2.3.2 Le risque du mélange des repères dans
l'usage des médias radio et internet
Avec les possibilités multipliées
d'écouter la radio, et la construction par chacune d'elle de sites
internet correspondants, si en premier lieu on peut estimer que cela
développe la présence de la radio, on peut également, en
second lieu, craindre que la radio et le site internet confondent leurs
auditeurs au niveau des repères médiatiques.
La radio se caractérisait par son importance de
sollicitation du sens auditif. En se connectant sur le site, on utilise un
autre média, Internet, pour obtenir l'écoute de cette radio. Or,
Internet mélange interactivité, sons et images, et va par
conséquent plus loin que la simple diffusion de sons. En fin de compte,
lorsqu'un internaute se connecte sur le site et choisit d'écouter la
radio par streaming, il peut continuer à visiter ses pages et
rubriques en même temps. Mais considère-t-il qu'il utilise le
média radio ou le média internet ? Certes, l'un
n'empêche pas l'autre : on peut lire un journal tout en
écoutant la radio... mais l'un ne se confond pas dans l'autre comme
ça peut être le cas pour la radio envers le site à partir
du moment où elle y prévoit l'écoute de ce qu'elle
diffuse.
On peut avancer l'idée que la radio garde
néanmoins sa particularité de produire des sons sans
images : même en écoutant une émission par internet,
on ne voit pas pour autant d'images animées de l'animateur et de ses
éventuels invités ou chroniqueurs, excepté si la salle
d'enregistrement est filmée (par une webcam par exemple). Elle peut
être retransmise en direct grâce aux possibilités de la
technologie numérique qui peut diffuser des images sur un site web. Dans
ce cas on entre dans une autre forme de relations avec l'auditeur et de
définition de ses propres médias. Dans l'analyse des sites et
rubriques que nous avons réalisée, nous constatons que ce type de
diffusion d'images vidéo en direct est proposé par deux
radios : Europe 1 et Rires et Chansons. Rires et Chansons a fait ce choix
pour correspondre à sa ligne éditoriale. Cette radio se
positionne sur l'humour, la diffusion de sketchs, et ce type de spectacle, s'il
peut être apprécié en seule écoute, a aussi sa
chance de plaire davantage aux auditeurs-internautes s'il a sa diffusion en
mode vidéo. De plus, l'ambiance d'un studio de radio est retranscrite
d'autant mieux par un mode visuel, surtout dans le cas de l'humour : c'est
pour cette raison que la radio RTL invite le public à assister à
l'émission des « Grosses têtes » depuis des
années, et que Rires et Chansons a souhaité instaurer cette
proposition à destination de l'internaute.
Dans le cas d'Europe 1, c'est, nous pouvons avancer
l'idée, une façon d'impliquer davantage l'internaute
fidèle dans les émissions de la radio, et d'éveiller sa
curiosité, ainsi que sa connaissance d'Europe 1 pour, ensuite, le
fidéliser plus facilement. De plus, on a ainsi l'impression d'être
traité en privilégié par la radio puisque cette
dernière propose de visualiser ses coulisses et tous ses studios
d'enregistrement.
Pour les auditeurs, un studio d'enregistrement de radio a
toujours une certaine part de mystère, car c'est ce qui reste dans
l'ombre en général lors d'une émission, et il est rare
qu'on puisse le visiter. C'est un lieu qui n'est accessible, dans la plupart
des cas, que pour le personnel de la radio et les interlocuteurs
sollicités (par exemple des hommes politiques dans le cas des
interviews, ou des chroniqueurs travaillant avec plusieurs radios). L'auditeur
sent qu'il n'y a pas sa place. Or, avec l'installation des webcams, cela change
tout : l'internaute visionne le studio filmé par la webcam et c'est
un avantage supplémentaire qu'il détient par rapport à un
auditeur qui ne possède pas internet ou qui ne se connecte pas au site.
Il a un statut privilégié de pouvoir voir ce qui se passe en
studio, c'est ce sentiment que la radio cherche à provoquer chez lui.
Du côté de l'animateur, la proposition de
visionner le studio radiophonique est un argument pour obtenir la connexion et
la participation éventuelle de l'auditeur à l'émission.
C'est ce que rappelle souvent à l'antenne les présentateurs sur
Europe 1, mettant en avant cette capacité que les autres radios n'ont
pas...
Enfin, toutes ces possibilités techniques permises par
Internet et les nouvelles technologies du multimédia orientent la radio
vers une nouvelle dimension. D'une part, c'est un autre type de
réception, de lecture : l'internaute est sollicité
visuellement et au niveau auditif. En se connectant au site, on a une approche
ludique, un sentiment de découverte (si c'est la première fois
qu'on se connecte) par rapport à ce qu'on pouvait connaître de
cette radio, en tant qu'auditeur régulier. D'autre part, en choisissant
d'écouter la radio par le site internet, on transforme ce média
en le rapprochant d'un mélange presse et radio ou presse et
télévision (dans le cas où l'on décide de suivre
l'évolution de l'émission grâce à la webcam). En
effet, l'internaute se retrouve à lier une action de lecture de mots, de
formes, de couleurs (par l'architecture esthétique de la page web, par
la charte graphique qui est appliquée et conçue pour donner envie
de regarder et rester sur le site), à une action d'écoute (de la
radio) associée éventuellement à une action de visionnage
(dans le cas de la vidéo). Tous les sens sont sollicités, au
point que l'internaute peut avoir le sentiment de ne plus savoir quel
média il utilise... Dans ce contexte, difficile de s'y retrouver. Or,
tous ces éléments participent à la stratégie de
communication élaborée par la radio pour être attractive
aux yeux (et aux oreilles) de l'internaute. L'objectif est que celui-ci reste
le plus longtemps possible sur ce site et satisfasse, par la même
occasion, les partenaires publicitaires qui souhaitent s'exposer à
l'internaute, en échange d'un achat d'espace auprès de la radio
(qui fait ainsi rentrer des fonds financiers). Nous allons maintenant aborder
les perspectives qu'apportent la construction d'un site internet à une
radio, dans sa communication et son offre.
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