Cette analyse révèle que :
A la période précoloniale, le
fait urbain dans le royaume de Danxomè qui excluait toute pratique
formelle de lotissement était le produit de la politique expansionniste
(La plupart des zones ont été conquises à partir des
razzias organisées par les rois ; cf. carte n°2) et de la
politique d'occupation du sol qui avait une forme spirale dont le centre
était le palais royal public (musée historique appelé
Singbodji en fon) avec ses 7 quartiers historiques de reflet urbain
(cf. Carte n°III).
A la période coloniale, cet urbanisme
précolonial avait connu un déclin car les idéologies
coloniales et son mode de domination ne s`inscrivaient pas dans les logiques
des Aboméens du fait urbain. On a pour preuve, l'introduction du droit
foncier moderne et du capitalisme à côte de celui du droit foncier
traditionnel, la modification de la structure de la forme de l'habitat, la
perte de l'hégémonie de la royauté, ce qui se traduisait
par un affaissement du tissu urbain qui était fortement sous l'emprise
de la cour royale et la naissance de nouveaux centres urbains tel que Bohicon
au XXème siècle. Cet urbanisme colonial dans la
région d'Abomey-Bohicon bien qu'étant un facteur d'expansion
urbaine pour la ville de Bohicon ne visait pas les objectifs de
développement urbain que sont : la planification urbaine, la gestion
urbaine, le développement de la voirie, l'aménagement du
territoire mais plutôt la délimitation d'un espace public et d'un
espace rural pour le contrôle du territoire.
A la période postcoloniale, du point
de vue démographique, Abomey et Bohicon ont les taux d'urbanisation
(76,16% pour Abomey et 58,34% pour Bohicon ) les plus élevés du
Département du Zou, selon le RGPH3. Les travaux de lotissement entrepris
depuis les années 70 à nos jours dans les deux communes, sont des
facteurs explicatifs du développement des centres urbains et de la
concentration de la population dans certains quartiers urbains et
périurbains. De par les pratiques de lotissement dans les deux communes
depuis les années70, on peut dire le lotissement "tout azimut",
c'est-à-dire répondant aux seules normes urbanistiques, n'est pas
l'apanage de toutes les villes. C'est le cas d'Abomey mais, paradoxalement, les
nombreux succès des opérations de lotissement dans la commune de
Bohicon peuvent s'expliquer par le caractère ouvert de son
système foncier, le caractère moins sacré de la terre et
les contraintes urbanistiques mineures (site présentant moins
d'accident). La ville de Bohicon s'est donc développée non
seulement à l'intérieur mais aussi en absorbant les franges
périurbaines suivant le réseau des routes notamment celui allant
d'Abomey vers Bohicon, ce qui concourt à l'explication de leur
conurbation (Cf. carte n° IV sur les champs urbains dans la
conurbation d'Abomey et de Bohicon). Une conurbation qui demeure physique
et non traduite dans les pratiques de développement.
En ce qui concerne, l'appréciation du degré
d'urbanisation des zones loties et non loties, le calcul de l'indice
synthétique de modernité des unités d'habitation des
ménages des sites de recherche révèle que les acteurs
sociaux apprécient différemment le type de milieu (urbain ou
tohounnoukoun ; rural ou glétoxo) dans lequel il
se trouve. Détohou et Tovigomè, deux milieux ruraux non
affectés encore par les opérations de lotissement et très
peu urbanisés sont désignés comme
`'glétoxo''. Saclo et Séhoun respectivement en cours de
lotissement et non loti peuvent être classés comme semi-urbains.
Djègbé et Djognangbo sont, d'après les acteurs
enquêtés, deux milieux urbains (tohounnoukoun). Si
Djognangbo, une zone rurale (il y a 5 ans) est devenue urbaine du fait du
lotissement, il faut noter que Djègbé doit son titre de
`'tohounnoukoun'' plus à l'implantation de l'espace vert de la
place de Goho `'la statue du roi Béhanzin'' ; à
l'installation du palais royal privé du Roi Glèlè
(1858-1889) qui a insufflé un dynamisme urbain à cette
localité. Toutefois, nombre d'habitations existantes dans les maisons
familiales présentent des caractéristiques de ruralité
telles que définies dans la présente étude. Mais, il
s'agit plutôt d'une ruralité qui doit être
relativisée car même si, elle est toujours de mise dans les
franges périurbaines loties, des acteurs sociaux pensent que
l'urbanisation n'est pas en contradiction avec l'intégration des
éléments du milieu naturel ou des pratiques traditionnelles dans
les constructions modernes (utilisation de la terre de barre).
S'agissant de la gestion des espaces
agricoles, la raison majeure qui emmène les
enquêtés à faire de l'agriculture est la recherche
permanente d'une autosuffisance alimentaire que l'on soit en milieu
`'tohounnoukoun'' ou en milieu `'glétoxo''. De plus,
pour la majorité des acteurs sociaux enquêtés,
l'agriculture urbaine permet d'assainir le milieu urbain et participe à
la lutte écologique. A cet effet, elle induit très peu, une
ruralisation de la ville. La variation relative calculée suivant
l'évolution des champs cultivés entre 2001-2005 montre que sur
tous les sites (loti et non loti), la réduction des espaces agricoles
est un fait tangible. Ces superficies ont baissé moyennement de 62,12%
à Goho2 (site loti en 1995), de 25,60% à Goho1 (site loti en
1974). Djognangbo, une localité lotie à peine, il y a 5 ans a
connu également les mêmes changements (réduction de
42,95%). Les champs cultivés à Sèhoun et à Saclo,
ont perdu le tiers de leurs espaces agricoles tandis qu'ils ont
été réduits d'au moins 50% à Détohou et
à Tovigomè. Cette réduction des superficies
cultivées est essentiellement due en zones loties au morcellement des
parcelles et à l'ampleur du marché foncier tandis qu'en zones non
loties, elle est liée à la vente de terres conséquente
à l'expansion urbaine. La conséquence majeure est qu'il y a, une
baisse significative des activités agricoles suivie d'une diminution des
actifs agricoles et de la reconversion des agriculteurs dans de nouveaux
métiers. Peut-on continuer à faire les lotissements sans tenir
compte des enjeux économiques de la ressource
« terre » des communes rurale et urbaine à vocation
agricole ?
Du point de vue des transactions
foncières, l'étude a révélé qu'il
existe sur les 5 dernières années : (i) Un prix
du mètre carré urbain dont la variation est comprise entre 1000F
et 2000F à Djègbé (Goho1 et 2, Abomey). Tandis qu'à
Djognangbo (Bohicon), il est compris entre 400F et 1500F (de nos jours) et peut
s'expliquer par le fait, qu'il s'agit d'un site nouvellement loti (2001) et qui
est actuellement, objet de convoitise ; (ii) Un prix du
mètre carré périurbain dont la variation est comprise
entre 100F et 350F à Sèhoun (Abomey) alors qu'elle est dans
l'intervalle de 200F à 500F à Saclo (Bohicon) et enfin,
(iii) Un prix du mètre carré rural dont la
variation est comprise entre 90F et 170F à Détohou (Abomey)
tandis qu'elle est dans l'intervalle de 100F à 350F à
Tovigomè (Bohicon). On peut donc tirer la conclusion, qu'au moment
où la superficie des champs diminue, le marché de la terre
connaît un accroissement assez remarquable. Toutefois, on pourrait
s'étonner de la dynamique du marché foncier en milieux
périurbain et rural mais, cela peut s'expliquer par le fait qu'avec, le
morcellement des domaines opéré par le lotissement, les
propriétaires terriens par crainte de se voir déposséder
de leurs terres, procèdent à un morcellement privé et les
vendent.
A propos de la configuration du patrimoine foncier
familial, l'application de coefficients de réduction assez
élevés dans les zones loties (50% à Zakpo à
Bohicon, 48% à Goho1 par exemple) a fait que la structure très
ancienne de l'espace familial a connu des modifications : des domaines
familiaux sont réduits de moitié; des domaines familiaux sont
morcelés en parcelles, avec fiches et numéro; des
`'kpatin'' sont transformés en carrés, vendus à
une tierce personne alors que dans la tradition `'on n'achète, ni on
ne vend pas le kpatin ; c'est le hennu qui le donne''; le kpatin ne
se donne même plus dans certaines zones urbaines telle que Goho1; un
propriétaire terrien ou un acquéreur de parcelles peut être
recasé sur le kpatin d'une autre collectivité; des voies
traversent des kpatin voire des xolihennu; des lieux sacrés, de culte et
d'inhumation sont saccagés, déplacés du fait du
lotissement; la déstabilisation des structures familiales; la
morphologie du domaine des collectivités familiales est
profondément déstructurée; etc.
Dans le contexte actuel de la décentralisation, un
impératif des opérations d'urbanisme de nos jours est la prise en
compte de ces réalités endogènes du foncier.
Par ailleurs, si les acteurs sociaux ont pu
intérioriser cette pratique du lotissement au point où en langue
Fon, elle est diversement désignée (Xwe mima, Xwé mima
bo axosu do nu dé min, Ezè ali gbo tohounounkoun, etc.), il
n'en reste pas moins que les avantages attendus ne semblent pas toujours se
réaliser. Le lotissement donne alors lieu à des conflits
fonciers, qui se propagent même au-delà, des zones loties. On
parlera de conflits de lotissement en latence dans les zones non encore loties.
Il est donc urgent de trouver des solutions à ces conflits pour que le
lotissement puisse être un moyen de socialisation du genre humain.
Des recommandations ont été donc
formulées en vue d'une viabilisation des espaces fonciers pour une
gestion urbaine conséquente ; des stratégies de maintien des
espaces agricoles dans un contexte de lotissement ont été
définies de même que pour une urbanisation respectueuse de
l'environnement social.
La lecture même du rapport de recherche peut permettre
à la communauté scientifique, à la configuration
développementiste et aux acteurs sociaux de mieux apprécier la
pertinence de cette étude et de mettre en relief l'analyse qui est faite
des pratiques de lotissement face aux dynamiques foncières dans les deux
villes (Abomey et Bohicon) qui ont des réalités
économique, sociale, politique, culturelle, etc. différentes mais
qui peuvent s'imbriquer.
Mots et expressions clés :
urbanisation, urbain, périurbain, ruralité, rural, lotissement,
urbanisme, agriculture urbaine et périurbaine, conurbation, espace,
foncier, famille.
Hygin
KAKAI,
Diplômé en Education culturelle
Maître Socio-anthropologue
hyginfaust@gmail.com
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