Section 5 :
Discriminations et dégénérescence sociale.
Les discriminations sociales analysées dans cette
étude sont appréhendées à partir de labelage
(mélioratif ou péjoratif) en tant qu'un ensemble des
idées, des connaissances, des pensées et des croyances
populaires, bref des représentations sociales relatives à la
structuration du champ social. Ces représentations sociales, comme
souligné dans les paragraphes précédents, sont les
produits d'une conjoncture sociale déterminée brièvement
décrite dans la première section de ce chapitre. Notre effort
dans cette section est de montrer que ces idées, ces connaissances, ces
pensées et ces croyances ne sont pas que des reflets passifs de cette
conjoncture sociale. Elles agissent en retour sur elle, participent à sa
reproduction ou à son maintien et déterminent les
différentes formes de lutte qui prévalent dans le champ
social.
Comme nous le verrons dans cette section, les discriminations
sociales en faveur des uns ou en défaveur des autres appellent
des stratégies soit de maintien de la situation
privilégiée, soit de transformation ou de l'éradication de
la position dominée. Cela ne va sans heurts sur le plan social. A
observer la nature de ces stratégies, il ressort que la population de
Ngaba s'est engagée dans un processus de
dégénérescence sociale qui s'observe par les indicateurs
ci-après :
4.5.1. Le
Prétentionnisme
La logique de différenciation et les pratiques
culturelles de la population de Ngaba débouchent sur un habitus que nous
qualifions de « prétentionnisme ». Celui-ci est une
attitude ou, ce qui revient au même, une disposition mentale
prévalant parmi les habitants de Ngaba, singulièrement dans les
milieux juvéniles, qui consiste à une surestimation de soi qui
frise le narcissisme. Cette estime trop grande de
soi-même qui pousse à des ambitions et à des visées
trop excessives se manifeste par des postures corporelles,
l' « enfilage » ou le port d'habits, l'arrogance de
tout être, de tout et mieux connaître et d'être capable de
tout quand bien même en réalité on n'a pas de profil et,
par ce fait même, de nier aux autres ces mêmes attributs.
Des expressions comme « mobola
têtu », « pauvre
mais... », Illustrent bien cette attitude. Il s'agit pour une
personne démunie de singer le standing de vie de nantis en consacrant
l'essentiel se son avoir à l'obtention des signes extérieurs de
la noblesse, à savoir : produits dénoircissant, bijoux,
habillement coûteux, quel qu'en soit le prix à payer. Certaines
femmes, nous ont affirmé les enquêtés, privent de la
nourriture à leur enfants juste pour s'en procurer.
Le prétentionnisme s'affirme également dans
cette espèce d'ethnocentrisme kinois qui surévalue tout kinois et
barbarise tous les ressortissants des provinces quels qu'ils sont. De la
même manière que ceux qui reviennent de
l' « Occident » sont imbus de leur
supériorité culturelle pour avoir séjourné dans le
monde de civilisation (entendez l' « Occident »), le
Kinois de Ngaba s'estime civilisé par rapport au sauvage muvila,
mohuta, mbokatier, (villageois) infériorisé du fait
de son manque supposé de la civilisation (urbaine bien entendu).
Kinshasa étant la seule « vraie » ville du pays, les
autres villes comme Lubumbashi, Kisangani ou Mbuji-mayi sont
reléguées au rang de mboka (village). Les
ressortissants des provinces de Bandundu et du Bas-Congo qui arrivent par
véhicule à Ngaba sont conspués et étiquetés
de ya ngwen ou de ya mbala pour désigner
l'infériorité de leur rang social.
En conséquence, le
prétentionnisme, en assurant et garantissant une
supériorité fictive à son auteur, l'empêche de se
rendre compte de ses limites et d'entreprendre une activité pouvant
contribuer à sa promotion sociale.
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