Discriminations et conflits, Contribution à l'étude de la « conscience de condition » de la population de Ngaba( Télécharger le fichier original )par Jean Pierre Mpiana Tshitenge wa Masengu Université de Kinshasa - D.E.A en sociologie 2004 |
1.2.4. Des études évaluativesL'analyse des sociétés africaines en général et congolaise en particulier, partant du modèle marxiste des classes sociales soulève quelques difficultés ainsi que le fait remarquer C.M. Mwabila à la suite de G. Balandier20(*). En effet, pour C.M. Mwabila, les classes sociales se heurtent en Afrique à deux ordres de difficultés : la diversité et l'hétérogénéité. La diversité résulte des facteurs multiples telles que la variété des sociétés traditionnelles, les incidences différentielles des colonisations, les divergences résultant des choix faits après l'indépendance en matière politique. Ces diversités ne peuvent s'interpréter à partir d'un modèle structurel unique, telles les classes sociales, bien que ces diversités voisinent avec certaines caractéristiques communes comme par exemple une large prédominance de la paysannerie, un petit nombre des entrepreneurs autochtones, l'importance de la couche vivant de la bureaucratie, l'émergence d'une nouvelle classe que Balandier appelle « classe des gestionnaires de l'Etat moderne ». Quant à l'hétérogénéité, elle découle principalement de l'existence dans les sociétés africaines modernes d'éléments d'âges différents, la multiplicité de critères de différenciation sociale, des critères relevant du passé, d'autres conditionnés par le présent. S'agissant des critères du passé, G. Balandier signale une forte résistance à l'apparition des classes sociales parce que les inégalités s'expriment davantage au niveau de prestige et de pouvoir qu'au niveau de richesse. Concernant les critères du présent, Balandier le nouveau type de différenciation sociale issue de la généralisation de l'Etat, du développement des villes et de l'économie marchande, de la modification directe ou indirecte des régimes fonciers, de la diffusion d'un savoir nouveau qui valorise la connaissance écrite, de la dénaturation de la culture traditionnelle et de la dissolution du système religieux qui lui est associé. Ainsi pour C.M. Mwabila, le processus de subdivision des sociétés en classes antagonistes ne peut être considéré comme achevé en Afrique malgré l'existence remarquée de différents groupes d'intérêts. Ce caractère inachevé des classes se rattache au processus (inachevé) de constitution de l'Etat, de la Nation et de l'économie moderne. Ces considérations pertinentes développées par C.M. Mwabila se renforcent avec les mutations induites par la déstructuration et la dégradation de l'appareil économique qui a servi de repère d'identification des classes sociales ci-haut mentionnées. Du fait de l'implosion de l'appareil de production, la détermination de différentes classes sociales devient difficile, de même les critères à partir desquels elles sont hiérarchisées. On assiste, par ailleurs, à l'émergence d'autres groupes sociaux ne pouvant être saisis en terme des classes sociales. Tel est le cas notamment des artistes musiciens, des chefs religieux dans les églises de réveil, des opérateurs du secteur informel, etc. Ce malaise provoqué par le recours aux catégories marxistes pour identifier les acteurs sociaux au Congo, a été également ressenti par J.T. Omasombo et T.K. Biaya. En effet, affirment-ils, la conformité à l'orthodoxie marxiste, conditionnant les classes sociales au rôle joué dans le procès de production et à la prise de conscience politique, a conduit plusieurs chercheurs à nier leur existence au Congo. Dans ce pays, poursuivent-ils, par delà l'identification des groupes sociaux par rapport au procès de production, on n'a pas dans différents cas, encore assez réussi à saisir le niveau de la conscience de classe et sa diversité, son caractère fluide et changeant et son rapport à des sous-cultures engendrés localement. Chez le petit peuple, par exemple, le climat de conscience ambiant résulte d'un dosage d'éléments tels que la résignation, le respect souvent formel des règles de jeu social, la source de révolte vite attisée et vite calmée, le double langage, les croyances aux solutions dans l'au-delà. Ainsi pour eux, la saisie de la réalité des classes sociales au Congo exige qu'on renonce à calquer des modèles trop élaborés et/ou figés produits dans des sociétés plus stables et homogènes, c'est-à-dire n'ayant pas été soumises à l'action déstructurante de la colonisation tant sur le plan économique, politique que culturel. Il s'impose, estiment ces deux auteurs, la nécessité d'une analyse tendant à situer la société congolaise dans son contexte et la rendre à son histoire. On découvrira ainsi la permanence des classes sociales d'un certain type et les ruptures de ce type vers un nouveau qui se recherche. Leur analyse les amène à découvrir au Congo, cette formation sociale au confluent des valeurs pré-capitalistes et du capitalisme périphérique encore mal adoptées, une division de la société induite par la colonisation en classe dominante et en classe dominée. Entre les deux, se loge la classe moyenne flottante. Chaque classe se compose de quelques échelons. Ainsi, le Congo se constituerait des classes sociales ci-après :
- la bourgeoisie commerçante - la classe moyenne - la classe dominée composée de : - la masse prolétarienne - les travailleurs indépendants - les chômeurs et sans emploi. - les masses rurales et paysannes. Relevons quelques observations à propos de la trouvaille de J.T. Omasombo et T.K. Biaya. Cette étude, comme l'ont affirmé les auteurs, renonce à l'orthodoxie marxiste pour s'inscrire dans une approche qui restitue le Congo dans son contexte et dans son histoire. Mais son développement la ramène dans les ornières marxistes. En effet, ces deux auteurs recourent aux mêmes repères élaborés par Marx pour identifier les classes sociales, à savoir la place ou le rôle dans la production et la conscience de classe. Ainsi donc, comme Marx et les marxistes, J.T. Omasombo et T.K. Biaya distinguent dans la société congolaise la classe dominante et la classe dominée entre lesquelles s'insère une classe moyenne flottante. Ces classes sont, qu'ils en aient eu conscience ou non, identifiées à partir de leur rôle dans le procès de production. C'est pourquoi, sans réaliser un dépassement des travaux existants partant des données empiriques, ambition première de leur étude, J.T. Omasombo et T.K. Biaya en arrivent à découvrir dans la réalité congolaise actuelle les classes sociales déjà repérées depuis très longtemps par plusieurs chercheurs (pensons ici à G.N. Nzongola, C.M. Mwabila, Ngokwey). D'autre part, comme Marx et les marxistes, J.T. Omasombo et T.K. Biaya insistent sur la conscience de classe qui caractérise les différents groupes sociaux qu'ils ont découverts, comme le témoignent plusieurs passages de leur article. « La bourgeoisie politique désigne la classe dirigeante, tant elle est identifiable, consciente de son existence et de ses intérêts de classe. La bourgeoisie commerçante est consciente que son existence et sa prospérité tient à son alliance avec la bourgeoisie politique ». A propos de la classe ouvrière, ils écrivent : « les travailleurs des entreprises privées sont donc les seuls vrais prolétaires dans le système capitaliste encore contrôlé par le capital étranger. La crise économique fait d'eux une minorité consciente et privilégiée au milieu d'une population adulte valide qui ne fait pas partie des structures organisées de production. On voit en définitive que cette étude n'a opéré aucun dépassement tant sur le plan théorique que sur le plan empirique. * 20 MWABILA, C. M., « Propos sur les classes sociales avec références à l'Afrique et au Zaïre », in Cahiers zaïrois d'études politiques et sociales, n°5, Juin 1984, pp.3-5 |
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