important que Gorbatchev a
sous estimé.
En fait, la situation est particulièrement complexe en
URSS, dans la mesure où elle combine les effets d'une hyperinflation
(entre autres, la ruine des détenteurs de revenus fixes et
l'enrichissement des détenteurs de ressources réelles), avec les
modifications de fortune et de revenus liés aux changements du
régime de propriété.
Gorbatchev saisit ainsi l'ampleur de sa tâche pour
réformer une économie aux atouts naturels énormes mais en
proie à un déclin et à un fonctionnement inadapté
aux réalités du moment.
2 La perestroïka comme réponse aux
dysfonctionnements
21 Les tentatives antérieures de réforme
du système
Depuis la déstalinisation engagée par
Khrouchtchev de nombreuses réformes ont été
tentées. Ces différentes tentatives sont le témoignage que
la prise de conscience du problème par les leaders politiques est
ancienne. En effet, Khrouchtchev a été le premier en 1957
à essayer de réformer le système. Sa volonté
était de changer le système ministériel, accusé
à l'époque de tendances autarciques, de construction d'empire
autonome ou encore de départementalisme. Ainsi, les ministères
industriels et leurs organisations verticales furent supprimés en 1957
et remplacés par des sovnarkhoz qui fonctionnait selon un
principe territorial ou les sovnarkhoz devaient gérer toutes les
entreprises de leurs régions. Cette réforme effectuée dans
un souci d'efficacité économique fut un échec en raison
des tendances autarciques développées cette fois par des
bureaucraties régionales. Ce sont les déboires de cette
réforme de régionalisation qui pour Denis Brand23(*) précipitèrent de
fait le départ d'un Khrouchtchev qui dérangeait beaucoup en URSS
et qui rencontrait l'hostilité de la nomenklatura et des staliniens.
Cette réforme fut suivie en 1965 de la réforme
Kossyguine qui supprime les sovnarkhoz et qui rétablit le
système des ministères de branche en améliorant le
processus d'approvisionnement. Il cherche à donner plus d'autonomie
à l'entreprise et à inciter les directeurs à
l'efficacité. Ces mesures échouèrent également.
L'échec est dû au fait que les règles de planification de
la production sont contradictoires avec la stimulation des directeurs, et
confortent ainsi ces derniers à privilégier la réalisation
du plan à court terme. Enfin, l'insuccès de cette
réforme s'explique aussi par le fait que la stimulation concerne
uniquement les directeurs sans inclure les ouvriers
On trouve par la suite une succession de réformes de
faible ampleur :
En 1973 la réforme s'inscrit dans le prolongement de
celle de 1965. Elle cherche à limiter la taille de la bureaucratie des
ministères et à accroître l'efficacité du
contrôle des entreprises industrielles par le centre. Un
décloisonnement des ministères de branches est
opéré en créant des associations industrielles
chargées de gérer et de contrôler les entreprises
industrielles fabriquant des produits similaires sur la base de l'autonomie
financière. Une des conséquences attendues de cette
réforme était la fusion d'entreprises, mais les ministères
de branches surent maintenir leur pouvoir. Cette réforme visait à
la base une simplification de la structure de la gestion tout en favorisant la
spécialisation. Elle donnera des résultats peu significatifs.
En 1979 de nouvelles mesures visent à rétablir
une forte concentration. De nouveaux indicateurs de performance plus pertinents
sont crées. Cette mesure aura pour effet de réduire la marge de
manoeuvre des entreprises
En 1983, une nouvelle évolution voit le jour. Un
décret impose un nouveau type de contrôle des entreprises par le
Centre. Les ministères réduisent le nombre d'indicateurs de
performance mais imposent aux entreprises de respecter les objectifs du plan
quinquennal. Trois indicateurs sont introduits : ventes,
productivité du travail, réductions des coûts. Par
ailleurs, on encourage la participation directe des entreprises dans
l'élaboration sans passer par les échelons intermédiaires
avant le centre.
Ces mesures n'ont pas permis de relancer une économie
moribonde : au contraire la croissance soviétique a connu durant
cette période un déclin régulier.
Ces échecs successifs mettent en avant
l'impossibilité de réformer le système et amène
à s'interroger sur la marge de manoeuvre des gouvernants. En effet, la
politique économique de l'union soviétique cherche à
réduire la tendance spontanée du système à
l'inefficacité.
Les instruments utilisables ont été de deux
types : économiques et administratifs.
Les instruments économiques peuvent être
répartis en deux groupes : le premier consiste en un renversement
des priorités en faveur de la population et vise toujours à
limiter le rôle de la seconde économie.
Le second instrument plus long à mettre en place,
consiste à réduire le parallélisme de la première
économie par une décentralisation de la planification, qui ne
peut être que le guidage par les prix et la demande.
Les instruments administratifs visent également
à réduire le parallélisme par l'intermédiaire de
réorganisations de l'administration économique.
Pourtant les expériences des ères Khrouchtchev
et Brejnev, laissent penser que la marge de manoeuvre est très
étroite.
Cependant l'observation globale de ces réformes fait
apparaître l'entêtement des dirigeants soviétiques à
conserver un système inefficace pour des raisons essentiellement
idéologiques.
C'est ainsi qu'une réforme en profondeur du
système économique dans son ensemble est apparue à
Gorbatchev comme inévitable. Il considère lors de son
arrivée au pouvoir que l'URSS est à un tournant de son
histoire : Soit, elle se réforme en profondeur, soit elle s'enfonce
dans la stagnation et le déclin.
22. Mise en oeuvre de la transition : la
perestroïka
221. Traits généraux de l'économie de
transition.
Les projets de Mikhaïl Gorbatchev sont
matérialisés par l'annonce (pour 1990) d'une réforme
économique profonde et réelle. C'est à cette date que sont
rentrés en vigueur les nouveaux principes de fixation des prix (qui
augmenteront), les projets de réformes du gosplan (ministère
chargé du plan) et du gossnab (ministère chargé de
l'approvisionnement en matériaux et équipements). Ils
s'accompagnent de l'abandon des priorités, du plan tendu et du
marché de vendeurs. Le nouveau statut de l'entreprise permet une gestion
décentralisée, et la nouvelle réglementation des salaires,
qui renforce la différenciation, prend son sens avec des marchés
de consommateurs assouplis par la loi des activités individuelles. Tous
ces éléments étant liés, il se pose un
problème de transition : le système soviétique dans
sa complexité doit changer, mais comment un système aussi
ancré dans les mentalités depuis des décennies peut-t-il
évoluer ?
Richet explique qu'«on ne passe pas au marché en
quelques mois, surtout dans une économie ou les mécanismes de
marché ont été neutralisés et où l'esprit
d'entreprise a été éradiqué»24(*). Ce sont donc des institutions
nouvelles qu'il faut créer, des mécanismes de marché qu'il
faut construire, la propriété qu'il faut changer, une nouvelle
culture qu'il faut inculquer. Pour toutes ces raisons, le passage vers le
marché pose le problème de l'ampleur qu'il doit avoir, de la
vitesse à laquelle il doit s'opérer et de l'enchaînement
des mesures. Pour Richet, on aurait pu penser avec le retour de la
démocratie dans les pays de l'Est que ces nations passerait rapidement
d'une économie planifiée à une économie de
marché : cette opinion généralement partagée au
lendemain de la chute du mur de Berlin, a été contestée,
la transition a connu des succès divers et a été plus ou
moins douloureuse selon les pays. Le passage d'une économie centralement
planifiée à une économie de marché s'est
avéré partout plus long, plus difficile et plus coûteux que
prévu.
C'est pourquoi comme l'explique Bloommestein25(*), ces aspects (ampleur,
vitesse, enchaînement des mesures) sont liés et nécessitent
une «hiérarchisation des objectifs, un consensus politique et
social de la part de la population pour les accomplir.»
Ainsi, cette transition induit un certain nombre de
difficultés que Richet26(*) a classifié en quatre grands
problèmes :
- La mise en oeuvre de politiques de stabilisation et
d'ajustement structurel et de gestion de la crise
- Les changements institutionnels nécessaires, la
redistribution des droits de propriété et le développement
de mécanismes de marché
- La dynamique microéconomique avec notamment
l'éclosion de l'entrepreneurship, la mise en oeuvre de stratégies
de firmes nouvellement privatisées et le contrôle des firmes
publiques
- Les stratégies d'insertion sur le marché
mondial passant par la réorientation de flux commerciaux.
Ces quatre points et leur résolution décideront
du succès ou de l'échec de la transition vers le
marché.
Les ingrédients de la réussite des programmes
économiques s'articulent autour de plusieurs points que sont la
stabilisation macroéconomique, la libéralisation des prix, la
réforme des droits de propriété et la transformation des
entreprises, la création d'un marché du travail et d'un nouveau
système de protection sociale, la création d'un système
bancaire et d'un marché du capital, la libéralisation des
échanges, enfin la réglementation des activités
économiques et de la concurrence.
Ainsi sont édictés les éléments
nécessaires à la transition vers l'économie de
marché que souhaite Gorbatchev
222. Justification de la perestroïka
Au début des années 80, après la mort de
Brejnev, les décès des secrétaires généraux
du PCUS se succèdent à un rythme élevé,
révélant la prégnance de la gérontocratie à
la tête de l'URSS : Brejnev meurt le 12 novembre 1982, Andropov le 9
février 1984 et Tchernenko le 10 mars 1985. Pour mettre fin à
cette série, Mikhaïl Gorbatchev est élu nouveau
secrétaire général du PC le lendemain de la mort de
Tchernenko. A la différence de ses prédécesseurs, c'est un
homme jeune (54 ans) qui accède au poste de commandement. En un peu plus
de trois ans, Gorbatchev rajeunit l'équipe des cadres politiques et des
dirigeants économiques pour mettre en place sa politique de
modernisation de l'économie.
Il faut avant tout bien noter deux points importants
concernant la forme des réformes : le premier est que la mise en
oeuvre de la perestroïka n'a pas été immédiate et que
sa version élaborée ne date que de juin 1987 (premières
lois sur l'autonomie accrue des entreprises). La seconde particularité
concernant la forme réside dans le fait que la politique
gorbatchévienne recèle en elle même une certaine
discontinuité. Cela signifie que devant l'ampleur de la tâche et
certaines contestation de ces réformes, Gorbatchev a eu tendance
à revenir sur certaines décisions et ce afin d'arrondir les
angles et de faire en sorte qu'elles soient acceptées par le plus grand
nombre.
Ainsi le personnage de Gorbatchev ne semble a priori pas
marquer une rupture avec le passé et les dirigeants
précédents (malgré son jeune age) car il a fait partie lui
aussi de ces leaders qui ont amené le pays dans le triste état
dans lequel il se trouve en 1985. Ainsi, il reste fidèle aux principes
socialistes fondamentaux que sont la dictature du prolétariat et la
propriété étatique des biens de production.
Pourtant, le diagnostic qu'il fait progressivement de
l'état de la société soviétique tranche avec celui
de ses prédécesseurs, et s'appuie sur un pragmatisme
inédit. En effet, si son langage reste proche de la rhétorique
traditionnelle, son approche du problème tranche fondamentalement avec
le passé en ce sens qu'elle privilégie une approche
systémique des problèmes de l'économie soviétique.
Sa remise en cause concerne l'ensemble de l'économie. Ainsi lors de son
accession au pouvoir il aborde les grands thèmes que sont la
mentalité d'assistés de la population, la coupure entre la
société et le parti et surtout les défauts structurels de
l'économie. Il précise par la suite son propos en remettant en
cause plusieurs traits majeurs de l'économie soviétique
abordés dans la première partie du mémoire parmi lesquels
le développement extensif, le retard technologique, le gaspillage des
ressources, l'économie de pénurie et affirme leur rapport avec le
fonctionnement intrinsèque de l'économie planifiée ainsi
qu'avec le comportement des divers acteurs économiques, faisant
notamment référence au système de stimulation.
La démarche réformiste de Gorbatchev s'inscrit
donc dans la lignée d'initiatives passées tendant à
rénover le système soviétique mais la différence
majeure consiste dans le fait qu'il souhaite donner à l'économie
une direction qui ferait cohabiter plan et marché et mettre ainsi un
terme à un déclin amorcé depuis plusieurs décennies
(plutôt que d'apporter de légères modifications sans
changer le système dans son ensemble.) Depuis 1985, le mouvement de
réforme porte sur l'ensemble des domaines critiques de l'organisation
économique et s'articule autour de trois termes essentiels :
accélération (ouskoreni), publicité (glasnost) et
restructuration (perestroïka).
La perestroïka (restructuration, du titre de
l'ouvrage de M.Gorbatchev) est le nom donné à l'ensemble des
réformes devant concilier, à ses yeux, socialisme et
démocratie. Concrètement, il s'agit sur le plan économique
de permettre une accélération (ouskoreni) de la croissance. Au
plan politique, il faut construire un Etat de Droit et faire en sorte
d'établir une séparation entre l'appareil d'Etat et le Parti. Le
but étant de se donner une légitimité pour réformer
le pays avec l'appui des masses. La glasnost répond à un souci de
rétablir un fonctionnement démocratique à un pays qui
s'était accommodé depuis des décennies à vivre sous
la domination d'un parti et privé de certaines libertés (de la
presse notamment). Il convient néanmoins de préciser que le but
de recherché dans ces réformes était de sauvegarder le
système en le réformant.
La particularité de la réforme de Gorbatchev
réside dans le fait qu'elle se veut radicale et s'attaque à
plusieurs composantes de la société soviétique. Les
réformes antérieures s'attaquaient à des problèmes
localisés du système économique et se heurtaient
fatalement à un manque de vision globale du problème. A
l'inverse, les réformes de Gorbatchev avaient le mérite de
s'attaquer en plus des problèmes économiques, aux
problèmes sociaux, administratifs, institutionnels et politiques. Ainsi
nous différencierons le volet économique du volet non
économique de sa réforme. (cf. réformes
périphériques)
Des réformes qui ont précédé, il
ressort que les gains d'efficacité ne pourraient être obtenus
durablement que par une réforme économique réelle
doublée d'une orientation des priorités vers la consommation. La
perestroïka et la glasnost devaient aider à sortir de la crise
grâce à une réforme qui, nous l'avons dit, déborde
le strict champ de l'économie.
Abel Aganbegyan, conseiller économique de Gorbatchev
justifie la réforme de la façon suivante : « La
perestroïka signifie une mutation profonde et engendre d'énormes
transformations qualitatives. La perestroïka est indispensable lorsque le
système économique ne répond plus aux nouvelles
conditions, à la maturité des besoins de la
société, aux problèmes de l'avenir. Il faut alors modifier
de manière radicale un tel système. Au cours d'une telle
opération, ce ne sont pas des parties ou des éléments
isolés qui sont touchés, mais le système économique
tout entier. Il faut restructurer la totalité de ses aspects et de ses
éléments pour obtenir une qualité nouvelle. Au fond, c'est
une forme révolutionnaire de changements qui se distingue ici de la
forme évolutive. Et le terme de refonte caractérise justement ces
transformations qualitatives révolutionnaires. Ce concept a plusieurs
aspects : il est synonyme de réforme radiale, reconstruction
profonde, mutation capitale, passage à une qualité nouvelle,
rupture. » Ce discours illustre ainsi de façon significative
la volonté de changer le cours de l'histoire.
23. Les réformes du coeur du système
économique
Les deux décennies précédant
l'arrivée de Gorbatchev ont été marquées par un
déclin des performances de l'économie soviétique. Celle-ci
a en effet été confrontée à une
décélération continue de la croissance du PIB et des
investissements, induisant une dégradation significative du niveau de
vie des Soviétiques, au renforcement de la démotivation au
travail (chute de la productivité), ainsi qu'au développement de
l'économie souterraine. Revitaliser l'économie est donc apparu
indispensable et c'est ce que va tenter de faire Gorbatchev par des mesures
spectaculaires. Elles peuvent être séparées en deux grandes
catégories : Les réformes du système qui concerne
l'industrie d'Etat et les réformes sur des points particuliers du
système comme l'agriculture ou le commerce extérieur.
La réforme industrielle de 1987 est la clef de la
perestroïka économique. Elle définit plusieurs grandes
orientations : les entreprises industrielles doivent fonctionner sur la
base de l'autofinancement et de l'autonomie comptable. Après avoir
payé à l'Etat la location du terrain, des équipements, des
bâtiments, les entreprises pourront employer à leur convenance les
profits réalisés, celles qui continueront à enregistrer
des pertes pouvant être fermées. Cette exigence de
rentabilité et la nécessité de rationaliser des postes de
travail doit inciter les entreprises à se débarrasser du
personnel en surnombre. Cette loi donna lieu à d'importants
dégraissages. La logique du nouveau système est que chaque
entreprise réalise une partie de la production selon des
modalités proches de l'ancienne formule de planification
centralisée. (Ordres administratifs, approvisionnement
centralisé, prix fixés), et l'autre partie de façon plus
autonome, à partir des liens directs avec les fournisseurs et les
clients et à des prix libres. Il s'agit d'une forme d'économie
mixte avec une diminution de la partie centralisée. L'objectif
recherché ici est de passer d'un système de pénurie
où dominent les vendeurs à des marchés plus
équilibrés voire des marchés d'acheteurs. Une telle
configuration nécessite des réorganisations institutionnelles
dans plusieurs domaines que sont : l'organisation hiérarchique,
l'approvisionnement, les prix et le crédit, le salariat. Le but des
réformateurs dans ce cadre là est d'induire un changement des
comportements économiques qui pourront transformer les cercles vicieux
en cercles vertueux permettant une accélération de la
croissance.
La loi sur l'entreprise permet à l'entreprise
d'élaborer de façon autonome son plan quinquennal. Les commandes
d'Etat étant le seul élément obligatoire, on est en
présence en réalité d'un système dual couplant
planification impérative et planification indicative. La structure duale
de l'économie réformée suggère les modalités
d'une transition graduelle par une augmentation progressive de la part
décentralisée de l'économie. La structure du nouveau
système de planification est donc mixte, l'introduction de comportements
influencés par une logique de marché étant supposée
contribuer à la rationalisation de la sphère centralisée
restante. Ainsi, ce projet à l'ampleur inédite comporte d'autres
volets que nous allons présenter.
231. Dégraissage de la hiérarchie
bureaucratique
La perestroïka maintient le système
ministériel, tout en cherchant une réduction de son pouvoir comme
le montrent les nouvelles modalités de planification. Au niveau des
ministères de branche, qui se voient supprimer leurs fonctions de
contrôle au jour le jour sur les entreprises, la réforme consiste
à concentrer l'organigramme et à concentrer les effectifs.
La création de superministères qui regroupent
plusieurs ministères couvrant le même domaine d'activité
doit permettre une simplification de la hiérarchie intermédiaire
facilitant le contrôle du centre. Ainsi sept superministères sont
crées entre 85 et 87 dans plusieurs branches : agriculture,
construction, relations économiques extérieures, la construction
mécanique, énergie, complexe chimique et du bois,
développement social. La réduction des effectifs doit accompagner
la réorganisation administrative. D'importants redéploiements sur
des centaines de milliers de fonctionnaires ont eu lieu, renforçant
ainsi la défiance de la population vis à vis des réformes.
Cette réorganisation est une véritable rupture dans une
société où la garantie de l'emploi bureaucratique
était un des piliers du compromis social. Cependant, on peut observer
qu'elle contraste avec la logique générale des réformes
qui est de promouvoir une logique concurrentielle dans l'activité et les
comportements économiques. Le ministère garde des fonctions
élargies. En effet, s'il doit respecter les nouveaux droits de
l'entreprise, il reste tenu responsable de l'activité de sa branche.
Les mesures de 1987 prévoient également de mieux
accorder la nature des branches et des administrations responsables,
l'industrie lourde devant relever de ministères fédéraux
et l'industrie légère de ministères fédéraux
républicains.
Enfin elles prévoient d'intégrer une
déconcentration régionale de l'industrie, qui élargit les
responsabilités économiques des soviets locaux. Les budgets
locaux percevront des revenus accrus en provenance de taxes sur les profits des
entreprises de la région, et pourront être gérés
avec une plus grande autonomie, renouant ainsi avec l'esprit originel de la
réforme.
232. La réforme des salaires
La réforme de janvier 1987 concerne les salaires :
son objectif était d'exercer un phénomène de stimulation.
Elle a revalorisé les salaires d'environ 30% et de façon variable
selon les professions. Elle a surtout hiérarchisé les salaires.
Il s'agit d'en finir dans ce domaine avec un nivellement qui constituait une
source de démotivation pour les travailleurs les plus productifs et les
plus qualifiés. Ceci a été fait en élargissant la
grille des rémunérations. L'enveloppe salariale globale augmente
de 20 à 25 % pour les ouvriers et de 30 à 35 % pour les
techniciens et ingénieurs. L'écart salarial passe de 1 à
1,8 contre 1 à 1,5 précédemment entre les simples ouvriers
et les cadres supérieurs.
233. Retour du commerce de gros
Les orientations de juin 1987 prévoient «une
transition de l'allocation centralisée des ressources matérielles
et de l'attachement des utilisateurs au producteur, au commerce de gros des
moyens de production.» Cette notion recouvre le remplacement du
rationnement de l'approvisionnement par l'achat et la vente libre, directs et
contractuels entre entreprises ou avec les organisations étatiques de
gros fonctionnant désormais sur une base commerciale. L'objectif ici est
de libéraliser la majeure part des relations d'échanges pour les
moyens de production. Le rationnement quant à lui n'est maintenu que
pour certains biens essentiels (électricité, pétrole brut,
gaz, défense...) ainsi que pour les commandes d'Etat obligatoires. Le
régime décentralisé de la production industrielle
fonctionnera donc avec un marché libéré des moyens de
production : la logique réformiste est ici cohérente dans
son projet dualiste. La difficulté dans ce domaine des relations
interindustrielles est de savoir comment passer de marchés ou dominent
la pénurie et le rationnement administratif à des marchés
plus équilibrés sans rationnement ce qui nous renvoie aux
problèmes de transition évoqués
précédemment.
234. La Réforme des prix
La perestroïka économique à travers toutes
ses composantes sus-cités (décentralisation, autofinancement,
commerce de gros) n'a de sens que si l'on envisage un changement du
système de prix. Nous avons vu à cet effet lors de la
première partie du mémoire les problèmes posés par
les écarts entre les prix de gros et les prix de détail. Ainsi
les concepteurs de la perestroïka sont conscients que les prix constituent
la clé de voûte des changements envisagés, mais aussi l'un
des points les plus sensibles des réformes. Pour corroborer cette
idée, Pavlov le Premier ministre développe dans son
ouvrage27(*) l'importance
d'abandonner la politique de prix stables quand on passe aux méthodes
économiques et de gestion rationnelle où les prix doivent
être réels. Ainsi, le conseiller économique de Gorbatchev,
Aganbeguian annonce en juillet 87 que le gouvernement russe prépare une
réforme globale drastique des prix. Une refonte globale est
prévue concernant tant les prix de gros que de détails La
réforme se fait en deux temps : Tout d'abord il est
procédé à une révision (administrative) de la
structure des prix de gros, puis de détails, qui cherche à
réduire l'écart entre les deux. Puis dans un deuxième
temps on passe à de nouvelles modalités de formation des prix
plus conformes à la réalité. Concernant les prix de gros,
devront augmenter les prix carburants matières premières,
produits alimentaires pour leur assurer une rentabilité normale. Alors
que les prix de certains équipements mécaniques doivent
être réduits. La grande nouveauté de ce système
réside dans la volonté de prendre en compte les prix mondiaux
dans l'établissement des prix intérieurs. Quant aux prix de
détail, ils sont alignés en partant du même principe de
fixation que les prix de gros sur « les dépenses socialement
nécessaires de production et de commercialisation, l'utilité, la
quantité et la demande effective. » Cette norme très
générale définit un rapprochement des prix
d'équilibres égalisant l'offre et la demande sur les
différents marchés. Pour de nombreux biens de consommation de
base, en particulier ceux qui sont fortement subventionnés, il faudra
donc s'attendre à des augmentations substantielles ce qui aura le
mérite de diminuer les subventions de l'Etat à la consommation
qui est également un des objectifs poursuivis.
La répercussion sur les revenus réels de la
population constitue un enjeu politique décisif pour la
perestroïka. Les réformateurs affirmaient que les changements dans
les prix de détail n'allaient pas réduire le niveau de vie des
travailleurs, certains envisagent des compensations sous forme de primes pour
les bas salaires. Le problème des prix de détail étant
très épineux les réformateurs se donnèrent le temps
de le préparer, à tel point qu'il ne vit pas le jour.
Au-delà de la révision des prix
administrés est adoptée un nouveau système de prix
différenciés. Trois catégories de prix sont
établies :
Les prix fixés centralement pour les produits les plus
important, les prix contractuels établis entre producteurs et
utilisateurs et enfin les prix libres, dans le cadre du principe d'une plus
grande autonomie des entreprises
A cette réforme des prix a été
ajouté un projet de refonte du crédit.
La refonte du crédit
La législation des réformes requiert que
l'entreprise finance en principe chaque dépense courante et en capital
à partir de ses ventes, toujours dans le cadre originel du projet
qui affirme les principes d'autonomie comptable et d'autofinancement. Il s'agit
donc de limiter la centralisation puis la redistribution des profits, voire
même de faire dépendre les salaires très directement des
revenus de l'entreprise. Pour l'investissement, la logique des réformes
est donc de diminuer le prélèvement des profits de l'entreprise,
avec, pour contrepartie, une réduction du financement budgétaire
de l'investissement.
Ainsi l'investissement devra être opéré
par le recours au crédit bancaire ou par l'autofinancement. L'Etat doit
voir sa fonction redistributrice limitée. Les réformateurs
pensent que si l'entreprise doit financer elle-même son investissement
elle devra l'aborder de façon plus rationnelle (calcul coût
bénéfice). La réforme doit donc faire jouer au
crédit et au taux d'intérêt un rôle
macroéconomique important dans la régulation de
l'activité. Pour cela apparaît la nécessité de
réformer le système bancaire
Réforme de la monobanque
Comme nous l'avons vu la banque dans le système
soviétique (gosbank) a un rôle élargi, ce fonctionnement ne
correspondant plus aux nécessités du moment, les
réformateurs ont décidé de la réformer. Il a
été décidé qu'elle devait se limiter à un
rôle de banque centrale au sens strict. (émission, encadrement du
crédit) Ce qu'il reste de ses anciennes fonctions est assuré par
des banques spécialisées censées jouer le rôle de
banque commerciale authentique. Le ministère des finances et les banques
ont reçu l'injonction de cesser les pratiques inflationnistes (de type
planche à billet) pour soutenir le crédit.
Le système comporte désormais six banques au
lieu de trois : la banque d'Etat (gosbank), la banque pour
l'investissement industriel, la banque pour le complexe agro-industriel, la
banque pour le logement, la banque d'épargne pour le
développement social et la banque pour le commerce extérieur. Les
banques spécialisées ainsi que les organismes d'assurances sont
censés fonctionner eux-mêmes sur la base de l'autonomie comptable
et de l'autofinancement.
237. Réorganisation de la Recherche &
Développement
Cette réorganisation vise à mettre fin à
la séparation entre recherche scientifique et application industrielle
qui constitue une des causes majeures du retard de la science et de la
technologie soviétique. Les principales réformes mises en oeuvre
concernent l'Académie des sciences dont le rôle est
renforcé et dont les liens avec l'industrie sont
développés, la création de complexes scientifiques et
technologiques interbranches (MNTK) qui peuvent entretenir des rapports directs
avec les usines fabriquant des produits différents sans que l'accord des
ministères intéressés soient nécessaires.
L'introduction du principe d'autofinancement au niveau des instituts de
recherche appliqué. L'objectif est toujours de promouvoir le passage de
la recherche à l'industrie en réduisant les attributions et les
pouvoirs d'une bureaucratie envahissante et cloisonnée.
24. Réformes périphériques de
nature économique
241. Le commerce extérieur
Avec l'arrivée au pouvoir de Gorbatchev, plusieurs
facteurs ont été officiellement admis pour expliquer le marasme
de l'économie soviétique : une politique d'investissement
qui s'était trop appuyée sur l'importation d'équipements
étrangers, puis le ralentissement de la croissance, deux
éléments qui ont largement contribué à la
montée de l'endettement. Lorot précise que le volet externe de la
perestroïka s'est fixé pour objectif de réduire
l'économie administrée mais aussi d'alléger la
dépendance face à l'étranger. Corriger les
déséquilibres nécessitait une réforme des
mécanismes des relations économiques extérieures.
L'économie soviétique des dix années
précédentes accuse ainsi une caractéristique rare dans
l'histoire du pays : la coexistence de stagnation économique et
d'accroissement de la dépendance extérieure. Ainsi, l'aspect
externe de la perestroïka contient une dimension patriotique. En effet
cette partie de la réforme trouve sa justification principale dans
l'atténuation de la dépendance vis à vis de
l'étranger.
Gorbatchev à son arrivée au pouvoir remet en
cause le système d'allocation administrative des biens de production
tant celui ci a décliné et semble même tombé en
panne. Ainsi, la volonté d'abandonner l'économie
administrée n'exclut pas celle de se débarrasser d'une
dépendance excessive vis à vis de l'étranger. Au
contraire, les deux maux sont associés dans une même critique au
système brejnévien, et même expliqués l'un par
l'autre.
La croissance tirée par les importations n'ayant pas
donné les résultats escomptés, c'est donc une tentative de
promotions des exportations que fait Gorbatchev.
Les trois décrets concernant les relations
économiques extérieures ont été promulgués
entre août 86 et janvier 87. Leur intention était de corriger les
déséquilibres extérieurs. Pour ce faire, trois principes
que nous allons détailler sont mis en avant : réveil de
l'esprit exportateur des entreprises soviétiques, encouragement à
la compétitivité dans les créneaux d'exportations retenus
et usage plus économe des importations
2411 Incitation à l'exportation
Le principal instrument d'incitation à l'exportation
consiste à faire revivre en l'amplifiant la pratique permettant aux
entreprises de disposer de fonds de devises. Ces fonds sont formés
à partir des recettes en devise que les entreprises s'engagent à
obtenir. Les entreprises n'ont pas un accès direct aux devises de leurs
fonds. Ces avoirs sont inscrits sur leurs comptes en roubles après une
opération de conversion utilisant des coefficients devises,
différenciés par pays, produits et types de devises. Cette
pratique est rendue nécessaire par l'écart existant entre les
prix relatifs soviétiques et internationaux. Ainsi ce
procédé permet aux entreprises de réaccéder
à leurs fonds en devises pour acquérir principalement des
équipements, et en outre des produits destinés au mieux-
être du personnel. De plus, la nouvelle pratique a des vertus
pédagogiques. Elle habitue les entreprises à l'usage d'un taux de
change. Elle leur apprend également l'autofinancement en devises :
les entreprises n'importent pas tant qu'elles n'ont pas gagné les
ressources nécessaires.
2412. Encouragement à la
compétitivité à l'exportation
Une déconcentration du monopole du commerce
extérieur vise à renforcer la compétitivité dans
les secteurs déjà considérés comme capable de bons
résultats à l'exportation. A compter de 1987 de nombreux groupes
ont accédé au droit de commercer directement avec
l'étranger. Cette délégation de droits s'est
accompagnée d'une transformation du système des grands
intermédiaires du commerce extérieur. Les anciennes centrales
subsistent sous la forme d'unions de commerce extérieur du
ministère des relations économiques extérieures. S'y
ajoutent désormais les organisations de commerce extérieur de
ministères sectoriels, ainsi que les firmes de commerce extérieur
qui ont accédé au droit de commercer directement à
l'étranger. Ainsi l'exportation est encouragée par la perspective
d'obtenir des ressources en devises, mais aussi pour avoir une autonomie
d'action.
2413. L'usage économe des importations
Dans la recherche d'un rééquilibrage des comptes
extérieurs, l'usage économe des importations est le
complément naturel des mesures précédemment
examinées. L'aspect contre-importateur se trouve essentiellement
porté sur un aspect général des réformes. Le projet
est d'intensifier les relations économiques avec l'étranger.
Cette volonté est illustrée par l'autonomie d'action
laissée aux entreprises. Cette autonomie d'action est confortée
par le décret de 87 qui permet le recours aux capitaux
occidentaux. Ce Décret autorise la création de
sociétés mixtes sovietico-occidentales dans lesquelles la part du
capital national doit être majoritaire et dont les directeurs sont
soviétiques. Ces sociétés mixtes peuvent être
implantées partout en Urss fonctionnant sur la base de
l'autofinancement, elles doivent pourvoir elles mêmes à leurs
besoins en devises grâce à leurs exportations. Ces
sociétés mixtes paieront un impôt sur les
bénéfices de 30% et un impôt supplémentaire de 20%
sur les bénéfices rapatriés. Si ces sociétés
peuvent être considérées par les entreprises occidentales
pour accéder au marché URSS elles permettent aussi à
l'URSS de se moderniser (apport techno) sans s'endetter (apport de devises)
tout en augmentant son potentiel d'exportations.
En fin de compte ces réformes ne visaient pas à
l'autarcie mais plutôt à l'intensification des relations
économiques extérieures avec l'objectif ultime de restaurer les
équilibres extérieurs
Malheureusement, l'impact de la réforme des
échanges extérieurs a vu son étendue limitée par
des obstacles bureaucratiques auxquels on peut ajouter deux
éléments : - Les effets d'un manque total
d'expérience dans les relations commerciales internationales de la part
des gestionnaires soviétiques, qui nécessitent plusieurs
années pour être comblés, - La faible
compétitivité des produits soviétiques.
Nous pouvons donc dire qu'a l'instar de la perestroïka
générale, la réforme des relations économiques
extérieures rencontre des freins et voit s'affronter conservateurs,
spirituellement ancrés dans des principes traditionnels, et
réformistes qui sont favorables à une nouvelle donne.
De plus l'étanchéité des systèmes
de prix internes et internationaux demeure ainsi que la non
convertibilité ce qui pose certains problèmes
évoqués lors de la première partie sur les échanges
extérieurs.
242. Réforme de l'agriculture
La réforme du secteur agricole est au coeur de la
perestroïka dont la réussite se joue en partie sur
l'amélioration du niveau de vie et de la consommation des
ménages.
Le recours aux activités privées et
coopératives indépendantes de l'Etat est considéré
par Gorbatchev comme compatible avec l'idéologie socialiste. Il
considère que cette voie peut contribuer au relèvement de
l'économie. Le volet privé et coopératif des
réformes a pour objet de légaliser les activités que l'on
peut trouver dans l'économie secondaire, de satisfaire des besoins non
couverts dans le domaine de la consommation et des services et de permettre le
redéploiement de la structure de l'emploi induit par les réformes
industrielles.
En 1986 une loi autorise les activités individuelles
privées (pour certaines professions). Cette réforme concerne les
inactifs partiels ou complets, étudiants, femmes au foyer,
retraités, mais aussi les salariés qui peuvent ainsi travailler
dans le privé en dehors de leur activité principale. Toujours en
86 une loi favorisant les coopératives volontaires est adoptée.
Créer une coopérative nécessite trois personnes au
minimum, il n'y a pas de restriction concernant les coopérateurs et
l'emploi de salariés à temps partiel est autorisé.
L'unité est rattachée à une entreprise facilitant ainsi
l'approvisionnement et l'écoulement de la production. La loi sur les
coopératives est plus attrayante pour les salariés en raison de
conditions fiscales plus avantageuses que pour les travailleurs
indépendants.
Ainsi, les limites du fonctionnement de l'agriculture et ses
incohérences ont mis Gorbatchev devant la nécessité
absolue de la réformer. Des mesures concernant notamment les lopins
familiaux sont destinés à avoir des effets stimulants dans le
domaine alimentaire. Les investissements agricoles qui représentaient
jusque là une part considérable des investissements nationaux
sont ralentis et rationalisés en consacrant une plus large part aux
secteurs situés en aval et en amont de la production agricole. Tout
d'abord, l'accent est mis sur l'amélioration de l'infrastructure
matérielle (route, stockage) et sociale (écoles, logement,
voirie) des campagnes. Ainsi il considère que la réforme de
l'agriculture sera efficace si elle s'attaque aux ressorts psychologiques de
l'inefficacité (par exemple en luttant contre la démotivation)
plutôt que si elle prend la forme onéreuse d'aides
supplémentaires.
Cette réforme du système de gestion de
l'exploitation agricole a donc privilégié deux facteurs qui,
s'ils s'appliquent à tous les secteurs, ont des répercussions
dans l'agriculture.
Tout d'abord, la pénurie est le fruit non pas d'un
manque de ressource note Aganbeguian mais d'abord d'un mécanisme de
gestion incorrect. Dés lors, la généralisation des
critères économiques de gestion (autonomie comptable,
autofinancement) et l'introduction de paramètres économiques de
l'activité des exploitations (rente, taux d'intérêt)
doivent oeuvrer dans le sens d'une meilleure exploitation des ressources. La
réalisation de ce principe n'est pas aisée car en 1988 seulement
60% des exploitations agricoles ont une gestion équilibrée, 6500
vivent de subventions, et 12% sont en état de
quasi-mendicité28(*). Par ailleurs, le paiement d'une redevance des
kolkhozes situés sur les meilleures terres, n'a été
adopté que très tardivement.
L'établissement de relations nouvelles vis à vis
de la terre et de celui qui la cultive constitue cependant
l'élément le plus important de l'approche actuelle. L'objectif
est ambitieux : il bouscule les vieilles mentalités, et risque de
remettre en cause les tabous de la propriété socialiste et du
plein emploi. « La terre est à celui qui la
cultive », ces propos de M Gorbatchev ont eu un retentissement
important tant en URSS qu'à l'étranger. Certains y voyaient en
effet une remise en question de la propriété collective, d'autres
un retour à la privatisation. Il s'agit en réalité
ici des terres pouvant être transférées dans le cadre de
contrats par les kolkhozes à des groupes coopératifs, familiaux
ou à des individus, afin de les exploiter. Cette nouvelle politique
agricole met en place des sous unités (de 30 à 50 membres)
à l'intérieur des grandes fermes de type kolkhoze auxquelles on
confie la responsabilité d'une partie des terres en passant un contrat
avec l'unité (kolkhoze) dans lequel on convient d'un montant de la
production à effectuer. Dans cette contractualisation, L'objectif
poursuivi est de permettre d'accroître l'efficacité de
l'agriculture en diminuant la taille des exploitations afin de contourner le
problème des fermes surdimensionnées.
Plusieurs types de contrats sont possibles : contrat de
groupe, contrat familial, individuel, contrat bail. Les conditions
diffèrent sur certains points mais s'accordent sur deux principes
communs :
Il ne peut s'agir pour l'instant que d'un transfert de
jouissance : ni le kolkhoze (exploitation collective) ni le sovkhoze
(exploitation d'Etat) ni l'exploitant de lopin individuel ne sont
propriétaires des terres qu'ils cultivent.
La deuxième caractéristique concerne la non
gratuité de ce transfert des terres : La rémunération
de la terre et des autres biens de production est prise en compte dans les
conditions du contrat passé entre l'utilisateur des ressources des
ressources et l'organisme co-contractant. Ces réformes
périphériques de contractualisation entre des sovkhoze et des
sous unités est quant à lui confronté à des
obstacles relatifs à la généralisation du
système : la surévaluation des contrats par les ordres que
continuent de recevoir les kolkhozes et les sovkhozes (ceci implique la
tendance de ces derniers à ne pas respecter les contrats), les
problèmes d'approvisionnement des sous unités et enfin les
conflits de répartition des revenus des sous unités.
On voit donc bien ici les limites de la formule «le
paysan maître de la terre» : il n'est pas question ici
d'accession à la propriété de la terre car celle-ci ne
peut être ni vendue ni transmise par succession. Ce qui est en
réalité le centre du débat concerne le facteur humain.
L'esprit de la réforme consiste à mettre l'individu au centre en
soulignant son rôle irremplaçable de l'individu en même
temps qu'ils redécouvrent les spécificités du travail
rural : c'est celui où la relation avec l'outil de travail est la
plus étroite et où le bien de production est un monde vivant. La
réforme veut donc dans l'esprit remettre les cultivateurs à leur
vraie place, et pour Gorbatchev «transformer ces assistés en
responsable». Cependant, maîtres de la gestion des ressources et des
revenus qu'ils en retirent, ils en assument également les risques de
licenciements ou de faillite. Une nouvelle approche du droit du travail est
donc en vigueur. On passe en effet d'un système ou l'emploi est
assuré à tous à un système de rationalité
économique forcément générateur de chômage.
Autrement dit, on passe d'un plein emploi social (dans lequel l'optimum est
atteint par le plein emploi de la population) à un plein emploi
économique (dans lequel l'optimum recherché est la
rentabilité de l'entreprise).
Par ailleurs, le développement des secteurs
privés et coopératifs, s'est heurté à certains
problèmes. L'ambiguïté de la législation a fait
qu'elle a rencontré l'opposition de l'opinion publique, qui posa un
regard de suspicion sur ce qu`elle perçoit comme un enrichissement
douteux.
Ces réformes incluent donc des changements de formes
d'organisation. Le développement des relations contractuelles entre dans
ce cadre là et la nouvelle organisation apparaît aux gouvernants
comme la clé du déblocage des productivités.
A un niveau global par exemple, l'agriculture a ainsi
été le premier domaine réorganisé par Gorbatchev.
Ce secteur a été profondément restructuré dans son
organisation par la réunion de cinq ministères en charge de
l'agriculture dans un seul ministère (le gosagroprom) qui est
chargé de la production, la commercialisation et la transformation des
produits agricoles.
Néanmoins cette fusion des ministères (le
gosagroprom) n'a pas eu l'efficacité escomptée pour une
raison essentielle, la réduction prévue des effectifs des
fonctionnaires est restée limitée et ce malgré
l'unification formelle de l'organigramme, Le gosagroprom est devenu
une bureaucratie géante paralysée par des conflits de
compétences et un cloisonnement désormais internes. Cela montre
qu'une telle concentration des ministères ne peut réduire le
pouvoir bureaucratique intermédiaire, si l'on ne diminue pas les
effectifs présents dans ces administrations.
25. Les réformes périphériques
dépassant le cadre de l'économie
Une politique étrangère active (en octobre 1988,
l'URSS et la Chine s'accordent sur leur frontière orientale) et
pacifique (limitation des armements, retrait de l'Afghanistan, retrait des
vietnamiens du Cambodge, attitude plus souple envers les démocraties
populaires...)marque une évolution importante durant l'ère
Gorbatchev. Mais ces ambitions ne s'arrêtaient pas là :
En effet, M. Gorbatchev veut développer l'Etat de
Droit, il engage ainsi une profonde réforme judiciaire. Le projet permet
des progrès importants comme une restriction du champ d'application de
la peine de mort. Dans le texte figure également la volonté de
voir les organisations représentatives autres que le PC devenir, elles
aussi des groupes d'influence. Ces réformes doivent aboutir à la
création d'un véritable Etat de droit, où «tout est
permis sauf ce qui est interdit par la loi».
La glasnost (publicité) est traduit parfois à
tort par transparence, en réalité, il signifie rendre public
quelque chose de connu, il désigne le libre accès des citoyens
à l'information sur les actes de l'Etat soviétique. Cela consiste
à tenir au peuple un langage et des méthodes de
vérité pour le sortir de sa léthargie et l'associer aux
réformes à venir, ce qui implique de rétablir une certaine
liberté de discussion. Par exemple lorsque Gorbatchev fustige
publiquement l'ivrognerie, l'indiscipline, l'indifférence, il ne
relève rien des tares de la société, elles sont connues de
tous. Concrètement, la glasnost désigne le rétablissement
de la liberté de la presse et la libre dénonciation d'abus divers
longtemps considérés comme tabous dans l'URSS.
Durant cette période la glasnost vaut car elle sert la
perestroïka, ainsi la presse et les émissions
télévisées au ton nouveau ont un rôle de chambre
d'accusation contre tous ceux qui s'opposent à la perestroïka
prônée par Gorbatchev. Les dénonciations à la
télévision des difficultés d'approvisionnement en raison
des négligences humaines, des chantiers qui restent inachevés,
des entraves au développement des petites entreprises privées,
constituent autant de soutiens à la politique de réformes. Au
niveau de la presse écrite, les thèmes débattus, les
articles publiés et surtout les lettres publiées dans les
tribunes libres soutiennent souvent la politique de restructuration, attestent
de la volonté de Gorbatchev d'inciter les Soviétiques
plutôt réfractaires à sa politique, à modifier leurs
attitudes. Dans le contexte d'une lutte de plus en plus affirmée entre
réformateurs et conservateurs, la glasnost apparaît comme une
formidable arme de propagande dirigée par le secrétaire
général. L'objectif est de convaincre, notamment au sein du
parti, que le processus engagé est irréversible, car
bénéficiant d'un soutien total du pays. La glasnost est
l'occasion de s'attaquer à trois domaines privilégies : Tout
d'abord elle a permis d'aborder les réalités de la
société soviétique et d'officialiser le fait que la
société soviétique n'était pas exempte des maux
attribués aux sociétés occidentales (drogue, violence,
écologie.)
Ensuite, elle s'attelle à la lutte contre les
privilèges et la corruption qui nous le verrons plus tard ne sera pas
sans conséquence sur le devenir de la réforme.
Enfin, la glasnost, permet de découvrir des «pages
blanches» de l'histoire soviétique, achèvement de la
déstalinisation, rappel officiel de leur exil d'anciens opposants
politiques. Les frontières sont entrouvertes, les faux «malades
mentaux» et de nombreux prisonniers politiques sont
libérés.
La glasnost désigne la politique de transparence et
facilite l'expression des opinions. Elle permet de renforcer la prise de
conscience de la population dans la nécessité de réformer
le système. Elle est donc un instrument indispensable dans la
réforme globale du système en général et de
l'économie en particulier.
La perestroïka concerne également la refonte des
institutions du pays, notamment celle du système politique. Après
s'être attaqué aux réformes économiques et à
l'amélioration de la situation internationale, Gorbatchev est rapidement
parvenu à la conclusion que le succès des réformes
entreprises était étroitement lié à une
réforme parallèle des institutions. Il amorça en 88 la
nécessaire restructuration des institutions.
Parmi les mesures proposées figure la création
d'un poste de président de l'URSS, doté de pouvoirs
étendus et élu par un parlement élargi lui même
élu par le peuple. La même loi sera modifiée en 90
où il est décidé que le président de l'URSS est
élu au suffrage universel direct. Le pouvoir du président est
large. Il concentre l'ensemble du pouvoir exécutif et a la
possibilité de prendre lui-même des décrets ayant force de
loi dans l'ensemble du pays. Il peut également suspendre toute
décision du conseil des ministres. Après accord du congrès
des députés du peuple, il peut dissoudre le Soviet suprême.
De même le président de l'URSS, en sa qualité de commandant
des forces armées, peut décider de la mobilisation ou de
l'instauration de l'Etat de guerre. A travers ces réformes, Gorbatchev
veut asseoir sa légitimité en renforçant la
démocratisation des institutions. Ainsi, Gorbatchev a réussi
à transférer l'essentiel de ses pouvoirs du parti au nouvel Etat
soviétique. A la suite des premières mesures de la
perestroïka, de nombreuses organisations politiques embryonnaires
apparaissent dans la plupart des républiques
périphériques, le plus souvent sous l'appellation de Fronts
populaires. Les tendances qui s'y côtoient vont des tenants d'une
indépendance pure et simple aux militants prônant un
réaménagement des relations avec le centre. Les élections
locales qui se sont déroulées en 1990 vont leur permettre de
prendre le pouvoir dans leurs républiques. Ainsi ces
troubles nationaux, dans les différentes républiques de
l'Empire, semblent avoir été sous-estimés.
26. Bilan et implosion du système
Malgré des débuts prometteurs où
l'économie soviétique a enregistré en 1986 et 1987 les
taux de croissance les plus élevés depuis une dizaine
d'années. L'élan du changement s'est vite essoufflé et
l'année 1988 a abouti à des résultats médiocres
(les objectifs du plan n'étaient pas atteints) et les défauts de
fonctionnement du système n'ont pas disparu. L'Etat est le principal
client des entreprises qui ont bien du mal à être autonomes, la
qualité des produits reste médiocre, la sous productivité
de l'agriculture persiste ainsi que la pénurie des biens de
consommation.
Ainsi, quand il met en oeuvre la perestroïka, Gorbatchev
sait que c'est à travers la réussite économique que la
perestroïka dans son ensemble sera jugée. Sur le plan
économique, M.Gorbatchev voulait remédier aux dysfonctionnements
les plus graves : Il a voulu laisser une autonomie plus large, aux entreprises
par la décentralisation, a incité les plus importantes à
faire des bénéfices, il a voulu «rapprocher l'homme de la
propriété» en louant la terre aux paysans sous forme de
contrats de sous-traitance familiale, il a voulu par une réforme globale
et radicale, moderniser une économie enfermée dans une torpeur
profonde. Il s'est malheureusement heurté aux nombreuses forces
antagonistes qui jalonnent le système.
En tous les cas les faits sont là et le constat
s'impose. S'il est un domaine dans lequel l'échec de M. Mikhaïl
Gorbatchev est flagrant, c'est bien l'économie. Bien qu'il ait affaibli
l'ancienne machine bureaucratique lourde et inefficace, mais qui tournait, il
n'a pas réussi, au cours de ses six années de règne,
à engager la profonde révolution qu'il appelait de ses voeux
à partir de juin 1987 et qui devait conduire à l'instauration de
l'économie de marché en URSS.
Le Comité d'Etat pour l'état d'urgence qui l'a
écarté intervient (cf. la fin de la perestroïka),
affirme-t-il dans son communiqué de lundi 19 août 1991, pour
éviter « la famine et la spirale de la misère. »
La situation est effectivement catastrophique : les pénuries et les
tickets de rationnement se sont multipliés, l'appareil industriel s'est
fortement dégradé, la productivité du travail a
chuté, les marchés noirs ont connu une véritable
explosion, comme la dette extérieure du pays.
M. Gorbatchev n'a certes pas manqué de conseillers
radicaux. En six ans, il a épuisé trois équipes
d'économistes chargés auprès de lui de définir les
chemins pour engager l'Union soviétique dans la voie de
l'économie de marché (M. Abel Aganbeguian d'abord, MM.
Léonid Abalkine et Ivan Ivanov ensuite, MM. Stanislav Chataline et
Nikolaï Petrakov enfin). Puis deux économistes, MM. Grigori
Iavlinsky et Graham Allison, professeur de l'université d'Harvard
(Etats-Unis) affirmaient travailler pour sauver la perestroïka. On voit
donc que l'ex-patron du Kremlin a beaucoup fait pour sauver l'économie.
Lois et décrets se sont suivis à un rythme rapide
accéléré. La vie à Moscou, où les prix ont
fortement augmenté après presque soixante-dix ans de
stabilité, où des petits commerces privés se sont
créés et où des grandes marques occidentales (comme
MacDonald's) se sont installées, indique bien que la vie a changé
en Union soviétique. Mais les réformes engagées n'ont pas
véritablement permis la transition vers l'économie de
marché.
Les réformes ont en revanche accru la
désorganisation de l'appareil soviétique qualifiée
même d'anarchie par les hommes d'affaires occidentaux de retour
d'URSS.
Tout au long de ses six années, M. Gorbatchev a en fait
hésité entre une stratégie de rupture radicale et une
politique de transition douce. Il a en définitive toujours refusé
de faire le grand saut et a rejeté la réforme radicale
prônée par certains de ses conseillers. C'est ainsi qu'il devait
repousser in extremis à l'automne 1990 le fameux «plan des cinq
cents jours» préparé par ses collaborateurs et qui aurait
dû conduire à une transformation du système
économique en une période très courte.
Les débats sur la réforme économique ont
été permanents. Derrière les discussions
théoriques, ce sont en fait des questions politiques qui se posaient. M.
Gorbatchev a mis en particulier beaucoup de temps pour faire accepter une
évolution sur certains éléments-clés de ce qui
aurait pu être une véritable réforme : le rôle de
l'Etat dans l'économie, celui des administrations centrales ensuite (le
Plan, en particulier), notamment dans le système des prix.
Les dernières décisions de M. Gorbatchev
montrent qu'il avait peut-être réussi, après la
période de stagnation de l'hiver 1990, à obtenir quelques
concessions de la part de ses opposants. Chargé de la mise en oeuvre des
réformes, le Premier ministre, M. Valentin Pavlov, économiste
opposé à une véritable révolution libérale,
n'a pas vraiment facilité la tâche de M. Gorbatchev. Au
début de 1991, ce dernier avait, enfin, amorcé une réforme
dans le domaine essentiel des prix. Mais comme d'autres changements (la
réforme monétaire de janvier en particulier), celle-ci fut
engagée de manière très maladroite, provoquant un vif
mécontentement dans l'opinion.
La chute de la production pétrolière
apparaît comme symptomatique de la dégradation
générale de la situation économique. Les conditions
techniques et sociales de l'exploitation et des transports de cette
matière première essentielle à l'Union soviétique
se sont détériorées à un point tel que la
production s'est effondrée. L'URSS a été obligée de
limiter ses ventes à l'étranger, accusant ainsi une baisse de ses
recettes en devises. Sa balance commerciale s'est fortement
dégradée, son endettement en devises s'est accru.
Le scénario est sensiblement le même dans
l'ensemble des secteurs de l'économie nationale. La production agricole
avait été relativement satisfaisante, mais les conditions de
transport, de stockage et d'emballage étaient telles que les
consommateurs ne devaient pas pouvoir en bénéficier. La
réforme de la propriété dans les campagnes (avec
l'introduction d'un système de bail de longue durée) montre aussi
que le problème n'est pas attaqué de front. L'Etat central a
perdu les commandes de l'économie. Dans certaines Républiques, le
secteur privé se développe rapidement. Partout, les
marchés noirs fleurissent.
Face à cette détérioration de la
situation économique, M. Gorbatchev a cherché activement secours
à l'étranger. « Faute d'aides alimentaires notamment,
la dictature menace », expliquait-il en substance à ses
interlocuteurs occidentaux. En fait, la stratégie de compromis
adoptée pendant ses six années par M. Gorbatchev à
l'égard des capitaux étrangers a échoué.
Conformément à la politique du ver capitaliste
dans le fruit socialiste, certains conseillers du numéro un du Kremlin
estimaient, dès 1985, que, pour réformer l'économie
soviétique, il fallait faire venir les entreprises occidentales en URSS.
La législation de 1987 autorisant la création de
sociétés mariant capitaux occidentaux et soviétiques est
un symbole de ces compromis auxquels M. Gorbatchev s'est attaché. La
bureaucratie centrale a multiplié les obstacles pour la mise en oeuvre
de cette réforme. Elle fut un échec total. Les capitaux
étrangers ne sont pratiquement pas venus.
L'appel au secours en direction des Occidentaux se faisait de
plus en plus pressant. Ainsi, l'ex-numéro un soviétique avait
obtenu que l'URSS négocie un accord d'association avec les deux grands
organismes financiers que sont le fonds monétaire international (FMI) et
la Banque mondiale. Il avait ensuite annoncé une demande officielle
d'adhésion à ces deux institutions. Reprenant les conclusions
d'une étude approfondie menée par quatre organismes (le FMI, la
Banque mondiale, l'OCDE et la Banque européenne pour la reconstruction
et le développement), les Occidentaux lui avaient répondu qu'il
n'y aurait pas d'aides financières tant qu'il n'y aurait pas de
réformes radicales réelles.
L'échec de la loi sur l'entreprise de 1987 (qui est la
loi la plus importante) apparaît emblématique dans les
déboires de la perestroïka. Elle s'est heurtée à
différents problèmes révélateurs des
dysfonctionnements majeurs du système. Ainsi les ministères ont
continué à faire preuve d'autoritarisme en multipliant les
commandes d'Etats en ne laissant pas ainsi la possibilité au
marché de se développer. De plus les prix continuant à
être fixés de manière autoritaire l'impératif de
rentabilité de cette loi n'a pas vraiment de sens.
Nous pouvons donc dire que l'échec économique de
M. Mikhaïl Gorbatchev est sans doute l'une des principales causes de sa
chute. Il est vrai qu'il avait dans ce combat pour l'instauration d'une
économie de marché de nombreux et puissants adversaires.
Dès 1985, une sociologue réformatrice, Mme Tatiana
Zaslavskaïa, en avait dressé la liste. Elle citait «les
dogmatiques du parti et les privilégiés de la nomenklatura»
: les réformes en cours affaiblissaient le pouvoir financier du parti
lui-même. Elle y ajoutait les bureaucrates de l'appareil d'Etat ainsi que
certains dirigeants de l'armée : M. Gorbatchev voulait reconvertir
l'industrie militaire au civil. Mais elle comptait aussi parmi les
récalcitrants les ouvriers soviétiques eux-mêmes qui
fournissaient un travail faible pour des salaires bas. Les travailleurs de
l'URSS s'étaient habitués, en soixante-dix ans, à vivre
sur la base de ce compromis social.
Enfin Mme Zaslavskaia déplore la mentalité
égalitariste qu'elle considère comme la cause de la lenteur du
développement de l'économie soviétique. Les
réformateurs leur proposaient de travailler plus pour une situation
incertaine et une rémunération variable. Les résistances
multiples aux réformes économiques l'ont finalement
emporté.
Par ailleurs des raisons non économiques expliquent cet
échec. On peut souligner plusieurs limites importantes et
complémentaires qui ont contribué à l'échec de la
réforme.
Tout d'abord, l'opposition société/nomenklatura
: les réformes vont en effet clairement à l'encontre des
intérêts de la nomenklatura qui voit ses privilèges
menacés et qui freine de multiples manières l'avancée des
réformes. Cela rendait d'autant plus important pour M.Gorbatchev le
soutien inconditionnel de la société.
Or précisément, cette société, en
partie «libérée» par la glasnost, ne se contente pas de
critiquer la bureaucratie. La contestation s'élargit en effet au
système dans son ensemble. En fin de compte, la démocratie
à l'occidentale est finalement apparue pour les Soviétiques comme
bien préférable au communisme.
La fin de la Perestroïka (et de l'URSS)
Les deux dernières années du régime sont
une lente agonie où les dogmes et les institutions tombent les uns
après les autres, toutes les tentatives désespérées
de reprendre les choses en main ou de sauver le régime devant
échouer. «Puisant son origine au coeur même de l'URSS, la
contestation du système traditionnel soviétique a balayé
les pays du bloc. Ses membres ont profité de la confusion et des
indécisions pour s'affranchir de la tutelle de Moscou. La chute du
système impérial extérieur rejaillit ensuite sur l'empire
extérieur qui à son tour va imploser»29(*). L'éclatement de
l'union, l'incapacité à mettre en oeuvre les mesures
décidées au plus haut niveau, l'échec des réformes
économiques, la contestation croissante de l'autorité du pouvoir
central constituaient autant de menaces pour l'avenir de Gorbatchev. De plus le
renouveau conservateur renforce l'isolement de Gorbatchev qui fait l'objet de
critiques de plus en plus sévères de la société.
Celle-ci est partagée entre les intellectuels qui souhaitent des
changements rapides et la population qui veut surtout une amélioration
de ses conditions de vie. La lenteur des réformes et l'incapacité
du président à obtenir des résultats significatifs va
conduire à l'effondrement de sa popularité. L'abandon de certains
proches comme Chevarnadze qui démissionne de son poste de ministre des
affaires étrangères de l'époque ou encore d'Iakolev son
conseiller renferment de plus en plus Gorbatchev dans son isolement Ainsi,
pour rendre compte de cette agonie, c'est sous un angle chronologique que nous
allons aborder les évènements sonnant le glas des espoirs de la
perestroïka.
1990 :
En janvier, des manifestations en faveur de
l'indépendance de la Lituanie poussent le parlement lituanien à
proclamer l'indépendance de la république, il s'ensuivra des
menaces de blocus économique par Gorbatchev si la Lituanie n'abroge pas
les décisions prises lors de sa déclaration
d'indépendance. Cet ultimatum sera rejeté par le président
lituanien.
En février, Le principe d'instauration du régime
présidentiel est approuvé. Le rôle dirigeant du Parti
Communiste est abandonné. C'est la naissance du multipartisme.
Le 1er mai, A l'occasion de la
célébration de la fête du travail, M. Gorbatchev est
hué sur la place Rouge à Moscou et choisit de quitter la tribune
officielle.
Le 29 mai, M. Eltsine est élu président du
Parlement de la Fédération de Russie et réclame «la
souveraineté» de cette dernière.
Le 13 juillet, M. Gorbatchev est reconduit dans ses fonctions
de secrétaire général, Boris Eltsine quitte le PC
soviétique.
Le15 octobre, Mikhaïl Gorbatchev se voit
décerné le prix Nobel de la paix. alors que les troubles dans les
républiques se multiplient, en Azerbaïdjan, au Haut-Karabath, en
Kirghizie, en Moldavie... et six Républiques se déclarent
indépendantes.
En décembre 1990 : E.Chevarnadze démissionne en
dénonçant "l'avancée de la dictature". B.Eltsine condamne
lui aussi le vote de pouvoirs spéciaux à M.Gorbatchev. Ainsi les
promesses de libéralisation et de démocratisation de la vie
politique sont en train de voler en éclat, les problèmes
économiques conjuguées à la prolifération des
troubles politiques provoque un durcissement du pouvoir
1991 :
Au cours de l'année 1991, le débat politique a
délaissé petit à petit la question du passage à
l'économie de marché pour se centrer sur l'avenir de l'URSS et la
question des nationalités. D'un coté le PCUS soutient et
félicite des actions engagées contre les tentations
indépendantistes, de l'autre les démocrates, l'Eglise, ainsi que
diverses organisations soutiennent les évolutions démocratiques
et prônent le respect des choix.
En janvier 1991 : On assiste à une intervention
sanglante de l'armée dans les pays baltes à Vilnius et à
Riga contre les manifestations nationalistes. L'indignation est
générale.
Le 17 mars 1991 : le référendum sur le maintien
de l'Union est approuvé à 76% mais le scrutin n'a lieu que dans
les républiques qui n'ont pas déclaré leur
indépendance (9 sur 15). De plus, la question posée est
ambiguë puisqu'il y est question de la "souveraineté" des
républiques. Et c'est en réalité sur ce point-là
que le peuple s'est prononcé.
Parallèlement au référendum sur l'union
les électeurs russes sont appelés à se prononcer sur
l'instauration d'un poste de président de Russie élu au suffrage
universel. Cette proposition est acceptée (70% des suffrages). Ainsi le
12 juin 1991 : B.Eltsine est élu Président de la
Fédération de Russie.
Du 19 au 21 août, on assiste à un Putsch
manqué des communistes conservateurs contre M. Gorbatchev, alors en
vacances en Crimée. Ils s'opposaient au volontarisme de Gorbatchev qui
allait à l'encontre de leurs intérêts. Gorbatchev est
affaibli.
Le 24 août, M. Gorbatchev engage l' «auto
dissolution» du PCUS
29 août, le Parlement retire à Mikhaïl
Gorbatchev ses pouvoirs spéciaux en matière économique
Le 6 septembre, l'URSS reconnaît officiellement
l'indépendance des trois Républiques baltes.
Le 1er décembre, lors d'un
référendum, l'Ukraine se prononce à plus de 80 % pour
l'indépendance.
Le 8 décembre, les présidents de la Russie, de
l'Ukraine et de la Biélorussie constatent à Minsk que l'Union
soviétique n'existe plus. Ils décident de fonder une
Communauté d'Etats indépendants [CEI] ouverte à tous les
Etats de l'ancienne URSS.
Le17 décembre, MM. Gorbatchev et Eltsine
décident d'un commun accord que les structures de l'URSS cesseront
d'exister avant la fin de l'année.
Le 21 Décembre lors de la conférence d'Alma
Ata, la création d'une CEI est officialisé par les
présidents de onze républiques ex-soviétiques. C'est donc
la fin de l'URSS ; il n'y a désormais plus de citoyenneté
soviétique.
Enfin l'ultime étape de ce processus extraordinairement
rapide, voit M.Gorbatchev annoncer sa démission à la
télévision le 25 décembre 1991 en déclarant : "la
ligne du démembrement du pays et de la dislocation de l'Etat a
gagné, ce que je ne peux pas accepter". Le 25 décembre la plupart
des grands pays rendent hommage au rôle joué par Gorbatchev dans
la transformation pacifique de l'URSS. Le lendemain, la presse
ex-soviétique, restée fidèle à Gorbatchev ,
commente cette démission et souligne la grande avancée de la
perestroïka qui leur a donné « la liberté
de parole et de pensée. »
En fin de compte et malgré tous les efforts entrepris
par les réformistes la perestroïka est morte.
Tous ces événements précipitèrent
la fin de l'URSS. Ils mettent en lumière les carences du diagnostic de
Gorbatchev qui a sous estimé les velléités
indépendantistes qui n'ont cessé de s'amplifier avec la
détérioration de l'économie et l'appauvrissement de la
population.
Conclusion
La situation de l'économie soviétique des
années 1980 est le fruit de décennies de dysfonctionnements de
l'économie planifiée. La rupture que souhaitait Gorbatchev, c'est
à dire la création d'une économie mixte dans laquelle le
secteur d'Etat serait redynamisé par la présence de secteurs
privés et coopératifs, induisait une transition délicate
pour un système rongé par des contradictions internes. Ainsi,
lorsqu'il arrive au pouvoir en 1985 Gorbatchev ne manque pas d'atouts. Il
arrive avec un important crédit dû notamment à son charisme
et un vaste espoir de renouveau dans l'opinion. Il a pu de plus
bénéficier d'un certain soutien médiatique. Il s'attaqua
aux véritables problèmes de l'économie russe et a
tenté d'opérer une réforme systémique
nécessaire.
La volonté majeure de Gorbatchev était
d'améliorer et de renforcer l'autonomie des entreprises
soviétiques jusqu'ici soumises aux ordres de l'échelon
supérieur. Cette volonté d'amélioration de l'autonomie de
l'entreprise s'est heurtée à des habitudes et un mode de
fonctionnement si profondément ancré qu'il rendait tout
redressement significatif impossible.
Le but de la perestroïka était de restructurer
l'économie en se basant sur une volonté de s'aligner en quelques
sortes sur les pays occidentaux et en recherchant l'efficacité et la
rentabilité grâce à une meilleure utilisation des
ressources. Ce redressement a été tenté par
l'intermédiaire d'une série de décrets dont les plus
importants concernent les lois sur les entreprises qui leur ont permis
d'accéder à une plus grande autonomie financière. Les
autres décisions majeures ont concerné les réformes de
nature systémiques que sont la réforme des prix, un
véritable marché du crédit en matière bancaire, le
développement du secteur privé et coopératif, la
possibilité de locations dans l'agriculture, ainsi que la
réduction des dépenses militaires. Ces diverses réformes
avaient pour but de moderniser une économie sinistrée et de
permettre le passage vers l'économie de marché.
La démocratisation de la vie politique s'est
appuyée sur la transparence. Cependant, la situation économique,
non contente de stagner comme précédemment, se dégrade
très sensiblement. Les pénuries, les grèves et les
troubles sociaux se multiplient, le marché noir devient florissant,
principalement parce que les réformes économiques ont
« désorganisé les rouages traditionnels sans les
remplacer par de nouveaux»30(*). Autrement dit, l'économie s'est
retrouvée sans plan ni marché, situation intermédiaire et
intenable. Ainsi, les prix ont flambé (+60% en un jour après la
libéralisation des prix du 2 avril 1990), et ces
inégalités-là, largement plus visibles que les avantages
en nature dont jouit la nomenklatura, ont rendu la perestroïka
impopulaire.
Par ailleurs de nombreux handicaps n'ont pas permis à
la perestroïka d'obtenir le succès qu'elle espérait. Les
causes de l'échec sont multiples et se situent à plusieurs
niveaux. Que ce soit le poids des forces conservatrices (dans le Parti,
l'armée, la police, l'administration, la nomenklatura ), la force
d'inertie colossale de la lourde machine soviétique, l'incertitude ou
incrédulité d'une partie de la population ou encore
l'émergence de problèmes jusque là masqués comme
l'éveil des nationalités (Pays baltes, Arménie, Asie
centrale), les religions minoritaires, les catégories
socioprofessionnelles particulièrement défavorisées
(mineurs), tous ces éléments ont contribué à des
degrés divers à l'échec de la réforme.
Ces différentes tentatives furent vaines, et
l'échec économique, a sonné le glas des espoirs de ceux
qui croyaient encore à la pérennité d'un tel
système.
Le socialisme qui a existé en tant que
système économique et social était dominé et
défini par le monopole de pouvoir et d'idéologie du parti
communiste. Ce système était cohérent et viable,
malgré ses dysfonctionnements (que Kornai a résumé dans
l'expression d' « économie de pénurie »). Pour
Denis Brand ce sont les nombreuses tentatives d'améliorations du
système depuis le milieu des années soixante qui ont mené
le système à sa perte car ils ont introduit dans son
fonctionnement des «éléments contradictoires et
incompatibles». Il explique que «le système s'est
effondré quand la réforme a touché la pierre d'angle,
à savoir le monopole du pouvoir».
Enfin il convient de se situer dans une perspective plus
actuelle et ressentir avec plus de recul ce qu'a été, il y a 20
ans, la perestroïka, par l'évocation de sondages d'opinion
récents du Centre d'Etude de l'Opinion Publique qui révèle
que vingt ans après, les Russes ne pardonnent pas la perestroïka.
Ils sont 61% à exprimer un point de vue négatif sur
l'expérience politique impulsée par l'ex-président
soviétique Mikhaïl Gorbatchev, contre 14% seulement estimant
positifs les changements introduits par le dernier président de l'URSS.
Sur la personne même de Gorbatchev, 45% de la population a une opinion
négative de l'ex-président, alors que 13% apprécient son
oeuvre.
Pour 24% des Russes, Gorbatchev avait
dès le départ projeté la désintégration
soviétique. Ils sont 23% à penser qu'il voulait réformer
le système socialiste de l'intérieur pour lui donner un visage
humain.
Ainsi nous pouvons dire que si sa chute a été
brutale et son bilan controversé, Gorbatchev aura eu au moins un
«mérite», celui d'avoir essayé de réformer un
système irréformable.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
Abel Aganbeguian : Perestroïka: le double
défi soviétique, Paris Economica, 1987
Chantal Beaucourt : L'agriculture soviétique sous
contrat, Paris, La Découverte 1988
Denis Brand : L'expérience soviétique,
Editions Dalloz, Paris 1993
Hans Bloommestein : Transformation des économies
planifiées. Réforme du droit de propriété et
stabilité macroéconomique, Paris OCDE, 1991
Wlodimierz Brus : Problèmes
généraux du fonctionnement de l'économie socialiste,
Paris Maspero, 1970
A Gauthier : Genèse et économie de
l'URSS, Bréal, 1986
Pierre Georges : l'économie de l'URSS,
Presses universitaires de France, 1985
V.Gorodetskii : Les fondements théoriques de la
restructuration systématique des prix,
Albert Hirschman : The strategy of economic development,
Yale University Press, 1958
Janos Kornai : Socialisme et économie de la
pénurie, Paris Economica, 1984
Michel Laran et Jean Louis Van Regemorter : La Russie et
l'ex-URSS de 1914 à nos jours, Masson, 1986
Pascal Lorot : Histoire de la perestroïka,
Editions Que sais-je ?, 1990
Valentin Pavlov : Réformer le système des
prix,
Xavier Richet : Les économies socialistes
européennes, Paris Armand Colin éditeur, 1992
Annexe
Les Plans de 1928 à 1980
Ier Plan (1928-1932)
Il s'agit de modifier radicalement les structures
économiques et sociales afin de constituer une industrie solide, seule
susceptible d'assurer l'indépendance face au monde capitaliste, et de
donner de réels emplois nouveaux à une population dont le rythme
d'accroissement annuel est de 2%.
On substitue à la NEP une volonté unique
d'aménagement. On met l'accent sur l'industrie lourde et surtout sur le
secteur énergétique. Dans le domaine agricole, c'est la
collectivisation forcée et la dékoulakisation (famine en
Ukraine).
IIe Plan (1933-1937)
Il porte surtout sur la sidérurgie. Près de 25% des
investissements sont consacrés à la construction du complexe
Oural-Kouznetsk, fondé sur les ressources en minerai de fer de l'Oural
et la houille du Kouzbass, reliés par une ligne de chemin de fer de
2 000 kilomètres. On fait un effort pour motoriser les campagnes.
Le IIe Plan rencontre de sérieuses difficultés
en 1937. Les deux premiers plans voient une progression au niveau de la
production d'ensemble, mais la vie quotidienne est marquée par le
dénuement et les restrictions.
IIIe Plan (1938-1942)
Il est interrompu par la guerre, et prévoyait l'essor des
constructions mécaniques.
IVe Plan (1946-1950)
Il fixe les objectifs et les moyens de la reconstruction
économique.
Ve Plan (1951-1955)
Il est partiellement interrompu par la mort de Staline (mars
1953). Il était marqué par le gigantisme de ses perspectives,
prévoyant la construction de puissantes centrales
hydroélectriques en URSS d'Europe et en Sibérie, et la
création d'une nouvelle base sidérurgique en Sibérie.
VIe Plan (1956-1960)
Les données sont peu explicites; ce furent plutôt
trois plans annuels.
VIIe Plan (1959-1965)
C'est le seul plan septennal. Il était axé sur la
diversification des objectifs et une plus grande place laissée aux
industries de biens de consommation.
VIIIe Plan (1966-1970), IXe Plan (1971-1975),
Xe Plan (1976-1980)
Ils ont pour objectif de maintenir un bon rythme de
développement industriel (croissance de 6-8% par an), tout en
s'efforçant de développer la production agricole, sans trop
d'illusions (+4%).
* 1 W.Brus :
Problèmes généraux du fonctionnement de l'économie
socialiste, Maspero 1970.
* 2 Brus :
Problèmes généraux du fonctionnement de l'économie
socialiste, Maspero 1970.
* 3 Xavier
Richet : Fonctionnement de l'économie socialiste, Armand
colin éditeur 1992.
* 4 A Gauthier :
Genèse et économie de l'URSS, Bréal 1986.
* 5 Kornai : Socialisme
et économie de la pénurie. Paris, Economica 1984.
* 6 Pierre Georges :
L'économie de l'URSS, presses universitaires de France,
1985.
* 7 A.Aganbeguian :
Perestroïka: le double défi soviétique, Paris,
Economica 1984.
* 8 Denis Brand :
L'expérience soviétique, Editions Dalloz, Paris 1993.
* 9 A.O. Hirschman: The
strategy of economic development, Yale university press, 1958.
* 10 Brus :
Problèmes généraux du fonctionnement de
l'économie socialiste, Maspero 1970
* 11
Brus : Problèmes généraux du
fonctionnement de l'économie socialiste, Maspero, 1970.
* 12 Gorodetskii : Les
fondements théoriques de la restructuration systématique des
prix
* 13 Pierre Georges :
L'économie de l'URSS, presses universitaires de France,
1985.
* 14 J. Kornai :
Socialisme et économie de la pénurie, Paris Economica,
1984.
* 15 FMI, Banque mondiale,
OCDE : L'économie de l'URSS, résumé et
recommandations, Paris 1991.
* 16 D. Brand :
L'Expérience soviétique, Editions Dalloz, Paris 1993.
* 17 A Gauthier :
Genèse et économie de l'URSS , Bréal
1986.
* 18 A Gauthier :
Genèse et économie de l'URSS, Bréal 1986.
* 19 Pierre Georges :
L'économie de l'URSS, Presses universitaires de France, 1985.
* 20 Pierre Georges :
L'économie de l'URSS, Presses universitaires de France, 1985.
* 21 W. Brus :
Problèmes généraux du fonctionnement de
l'économie socialiste, Paris Maspero 1970.
* 22 Pascal Lorot :
Histoire de la perestroïka, Editions Que sais-je ? 1990.
* 23 Denis Brand :
L'expérience soviétique, Editions Dalloz, Paris 1993.
* 24 X. Richet : Les
économies socialistes européennes, Armand Colin Editeur,
Paris 1992.
* 25 H. Bloommestein et M
Marrese : Transformation des économies planifiées.
Réforme du droit de propriété et stabilité
macroéconomique, Paris OCDE 1991.
* 26 X. Richet : Les
économies socialistes européennes, Armand Colin Editeur
Paris 1992.
* 27 Pavlov :
«Réformer le système des prix»
* 28 C.Beaucourt :
« L'agriculture soviétique sous contrat », revue
problèmes économiques n°85.
* 29 A. Gauthier :
Genèse et économie de l'URSS , Bréal
1986.
* 30 Pascal Lorot :
Histoire de la perestroïka, Editions Que Sais-je 1990
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