La conception du monde dans le Tractatus Logico-philosophicus de Wittgenstein( Télécharger le fichier original )par Médih CHAAL Université de Tunis - Maitrise 2008 |
3. La circonscription du monde et l'édifice du sens.« La langue est la mère, non la fille, de la pensée»14(*)
L a question fondamentale qui préoccupe Wittgenstein lorsqu'il réfléchit sur le langage n'est autre que celle su Sens. La philosophie antique et médiévale, voire même moderne, associe le langage au concept de « vérité » dans le sens où ce concept représente la pierre de touche de toute la logique. Pour la tradition aristotélicienne, par exemple, seul « le discours dans lequel réside le vrai ou le faux »15(*) est un discours qui respecte la logique. Autrement, il n'a aucune signification. Wittgenstein prend le contre-pied de cette tradition en associant le langage au concept de « sens » puisque dès le début de l'ouvrage il est affaire de « traiter des problèmes de la philosophie, et montrer, que la raison pour laquelle ces problèmes se posent est que la logique de notre langage est mal comprise. Le sens global de ce livre [Tractatus] pourrait être résumé par les mots suivants : tout ce qui peut être dit peut être dit clairement, et ce dont nous ne pouvons parler, il faut le taire »16(*). Pour parler du sens, il faut remettre le langage à son élément de plus simple ; la proposition. Une proposition se décompose en noms. Ces noms, nous l'avons vu, ne peuvent jamais être considérés indépendamment d'une proposition et ne peuvent non plus s'insérer dans tous les contextes : les différentes combinaisons possibles entre les noms donnent différents propositions et différents sens. Puisque le langage est image/reflet de la réalité, alors « la totalité des proposition est la langue ».17(*). Le Wittgenstein du Tractatus Logico-philosophicus cherche à déterminer les limites du dicible, du sensé. C'est pour cela qu'on distingue chez lui les propositions sensées des propositions qui ne le sont pas ; il existe deux catégories : û Les propositions sensées, ou pourvues de sens (sinnvoll). û Les propositions insensées (unsinnig) et celles vides de sens (sinnlos). On se contentera, dans cette partie, de la première catégorie de propositions puisque, pour Wittgenstein, une proposition est dite authentique si et seulement si elle a un sens, sinon, non. Les critères du sens sont extrêmement rigoureux. Une proposition a un sens si les noms qu'elle contient possèdent une signification. Par conséquent, toute proposition dont les termes ne réfèrent pas est exclue du sensé ; ceci est valable pour les propositions de la métaphysique, mais aussi pour tous les énoncés de fiction. Selon Wittgenstein, la fameuse phrase frégéenne citée dans "Ecrits logiques et philosophiques", (Sens et Dénotation), « Ulysse fut déposé sur le sol d'Ithaque en profond sommeil » ne possède aucun sens18(*) : le signe « Ulysse » étant légendaire/irréel, ne dénote absolument rien. La position du jeune philosophe viennois quant à son maître s'explique par une différence primordiale dans la considération de la proposition.
En outre, même si les noms qui composent la proposition dénotent, il n'est pas toujours garanti d'obtenir des propositions sensées19(*). Une proposition est insensée lorsqu'elle fait un usage incorrect des signes. Si un signe est utilisé dans un contexte où il ne peut pas figurer (à cause de sa forme), la proposition est dépourvue de sens. « Médih boit un livre » est une proposition insensée, puisque le signe « un livre » ne peut se combiner avec le verbe boire (mais peut se combiner avec d'autres tel que : lire, apporter, arranger, acheter, offrir, déchirer ...). Toutefois, il existe aussi des propositions dans lesquels la cohérence de combinaison entre les noms est possible mais qui ne sont pas sensées : « un livre lit Médih » n'est pas douée de sens, mais « Médih », « lit » et « un livre » peuvent être en relation pour aboutir à une proposition authentique du type « Médih lit un livre » qui est une proposition sensée : il importe de mettre l'accent sur la façon dont se combinent les signes. Partant de 4.121, l'aphorisme énonçant que « la proposition montre la forme logique de la réalité. Elle l'indique » on constate qu'il existe une bifonctionnalité assignée au langage : Dire & Montrer. Dans le Tractatus Logico-philosophicus, une proposition sensée est une proposition qui représente la réalité tout en gardant la même forme logique du représenté et la même multiplicité d'éléments qui la composent que ceux du fait, c'est-à-dire les objets. La proposition, image du monde, dit la réalité dont l'homme ne cesse de chercher de la démystifier. Ceci explique que le langage médiatise le rapport Homme - Homme et Homme - Monde en quête d'acquérir la connaissance et la vérité. * 14 Karl Kraus, Aphorismes, trad. Roger Lewinter, p.55, Éd. Mille et une nuits, n°198. * 15 Aristote (De Interpretatione, 4, trad. J. Tricot, Vrin, 1959) : « tout discours a une signification, non pas toutefois comme un instrument naturel, mais ainsi que nous l'avons dit, par convention. Pourtant, tout discours n'est pas une proposition, mais seulement le discours dans lequel réside le vrai ou le faux, ce qui n'arrive pas dans tous les cas : ainsi la prière est un discours, mais elle n'est ni vrai ni fausse. Laissons de côté les autres genres de discours : leur examen est plutôt l'oeuvre de la Rhétorique ou de la Poétique. C'est la proposition que nous avons à considérer pour le moment ». * 16 Tractatus logico-philosophicus, Ludwig Wittgenstein (trad. Gilles Gaston Granger), éd. Gallimard Tel, 1993 (ISBN 2-07-075864-8), préface, p. 31. * 17 TLP 4.001. * 18 La proposition de Frege « Ulysse fut déposé sur le sol d'Ithaque dans un profond sommeil » a un sens pour le vieil allemand mais elle ne l'en a pas chez Wittgenstein. Une proposition tel que « Socrate est le maître de Platon » a un sens. La différence est que Socrate a existé, tandis que Ulysse est un personnage de la mythologie grecque, malgré l'absence e preuve quant à l'existence de Socrate. * 19 « La proposition n'est pas un mélange de mots » TLP 3.141. |
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