INTRODUCTION
Force est de constater que l'endettement est devenu un
véritable fait de société : plus d'un ménage
sur deux a aujourd'hui recours aux crédits. En effet, nous vivons dans
une société dite de « consommation »
où les personnes sont sollicitées par différentes offres.
L'obtention de prêt permet à certaines de réaliser des
projets personnels ou familiaux, tout en gardant un équilibre
budgétaire. D'autres, plus fragilisées, vont avoir un recours
important aux crédits à la consommation, les entraînant
parfois sur la voie du surendettement.
Le surendettement est donc devenu une question majeure. Au
moment de la création du premier dispositif par la loi NEIERTZ en 1989,
le nombre de ménages concernés était estimé
à 200 000. A cette époque, le surendettement était
souvent lié à un emprunt pour l'accession à la
propriété (taux progressif conduisant à des remboursements
trop élevés). Par la suite, de nouveaux facteurs ont
accentué le recours aux emprunts tels que l'augmentation du
chômage et le développement des séparations. Depuis, le
chiffre du surendettement a constamment progressé, ce qui a
justifié l'adoption de trois nouvelles lois en 1995, 1998 et 2003. A
titre indicatif, la Banque de France comptait 184 812 dépôts
de dossiers en 2006.
Une personne est considérée comme
surendettée lorsqu'elle est dans « l'impossibilité
manifeste de faire face à l'ensemble de ses dettes non professionnelles
exigibles et à échoir ». (cf. annexe 1)
Il existe deux types de surendettement :
* le surendettement dit « passif », est le
résultat d'une réduction sensible des revenus ou d'un
alourdissement des charges, pouvant être occasionné par un
licenciement, une naissance, une séparation, une maladie, etc.
* le surendettement dit « actif », est la
conséquence d'un recours volontaire à un nombre important de
crédit (accumulation des emprunts, engagements financiers en
surcharge...).
Le surendettement touche de plus en plus de ménages.
J'ai été moi-même confronté à cette
difficulté sur mon terrain de stage en BTS ESF. Je me suis aperçu
qu'elle touchait toutes les catégories socioprofessionnelles et qu'elle
pouvait être facteur d'exclusion sociale et économique.
Après avoir fait le constat que l'accompagnement par le
conseiller en économie sociale et familiale se poursuivait
au-delà de la mise en place du plan, je me suis posé la question
suivante :
« Quelles sont les difficultés que
rencontrent les personnes surendettées lorsqu'elles remboursent un plan
conventionnel de redressement ? »
Face à cette interrogation, j'ai essayé de
trouver des pistes de travail. Dans mes recherches sur ce sujet, les ouvrages
que j'ai pu consulté m'ont apporté toutes les connaissances
nécessaires sur le traitement des situations de surendettement, sur les
causes possibles de celui-ci, mais également sur la législation
relative au surendettement, ainsi que les moyens mis en place. Mais aucun
n'abordait les conséquences du plan conventionnel de redressement.
C'est donc à des professionnels que je me suis
adressé. Ces entretiens exploratoires m'ont permis de me rendre compte
que le plan conventionnel de redressement avait des conséquences sur les
familles concernées. Afin d'approfondir ce premier constat, j'ai
orienté ma recherche exploratoire vers le public, dans le but de
confirmer ou infirmer ce constat, et avoir plus de précisions. Le
questionnaire m'a permis de comprendre que le mode de vie des familles,
après la mise en place du plan conventionnel, était
complètement modifié.
Toutes ces recherches m'ont apporté de nombreux
paramètres et ont soulevé des questionnements concernant cet
aspect assez peu étudié. Ces constats m'ont permis de comprendre
que malgré l'accompagnement fait lors de la mise en place du plan
conventionnel, et les bienfaits que celui-ci engendre, il est difficile pour
ces personnes de pouvoir accéder à la société de
consommation, et surtout aux loisirs. Paradoxalement, l'accès aux
loisirs est un objectif national comme le mentionne la loi de lutte contre les
exclusions du 29 juillet 1998. En effet, l'accès aux loisirs favorise
l'épanouissement des individus. Alors pourquoi ces personnes ont
des difficultés à accéder aux loisirs ?
Pour tenter d'apporter des éléments de
réponse à cette question, je me suis attaché à
comprendre comment le plan conventionnel est proposé. Nous pouvons
d'ores et déjà dire que le plan conventionnel est
déterminé selon la capacité de remboursement du
débiteur après imputation des charges courantes et du forfait
« alimentation, hygiène, et habillement »,
appelé « reste à vivre », laissé au
débiteur par la Banque de France. Mais comment est
déterminé ce « reste à
vivre » ? Est-il facteur d'exclusion de
l'accès aux loisirs pour les personnes remboursant un plan conventionnel
de redressement ?
Cependant, chaque individu a un rapport à l'argent
différent, l'utilisation du « reste à vivre »
en sera donc différente. Peut-on dire alors que ce
phénomène d'exclusion résulte d'une cause plus profonde
propre à chaque individu ?
A l'issue de cette réflexion, nous pouvons
émettre l'hypothèse suivante :
La culpabilité et la honte sont les causes
principales de l'exclusion de l'accès aux loisirs des personnes
surendettées, remboursant un plan conventionnel.
Ce problème peut être abordé sous
plusieurs angles (sociologique, économique, juridique, psychologique,
psychiatrique, psychosociologique...). Cependant, j'ai fait le choix de centrer
ma recherche sur deux aspects : juridique et psychosociologique. En effet,
je pense que, pour accompagner au mieux ces personnes, il est indispensable de
connaître le cadre légal et la procédure de traitement du
surendettement des particuliers. De même, toute personne est inscrite
dans un environnement social, l'analyse psychosociologique permettra donc
d'expliquer, en partie, son comportement vis-à-vis de la
consommation.
Aussi, afin de vérifier si le « reste
à vivre » peut être facteur d'exclusion de
l'accès aux loisirs ou si ce sont les personnes qui s'excluent
elles-mêmes, j'ai choisi d'orienter la première partie de ce
mémoire vers une recherche théorique. Pour cela, j'ai tout
d'abord travaillé sur les caractéristiques et la procédure
de traitement du surendettement des particuliers. Ensuite, j'ai analysé
comment le consommateur pouvait être influencé par son
environnement lors de ses décisions d'achat. Enfin, j'ai
étudié les concepts d'exclusion sociale, de consommation et la
place des loisirs dans la société française.
Dans un second temps, je développerai l'enquête
que j'ai menée auprès de travailleurs sociaux et de personnes en
situation de surendettement, remboursant un plan conventionnel de
redressement.
Enfin, j'aborderai la question du surendettement dans une
perspective professionnelle. Que peut m'apporter cette réflexion en tant
que futur professionnel ? Qu'ai-je appris du rôle du CESF ?
Comment intervient-il auprès de ce public ? Comment me positionner
face à cette problématique ? Je tenterais d'apporter des
réponses à ce questionnement dans un troisième temps.
PARTIE I : PARTIE THEORIQUE
J'ai choisi de présenter, dans un premier chapitre, les
caractéristiques des personnes surendettées et la
procédure existante. Cela permet de cibler le public concerné par
ma problématique et de connaître le dispositif instauré
pour l'aider. Dans un second chapitre, il conviendra d'étudier les
facteurs sociaux pouvant influencer le comportement d'achat des ménages.
Enfin, face aux pressions de la société, certaines personnes
fragilisées peuvent s'exclure de l'accès aux loisirs pendant le
remboursement d'un plan conventionnel. Nous essaierons, dans un
troisième chapitre, de comprendre comment et pourquoi ces personnes
peuvent souffrir de ne pas accéder aux loisirs.
I/ Le surendettement : caractéristiques et
procédure
1/ Les caractéristiques des personnes
surendettées1(*)
La Banque de France a réalisé en 2001, une
enquête typologique2(*), qui permet d'établir le profil sociologique
des personnes surendettées et leur type d'endettement.
1.1/ Profil sociologique de la personne
surendettée
a) Situation familiale
L'enquête indique qu'une grande majorité de
débiteurs surendettés (58%) vit seul (célibataires,
divorcés, séparés ou veufs). Cette catégorie est en
forte augmentation depuis 1990, notamment en raison de la progression du nombre
de personnes célibataires surendettées (multiplié par 3 en
10 ans). Sur le plan national, l'INSEE (institut national de la statistique et
des études économiques)3(*) observe également une évolution des
personnes seules. Elles représentent 46,4% en 2003.
Ensuite, l'enquête souligne que 57,5% des
débiteurs surendettés ont au moins un enfant à
charge. Cette proportion est sensiblement plus élevée que
celle constatée dans la population française (43,10%). Cela
suggère qu'il y a une part importante de familles monoparentales parmi
les personnes surendettées.
b) Age
L'âge de la majorité des débiteurs
surendettés est compris entre 35 et 55 ans. Pourtant, aucune
évolution par rapport à 1990 n'est observée pour cette
classe d'âge. La progression concerne essentiellement celle des plus de
55 ans, dont la part a augmenté de 6% depuis 10 ans. De même, les
jeunes de moins de 25 ans sont plus nombreux à déposer un dossier
en Banque de France : 5% en 2001 contre 1,2% en 1990.
c) Situation socioprofessionnelle
Les catégories socioprofessionnelles les plus
touchées sont les employés et les ouvriers (55%), ce qui est
sensiblement identique à la proportion constatée dans l'ensemble
de la population française (53,5%). L'enquête fait
également ressortir que 32% des déclarants sont chômeurs ou
inactifs (10% au niveau national en 2005).
d) Ressources et patrimoines
Un nombre important de débiteurs a de faibles
ressources. En effet, la tranche de revenus en dessous de 1500 euros concerne
72% de l'ensemble et 42% des dossiers ont des ressources inférieures ou
égales au SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance). Par
ailleurs, la part des débiteurs percevant le RMI (revenu minimum
d'insertion) est faible (5% des dossiers), notamment parce qu'ils ont des
difficultés à recourir aux crédits. Même si elles ne
représentent qu'une faible part des dossiers, plus de 28% des personnes
surendettées ont des revenus qu'atteignent 1500 euros et plus.
Concernant les ressources, elles résultent
prioritairement du salaire (29%), de l'aide au logement (22%) et des
allocations familiales (18%). La part des prestations sociales constitue
à elle seule 40% des ressources déclarées. Cela laisse
supposer l'existence de faibles revenus et la présence d'enfants
à charge. Dans 57% des dossiers, les personnes ne disposent que d'un
type de ressources et dans la moitié des cas, il s'agit du salaire.
De plus, ces débiteurs ont un faible patrimoine. En
effet, 75% d'entre eux sont locataires (contre 40% dans la population
française). Seuls 15% sont propriétaires ou en accession. Il est
également constaté que 10% des personnes surendettées sont
hébergées à titre gratuit. Elles seraient majoritairement
composées de jeunes vivants chez leurs parents. Ceci peut donc
être mis en relation avec l'augmentation de la tranche d'âge des
moins de 25 ans parmi les personnes surendettées.
Enfin, peu de débiteurs disposent d'une épargne
placée (seulement 8,2%).
1.2/ Le profil du surendettement
a) La nature du surendettement
L'enquête met en avant une évolution de la
nature du surendettement. En effet, les situations de surendettement dit
« passif » sont désormais de plus en plus nombreuses
et concernent environ 64% des dossiers. Cela peut s'expliquer par la
progression du chômage dans notre société (26,5% des
personnes surendettées sont touchées), ainsi que par
l'augmentation des séparations ou des divorces (16% des cas).
Le surendettement dit « actif » constitue
36% des dossiers. L'enquête de la Banque de France montre qu'en
majorité, ces situations sont liées à un nombre important
d'emprunts contractés (19% des cas) et à une mauvaise gestion
budgétaire (7%). Plus de la moitié des situations de
surendettement actif sont donc liées à un excès de
crédit, sans qu'il y ait une modification des ressources.
Par ailleurs, il est constaté que dans 74% des dossiers
déposés, l'endettement est mixte, c'est-à-dire
composé à la fois de crédits et d'arriérés
de charges courantes. 20% des dossiers ne sont constitués que d'emprunt.
Cela suggère que l'endettement par le crédit est présent
dans les situations de surendettement actif et passif, ce qui explique
la faible part des dossiers constitués uniquement de charges courantes
(à peine 6% des cas).
b) Les types de crédits
Les crédits les plus contractés par les
personnes surendettées sont de type
« revolving »4(*). Ce type de crédit est fortement
représenté dans les dossiers Banque de France car près de
80% en comportent (dont 4 par dossier en moyenne). En second lieu, nous
trouvons les prêts personnels présents dans 60%
des dossiers. Notons que, dans 75% des cas, les débiteurs associent ces
types de crédit.
Il semble également cohérent de faire le lien
entre l'importance du nombre de débiteurs aux revenus modestes et le
faible endettement immobilier (seulement 15%).
2/ Le dispositif du surendettement
2.1/ Notion de recevabilité de la demande
Le débiteur doit déposer un dossier de
surendettement à la Banque de France. La première étape du
traitement consiste en un examen de la recevabilité du débiteur,
qui doit s'effectuer deux mois après le dépôt du dossier.
La commission vérifie alors que le débiteur remplit bien les
conditions prévues par la loi.
2.2/ Projet de plan et capacité de
remboursement
Suite à la détermination du passif, la
commission retient la capacité la plus favorable au débiteur afin
qu'un projet de plan soit élaboré en fonction des dettes
jugées prioritaires5(*) (crédits finançant l'acquisition d'une
résidence principale par exemple). « Si jamais on trouve
une capacité de remboursement beaucoup plus importante en fonction des
charges réelles que celle déterminée par la quotité
saisissable, on leur laissera à disposition la quotité
saisissable. » [propos recueillis auprès du
responsable adjoint du service surendettement de la Banque de France]. Le
débiteur est alors inscrit sur le Fichier national des Incidents de
remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP)6(*) tout au long de la durée
du plan. Un plan s'étale sur plusieurs années et peut même
durer 10 ans dans certains cas. Le débiteur a un mois pour accepter ou
refuser le plan. La signature de ce plan engage le débiteur à le
respecter.
En cas d'échec de la mesure amiable7(*), le débiteur
surendetté dispose d'un délai de 15 jours pour demander à
la commission d'élaborer des mesures de recommandation8(*), qui seront homologuées
après vérification par le juge de l'exécution.
2.3/ Le reste à vivre, forfait alimentation,
hygiène, habillement
a) Mode de calcul
Le reste à vivre correspond à un forfait :
le forfait « alimentation, hygiène, habillement ».
Ce forfait est calculé selon le nombre de personnes au foyer et suivant
le barème arrêté par la commission qui est
régulièrement révisé chaque début
d'année en fonction de l'inflation9(*). Son montant est déterminé à
partir d'une typologique des dépenses moyennes des Français,
« [...] à partir des données de l'INSEE sur la
typologie des dépenses des consommateurs, avec des moyennes en tenant
compte des niveaux de revenus. Cette étude approfondie de l'INSEE a
été mit en parallèle avec une étude du CREDOC, qui
lui détermine le seuil de pauvreté et à partir de
là, [...] 3 propositions ont été faites. »
[propos recueillis auprès du responsable adjoint du service
surendettement de la Banque de France].
Ainsi, le calcul du reste à vivre se situe entre un
forfait assez confortable pour les débiteurs, ce qui garantit la
réussite d'un plan conventionnel, et un forfait correspondant au seuil
de pauvreté. Le barème retenu est l'entre deux.
De plus, la loi prévoit que le montant du forfait
« alimentation, hygiène, habillement » appelé
« reste à vivre », soit supérieur ou
égal à la somme insaisissable des revenus.
Dans tous les cas, la Banque de France laisse toujours le plus
intéressant pour les débiteurs. « [...] ce qui est
saisissable, c'est notre capacité de remboursement. » [propos
recueillis auprès du responsable adjoint du service surendettement de la
Banque de France].
b) Déterminants du montant du « reste
à vivre »
Le montant du reste à vivre est
déterminé en fonction de la composition familiale,
c'est-à-dire du nombre de personnes au foyer.
Il doit être, dans tous les cas, au moins égal
à ce que le débiteur toucherait au titre du RMI10(*). Le reste à vivre est
calculé par application, à l'ensemble des ressources du
débiteur, du barème de la quotité saisissable des
rémunérations.
II/ Le consommateur sous influence
La domination économique de la société
se traduit par une consommation croissante et une production de biens et de
services de plus en plus importante11(*). Le terme « société
de consommation » est apparu après la Seconde
Guerre Mondiale, dans les années 50 et 60. Avec la reconstruction de la
guerre, le pays a connu une forte croissance, entraînant une
amélioration du niveau de vie des individus, ainsi qu'une consommation
croissante. Ce dynamisme pouvait laisser croire que chacun allait
améliorer sa situation, voire modifier son statut social.
ROCHEFORD12(*) a observé une seconde époque de la
« société de consommation » dans les
années 80, où il voit un changement dans l'état d'esprit
du consommateur. Pour lui, les personnes privilégient désormais
la mise en valeur de biens immatériels, symboliques pour faire valoir
leur propre image auprès des autres. « ce furent les
années frimes, les années du « produit
kleenex », ou, dit autrement, les années de l'ostentatoire et
de l'éphémère »13(*). Cette période
peut être mise en relation avec la déréglementation du
crédit en 1984, qui a stimulé la consommation. Actuellement, il
indique que la consommation des individus pourrait être appelée
« la consommation de rassurance ». Pour lui, leurs
achats sont davantage orientés vers des objets porteurs de signe, leur
permettant de se rassurer sur leur propre valeur.
Il semble donc intéressant d'analyser les
différents moyens utilisés par la
« société de consommation » pour essayer
d'influencer les décisions d'achat de certaines personnes.
1/ Le rôle de la publicité dans les choix de
consommation
1.1/ Historique
La naissance de la publicité14(*) est apparue dans la
deuxième moitié du XIXème siècle, en raison du
développement des moyens de communication de masse et de
l'économie de marché. A l'origine, sa finalité
était de rendre publique une offre de vente. Depuis les années
60, avec l'émergence de la « société de
consommation » et la multiplication des offres, succède
à l'idée de conditionner et de suggérer au public. Pour
cela, la publicité utilise différentes stratégies de
vente15(*).
1.2/ Les stratégies de vente
a) La stratégie persuasive
Par différentes techniques, la publicité tente
de séduire le consommateur. Elle se cale à ses
représentations, ses tendances, son mode de vie pour l'influencer dans
ses choix et ainsi lui vendre certains produits4(*). Le discours publicitaire est construit à
partir du comportement des consommateurs. Il utilise une stratégie
persuasive, correspondant à une logique collective pour que
l'individu puisse se reconnaître dans le discours, ainsi qu'à une
logique individuelle pour que le message publicitaire s'aligne sur ses
désirs.
b) La stratégie de différenciation et
d'imitation
V. SACRISTE4(*) montre que la publicité a également une
fonction sociale. En effet, par son mode de diffusion et ses techniques de
communication (média/hors média), elle s'offre comme miroir de ce
que doit être ou non l'individu. Elle lui permet de se situer par rapport
aux autres, de les juger et ainsi de se comparer. Le discours publicitaire
devient un miroir intime et collectif car il permet à
l'individu de s'évaluer par rapport à autrui et de se situer dans
la société. Il va lui permettre de se différencier de
certains individus pour mieux ressembler, en apparence aux autres. Le message
de la publicité va utiliser une stratégie de
différenciation et d'imitation, permettant à l'individu de faire
ses choix en fonction des autres et de se sentir reconnu par le groupe. La
publicité va donc créer de nouveaux besoins aux consommateurs,
leur donnant l'illusion d'exister socialement.
« Que le consommateur soit enivré par la
publicité, prêt à acheter, à tout acheter, c'est
l'une des caractéristiques de cette société de
consommation. »16(*) (p. 3)
c) L'étude du comportement des consommateurs
ROCHEFORD17(*) explique que les publicitaires et les hommes de
marketing s'appuient sur des approches psychologiques et sociologiques pour
séduire les individus et créer des biens de consommation,
correspondant à leurs désirs. Pour cela, ils prennent en
considération l'influence du groupe pour conditionner les choix de
chacun.
1.3/ Le discours publicitaire
Pour SACRISTE18(*), la publicité met en scène un discours
optimiste, portant sur l'accès au bonheur par la consommation et sur la
valorisation de certaines marques, signe de distinction. Ce discours incite les
individus à faire leurs choix en fonction du groupe auquel ils
appartiennent ou souhaiteraient appartenir. Ils vont être à la
recherche du bonheur absolu, développé par la
« société de consommation ». Les
publicitaires et les professionnels du marketing sont là pour
créer toujours davantage d'envies chez le consommateur19(*).
2/ La valeur symbolique de l'argent
L'argent a une place essentielle dans la
« société de consommation ». Outre sa
fonction monétaire, il est possible de lui attribuer une fonction
symbolique (de la racine grecque « symbol » : signe de
reconnaissance, rencontre, symptôme) (p. 12)20(*). En effet, la possession
d'argent est pour beaucoup, le signe de valeur sociale et permet la
réalisation des désirs.
2.1/ L'argent, facteurs d'aliénation et de
libération
DE LA HOUGUE5(*) souligne que « l'origine profonde de la
dépense ou de l'endettement correspondrait [...] à la fonction
symbolique de l'argent. » (p. 12). Elle n'est pas seulement
liée à sa fonction matérielle d'usage. Pour lui, l'argent
est facteur de libération car l'Homme peut s'acheter ce qu'il
souhaite. Il satisfait à ses besoins et peut se sentir épanoui.
Mais, l'argent est également facteur d'aliénation car
l'individu peut parfois être assujetti à certaines contraintes.
Prenons l'exemple des crédits à la consommation. Ils permettent
à certaines personnes de répondre à leurs désirs
immédiats, mais en raison des taux d'intérêts, certaines
n'arrivent plus à maîtriser leur endettement, ce qui les conduit
quelquefois au surendettement. DE LA HOUGUE explique que cette
aliénation peut être liée à leur ignorance et
à leur manque de repères, s'expliquant par leur
vulnérabilité.
2.2/ Les Hommes et l'argent
a) L'argent, une valeur absolue
La valeur symbolique donnée à l'argent montre
qu'il fascine au point que les personnes en font une valeur absolue, une sorte
de divinité. En effet, DE LA HOUGUE montre qu'il peut soulager leurs
angoisses et permet d'obtenir un lien avec l'extérieur par le biais de
l'échange. De plus, certains consommateurs rompent avec leur
culpabilité et leur honte en le dépensant pour satisfaire
à leur besoins, ou à ceux de leurs enfants. Ils peuvent
également montrer leur réussite au sein du groupe. L'argent les
séduit car il n'y a pas de limite à la richesse. En effet, le
désir de l'Homme est infini et les nouvelles formes de monnaie lui
donnent l'illusion d'avoir une capacité financière, lui
permettant d'accéder au bonheur21(*).
b) L'argent de réussite sociale
Considérer l'argent comme symbole de réussite
sociale amène les gens à vivre de manière superficielle.
En effet, GALLOIS22(*)
montre qu'ils mettent en avant un écran constitué de signes
extérieurs de richesse pour entretenir l'apparence de l'aisance, de la
réussite. Les sentiments, les émotions, les aspirations profondes
sont reléguées au second plan, voire totalement
réprimés. Ainsi, ils accepteront de manquer de l'essentiel,
pourvu que l'image de la réussite sociale soit entretenue.
III/ Les facteurs d'auto-exclusion de l'accès
aux loisirs
Chaque individu est en relation avec différents
groupes sociaux (proches, familles, collègues, anonymes...) et va
être pris dans un réseau d'influence, lui permettant de se
comparer aux autres. Ainsi, les personnes qui refusent leur image sociale et
leur place dans la société, vont essayer de se
différencier de leur groupe d'appartenance. Influencées par la
« société de consommation », certaines vont
tenter de se distinguer par l'achat de biens dans un souci de reconnaissance
sociale. D'où le sentiment de frustration ressenti par les personnes en
situation de surendettement, remboursant un plan conventionnel de
redressement.
Nous verrons tout d'abord la théorie de MASLOW, puis
les concepts de l'objet-signe et de reconnaissance sociale, et enfin, la place
des loisirs et des vacances dans la société française.
1/ La pyramide de MASLOW
Il est important de rappeler ici la théorie de A. H.
MASLOW, psychologue américain, développée en 1943 dans
Une théorie des motivations humaines pour comprendre la notion de
reconnaissance sociale. Celui-ci distingue 5 niveaux successifs de besoins,
déterminant le comportement de l'Homme et matérialisés par
une pyramide. Ces différents besoins ne sont pas seulement de nature
économique et ne concernent pas seulement la sphère de la
consommation. Ils peuvent également aider à comprendre les
comportements d'achat des individus.
Ø niveau 5 : - besoin de s'accomplir :
volonté de l'individu de se réaliser. Lorsqu'il réussit
à être et à ne plus paraître aux yeux des autres, il
peut satisfaire à ce besoin en repoussant ses limites, mettre en oeuvre
ses facultés personnelles, se perfectionner...
Ø niveau 4 : - besoin d'estime :
besoin d'être conforté aux regards des autres, de se sentir
considéré et aimé pour se respecter soi-même.
Ø niveau 3 : - besoin d'appartenance :
désir d'appartenir à un groupe et d'y être
intégré.
Ø niveau 2 : - besoin de
sécurité : protection morale (logement, stabilité
de l'emploi...).
Ø niveau 1 : - besoins
physiologiques : la survie des individus (boire, manger, respirer).
Ces différents besoins apparaissent dans un ordre
croissant selon leur importance : pour qu'un besoin soit ressenti, il faut
que celui qui le précède soit satisfait.
D'après MASLOW, le besoin d'appartenance sociale et
d'estime sont fondamentaux pour l'Homme. Il lui est indispensable de
s'identifier à un groupe et d'y être reconnu. Cela peut expliquer
le développement des crédits et des biens utilisés comme
signe, permettant à l'individu de répondre aux besoins d'un
nouveau supérieur.
L'obtention de crédit et l'achat de biens de
consommation par certains débiteurs actifs pourraient donc correspondre
aux besoins d'appartenance et d'estime correspondant à la pyramide de
MASLOW. Ainsi, nous pouvons nous demander de quelle manière les
personnes remboursant un plan conventionnel de redressement s'identifient
à leur groupe de référence, et comment atteignent-elles la
satisfaction du besoin d'appartenance sociale et d'estime ?
2/ L'objet-signe
2.1/ Le concept de BAUDRILLARD
BAUDRILLARD23(*) a développé le concept de
l'objet-signe. Pour lui, le bien de consommation n'a pas seulement une fonction
matérielle. Il peut également avoir une fonction sociale, qui
permettrait la différenciation entre les individus. L'auteur explique
qu' « une véritable théorie des objets et de la
consommation se fondera non sur une théorie des besoins et de la
signification » (p. 8). En effet, selon lui, les individus
n'achètent pas des biens de consommation pour leur fonction et leur
utilité, mais pour ce qu'ils représentent u x yeux des autres. La
consommation de bien a donc une fonction sociale de prestige car l'objet permet
de positionner les individus dans la hiérarchie sociale.
2.2/ L'objet, signe de distinction
Certains individus vont tenter d'acheter des biens pour
montrer leur valeur sociale. Les objets de consommation vont ainsi leur
permettre de se distinguer des personnes issues de la même classe sociale
et de s'identifier au groupe auquel ils aimeraient appartenir (le groupe
de référence)24(*). Ainsi, « ce qui est en jeu, c'est
bien la personnalité, c'est-à-dire la qualité de la
personne, qui s'affirme dans la capacité de s'approprier un objet de
qualité » (pp. 319-320)25(*). L'individu va donc acquérir un nouveau
confort matériel pour mettre en avant son appartenance sociale.
2.3/ Les biens « ostentatoires »
Pour BAUDRILLARD, l'objet de consommation va prendre une
valeur symbolique et de prestige, qui va se vérifier par l'achat de
biens « ostentatoires », destinés à
être vus par les autres. HALBWACHS26(*) montrait que « c'est surtout les
dépenses visibles, bien plus que des dépenses utiles et non
ostensibles, et c'est du caractère non utile des dépenses
publiques elles-mêmes qu'on tient surtout compte dans le classement des
Hommes. » (p. 49)
La valeur d'usage est donc devenue un prétexte à
la valeur échange, signe de l'objet.
2.4/ Les inégalités face à
l'objet
BAUDRILLARD souligne les inégalités existantes
autour de l'objet-signe. Selon lui, chaque consommateur se croit souverain et
libre de ses choix de consommation, alors que « tous sont
égaux devant les objets en tant que valeur d'usage, mais pas du tout
devant les objets en tant que signes et différences, lesquels sont
profondément hiérarchisés. » (pp. 129)27(*) En effet, certains individus
souhaitent se distinguer par l'achat de biens, mais leur position sociale
d'origine demeure un frein, l'utilisation des objets étant liée
à celle-ci. BAUDRILLARD28(*) prend notamment l'exemple de la
télévision, présente dans la quasi-totalité des
ménages. Pour lui, sa fonction est différente selon la classe
sociale de chacun : pour les classes moyennes, elle serait utilisée
dans sa fonction d'objet, alors que dans les classes disposant d'un capital
intellectuel plus important, elle serait un exercice culturel. La valeur de
l'objet est donc différente selon l'appartenance sociale des individus
et ce, malgré le discours prôné par la
« société de consommation ».
Il est donc nécessaire d'analyser la place de
l'objet-signe dans les décisions d'achat des individus pour comprendre
le comportement des personnes remboursant un plan conventionnel de
redressement. En effet, d'après cette théorie, il est possible de
penser que celles-ci souffrent de ne plus pouvoir accéder à
certains biens de loisirs achetés pour leur valeur de prestige, leur
permettant d'être reconnus socialement.
3/ Le besoin de distinction
Comme nous avons pu le voir, les besoins d'appartenance et
d'estime sont fondamentaux pour l'individu. Ainsi, si son groupe de
référence29(*) lui renvoie une image négative et
dévalorisante en raison de sa place dans la société, il
peut se sentir déprécié socialement. Face à cette
image minorative, les personnes les plus fragiles peuvent essayer de se
différencier, en se présentant autrement de ce qu'elles sont
réellement. En effet, elles vont se mobiliser pour restaurer leur image,
en mettant en place une stratégie sociale de distinction. Ce besoin de
distinction répond à un souci de reconnaissance sociale qui va
s'obtenir par l'exhibition d'achats individuels.
3.1/ Définition du concept de reconnaissance
sociale
La notion de reconnaissance sociale correspond à
« un processus d'identification où chaque membre du groupe
pose un regard sur l'autre membre. Il s'agit d'un système
d'interactions, d'échanges qui impliquent l'intériorisation ou
l'assimilation de normes, de modèles, de valeurs à partir de sa
propre histoire, de son milieu familial et de sa trajectoire personnelle et
professionnelle. »30(*) Elle s'enracine donc dans l'histoire personnelle,
l'éducation et le vécu de l'individu. Cela peut expliquer
pourquoi chacun ne ressent pas nécessairement le besoin de s'identifier
à autrui, ainsi que l'influence du groupe et de la société
sur les choix de consommation.
3.2/ La place des individus dans la
société
Le besoin de reconnaissance sociale peut également
être lié au discours de la société, prônant la
valeur sociale de la richesse. Ainsi, les personnes, qui estiment avoir une
place disqualifiante et non valorisée par la société,
peuvent se sentir jugées et étiquetées par autrui en
raison de leur position sociale. Elles vont alors essayer de se
différencier en consommant des biens, permettant de montrer leur
réussite sociale.
« Faute d'être, on se tourne vers l'avoir,
que procure le paraître. » (pp. 75)31(*) Ce désir de
paraître peut alors exprimer une volonté d'ascension et de
réussite sociale.
3.3/ La théorie de BOURDIEU
a) Le jeu de la distinction
Il est indispensable de développer ici la
théorie de BOURDIEU dans La Distinction32(*). Il explique que certains
individus tentent de s'approprier des biens de consommation, destinés
jusqu'alors à la classe dominante, afin de montrer leur valeur sociale.
Ces différents achats ont pour finalité de mettre en avant leur
qualité de propriétaire et ainsi de les différencier de
leur groupe d'appartenance.
« Cette petite Bourgeoisie de consommateur qui
entend s'approprier à crédit, c'est-à-dire avant l'heure,
avant son heure, les attributs constitutifs du style de vie légitime,
« résidence » aux noms à l'ancienne et
studios à Merlin Plage, voiture de faux luxe et fausses vacances de
luxe, est toute désignée pour jouer le rôle de courroie
d'entraînement et pour faire dans la course de la consommation et de la
concurrence, ceux dont elle entend à tout prix se
distinguer. »33(*)
La « société de
consommation » donne donc les moyens aux individus, notamment par les
crédits, de se différencier et de s'approprier les biens de
consommation, proposés en modèle par la classe dominante.
b) Le concept d' « habitus »34(*)
Pourtant, même si le jeu de la distinction n'est plus
seulement réservé aux intellectuels et que chacun peut
désormais acquérir des biens, signes de prestige social, BOURDIEU
montre que les individus ne sont pas égaux. En effet, « la
classe sociale n'est pas définie seulement par une position dans les
rapports de production mais par l'habitus de classe qui est normalement
associé à cette position. »35(*) Selon lui,
« l'habitus » ne permet pas aux individus de s'approprier
le style de vie de ceux issus d'une classe sociale supérieure. Chacun
est effectivement, habité par des goûts et des choix liés
à son environnement socioculturel et transmis par la famille
(façon de parler, de se tenir, etc.). Ainsi, même si une personne
désire appartenir à un autre groupe social que le sien, elle sera
toujours marquée par la façon d'agir de celui-ci.
« Portés par un même habitus de
classe, les agents agissent comme des musiciens qui improvisent sur un
même thème, chacun jouant quelque chose de différent qui
s'accorde pourtant harmonieusement avec ce que joue chacun des
autres. »36(*) (p. 97)
Ainsi, certaines personnes remboursant un plan conventionnel
de redressement peuvent envisager de ne pas respecter le plan afin de
revaloriser leur image sociale, dépréciée par les autres
membres de la société. Par l'achat de biens de consommation,
elles peuvent vouloir essayer de se distinguer de leur groupe d'origine. Ceci
leur permettrait de montrer leurs « nouvelle » appartenance
sociale, signe de réussite et d'être reconnues par autrui. Le plan
conventionnel de redressement, et plus particulièrement le forfait
« alimentation, hygiène, habillement », constitue un
frein à l'accès aux loisirs, et de ce fait à la
satisfaction du besoin de reconnaissance sociale.
4/ La place des loisirs et des vacances dans la
société française
4.1/ Définitions
Le « loisir » peut être
considérer comme le temps pendant lequel on n'est astreint à
aucune tâche. Le loisir regroupe également les activités
diverses (sportives, culturelles, etc.) auxquelles on se livre pendant les
moments de liberté.
La notion de « vacances » recouvre
l'utilisation de deux termes : les congés et le tourisme. Les
congés désignent les séquences libérées des
occupations normales de travail.
Le tourisme est défini par l'INSEE par la phrase
suivante : « Doit être considéré comme
touriste toute personne en déplacement hors de sa résidence
principale pour une durée d'au moins vingt quatre heures et
inférieure à quatre mois, et pour l'un des motifs suivants :
agrément, santé, missions, voyage d'affaires, voyage
scolaire ».
4.2/ Démocratisation des loisirs et des
vacances
Au XIXème siècle, sur le modèle
britannique, des cures thermales sont apparues et développées en
France. Fréquentées à cette période par les
familles aristocratiques, les cures à vocation médicale, ont
invité ces clients à se distraire par les plaisirs de la
promenade, les jeux de hasard autorisés au casino... .
Progressivement, la villégiature balnéaire a
abandonné ses traditions médicales et aristocratiques pour porter
de plus en plus le signe de l'aisance bourgeoise.
C'est en 1936, sous le gouvernement de Léon Blum, que
les congés payés, de douze jours ouvrables, ont été
octroyés aux ouvriers et employés. Les lois sur les congés
payés annuels et la réduction de la semaine à quarante
heures ont entraîné le basculement irréversible des loisirs
de la vie privée dans l'ordre public. Cependant, en l'absence d'une
culture de loisirs, le nombre de départs réels en vacances des
Français, en août 1936, a dépassé à peine
celui des années précédentes. La majorité des
salariés n'est pas parvenue à occuper et à penser le temps
hors du travail.
Les syndicats et les associations se sont mobilisés
pour organiser les congés des ouvriers et pour les mettre à la
portée de leurs budgets. Créés le 22 février 1945,
les comités d'entreprise (CE) ont joué un rôle
déterminant dans l'histoire des loisirs.
Durant ces années de forte expansion, de nombreuses
associations, de la loi 1901, ont proposé à leurs
adhérents des loisirs économiques conçus en concertation
avec les CE, les CAF ou les municipalités. Ce tourisme social a
familiarisé avec les loisirs des salariés qui jusqu'ici en
étaient privés. Ces associations ont opposé
idéologiquement leur mission de service public à la loi du profit
des agences commerciales.
Durant les « Trente glorieuses », les
Français ont découvert les loisirs de la consommation et les
vacances sont entrées dans les cycles de la mode. Les ouvriers ayant
préféré, dans un premier temps, dépenser dans
l'aménagement de leur logement, leur besoin de partir ne s'est ressenti
qu'après 1960. En 1974, près de 50% des Français partaient
en vacances d'où un mouvement qualifié de masse.
Aujourd'hui, le temps libre quotidien est en moyenne proche
de sept heures37(*), soit
une durée équivalente à celle du travail. L'effet de la
réduction du temps de travail à 35 heures hebdomadaires sur le
temps de loisir est très important pour les actifs.
4.3/ L'évolution des loisirs dans les
mentalités
Les Français ressentent une insatisfaction croissante
par rapport au monde actuel et une angoisse à l'égard de son
avenir. C'est sans doute pourquoi ils recherchent dans leurs loisirs des
occasions de substituer le rêve à la réalité. Le
temps libre permet de faire ce que l'on aime, ce qui n'est pas toujours
possible dans le cadre de l'activité professionnelle. Le
développement personnel constitue ainsi une motivation croissante
à la fois pour les actifs et les inactifs. La pratique du sport
s'inscrit dans cette démarche. L'objectif poursuivi n'est pas de
réaliser des performances, mais de rester en forme, de vivre mieux et de
vieillir moins vite.
La vocation des loisirs n'est pas seulement individuelle.
Beaucoup sont porteurs de convivialité et de solidarité. Ainsi,
le temps consacré à la famille et aux amis s'est accru avec la
mise en place de la réduction du temps de travail.
La société judéo-chrétienne
mettait en exergue l'obligation de chacun de « gagner sa vie à
la sueur de son front » pour avoir droit ensuite au repos, forme
première du loisir. L'individu se devait d'abord à sa famille,
à son métier, à son pays, après quoi il pouvait
penser à lui-même. Les générations les plus
âgées sont encore marquées par cette notion de
mérite, pour elles indissociable de celle de loisir. Mais les plus
jeunes considèrent le loisir comme un droit fondamental. Plus encore,
peut-être, que le droit au travail, puisqu'il concerne des aspirations
plus profondes et personnelles. On peut d'ailleurs observer que le droit de
s'amuser est beaucoup mieux respecté que celui de travailler, dans la
mesure où plusieurs millions de Français ne disposent pas d'un
emploi. Le loisir occupe aujourd'hui une place d'autant plus grande dans notre
société puisqu'il a bénéficié, au cours des
décennies passées, du très fort accroissement du temps
libre et celui du pouvoir d'achat.
4.4/ Les aides financières
Aujourd'hui, les CAF ainsi que les comités
d'entreprise peuvent aider les familles à accéder aux loisirs
et aux vacances.
Le comité d'entreprise assure ou contrôle
la gestion de toutes les activités sociales et culturelles
établies dans l'entreprise prioritairement au bénéfice des
salariés et de leurs familles ou participe à cette gestion, quel
qu'en soit le mode de financement. Cependant, le financement des
activités sociales et culturelles par les employeurs n'est pas
assuré pour tous les comités. Ainsi, même si il existe un
CE dans l'entreprise des personnes remboursant un plan conventionnel,
l'accès aux loisirs n'en est pas obligatoirement facilité.
En ce qui concerne le temps libre, quatre dispositifs
principaux de financement aux institutions existent :
o Les contrats éducatifs locaux (CEL),
dispositif contractuel entre l'Etat et les communes, qui vise à
favoriser l'accès aux loisirs de proximité ;
o Le contrat loisirs, aujourd'hui,
contrat temps libre. Un contrat d'une durée de trois
ans renouvelable est signé entre les CAF et les communes pour des
activités accessibles en priorité aux familles et aux jeunes les
moins favorisés.
o Le contrat enfance, propose des
activités extra-scolaires aux enfants de moins de 6 ans ;
o Le contrat jeunesse et sports,
destiné à améliorer l'accès des jeunes aux
équipements et activités de sport et de culture.
Toutes ces aides s'adressent aux familles les moins
favorisées. Cependant, pour les salariés remboursant un plan
conventionnel de redressement, ces aides ne leur sont pas accessibles.
Pour les vacances des familles, nous avons les
chèques vacances qui sont des titres de paiement
garantis qui permettent de régler de multiples prestations de loisirs
sur le territoire national : hébergement, restauration, transports,
activités culturelles et de loisirs. Les chèques vacances peuvent
être distribués par les employeurs privés, les
comités d'entreprise, les collectivités territoriales et la
fonction publique. Les chèques vacances sont administrés par
l'Agence Nationale des Chèques Vacances (ANCV).
Nous avons également les Bons
vacances, accordés par les CAF pour les vacances. Ces aides
sont délivrées à partir de critères liés au
revenu des ménages.
Au niveau des loisirs, nous avons une offre diversifiée
dans ce domaine. Nous allons présenter les prestations les plus
significatives. Nous avons donc le contrat jeunes qui
complète le contrat enfance, destiné aux enfants de moins de 6
ans propose des activités extra-scolaires.
Le programme ville vie vacances (VVV) vise
à favoriser l'accès aux vacances des jeunes issus des quartiers
difficiles.
Le ticket loisir est un remboursement ou une
avance sur les dépenses de loisirs des familles qui touchent des
prestations d'allocation familiale.
Le ticket sport permet l'ouverture pendant
les vacances des installations sportives pour les enfants qui ne partent
pas.
Le passeport loisirs jeunes est
accordé dans certaines communes aux jeunes dont la famille
bénéficie de bons vacances, pour une activité dans une
association sportive ou culturelle.
5/ La loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet
1998
La loi du 29 juillet 1998 est née de la volonté
du gouvernement de prendre en compte l'exigence de solidarité
exprimée par les concitoyens. Des mesures existent désormais
destinées à garantir l'accès à l'emploi, aux soins,
au logement, à la culture...mais aussi à prévenir toutes
les formes d'exclusion, à mieux répondre à l'urgence
sociale, à coordonner l'action de tous les intervenants.
Comme le mentionne l'article 140 de la loi du 29 juillet 1998,
« l'égal accès de tous, tout au long de la vie,
à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux
loisirs, constitue un objectif national. Il permet de garantir l'exercice
effectif de la citoyenneté ».38(*)
Pratiquer un sport, une activité artistique,
fréquenter une bibliothèque, partir en vacances... autant de
besoins qui, s'ils ne présentent pas a priori un caractère de
première nécessité, doivent être satisfaits à
l'égard de tous. Etre « bien dans sa peau », se
détendre, s'ouvrir aux autres, c'est aussi un moyen de faire face
à l'exclusion. L'accès aux loisirs et à la culture sont
ainsi des droits importants favorisant l'épanouissement des individus,
notamment les plus jeunes, et leur participation pleine et entière
à la vie sociale. La loi du 29 juillet 1998 affirme le droit des plus
démunis dans ce domaine, organise sa mise en oeuvre dans le cadre de
programmes spécifiques et assure les moyens de son exercice.
PARTIE II : ENQUETE DE TERRAIN
I/ Méthodologie de l'enquête
1/ Préambule
Pour vérifier mon hypothèse, j'ai choisi de
m'entretenir avec différents professionnels et avec le public
concerné. Il m'a semblé opportun de rencontrer des travailleurs
sociaux, composés d'assistants de service social (AS) et de
conseillères en économie sociale et familiale (CESF), ainsi
qu'une personne de la Banque de France. Ces différents acteurs sont de
formations initiales diverses et interviennent auprès des personnes
surendettées dans des secteurs variés. Ceci m'a permis de
confronter leur point de vue, selon leurs missions et les
caractéristiques du public qu'ils rencontrent, afin de comprendre
comment ils accompagnent celui-ci. J'ai souhaité rencontrer des usagers
dans le but de comprendre la manière d'utiliser le forfait
« alimentation, hygiène, habillement » appelé
reste à vivre. Ceci m'a également permis de vérifier si
ces familles s'auto-excluent et pourquoi.
2/ L'enquête
2.1/ Phase exploratoire, de recherche
Dans mes recherches sur ce sujet, les ouvrages que j'ai pu
consulter m'ont apporté toutes les connaissances nécessaires sur
le traitement des situations de surendettement, sur les causes possibles de
celui-ci, mais également la législation relative au
surendettement, ainsi que les moyens mis en place. Mais peu abordaient les
conséquences du plan conventionnel de redressement sur les personnes et
de la façon de vivre avec le forfait, le « reste à
vivre ». Je n'ai trouvé aucun ouvrage traitant des facteurs
possibles d'exclusion de l'accès aux loisirs de ces personnes.
C'est donc à des professionnels que je me suis
adressé. Ces entretiens exploratoires39(*) m'ont permis de me rendre compte que le plan
conventionnel de redressement avait des conséquences sur les familles
concernées. Afin d'approfondir ce premier constat, j'ai orienté
ma recherche exploratoire vers le public, dans le but de confirmer ou infirmer
ce constat. Le questionnaire40(*) m'a permis de comprendre que le mode de vie des
familles, après la mise en place du plan conventionnel, était
complètement modifié.
Toutes ces recherches m'ont apporté de nombreux
paramètres et ont soulevé des questionnements concernant cet
aspect assez peu étudié. Ces apports théoriques m'ont
permis de comprendre que malgré l'accompagnement fait lors de la mise en
place du plan conventionnel, et les bienfaits que ce plan engendre, il est
difficile pour ces personnes d'accéder aux loisirs pour plusieurs
raisons qui diffèrent selon les situations vécues.
Il me paraissait également judicieux d'évoquer
le processus de mise en place de cette exclusion et d'étudier plusieurs
concepts théoriques pour pouvoir comprendre ce qui pouvait entraver le
mieux-être des personnes après la mise en place du plan mais
également favoriser le sentiment d'exclusion de l'accès aux
loisirs.
2.2/ Phase de vérification, d'analyse
a) L'échantillon
Au début de ma recherche, les entretiens exploratoires
auprès de deux conseillères en économie sociale et
familiale m'ont permis d'obtenir les coordonnées de différents
professionnels intervenant auprès de personnes surendettées. Je
les ai tout d'abord contactés par téléphone pour convenir
d'une rencontre. Nos échanges se sont déroulés sur leur
lieu de travail.
J'ai ainsi rencontré :
v Deux assistantes de service social, Mme M. et Mme N.,
employées par le Département.
v Six conseillères en ESF, intervenant dans des
secteurs d'activités différents :
- une CESF intervenant dans un CCAS, nommée Mme G.
- deux CESF d'une antenne sociale de la CAF, nommées
Mme H. et Mme I.
- une CESF d'une association, nommée Mme J.
- deux CESF, employées par le Département, et
exerçant sur des territoires très étendus, nommées
Mme K. et Mme L.
v Un responsable adjoint du service surendettement de la
Banque de France
En ce qui concerne le public, il m'était difficile de
le rencontrer. Une conseillère en ESF m'a alors proposé de me
mettre en relation avec les personnes qu'elle a en suivi, après les
avoir sensibilisées à mon thème de recherche. Cette
étape a été longue, près de trois mois. Certaines
personnes ont ainsi accepté de répondre à mon
enquête. La CESF m'a alors transmis leurs numéros de
téléphone afin de convenir d'une rencontre. J'ai proposé
aux personnes de les rencontrer dans les centres médico-sociaux, afin de
favoriser leur mise en confiance. Ces lieux sont, pour elles, connus et
neutres. En effet, les CMS m'ont semblé être les lieux les plus
adaptés.
J'ai rencontré six personnes, avec la
caractéristique commune de rembourser un plan conventionnel de
redressement :
v Une personne veuve, sans emploi, nommée Mme A.
v Un couple avec enfants, exerçant une activité
professionnelle, nommé Mr et Mme B.
v Une personne seule, avec enfants, exerçant une
activité professionnelle, nommée Mme C.
v Un couple de retraités, bénéficiaire
d'une aide alimentaire, nommé Mr et Mme D.
v Un couple avec enfants, sans emploi,
bénéficiaire d'une aide alimentaire, nommé Mme E.
v Une personne seule, sans enfants,
bénéficiaire d'une aide alimentaire, nommée Mr F.
Je me suis attaché à avoir un panel
représentatif de la population des surendettées, défini
dans la première partie. J'ai donc tenté d'avoir le point de vue
de personnes seules avec et sans enfants, personnes retraitées, couple
avec et sans enfants, et des personnes bénéficiaires d'une aide
alimentaire. J'ai ainsi recueilli trois témoignages de personnes
bénéficiaires d'une épicerie sociale et trois autres non
bénéficiaires. La commune où résident ces
dernières n'offre pas la possibilité de bénéficier
de ce type d'aide. Ce n'est donc pas par choix ni par honte que celles-ci ne
sont pas bénéficiaires d'une épicerie sociale.
Je me suis engagé à préserver l'anonymat
de chacun. Je les nommerai donc par une lettre pour faciliter la lecture.
b) L'élaboration des outils
Mon enquête s'est appuyé sur deux grilles
d'entretien41(*) dont les
questions suivent une liste de thèmes.
Pour la grille destinée aux professionnels :
v La définition du surendettement actif et passif,
v Les facteurs d'exclusion de l'accès aux loisirs,
v L'accompagnement de ces personnes par les
professionnels,
v Les actions possibles auprès de ce public.
Pour la grille destinée au public :
v Les impressions ressenties lors du dépôt du
dossier et de la mise en place du plan conventionnel,
v Les représentations du forfait
« alimentation, hygiène, habillement »,
v La manière de dépenser ce forfait,
v La place des loisirs et des vacances dans le
fonctionnement familial,
v L'auto-exclusion.
Lors des échanges, j'ai utilisé le principe des
entretiens semi-directifs. J'ai prévu des questions ouvertes pour
laisser les professionnels et le public s'exprimer librement. En ce qui
concerne le responsable adjoint du service surendettement de la Banque de
France, les questions relatives à l'exercice des travailleurs sociaux ne
pouvaient être posées. J'ai donc dû apporter des ajustements
à ma grille d'entretien.
Les entretiens ont duré entre trente minutes et deux
heures. Cela peut notamment s'expliquer par la connaissance du sujet par les
professionnels. Chacun d'entre eux s'est montré très disponible
et agréable, ce qui a favorisé nos échanges. Les personnes
rencontrées n'avaient connaissance que du thème de ma recherche
car je n'ai pas voulu induire leurs réponses. J'ai par ailleurs
été amené à poser des questions plus
précises selon les réponses apportées par les
professionnels.
Les entretiens avec le public ont duré, quant à
eux, une heure et demi en moyenne. Les personnes ne connaissaient, eux aussi,
que le thème de ma recherche pour ne pas les influencer dans leurs
réponses. Avec leur autorisation, j'ai pu enregistrer nos entretiens, ce
qui m'a permis d'être plus disponible dans l'échange et de
rebondir sur certaines réponses.
c) Les difficultés rencontrées
Plusieurs complications sont apparues. Certains
professionnels ont évoqué l'accès aux loisirs dès
les premières questions, ce qui faisait l'objet des questions suivantes.
Néanmoins, je n'ai pas réajusté ma grille d'entretien avec
les professionnels suivants pour ne pas fausser les résultats.
Avec le public, ma première difficulté a
résidé dans ma présentation lors du premier échange
téléphonique. J'avais préparé et soigné ma
présentation afin de mettre la personne en confiance. Cependant, lors du
premier entretien téléphonique mené, ma
présentation a été laborieuse : ma voix tremblait,
était monotone. J'ai alors décidé
d' « oublier » ma présentation et de contacter
les autres personnes spontanément. Cette technique m'a permis
d'être plus à l'aise.
Une personne est venue après trois rendez-vous
manqués. Dans un premier temps, j'ai pensé que celle-ci avait
renoncé à répondre à mon enquête, et ne
savait pas comment me l'annoncer. Cependant, l'entretien a duré
près de 2h30, ce qui montre qu'elle ne s'est pas obligée à
venir me rencontrer. Il est possible que cette entrevue lui ait fait peur. A
l'issue de l'entretien, j'ai compris pourquoi cette personne a, dans un premier
temps, fui la rencontre. Je pense que ce n'était pas le thème de
notre rencontre qui effrayait Madame, mais plutôt le fait que je sois un
homme. En effet, lors de l'entretien, elle m'a fait part de la violence
conjugale subie pendant plusieurs années, et depuis la
séparation, de ses difficultés à entretenir toute relation
avec un homme.
d) Méthodologie de l'analyse
Pour cette recherche, les professionnels et les personnes
interrogés ont accepté que je retranscrive
l'intégralité des entretiens. J'ai ainsi pu décortiquer
les réponses apportées à mes questions. J'ai
élaboré une grille d'analyse me permettant de reprendre leurs
propos à chacune de mes questions, y compris lorsque des relances ont
été nécessaires. Je suis donc parti du discours de chaque
personne pour essayer de confronter les correspondances de discours et les
particularités.
Par ailleurs, lors de la retranscription des entretiens, j'ai
essayé de rester le plus objectif possible pour ne pas
interpréter les points de vue des personnes rencontrées. Je tiens
également à préciser que le nombre de personnes
enregistrées est restreint, les conclusions de mon analyse sont donc
à relativiser.
II/ Analyse thématique
Dans cette partie, je présenterai successivement les
thèmes découlant de mon enquête.
1/ Le surendettement actif et passif
1.1/ Définition
a) Le surendettement passif
Le responsable adjoint du service surendettement de la Banque
de France reprend la définition de la loi :
v « Ce sont les personnes victimes d'accident
de la vie, qui sont à un moment donné salariées et qui ont
contracté plusieurs crédits mais qui pour autant étaient
tout à fait aptes à y faire face et où il n'y avait aucun
excès. Ou les gens, qui n'ont pas forcément de crédit et
qui vont se retrouver dans une situation de non emploi. »
En règle générale, les professionnels
interrogées considèrent que le surendettement passif est
lié à une baisse des ressources, rendant difficile le
règlement des charges :
v Mme M., AS : « le surendettement passif
concerne les familles victimes d'un accident de la vie, comme un
décès du conjoint par exemple ou un divorce. Les gens se
retrouvent avec moins de ressources qu'ils n'avaient auparavant et ne peuvent
plus régler leurs charges courantes. »
v Pour Mme K., CESF au Département, le surendettement
passif « est lié à des revenus minimums qui font
que les charges courantes ne peuvent être
réglées. »
L'ensemble des professionnels semblent donc s'accorder sur la
définition du surendettement passif. Pour eux, il est la
conséquence d'une baisse des ressources en raison d'un accident de la
vie. Ils estiment également qu'ils ne sont pas responsables de leur
surendettement.
b) Le surendettement actif
L'ensemble des professionnels rencontrés
définissent le surendettement actif comme un cumul de
crédits :
v Mme M., AS : « Ce sont les familles
multipliant les crédits, les familles qui se sentent bien ou qui
existent lorsqu'elles consomment. »
v Mme K., CESF : « On a accumulé
les dettes, les crédits pour différentes
raisons. »
v Pour Mme H., CESF, ce surendettement est dû à
« des problèmes de consommation pour des crédits
voiture, équipement du logement. La grande facilité à
acquérir des cartes de crédit permanent amènent les
personnes a en avoir souvent plusieurs. Ils ne font pas toujours de gros achats
mais ces cartes leur permettent d'augmenter leur train de
vie. »
v Mme I., CESF : « On a affaire à
des ménages qui ont un mode de vie en inadéquation avec leurs
ressources. »
Pourtant, pour Mme L., CESF, la distinction entre actif et
passif n'est pas si claire. Elle pense que nous ne pouvons pas parler d'une
démarche volontaire : « je ne suis pas trop pour la
notion de passif et d'actif, parce que les gens, même s'ils n'ont pas
contracté de crédit, ils sont inscrits dans une
société de consommation (...) Nous avons essayé, avec nos
collègues AS, de décrypter plusieurs situations familiales et on
a essayé de cadrer les gens dans l'actif ou le passif (...)
C'était pas aussi net que ça, enfin vraiment, c'est pas aussi
simple que ça. »
Pour illustrer le point de vue des travailleurs sociaux, il
est intéressant d'analyser l'opinion du responsable adjoint du service
surendettement de la Banque de France sur cette question. Celui-ci distingue le
surendettement « actif » du surendettement
« organisé ». Pour lui, l'actif est
« une personne qui se met en situation de surendettement, soit en
prenant des crédits ou en vivant au-dessus de ses
moyens. » Il explique que, dans ces situations, la notion de
bonne foi est prise en compte en raison de la fragilité des
personnes :
v « Les gens qui sont entrés dans ce
processus, certes on peut leur reprocher en disant qu'ils ont été
un peu légers, inconscients ou inconsistants, mais pour autant, ils ont
peut-être cédé (...) Ca paraîtrait un peu aberrant
d'évoquer la mauvaise foi et ne pas les prendre. »
Il est possible de faire le lien avec les réponses
apportées précédemment. Le surendettement actif ne
paraît donc pas être le résultat d'une démarche
consciente, mais au contraire, d'un évènement, favorisant
l'état d'endettement de certaines personnes.
Pour définir le surendettement volontaire, la Banque de
France emploie la notion de surendettement
« organisé », c'est-à-dire, que :
v « Les gens vont volontairement s'endetter,
souscrire plusieurs crédits en se disant « je souscris
à des taux à 18% » en voyant un très grand
intérêt dans le dépôt du dossier où ils auront
des taux très compétitifs. »
Dans ces cas, il indique que la notion de mauvaise foi est
prise en compte.
Ainsi, contrairement au « passif », la
définition du surendettement « actif » semble
être controversée.
1.2/ Conséquences sur l'utilisation du
« reste à vivre »
L'ensemble des professionnels s'accordent à dire que
les personnes surendettées passivement ont plus de facilité
à utiliser le reste à vivre laissé par la Banque de
France :
v Mme M., AS : « Les personnes
surendettées passivement, avant de déposer un dossier, n'avaient
plus cette somme mensuelle disponible pour faire face à leurs besoins.
(...) Dans le surendettement actif, les personnes doivent faire un travail de
réflexion sur elles-mêmes, sur leurs modes de
consommation. »
v Le responsable adjoint du service surendettement de la
Banque de France : « C'est clair que ceux qui avaient un
fort train de vie ont beaucoup plus de mal à vivre avec le forfait, le
reste à vivre, que les personnes surendettées passivement. C'est
beaucoup plus difficile. Il faudra plus de temps pour s'y habituer et apprendre
à le gérer. »
L'utilisation du reste à vivre serait donc
différente selon l'origine du surendettement. Il apparaît
important d'analyser les représentations du reste à vivre par les
familles surendettées.
2/ Les représentations du « reste
à vivre »
La majorité des personnes interrogées ont
longuement réfléchi avant de répondre à ma
question : « Que signifie le reste à vivre pour
vous ? »
Pour elles, il existe un décalage entre la
définition faite par la Banque de France et la
réalité :
v Pour Mme B. : « Le reste à
vivre, en principe, c'est alimentation, hygiène et habillement. Pour la
Banque de France, c'est suffisant mais dans la réalité, c'est
dur, c'est différent. En réalité, c'est plutôt
alimentation et hygiène, et encore, il faut se limiter au
minimum. »
v Mr et Mme D. : « Le reste à
vivre, c'est ce qu'il nous reste quand on a tout payé. Ben c'est pas
grand-chose, même si pour la Banque de France, c'est
assez. »
v Mme A. : « Je ne sais pas ce que
ça signifie exactement car normalement, le reste à vivre, c'est
un forfait qui doit nous permettre de subvenir à nos besoins, mais en
réalité, c'est différent. J'ai eu des réparations
de voiture, mais que voulez-vous que je fasse avec 200 euros par
mois ? »
Pour certaines personnes, ce forfait est mal
vécu :
v Mme A. : « Ce forfait représente
beaucoup de restriction. Pour la Banque de France, on doit y arriver. C'est
peut-être moi qui ne sais pas gérer. De toute façon, je
n'avais qu'à ne pas faire de bêtises. »
v Mr et Mme D. : « Avec ce forfait
imposé, car on nous l'impose, on a l'impression d'être des
gosses ! On sait gérer notre budget vous savez, et , même si
le dossier nous a aidé et surtout soulagé, on n'aurait pas
réparti notre argent comme ça, car là, heureusement qu'on
a l'épicerie sociale, sinon je me demande comment on
ferait. »
Pour d'autres, la question est moins
tranchée :
v Mme E. : « Pour moi, c'est quand
même rassurant de savoir qu'il nous reste tant par mois mais si je
n'avais pas accès à l'épicerie sociale, je serais pas bien
dans mes baskets, car là, ça me permet de pouvoir faire plaisir
à mes enfants, alors que sans cette aide, ce serait plus
restreint. »
v Mme C. : « D'un côté,
c'est rassurant mais c'est aussi source de restrictions, car ce n'est pas
assez. Pour vivre comme il faut, du moins pour manger comme il faut, il me
faudrait plus. »
v Mr F. : « Ben, c'est vrai que pour moi,
c'est les deux. J'aime pas faire les comptes, donc c'est rassurant de savoir
qu'il me reste la même somme d'argent chaque mois. Mais d'un autre
côté, tous les mois c'est la même somme et je suis
obligé de me restreindre. Je ne peux pas me dire, tiens ce mois-ci je
fais ci, ou ça, parce que tout est compté et tous les mois c'est
pareil. »
v Pour Mme B., il semblerait que bien que le reste à
vivre soit rassurant, il est également néfaste :
« Ben rassurant, je ne sais pas trop. C'est vrai qu'avec le plan,
c'est très clair mais c'est dur quand même, on ne peut même
pas partir en vacances. Ca fait 4 ans qu'on ne gère pas nous même
et ça, c'est dur pour moi. (...) On avait un train de vie quand
même élevé. C'est pour ça, le reste à vivre,
on a eu beaucoup de mal, c'était horrible. »
Il semblerait donc que le fait d'avoir un budget
préétabli soit rassurant pour ces personnes. Néanmoins, ce
forfait est source de restrictions et peut infantiliser certaines personnes qui
ont des difficultés à accepter qu'un budget leur soit
imposé. De par cette proposition de budget, certaines personnes ont le
sentiment de ne plus rien gérer, de ne plus gérer
elles-mêmes leur budget.
Le témoignage de Mme B. confirme les propos du
responsable adjoint du service surendettement de la Banque de France. Il
semblerait donc que les personnes surendettées activement, ayant eu un
train de vie assez confortable, aient plus de difficultés à
s'accommoder le « reste à vivre ».
Nous allons analyser les facteurs d'exclusion d'accès
aux loisirs.
3/ Les facteurs d'exclusion de l'accès aux
loisirs
Ces différents facteurs peuvent être facilitant
ou limitant par rapport à l'accès aux loisirs.
3.1/ Les facteurs limitant
a) Une capacité d'épargne
La capacité d'épargne représente un
atout majeur dans l'accès aux loisirs. L'enquête a
révélé que 4 personnes sur 6 avaient réussi
à se constituer une petite épargne. Cependant, seule une personne
possède une épargne sans être bénéficiaire de
l'épicerie sociale. Celle-ci est la seule à avoir
déposé un dossier de surendettement suite à une baisse de
ressources. Nous pouvons donc d'ores et déjà affirmer que l'aide
alimentaire augmente les possibilités d'épargner.
Les raisons évoquées pour justifier l'absence
d'une épargne sont identiques :
v Mme B. : « Non, je ne peux pas, je
n'ai pas assez d'argent. »
v Mme C. : « Non, pas du tout, par manque
de moyens financiers. »
Cependant, il semblerait que les sommes
épargnées ne soient pas consacrées aux loisirs :
v Mme A. : « Oui, j'essaie de mettre 15
euros par mois. Je veux qu'ils soient prélevés directement mais
je ne veux pas y toucher, car si je commence à taper dedans, j'aurais du
mal à les remettre. »
v Mr et Mme D. : « Ben on met de temps en
temps. Ca varie en fonction de nos dépenses, mais souvent on essaie de
mettre 30 euros. C'est une poire pour la soif. »
v Mme E. : « Je mets 30 euros tous les
mois sur un livret. Je fais comme si je ne les avais pas. On ne sait jamais
quelle galère il peut encore m'arriver. »
v Mr F. : « Je m'oblige à mettre
au moins 20 euros. Comme ça, si j'ai des frais de voiture, je pourrais
dormir tranquille. »
Nous pouvons voir ici que les sommes sont nettement
supérieures pour les personnes bénéficiant d'une aide
alimentaire. La crainte d'un imprévu est la raison principal de la
constitution d'une épargne.
La capacité d'épargne est donc un facteur
limitant l'accès aux loisirs. Même si elle est envisageable, elle
reste néanmoins assez faible et ne permet pas aux personnes de la
consacrer aux loisirs.
b) Le traumatisme causé par le dossier de
surendettement
Les conséquences du dossier de surendettement sur les
personnes est un thème récurrent lors de mes entretiens. Il est
intéressant de constater l'ambivalence des réactions. En effet,
toutes les personnes interrogées s'accordent à dire que le
dépôt du dossier et la mise en place du plan conventionnel ont
été un soulagement :
v Mme A. : « le dossier nous a
soulagé. On n'y arrivait plus, on était coincé. Avec le
dossier, il n'y avait plus de harcèlement donc moins de
problèmes. »
v Mme C. : « oui, le dossier m'a
soulagé. Je ne dormais plus, j'avais peur d'aller ouvrir la boîte
aux lettres. J'étais harcelée (...) même la nuit (...)
C'était pas facile de dire aux gens « j'ai besoin
d'argent » (...) Dès le dépôt, je n'étais
plus harcelée donc j'étais bien (...) Je peux dormir
tranquille. »
Cependant, il semble que le dossier de surendettement soit
traumatisant :
v Mr F. : « le dossier de surendettement
est la pire chose qui pouvait m'arriver. Je suis marqué à vie et
je souhaite à personne de vivre ça. »
v Mme B. : « j'ai très mal,
très très mal vécu le dépôt du dossier.
J'avais l'impression d'être traitée comme quelqu'un qui a commis
un crime. »
v Mr et Mme D. : « le dépôt
était très difficile car ça veut dire aussi qu'on n'a pas
géré, qu'on est nul. Et vous savez, à notre âge,
c'est difficile à encaisser. On a vraiment eu l'impression d'être
des gosses et qu'on nous avait surpris en train de faire des bêtises.
C'est vraiment humiliant. »
v Mme E. : « j'ai été
rassurée, c'est sûr, mais vis-à-vis de mes enfants, c'est
dur (...) C'est dur de se dire on dépose un dossier de surendettement,
ça veut dire qu'on n'a pas su jouer notre rôle de père et
de mère de famille. »
Le dossier de surendettement, de par son image
négative, est un facteur limitant l'accès aux loisirs.
v Mme B. : « on a mal géré
donc il faut assumer, c'est comme ça (...) Quand on a
déposé un dossier, il faut se dire « restrictions,
restrictions », il faut assumer. »
v Mr F. : « avec le dossier, on n'ose
plus rien faire, ça nous refroidit ! »
v Mr et Mme D. : « avant le dossier, on a
mangé le pain blanc, maintenant, on mange le pain
noir. »
v Mme A. : « depuis que j'ai un dossier
de surendettement, j'évite les sujets sur l'argent. J'écoute mais
je ne participe pas. A quoi bon parler argent alors que j'en n'ai pas. Mais en
même temps, je n'avais qu'à pas faire des crédits.
Maintenant, les dépenses, c'est en stand-by. »
v Mme E. : « même si
l'épicerie sociale me permet quand même de faire un peu plaisir
à mes enfants, depuis le dossier de surendettement, j'ai du mal à
me dire que j'ai le droit de dépenser. J'ai toujours l'impression que
quand je dépense un peu, c'est mal car j'ai des dettes à
rembourser, un dossier de surendettement sur le dos. »
v Mme C. : « si j'en suis là,
c'est de ma faute (...) Je ne peux pas me permettre de dépenser 50 euros
dans les sorties (...) C'est mes bêtises donc c'est
normal. »
Après avoir évoqué les facteurs limitant
l'accès aux loisirs, nous allons voir les facteurs facilitants.
3.2/ Les facteurs facilitant l'accès aux
loisirs
a) Une gestion rigoureuse du budget
Il semblerait que le dossier de surendettement et surtout
l'accompagnement proposé par les professionnels favorisent une gestion
plus saine du budget. Comme le souligne Mme M., AS, « souvent le
plan conventionnel donne un cadre à la famille. »
Même si, comme nous l'avons montré
précédemment, certaines personnes interrogées estiment que
le plan conventionnel les infantilisent, toutes s'accordent à dire que
le budget est plus contrôlé, mieux géré.
v Mme B. : « je fais mes comptes
maintenant, c'est très sérieux. »
v Mme A. : « même si c'est dur,
avec le plan c'est quand même plus clair et du coup, on gère mieux
car on n'a plus à jongler avec les
créanciers. »
v Mr et Mme D. : « on a un cahier et on
note tout même si il n'y a pas grand-chose à
noter ! »
v Mme E. : « avec le plan, c'est plus
clair. Le plus dur, c'est les charges qui varient tout le temps. Du coup, on
calcule tout, tout le temps (...) Même si c'est dur, je fais plus souvent
mes comptes qu'avant, je contrôle plus mon compte. »
v Mr F. : « depuis que j'ai un dossier de
surendettement, j'ai appris à compter. »
v Mme C. : « je fais mes comptes (...) Je
calcule tout, j'ai appris à compter (rires) (...) Il faut
calculer. »
La gestion du budget est beaucoup plus rigoureuse. Celle-ci
semble être un atout majeur dans l'accès aux loisirs.
b) Un rapport à la consommation qui change
Pour certains professionnels, le dossier de surendettement
permet aux personnes de prendre conscience de la situation et les amène
à un rapport à la consommation qui change.
v Mme L., CESF : « en présentant
leur dossier à la Banque de France, il y a une prise de conscience
précise de la situation financière. »
v Mme K., CESF : « le dossier de
surendettement permet, sur le long terme, d'amener un rapport différent
à la consommation. On peut pointer les choix de consommation. Les
familles vont avoir un regard différent sur les crédits, sur la
consommation de manière générale. »
Ces remarques sont confirmées par les personnes
interrogées :
v Mr F. : « les crédits, c'est
fini ! »
v Mme E. : « je ne veux plus qu'on me
parle de crédit. »
v Mr et Mme D. : « on est un peu
dégouté de tout. Maintenant, on a vieilli, on a
réfléchi et on a changé. »
v Mme A. : « après le plan, on va
faire attention, on va redépenser, mais pas trop. Je vais être dur
envers moi-même. Je ne veux pas retomber dans l'extrême. Ca m'a
servi de leçon. Vaut mieux avoir des sous de
côté. »
v Mme B. : « je dois jongler. Par
exemple, aux soldes, j'ai diminué mon budget alimentation pour pouvoir
m'acheter des choses. Maintenant, j'essaie de choper les bonnes
affaires. »
v Mme C. : « il faut toujours trouver des
moyens de payer moins cher (...) Si je veux m'habiller, oui je gratte
ailleurs. »
Ces témoignages nous montrent bien que les personnes
ont une vision négative des crédits à la consommation. Le
rapport à la consommation est modifié, les personnes craignant de
retomber dans la spirale du surendettement.
Cette modification du rapport à la consommation permet
ainsi aux personnes d'être moins vulnérables face aux
sollicitations permanentes de la société dite de
« consommation ». Ce point constitue un facteur facilitant
essentiel dans l'accès aux loisirs.
D'autres facteurs facilitant, facteurs externes, peuvent
favoriser l'accès aux loisirs des familles : ce sont les aides
financières.
3.3/ Reste à vivre : facteur
d'exclusion ?
a) Alimentation, hygiène et habillement
Le responsable adjoint du service surendettement de la Banque
de France reconnaît que « le reste à vivre ne laisse
pas faire d'extras, on ne peut pas faire de folies ». Mais selon
lui, « chacun est satisfait ». Il justifie le
montant du reste à vivre en disant qu' « on ne peut pas
dire aux créanciers, « voilà, les gens sont
surendettés, ont des crédits, mais on va vous demander de faire
des efforts parce qu'ils ne peuvent pas vous rembourser plus que ça. On
a fait un bilan global, on a ça à disposition, vous êtes
tant à vouloir récupérer votre argent, donc on va faire un
prorata entre vous, on va réduire les taux
d'intérêts ». On ne peut pas dire aux créanciers
qu'on laisse aux débiteurs avoir canal +, avoir ceci, avoir cela, qu'ils
partent en vacances. Nous ne pouvons pas dire ça, ça paraît
logique. C'est vrai que le reste à vivre est un faible montant mais
c'est une question de gestion de budget. »
Les travailleurs sociaux estiment que ces personnes sont
confrontées à un budget tellement serré que la moindre
dépense inattendue le déstabilise.
v Mme G., AS : « il serait
intéressant de se pencher sur le reste à vivre que laisse la
Banque de France à des familles qui sont déjà dans
l'obligation de restreindre leur mode de vie et qui ne peuvent faire face aux
imprévus. »
v Mme M., AS estime qu'il est « insuffisant,
notamment par rapport aux loisirs et aux tentations permanentes de la
société de consommation. »
v Mme K., CESF : « le reste à
vivre, c'est alimentation, hygiène et habillement. C'est assez clair.
Pour moi, il est insuffisant même si il a été
augmenté, ce qui est déjà une très bonne chose. Et
puis, l'appellation de ce forfait ne fait pas apparaître le terme loisir
ou vacance ou argent de poche. Cette nomination signifierait donc que lorsqu'on
est surendetté, on a droit à l'alimentation, l'hygiène et
l'habillement, rien de plus. Pour moi, c'est assez
révélateur. »
Le terme forfait « alimentation, hygiène,
habillement » semblerait donc être un frein à
l'accès aux loisirs et de ce fait, facteur d'exclusion. L'appellation de
ce forfait exclurait d'elle-même de l'accès aux loisirs et aux
vacances. Mais le point de vue des travailleurs sociaux rejoint-il celui des
personnes surendettées ?
b) Montant suffisant pour les familles ?
L'ensemble des personnes interrogées estiment que le
forfait « alimentation, hygiène, habillement » est
insuffisant.
v Mme C. : « après les
prélèvements, il ne me reste que très peu d'argent (...)
Je ne fume pas, je ne bois pas, je ne sors pas. (rires) »
v Mme A. : « le loisir, avec le reste
à vivre, on ne peut pas toujours se le permettre. C'est vraiment
limité. »
v Mr F. : « ben, avec le forfait qu'on me
laisse, j'ai du mal à joindre les deux bouts. C'est pas
assez. »
v Mr et Mme D. : « on n'a pas de loisirs,
c'es très très rare. »
v Mme E. : « depuis que je rembourse mon
plan, c'est très rare que mes envies soient satisfaites. Il me reste pas
assez d'argent. »
Ces témoignages nous montrent que pour ces personnes,
le « reste à vivre » est insuffisant. Il
apparaît nécessaire de comprendre les conséquences du
dossier de surendettement, causes de leur auto-exclusion.
4/ L'auto-exclusion des familles
4.1/ Le sentiment de culpabilité et de honte
L'enquête a révélé que le
sentiment de culpabilité et de honte est omniprésent chez
l'ensemble des personnes interrogées. Cette culpabilité semble
amener les familles vers l'auto-exclusion de l'accès aux loisirs.
v Mme A. : « je me sens un peu
coupable. »
v Mr et Mme D. : « on s'est dit :
« pourquoi on a fait ça ? » »
v Mme E. : « c'est l'engrenage et on
réalise après les conneries qu'on a fait. »
v Mme B. : « j'ai honte. Je ne suis pas
très à l'aise quand même. »
v Mme C. semble être la plus
culpabilisée : « c'est de ma faute (...) C'est moi la
coupable (...) Comment j'ai pu être aussi stupide (...) J'ai honte (...)
C'est de ma faute (...) C'est de ma faute si j'en suis
là. »
La culpabilité et la honte semblent empêcher
« l'autorisation » d'accéder aux loisirs. En effet,
de par cette culpabilité omniprésente, les personnes ne
s'autorisent plus les dépenses de loisirs, sans doute par crainte de ne
pas être raisonnables. Ces personnes semblent vivre le plan conventionnel
et la restriction comme une punition, une injustice.
v Mme A. : « fallait
réfléchir avant et on a pas réfléchi donc on nous
sert la ceinture. On s'en mord les doigts. »
v Mr F. : « j'ai fait la bêtise
donc il faut que je répare les dégâts. »
v Mme B. : « j'avais l'impression
d'être traitée comme quelqu'un qui a commis un
crime. »
v Mr et Mme D. : « on se sent un peu
exclu de la consommation et c'est dur de voir tout le monde partir en vacances
mais on a mal géré donc il faut assumer, c'est comme
ça. »
v Mme E. : « je ne ressens pas
forcément un sentiment d'injustice car j'aurais pas dû faire de
crédits. C'est de ma faute, pas celle des autres. Mais, des fois, j'en
veux à la terre entière. En fait, je me sens exclue. J'aimerais
être comme eux, en terrasse. »
v Mme C. : « c'est injuste, oui et non.
Non parce que c'est de ma faute si j'en suis là, mais oui quand
même parce que là, je vis sans vivre. C'est pas facile à
expliquer. Je vis sans vivre parce que je survis. Y'a pleins de choses que je
ne peux pas faire. »
4.2/ Une illusion, un enfermement dans le
surendettement
a) Le surendettement, une situation tabou
Une grande majorité des personnes interrogées
font en sorte de ne pas montrer qu'elles sont en situation de
surendettement :
v Mme B. : « je n'ai pas prévenu
ma famille et mes enfants, j'évite de leur en parler. Les amis et les
collègues, c'est pareil. »
v Mme E. : « j'essaie de ne pas montrer
que je suis surendettée même si je sais qu'on n'est pas les seuls
(...) On a gardé tout à l'intérieur. »
v Mme A. : « personne n'est au courant.
Juste ma mère mais on en parle jamais. Ca me stresse d'en
parler. »
v Mme C. : « c'est pas facile de dire aux
gens. Les gens disent « ah mais tu dis que tu es seule mais tu ne
sors pas, on te propose des sorties, tu viens pas », mais j'ose pas
dire que j'ai un dossier de surendettement. C'est pas facile à
dire. »
Les personnes surendettées expriment leur
volonté de ne pas révéler leur surendettement.
Nous pouvons souligner que, dans leurs réponses, elles
n'expliquent pas pourquoi. Nous pouvons émettre l'hypothèse que
la honte est la raison principale. En effet, cette honte, cette gêne, est
évoquée par l'ensemble des personnes surendettées lors
d'une question suivante.
b) La restriction des relations familiales, amicales et
professionnelles
Même si les personnes surendettées ne souhaitent
pas révéler leur surendettement, il leur est difficile de ne pas
restreindre les relations familiales, amicales et professionnelles. Elles
expliquent ces restrictions du fait d'un budget obéré.
v Mr F. : « je préfère dire
que ce mois-ci, c'est un peu raide ou alors je trouve une excuse
« j'ai oublié ma carte bleue » ou « je
suis occupé aujourd'hui ». »
v Mme A. : « j'invite plus personne ou
alors ils participent au repas. »
v Mme E. : « on ne sort jamais sauf le
ciné quand c'est 3,5€ (...) Je m'oblige à être
casanière pour ne pas avoir à
dépenser. »
v Mr et Mme D. : « souvent, on n'a pas
d'argent donc on répond que ça ne nous intéresse
pas. »
v Mme C. : « je me force à
restreindre mes relations familiales, amicales et professionnelles parce que je
n'ai pas assez d'argent (...) Je mens parce que je peux pas dire que je ne peux
pas. Je dis souvent que je garde mes petits enfants. C'est pas
évident. »
Pour Mme B., il est indispensable de conserver les mêmes
relations.
v « il ne faut pas restreindre les relations
avec la famille et les amis. Il faut garder la tête haute. Il faut garder
des liens. »
4.3/ L'accès aux loisirs
Dans un premier temps, nous pouvons nous demander si ces
personnes ont le sentiment d'avoir la possibilité d'accéder aux
loisirs ou si, au contraire, le forfait laissé par la Banque de France
ne laisse pas la possibilité d'y accéder.
a) Les possibilités de loisirs
Tout d'abord, nous pouvons dire que la majorité des
personnes interrogées se sentent exclues de l'accès aux
loisirs :
v Mme A. : « je me sens obligée de
me restreindre, mais bon, on n'a pas le choix. »
v Mme E. : « je ne sors jamais mais
pourtant, les loisirs, c'est important pour être
épanouie. »
Nous voyons ici que le loisir est important pour le
bien-être de ces familles. D'après ces témoignages, nous
pouvons en déduire que le reste à vivre laissé par la
Banque de France n'est pas suffisant. Pourtant, toutes s'accordent à
dire que l'accès aux loisirs est possible lorsque l'on rembourse un plan
conventionnel de redressement.
v Mme E. : « avoir des loisirs, c'est
possible mais pas souvent car on est restreint. Je préfère
respecter le plan et voir après. C'est pas simple, il faut bien
gérer. »
v Mme B. : « le loisir, même si
c'est possible, on peut pas toujours se le permettre. C'est vraiment
limité. »
v Mme A. : « les loisirs, c'est
restreint, je ne connais même pas le prix du
ciné. »
v Mr F. : « les loisirs, c'est possible
mais pas tous les jours. C'est très restreint. »
Il semblerait que l'accès aux loisirs, même
limité, est possible pour les familles remboursant un plan conventionnel
de redressement.
Toutes les personnes parlent de restrictions des loisirs mais
disent également qu'ils y accèdent. Cependant, la nature des
loisirs est différente selon les personnes.
b) Quels loisirs ?
Il semblerait qu'avant le dépôt du dossier de
surendettement, les personnes surendettées multipliaient les abonnements
divers de loisirs :
v Mme B. : « avant le plan, j'avais canal
+, un portable. »
v Mme A. : « avant j'étais
abonnée à France Loisirs, Paris Normandie et j'avais un portable
à forfait. »
v Mr et Mme D. : « ben avant, j'achetais
mes magazines toutes les semaines. »
v Mr F. : « j'avais mon portable,
Internet et canal sat. »
Aujourd'hui, toutes ces personnes possèdent un
portable. Cet outil de communication semble être l'élément
indispensable, contrairement aux autres abonnements :
v Mme B. : « je n'ai conservé que
mon portable. »
v Mme A. : « aujourd'hui, je n'ai plus
aucun abonnement sauf mon portable. »
v Mr et Mme D. : « aujourd'hui, j'ai tout
résilié car c'est trop d'engagement, mais je
récupère les vieux magazines pour ne pas
dépenser. »
v Mr F. : « je n'ai gardé que mon
portable. »
Nous pouvons donc en déduire que les familles ne
conservent que les abonnements indispensables pour elles, comme le portable par
exemple.
Le montant des loisirs dépend des familles et des
budgets.
v Mr et Mme D. : « ça varie en
fonction de nos dépenses mais on en a entre 50 et 100 euros par mois,
pas plus. »
v Mme E. : « c'est surtout le resto mais
c'est pas tous les jours ! Ca varie en fonction des mois et de nos envies
mais je pense que ça dépasse les 50 euros. »
v Mr F. : « j'arrive à avoir des
loisirs grâce à l'épicerie sociale car le budget
alimentation est moins élevé que si je n'avais pas
l'épicerie. Ce que je dépense pas dans la nourriture, je le
dépense dans autre chose. »
v Mme A. : « c'est très
limité. Je n'ai pas de budget précis pour les loisirs. J'en ai
très rarement. »
v Mme B. : « j'en ai pour moins de 100
euros, moins de 50 euros même ! On a arrêté de
fumer pour pouvoir dépenser dans autre chose. Fallait
choisir.»
v Mme C. : « mes loisirs me coûtent
entre 20 et 35 euros pas plus, et faut pas avoir un
imprévu. »
Nous pouvons donc en déduire que les personnes
bénéficiaires de l'aide alimentaire ont un budget loisirs
beaucoup plus élevé que les autres. On voit bien ici que ces
personnes accèdent aux loisirs, même si le budget ne permet pas de
faire beaucoup d'extras.
Il semble intéressant de s'interroger ici sur
l'accès aux vacances.
Aucune des personnes interrogées n'accède aux
vacances ou n'a de projet vacances.
v Mme B. : « partir en vacances tout de
suite, ce serait peut être possible mais si c'est pour dire aux enfants
non fais pas ci fais pas ça, on bouge pas, on peut rien faire, c'est pas
la peine, c'est encore plus frustrant. »
v Mme A. : « c'est déjà dur
alors prévoir des sous pour les vacances, c'est pas
possible. »
v Mme E. : « je n'ai pas de projet pour
cet été. Les vacances, c'est ce qui me manquent le
plus. »
v Mr et Mme D. : « on part pas en
vacances et c'est ça le plus dur. En plus, pendant les vacances, non
seulement on ne peut pas partir mais en plus, bouger, c'est mettre de l'essence
et mettre de l'essence ça veut dire mettre de
l'argent. »
v Mr F. : « depuis le plan, je ne suis
pas parti en vacances ni en week-end. Même si j'aimerais bien, ça
coûte de l'argent. »
Le budget est, semble-t-il, trop serré et ne
permettrait pas aux personnes d'envisager un départ en vacances.
Toutefois, d'après les différents éléments mis en
avant précédemment, nous pouvons dire que ce sont les personnes
qui se « refusent » les loisirs et les vacances. Face
à cette auto-exclusion, et avec un budget serré, les familles se
sentent exclues.
v Mme A. : « je me sens exclue car, par
exemple, tout le monde parle d'Internet et moi, je ne l'ai
pas. »
v Mr F. : « quand on a un dossier de
surendettement, on est exclu des loisirs. »
v Mr et Mme D. : « oui, on se sent exclus
quand même, on a plus accès aux loisirs comme avant et les
vacances, n'en parlons pas. »
v Mme B. : « c'est plus pour ma fille que
pour moi les loisirs. Je préfère me priver pour qu'elle soit
intégrée. C'est à moi d'être exclue, pas à ma
fille. »
v Mme E. : « je me sens exclue.
J'aimerais être comme eux, en terrasse. »
c) Les loisirs pour les enfants
Les personnes ayant des enfants s'auto-excluent de
l'accès aux loisirs pour permettre à leurs enfants d'y
accéder.
v Mme B. : « j'essaie de faire plaisir
à mes enfants(...) Même si je n'ai pas trop les moyens, je leur
explique que ce mois-là, on peut pas, on n'a pas de sous, c'est dur
(...) Il ne faut pas tout dire aux enfants. »
v Mme E. : « de temps en temps, je lui
donne [à ma fille] un peu d'argent de poche mais ce n'est pas
régulier (...) Je préfère me priver moi-même (...)
Je veux éviter qu'elle se rende compte. C'est pas aux enfants de
souffrir de la situation. »
d) Les projets des familles
J'ai cherché à savoir si le plan conventionnel
de redressement permet aux familles de pouvoir faire des projets ou si au
contraire, le plan les fragilise au point de ne plus être en
capacité d'en faire.
v Mme A. : « des projets...oui mais pas
tout de suite. »
v Mme B. : « après le plan, mon
projet, c'est de partir en vacances. »
v Mme C. : « non, je n'en ai pas, je ne
peux pas en faire des projets. Je me refuse d'en faire. Je vis comme une
hermite, comme une veuve, car à cause du dossier, je ne peux pas
retrouver quelqu'un. Comment lui annoncer : « au fait, j'ai un
dossier de surendettement », et les sorties, ça ne peut pas
être toujours le même qui paie. J'ai pas été
élevée comme ça. »
v Mr et Mme D. : « non, je ne peux pas
faire de projets. A pâques, il va faire beau mais je veux qu'il
pleuve : les gens vont s'en aller trois jours en week-end et nous non, je
ne peux pas faire ce genre de projets. »
v Mme E. : « j'aimerais partir 8 jours en
vacances en Bretagne, mais il faudrait que je gagne au loto pour
ça ! »
v Mr F. : « des projets ? Non, je ne
peux pas. »
D'après ces constats, il semblerait que le plan ne
permet pas aux personnes de faire des projets. Toutes les personnes
interrogées n'ont mentionné que des projets loisirs, vacances.
Aucune n'a émis de projets professionnel, immobilier ou autre. Il
semblerait que ces personnes soient contraintes de ne pas faire de
projets : « je ne peux pas ». Ainsi, le projet loisir
ou vacances ne résulterait pas de leur volonté mais
dépendrait de la Banque de France. Ces personnes laissent entendre que
le dossier de surendettement, autrement dit la Banque de France, interdit de
faire des projets.
L'ensemble des personnes interrogées ont reconnu avoir
eu, à un moment donné, l'envie de ne plus respecter le plan, de
ne plus rembourser les créanciers, pour pouvoir accéder aux
loisirs et aux vacances. Ce désir est engendré par la frustration
et le sentiment de ne plus pouvoir accéder aux loisirs.
v Mme B. : « j'ai pensé tout
larguer car je me sens vraiment mal des fois. J'ai l'impression de ne plus rien
pouvoir faire. Mais, je me dis : « comment je vais faire
après ? » Et les conséquences...si c'est pour
avoir du harcèlement après, c'est pas la peine, je ne
supporterais pas. Mais en même temps, c'est tellement frustrant de voir
tout le monde vivre et pas nous. »
v Mme C. : « j'ai déjà eu
envie de tout laisser tomber mais je sais qu'il ne faut pas que je
déraille. Des fois, je me dis bien : « tiens ce mois-ci
tu paies pas les créanciers, ça te paie ta location »,
mais ça veut dire que quand tu rentres des vacances, c'est les lettres
de relance, les menaces de saisies. C'est plus les conséquences qui me
font peur, car péter les plombs, oui, ça m'arrive. Partir
à l'aventure, j'aimerais bien. Maintenant, je pense aux
conséquences avant d'agir alors qu'avant, j'agissais et après je
pensais aux conséquences, car, je sais que tout ce harcèlement,
c'est illégal en quelque sorte, mais ils profitent de la
fragilité des gens. Je me suis enfermée dans mon truc. Ce qui me
manque, c'est d'être en repos, et ne rien faire, parce que même
bouger pour aller se promener à la plage, mais ça veut dire faire
un plein d'essence. C'est dur de vivre au jour le jour, sans pouvoir se
projeter dans l'avenir. A une époque, je me disais, t'as pas de sous,
ton frigo est vide, alors prends un cachet et dors toute la
journée. »
v Mme E. : « j'ai déjà eu
envie de tout lâcher mais je n'ai pas envie de recommencer la
galère. Faut faire avec, mais c'est vrai que c'est
tentant. »
Il semblerait que les personnes soient tentées de ne
plus honorer les remboursements pour s'octroyer des moments de
« répit », de vacances. Cependant, la crainte des
poursuites les en dissuadent. Le plan ferait donc prendre conscience des
risques encourus en cas de non paiement.
Les personnes, de par cette frustration et ce sentiment
d'exclusion de l'accès aux loisirs souffrent d'un manque de
reconnaissance sociale. Elles s'efforcent de maintenir une certaine image
sociale et continueraient de vouloir s'identifier à une classe sociale
supérieure. Nous avons abordé ces différents thèmes
dans la partie théorique de ce mémoire et nous allons tenter de
comprendre comment ces personnes tentent de satisfaire ce besoin de
reconnaissance sociale, ainsi que les stratégies d'identification
sociale.
4.5/ Le besoin de reconnaissance sociale
Une majorité des personnes interrogées
considèrent qu'elles ont consommé plusieurs biens et
contracté différents crédits afin d'être reconnues
socialement. Avec la mise en place du plan conventionnel de redressement, ce
besoin est toujours présent mais la contraction des crédits ne
leur permet plus de le satisfaire. Nous pouvons nous demander de quelle
manière elles réagissent face au regard des autres, et quelle est
leur place dans la société selon elles.
Certaines personnes sont sensibles aux jugements d'autrui.
Elles veulent acquérir des biens pour faire croire qu'elles
appartiennent à une autre classe sociale plus valorisante. La
finalité recherchée est d'imiter et de se conformer aux
autres.
v Mme A. : « de ne pas avoir de carnet de
chèque, ça me gênerait, je me sentirais inférieure
aux autres. »
v Mr et Mme D. : « voir les autres vivre
comme ils vivent, ça nous met le moral à zéro parce que
c'est dur de faire comme si on était pareil qu'eux mais sauf qu'en
réalité, on a un dossier de surendettement. On trouve toujours de
bonnes excuses pour ne pas montrer mais c'est pas toujours
évident. »
v Mme E. : « avoir un carnet de
chèque, ça me donne un statut, j'ai l'impression d'être
comme tout le monde. »
v Mme B. : « j'ai ma fierté. Je
leur dirais peut être un jour, quand tout sera fini, je ne sais pas, une
fois qu'on aura fini le plan, pour montrer qu'on a galéré mais on
réussi à s'en sortir. Sauf qu'en attendant, il ne faut rien
laisser paraître de notre situation, c'est pas évident à
expliquer mais c'est important pour moi. »
v Mme C. : « Le fait de ne pas avoir de carnet
de chèque, c'était frustrant. A chaque fois, je disais
« ah, j'ai oublié mon chéquier ». Je passais
pour quelqu'un de tête en l'air, alors qu'en fait, j'avais honte de
dire : « ben non, j'ai plus de carnet de
chèque. » »
Toutefois, Mme C. explique clairement les raisons de son
« silence » concernant son dossier de surendettement :
« je fais beaucoup attention au regard des autres, c'est pour
ça que je dis rien, parce que y'a des gens qui disent que j'ai la folie
des grandeurs et que je sais pas gérer. Alors que c'est pas ça du
tout. En fait, j'ai surtout peur que les gens me jugent (...) Moi, c'est parce
que j'ai voulu profité de ma liberté retrouvée, j'ai voulu
me remeubler (...) J'ai surtout voulu combler la solitude, le vide. (...) On
s'est retrouvé en concurrence, mon ex et moi, vis-à-vis de ma
fille car elle était enceinte à ce moment-là, et il lui
faisait de beaux cadeaux, et moi, je voulais aussi montrer à ma fille
que je l'aimais autant que son père sauf que moi j'avais pas les moyens.
Je pense que j'ai voulu combler un manque affectif, la solitude et aussi
prouver que j'aime par les cadeaux. »
Nous voyons ici que le regard des autres est très
important. Les personnes peuvent avoir ce besoin de reconnaissance sociale et
peuvent vouloir prouver leur amour par l'achat.
D'après ces propos, nous comprenons que certaines
personnes surendettées activement veulent se distinguer de leur groupe
d'origine et adopter le style de vie de celles issues d'une classe sociale
supérieure pour être reconnues socialement. Par le manque de
moyens financiers, elles n'ont pu acquérir des biens de consommation,
leur permettant de se différencier de leur groupe de
référence.
De même, ces témoignages soulignent le besoin de
ces personnes d'être « comme tout le monde ».
III/ Retour à l'hypothèse
L'exclusion de l'accès aux loisirs des personnes
remboursant un plan conventionnel de redressement est donc un sujet très
vaste et la prise en charge de ces personnes est complexe et regroupe de
nombreux paramètres.
Mon questionnement de départ était
« quelles sont les difficultés que rencontrent les personnes
surendettées lorsqu'elles remboursent un plan conventionnel de
redressement ? ». Suite à mon enquête exploratoire,
je suis arrivé à la problématique suivante :
« le reste à vivre laissé par la Banque de France,
appelé forfait alimentation, hygiène, habillement, est-il facteur
d'exclusion de l'accès aux loisirs ou est-ce les personnes qui s'en
excluent elles-mêmes ? ». Par la suite, j'ai émis
l'hypothèse que la culpabilité et la honte pouvaient être
les causes principales de l'exclusion de l'accès aux loisirs de ces
personnes.
Pour me permettre de répondre à ma
problématique et de confirmer ou infirmer mon hypothèse, je me
suis documenté sur ce sujet mais j'ai également tenté
d'avoir des données de terrain. Par ce biais, je souhaitais
connaître les causes possibles de cette exclusion de l'accès aux
loisirs.
A la suite de ceci, j'ai analysé les résultats
obtenus et suis arrivé à la conclusion que l'exclusion de
l'accès aux loisirs est dû au fait d'un reste à vivre
limité, mais surtout du fait de la culpabilité et la honte des
familles concernées. En effet, pour ces personnes, accéder aux
loisirs semble indispensable pour leur bien-être mais elles se le
refusent, comme une punition à leur surendettement. Pourtant, nous avons
vu que pour elles, il était primordial d'être reconnues
socialement. Il est donc important que les professionnels les aident pour leur
permettre d'accéder aux loisirs sans culpabiliser, et ainsi pouvoir
assouvir ce besoin de reconnaissance sociale autrement que par les
crédits.
Le CESF, de par les spécificités de sa
formation, a donc tout à fait sa place dans ce type d'accompagnement, et
peut donc permettre à ces personnes d'accéder aux loisirs et de
ce fait, accéder à un mieux-être.
PARTIE III : PERSPECTIVES PROFESSIONNELLES
Ce mémoire m'a permis de m'interroger sur la place du
conseiller en économie sociale et familiale dans la problématique
de l'accès aux loisirs des personnes remboursant un plan conventionnel
de redressement. En effet, l'apport théorique et l'enquête
réalisée auprès de différents professionnels et du
public m'ont permis d'appréhender les facteurs d'exclusion de
l'accès aux loisirs de ces personnes et de comprendre la
nécessité d'un accompagnement social dans une perspective
professionnelle. Je tiens également à préciser que
certains éléments ont déjà été
abordés par les conseillères en économie sociale et
familiale interrogées dans la partie analyse.
I/ La question de l'exclusion de l'accès aux
loisirs des personnes surendettées dans la pratique professionnelle du
conseiller en économie sociale et familiale
Comme nous l'avons vu, cette exclusion est une question
délicate car elle n'est pas nécessairement le résultat
d'une restriction de budget. En général, les personnes n'ont pas
conscience de leur auto-exclusion. Pour comprendre ces situations, le
conseiller en économie sociale et familiale prend en compte, d'une part,
l'origine du surendettement, ainsi que l'influence de l'environnement social
et, d'autre part, la fragilité des familles.
La société actuelle met effectivement en oeuvre
différents moyens pour influencer le consommateur (sollicitation de la
publicité, offres multiples de crédit, déduction fiscale
en cas d'obtention de prêts...). Il est donc difficile pour certaines
personnes fragilisées de résister à ces diverses
propositions. Cette fragilité peut être liée à un
mal-être, en raison de leur situation de surendettement et de la place
occupée dans la société. Pour compenser ce sentiment
d'injustice et d'exclusion de l'accès aux loisirs, elles sont
amenées à avoir des stratégies d'évitement.
L'obtention aisée de crédit a permis à certaines,
notamment celles surendettées activement, d'acheter plusieurs biens,
destinés, entre autres, à montrer leur appartenance sociale. La
consommation était devenue pour elles un moyen d'exister socialement et
d'être reconnues par leurs pairs. De ce fait, il est important de
considérer leur souffrance lors de la mise en place du plan
conventionnel de redressement pour comprendre ce comportement d'auto-exclusion
de l'accès aux loisirs.
Ces facteurs extrinsèques et intrinsèques
apparaissent indissociables dans cette problématique. Il est donc
difficile de considérer qu'elles sont responsables de leur situation.
II/ Diagnostic établit par le conseiller en
économie sociale et familiale
Généralement, les personnes surendettées
rencontrent le conseiller en économie sociale et familiale en dernier
ressort, lorsqu'elles ont utilisé toutes les solutions existantes
(rachat de prêt, multiplication de crédit à la consommation
pour recouvrir un découvert bancaire ou pour assurer le paiement des
mensualités d'autres crédits...). Ainsi leur capacité
financière est souvent faible, voire inexistante.
Lors des premiers contacts, elles sont souvent
épuisées psychologiquement et ne sont plus en mesure d'effectuer
leurs démarches. Elles sont soumises aux pressions quotidiennes des
sociétés de recouvrement de crédit et des huissiers, ce
qui accroît leur anxiété. A ce stade, l'accompagnement par
le conseiller en économie sociale et familiale s'avère
indispensable.
La première demande revêt un caractère
d'urgence (saisies bancaires, besoins alimentaires de première
nécessité...). Le conseiller en ESF doit alors rencontrer
plusieurs fois la famille avant d'évaluer s'il y a endettement ou
surendettement.
Les premiers rendez-vous sont souvent longs,
nécessitant une grande disponibilité de la part du
professionnel.
Il essaie tout d'abord de déculpabiliser ces
personnes, qui ont souvent une image très négative
d'elles-mêmes. Il les rassure et a une écoute empathique
très importante. Cet accompagnement peut leur permettre de s'exprimer
sur le vécu de leur situation et leur histoire personnelle. Cette
écoute doit être omniprésente et favoriser la formulation
de leurs angoisses et de leur culpabilité, ceci afin qu'elles puissent
se libérer de leur affliction. Dans le respect des personnes et par son
écoute, le conseiller en économie sociale et familiale peut
apaiser leur honte et leur douleur. La reformulation et le soutien seront
nécessaires pour aider ces personnes à s'ouvrir, s'exprimer et
parler librement. Pour cela, une relation de confiance doit s'établir
dès les premiers contacts.
Lors de son diagnostic, il peut leur proposer, si la
situation relève d'un endettement, un accompagnement éducatif
budgétaire. Dans le cas d'un surendettement, il conseille le
dépôt d'un dossier à la Banque de France. Si la famille
adhère à cette proposition, le conseiller en ESF lui explique la
procédure et travaille sur l'image du dossier, souvent
considéré comme le résultat d'un échec personnel.
Il est également amené à dédramatiser le dispositif
du surendettement car les personnes sont souvent mal informées de ses
conséquences (inscription au FICP par exemple, reste à vivre).
Notons que la majorité de ces personnes ont honte de
leur situation et qu'il leur est parfois difficile de l'accepter. Ainsi,
certaines peuvent refuser, dans un premier temps, le dépôt d'un
dossier de surendettement. Il est donc important d'accepter leur choix et de
les laisser cheminer à leur rythme. Pour qu'elles adhèrent
à cette proposition, il faut qu'elles soient prêtes, ce qui peut
quelquefois mettre un certain temps.
III/ L'accompagnement individuel
Dans un premier temps, un accompagnement individuel est
nécessaire.
Lorsque la famille accepte le dépôt d'un
dossier, elle n'est pas en mesure de le constituer seule. Le conseiller en ESF
l'aide à le remplir et à préciser les dettes
contractées. Cette phase permet généralement aux personnes
de prendre conscience de leurs difficultés. Elles entrent alors dans le
principe de réalité : le budget est posé et mis
à plat. Il est nécessaire de contractualiser avec elles la mise
en place du dossier pour qu'elles s'engagent à mettre tout en oeuvre
pour améliorer leur situation (ne pas contracter à nouveau des
crédits par exemple). Chaque membre du couple signe le dossier. Ceci
permet de les responsabiliser et de leur faire comprendre la
nécessité de réduire leur consommation. Si l'un des deux
n'est pas prêt, une amélioration de la situation sera difficile
à envisager.
Le conseiller en ESF est également amené
à établir un travail en réseau avec différents
partenaires (banques, Banque de France, sociétés de recouvrement,
associations caritatives, service social...) afin de trouver des solutions
adaptées pour améliorer la situation financière.
Ensuite, lorsque le dossier est déposé, une
action éducative budgétaire est indispensable. Le suivi d'un plan
de la Banque de France nécessite que les personnes renoncent à
certaines dépenses et puissent gérer seules leurs ressources. Cet
accompagnement leur permet d'apporter une aide sur le moyen et long terme. Pour
qu'elles puissent apprendre (ou réapprendre) à gérer
seules sans s'auto-exclure de l'accès aux loisirs, le conseiller en ESF
les valorise et les encourage dans leurs démarches. Ceci permet qu'elles
retrouvent une image positive d'elles-mêmes. Le professionnel tient
compte de leurs capacités et de leurs compétences pour les mettre
en valeur et soutenir tout changement intervenant dans la situation.
Son soutien est très important pour que les personnes
puissent réapprendre à consommer. En effet, lorsqu'elles suivent
un plan conventionnel de redressement, elles n'osent plus dépenser de
peur de rechuter (peur de faire leurs courses seules, d'aller chez le
coiffeur...). Elles pensent ne pas être capables de résister
à la tentation et ne savent plus se projeter dans l'avenir. Il est donc
important qu'elles se sentent épaulées pour qu'elles puissent
reconsommer sereinement, et donc accéder aux loisirs.
De plus, pour que l'accompagnement réussisse, le
conseiller en économie sociale et familiale les aide à comprendre
les facteurs intrinsèques et extrinsèques, ayant motivé la
multiplication des crédits, puis l'auto-exclusion de l'accès aux
loisirs. Ainsi, les personnes surendettées, ayant consommé pour
accéder à une reconnaissance sociale, doivent prendre conscience
de ce besoin pour pouvoir changer de mode de vie. En expliquant leur
fonctionnement et leurs relations à l'argent, ils pourront comprendre
leur comportement d'achat. Le but est qu'ils amorcent un changement dans leur
façon de consommer et puissent résister aux différentes
sollicitations (de la société, de leurs enfants...).
L'aide du conseiller en économie sociale et familiale
se fait alors dans le respect du mode de vie de chacun. Il ne prend pas en
compte ses propres valeurs et son rapport à l'argent pour rendre
efficace son accompagnement. Il est important que les personnes
surendettées puissent rester actrices de leur situation. Pour cela, le
conseiller en économie sociale et familiale chemine avec eux et respecte
leur choix. Il peut différer certaines propositions lorsqu'elles ne sont
pas prêtes à les entendre.
Enfin, lorsque le plan est mis en place, le conseiller en ESF
peut suggérer, selon les situations, une orientation psychologique pour
qu'il y ait une prise en charge complémentaire. Un suivi par un
psychologue, voire un psychiatre peut être nécessaire pour que les
personnes travaillent sur leur fonctionnement et leur histoire
personnelle :
- A quoi correspondent leurs dépenses ?
- Quel rôle peut avoir le passé dans leurs
décisions actuelles d'achat ?
- Que compense leur consommation ?
- Quels sont les facteurs d'auto-exclusion de l'accès
aux loisirs ?
Il est nécessaire qu'elles trouvent des réponses
à ces interrogations pour pouvoir s'autoriser à accéder
aux loisirs, et ne pas « rechuter » pendant ou après
le remboursement du plan conventionnel.
Soulignons que l'accompagnement individuel permet
également d'évaluer la nécessité ou non de mettre
en place une mesure de protection des majeurs ou une tutelle aux prestations
sociales si un problème d'autonomie est rencontré dans la gestion
du budget d'un ménage. Le conseiller en ESF peut le conseiller aux
personnes. En cas de refus et si la famille est en danger, la mesure de
protection sera demandée.
Enfin, l'efficacité de l'accompagnement des personnes
surendettées implique l'utilisation des différents outils et un
travail en réseau avec plusieurs partenaires. Cela m'a amené
à réfléchir sur la notion du secret professionnel. En
effet, le conseiller en ESF travaille avec des professionnels aux
compétences diverses. Il doit donc évaluer ce qui peut être
dit, ceci dans l'intérêt des personnes et avec leur accord.
Au-delà de la prise en charge individuelle, un
accompagnement collectif est souvent nécessaire.
IV/ L'accompagnement collectif
Ce travail ne peut s'effectuer que dans un second temps,
lorsque la situation financière s'est améliorée. L'action
collective est un outil supplémentaire et complémentaire au suivi
individuel et nécessite que les personnes soient prêtes à y
participer. En début d'accompagnement, elles sont souvent incapables
d'intégrer un groupe. Elles ont peur du regard des autres et ont honte
de leur situation.
Nous avons constaté que l'une des origines de
l'exclusion de l'accès aux loisirs peut être liée à
un besoin de reconnaissance sociale des débiteurs. Il est donc
fondamental qu'ils puissent restaurer des relations avec autrui pour renforcer
leur intégration sociale et se sentir exister.
Le conseiller en ESF peut, grâce à un travail en
réseau avec différents partenaires, développer des actions
collectives de nature diverse auprès de ce public. Le travail en groupe
pourra avoir un double impact : les personnes pourront, d'une part,
constater qu'elles ne sont pas seules dans cette situation et, d'autres part,
développer du lien social.
Le groupe va leur permettre de sortir de la honte et se
sentir considérées par autrui. L'échange entre les
différents participants peut leur faire prendre conscience de leur
fonctionnement envers la consommation et réfléchir sur leur
comportement d'achat.
Ce travail peut permettre d'éviter la mise en place de
l'auto-exclusion de l'accès aux loisirs et de les valoriser. Cela peut
être un réseau d'échange réciproque des savoirs, du
théâtre, des groupes à thème ou encore un
départ en vacances...
Ces actions peuvent être un moyen d'atténuer le
besoin de reconnaissance sociale de certains débiteurs et se substituer
à la consommation.
Notons que ces actions de groupe permettent aux familles
surendettées de faire face à cette situation, quelqu'en soit les
causes.
V/ La prévention
En amont, des actions de prévention peuvent être
menées. Le conseiller en ESF peut envisager d'élaborer des
groupes en collaboration avec d'autres partenaires avant une situation de
surendettement.
La prévention primaire permet de prévenir des
risques d'endettement. Différentes actions peuvent être mises en
place (d'éducation, d'information...) auprès d'un public
ciblé. Ce peut être par exemple une information auprès
d'adolescents sur les notions de budget.
La prévention secondaire permet d'éviter le
surendettement auprès de personnes avec un endettement important. Ce
peut être des actions collectives ou individuelles (information sur les
crédits à la consommation, le rôle des banques...).
Nous pouvons voir que le conseiller en ESF a un rôle
capital dans la problématique du surendettement. Il dispose de
différents outils pour aider les débiteurs, notamment ceux en
quête de reconnaissance sociale, s'auto-excluant de l'accès aux
loisirs. L'évaluation, l'orientation, l'accompagnement individuel et
collectif, ainsi que les actions de prévention apparaissent comme
complémentaires dans la résolution de ces situations.
CONCLUSION
L'exclusion de l'accès aux loisirs est donc la
conséquence du sentiment de culpabilité et de honte
principalement. Ces personnes sont souvent fragilisées, en grande
souffrance tout au long du remboursement d'un plan conventionnel de
redressement.
La loi NEIERTZ a été le premier texte
réglementant le traitement du surendettement. Elle visait principalement
le surendettement passif, mais n'a pas suffi pour aider les débiteurs.
En effet, le surendettement n'est pas seulement lié à un
problème budgétaire, il s'accompagne également de
difficultés personnelles. Un accompagnement est essentiel pour les aider
à résister aux tentations de la société, qui les
incitent continuellement à emprunter et à consommer.
Le dépôt du dossier de surendettement est souvent
le dernier recours des familles. L'image véhiculée par le dossier
de surendettement est négative. Ce dossier va pourtant permettre
à ces familles de retrouver un équilibre financier et personnel,
mais il va également être vécu comme un traumatisme et va
entraîner une dévalorisation de la personne. En effet, nous avons
vu que le dossier de surendettement est souvent vécu comme un
échec, comme une honte. Cette culpabilité va favoriser
l'auto-exclusion de l'accès aux loisirs.
Le dossier de surendettement, bien qu'il soit un outil
efficace, entraîne un paradoxe : d'une part, les personnes sont
soulagées que leur situation financière puisse être
améliorée et, d'autre part, le dispositif entraîne
involontairement leur exclusion sociale et économique. Il est donc
indispensable que ces personnes aient un relais pour être soutenues
pendant la durée du plan. L'accompagnement du conseiller en
économie sociale et familiale et d'un réseau de différents
partenaires sont complémentaires. La mise en place d'actions
individuelles et collectives vont permettre aux personnes de s'exprimer et de
prendre conscience de leurs difficultés, ce qui peut les aider à
ne pas s'exclure de l'accès aux loisirs.
Les personnes utilisent l'argent comme langage à une
souffrance personnelle, montrant la difficulté à communiquer avec
autrui. Comme nous avons pu le voir, la consommation est, pour certains
débiteurs surendettés activement, un moyen d'accéder
à une reconnaissance sociale. Leurs dépenses vont donner
l'illusion passagère qu'ils sont différents de ceux qui ont
position sociale similaire. Pourtant, le plan conventionnel de redressement ne
leur permet plus d'acheter des biens mettant en avant un
« paraître », ainsi leur souffrance ne s'apaise pas.
Lorsqu'elles déposent un dossier de surendettement à la Banque de
France, cette souffrance ne peut être résorbée. En
réduisant leurs dépenses, elles vont se sentir exclues de la
« société de consommation » et plus
particulièrement des loisirs et des vacances, pendant plusieurs
années. Alors comment envisager une réponse à ce besoin
de reconnaissance sociale quand l'accès à la consommation leur
est limité ?
Ce mémoire m'a permis d'appréhender la
problématique de l'exclusion de l'accès aux loisirs et de
développer une des explications possibles pour comprendre ce
phénomène. Ce type d'exclusion est complexe et cache une
véritable souffrance humaine. L'accompagnement du conseiller en
économie sociale et familiale est alors indispensable pour que les
personnes se sentent soutenues dans cette épreuve. Chaque cas est
unique, son intervention sera donc différente selon les
difficultés rencontrées.
Ce travail m'a apporté des connaissances juridiques et
sociologiques, ainsi qu'une approche professionnelle. Par l'enquête de
terrain, j'ai pu échanger sur le positionnement professionnel des
acteurs rencontrés. Cela a donc été enrichissant et m'a
aidé à me préparer à ma future pratique
professionnelle.
* 1 cf. annexe 2 :
« les caractéristiques des personnes
surendettées »
* 2 www.banque-france.fr
* 3 www.insee.fr
* 4 cf. annexe 1 :
« définitions »
* 5 le projet de loi de
programmation pour la cohésion sociale, déposé le
15 septembre 2004, prévoit que le remboursement des créances
locatives est prioritaire sur celui des crédits à la
consommation. Ceci afin de sécuriser le règlement des loyers et
des charges locatives pour inciter les bailleurs à louer leurs biens aux
ménages les plus modestes.
* 6 cf. annexe 4 :
« FICP »
* 7 cf. annexe 5 :
« schéma de la phase amiable »
* 8 cf. annexe 6 :
« schéma de la phase de recommandation »
* 9 cf. annexe 8 :
« barème de la Banque de France »
* 10 cf. annexe 1 :
« définitions »
* 11 cf. annexe 9 :
« l'évolution de la société française
depuis 1945 »
* 12 ROCHEFORD R. : La
société des consommateurs ; Paris, édition Odile
Jacob, 1995
* 13 ROCHEFORD R. : La
société des consommateurs ; Paris, édition Odile
Jacob, 1995, p.36
* 14 cf. annexe 1 :
« définitions »
* 15 SACRISTE V. :
« Communication publicitaire et consommation d'objet dans la
société moderne » ; Cahiers internationaux de
sociologie et liens sociaux, Paris, édition PUF, janv.-juin 2002 (pp.
123-150)
* 16 GARDAZ M. : le
Surendettement des particuliers ; Paris, édition Anthropos,
1997
* 17 ROCHEFORD R. : La
société des consommateurs ; Paris, édition Odile
Jacob, 1995
* 18 SACRISTE V. :
« Communication publicitaire et consommation d'objets dans la
société moderne » ; Cahiers internationaux de
sociologie et liens sociaux, Paris, édition PUF, janv.-juin 2002
(pp.123-150)
* 19 DAVIET E. ET LEVY-DAVILA
M. : L'argent à tout prix; Paris, édition Flammarion,
2005
* 20 LA HOUGUE A. de :
L'Homme et le Surendettement ; Paris, édition l'Harmattan,
2002
* 21 LA HOUGUE A. de :
L'Homme et la Surendettement ; Paris, édition l'Harmattan,
2002
* 22 GALLOIS T. :
Psychologie de l'argent ; Paris, édition J'ai lu
Bien-être l'archipel, 2003
* 23 BAUDRILLARD J. :
Pour une critique de l'économie politique de signe ; Paris,
édition Gallimard, 1972
* 24 cf. annexe 1 :
« définitions »
* 25 BOURDIEU P. : La
Distinction, critique sociale du jugement ; Paris, les Editions de
Minuit, 1979
* 26 HALBWACHS M. :
Classe sociale et Morphologie ; Paris, les Editions de Minuit,
1972
* 27 BAUDRILLARD J. :
La société de Consommation ; Paris, édition
Denoël, Folio Essais, 1970
* 28 BAUDRILLARD J. :
Pour une critique de l'économie politique de signe ; Paris,
édition Gallimard, 1972
* 29 cf. annexe 1 :
« définitions »
* 30 LESNE M., MINVIELLE
Y. : Socialisation et formation ; Paris, édition
païdeia, 1990
* 31 LA HOUGUE A. de :
L'Homme et le Surendettement ; Paris, édition l'Harmattan,
2002
* 32 BOURDIEU P. : La
Distinction, critique social du jugement ; Paris, les Editions de
minuit, 1979
* 33 BOURDIEU P. : La
Distinction, critique social du jugement ; Paris, les Editions de
minuit, 1979, p. 422
* 34 cf. annexe 1 :
« définitions »
* 35 BOURDIEU P. : La
Distinction, critique social du jugement ; Paris, les Editions de
minuit, 1979, p. 433
* 36 ACCARDO A. :
Introduction à la sociologie, l'illusionnisme social, une lecture de
BOURDIEU ; Bordeaux, édition Le Mascaret, 1991
* 37 MERMET G. :
Francoscopie, Pour comprendre les Français 2005, Paris,
édition Larousse, 2004
* 38 MINISTERE DE L'EMPLOI ET
DE LA SOLIDARITE : Le programme et la loi de prévention et de
lutte contre les exclusions ; sous direction de la
communication, avril 1999
* 39 cf. annexe 10 :
« grille d'entretien exploratoire avec les
professionnels »
* 40 cf. annexe 11 :
« questionnaire exploratoire auprès du public »
* 41 cf. annexes 12 et
13 : « grille d'entretien auprès des
professionnels » et « grille d'entretien auprès du
public »
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