6.2. Critères endogènes
d'appréciation du riz et leur hiérarchisation
Le riz est un aliment produit et largement consommé
par les populations de la commune de Glazoué. Il occupe une place
importante dans la consommation alimentaire des ménages. La plupart des
consommateurs de la commune de Glazoué préfèrent du riz
étuvé pour diverses raisons. Selon les perceptions,
l'étuvage du riz permet d'améliorer ses caractéristiques
culinaires et organoleptiques que sont le taux de brisure, le goût, la
texture, l'homogénéité de la cuisson, etc. Les
préférences des consommateurs locaux se fondent sur
différents critères qu'on peut regrouper en deux
catégories. Il s'agit des critères d'appréciation sur le
riz crû et ceux sur le riz déjà cuit (riz bouilli).
Les critères endogènes d'appréciation du
riz varient d'un individu à un autre ainsi que l'importance relative de
ces derniers dans les systèmes de préférences
individuelles. Mais à partir des préférences
individuellement exprimées, il est possible de dégager une
préférence qui répondra à la
préférence collective. Ainsi, chaque consommateur était
amené à hiérarchiser ses critères de
préférence dans les deux cas (riz cru et riz cuit). Le test de
Kendall a été utilisé pour tester la concordance des
classements faits par chaque consommateur. L'utilisation de ce test se justifie
par le fait que, tous les critères étaient connus d'avance par le
biais de l'étude exploratoire. Ces critères préalablement
identifiés ont été soumis au classement par chaque
consommateur enquêté.
Dans les parties suivantes, nous allons
présenté les critères endogènes
d'appréciations du riz (le riz crû et cuit) ainsi que leur
hiérarchisation c'est-à-dire leur importance relative dans le
système de préférence du consommateur après les
avoir opérationnalisé.
6.2.1. Critères d'appréciation du riz
crû et leur hiérarchisation
6.2.1.1. Critères d'appréciation du riz
crû
La qualité du riz est d'abord appréciée
par rapport à sa présentation qui est un facteur qui attire le
consommateur. Certaines caractéristiques physiques du riz lais sent
déjà présager de sa qualité à la cuisson.
Les critères de jugement de la qualité physique du riz
généralement évoqués par les consommateurs sont :
la propreté, le taux de brisure, la couleur, la saveur/odeur,
l'importance des grains non décortiqués dans l'échantillon
du riz ou taux de paddy, la présence ou non de grains noirs dans
l'échantillon du riz et son aptitude à la conservation.
> La propreté
Un riz propre est un riz qui ne présente pas
d'impureté (grain de sable, cailloux...) et dont des débris de
balle ne subsistent sur le grain après décorticage. Les
consommateurs n'apprécient pas le riz avec de la poussière de
son. Le critère propreté du riz est donc un critère
très important d'appréciation de la qualité du riz. Du
point de vue des consommateurs, c'est la propreté du riz qui le rend
attrayant.
> Taux de brisure
Les consommateurs enquêtés
préfèrent le riz dont le taux de brisure est faible. Un taux de
brisure élevé diminue la valeur marchande du riz et le rend
indésirable par les consommateurs. Au même titre que la
propreté, le taux de brisure est un critère visuel
d'appréciation de la qualité du riz par le consommateur.
> Importance des grains non
décortiqués
Dans certains cas, après le décorticage du riz,
certains grains non décortiqués subsistent dans
l'échantillon. Ceci demande au moment de la préparation du riz un
travail de triage supplémentaire. Ainsi, les consommateurs
préfèrent du riz dans lequel ne subsistent pas de grains non
décortiqués.
> Couleur
Selon nos enquêtes, les consommateurs
préfèrent du riz de couleur blanche. La coloration du riz
dépend de la réussite de l'étuvage. Toutes les
transformatrices enquêtées affirment que la coloration parfois
jaune foncée du riz dépend exclusivement de la maîtrise de
l'étuvage par l'opérateur (la transformatrice). Ce défaut
part déjà de la réussite de l'étape du trempage
à chaud dans le processus d'étuvage et ceci s'accentue lorsque la
transformatrice n'arrive pas à bien apprécier la quantité
d'eau à verser dans la marmite lors de l'étape de la cuisson. Un
riz de couleur blanche est très attrayant et bien apprécier des
consommateurs.
> L 'odeur / saveur
L'odeur est un critère d'appréciation de la
qualité du riz qui témoigne de la réussite des
activités de sa transformation. Mais il est important de rappeler ici
que le critère odeur souvent évoqué par les consommateurs
est complètement différent du parfum du riz qui lui, peut
dépendre de la variété du riz. En effet, selon les
transformatrices enquêtées, il existe une corrélation entre
la méthode d'étuvage et la saveur du riz
décortiqué. Le séjour du paddy dans
l'eau froide8 donne au riz une odeur forte qui le
rend non désirer par les consommateurs. Toutefois, la mauvaise conduite
de l'étuvage peut donner au riz une telle odeur. A l'instar de la
couleur, l'odeur / saveur du riz est un critère d'attraction du
consommateur.
> Importance de grains noirs dans le riz
Dans le riz étuvé décortiqué
existe parfois de grains noirs du à certains facteurs comme la
qualité du paddy et l'étuvage. La mauvaise conduite de
l'étuvage9 entraîne la carbonisation des grains
situés en bas de la marmite, ce qui peut entraîner la
présence de grains noirs dans le riz si les grains carbonisés
n'ont pas été triés avant le décorticage. D'autres
facteurs sont à la base de cette caractéristique. Selon les
transformatrices, l'épandage de l'engrais à partir du stade
où le riz amorce la floraison (stade de début floraison) et le
déficit hydrique à partir de ce stade accélère la
maturation des grains paddy ; ce qui a pour conséquence
l'assèchement des grains n'ayant pas atteint le stade de maturité
complète. Et ce sont ces grains qui sont noirs au décorticage.
Aussi, selon les perceptions, les grains partiellement attaqués par les
oiseaux granivores sont-ils noirs au décorticage. Il faut aussi ajouter
au nombre de ces facteurs, le mauvais lavage et/ou triage lors de
l'étuvage qui fait que les grains non mûrs subsistent dans le riz
à étuver.
> Aptitude à la conservation
Le riz cargo n'est pas toujours immédiatement
consommé par le consommateur juste après son achat. Il est
parfois stocké pendant quelques semaines avant sa consommation. Lorsque
le riz cargo n'est pas de bonne qualité, il peut développer des
moisissures et bactéries (les parasites) pendant le stockage, le rendant
impropre à la consommation. Plusieurs facteurs peuvent être
à la base de ce défaut que peut présenter le riz cargo.
L'eau est le principal facteur de dépréciation
de la qualité du riz au stockage. En effet, pour bien appréhender
l'importance de l'eau dans les problèmes de conservation, il faut avoir
constamment à l'esprit les principes qui régissent son adsorption
par les constituants chimiques du grain (Guir-Arich et al, 1967;
Robert, 1972; Duck, 1975). Il existe une relation entre la durée
maximale de stockage des grains et leur teneur en eau. En règle
générale, on admet qu'un accroissement de 5% d'humidité
diminue de moitié la durée de conservation (Kossou et Aho,
1993).
8Première étape d'étuvage de
l'ancienne méthode traditionnelle d'étuvage. 9 Etuvage
traditionnel
La mauvaise conduite de l'étuvage conduit à un
riz cargo pas bien sec impliquant des dégâts au stockage. Le taux
d'humidité du riz cargo est un facteur déterminent son aptitude
à la conservation. Ce taux d'humidité dépend dans une
certaine mesure de la réussite de l'étuvage. Selon nos
enquêtes, ils existent des méthodes endogènes
d'appréciation du degré d'humidité du cargo. L'indicateur
d'un riz cargo bien sec prêt pour le stockage est le son aigu qu'il
produit sous la dent.
6.2.1.2. Hiérarchisation des critères
d'appréciation du riz crû
L'importance relative de chaque critère
d'appréciation de la qualité du riz crû est
résumée dans le tableau 12. Ce tableau présente le rang
moyen de chaque critère ainsi que l'ordre qu'il occupe dans la
hiérarchie des valeurs. Les résultats du test de concordance de
Kendall effectué sur les rangs sont aussi présentés dans
ce tableau.
Tableau 12: Classification des critères
d'appréciation du riz cargo
Critères
|
Rang moyen
|
Ordre
|
|
|
Propreté
|
1,19
|
1
|
Test statistics
|
|
Taux de brisure
|
2,11
|
2
|
N
|
75
|
Couleur
|
3,28
|
3
|
Kendall's W(a)
|
,806
|
Présence ou non de grains noirs
|
4,15
|
4
|
Chi-Square
|
362,753
|
Importance de grains non décortiqués
|
5,26
|
5
|
df
|
6
|
Odeur
|
5,33
|
6
|
Asymp. Sig.
|
,000
|
Aptitude à la conservation
|
6,68
|
7
|
|
|
|
W (a ) : Kendall's Coefficient of Concordance Source:
Enquête, 2006
Les résultats du tableau montrent que le coefficient
de concordance de Kendall est hautement significatif au seuil de 1%. On en
déduit donc que les différents classements effectués par
les consommateurs, ne sont pas indépendants les uns des autres. En
d'autres termes, les classements observés sont, dans l'ensemble,
extrêmement cohérents.
Ainsi, à partir des rangs indiqués au tableau
12, on peut dire que les trois premiers critères d'appréciation
du riz cru sont la propreté, le taux de brisure et la couleur du riz.
Ceci traduit que ces trois critères sont les plus importants dans le
choix du riz par les consommateurs. Le critère aptitude du riz cargo
à la conservation est souvent classé en dernière position
par les enquêtés car dans les zones d'étude les
problèmes de stockage du riz cargo ne se pose pratiquement pas et ceci
pour diverses raisons. Le riz local décortiqué n'est
conservé que pendant quelques semaines avant sa consommation. La
pratique de conservation
du riz en paddy est la plus courante. Aussi, l'étuvage
du riz très répandu dans la zone permet de garder intact le
péricarpe (après décorticage) qui assure une bonne
protection à la couche à aleurone, limitant ainsi les
phénomènes de rancissement au cours du stockage. De même
ces grains de riz pré bouillis sont moins attaqués par les
insectes post-récoltes que le riz blanc ou poli chez lequel le
péricarpe, la couche à aleurone et le germe sont absents (Kossou
et Aho,1993).
6.2.2. Critères d'appréciation du riz
cuit et leur hiérarchisation
6.2.2.1. Critères d'appréciation du riz
cuit
Les critères d'appréciation de la
qualité du riz cuit souvent évoqués par les consommateurs
sont les suivants : le goût, la texture, le degré de gonflement,
la durée de cuisson et l'aptitude à la conservation.
> Le pouvoir gonflant
Le pouvoir gonflant du riz est un critère
d'appréciation de la qualité culinaire du riz. Cette aptitude du
riz est très recherchée par les consommateurs car entraîne
une augmentation du volume du riz après la cuisson. En effet, le
gonflement du riz est apprécié par son volume après cuis
son ; pour une même quantité de riz crû et pour une
même préparation, un riz qui occupe plus de volume dans l'assiette
est plus apprécié par rapport à un riz occupant un volume
moindre. Il est dit plus économique car la quantité de riz
crû sera alors diminuée. Les consommateurs enquêtés
savent bien apprécier le pouvoir gonflant du riz. En appréciant
la capacité du gonflement du riz, un enquêté s'exprime en
ces termes "lorsque tu prends un peu, il faut que la
casserole se remplisse". Cette
déclaration prouve comment les acteurs apprécient le pouvoir
gonflant du riz et montre que ces derniers préfèrent les riz qui
se gonflent bien à la cuisson.
> Texture
La texture du riz après cuisson est l'aspect qu'il
présente. Le riz présente différents aspects après
cuisson. Mais l'aspect recherché par les consommateurs
enquêtés est l'aspect non collant des grains. La texture du riz
après cuis son dépend de la méthode de traitement du paddy
(méthode de transformation). Certains indices du riz cargo cru
permettent de prédire sa texture après cuisson. Selon les
transformatrices, la teneur en eau du riz cargo en est un. En effet, lorsque le
riz cargo n'est pas bien sec à la cuisson il présente un aspect
pâteux et le rend
non désirer par les consommateurs. L'aspect
pâteux du riz résulte de la non gélatinisation
complète de l'amidon lors de l'étuvage. La
dépréciation de la texture du riz est liée à la
mauvaise conduite de l'étuvage qui ne permet pas le séchage
complet des grains paddy avant décorticage.
> Le goût
C'est un facteur organoleptique d'appréciation de la
qualité du riz. Le critère goût est un facteur
socio-culturel important qui dépend des habitudes alimentaires du
consommateur. Pour être désiré par le consommateur, le riz
doit avoir un bon goût.
> La durée de cuisson
C'est un critère évoqué par les
consommateurs pour faire allusion au temps que met le riz cru avant de cuir
complètement. Les consommateurs recherchent un riz qui se cuit vite car
l'allongement de la durée de cuisson augmente les dépenses en
énergie (souvent du bois de chauffe qui est une ressource rare dans la
zone d'étude) pour sa cuisson.
> Aptitude à la conservation
Comme pour le riz cru, les consommateurs recherchent une
bonne aptitude de conservation du riz cuit. En effet, selon les habitudes
alimentaires dans la zone d'étude, les restes d'aliments
préparés la nuit sont souvent chauffés le lendemain matin
pour être consommé comme petit déjeuner. Les populations ne
font pas attention à la quantité d'aliment à
préparer pour satisfaire juste les besoins du ménage. Un riz qui
ne peut se conserver 8 à 10 h au moins après cuisson obligerait
les populations à changer leurs habitudes au risque de jeter
fréquemment les restes (partie non vite consommée). Ceci ne
serait pas du goût de ces dernières qui ne ménageront aucun
effort pour le rejeter.
6.2.2.2. Hiérarchisation des critères
d'appréciation du riz cuit
Les résultats de la hiérarchisation des
critères d'appréciation sur le riz cuit sont
résumés dans le tableau 13.
Tableau 13: Hiérarchisation des critères
d'appréciation du riz cuit
Critères
|
Rang moyen
|
Ordre
|
Test Statistics
|
|
Pouvoir gonflant
|
1,37
|
1
|
N
|
75
|
Goût
|
1,68
|
2
|
Kendall's W(a)
|
,883
|
Texture
|
3,04
|
3
|
Chi-Square
|
265,011
|
Durée de cuisson
|
4,13
|
4
|
df
|
4
|
Aptitude à la conservation
|
4,78
|
5
|
Asymp. Sig.
|
,000
|
|
W (a): Kendall's Coefficient of Concordance Source:
Enquête, 2006
Les résultats de ce tableau 13 montrent aussi que le
coefficient de concordance de Kendall est hautement significatif au seuil de
1%. On en déduit ici aussi que les différents classements
effectués par les consommateurs, ne sont pas indépendants les uns
des autres. En d'autres termes, les classements observés sont, dans
l'ensemble, extrêmement cohérents. Et nous pouvons conclure que
les critères de préférence (sur le riz cuit) les plus
importants dont tient compte le consommateur sont la capacité de
gonflement et le goût du riz.
De tous les critères, le plus important demeure le
pouvoir gonflant. Ceci montre que les populations locales tout en recherchant
la qualité, mettent l'accent sur l'aspect quantitatif. "Le ventre
d'abord", "il suffit d'avoir le ventre plein" ; sont les termes
souvent évoqués par les enquêtés lorsque nous
abordons la question de la hiérarchisation des critères
d'appréciation du riz après cuisson. Ces termes montrent la
primauté du critère pouvoir de gonflement du riz sur les autres
critères tout au moins dans le rang de l'ensemble des critères
évoqués pour apprécier le riz cuit. Après le
critère goût, le critère texture du riz est le plus
important. Les consommateurs affectionnent un riz qui ne se colle pas
après cuisson. Pour justifier l'antipathie des consommateurs du riz
collant, la déclaration de l'un de nos enquêtés est
édifiante
« Si je veux manger la pâte, je saurai que je
veux manger la pâte et si je veux manger du riz, je saurai que je veux
manger du riz. Mais je ne peux pas manger du riz qui ressemble à de la
pâte ».
Le critère aptitude à la conservation occupe
certes la dernière place mais revêt une importance capitale compte
tenu des habitudes alimentaires dans la zone d'étude. Ce critère
est souvent classé en dernière position parce que la plupart des
enquêtés déclarent qu'ils entendent parler qu'il existe des
variétés de riz qui, lorsque préparé la veille, les
restes ne peuvent plus être chauffés le lendemain pour la
consommation, mais qu'ils ne connaissent pas encore une telle
variété. Cependant, certains d'entre nos enquêtés
(les producteurs) ont
déclaré que la variété Wab
présente cette propriété et pour ce fait, la
réserve pour la vente en paddy au commerçants qui viennent de
Malanville10. Ce riz quitte donc le circuit de commercialisation
locale et ceci montre l'importance de l'aptitude du riz à la
conservation dans la zone d'étude.
Il est important de signaler ici que selon une étude
menée par Houssou (2005) sur l'aptitude à l'étuvage de
huit variétés de riz cultivé au Bénin, la
variété Wab se prête mieux à l'étuvage loin
devant les variétés locales Gambiaka et Cogbèdè.
Cette évaluation était basée sur les critères :
taux de brisure, couleur, propreté et la présence ou non de
grains noirs dans l'échantillon du riz non cuit ; le goût, le
pouvoir gonflant et l'aspect collant ou pour l'échantillon de riz cuit.
Au terme de cette étude, la variété Wab était la
variété la plus conseillée aux transformatrices. La
déclaration de certains de nos enquêtés à l'endroit
de la variété Wab constitue donc un contraste qu'il va falloir
clarifier.
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