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La conception du monde dans le Tractatus Logico-philosophicus de Wittgenstein

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par Médih CHAAL
Université de Tunis - Maitrise 2008
  

Disponible en mode multipage

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Sommaire.

Introduction.

1. Les origines de la conception du « monde » dans le Tractatus Logico-philosophicus de Wittgenstein.

2. Le monde comme condition de possibilité du langage.

3. La circonscription du monde et l'édifice du sens.

4. Le monde comme table de vérité.

Conclusion.

Bibliographie.

Glossaire.

Introduction.

« Le propre de la philosophie est de commencer par quelque chose de si simple qu'il ne semble pas la peine de l'énoncer, et de terminer par quelque chose de si paradoxal que personne n'y croira»1(*)

N

ombreuses sont les « fables » qui racontent l'histoire de la naissance de la philosophie, celles qui reviennent à Socrate ou celles qui remontent plus loin au « couple » Héraclite/Parménide.

Ce qui demeure important de retenir de ces fables, c'est que la philosophie, au sens reconnu du terme, retrouve ses origines au moment où le Père Socrate a rompu avec le sophisme et les allégories, c'est-à-dire avec tout ce qui se rapporte à la tricherie et à la supercherie ou à l'illusionnisme et à la fascination verbale.

Donc, c'est en instaurant une « critique »2(*) du discours que la philosophie est née. Cette naissance a donné ensuite lieu à la fameuse ontologie platonico-aristotélicienne de la « fission  cosmologique » en deux mondes verticalement superposés dont l'un est régi par l'autre, et que tout discours ou explication doit en tenir compte.

Bref, une réhabilitation du « logos »3(*) a causé une conception du monde qui de sa part a aboutit à une « phusis »4(*), à une astrologie et à une théologie toutes trois bien tressées.

Avec l'effondrement de toute cette conception aristotélico-ptoléméenne, provoqué par la « Révolution copernicienne », ce sont les anciennes interrogations qui reviennent ; Qu'est-ce que le monde ? Existe-t-il un au-delà ? Ajoutées à pleines d'autres questions qui s'imposent avec accentuation.

Même si l'histoire semble se répéter, il est sage de savoir qu'on ne suit jamais un chemin qui a mené à l'erreur deux fois de suite. Donc, il faut changer de manoeuvre.

Tout d'abord, l'ère moderne inaugurera ses réformes par une nouvelle science qui naît : la Physique moderne, et par la suite et comme le remarque Kant dès ses premiers pas critiques, l'objectif est de suivre le succès de la physique pour regagner « le chemin sûr d'une science » pour les autres disciplines, et surtout la métaphysique5(*).

On peut donc remarquer d'emblée qu'on peut retrouver le chemin grec (réhabilitation du langage ? naissance de la philosophie ? conception du monde ? sciences de la nature), mais à l'envers. C'est la physique moderne qui nous explique les phénomènes de la nature et ce sont les sciences nouvelles qui sont relancées (cinématique, biologie, chimie ...) qui, toutes, donnent la nouvelle conception du monde.

Il est quasi-évident de prévoir, dès lors, l'achèvement de l'éternel retour philosophique pour voir arriver le tour de l'affaire du langage dans le projet de la révolution copernicienne, et qui représentera cette fois non pas le point de départ d'une philosophie, mais plutôt l'apogée de toute une rationalité avec la réapparition d'un nouveau Socrate qui prendra pour tâche non pas de fournir un système philosophique quelconque mais un philosophe qui annonce sa tâche nettement « Mon livre consiste en deux parties : celle ici présentée, plus ce que je n'ai pas écrit. Et c'est précisément cette seconde partie qui est la partie importante. Mon livre trace pour ainsi dire de l'intérieur les limites de la sphère de l'éthique, et je suis convaincu que c'est la SEULE façon rigoureuse de tracer ces limites. En bref, je crois que là où tant d'autres aujourd'hui pérorent, je me suis arrangé pour tout mettre bien à sa place en me taisant là-dessus»6(*).

Mon discours paraît, à vue d'oeil, pareil à des confabulations évangéliques ou des prévisions astrales, mais on verra que l'histoire de la philosophie a pourtant suivi une logique dans l'ordre de l'apparence de ses « champions».

1. Les origines de la conception du « monde » dans le Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein.

« Vers 1900, les problèmes interdépendants de la communication, de l'authenticité et de l'expression symbolique avaient été abordés de façon parallèle dans tous les domaines majeurs de la pensée de l'art - par Kraus et Schoenberg, Loos et Hofmannsthal, Rilke et Musil. Ainsi la scène avait été préparée pour une critique philosophique du langage, formulée en termes complètement généraux »7(*)

T

out d'abord, il est confirmé d'introduire à une lecture du Tractatus afin de pouvoir extraire ce qui s'avèrera propice de bien construire les éléments du travail et aussi les indices de l'originalité et de la spécificité de la pensée du Jeune Wittgenstein.

Le Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein est la seule oeuvre publiée de son vivant. Elle représente le fruit de l'emprunt et du contre-pied qu'éprouve le viennois quant aux pensées de Bertrand Russell et de Gottlob Frege mais aussi de Karl Kraus.

On peut, par la même faire citer que Kant occupe une place centrale dans la vie intellectuelle du viennois et que Schopenhauer avec Hertz sont des auteurs, qui du coté allemand, ont le plus influencé le Tractatus.

Janik et Toulmin situent la problématique métaphysique du Tractatus dans la perspective d'une évolution logique partie de Kant, qui à travers Schopenhauer, a abouti à l'individualisme éthique de Kierkegaard et au radicalisme esthétique de Tolstoï. Kierkegaard et Tolstoï sont deux auteurs pour lesquels Wittgenstein éprouvait une vénération particulière.

Ce Tractatus, (dont la dénomination latine suggérée par G. E. Moore, adhère à une « mode » anglaise de l'époque qui reste fidèle à un Isaac Newton légendaire8(*)) est un ouvrage qui détermine des règles a priori régissant le fonctionnement du langage pour garantir l'expression du sens. Il s'agit d'un livre qui a pour objectif « de tracer une limite à la pensée, ou plutôt - pas à la pensée, mais à l'expression des pensées ; car, pour être capable de tracer une limite à la pensée, nous devrions être capables de penser les deux côtés de la limite (nous devrions être capables de penser ce qui ne peut être pensé). Ce sera par conséquent seulement dans le langage que la limite pourra être tracée, et ce qui se situe de l'autre côté de la limite sera simplement du non-sens »9(*).

Toutefois, malgré que Wittgenstein avoue que c'est grâce aux travaux des ses deux grands maîtres Frege et Russell qu'il doit l'ébullition de ses idées, on remarquera que style, contenu et arrière-plan du Tractatus sont à l'antipode de ceux de Frege et surtout ceux de Russell, en ce qui concerne la conception de la paire sens/signification, mais aussi le décalage se constate en ce mélange qui rallie la mathématisation de la logique formelle appliquée à la philosophie du langage et une conception réformatrice de la phénoménologie husserlienne qui capitalise un « je dans le monde » comme essence d'un Être humain de la perception.

Bref, il s'agit d'un « kantisme ravitaillé » qui peut être considéré comme la turbine du Tractatus ; il est affaire de délimiter le monde que les philosophes n'ont cessé de le définir de manière qu'il puisse enfin nous faire éviter l'embarras de l'errance et du délire. Wittgenstein sera le « premier » à rompre avec la tradition philosophique qui a tant médité sous l'ombre d'un ciel métaphysique. Il posera de nouvelles questions devant l'instance de la raison (comme l'a fait le koenigsbergien) pour pouvoir classer sensées et insensées les propositions du langage qui ont pour fonction primaire de dire le monde : l'affaire est de mettre les conditions de possibilité du dicible.

En quoi consiste la conception du monde dans le Tractatus ? Et comment peut-il être condition de possibilité du langage ?

2. Le monde comme condition de possibilité du langage.

« Loin de tirer son origine du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein [...], l'idée de considérer le langage, les symbolismes et les moyens d'expression de toute espèce comme nous donnant des « représentations » [Darstellungen] ou des « images » [Bilder] était devenue autour de 1910 un lieu commun dans tous les secteurs du débat culturel viennois. Parmi les scientifiques, cette notion avait été en circulation au moins depuis l'époque de Hertz, qui avait caractérisé les théories physiques comme fournissant justement ce genre de Bild ou de Darstellung des phénomènes naturels. A l'autre extrémité, elle était pareillement familière chez les artistes et les musiciens ; Arnold Schoenberg, par exemple, a écrit un essai sur la pensée musicale, avec comme titre, Der musikalische Gedanke und die Logik, Technik und Kunst seiner Darstellung»10(*)

D

e prime abord, il faut bien mentionner que Wittgenstein, dans le Tractatus logico-philosophicus, remet le langage à ses composantes les plus ultimes ; les propositions. Une proposition élémentaire, c'est-à-dire qui n'est pas constituée d'autres propositions (primaire), a un sens si et seulement si elle est image du monde/de la réalité, celle-ci composée de faits.11(*)

Une image du monde est une « phrase »12(*) qui décrit ou qui exprime un fait de la réalité. La totalité des faits constitue le monde et la totalité des propositions (images de la réalité) constitue le langage.

Un fait de la réalité est constitué par un ensemble d'objets en connexion existante. Si cette connexion n'est pas existante/mais elle est possible, elle est appelée un état de chose.

Pour pouvoir assurer la « figurabilité» l'image doit avoir la même forme logique et la même multiplicité13(*) logique pour qu'elle puisse représenter ou bien une connexion existante d'objets ou bien une non-existante.

Pour expliquer, faut-il dire que le nombre de signes simples dans la proposition et le mode de leur connexion doit correspondre au nombre d'objets dans le fait et le mode de leur connexion.

Ainsi, le langage parle du monde, le monde est son objet. Un langage qui ne parle pas du monde n'a pas d'objet et par voie de conséquence doit garder le silence.

C'est alors qu'on parvient à comprendre le monde comme condition de possibilité du langage dans le Tractatus logico-philosophicus.

Dès le premier aphorisme du livre, Wittgenstein nous présente la première définition du monde « Die Welt ist alles, was der Fall ist ». On peut comprendre que, depuis le début, Wittgenstein nous enseigne le monde en nous fournissant la connaissance de la décomposition de la réalité en ses constituants ultimes. Ce monde, qui se décompose en faits, rompt avec la conception qui prétend que le monde est la totalité des objets, ce qui n'empêche d'ôter à Wittgenstein le mérite d'avoir cherché à fonder une ontologie innovatrice.

Ainsi, si Russell pense que les objets sont les composantes primaires du monde, Wittgenstein montre, par l'analyse logique, qu'il est impossible d'aller au-delà des faits, sans nier l'existence des objets qui est postulée, parce que réellement les objets du monde ne peuvent aucunement se trouver isolément les uns des autres : un objet est toujours en connexion, il est défini par son occurrence dans un état de chose. L'objet est simple, fixe et non contingent, et ces caractéristiques lui sont essentielles puisqu'il constitue la substance du monde. La substance est par définition fixe, permanente et inchangeable, et c'est pour ce fait que les objets qui la constituent doivent l'être aussi.

Mais la question qui se pose est la suivant ; comment peut-on comprendre que les objets constituent la substance du monde mais non pas le monde ?

Pour répondre à cette question, il faut mentionner que connaître le monde réfute l'abstraction. Le monde de Wittgenstein est réel, il a des propriétés matérielles et descriptibles. Ces propriétés sont données par les connexions réelles d'objets qui génèrent ce qui a lieu et ce qui n'a pas lieu. Le monde réel est le monde de la contingence ce qui contredit la supposition de sa constitution par des objets fixes et permanents.

Pour dire le monde, Wittgenstein établit alors une relation correspondantiste entre le langage et la réalité. Ce lien se manifeste sur deux niveaux :

Une relation descriptive, celle de dire les faits (la proposition) et celle de nommer les objets (les noms).

Par analogie, le langage suit le même schème de l'analyse du monde, les noms d'objets (qui dénotent des objets) sont simples, fixes et inchangeables, et ainsi ils constituent la substance du langage. Les propositions, qui disent les faits - ou les états de choses - sont les constituants du langage.

Cette conception bipolaire, monde/langage, représente la plateforme de la philosophie de Wittgenstein. Néanmoins, elle se manifeste comme outil de détermination du sens, fin intime de l'ouvrage, et c'est pour cela qu'on traitera la question du sens dans Tractatus Logico-philosophicus.

3. La circonscription du monde et l'édifice du sens.

« La langue est la mère, non la fille, de la pensée»14(*)

L

a question fondamentale qui préoccupe Wittgenstein lorsqu'il réfléchit sur le langage n'est autre que celle su Sens.

La philosophie antique et médiévale, voire même moderne, associe le langage au concept de « vérité » dans le sens où ce concept représente la pierre de touche de toute la logique.

Pour la tradition aristotélicienne, par exemple, seul « le discours dans lequel réside le vrai ou le faux »15(*) est un discours qui respecte la logique. Autrement, il n'a aucune signification.

Wittgenstein prend le contre-pied de cette tradition en associant le langage au concept de « sens » puisque dès le début de l'ouvrage il est affaire de « traiter des problèmes de la philosophie, et montrer, que la raison pour laquelle ces problèmes se posent est que la logique de notre langage est mal comprise. Le sens global de ce livre [Tractatus] pourrait être résumé par les mots suivants : tout ce qui peut être dit peut être dit clairement, et ce dont nous ne pouvons parler, il faut le taire »16(*).

Pour parler du sens, il faut remettre le langage à son élément de plus simple ; la proposition.

Une proposition se décompose en noms. Ces noms, nous l'avons vu, ne peuvent jamais être considérés indépendamment d'une proposition et ne peuvent non plus s'insérer dans tous les contextes : les différentes combinaisons possibles entre les noms donnent différents propositions et différents sens. Puisque le langage est image/reflet de la réalité, alors « la totalité des proposition est la langue ».17(*).

Le Wittgenstein du Tractatus Logico-philosophicus cherche à déterminer les limites du dicible, du sensé. C'est pour cela qu'on distingue chez lui les propositions sensées des propositions qui ne le sont pas ; il existe deux catégories :

û Les propositions sensées, ou pourvues de sens (sinnvoll).

û Les propositions insensées (unsinnig) et celles vides de sens (sinnlos).

On se contentera, dans cette partie, de la première catégorie de propositions puisque, pour Wittgenstein, une proposition est dite authentique si et seulement si elle a un sens, sinon, non.

Les critères du sens sont extrêmement rigoureux. Une proposition a un sens si les noms qu'elle contient possèdent une signification.

Par conséquent, toute proposition dont les termes ne réfèrent pas est exclue du sensé ; ceci est valable pour les propositions de la métaphysique, mais aussi pour tous les énoncés de fiction.

Selon Wittgenstein, la fameuse phrase frégéenne citée dans "Ecrits logiques et philosophiques", (Sens et Dénotation), « Ulysse fut déposé sur le sol d'Ithaque en profond sommeil » ne possède aucun sens18(*) : le signe « Ulysse » étant légendaire/irréel, ne dénote absolument rien.

La position du jeune philosophe viennois quant à son maître s'explique par une différence primordiale dans la considération de la proposition.

Pour Frege

Pour Wittgenstein

La proposition est un nom.

La proposition n'est pas un nom.

Elle possède un sens

La manière dont est présenté l'objet. ? le sens de la proposition : une pensée.

Elle possède une dénotation

L'objet même. ? la dénotation de la proposition : une valeur de vérité.

A un sens.

Une fonction descriptive représentative.

Le nom a une dénotation

Fonction nominative.

Vérité & fausseté ? propriétés du sens de la proposition.

En outre, même si les noms qui composent la proposition dénotent, il n'est pas toujours garanti d'obtenir des propositions sensées19(*).

Une proposition est insensée lorsqu'elle fait un usage incorrect des signes. Si un signe est utilisé dans un contexte où il ne peut pas figurer (à cause de sa forme), la proposition est dépourvue de sens. « Médih boit un livre » est une proposition insensée, puisque le signe « un livre » ne peut se combiner avec le verbe boire (mais peut se combiner avec d'autres tel que : lire, apporter, arranger, acheter, offrir, déchirer ...).

Toutefois, il existe aussi des propositions dans lesquels la cohérence de combinaison entre les noms est possible mais qui ne sont pas sensées : « un livre lit Médih » n'est pas douée de sens, mais « Médih », « lit » et « un livre » peuvent être en relation pour aboutir à une proposition authentique du type « Médih lit un livre » qui est une proposition sensée : il importe de mettre l'accent sur la façon dont se combinent les signes.

Partant de 4.121, l'aphorisme énonçant que « la proposition montre la forme logique de la réalité. Elle l'indique » on constate qu'il existe une bifonctionnalité assignée au langage : Dire & Montrer. Dans le Tractatus Logico-philosophicus, une proposition sensée est une proposition qui représente la réalité tout en gardant la même forme logique du représenté et la même multiplicité d'éléments qui la composent que ceux du fait, c'est-à-dire les objets.

La proposition, image du monde, dit la réalité dont l'homme ne cesse de chercher de la démystifier. Ceci explique que le langage médiatise le rapport Homme - Homme et Homme - Monde en quête d'acquérir la connaissance et la vérité.

4. Le monde comme table de vérité.

« Parmi les devoirs particuliers envers autrui, le premier est la véracité de la parole et de la conduite. Elle consiste dans la conformité entre ce qui est et dont on a conscience et ce que l'on dit et montre aux autres»20(*)

P

our Wittgenstein, les propositions sensées doivent contenir l'aptitude à un critère de vérifiabilité. Une proposition qui a un sens, se caractérise par le fait que tous les noms qui la composent dénotent des objets de la réalité, en plus, cette proposition est l'image de la réalité, c'est-à-dire qu'elle « prétend » décrire une « situation » qui appartient au monde réel puisque « le monde et la vie ne font qu'un »21(*).

La proposition qui se décompose en noms simples peut exprimer une situation possible de la réalité, elle est une proposition sensée outre de l'existence ou de la non-existence du fait décrit, c'est-à-dire indépendamment de sa vérité ou de sa fausseté. Ainsi, une proposition comme « L'avion en provenance de Vienne a atterri à 16H » est une proposition qui a un sens mais on ne peut nullement savoir si elle est vraie ou non. Pour savoir si elle est vraie ou fausse, autrement, connaître si elle s'accorde avec la réalité, il faire recours à la réalité et établir une comparaison afin de vérifier si l'articulation des noms qui la composent représente une connexion existante ou non-existante d'objets.

Une proposition qui dit une connexion existante ; un fait est une proposition vraie. Si elle dit une connexion possible mais non-existante ; un état de chose alors elle est fausse.

Une proposition est vraie ou fausse, si et seulement si elle tout d'abord sensée et simple.

Si la proposition n'est pas composée de noms simples, nous ne pouvons pas établir sa comparaison avec la réalité et lui attribuer, alors, une valeur de vérité. L'affaire consiste alors à l'analyser pour obtenir enfin une proposition qui contient des noms simples et que sa vérifiabilité devient possible.

Le monde réel se présente alors comme table de vérité. Il est vrai que « la logique est antérieure à toute expérience »22(*) mais lorsqu'il est question de vérité et de tangibilité on doit établir une correspondance avec la réalité afin de décider du sort de la proposition.

Cette conception wittgensteinienne semble se présenter comme réconciliation réformiste entre la logique des médiévaux et celle que nécessite l'essor scientifique contemporain. Faut-il insister sur le fait qu'il importe de comprendre avant de vérifier.

Conclusion.

« Toute philosophie est « critique du langage »»23(*)

I

l me semble que le génie wittgensteinien réside dans le fait de concevoir un monde circonscrit donnant ainsi une valeur exacte à une tradition occidentale qui retrouve son origine dans une révolution copernicienne qui, par définition, est une révolution permanente mais aussi limitative.

En effet, il définit le monde comme totalité des faits inscrits dans un espace logique. Il ne s'agit aucunement ici d'une quelconque réalité empirique à laquelle on aurait directement accès par pure perception. Mais tout est pré défini, en quelque sorte, puisque on peut avoir logiquement tous les états de choses, c'est-à-dire toutes les combinaisons possibles d'objets, à la condition qu'on dispose de ce qu'il appelle « la substance ». [Ce qui implique un monde malléable qui peut dans certains cas admettre l'ajout de nouvelles réalités et vérités]. Ce qui nous permet de dire que le Wittgenstein du Tractatus, au moins, est bien plus coperniciens que d'autres ( ?), en ce sens que la délimitation du monde est suffisamment rigoureuse pour que le « divorce » métaphysique/science puisse se réaliser concrètement et qu'enfin on soit parvenu à dire que le monde vrai se conçoit par son aptitude à la vérifiabilité inaugurant ainsi, dès les vingt premières années du siècle dernier, l'établissement d'un langage qui sert le progrès scientifique.

Ce changement de perspective vers le monde réel demeure une invention wittgensteinienne, en ce sens que le philosophe viennois met à la disposition de l'homme les moyens de dépasser l'erreur et le non sens par le biais du sens et de la vérifiabilité des propositions et du parallèle que le langage établit avec le monde des faits et des phénomènes, soit le monde humain. Cette correspondance, possible ou réelle avec les faits permet à l'homme d'échapper à toute métaphysique trompeuse, réalisant ainsi la leçon qu'il fallait tirer de la révolution copernicienne : s'affranchir des pseudo réalités, des non sens et de l'errance de la raison humaine. Même s'il existe, probablement, des « palpabilités » qui nous échappent, nous nous limiterons à n'affirmer que ce qui existe au profit du gain d'une quiétude humaine acquise auprès du sensé et du vérifiable pour accomplir la stabilité et sur le plan ontologique et sur le plan du langage afin de permettre la garantie des conditions de possibilité d'une évolution scientifique assistée par un langage assaini et purifié.

Bibliographie

OEuvres de Ludwig Wittgenstein.

û Tractatus logico-philosophicus, traduction Gilles-Gaston Granger, Paris, Gallimard, 2001, (ISBN 2-07-075864-8).

û Les cours de Cambridge 1932-1935, texte anglais et traduction par Elisabeth Rigal, Paris, TER 1992, (ISBN 2-90-567034-7).

û Carnets 1914-1916, traduction, introduction et notes de Gilles-Gaston Granger, Paris, Gallimard, 1971, (ISBN 2-84-490061-5).

OEuvres autres.

û Emmanuel KANT, Critique de la raison pure, Paris, PUF, 2004, (ISBN 2-13-054558-0).

û Jacques BOUVERESSE, Essais I (Wittgenstein, la modernité, le progrès & le déclin), Marseilles, Agone, 2000, (ISBN 2-922494-22-5).

û Diego MARCONI, La Philosophie du langage au vingtième siècle, Paris, Eclat, 1998, (ISBN 2-84-162023-9).

û Mélika OUELBANI, Wittgenstein et Kant, Tunis, Cérès, 2003, (ISBN: 9973-19-244-3).

û Brian Mc GUINESS, Wittgenstein, I : Les années de jeunesse, Paris, Seuil, 1991, (ISBN 2-02-013417-9).

* 1 La philosophie de l'atomisme logique » (1918), dans Écrits de logique philosophique, Bertrand Russell (trad. Jean Michel Roy), éd. PUF, 1989, p. 352.

* 2 L'esprit critique, du grec êñéôéêüò (« qui discerne »), est une attitude qui n'accepte aucune assertion sans s'interroger sur sa valeur et qui tient une proposition pour vraie seulement quand elle a été établie.

* 3 Logos, dérive du grec ëüãïò, lógos « parole, discours » et désigne le discours (textuel ou parlé). Par extension, logos désigne également la « rationalité » (l'intelligence), conséquente à la capacité à utiliser une langue (ãë?óóá, ãë?ôôá « langue »).

* 4 La phusis (öýóéò) était chez les Grecs d'Asie Mineure la base de la réflexion philosophique. Ils observaient le cosmos, les cycles de la nature et des saisons pour aboutir à une intelligibilité et à une rationalité, avec une volonté de nuancer le discours mythologique. La phusis est en quelque sorte la nature, le milieu environnant.

* 5 « La physique est donc redevable de l'heureuse révolution qui s'est opérée dans sa méthode à cette simple idée, qu'elle doit chercher (et non imaginer) dans la nature, conformément aux idées que la raison même y transporte, ce qu'elle doit en apprendre, et dont elle ne pourrait rien savoir par elle-même. C'est ainsi qu'elle est entrée d'abord dans le sûr chemin de la science, après n'avoir fait pendant tant de siècles que tâtonner » Critique de la raison pure, Emmanuel Kant, Traduction Jules Barni. Édition G. Baillière, Paris, 1869.

* 6 Lettre à Ludwig von Fricker, citée par C. Chauviré, L. Wittgenstein, Paris, Seuil, p. 75.

* 7 Allan Janik & Stephen Toulmin, Wittgenstein's Vienna, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1973, p119 (trad. Jaqueline Bernard, 1978, PUF).

* 8 L' ouvrage partage son titre latin avec deux grands autres ouvrages sortis de Cambridge : les Principia mathematica de A.N. Whitehead et B. Russell, et les Principia ethica de G.E. Moore à coté du chef-d'oeuvre Philosophiae naturalis principia mathematica de Newton.

* 9 Tractatus logico-philosophicus, Ludwig Wittgenstein (trad. Gilles Gaston Granger), éd. Gallimard Tel, 1993 (ISBN 2-07-075864-8), préface, p. 31.

* 10 Allan Janik & Stephen Toulmin, Wittgenstein's Vienna, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1973, p31 (trad. Jaqueline Bernard, 1978, PUF).

* 11 « Les faits dans l'espace logique sont le monde » TLP 1.13.

* 12 En grammaire scolaire, une proposition est un syntagme articulé autour d'un verbe. Cette notion est surtout utilisée dans l'apprentissage des langues. Une proposition dit quelque chose d'un être ou d'un objet (Le ciel est gris. Cet homme est méchant). Elle comprend, la plupart du temps, soit un sujet et un verbe (Pierre mange), soit un sujet, un verbe d'attribution, un attribut (Cet homme est médecin), soit encore un sujet, un verbe, un complément (Pierre mange la soupe). (Dictionnaire SYNAPSE).

* 13 « Dans la proposition, il doit y avoir exactement autant d'éléments que dans la situation qu'elle
présente » TLP 4.04.

* 14 Karl Kraus, Aphorismes, trad. Roger Lewinter, p.55, Éd. Mille et une nuits, n°198.

* 15 Aristote (De Interpretatione, 4, trad. J. Tricot, Vrin, 1959) : « tout discours a une signification, non pas toutefois comme un instrument naturel, mais ainsi que nous l'avons dit, par convention. Pourtant, tout discours n'est pas une proposition, mais seulement le discours dans lequel réside le vrai ou le faux, ce qui n'arrive pas dans tous les cas : ainsi la prière est un discours, mais elle n'est ni vrai ni fausse. Laissons de côté les autres genres de discours : leur examen est plutôt l'oeuvre de la Rhétorique ou de la Poétique. C'est la proposition que nous avons à considérer pour le moment ».

* 16 Tractatus logico-philosophicus, Ludwig Wittgenstein (trad. Gilles Gaston Granger), éd. Gallimard Tel, 1993 (ISBN 2-07-075864-8), préface, p. 31.

* 17 TLP 4.001.

* 18 La proposition de Frege « Ulysse fut déposé sur le sol d'Ithaque dans un profond sommeil » a un sens pour le vieil allemand mais elle ne l'en a pas chez Wittgenstein. Une proposition tel que « Socrate est le maître de Platon » a un sens. La différence est que Socrate a existé, tandis que Ulysse est un personnage de la mythologie grecque, malgré l'absence e preuve quant à l'existence de Socrate.

* 19 « La proposition n'est pas un mélange de mots » TLP 3.141.

* 20 Hegel, Propédeutique philosophique.

* 21 TLP. 5.621.

* 22 TLP. 5.552.

* 23 TLP. 4.0031.






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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld