4. Représentations
sociales, connaissances des aidants sur la maladie d'Alzheimer et sentiment de
menace perçue
4.1 La notion de
« représentation sociale »
La représentation est une façon d'organiser
notre connaissance de la réalité, elle-même construite
socialement. Cette connaissance s'élabore à partir de nos codes
d'interprétation, culturellement marqués et va constituer un
phénomène social.
La représentation est ainsi un processus de
reconstruction de la réalité intégrant la dimension
psychologique (individuelle) et sociale. Selon Jodelet (1989), le concept de
représentation sociale désigne « une forme de
connaissance spécifique, le savoir de sens commun, dont les contenus
manifestent l'opération de processus génératifs et
fonctionnels socialement marqués. Plus largement, il désigne une
forme de « pensée sociale ».
Cet auteur montre que les représentations sociales sont
orientées vers la maîtrise de l'environnement social,
matériel et idéal. [17]
Pour Moscovici (1973), les représentations sociales
peuvent avoir diverses fonctions. Tout d'abord, la fonction de
« savoir » qui sert aux individus à expliquer,
comprendre et à avoir des actions concrètes et cohérentes
sur le réel. Ces représentations prescrivent des pratiques, des
actions concrètes. Dans le cas de la maladie d'Alzheimer, ces
représentations permettent de créer pour le sujet des
connaissances sur la pathologie, mais aussi des explications sur les causes de
son apparition. Ensuite, elles peuvent jouer une fonction identitaire, c'est
à dire que les représentations sont un produit collectif, elles
permettent de définir et de distinguer les groupes. Enfin, elles ont
fonction de justification, elles donnent une identité qui permet aux
individus membres du groupe de justifier leurs comportements. [27]
4.2 Les représentations
sociales et les théories profanes concernant la maladie
Les représentations sociales peuvent transformer chaque
réalité selon des dimensions personnelles et sociales. Concernant
la santé, des chercheurs de ce domaine ont mis en évidence que
les cognitions (croyances, conceptions, représentations, théories
profanes) déterminent les comportements de santé des individus
(Bruchon- Schweitzer 2002). Les représentations de la maladie
diffèrent selon les cultures : chaque société a ses
propres conceptions de la santé et un comportement différent
devant la maladie. [3]
En Occident, les croyances religieuses sur la santé et
la maladie se sont effacées, suite à la contribution des
progrès sur les connaissances biologiques et médicales. Ces
avancées technologiques permettent de progresser dans la
compréhension de l'étiologie de diverses pathologies. Cependant,
on observe une attention culturelle extrême portée au corps, ce
qui va de pair avec l'individuation contemporaine. Le début du
21é siècle correspond au renforcement des prescriptions
normatives : on « doit » être jeune, en bonne
santé et beau pour être intégré dans la
société. Là peut alors se placer la conception de la
vieillesse, qui ne correspond pas à l'idéal prodigué par
la société et à la conception de la démence, qui
s'éloigne encore plus de ces normes.
Chaque culture possède une représentation
différente de la maladie. L'annonce d'un diagnostic à un patient
et à son entourage n'aura ainsi pas du tout le même impact sur les
personnes et sur leur façon de vivre la maladie, selon leurs conceptions
de la santé en générale, de la maladie et de la pathologie
en question.
Pédinielli (1996, 1999) montre qu'il existe un
décalage entre les théories « profanes » et
les conceptions « savantes, biomédicales ». Selon
lui, il est essentiel d'étudier les conceptions et les
représentations des individus pour mieux comprendre comment se construit
l'expérience individuelle subjective de la maladie et quel sens donne le
sujet à celle-ci. Pour ce chercheur, il est important que le
médecin connaisse les représentations individuelles des patients
et de son entourage ainsi que les théories de la maladie qu'ils
élaborent car cette expérience subjective va intervenir, entre
autre, sur la compréhension et l'acceptation du diagnostic. [31]
L'étude de Pédinielli (1996, p.139-144) porte sur les croyances
des patients et leurs relations avec les conceptions médicales.
L'analyse du discours a permis de montrer que les conceptions
étiologiques naïves font références à des
causes « externes » et
« internes » mais qu'elles s'organisent aussi en
fonction du sens donné à la maladie. Ces conceptions
étiologiques ont pour fonction de trouver des causes à la
maladie, d'identifier, d'apprivoiser une réalité souvent
effrayante et de ne pas être submergé par la détresse.
Cependant, les études narratives mettent en évidence la question
du sens de la maladie. Selon les études citées par Marks (2000),
le sujet donne du sens aux situations pour qu'elles prennent une place et un
sens. [25] Une grande diversité de significations peut être
donnée à une pathologie: défi, valeur, soulagement,
stratégie, faiblesse, perte, ennemie, punition...
Les théories naïves de la maladie correspondent
à la recherche d'un sens où l'identification, la description et
l'interprétation sont étroitement imbriqués. Les sujets
essayent d'intégrer cette histoire à leur histoire
individuelle.
Les fonctions psychologiques des théories subjectives
de la maladie
(Santiago, Professeure de Psychologie, université de
Lausanne)
Les théories savantes et profanes sont
étudiées pour améliorer le dialogue entre les
médecins et les patients ainsi que pour comprendre comment le patient et
son entourage abordent la maladie. Les théories profanes sont
composées de représentations originales ou de groupes de
représentations sans organisation méthodique intellectuelle.
Description de la maladie : Le sujet décrit
la maladie avec des mots déformés, des images utilisant des
métaphores, des opérations de substitution et des
déplacements.
Explication de la maladie : Les explications
données par les sujets sont fondées sur des raisonnements
inductifs en utilisant des liens de cause à effet.
La rigueur du raisonnement est souvent faible (fondé
sur une tautologie, des interprétations de principe...). Il existe deux
modèles explicatifs de la santé mis en avant par M.
Santiago :
- Le Health Belief Model par Rosenstock (1950, 1974) :
analyse des croyances en matière de santé
Selon ce modèle, les théories profanes sur la
maladie sont composées de représentations individuelles (comme la
vulnérabilité perçue, la gravité de la maladie...)
et d'un décalage entre
les aspects objectifs de la maladie, la conscience de celle-ci
et la perception qu'en ont les sujets. Ce modèle explique
également que les variables culturelles, sociales et la
personnalité ont un rôle pour expliquer les maladies.
- Le modèle cognitif de l'adaptation à la
maladie
Ce modèle apporte des informations sur l'annonce d'une
maladie. Selon lui, l'annonce déclenche une situation de stress chez le
sujet puis une phase d'ajustement. Les croyances négatives sur la
maladie auraient une influence sur l'intensité de la dépression
et sur son évolution.
Selon la figure 1 de Santiago, les théories profanes de
la maladie se construisent de manière
hétérogène.
Figure 1 :
Hétérogénéité des théories
profanes
Supports sociaux (familles, amis...)
Hétérogénéité des
théories profanes
Corporéité
Sensation
Tonus
Émotions
Entourage, travail, associations...
Milieu de vie, culture, média
La maladie d'Alzheimer est présente dans les
expériences individuelles, familiales, sociales, politiques et
économiques : elle suscite une masse d'informations,
d'idées, de préjugés et d'attitudes sociales (Pitaud,
2006). [34] Considérée comme étant un type de
démence, cette maladie engendre dans les représentations des
individus la notion de « folie » car elle est
associée à la non reconnaissance des proches, la perte du temps
et de la conscience de l'espace, et enfin à des productions non
ancrées dans la réalité.
Herzlich (1996) a travaillé sur les
représentations de la « folie » dans notre
société. Selon l'auteur, la folie effraie et suscite une mise
à l'écart. Face à l'opacité de la folie, les sujets
essayent de la transformer en réalité concrète. Ces
représentations vont amplifier les représentations de la
« maladie » sous ses aspects les plus négatifs. Les
individus parlent de « souillure »,
« dégénérescence »,
« hérédité »,
« contagion »... [15]
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