Sommaire.
Introduction.
1. Les origines de la conception du
« monde » dans le Tractatus Logico-philosophicus
de Wittgenstein.
2. Le monde comme condition de possibilité du
langage.
3. La circonscription du monde et l'édifice du sens.
4. Le monde comme table de vérité.
Conclusion.
Bibliographie.
Glossaire.
Introduction.
« Le propre de la philosophie est de commencer
par quelque chose de si simple qu'il ne semble pas la peine de
l'énoncer, et de terminer par quelque chose de si paradoxal que personne
n'y croira»1(*)
N
ombreuses sont les « fables » qui
racontent l'histoire de la naissance de la philosophie, celles qui reviennent
à Socrate ou celles qui remontent plus loin au
« couple » Héraclite/Parménide.
Ce qui demeure important de retenir de ces fables, c'est que
la philosophie, au sens reconnu du terme, retrouve ses origines au moment
où le Père Socrate a rompu avec le sophisme et les
allégories, c'est-à-dire avec tout ce qui se rapporte à la
tricherie et à la supercherie ou à l'illusionnisme et à la
fascination verbale.
Donc, c'est en instaurant une
« critique »2(*) du discours que la philosophie est née. Cette
naissance a donné ensuite lieu à la fameuse ontologie
platonico-aristotélicienne de la « fission
cosmologique » en deux mondes verticalement superposés dont
l'un est régi par l'autre, et que tout discours ou explication doit en
tenir compte.
Bref, une réhabilitation du
« logos »3(*) a causé une conception du monde qui de sa part
a aboutit à une « phusis »4(*), à une astrologie et
à une théologie toutes trois bien tressées.
Avec l'effondrement de toute cette conception
aristotélico-ptoléméenne, provoqué par la
« Révolution copernicienne », ce sont les anciennes
interrogations qui reviennent ; Qu'est-ce que le monde ? Existe-t-il
un au-delà ? Ajoutées à pleines d'autres questions
qui s'imposent avec accentuation.
Même si l'histoire semble se répéter, il
est sage de savoir qu'on ne suit jamais un chemin qui a mené à
l'erreur deux fois de suite. Donc, il faut changer de manoeuvre.
Tout d'abord, l'ère moderne inaugurera ses
réformes par une nouvelle science qui naît : la
Physique moderne, et par la suite et comme le remarque Kant
dès ses premiers pas critiques, l'objectif est de suivre le
succès de la physique pour regagner « le chemin sûr
d'une science » pour les autres disciplines, et surtout la
métaphysique5(*).
On peut donc remarquer d'emblée qu'on peut retrouver le
chemin grec (réhabilitation du langage ? naissance de la philosophie ?
conception du monde ? sciences de la nature), mais à l'envers. C'est la
physique moderne qui nous explique les phénomènes de la nature et
ce sont les sciences nouvelles qui sont relancées (cinématique,
biologie, chimie ...) qui, toutes, donnent la nouvelle conception du monde.
Il est quasi-évident de prévoir, dès
lors, l'achèvement de l'éternel retour philosophique pour voir
arriver le tour de l'affaire du langage dans le projet de la révolution
copernicienne, et qui représentera cette fois non pas le point de
départ d'une philosophie, mais plutôt l'apogée de toute une
rationalité avec la réapparition d'un nouveau Socrate qui prendra
pour tâche non pas de fournir un système philosophique quelconque
mais un philosophe qui annonce sa tâche nettement « Mon livre
consiste en deux parties : celle ici présentée, plus ce que
je n'ai pas écrit. Et c'est précisément cette seconde
partie qui est la partie importante. Mon livre trace pour ainsi dire de
l'intérieur les limites de la sphère de l'éthique, et je
suis convaincu que c'est la SEULE façon rigoureuse de tracer ces
limites. En bref, je crois que là où tant d'autres aujourd'hui
pérorent, je me suis arrangé pour tout mettre bien à sa
place en me taisant là-dessus»6(*).
Mon discours paraît, à vue d'oeil, pareil
à des confabulations évangéliques ou des prévisions
astrales, mais on verra que l'histoire de la philosophie a pourtant suivi une
logique dans l'ordre de l'apparence de ses « champions».
1. Les origines de la conception du
« monde » dans le Tractatus logico-philosophicus de
Wittgenstein.
« Vers 1900, les problèmes
interdépendants de la communication, de l'authenticité et de
l'expression symbolique avaient été abordés de
façon parallèle dans tous les domaines majeurs de la
pensée de l'art - par Kraus et Schoenberg, Loos et Hofmannsthal, Rilke
et Musil. Ainsi la scène avait été préparée
pour une critique philosophique du langage, formulée en termes
complètement généraux »7(*)
T
out d'abord, il est confirmé d'introduire à une
lecture du Tractatus afin de pouvoir extraire ce qui s'avèrera
propice de bien construire les éléments du travail et aussi les
indices de l'originalité et de la spécificité de la
pensée du Jeune Wittgenstein.
Le Tractatus logico-philosophicus de Ludwig
Wittgenstein est la seule oeuvre publiée de son vivant. Elle
représente le fruit de l'emprunt et du contre-pied qu'éprouve le
viennois quant aux pensées de Bertrand Russell et de Gottlob Frege mais
aussi de Karl Kraus.
On peut, par la même faire citer que Kant occupe une
place centrale dans la vie intellectuelle du viennois et que Schopenhauer avec
Hertz sont des auteurs, qui du coté allemand, ont le plus
influencé le Tractatus.
Janik et Toulmin situent la problématique
métaphysique du Tractatus dans la perspective d'une
évolution logique partie de Kant, qui à travers Schopenhauer, a
abouti à l'individualisme éthique de Kierkegaard et au
radicalisme esthétique de Tolstoï. Kierkegaard et Tolstoï sont
deux auteurs pour lesquels Wittgenstein éprouvait une
vénération particulière.
Ce Tractatus, (dont la dénomination latine
suggérée par G. E. Moore, adhère à une
« mode » anglaise de l'époque qui reste
fidèle à un Isaac Newton légendaire8(*)) est un ouvrage qui
détermine des règles a priori régissant le
fonctionnement du langage pour garantir l'expression du sens. Il s'agit d'un
livre qui a pour objectif « de tracer une limite à la
pensée, ou plutôt - pas à la pensée, mais à
l'expression des pensées ; car, pour être capable de tracer
une limite à la pensée, nous devrions être capables de
penser les deux côtés de la limite (nous devrions être
capables de penser ce qui ne peut être pensé). Ce sera par
conséquent seulement dans le langage que la limite pourra être
tracée, et ce qui se situe de l'autre côté de la limite
sera simplement du non-sens »9(*).
Toutefois, malgré que Wittgenstein avoue que c'est
grâce aux travaux des ses deux grands maîtres Frege et Russell
qu'il doit l'ébullition de ses idées, on remarquera que style,
contenu et arrière-plan du Tractatus sont à l'antipode
de ceux de Frege et surtout ceux de Russell, en ce qui concerne la conception
de la paire sens/signification, mais aussi le décalage
se constate en ce mélange qui rallie la mathématisation de la
logique formelle appliquée à la philosophie du langage et une
conception réformatrice de la phénoménologie husserlienne
qui capitalise un « je dans le monde » comme essence d'un
Être humain de la perception.
Bref, il s'agit d'un
« kantisme ravitaillé » qui peut être
considéré comme la turbine du Tractatus ; il est affaire de
délimiter le monde que les philosophes n'ont cessé de le
définir de manière qu'il puisse enfin nous faire éviter
l'embarras de l'errance et du délire. Wittgenstein sera le
« premier » à rompre avec la tradition philosophique
qui a tant médité sous l'ombre d'un ciel métaphysique. Il
posera de nouvelles questions devant l'instance de la raison (comme l'a fait le
koenigsbergien) pour pouvoir classer sensées et insensées les
propositions du langage qui ont pour fonction primaire de dire le monde :
l'affaire est de mettre les conditions de possibilité du dicible.
En quoi consiste la conception du monde dans le
Tractatus ? Et comment peut-il être condition de possibilité
du langage ?
2. Le monde comme condition de possibilité du
langage.
« Loin de tirer son origine du Tractatus
logico-philosophicus de Wittgenstein [...], l'idée de considérer
le langage, les symbolismes et les moyens d'expression de toute espèce
comme nous donnant des « représentations »
[Darstellungen] ou des « images » [Bilder] était
devenue autour de 1910 un lieu commun dans tous les secteurs du débat
culturel viennois. Parmi les scientifiques, cette notion avait
été en circulation au moins depuis l'époque de Hertz, qui
avait caractérisé les théories physiques comme fournissant
justement ce genre de Bild ou de Darstellung des phénomènes
naturels. A l'autre extrémité, elle était pareillement
familière chez les artistes et les musiciens ; Arnold Schoenberg,
par exemple, a écrit un essai sur la pensée musicale, avec comme
titre, Der musikalische Gedanke und die Logik, Technik und Kunst seiner
Darstellung»10(*)
D
e prime abord, il faut bien mentionner que Wittgenstein, dans
le Tractatus logico-philosophicus, remet le langage à ses
composantes les plus ultimes ; les propositions. Une proposition
élémentaire, c'est-à-dire qui n'est pas constituée
d'autres propositions (primaire), a un sens si et seulement si elle est image
du monde/de la réalité, celle-ci composée de
faits.11(*)
Une image du monde est une
« phrase »12(*) qui décrit ou qui exprime un fait de la
réalité. La totalité des faits constitue le monde et la
totalité des propositions (images de la réalité) constitue
le langage.
Un fait de la réalité est
constitué par un ensemble d'objets en connexion existante. Si cette
connexion n'est pas existante/mais elle est possible, elle est appelée
un état de chose.
Pour pouvoir assurer la « figurabilité»
l'image doit avoir la même forme logique et la même
multiplicité13(*)
logique pour qu'elle puisse représenter ou bien une connexion existante
d'objets ou bien une non-existante.
Pour expliquer, faut-il dire que le nombre de signes simples
dans la proposition et le mode de leur connexion doit correspondre au nombre
d'objets dans le fait et le mode de leur connexion.
Ainsi, le langage parle du monde, le monde est son objet. Un
langage qui ne parle pas du monde n'a pas d'objet et par voie de
conséquence doit garder le silence.
C'est alors qu'on parvient à comprendre le monde comme
condition de possibilité du langage dans le Tractatus
logico-philosophicus.
Dès le premier aphorisme du livre, Wittgenstein nous
présente la première définition du monde « Die
Welt ist alles, was der Fall ist ». On peut comprendre que, depuis le
début, Wittgenstein nous enseigne le monde en nous fournissant la
connaissance de la décomposition de la réalité en ses
constituants ultimes. Ce monde, qui se décompose en faits, rompt avec la
conception qui prétend que le monde est la totalité des objets,
ce qui n'empêche d'ôter à Wittgenstein le mérite
d'avoir cherché à fonder une ontologie innovatrice.
Ainsi, si Russell pense que les objets sont les composantes
primaires du monde, Wittgenstein montre, par l'analyse logique, qu'il est
impossible d'aller au-delà des faits, sans nier l'existence des objets
qui est postulée, parce que réellement les objets du monde ne
peuvent aucunement se trouver isolément les uns des autres : un
objet est toujours en connexion, il est défini par son occurrence dans
un état de chose. L'objet est simple, fixe et non contingent, et ces
caractéristiques lui sont essentielles puisqu'il constitue la substance
du monde. La substance est par définition fixe, permanente et
inchangeable, et c'est pour ce fait que les objets qui la constituent doivent
l'être aussi.
Mais la question qui se pose est la suivant ; comment
peut-on comprendre que les objets constituent la substance du monde mais non
pas le monde ?
Pour répondre à cette question, il faut
mentionner que connaître le monde réfute l'abstraction. Le monde
de Wittgenstein est réel, il a des
propriétés matérielles et descriptibles. Ces
propriétés sont données par les connexions réelles
d'objets qui génèrent ce qui a lieu et ce qui n'a pas lieu. Le
monde réel est le monde de la contingence ce qui contredit la
supposition de sa constitution par des objets fixes et permanents.
Pour dire le monde, Wittgenstein établit alors une
relation correspondantiste entre le langage et la réalité. Ce
lien se manifeste sur deux niveaux :
Une relation descriptive, celle de dire les faits (la
proposition) et celle de nommer les objets (les noms).
Par analogie, le langage suit le même schème de
l'analyse du monde, les noms d'objets (qui dénotent des objets) sont
simples, fixes et inchangeables, et ainsi ils constituent la substance du
langage. Les propositions, qui disent les faits - ou les états de choses
- sont les constituants du langage.
Cette conception bipolaire, monde/langage, représente
la plateforme de la philosophie de Wittgenstein. Néanmoins, elle se
manifeste comme outil de détermination du sens, fin intime de l'ouvrage,
et c'est pour cela qu'on traitera la question du sens dans Tractatus
Logico-philosophicus.
3. La circonscription du monde et l'édifice du
sens.
« La langue est la mère, non la fille, de
la pensée»14(*)
L
a question fondamentale qui préoccupe Wittgenstein
lorsqu'il réfléchit sur le langage n'est autre que celle su
Sens.
La philosophie antique et médiévale, voire
même moderne, associe le langage au concept de
« vérité » dans le sens où ce concept
représente la pierre de touche de toute la logique.
Pour la tradition aristotélicienne, par exemple, seul
« le discours dans lequel réside le vrai ou le
faux »15(*)
est un discours qui respecte la logique. Autrement, il n'a aucune
signification.
Wittgenstein prend le contre-pied de cette tradition en
associant le langage au concept de « sens » puisque
dès le début de l'ouvrage il est affaire de « traiter
des problèmes de la philosophie, et montrer, que la raison pour laquelle
ces problèmes se posent est que la logique de notre langage est mal
comprise. Le sens global de ce livre [Tractatus] pourrait être
résumé par les mots suivants : tout ce qui peut être
dit peut être dit clairement, et ce dont nous ne pouvons parler, il faut
le taire »16(*).
Pour parler du sens, il faut remettre le langage à son
élément de plus simple ; la proposition.
Une proposition se décompose en noms. Ces noms, nous
l'avons vu, ne peuvent jamais être considérés
indépendamment d'une proposition et ne peuvent non plus s'insérer
dans tous les contextes : les différentes combinaisons possibles
entre les noms donnent différents propositions et différents
sens. Puisque le langage est image/reflet de la réalité, alors
« la totalité des proposition est la
langue ».17(*).
Le Wittgenstein du Tractatus Logico-philosophicus
cherche à déterminer les limites du dicible, du sensé.
C'est pour cela qu'on distingue chez lui les propositions sensées des
propositions qui ne le sont pas ; il existe deux
catégories :
û Les propositions sensées, ou pourvues de sens
(sinnvoll).
û Les propositions insensées (unsinnig)
et celles vides de sens (sinnlos).
On se contentera, dans cette partie, de la première
catégorie de propositions puisque, pour Wittgenstein, une proposition
est dite authentique si et seulement si elle a un sens, sinon, non.
Les critères du sens sont extrêmement rigoureux.
Une proposition a un sens si les noms qu'elle contient possèdent une
signification.
Par conséquent, toute proposition dont les termes ne
réfèrent pas est exclue du sensé ; ceci est valable
pour les propositions de la métaphysique, mais aussi pour tous les
énoncés de fiction.
Selon Wittgenstein, la fameuse phrase frégéenne
citée dans "Ecrits logiques et philosophiques", (Sens et
Dénotation), « Ulysse fut déposé sur le sol
d'Ithaque en profond sommeil » ne possède aucun
sens18(*) : le signe
« Ulysse » étant
légendaire/irréel, ne dénote absolument rien.
La position du jeune philosophe viennois quant à son
maître s'explique par une différence primordiale dans la
considération de la proposition.
Pour Frege
|
Pour Wittgenstein
|
La proposition est un nom.
|
La proposition n'est pas un nom.
|
Elle possède un sens
La manière dont est présenté l'objet. ? le
sens de la proposition : une pensée.
|
Elle possède une dénotation
L'objet même. ? la dénotation de la
proposition : une valeur de vérité.
|
A un sens.
Une fonction descriptive représentative.
|
Le nom a une dénotation
Fonction nominative.
|
Vérité & fausseté ?
propriétés du sens de la proposition.
|
En outre, même si les noms qui composent la proposition
dénotent, il n'est pas toujours garanti d'obtenir des propositions
sensées19(*).
Une proposition est insensée lorsqu'elle fait un usage
incorrect des signes. Si un signe est utilisé dans un contexte où
il ne peut pas figurer (à cause de sa forme), la proposition est
dépourvue de sens. « Médih boit un livre »
est une proposition insensée, puisque le signe « un
livre » ne peut se combiner avec le verbe boire (mais peut se
combiner avec d'autres tel que : lire, apporter, arranger, acheter,
offrir, déchirer ...).
Toutefois, il existe aussi des propositions dans lesquels la
cohérence de combinaison entre les noms est possible mais qui ne sont
pas sensées : « un livre lit Médih »
n'est pas douée de sens, mais « Médih »,
« lit » et « un livre » peuvent
être en relation pour aboutir à une proposition authentique du
type « Médih lit un livre » qui est une proposition
sensée : il importe de mettre l'accent sur la façon dont se
combinent les signes.
Partant de 4.121, l'aphorisme énonçant que
« la proposition montre la forme logique de la
réalité. Elle l'indique » on constate qu'il existe
une bifonctionnalité assignée au langage : Dire &
Montrer. Dans le Tractatus Logico-philosophicus, une proposition
sensée est une proposition qui représente la
réalité tout en gardant la même forme logique du
représenté et la même multiplicité
d'éléments qui la composent que ceux du fait, c'est-à-dire
les objets.
La proposition, image du monde, dit la réalité
dont l'homme ne cesse de chercher de la démystifier. Ceci explique que
le langage médiatise le rapport Homme - Homme et Homme - Monde en
quête d'acquérir la connaissance et la vérité.
4. Le monde comme table de vérité.
« Parmi les devoirs particuliers envers autrui,
le premier est la véracité de la parole et de la conduite. Elle
consiste dans la conformité entre ce qui est et dont on a conscience et
ce que l'on dit et montre aux autres»20(*)
P
our Wittgenstein, les propositions sensées doivent
contenir l'aptitude à un critère de vérifiabilité.
Une proposition qui a un sens, se caractérise par le fait que tous les
noms qui la composent dénotent des objets de la réalité,
en plus, cette proposition est l'image de la réalité,
c'est-à-dire qu'elle « prétend »
décrire une « situation » qui appartient au monde
réel puisque « le monde et la vie ne font
qu'un »21(*).
La proposition qui se décompose en noms simples peut
exprimer une situation possible de la réalité, elle est une
proposition sensée outre de l'existence ou de la non-existence du fait
décrit, c'est-à-dire indépendamment de sa
vérité ou de sa fausseté. Ainsi, une proposition comme
« L'avion en provenance de Vienne a atterri à
16H » est une proposition qui a un sens mais on
ne peut nullement savoir si elle est vraie ou non. Pour savoir si elle est
vraie ou fausse, autrement, connaître si elle s'accorde avec la
réalité, il faire recours à la réalité et
établir une comparaison afin de vérifier si l'articulation des
noms qui la composent représente une connexion existante ou
non-existante d'objets.
Une proposition qui dit une connexion existante ; un fait
est une proposition vraie. Si elle dit une connexion possible mais
non-existante ; un état de chose alors elle est fausse.
Une proposition est vraie ou fausse, si et seulement si elle
tout d'abord sensée et simple.
Si la proposition n'est pas composée de noms simples,
nous ne pouvons pas établir sa comparaison avec la réalité
et lui attribuer, alors, une valeur de vérité. L'affaire consiste
alors à l'analyser pour obtenir enfin une proposition qui contient des
noms simples et que sa vérifiabilité devient possible.
Le monde réel se présente alors comme table de
vérité. Il est vrai que « la logique est
antérieure à toute expérience »22(*) mais lorsqu'il est question
de vérité et de tangibilité on doit établir une
correspondance avec la réalité afin de décider du sort de
la proposition.
Cette conception wittgensteinienne semble se présenter
comme réconciliation réformiste entre la logique des
médiévaux et celle que nécessite l'essor scientifique
contemporain. Faut-il insister sur le fait qu'il importe de comprendre avant de
vérifier.
Conclusion.
« Toute philosophie est « critique du
langage »»23(*)
I
l me semble que le génie wittgensteinien réside
dans le fait de concevoir un monde circonscrit donnant ainsi une valeur exacte
à une tradition occidentale qui retrouve son origine dans une
révolution copernicienne qui, par définition, est une
révolution permanente mais aussi limitative.
En effet, il définit le monde comme totalité des
faits inscrits dans un espace logique. Il ne s'agit aucunement ici d'une
quelconque réalité empirique à laquelle on aurait
directement accès par pure perception. Mais tout est pré
défini, en quelque sorte, puisque on peut avoir logiquement tous les
états de choses, c'est-à-dire toutes les combinaisons possibles
d'objets, à la condition qu'on dispose de ce qu'il appelle
« la substance ». [Ce qui implique un monde
malléable qui peut dans certains cas admettre l'ajout de nouvelles
réalités et vérités]. Ce qui nous permet de dire
que le Wittgenstein du Tractatus, au moins, est bien plus coperniciens
que d'autres ( ?), en ce sens que la délimitation du monde est
suffisamment rigoureuse pour que le « divorce »
métaphysique/science puisse se réaliser concrètement et
qu'enfin on soit parvenu à dire que le monde vrai se conçoit par
son aptitude à la vérifiabilité inaugurant ainsi,
dès les vingt premières années du siècle dernier,
l'établissement d'un langage qui sert le progrès scientifique.
Ce changement de perspective vers le monde réel
demeure une invention wittgensteinienne, en ce sens que le philosophe viennois
met à la disposition de l'homme les moyens de dépasser l'erreur
et le non sens par le biais du sens et de la vérifiabilité des
propositions et du parallèle que le langage établit avec le monde
des faits et des phénomènes, soit le monde humain. Cette
correspondance, possible ou réelle avec les faits permet à
l'homme d'échapper à toute métaphysique trompeuse,
réalisant ainsi la leçon qu'il fallait tirer de la
révolution copernicienne : s'affranchir des pseudo
réalités, des non sens et de l'errance de la raison humaine.
Même s'il existe, probablement, des
« palpabilités » qui nous échappent, nous
nous limiterons à n'affirmer que ce qui existe au profit du gain d'une
quiétude humaine acquise auprès du sensé et du
vérifiable pour accomplir la stabilité et sur le plan ontologique
et sur le plan du langage afin de permettre la garantie des conditions de
possibilité d'une évolution scientifique assistée par un
langage assaini et purifié.
Bibliographie
OEuvres de Ludwig Wittgenstein.
û Tractatus logico-philosophicus, traduction
Gilles-Gaston Granger, Paris, Gallimard, 2001, (ISBN 2-07-075864-8).
û Les cours de Cambridge 1932-1935, texte
anglais et traduction par Elisabeth Rigal, Paris, TER 1992, (ISBN
2-90-567034-7).
û Carnets 1914-1916, traduction, introduction
et notes de Gilles-Gaston Granger, Paris, Gallimard, 1971, (ISBN
2-84-490061-5).
OEuvres autres.
û Emmanuel KANT, Critique de la
raison pure, Paris, PUF, 2004, (ISBN 2-13-054558-0).
û Jacques BOUVERESSE, Essais I
(Wittgenstein, la modernité, le progrès & le
déclin), Marseilles, Agone, 2000, (ISBN 2-922494-22-5).
û Diego MARCONI, La Philosophie du
langage au vingtième siècle, Paris, Eclat, 1998, (ISBN
2-84-162023-9).
û Mélika OUELBANI, Wittgenstein
et Kant, Tunis, Cérès, 2003, (ISBN: 9973-19-244-3).
û Brian Mc GUINESS, Wittgenstein,
I : Les années de jeunesse, Paris, Seuil, 1991, (ISBN
2-02-013417-9).
* 1 La philosophie de
l'atomisme logique » (1918), dans Écrits de
logique philosophique, Bertrand Russell (trad. Jean Michel Roy),
éd. PUF, 1989, p. 352.
* 2 L'esprit critique, du
grec êñéôéêüò
(« qui discerne »), est une attitude qui n'accepte aucune
assertion sans s'interroger sur sa valeur et qui tient une proposition pour
vraie seulement quand elle a été établie.
* 3 Logos, dérive du
grec ëüãïò, lógos
« parole, discours » et désigne le discours (textuel
ou parlé). Par extension, logos désigne également la
« rationalité » (l'intelligence), conséquente
à la capacité à utiliser une langue
(ãë?óóá, ãë?ôôá
« langue »).
* 4 La phusis
(öýóéò) était chez les Grecs d'Asie
Mineure la base de la réflexion philosophique. Ils observaient le
cosmos, les cycles de la nature et des saisons pour aboutir à une
intelligibilité et à une rationalité, avec une
volonté de nuancer le discours mythologique. La phusis est en quelque
sorte la nature, le milieu environnant.
* 5 « La physique
est donc redevable de l'heureuse révolution qui s'est
opérée dans sa méthode à cette simple idée,
qu'elle doit chercher (et non imaginer) dans la nature, conformément aux
idées que la raison même y transporte, ce qu'elle doit en
apprendre, et dont elle ne pourrait rien savoir par elle-même. C'est
ainsi qu'elle est entrée d'abord dans le sûr chemin de la science,
après n'avoir fait pendant tant de siècles que
tâtonner » Critique de la raison pure, Emmanuel Kant,
Traduction Jules Barni. Édition G. Baillière, Paris, 1869.
* 6 Lettre à Ludwig
von Fricker, citée par C. Chauviré, L. Wittgenstein, Paris,
Seuil, p. 75.
* 7 Allan Janik & Stephen
Toulmin, Wittgenstein's Vienna, Londres, Weidenfeld and Nicolson,
1973, p119 (trad. Jaqueline Bernard, 1978, PUF).
* 8 L' ouvrage partage son
titre latin avec deux grands autres ouvrages sortis de Cambridge : les
Principia mathematica de A.N. Whitehead et B. Russell, et les
Principia ethica de G.E. Moore à coté du chef-d'oeuvre
Philosophiae naturalis principia mathematica de Newton.
* 9 Tractatus
logico-philosophicus, Ludwig Wittgenstein (trad. Gilles
Gaston Granger), éd. Gallimard Tel, 1993 (ISBN
2-07-075864-8), préface, p. 31.
* 10 Allan Janik & Stephen
Toulmin, Wittgenstein's Vienna, Londres, Weidenfeld and Nicolson,
1973, p31 (trad. Jaqueline Bernard, 1978, PUF).
* 11 « Les faits dans
l'espace logique sont le monde » TLP 1.13.
* 12 En grammaire scolaire, une
proposition est un syntagme articulé autour d'un verbe.
Cette notion est surtout utilisée dans l'apprentissage des langues.
Une proposition dit quelque chose d'un être ou d'un objet
(Le ciel est gris. Cet homme est méchant). Elle comprend, la
plupart du temps, soit un sujet et un verbe (Pierre
mange), soit un sujet, un verbe d'attribution,
un attribut (Cet homme est médecin), soit encore
un sujet, un verbe, un complément (Pierre mange la
soupe). (Dictionnaire SYNAPSE).
* 13 « Dans la
proposition, il doit y avoir exactement autant d'éléments que
dans la situation qu'elle présente » TLP 4.04.
* 14 Karl Kraus,
Aphorismes, trad. Roger Lewinter, p.55, Éd. Mille et une nuits,
n°198.
* 15 Aristote (De
Interpretatione, 4, trad. J. Tricot, Vrin, 1959) :
« tout discours a une signification, non pas toutefois comme un
instrument naturel, mais ainsi que nous l'avons dit, par convention. Pourtant,
tout discours n'est pas une proposition, mais seulement le discours dans lequel
réside le vrai ou le faux, ce qui n'arrive pas dans tous les cas :
ainsi la prière est un discours, mais elle n'est ni vrai ni fausse.
Laissons de côté les autres genres de discours : leur examen
est plutôt l'oeuvre de la Rhétorique ou de la Poétique.
C'est la proposition que nous avons à considérer pour le
moment ».
* 16 Tractatus
logico-philosophicus, Ludwig Wittgenstein (trad. Gilles
Gaston Granger), éd. Gallimard Tel, 1993 (ISBN
2-07-075864-8), préface, p. 31.
* 17 TLP 4.001.
* 18 La proposition de Frege
« Ulysse fut déposé sur le sol d'Ithaque dans un
profond sommeil » a un sens pour le vieil allemand mais elle ne
l'en a pas chez Wittgenstein. Une proposition tel que « Socrate est
le maître de Platon » a un sens. La différence est que
Socrate a existé, tandis que Ulysse est un personnage de la mythologie
grecque, malgré l'absence e preuve quant à l'existence de
Socrate.
* 19 « La
proposition n'est pas un mélange de mots » TLP 3.141.
* 20 Hegel,
Propédeutique philosophique.
* 21 TLP. 5.621.
* 22 TLP. 5.552.
* 23 TLP. 4.0031.
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