Discriminations et conflits, Contribution à l'étude de la « conscience de condition » de la population de Ngaba( Télécharger le fichier original )par Jean Pierre Mpiana Tshitenge wa Masengu Université de Kinshasa - D.E.A en sociologie 2004 |
Section 4. Des conceptsPour ne pas noircir des pages entières au sujet de l'importance de cette partie de notre travail, disons tout simplement à la suite de Godon Mace que la définition d'un concept exercice périlleux et incontournable. Périlleux, du fait de caractère abstrait du concept et incontournable parce qu'il ne peut y avoir des connaissances sans concepts. En effet, les concepts sont des instruments de la méthode scientifique qui interviennent au moment de la désignation du problème de recherche. A cette étape de recherche, les chercheurs les utilisent essentiellement pour reconnaître les éléments ou dimensions qui se rapportent au problème général et également pour préciser les relations établies ou postulées entre ces éléments37(*). Devant répondre à cette exigence, nous définissons les concepts ci-après : 1.4.1. Stratification sociale.
Il est évident que nous ne saurons rendre compte en quelques lignes, le concept de stratification sociale qui a déjà fait l'objet d'innombrables publications38(*). Notre effort consistera à saisir dans ses grandes articulations, ce concept central de notre étude. La société, écrit Jean Golfin, n'est pas un tout homogène et elle n'a rien d'une masse amorphe et indifférenciée. Ses membres se répartissent en un certain nombre de couches sociales auxquelles on donne le nom de strates, emprunté à la géologie. Et l'on appelle stratification le processus selon lequel se constituent les strates39(*). De ce qui précède, retenons que par stratification on entend la hiérarchisation de tout groupe humain sur une échelle de positions, c'est-à-dire l'alignement vertical des statuts ou strates sociales. Ce phénomène, comme le fait observer Jean Golfin est ressenti subjectivement dans la société. C'est à ce sentiment que correspond la vision commune verticale que les membres ont de l'ensemble social et qui fait dire quand on passe d'une strate inférieure à une strate supérieure que l'on monte. La stratification est donc aussi un processus de hiérarchisation et d'inégalité. Elle est un processus social (hiérarchisation) et un état social (hiérarchie). Toute stratification obéit à des significations conventionnellement attribuées et à des critères et prescriptions culturellement définis. Elle renseigne sur la nature particulière d'une société, et sur les valeurs dominantes qu'elle professe. Partout, note J. Golfin, la hiérarchisation implique une inégale participation au pouvoir, à la richesse, au prestige : mais ce qui importe, c'est le fondement de cette inégalité. Et donc, le pouvoir, la richesse, le prestige sont les principales sources des inégalités entre les hommes. La stratification sociale se caractérise par les traits suivants : · caractère social, c'est-à-dire qu'elle répond à des significations conventionnellement attribuées et à des critères et prescriptions socialement définis ; · ancienneté : elle est présente dans toutes les sociétés passées, car elle se transmet de génération en génération ; · la stratification sociale est omniprésente et universelle ; elle existe dans toutes les communautés humaines ; · la stratification se manifeste sous des formes variées ; · la stratification sociale est dotée d'une série de conséquences précises, c'est-à-dire que ce sont essentiellement les choses les plus importantes, les plus désirées et souvent les plus rares dans la vie de l'homme qui tombent sous le coup de l'inégale répartition. Revenons au caractère multiforme de la stratification sociale pour dire qu'elle se construit selon des formes diversifiées. Les sociologues en distinguent principalement trois types : 1. les castes : sont des groupes sociaux hiérarchisés principalement sur la base de principes religieux. Les différentes castes constituent des groupes fermés et séparés : on naît et on meurt dans la même caste ; on se marie à l'intérieur de la caste. La société indienne traditionnelle se décomposait ainsi en quatre castes fondamentales : prêtres (brahmanes), guerriers, producteurs et marchands. Une dernière catégorie est constituée des « intouchables » qui sont « hors caste ». Chaque caste définit un ensemble des rituels d'habitudes vestimentaires (couleur particulière), alimentaire (les brahmanes sont végétariens), de façons de parler, de professions, etc. 2. les ordres : sont des groupes sociaux hiérarchisés en fonction de la dignité accordée aux différentes fonctions sociales. Par exemple, dans la France de l'Ancien Régime on distingue la Noblesse, le Clergé, et le Tiers-Etat. La transmission des statuts sociaux est fortement héréditaire et la mobilité entre ordres est réduite. Même déchu, un noble reste noble. 3. les classes sociales, concept plus ambigu. Pour certains sociologues, on parle de classe lorsqu'on est en présence d'une situation de fait et non de droit (bourgeois et prolétaire sont soumis aux mêmes règles juridiques, ce n'était pas le cas des seigneurs et des serfs dans la féodalité). Pour K. Marx (mais aussi pour certains sociologues non marxistes), le terme de classe est utilisé pour désigner toutes les formes de hiérarchies sociales. C'est en ce sens que « l'histoire de toute société jusqu'à aujourd'hui est l'histoire de la lutte des classes » dans la perspective marxiste, la classe sociale apparaît lorsqu'un groupe d'individus s'approprie un surplus de type économique. M. Tumin avance que les systèmes de stratification sont nécessairement créés, élaborés et maintenus par certains processus sociaux communs à tous. Il s'agit de la différenciation, de la classification, de l'évaluation et de la gratification40(*). La différenciation est le processus par lequel les positions sociales sont définies et distinguées les unes des autres par l'assignation à chacune d'elles d'un rôle spécifique, c'est-à-dire d'un ensemble de droits et de responsabilités. La classification consiste en la hiérarchisation des positions sociales sur base de trois critères : 1. les caractéristiques personnelles, c'est-à-dire qualité requise pour une bonne exécution d'un rôle ; 2. les aptitudes et les qualifications acquises, jugées indispensables pour s'acquitter efficacement d'un rôle ; 3. les conséquences (ou les effets) du rôle sur les membres individuels et sur l'ensemble de la société ou les fonctions sociales di rôle. Le troisième processus intervenant dans la stratification est l'évaluation. Celle-ci implique l'assignation à chacun des positions sociales d'une place déterminée sur une échelle de valeurs. Les niveaux de cette échelle peuvent encore être exprimés en termes de supériorité et d'infériorité, de mieux et de pire, de plus ou de moins éminent, ou encore de plus ou moins grande faveur de l'opinion. Ces termes dénotent les grands types de jugement exercés par l'évaluation. Cette dernière est parfois appelée « distinction enviable » c'est-à-dire distinction appelée à « susciter la haine, l'impopularité ou le mépris envieux » Une fois différenciées, classifiées, évaluées, les positions sociales se voient accorder à des degrés différents la jouissance des bonnes choses de la vie : c'est le processus de gratification. Ainsi, toute société se donne-t-elle des lois et normes destinées à régir l'octroi des attributs. Ces règles ne sont pas uniques et immuables : elles peuvent tantôt assurer un confort et un luxe relatifs à une minorité au détriment de larges parts de la population plongées dans le besoin, et tantôt s'efforcer de garantir une répartition plus ou moins égale entre tous. Il est un fait établi, néanmoins, que toutes les sociétés connues à ce jour furent parquées par un certain degré d'inégalité d'attribution. Constatant cette inégalité d'attribution, Henri Mendras affirme que l'attribution des positions, même dans une société très rationalisée, n'est jamais une attribution purement individuel, et les différences entre les rôles reposent rarement sur un parfait consensus de l'ensemble de la société. Il y a une certaine hérédité des positions. Un fils de médecin a beaucoup de chance de devenir un médecin que le fils d'un ouvrier. D'autre part, ces inégalités entre rôle ne sont pas acceptées universellement. Ce qui revient à dire que dans notre société chacun revendique, chacun se compare à d'autres et chacun met en cause la situation acquise par d'autres groupes. Cette contestation fait partie de notre société même, dans laquelle il n'y a pas une hiérarchie universellement acceptée, même si en fait elle est généralement reconnue.41(*) La stratification sociale ainsi analysée crée des inégalités entre groupes sociaux et se fonde sur certains biens rares et valorisés dans la société. Elle renseigne sur les types de discriminations et de conflits qui prévalent au sein de la société et explique son dynamisme. L'intériorisation par les membres de la communauté des structures qui sous-tendent la stratification sociale génère un schème de perception appelée habitus. * 37 MACE, G., Guide d'élaboration d'un projet de recherche, De Boeck Université, Bruxelles, 1991, pp19- 20 . * 38 A titre indicatif, citons l' ouvrage de TUMIN, M., Stratification sociale, Op-Cit. * 39 GOLFIN, J., Les 50 mots-clés de la sociologie, Privat, Toulouse, 1972, p.135. * 40 TUMIN, M., Op-Cit, p.42 * 41 MENDRAS, H., Eléments de Sociologie, Armand colin, Paris, 1975, p. 191. |
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