LE RÉALISME DANS MISSION
TERMINÉE
LE RÉALISME DANS MISSION
TERMINÉE
REMERCIEMENTS
Ce travail n'aurait pas vu le jour sans l'appui bienveillant de
tous ceux qui ont collaboré à son élaboration.
Mes plus vifs remerciements s'adressent tout d'abord, à
tous les enseignants du Département d'études françaises de
l'Université de Toliara qui ont donné le maximum pour partager
leurs connaissances tout au long de ma formation au sein de ce
département. Qu'ils soient remerciés à travers ce
mémoire.
Enfin, je tiens à adresser mes sincères
remerciements à tous ceux qui ont contribué de près ou de
loin à la réalisation de ce mémoire.
SOMMAIRE
INTRODUCTION 5
Première partie : LA VIE SOC IALE 9
CHAPITRE I : Les spécificités des personnages
10
1-Les hommes 10
2-Les femmes 14
3- Les jeunes ..18
CHAPITRE II : Les pouvoirs en activité 24
1- La domination de l'homme ..24
2- Le pouvoir colonial ..27
3- Le statut de la femme ..31
Deuxième partie : L'ACCULTURATION
CHAPITRE I : Les causes de l'acculturation .... ..35
1- L'école ou l'éducation européenne
..35
2- L'influence de l'être hybride sur les individus ..39
3- L'attrait de la ville ..44
CHAPITRE II : Les conséquences de l'acculturation ....
..47
1- La perte de l'identité ..47
2- Déracinement culturel ..51
3- Changements morphologiques des milieux ..54
Troisième partie : LA CREATION LITTERAIRE
CHAPITRE I : L'oeuvre et l'auteur .... ..58
1- Les procédés stylistiques ..58
2- La description ..60
CHAPITRE II : L'oeuvre et la réalité .... ..62
1- L'oeuvre et la société ..62
2- L'oeuvre et la vie de l'auteur ..64
INTRODUCTION
Au cours de notre cursus universitaire, nous avons
étudié deux branches bien distinctes dont la linguistique et la
littérature. Plutôt linguiste que littéraire, nous avons
tout de même fixé notre choix sur le domaine de la
littérature, plus exactement sur la littérature
négro-africaine. Fasciné par cette littérature depuis la
première année, nous jugeons à présent
nécessaire de l'approfondir afin qu'elle ne soit pas laissée aux
oubliettes, et surtout pour que de nouvelles recherches puissent voir le jour
à partir de notre travail.
En majeure partie, les principaux thèmes
développés par cette littérature sont la colonisation et
l'identité africaine qui sont les grands problèmes de ce
continent. Mais ce qui nous a surtout poussé à étudier
cette littérature n'est pas seulement ses thèmes mais le
coté très réaliste remarqué à travers les
oeuvres. Il est donc plus facile de comprendre l'oeuvre étant
donné que leur contenu est plus proche de la réalité
à Madagascar. C'est à partir de cette remarque que nous avons
décidé de traiter un roman de l'écrivain camerounais,
Mongo Béti, de son vrai nom Alexandre Biyidi-Awala, s'intitulant
Mission Terminée, sorti chez les éditions BUCHET/CHASTEL
à Paris en 1957 et ayant reçu le Prix Sainte-Beuve en 1958. Le
choix s'est porté sur ce roman, car il est très facile à
lire et ne nécessite pas beaucoup d'effort pour le comprendre ; c'est
aussi le seul roman dans la littérature africaine qui ne traite pas
directement le conflit entre les Blancs et les Noirs. Toutefois, ce n'est pas
seulement à cause de ces deux critères que l'on a choisi
l'oeuvre. L'auteur y est aussi pour quelque chose. Mongo Béti fait
partie des plus grands écrivains africains et a publié plusieurs
oeuvres engagées jusqu'à sa mort. Romancier renommé,
essayiste engagé, enseignant, libraire et éditeur, il
était aussi de la génération de Léopold
Sédar Senghor. Et en tant qu'étudiant en Lettres, il est de notre
devoir de poursuivre les exploits de cet auteur en approfondissant son oeuvre
sur le sujet concernant le réalisme ; d'où le titre de notre
travail : « Le réalisme dans Mission Terminée
». A partir du titre, notre tâche sera d'essayer d'apporter le
maximum de réponses sur la principale question : comment la
réalité est-elle traduite dans l'oeuvre ?
Afin d'éclaircir ce problème et pour pouvoir
avancer aisément dans les recherches, le bon choix d'une approche est
nécessaire. Et pour aboutir à un
bon travail qui éclaircira l'oeuvre sur le domaine du
réalisme, nous opterons pour l'approche sociologique, jugée plus
adéquate à notre devoir. Si nous avons choisi cette approche
sociologique mais non pas une autre, c'est parce que ses
spécificités nous permettront d'aller plus loin dans nos
études étant donné que nous traitons du réalisme
d'une oeuvre qui se réfère toujours au monde extérieur.
L'approche sociologique repose sur des données sociales, historiques et
biographiques. Donc, en adoptant cette approche, il faut avoir beaucoup de
notions et connaissances autour du sujet à traiter, nous permettant
d'apporter des réponses à notre problématique. De plus, le
travail de l'auteur, c'est-à-dire son oeuvre, a été
constitué à partir des constatations faites sur des
évènements ou des faits sensibles dans la société
où il vit.
Traiter une oeuvre par l'approche sociologique c'est devenir
à la fois historien, sociologue et biographe, afin d'essayer
d'interpréter l'oeuvre dans son contexte social et historique. Si par
cette approche, le contenu de l'oeuvre est tirée de la
réalité, on doit tout de même rechercher à travers
ce qui est dit les liens du roman avec cette réalité car ce que
l'auteur veut vraiment faire passer aux lecteurs n'est jamais
évoqué directement, c'est la face la plus importante qui est
toujours cachée. Afin de décrypter les énigmes ou les
messages cachés dans l'oeuvre de notre étude, l'utilisation de
l'approche sociologique sur notre travail sera personnalisée et changera
ou sera modifiée à chaque partie, voire à chaque chapitre
pour que la méthode soit toujours appropriée.
La démarche qu'on adoptera consiste à mettre en
rapport ce qui est dit dans l'oeuvre avec la réalité, en se
référant à la société cible, à son
historique et son époque. On procédera soit en expliquant en
premier lieu les idées qui nous intéressent dans l'oeuvre et qui
sont les éléments de chaque partie du travail, puis en donnant
l'équivalence dans la réalité ; soit l'inverse,
c'est-à-dire en évoquant la réalité sur le domaine
à traiter puis en le mettant en relation avec ce qui est dit dans le
roman. D'après cette démarche, nous allons donc faire un
va-et-vient entre le petit monde du livre imaginé, inventé de
toutes pièces par l'auteur et le vrai monde de la réalité
où nous vivons. Ceci nous permettra de vérifier la teneur en
information de l'oeuvre afin de connaître son taux de
véracité et la façon dont procède
l'auteur pour modeler, déformer la réalité à sa man
ière.
Afin de traiter le réalisme dans cette oeuvre de Mongo
Béti sur tous les points possibles par l'approche sociologique, nous
divisons notre travail en trois grandes parties qui s'enchaînent et se
complètent entres elles. Afin de bien baliser notre étude, nous
allons dans les deux premières parties centrer notre travail sur la
classe paysanne africaine, qu'elle soit traditionnelle ou moderne, car elle est
la seule évoquée dans tout le roman. Dans la troisième et
dernière partie, nous allons nous intéresser aux fondements de
l'oeuvre en la mettant en relation avec la réalité et la vie de
l'auteur. La première partie s'intitulera la vie sociale. Nous y
trouverons deux chapitres qui vont présenter les
spécificités des personnages et les pouvoirs en activité.
La seconde partie aura pour titre l'acculturation et sera divisée, elle
aussi, en deux chapitres qui vont traiter des causes de l'acculturation et de
ses conséquences. Enfin, la dernière partie portera sur la
création littéraire où nous verrons également deux
chapitres qui vont parler en premier lieu de l'oeuvre et l'auteur, et en second
lieu de l'oeuvre et la réalité.
PREMIERE PARTIE
LA VIE SOCIALE
Chaque pays a son propre peuple avec ses propres
régions, ses diverses tribus et ethnies. La population, l'individu
occupent une place très importante dans la société, car
c'est d'eux que proviennent toutes les sources vitales de la
société. Une société forme un tout, dont les
personnes sont les premiers éléments qui la font
développer. Chacun a ses propres places et rôles afin d'assurer un
bon fonctionnement du système car dans un système tout se tient,
d'où l'importance d'évoquer les personnages qui jouent de grands
rôles dans le déroulement du récit à cause de leurs
spécificités.
Dans cette première partie de notre devoir,
l'étude sera centrée sur les personnages du roman et leurs
attributions afin de savoir comment est constituée, structurée et
hiérarchisée cette tribu camerounaise. Ainsi, dans le premier
chapitre nous parlerons des spécificités des personnages, et dans
le second, des pouvoirs en activités.
I - Les spécificités des personnages
Chez les Camerounais comme chez les Malgaches, le nom n'est
pas seulement un moyen d'appeler ou de dénommer un individu. Ces noms
ont des significations qui agissent sur la personne et forgent leur
personnalité. Chaque nom n'est pas donné n'importe comment par
les parents mais est attribué à partir des caractères que
l'on désire ; et c'est ce qu'a fait l'auteur pour dénommer ses
person nages dans le roman.
Ainsi, dans cette partie de notre devoir, nous allons parler en
premier lieu des hommes, puis des femmes, et enfin des jeunes.
1- Les hommes
Dans cette section, nous allons parler de trois hommes qui jouent
un rôle primordial dans le roman, et qui sont Bikokolo, Niam et l'oncle
Mama. Comme toute société traditionnelle, il y a toujours une
grande personne, en général un homme, qui dirige le groupe tout
entier. C'est cet individu qui tient le rôle de chef ou gouverneur dans
le village et que tout le monde respecte, que ce soit lui en tant que grande
personne, ou ses décisions. Dans le roman, Bikokolo, lui, est le chef du
village natal de Medza. C'est à la fois un vieil
homme au ventre bombé et découvert ; il est
toujours muni d'une chassemouche. C'est le sage du village que l'on consulte
lorsqu'il y a des problèmes, mais aussi patriarche (p. 23) qui remplace
la place de père dans les décisions à prendre quand ce
dernier est absent. Il est le dirigeant et maître de parole dans le
village : tout ce qu'il dit devient indiscutable car sa prise de parole
signifie directement une décision. Il est tellement habile à
manier la langue qu'elle est devenue un outil de persuasion parfaite et
efficace. Par la parole, Bikokolo convainc tout en imposant ses
décisions sans donner le temps aux autres de réagir et de
contester. Pour convaincre quelqu'un, Bikokolo use de la sagesse africaine ;
mais transformé par le progrès il sait marier dans ses paroles le
passé de ses ancêtres et ses propres expériences avec le
présent qui est composé de nouvelles choses apportées par
les colonisateurs comme l'école.
Mongo Béti n'a pas choisi au hasard le mot bikokolo
comme nom du patriarche dans son oeuvre ; ce n'est pas non plus un mot
qu'il avait inventé pour la circonstance car c'est un nom qui existe
vraiment dans la réalité, plus précisément dans les
tribus pahouins au Cameroun. Etymologiquement, bikokolo vient des mots
pahouins, kólo qui signifie parler, et kokólo qui veut dire
géant, monstre et ogre1. Ces caractéristiques
correspondent parfaitement aux caractéristiques du personnage que Mongo
Béti a décrit dans le roman. En effet, Bikokolo est à la
fois un géant dans son village étant donné qu'il est le
patriarche et un monstre de la parole car il sait bien parler et sait manier la
langue pour convaincre et manipuler les autres. Et c'est à partir des
paroles que Bikokolo a pu convaincre Medza de faire une mission à
Kala.
A part le patriarche, nous avons aussi dans Mission
Terminée un individu nommé Niam et qui occupe une grande
place dans le déroulement de l'histoire. Il est un personnage secondaire
dans le roman et il a le plus mauvais caractère parmi tous les
personnages. Toutefois, c'est à partir de la présence de ce
personnage obscène qu'a pu naître l'aventure de Medza à
Kala dont le but est de ramener l'épouse de Niam chez lui. Sans les
mauvais caractères de Niam, sa femme ne l'aurait jamais abandonné
tout seul, donc il n'y aura pas de mission à Kala pour Medza et le roman
serait terminé brièvement.
D'après les éléments contenus dans le
roman, Niam lui, est un garçon de trente-cinq ans qui néglige et
méprise complètement sa femme. C'est un cousin
éloigné de Medza qui est irresponsable et orgueilleux.
Fainéant, têtu, il ne fait rien et ne fait qu'à sa
tête. Et c'est sa femme qui doit s'occuper de tout, que ce soit du foyer
conjugal que des travaux des champs. Il suit rarement les conseils des autres,
même ceux du patriarche Bikokolo qu'il a minimisé ; il peut jouer
la comédie jusqu'à la fin afin d'obtenir ce qu'il veut et pour
faciliter les choses. Par les mauvais comportements que l'auteur a
attribués à ce personnage, Niam n'est plus
considéré dans le village, il est devenu un être
insignifiant aux yeux de tous, même aux yeux de sa femme qu'il a tant
malmenée et qui a décidé par la suite de le quitter pour
un autre homme dans un autre village voisin de Kala. Toutes ces attitudes du
personnage Niam ne sont pas un fruit du pur hasard car le mot niam est
l'anagramme du nom Mani qui nous renvoi à un terme pahouin, man, qui
signifie petit , donc sans importance, insignifiant comme le personnage
Niam2.
Si Niam est un protagoniste ayant un mauvais rôle dans
le roman, sa présence dans le roman est quand même essentielle,
car il est l'élément perturbateur qui a engendré un
problème nécessitant une solution. Et c'est le chemin de
résolution du problème qui sera l'origine du déroulement
de tout le récit dans le roman.
A part Niam, nous avons un dernier personnage à
étudier, un élément clé du roman, « dont
l'hospitalité ne se compare à aucune autre » et qui
sait tirer profit de tous les évènements qui peuvent se
dérouler. Il s'agit de l'oncle Mama. Mama est un paysan de Kala, le
cousin du père de Medza, donc son oncle ; il est le père de
Zambo, le cousin de Medza. Réputé par son hospitalité,
Medza sera hébergé gratuitement chez lui et « seras
choyé comme un prince » durant tout son séjour à
Kala. Toutefois, après les séances de conférence
successives faites par Medza à Kala où il fut toujours
récompensé en nature comme en bétails et en volailles,
nous remarquons une autre face de l'oncle Mama. S'apercevant très
tôt, juste après la première séance, que Medza et
ses
2 NDONGO FAME Jacques, L'esthétique romanesque de
Mongo Béti, Présence Africaine, 386 p.
conférences intéressaient beaucoup les
villageois de Kala, il décida de prendre en main, sans tarder l'affaire
en planifiant lui-même, sans consulter Medza à l'avance,
l'organisation des futures conférences car pour lui, Medza est une
source de richesse à portée de main ; « Fils, [...],
c'est ce soir que nous irons voir cette femme qui t'a invité. Il faut
que nous allions, elle serait désolée autrement... »
(p. 89) déclare l'oncle Mama à Medza pour l'informer du programme
qu'il avait décidé. Et après chaque visite,
c'est-à-dire après chaque séance chez quelqu'un, on
apportait des présents pour Medza chez l'oncle Mama car c'est là
où il habite. C'est surtout à cause du faite que c'est l'oncle
Mama qui est son tuteur et qu'il a tout planifié à l'avance. Peu
à peu, la nouvelle fortune de Medza s'agrandissait de jour en jour qu'il
a fallu construire un véritable enclos pour parquer les bêtes
données en cadeau. Mais se considérant comme étant le
premier investisseur dans cette nouvelle entreprise qui n'apporte que des
bénéfices, l'oncle Mama décide d'avoir sa part en
consultant Medza en disant : « Ainsi, ce troupeau, ta nouvelle
fortune, qu'en feras-tu, neveu ?[...] » (p. 128). Bien entendu,
Medza, ne s'intéressant guère à cette fortune,
lègue le tout à son oncle. Mais voulant être un modeste
affairiste malgré lui, il décida de ne prendre que la
moitié du troupeau en ne choisissant tout de même les bonnes
têtes en disant : « Ben non, voyons, cher petit neveu. C'est
déjà suffisant que tu m'en laisses seulement la moitié.
» (p. 128). Nous constatons à travers tout ce qui a
été dit sur l'oncle Mama qu'il fait une bonne affaire insidieuse
avec l'arrivée de Medza chez lui. Il est à la fois un bon paysan
mais aussi un affairiste. C'est normal car chez les tribus pahouins, le mot
mama signifie affaires3 ; c'est pourquoi Mongo Béti a
associé à ce personnage affairiste qui est l'oncle de Medza le
nom Mama.
Toutefois, sans l'initiative de l'oncle Mama à
organiser ces séances de conférence, Medza n'aurait pas eu la
chance d'évaluer son niveau intellectuel, d'exposer et de mettre en
pratique ses connaissances modernes à un public à la fois
très intéressé et ignorant, mais surtout il n'aura pas eu
l'occasion de connaître les autres et se connaître
lui-même.
2- Les femmes
Dans les tribus pahouins, les femmes ne sont que des
êtres sommaires qui n'ont aucun droit et sont seulement destinées
à la procréation successive, aux durs travaux des champs et
travaux ménagers. Tout de même, les femmes que nous allons
étudier, telles que tante Amou, la femme Niam, Eliza et Edima ont des
significations qu'il ne faut pas négliger dans Mission
Terminée.
D'après les éléments apportés par
la lecture du roman, Amou est la plus jeune tante de Medza. Ce qui la
différencie des autres personnages féminins du roman c'est
qu'elle est la seule à être veuve. Son mari étant mort trop
tôt, elle n'a pas eu la chance d'avoir un enfant ; et trop touchée
par cette mort prématurée, elle n'envisage plus de se remarier
avec un autre. C'est peut-être à cause de ces malheureuses
circonstances que les autres, plus précisément les hommes, la
respectent ; c'est aussi dû à cette exception qu'elle ose
défier les hommes car la mort est un sujet sensible pour tous dans le
monde.
Etre en âge d'enfanter mais ne pouvant pas en avoir
malgré les circonstances, tante Amou est semblable à toutes les
personnes étant dans ce cas. Elle est très attentive aux enfants
et n'agit que pour leur bien. Nous apercevons cela par le service qu'elle a
rendu à Medza (qu'elle considère comme un/son enfant)4
lors de leur rencontre à Vimili où elle amena la valise de Medza
sur la porte-bagage de son vélo afin de lui faciliter le trajet. A part
cela, on retrouve encore l'intervention de tante Amou lors de la
décision prise par le patriarche Bikokolo d'envoyer Medza à Kala
afin de ramener la femme de Niam auprès de lui. Face à cette
décision, elle n'est pas d'accord et réplique aussitôt en
prenant la parole avec une telle violence (ce qui est chose inadmissible pour
les hommes : une femme qui prend la parole) pour s'opposer à la
décision du patriarche qu'elle juge exagérée et ignoble.
Elle attaque aussi Niam, la personne qui est la cause de tout cela. Mais les
interventions de tante Amou ne s'arrête pas seulement là. Vers la
fin du roman quand Medza, ivre, est de retour chez lui afin d'affronter son
terrible père, elle fait savoir, et/ou tente de prévenir ce
dernier que son état, l'attitude qu'il adopte ne sont pas trop
conseillés s'il veut voir son père car ce dernier
est très furieux contre lui. Elle
dit : « C'est drôle comme tu peux avoir
changé, ma petite carpe. Ça c'est drôle, tu n'es plus le
même du tout. [...] tu ne te ressembles plus, on dirait un autre
garçon [...] » (pp. 238-239); Et dans
deux cas sur trois des interventions de tante Amou, elle ne se fait pas
écouter puisque elle, une femme, ne fera jamais le poids face aux hommes
même si elle a un peu ce privilège de contrer les hommes et que
les autres femmes n'en ont pas. Tout cela pour dire qu'à partir des
agissements de tante Amou, on peut affirmer que dans ce roman elle occupe une
fonction de régulateur car toujours, elle essaie de régler les
problèmes liés aux enfants, surtout Medza, à sa
façon. Elle agit par amour pour Medza d'où son nom, Amou, qui est
tiré du mot amour dont on a supprimé la lettre [r].
Si tante Amou, elle, essaie de régulariser tout, par
contre le deuxième personnage féminin que nous allons
étudier est la source même de tous ces problèmes. Il s'agit
de la femme Niam.
La première remarque que nous voyons sur ce personnage
est que l'auteur ne lui a pas attribué de nom. C'est pour dire, soit
elle est une femme mariée donc appartient à son mari,
c'est-à-dire qu'elle est la propriété de cet homme, qui
n'est rien d'autre que Niam, soit qu'elle ne mérite pas d'avoir un nom,
car elle a commis une faute grave et inacceptable, la polyandrie, envers la
société. Mais dans cette partie du devoir, nous n'allons pas voir
ce personnage sous cet angle car nous allons l'analyser autrement.
La femme Niam est en premier lieu l'objet de mission de Medza.
Sans ces incidents, c'est-à-dire l'abandon de sa maison conjugale et sa
fuite vers un autre homme à Kala, l'aventure de Medza à Kala
n'aurait jamais eu lieu. Elle a donc une fonction de générateur
dans le roman ; c'est elle qui a changé le cours de l'histoire d'une
société traditionnelle qui vivait tranquillement pour y mettre le
désordre. Grâce à elle, le récit a pu continuer et
Medza a pu connaître ses propres racines à Kala. Elle est donc
à la fois générateur de problème et
générateur de reculturation5 du héros dans
Mission Terminée.
4 Sur le fait d'appeler Medza fiston et « ma petite carpe
». Voir pp.19 20
5 C'est le retour vers une culture originelle
A part cela, la femme Niam est le symbole de la révolte
des femmes face à l'inégalité des droits entre la femme et
l'homme dans la société traditionnelle. Dans le roman, la femme
Niam se révolte surtout contre le statut traditionnel de la femme qui
n'a plus droit à aucune liberté dès le mariage
accordé et doit servir et accepter tous les désirs et ordres de
son mari. Après le mariage donc, la femme devient en quelque sorte
l'esclave de l'homme, et fait ce qu'il veut car elle lui appartient. Son mari
peut même chercher une autre femme car le mariage traditionnel
camerounais accepte la polygamie (non pas la polyandrie). Pour nous, son acte
sera qualifié de revendication des droits, mais aussi de vengeance car
elle réclame l'égalité des droits tout en se vengeant des
maux que son mari lui a fait subir. Et c'est à partir de tout cela qu'on
peut dire qu'elle est l'élément perturbateur de l'histoire. La
femme Niam est alors le symbole de la révolte féminine et
représente toutes les femmes paysannes subissant cette
inégalité de droit. Le troisième personnage que nous
allons étudier est par contre la représentante des femmes
modernes, c'est-à-dire les femmes de la ville. Il s'agit d'Eliza.
Eliza est une fille venant de la ville et qui est de retour
à Kala. Elle n'est pas paysanne comme toutes les femmes du village ;
elle et se distingue par sa beauté. De ce fait, tous les jeunes
garçons la désirent mais en vain. Elle a posé son
dévolu sur Medza; mais elle est trop dominante tant sur le plan
psychologique que sur le plan physique. Par conséquent, la
timidité prendra le dessus pour notre héros puisqu'il ne se sent
pas à la hauteur. Contraire aux paysannes, la personne qu'incarne Eliza
nous donne un ref let de ce qu'est une femme de la ville ou plus
précisément ce qu'est devenue une paysanne après son
passage en ville. Si les autres, c'est-à-dire les paysannes encore
rattachées à la tradition, sont qualifiées par l'auteur de
filles pures qui « attendent sans savoir exactement quoi »,
étant donné qu'elles n'ont pas été souillées
par les éléments de la modernité, donc encore pures,
Eliza, elle, est
parmi « les filles qui savent ce qu'elles veulent et
qui se souviennent de ce
qu'elles ont connu ». Effectivement, on ne
voyait plus en elle les traits caractéristiques qui font d'elle une
fille de la forêt telles que l'innocence et la soumission puisqu'elle a
été déjà en contact avec la ville, facteur de
changement, qu'elle est devenue arrogante et hautaine envers
ses proches. Même enviée de tous les jeunes garçons de Kala
par sa beauté, Eliza restera pour eux une fille inaccessible, car si ses
apparences extérieures les attire, l'intérieur,
c'est-à-dire sa mentalité, les feront fuir car même Medza,
le meilleur parmi eux et un gars de la ville par-dessus tout, a
déclaré forfait. Toutefois, la présence d'Eliza dans le
roman nous a permis d'avoir un avant goût de ce que peut bien être
une fille africaine contaminée par les expériences vécues
en ville et de faire la comparaison avec celles qui ne sont jamais sorties de
la tradition et de la forêt.
Si telle est la description d'Eliza, la dernière femme
que nous allons voir dans cette partie sera Edima, tout l'opposée
d'Eliza.
Edima est une jeune fillette âgée d'une quinzaine
d'années. Belle comme Eliza, « son corps était un vrai
chef-d'oeuvre de la nature », mais ce qui les différencie
c'est qu'elle est une petite paysanne qui n'a jamais été en
contact avec la ville et qui souhaite quand même y aller. Nombreuses sont
les fillettes du même âge qu'Edima mais elle est unique car c'est
la fille du chef de village de Kala. Elle est aussi la seule avec qui Medza
s'est vraiment sentie à l'aise. Elle incarne les femmes traditionnelles,
c'est-à-dire celles qui sont restées dans la brousse. Si on
analyse son parcours dans le roman, on peut dire qu'elle est en train de suivre
le même destin que les mères de famille. Bien qu'elle et Medza
sont unis par l'amour, elle est tout de même « offerte »
très jeune à Medza. Comme toutes les femmes, elle aussi n'a pas
eu droit à demander son avis si elle voulait épouser Medza ;
même leur mariage était inattendu et très brusque que tout
le monde était surpris de l'évènement (pp.210-211). Il n'y
avait même pas eu besoin de payer la dot pour que Medza devienne son
époux puisqu'elle fut offerte gratuitement par son père. Le geste
du père est tout de même justifié car pour lui, sa petite
fille est « la meilleure de la nichée » (p.215). En
plus, son union avec Medza va lui apporter beaucoup de profit ; et sur ce
sujet, Zambo déclare « quil est certain d'avoir
désormais quelqu'un à la ville pour l'aider plus efficacement
dans ses sales combines. Et quelqu'un d'instruit, s'il te plaît.
» (p.215). C'est donc une merveille pour la famille car elle va
rapporter gros dans les affaires, et pour Medza, Edima est aussi une merveille
qu'il n'oubliera
jamais de sa vie puisqu'il déclare lui-même
qu'elle est son premier et peut-être son seul amour. Tellement la
présence d'Edima a marqué la vie de Medza que tout
l'épilogue du roman a été consacré à elle.
Ce n'est donc pas par hasard que ce personnage est important aux yeux de tous
puisque Edima est un patronyme qui signifie merveille et est le symbole de
l'amour et de la pureté.
Si tel est la partie concernant les femmes, que se passe t-il
donc au niveau des jeunes ?
3- Les jeunes
Comme les hommes et les femmes, les jeunes ont aussi leur mot
à dire dans la société, dans le roman. N'oublions pas non
plus que même s'ils sont en majeure partie dépendants de leurs
parents, ce seront eux qui assureront la relève mais surtout l'avenir.
Elément significatif de la société, la classe des jeunes
joue un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de la
société car tout repose sur eux. Donc dans cette partie du
devoir, nous allons étudier quelques jeunes dans le roman, surtout des
jeunes garçons dont Petrus Fils-de-Dieu, Abraham le
Désossé et Yohannès le Palmipède qui forment un
trio, Endongolo, Zambo et enfin Medza.
L'adolescence est la période entre l'enfance et
l'âge adulte pendant laquelle les jeunes sont en phase de transformation
grâce à la découverte et l'exploration de la vie en
essayant de tout faire que ce soit bon ou mauvais car c'est à partir de
ce point là qu'ils forgeront leur vie future. Et dans le cas du trio,
c'est-à-dire Petrus Fils-de-Dieu, Abraham le Désossé et
Yohannès le Palmipède, la vie d'adolescent passe sans trop de
soucis à faire. A part travailler dans les champs, la majeure partie du
temps ils ne font que se divertir comme chercher des filles et/ou boire du vin
de palme jusqu'à ce que tout le groupe soit ivre, ou que les
réserves et les ressources soient vides, à sec. C'est à
cause de cette période transitoire, c'est-à-dire l'adolescence,
que les jeunes apprennent tout. C'est comme un temps où la
personnalité de l'individu n'est pas (encore) bien définie
puisqu'il est dans une phase de sa vie où il se détache petit
à petit du passé pour construire sa vie future sans tout autant
délaisser complètement le passé. C'est par ce raisonnement
que nous allons
démontrer pourquoi les personnages qui composent le
trio ont des noms composés mais non pas des noms simples.
Puisqu'ils sont tous dans l'adolescence, ces jeunes là
ne sont encore très bien définis, que ce soit au niveau
psychologique ou au niveau morphologique parce qu'ils sont en train de se
métamorphoser. Tout ce qui les concerne dans cette période n'est
que dérisoire et peut changer au fil du temps ; mais ce sera la base, le
fondement de l'avenir. Toutefois, il est nécessaire de faire savoir que
pendant cette période de l'adolescence, on a deux phases bien distinctes
dont le passage de l'enfance vers l'adolescence et le passage de l'adolescence
vers l'âge adulte. Dans le cas de Petrus Fils-de-Dieu, Abraham le
Désossé et Yohannès le Palmipède, ils sont tous les
trois dans le début de la deuxième période de
l'adolescence, c'est-à-dire dans la période de passage de
l'adolescence vers l'âge adulte.
Si on analyse donc les noms que portent ces trois personnages,
à première vue et à partir des données dans le
texte du roman, nous pouvons dire que ce ne sont pas leurs vrais noms mais des
surnoms. Dans le récit du roman il est bien dit que, pour le cas de
Yohannès le Palmipède, il s'appelle Albert Bidzo, mais
Yohannès le Palmipède n'est qu'un surnom que les petits enfants
emploient pour l'appeler (p. 54). De même pour les autres, comme Petrus
Fils-de-Dieu qui n'est qu'un surnom (selon le roman) qu'on lui a
attribué après des évènements qui s'étaient
produits auparavant (p. 55). Pour le dernier personnage, qui est Abraham le
Désossé, ce n'est pas non plus son vrai nom mais un qualificatif
qui renvoie à la fois à sa personnalité et son physique
(p. 57). Ces surnoms composés, bien qu'ils ne soient pas les
véritables noms des individus, ne sont pas seulement de simples
désignations ni de simples appellations secondaires, mais contiennent
aussi des éléments significatifs qui qualifient l'individu dans
un temps donné, tout en mêlant le passé avec le
présent.
Concernant le personnage Petrus Fils-de-Dieu, si on analyse
les éléments composant son surnom, c'est-à-dire Petrus et
Fils-de-Dieu, à partir de ce que dit le roman à son
propos, on aura une biographie partielle de l'individu. Globalement, ce surnom
nous renvoie et nous donne un des traits
caractéristiques de la personne. La cause de ce surnom,
d'après ce qui est mentionné dans le roman, est pour essayer de
sauver l'individu de l'enfer et cela dû à ses mauvaises conduites
d'auparavant.
Mais si on pousse encore plus loin l'analyse, on trouve que ce
surnom représente la croyance en Dieu. Il sous-entend une appartenance
de religion monothéiste car deux éléments nous certifient
cela dans le récit du roman :
« [...] le père de garçon était
catéchiste [...], je crus devoir chercher l'origine [...] dans la
profession paternelle.»(p. 55) qui veut dire que ce surnom est en
partie inspiré de la carrière paternelle car
cette société traditionnelle évoquée dans le roman
n'est pas seulement patriarcale, mais aussi patrilinéaire. Le second
élément qui nous permet de certifier l'appartenance du personnage
dans une religion monothéiste est la façon d'écrire le mot
Dieu. Dans le surnom, le mot débute par une lettre majuscule mais non
pas en minuscule. Cela signifie donc que le Dieu dont il est question est le
Dieu Créateur des religions monothéistes mais non pas une des
divinités des religions polythéistes. Et pour plus de
précision sur cette religion monothéiste dont le récit
veut nous faire connaître, le premier élément du surnom,
c'est-à-dire Petrus, et la profession du père vont nous
éclaircir sur ce sujet. La profession du père peut nous donner la
réponse à cette ignorance car si dans le roman il est dit que le
père de Petrus Fils-de-Dieu est catéchiste, cela veut dire que le
père est un chrétien parce que le mot catéchisme
signifie, selon la définition du
Petit Larousse 2007, « Enseignement de la foi et de
la morale chrétiennes. ». A
part la profession du père, le mot Petrus nous
renvoie aussi à la religion chrétienne car il est
l'équivalent du nom Pierre chez les tribus pahouins6 ;
et Pierre est un des noms des apôtres de Dieu.
Pour Yohannès le Palmipède, il se fait ainsi
appeler, surtout par les petits enfants qui veulent s'amuser, parce que selon
le texte du roman, « [...] il avait
les pieds non seulement plats mais encore retournés
vers l'extérieur. »(p.54), et
surtout parce qu'il est un très bon nageur que
même Medza l'enviait, à tel point
qu'il déclara : « J'aurais donné tous les
bachots du monde pour nager comme le Palmipède, [...] » (p.
88). A part cela, le surnom de ce second personnage
aurait aussi une similarité avec celui du premier,
c'est-à-dire Petrus Fils-deDieu, parce que Le nom Yohannès
est un nom pahouin dérivé du nom Jean qui n'est pas d'origine
africaine. Ce nom nous permet aussi de savoir son appartenance religieuse car
le nom Jean est issu de la civilisation chrétienne.
Le troisième et dernier personnage que nous allons
étudier dans le trio est Abraham le Désossé. Selon le
roman, il est appelé ainsi à cause de sa souplesse physique,
comme qui dirait « [...] était complètement
dépourvu d'os. »(p. 57). C'est donc la signification de le
Désossé. Pour ce qui est d'Abraham, Medza
lui-même ignore la cause de ce choix, et il déclare sur ce sujet :
« je ne sais pas pourquoi Abraham plutôt que Moïse ou
Nabuchodonosor. » (p. 57). En tout cas, le surnom que porte ce
personnage ne reflète pas totalement sa personnalité car à
part d'être souple, il n'a rien d'un saint homme, sauf qu'il s'y
connaît un peu en religion catholique puisque autrefois il était
moniteur et enseignait aux petits enfants le catéchisme.
Si telle est l'étude sur le trio, nous allons maintenant
analyser le personnage Endongolo, un jeune garçon qui n'est ni dans le
trio ni un ami très proche de la bande de Medza qui est composée
du trio , Zambo et Medza. Endongolo lui est dans la fin de la deuxième
période de l'adolescence, c'est-àdire vers la fin du passage de
l'adolescence vers l'âge adulte. Si on le compare avec les autres jeunes,
il est beaucoup plus âgé qu'eux puisqu'il est dans les trentaines,
or le trio, Zambo et Medza sont dans les vingtaines. Tout de même, son
point commun avec ces jeunes c'est son penchant pour le vin de palme, mais ceci
d'une autre façon. Pour lui, le vin de palme n'est pas seulement un
moyen pour oublier momentanément les problèmes de la vie
quotidienne, mais c'est aussi l'équivalent de la pénicilline qui
le soigne de toutes maladies et qui le rend toujours en pleine forme (p.
144).Toutefois, il est plus mature que ces jeunes puisque Medza avait non
seulement remarqué qu'Endongolo assistait toujours à ses
conférences mais il était très intéressé et
posait même de bonnes questions, mettant quelquefois Medza dans
l'embarras.
Selon le roman, Endongolo est « [...] un grand
garçon un peu rustre, pas très soigné. »(p.141)
encore célibataire et vivant seul avec sa petite soeur. Ils sont
6 Alexandre P., Binet J., Le groupe dit Pahouin
(Fang-Boulou-Beti), Paris, Institut international africain,
orphelins de père et de mère précocement
mais vivent sans l'aide de personne. Cette situation l'a poussé
prématurément à devenir un homme responsable, assumant
tant bien que mal ses devoirs. Toutefois, ce n'est pas seulement cela qui le
rend ainsi mais c'est aussi dans sa nature. Tout ce qui est dit dans le roman
caractérisant ce personnage convient réellement à son nom
car si on se réfère au sens étymologique, on voit que
Endongolo vient du terme pahouin endondon, signifiant svelte et
élancé7. Et comme tout enfant grandissant trop vite,
comme lui, les capacités physiques évoluent plus vite que les
capacités mentales qu'il n'est pas du tout intelligent par rapport
à ses aînés, même par rapport à ses cadets.
Concernant Zambo, il est le cousin de Medza et est le fils
d'oncle Mama. C'est un jeune garçon très sportif et qui est le
grand champion de Kala. Si Medza est unique en son genre, Zambo l'est aussi
puisque personne ne peut l'égaler dans le domaine sportif. Tous les
jeunes de Kala le considèrent comme un dieu des sports grâce
à sa compétence dans ce jeu de sagaie, mais aussi parce qu'il a
un corps bien fait, plein de vitalité. Et comme le dit le roman «
[...], c'est cette espèce de baobab humain [...] » (p.
41). A part le fait d'être le capitaine d'équipe de Kala, il est
très proche du trio et qui prend plaisir à boire du vin de palme
et à se livrer à la débauche avec eux. Après le
trio, il adore aussi son petit cousin Medza et ne se lasse pas de lui trouver
une compagne pendant tout son séjour à Kala. Par
conséquent, c'est lui qui arrangera la rencontre entre Eliza et Medza
(pp. 102-107), puis entre Edima et Medza (pp. 133-137). Comme tous les hommes
de son village, c'est un travailleur qui va aux champs quotidiennement, mais
sans vraiment travailler comme tous les jeunes; et sur le fait de ne pas
travailler sérieusement, son père dit : « [...], c'est
simplement sa faute. S'il travaillait davantage, s'il ne faisait pas tout le
temps le mariole, il aurait déjà fini à la
cacaoyère et il serait libre d'aller où il voudrait. »
(p. 219). Toutefois, lassé de la vie campagnarde et trop attaché
à son cousin, il n'hésitera pas à tout abandonner pour
s'échapper du village avec Medza et vivre en ville (p.249). Si dans le
roman Zambo est représenté comme étant un
Puf, 1958, 152 p.
7 Alexandre P., Binet J., Le groupe dit Pahouin
(Fang-Boulou-Beti), Paris, Institut international africain, Puf, 1958, 152
p.
personnage fort physiquement et moralement, c'est parce qu'il
a été inspiré de la réalité. Le mot Zambo
vient du nom propre pahouin Zombo signifiant résister,
affronter8. Effectivement d'après ce qu'on avait dit
auparavant, Zambo a ces caractéristiques. A part le fait d'être
résistant physiquement qui lui permet d'affronter ses adversaires
sportifs, il l'est aussi moralement. Il ne se décourage pas dans sa
mission qui consiste à trouver des petites amies pour Medza.
Et à propos de Medza, c'est le personnage principal du
roman. Il a suivi ses études à l'école européenne
et est vraiment différent des autres personnages, surtout adolescents.
Il est unique parce que même étant africain, il n'en a pas l'air
que ce soit du point de vue physique que psychologique. L'explication de cette
différence et de cette transformation vient du fait qu'il n'avait pas
reçu l'éducation traditionnelle des Anciens mais une
éducation moderne, c'est-à-dire celle des colonisateurs. De ce
fait, Medza possède beaucoup plus de connaissances sur les cultures
antiques comme la culture grecque et romaine que sur la civilisation africaine.
A tout moment où deux circonstances sont à peu près
identiques ou ressemblent au passé, il fait tout de suite une
comparaison et nous renvoie dans le passé, c'est-à-dire vers les
faits historiques de la civilisation, soit grecque ou romaine. Dans la page 50
du roman par exemple, Medza compare la salutation que leur font les autres
à
« une ovation de César au retour de la guerre
des Gaules » puisque la victoire
remportée par l'équipe de Kala est pour lui
comme la victoire de César sur la Gaule. A part cela, nous constatons
aussi que le personnage Medza manifeste un goût pour la discussion, or
selon la tradition africaine, les enfants n'ont pas droit à la parole
face aux grandes personnes, et ne doit en aucun cas les défier. Medza
transgresse cette loi puisqu'il n'hésite pas à donner son point
de vue, ses critiques et à étaler ses idées quelque soit
son adversaire qu'il soit un Blanc comme le Grec Kritikos ou les hommes du
village. Cette transgression n'est pas seulement verbale, comme Medza l'avait
fait en prenant la parole au village pour défendre sa cause (p. 29) et
face à son propre père pour dénoncer l'injustice qu'on lui
impose (p. 245) ; elle est aussi physique. La situation qui peut très
bien interpréter ce fait est le duel qui a eu lieu entre Medza et son
8 NDONGO FAME Jacques, L'esthétique romanesque de
Mongo Béti, Présence Africaine, 386 p.
père qui commençait par une boxe, et qui se
termina par une poursuite de Medza dans tout le village (pp. 246 - 248). Actes
inadmissibles pour les grandes personnes, les agissements de Medza envers ses
proches auront des impacts sur la vie traditionnelle puisque son père,
par exemple, se sentira ridiculisé et humilié devant les
villageois, parce que tout le monde va croire qu'il n'est pas capable de bien
éduquer son propre fils. Or, c'est le fils qui est devenu un jeune
moderne et qui veut, par tous les moyens s'affranchir définitivement de
la tradition car cette dernière gène sa liberté
personnelle. Tiré du verbe a dza signifiant faire des reproches, et des
critiques9, le nom que l'auteur a donné au personnage
principal ref lète ces traits caractéristiques. Mais
malgré ces défauts, le fait d'avoir acquis des connaissances
à l'européenne a permis à Medza d'avoir une place beaucoup
plus élevée et importante dans la société. Il est
considéré par les grandes personnes comme étant
déjà un adulte capable de tout faire, voire surpasser ce que les
autres ont entrepris.
II- Les pouvoirs en activité
Si dans le premier chapitre nous avons vu les
particularités de chaque groupe de personnes, voire de chaque individu,
dans ce second chapitre intitulé « les pouvoirs en activité
» nous analyserons la position de chaque groupe par rapport à la
société présente dans le roman. Pour cela, nous allons
voir en premier lieu « La domination de l'homme », en second lieu
« Le pouvoir colonial » et en dernier lieu « Le statut de la
femme ».
1- La domination de l'homme
Quand on parle ici d'homme, il s'agit de tout individu de sexe
masculin qualifié de grande personne, c'est-à-dire les
grands-pères et pères de famille, mais non pas les jeunes
garçons encore dépendants de leurs parents.
On constate tout au long du roman la domination totale de
l'homme, et cela dans tous les domaines. Tout homme vieux ou ayant fondé
une famille est automatiquement respecté par le village tout entier ; et
pour mériter cette place honorifique, il était essentiel
d'être marié parce que dans la société
9 NDONGO FAME Jacques, L'esthétique romanesque de
Mongo Béti, Présence Africaine, 386 p.
traditionnelle « la femme est un signe infaillible
d'aisance, comme le frigidaire ou l'automobile en Amérique »
(p. 141). Sans la femme donc, l'homme n'est
rien puisqu'il n'a rien et est considéré par
conséquent comme un vaurien. Mariés, les hommes deviennent
pères et sont chefs de famille; ils font ce qu'ils veulent de leurs
femmes et de leurs enfants. Et sur ce plan, ils ont la réputation
d'être violents, des tyrans et des dictateurs. Pour se faire entendre, se
respecter ou tout simplement pour éduquer quelqu'un, les hommes
n'hésitaient pas à maltraiter les femmes et les enfants. Cette
violence est déjà un rituel et est incluse dans la culture
traditionnelle car si on se réfère à ce que le texte
dit
dans la page 237, « [...] chez nous, on se
tançait sans arrêt : le père tançait tout le monde,
la mère tançait les enfants, [...] Quant aux enfants, les
garçons tançaient les filles, et la fille aînée
tançait sa cadette [...] ». Cette violence
perpétuelle, surtout au niveau des hommes s'explique
par le fait que la société traditionnelle que nous
étudions en ce moment s'agit des tribus pahouins. Selon les
étymologistes, "pahouins" vient de "m'pawin" et signifie "sauvage". Ils
existent toujours entre Gabon, Guinée équatoriale et Cameroun,
mais on les appelle aujourd'hui Fang ou Beti ; et jusqu'à
présent, ils vivent toujours en véritables enfants de brousse,
c'est-à-dire ils passent leur temps à chasser, pêcher, .
.., mais surtout aiment ou battent leurs femmes, font la guerre avec les tribus
voisines. Toutefois, même avec cette manie de battre, de dominer les
autres, il y a toujours le respect entre les individus du même groupe. Le
patriarche comme Bikokolo par exemple est l'homme sage du village et exerce un
pouvoir absolu sur tous les villageois, même sur les pères de
famille. Tous doivent le respecter et lui obéir vu son âge et son
statut. Il règne sur tout le village et assurent plusieurs fonctions
à la fois comme dirigeant, conseillé et guérisseur, et
dans tout cela, ses décisions ne sont jamais contestées par qui
que ce soit. Et le pire dans tout cela c'est que cette place,
c'est-à-dire chef de village ou patriarche, est exclusivement pour les
hommes et se transmet de père en fils, c'est-à-dire par
hérédité. Personne ne peut accéder à ce
poste s'il est en dehors de la famille du chef, même s'il a le
privilège d'avoir pu fréquenter l'école comme Medza
(p.116). Et si le patriarche commande tout, les hommes pères de famille
(qui sont aussi sous son autorité) eux sont les maîtres dans
leur foyer respectif. Pour l'oncle Mama par exemple, on voit
à travers ses comportements qu'il est un homme ferme car il parlait peu
et ne riait jamais. Et comme dit Medza sur ce sujet: « ces gens qui ne
savent ni n'aiment parler ont un fort penchant pour la dictature »
(p.89) puisque lui-même subit cette pression bien qu'il soit choyé
à la maison ; l'oncle Mama, sans demander son avis ni attendre une
réponse, impose des choses sans que l'autre ait le temps de pouvoir
réagir (p.147). Et cette tension entre « père » et fils
ne s'arrête pas seulement entre Medza et son oncle, mais continue aussi
entre Medza et son vrai père. Medza accuse son père d'être
autoritaire, un tyran, un dictateur puisque depuis sa tendre enfance, il ne
faisait que suivre les désirs de ce dernier tels que aller à
l'école non pas vraiment dans le but de l'éduquer mais pour s'en
débarrasser par l'intermédiaire de l'école. Les
professeurs constatent cette réalité mais le père
s'obstine et défend jusqu'à la fin ses idées en disant :
« Oh I De toute façon, que ferait-il à la maison ? [...]
Alors qu'il reste à l'école... » (p.231) ; et la
mère, plus proche du père, sentait quelque chose qui venait mais
ne peut pas intervenir. « Il a une idée derrière la
tête, moi je le sais bien, parce que je le connais. »(p.231)
dit la mère en guise de protestation face à ce qui se passe.
Tellement le père est vu de mauvais oeil par tous qu'il s'est fait
qualifier « d'un dieu suprême, un dieu terrible »
(p.22 1) puisque tout le monde le craint. A part cela, on sent vraiment cette
place élevée de l'homme lorsqu'on analyse ce qui se passe dans la
société car à chaque fois ils se mettent toujours à
l'écart, de préférence dans un endroit élevé
pour affirmer leur supériorité. Par exemple au moment du repas,
les hommes mangent à part et ne se mélangent pas avec les femmes
qui sont considérées comme des êtres inférieurs (p.
64). Le même scénario se répète aussi lors de la
baignade où il est inadmissible pour les sexes masculins que les femmes
aient une place en amont et eux en aval car ils doivent/veulent
préserver leur statut dans tous les cas. C'est donc ce qui se passe
à la page 70 quand les hommes entendirent que les femmes vont chercher
une belle place en amont pour se baigner :
«Le mot « amont » produisit un effet
véritablement magique.
Les garçons sortirent précipitamment de
l'eau, leur visage exprimant
comme un dégoût. [...] les femmes en amont et
nous ici ? Ah non, alors... ».
La domination se fait aussi sentir au niveau des jeunes
garçons puisque entre Medza et Zambo par exemple Medza se fait
très respecter par son cousin alors que Medza est son cadet. Or
normalement cela devrait être Medza qui devrait le respecter étant
donné que Zambo est son aîné. Medza confirme
même que « [...] le respect dû à
un individu est directement proportionnel à son âge [...]
» (p.140) mais ce n'est pas le cas ici. « Je suis heureux et
surtout honoré de pouvoir te parler aujourd'hui ! Tu ne peux pas savoir.
» (p.44) ; Tels
sont les mots de Zambo face à son petit cousin Medza ;
des mots qui signifient tant de choses car à travers eux on
perçoit la position de chacun, c'est-à-dire de Medza et de Zambo,
où Zambo est dominé, tel un subalterne face à son
supérieur, et cela à cause du fait que Medza vient de la ville,
donc quelqu'un qui connaît beaucoup de choses. Toutefois, si
l'intellectuel domine ses proches à cause de ses connaissances, le
pouvoir total sera toujours détenu par les vieux puisqu'ils ont les
moyens et la chance de l'appliquer vu « le système
économique, juridique et coutumier » (p.140) qui les
privilégient, ne laissant aucune chance aux jeunes de les rivaliser. La
seule chose qu'ils peuvent faire face à cette situation est de se plier
comme les autres, sinon se révolter contre le père comme Medza
l'avait fait pour se libérer de ce mal. Toutefois cela ne changera rien
puisque si lui est libéré, la société elle, n'a
guère changé puisqu'elle restera toujours une
société patriarcale où « il y a des gens qui ne
perdent jamais » (p.254) qui sont les vieux, et où les plus
forts voudraient toujours dominer les plus faibles et les moins
âgés. Mais dans tout cela, que devient l'autorité coloniale
puisque les colonisateurs ont aussi leur place dans cette société
traditionnelle ?
2- Le pouvoir colonial
Face à cette société traditionnelle, le
pouvoir colonial est très bien organisé bien que sa
présence ne soit pas mentionnée directement dans le roman. Le
pouvoir colonial se manifeste sous différentes formes, et tout au long
du récit on ne retrouvera point un seul Blanc (à l'exception de
Kritikos le grec)
qui essayera d'imposer quoi que ce soit à un Noir. La
raison en est que les Blancs n'interviennent plus directement dans la vie des
Noirs mais sont remplacés soit par des représentants Noirs, soit
par des institutions dirigées aussi par des Noirs.
En lisant le roman, on croit avoir sous les yeux une oeuvre
où l'on ne retrouve pas de conflits entre Blanc et Noir. Mais
après l'analyse du contenu, nous réalisons qu'il y a bel et bien
des indices qui révèlent la présence des colons. Comme dit
Daniel, l'ami de Medza « Partout où il y aura un Noir, il se
trouvera toujours quelque colon pour lui rôder autour. »
(p.14).
Dès que l'on aborde le sujet concernant le pouvoir
colonial en Afrique, la première chose qui nous vient en tête est
la domination des Blancs sur les Noirs et ses conséquences sur les
Noirs. Toutefois, l'arrivée des Blancs sur le continent Africain n'est
pas toujours néfaste mais peut être aussi bénéfique
pour les Noirs. Sans les Blancs par exemples, les pistes ne seraient pas
devenues des routes goudronnées, bien que ces dernières soient en
très mauvais état au Cameroun comparées à ce que
les Belges ont fait au Congo (pp.15-16). Mais comme nous le savons, cette
modernisation de l'Afrique traditionnelle par les colons a un but précis
qui est de dominer les Noirs sur tous les plans. Et si on analyse très
bien cette modernisation, nous constatons et nous nous en rendons compte
qu'elle a été instaurée non pas pour aider les africains
mais pour qu'ils soient dépendants des Blancs, et surtout pour mieux les
maîtriser. Le pouvoir colonial est donc une machine bien
rôdée où tout est planifié afin de maîtriser
les Noirs. C'est le pouvoir colonial qui oblige indirectement les enfants
à aller à l'école, à cesser de cultiver les
cultures vivrières pour planter du cacao et du café aux paysans,
hommes et femmes, et à dicter au patriarche ou chefs de village ce
qu'ils devront faire.
L'instauration de l'école, plus
précisément d'un Internat Indigène, est faite pour
éduquer les jeunes Noirs afin qu'ils puissent avoir de nouvelles
pensées, à peu près identiques à celles des Blancs,
c'est-à-dire cartésiennes. Eduquer à l'école donc
permet de former les africains dès leurs plus jeunes âges en leur
apprenant l'idéal, en traçant leur route et en donnant le
modèle qu'ils devront
suivre. Tout cela dans le seul but de faciliter leur
manipulation plus tard. Eduquer n'est donc pas le mot adéquat dans ce
cas parce qu'on a affaire ici à un vrai lavage de cerveau par le biais
de l'éducation venant des colons. Ce lavage de cerveau exercé sur
les Noirs, nous pouvons le percevoir à travers ce que Daniel a dit :
« Moi, mes ancêtres furent non point Gaulois,
mais Bantous ; ils le sont d'ailleurs restés depuis. Et apparemment, il
n'y a pas de raison qu'ils veuillent changer de parti aujourd'hui. »
(p.14).
Le bureau administratif, le commissariat de police et la
prison (p.18) sont réservés pour ceux qui n'ont pas
été transformés par l'éducation coloniale ou qui ne
veulent pas suivre ou se soumettre aux normes imposées. La
présence de ces institutions à Vimili n'est donc pas seulement
d'ordre esthétique pour moderniser le paysage mais a une fonction
ré éducationnelle des Noirs afin de préserver l'ordre
imposé par les Blancs. Tous ceux qui ont échappé au lavage
de cerveau de l'école seront donc corrigés et «
normalisés » par ces établissements coloniaux. Ceux des
petites villes comme Vimili seront alors sur la bonne voie comme ceux qui ont
suivi des études à l'école parce qu'ils ont la police, la
prison, et le bureau administratif comme équivalences de l'école.
Par contre dans la brousse où il n'y a ni école, ni commissariat
de police, ni prison pour marquer la présence coloniale, les Blancs sont
remplacés par des Noirs. Ils ont pour tâche de représenter
l'autorité coloniale, surveiller, voire espionner leurs proches et
surtout faire régner l'ordre selon les lois en vigueur dans le village
où ils sont établis. Dans le roman, ces représentants
coloniaux Noirs ne sont rien d'autres que le chef de canton pour le village
natal de Medza, et le chef de village à Kala. Que ce soit le chef de
canton ou le chef de village, tous les deux détiennent une place
symbolique dans la société traditionnelle parce que même le
patriarche du village comme Bikokolo est sous leur autorité et doit se
plier devant eux. Ils sont au sommet de la pyramide et n'ont plus rien à
voir avec la vie traditionnelle des villageois. Ils mènent une vie
aisée due aux privilèges donnés par les colons comme
habitant dans des villas imposantes, mais surtout parce qu'ils se sont
affranchis et ne respectent plus la hiérarchie traditionnelle de la
tribu (p.34). Ayant donc l'appui des colons et affranchis des
traditions, ils se permettent de tout faire jusqu'à en
abuser. Ainsi, ils n'arrêtaient d'harceler un homme que lorsque celui-ci
leur aurait fait la promesse formelle de venir à leur rescousse, soit
ils vont directement à l'intimidation administrative si les chantages
basés sur les sentiments ne passent plus (p.178). Et s'il y a encore
quelqu'un qui doute du pouvoir réel de ces gens là,
c'est-à-dire du chef de canton et du chef de village, si leur bel
habitat et leurs nombreuses femmes ne suffisent pas à affirmer leur
richesse et leur supériorité, ils sont prêts à
laisser tomber les costumes traditionnels en échange d'un uniforme de
chef de groupement avec les galons aux épaules et les décorations
sur la poitrine pour faire bien savoir à tout le monde que c'est lui le
chef suprême du village (p.183). En tout cas, ils sont là pour
remplacer et prendre la place des colons pour les aider à tenir la
population bien en main et cela par tous les moyens.
Mais si l'école et la force ne fonctionnent pas
à faire convertir les Noirs en de bons citoyens, il reste toujours la
religion chrétienne qui est elle aussi importée par les colons et
qui est devenue une arme efficace pour transformer l'individu. Toute personne
ayant été en contact avec cette nouvelle religion se voit
transformé psychologiquement et devient facilement obéissant. Il
suffit juste d'attribuer quelque chose avec Dieu pour avoir un résultat
immédiat. Nous constatons cela par exemple pour le cas de Fils-de-Dieu
qui, s'il veut mériter le ciel devait exécuter strictement les
ordres venant de Yohannès le Palmipède comme accourir chaque fois
qu'il l'appelle, remplir le verre de Medza chaque fois qu'il sera vide (p.56).
Ceux qui ont des connaissances sur la religion catholique seront donc
amenés à diriger les autres vers le droit et bon chemin. C'est
donc ce qui se passe quand Zambo fut accusé de voler le vin de Le
Palmipède. Et afin de convaincre qu'il a tort de voler les biens des
autres, le Désossé, le seul qui s'y connaît en terme de
religion catholique, fût désigné pour lui faire la morale
en usant de son savoir (pp.161 -1 62). La dernière chose importée
par les étrangers Blancs et qui pourrait être aussi un instrument
pour désorienter les Noirs est l'alcool. Dans le roman, nous avons deux
sortes d'alcool dont le vin de palme traditionnel et le whisky
américain. Si le vin de palme est pour les Noirs une sorte de
médicament équivalent de la pénicilline et pouvant
guérir les maladies (p.144), le whisky américain par contre est
un
refuge contre les problèmes difficiles à
surmonter comme vaincre sa timidité face à la fille que l'on aime
(p.190). Mais le pire c'est qu'il peut servir à dévoiler ce qui
est enfoui dans la tête puisqu'il rend les gens à demi conscients
et leur fait délier la langue petit à petit (p.120).
Mais comment est donc la femme dans cette
société où les hommes règnent en maître et
où tout le monde est soumis aux exigences coloniales?
3-Le statut de la femme
Dans le roman, nous assistons à une soumission totale
de la femme. Elles n'ont pas les mêmes droits que les hommes, et sont
réduites à n'obéir et à ne servir qu'aux hommes.
Dans une société où les hommes dominent, la place de la
femme est très réduite. Epousées très jeunes, comme
la femme de l'oncle Mama et comme toutes les femmes, elles vieillissent
précocement à cause des maternités successives et des durs
travaux des champs (pp.63-64) ; elles sont donc comme des machines agricoles et
de procréation. Cependant cette société traditionnelle a
vraiment besoin de femmes car ce sont elles qui font les travaux des champs et
en même temps elles s'occupent du foyer : le repas, les enfants et
surtout le mari à qui elles doivent une totale soumission au risque de
se faire battre ; par conséquent la femme joue un rôle important
dans la vie de l'homme puisqu'un homme sans une femme à ses
côtés n'est rien aux yeux de tout le monde et ne sera pas
estimé. L'accaparation d'une femme est donc nécessaire pour
l'homme afin qu'il soit estimé et considéré par tous. Elle
est alors un bien essentiel pour l'homme mais aussi pour la
société (p.141). C'est donc un être précieux bien
qu'elle soit marginalisée puisqu'elle est tout et fait tout en
même temps. C'est pourquoi le phénomène de polygamie est
bien accepté et persiste toujours dans la société car plus
un homme possède de femmes, plus il est considéré comme
riche et se sent plus puissant ; c'est le cas du chef de canton qui
d'après le roman « possédait les six plus belles femmes
de la région et s'apprêtait à en acquérir d'autres
» (p.34), mais aussi du chef de village de Kala qui est à sa
septième femme (p.177). Bien qu'il s'agisse ici d'une union entre deux
êtres, on peut dire que leur unification n'est pas le fruit de l'amour
parce que tout se passe entre le futur mari et la famille de la fille. Il
suffit que la famille accepte la somme donnée en signe
de dot pour acquérir la femme. On peut dire alors qu'une femme est une
sorte de marchandise que l'on peut s'acquérir en échange d'une
somme d'argent. Plus elles sont belles et bonnes plus elles sont
coûteuses, et plus elles sont vieilles et moches, plus elles sont moins
valeureuses (p.217). Toutefois si les hommes ont le droit d'avoir plusieurs
femmes en sa possession pour son épanouissement, il est interdit de
pratiquer la polyandrie et être frivole est lourdement sanctionné.
C'est donc le cas de l'épouse Niam qui a décidé de quitter
son mari pour aller chez un autre homme. Bien que la cause de son départ
soit due aux maltraitances qu'inflige son mari, cette cause n'est pas valable
par toute la société puisque une femme doit respecter son mari
quelles que soient les circonstances. Par conséquent, si la femme
voudrait quitter définitivement son mari pour aller chez un autre, elle
doit rembourser toute la dot à son mari, sinon elle doit retourner chez
celui-ci et cela par tous les moyens.
La présence de la femme est donc très importante
dans la société, mais elle reste toujours un sujet de discussion.
Parfois on associe la femme à de mauvaises choses. Tel est le point de
vue du père de Medza qui accuse les femmes d'être la source de
l'échec de Medza dans ses études. Mais si le père condamne
la femme globalement, les autres hommes peuvent trouver des détails sur
la femme pour la dévaloriser totalement. Si se parfumer est une
coquetterie, une manière de se mettre en valeur pour les femmes, cet
acte est perçu et traduit autrement par les hommes. Le fait qu'une femme
se parfume est signe qu'elle cache ses mauvaises odeurs pour les hommes. Ils
sont même convaincus que derrière ces mauvaises odeurs se cache
une maladie vénérienne, maladie la plus grave et la plus crainte
de tous (p.106). Donc ici on est en face d'une mauvaise interprétation
des choses où une fois encore c'est la femme qui en est victime, et dans
le roman cette personne féminine est la fille venant de la ville qui
n'est rien d'autre qu'Eliza. Le sort réservé à Eliza est
donc la mise en écart, mais ceci est aussi valable pour toutes les
femmes bien qu'elles ne soient pas malades. En effet, la séparation de
l'homme avec la femme ne s'arrête pas seulement au moment du repas comme
nous l'avons dit auparavant, mais elle continue bien plus qu'au-delà.
Après une lecture
minutieuse, nous avons constaté que les femmes et les
hommes ne dorment pas ensemble dans la même case mais dorment
séparément, d'où l'existence de ce qu'on appelle «
une case de femme » (p.133) où est entassé le sexe
féminin, que ce soit la mère, la grand-mère ou les petites
filles. On a donc ici affaire à une ségrégation, voire
à du sexisme si on synthétise tout ce qui a été dit
au sujet de la femme face à l'homme et une société qui lui
donne toujours tort, c'est-à-dire la femme. L'homme n'a aucune estime
pour la femme bien que leur sort dépende d'elle. Même à
partir des mots employés par l'auteur, on ressent ce mépris
envers la femme. L'utilisation du terme coucherie à la page 21 du
roman par exemple donne une très mauvaise image et qui sous-entend une
perversion totale de la femme ; or ici on a affaire à une simple
tromperie, que l'on appelle adultère puisque dans le texte il n'y a
jamais eu question de sexe mais juste une femme qui s'était fait
charmée par les offrandes d'un « market-boy » (p.21).
Ici donc le terme est poussé à l'extrême pour aggraver la
situation et discréditer la femme. La femme est donc réduite
à accepter sans discuter dans la vie traditionnelle ; celle qui veut
protester le fait en silence sous peine d'être battue par son mari. Elle
doit donc faire de « l'opposition silencieuse » (p.230) et
se réfugier à la cuisine qui est le seul endroit où elle
se sentira un peu en sécurité car le mari ne viendra jamais la
chercher là-bas pour la corriger (p.246). Toute femme de la brousse est
donc condamnée à une perpétuelle soumission mais sera
qualifiée de bonne femme, tandis que celles revenant de la ville sont
libérées et seront toujours mal vues part tous. Mais que ce soit
homme, femme ou enfant, tous doivent faire face à un grand
problème qui est en train de toucher leur monde traditionnel : c'est
l'acculturation.
DEUXIEME PARTIE
L'ACCULTURATION
La cohésion de deux cultures différentes
provoque ce qu'on appelle le métissage culturel qui est le fait de
maintenir sa propre identité culturelle tout en adoptant la culture
dominante. Mais quand vient le cas où il y a abandon de son
identité culturelle pour adopter la culture dominante, qui est celle des
colonisateurs, il y a ce qu'on appelle acculturation, et on assiste alors au
méfait destructeur de cette cohésion apportée par la
colonisation qui est bel et bien réel hélas.
Dans cette deuxième partie de notre travail, notre
activité sera surtout consacrée sur l'engagement du roman
à propos de l'acculturation. Et pour cela, nous allons voir à
travers le roman et à partir de la réalité les causes de
l'acculturation dans la première partie, puis ses conséquences
dans la deuxième partie.
I- Les causes de l'acculturation
Si la colonisation et la cohésion de deux cultures sont
les causes primaires de l'acculturation, les causes secondaires sont multiples
et de différentes origines. Parmi ces facteurs, nous allons
étudier quelques uns dont l'école ou l'éducation
européenne, l'influence de l'être hybride sur les individus, et
enfin l'attrait de la ville.
1- L'école ou l'éducation européenne
Comme nous le savons, tout le monde est attiré par
toute nouveauté ou toute chose inhabituelle ; et la venue de
l'école sur le continent africain, importée par les colons est
une nouvelle chose non seulement pour le continent africain mais aussi pour
tout son peuple qui vivait encore dans la pure tradition jusqu'à
l'arrivée des colonisateurs Blancs. L'apparition des colons
européens10 dans leur vie a entraîné tout un
changement, et le plus impressionnant est la manière dont s'est fait le
passage de leur vie, qualifiée de primitive, vers une vie plus
modernisée.
10 Dans Mission Terminée, il s'agit de colons
français
Bien avant l'arrivée de l'école
européenne en Afrique, afin d'assurer l'éducation de ses sujets,
l'apprentissage purement africain et traditionnel existait déjà.
Cette éducation était suivie par tous et bien établie car
les choses qu'on leur apprenait et qu'ils devaient savoir étaient tous
indispensables, nécessaires et utiles à leur vie et à leur
survie. Cette éducation est tout d'abord très bien
appropriée aux contextes de l'Afrique traditionnelle comme son
environnement, sa Culture et surtout les problèmes qui pourront
survenir. Cette initiation est un long processus qui débute dès
le plus jeune âge de l'individu pour ne se terminer qu'à
l'âge adulte. Elle peut toujours se poursuivre tant qu'il est sous
l'influence d'un adulte et/ou demander son aide ou conseil comme dans le cas de
Niam demandant conseil au patriarche Bikokolo (p. 23). Cette éducation
traditionnelle s'est toujours faite de bouche à oreille
évoquée directement ou sous forme de mythes, contes et
légendes (p. 30) , et surtout, elle est le fruit d'une accumulation
d'expériences qu'ont vécues les grandes personnes. Tout le monde
est appelé à contribuer à cette éducation ;
même les femmes doivent s'y mettre et ce sont elles qui assurent les
premières formations de l'individu dès son plus jeune âge.
Les apprenants, ici des enfants, s'instruisent tout en aidant ces femmes qui
les éduquent, dans les petites tâches ménagères et
aux travaux des champs. A partir de l'adolescence, les adultes n'interviennent
que rarement sur l'éducation car cette fois- ci elle ne se fait plus
qu'entre adolescents de même sexe afin de leur permettre de se
découvrir tout en explorant le monde extérieur. Ils peuvent ainsi
mettre en pratique et améliorer ce qu'ils ont pu en retenir et devenir
responsables petit à petit. C'est le moment de sevrage pour chacun, que
ce soit les filles ou les garçons. Les filles elles, apprennent à
devenir de bonnes femmes, c'est-à-dire travailleuses, soumises et
silencieuses, tandis que les garçons à être des hommes,
c'est-à-dire travailleurs, débrouillards et dominateurs. C'est ce
que nous apercevons tout au long du passage de Medza à Kala, où
il a pu se découvrir et découvrir beaucoup de nouvelles choses
à partir des nombreuses aventures en compagnies des jeunes du même
age que lui à Kala comme Zambo, Petrus Fils-de-Dieu,...11.
Passé à l'age adulte, chacun est prêt à
11 A partir du chapitre II, Mission Terminée
affronter seul la vraie vie, mais toutefois les vieux gardent
un oeil sur eux et sont toujours là pour conseiller,informer et à
rectifier ce qui ne va pas.
Mais l'arrivée en Afrique des colons, surtout de
l'éducation occidentale, a bouleversé cette initiation
traditionnelle car fascinés et attirés par cette nouvelle forme
d'enseignement,petit à petit les jeunes délaissent cet usage
traditionnel pour opter la nouvelle éducation. Et peu à peu, les
grandes personnes ne trouvent plus de jeunes gens à qui transmettre leur
savoir et leur enseignement car tous se ruent vers l'école occidentale.
Commence alors la perte de leur Culture et des coutumes parce que au fur et
à mesure que ces jeunes reçoivent cette nouvelle
éducation, ils perdront alors tout ce qui peut tourner autour de
l'Afrique traditionnelle car ils sont transformés par les disciplines de
cette nouvelle école qu'ils ont tendance (malgré eux) à
vivre et à penser comme les Blancs ; c'est le cas de Medza, le
personnage principal du roman qui ignore tout de ce qui est traditionnel car il
est issu de l'école européenne.
Opter pour l'éducation occidentale c'est
délaisser la tradition et sa propre culture pour n'apprendre que la
culture de l'autre, c'est-à-dire celle des Blancs car cette nouvelle
éducation pratiquée et donnée n'a pas été
adaptée pour être enseignée aux Noirs mais aux Blancs. Par
conséquent, ces jeunes Noirs apprendront les mêmes choses que les
Blancs comme par exemple l'histoire de la civilisation occidentale mais non
point celle de l'Afrique. Et pour confirmer cela, dans le roman, Daniel un
jeune Noir issu de la même école européenne que Medza dit :
« Moi, mes ancêtres furent non point Gaulois, mais Bantous ; ils
le sont d'ailleurs restés depuis. [...] » (p. 14). Ici on
assiste à une prise de conscience d'un individu qui n'a pas encore
été totalement converti par l'éducation coloniale, mais
plus il sera de plus en plus plongé, plus il saura de moins en moins sur
toutes les bases de son existence. Mais le pire, est que le jeune lui-
même se rend compte de cette éducation coloniale qui avait pris
toute sa jeunesse. Ceux qui ont voulu aller à l'école ont vu leur
jeunesse s'envoler car ils n'ont pas eu l'occasion de jouer aux jeux coutumiers
que les enfants de même âge qu'eux pratiquaient étant
donné qu'ils ne rentraient aux villages que lors des vacances, donc la
majeure partie de leur temps, tous restaient à « l'Internat
Indigène » (p. 13). Les règlements intérieurs de
l'école ne les ont
pas permis cette sortie étant donné que c'est un
internat, un établissement qui assure à la fois
l'hébergement et la nourriture de tous ses pensionnaires tout au long de
leurs études. Ceci arrange tout de même les élèves
Noirs habitant dans la majeure partie des cas très loin de
l'école car ils évitent le long trajet d'allerretour entre
l'établissement et leur village respectif. Par exemple dans le cas du
personnage principal du roman, Medza Jean Marie, la distance qu'il devait
parcourir pour aller de son village natal à Ongola, la ville où
se trouve son école est de soixante kilomètres. Pour le faire en
autocar, il lui faut au moins trois heures à cause de l'état de
la voiture, des routes qui laissent à désirer et surtout des
conditions météorologiques souvent très
mauvaises12. Nous constatons donc les difficultés qu'endure
le héros pour ses déplacements, ce qui nous emmène
à dire qu'il est pénible, voire impossible pour lui de faire un
va-et-vient quotidien de soixante kilomètres tout au long de
l'année afin d'étudier. Et pour que cela ne soit pas un handicap
pour l'enseignement, tout se doit d'être séduisant, fascinant et
bien établi à l'avance afin d'attirer et d'inciter les africains
à venir étudier dans les écoles européennes. Nous
constatons aussi à travers le fait de faire un très long voyage
pour pouvoir étudier à l'européenne, la place importante
de l'école coloniale aux yeux des Noirs car malgré cette longue
distance qu'ils devront parcourir, ils ne se découragent pas et veulent
toujours étudier dans l'école moderne.
Tellement tous sont fascinés par cette nouvelle
école qu'ils adoptent tout de suite sans même trop
réfléchir sur l'avenir de leurs enfants. Avenir qui,
déjà est voué à un échec car ayant
terminé leurs études, ils ne sauront pas vraiment quoi faire des
connaissances et diplômes délivrés par cette école
parce qu'ils ne trouveront pas les métiers adéquats.
Etudier dans une école européenne c'est
acquérir de nouvelles connaissances et abandonner ce qui appartient
à sa propre culture car dans ces établissements, on enseigne tout
sauf la civilisation de l'Afrique. Grâce au parler de Medza, on peut
déterminer ce qu'ils étudient dans « l'Internat
Indigène » comme la géographie, l'histoire (de la
France, de la Russie, des Etats-Unis), les mathématiques, ... ; mais
à part le fait d'enseigner ces matières
12 « Ce fut une pluie [...] une des averses sous lesquelles
les cases, dirait-on, s'enfonce plus
-là, les règlements intérieurs des
établissements obligent aussi leurs élèves à avoir
de bonnes conduites qu'il faut et qu'ils doivent savoir que dès qu'ils
ont adopté cette nouvelle éducation, tous doivent laisser de
côté tout ce qui se rapporte à leur tradition et culture.
L'école occidentale pousse même plus loin ses exigences en
obligeant les élèves Noirs à ne plus parler leur langue
maternelle « afin de les soustraire aux influences traditionnelles
». Et « ceux qui sont surpris en train de parler sa langue
maternelle se voyait affublé d'une planchette appelée «
symbole » sur laquelle était dessinée une tête
d'âne, et se voyait privé de déjeuner ...
»13. Nous constatons à travers ces mots de
A.Hampaté Bâ, (célèbre écrivain Noir dans le
monde et spécialiste sur la tradition orale peul), les
procédés des Blancs pour éloigner les disciples Noirs de
leur culture. Et à part les attaquer moralement en leur interdisant de
parler leur propre langue, ils sont aussi obligés de changer leur mode
vestimentaire pour adopter à peu près celle des Blancs : se
vêtir et chausser de blanc (p.17). On leur apprend aussi à avoir
les bonnes manières à table en les habituant à ne plus
manger avec les mains mais à utiliser la cuillère et la
fourchette. C'est pourquoi pendant l'une des conférences en plein air de
Medza à Kala, une femme lui a demandé une chose intrigante. Un
jour quand elle viendrait chez lui, pourrait-elle manger dans la même
assiette que lui, même si elle ne sait pas tenir une fourchette (p.118),
étant donné que les Blancs lui a appris à vivre comme eux
à l'école.
Bref, lorsqu'un Noir est sortant d'une école
européenne, cette dernière l'a complètement
transformé et il aura tendance à (imiter) vivre comme les Blancs.
Ils sont effectivement pour lui le bon modèle à suivre car la vie
que mènent les Blancs est un signe de réussite et de richesse,
non seulement pour lui mais aussi pour le reste des Noirs.
2- L'influence de l'être hybride sur les individus
L'être hybride, c'est-à-dire le Noir est celui qui
est issu de l'école européenne, comme notre héros, Medza.
Il est appelé ainsi car il n'est ni
profondément dans le sol ». p.14, Mission
Terminée
13 A. Hampaté Bâ, Aspect de la civilisation
africaine, éditions Présence Africaine, 1972, p.27
africain, ni européen étant donné qu'il a
perdu sa propre culture et ne fait que suivre approximativement et
bêtement celle des Blancs bon gré mal gré.
L'être hybride issu de l'éducation
européenne est en effet une des causes de l'acculturation. G'est un
système indépendant où les Blancs sont absents et
n'interviennent plus directement aux objectifs qu'ils ont fixés car ils
ont déjà cette machine à leur service qui, va
réussir là où ils ont pu échouer, qui s'infiltrera
sans peine là où ils ont eu beaucoup du mal à passer, dans
les arrières pays qui leurs sont difficiles d'accès comme Kala.
Aux yeux des Noirs, Medza est vu comme l'école, c'est-à-dire
comme étant une nouvelle et la meilleure chose qui leur est
donnée dans leur misérable vie car il est très rare de
voir tous les jours un jeune Noir éduqué à
l'européenne. G'est pourquoi, dans le roman, il est dit : « En
fait de garçon instruit et habitant la ville pardessus le marché,
[...], devait être une marchandise rare sur le marché de Kala
» (p.73) pour montrer la valeur importante d'une personne qui a suivi
les enseignements des européens. Medza est qualifié de «
marchandise rare » car les garçons comme lui ne sont pas nombreux
dans le pays. G'est vrai car ce n'est pas tout le monde qui peut se permettre
ce luxe, le fait d'envoyer son enfant à l'école des Blanc. En
plus, cela n'est pas gratuit et nécessite beaucoup d'argent durant
toutes leurs études, or tous les parents veulent et rêvent que
leurs enfants entrent dans une telle école. Get estime des Noirs face
à un être Noir éduqué à l'européenne
est un signe de réussite pour les Blancs, mais aussi pour les Noirs car
si Medza était alors comme tous les jeunes de son âge qui ne
fréquentaient pas l'école, il ne serait qu'une personne banale
à leurs yeux et ne représentera aucun intérêt pour
eux, mais aussi et surtout pour les Blancs. G'est cette
spécificité d'avoir pu fréquenter l'école et les
Blancs alors qui seront les potions magiques qui vont permettre de changer,
transformer la vie de toute communauté où passera Medza car il
est toujours considéré comme étant une perle rare, et
surtout, un brin de nouveauté qui vient apporter la modernité aux
membres de la société traditionnelle comme ceux de son village
natal mais aussi ceux de Kala où il effectuera sa Mission.
Il a donc en lui toutes les faveurs et tous les bagages
nécessaires pour enculturer14 ses proches par le biais de ses
nouvelles connaissances acquises, ses points de vue différents de ceux
des autres, sa nouvelle façon de raisonner qui sont très
convoités.
La venue, la vue de Medza à Kala et son contact avec
ces habitants vont changer le cours de leur vie. Tout le monde est
émerveillé par lui dès seulement le premier coup d'oeil,
un jeune «gars de la ville» qui est de passage et que l'on ne trouve
pas tous les jours à Kala ; tous veulent le voir, l'admirer, le
consulter à tout prix que ce soit les grandes personnes ou les jeunes,
et chacun y trouve son compte. Les jeunes garçons souhaitent apprendre
à lire et écrire comme à l'école, les vieux et
adolescents veulent s'informer sur les villes et les progrès, que ces
villes soient africaines ou occidentales, et les jeunes filles et femmes,
elles, en sont tout simplement fascinées, amoureuses qu'elles sont
là dans le seul but de l'admirer et le contempler de plus près.
Nous assistons donc au début de l'acculturation à Kala, et si
nous entrons dans les détails, nous trouverons que cette transformation
de Kala qui semble passagère est bel et bien le commencement d'une
acculturation puisque toutes les habitudes coutumières ont
été modifiées par l'arrivée de Medza.
Tout Kala est fasciné par la modernité. La venue
de Medza, par exemple pour les petits garçons, est une occasion rare
dans leur vie de pouvoir apprendre les mathématiques et de sortir de
l'analphabétisme en tentant d'apprendre à lire et écrire
le français (mais non pas leur langue maternelle) car ils veulent
devenir des intellectuels comme Medza. Cependant leurs parents n'ont pas les
moyens financiers de les envoyer à l'école, et l'apprentissage
traditionnel ne leur fournit pas ces nouvelles connaissances qui les fascinent
tant et qu'ils veulent acquérir. C'est comme un rêve qui ,
brusquement peut devenir réalité pour eux que, même Medza
n'a plus de temps libre dans le village étant donné que
dès la matinée, il est déjà pris d'assaut par ces
jeunes élèves qui ne s'intéressent plus à
présent qu'aux connaissances modernes. Le fait de prendre Medza en
assaut est déjà un signe de détermination et d'un
14 Processus de socialisation de l'individu qui, par
l'éducation, l'instruction, les disciplines du groupe en
général, transmettent à chacun des membres du groupe les
modèles, les normes, les systèmes de valeurs caractérisant
la culture dominante.
désir violent de vouloir apprendre. Ils ne viennent
même pas les mains vides et se donnent la peine d'amener avec eux des
livres et des ardoises (p.129) pour que cela soit plus sérieux. Si les
jeunes garçons sont avides de connaissances et veulent être
intellectuels comme Medza, les adolescents eux voudront tout simplement avoir
la chance qu'a le « gars de la vile », c'est-à-dire
Medza, qui fait un malheur sur les filles de Kala sans même le savoir.
Toutes les filles ou jeunes femmes du village sont folles de lui et toutes
veulent l'avoir à leurs cotés que ce soit pour une simple
aventure ou en vue d'un mariage car il est exceptionnel et très
différent des garçons du village qu'elles ont
fréquentés qui ne sont que des paysans comme elles- mêmes.
Aux yeux de tout Kala, il n'est pas issu de la classe paysanne et n'est pas
aussi considéré comme campagnard ; lui ne cultive pas la terre,
ne garde pas les bétails, n'est pas pauvre ... mais va à
l'école des Blancs pour devenir riche et puissant comme ces derniers.
Les amis de Medza l'envient à cause de cette chance qu'il a sur les
filles, que ce soit Yohannès le Palmipède, Petrus Fils-de-Dieu,
Abraham le Désossé ou tout simplement son célèbre
cousin Zambo qui lui déclare : « [...] tu
en as une chance toi : je voudrais être à ta
place. », et, « Ce qu'elle doit en pincer pour toi !
[...]. Aions donc, tu le sais bien, que tu plais à toutes les toutes
femmes. Pourquoi feindre de l'ignorer ? Tu devrais en être heureux.
» (pp.80-
82). Etant ignoré ou négligé
périodiquement par le sexe féminin, la seule solution pour eux
d'avoir une chance de se faire à nouveau des petites copines face
à cet adversaire de taille est d'essayer de côtoyer le plus que
possible le héros. Fréquenter Medza est une
nécessité pour pouvoir attirer l'attention des filles et pour se
faire remarquer, mais c'est aussi un honneur et un atout d'être ses amis
car il est toujours à leur disposition pour discuter et se
défouler à tout moment . Un grand avantage que les autres
adolescents qui veulent l'inviter afin de lier amitié avec lui n'ont pas
puisque dans la société traditionnelle, « il
était essentiel d'être marié pour
avoir droit aux honneurs et à la considération »
(p.141) or eux ne le sont guère. Donc normalement, ils
n'ont pas droit comme les autres adolescents d'avoir le privilège
d'inviter Medza qui est un signe d'honneur et que seuls les grands devraient
avoir droit avant eux.
Si les adolescents se préoccupent surtout de leur
conquête des filles et de leur amitié pour Medza, les adultes eux
voient en notre héros une ressource inépuisable de connaissances
modernes qu'ils veulent connaître. Avides de nouveauté comme tous,
les vieux eux, plus précisément les pères de famille, ne
sont pas indifférents à l'arrivée de Medza à Kala ;
tous veulent tour à tour inviter notre héros dans leur foyer
respectif que dès son quatrième jour passé à Kala,
il reçut déjà sa première invitation de
dîner- conférence dans une famille. Cela consistait à
manger et à répondre aux questions posées par
l'assistance. Pendant toutes ces veillées, les questions tournaient
toujours autour des nouvelles technologies, le rapport entre les Blancs et les
Noirs, mais surtout sur l'école. Toutes les habitudes à Kala ont
vu une transformation depuis l'arrivée de Medza car il est de coutume
maintenant d'inviter Medza chez soi pour soutirer des renseignements et
s'informer. Il est devenu tellement admiré que maintenant on ne jure
plus que par son nom (p.74).
Si l'arrivée de Medza à Kala a apporté
des transformations au niveau des individus et du groupe même, dans son
village natal on assiste aussi à une acculturation du groupe due
à son influence que l'on constate à travers et à partir du
discours de Bikokolo, le patriarche du village. Si au début,
l'idée du patriarche Bikokolo pour convaincre Medza d'aller à
Kala était tout simplement
«d'aller se montrer là-bas, d'aller faire peur
à ces péquenots [...] » (p.28) , et
quand le héros répliqua à son tour et ne
comprit pas pourquoi on l'avait choisi pour une telle mission qu'il croit ne
pas pouvoir mener à bout car il n'a pas les critères requis et
juge que c'est un problème qu'entre les vieux, non pas les
jeunes,15le discours de Bikokolo se précisait, se
détaillait de plus en plus et à la fin, pour ne plus mettre Medza
dans l'embarras et afin qu'il accepte, le patriarche décide de tout lui
expliquer :
« Fils, termina le patriarche, cette
histoire-là, lorsqu'on la contera plus tard, après ma mort, c'est
toi qui en seras le héros. Mais tu es un homme terrible ! Et tu parles
toi aussi avec la voix du tonnerre. Et tu ne soupçonnes même pas
ta puissance ! Ta voix du tonnerre, sais-tu ce que c'est ? Tes diplômes,
ton instruction, ta
15 « pourquoi moi [...] Quel pouvoir ai-je, moi ?... »
p.29, Mission Terminée
connaissance des choses des Blancs. Sais-tu ce que
s'imaginent sérieusement ces bushmen de l'arrière-pays ? Qu'il te
suffirait d'adresser une lettre écrite en français, de parler en
français au chef de la subdivision la plus proche, pour faire mettre en
prison qui tu voudrais ou pour lui faire obtenir n'importe quelle faveur ...
Voilà ce que s'imaginent ces péquenots chez lesquels nous
t'envoyons... » (p.31).
A travers ces paroles, nous voyons déjà
l'importance, l'intérêt que suscite un individu ayant suivi
l'éducation à l'européenne non seulement aux yeux du
patriarche, mais aussi de toute la communauté Noire. Ici l'être
hybride, c'est-àdire Medza, est devenu comme une arme de persuasion
très efficace et qui devrait faire terreur à Kala. Tellement
l'école et ses éléments comme l'être hybride avec
ses diplômes et ses nouvelles connaissances, représentent des
traits valeureux qu'ils sont devenus une nouvelle force de manipulation, aussi
bien chez les Blancs que chez les Noirs. Ces éléments permettent
en effet d'imposer et de s'imposer partout sans l'intervention directe des
Blancs, et peuvent, sans aucune aide extérieure, vaincre et convaincre
une tribu toute entière et faire modifier les règles
traditionnelles instaurées depuis toujours qui assurent l'ordre dans la
communauté comme la hiérarchie (le fait d'envoyer Medza, un
enfant, à la place d'un adulte pour une mission inadéquate), la
philosophie16 (le fait de mêler le modernisme du traditionnel
dans le discours de Bikokolo). Face à n'importe quelle forme de
modernité, le traditionnel ne peut faire que de se transformer à
son tour. Et en parlant de modernité, la dernière cause de
l'acculturation que nous allons traiter est l'attrait de la ville qui est
à la fois signe de modernisme et cause d'acculturation.
3- L'attrait de la ville
La présence de la ville est l'une des causes de
l'acculturation. L'exode rural, c'est-à-dire la migration
définitive des habitants des campagnes vers les villes accentue
rapidement le phénomène d'acculturation car qui dit ville suppose
modernité et nouveauté, donc s'oppose totalement à
tradition et
16 « il mêlait d'une façon très curieuse
les notations réalistes à la légende, (...) »
Mission Terminée, p.30
campagne ou « arrière-pays » comme Kala
; or de plus en plus de personnes sont attirées par la ville pour
plusieurs causes.
Dans le roman, l'une des principales causes qui oblige les
paysans à se déplacer vers la ville est l'insuffisance, voire
l'absence d'une infrastructure comme l'école européenne. Ceux qui
veulent suivre des enseignements à l'européenne seront
obligés de quitter la campagne et devront s'installer en ville car dans
la majeure partie des cas, les villages sont éloignés de
plusieurs kilomètres de la ville où pourrait se trouver une
école. Toutefois, cette longue distance à parcourir ne
découragea point les Noirs car
« Des villages de brousse, éloignés de
plus de cinquante
kiomètres, arrivaient de tout jeunes enfants,
conduits par leurs
parents, pour s'inscrire à une école, n'importe
laquelle.» (p.23 1).
Ce voyage de l'individu Noir de la brousse vers la ville
signifie tout simplement le passage du traditionnel vers la modernité,
mais aussi et surtout de la culture originelle vers une
déculturation17 même si son objectif est autre que
d'étudier dans une école. Ce qui est sûr c'est que la vie
dans cette nouvelle société moderne l'oblige à suivre
certaines règles et conventions qu lui permettront de s'adapter dans ce
« monde qui ne lui appartient pas, un monde qu'il n'a pas fait, un
monde où il ne comprend rien. »(pp.250-251). Plus l'individu a
été introduit très tôt dans ce nouvel univers comme
le cas des enfants livrés à l'école dès leur plus
jeune âge, et y restera longtemps, plus il s'habituera à cette
nouvelle vie et l'adoptera pour ne plus rien retenir et/ou se souvenir de sa
vie antérieure à la fin ; nous assistons alors à un cas
d'assimilation18 que l'on peut retrouver dans les comportements de
Medza qui diffèrent beaucoup de ceux qui n'ont pas été en
contact avec la ville, ici Ongola, et qui sont restés dans les villages
lointains comme Kala. Toutefois, nous ne pouvons pas dire que le village natal
de Medza est aussi un village identique à Kala qui suit encore les
traditions sans trop de déformations car ce n'est plus un village
isolé mais un village rural que l'on appelle milieu
détribalisé c'est-à-dire un village qui ne suit plus les
règles des tribus, donc plus avancé que Kala.
17 Dégradation culturelle sous l'influence d'une culture
dominante
18 Abandon de son identité culturelle pour adopter la
culture dominante
Si la recherche d'une école est l'une des raisons qui
attire les paysans vers la ville, la ville est aussi le dernier lieu de refuge
pour fuir les durs travaux des champs à très faible rendement et
les mauvaises conditions de vie. Tous veulent quitter la campagne pour avoir
une vie meilleure en ville car cet endroit est pour eux signe de richesse et de
réussite, et ils croient surtout que la ville va leur procurer
facilement leurs bonheurs ; or ce n'est pas le cas parce que tous paysans
n'ayant pas étudié à l'école européenne
ignoreront des règles à suivre dans cette nouvelle culture
moderne pour avoir un peu de respect envers les autres et afin de vivre sans
trop de difficulté. Par conséquent, ils seront voués
à un échec et n'auront aucune chance de survivre. Ils seront
écrasés car ils sont tout simplement des ignorants aux yeux des
Blancs qui détiennent le pouvoir, mais aussi des Noirs
éduqués à l'européenne qui veulent aussi avoir une
bonne place dans la société. A leur arrivée en ville
alors, ils seront tout simplement rejetés, ignorés et mis
à l'écart par ce nouveau monde civilisé. Devenu
individualistes par la vie en ville, plus aucun lien que ce soit familial ou
fraternel ne pourra réunir les Noirs entre eux en ville ; « la
communauté du sang » qui depuis toujours liait en bloc tous
les Noirs dans une grande et même famille n'existe plus. Tout de
même, certains, comme les amis de Medza doutent déjà ce qui
pourra leur arriver quand un jour, à l'improviste, ils le rendront
visite en vi l le.
Dans le roman, si seul le personnage principal, Medza, est
attiré par le charme de la campagne qui est encore pure, intacte, calme,
..., tous les autres que ce soit les grandes personnes ou les jeunes, les
hommes ou les femmes sont fascinés par la ville et veulent fuir la
campagne. Pour les femmes, cette envie de découvrir la ville est
seulement annoncée par la petite amie de Medza, Edima, qui le questionne
sur son départ, pour en arriver au but : la ville (p.150). Si cette
envie des femmes d'aller en ville s'exprimait par la parole et se faisait
indirectement, dans une stricte intimité, chez les hommes, ce
désir se manifestait surtout par les multiples invitations et
fêtes organisées par les chefs de famille, et aussi par les amis
de Medza (le Palmipède, le Désossé, Fils-deDieu et
Endongolo) afin de créer ou renforcer les liens qui les unit avec Medza
pour qu'ils ne soient pas oubliés par ce dernier. Il y a aussi le cousin
Zambo,
qui pour manifester son désir de voir la ville, rendait
service à Medza tout au long de son séjour à Kala. Et
toujours dans le but de lui rendre service, il décida, sans attendre
l'approbation de Medza, de le suivre à Ongola en disant
simplement : « Je viens avec toi, petit cousin ? Je
ne peux pas rester seul avec
les vieux. » (p.249) juste après la
brouille entre Medza et son père.
La ville attire donc tout le monde, tous sont sûr que
là-bas ils vont gagner leur vie. L'arrivée de Medza à Kala
est comme qui dirait une sorte de preuve de réussite pour les
villageois. Pour devenir comme lui alors, il était impératif de
quitter la campagne pour la ville. Tous sont alors
désintéressés par la campagne et interrogent Medza sur les
boulots que l'on peut faire en ville et s'ils pourraient rapporter beaucoup
d'argents (pp.117-118). A partir du moment donc que quelqu'un
s'intéresse à la ville, automatiquement il ne pensera plus
qu'à gagner de l'argent. Or l'argent est l'une des choses qui
détruit l'unité des Noirs puisque même la «
communauté du sang » (p.125) n'existera plus car ce sera
chacun pour soi. Même en revenant de la ville, la personne ne sera plus
la même puisqu'elle a perdu toutes les sagesses ancestrales à
cause de toutes les vicissitudes de la vie moderne menée en ville ;
cette vie qui transforme quiconque ose s'en aventurer ne serais-ce que pour une
simple visite car il suffit juste de voir le contraste entre la ville et la
campagne pour être transformé une bonne fois pour toute. Et
lorsqu'on a pris goût, il est très difficile, voire impossible de
rebrousser chemin car on voit en la ville l'idéal.
II- Les conséquences de l'acculturation
A partir des causes que nous avons évoquées,
nous pouvons en déduire que l'acculturation est un mal pour l'Afrique et
qui prolifère sans bruit Nous allons voir les changements
engendrés par l'acculturation qui touchent non seulement l'individu mais
aussi l'environnement social et surtout la culture.
1- La perte de l'identité
La conséquence de l'acculturation sur l'individu est
phénoménale car elle attaque directement la psychologie de la
personne et on assiste soit à une perte partielle de son
identité, soit à une perte totale. Mais dans tous les cas, la
victime est toujours entre deux cultures différentes,
africaine et européenne, et soit il se balance entre la culture des
colonisateurs et sa propre culture, soit il est complètement
désorienté et étranger aux deux cultures qu'il ne saura
plus vraiment où est sa vraie place dans la société
traditionnelle ou moderne. Qu'ils soient grands ou petits, hommes ou femmes,
tous ont tendances à changer de mode de vie, et dans ce roman de Mongo
Béti, on assiste à une déculturation19, mais
aussi à une reculturation qui est le retour vers une culture
originelle.
Parmi tous les personnages du roman, Medza est le plus
touché par cette perte de l'identité puisqu'il est allé en
ville et cela depuis son plus jeune âge pour étudier dans les
écoles coloniales. Par rapport aux jeunes de même âge que
lui mais qui sont restés dans la brousse, il est bel et bien très
avancé intellectuellement car il a passé toute son enfance et
toute son adolescence à étudier. Du coup, il n'a plus eu le temps
de savourer sa jeunesse parce que l'école l'avait tout pris. Il
n'était donc en contact avec la vie traditionnelle que rarement, plus
précisément pendant les vacances où il rentrait chez lui,
d'où le fait qu'il ne comprenait que peu de chose de cette vie. Medza
n'a plus rien à voir avec un africain, sauf sa couleur, et se comportait
exactement comme un Blanc. Si un africain se réservait en signe de
respect face à un aîné qu'il soit Blanc ou Noir, Medza lui
n'a aucun complexe devant les autres et ose les tenir tête jusqu'au bout.
C'est ce qui s'est passé entre lui et Kritikos le grec qui tout le long
du trajet vont discuter, ce qui est chose inimaginable puisque ce n'est pas
tous les jours que l'on puisse voir un petit Noir s'engager dans un
débat avec un Blanc (p.16). Son geste est même poussé
jusqu'à l'arrogance puisqu'il se croit tout permis avec ses
connaissances et prend la parole au village pour défendre sa cause. Dans
le roman, c'est lui le seul jeune ayant osé faire cet acte, et le plus
étonnant c'est la réaction des grandes personnes, plus exactement
des hommes, face à ce qu'il avait fait. Comme nous le savons, les femmes
et les enfants n'ont pas droit à la parole dans cette
société, et toute personne transgressant cette règle sera
sévèrement punie ; or ils se sont laissés faire sans
aucune réaction violente de leur part. On assiste donc ici à un
commencement du non respect de la tradition dans les deux camps,
c'est-à-
19 Dégradation culturelle sous l'influence d'une culture
dominante
dire chez les jeunes et chez les adultes. Si Medza ne suit
plus les règles, les grandes personnes eux déforment cette
sagesse traditionnelle afin de tirer des profits personnels. L'amitié,
la fraternité sont devenues par exemple des moyens pour faire d'une
personne ce que l'on veut, autrement dit comme un chantage. C'est ce que le
chef de village de Kala fait lorsqu'il a besoin de quelque chose auprès
des autres (p.178). Le père de Medza lui joue sur la
générosité pour avoir des bénéfices en
prêtant son argent à ceux qui en ont besoin mais qui n'en ont pas.
Ne pouvant pas rembourser, l'équivalent de la somme est rendu soit sous
forme de grand service à longue durée indéterminée
en travaillant au champ de cacao, soit le père de Medza usait du troque
en prenant les bétails à prix cassé (solde) en
échange de la somme due pour être revendus au prix
élevé en ville (pp.233-234). Toute la mentalité des Noirs
est alors en train de se transformer à cause de leur ambition
démesurée. La fierté n'est plus alors d'être un
simple Noir, mais être un Noir vivant et ressemblant aux Blancs que ce
soit au niveau professionnel ou intellectuel car être comme un Blanc
c'est l'idéal, c'est automatiquement avoir réussi sa vie, tandis
que rester en tant que Noir conservateur sous-entend tout le contraire. Il est
donc impératif de changer de mode vie si l'on veut réussir dans
la vie et devenir riche. C'est la raison pour laquelle les parents poussent
leurs enfants « comme on pousse des troupeaux vers un abattoir
» (p.23 1) vers les établissements coloniaux afin qu'ils
puissent bénéf icier de tous les atouts pour réussir leur
vie. Dès qu'ils optent pour ce chemin, une partie de leur
identité s'effaceront pour faire place à une nouvelle qui est
l'opposée de l'autre. Tel est le prix à payer pour vouloir
réussir sur ce chemin et par conséquent, chacun agira selon
l'enseignement qu'il a reçu. Ceux qui choisiront l'école comme
Medza seront amenés à obéir et agir selon les disciplines
de l'enseignement en appliquant non plus la pensée et la logique
africaine mais uniquement la logique cartésienne. Les autres qui n'ont
pas choisi la voie de l'école iront vers l'armée où ils se
soumettront à tous les ordres qu'on leurs donneront. Dans cette
institution, on obéi sans penser ni discuter ; la seule chose à
faire c'est exécuter les ordres de son supérieur sans se poser de
questions. La raison n'a
pas sa place dans l'armée surtout pour les simples
soldats non gradé qui sont en majorité des Noirs car leur
situation ne le permet pas.
Si le Noir n'est pas rentré ni à l'école
ni à l'armée, il lui reste encore la voie du Seigneur,
c'est-à-dire la religion chrétienne. Ici aussi il n'est pas
question de discuter puisqu'il n'y a rien à discuter concernant Dieu. Le
Noir est conduit à aller vers le bon et le droit chemin en adoptant la
religion chrétienne qui est monothéiste et en laissant
complètement tomber leur religion traditionnelle qui est
polythéiste. La religion importée apparaît comme un moyen
de persuader les populations d'accepter le nouvel ordre que le colonisateur
leur impose par l'intermédiaire de Dieu. La personne est donc
transformée par la foi, et là encore il ne sera plus comme les
autres puisqu'il va aller à l'église et sera qualifié de
chrétien croyant et/ou religieux.
Toutefois, si on avait développé que
l'acculturation provoque la perte de l'identité par l'influence d'une
autre culture, définit par déculturation, elle peut aussi
entraîner la reculturation mais cela par la volonté de
l'individu.
Comme on avait mentionné auparavant, Medza est le
personnage le plus acculturé dans le roman puisque lui avait
habité en ville et a fréquenté l'éducation
européenne. Mais lorsqu'on analyse le parcours du héros, on
constate que son voyage à Kala pour retrouver et ramener l'épouse
Niam n'est qu'un prétexte ; sa vraie mission est en fait de rechercher
et de retrouver sa vraie identité qu'il avait perdue à cause de
l'école. Grâce à son voyage à Kala, il a pu, par
exemple, pour la première fois fréquenter des adolescents de
même âge que lui tout en découvrant la joie de vivre dans la
jeunesse, c'est-à-dire goûter (pour la première fois)
à tout comme le sexe, l'alcool et les fêtes entre jeunes.
Même sous la forme de débauche, Medza a pu savoir ce que c'est la
solidarité entre ami ; mais cette solidarité est poussée
encore plus loin avec ses entretiens avec l'oncle Mama (pp.124-1 26) car il y a
encore ce qu'on appelle la « communauté du sang » qui
lie involontairement tout le monde par le sang même sans avoir un seul
lien de parenté. A part la solidarité, à Kala, Medza a
vraiment su ce qu'est l'hospitalité des gens de l'arrière pays,
surtout celle de l'oncle Mama qui d'après Bikokolo « [...] ne
se compare à aucune autre ; [...] » (p.31). Effectivement,
Medza ne manqua de rien, surtout au niveau de
l'alimentation, pendant son hébergement chez l'oncle
Mama. Cette hospitalité envers Medza est aussi perçue chez les
autres familles bien qu'elle se présente sous la forme d'invitation dans
le but de se faire considérer par les autres puisque inviter Medza chez
soi, avoir un hôte intellectuel est devenu un grand honneur (p.122) car
il est très estimé et est considéré comme un dieu
favorable, que l'on ne jure plus que par son nom dans chaque foyer (p.74).
C'est aussi à Kala que Medza a pu découvrir ce
qu'est vraiment la vie à la traditionnelle, différente de ce
qu'il a vécue en ville. Pendant tout son séjour, il a pu observer
la vie quotidienne et monotone des villageois qui se résumait à
travailler les champs à la machette du matin jusqu'au soir pour vivre.
Toutefois même si c'est une dure vie, Medza en est fasciné car
comparé à ce qu'il a enduré en ville, la vie à la
campagne n'est rien ; pour lui, elle est le symbole de la pureté, le
dernier paradis sur Terre car elle est encore éloignée de la
modernité et de ses problèmes. Mais Kala ne va pas
échapper à cette modernisation ; un commencement de
déformation de la culture originelle est déjà
aperçu.
2- Déracinement culturel
La venue de la culture européenne dans la vie des
africains a transformé beaucoup de choses. Dans le roman, deux domaines
bien distincts sont touchés par cette transformation dont
l'éducation et le mariage.
Depuis l'introduction de la culture européenne en
Afrique, l'éducation n'est plus la même car elle subit aussi la
pression venant de la culture dominante. Comme nous l'avons mentionné
auparavant, les parents sont de plus en plus intéressés par
l'éducation européenne et ont tendance à délaisser
l'éducation traditionnelle. Les parents se tuent à tout faire
pour pouvoir envoyer leurs enfants dans une école coloniale. Par
conséquent, dans les brousses, les vieux ne trouvent plus d'enfant
à qui transmettre leurs précieux savoirs qui se transmettaient
depuis toujours de bouche à oreille. Or les connaissances acquises
venant de l'école coloniale n'ont rien à voir avec celles
délivrées des vieux du village et ne sont d'aucune utilité
à la réalité de l'Afrique sauf si, plus tard, le jeune est
admis dans une institution.
Si auparavant donc les enfants se cultivaient à partir
des conseils des vieux, dans le roman, il n'en est plus de même car
l'arrivée de Medza à Kala va changer le cours de l'histoire.
Complètement désintéressé des vieux, les enfants se
ruent vers Medza pour apprendre à lire, à écrire et
à faire les quatre opérations. Tellement ils ont soif de
nouvelles connaissances qu'ils se sont amenés avec les matériels
nécessaires comme des livres et des ardoises, et ne laissant aucun
répit à Medza car dès la matinée il étais
pris d'assaut (p.129). L'élève qui a échoué
à son examen de baccalauréat est donc devenu un enseignant
arrivée à Kala, et est toujours considéré comme le
grand intellectuel du village. A partir de ce fait, c'est-à-dire
enseigner les enfants, nous pouvons dire que Medza a pris la place des vieux en
leur prenant le rôle qu'il leur été attribué depuis
toujours face aux enfants. Les vieux sont donc temporairement remplacés
par Medza dans le domaine de l'enseignement et ils se laissent faire. Si les
enfants veulent s'instruire, les grandes personnes eux sont aussi comme eux
parce que malgré leur âge, ils sont toujours avides de
connaissances et sont surtout curieux de savoir ce qui se passe en dehors de
Kala ; C'est la raison pour laquelle Medza se fait toujours inviter par les
pères de famille de Kala. Tous les jours, les conférences de
Medza s'ensuivent chez différentes familles, et à chaque fois il
y a toujours plein de monde, l'auditoire gagne en nombre et en
variété puisque tout le village est mobilisé par la
situation ; on voit de plus en plus des jeunes gens, des enfants et même
des femmes. Tout cela pour dire que tous, sans exception, sont
intéressés par les informations (nouvelles pour eux)
apportées et développées par Medza. Nous pouvons justifier
cela quand Medza était en train d'exposer à l'auditoire la
Russie. Tous étaient intéressés sur le sujet que tout le
monde enviait le mode de vie des russes, chacun donnait leur point de vue sur
le sujet et rêvait d'avoir la même vie qu'eux (pp.98-100). Si face
aux enfants Medza est devenu le maître, face aux grandes personnes, il
est devenu en quelque sorte le patriarche, le chef de village puisqu'il est
écouté de tous. Medza occupe donc une place spéciale dans
la hiérarchie traditionnelle à Kala puisqu'il est placé
audessus de tous alors que sa situation matrimoniale ne devrait pas le
permettre d'avoir ce privilège. Medza était donc comme le
patriarche aux yeux des
villageois, et le plus impressionnant c'est que même le
chef de village éprouve un grand respect envers lui et le
considère comme son supérieur. Lors de la cérémonie
de mariage du chef par exemple, le chef s'est donné la peine de recevoir
en personne l'oncle Mama, Zambo, mais surtout Medza, qui sont
considérés comme d'importants invités d'honneur. Comme dit
le texte sur ce sujet :
« A notre entrée, le chef se leva avec
empressement et vint à notre rencontre, comme si nous avions
représenté auprès de sa majesté une grande
puissance digne de toutes les préséances. [...] les gens
s'étaient tus en nous voyant arriver. Le chef me promena à
travers la salle et me fit toucher la main de tous les assistants [...]
»
(p.183).
Et pour montrer qu'il a affaire à d'importants
personnages, le chef est même allé jusqu'à donner les
meilleures places à ses invités de marque, et veilla à ce
qu'ils ne manquent de rien. Et en parlant de mariage, on constate aussi qu'il
n'est plus le même depuis l'arrivée de la culture occidentale en
Afrique.
En Afrique, la polygamie est de tradition. C'est pourquoi,
dans le roman on retrouve des hommes qui ont en leur possession plusieurs
femmes comme le
cas du chef de canton qui « possédait les six
plus belles femmes de la région et s'apprêtait à en
acquérir d'autres » (p.34), et le chef de village de Kala
« qui venait d'épouser une femme - sa septième
[...] » (p.177). Et entre ces femmes
qui ne se partagent qu'un seul homme, tout va pour le mieux,
elles vivent en parfaite harmonie et aucune ne s'en plaint de sa situation,
aucune ne songe au divorce, du moins avant l'arrivée des Blancs. C'est
donc à partir de la venue des Blancs que tout a changé car si
auparavant aucune femme ne quittait son mari, dorénavant on voit des cas
de divorce. D'après le roman, les Blancs ont
décrété, en imposant leur loi tout en intégrant
avec, une partie de la tradition africaine que, désormais « [...]
une épouse pouvait quitter son mari - à la condition
toutefois de lui rembourser sa dot. » (p.208). C'est ce qui
s'était passé pour l'épouse Niam qui avait quitté
son mari pour un autre. Et pour être en règle envers la loi et
surtout aux yeux des villageois, l'amant doit payer la dot qui
s'élève selon la loi à deux mille francs
pour avoir pris la femme de Niam ; c'est donc là la partie
imposée par la loi coloniale, mais elle peut changer car si l'amant n'a
pas les moyens de payer en espèce, la somme sera remplacée par
quatre gros béliers ou deux jeunes brebis : c'est le règlement
traditionnel qui est mis en vigueur ici. Avec tout ce qui a été
évoqué donc, on peut dire que le mariage, voire les femmes ne
sont plus les mêmes, car l'arrivée de cette loi, d'après le
chef, « rend les femmes désobéissantes, mauvaises
épouses » (p.208) car plus rien ne les retiennent et elles
peuvent quitter leur mari à tout moment. Le mariage s'est donc
modernisé avec la venue de cette loi ; mais ce qui n'est pas
évoqué dans le roman alors que le cas existe bel et bien dans la
réalité c'est que lors du mariage, le maire demande aux
époux quelle option ils choisissent « Polygamie ou Monogamie
». L'option choisie est alors inscrite sur l'acte de mariage. Si le couple
choisi la monogamie, l'homme n'a plus le droit d'avoir une autre femme, tandis
que si le choix est la polygamie, il a le droit d'épouser d'autres
femmes. Et puisque tout se tend à se modifier et à se moderniser,
l'environnement est aussi en train de changer de forme.
3- Changement morphologique des milieux
L'acculturation ne touche non seulement l'individu et les
pratiques mais est aussi présent dans l'environnement. Dans le roman, on
retrouve trois sortes d'environnement qui sont les milieux avancés,
représenté par Ongola, puis les milieux ruraux symbolisés
par Vimili et le village natal de Medza, et enfin les campagnes, vues à
travers Kala.
Au fur et à mesure que la modernité avance, il y
a toujours des changements qui s'opèrent un peut partout. Ainsi on
constate de grandes différences entre ces trois lieux cités tout
à l'heure. Plus l'endroit est avancé et modernisé, plus il
n'a plus rien à voir avec les milieux typiquement africains ; plus il
est éloigné de la modernité plus il est intact. Les
milieux ruraux comme Vimili et le village natal de Medza sont des endroits
intermédiaires, c'est-à-dire en voie de développement,
où petit à petit tout va se modifier comme les pistes qui
deviendront des routes goudronnées (p.18) ou les cases qui se
transformeront en villa (p.34).
Si l'on procède par gradation, Kala est l'endroit le
moins acculturé des trois puisqu'il est le plus reculé des trois.
Le village le plus proche de Kala est à trente cinq kilomètres ;
c'est celui de Medza. D'après le roman, du village natal de Medza
à Kala, il fallait faire « vingt kiomètres sur la route
et une quinzaine sur une piste dans la forêt » (p.33). Nous
pouvons donc déduire à partir de cette information que Kala est
difficile d'accès vu l'état des routes (pp.14-17), et bien loin
puisqu'il fallait encore quitter cette route et emprunter une piste, plus
précisément un sentier, qui n'était pas aussi mauvais mais
qui s'enfonçait dans la forêt quand même(p.36). On sent
alors un changement de décor qui se résume par le fait de quitter
le monde civilisé pour aller vers le monde sauvage. Et pour appuyer
l'idée que Kala est encore presque intact, la description du village
à la page 50 du roman nous renseigne de son état
général car elle contient des éléments de
justification comme le fait que Kala est fait de cases mais non pas de villa,
l'absence totale de route, et surtout la présence de forêt immense
qui entoure le village tout entier qui donne une sensation d'isolement totale
du lieu. Le seul détail qui vient troubler ce milieu et qui est la
marque de l'acculturation c'est la présence de champs de cacaoyer dans
le décor. La majorité des paysans de Kala ont cessé de
cultiver les cultures vivrières pour planter du cacao à cause de
l'économie due au pouvoir colonial.
Si le cacao est donc le signe d'acculturation à Kala,
il en est de même pour le village de Medza car n'oublions pas que c'est
même son père qui possède la plus belle et le plus grande
cacaoyère du pays (p.232). Les cases sont aussi de moins en moins
nombreux et sont remplacées par des maisons plus modestes comme celle du
chef de canton (p.34). La présence de route, bien qu'elle soit en
mauvais état, est un indicateur de changement, de modernisation et
d'acculturation puisque sur et certain qu'auparavant, à la place de
cette route c'était une piste, identique à celle qui mène
à Kala. Le chef de canton et Medza sont aussi des signes de changement
morphologique du village parce que tous les deux ne peuvent pas se fondre dans
le décor (traditionnel) car ils sont les personnages les plus
modernisés par les colons. C'est le seul village dans le roman qui est
dirigé par deux personnes dont le patriarche et le chef de canton ; il a
aussi le privilège d'avoir un jeune ayant
étudié à l'école des Blancs.
Toutefois, éloigné seulement de dix kilomètres de Vimili
(p.18), ce village n'est pas encore plus avancé que ce dernier car
Vimili possède plus de choses que la route dans son environnement.
Concernant Vimili donc, elle est la plus proche de la grande
ville d'Ongola par rapport au village natal de Medza et à Kala ; Vimili
est à cinquante kilomètres d'Ongola (p.14). Et comme dit Medza,
« c'est la ville de mon pays » (p.18). Pour qu'un lieu soit
donc qualifié de ville, il suffisait juste qu'il soit comme Vimili,
c'est-à-dire avoir « un marché, quelques boutiques
rudimentaires où les paysans des environs venaient s'approvisionner de
temps en temps. », et sans oublier « le bureau
administratif, le commissariat de police et la prison » (p.18).
Vimili est donc un lieu de rencontre et de passage obligatoire pour tout le
monde car la route principale passe par cette ville, et c'est le seul endroit
à la ronde où l'on peut s'approvisionner en nécessaires
puisqu'elle possède un marché et des boutiques. Ici donc, il
n'est plus question de forêt ni de camps de cacao, ni de cases en guise
de foyer car on a affaire à un endroit où se déroulent les
échanges commerciaux entre vendeurs et acheteurs.
Ongola est le plus moderne de tous. C'est la seule ville
où l'on peut trouver la chose la plus convoitée par les parents
pour ses enfants et qui n'existe ni à Vimili, ni à Kala, ni au
village natal de Medza : c'est l'école coloniale. C'est la ville que
l'auteur ne s'est pas du tout donné la peine de développer dans
le roman. A titre d'information sur le sujet, il n'a consacré qu'une
ligne dans la page 14 du roman pour la situer géographiquement par
rapport au village de Medza : « [...] la soixantaine de
kilomètres qui séparaient Ongola de mon village. ».
Tout de même, on peut estimer la valeur d'Ongola par rapport aux autres
villes grâce à la présence de l'école qui est une
institution très importante dans la société et que l'on ne
peut trouver que dans les grandes villes ou dans la capitale. Il est fort
possible donc qu'Ongola représente la capitale dans le roman car la
plupart des cas, on ne peut trouver que dans la capitale les
établissements à études secondaires comme les
lycées.
TROISIEME PARTIE
LA CREATION LITTERAIRE
Dans cette dernière partie de notre travail, nous
allons voir comment est traduite la réalité à travers les
mots employés par l'auteur, par conséquent, la linguistique sera
mise à contribution pour tester la validité de nos
hypothèses. Afin de bien partitionner les idées, nous allons
étudier dans le premier chapitre s'intitulant « l'oeuvre et
l'auteur » le style de l'auteur, et dans le second, s'intitulant «
l'oeuvre et la réalité » les rapports qui peuvent exister
entre ce qui se passe réellement et ce que l'auteur raconte dans son
livre.
I- L'oeuvre et l'auteur
Dans ce chapitre, nous allons décortiquer la
façon dont l'auteur utilise les mots et les figures de styles pour
donner vie à son oeuvre. Pour cela, nous allons étudier en
premier lieu « les procédés stylistiques » puis en
second lieu « la description » afin de connaître le
mécanisme de traduction de la réalité à partir des
mots.
1- Les procédés stylistiques
Dès le prologue, qui est un ensemble de
répliques (chaque élément du dialogue), plus exactement de
tirades (une réplique longue), le narrateur expose un point de vue
omniscient : il donne une connaissance totale non seulement des faits mais
aussi de ce que peuvent penser et ressentir les personnages.
Dans ce prologue se trace une gradation qui pousse le lecteur
à imaginer déjà un drame comme dans la page 9 qui dit :
« [...] tous mes souvenirs se
désagrègent, se liquéfient et
finalement s 'estompent au soleil [...] remplit les vide, m 'envahit, m
'imprègne. ».
Les comparaisons citées dans cette partie donne au
lecteur des images qu'il va voir à travers le récit. Le chapitre
premier, quant à lui, dès les premières pages montre la
richesse de l'oeuvre en comparaisons et en métaphores. A la
page 14 par exemple, « cette immense outre toujours
pleine : le ciel de chez nous » de même plus loin, à la
page 211 « [...] comme un animal élémentaire, comme une
fleur tropicale aux premier rayons du soleil. ». Souvent les
métaphores sont suivies d'une gradation ascendante
prouvant ainsi le point de
vue du narrateur : « une pluie drue, agressive,
furieuse, interminable [...] » qui abouti à un comique de
situation : « [...] une case, dirait-on, s'enfonce plus
profondément dans le sol. ", ou encore « notre
véhicule, longue case roulante, s'embourba aussi longtemps qu'il le put.
». A coté des métaphores et comparaisons, l'auteur
utilisera l'humour et l'hyperbole pour montrer le coté
polysémique de l'oeuvre. A la page 68 par exemple, l'hyperbole qui
amplifie les termes d'un énoncé afin de mettre en évidence
un objet ou même une idée, montrera un pénis qui pourrait
devenir « aussi longue qu'un serpent bananier et aussi volumineuse
qu'un python ! ». Cela traduit ce qui est humoristique dans l'image
que l'hyperbole nous renvoie : que les africains ont et aiment les gros
pénis, ce qui serait difficile pour un Blanc « [...] qu'il l'a
trop petite " parlant ainsi de Medza vu que ce dernier est
considéré comme quelqu'un qui ressemble à un Blanc.
Un autre procédé stylistique est mise en
évidence à la page 90 : « non, ils ne sont ni plus ni
moins intelligent, ils sont tout juste comme nous. ". La deuxième
partie de cette phrase prononcée par Medza essaye de dissimuler un
caractère déplaisant des enfants noirs. L'expression de
l'idée est comme atténuée : le procédé que
l'auteur utilise ne peut alors qu'être l'euphémisme.
Ces quelques exemples nous en permis de constater la richesse
de l'oeuvre en figure de rhétorique.
Deux phrases peuvent dire la même chose mais
n'appartiennent pas forcément pas au même registre de langue. En
effet, tous les utilisateurs d'une même langue ne communiquent pas de la
même façon. Ainsi tante Amou et la jeune soeur de Medza
s'expriment dans un registre familier quand elles étaient avec lui
(pp.19-20). Ceci s'explique par l'âge des deux interlocuteurs et les
liens qui les unissent : « je crois bien qu'il projette de te roser,
dit la frangine en riant. » (p.239). mais l'auteur utilisera d'autres
registres de langue selon le ton qu'il va donner à ses personnages. En
effet, le langage permet à lui seul de situer socialement le personnage
et même parfois de le caractériser psychologiquement. La page 111
nous donne un exemple de registre vulgaire : ils sont entre copains. L'oncle
Mama, suivant ses interlocuteurs, usera soit du registre courant : «
est-ce que tu te portes bien petit neveu ? " (p.63), soit du
registre soutenu : « nous nous rendrons donc tout
à l'heure chez le chef [...] écoute seulement pour t'instruire.
» (p.205). Le verbe se rendre est plus élégant
que le verbe aller, de même que s'instruire à la place
d'étudier. Une petite remarque s'impose ici : le registre soutenu
utilise très souvent le vous de politesse, or dans le roman, il semble
que l'auteur n'utilise pas ce pronom mais que le registre soutenu se sent
à travers les mots prononcés et surtout dépend de
l'interlocuteur. A la page 207 et 208, quand le chef prend la parole, on est
comme dans un tribunal, tellement les termes qu'il utilise sont presque
autoritaires bien qu'il n'utilise aucun vous de politesse. Ce mélange de
divers niveau de langue produit chez le lecteur un effet de surprise et
quelquefois de drôlerie « [...] j'en ai assez des vieilles
gonzesses. » (p.111). En résumé, l'utilisation de tel
ou tel registre de langue dépend de :
- du contexte socioculturel,
- de l'âge des interlocuteurs et des liens qu les
unissent,
- du but que l'on fixe à la communication.
Si tel est alors concernant les procédés
stylistiques utilisés par l'auteur, voyons à présent la
description.
2- La description
Une description est une représentation d'objets, de
lieux ou de personnages. Pour décrire ce dernier, on parle alors de
portrait. La description a deux fonctions : une fonction essentiellement
esthétique qui constitue une interruption ou un ornement plus ou moins
étendu du récit, une autre fonction symbolique : la description
d'un personnage agit comme un révélateur du personnage en
question, de ses actions, du milieu dans lequel il évolue. Lorsque la
description s'attache au même espace, au même objet ou au
même personnage, à deux instants différents, elle permet
d'en mesurer l'évolution.
Le car, moyen de locomotion commun, vieux, accepte tout :
voyageurs, bagages, état des routes. Il n'y a aucun confort pour les
voyageur : « [...] la banquette de bois », une vraie
patache, c'est-à-dire une voiture publique peu confortable.
Néanmoins ce véhicule inconfortable fait nourrir Kritikos et ses
deux employés Noirs. On peut se demander pourquoi il y a toujours cet
asservissement du Noir au Blanc. L'état des routes
laissent à désirer, et Kritikos vante les routes du Congo Belge :
« [...] il y a des routes et des vraies, avec du
goudron [...] tandis que les Français ici, ils n'ont
que ça, la grande gueule. »
(pp.15-16). Kritikos compare les colons Belges aux colons
Français qui semblent n'avoir rien fait pour améliorer
l'état des colonies, du moins les routes.
Concernant la description des personnages qui est le portrait,
voyons l'exemple de Niam : dans la force de l'âge, à peu
près trente cinq ans, se souciant très peu de sa femme, un
fainéant qui ne veut pas « prendre la houe et travailler »
(p.25), est quand même rendu cocu. Bien que crâneur (p.23),
rien ne va plus chez lui : « [...] depuis le départ de madame,
tout allait sens dessus dessous » (p.21). Orgueilleux
intéressé et rusé, Niam appela tout le monde à son
aide pour récupérer sa femme qu dit travailler pour lui.
Concernant par exemple Pétrus Fils-de-Dieu : il n'est
pas du tout du type Zambo qui est tout de muscle, comparé à un
baobab bien que rien d'un Adonis (p.41). Pétrus lui est traité de
gigolo qui couche avec toutes les femmes. Quant au moral, il est loin
d'être au zénith : « [...] une si mauvaise conduite
[...] » (p.55). L'adverbe si indique une grande quantité et
peut être remplacé par
tellement.
Les pages 58, 59 présente feu grand père commun.
Pour tracer son portrait, l'auteur utilise l'hyperbole afin de mettre en
évidence sa force : « [...]
c'était un homme terrible ! quand il tonnait, les
baobabs se fendaient en deux, de haut en bas, des incendies s'allumaient sur le
ciel que dévoraient d'immenses flammes de fin du monde, [...]
»
La description est aussi perçue dans d'autre domaines tel
les repas et la
façon de manger. « Ils mangeaient
énormément au petit déjeuner [...] ne prenaient que deux
repas dans la journée » (p.86). Sans retenue, sans finesse,
sans modération, presque goulûment, les paysans
mangent d'une manière grotesque ; vu aussi l'ampleur du travail qu'ils
doivent effectuer, ils mangent beaucoup mais doivent sauter un repas, celui de
midi : ils n'ont pas le temps de le préparer, le travail les accapare
toute la journée.
Les Noirs aimeraient bien passer ou même habiter dans
une maison de Blanc, ou d'un Noir ayant acquis le statut de Blancs comme Medza
mais ils ont
peur. Ils veulent avoir l'assurance qu'ils peuvent
pénétrer dans un tel lieu sans
être importunés : « [...] pourrons-nous
dans vos maisons comme nous entrons dans les maisons de nos enfants - librement
? » (p.118). Medza lui-même doute de la
véracité de la réponse qu'il a donnée : «
elle avait bien raison d'être sceptique. » (p.119).
Effectivement ; comment quelqu'un qui a un statut de Blanc pourrait-il se
mélanger, pourrait-il avoir des relations étroites de nouveau
avec les Noirs ?
II- L'oeuvre et la réalité
La réalité est toujours la première
source d'inspiration pour l'élaboration d'un roman. L'oeuvre et la
réalité sont deux choses inséparables car elles se
complètent. Dans cette partie du devoir, nous allons étudier la
traduction de la réalité dans le roman. Pour cela, nous allons
voir en premier « l'oeuvre et la réalité », puis en
second « l'oeuvre et l'auteur ».
1- L'oeuvre et la société
L'oeuvre est l'expression de la réalité. Bien
qu'elle ne reflète pas exactement cette réalité, on peut
tout de même, à partir des indices inclus dans le roman, retracer
la vérité. Comme nous le savons, l'oeuvre est tiré de la
réalité, et concernant cette traduction de la
réalité dans l'oeuvre, l'auteur n'a pas trop
déformé la réalité. En effet, si on compare tout ce
qui est dit dans le roman avec les données historiques du Cameroun, on
constate que la vérité est là mais seulement dit d'une
autre manière. Elle n'a pas subi de modification mais il y a aussi des
choses qui ont été mise sous silences, c'est-à-dire qui
n'a pas été mentionné dans le roman, comme la façon
dont on traitait les jeunes Noirs dans les écoles par exemple. Pour
pouvoir approfondir l'oeuvre alors, il faut mettre beaucoup d'importance sur
les mots clé car ils ont dans la majeure partie des cas des
significations qui n'ont pas été évoqué dans le
roman. Prenons par exemple le mauvais état des routes dans roman
(pp.14-1 7); il est bien vrai qu'au Cameroun les routes sont en piteux
état (34 300 km dont seulement 4288 km sont
goudronnés)20, mais le fait d'évoquer cela dans le
20 Statistique issue du CIA World Facts Report en 1999
roman a une autre signification. L'état des routes
n'est qu'un prétexte, mais le vrai but c'est de dire indirectement que
les colons français ne se sont pas donné la peine de construire
de bonnes routes comme au Congo Belge. A part les routes, la présence de
champs de cacao est aussi significative. Si on synthétise ce qui est dit
dans le roman sur ce sujet, c'est que la majorité des paysans cultivent
le cacao et que même les champs sont à perte de vue (comme ceux du
père de Medza). Ce qui n'est pas mentionné c'est que la culture
vivrière est devenue secondaire et marginale puisque tous les paysans se
sont tournés vers les cultures d'exportation (cacao et café),
imposées par les colons. La présence de personnages typiques
comme le chef de canton dans le roman est aussi symbolique. Si on se
réfère au roman sur ce sujet, il est dit que le chef de canton
est « adulé par l'administration coloniale qui l'avait
nommé, sûr de n'être jamais révoqué par cette
administration à laquelle il obéissait comme un robot
idéal, [...] » (p.34) ; mais ce qu'on ignore c'est que son
existence dans le village est purement politique. C'est un système
politique mise en place par les colons pour assurer une présence
permanente de leur autorité dans les régions enclavées. Et
concernant cette politique donnant tout droit à ces individus Noir
représentant de l'administration coloniale (le chef de canton et le chef
de village de Kala), un indice dans le roman évoque la fin des droits de
ces personnages; il s'agit de la Constitution d'octobre 1946. La seule chose
évoquée sur cette fameuse date est le rapport qu'il y a entre
cette Constitution et les guignols des colons. Or, cette Constitution d'octobre
1946 va encore plus loin et est parmi les évènements le plus
marquant de l'histoire de l'Afrique colonisée. Elle supprime le statut
de l'indigénat et le travail forcé, proclame
l'égalité des droits des citoyens « autochtones », mais
la tutelle de la métropole reste entière.
Si tel est l'oeuvre face à la société,
voyons à présent l'oeuvre et la vie de l'auteur.
2- L'oeuvre et la vie de l'auteur
Le roman est le reflet de la société, mais elle
peut aussi retracer la vie de l'auteur. Face aux nombreuses biographies de
Mongo Béti qu'on a consulté pour l'élaboration du
mémoire, nous avons remarqué qu'aucunes d'elles ne parlaient de
l'enfance et de l'adolescence de l'auteur. Toutes ne faisaient qu'un
aperçu bref de sa vie, et ne détaillaient pas les informations.
Chacune évoque la date et le lieu de naissance de l'auteur, et tout de
suite après elle nous renvoie directement au moment de son entrée
au lycée. Nous constatons donc qu'il y a une grande lacune dans ces
biographies car toute une partie de la vie de Mongo Béti est
ignorée du public puisqu'elle n'est mentionnée nulle part. Par
ailleurs, la lecture de Mission Terminée nous a
révélé l'histoire, l'incroyable aventure du héros
pendant sa jeunesse ; un héros qui est avant tout un jeune camerounais,
d'origine bantou, mais surtout de sexe masculin. D'ici, on peut
déjà faire un rapprochement entre l'auteur et le héros car
Medza, comme Mongo Béti est de la tribu pahouin que l'on appelle
actuellement Béti, identique au pseudonyme de l'auteur.
Dans les biographies sur Mongo Béti, comme nous l'avons
dit, il manquait l'enfance et l'adolescence, or dans le roman, nous avons un
récit qui parle de la jeunesse du héros du livre. C'est de cette
constatation qu'est survenue l'hypothèse que la partie manquante des
biographies pourrait bien être l'histoire racontée dans le roman,
d'autant plus que certains éléments du roman ressemblent
vaguement à ce qui sont dit dans les biographies. A partir de ces
ressemblances, nous allons vérifier notre hypothèse en fusionnant
les deux parties, c'est-à-dire celle du roman et celle des biographies,
tout en essayant de trouver des liens logiques, et afin de savoir si
derrière Medza se cache Mongo Béti.
D'après les biographies, Mongo Béti est
né le 30 juin 1932 à Akometam, un petit village situé
à 10 km de Mbalmayo, lui-même distant de 45 km de Yaoundé
la capitale du Cameroun. Comparé à ce qui est dit dans le roman,
le village natal de Medza est à 10km de Vimili (p.18) qui est
lui-même se situant à 50 km d'Ongola (p.14). La ressemblance est
frappante que l'on peut supposer
que dans le roman, Ongola représente Yaoundé la
capitale du Cameroun, tandis que Vimili, Mbalmayo, et enfin le village natal de
Medza (qui n'oublions pas n'a pas de nom) Akometam, lieu de naissance de
l'auteur. Si on pousse un peu plus loin notre analyse, on constatera toujours
des ressemblances, telles que : d'après les biographies, Après
ses études primaires à l'école missionnaire de Mbalmayo
(peut-être Vimili), Mongo Béti entra en 1945 au lycée
Leclerc à Yaoundé pour poursuivre ses études secondaires.
Medza lui aussi a quitté son village natal pour aller faire ses
études secondaires à Ongola, et l'on peut même supposer que
Medza avait fait ses études primaires à Vimili étant
donné que Vimili est « la ville de mon pays »
possédant « un marché et quelques boutiques [...]
le bureau administratif, le commissariat de police et la prison »
(p.18) ; et pourquoi pas donc aussi une école primaire, d'autant
plus il est dit après que « [...] tous les privilèges
qui suffisent [...] » or la présence d'une école est un
grand privilège pour les Noirs. A part cela, Mongo Béti lui,
obtient son baccalauréat en 1951, soit six ans après son
entrée au lycée. On peut dire qu'il a mis beaucoup de temps
à avoir son baccalauréat car il a mis six ans pour sortir du
lycée. Il n'est donc pas un bon élève comme Medza car ce
dernier a aussi mis du temps à avoir son baccalauréat.
Après l'obtention du Bac, Mongo Béti quitte le Cameroun pour
poursuivre ses études universitaires en France ; par contre Medza lui,
après avoir eu son diplôme de baccalauréat resta en ville,
mais n'oublions pas que le désir de son père est qu'il aille en
Europe pour poursuivre ses études à l'université (p.231).
Peut être donc pour se faire pardonner par son père et
lassé de la liberté, une vie d'errance sans fin (p.250), il s'est
décidé de réaliser le souhait de son père.
D'après ce qui a été tout dit, la
biographie de l'auteur et le parcours d'adolescence du héros ont des
points communs et peuvent se compléter. Il est donc difficile de croire
que les éléments manquants dans la biographie de l'auteur ne
soient pas les choses évoquées dans le roman. Donc, tant que
personne ne peut démontrer le contraire, on peut dire que notre
hypothèse de début sera toujours valable.
CONCLUSION
A partir d'une lecture minutieuse du roman, nous avons pu
dégager trois grands points importants qui constituent le corps de notre
devoir et qui nous ont permis d'avoir une vision plus large du contenu de
l'oeuvre. Par conséquent, l'élaboration de ce devoir a
contribué à l'enrichissement des idées du roman. Bien que
tout ne peut pas être dit en même temps, les travaux
effectués dans ce mémoire s'intitulant « Le réalisme
dans Mission Terminée » livrent une des facettes de
l'oeuvre : son côté réaliste.
Dans la première partie du devoir, la structure sociale
est développée pour savoir comment fonctionne la
société décrite dans le roman. Pour cela, l'analyse s'est
focalisée dans un premier temps sur les personnages en les examinant
individuellement, puis dans un second temps sur ces mêmes personnages
regroupés suivant leur place dans la société. Concernant
la première étude, ce sont les noms des individus qui nous ont
intéressé. Les noms ont été étudiés
car ils ont des rapports réciproques avec l'individu perçus
à travers ses comportements et agissements, mais aussi une relation avec
le monde réel car ces noms existent bel et bien dans la
société camerounaise. Regroupé selon le sexe et leur place
sociale, l'individu forme un tout et chaque groupe a sa propre place et ses
rôles dans la société. C'est à partir de ce
regroupement que l'on a déduit que dans la société l'homme
domine, la femme est toujours soumise et les colons sont partout les
maîtres, non seulement dans le récit mais aussi dans la
réalité.
La deuxième partie du devoir traite d'un grand
problème qui touche la société traditionnelle :
l'acculturation. Ce problème d'acculturation est causé par trois
facteurs que nous avons analysés un par un. L'éducation moderne
est la principale source de l'acculturation chez les jeunes qui ont
été poussés par leurs parents à fréquenter
l'école. Ces jeunes, acculturés à leur tour, vont aussi
infecter les gens de la brousse par la volonté de transmettre leurs
nouvelles connaissances à ces derniers, que ce soit les grandes
personnes, les jeunes ou les enfants. La ville a été aussi
considérée comme l'une des causes de l'acculturation dans notre
devoir. Cela s'explique par le contraste entre la vie en ville qui est plus
modernisée, européanisée, et celle de la brousse qui est
restée presque telle qu'elle était depuis, c'est-à-dire
traditionnelle. La ville attire
beaucoup de personnes, or qui dit exode rural, dit
automatiquement adaptation et changement de mode vie, donc remodelage de la
personne.
On a pu aussi démontrer dans la dernière partie
du mémoire que les écrits de l'auteur peuvent tant bien cacher la
réalité mais aussi faire sortir la vérité. Nous
avons essayé de montrer dans un premier temps que les différents
styles employés par l'auteur dans le roman ont un second sens, puis en
deuxième temps montrer qu'il y a des relations qui lient l'oeuvre avec
le monde extérieur.
A partir de ces trois grandes parties du travail donc, nous
avons répondu à la problématique qui consistait à
savoir comment la réalité est traduite dans l'oeuvre en montrant
sur différents angles, plus précisément au nombre de six,
la manifestation de la réalité à travers l'oeuvre.
Connaître la part de réalité sous ces
différents angles en épluchant le roman en entier était
notre devoir. Le fruit de notre travail servira aux autres chercheurs puisque
à partir de cette étude, on pourrait évaluer la valeur du
roman et dresser une banque de données où l'on trouvera toutes
les caractéristiques renvoyant l'ouvrage à la
réalité où l'auteur avait puisé son inspiration. Le
fait d'avoir des connaissances sur la traduction de la réalité
dans ce roman permettra aussi de bien situer l'oeuvre dans son temps et dans
son espace. Par conséquent, les lecteurs comprendront mieux le roman,
voire autrement, et ne verront plus en lui une simple histoire à travers
le récit mais toute une encyclopédie de l'histoire du Cameroun.
En effet, ce travail révèle les faces cachées de l'oeuvre
découvertes après une recherche poussée et une analyse
profonde du roman.
Si le but de notre devoir est de développer le
réalisme à travers le roman afin de l'enrichir par de nouvelles
idées, il nous a permis aussi de prouver qu'il est possible de remonter
le temps et l'espace à partir de l'étude d'un roman en utilisant
de multiples méthodes d'approche que ce soit en linguistique ou en
littérature.
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