UNIVERSITE DE KINSHASA
FACULTE DES SCIENCES SOCIALES, ADMINISTRATIVES ET
POLITIQUES
DEPARTEMENT DE SOCCIOLOGIE ET
ANTHROPOLOGIE
DISCRIMINATIONS ET CONFLITS
Contribution à l'étude de la
« conscience de condition » de la population de
Ngaba.
Par
Jean-Pierre Mpiana Tshitenge Wa Masengu
Gradué en Sociologie et Anthropologie
Licencié en Sociologie
Mémoire présenté et défendu en vue de
l'obtention de diplôme d'études supérieures en
Sociologie.
Directeur : SYLVAIN SHOMBA KINYAMBA
Professeur Ordinaire
Année académique 2003-2004
INTRODUCTION
GENERALE
1. Problématique
Les hiérarchies et les conflits sont inhérents
à tout système social. Ils en sont constitutifs et
régissent continuellement sa composition. Et même les
sociétés qui semblent les moins différenciées ou
plus égalitaires, fonctionnent sous le régime de leur loi. Ce
n'est pas sans raison que Pierre Bourdieu soutient que « le champ
social constitue un espace de différenciation dans la mesure où
les agents sociaux cherchent souvent à se distinguer les uns des autres
partant de certaines ressources dont ils sont détenteurs. Ces ressources
(capitaux) peuvent être matérielles, culturelles, ou sociales ou
même symboliques. »1(*)
S'interrogeant sur leur omniprésence, Georges
Balandier avance que « devant satisfaire aux exigences propres
à tout système, le système social se constitue à
partir de la mise en relation d'éléments
différenciés. Ceux-ci sont définis en valeur et
hiérarchisés. (C'est nous qui soulignons).L'ordre social
découle de cette hiérarchie ; et étant ainsi
constitué, le système social est nécessairement porteur de
tensions, donc vulnérable. Ce sont ces inégalités
instituées et informelles qui alimentent la contestation et poussent les
forces de remise en question d'opérer. »2(*)
Ces hiérarchies constitutives de tout système
social ne sont pas seulement instituées, mais aussi
intériorisées, vécues, perçues et senties par les
membres d'une société et gouvernent leur pratique sociale. Elles
se traduisent dans la vie quotidienne par des classements différentiels
des individus dans des catégories sociales par un processus de
comparaison et de compétition. Ces classements différentiels
assignent, en définitive, des individus à des status sociaux
(inférieur ou supérieur), opposant les positions et les
situations positivement et celles négativement appréciées.
En d'autres termes, par ces classements, les positions
sociales sont définies, évaluées et distinguées sur
l'échelle de valeurs dont les niveaux s'expriment en termes de
supériorité et d'infériorité, de mieux ou de pire,
de plus ou moins éminent, ou encore de plus grande valeur de l'opinion
publique. Ces termes traduisent les types d'évaluation en fonction des
ressources valorisées. Ces dernières constituent les enjeux pour
lesquels les agents sociaux s'engagent dans le jeu social.
Cette étude se prépose de scruter les
classements différentiels qu'opèrent quotidiennement les
habitants de la Commune de Ngaba. Dans la pratique ces classements se
réalisent par des discriminations dans l'attribution de la
considération sociale, consistant à élever à un
status supérieur ou à rejeter dans une position inférieure
des agents sociaux ou groupes d'agents sociaux sur base de leur
« poids social », et ce en les estampillant des labels.
Ceux-ci, surtout lorsqu'ils sont péjoratifs, appellent la
réaction des personnes infériorisées qui
dégénère souvent en conflits. Ces discriminations, comme
le relève notre observation, procède de la perception, mieux de
la conscience des différences de conditions existentielles. D'où
l'intitulé de notre travail : Discriminations et Conflits.
Contribution à l'étude de la conscience de condition de la
population de Ngaba.
En effet, la vie quotidienne et les discours populaires
à Ngaba se ponctuent des pratiques discriminatoires. Celles-ci couvrent
tous les domaines de la vie sociale, notamment la profession, la
résidence, l'habillement, l'alimentation, le niveau d'instruction, etc.
Il ne se tient une discussion ou une solennité sans que les gens se
fassent prévaloir, encenser ou mépriser et dénigrer soit
du fait de leur quartier de résidence, de la possession ou du manque de
certains biens matériels valeureux comme les voitures de luxe, de leur
habillement et parure, soit de leur métier, de leur style de vie, de
leur niveau d'instruction ou de leurs affinités avec certaines
personnalités marquantes de la Ville.
En fait, les discriminations statutaires (ou
socio-économiques) s'expriment par le labelage ou l'étiquetage
dont on estampille des individus suivant les catégories sociales
auxquelles on les affecte. Dans cette Commune de la Ville de Kinshasa, les
épithètes mélioratives telles que « grand
prêtre », « grand pays »,
« mikiliste » (résident en Occident »,
mopreso ou mopao (président), congratulent et gratifient toute personne
qui, soit habite les Communes et quartiers résidentiels comme Gombe, Ma
campagne, Binza, Righini, soit roule avec une luxueuse voiture, soit s'habille
chèrement et se pare avec des bijoux coûteux, soit qu'il est ami
ou frère d'un haut officier militaire, d'un dignitaire du régime
en place ou d'un bailleur de fonds, c'est-à-dire de quelqu'un qui
dispose d'assez des moyens financiers.
Ces différents titres de noblesses font office d'actes
de reconnaissance de la position sociale privilégiée de ces
catégories sociales par ceux qui les confèrent. Les tenants de
ces titres saisissent toute opportunité pour faire étalage de
leur réussite sociale. Ils jouissent de la popularité et
légitiment leurs positions sociales par des pratiquent ostentatoires,
notamment les libéralités exhibitionnistes.
Par contre, le labelage péjoratif tel que mohuta
ou mbokatier (villageois ou quelqu'un de moins civilisé),
mungamba ou mobola (pauvre ou démunis) estampillent et
relèguent dans un status inférieur, les résidants de
certains quartiers ou les gens d'une condition sociale médiocre. Les
habitants du quartier résidentiel Mbulambemba, par exemple, qui
considèrent que leur quartier, qu'ils appellent Righini II, prolonge un
autre du même nom de la Commune de Lemba et qualifient de
ngabiens les autres habitants d'autres quartiers de la Commune de
Ngaba, c'est-à-dire de gens moins civilisés aux conduites
rétrogrades. Par ailleurs, certains ethnonymes et professions, du reste
licites, revêtent un caractère classificatoire. Tel est le cas de
Muyaka et de fonctionnaire devenus de termes génériques
pour désigner toute personne aux allures misérabilistes et aux
conditions sociales archaïques. C'est ainsi qu'il n'est pas
étonnant qu'une personne fulmine parce qu'elle a été
étiquetée enseignant, fonctionnaire, muyaka ou
ngabien.
Les pratiques discriminatoires se font observer même au
sein des églises (surtout des églises dites de réveil).
Les prestations sociales ne sont pas assurées de manière
égale à tous les fidèles. Nous n'avons qu'à
considérer les différences dans la célébration de
mariages, l'assistance sociale à l'occasion d'un deuil ou d'une
maternité, les visites et les veillées de prière à
domicile, la dispensation de la bénédiction, etc., qu'elles
organisent pour nous en rendre compte. Les fidèles d'un standing social
élevé bénéficient de l'attention
particulière et soutenue de la haute hiérarchie de
l'église, alors que le commun des mortels est renvoyé aux bons
offices des diacres. Les fidèles trouvent normal que le mariage d'une
haute personnalité soit célébré par un
évêque et non pas par un simple prêtre alors que celui-ci
peut également administrer ce sacrement. Tout se passe comme si au sein
de ces églises la hiérarchie se fonde sur les
considérations matérielles et non sur le degré de
spiritualité des fidèles.
Ces quelques exemples suffisent pour montrer que dans la
Commune de Ngaba, les gens ne témoignent pas de la même
considération sociale à tout le monde et, par ricochet, assignent
les habitants de leurs quartiers à des rangs sociaux
différents.
Somme toute, nous pouvons lire dans ces différentes
discriminations des positions sociales que les agents sociaux s'attribuent et
attribuent aux autres dans l'espace social au regard des ressources qu'ils
disposent et sur base desquelles ils fondent leur pouvoir ou leur domination
dans les rapports sociaux avec autrui.
Toutefois, l'inflation des critères d'attribution des
positions sociales et leur caractère diffus, tel qu'il apparaît
dans les labelages aussi bien mélioratifs que péjoratifs ci-haut
décrits, obscurcissent les principes objectifs à partir desquels
les habitants de Ngaba structurent leur champ social, c'est-à-dire
déterminent les positions ou les rangs des individus dans ce champ. Ces
multiples critères agissent, certes, simultanément dans la
comparaison évaluative des individus ou des groupes d'individus. Mais
dans le faisceau qu'ils forment, ils n'ont pas tous le même poids,
certains exercent une influence plus marquée que d'autres et constituent
des capitaux agissant dans ce champ.
Ce faisant, notre effort dans ce travail consiste à
dégager et à analyser les principes objectifs à partir
desquels le champ social est structuré, les positions sociales
qu'expriment ces discriminations, les conflits qu'elles engendrent, les
schèmes culturels qui les sous-tendent ainsi que leurs implications
sociales. Dès lors, il est question dans ce travail de savoir comment
ces discriminations ont-elles pris corps dans la Commune de Ngaba et que
traduisent-elles.
2. Hypothèse
Tout travail scientifique ne procède pas d'une
collecte et d'une accumulation hasardeuse des données sans qu'un fil
conducteur soit dégagé au préalable. Ce fil conducteur -
appelé hypothèse - permet la sélection
adéquate des faits dont l'entrelacement et la complexité exposent
toujours le chercheur à l'errance.
Dans notre hypothèse, nous avançons que les
habitants de Ngaba structurent leur espace social et attribuent les positions
sociales à partir des ressources (capitaux) qui procurent prestige dans
un contexte de l'informalité et dont la détention atteste la
triomphe sur la crise socio-économique sous laquelle ploient la
quasi-totalité des congolais. Ce mode de structuration de l'espace
social procède de la stratification induite par le mode de production
capitaliste qui a déstructuré les anciens ordres sociaux des
sociétés traditionnelles africaines, même si certains de
leurs éléments subsistent. Cette nouvelle stratification s'est
remodelée à la suite de la crise socio-économique dans
laquelle le pays est plongé.
Ces discriminations traduisent d'une part, la
« conscience de condition » dans une société
où l'élite a secrété un habitus de jouissance
fondé sur le pouvoir perçu en termes d'espace d'enrichissement et
d'amélioration de la situation matérielle ainsi que d'un lieu de
la force (violence) qui désormais procure le prestige social. C'est
pourquoi, dans la ville de Kinshasa, où le pouvoir de l'élite
(matérialiste) tient aux biens matériels et à sa
capacité d'imposer la force (violence), ces deux ressources servent de
critère d'évaluation sociale.
D'autre part, elles traduisent les luttes symboliques
quotidiennes, individuelles ou collectives, auxquelles se livrent les agents
sociaux pour la conquête du capital symbolique qui, dans le cas
d'espèce, est le prestige social. Luttes saisissables dans les
attitudes, les comportements, les actions, les gestes, le regard, les discours
qui émaillent les relations sociales et qui sont autant de
stratégies de lutte.
3. Méthode
Notre étude se veut une saisie
complète des discriminations socio-économiques partant du
contexte social qui les a générés et servi de cadre de
leur évolution et maturation. Elle s'interdit, par conséquent, de
les isoler de ce contexte qui leur donne sens et signification. Ce contexte
c'est la conjoncture sociale dominée par la
« désalarisation » de l'économie nationale
qui a déstructuré l'édifice social issu de
l'économie formelle capitaliste et, par voie de conséquence,
engendré l'économie informelle qui, à son tour,
s'accompagne des nouvelles formes d'inégalités sociales.
Cette conjoncture a engendré des forces sociales qui
sont en lutte permanente pour la conquête du prestige social. Ce sont
d'une part les gens fortunés, c'est-à-dire ceux qui de par leur
condition sociale peuvent accéder à toutes les commodités
qu'offre la vie urbaine et d'autre part, les démunis comprenant les
pauvres et les appauvris. Lutte qui tantôt s'occulte dans la
détention et l'exhibition des symboles de distinction sociale,
tantôt dégénère en conflits ouverts, soit par une
violence langagière, gestuelle, de regard, soit par des bagarres.
Dans cet antagonisme, les individus appartenant à ces
deux groupes de status s'engagent dans la recherche de mécanisme
d'amélioration non seulement de leur condition matérielle, mais
aussi de leur image sociale. C'est dans cette perspective que la fascination
des biens matériels comme symbole de distinction sociale trouve tout son
sens et finit par secréter un type comportemental
caractérisé par la prétention.
Une telle perspective correspond aux quatre lois de la
méthode dialectique, à savoir la connexion universelle des
phénomènes, la lutte des contraires, la négation de la
négation et le changement qualitatif par le changement quantitatif. A
propos de cette méthode, Loubet Del Bayle avance
qu'elle « est d'abord associée au concept de la
totalité en niant l'isolement entre ensembles et leurs parties et en
soulignant que la réalité sociale est faite de l'ensemble des
interactions entre ses différents éléments. Elle tend
ensuite à privilégier la recherche des contradictions au sein de
cette réalité, en mettant en relief, derrière l'apparente
unité du réel, les tensions, les oppositions, les conflits, les
luttes, les contraires et les contradictoires. »3(*)
Ce sont ces lois telles qu'agencées ci-haut, qui nous
ont guidé dans l'analyse des résultats des enquêtes
menées grâce aux techniques ci-après :
4. Techniques
L'hypothèse formulée ci-haut requiert la
manipulation des techniques de collecte des données pouvant conduire
à sa vérification, techniques qui tiennent également
compte de nos options méthodologiques. La rigueur qu'impose le travail
scientifique nous oblige de procéder à un usage cumulatif des
techniques afin de pallier les insuffisances que renferment chacune d'elles.
Pour cette étude, nous avons recouru aux techniques
ci-après :
4.1. L'observation
directe
Elle est à l'origine de la présente
étude. Elle remonte à l'année 1999 au cours de laquelle
les discriminations sociales ont attiré notre attention. Elle s'est
poursuivie pendant toute la période d'investigation pour saisir certains
aspects dont la susceptibilité pourrait empêcher les
enquêtés d'exprimer librement leurs opinions. Cette observation
est désengagée dans la mesure où elle procède d'une
perception externe de la population d'enquête sans prendre part active
dans sa vie quotidienne.
4.2. La technique
documentaire.
L'ampleur du travail que nous nous sommes
assigné de réaliser nous a imposé une fouille
systématique des documents écrits et principalement des
publications scientifiques se rapportant tant aux dimensions empiriques qu'aux
considérations théoriques de notre étude. Ces publications
scientifiques ont contribué à la formulation des
hypothèses, au choix des méthode et techniques, à la
clarification des concepts et l'analyse des résultats de notre
étude.
4.3. Le questionnaire
Pour atteindre, dans un temps record, une partie importante
de notre population d'enquête, nous avons recouru au questionnaire.
Celui-ci comprend des questions à éventail, c'est-à-dire
à chaque question nous avons adjoint un ensemble des réponses
parmi lesquelles l'enquêté choisit celle qui correspond le mieux
à son opinion. De cette façon, l'enquêté a la
possibilité de nuancer sa réponse vue les propositions de
réponses en rapport avec la question. Ce type de questionnaire nous a
permis de récolter rapidement les informations et facilité les
opérations de dépouillement, d'analyse et d'interprétation
des résultats de l'enquête. Néanmoins, comme tout
questionnaire, il ne laisse pas libre champ à l'enquêté
dans l'expression de son opinion. Il limite la quantité et la
qualité de l'information. C'est pourquoi nous avons également
recouru à l'entretien.
4.4. L'entretien
Le caractère exploratoire de notre étude
et l'importance de la tradition orale dans notre univers d'enquête nous
ont suggéré le recours à l'entretien libre. Ce qui nous a
permis d'obtenir les informations détaillées
révélatrices des systèmes de valeurs, des comportements et
des états émotionnels non seulement des enquêtés
mais aussi du milieu socio-cultutrel dans lequel l'enquête a
été menée. Pour ce faire, nous avons interviewé
individuellement vingt personnes sur le mode de perception et
d'évaluation sociale en vogue dans la Commune de Ngaba. Avec eux et au
moyen de notre questionnaire qui nous a servi de guide d'entretien, un
échange communicationnel a été établi en toute
liberté. Ainsi, chaque informateur a eu la latitude d'exprimer son
opinion jusqu'aux moindres détails.
4.5.
L'échantillonnage.
Cette technique nous a permis de sélectionner des
enquêtés dont le prélèvement a été
fait selon le procédé accidentel. Nous y reviendrons avec force
détails au troisième chapitre.
5. Intérêt du
travail
Alors que les grands défis préoccupent
l'humanité au seuil de ce 21ème siècle,
notamment ceux de la mondialisation, de l'environnement, de l'eau, de la lutte
contre le VIH/SIDA, le terrorisme et la criminalité ; alors que la
RDC est confrontée aux problèmes de la paix, de la
démocratie et du développement ; alors que les populations
congolaises se trouvent en proie à la guerre, aux maladies diverses,
à la faim, au chômage, au manque de logement, bref à la
misère ; alors que l'émergence des phénomènes
nouveaux comme les enfants de la rue, la prolifération des sectes, des
églises et de nouveaux mouvements religieux font actualité, il
paraît simpliste et superfétatoire de disserter sur les
discriminations sociales, surtout en cette période où tous les
discours officiels (politique, social et religieux) prêchent
l'homogénéisation sociale.
Mais à y voir de près, tous ces
défis se fondent sur les discriminations sociales. La recherche de
puissance, du pouvoir, des richesses, et donc de différence sociale,
conduit certains à concentrer entre leurs mains toutes les ressources de
la société et en priver d'autres, à exclure et à
anéantir de la compétition les potentiels ou réels
concurrents. Il en résulte la misère, la famine, le
chômage, etc. qui martyrisent une frange importante de la population
nationale et mondiale. Les frustrations qui en découlent sont à
la base des conflits sociaux, politiques et militaires, du terrorisme et des
criminalités qui bouleversent l'humanité en ce jour.
Tous ces défis ne peuvent être relevés
que si l'on saisit les valeurs qui motivent les pratiques discriminatoires de
l'homme de manière à convertir les différences sociales en
facteur de progrès pour tous. Comme l'écrit Melvin
Tumin « l'analyse de la gamme des rôles mis en valeur
fournit une excellence base de compréhension des grands systèmes
de valeurs de sociétés. Ces objets privilégiés de
l'évaluation constituent une aide précieuse pour comprendre une
société. »4(*)
Ainsi, ce travail, sur le plan scientifique jette un nouveau
regard sur la problématique de la stratification sociale. Par une
approche subjectiviste, il met à jour les modalités de
structuration de l'espace social par les agents sociaux et les luttes
symboliques auxquelles ils se livrent pour conforter ou améliorer les
positions dans cet espace. Il s'agit d'aller au « coeur de la vie
sociale où logent les relations et les conflits »5(*)pour repérer les
motivations fondamentales qui sous-tendent les pratiques quotidiennes parmi les
populations de la Commune de Ngaba et éclairer leur incidence sur le
processus de développement. Ou, pour reprendre l'expression de Michel de
Coster, saisir les enjeux réels des conduites humaines et
sociales6(*). Une fois
clairement dégagées (ces valeurs), il sera possible de
débattre des nouvelles valeurs pour un nouveau type d'homme et un
nouveau projet de société capable de prendre en charge les
aspirations des masses populaires. En effet, « si l'on s'accorde que
les systèmes symboliques sont produits des produits sociaux qui
produisent le monde, qu'ils contribuent à les constituer, force est
alors d'admettre que l'on peut, dans certaines limites, transformer le monde en
transformant la représentation.» 7(*)
6. Contenu du travail
Notre effort d'analyser les discriminations sociales à
travers les modes de perception et d'évaluation sociales dans la Commune
de Ngaba est pris en charge par quatre chapitres.
Le premier pose le fondement théorique du travail. Il
s'ouvre par un débat sur les travaux de nos prédécesseurs.
Ce débat évaluatif de ces travaux nous fraye la voie pour
l'élaboration de notre modèle d'analyse créant ainsi une
rupture avec le regard (devenu classique) que l'on jette sur la
problématique de stratification sociale. Le chapitre se clôture
par la clarification des concepts de base de cette étude.
Le deuxième présente la morphologie sociale de
la ville de Kinshasa où sont observées les pratiques
discriminatoires. En effet, celles-ci ne peuvent être bien comprises que
si elles sont rapportées au substrat matériel qui les sert de
support et leur donne toute la signification.
Le troisième expose les résultats de
l'enquête. Il s'agira dans un premier temps de présenter notre
milieu d'enquête, c'est-à-dire la Commune de Ngaba. Ensuite, nous
décrirons les modalités selon lesquelles les enquêtes ont
été menées. Enfin, nous présenterons les
résultats des enquêtes. Le quatrième analyse et
interprète les résultats de l'enquête.
CHAPITRE I :
TRAVAUX ANTERIEURS ET ESQUISSE D'UN MODELE D'ANALYSE
Ce chapitre, essentiellement théorique, s'ouvre par la
revue de la littérature portant sur la stratification sociale. Il
propose ensuite un modèle d'analyse de la stratification sociale dans la
ville de Kinshasa en prenant en compte les mutations qui se sont
opérées au Congo depuis plus d'une décennie. Il
s'achève par une discussion sur les concepts de base de notre
étude.
Section 1 : Revue de la
littérature
1.1 Repères
théoriques.
De manière générale, les études
sur les inégalités sociales se réalisent sous deux
courants différents répondant aux idéologies visiblement
opposées8(*).
Le premier d'obédience libérale
représenté par la sociologie américaine, insiste sur la
fonction remplie par la stratification et s'intéresse aux
équilibres, aux structures, plus qu'aux changements. Le principe est que
la stratification sociale répond à une nécessité
sociale, et le problème est d'examiner comment le fonctionnement de
telle ou telle société détermine tel ou tel système
de stratification. Pour ce courant, c'est l'existence et la distribution des
récompenses qui contribuent à maintenir l'ordre social qui sont
à l'origine de la stratification. L'étude des
inégalités sociales consiste en l'analyse des mécanismes
sociaux qui répartissent les statuts et qui font en sortent que chaque
individu joue le rôle correspondant à son statut.
Ce courant est représenté par Talcott Parsons.
Celui-ci, dans le sillage de Max Weber, considère que la stratification
sociale est un système des hiérarchies fondées sur les
valeurs suprêmes de chaque société. Les échelles de
valeurs sont elles-mêmes en rapport avec l'action sociale,
c'est-à-dire avec « l'activité intentionnelle que
déploient les individus dans le cadre des institutions », et,
en définitive, avec ce que la société
considérée juge désirable.
La société, estime-t-il, fonde ses jugements de
valeur relatifs à la stratification en prenant en considération
divers avantages qui se ramènent à trois catégories.
Ce sont, d'abord, les qualités que l'individu
possède personnellement, en dehors de toute circonstance
particulière, par exemple : son intelligence, sa noblesse ; et
c'est la société qui, suivant son échelle de valeurs,
accordera plus moins d'importance à telle ou telle qualité pour
évaluer la position sociale.
Ce sont, en second lieu, les réalisations
(ou »performances »), autrement dit l'activité de
l'individu dans son rapport avec autrui. Ici encore, il appartient à la
société d'évaluer et de hiérarchiser ces
accomplissements de telle ou telle façon selon ses valeurs essentielles.
Par exemple, dans certaines sociétés, ce sont les performances
techniques qui sont les plus prisées ; dans d'autres, ce sont les
prouesses guerrières.
Enfin, en troisième lieu, l'évaluation des
activités peut se faire par rapport à l'acquis,
c'est-à-dire à la possession de certains objets (fortune) ou de
certains talents et compétences (diplômes, etc.).
Ces trois caractéristiques ne sont
évaluées que par rapport aux valeurs essentielles de la
société. Parsons estime qu'il y a quatre types de valeurs qui
président au fonctionnement de toute société. Ce sont
l'universalisme, la définition des fins, l'intégration et le
maintien des modèles culturels.
L'universalisme, qui peut être aussi appelé
capacité d'adaptation, correspond à la nécessité
pour toute société de s'ajuster à ses conditions
d'existence et concerne la rationalité telle que Max Weber l'entend,
c'est-à-dire, en définitive, l'efficience, l'efficacité
technique, la mise en oeuvre des moyens propres à réaliser une
fin.
Le second type de valeur (qu'il eût été
peut-être plus logique de placer en premier) est la définition du
but ou la satisfaction du but atteint et concerne les normes d'accomplissement.
Chaque société se propose certaines finalités collectives
qu'elle cherche à faire prévaloir sur les intérêts
individuels.
Le troisième type, qui est l'intégration,
considère la solidarité sociale comme valeur primordiale. Les
actions sont, de ce point de vue, jugées bonnes ou mauvaises selon
qu'elles favorisent ou empêchent l'intégration des individus dans
la société et leur solidarité entre eux.
Enfin, le quatrième critère est le maintien du
modèle. Chaque société a son modèle culturel
propre, avec ses structures et ses normes, et elle tend à les conserver.
C'est en somme le traditionalisme qui est ici la valeur suprême.
Somme toute, nous constatons que Talcott Parsons, dans la
perspective fonctionnaliste, n'analyse qu'une face de la réalité
sociale : celle du maintien de l'ordre social existant. Il semble ignorer
l'autre face de la même réalité : celle des forces
sociales de contestation de cet ordre. Il est bien entendu que
l'idéologie libérale qui guide ses travaux ne lui permet pas
d'aller au-delà de l'optique fonctionnaliste.
Le deuxième courant est d'inspiration marxiste. Il met
l'accent sur les conflits engendrés par les inégalités et
s'intéresse au processus historique. Pour ce courant, il y a, dans toute
société passée ou présente, une inégale
distribution des biens qui entraîne un déséquilibre entre
la masse de ceux qui ne possèdent pas les richesses et le petit nombre
de nantis. Ce déséquilibre est générateur de luttes
conduisant à des transformations sociales. Nous pouvons dire qu'à
chaque phase du développement historique se déroule un processus
dialectique par lequel le système de production fait naître une
classe dominante et, en même temps, produit des conditions du
progrès de la classe dominée qui prendra le pouvoir dans la
période suivante. Dans cette perspective, la théorie de la
stratification sociale se ramène alors pratiquement à
l'étude de la formation des classes sociales, de leurs luttes et des
lois de leur devenir.
Ce qui caractérise une classe, pour ce courant, c'est
son unité, son insertion dans le processus de production, la conscience
qu'elle a de son existence, son opposition aux autres classes et aussi un
certain nombre de caractères communs à tous ses membres, comme
les modes de vie, les intérêts et la culture. Karl Marx distingue
la classe en soi qui résulte de l'organisation objective de la
production et la classe pour soi qui suppose la prise de conscience collective
des intérêts de classe. Au sein du mode de production capitaliste,
l'exploitation repose sur la contradiction entre travail et capital
eux-mêmes constitués en classes sociales antagonistes, le
prolétariat et la bourgeoisie.
A propos de la conscience de classe, condition suffisante
pour la constitution d'une classe dans l'optique marxiste, Emmanuel
Terray9(*) fait remarquer
qu'une classe n'intervient comme principe de détermination des
événements que dans la mesure où elle forme un ensemble
cohérent, capable de réflexion, de délibération et
d'actions collectives. Le repérage des classes implique que l'on
identifie pour chacune d'elles, non seulement le rôle économique
qu'elle exerce, mais aussi les institutions et les procédures par
lesquelles elle se donne les moyens de penser et d'agir comme un sujet unique.
A cet égard, l'énumération des fonctions
économiques n'est qu'une étape, il faut examiner comment la
classe au sens économique du terme se transforme en force politique.
Ici, les genres de vie, les formes de sociabilités, les domaines comme
ceux de l'éducation, du mariage, des loisirs, de la culture, ...prennent
une importance capitale. C'est en eux qu'un agrégat d'individus prend
conscience de son unité et se transforme en corps cohérent
susceptible d'intervenir de façon concertée.
Actuellement, les efforts tendent vers la conciliation de ces
deux modèles extrêmes par la saisie des facteurs qui sont à
la fois à la base de l'intégration et de dynamisme des
systèmes sociaux. On peut citer ici les travaux de Gérhard E.
Lenski qui observe qu'il y a, dans la vie sociale, à la fois un certain
consensus sur lequel insistent les fonctionnalistes et une coercition sur
laquelle les marxistes mettent l'accent. La coopération et le conflit
sont deux éléments de la vie sociale.
1.2. Etat des lieux des
études congolaises de classes sociales.
Au Congo, la plupart des études sur la stratification
sociale se sont inscrites dans le modèle marxiste et ont porté
sur les classes sociales saisies à partir de l'intégration de
cette formation sociale dans le mode de production capitaliste. Ces
études ont décrit les différentes classes de la
société congolaise, leurs rapports ainsi que leur rôle dans
le devenir national.
Parties des années 1950, les études sur les
classes sociales au Congo peuvent être regroupées en trois
périodes correspondant chacune à une thématique
spécifique.
1.2.1. La constitution de la
classe organique à la colonisation
La première période court de 1950 à
1970. Les études de cette période sont dominées par
l'analyse de la classe
moyenne qui se développe en marge des colons
blancs et des "indigènes"10(*). La constitution de cette classe, comme l'entrevoyait
les colons belges, devrait répondre aux impératifs de
l'efficacité de l'entreprise coloniale belge au Congo. Dans une
correspondance confidentielle adressée à Buiseret, Ministre des
colonies, la Fédacol (Fédération congolaise des classes
moyennes) stigmatisait la vocation de cette classe en ces
termes : « Il faut organiser une classe d'indigènes
évolués (...) qui se déclarerait d'accord avec les
idéaux et les principes de notre civilisation occidentale, et qui
seront, à standing égal, nos égaux en droits et
devoirs ; moins nombreux que la masse indigène, mais puissants et
influents, ils seront ces alliés qu'il nous est indispensable de trouver
auprès des communautés indigènes. Ces classes moyennes
seront la bourgeoisie noire qui commence à se développer partout,
que nous devons aider à s'enrichir et à organiser et qui, comme
tous les bourgeois du monde, seront opposés à tout bouleversement
aussi bien intérieur que venant de l'extérieur11(*) ».
Ce projet de formation d'une classe moyenne des
indigènes alliés à l'entreprise coloniale n'a pas
suscité que d'enthousiasme dans les milieux coloniaux. Certains
redoutaient du revirement de la situation et du danger qui en
résulterait pour l'entreprise coloniale. A ce sujet, le CEPSI, repris
par Crawford Young, déclarait que « l'expérience
coloniale des nations européennes doit nous inciter à
éviter de créer hâtivement une classe d'indigènes
hautement qualifiés de laquelle surgiraient probablement des
éléments cherchant à s'emparer de la masse inculte pour
accéder au pouvoir et la priver de l'assistance encore indispensable du
peuple colonisateur12(*) ».
Les événements qui conduisirent à
l'indépendance du Congo en 1960 confirmèrent cette crainte
exprimée par CEPSI. Cette classe moyenne avait joué un rôle
important dans la lutte pour la souveraineté du Congo.
1.2.2. Classes sociales et
émancipation nationale
La deuxième va de 1970 à 1980. Cette
période est marquée par les études qui rendent compte des
réactions des populations locales contre l'Ordre colonial13(*).
Ces études, tel qu'il ressort de l'analyse, cherchent,
pour paraphraser R. Aron, à déterminer dans les circonstances
historiques particulières les groupes sociaux qui ont exercé une
influence sur les événements politiques.
C'est dans cette optique que Georges Nzongola Ntalaja
analysant la participation des différentes classes sociales à la
lutte anticoloniale, conclut que la révolution anticoloniale au Congo
fut une révolution bourgeoise. Pour lui, la petite bourgeoisie noire au
Congo était la seule classe qui était préparée
à tirer profit de la situation révolutionnaire en s'organisant
comme représentant du peuple. Elle a été la classe qui a
formulé de manière plus moins claire les idées
révolutionnaires, c'est-à-dire qui a revendiqué
l'indépendance immédiate, thème qui a
mobilisé les autres classes sociales (paysannerie, prolétariat et
lumpenprolétariat). Elle a exploité la révolte et la
violence de la classe ouvrière et du lumpenprolétariat du 4
janvier 1959 (phase de la participation politique de la masse populaire), pour
préparer les conditions de son avènement au pouvoir.
Faustin Mulambu Mvuluya établit une filiation entre
cette révolution nationale bourgeoise déclenchée à
Léopoldville avec le pré-nationalisme des masses rurales qui
s'est manifesté par des mouvements de résistance et
révolte contre l'occupation étrangère. Pour lui, la lutte
anticoloniale déclenchée en milieu urbain de Léopoldville
entre 1955 et 1960 est une maturation d'un long processus amorcé par les
masses paysannes et ouvrières dès la pénétration
coloniale au Congo*14(*).
Elle est la continuité des comportements et des attitudes de refus des
populations locales contre la colonisation.
En effet, écrit F. M. Mulambu, le
pré-nationalisme paysan s'est d'abord manifesté comme mouvement
de résistance à l'occupation étrangère. Ce
mouvement a revêtu tantôt la forme pacifique (fuites individuelles,
délocalisation des villages entiers) tantôt la forme violente
(bataille rangée contre l'occupant). Avec l'installation effective de la
colonisation, ce mouvement de résistance s'est mué en
révolte paysanne. On a enregistré au cours de la période
qui a suivi l'implantation de l'E.I.C et la reprise du Congo par la Belgique,
plusieurs mouvements de révolte dûs notamment à
l'exploitation des paysans par les sociétés commerciales et
concessionnaires, aux exigences de l'Etat colonial (fiscalité,
levée des miliciens, travaux obligatoires, etc.), ou à la menace
de disparition ressentie par certains pouvoir traditionnels. Ces
révoltes ont pris plusieurs formes : mouvements messianiques,
envois de mauvaises récoltes, exécution incomplète des
corvées prescrites par l'administration, violence à l'endroit des
agents de l'administration, révolte armée, etc. Avec
l'industrialisation, l'instruction et l'évangélisation, ces
mouvements de révolte ont été transférés en
milieu urbain où ils ont engendré des formes supérieures
de résistance qui débouchèrent sur les premières
associations claniques, embryons et précurseurs du nationalisme des
années 1955 à 1960.
Dans cette étude comme dans celle qui lui a
précédé, F.M. Mulambu s'inscrit en faux contre la
thèse marxienne qui méconnaît le caractère
révolutionnaire à la classe paysanne. Pour Marx, la paysannerie,
qu'il compare à un sac de pommes de terre, n'est pas une force sociale
autonome, capable de décider de l'évolution des formations
sociales. Elle est donc une force passive, incapable même de devenir une
classe politique constituée. Comme Lénine et Mao, F.M. Mulambu
réhabilite la classe paysanne dans son rôle de sujet historique.
Mais il reconnaît néanmoins que les révoltes paysannes ont
presque connu un échec à cause, notamment de manque de formation
politique, le faible niveau d'instruction, la dispersion démographique
et le manque de lucidité de leurs leaders. Elle a aussi servi dans la
plupart des cas de clientèle à laquelle recourt d'autres classes
pour réaliser leurs intérêts.
A notre avis, l'échec des mouvements paysans est
dû à l'absence d'intellectuels organiques, c'est-à-dire
d'éléments capables, selon Gramsci, d'analyser leur situation en
termes d'antagonismes des classes et de mettre sur pied des stratégies
adéquates pour la changer. Notons, cependant, à l'actif de K.
Marx, que la classe ouvrière a une conscience de classe plus aigue que
celle des paysans et a plus de possibilité de vouloir des changements
structurels que ces derniers par le fait que la pratique des rapports sociaux
de production antagonistes dans le secteur industriel est plus propice à
l'accès à une dimension structurelle que celle du travail plus
parcellaire du monde rural.
1.2.3. La sociologie de
l'impérialisme
La troisième période se situe entre 1970 et
199015(*). Cette
période est dominée par la Sociologie de l'impérialisme,
largement inspiré par les travaux de Samir Amin, d'Abdel -Malek, et des
analystes latino-américains tels que P. Sweezy, A.Gunder Frank, Baron,
etc. Celle-ci "se réalise comme un courant théorique de la
Sociologie du développement qui s'attache à étudier la
dialectique de l'impérialisme et les mouvements nationaux. Elle se
préoccupe fondamentalement de l'élaboration des réflexions
critiques sur la vie sociale dans les ensembles économico-politiques et
idéologiques de domination et d'exploitation des peuples en liaison avec
la formation historique concrète de ces ensembles."16(*)
En clair, la sociologie de l'impérialisme analyse les
mécanismes de domination et d'exploitation mis en place par le
capitalisme à l'échelle mondiale. Par ces mécanismes, le
capitalisme devenu impérialisme et se constituant en centre, subjugue,
par les bourgeoisies locales interposées, les peuples entiers de la
périphérie pour assurer sa propre survie.
Se plaçant dans cette lignée, Kalele Ka-Bila
étudie les mécanismes de domination et d'exploitation
capitalistes ayant généré le sous-développement
à Kabinda.
En effet, note Kalele, le capitalisme pour assurer sa
domination et son exploitation procède par la polarisation en cascade.
Concernant le Zaïre, converti en satellite du système capitaliste,
ce pays a été divisé en régions métropoles
et en régions satellites sur un triple plan de son
organisation : économique, politico-administrative et culturelle.
En deuxième lieu, ces différentes métropoles et satellites
étaient solidement rattachés aux métropoles capitalistes
mondiales. Par ce procédé, Kabinda était relié
à Bruxelles, Paris, Washington, Londres via Mbuji Mayi et/ou Lubumbashi
et Kinshasa.
Kalele en arrive, partant de ce procédé,
à constater que la structure économique de Kabinda est
désarticulée au profit des intérêts des industries
capitalistes installées sur place et dans le Haut Katanga Industriel.
Pour assurer la prospérité des
intérêts capitalistes dans la région et intégrer
Kabinda dans le système capitaliste, les colonisateurs avaient
imposé la culture du coton au peuple songye et ont recruté ses
membres comme main-d'oeuvre pour les industries du Haut Katanga Industriel.
Pour contraindre les songye à la nouvelle rationalité
économique, les colonisateurs ont engagé une lutte contre les
moyens traditionnels d'existence, notamment la restriction en matière de
chasse, de pêche et de cueillette ; l'interdiction formelle de
distiller l'alcool indigène et d'abattre les palmiers, la compression
des prix des produits agricoles ; l'élimination des
commerçants ambulants, de l'élevage du gros et du petit
bétail et de la métallurgie traditionnelle.
Cette structure d'exploitation capitaliste, constate Kalele,
demeure jusqu'à ce jour en dépit de l'indépendance du
pays. La prise en main de la destinée de cette région par les
nationaux plutôt que de démolir cette structure, l'a
renforcée au point qu'à maints égards, la situation
actuelle des basongye est même devenue pire qu'avant
l'indépendance.
Cette exploitation capitaliste, conclut Kalele, a
contribué à l'apparition des indices de
sous-développement, notamment le très faible degré
d'industrialisation de la région de Kabinda, l'aliénation et
l'oppression politique et culturelle, la dépression
démographique, les perturbations sociales (conflits sociaux, mariage de
calcul, relâchement de la solidarité clanique.), etc.
Comme voie de sortie, Kalele propose que la lutte contre le
sous-développement doit se réaliser à la fois sur le plan
social, économique, politique et culturel et passe nécessairement
par la transformation de la société nationale.
Dans une autre étude similaire17(*), Kalele montre comment le
capitalisme, par divers mécanismes mis en place par ses deux gendarmes
économiques (Banque mondiale et le Fonds monétaire international)
contribue à la paupérisation des larges masses laborieuses et
à l'enrichissement de la bourgeoisie locale et métropolitaine.
Pour sa part, Kazadi Kimbu examine et valide les
stratégies de lutte contre le capitalisme mises sur pied par les
salariés du Haut Katanga Industriel.
Son analyse des mécanismes d'intervention
impérialiste au Congo lui permet d'établir que le projet
capitaliste impérialiste ne se conçoit et ne se réalise
que comme une imposition du salariat, ce mode de travail dépendant. Le
mouvement impérialiste parcourt toujours un processus de suppression du
droit des autres êtres sociaux de produire et de transformer librement
leurs moyens de subsistance. C'est un mouvement de
périphérisation toujours renouvelé.
Dans cette dynamique capitaliste, la vie quotidienne des
travailleurs congolais se trouve être marquée par le salaire
irrégulier, insuffisant ou même simplement absent. Par voie de
conséquence, on voit se réaliser une double
aliénation : la réduction de l'Etat en Etat garant des
intérêts capitalistes - Etat compradore, dirait S. Amin- et,
d'autre part du travailleur salarié en garant des intérêts
des patrons, donc en ennemi de lui-même.
Pour Kazadi K., les phénomènes de
résistances observées chez les travailleurs salariés dans
le Haut Katanga Industriel tels que la prolifération des hommes
d'affaires (commerçants grossistes comme détaillants et
trafiquants), les détournements des deniers publics, les vols chez les
travailleurs, les prêts à usure, l'absentéisme, le
mutualisme tribal, les ristournes, les démissions du travail
salarié, les refus de ce genre de travail, témoignent, en fait,
d'une réelle prise de conscience par les salariés congolais, des
conditions objectives d'existence leur imposées par le capital.
Mais, cette prise de conscience apparaît comme une
conscience historique encore largement diffuse parce que simple conscience de
condition. En effet, pour Kazadi, ces mécanismes relèvent de
l'illusion. Ils enchaînent les travailleurs qu'ils ne les libèrent
des sérails du capitalisme.
Le drame de ces salariés, estime-t-il, dont la
conscience est ainsi endormie, est qu'ils s'interrogent moins sur la formation
historique des conditions minées et minables dans lesquelles ils vivent
et où les placent justement le circuit des affaires, le manque de
contrôle suffisant de l'appareil commercial par l'Etat libéral et
l'individualisme anarchique ainsi institué. Ce qui leur
échappe : découvrir aussi que l'on peut prétendre
s'être sauvé du capital industriel, du travail salarié mais
se retrouver dans les circuits de reproduction du capital industriel par le
petit ou grand commerce permettant l'augmentation de la production,
reproduction du capital financier par la circulation élargie de la
monnaie et finalement reproduction du capital commercial par le jeu inconscient
de représentation locale des maisons-mères des marchandises
importées.
Ainsi, donc, cette propension aux affaires
généralisée et généralisante, plutôt
que de combattre le capitalisme, parait consolider les conditions de sa
réussite au Congo.
L'analyse minutieuse des études couvrant ces trois
périodes fait ressortir que ces différents chercheurs ont
cerné les classes sociales comme un effet du processus de
l'industrialisation de la société congolaise à la suite de
la colonisation, rendu spécifique par les formes particulières
que prend le mode de production capitaliste dans les sociétés
extra-occidentales, étant donné sa coexistence avec les autres
modes de production, et par l'ordre socio-politique propre à la
société congolaise. Ces études éclairent, par
ailleurs, les mouvements et les enjeux sociaux, politiques, économiques
et idéologiques qui ont marqué l'histoire du Congo, et permettent
la compréhension de la situation actuelle de cette formation sociale
à la périphérie du système capitaliste.
En outre, elles présentent, sous la forme pyramidale,
la structure de la société congolaise composée des classes
sociales ci-après :
La bourgeoisie
compradore
Le prolétariat urbain et rural
La petite bourgeoisie
urbaine
La paysannerie
Le lumpen prolétariat
Ces classes, comme le note G.N. Nzongola, sont le
produit de la restratification des sociétés
pré-capitalistes qui a créé la différence dans les
modes de vie de populations indigènes, éclot une conscience
différenciante parmi elles, surtout entre la bourgeoisie18(*) et la masse populaire.
Ce sont ces classes, à travers divers processus dans
lesquels elles sont impliquées, qui président au devenir
national. Elles sont analysées, comme nous pouvons le constater,
à partir de la place qu'elles occupent dans le procès de
production capitaliste.
Si la place de chacune des classes dans le procès de
production économique a été clairement identifiée
et leurs conditions matérielles suffisamment décrites à
travers ces études, leur conscience de classe n'a pas été
explorée. Seul, à notre connaissance, Clément Mwabila
Malela a consacré des réflexions sur la conscience de classe en
étudiant le prolétariat urbain de Lubumbashi19(*).
Dans sa configuration sociologique de l'époque, le
prolétariat urbain de Lubumbashi paraissait à C.M. Mwabila
à la fois comme organisé et inorganisé.
Organisé parce qu'il dispose d'un ensemble
d'institutions dont la vocation est de prévenir et de résoudre
les problèmes liés à la condition ouvrière,
notamment le syndicat, etc. Mais, contrairement au prolétariat
européen, celui de Lubumbashi subit la transformation sociale sans agir
sur elle. Il l'accepte comme une prérogative de la puissance politique
dont seuls les détenteurs du pouvoir, de la richesse ont le droit
d'user. Cette incapacité du prolétariat d'influer sur les
transformations sociales résulte de la dualité, du
décalage existant entre la société nationale prise dans sa
globalité et le poids de ses contraintes extérieures de
domination technico-économique.
En plus, le dirigisme politique et idéologique qui en
résulte sur le plan interne (sous le régime Mobutu), inspire au
prolétariat de Lubumbashi un sentiment de soumission à l'Etat
national, fondement légitime du pouvoir politique, et, par
conséquent, aux dirigeants politiques auxquels sont associés les
gens fortunés, ainsi que l'élite professionnelle et
intellectuelle.
Inorganisé parce que, du fait de l'ombre
omniprésente de l'instance politique qui impose le mutisme et ne
tolère les contestations sociales pouvant remettre en question l'ordre
social, les travailleurs de Lubumbashi se réfugient dans les
organisations informelles pour assurer leur sécurité sociale.
Ainsi, s'explique l'espoir qu'ils fondent dans les institutions
spontanées de solidarité, créées en marge de
l'organisation du travail, pour atténuer les aléas de la
détérioration incessante de leur pouvoir d'achat. Il s'agit d'un
comportement de fuite ou de retrait devant la dépersonnalisation
culturelle due au système technique du travail où des types de
relations mécaniques tendent à se substituer à la
solidarité née des relations primaires.
Face à ces deux réalités, d'une part, le
dirigisme dont le prolétariat fait l'objet politiquement et
idéologiquement, d'autre part, la faiblesse interne entretenue notamment
par son fractionnement ethnique, par sa séparation dans les
entreprises, le prolétariat de Lubumbashi développe une
conscience de condition au détriment de la
conscience de classe. Alors que la conscience de condition est la
reconnaissance pour les travailleurs de leur position sociale et repose sur
l'acceptation de la hiérarchie, la conscience de classe postule une
convergence d'intérêts particuliers dans un même mouvement
de revendication active contre l'exploitation politique et économique et
contre les aliénations, principe revendicatif susceptible de provoquer
une mutation politique et économique.
La conscience de condition permet certes aux travailleurs de
mesurer la distance qui les sépare des autres catégories sociales
mieux nanties (employés, cadres africanisés, bourgeoisie
naissante, etc.) mais du fait de leur manque d'unité, ils ne peuvent
opposer à la privation et à la marginalisation un
« principe revendicatif » cohérent selon le mot de
A. Touraine.
C.M. Mwabila constate que la conscience de condition est
segmentée et repose sur un projet de mobilité. Segmentée
parce qu'elle se caractérise par un comportement s'inspirant
tantôt de modèles traditionnels, tantôt de modèles
modernes de type occidental (mutuel tribal-syndicat), et de mobilité
à cause de l'espoir dans les chances d'ascension sociale de l'individu
et plus encore de ses enfants.
1.2.4. Des études
évaluatives
L'analyse des sociétés africaines en
général et congolaise en particulier, partant du modèle
marxiste des classes sociales soulève quelques difficultés ainsi
que le fait remarquer C.M. Mwabila à la suite de G. Balandier20(*).
En effet, pour C.M. Mwabila, les classes sociales se heurtent
en Afrique à deux ordres de difficultés : la
diversité et l'hétérogénéité. La
diversité résulte des facteurs multiples telles que la
variété des sociétés traditionnelles, les
incidences différentielles des colonisations, les divergences
résultant des choix faits après l'indépendance en
matière politique. Ces diversités ne peuvent s'interpréter
à partir d'un modèle structurel unique, telles les classes
sociales, bien que ces diversités voisinent avec certaines
caractéristiques communes comme par exemple une large
prédominance de la paysannerie, un petit nombre des entrepreneurs
autochtones, l'importance de la couche vivant de la bureaucratie,
l'émergence d'une nouvelle classe que Balandier
appelle « classe des gestionnaires de l'Etat
moderne ».
Quant à
l'hétérogénéité, elle découle
principalement de l'existence dans les sociétés africaines
modernes d'éléments d'âges différents, la
multiplicité de critères de différenciation sociale, des
critères relevant du passé, d'autres conditionnés par le
présent. S'agissant des critères du passé, G. Balandier
signale une forte résistance à l'apparition des classes sociales
parce que les inégalités s'expriment davantage au niveau de
prestige et de pouvoir qu'au niveau de richesse. Concernant les critères
du présent, Balandier le nouveau type de différenciation sociale
issue de la généralisation de l'Etat, du développement des
villes et de l'économie marchande, de la modification directe ou
indirecte des régimes fonciers, de la diffusion d'un savoir nouveau qui
valorise la connaissance écrite, de la dénaturation de la culture
traditionnelle et de la dissolution du système religieux qui lui est
associé.
Ainsi pour C.M. Mwabila, le processus de subdivision des
sociétés en classes antagonistes ne peut être
considéré comme achevé en Afrique malgré
l'existence remarquée de différents groupes
d'intérêts. Ce caractère inachevé des classes se
rattache au processus (inachevé) de constitution de l'Etat, de la Nation
et de l'économie moderne.
Ces considérations pertinentes
développées par C.M. Mwabila se renforcent avec les mutations
induites par la déstructuration et la dégradation de l'appareil
économique qui a servi de repère d'identification des classes
sociales ci-haut mentionnées. Du fait de l'implosion de l'appareil de
production, la détermination de différentes classes sociales
devient difficile, de même les critères à partir desquels
elles sont hiérarchisées. On assiste, par ailleurs, à
l'émergence d'autres groupes sociaux ne pouvant être saisis en
terme des classes sociales. Tel est le cas notamment des artistes musiciens,
des chefs religieux dans les églises de réveil, des
opérateurs du secteur informel, etc.
Ce malaise provoqué par le recours aux
catégories marxistes pour identifier les acteurs sociaux au Congo, a
été également ressenti par J.T. Omasombo et T.K. Biaya. En
effet, affirment-ils, la conformité à l'orthodoxie marxiste,
conditionnant les classes sociales au rôle joué dans le
procès de production et à la prise de conscience politique, a
conduit plusieurs chercheurs à nier leur existence au Congo. Dans ce
pays, poursuivent-ils, par delà l'identification des groupes sociaux par
rapport au procès de production, on n'a pas dans différents cas,
encore assez réussi à saisir le niveau de la conscience de classe
et sa diversité, son caractère fluide et changeant et son rapport
à des sous-cultures engendrés localement. Chez le petit peuple,
par exemple, le climat de conscience ambiant résulte d'un dosage
d'éléments tels que la résignation, le respect souvent
formel des règles de jeu social, la source de révolte vite
attisée et vite calmée, le double langage, les croyances aux
solutions dans l'au-delà.
Ainsi pour eux, la saisie de la réalité des
classes sociales au Congo exige qu'on renonce à calquer des
modèles trop élaborés et/ou figés produits dans des
sociétés plus stables et homogènes, c'est-à-dire
n'ayant pas été soumises à l'action déstructurante
de la colonisation tant sur le plan économique, politique que culturel.
Il s'impose, estiment ces deux auteurs, la nécessité d'une
analyse tendant à situer la société congolaise dans son
contexte et la rendre à son histoire. On découvrira ainsi la
permanence des classes sociales d'un certain type et les ruptures de ce type
vers un nouveau qui se recherche.
Leur analyse les amène à découvrir au
Congo, cette formation sociale au confluent des valeurs pré-capitalistes
et du capitalisme périphérique encore mal adoptées, une
division de la société induite par la colonisation en classe
dominante et en classe dominée. Entre les deux, se loge la classe
moyenne flottante. Chaque classe se compose de quelques échelons. Ainsi,
le Congo se constituerait des classes sociales ci-après :
- la bourgeoisie comprenant : - la bourgeoisie
politique
- la
bourgeoisie commerçante
- la
classe moyenne
- la classe dominée composée de :
- la masse
prolétarienne
- les
travailleurs indépendants
- les
chômeurs et sans emploi.
- les
masses rurales et paysannes.
Relevons quelques observations à propos de la
trouvaille de J.T. Omasombo et T.K. Biaya.
Cette étude, comme l'ont affirmé les auteurs,
renonce à l'orthodoxie marxiste pour s'inscrire dans une approche qui
restitue le Congo dans son contexte et dans son histoire. Mais son
développement la ramène dans les ornières marxistes. En
effet, ces deux auteurs recourent aux mêmes repères
élaborés par Marx pour identifier les classes sociales, à
savoir la place ou le rôle dans la production et la conscience de classe.
Ainsi donc, comme Marx et les marxistes, J.T. Omasombo et T.K.
Biaya distinguent dans la société congolaise la classe dominante
et la classe dominée entre lesquelles s'insère une classe moyenne
flottante. Ces classes sont, qu'ils en aient eu conscience ou non,
identifiées à partir de leur rôle dans le procès de
production.
C'est pourquoi, sans réaliser un dépassement des
travaux existants partant des données empiriques, ambition
première de leur étude, J.T. Omasombo et T.K. Biaya en arrivent
à découvrir dans la réalité congolaise
actuelle les classes sociales déjà repérées depuis
très longtemps par plusieurs chercheurs (pensons ici à G.N.
Nzongola, C.M. Mwabila, Ngokwey).
D'autre part, comme Marx et les marxistes, J.T. Omasombo et
T.K. Biaya insistent sur la conscience de classe qui caractérise les
différents groupes sociaux qu'ils ont découverts, comme le
témoignent plusieurs passages de leur article. « La
bourgeoisie politique désigne la classe dirigeante, tant elle est
identifiable, consciente de son existence et de ses intérêts de
classe. La bourgeoisie commerçante est consciente que son existence et
sa prospérité tient à son alliance avec la bourgeoisie
politique ». A propos de la classe ouvrière, ils
écrivent : « les travailleurs des entreprises
privées sont donc les seuls vrais prolétaires dans le
système capitaliste encore contrôlé par le capital
étranger. La crise économique fait d'eux une minorité
consciente et privilégiée au milieu d'une population adulte
valide qui ne fait pas partie des structures organisées de production.
On voit en définitive que cette étude n'a
opéré aucun dépassement tant sur le plan théorique
que sur le plan empirique.
1.2.5. Des nouvelles
perspectives.
Toutes ces difficultés apparaissent, à notre
avis, du fait que la taxinomie des classes sociales chez la plupart des auteurs
procède des diagnostics et formulations ne tenant pas compte de la
réalité locale et de son dynamisme. La rigidité des
modèles d'analyse utilisés tronque souvent l'image de la
société. En effet, le fonctionnement de la société
déborde la rationalité, le cadre logique dans lequel la
théorie prétend l'enfermer.
Retrouvons ici Jean Cazeneuve pour poser avec lui que le
domaine de la stratification sociale est extrêmement vaste et complexe.
Comme nous retrouvons dans chaque société plusieurs
stratifications et que celles-ci sont agencées différemment
suivant les contextes, nous devons aussi dépasser le niveau de la
théorie globale pour étudier les divers types de stratification
et leurs combinaisons dans les divers types de sociétés21(*). En effet, toute
théorie doit être élaborée sur la base de la
réalité concrète, à partir des données
empiriques. Au sujet de la nécessité de prise en compte de la
réalité concrète disons avec Jean Copans que la sociologie
se veut être une rupture empirique qui intègre l'histoire
réelle des populations africaines. En effet, pour cet auteur,
l'apparition d'un nouvel ordre de phénomènes sociaux
(économiques, politiques et idéologiques) rend possible
l'apparition d'une certaine réflexion scientifique sur cet ordre de
phénomènes. L'évolution de la société impose
à l'intention des théoriciens des problèmes nouveaux ou
à l'intérieur d'une science déjà constituée,
en une problématique (ou en plusieurs problèmes).22(*)
En effet, le cadre général de l'étude des
clases sociales au Congo a été, ainsi que nous l'avons ci-haut
mentionné, reste la Grande entreprise capitaliste qui a
déstructuré et structuré l'édifice social en
fonction de la logique qui la sous-tend. Cette grande entreprise a
constitué la charpente de l'économie formelle du Congo. Celle-ci
a amorcé leur désintégration depuis la fin des
années 70 qui s'est achevée dans la décennie 90 avec les
jacqueries militaires et populaires orchestrées par un pouvoir en perte
de vitesse. Les deux guerres de 1996 et de 1998 n'ont fait que boucler un long
processus. Il est aujourd'hui malaisé d'évaluer la part des
unités de production dans la vie de la population et de la nation. Ce
qui est évident est que la déstructuration du secteur
économique a exclu une part très importante de la population du
procès de production économique. Ce secteur ne concerne
désormais qu'une infime portion de la population dont l'existence ne s'y
rattache pas. « Le congolais type, écrivent Remy Mbaya
Mudimba. et F. Streiffler, travaille dans l'agriculture ou dans le secteur
informel pour 54% ou dans l'emploi salarié pour 15%23(*) ».
Par conséquent la définition des classes
sociales à partir de leur place dans les différents segments de
cette économie formelle, devenue secondaire, ne semble pas se rapporter
à la situation actuelle de la R.D.C. L'émergence et l'expansion
du secteur informel vers lequel se ruent toutes les couches de la population,
suite à l'effondrement de l'économie nationale, invitent à
la relecture de la structure sociale au Congo. Ce nouvel ordre des
phénomènes socio-économiques, comme l'exige ci-haut Jean
Copans, nous contraint de réexaminer la problématique de la
stratification sociale en RDC, en général, et dans la ville de
Kinshasa en particulier.
Remy Mbaya Mudimba fait remarquer que la difficulté
dans l'étude des classes sociales au Congo résulte du fait que
« souvent, les gens n'utilisent pas la théorie de
l'articulation des modes de production pour essayer de comprendre le
système social congolais. Seule une conception dialectique est
féconde pour analyser la formation sociale congolaise. Dialectique
concernant la théorie et la pratique. Dialectique concernant l'analyse
des modes de production »24(*).
Cette perspective a été inaugurée par
Donat Olela Nonga Shotsha25(*). Celui-ci a appréhendé le secteur
informel comme un mode production dans ses articulations avec les anciens modes
de productions traditionnels et le mode de production capitaliste dominant.
Abordant la question relative au système social que génère
le mode de production informel, Olela en arrive à la conclusion que
celui-ci se trouve subdivisé en deux classes sociales.
D'une part, celle constituée des entrepreneurs qui
répondent à d'autres tâches et activités
salariées. Et d'autres part, celles des exploitants n'exerçant
aucune autre activité en dehors de ce commerce où la
catégorie des chômeurs, des sans emplois et des retraités,
qui tirent l'essentiel de leur survie ainsi que de celle de leurs familles
respectives.
Sur le plan de rapports sociaux de production, la
spécificité de l'instance économique de la première
catégorie réside dans la complexité du nouveau type des
relations de production. Dans le secteur informel existent des gens qui ont un
double statut ; ils sont à la fois des travailleurs exclus de la
propriété des moyens de production lorsqu'ils répondent
comme salariés dans les entreprises des autres d'une part, et des
patrons propriétaires des unités de production, lorsqu'ils sont
dans leurs propres entreprises du secteur informel d'autre part. Ils sont ainsi
dans une double relation de propriétaire/non-propriétaire, de
salarié/entrepreneur.
Ce statut social hybride a été constaté
dans une étude réalisée à l'INERA26(*) en 1996. Nous avons
découvert que l'impératif du vécu quotidien dans une
situation de crise imposait aux agents de cet Institut l'imagination d'autres
mécanismes d'acquisition du revenu pour assurer la survie de leurs
familles. Parmi ces mécanismes, outre les « coups de
mains », c'est-à-dire les services parallèles
prestés dans les écoles, les garages, les ateliers, etc., la
plupart des agents avaient initié le petit commerce ou le petit
métier, souvent tenus avec leurs épouses et enfants.
Avant nous, Kazadi Kimbu avait également
constaté le développement de ces activités parmi les
cadres et ouvriers des entreprises du Haut Katanga Industriel. Leurs conditions
de vie et de travail leur révèlent que le meilleur moyen de
s'adapter à la crise, de trouver des solutions dans le capitalisme,
c'est de lancer ses propres affaires ; c'est utiliser les moyens fournis
par le capitalisme lui-même pour travailler à son propre compte.
Leur conviction : « pour ne pas périr, il faut se
débrouiller ».27(*)
Cette pratique est devenue monnaie courante en R.D. Congo. A
ce jour, et principalement dans la ville de Kinshasa, Ministres, PDG,
Professeurs d'université, Chefs religieux, artistes musiciens, ouvriers,
chômeurs, etc., la plupart tiennent des activités relevant de
l'informel au sens large du terme. Cette nouvelle donne rend caduque le
découpage de la population en classe des propriétaires de moyens
de production et classe non possédante entre lesquelles vacille une
classe moyenne.
Le cumul des plusieurs activités par un seul individu
(agent de l'administration publique, conseiller dans un cabinet
ministériel et propriétaire d'une grande boulangerie) et le
caractère composite du revenu qui en résulte, rend
aléatoire la classification des groupes sociaux sur base de la
profession. Un tel individu devra-t-il être classé parmi les
cadres ou bien parmi les bourgeois ? Concernant les rapports de classes,
on voit par exemple que du fait du développement des activités du
secteur informel que certains membres de la classe moyenne (employés de
bureau) qui occupent formellement un rang supérieur se lient
organiquement, pour leur survie, aux ouvriers qui ont prospéré
dans une activité informelle. Ceux-ci entretiennent, de par leur
nouvelle situation, de relations étroites avec des membres des classes
supérieures.
Il en est de même, poursuit Olela N.S., pour la
deuxième catégorie, celle des chômeurs. Ces gens, en
même temps qu'ils se reconnaissent comme des chômeurs, sont aussi
à la fois propriétaires des unités de production, au lieu
d'être, comme des chômeurs de la société capitaliste,
c'est-à-dire simplement une armée de réserve.
Cela dit, dans sa logique économique de fonctionnement,
conclut Olela N.S., le secteur informel est différent du
capitalisme ; alors que le capitalisme divise la société en
deux blocs : d'un côté celui des propriétaires des
moyens de production, et de l'autre côté celui de ceux ne
disposant que de leur force de travail qu'ils aliènent contre un
salaire, le secteur informel crée, quant à lui, une
société des plusieurs possédants, non juxtaposés,
de moyens de production, dont les uns répondent encore chez les autres
comme salariés.
Mais cette étude de Olela N.S. reste muette quant
à la nature des rapports entre ces différentes catégories
des possédants, le type de conscience qu'elles développent et les
places qu'elles s'assignent et les luttes qu'elles se livrent pour conforter ou
transformer leurs positions.
La sociologie ne gagnerait-elle pas en découvrant la
manière dont la population construit son échelle sociale par
laquelle elle prend conscience d'elle-même, se projette et se mire. Cette
perspective nous parait la moins impertinente dans la mesure où, elle
permet de cerner les valeurs prévalant au sein d'une
société et de comprendre les motivations qui président aux
actions des différents groupes sociaux qui donnent à la
société son dynamisme.
A notre avis, et tel que nous suggère l'observation de
la vie quotidienne à Ngaba, la construction de l'échelle
sociale se fonde la situation de classe28(*). Celle-ci est appréciée à
partir des indices de consommation, la possession de certains biens,
l'accès à certains services, etc. Le nivellement de
l'échelle sociale ainsi construite procède de valeurs
esthétiques29(*) qui procurent prestige, pouvoir et puissance.
Telle sera l'orientation de ce travail.
Section 2. Situation de
classe, condition sociale et hiérarchie sociale à
Kinshasa/Ngaba
Le concept de situation de classe désigne, à la
suite de Max Weber, la chance caractéristique pour un individu
d'accéder aux biens. Les individus du fait de leur famille, de leur
profession, des capitaux qu'ils possèdent, de la région où
ils habitent, ou du tout autre cause déterminante, ont des chances (au
sens de possibilité) inégales, différentes,
d'accéder aux biens. Ces différences définissent des
situations de classes différentes.
La situation de classe se rapporte à deux
ordres : économique et social. L'ordre économique est
le mode selon lequel, les biens et les services sont distribués et
utilisés tandis que l'ordre social renvoie à la sphère de
répartition de l'honneur, c'est-à-dire le mode selon lequel le
prestige se distribue dans une communauté. Cet ordre social M. Weber
l'appelle condition sociale, c'est-à-dire la chance
caractéristique pour un individu de jouir d'une certaine
considération sociale dans la société. Il ne s'agit plus
de la chance d'accès au bien mais à l'honneur social. La
condition sociale est le domaine de l'être : elle est définie
par les marques de distinctions symboliques qui se lisent dans la consommation
et les loisirs ostentatoires. Ces marques de distinction apparaissent à
travers le respect du code des bonnes manières, l'éducation, la
culture, le chic dans l'habillement, l'aisance et la prestance dans les
mondanités, la consommation raffinée de mets délicats,
etc., dans le style de vie. Mais la considération ou l'honneur qui
marquent le groupement de prestige ne sont pas des attributs
nécessairement liés à une situation de classe quand bien
même la facilité d'accès aux biens tend à devenir
à la longue ou à la limite une condition nécessaire
d'appartenance à un groupement de prestige.
Dans la Commune de Ngaba, comme dans l'ensemble de la ville
de Kinshasa, la situation de classe d'un individu est reflétée
par le confort matériel et définit sa place dans la
hiérarchisation sociale. Nous n'avons qu'à considérer les
différentes formes de discrimination présenter à
l'introduction de ce travail pour nous en rendre compte. Comme nous le verrons
plus loin, la situation sociale au lieu d'être un indice d'un status
social en est plutôt constitutive et conditionne le degré de la
considération sociale à réserver à un individu.
Elle constitue en définitive le fondement de la perception et de
l'évaluation sociale.
Section 3. Elaboration du
modèle d'analyse
Les inégalités entre les hommes sont une
donnée naturelle et inéluctable. Aucun régime politique ou
social ne peut y remédier, et les utopistes les plus hardis n'ont jamais
caressé un aussi fol espoir30(*)
Cette réalité indéniable,
évidente même aux esprits les plus étourdis, appelle,
cependant, des polémiques quant à la saisie de son fondement, de
sa configuration, de son amplitude et de son rôle dans le devenir de la
société. Les uns y trouvent le moteur des transformations
sociales alors que les autres l'inscrivent dans l'inhérence de toute
organisation sociale et de sa stabilité. Le débat amorcé
dans la première section est révélateur de cette
divergence théorique. Dans un cas comme dans un autre, les
inégalités sociales constituent un enjeu et un ferment des
conduites humaines et que c'est la société qui en donne la
signification.
1.3.1. Espace social comme lieu
de différenciation.
C'est en observant les pratiques culturelles et les logiques
de différenciation sociale que P. Bourdieu construit sa théorie
de l'espace social que l'on peut résumer de la manière
suivante : la société est un espace de
différenciation dans lequel les rapports de domination sont
dissimulés, car profondément intériorisés par les
individus31(*).
Pour P. Bourdieu, la construction d'une théorie de
l'espace sociale suppose une série de ruptures avec la théorie
marxiste. Rupture avec la tendance à privilégier les substances -
ici les groupes réels dont on prétend définir le nombre,
les limites, les membres, etc. - au détriment des relations et avec
l'illusion intellectualiste qui porte à considérer la classe
théorique, construite par le savant, comme classe réelle, un
groupe effectivement mobilisé ; rupture avec l'économisme
qui conduit à réduire le champ social, espace multidimensionnel,
au seul champ économique, aux rapports de production économique,
ainsi constitués en coordonnées de la position sociale32(*) ; rupture enfin avec
l'objectivisme, qui va de pair avec l'intellectualisme, et qui conduit
à ignorer les luttes symboliques dont les différents champs sont
le lieu et qui ont pour enjeu la représentation même du monde
social et, notamment la hiérarchie au sein de chacun des champs et les
différents champs33(*).
Parler de l'espace social selon P. Bourdieu, c'est dire qu'on
ne peut rassembler n'importe qui avec n'importe qui en ignorant les
différences fondamentales économiques et culturelles notamment
...Partant de ce principe, P. Bourdieu estime que l'espace social, vocable
qu'il préfère à la société à cause de
sa précision, est le lieu de différenciation en fonction des
propriétés spécifiques et agissantes en circulation dans
cet univers et conférant à leurs détenteurs de la force,
du pouvoir.
En d'autres termes, les inégalités sociales
sont une résultante de l'inégale répartition de certaines
propriétés valorisées dans un univers social donné.
Ces propriétés permettent la société de distinguer
un individu des autres et éventuellement de lui attribuer une place sur
l'échelle sociale.
Pour être retenu comme principe de structuration de
l'espace social, cette propriété doit être agissante,
c'est-à-dire être une ressource utile, en cours au moment et au
lieu où se réalise l'observation et susceptible d'affecter la
condition existentielle de son détenteur. Il s'en suit que toute
propriété est soumise à la loi de la cinématique
sociale qui intègre l'effet différentiel du temps et de l'espace.
En effet, selon les époques et les lieux les propriétés
peuvent se convertir soit en propriété agissante
déterminant dans la hiérarchisation des individus, en
propriété potentielle, c'est-à-dire virtuelle ou de
seconde zone, ou tout simplement cesser d'être un critère de
référence. Ainsi, en est-il de l'âge et du sexe qui
naguère dans nos sociétés étaient de
critères fondamentaux de hiérarchisation sociale ne sont plus de
nos jours de facteurs structurants de rapports sociaux. La
propriété considérée devra, pour être
agissante, accroître ou diminuer le volume du capital symbolique qu'elle
est censée procurer.
P. Bourdieu nomme capital, ces propriétés, et
en distingue quatre espèces : capital économique, social,
culturel et symbolique. Ces espèces du capital, à la façon
des atouts dans un jeu, sont des pouvoirs qui définissent les chances de
profit dans un champ donné.
Le capital culturel peut exister sous trois formes :
à l'état incorporé, c'est-à-dire sous la forme de
dispositions durables de l'organisme ; à l'état
objectivé, sous la forme de biens culturels (tableaux, livres,
dictionnaires, instruments, machines) qui sont la trace ou la
réalisation de théories ou de critiques de ces théories,
de problématiques, etc. ; enfin à l'état
institutionnalisé (titre scolaire attestant la compétence acquise
et ayant une valeur conventionnelle).
Le capital social est l'ensemble des ressources actuelles ou
potentielles qui sont liées à la possession d'un réseau
durable de relations plus ou moins institutionnalisées
d'interconnaissance et d'inter-reconnaissance ; ou, en d'autres termes, un
ensemble des relations sociales - principalement le pouvoir d'autrui -
dont un agent peut se servir à son profit. Tel qu'il est courant
à Kinshasa d'entendre les certaines gens se faire prévaloir ou
proférer les menaces de toutes sortes parce qu'ils ont des relations
privilégiées avec telle ou telle autre autorité du pays.
L'ensemble de ces capitaux détermine l'apparition d'un
capital symbolique, c'est-à-dire une sorte de charisme qui, à la
faveur de la reconnaissance sociale de capitaux particuliers, procure à
son détenteur prestige, autorité et
notoriété34(*).
Bourdieu découvre ainsi une pluralité des
capitaux circulant dans l'espace social et dont la spécificité
définit chacun de ses compartiments et lui imprime une logique ainsi que
les formes de lutte particulières. Ces capitaux qui s'imbriquent, ne
déterminent pas avec la même intensité la hiérarchie
sociale.
Faisons remarquer que de manière
générale, le capital agissant dans un univers social donné
est celui qui renforce la position de l'élite, assure sa domination et
lui permet de maintenir la distance avantageuse qui la sépare des
groupes dominées. C'est pour dire comme P. Bourdieu que c'est
l'élite qui légitime un capital en fonction de ses
intérêts. En effet, souligne P. Bourdieu, ce sont les plus
visibles du point de vue des catégories de perception en vigueur qui
sont les mieux placés pour changer la vision en changeant les
catégories de perception. Le capital ainsi légitimé
dévient un enjeu pour lequel les agents sociaux entrent en
compétition pour son acquisition, son maintien ou sa modification.
Ainsi, P. Bourdieu conclut qu'il y a dans toute
société des dominants et des dominés, et que dans cette
différence réside le principe de base de l'organisation sociale.
Mais cette domination, fait-il remarquer, dépend de la situation, champ
ou espace social lui-même, des ressources (capital agissant) et de la
stratégie (jeu, forme de lutte dans le champ ou l'espace social).
C'est pourquoi, l'espace social apparaît comme un champ
de forces, c'est-à-dire comme ensemble de rapports de force objectifs
qui s'imposent à tous ceux qui entrent dans ce champ et qui sont
irréductibles aux intentions des agents individuels ou même aux
interactions directes entre agents.
La position d'un agent déterminé dans l'espace
social peut ainsi être définie par la position qu'il occupe dans
les différents champs, c'est-à-dire dans la distribution des
pouvoirs qui sont agissants dans chacun d'eux, soit principalement le capital
économique - sous ses différentes espèces - le capital
culturel et social, ainsi que le capital symbolique, communément
appelé prestige, réputation, renommée, etc. qui est la
forme perçue et reconnue comme légitime de ces différentes
espèces de capital.
En somme, la situation actuelle d'un agent peut être
définie en fonction d'un système multidimensionnel de
coordonnées dont les différentes valeurs correspondent aux
valeurs pertinentes. Les agents s'y distribuent, dans la première, selon
le volume global du capital qu'ils possèdent et, dans la seconde, selon
la composition de leur capital, c'est-à-dire selon le poids relatif des
différences dans l'ensemble de leurs possessions.
P. Bourdieu constate dans sa société que
l'espace social s'organise autour de deux dimensions : le volume global
des ressources détenues, et sa répartition entre capital
économique (fortune, salaires, revenus) et le capital culturel
(connaissances, diplômes, bonnes manières). Ce clivage entre
l'argent et la culture est très discriminant. Toutefois, malgré
son relativisme et son regard multidimensionnel de la société, il
reconnaît, comme K. Marx, l'autonomie relative des autres structures de
la société et le déterminisme de la structure
économique en dernière instance sur les autres.
Revenons sur les différentes espèces du capital
pour dire que pour qu'elles soient agissantes et donc fonder la
hiérarchie sociale, elles doivent être légitimes,
c'est-à-dire reconnues comme élément de mobilité
sociale à un moment donné de l'évolution de la
société. Elles interviennent dans la différenciation
sociale que lorsqu'elles influent sur le volume global du capital symbolique
(honneur, prestige, etc.). En d'autres termes, pour qu'un capital soit retenu
comme agissant, il doit contribuer à accroître ou à
diminuer le capital symbolique. Aussi, le volume du capital symbolique n'est-il
pas déterminé par un seul et unique capital comme l'a
pensé K. Marx. Il s'y joint toujours un autre capital qui joue un
rôle secondaire ou d'appui.
Ainsi, considérons-nous que la stratification ou
l'échelle sociale se construit sur base de la hiérarchisation des
différents volumes du capital symbolique qui résulte de la
possession du capital agissant soutenu par le capital potentiel.
Es= somme Cs=f(Ca)+ Cp.
Es = Echelle sociales, Cs= Capital symbolique, Ca=
Capital agissant, Cp= Capital potentiel.
Cette formule présente un avantage : elle montre,
pour reprendre la formule de P. Bourdieu, qu'il n'y a pas un
déterminisme mécanique dans la fluctuation du volume du capital
symbolique, mais des lois tendancielles qu'il s'agit de mettre à
jour35(*).
C'est dire qu'une espèce de capital bien
qu'étant spécifique peut jouer un rôle secondaire, dans un
système de stratification. On voit par exemple qu'au Congo l'instruction
(capital culturel) qui jadis servait de pilier majeur de l'édifice
social ne l'est plus bien que l'on reconnaisse son importance dans la
société. Dans ce cas, ce capital culturel loin d'être
agissant devient plutôt un capital potentiel et cède sa place au
capital économique.
1.3.2. Propriétés
générales des champs sociaux36(*).
1. Les champs se présentent à
l'appréhension synchronique comme des espaces structurés des
positions (ou de postes) dont les propriétés dépendent de
leur position dans ces espaces et qui peuvent être analysés
indépendamment des caractéristiques de leurs occupants ;
2. Il y a des lois générales des
champs :des champs aussi différents que le champ de la politique,
le champ de la philosophie, le champ de la religion ont des lois des
fonctionnement invariantes ;
3. Un champ, s'agit-il du champ scientifique, se
définit entre autres choses en définissant des enjeux et des
intérêts spécifiques, qui sont irréductibles aux
enjeux et aux intérêts propres à d'autres champs et qui ne
sont perçus de quelqu'un qui n'a pas été construit pour
entrer dans ce champ ;
4. Pour qu'un champ marche, il faut qu'il y ait des enjeux et
des gens prêts à jouer le jeu, dotés d'habitus impliquant
la connaissance et la reconnaissance des lois immanentes du jeu, des
enjeux, etc. ;
5. La structure du champ est un état du rapport de
force entre les agents ou les institutions engagés dans la lutte ou, si
l'on préfère, de la distribution du capital spécifique
qui, accumulé au cours des luttes antérieures, oriente les
stratégies ultérieures. Cette structure, qui est au principe des
stratégies destinées à la transformer, est elle-même
toujours en jeu : les luttes dont le champ est le lieu ont pour enjeu le
monopole de la violence légitime (autorité spécifique) qui
est caractéristique du champ considéré,
c'est-à-dire, en définitive, la conservation ou la subversion de
la structure de la distribution du capital spécifique ;
6. Ceux qui, dans un état déterminé du
rapport de force, monopolisent (plus ou moins complètement) le capital
spécifique, fondement du pouvoir ou de l'autorité
spécifique caractéristique du champ, sont inclinés
à des stratégies de conservation (défense de
l'orthodoxie), tandis que les moins pourvus de capital sont enclins aux
stratégies de subversion - celles de l'hérésie ;
7. Tous les gens qui sont engagés dans un champ ont en
commun un certain nombre d'intérêts fondamentaux, à savoir
tout ce qui est lié à l'existence même du champ : de
là une complicité objective qui est sous-jacente à tous
les antagonistes. On oublie que la lutte présuppose un accord entre les
antagonistes sur ce qui mérite qu'on lutte, c'est-à-dire tout ce
qui fait le champ lui-même, le jeu, les enjeux, tous les
présupposés qu'on accepte tacitement, sans même le savoir,
par le fait de jouer, d'entrer dans le jeu.
8. Ceux qui participent à la lutte contribuent à
la reproduction du jeu en contribuant, plus ou moins complètement selon
le champ, à produire la croyance dans la valeur des enjeux.
9. Les nouveaux entrants doivent payer un droit
d'entrée qui consiste dans la reconnaissance de la valeur du jeu et dans
la connaissance des principes de fonctionnement.
10. Les révolutions partielles dont les champs sont
continûment le lieu ne mettent pas en question les fondements mêmes
du jeu, son axiomatique fondamentale, le socle de croyances ultimes sur
lesquelles repose tout le jeu. Bien au contraire, la subversion
hérétique se réclame du retour aux sources, à
l'origine, à l'esprit, à la vérité du jeu, contre
la banalisation et la dégradation dont il fait l'objet.
11. Un des facteurs qui met les différents jeux
à l'abri des révolutions totales, de nature à
détruire non seulement les dominants et la domination, mais le jeu
lui-même, c'est précisément l'importance même de
l'investissement, en temps, en efforts, etc., que suppose l'entrée dans
le jeu qui contribue à rendre impensable pratiquement la destruction
pure et simple du jeu.
Le schéma explicatif étant
élaboré, examinons à présent le sens que nous
attribuons aux concepts clés de cette dissertation.
Section 4. Des concepts
Pour ne pas noircir des pages entières au sujet de
l'importance de cette partie de notre travail, disons tout simplement à
la suite de Godon Mace que la définition d'un concept exercice
périlleux et incontournable. Périlleux, du fait de
caractère abstrait du concept et incontournable parce qu'il ne peut y
avoir des connaissances sans concepts. En effet, les concepts sont des
instruments de la méthode scientifique qui interviennent au moment de la
désignation du problème de recherche. A cette étape de
recherche, les chercheurs les utilisent essentiellement pour reconnaître
les éléments ou dimensions qui se rapportent au problème
général et également pour préciser les relations
établies ou postulées entre ces éléments37(*).
Devant répondre à cette exigence, nous
définissons les concepts ci-après :
1.4.1. Stratification
sociale.
Il est évident que nous ne saurons rendre compte en
quelques lignes, le concept de stratification sociale qui a déjà
fait l'objet d'innombrables publications38(*). Notre effort consistera à saisir dans ses
grandes articulations, ce concept central de notre étude.
La société, écrit Jean Golfin, n'est pas
un tout homogène et elle n'a rien d'une masse amorphe et
indifférenciée. Ses membres se répartissent en un certain
nombre de couches sociales auxquelles on donne le nom de strates,
emprunté à la géologie. Et l'on appelle stratification le
processus selon lequel se constituent les strates39(*).
De ce qui précède, retenons que par
stratification on entend la hiérarchisation de tout groupe humain sur
une échelle de positions, c'est-à-dire l'alignement vertical des
statuts ou strates sociales. Ce phénomène, comme le fait observer
Jean Golfin est ressenti subjectivement dans la société. C'est
à ce sentiment que correspond la vision commune verticale que les
membres ont de l'ensemble social et qui fait dire quand on passe d'une strate
inférieure à une strate supérieure que l'on monte. La
stratification est donc aussi un processus de hiérarchisation et
d'inégalité. Elle est un processus social
(hiérarchisation) et un état social (hiérarchie).
Toute stratification obéit à des significations
conventionnellement attribuées et à des critères et
prescriptions culturellement définis. Elle renseigne sur la nature
particulière d'une société, et sur les valeurs dominantes
qu'elle professe. Partout, note J. Golfin, la hiérarchisation implique
une inégale participation au pouvoir, à la richesse, au
prestige : mais ce qui importe, c'est le fondement de cette
inégalité. Et donc, le pouvoir, la richesse, le prestige sont les
principales sources des inégalités entre les hommes.
La stratification sociale se caractérise par les
traits suivants :
· caractère social, c'est-à-dire qu'elle
répond à des significations conventionnellement attribuées
et à des critères et prescriptions socialement
définis ;
· ancienneté : elle est présente dans
toutes les sociétés passées, car elle se transmet de
génération en génération ;
· la stratification sociale est
omniprésente et universelle ; elle existe dans toutes les
communautés humaines ;
· la stratification se manifeste sous des formes
variées ;
· la stratification sociale est dotée d'une
série de conséquences précises, c'est-à-dire que ce
sont essentiellement les choses les plus importantes, les plus
désirées et souvent les plus rares dans la vie de l'homme qui
tombent sous le coup de l'inégale répartition.
Revenons au caractère multiforme de la stratification
sociale pour dire qu'elle se construit selon des formes diversifiées.
Les sociologues en distinguent principalement trois types :
1. les castes : sont des groupes sociaux
hiérarchisés principalement sur la base de principes religieux.
Les différentes castes constituent des groupes fermés et
séparés : on naît et on meurt dans la même
caste ; on se marie à l'intérieur de la caste. La
société indienne traditionnelle se décomposait ainsi en
quatre castes fondamentales : prêtres (brahmanes), guerriers,
producteurs et marchands. Une dernière catégorie est
constituée des « intouchables » qui sont
« hors caste ». Chaque caste définit un ensemble des
rituels d'habitudes vestimentaires (couleur particulière), alimentaire
(les brahmanes sont végétariens), de façons de parler, de
professions, etc.
2. les ordres : sont des groupes sociaux
hiérarchisés en fonction de la dignité accordée aux
différentes fonctions sociales. Par exemple, dans la France de l'Ancien
Régime on distingue la Noblesse, le Clergé, et le Tiers-Etat. La
transmission des statuts sociaux est fortement héréditaire et la
mobilité entre ordres est réduite. Même déchu, un
noble reste noble.
3. les classes sociales, concept plus ambigu. Pour certains
sociologues, on parle de classe lorsqu'on est en présence d'une
situation de fait et non de droit (bourgeois et prolétaire sont soumis
aux mêmes règles juridiques, ce n'était pas le cas des
seigneurs et des serfs dans la féodalité). Pour K. Marx (mais
aussi pour certains sociologues non marxistes), le terme de classe est
utilisé pour désigner toutes les formes de hiérarchies
sociales. C'est en ce sens que « l'histoire de toute
société jusqu'à aujourd'hui est l'histoire de la lutte des
classes » dans la perspective marxiste, la classe sociale
apparaît lorsqu'un groupe d'individus s'approprie un surplus de type
économique.
M. Tumin avance que les systèmes de stratification sont
nécessairement créés, élaborés et maintenus
par certains processus sociaux communs à tous. Il s'agit de la
différenciation, de la classification, de l'évaluation et de la
gratification40(*).
La différenciation est le processus par lequel les
positions sociales sont définies et distinguées les unes des
autres par l'assignation à chacune d'elles d'un rôle
spécifique, c'est-à-dire d'un ensemble de droits et de
responsabilités. La classification consiste en la hiérarchisation
des positions sociales sur base de trois critères :
1. les caractéristiques personnelles,
c'est-à-dire qualité requise pour une bonne exécution d'un
rôle ;
2. les aptitudes et les qualifications acquises, jugées
indispensables pour s'acquitter efficacement d'un rôle ;
3. les conséquences (ou les effets) du rôle sur
les membres individuels et sur l'ensemble de la société ou les
fonctions sociales di rôle.
Le troisième processus intervenant dans la
stratification est l'évaluation. Celle-ci implique l'assignation
à chacun des positions sociales d'une place déterminée sur
une échelle de valeurs. Les niveaux de cette échelle peuvent
encore être exprimés en termes de supériorité et
d'infériorité, de mieux et de pire, de plus ou de moins
éminent, ou encore de plus ou moins grande faveur de l'opinion. Ces
termes dénotent les grands types de jugement exercés par
l'évaluation. Cette dernière est parfois appelée
« distinction enviable » c'est-à-dire distinction
appelée à « susciter la haine, l'impopularité ou
le mépris envieux »
Une fois différenciées, classifiées,
évaluées, les positions sociales se voient accorder à des
degrés différents la jouissance des bonnes choses de la
vie : c'est le processus de gratification. Ainsi, toute
société se donne-t-elle des lois et normes destinées
à régir l'octroi des attributs. Ces règles ne sont pas
uniques et immuables : elles peuvent tantôt assurer un confort et un
luxe relatifs à une minorité au détriment de larges parts
de la population plongées dans le besoin, et tantôt s'efforcer de
garantir une répartition plus ou moins égale entre tous. Il est
un fait établi, néanmoins, que toutes les sociétés
connues à ce jour furent parquées par un certain degré
d'inégalité d'attribution.
Constatant cette inégalité d'attribution, Henri
Mendras affirme que l'attribution des positions, même dans une
société très rationalisée, n'est jamais une
attribution purement individuel, et les différences entre les
rôles reposent rarement sur un parfait consensus de l'ensemble de la
société. Il y a une certaine hérédité des
positions. Un fils de médecin a beaucoup de chance de devenir un
médecin que le fils d'un ouvrier. D'autre part, ces
inégalités entre rôle ne sont pas acceptées
universellement. Ce qui revient à dire que dans notre
société chacun revendique, chacun se compare à d'autres et
chacun met en cause la situation acquise par d'autres groupes. Cette
contestation fait partie de notre société même, dans
laquelle il n'y a pas une hiérarchie universellement acceptée,
même si en fait elle est généralement reconnue.41(*)
La stratification sociale ainsi analysée crée
des inégalités entre groupes sociaux et se fonde sur certains
biens rares et valorisés dans la société. Elle renseigne
sur les types de discriminations et de conflits qui prévalent au sein de
la société et explique son dynamisme. L'intériorisation
par les membres de la communauté des structures qui sous-tendent la
stratification sociale génère un schème de perception
appelée habitus.
1.4.2. Habitus.
Ce concept, dans le corpus conceptuel élaboré
par Pierre Bourdieu, désigne un système de dispositions à
agir, percevoir, sentir et penser d'une certaine façon,
intériorisées et incorporées par les individus au cours de
leur histoire et qui fonctionnent comme des principes inconscients d'action, de
perception et de réflexion. Il s'agit, en d'autres termes, de
l'intériorisation des conditions objectives d'existence qui
modèle et façonne l'être social de l'individu.
L'habitus, comme le mot l'indique, c'est ce que l'on a
acquis, mais qui s'est incarné de façon durable dans le corps
sous forme de dispositions permanentes. Ce concept se réfère
à quelque chose d'historique, qui est lié à l'histoire
individuelle.
L'habitus se manifeste fondamentalement par le sens pratique,
c'est-à-dire l'aptitude à se mouvoir, à agir et à
s'orienter selon la position occupée dans l'espace social, selon la
logique du champ et de la situation dans lesquels on est impliqué, et
cela sans recours à la réflexion consciente, grâce aux
dispositions acquises fonctionnant comme automatisme.
L'habitus est ce principe générateur et
unificateur des conduites et opinions qui est le principe explicatif, puisqu'il
tend à reproduire en chaque moment (...) des conditions objectives dont
il est le produit. Il est par ailleurs, constitué d'un ensemble
systématique des principes simples et partiellement substituables,
à partir desquels peuvent être inventées une
infinité de solution qui ne se déduisent pas directement de ses
conditions de production.
Il est le produit des conditionnements qui tend à
reproduire la logique objective des conditionnements en lui faisant subir une
transformation. C'est une espèce de machine transformatrice qui fait que
nous «reproduisions » les conditions sociales de notre propre
production, mais d'une façon relativement imprévisible, dune
façon telle qu'on ne peut pas penser simplement et mécaniquement
de la connaissance des conditions de production à la connaissance des
produits.
L'habitus est un principe d'invention qui, produit par
l'histoire est relativement arraché à l'histoire : les
dispositions sont durables, ce qui entraîne toutes sortes d'effets
d'hystérésis (de retard, de décalage).
L'habitus détermine ainsi notre perception de
l'univers social et de ses membres.
1.4.3. Perception
sociale
Le dictionnaire de sociologie définit la perception
sociale comme l'étude qui prend pour objet le fait que, en psychologie,
en linguistique, en sociologie, etc., ce que les individus voient des choses ou
des gens est modelé, d'une certaine manière, par la
société.
De cette définition, nous retenons que la perception
sociale est la vision que nous avons de nous même, des autres et de la
société, vision acquise au cours d'un long processus de
socialisation. Elle implique des schèmes de perception, mieux de
réflecteurs, des projections à partir desquels nous percevons
autrui.
Pour P. Bourdieu, la perception du monde social est produite
d'une double structuration sociale42(*).
Du côté objectif, elle est socialement
structurée parce que les propriétés attachées aux
agents ou aux institutions ne se livrent pas à la perception de
manière indépendante, mais dans des combinaisons très
inégalement probables (....). En d'autres termes, la perception sociale
est d'abord une perception de la structure sociale, c'est-à-dire du
positionnement et des rapports des différents groupements sociaux. Le
sens de la position occupée dans l'espace social est la maîtrise
pratique de la structure dans son ensemble qui se livre au travers du sens de
la position occupée dans cette structure. Elle implique des
catégories, des éléments considérés comme
atouts à partir des individus qui sont perçus. Les
catégories de perception du monde social, comme le note P. Bourdieu
lui-même, sont pour l'essentiel le produit de l'incorporation des
structures objectives de l'espace social. En conséquence, elles
inclinent les agents à prendre le monde social tel qu'il est, à
l'accepter comme allant de soi, plutôt que de se rebeller contre lui,
à lui opposer des possibles différents, voire antagonistes :
le sens de la position comme sens de ce que l'on peut ou que l'on ne peut pas
« se permettre », implique une acceptation tacite de sa
position, un sens de limites, «ce n'est pas pour nous »....
Ainsi donc, si les rapports de forces objectifs tendent à se reproduire
dans les visions du monde social qui contribuent à la permanence de ces
rapports, c'est donc que les principes structurants de la vision du monde
prennent leur racine dans les structures objectives du monde social et que les
rapports de force sont aussi présents dans les consciences sous la forme
des catégories de perception de ces rapports.
(...) Du côté subjectif, elle est
structurée parce que les schèmes de perception et
d'appréciation susceptibles d'être mis en oeuvre au moment
considéré, et tous ceux notamment qui sont déposés
dans le langage, sont le produit des luttes symboliques antérieures et
expriment sous une forme plus ou moins transformée l'état des
rapports de force symboliques. Et donc, la connaissance du monde social et,
plus précisément, les catégories de perception qui la
rendent possible, sont l'enjeu par excellence de lutte politique,
inséparablement théorique et pratique pour le pouvoir de
conserver ou de transformer le monde social en conservant ou en transformant
les catégories de perception de ce monde.
Somme toute, la perception sociale consiste en la
connaissance de la distribution des positions dans un espace social,
distribution qui se réalise en fonction du volume du capital agissant
dans cet espace. Suivant la nature et le volume de capital agissant, les agents
sociaux s'identifient et se différencient des autres,
s'apprécient et classent sur l'échelle sociale. Le capital
agissant sert ainsi de catégorie de perception, mieux de critère
d'humanité. La catégorie ou le critère de perception
légitime, c'est-à-dire reconnu en tant tel, est celui qui
légitime les couches sociales dominantes et leur permet d'assurer leur
domination.
1.4.4. Conflits sociaux.
Ce concept est au centre de l'analyse sociologique depuis
l'accueil combien chaleureux que les sociologues ont réservé aux
oeuvres de K. Marx. Les auteurs le définissent de plusieurs
manières au point qu'il est à certains moments confondus à
d'autres concepts comme tensions, rivalités, la concurrence, etc. Nous
tenterons, à la suite d'Alain Touraine, de spécifier son contenu
et de le rapporter aux faits étudier dans ce travail.
Dans l'encyclopaedia universalis, A. Touraine43(*) avance que « un
conflit est une relation antagonique entre deux ou plusieurs unités
d'action dont l'une au moins tend à dominer le champ social de leurs
rapports. L'existence d'un conflit suppose en effet deux conditions apparemment
opposées : d'une part, des acteurs, ou plus
généralement des unités d'action délimitées
par des frontières, et qui ne peuvent donc être des
« forces » purement abstraites ; de l'autre, une
interdépendance de ces unités qui constituent les
éléments d'un système.
Dans cette définition, A. Touraine met en exergue des
conditions, des facteurs et des agents du conflit social. D'abord, l'existence
des relations socialement déterminées entre deux ou plusieurs
personnes. Ensuite la négation par un agent au moins de la nature de ces
relations (le pouvoir ou la domination des rapports sociaux) et sa
volonté de les transformer à son profit et, enfin, les agents que
lient les relations, à la fois autonomes et interdépendants.
Ainsi, le conflit n'est ni la rivalité entre des acteurs
indépendants ni des tensions entre des acteurs définis par la
différenciation des status et rôles à l'intérieur
d'une organisation moins encore la concurrence entre les acteurs qui se
réfèrent à un cadre d'action commun. Dans le conflit, au
contraire, l'interaction est telle qu'elle remet en cause ce qui n'est plus un
cadre social, mais un système de rapports sociaux.
Et donc, le conflit pour nous est la négation d'un type
donné des relations par au moins un de deux sujets qu'elles relient,
négation qui se porte au visible soit par une attitude
d'indifférence, soit par des disputes, soit encore par une violence qui
peut être physique, verbale ou symbolique.
1.4.5. La ville
La ville est l'un des concepts qui ont suscité moult
controverses entre les spécialistes des sciences humaines en
général et entre sociologues en particulier. La diversité
de la réalité qu'elle désigne est à l'origine de
ces controverses. Cette diversité se rapporte à la taille de la
ville (Volume de la population et étendue de la ville), à sa
configuration (infrastructure, équipement matériel,
aménagement de l'espace) et au type des activité qui s'y exercent
(administration, commerce, industrie, etc.). Les uns et les autres se sont
appuyés sur un aspect pour faire prévaloir leur vision de
l'espace urbain.
A partir de ces critères, des auteurs ont tenté
plusieurs définitions de la ville. Ainsi, les géographes et les
démographes entendent par là un fait de concentration de
population et de services. Pour les économistes, il est question surtout
de nouveaux marchés. Pour les politicologues, il s'agit de l'apparition
de nouvelles structures politico-administratives. Les sociologues enfin pensent
pour leur part aux nouvelles modalités d'organisation sociale et aux
nouvelles mentalités.
Ce dernier aspect, celui des nouvelles mentalités
paraît intéressant. En effet, la ville est perçue à
travers le système de valeurs, les attitudes, les comportements, bref la
culture urbaine qu'elle sécrète. P. Georges indique que lorsqu'on
parle de société urbaine, il ne s'agit pas de simple constatation
d'une forme spatiale. La société urbaine est avant tout
définie par une certaine culture, c'est-à-dire par un certain
système de valeurs, les normes et les relations sociales
possédant une spécificité historique et une logique propre
d'organisation et de transformation. Il s'agit d'un milieu artificiel,
créé grâce à la prédominance d'une
activité déterminée et à caractère
sociologiquement hétérogène44(*).
Analysant les villes africaines à la lumière de
ce critère, Evariste Tshishimbi Katumumonyi45(*) estime que celles-ci n'ont pas
encore élaboré leur propre culture à cause notamment de la
persistance des cultures d'origine ethnique qui continuent à dicter les
comportements de leurs habitants. Tout en prenant en compte
l'interférence des cultures ethniques dans la vie quotidienne des
populations urbaines africaines, il y a lieu de reconnaître qu'une
nouvelle culture est en élaboration en milieu urbain africain observable
dans le comportement des populations qui y habitent. Au Congo par exemple, il
est si facile de distinguer une personne qui vit en ville de celle qui habite
la campagne ; un habitant de Kinshasa de celui de Lubumbashi, sur base des
comportements qu'ils affichent.
Par ailleurs, la ville se caractérise par la
diversité et l'hétérogénéité de sa
population. Du fait de la densité démographique, de
diversification des activités et de l'inégale possibilité
d'accès aux moyens d'existence, la ville engendre différentes
catégories sociales que l'on peut appréhender à partir de
leur mode de vie. La ville devient ainsi un lieu de mobilité sociale et
par conséquent de haute compétition entre individus et groupes
sociaux qui se disputent les meilleures places de la société. Ce
qui ne va pas sans entraîner des heurts, des tensions et des conflits
entre diverses catégories sociales.
Nous considérons la ville comme une
agglomération comprenant une population d'environ 20000 habitants,
lesquels exercent pour leur survie une multiplicité de fonctions,
partageant une dynamique culturelle déterminée et
caractérisée par une forte différenciation sociale.
CHAPITRE II. KINSHASA.
MORPHOLOGIE ET CLIVAGES SOCIAUX
Introduction
La société, objet de la sociologie,
apparaît du point de vue analytique comme un édifice à
quatre niveaux. Nicole Delruelle Vosswinkel désigne le premier niveau
par la morphologie sociale, le second par les structures sociales, le
troisième par les conduites collectives et le quatrième par les
faits de conscience46(*).
Ces différents niveaux de l'édifice social entretiennent des
relations complexes que l'analyse sociologique doit mettre à jour.
La morphologie sociale, autrement dénommée
substrat matériel, constitue la base sur laquelle reposent les trois
autres instances de la société et en constitue l'expression
objective. Elle résume, somme toute, les conditions matérielles
d'existence déterminant les conduites et les valeurs de la
société. C'est pourquoi, elle figure en bonne place dans les
analyses sociologiques dont la particularité par rapport aux autres
sciences réside dans leurs efforts de circonscrire chaque fait, chaque
phénomène dans son temps et dans son espace. Ainsi, dit-on en
sociologie qu'aucun fait, qu'aucun phénomène ne peut être
compris s'il n'est resitué dans son contexte qui lui donne sens et
signification.
Mais quid de la morphologie sociale ? Maurice Halbwachs
nous propose la réponse selon laquelle, la morphologie sociale est
constituée par la masse des individus qui composent la
société, la manière dont ils sont disposés sur le
sol, la nature et la configuration de toutes sortes de choses qui affectent les
relations collectives. Il s'agit, en somme, du substrat matériel d'une
société comprenant les phénomènes
géographiques, les phénomènes démographiques, les
ressources en ce compris les techniques qui agissent sur le milieu
géographique et le transforment.47(*)
Explicitant cette définition, Sylvain Shomba Kinyamba
indique que la morphologie sociale se réfère aux parties
palpables, visibles, matérielles de la vie de toute collectivité
humaine. Il s'agit en clair, conclue-t-il, de l'extériorisation
matérielle de la réalité sociale. Au titre
d'éléments constitutifs de la morphologie sociale, S. Shomba cite
les données démographiques et géographiques, notamment la
densité de la population, la distribution de celle-ci sur le sol, les
voies de communication ainsi que les bâtiments et tous les objets de
l'industrie humaine. Elle offre l'image globale de la vie d'une
société (...) ou un tableau de fond duquel se détachent
à la fois les caractéristiques des objets et les pratiques
susceptibles de permettre la description approximative de la vie
sociétale. Ce tableau rassemble donc les données physiques
(géographies, architecture,...) ; économiques (production,
distribution et consommation) et humaines (comportements et pratiques
diverses). Elle varie selon la complexité ou la configuration de chaque
milieu humain 48(*)
Ce substrat matériel n'est en fait que la projection
sur le sol des relations sociales dominantes dans une société. Sa
lecture permet d'accéder à la connaissance des modes
d'agencements des groupes sociaux, de leurs rapports ainsi que des
idéologies qui les structurent.
Raison pour laquelle, notre effort dans ce chapitre consiste
à offrir la physionomie de la ville de Kinshasa à travers
laquelle s'expriment les hiérarchies sociales. Ce qui permet de
comprendre les pratiquent discriminatoires qui prévalent dans cette
Ville.
Section 1 : Quelques
considérations géo-démographiques sur la ville de
Kinshasa
2. 1. 1. Milieu
physique49(*)
La province urbaine de Kinshasa créée le 23
août 1881 par Henri Morton Stanley est située entre 4° et
5° de latitude sud et entre 15° et 16° de longitude est. Elle a
comme limites géographiques : la province de Bandundu au nord et
à l'est ; la province du Bas-Congo au sud ; la
République du Congo à l'ouest.
Son relief est marqué par le plateau de Kwango qui
débouche sur le pool malebo ; la plaine de Kinshasa
(subdivisée en deux entités et séparées par la
rivière Ndjili : plaine de Lemba et celle de Ndjili) et la
ceinture collinaire qui proviendrait du démantèlement du plateau
de Kwango.
La province urbaine de Kinshasa est traversée par un
climat tropical humide à deux saisons : la saison pluvieuse (7
mois) et la saison sèche (3 mois) avec une forte pluviosité aux
mois de décembre et d'avril.
Cette province urbaine est baignée par le fleuve Congo
et son territoire est sillonné par plusieurs rivières et
ruisseaux, notamment la rivière N'djili, Nsele, Makelele, etc.
Il sied d'indiquer que ces éléments du relief
ont déterminé l'occupation de l'espace Kinois entre les
différentes couches de la société ainsi que nous le
verrons dans les points suivants. On voit par exemple que les points les plus
de la ville et les bords du fleuves sont occupés par les couches les
plus nanties qui convoitent l'air frais qui arrose ces collines (Binza,
Righini, Salongo) alors que les basses altitudes où règne la
chaleur sont habitée par les populations les moins nanties.
2.1.2. Données
démographiques
Selon les prévisions de SNSA, la population
résidante de la ville de Kinshasa se chiffrerait en 2000 à
5.284.589 habitants. L'INS répartit cette population en 50,5% d'hommes
et 49,5% de femmes avec un taux de masculinité de 102 hommes pour 100
femmes. La population est relativement jeune (50% ont au moins 15 ans). La
densité moyenne est de 441 habitants au Km2. La plus grande
concentration de la population se trouve dans la Commune de Kinshasa dont la
densité est de 25.761 habitants au Km2. La concentration la plus faible
s'observe par contre dans la Commune de Maluku qui ne compte que 7 habitants au
Km250(*).
Sa structure par âge et par sexe se présenterait
en 2000 de la manière suivante.
Tableau n° 1 : Structure par âge et
par sexe masculin (en milliers
d'habitants).
Année
Tranche d'âge
|
1995
|
1996
|
1997
|
1998
|
1999
|
2000
|
0-19
|
1406
|
1485
|
1564
|
1646
|
1733
|
1823
|
20-54
|
1012
|
948
|
987
|
1027
|
1065
|
1103
|
55 et plus
|
100
|
104
|
109
|
114
|
120
|
126
|
Total
|
2518
|
2537
|
2660
|
2787
|
2918
|
3052
|
Source : INS, Projections démographiques,
Zaïre et Régions, 1984-2000, p.18, cité par Inswan Bidum,
Promotion socio-économique de l'épouse et tensions sociales
à Kinshasa, Mémoire de D.E.S. en Sociologie, Unikin,
Kinshasa, 2002.
Tableau n° 2 : Structure par âge et par
sexe féminin (en milliers
d'habitants).
Année
Tranche d'âge
|
1995
|
1996
|
1997
|
1998
|
1999
|
2000
|
0-19
|
1399
|
1477
|
1556
|
1637
|
1724
|
1814
|
20-54
|
895
|
935
|
976
|
1019
|
1060
|
1100
|
55 et plus
|
75
|
79
|
81
|
85
|
91
|
96
|
Total
|
2369
|
4860
|
2613
|
2741
|
2875
|
3010
|
Source : INS, Projections démographiques,
Zaïre et Régions, 1984-2000, p.18, cité par Inswan Bidum,
Promotion socio-économique de l'épouse et tensions sociales
à Kinshasa, Mémoire de D.E.S. en Sociologie, Unikin,
Kinshasa, 2002.
Les données reprises dans ces 2 tableaux appellent les
commentaires ci-après :
1. la structure par groupes d'âges renseigne que la
population de Kinshasa est en majorité constituée des jeunes. La
part de la population active est inférieure à celle
dépendante (enfants et vieillards. L'importance de ces derniers dans
l'ensemble de la population est moindre, car ne représentants que
4,1%.
2. l'afflux considérable des immigrants venant d'autres
provinces semble également avoir un impact sur le volume de population
juvénile. Cette situation serait actuellement largement renforcée
par les migrations provoquées par l'état de belligérance
qui a prévalu au pays depuis l'année 1996.
La population de Kinshasa croît à un rythme
d'environ 4,7% par an. Cette croissance comprend l'accroissement naturel
estimé à 3,9 et un pourcentage correspondant à
l'immigration en provenance de l'arrière pays. Les taux de
natalité et de mortalité y sont respectivement de 51,5 % et
12,6%. L'espérance moyenne de vie est de 53 ans. Elle est de 55 ans pour
les femmes et 51 ans pour les hommes.
Section 2 :
Architecture de la ville de Kinshasa
Contrairement à l'image répandue dans la presse
d'une ville mal structurée avec d'immenses quartiers sans fin, Kinshasa,
dans son architecture, obéit aux principes discriminatoires induits par
l'idéologie coloniale. La ségrégation spatiale des
quartiers reflète globalement les clivages sociaux. Les cadres de vie
quotidienne que définissent les différents quartiers de la ville
expriment les disparités sociales dans une ville où la
pauvreté s'exacerbe sans cesse.
Marc Pain note que les critères
socio-économiques sont déterminants dans la répartition de
la population à Kinshasa. La physionomie des quartiers est le reflet
direct de la stratification sociale de la capitale. Ce qui ne veut pas dire que
la distribution des quartiers dans l'espace se traduise par une courbe
socio-économique descendante de telle sorte que, lorsqu'on quitte les
quartiers anciens et qu'on se dirige vers la périphérie, on passe
forcément de quartiers d'un bon niveau à des quartiers où
la pauvreté constitue le critère fondamental. Un tel
schéma resterait trop simpliste tant il est vrai que les contrastes
violents entre quartiers juxtaposés ou très rapprochés
existent dans toute la ville, aussi bien à la périphérie
que dans les parties centrales51(*).
Un regard, même rapide, permet de découvrir
quatre villes sur l'espace urbain de Kinshasa52(*).
2.2.1. La ville et les
quartiers résidentiels.
Il y a d'abord ce que tout le monde a convenu d'appeler
« la ville », anciennement habitée par les colons
belges. Occupant la partie septentrionale de la capitale et les bords du
fleuve, la ville, qui s'étend de la Commune de la Gombe à celle
de Ngaliema, héberge les affaires (commerces, services et institutions
politiques) et abrite les quartiers résidentiels. Elle est
talonnée par la zone industrielle qui débouche sur le quartier
Kingabwa et la Commune de Limete et est traversée par le Boulevard du 30
juin. Elle marque ses limites avec la « cité » par
le terrain de golf côtoyant le cimetière de la Gombe, les jardins
Zoologique et botanique et le Camp militaire Kokolo,
Le choix de ce site par le colon, estime M. Pain, semble
être dicté un climat frais qu'offre son relief. La pointe de la
Gombe, les sommets plats ou arrondis des collines, les versants adoucis de
Joli-parc, Binza, Mont amba, Mont Ngafula portent, sur un espace encore
boisé, un habitat résidentiel de type européen, peu dense
et de qualité.
Ces quartiers résidentiels isolés à
l'origine, sont peu à peu cernés par un habitat spontané
au fur et à mesure que se développe la couronne
périphérique. L'avancée urbaine dans un site
précaire et dégradé dès qu'on gagne les pentes,
affirme les contrastes sociaux par la juxtaposition des quartiers
résidentiels luxueux, implantés sur les hauteurs de la ville, et
de quartiers d'auto-constuction particulièrement pauvres.
2.2.2. Les premières
cités noires.
Celles-ci comprennent ce que Marc Pain appelle
« les anciennes et les nouvelles citées » dont la
vocation première était d'accueillir la main d'oeuvre de
l'administration et des entreprises coloniales. Kitambo, Kinshasa, Lingwala et
Barumbu forment les anciennes citées alors que Kasa-vubu, Ngiri-Ngiri et
Kalamu constituent les nouvelles. Il y a lieu de mentionner que ces
cités concentrent une forte densité de la population de la ville
de Kinshasa53(*). Du fait
de leur ancienneté, elles ont une infrastructure qui impressionne par sa
décrépitude.
En effet, les principales artères les reliant aux
autres communes portent une vielle asphalte, le réseau routier interne
est en état de dégradation très avancé. La Commune
de Ngiri-Ngiri, par exemple, est à ce jour inaccessible par
véhicule.
La saturation des équipements existants
cause dommages aux cadres de vie par la multiplication anarchique des
bâtiments.
Il s'y constate une surpopulation. Chaque parcelle
réunit plus de 3 ménages, bien souvent 4. La surface des
parcelles est bâtie aux ¾. Certains d'entre elles sont totalement
occupées par la construction que seuls séparent d'étroits
passages. On y trouve un pourcentage très élevé
des locataires logeant généralement dans des appartements
cloisonnés en petites pièces. En moyenne, chaque parcelle compte
5 ménages. Ce qui porte à plus de vingt le nombre de personnes
résidantes et entraîne une promiscuité indescriptible.
Cette surpopulation dans ces cités entraîne la dégradation
des infrastructures et de l'environnement : les canalisations mal
entretenues et bouchées l'entassement des immondices qui
font de ces cités le bastion des moustiques et des autres parasites.
Outre le problème d'assainissement et de voirie qui se
pose dans ces cités, elles se caractérisent par un habitat
reflétant un passé colonial récent construit avec des
briques adobe dont les murs et les toitures accusent une vétusté
que ponctuent les fentes et les trous béants. La fourniture d'eau et
d'électricité y est plus ou moins régulière.
Les Communes de Lingwala, Barumbu et Kinshasa se distinguent
comme siège des activités commerciales et l'artisanat. C'est
dans ces cités que l'on rencontre les équipements collectifs tels
les stades (Reine Astride, Tata Raphaël et de Martyrs, le vélodrome
de Kitambo), le grand marché, les hôpitaux, les écoles, les
cathédrales, etc.
2.2.3. Les cités
planifiées.
A coté des premières cités, on trouve
des cités planifiées répondant aux normes urbanistiques.
Il s'agit des cités de Lemba, Bandalungwa, Matete et N'djili. On y
associe également des quartiers comme camp Livulu, la cité Maman
Mobutu, Salongo Léopard, Yolo, etc.
La spécificité des cités
planifiées réside dans l'uniformité de leur habitat.
Construites en matériaux durables, ces maisons à étage
unique sont compartimentées en pièces trop étroites. Au
rez-de-chaussée il y a un salon au fond duquel se trouve la cuisine que
prolongent les installations hygiéniques. L'étage comporte deux
chambres à coucher.
Aujourd'hui, il s'érige dans ces cités
planifiées les maisons d'autoconstruction tantôt de bonne
qualité tantôt précaires.
Elles sont habitées par une couche de population d'un
niveau socio-économique relativement bon. Mais il s'y développe
les petits métiers et le petit commerce, expression d'une crise
socio-économique qui frappe indistinctement toutes les couches sociales.
Le logement locatif y est coûteux comparativement au
revenu de la majorité de la population de Kinshasa. Il varie entre 30 et
200 dollars américains.
2.2.4. Les cités
d'autoconstruction.
Enfin, une couronne périphérique
d'auto-construction qui cerne les trois premières villes. Elle
s'étale sur une large étendue couvrant les Communes de Ngaba,
Makala, Kinsenso, Kimbaseke, Maluku, Nsele, Bumbu, Selembao et Mont Ngafula.
Comptent également parmi ces zones d'auto-construction, les quartiers
tels Mombele et Kingabwa dans la Commune de Limete, Kimbangu dans la Commune de
Kalamu, etc.
Ces zones d'autoconstruction accueillent les exclus des trois
premières cités et les transfuges des provinces
frontalières de la ville de Kinshasa, à savoir le Bandundu, le
Bas-Congo et l'Equateur. C'est dans ces zones que vivent les larges couches
sociales les plus démunies dont les conditions de vie frisent
l'indulgence.
Hormis quelques maisons de bonne qualité qu'on peut y
trouver, ces quartiers se démarquent par leur construction assez
précaire, notamment des maisons bâties avec du matériau de
récupération. L'infrastructure urbaine et l'équipement
collectif y font cruellement défaut. Les routes non asphaltées,
sont généralement inaccessibles par véhicule. Certains
quartiers de cette périphérie comme Ngaba, Mombele, Masina, etc.
sont alimentés en eau et électricité dont la fourniture
n'est pas toujours régulière. D'autres quartiers, surtout les
plus éloignés des cités équipées, comme
Mokali à Kimbaseke, Kinseso, la périphérie de Kindele,
etc. ne sont reliés ni au réseau électrique de la SNEL
ni au réseau de distribution d'eau de la Regideso. Ici on
s'éclaire à la lampe à pétrole, on fait la cuisine
à l'aide de bois ou de la braise, on va chercher de l'eau au puits ou
à la rivière. La population y
mène une vie quasi- rurale.
Avec l'intensification de la crise
socio-économique, du coût de plus en plus élevé du
loyer locatif dans les trois premières cités et des prix
exorbitants des parcelles, on trouve dans ces quartiers toutes les
catégories socio-professionnelles, principalement celles relevant du
secteur public : enseignants, professeurs d'université, agents et
cadres des entreprises publiques, ouvriers, sans emploi, etc.
La population active travaille généralement en
dehors de son lieu de résidence : la Gombe, et à Limete,
au grand marché de Kinshasa ou dans sa périphérie.
Les petits métiers s'y développent de plus en plus. Le petit
commerce s'y porte bien à telle enseigne qu'on à l'impression que
tout le vend à tout le monde. Les quartiers de plus faible niveau
socio-économique sont ici et dans certains cas, on approche de
l'extrême pauvreté.
On peut retenir, à la suite de cette architecture de
la ville de Kinshasa, que « la croissance spatiale s'accompagne d'une
évolution significative de l'occupation du sol. Les surfaces
occupées par la ville (habitat) augmentent considérablement alors
que celles qui sont dévolues aux industries et aux équipements ne
suivent pas, loin s'en faut, le même rythme de progression.
L'évolution de ces 20 dernières années montre
qu'équipement et industries occupent en valeur relative une place de
plus en plus restreinte par rapport à celle de
l'habitat. »54(*) Par ailleurs, les espaces verts en voie de
disparition sont occupés soit par les stations de vente de carburant,
les boutiques et ateliers et le logement.
Section 3. Quelques
problèmes de la ville de Kinshasa.
Quand on parle de problème de ville, il s'agit
à l'heure actuelle de tous ces problèmes relatifs à la
qualité de la vie de la majorité de la population urbaine. Cette
question est absolument centrale dans les sociétés
contemporaines55(*).
A Kinshasa, la question urbaine se résume en un
ensemble de problèmes fort caractéristiques, à
savoir : le chômage, le logement précaire,
l'insécurité alimentaire, le transport pénible,
l'accès difficile à l'école et aux soins de santé,
etc. Ces difficultés de la vie urbaine engendrent des pratiques de
survie diverses et la déviance.
2.3.1. Emploi et chômage
dans la ville de Kinshasa
La structure d'emploi en 1975 se présentait comme
suit, à la suite des études de Beau56(*).
Tableau n° 3. Structure de l'emploi à Kinshasa en
1975.
Secteur d'emploi
|
Nombre d'emploi
|
%
|
Primaire
|
5.000
|
1,5
|
Secondaire
|
95.000
|
27,5
|
Tertiaire
|
170.000
|
49,3
|
Informel
|
75.000
|
21,7
|
Total
|
345.000
|
100
|
Source : Schéma directeur
d'Aménagement et d'Urbanisation, Décembre 1976 BEAU
Le rapport du volume d'emploi sur la population kinoise de la
même période (1.679.091 habitants) dégageait un taux
d'activité de plus ou moins 20%.
Dans l'emploi permanent du secteur primaire, les
maraîchers étaient de l'ordre de 3500 personnes, soit 70% du
secteur.
Les secteurs secondaires et tertiaires qui comportaient les
entreprises industrielles et commerciales représentaient,
l'administration et l'armée incluses, les 77% du total des emplois. Dans
ce secteur, les transports venaient en première place, Kinshasa
étant un point de rupture de charge. Les industries de transformation
des produits agricoles occupaient la deuxième place suivie des
industries de production de biens de consommation pour la ville et le
marché national. Les emplois administratifs de Kinshasa étaient
estimés à quelques 50.000, soit 23% du total des emplois.
Dans le secteur informel reprises les petites et moyennes
activités socio-économiques ainsi que les vendeurs des
marchés.
En maintenant ce taux d'activité de 20%, l'on serait
passé en 1996 de 345.000 à 879.538 emplois. Ils seraient
répartis dans l'hypothèse du maintien des mêmes proportions
intersectorielles comme suit :
Tableau n°4 : Nombre d'emplois dans les
différents secteurs
Secteur d'emploi
|
Nombre d'emploi en 1975
|
Nombre d'emploi en 1996
|
%
|
Accroissement
|
Primaire
|
5.000
|
|
1,5
|
8.193
|
Secondaire
|
95.000
|
|
27,5
|
146.873
|
Tertiaire
|
170.000
|
|
49,3
|
263.612
|
Informel
|
75.000
|
|
21,7
|
113.860
|
Total
|
345.000
|
|
100
|
|
Cette configuration supposait un effort de la part du pouvoir
public de créer ou favoriser la création annuelle de l'emploi au
rythme de :390 pour le secteur primaire
· 6.994 pour le secondaire
· 12.553 pour le tertiaire
· 5.517 dans l'informel
Malheureusement, la situation actuelle est loin de
refléter cette hypothèse en raison surtout de l'effondrement
économique que le pays connaît depuis 1991. Le volume de l'emploi
privé a significativement régressé avec les pillages et
l'instabilité politique.
L'administration publique comme emploi
rémunérateur est quasi inexistant. La quasi-totalité de
l'activité économique de la ville s'est dépotée
dans le secteur informel, modifiant profondément les rapports
intersectoriels d'emploi de 1975. Selon l'INSS, le nombre de travailleurs
Kinois affiliés à cet institut est passé de 700.000
travailleurs en 1991 à 113.000 en 1994, soit une chute de plus de
80%.
Au cours de cette année 1994 la population Kinoise en
âge de travailler (au dessus de 14 ans) était estimée
à 2.315.000 habitants. Le taux d'emploi était donc à cette
période seulement de 4,8%, niveau qui est loin inférieur à
20% de 1975. Et depuis, la situation s'est davantage dégradée.
Ainsi donc, la population kinoise est confrontée
à la fois aux problèmes de salaires et de chômage. A ce
propos, R.M. Mbaya et F. Streiffler écrivent que la dégradation
des conditions de vie des salariés congolais se développe au fil
de temps. La faiblesse des revenus salariaux et l'insuffisance des emplois
salariés dans le secteur formel trouvent l'issue dans les
activités informelles57(*). Les écrits de Marc Pain à ce sujet
restent d'actualité : « l'évolution
respective de la population active et de l'emploi pose dans toute son
acuité le problème de la crise urbaine. La montée des
jeunes générations vers l'âge adulte, le poids des
effectifs à l'heure actuelle scolarisés et bientôt
présents sur le marché du travail ne peuvent que laisser
prévoir, dans les conditions actuelles, une accentuation des
déséquilibre entre les chiffres de la population en âge de
travailler et le nombre d'emplois offerts. Le coût social des jeunes
scolarisés et de sans emplois, le déséquilibre entre la
masse des inactifs et les perspectives de travail qu'offre la ville vont en
s'accroissant 58(*)».
Les déséquilibres entre l'emploi offert par le
secteur productif et la quantité du travail offerte par la population en
âge de travailler ont été renforcés par les pillages
de 1991 et de 1993 qui ont détruit la plupart d'unités de
production et renvoyer ainsi une bonne partie de la main-d'oeuvre au
chômage. A ces pillages, il convient d'ajouter les effets des guerres de
1996 et 1998 qui ont contraint beaucoup de personnes à venir s'installer
à Kinshasa accroissant de ce fait l'offre du travail sur un
marché quasi inexistant.
2.3.2. Problèmes
d'équipement sanitaire.
La ville de Kinshasa souffre d'une insuffisance notoire en
matière d'équipement sanitaire au regard du volume et des besoins
de la population. Cette insuffisance se manifeste par un nombre trop
réduit des hôpitaux, de leur faible capacité d'accueil, de
leur manque de matériels médicaux et de produits
pharmaceutiques.
Pour une population estimée à plus ou moins 6
000.000 d'habitants, la ville de Kinshasa compte quelques hôpitaux,
essentiellement concentrés dans le centre ville. Les plus importants
sont : l'hôpital général de Kinshasa (1.793 lits),
l'hôpital de Ngaliema (189 lits), la clinique Kinoise (254 lits),
l'hôpital de Kintambo (600 lits), hôpital de camp militaire
Kokolo, Pédiatrie de Kalembe-lembe (120 lits), hôpital ONATRA de
Kalamu (61 lits), hôpital ONATRA de Barumbu (161 lits), hôpital de
Makala (ex sanatorium, 400 lits), les cliniques Universitaires (600 lits ) et
CNPP (986 lits)de Mont Amba, Hôpital de référence de
N'djili( 145 lits) et l'Hôpital Roi Baudoin de Masina (150 lits), CNPP
Kinkole (550 lits)59(*).
Ces hôpitaux officiels sont complétés par
quelques centres les centres hospitaliers des entreprises privées ou
publiques, les centres sanitaires privés et des confessions religieuses,
les dispensaires privés disséminés dans la
périphérie de la ville où vivent les populations les plus
démunies.
Ces hôpitaux, de manière générale,
ne disposent pas d'équipements modernes. Dans certains d'entr'eux, les
malades passent la nuit à même le sol. Le manque des
médicaments est caractéristique. Le malade s'en procure
lui-même dans des conditions qui ne garantissent pas l'efficacité.
Comme le constatent Mbaya Mudimba et F. Streiffler « souvent
importés, les médicaments synthétiques de la
médicine occidentale sont non seulement coûteux, et de ce fait
inaccessibles à bon nombre de congolais, mais aussi de fois
périmés. Les prix incontrôlés, et souvent abusifs de
ces médicaments et/ou ordonnances livrés aux malades par les
médecins dépassent en général les revenus de ces
derniers60(*).
Ainsi, il est fréquent de constater que dans les
grandes formations médicales de la place, les malades et les femmes y
sont retenus pendant plusieurs jours voire plusieurs mois après leurs
traitements ou accouchement de suite de leur insolvabilité. Ils quittent
l'hôpital que par fugue ou grâce à l'intervention des
personnes généreuses ou des organismes philanthropiques.
C'est ainsi que la plupart des démunis, pour leurs
soins, se confient aux centres privés de la cité. Là, le
manque de manque de qualification du personnel, l'absence de surveillance
médicale autorisée conduisent à des fréquents
désastres.
Le manque de politique nationale cohérente en
matière de santé, la dégradation du système de
prophylaxie hérité de la colonisation, la
détérioration de l'environnement sont à l'origine de
l'émergence et de la réapparition de certaines maladies,
notamment la tuberculose, la lèpre, la rougeole, la variole, la
poliomyélite, la trypanosomiase, etc.
Face à la décrépitude des structures
sanitaires et étant données les difficultés d'accès
aux soins médicaux, les couches sociales démunies ont
trouvé d'autres voies de salut. Elles recourent aux églises, aux
exorciseurs et à la phytothérapie traditionnelle. D'autre part,
ils s'arrangent avec les médecins pour se faire soigner dans leurs
hôpitaux privés.
Dans un tel environnement, se soigner ou accoucher dans un
grand centre hospitalier (comme l'Hôpital de Ngaliema où
l'hospitalisation ou la maternité coûtent plus ou moins 200 $ us)
devient un luxe et un indice de distinction sociale.
2.3.3. Problèmes
d'accès à l'éducation
Jusqu'en 1973, le Congo avait maintenu et même
amélioré le système éducatif hérité
de la colonisation. Depuis lors, ce système s'est dégradé
au point que l'école évoque dans l'imaginaire collectif la
misère de l'enseignant, le délabrement des infrastructures, le
manque des matériels didactiques et un enseignement de complaisance. La
déliquescence du système éducatif se traduit par le niveau
douteux des produits qui en sortent.
D'abord, il faut indiquer qu'à Kinshasa, comme dans
d'autres villes du pays, l'incapacité des écoles officielles et
confessionnelles d'absorber toute la population scolarisable a
entraîné à tous les niveaux (primaire, secondaire et
universitaire) la prolifération des écoles privées,
souvent moins viables, dont les motivations sont essentiellement lucratives.
Puisque ce sont les élèves et étudiants
qui font vivre enseignants, promoteurs et l'école elle-même, il va
sans dire que l'enseignement et les épreuves se font dans une largesse
consacrant le principe de l'année passe tout le monde passe.
Toutefois, il sied de mentionner qu'il existe encore quelques
écoles, notamment dans le réseau d'enseignement catholique qui
assurent une bonne formation. Mais elles sont moins nombreuses et inaccessibles
à la majorité des postulants à cause principalement de la
hauteur trop élevée des frais de scolarité (ils varient
dans ce réseau entre 50 et 150 $ us)
Du fait de cette cherté, certaines familles ont
adopté des stratégies. Soit on fait étudier d'abord les
enfants âgés avec espoir qu'à la fin de leurs études
ils pourront s'occuper de leurs jeunes frères. Soit on retire la fille
au profit du garçon. Cette stratégie débouche sur
l'accroissement du taux de déperdition scolaire et
l'élargissement du nombre des analphabètes. Selon les estimations
de l'UNICEF, la déperdition scolaire à Kinshasa dans certaines
écoles ces sept dernières années se situerait entre 60 et
80 % et que sur 12 millions d'enfants en âge de scolarité en 1996,
seule la moitié, soit 6 millions avaient effectivement
étudié. Quant à la déperdition scolaire, elle
concernait les ¾ de ces 6 millions, soit une moyenne nationale de 75
%61(*).
D'autres part, parce que l'école ne garantit plus les
possibilités d'une ascension sociale, la plupart d'enfants surtout dans
la périphérie de la ville la désertent et se ruent vers
les activités de survie.
R. Mbaya Mudimba et F. Streiffler en dressent un bilan sombre
en ces termes : « la destruction du système
éducatif se traduit par le non paiement et/ou l'insuffisance des
salaires du personnel enseignant à tous les niveaux de ce système
éducatif : primaire secondaire, supérieur et universitaire.
D'où, la démotivation de ce personnel, des écoliers, des
élèves et des étudiants effectifs ou potentiels et la
déconsidération du système éducatif par une partie
de ces derniers et par leurs parents dont les liens avec le système
éducatif passent essentiellement par diverses pratiques informelles de
corruption. Le développement du clientélisme, du
népotisme, du tribalisme et tant d'autres anti-valeurs a détruit
la société congolaise en partant de la destruction d'un de ses
fondements que constitue le système éducatif. Il relève de
l'informalité.
Que des problèmes dans le système
éducatif congolais : destruction et pillage des infrastructures
scolaires, délabrement du matériel pédagogiques,
inadaptation des programmes d'enseignement aux besoins et aux
réalités du pays, incompétence et irresponsabilité
des gestionnaires des établissements d'enseignement souvent
nommés au mépris des critères de performance et
moralité.»62(*)
2.3.4. Problèmes de
transport.
Le problème de transport est parmi les complexes que
l'on rencontre dans la ville de Kinshasa. En effet, l'immensité de la
ville, le volume de la population, la structure et l'état de la voirie,
la concentration dans un seul pôle de la quasi-totalité des
services, la faiblesse et la vétusté du charroi automobile, etc.,
font du transport un calvaire pour la population de Kinshasa.
Le domaine de transport urbain à Kinshasa est
organisé en deux réseaux : ferroviaire et routier.
1. Le réseau ferroviaire.
Le réseau ferroviaire est le monopole de l'Office
National des Transports (ONATRA) et relie la partie est (N'djili, Kingasani et
Masina, Lemba et Matete) à la partie ouest de la ville (Kitambo et
Ngaliema), en passant par Gombe.
Le transport ferroviaire est limité et marginal, il
assure à peine 1% du trafic. Dix services de trains, c'est-à-dire
5 aller et retour sont organisés par jour dont six sur le tronçon
Kin-est/Kin-aéroport, deux sur la ligne Lemba/Kin-est et deux autres
entre Bokassa et Matete.63(*)
Le déplacement par ce réseau est trop
pénible. Tous les passagers restent debout tout au long du parcours
après avoir attendu à la gare pendant au moins 45 minutes.
L'état de rails, de trains et l'irrégularité des rotations
ne rassurant personne, la plupart des habitants des Communes que dessert ce
réseau préfèrent emprunter le réseau routier.
2. Le réseau routier.
Le transport sur ce réseau est conditionné par
la structure et l'état de la voirie. En effet, « les
mouvements de la population inter-quartiers affectent l'ensemble de
l'agglomération. La configuration de la ville et l'emplacement des
pôles d'activités situées au nord et au centre-est, font
que certaines zones soient très appelantes et réceptrices. La
zone de la Gombe, qui rassemble le port et des industries importantes, le
centre des affaires et le centre administratif, reçoit chaque jour
plusieurs dizaines de milliers de personnes, mais n'en envoie que très
peu d'ailleurs. D'autres au contraire, soit par leur position à
proximité d'une zone industrielle (kitambo), soit par leur situation
périphérique (Bumbu, Makala, Kisenso, Kimbaseke), sont surtout
émettrice. »64(*)
L'essentiel des mouvements de la population de Kinshasa
s'effectue à travers 4 principaux axes reliant les cités au
centre Ville que sont : le boulevard Lumumba, avenue de
l'Université, avenue Kasa-vubu, avenue Pierre Mulele.
C'est dans ce domaine de transport routier que s'atteste la
démission des pouvoirs publics. Il n'existe pratiquement plus
d'entreprise publique de transport en commun. Les anciennes entreprises telles
que Otcz, Sotraz, Tranzam, Citaz, ont disparu les unes après les autres
sans donner satisfaction à la population kinoise. A ce jour,
l'entreprise publique City train, avec un charroi automobile moins important
(plus ou moins 6 bus en panne constamment), n'arrive pas à
répondre à la demande de la population de Kinshasa en
matière de transport.
C'est ainsi que s'est développé un service de
transport en commun tenu par les particuliers. L'essentiel de ce service est
assuré par un charroi automobile constitué de fula-fula, de bus,
de taxi-bus et de taxis. Il constitue une source de revenus la plus sûre
pour les propriétaires et s'intègre le plus souvent aux
activités du secteur informel. « Cela va du particulier,
propriétaire de un ou deux taxis, à l'homme d'affaires qui
entretient plusieurs camionnettes, mini-cars ou taxi-bus, à
l'entrepreneur ou à la société qui gère un parc de
camions »65(*).
Il importe d'indiquer ici que dans la majorité de cas
ce charroi accuse une vétusté impressionnante. Ce sont des vieux
véhicules remis en marche ou les occasions importées de
l'Occident. C'est dans ce domaine qu'il convient de constater le génie
du Kinois qui réussit à faire fonctionner un véhicule par
l'assemblage des pièces de véhicules différents. Un
véhicule de marque Mazda peut fonctionner avec des pièces de
Peugeot, de Toyota, de Land-Rover, etc. Les occasions d'Europe sont les
résultats des transferts que font les immigrés congolais en
faveur des leurs familles restées aux pays pour leur permettre de
survivre.
Avec l'orientation unidirectionnelle de la structure et de la
voirie urbaines (toutes les routes convergent vers le centre ville, lieu des
affaires, de travail, des institutions de la République), on assiste
à des scenarii rocambolesques à des heures de pointe : le
matin lorsque les populations de la périphérie se dirigent vers
le centre ville et le soir lorsqu'elles quittent le centre ville pour regagner
leurs résidences.
L'affluence aux arrêts de bus est telle que
l'arrivée d'un véhicule provoque une bousculade qui se solde de
fois par des blessures, le déchirement des habits, des bagarres, des
échanges des propos désobligeants, etc. Les passagers en partance
n'attendent pas que le bus s'arrête pour qu'il soit évacué.
Les uns accourent et s'entassent à la portière empêchant
même à ceux qui arrivent de descendre, tandis que d'autres se
glissent par les issues de secours ou passent par le coffre du véhicule
pour trouver une place assise à bord du bus. Ce dans ce cafouillage que
les chegues, ces enfants de rue, et autres malfrats opèrent en
toute quiétude pour subtiliser aux passagers en lisse pour une place
à bord du véhicule, un téléphone, de l'argent , le
bijou ou tout autre colis précieux.
Les passagers qui prennent place à bord du bus ou
taxis dépassent toujours sa capacité d'accueil. Le taxis prend
à son bord 6 personnes dont 4 sur le siège de derrière et
2 sur le siège de devant au côté du chauffeur. Le taxi-bus
quant à lui prend 20 personnes au lieu de 8 prévues par le
constructeur. Les uns y trouvent une place assise alors que d'autres restent
debout jusqu'au terminus. Les bus et les fula-fula prennent
jusqu'à 80 personnes que l'on resserre au point de manquer un petit
espace de mouvement de corps. Ils se confinent au point que le taxi devient
simplement un étouffoir.
Ces difficultés de transport ont fini par créer
un métier, celui des « chargeurs ». Il s'agit des
enfants et adultes qui flânent autour des arrêts des bus. Au
départ leur tâche consistait à aider le passager à
faire descendre ou monter un bagage pesant à bord d'un taxi ou bus.
D'où le nom de chargeur. Avec les difficultés des transports ils
interviennent pour aider les chauffeurs à avoir la clientèle et
aux passagers de trouver une place à bord du taxi ou bus. A des heures
creuses, c'est-à-dire quand il n'y a pas une forte affluence des
passagers, les chargeurs criaillent pour faire venir les passagers en indiquant
la ligne empruntée par le taxi ou le bus. Aux heures de pointe, ils font
réservation des places en faveur des personnes incapables ou qui
répugnent de se bousculer pour trouver une place à bord de bus.
En contre partie, ils reçoivent du chauffeur et du
« passager-client » une somme d'argent selon la convenance
de dernier. Généralement ils bénéficient de 50
FC.
Le coût de transport relativement moins coûteux
(60 FC ou 0.20 $us) n'est pas à la portée de toutes les bourses.
Ainsi, les militaires, les policiers, les fonctionnaires de l'administration
publiques, les enseignants des écoles publiques, etc. grâce
à leurs cartes de service qui servent de laisser-passer,
bénéficient de la gratuité de transport en commun. Ils
sont les moins aimés des chauffeurs et de leurs receveurs qui les
appellent des « faux-têtes » (sic),
c'est-à-dire des personnes qui ne payent pas.
Généralement, le transport se fait dans les
conditions les moins sécurisantes. Les taxis-bus, bus et
fula-fula roulent avec des portières ouvertes auxquelles
s'agrippent les receveurs, les « faux-têtes »,
surtout les policiers et les militaires, et mêmes certains passagers qui
n'ont pas trouvé de place assise dans le véhicule. C'est à
l'approche d'un poste des policiers de roulage que le receveur ferme la
portière qu'il ouvre aussitôt qu'il le dépasse.
Les carrefours et certains lieux de forte circulation sont
placés sous la surveillance des agents de la police spéciale de
roulage qui règlent la circulation. Ces agents harcèlent les
chauffeurs en situation régulière et se font corrompre au grand
jour par ceux qui sont irréguliers. En effet, tout chauffeur, quelle que
soit sa situation administrative, est tenu de leur glisser sous la main une
somme de 100 FC à chaque passage. Ils participent ainsi à rendre
difficile le transport sur certaines lignes parce que les chauffeurs les
redoutent et évitent de les emprunter sous peine de se faire
dépouiller.
Le transport est aussi rendu difficile par l'état de
routes dont le défoncement n'émeut aucune autorité
publique. Il réduit le trafic sur certaines lignes parce que les
chauffeurs les évitent, provoquent des accidents, créent des
embouteillages à cause des pannes de véhicules qu'il
entraîne. Par esprit mercantiliste, la plupart des chauffeurs pratiquent
ce qu'on appelle à Kinshasa « demi-terrain ». Il
s'agit pour eux, de sectionner en deux ou trois courses une ligne qui
d'ordinaire ne fait l'objet que d'une seule course. Ce qui lui apporte une
plus-value parce que les clients doivent payer trois fois pour une même
ligne.
Toutes ces difficultés conduisent les agents des
entreprises, les élèves, étudiants et leurs enseignants
à arriver généralement avec un retard au service. Elles
ont un impact sur la ponctualité, car à Kinshasa il est rare que
l'on réponde au temps convenu à un rendez-vous. D'autre part, il
importe de souligner que la part des piétons dans la ville de Kinshasa
est considérable.
2.3.5.
L'insécurité alimentaire.
L'alimentation est le domaine qui reflète le mieux la
pauvreté d'une bonne partie de la population kinoise. Celle-ci vit dans
une insécurité alimentaire quasi permanente. En effet, les
enquêtes menées en 2001 par l'UNICEF montrent que 73,2% de la
population de Kinshasa ne disposent pas de réserve alimentaire66(*). De manière explicite,
cette situation montre qu'à Kinshasa, la majorité de la
population vit au jour le jour. L'insécurité alimentaire se
traduit également par le nombre de repas qu'une famille peut s'offrir
par jour. Les mêmes enquêtes de l'UNICEF sont
révélatrices à ce propos : 62,3% se procurent 2 repas
par jour, 23,3% en prennent 1, 12,6% seulement ont la possibilité de
s'offrir 3 repas et, ce qui est dramatique, 1,8% est incapable d'avoir
régulièrement un repas par jour et donc ne mange pas tous les
jours67(*).
Il se dégage de ces données fournies par les
enquêtes de l'UNICEF qu'elles sont peu nombreuses les familles qui
s'offrent plus deux repas consistants par jour. De manière
générale, outre le « déjeuner » que
l'on peut s'offrir le matin selon la providence, nombreux sont ceux qui
préfèrent manger le soir ou la nuit pour dormir rassasier et
espérer se réveiller le lendemain matin avec un peu de vigueur et
de l'énergie dans les jambes.
Compte tenu des difficultés que rencontrent les parents
pour procurer une ration alimentaire à tous leurs enfants, ceux-ci sont
soumis à des coupes drastiques. Tantôt, les parents garantissent
l'unique repas de la journée à tous les enfants en
réservant le déjeuner aux seuls cadets de la famille.
Tantôt, il n'y a que les plus jeunes qui ont un repas réguliers
alors que les adultes sont invités à se débrouiller pour
s'en procurer. Tantôt encore les adultes doivent chercher les condiments
pour accompagner l'aliment de base que la maman a préparé. Il
faut souligner ici que dans les familles les plus démunies ce sont les
enfants qui font nourrir leurs familles grâces aux activités de
survie qu'ils exercent.
C'est dire qu'à Kinshasa la plupart d'emplois sont mal
rémunérés et ne tiennent pas compte du panier de la
ménagère.
Suite à ces difficultés la plupart des parents
offrent à leurs enfants une alimentation de faible qualité. Le
repas est généralement partagé collectivement par les
membres de la famille. Le menu est souvent constitué d'aliments
traditionnels. Le fufu est mangé avec le chinchard que l'on a
dénommé « le champion de toutes les
catégories » parce que consommé dans toutes les couches
de la population. Il est souvent accompagné des amarantes, des feuilles
de manioc, de patates, de l'oseille, etc.
La faiblesse du pouvoir d'achat de la majorité de la
population Kinoise que défie la flambée intempestive des prix des
denrées alimentaires a fini par donner naissance à des diverses
stratégies. Pour être accessibles à toutes les bourses, la
plupart des produits alimentaires sont sectionnés et vendus en petits
morceaux. D'autre part, les parties résiduelles des volailles et des
bétails comblent le déficit en viande dans l'alimentation de la
plupart des kinois. Figurent en bonne place les croupion, viscères et
ailes de dindon, des poulets ; les sabots, tripes, queue, tête,
langue, peau de boeuf, porc et chèvre tantôt importés
tantôt obtenus localement.
Cette alimentation de mauvaise qualité est à
l'origine de la sous-alimentation et de la malnutrition constatées chez
les jeunes enfants et qui finissent de fois par les emporter.
Tous ces problèmes ci-haut décrits,
principalement ceux relatifs à l'emploi et à la
rémunération sont à l'origine du développement
spectaculaire du secteur informel dans cette ville. Ce secteur est une
réponse locale à l'incapacité de l'économie
capitaliste de donner satisfaction aux préoccupations de la
population.
Le secteur informel n'est pas, comme l'ont pensé
certains, le sanctuaire de seuls démunis. Il attire toutes les couches
sociales et couvre une infinité d'activités allant de
l'agriculture au commerce en passant par la production et les services divers
tels les ateliers, les garages, le change de la monnaie, etc.
Ce secteur est perçu comme voie de sortie du
sous-développement dans la mesure où il est
considéré comme stratégie endogène de
développement. Mais, faisons aussi remarquer que la plupart des
opérateurs de ce secteur sont animés par les motivations
d'autosubsistance.
CHAPITRE III : DE
L'ORGANISATION DE LA RECHERCHE ET DE LA PRESENTAION DES
RESULTATS.
Ce chapitre se propose de dresser, dans la première
section, le portrait de notre champ d'investigation. Il décrit dans la
deuxième section, le processus de l'enquête qui a permis de
rassembler les données présentées à la
troisième section.
Section 1 : Du cadre
contextuel.
3.1.1. Quelques aspects
géo-historiques.
Créée par
l'arrêté ministériel n°68/026 du 30 septembre 1968,
la Commune de Ngaba est limitée au nord par l'avenue Kikwit, au sud par
l'avenue By-pass, à l'est par la rivière Kalamu et à
l'ouest par l'avenue de l'Université. Elle est au sud de la ville de
Kinshasa dans le District de Mont Amba et est quadrillée par les
Communes de Limete au Nord, de Lemba à l'est et au sud et de Makala
à l'ouest. Cette municipalité couvre une superficie de 4 Km2 et
est découpée en six quartiers, à savoir : Baobab,
Bulambemba, Luyi, Mateba, Mpila et Mukulwa. Elle compte 112 allées dont
104 rues et 8 avenues, 5982 parcelles et est habitée par 204.449
âmes dont 180 étrangers.
3.1.2. Quelques
caractéristiques socio-économiques de la population de Ngaba.
Sur le plan socio-économique, Ngaba, comme les autres
Communes populaires, est habitée par une population en majorité
pauvre. Cette Commune abrite quelques cadres d'entreprises et médecins,
des fonctionnaires de l'Etat, des opérateurs de la petite
économie marchande, des enseignants, des sans emploi, etc. Comme nous
pouvons nous l'apercevoir, il s'agit, pour l'essentiel, des catégories
socio-professionnelles à faibles revenus qui vivent en
deçà du seuil de la pauvreté.
Les enquêtes menées à ce propos
établissent que la majorité des habitants de cette Commune
(66,6%) vivent avec un revenu journalier de 0.26 $ us. Ce degré de
dénuement a été qualifié d'hypopauvreté par
Pascal Kapagama Ikando, parce qu'en deçà du seuil de
pauvreté extrême fixé à 0.75$/personne par le PNUD.
Cet auteur perçoit cette hypopauvreté à travers plusieurs
indicateurs, notamment le type d'habitat, l'accès difficile à
certains services sociaux (eau, électricité, soins de
santé, éducation, transport, salubrité, etc.) et
singulièrement dans la consommation alimentaire. A propos de ce dernier
indicateur, l'auteur mentionne que la plupart des ménages
enquêtés (86,6%) mangent en moyenne une ou deux repas par jour.
Commentant ces observations, il note que « ce
chiffre n'est qu'un leurre. Car il est silencieux sur la consistance des repas
en question. De nos données empiriques, il s'avère, en outre, que
le premier repas pris souvent le matin n'est, en fait, composé, dans la
plupart de cas, que des restes du repas unique et principal de la veille. Et
encore, est-il que ce sont peut-être juste les enfants qui s'en
contentent. Souvent, les adultes se sacrifient. Le menu est habituellement
constitué, outre le fufu ou la chikwangue, des
légumes, des poissons chinchard, de haricot ou pois. La viande et le
poulet sont rarement consommés68(*), et de manière générale à
l'occasion des festivités de fin de l'année.
Contre cette hypopauvreté, il s'est
développé dans cette Commune les activités de survie,
notamment la petite économie marchande. Ces activités comprennent
la vente des denrées alimentaires, des petites boutiques, des petites
officines pharmaceutiques, de la vente à la criée d'arachide, de
l'eau en sachet, des articles divers comme la cigarette, les bonbons et
biscuits, les oeufs bouillis, etc.
A côté de ce petit commerce, on trouve des
petits métiers tels que le quado, les ateliers de couture, de
menuiserie, les cireurs des chaussures, etc. Ces différentes
activités économiques, traduisant la pauvreté d'une
population en quête des moyens de survie, se développent le long
des grandes artères, notamment l'avenue de l'Université et celle
de Kianza et dans des petits marchés disséminés sur toute
l'étendue de la municipalité. L'ampleur de ces activités
laisse l'impression que toute personne cherche à vendre quelque chose
pour se procurer un revenu pouvant satisfaire ses besoins primaires.
Cette pauvreté pressurant conduit la majorité
des habitants à se tourner vers Dieu en vue de résoudre leurs
problèmes existentiels. D'où, l'hyper religiosité
observée dans cette Commune qui se manifeste par la prolifération
des églises de réveil. Chaque avenue en compte au moins deux.
D'autres personnes, par contre, s'organisent en mutuelles d'entraide, notamment
les « likelemba », le
« moziki » , d'autres encore s'organisent dans
les mutuelles tribales et d'autres enfin se livrent à la déviance
sociale( prostitution, criminalité, escroquerie,etc.).
3.1.3. Quelques aspects
relatifs à l'habitat
Sur le plan urbanistique, Ngaba est une Commune
d'auto-construction, où le lotissement et la construction ne
répondent pas de manière rigoureuse aux normes urbanistiques. Il
est à noter que Ngaba est construite sur un terrain fort
marécageux où des eaux stagnantes favorisent la reproduction des
moustiques à l'origine du paludisme, maladie endémique en RDC. Ce
qui ne manque pas d'avoir des répercussions sur les conditions de vie
des habitants. La plupart des parcelles ne sont pas clôturées, il
s'y observe encore des maisons construites avec des matériaux de
récupération. Dans une résidence d'une pièce, 7
à 8 personnes y habitent. D'où, la promiscuité qui expose
les enfants comme les adultes à plusieurs maladies et à la
déviance sociale. C'est au sud de la Commune, spécifiquement au
quartier Bulambemba adossé à l'avenue By-pass, que se
développe un habitat du type résidentiel.
Section 2. Organisation de
la recherche
Cette section revêt une importance capitale. En effet,
elle rend compte de notre cheminement dans la collecte des données qui
ont servi à l'élaboration de ce travail. Il s'agit des
modalités d'application des instruments mis en contribution lors de nos
enquêtes. Ainsi, aborderons-nous les points relatifs à la
population d'étude et à son échantillon, à
l'élaboration du questionnaire et à son administration et, enfin,
aux difficultés rencontrées.
3.2.1. Univers d'enquête
et échantillon.
1. Univers d'enquête
En sciences, lorsqu'on parle d'univers d'enquête, il
faut entendre par là un ensemble fini, délimité dans le
temps et dans l'espace qui fait l'objet d'une étude. Pour les sciences
sociales en général, et en sociologie en particulier, l'univers
ou population d'enquête est un « ensemble humain dont on
cherche à connaître les opinions, les besoins, etc. Elle est
caractérisée, c'est-à-dire qu'elle a en commun des
caractéristiques connues permettant l'identification psychosociale des
individus de ce groupe. »69(*)
En rapport avec cette définition, notre univers
d'enquête (population d'étude) se compose de 204.449 habitants de
la Commune de Ngaba70(*).
Cette population a été caractérisée sur base des
variables ci-après : âge, sexe, niveau d'études,
profession, revenu, confession religieuse, ancienneté dans la ville
Kinshasa et ancienneté dans le quartier habité.
L'inexistence des statistiques se rapportant à chacune
de ces variables et l'impossibilité matérielle de les constituer
nous-même nous a conduit à ne pas en tenir compte dans la
constitution de notre échantillon.
2. Constitution de l'échantillon
La saisie des modes de structuration des hiérarchies
sociales à Ngaba requérait, pour être exhaustive, que nous
passions en revue chacune des unités constitutives de notre univers
d'enquête (204.449 habitants). Une telle entreprise s'est
avérée irréalisable à la suite d'une double
difficulté.
D'abord d'ordre temporel. Le temps nous imparti (douze mois)
ne nous offrait pas la possibilité de sillonner systématiquement
toutes les parcelles pour recueillir les informations auprès de chaque
habitant de cette Commune. Ensuite, les maigres moyens financiers à
notre disposition ne pouvaient procurer les outils matériels
indispensables (questionnaire) pour mener une enquête d'une telle
envergure.
Face à cette double difficulté, et
considérant la possibilité statistique de décrire le tout
par la partie, il s'est imposé à nous la technique de sondage
consistant à observer une partie de la population pour tirer des
conclusions extrapolables à celle-ci en relevant les limites de nos
généralisations, au regard de la taille réduite de notre
échantillon. S'agissant de cette technique
(sondage), « tous les efforts gravitent autour de
l'échantillon. Ce concept évoque une portion de la population
totale qui sera réellement enquêtée et qui permettra par
extension, de dégager les caractéristiques de l'ensemble de la
population. L'apport de cette technique dans les enquêtes des sciences
sociales ne se discute plus. Grâce à elle, on s'autorise de mener
par exemple, une investigation fiable sur l'ensemble de la population à
la fois. »71(*)
Cette technique ayant été adoptée, une
autre difficulté s'est dressée à nous quant à
savoir quelle partie décrire pour espérer élucider le tout
et comment s'y prendre. En termes voisins, qui interroger et selon quel
procédé faut-il le sélectionner dans la multitude pour
échapper à l'arbitraire ?
Considérant que la problématique de la
perception et de l'évaluation sociales ainsi que les discriminations qui
en résultent côtoient au quotidien tout le monde, nous avons
estimé que toutes les catégories sociales, des plus nanties aux
plus démunies, des hommes comme des femmes, des jeunes comme des vieux,
des croyants comme des non croyants, des sans emploi comme des employés,
etc., sont concernées par notre étude. Et par conséquent,
elles pouvaient bien figurer dans notre échantillon.
Mais comment les extraire et à quel nombre ? Au
sujet du second volet de cette question, M. Grawitz indique que
« tout dépend de la nature des éléments à
observer, c'est-à-dire de l'homogénéité du tout. En
effet, si la dispersion est nulle, toutes les unités auraient la
même valeur égale à la moyenne et le
prélèvement d'une seule unité serait un échantillon
suffisant et représentatif. Si la dispersion est faible,
c'est-à-dire si les valeurs du caractère étudié
sont très groupées autour de la moyenne, l'ensemble est
homogène et un échantillon restreint donnera une précision
suffisante. Au contraire, si la dispersion est élevée, si la
population est très hétérogène, un
échantillon beaucoup plus important s'impose pour obtenir la même
précision »72(*).
Nous considérons que notre population d'étude
du point de vue des caractéristiques socio-économiques et
culturelles n'est pas trop hétérogène. C'est pourquoi nous
avons opté pour un taux de sondage de 1/1000 de la
population-mère. Ainsi, notre échantillon comporte 200 sujets.
Comment ces 200 sujets ont-ils été extraits de
la population-mère ?
Les statistiques officielles recueillies auprès du
service de la population de la Commune répartissent les 204.449
habitants de Ngaba dans les six quartiers de la manière
suivante :
1. quartier Baobab : 35.222
habitants
2. quartier Bulambemba : 36.535 habitants
3. quartier Luyi : 30.911
habitants
4. quartier Mateba : 22.435
habitants
5. quartier Mpila : 35.116
habitants
6. quartier Mukulwa : 44.233
habitants
Il sied d'indiquer qu'outre cette répartition
numérique de la population par quartier, il n'existe pas, rappelons-le,
de statistiques officielles décrivant celle-ci sur base d'autres
caractéristiques, notamment l'âge, le sexe, le niveau
d'études, la profession, la religion, etc. Ce qui rend impossible le
prélèvement de l'échantillon par le procédé
de quota. Il ne nous restait que la possibilité de recourir à
un échantillonnage aléatoire, en accordant à tout sujet de
notre population-mère la même chance de figurer dans notre
échantillon. Nous avons considéré que dans le cadre de
notre étude toute personne adulte, c'est-à-dire dont l'âge
varie entre 20 et 65 ans habitant la Commune depuis au moins une année,
quel que soit son sexe, son niveau d'études, sa profession, sa religion,
son ethnie, etc. était susceptible de faire partie de notre
échantillon. L'échantillonnage aléatoire renferme
plusieurs variantes parmi lesquelles nous avons opté pour le
procédé occasionnel. Celui-ci consiste à prendre pour
unité d'échantillon tout individu disponible au moment de
l'enquête.
En pratique, nous avons regroupé les six quartiers de
la Commune de Ngaba en trois entités en tenant compte de train de vie
qui marque la différence sociale entre les habitants. Ce train de vie
est perceptible à travers le type d'habitat et le confort
matériel des uns et des autres.
La première entité (A) va de l'avenue Kitona
à l'avenue By-pass dans la direction nord-sud et de la rivière
Kalamu à l'avenue de l'Université dans la direction est-ouest.
Cette partie de la Commune de Ngaba au sud des quartiers Bulambemba et Mateba
contiguë à l'avenue By-pass connaît un habitat du type
résidentiel avec une population qui accuse un niveau de vie relativement
élevé par rapport au reste de la population de la Commune. Les
résidants de cette entité n'admettent pas faire partie de la
Commune de Ngaba, mais se réclament plutôt du quartier Righini II
estimant prolonger le quartier du même nom situé dans la Commune
de Lemba.
La deuxième entité (B) va de l'avenue KiKwit (au
nord) jusqu'à l'avenue Kitona (au sud) et se trouve comprise entre les
avenues de l'Université (à l'ouest ) et Frigo (à l'est).
Elle comprend les quartiers Baobab, Luyi et une partie de Bulambemba. Elle est
habitée par une population hétérogène du point de
vue socio-économique : les uns ont un niveau de vie relativement
élevé, d'autres sont moyens et enfin d'autres encore ont un
niveau de vie assez faible.
La troisième entité ( C ) comprend les quartiers
Mateba, Mpila et Mukulwa situés entre l'avenue Frigo à l'ouest et
la rivière Kalamu séparant à l'est la Commune de Ngaba et
celle de Lemba. Visiblement, la majorité de la population habitant cette
entité vit dans ce que P. Kapagama a appelé hypopauvreté
perceptible à travers le type d'habitat et le mode de vie qui y
prévaut.
Pour arriver à prélever les unités de
notre échantillon, nous avons procédé par un tirage au
sort sans remise des avenues regroupées dans ces trois entités.
Nous avons, sur des bouts de papier, attribué à chaque avenue un
numéro. Ces bouts de papier ont été introduits dans une
urne. Par la suite, nous avons successivement tiré les avenues où
l'enquête devait se dérouler. A la suite de ce tirage au sort, les
avenues ci-après ont été retenues :
1. pour l'entité A : Kitona, Kaziama et
Kingulu.
2. pour l'entité B : Bindungi, Mopulu, Manzengele,
Mwanza et Masimanimba
3. pour l'entité C : Kisangani, Minikongo,
Bulungu, Lobo et Panzi
Ainsi, sur chaque avenue, nous interrogions tout individu
disponible, c'est-à-dire tout celui ou toute celle que nous rencontrions
au moment de notre passage et qui acceptait de répondre à notre
questionnaire. Etant donné l'étendue de chaque entité et
du degré d'homogénéité de sa population, nous avons
inégalement réparti les unités de notre
échantillon. Ce faisant, nous avons interrogé 40 sujets dans
l'entité A (14, 14,12), 60 sujets dans l'entité C (12, 12, 12,
12,12) et 100 sujets dans l'entité B (20, 20, 20, 20,20). Au total 200
sujets ont fait partie de notre échantillon.
3.2.2. Collecte des
données
Collecter les données c'est rassembler les
informations indispensables à la réalisation d'un travail
scientifique. Ces informations peuvent être, soit de première soit
de seconde main. Ce dernier type de données est disponible et
consigné dans des documents sous diverses formes : ouvrage,
article, thèse, mémoire, rapport, etc. L'exploitation de ce type
de données offre le bénéfice de temps, d'énergie et
de moyen. Toutefois, il convient d'indiquer que parce que constituées
pour d'autres objectifs, ces données n'apportent pas toujours
satisfaction aux préoccupations des nouvelles recherches. Raison pour
laquelle les données primaires sont préférables parce que
issues des investigations menées en fonction de la problématique
et des hypothèses soulevées par une recherche en cours.
En pratique, toute recherche se réalise grâce au
recours simultané à ces types de données dont
l'exploitation judicieuse rapporte des résultats féconds.
Dans un cas comme dans un autre, la collecte de
données se réalise grâce à la manipulation des
techniques de collecte de données. Pour notre étude, outre
l'interview réalisée avec 20 sujets, les données (de
première main) présentées dans ce chapitre ont
été rassemblées à l'aide du questionnaire dont le
processus d'élaboration est décrit dans le point suivant.
1. Elaboration du questionnaire.
L'élaboration de notre questionnaire a franchi les
étapes ci-après :
i. Formulation des thèmes.
Cette phase d'élaboration du questionnaire a
consisté en la détermination des principaux sujets devant guider
la conception des items élucidant la problématique et les
hypothèses de cette étude.
Le premier thème se rapporte à l'identification
des enquêtés. Il s'est agi, sous ce thème de décrire
les unités de notre échantillon du point de vue de
l'âge, du sexe, du niveau d'études, de la profession, du revenu,
de la confession religieuse, de l'ancienneté dans la ville Kinshasa et
de l'ancienneté dans le quartier habité. Ces
caractéristiques nous paraissent pertinentes dans la mesure où
elles influencent la perception par les enquêtés de la structure
du champ social.
Le deuxième thème porte sur la perception des
différences sociales et de l'attribution à un agent d'une
position dans le champ social. A la lumière des critères de
classement retenus, la situation sociale de chaque agent est définie en
fonction du volume de l'atout (critère) qu'il détient.
Le troisième thème concerne les principaux
protagonistes du jeu social. Il est question ici des agents qui luttent pour
accroître leur capital symbolique.
Le quatrième thème est relatif aux
stratégies de conquête et d'accumulation du capital symbolique. Ce
thème examine les actions menées par les uns et les autres pour
occuper une position de domination et de s'affranchir de celle de
dominée.
Le cinquième thème porte sur le classement et
l'auto-classement. Ce thème scrute les positions que les agents
s'attribuent et attribuent aux autres dans le champ social.
C'est en rapport avec ces thèmes que nous avons
structuré et élaboré notre questionnaire.
ii. Nature des questions.
La complexité de notre problématique, les
contraintes matérielles et temporelles ainsi que les exigences de
dépouillement de données nous ont conduit à combiner
à la fois les questions fermées, à éventail et
ouvertes.
Les premières sont celles pour lesquelles
l'enquêté ne peut répondre que par oui ou non. Les secondes
sont celles assorties des assertions parmi lesquelles, l'enquêté
choisit celle qui correspond le mieux à son opinion. Ces deux types de
question ont été retenus d'une part, pour parer aux
réponses « impertinentes » qui résulteraient
d'une mauvaise compréhension des questions et, d'autre part, du fait de
l'avantage qu'elles présentent, notamment la facilité de
dépouillement. Les troisièmes qui laissent à
l'enquêté la possibilité de formuler ses réponses en
ses propres termes, ont été retenues pour obtenir des
enquêtés des réponses détaillées suggestives
des aspects non envisagés par nous73(*).
Le test de fiabilité de notre questionnaire a
été réalisé au cours de l'enquête
préliminaire organisée à ce propos du 9 au
15 février 2004.
iii. Pré-enquête.
Celle-ci s'est déroulée pendant sept jours dans
le quartier Baobab et a touché 20 sujets de notre
population-mère.
Deux procédés ont été
exploités à ce niveau. Le premier a consisté à
convier 5 sujets à remplir personnellement le questionnaire. Ce
procédé a eu l'avantage de nous dévoiler les
difficultés de compréhension de certaines questions. Quant au
second procédé, nous avons eu à administrer
nous-même le questionnaire. Cet échange nous a permis de
découvrir certains aspects non prévus dans notre projet de
questionnaire.
Grâce à cette pré-enquête, nous
avons reformulé toutes les questions qui suscitaient des
difficultés de compréhension et en avons ajouté d'autres
pour enrichir notre questionnaire.
iv. Questionnaire définitif
A la suite de la pré-enquête, nous avons
élaboré un questionnaire définitif comprenant 24 questions
dont 8 identifient les enquêtés et 16 scrutent leurs opinions au
regard de notre problématique et de nos hypothèses. C'est ce
questionnaire qui a été administré aux 200 unités
faisant partie de notre échantillon.
2. Administration du questionnaire.
C'est la phase de la collecte proprement dite des
données. Elle s'est concrétisée par notre descente dans
les six quartiers de la commune de Ngaba afin de recueillir, à l'aide du
questionnaire, des informations utiles à la réalisation du
présent travail.
Etant donné les impératifs temporels, le
recours aux enquêteurs s'est avéré indispensable pour
récolter les données dans un bref délai. Ceux-ci (au
nombre de huit) ont été recrutés parmi nos
étudiants de deuxième licence en sociologie connus pour leur
assiduité74(*).
Tenant compte de leurs occupations académiques - assistance aux cours,
rédaction de mémoire de licence et de rapport de stage -
nous avons estimé qu'un nombre assez réduit
d'enquêtés pour chacun d'eux allégerait leur tâche
et leur permettrait de réaliser les enquêtes de manière
efficace dans un temps record. Ainsi, nos huit enquêteurs ont
été chargés de questionner cent sujets de notre
échantillon (six enquêteurs ont questionné chacun douze
enquêtés et deux autres enquêteurs ont administré
chacun le questionnaire à quatorze enquêtés).
Avant le déploiement sur le terrain, nous avons
organisé à l'intention des enquêteurs une séance de
travail de deux heures le 01 mars 04 au local 17 de la Faculté des
Sciences Sociales, Administratives et Politiques au cours de laquelle, nous
avons explicité les objectifs de la recherche, le contenu du
questionnaire, les modalités de son administration et rappelé les
tacts pour surmonter les éventuelles difficultés qui surgiraient
pendant les enquêtes. Un accent particulier a été mis sur
l'attention à faire montre pour cerner la subtilité de certaines
réponses des enquêtés et sur l'effort qu'ils devaient
fournir pour éviter d'influencer leurs opinions. Au cours de cette
séance, chaque enquêteur avait choisi le quartier dans lequel il
allait administrer le questionnaire. Une exigence leur avait été
faite de mentionner sur le protocole d'enquête, le numéro de la
parcelle de l'enquêté, le jour et l'heure auxquels l'enquête
a eu lieu et de nous dresser un rapport journalier.
Pour nous rassurer de l'effectivité du
déroulement de l'enquête, nous avons constitué, à
l'insu des enquêteurs, une équipe de contrôle
composée de deux étudiants de première licence en
sociologie75(*). Cette
équipe passait le lendemain vérifier si l'enquêteur a
réellement administré le questionnaire dans la parcelle
indiquée sur le protocole. Nos enquêteurs ont couvert leur
tâche dans une semaine.
Au même moment, nous descendions personnellement sur le
terrain pour administrer aussi le questionnaire aux cent autres sujets de notre
échantillon. La descente sur le terrain s'effectuait dans les
après midi, les avant-midi étant consacrés à nos
exigences professionnelles. Nous avons mis 25 jours (du 02 au 26 mars 2004) au
lieu de 14 initialement prévus. La longueur des entretiens, les
explications à fournir pour nous faire recevoir par les
enquêtés et pour élucider certaines questions,
l'approfondissement de certains détails pertinents, ont
été à l'origine de cette prolongation.
Pour éviter le report des rendez-vous et
éventuellement la perte des protocoles d'enquête, la consigne
était que nous devrions nous-mêmes administrer le questionnaire.
Mais, au cours des enquêtes, certains enquêtés avaient
sollicité le bénéfice de temps pour répondre avec
sérénité à notre questionnaire. Nous avons
accédé à cette requête et revenions 48 heures
après pour le retrait du protocole.
3.2.3. Difficultés
rencontrées.
Toute investigation scientifique est toujours
émaillée des difficultés. Celles-ci diffèrent
suivant l'objet d'étude, la nature du terrain et l'importance de la
logistique.
Il n'est aisé, dans le contexte actuel de la ville de
Kinshasa marqué par la suspicion, des tensions, des crispations dues
à la basse conjoncture socio-économique, etc., de mener une
étude sur un phénomène qui touche aux
susceptibilités comme celui des discriminations sociales. Un tel sujet
expose le chercheur à la méfiance et à l'évitement
des enquêtés déjà traumatisés par les
conditions matérielles d'existence. Au cours de nos enquêtes, nous
nous sommes buté au refus pure et simple de certains
enquêtés qui nous renvoyaient parce que, disaient-ils, ils
n'avaient pas de temps et d'énergie physique à nous consacrer.
Pour d'autres par contre, l'annonce de notre sujet de recherche suscitait en
eux un sentiment de frustration et nous demandaient d'aller nous confier
auprès de ces personnes qui les infériorisent ou les jugent
méchamment à cause de leur statut. Nos explications pour
justifier le bien fondé de notre étude ne rencontraient pas
souvent un écho favorables auprès de cette catégorie
d'enquêtés. D'autres encore exigeaient un verre de boisson ou de
l'argent avant de se livrer à fournir des réponses à notre
questionnaire.
Par ailleurs, Ngaba, comme les autres communes populaires de
la ville de Kinshasa, est habité par une population qui vit au jour le
jour si bien que la survie des ménages tient à la
débrouille quotidienne appelée « libanga ».
Dans ces conditions, il est difficile de rencontrer pendant la journée
des personnes adultes en leurs résidences. Et parce que nous tenions
d'administrer nous-même le questionnaire pour éviter les pertes
éventuelles des protocoles ou les reports des jours de retrait et que
nos enquêtes se déroulaient dans les après-midi, les
avant-midi étant consacrés à nos obligations
professionnelles, il nous arrivait de parcourir une avenue de bout en bout sans
trouver une personne adulte à interroger. Ce qui a contribué
à l'échelonnement de l'enquête sur plusieurs jours que
prévus.
Le dérobement de la plupart des femmes à
l'entretien pour des raisons diverses nous a fait perdre d'autres informations
qui seraient utiles pour l'élaboration de ce travail. D'autant plus que
dans la vie quotidienne, ce sont elles qui sont les principaux sujets-objets
des discriminations analysées dans cette étude. Leurs opinions
auraient peut-être apporté un éclairage
supplémentaire à la compréhension de notre sujet
d'étude.
Le manque des moyens financiers et matériels a
retardé sensiblement le déroulement de l'enquête et la
rédaction de ce travail. Outre le fait que la modicité de nos
ressources avait différé la confection et l'impression de notre
questionnaire, elle n'a pas permis un déploiement en toute
quiétude des enquêteurs sur le terrain. Elle a par ailleurs
porté de ses empreintes notre survie dans la mesure où elle nous
contraint de mobiliser et d'affecter toutes nos ressources tant physique,
mentale et financière, en les privant bien sûr à notre
maisonnée, pour l'aboutissement de ce travail.
Notre abnégation et notre engagement ainsi que le
concours de nos enquêteurs qui ont accepté le
bénévolat, ont rendu possible la gestion efficace de toutes ces
contraintes ayant émaillé les investigations dont les
résultats sont présentés dans la section suivante.
Section 3 :
Présentation des résultats
Dans cette section, nous reprenons les opinions des
enquêtés en rapport avec les questions qui leur ont
été posées. Ces opinions sont quantifiées en
effectifs, en fréquences et en pourcentages rendant possible une
comparaison pour dégager les tendances dominantes.
3.3.1. Eléments
d'identification des enquêtés
Sous cette rubrique, nous présentons nos
enquêtés du point de vue âge, sexe, niveau d'études,
profession, revenu, religion, ancienneté dans la ville de Kinshasa et
dans le quartier.
a. Tableau I : Répartition des
enquêtés selon l'âge.
Tranches d'ages
|
Fréquences
|
Pourcent
|
20 à 24 ans
|
29
|
14.5
|
25 à 29 ans
|
47
|
23.5
|
30 à 34 ans
|
46
|
23
|
35 à 39 ans
|
23
|
11.5
|
40 à 44 ans
|
30
|
15
|
45 ans et plus
|
25
|
12.5
|
Total
|
200
|
100
|
Ces données se présentent dans un graphique de
la manière suivante :
![](discriminations-conflits-etude-conscience-condition-population-ngaba1.png)
Figure 1 : Répartition des
enquêtés suivant l'âge.
Il ressort de la lecture de ce tableau que 23.5% des
enquêtés ont l'âge variant entre 25 et 29 ans, 23% entre 30
et 34 ans, 15% entre 40 et 44 ans, 14.5% entre 20 et 24 ans, 12.5% ont un
âge égal ou supérieur à 45 ans et, enfin, 11.5%
entre 35 et 39 ans.
Tableau II : L'âge moyen des
enquêtés.
TRANCHES D'AGES
|
CI
|
XI
|
FI
|
CIXI
|
CIFI
|
20 À 24 ANS
|
22
|
29
|
14,5
|
638
|
319
|
25 À 29 ANS
|
27
|
47
|
23,5
|
1269
|
634,5
|
30 À 34 ANS
|
32
|
46
|
23
|
1472
|
736
|
35 À 39 ANS
|
37
|
23
|
11,5
|
851
|
425,5
|
40 À 44 ANS
|
42
|
30
|
15
|
1260
|
630
|
45 ANS ET PLUS
|
47
|
25
|
12,5
|
1175
|
587,5
|
TOTAL
|
|
200
|
100
|
6665
|
3332,5/100=33,32
|
L'âge moyen des enquêtés est de
6665/200=33,32, soit 33 ans. Nous pouvons considéré que notre
population est jeune.
b. Tableau III : Répartition des
enquêtés selon le sexe.
SEXE
|
Effectifs.
|
Pourcent
|
Masculin
|
157
|
78.5
|
Féminin
|
43
|
21.5
|
Total
|
200
|
100
|
![](discriminations-conflits-etude-conscience-condition-population-ngaba2.png)
En diagramme de camembert, ces données se
présentent de la manière ci-après :
1% = 3,6°
78,5% * 3,6° = 282,6°
21,5% * 3,6 = 77,4°
Total = 360°
Figure 2 :
Répartition des enquêtés suivant le sexe.
Figure
2 : Répartition de la population selon le sexe
De ce tableau, il ressort que 78.5% des enquêtés
sont du sexe masculin alors que 21.5% sont du sexe féminin. Il s'ensuit
que la majorité (78.5%.) des enquêtés sont du sexe
masculin. Cette représentation inégale des
enquêtés dans notre échantillon est une conséquence
logique du type d'échantillonnage retenu. En optant pour
l'échantillon occasionnel, nous avons, lors de nos descentes sur le
terrain, rencontré plus des hommes que des femmes. Ces dernières
étant souvent absentes du ménage à notre passage. Et
même lors qu'elles étaient présentes, elles souhaitaient
que l'entretien soit tenu avec le mari. D'autre part, des observations faites,
il s'est dégagé que les quelques dames qui ont accepté de
répondre à notre questionnaire ont un niveau d'études
assez élevé, c'est-à-dire allant de diplôme d'Etat
à celui de licence en passant par celui de graduat. Comme nous pouvons
le constater, le niveau d'études a été un facteur limitant
la participation des femmes.
c. Tableau IV : Répartition des
enquêtés selon le niveau d'études.
NIVEAU D'ETUDES
|
Effectifs
|
Pourcent
|
Sans instruction
|
2
|
1
|
Primaire
|
2
|
1
|
Secondaire
|
84
|
42
|
Supérieur
|
44
|
22
|
Universitaire
|
68
|
34
|
Total
|
200
|
100
|
Ces données reprises dans un diagramme en camembert se
présentent de la manière suivante (1% = 3,6°) :
![](discriminations-conflits-etude-conscience-condition-population-ngaba3.png)
1% * 3,6° = 3,6°
1% * 3,6° = 3,6°
22% * 3,6° = 79,2°
34% * 3,6° = 122,4°
42% * 3,6° = 151,1°
Total = 360°
Figure 3 :
Répartition des enquêtés selon le niveau
d'études.
La lecture du tableau et du diagramme
précédents montre que 42% des enquêtés sont du
niveau d'études secondaire, 34% ont fait les études
universitaires, 22% sont des gradués, 1% est du niveau primaire et 1%
est sans instruction. Les enquêtés ayant atteint le niveau
d'études secondaires forment le groupe le plus nombreux. De 42% qu'ils
totalisent dans l'ensemble de notre échantillon, seuls 18% ont
décroché un diplôme d'Etat sanctionnant la fin de leurs
études secondaires. Le groupe des universitaires se subdivise en deux
sous groupes : d'une part ceux qui ont déjà terminé
leurs études (29%) et d'autre part les étudiants des
universités de la ville (5%). Notre échantillon, comme nous
pouvons le constater, est constitué en majorité des personnes
lettrées.
Par ailleurs, la répartition des niveaux
d'études par les trois entités regroupant les six quartiers de la
Commune de Ngaba révèle qu'une bonne portion des
enquêtés ayant fait les études supérieures et
universitaires se localise dans l'entité A et que la plupart de ceux
qui n'ont pas terminé les études secondaires ainsi que ceux du
primaire et les sans instruction se concentrent dans l'entité C.
L'entité B quant à elle, rassemble en moyenne tous les niveaux
d'études.
La distribution du niveau d'études suivant le sexe fait
ressortir que la balance penche en faveur des femmes. En effet, toutes nos
enquêtées ont atteint au moins la sixième année
secondaire ( 18%) parmi lesquelles 8% ont un diplôme d'Etat, 2% des
celles qui ont fait des études supérieures et 1.5% a des
diplômes d'Université.
a. Tableau V : Répartition des
enquêtés selon la profession.
Professions
|
Effectifs.
|
Pourcent
|
Salariés
|
69
|
34.5
|
Indépendants
|
55
|
27,5
|
Etudiants
|
10
|
5.0
|
Sans emploi
|
71
|
35.5
|
Total
|
200
|
100
|
La répartition des
enquêtés sur base de la profession laisse apparaître que
35.5% sont des sans emploi, 27% exercent des activités
indépendantes, 32% sont des salariés et 5% sont
étudiants.
Quelques précisions méritent d'être
apportées au sujet des composantes de certaines catégories
socio-professionnelles. Nous avons regroupé dans la catégorie
« salariés » tous ceux qui ont un travail
rémunéré quels que soient le secteur et la nature de ce
travail. Il s'est agi, dans le cadre de nos enquête, des enseignants du
primaire et du secondaire des écoles privées, confessionnelles et
officielles (13.5%), les chauffeurs travaillant pour le compte des particuliers
ou des entreprises privées (2.5%), les informaticiens des bureautiques
(1.5%), un maçon d'une entreprise de la place (0.5%), des fonctionnaires
(9.5%), des policiers (1%), des cadres scientifiques des Universités et
Instituts supérieurs de la capitale (2.5%) et des médecins
(3%).
A propos des indépendants, nous avons regroupé
dans cette catégorie tous ceux qui exercent une activité pour
leur propre compte. Elle est essentiellement constituée des
opérateurs de la petite économie marchande et des petits
métiers. Dans cette catégorie socio-professionnelle, nous avons
rencontré les tenanciers des boutiques et des pratiquants du petit
commerce (18.5%), des couturières (2%), des tenanciers des maisons de
communication (1%), un cambiste (0.5%) et un cordonnier (0.5%). Rentrent
également dans cette catégorie des indépendants les
pasteurs (1%), les musiciens (2%) et les artistes comédiens (1%) et les
avocats (1%),
Deux enseignements résultent des données
reprises dans le tableau ci-dessus. Elles attestent, en premier lieu, la quasi
inexistence de l'emploi dans le secteur formel de l'économie congolaise.
En effet, comme l'illustre bien ce tableau, une bonne partie des
enquêtés est constituée des sans emploi (35.5%) et des
indépendants (27.5%). En outre, la répartition des professions
par sexe se réalise en défaveur des femmes qui sont toutes dans
les petits métiers et commerce. En second lieu, cette répartition
des enquêtés par profession montre que la Commune de Ngaba est un
Espace social hétérogène où coexistent diverses
couches sociales. Toutes fois, les couches sociales des conditions
socio-économiques modestes l'emportent comme le témoigne le
tableau ci-dessous relatif la répartition des enquêtés sur
base du revenu.
e. Tableau VI : Répartition des
enquêtés selon le niveau de revenu.
REVENU
|
Effectifs
|
Pourcent
|
Très élevé
|
4
|
2
|
Elevé
|
18
|
9
|
Moyen
|
26
|
13
|
Faible
|
146
|
73
|
Sans revenu
|
6
|
3
|
Total
|
200
|
100
|
Les données reprises dans ce tableau se
présentent dans un graphique de la manière suivante :
![](discriminations-conflits-etude-conscience-condition-population-ngaba4.png)
Figure n°4 : Répartition des
enquêtés suivant le revenu
Il se dégage de ces tableau et graphique que 73% des
enquêtés déclarent avoir un revenu faible, 13% avancent
qu'ils ont un revenu moyen, 9% trouvent que leur revenu est
élevé, 3% sont sans revenu et 2% disent qu'ils ont un revenu
très élevé.
Les données de ce tableau semblent contraster d'avec
le principe selon lequel ne peut avoir un revenu que celui qui a un travail
rémunéré ou qui exerce une activité lucrative. Et
pourtant, le tableau V relatif à la répartition des
enquêtés sur base de la profession montre qu'il y a une bonne part
des sans emploi et des étudiants sensés ne pas avoir un revenu.
Faisons remarquer à ce sujet qu'au cours de nos enquêtes ces sans
emploi nous révélaient qu'il avaient un revenu indirect provenant
des activités de survie exercées par leurs épouses. Ils
considèrent que le revenu résultant des activités de leurs
épouses leur revient au premier titre parce qu'ils ont été
à l'origine du capital ou du fonds de démarrage. Concernant les
étudiants, nombreux parmi eux exercent les activités de survie,
notamment le petit commerce et le cambisme de rue.
f. Tableau VII : Répartition des
enquêtés selon la religion.
Religion
|
Effectifs
|
Pourcent
|
Catholique
|
69
|
34.5
|
Protestante
|
30
|
15
|
Musulmane
|
1
|
0.5
|
Kimbanguiste
|
2
|
1
|
Eglise de réveil
|
86
|
43
|
Eglise des noirs
|
2
|
1
|
Néo-Apostolique
|
3
|
1.5
|
Armée du salut
|
2
|
1
|
Témoins de Jéhovah
|
5
|
2.5
|
Total
|
200
|
100
|
La représentation graphique de ces données se
présente de la manière ci-après :
![](discriminations-conflits-etude-conscience-condition-population-ngaba5.png)
Figure 5 : Répartition des
enquêtés selon la religion.
Il s'observe de ce tableau que parmi nos
enquêtés 43% fréquentent des églises de
réveil, 34.5% sont catholiques, 15% sont protestants, 2.5% sont
témoins de Jéhovah, 1.5 est néo-apostolique, 1% prie dans
l'armée du salut, 1% est adepte de l'église des noirs, 1% est
kimbanguiste et 0.5% est musulman . Il s'ensuit que tous nos
enquêtés sont des croyants. Constatons par ailleurs que les
chrétiens sont plus nombreux (98.5%) que les musulmans (0.5%) et les
adeptes l'église des noirs. Enfin, parmi les chrétiens les
fidèles des églises de réveil sont plus nombreux que ceux
des églises traditionnelles.
g. Tableau VIII:
Répartition des enquêtés selon l'ancienneté dans la
ville de
Kinshasa.
Ancienneté à Kinshasa
|
Fréquences
|
Pourcent
|
1 à 5 ans
|
15
|
7.5
|
6 à 10 ans
|
24
|
12
|
11 à 15 ans
|
30
|
15
|
16 à 20 ans
|
36
|
18
|
21 à 25 ans
|
32
|
16
|
26 à30 ans
|
63
|
31.5
|
Total
|
200
|
100
|
Les données reprises dans le tableau ci-haut montrent
que la durée du séjour de 31.5% des enquêtés dans la
ville de Kinshasa varie entre 25 ans et plus, entre 16 et 20 ans pour 18% des
enquêtés, entre 21 et 25 ans pour 16% des enquêtés,
entre 11 et 15 ans pour 15% des enquêtés, entre 6 et 10 ans pour
12% des enquêtés, entre 1 et 5 ans pour 7.5% des
enquêtés.
La durée moyenne du séjour dans la ville de
Kinshasa est de :
Tableau IX : La durée moyenne du séjour
des enquêtés dans la ville de Kinshasa.
Années
|
Ci
|
xi
|
fi
|
xiCi
|
cifi
|
0-5
|
3
|
15
|
7,5
|
45
|
22,5
|
6--10
|
8
|
24
|
12
|
192
|
96
|
11--15
|
13
|
30
|
15
|
390
|
195
|
16-20
|
18
|
36
|
18
|
648
|
324
|
21-25
|
23
|
32
|
16
|
736
|
368
|
26-30
|
28
|
63
|
31,5
|
1764
|
882
|
Total
|
|
200
|
100
|
3775
|
1887,5/100=18,87
|
La durée moyenne du séjour de
nos enquêtés dans la ville de Kinshasa est de 3775/200= 18,87 ans
soit 19 ans. Dans l'ensemble, la majorité de nos
enquêtés séjourne depuis longtemps dans la ville de
Kinshasa, c'est-à-dire y a passé plus de 10 ans.
h. Tableau X :
Répartition des enquêtés selon l'ancienneté dans le
quartier
actuellement
habité.
Ancienneté dans le quartier
|
Fréquences.
|
Pourcent
|
1 à 5 ans
|
66
|
33
|
6 à 10 ans
|
40
|
20
|
11 à 15 ans
|
34
|
17
|
16 à 20 ans
|
22
|
11
|
21 à 25 ans
|
12
|
6
|
26 à 30 ans
|
26
|
13
|
Total
|
200
|
100
|
Il découle de ce tableau que 33% des
enquêtés ont un séjour dans le quartier qu'ils habitent
actuellement variant entre 1 et 5 ans, 20% entre 6 et 10 ans, 17% entre 11 et
15 ans, 13% entre 25 ans et plus, 11% entre 16 et 20 ans et 6% entre 21 et 25
ans. Dans l'ensemble, la majorité des enquêtés a
récemment habité les quartiers respectifs, c'est-à-dire a
un séjour d'au plus 10 ans dans le quartier.
La durée moyenne dans le quartier est de :
Tableau XI : La durée moyenne du séjour
dans le quartier.
Années
|
Ci
|
xi
|
fi
|
Cixi
|
Cifi
|
0-5
|
3
|
66
|
33
|
198
|
99
|
6-10
|
8
|
40
|
20
|
320
|
160
|
11-15
|
13
|
34
|
17
|
442
|
221
|
16-20
|
18
|
22
|
11
|
396
|
198
|
21-25
|
23
|
12
|
6
|
276
|
138
|
26-30
|
28
|
26
|
13
|
728
|
364
|
Total
|
|
200
|
100
|
2360
|
1180/100=11,80
|
La durée moyenne du séjour des
enquêtés dans leurs quartiers respectifs est de 2360/200=11,80
ans, soit 12 ans. Nous pouvons dire que nos enquêtés
séjournent dans leurs quartiers depuis au moins 12 ans.
En rapport avec le séjour dans la ville de Kinshasa et
dans les différents quartiers, nous pouvons affirmer que nos
enquêtés, du fait de leur long séjour, appréhendent
l'enjeu et le jeu des discriminations sociales qui marquent de leur empreinte
la quotidienneté dans cette ville.
Après cette description de nos enquêtés
sous ces quelques caractéristiques, il convient de présenter
leurs opinions résumant leur représentation de la structure du
champ social, c'est-à-dire les principes de sa structuration, les
capitaux qui y circulent, les agents sociaux et leurs positions, les luttes qui
s'y déroulent pour le maintien ou la transformation de cette structure.
C'est l'objet de la sous-section suivante.
3.3.2. Opinion des enquêtes
Nous présentons dans cette sous-section les opinions
(réponses) émises par nos enquêtés en
réaction au questionnaire d'enquête. Sans reprendre les questions
y afférentes, nous relevons dans les tableaux les fréquences et
les pourcentages obtenus par chaque opinion.
a. Tableau XII : Opinions
des enquêtés relatives à la
fréquentation entre habitants du quartier.
Fréquentation
|
Freq.
|
Pourcent
|
OUI
|
175
|
87.5
|
NON
|
11
|
5.5
|
C'EST RELATIF
|
14
|
7
|
Total
|
200
|
100
|
![](discriminations-conflits-etude-conscience-condition-population-ngaba6.png)
Dans un en camembert, ces données
présentent de la manière ci-après (1% =
3,6°):
5,5% * 3,6° = 19,8°
7% * 3,6° = 25,2°
87,5% * 3,6° = 315°
Total = 360°
Figure 4 : Opinions des
enquêtés relatives à la
Fréquentation entre habitants du quartier.
De ce tableau il se dégage que 87.5% des
enquêtés estiment que les habitants de leurs quartiers se
fréquentent, 7% sont d'avis mitigé et 5.5% trouvent que les
habitants de leurs quartiers ne se côtoient pas. Nous pouvons affirmer,
à la suite de ces résultats, que la majorité des
enquêtés ne vivent pas dans l'anonymat caractéristique des
sociétés urbaines des sociétés
industrialisées.
b. Tableau XIII : Avis des enquêtés
concernant la jouissance de considération sociale.
Considération sociale
|
Effectifs
|
Pourcent
|
OUI
|
16
|
8
|
NON
|
147
|
73.5
|
C'EST RELATIF
|
37
|
18.5
|
Total
|
200
|
100
|
Dans un en camembert, ces données présentent de
la manière ci-après (1% = 3,6°):
![](discriminations-conflits-etude-conscience-condition-population-ngaba7.png)
8% * 3,6° = 28,8°
73,5% * 3,6° = 264,6°
18,5% * 3,6° = 66,6%
Total = 360°
Figure 5 : Avis des enquêtés concernant
le bénéfice de considération sociale.
Les données du tableau XIII indiquent que 73.5% des
enquêtés sont d'avis que dans leurs quartiers tout le monde ne
jouit pas de la même considération sociale, 18.5% estiment que le
bénéfice de la considération sociale est une question
relative et 8% pensent que la considération sociale est indistinctement
accordée à tout habitant du quartier. La tendance dominante
(73.5%) est constituée par les enquêtés ayant émis
un avis négatif.
Il apparaît à travers les opinions
exprimées dans le tableau ci-haut une conscience de différence
sociale parmi les habitants de la Communes de Ngaba. Tout le monde ne se
considère pas égal à tout le monde. L'attribution
inégalitaire de la considération sociale, et donc la
discrimination en la matière, induit que les habitants de cette Commune
perçoivent et établissent des différences entre eux en
fonction de certaines ressources dont ils sont détenteurs.
c. Tableau XIV: Les critères d'évaluation
et de hiérarchisation sociale.
Critères
|
Effectifs
|
Pourcent
|
Niveau d'instruction
|
26
|
13
|
Confort matériel
|
148
|
74
|
Moralité
|
22
|
11
|
Foi religieuse
|
4
|
2
|
Total
|
200
|
100
|
Ces données se présentent de la manière
suivante dans un graphique :
![](discriminations-conflits-etude-conscience-condition-population-ngaba8.png)
Figure 6 : Les critères d'évaluation
et de hiérarchisation sociale.
Il ressort de ce tableau que 74% des enquêtés
affirment que dans leurs quartiers la considération sociale
témoignée à un individu est tributaire de son confort
matériel, 13% trouvent qu'elle est rattachée au niveau
d'instruction, 11% pensent qu'elle est attribuée en fonction de la
moralité et 2% avancent qu'elle tient à la foi religieuse. La
tendance dominante est formée des enquêtés qui
déclarent que dans leur milieu la considération sociale
témoignée à un individu est fonction de son niveau de vie
économique. Comme nous pouvons le constater, l'élément
matériel est prépondérant mais pas l'unique. D'autres
considérations entrent en ligne de compte dans l'évaluation
sociale d'un individu notamment l'instruction, la moralité et la
spiritualité.
Rapportées aux trois entités de Ngaba
définies dans cette étude, il se dégage que, outre le
critère économique commun à toutes les trois, les
enquêtés de l'entité A mettent l'accent sur le niveau
d'instruction et la zone de résidence, ceux de l'entité B sur la
moralité et la foi religieuse et ceux de l'entité C sur le
matériel.
d. Tableau XV : Opinions des enquêtés
relatives à l'individu socialement
considéré dans leurs quartiers.
Individu socialement élevé
|
Fréquences
|
Pourcent
|
Intellectuel
|
25
|
12.5
|
Détenteur d'un avoir matériel
|
153
|
76.5
|
Homme vertueux
|
20
|
10.0
|
Fervent
|
2
|
1
|
Total
|
200
|
100
|
Relativement à la question de savoir qui
considère-t-on socialement dans leurs quartiers respectifs, 76.5% des
enquêtés ont répondu que c'est le détenteur d'un
avoir matériel, 12.5% sont d'avis que c'est l'intellectuel, 10%
affirment que c'est l'homme vertueux et 1% pointe le fervent. Relativement aux
données reprisées au tableau XIV indiquant que dans la Commune de
Ngaba l'attribution de la perception et l'évaluation sociale sont
principalement tributaire du confort matériel, il en résulte en
conséquence que le détenteur d'un avoir matériel important
est hissé au sommet de la hiérarchie sociale. C'est ce que
confirme la tendance dominante (76.5%) qui se dégage de la lecture des
données reprises dans le tableau ci-haut.
e. Tableau XVI : Avis des enquêtés
concernant l'acceptation du critère de évaluation et
hiérarchisation sociale dans leurs
quartiers.
Acceptation du critère
|
Effectifs
|
Pourcent
|
Oui
|
151
|
75.5
|
Non
|
27
|
13.5
|
C'est relatif
|
22
|
11
|
Total
|
200
|
100
|
Les opinions émises dans le tableau ci-dessus montrent
que 75.5% des enquêtés estiment que ces critères sont
admis, 13.5% affirment que ces critères sont rejetés par la
majorité des habitants de leurs quartiers et 11% sont d'avis
nuancés. La tendance dominante est celle des enquêtés qui
sont d'avis que ces critères sont admis par la majorité des
habitants de Ngaba.
f. Tableau XVII : Agents
partisans du critère
Agents
|
Effectifs
|
Pourcent
|
1. Avoir matériel
|
|
|
Les nantis
|
26
|
13
|
Les parvenus
|
35
|
17.5
|
Les démunis
|
39
|
19.5
|
Les analphabètes
|
44
|
22
|
Tout le monde
|
15
|
7.5
|
2. Niveau d'instruction
|
|
|
Les intellectuels
|
33
|
16.5
|
3. Moralité et spiritualité
|
|
|
Les adeptes des églises
|
8
|
4
|
Total
|
200
|
100
|
De ce tableau il se dégage que le
critère matériel est plus prisé par des
analphabètes (22%), des démunis (19.5%), des parvenus (17.5%),
des nantis (13%), par tout le monde sans distinction (7.5%); le critère
« instruction » est soutenu par des intellectuels (16.5%)
et, enfin la foi religieuse et la moralité est l'affaire des adeptes des
églises.
g. Tableau XVIII : Le sexe partisan du
critère
Sexe
|
Effectifs
|
Pourcent
|
1. Avoir matériel
|
|
|
Masculin
|
37
|
18.5
|
Féminin
|
48
|
24
|
Les deux sexes
|
89
|
44.5
|
2. Niveau d'instruction
|
|
|
Masculin
|
16
|
8
|
Féminin
|
0
|
0
|
Les deux sexes
|
2
|
1
|
3. Moralité et spiritualité
|
|
|
Masculin
|
3
|
1.5
|
Féminin
|
5
|
2.5
|
Les deux sexes
|
0
|
0
|
Total
|
200
|
100
|
Ce tableau indique l'importance accordée par chaque
sexe à chacun des critères de perception et d'évaluation
sociale. Il ressort de ce tableau que 44.5% des enquêtés estiment
que dans la Commune de Ngaba les hommes comme les femmes accordent plus
d'importance à l'avoir matériel dans l'évaluation sociale
des individus, 24% pensent que ce sont les femmes et 18.5% pointent les hommes.
Par contre 8% des enquêtés considèrent que ce sont les
hommes qui font prévaloir le niveau d'instruction dans
l'évaluation sociale des individus et 1% attribue ce critère aux
deux sexes. Enfin, 2.5% des enquêtés trouvent ce sont les femmes
qui évaluent socialement les individus sur base de leur moralité
et spiritualité et 1.5% cite les hommes.
En somme, les données du tableau ci-dessus renseignent
qu'à Ngaba les hommes comme les femmes accordent plus d'importance
à l'avoir matériel dans le processus d'évaluation sociale.
Toute fois, certains hommes évaluent leurs prochains sur base de leur
niveau d'études tandis que les femmes se fondent sur la
spiritualité et la moralité.
h. Tableau XIX : Avis concernant le signe
de distinction sociale.
Signe distinctif
|
Effectifs
|
Pourcent
|
Possession des biens somptueux
|
143
|
71.5
|
Parler français
|
24
|
12
|
Bonne conduite sociale
|
33
|
16.5
|
Total
|
200
|
100
|
Nous pouvons lire dans le tableau ci-dessus que (dans les
différents quartiers) 71.5% des enquêtés avancent que les
gens marquent principalement leur distinction sociale par l'acquisition des
biens somptueux , 16.5% trouvent dans la bonne conduite la marque de
distinction sociale, 12% retiennent la langue française comme signe
distinctif.
En diagramme de camembert, ces données se
présentent comme suit (1% = 3,6°):
![](discriminations-conflits-etude-conscience-condition-population-ngaba9.png)
71,5% * 3,6° = 257,4°
12% * 3,6° = 43,2°
15,5% * 3,6° = 59,4°
Total = 360°
Figure 7 : Avis concernant le signe de distinction
sociale.
Nous remarquons, à la suite de ce tableau, que les
valeurs matérielles (type de résidence, possession d'une belle
voiture, habillement luxueux) priment dans le processus de légitimation
de soi.
i. Tableau XX : Opinions des enquêtés au
sujet du contexte favorisant la
prévalence
des signes de distinction sociale.
Contexte
|
Effectifs
|
Pourcent
|
1. Valeurs matérielles
|
|
|
Misère socio-économique
|
113
|
56.5
|
Recul de la culture scolaire
|
27
|
13.5
|
Dévalorisation du travail intellectuel
|
52
|
27.5
|
2. Langue française
|
|
|
Analphabétisme généralisé
|
8
|
4.0
|
Total
|
200
|
100
|
Les données reprises dans le tableau ci-haut montrent
que la préséance de valeurs matérielles dans le processus
d'évaluation et de distinction sociale est liée pour la
majorité de nos enquêtés (56.5%) à la
précarité des conditions socio-économiques dans
lesquelles vivent la plupart des habitants de leurs quartiers respectifs, 27.5%
pensent plutôt qu'elle tient à la dévalorisation du travail
intellectuel dans notre pays, 13.5% la lient au recul de la culture scolaire
observé dans le chef des produits des institutions scolaires. En outre,
la dominance de la langue française est expliquée par 4% des
enquêtés par l'analphabétisme d'une bonne partie de la
population de cette Commune.
j. Tableau XXI : Avis des enquêtés
concernant l'engagement des habitants de
leurs quartiers
dans la lutte pour la mobilité sociale
Engagement
|
Effectifs
|
Pourcent
|
Oui
|
156
|
78
|
Non
|
27
|
13.5
|
C'est relatif
|
17
|
8.5
|
Total
|
200
|
100
|
De ce tableau il ressort que la majorité des
enquêtés (78%) affirment que dans leurs quartiers respectifs les
personnes infériorisées luttent pour assurer leur mobilité
sociale ascendante, 13.5% sont d'avis contraire et 8.5% nuancent leurs avis.
Ces donnés se présentent dans le diagramme en
camembert de la façon suivante (1% = 3,6°) :
![](discriminations-conflits-etude-conscience-condition-population-ngaba10.png)
78% * 3,6° = 280,8°
13,5%* 3,6° = 48,6°
8,5% * 3,6° = 30,6°
Total = 360°
Figure 8 : Avis des enquêtés
concernant l'engagement des habitants de leurs quartiers dans la lutte pour
la mobilité sociale
k. Tableau XXII : Opinions des enquêtés
relatives aux stratégies de mobilité
sociale mises en place par
les agents sociaux de leurs quartiers.
Stratégies
|
Effectifs
|
Pourcent
|
Aucun effort
|
14
|
7
|
Débrouille
|
150
|
75
|
Adhésion église
|
5
|
2.5
|
Bonne conduite
|
2
|
1.0
|
Scolarisation des enfants
|
22
|
11
|
Habillement luxueux
|
7
|
3.5
|
Total
|
200
|
100
|
Les personnes infériorisées dans le processus
d'attribution de la considération sociale mettent en place plusieurs
stratégies pour s'assurer une mobilité sociale ascendante tel
qu'il apparaît dans le tableau ci-dessus. En effet, 75% des
enquêtés avancent que dans leurs quartiers les gens se lancent
dans la débrouille pour se promouvoir socialement, 11% espèrent
s'élever indirectement sur l'échelle sociale à travers la
scolarisation des leurs enfants, 7% déclarent que dans leurs quartiers
respectifs les personnes infériorisées ne font rien, 3.5% se
procurent un habillement luxueux, 2.5% adhèrent à une
église et 1% adopte une bonne conduite.
Reprises dans un graphique, ces données se
présentent de la manière suivante :
![](discriminations-conflits-etude-conscience-condition-population-ngaba11.png)
l. Tableau XXIII : Impact des discriminations
sociales sur les rapports sociaux.
Impact
|
Effectifs
|
Pourcentage
|
Affermissement des rapports sociaux
|
18
|
9
|
Source des conflits
|
179
|
89.5
|
Aucun
|
3
|
1.5
|
Total
|
200
|
100
|
Comme l'indiquent les données de ce tableau, pour
89.5% des enquêtés ces discriminations sociales engendrent les
conflits, 9% pensent qu'elles renforcent les rapports sociaux, et 1.5% pense
qu'elles n'ont aucun impact. Dans le diagramme en camembert, ces données
se dessinent comme suit :
![](discriminations-conflits-etude-conscience-condition-population-ngaba12.png)
Figure 9 : Impact des discriminations sociales sur
les rapports sociaux.
m. Tableau XXIV : Opinions des enquêtés
relatives à la rationalité des modalités de
stratification de la population de leurs quartiers.
Rationalité
|
Effectifs
|
Pourcent
|
Oui
|
62
|
31
|
Non
|
102
|
51
|
C'est relatif
|
36
|
18
|
Total
|
200
|
100
|
Pour la majorité des nos enquêtés (51%)
les modalités de structuration de la population de leurs quartiers en
différentes couches sociales, singulièrement l'avoir
matériel, ne sont pas rationnelles, 31% les valident et 18% nuancent
leurs avis.
Il en résulte que la majorité de nos
enquêtés souhaiteraient être évalués et
classés sur base des critères qu'ils pensent se conformer
à leur profil.
n. Tableau XXV : Critères de classement
social proposés par les
enquêtés.
Critère de classement social
|
Effectifs
|
Pourcent
|
Avoir matériel
|
39
|
19.5
|
Moralité
|
25
|
12.5
|
Profession
|
125
|
62.5
|
Spiritualité
|
11
|
5.5
|
Total
|
200
|
100
|
De ce tableau, il ressort que 62.5% des enquêtés
sont d'avis que la population doit être stratifiée sur base de la
profession , 19.5% préfèrent l'avoir matériel, 12.5%
proposent la moralité comme critère de subdivision de la
population et 5.5% suggèrent la spiritualité.
L'analyse de données montre que ceux qui ont un niveau
d'instruction assez élevée (quelle que soit leur situation
matérielle) mettent l'accent sur la profession comme critère
objectif d'évaluation sociale, tandis que ceux qui ont pourvoir
économique assez important mais d'un niveau d'instruction assez bas
proposent l'avoir matériel comme critère de
référence. Enfin, les enquêtés dépourvus de
pouvoir matériel et qui sont d'un niveau d'études assez bas se
prononcent en faveur de la moralité et de la spiritualité.
La profession est ici retenue par la majorité des
enquêtés en insinuant le fait qu'elle doit être tributaire
du niveau d'études de chaque individu, étant entendu que les
hautes études devront donner accès aux hautes fonctions sociales.
Ce point de vue trouve son éclairage dans le profil de nos
enquêtés. L'identification des enquêtés par niveau
d'études et par profession opérée dans le point
précédent montre que la majorité d'entre eux ont fait les
études supérieures et universitaires et que pour l'essentiel ils
sont soit sans emploi soit dans les activités indépendantes,
principalement dans l'informel. Il résulte que pour eux, ce qui du reste
est vrai, leur situation sociale actuelle est une conséquence
de non emploi et de peu de considération que l'ordre social accorde au
travail intellectuel. Ils comptent sur la création d'emploi et surtout
sur revalorisation du travail intellectuel pour voir leur condition
s'améliorer.
Comme nous pouvons nous l'apercevoir, chaque individu ou
groupe d'individus veut être perçu en fonction du capital qu'il
possède ou en fonction de ce qu'il projette devenir.
o. Tableau XXVI : Opinions des enquêtés
relatives aux catégories sociales à
placer au
sommet de la hiérarchie sociale.
Catégories sociales
|
Effectifs
|
Pourcent
|
Les cadres de conception
|
102
|
51
|
Les commerçants
|
3
|
1.5
|
Les fervents
|
11
|
5.5
|
Les hommes vertueux
|
43
|
21.5
|
Les acteurs Politique
|
1
|
0.5
|
Les nantis
|
40
|
20
|
Total
|
200
|
100
|
Il ressort des données du tableau XXVI que diverses
catégories sociales sont proposées au sommet de la
hiérarchie sociale. En effet, 51% des enquêtés placent les
cadres de conception au sommet de l'échelle sociale, 21.5% y placent les
hommes vertueux, 20% plaident en faveur des nantis, 5.5% sont pour les fervents
chrétiens, 1.5% pour les commerçants et 0.5% pour les
politiciens.
Revenons sur la catégorie cadres de conception pour
dire qu'elle englobe tous ceux dont le travail exige la réflexion. Parmi
eux nos enquêtés ont cité : les enseignants (2% pour
ceux du primaire et secondaire et 45% pour les professeurs
d'Université), les cadres d'entreprise (pour 1%), les agents de l'Etat
(pour 2.5%) et les magistrats (pour 0.5%).
Il se dégage de ces données que pour la
majorité des enquêtés la stratification sociale, et partant
la perception et l'évaluation sociale, devra reposer sur les professions
qui requièrent une haute qualification.
p. Tableau XXVII : L'auto-classement des
enquêtés.
Auto-classement
|
Effectifs
|
Pourcent
|
INFERIEUR
|
12
|
6
|
MOYEN
|
110
|
55
|
SUPERIEUR
|
78
|
39
|
Total
|
200
|
100
|
De ce tableau il ressort que 55% des enquêtés se
classent dans une catégorie sociale moyenne en fonction de
critère qu'ils définissent eux-mêmes, 39% se
classent dans une catégorie supérieure et 12% s'estiment dans la
catégorie inférieure.
En rapport avec ces données, il sied de souligner deux
choses. Primo, les enquêtés s'auto-classent en fonction d'un
capital ou d'un atout de mobilité sociale dont ils sont
détenteurs ou espèrent détenir dans le futur. Secundo,
l'auto-classement s'opère dans une dynamique contradictoire à
première vue. En effet, les détenteurs du capital
économique ainsi que ceux du capital culturel non scolaire (hommes
vertueux et les fervents) se classent dans la catégorie sociale moyenne
alors que seuls les détenteurs d'un capital culturel scolaire se classe
au sommet de la hiérarchie sociale. La modestie des uns et la
prétention des autres semblent trouver leur fondement dans lutte pour le
maintien ou la transformation de la structure du champ social. Nous y
reviendrons.
Nous avons à travers ce chapitre décrit le
cheminement de nos investigations dans la Commune de Ngaba et
présenté les résultats obtenus.
En somme, notre population d'enquête est
essentiellement jeune à dominance masculine. Relativement instruite,
elle est pour l'essentiel constituée des sans emploi qui vivent avec un
faible revenu que procure les activités de survie exercées par
leurs épouses. De foi chrétienne pour la majorité, nos
enquêtés ont un séjour moyen de 10 ans dans la ville de
Kinshasa et de 12 ans dans les quartiers qu'ils habitent à ce jour.
De l'analyse de leurs perceptions de la structuration de
groupes sociaux, il se dégage que pour nos enquêtés, les
rapports sociaux assez ouverts entre les habitants de leurs quartiers se nouent
sur un fond des discriminations à l'avantage des détenteurs du
pouvoir économique. Le contexte de la misère
socio-économique, selon nos enquêtés, donne à ce
critère toute sa puissance dans l'évaluation sociale d'un
individu. Les quelques élus dans cet empire de la pauvreté
témoignent de leur réussite sociale par les signes
matériels. Si toutes les catégories sociales, les hommes comme
les femmes entérinent ce critère d'évaluation sociale, nos
enquêtés estiment qu'il est plus placé à l'avant
plan par les femmes, les démunis et les parvenus. Par ailleurs, la
plupart des enquêtés le qualifient d'irrationnel dans la mesure
où, selon eux, c'est l'être qu'il faut évaluer et non
l'avoir. C'est cette perception et évaluation sociale par le seul avoir
matériel qui est à l'origine des conflits qui émaillent la
vie quotidienne dans leurs quartiers respectifs et engendre dans le chef de
certains habitants, selon le cas, un complexe d'infériorité ou de
supériorité.
La marginalisation des uns par les autres sur base de l'avoir
matériel entraîne de la part des marginalisés diverses
stratégies pour l'amélioration de leur situation sociale,
notamment la débrouille. D'autre part, les marginalisés avancent
des critères qu'ils considèrent comme rationnels qui se
rapportent aux atouts dont ils sont détenteurs à savoir le niveau
d'études, la moralité et la profession. Ils estiment que ce sont
ces critères qui peuvent être servir de référence
dans l'évaluation sociale d'un individu.
Tous ces résultats ne peuvent être intelligibles
sociologiquement que si nous les replaçons dans une perspective
théorique qui leur donne une signification en tenant compte bien entendu
du contexte de leur production. Cet effort entrepris dans le dernier chapitre
de notre travail, nous permettra de « mettre à jour la
complexité des pratiques sociales les plus ordinaires des
enquêtés, celles qui vont tellement de soi qu'elles finissent par
passer inaperçues, celles qu'on voit naturelles parce qu'elles ont
été naturalisées par l'ordre social : pratiques
économiques, alimentaires, scolaires, culturelles, religieuses ou
politiques, etc. »76(*)
CHAPITRE IV :
INTERPRETATION DES RESULTATS
La sociologie, pour le moins que nous puissions dire, est
cette science qui étudie les relations sociales. En effet, écrit
P. Corcuff, « l'objet même de la sociologie n'est ni la
société ni les individus envisagés comme des
entités séparées, mais les relations entre individus (au
sens large, et pas seulement les interactions de face-à-face), ainsi que
les univers objectivés qu'elles fabriquent et qui leur servent de
supports, en tant qu'ils sont constitutifs tout à la fois des individus
et des phénomènes sociaux. »77(*) Relations qui dérivent
de la production sociale dans les différentes instances de la
société et qui consacrent l'homogénéité ou
l'hétérogénéité, l'harmonie ou le conflit
entre acteurs impliqués dans ce procès de production. Ainsi, dans
l'étude des relations sociales la sociologie s'intéresse-t-elle
davantage aux processus sociaux à l'origine des inégalités
et des conflits qui assurent à tout système social son dynamisme.
Ce faisant, comme science des inégalités sociales, la sociologie
dévoile des mécanismes des différenciations sociales,
leurs essences, les pratiques qui les expriment ainsi que les logiques qui les
sous-tendent. Comme science des conflits « elle met en lumière
les oppositions agissantes au sein de la société à
plusieurs niveaux (des activités productives, des oppositions des forces
sociales, de l'expérimentation scientifique. »78(*)
Le titre de notre travail est évocateur de cette
perspective sociologique. En scrutant les affrontements qui résultent
des discriminations sociales qui émaillent les relations entre les
habitants de la Commune de Ngaba, il met en lumière les
hiérarchies et les luttes dont est le siège tout espace social
(qu'il soit micro, méso ou macro) et qui sont aux racines de son
dynamisme. Hiérarchies et luttes qui ne peuvent être intelligibles
que si l'on saisit la nature de chaque champ social, les différentes
espèces des atouts (capitaux) qu'il faut détenir pour y entrer,
se positionner et jouer efficacement, compte tenu des enjeux et, enfin, les
représentations que s'en font ceux qui y participent.
Ainsi, le présent chapitre, tel qu'il ressort
de son intitulé, discute des résultats d'enquête
exposés dans le chapitre précédent, afin de leur restituer
leur sens et signification. Cette ambition est prise en charge par
l'exploitation rationnelle des postulats de la méthode dialectique que
nous couplons à la théorie du champ nous servant de modèle
théorique.
Il nous revient, au titre d'application de cette
méthode, de relever les lois dialectiques au regard des contradictions
qu'elles ont réussi à éclairer. A la lumière de la
théorie de champ, nous saisissons les discriminations sociales comme
l'expression de la structuration de rapports entre les forces sociales qui
déploient autant des ressources pour acquérir, accumuler et
conserver le capital symbolique qui, dans le cas d'espèce, est le
prestige constituant ainsi un enjeu des luttes qui ont lieu dans ce champ
social. Ainsi que l'écrit P. Bourdieu, « le champ social
s'appréhende comme un espace construit sur la base de principes de
différenciation ou de distribution constitués par l'ensemble des
propriétés agissantes dans l'univers social
considéré, c'est-à-dire propres à conférer
à leur détenteur de la force, du pouvoir dans cet univers. Cet
espace multidimensionnel est un lieu de concurrence et de lutte dans la mesure
où les agents qui y participent peuvent déployer des
stratégies pour améliorer leur position en cherchant à
accumuler le capital agissant dans le champ où ils
opèrent. »79(*)
Dans le cas spécifique de nos enquêtes, nous
avons, à la suite des données récoltées,
constaté que, dans leurs interactions, les agents sociaux de Ngaba
déploient les ressources économiques, culturelles et, dans une
faible mesure, les ressources ethico-religieuses pour se procurer des positions
sociales avantageuses.
Nous examinerons successivement dans ce chapitre, la
conjoncture sociale qui secrète les discriminations sociales
analysées dans ce travail, la perception du champ social, des luttes,
des enjeux et des acteurs ainsi que leurs conséquences.
Section1. De la conjoncture
sociale des discriminations sociales à Ngaba
« Le monde, la société ne peut
être considérée comme une accumulation accidentelle
d'objets, des phénomènes détachés les uns des
autres, isolés et indépendants les uns des autres, mais comme un
tout uni, cohérent, où les phénomènes sont
liés organiquement entre eux, dépendant les uns des autres et se
conditionnent réciproquement ». Ce postulat dialectique
qualifié de la loi de la connexion universelle des
phénomènes impose, comme le suggère également la
cinématique sociale, la prise en compte des effets différentiels
qu'induit l'action combinée du temps et de l'espace sur toute
réalité sociale. Ce qui, dans le procès de production de
connaissance, est rendu par le concept marxiste de conjoncture politique,
c'est-à-dire « le moment actuel de la lutte des classes dans
une formation sociale ou dans un système de formations
sociales.»80(*)
Celle-ci se caractérise comme une synthèse des contradictions
d'une formation sociale.
Nous considérons comme conjoncture sociale, le moment
actuel qui produit les contradictions de notre société dans
lesquelles naissent et se développent les différentes
discriminations, les luttes à l'occasion desquelles les agents sociaux
déploient diverses stratégies pour conforter leur position
sociale. En d'autres termes, il s'agit d'insérer les discriminations
sociales dans cette conjoncture sociale, les rapprocher des autres faits dans
leurs rapports mutuels. En effet, nous estimons que les formes des
discriminations sociales, les conflits qu'elles génèrent, la
perception et l'évaluation sociale, le type de capital agissant ou
potentiel sont déterminés par la conjoncture sociale qui leur
donne signification et intelligence.
En rapport avec notre étude, et tel que le montrent
les résultats de nos enquêtes, la conjoncture sociale qui produit
les discriminations sociales est marquée par une principale
contradiction : le développement d'une économie
dépendante, plus marchande que productrice et donc peu créatrice
de richesse et d'emploi. Cette économie parce qu'elle désorganise
la production et s'articule autour de la sphère publique, finit par
provoquer la rareté tel que seule une minorité s'empare de
l'essentiel de la production nationale et laissant la majorité de la
population dans la misère la plus sombre. La fragilité de cette
économie a comme conséquence directe en milieu urbain
l'affirmation des clivages sociaux et l'aggravation des différences.
L'indigence et le dénuement du plus grand nombre contrastent violemment
avec l'opulence d'une infime minorité aménageant ainsi les
espaces d'expression de la conflictualité.
Cette contradiction est perceptible dans les réponses
de nos enquêtés relatives à la question de savoir quel est
le contexte qui favorise ces discriminations sociales. La majorité des
enquêtés a retenu la misère socio-économique comme
principal facteur explicatif des discriminations sociales dans leurs quartiers
respectifs. Examinons les conditions d'émergence de cette conjoncture
sociale.
4.1.1. Contraintes
économiques et restructuration du champ social.
L'état des lieux des études congolaises de
classes sociales effectué au premier point du premier chapitre a mis en
évidence la détermination du développement de
l'économie capitaliste introduite par la colonisation, sur la
constitution et la structuration de celles-ci. Le rôle joué dans
les différents segments de cette économie a
déterminé leur nature et leur configuration.
En effet, pour s'installer au Congo, les opérateurs
et les agents de cette économie ont procédé à
l'expropriation foncière des autochtones au profit de l'Etat et des
entreprises capitalistes. Cette mesure, ainsi que celles relatives au
régime fiscal et aux modalités des investissements, est à
l'origine de la paysannerie.
L'industrialisation et le développement de
l'agriculture industrielle qui s'en sont suivis, ont introduit le travail
salarié, principal facteur de la constitution du prolétariat
urbain et rural. Avec l'industrialisation apparaissent les villes modernes.
Celles-ci, dans leur développement, ont éclos des nouvelles
catégories sociales. Se présentant comme lieu de
sécurité, de salut et de promotion sociale, la ville provoque,
sans la contenir ni l'absorber,la ruée des populations fuyant les
aspérités de la vie campagnarde, le joug des pouvoirs
traditionnels et l'oppression ainsi que l'arbitraire des pouvoirs publics.
Cette affluence des ruraux vers la ville engendre le lumpen prolétariat
qui peuple des bidonvilles.
Un autre aspect du développement de l'économie
capitaliste, c'est le développement des échanges commerciaux
monétaires. La distribution des produits locaux et importés qui
se règle par les échanges monétaires a poussé une
partie de la population à s'engager dans les activités
commerciales. Il s'est ainsi constitué des nouvelles catégories
sociales de commerçants, colporteurs et des intermédiaires.
Pour assurer le succès de son entreprise, le
colonisateur s'est constitué des auxiliaires organiques opérant
comme agents d'occidentalisation, techniques et administratifs. Par
l'école, le colonisateur crée ainsi la nouvelle élite
locale qui a contribué à la consolidation du système
colonial et à sa remise en question au cours des mouvements des
indépendances. Ayant succédé au colonisateur, cette classe
va se muer en bourgeoisie compradore.
L'édifice social ainsi compartimenté
obéit à la rationalité et aux impératifs du mode de
production capitaliste. Ses composantes s'intègrent parfaitement aux
différentes branches constitutives de l'économie capitaliste.
Nous voyons, donc, que la structuration sociale est une dérivée
logique de l'instance économique bien structurée et bien
organisée.
Il apparaît ainsi que la détermination et la
hiérarchisation de ces différents groupes sociaux se
définissent en partant de la sphère par laquelle ils participent
à l'économie, elle-même assujettie à l'instruction.
C'est non sans raison que G. Nzongola a affirmé que le revenu et
l'instruction étaient des catégories de référence
dans la stratification sociale.
Dans la perspective de cette rationalité
économique, l'instruction et le revenu (la profession) étaient
des capitaux agissants dans la structuration de l'espace social. Le volume du
capital scolaire déterminait la chance d'entrée dans une
sphère de l'activité économique. Et chaque branche
d'activité, par le revenu qu'elle procurait, déterminait le
prestige de ses agents. Il en résulte que le prestige d'un agent social
découlait de sa profession. G. Balandier note à ce sujet que dans
les agglomérations urbaines surtout, les nouveaux moyens d'acquisition
de richesse ainsi que les échelles des salaires tendent à diviser
la population sur base des critères économiques,
professionnels81(*).
Les mutations socio-économiques et politiques
opérées par l'élite politique, comme le constate Emile
Ologoudou, eurent des conséquences dramatiques pour tout le pays. Elles
provoquèrent la dégradation constante du pouvoir d'achat, tant
dans les villes que dans les campagnes. Ce n'est pas seulement les populations
qui furent acculées à la misère, le pays lui-même
rejoint le peloton de tête des pays les plus pauvres du monde82(*).
Nous assistons désormais à l'implosion des
structures formelles de production économique, la plupart des
entreprises, publiques et privées étant condamnées
à la faillite(songeons ici à la zaïrianisation, aux pillages
de 1991 et 1993). Avec cette détérioration du tissu
économique s'amorce le
« désembourgeoisement » de la petite bourgeoisie,
surtout bureaucratique et la
« déprolétarisation » d'une bonne partie de
la masse ouvrière, soit du fait l'effritement sans
précédent des revenus, soit par la perte d'emploi. Ce qui se
traduit, sur le plan social par un appauvrissement progressif et continuel des
différentes couches sociales au point qu'elles frisent toutes
l'indigence. Ainsi, se développent les activités du secteur
informel, sous leurs divers aspects, pour se sauver de cet océan de
misère. Ces activités, ainsi que le témoignent plusieurs
études, se pratiquent dans toutes les couches de la
société.
Dans un tel environnement où les structures formelles
de production ne concernent qu'une petite portion de la population, où
toutes les catégories sociales frisent l'indigence et vivent de
l'informel et où le travail défini par rapport au savoir faire ou
à l'expertise ne garantit pas un mode de vie décent, la
profession qui montre le rôle joué dans l'économie (source
revenu) et l'instruction cessent d'être les catégories
opératoires pour le découpage de la société en
différentes strates. La lutte pour la survie étant âpre et
engageant toutes les couches sociales, il apparaît que la situation
de classe soit le fondement de la stratification sociale.
4.1.2. Elites
matérialistes et ostentation distinctive.
L'action de l'élite politique qui a
succédé au colonisateur a déclenché le processus de
déconstruction de cet édifice social. Ses motivations
matérialistes l'ont conduite à une accumulation spécifique
des richesses, notamment par le pillage des ressources nationales à son
seul profit. En effet, cette élite va profiter de son capital politique
pour se donner un capital économique. Elle a cherché, par divers
mécanismes, à contrôler l'appareil économique. Ou
encore, « faute de disposer du contrôle effectif de
l'appareil économique, elle concentre entre ses mains la majeure partie
des revenus distribués et par ce biais, influence le circuit
économique intérieur au niveau de la consommation, de la
structure des prix, du niveau de vie... »83(*) . Ainsi, par des
déviations et des raccourcis faciles, cette élite s'est
dotée des principaux moyens de production. C'est dans cette perspective
qu'il faut situer la zaïrianisation et d'autres programmes
économiques dont l'exécution a tracé la voie royale
à l'embourgeoisement de cette classe. Elle s'est aussi, comme le
colonisateur, fabriquée catégorie des auxiliaires recrutés
non pas en fonction de leur compétence et expertise mais sur base des
quotas ethniques ou tribaux, du militantisme au sein du parti-Etat (Mouvement
Populaire de la Révolution), du clientélisme, du
népotisme, etc.
Les ressources que s'est amassé cette couche sociale,
ont servit essentiellement à l'achat à l'étranger des
biens de prestige ou des biens de consommation de luxe. Ainsi, face au
dénuement de la majorité de la population, cette élite
oppose sa puissance matérielle pour marquer sa distinction sociale. En
effet, écrit Edouard Dominique Longandjo, «les membres de cette
classe (entrepreneurs, commerçants, industriels ou agro-industriels, les
hauts fonctionnaires de l'Etat, prêtres, etc.) dont l'être se
confond avec l'avoir, trouvent dans le deuil une occasion précieuse pour
paraître et témoigner ainsi le niveau de leur réussite
individuelle et, par échange symbolique, social. »84(*)
La consommation journalière de l'image de cette
élite par la masse a fini par suscité en celle-ci la tendance
intégrative, c'est-à-dire une inclinaison à devenir comme
elle (élite). Comme l'écrivait Ibn Kahldoun, repris par Kazadi
Kimbu, « les vaincus veulent toujours imiter le vainqueur dans ses
traits distinctifs, dans son vêtement, sa profession et toutes ses
conditions d'existence et de coutumes. »85(*)
Dans un tel environnement contrasté marqué par
le dénuement de la majorité et l'opulence ostensible de
l'élite, la position d'un individu ne peut être que
subordonnée à son pouvoir économique comme nous le verrons
dans la section suivante.
Section 2. Perception et
attribution des positions dans le champ social.
Reprenons, en guise des prolégomènes
à cette section, les termes combien expressifs de Jean Golfin à
propos de la stratification. « La société,
écrit-il, n'est pas un tout homogène et elle n'a rien d'une masse
amorphe et indifférenciée. Ses membres se répartissent en
un certain nombre de couches sociales auxquelles on donne le nom de strates,
emprunté à la géologie. Ce phénomène est
perçu et ressenti subjectivement dans la société, c'est
à ce sentiment que correspond la vision commune verticale que les
membres ont de l'ensemble social et qui fait dire quand on passe d'une strate
inférieure à une strate supérieure que l'on
monte. »86(*)
Ces propos de Jean Golfin sont révélateurs de
la structuration de tout système, mieux, de tout champ social. En
effet, tout champ social se structure à la suite de la polarisation des
positions considérées socialement comme supérieures ou
inférieures ou, comme dans le jargon bourdieusien, en positions
dominantes et en positions dominées. Ce qui assure la domination de
certaines positions sur les autres, c'est l'inégale répartition
du capital spécifique qui circule dans le champ social. Ce qui induit
que percevoir et évaluer un individu signifie déterminer sa
position dans le champ social en fonction du volume du capital
spécifique qu'il détient.
Revenons sur la conjoncture de l'informalité
décrite à la section précédente pour comprendre le
mode de stratification sociale en cours dans notre univers d'enquête.
L'économie informelle dans son développement répond
à la question « Who shalls survived ?» (Qui
survivra ?) que s'est posé J.L. Moreno aux années trente
à la suite de la grande crise qui avait secoué l'économie
mondiale. S'il est vrai que la survie à laquelle répond
l'économie informelle relève du biologique, le maintien en vie
des personnes confrontées à la crise économique, il est
aussi vrai qu'elle tient principalement du social, de l'existence sociale de
ces personnes en tant qu'êtres humains, maîtres du monde et de son
destin. Tel nous le déduisons des écrits de Janet MacGaffey sur
l'économie informelle qu'il qualifie d'économie de la
débrouillardise. Il écrit : « les
stratagèmes déployés afin de venir à bout des
difficultés de la vie quotidienne représentent non seulement la
lutte pour la survie, mais aussi, tantôt la résistance à
l'écrasement, tantôt la poursuite d'occasion qui facilitent la
mobilité sociale ou consolident le rang dans la
société. (C'est nous qui soulignons) »87(*). Dans un tel environnement,
marqué du sceau de la nécessité, les différences
sociales procèdent de la perception des conditions matérielles
d'existence. Il se développe ainsi dans la population en proie à
la crise une conscience de condition dont le mode le plus expressif est
l'aspiration au plus grand bien-être. Par conséquent, la
différence dans les conditions matérielles d'existence devient le
paramètre déterminant dans la hiérarchisation des
individus. Partant, c'est en termes des niveaux ou des rangs sociaux et non de
classes qu'est perçue la structure du champ social. Et les oppositions
entre ces niveaux s'articulent non pas autour de divergence des
intérêts mais plutôt d'inégale attribution de
l'honneur ou prestige social.
4.2.1. Assignation de la
condition sociale à Ngaba
La condition sociale, dans la terminologie
wébérienne, désigne la chance caractéristique pour
un individu d'accéder à l'« honneur social ».
Elle se matérialise dans la vie quotidienne par la considération
sociale que l'on témoigne à certaines personnes. Dans cette
optique, être considéré signifie jouir d'un honneur parce
que classé dans une position enviable par les autres membres de la
communauté. En d'autres termes, la considération sociale implique
l'assignation des rangs sociaux à des individus jugés dignes
d'y être placés compte tenu de leur profil. Il s'agit, en langage
managérial, d'affectation à des différents postes des
individus en fonction de leur compétence.
En rapport avec la considération sociale, les
résultats de nos enquêtes attestent que les habitants de Ngaba
n'enferment pas tout le monde dans le même panier. Ils assignent aux
individus des rangs sociaux et démontrent, par ce fait même, leur
conscience des différences sociales. Les réponses à la
question de savoir si dans leurs quartiers respectifs tout le monde jouit de la
même considération sociale, sont révélatrices
à ce propos : 73,5% des enquêtés ont répondu
que dans leurs quartiers, tout le monde ne jouit pas de la même
considération sociale.
Ce résultat corrobore le vécu quotidien. Il est
courant, à Ngaba, d'entendre, au titre d'attribution inégalitaire
de la considération sociale, des propos tels « keba azali
mutu munene » (faites attention, c'est un grand homme) ou
« alongua kuna, azali mutu pamba » (qu'il s'en
aille, il ne vaut rien) pour élever ou rabaisser un individu sur (de)
l'échelle sociale.
Ces propos, à notre avis, dénotent un processus
d'hétéro-évaluation et d'auto-évaluation par
lequel un individu apprécie le rang social des autres non seulement en
fonction du volume de leur capital agissant dans le champ social mais aussi par
rapport à ce qu'il détient lui-même. Par ce processus, on
débouche sur un constat de supériorité,
d'égalité ou d'infériorité statutaire de la
personne évalué.
D'autre part, dans la mesure où nous avons
mentionné plus haut que le champ social est un espace des rapports de
force entre les forces sociales en présence, il implique une vue commune
de l'ensemble des agents sur la situation du champ, c'est-à-dire les
principes de sa structuration et la distribution de ces principes dans les
différents corps qui constituent ce champ. Ce faisant, nous estimons que
l'attribution inégalitaire de la considération sociale induit une
dialectique de « crédulité-
incrédulité » qui marque de ses empreintes les
interrelations sociales à Ngaba. En effet, elle montre la croyance des
tous dans le capital agissant (argent), à son efficacité et sa
légitimité. Elle est en même temps une
incrédulité, c'est-à-dire un refus de reconnaissance d'un
autre capital autre que le capital agissant (comme la vertu éducative),
jugé d'illégitime dans un contexte
donné.
La question qui découle de cette observation de
l'inégale attribution de la considération sociale est celle de
savoir pourquoi tout le monde ne jouit pas de même considération
sociale. Il est évident, comme dit ci-haut, que la chance d'accès
à l'honneur social dépend de la situation, des ressources et de
la stratégie. La situation ayant été décrite, et
pour ne pas anticiper le débat prévu à la section 3 sur
les stratégies, examinons à présent les ressources qui
font bénéficier de la considération sociale dans la
Commune de Ngaba.
4.2.2. Assignation patrimoniale
des status sociaux.
La discussion amorcée au point
précédent a démontré l'inégale attribution
de la considération sociale parmi les habitants de Ngaba sans en
préciser le fondement. Par ailleurs, nous avons montré que cette
attribution inégalitaire induisait l'affection des individus à
des catégories sociales en fonction des ressources détenues. En
fonction de ces ressources, on occupe soit la position dominante, soit la
position dominée.
Mais quelles sont ces ressources qui, dans le contexte de
Ngaba, procurent l'honneur social ? Les résultats de nos
enquêtes en rapport avec cette question font apparaître qu'à
Ngaba, l'honneur social se fonde essentiellement sur le confort matériel
ainsi que l'ont affirmé 74% de nos enquêtés. En termes plus
explicites, la base d'évaluation sociale à Ngaba est
principalement matérielle et financière. La possession des biens
matériels confère plus de considération sociale que les
vertus morales, éducatives, ou le niveau d'instruction. Nous qualifions
d'assignation patrimoniale cette attribution des statuts sur base de
l'avoir matériel.
Partant de ce mode d'assignation statutaire, nos
enquêtés ont du champ social une vision dichotomique, mieux
dualiste. D'une part, ils situent dans un pôle « les gens
fortunés » (batu ya mbongo) et dans un autre les
« les démunis » (babola). Ils classent dans
le premier pôle, celui des dominants, tous ceux dont la vie quotidienne
et le confort matériel attestent qu'ils ont l'argent,
c'est-à-dire les gens qui peuvent manger à leur faim, mettre
leurs enfants dans de bonnes écoles, les faire soigner dans des
établissements médicaux réputés, acheter des
cadeaux, à l'occasion des fêtes et anniversaires, organiser des
deuils et retraits de deuil de façon somptueuse. Rentrent dans cette
catégorie les bana Lunda, les commerçants, les hauts
cadres des entreprises, des grands cambistes, etc.
Dans le deuxième pôle (celui des dominés)
ils rangent les agents de l'Etat, les enseignants tant du primaire, de
secondaire que du supérieur et des universités, les soldats et
officiers, les tenanciers des petits métiers et commerce, les
maraîchers et maraîchères, les sans emploi, bref, tous ceux
que E.D.O Longandjo appelle les Waleo-leo, c'est-à-dire qui
vivent au jour le jour grâce à la débrouille. Ce
pôle, remarquons-le, comprend même les catégories qui jadis
faisaient partie des classes moyennes et même de la petite bourgeoisie.
Par celle-ci, Falangani Mvondo Pashi entend, tel est aussi notre entendement,
« une catégorie faite de cadres de l'Etat, des
sociétés privées et para-étatiques
(ingénieurs, médecins, juristes, enseignants), donc des
universitaires ou assimilés, qui peuvent exercer diverses fonctions,
mais dont les revenus (officiels) proviennent principalement d'un salaire
régulier . Une famille de la petite bourgeoisie est une famille qui peut
vivre décemment de son salaire. »88(*). Ces salariés, comme
les décrit Gauthier de Villers, étaient alors des hommes, et ces
hommes, grâces à des salaires qui leur permettaient d'assurer
à leurs familles un mieux-vivre, étaient des maîtres
incontestés et respectés. Ils sont, à ce jour,
détrônés et vivent dans la honte une inversion de
rôles du fait de la désalarisation massive de
l'activité économique, liée à la suppression de
nombre d'emplois due à la fermeture d'entreprises et de la
réduction d'activités, mais également -en particulier dans
le secteur public- à la valeur dérisoire de
rémunérations qui, en outre, ne sont plus assurés
qu'irrégulièrement.89(*) La précarité de leur
rémunération entraînant la précarité de leurs
conditions matérielles d'existence, ils éprouvent le sentiment de
déclassement social « désembourgeoisement »
et passent aux yeux des habitants de Ngaba pour les misérables et donc
de gens de moindre considération sociale.
Nous le voyons, l'argent s'avère donc un
élément qui fait bénéficier de la valeur ou
l'estime et le poids social à tel individu plutôt qu'à tel
autre. Ceci transparaît dans le remord que ressentent certains
enquêtés interrogés à ce sujet. Ils déclarent
que dans leurs quartiers ce sont les « gens
fortunés » (les batu ya mbongo) qui
bénéficient de l'honneur social. Cette attitude,
renchérissent-ils, se fait observer même au sein des familles
où on accorde de plus en plus crédit, honneur et
respectabilité aux membres « nantis », même
s'ils sont cadets ou moins compétents pour résoudre tel ou tel
problème. Ce sont eux qui sont consultés en premier lieu s'il y a
un problème en famille, ils peuvent même décider
unilatéralement de certaines questions qui nécessitaient jadis la
convocation du conseil de la famille.
Le confort matériel se laisse apercevoir par l'aisance
de vie ou le train de vie élevé par rapport à la moyenne
des habitants d'un quartier. Cette aisance de vie est perçue à
travers certains indicateurs dont les plus importants sont le logement,
l'alimentation, l'habillement et le moyen de déplacement qui, en fait,
constituent les maillons forts de la chaîne des difficultés
rencontrées par les habitants de la Commune de Ngaba.
Au sujet du logement, il convient de rappeler que Ngaba est
une Commune d'auto-construction où du fait de la pauvreté de la
majorité des habitants, il s'est développé un logement
trop précaire à double point de vue : la qualité de
construction et le statut d'occupation. La plupart des maisons sont construites
en parpaing, de petite dimension et cloisonnées en deux pièces
généralement. En outre, du fait de l'absence d'une politique
nationale en matière de logement et des prix exorbitants des parcelles,
il s'y est développé un logement locatif qui accueille tous ceux
qui n'ont pas de parcelle. Dans ces conditions, un logement décent est
un privilège auquel n'accède qu'une minorité. Ainsi, avoir
une parcelle, surtout une parcelle clôturée, une maison
décemment construite et particulièrement dans le quartier
« Righini II» (en réalité quartier
Mbulambemba), fait émerger quelqu'un du lot et le place dans une
« autre » catégorie sociale. Si celle-ci est
somptueusement équipée, cela est un motif de fierté pour
son propriétaire et invite à ce qu'il soit socialement
honoré.
Vient ensuite le domaine de l'alimentation. A Ngaba, manger
régulièrement chaque jour est un parcours de combattant. En cette
matière, l'évaluation sociale porte sur la fréquence de
repas, la quantité et la qualité de la nourriture
consommée et la manière de la consommer. Sont qualifiés de
« batu ya mbongo », ceux qui s'offrent trois repas
par jour ; prennent un « déjeuner lourd » (du
thé, du lait, omelette, margarine, etc.); mangent
régulièrement la viande et se servent des couverts (fourchette,
couteau, etc.). Aux yeux des habitants de Ngaba, nous a
révélé un enquêté, manger les légumes
tous les jours est une expression de la pauvreté et une indignité
pour ceux qui possèdent l'argent. C'est dans cette optique qu'il
convient de placer des propos méprisants tels que « oliaka
nini ya malonga, biso nyonso toliaka kaka matembele » (que
mangez-vous de spécifique, nous tous nous mangeons de feuilles de
patates), lorsqu'il y a une dispute entre deux familles dont l'une est
perçue ou se prend comme (pour) nantie. La part de l'alimentation dans
l'évaluation sociale d'un individu est si prégnante qu'elle est
à l'origine de plusieurs conflits entre familles, surtout lorsque
celles-ci cohabitent dans une même parcelle.
C'est dans le domaine de l'habillement que se lisent
généralement les différences sociales. Etre capable de
renouveler régulièrement sa garde-robe, et
particulièrement se procurer les habits coûteux, place un individu
dans un status social élevé et procure prestige. Ici, il sied de
mentionner le plébiscite des habits importés de l'Europe ou des
Amériques dont le port brise l'anonymat et hisse l'individu au sommet de
la hiérarchie sociale.
Enfin, la possession d'une voiture est, pour la
majorité des habitants de Ngaba, un signe de fortune et montre un sens
de responsabilité et d'organisation élevé du
propriétaire.
Au regard des faits exposés ci-haut, le confort
matériel dévient non pas un indice essentiel de la place dans le
système de stratification mais crée cette place. Il (le confort
matériel) est, ce faisant, la cause de la position d'un statut dans la
hiérarchie. Réunir toutes ces ressources (logement décent,
alimentation équilibrée, habillement fourni et voiture)
confèrent une position privilégiée sur l'échelle
sociale ; en être dépourvu relègue dans le statut
inférieur. Il résulte que la perception et l'évaluation
sociale d'un individu repose non pas sur ses qualités, moins encore sur
ses réalisations, mais plutôt sur son acquis. Ce qui, en
filigrane, laisse transparaître une « conscience de
condition » caractérisant cette population de Ngaba. Celle-ci,
en effet, à la suite de Clément Mwabila Malela90(*)est une reconnaissance d'une
situation sociale, d'une position dans la stratification sociale en
référence aux conditions matérielles des autres
catégories sociales. Ainsi, comme le fait remarquer Jean Cazeneuve, la
mobilité sociale est désordonnée dans le pays en voie de
développement. Les stratifications en milieu urbain sont plus
génératrices de modes de vie différents que de conscience
de classe91(*). Cette
appréciation comparative de sa position sociale suscite un sentiment
tantôt de jouissance de privilèges matériels qui
confèrent un niveau social supérieur tantôt un sentiment de
privation de ces privilèges recalant dans couches inférieures.
Comme nous pouvons le remarquer, la perception dans la
perspective de la « conscience de condition », se situe au
« niveau micro-dimensionnel, c'est-à-dire le niveau de la vie
quotidienne, de l'agir immédiat, de ce qui, dans les comportements des
acteurs sociaux, est directement perceptible et donc maîtrisable... Elle
ne cerne pas le niveau macro-dimensionnel de la réalité sociale
qui retient les structures qui informent socialement ou culturellement la
globalité structurale de l'ensemble sociale. La perception de ce niveau
macro-dimensionnel requiert la médiation d'une analyse sociale explicite
ou implicite ... car elle concerne les structures sociales ou culturelles, les
rapports sociaux, autrement dit la globalité de l'ensemble social. Il
faut une analyse des facteurs socio-culturels pour percevoir des liaisons non
visibles au niveau de l'action immédiate »92(*).
Par ailleurs, ces faits suggèrent que la
majorité de la population de Ngaba baigne dans la culture de
pauvreté qui caractérise la plupart des congolais depuis quelques
décennies. Cette culture suscite tantôt un sentiment
d'infériorité, de supériorité, tantôt celui
d'adversité à l'égard des personnes menant un train de vie
moyen qui sont perçues comme riches ou supérieures ou encore
comme auteurs de leur paupérisation, c'est-à-dire cause de leur
marginalité sociale.
Cela se comprend aisément lorsque nous prenons en
compte le contexte de paupérisation généralisée
dans lequel les congolais pataugent depuis longtemps. De par ce contexte,
manger bien et à sa faim, avoir une voiture, résider dans une
maison décente, ...sont perçus comme des indicateurs de richesses
ou de promotion sociale, sinon de vantardise, d'ostentation, de dépenses
inutiles. Nous enregistrons là un effet de la pression sociale sur les
perceptions qui entraîne certaines personnes à développer
des motivations subjectives, des stéréotypes.
Le confort matériel est-il un facteur unique et
exclusif de la considération sociale ? Disons, à la suite de
Michel De Coster que « si la facilité d'accès aux biens
tend à devenir à la limite une condition nécessaire de
l'appartenance à un groupement de prestige, elle n'en est jamais la
condition suffisante. (...) la considération ou l'honneur qui marque le
groupement de prestige ne sont pas d'attributs nécessairement
liés à une situation de classe. Au contraire, l'honneur prend
d'ordinaire nettement ses distances avec les prétentions de la
propriété et de l'argent quand il ne les moque point : les
lazzis qui poursuivent les parvenus ou les nouveaux riches sont bien connus
à cet égard... »93(*)
S'il est vrai que le confort matériel est le mode
dominant de perception et d'évaluation sociale à Ngaba,
l'instruction et les vertus morales pèsent aussi, quoique
subsidiairement, dans l'estimation du rang et de la valeur sociale d'un
individu, comme l'ont affirmé quelques enquêtés.
L'instruction nourrit encore les rêves d'ascension sociale de certaines
personnes et mobilisent les énergies, comme le démontrent les
manifestations organisées à l'occasion des publications des
résultats des examens d'Etat et de collation des grades
académiques dans les universités et instituts supérieurs
de la ville de Kinshasa. A propos de l'instruction, Drachoussof rapporte que
dans la zone tropicale plus encore qu'en Occident, une instruction plus
élevée est souvent le passeport qui fait monter un homme des
rangs inférieurs de la société dans les classes
moyennes94(*). C'est ainsi
que, constate Ngokwey, ce besoin d'ascension sociale par l'instruction peut se
mesurer à l'intérêt porté par la population au
développement de l'enseignement, au surpeuplement des classes et
à l'augmentation du taux de scolarisation des filles. Subsidiairement,
parce que son prestige a été érodé par le
chômage auquel sont confrontés la plupart des
diplômés, le mauvais traitement qui leur est réservé
dans l'administration publique et par la baisse du niveau constaté
depuis des années qui traduit la débâcle du système
d'enseignement au Congo-Kinshasa. Toutefois, l'instruction continue à
fasciner comme un atout virtuel qui peut ouvrir le chemin de la mobilité
sociale, à condition qu'elle procure un emploi
rémunérateur.
Même si l'instruction en soi ne n'attribue pas une place
de choix dans la hiérarchie des statuts, il reste néanmoins une
ressource potentielle et un étalon d'appréciation du poids social
d'un individu. Cela ressort, dans la quotidienneté de Ngaba, des
allégations positives formulées au bénéfice de
certaines personnes en termes de « crâne » ou
« mokua bongo » (tête bien faite) pour
attester la solidité de leur niveau d'instruction le distinguant non
seulement du commun des mortels, mais aussi des autres
« alphabétisés ». Par ailleurs,
l'instruction, avons-nous constater, ragaillardit la position de ceux qui
jouissent d'un pouvoir matériel et constitue un élément de
discrimination entre ceux-ci. Ainsi, un intellectuel qui a une commodité
matérielle jouit de plus de prestige qu'un nantis analphabète.
Tout se passe comme si l'instruction ne peut procurer de la
considération sociale que si elle est associée à un bon
standing social.
Enfin, la spiritualité, comme l'ont montré nos
enquêtes, intervient dans l'évaluation sociale d'un individu et
place les serviteurs de Dieu en bonne position sur l'échelle sociale.
Ces « Ministres de Dieu », comme ils
préfèrent être appelés, trouvent leur pouvoir
surtout dans le contexte de l'hyper-religiosité qui prévaut non
seulement à Ngaba, mais dans toute la ville de Kinshasa ainsi que l'ont
démontré diverses études, notamment celle de Kapagama. Les
données relatives à l'identification des enquêtés
l'attestent également, tous nos ont déclaré appartenir
à une église et la majorité d'entre eux prient dans les
églises de réveil. Le prestige des « Ministres de
Dieu » repose sur leur pouvoir présumé ou réel
d'opérer les miracles, de dispenser la bénédiction, de
chasser les démons de servitude, de pauvreté et de libérer
de liens de la coutume, etc. Bref, le pouvoir d'ouvrir la voie au bonheur.
Nous voyons se structurer le champ social autour des forces
sociales qui monopolisent les atouts indispensables dans la trame des relations
sociales (du jeu social). Rappelons, dans le contexte de Ngaba, ces
différents pouvoirs, à savoir : le confort matériel,
l'instruction et la spiritualité qui, surtout dans le milieu
féminin, s'affirme de plus en plus comme facteur structurant des
rapports sociaux. Mais, dans les interrelations quotidiennes, le confort
matériel comme pouvoir, inféode l'instruction et la
spiritualité et les soumet à sa logique. Ces deux
dernières ne peuvent émerger que si elles s'associent à
lui.
Ainsi, les positions les plus en vue dans le champ social sont
celles qui se structurent autour de l'avoir matériel et qui se
polarisent dans deux groupements « antagonistes », à
savoir : les nantis appelés de « batu ya
mbongo », une espèce de « strate
d'argent » et les démunis, les
« babola », les misérables. C'est dans ces
deux groupements que sont classés les agents sociaux auxquels est
inégalement attribuée la considération sociale, bien
sûr en faveur des premiers. Les résultats de nos enquêtes
sont éloquents à ce sujet : 76,5% des enquêtés
ont affirmé que dans leurs quartiers respectifs, ce sont les
détenteurs d'un avoir économique remarquable qui jouissent d'une
considération sociale. Ces appréciations montrent toutes le
sentiment qu'a chacun d'une stratification dualiste des habitants de Ngaba
opposant nantis et démunis, dualisme qui se renforce avec les
disparités sociales dues à l'exaspération de misère
socio-économique. Le « luxe » des uns devient
insupportable quand la pauvreté de la masse s'affirme. Ce sentiment de
la dualité des positions sociales s'exprime par des adages tels que
« matanga ya mozui eleki fête ya mobola »
(le deuil chez un nanti vaut plus que la fête d'un pauvre). Ce qui ne va
pas sans heurts qui résultent souvent du décalage que les agents
sociaux observent entre le classement et l'auto-classement dans ces deux
groupements. Nous y reviendrons.
Il se dessine une structure des rapports qui met en
présence les fractions dominantes et les fractions dominées
déterminées par la structure de répartition des capitaux
qui y détermine la position sociale dans l'un ou l'autre camp.
Vraisemblablement, cette structure se présente comme suit dans le
contexte de Ngaba :
La fraction dominante est constituée des
détenteurs du pouvoir économique. Dans cette fraction, les nantis
instruits détiennent le monopole du prestige social sur les nantis moins
ou non instruits. La fraction dominée se forme des démunis parmi
lesquels les personnes instruites sont en position privilégiée
par rapport aux analphabètes. Les premiers du fait de leur instruction
estiment avoir accéder à une civilisation
supérieure et nourrissent l'espoir de voir leur situation
s'améliorer alors qu'ils croient que les horizons sont totalement
bouchés pour les second.
4.2.3. Contraintes
existentielles, capital social et fluidité des frontières entre
groupements sociaux.
Les frontières entre ces deux catégories
sociales (gens fortunés et démunis) ne sont pas étanches.
Elles sont fluides et labiles, et les positions, dans ces catégories,
sont tellement instables et précaires que l'on peut basculer facilement
dans l'une ou l'autre d'entre elles. La chute des gens fortunés dans
l'infamie des démunis et l'ascension de ces derniers dans le cercle des
privilégiés se fait sans régulation. D'autre part, comme
nous l'ont révélé la majorité des
enquêtés (87,5%) voir tableau XII, les habitants de leurs
quartiers respectifs se fréquentent, aussi bien entre les démunis
que entre ceux-ci et les gens fortunés. Dans leur comportement
quotidien, les habitants de la Commune de Ngaba sont mus par la volonté
d'élargir et de renforcer, chacun en ce qui le concerne, le
réseau de relations sociales tant au niveau de la famille, de la
parcelle, de l'avenue, du quartier que de la Commune et de la Ville. C'est
à ce titre que les « gens fortunés » ou
perçus comme tels et les démunis se trouvent impliqués
dans plusieurs réseaux polymorphes des relations sociales
liquéfiant ainsi les barrières sociales entre eux.
Il ressort de l'observation minutieuse que cela tient de la
nécessité existentielle. Nombreux de nos enquêtés,
à la question de savoir pourquoi les gens se fréquentent
beaucoup, ont justifié la forte fréquence des contacts sociaux
par le fait que personne dans leur quartier ne peut se suffire à
lui-même et que grâce aux bonnes relations avec les autres, il
était possible de résoudre plusieurs problèmes que l'on
rencontre dans la vie quotidienne. Ce point de vue des enquêtés
corrobore les perspectives théoriques développées par S.
Shomba dans le Séminaire des Espaces, morphologie et modèles
culturels du Congo contemporain, destiné aux doctorands en Sociologie et
Anthropologie. Il écrit à ce propos que « l'entraide et
l'échange de services entre voisins sont des comportements
répandus en milieu populaire. La serviabilité, la
générosité, la solidarité y sont fort
valorisées. Ce système d'entraide comporte des avantages
matériels immédiats. Il permet de mieux faire face aux coups durs
de l'existence : manque d'argent, maladie, vieillesse ...autant de
difficultés pour lesquelles on peut compter sur l'aide de ses proches.
Le « faire ensemble » est le langage de prédilection
des contacts sociaux ».95(*)
Les enquêtes que nous avons menées en janvier
2004 à Ngaba dans le cadre de ce séminaire nous ont permis de
nous rendre compte de l'importance des relations sociales, surtout avec les
voisins, non seulement comme palliatif de la précarité
matérielle mais aussi comme facteur de réduction de la distance
sociale. Une certaine convivialité semble sceller les rapports sociaux
dans notre univers d'enquête. Les voisins se demandent et
s'échangent des biens et des services de tout genre, du sel au fer
à repasser en passant par l'huile, les allumettes, l'eau fraîche
(refroidie au frigo), le savon, la farine de maïs ou de manioc, etc. Ils
s'invitent mutuellement à la table, les uns suivent la
télévision chez les autres, sollicitent leur réchaud ou
brasero pour préparer la nourriture. En cas de
coupure de fourniture d'électricité ou d'eau, on se raccorde au
réseau du voisin ou on va y puiser l'eau de puits. Par-dessus tout, on
se prête les habits, souliers, bijoux, etc. pour certaines sorties. Cette
convivialité compense la dureté de la vie. Elle atténue
les stress et les frustrations qui résultent de dénuement dans
lequel vivent les enquêtés et rend quasi inexistants les cas de
suicide et de dépression mentale souvent rencontrés dans les
sociétés trop individualistes de
l' « Occident ».
La constitution, la gestion et le maintien du capital social,
et par conséquent la réduction de la distance sociale, se
réalisent par le biais de plusieurs mécanismes. D'abord, dans les
mutuelles tribales qui réunissent « gens
fortunés » et démunis. Ces mutuelles dont la
finalité est de raviver la tradition ancestrale d'une communauté
tribale, constituent des espaces de rapprochement entre les différentes
catégories sociales ; un moment d'affirmation ou de confession de
l'unité entre les nantis et les démunis d'une ethnie et une
instance de redistribution des avoirs des nantis en faveur de démunis
à travers les cotisations qu'ils concèdent pour le compte de la
mutuelle. Ensuite, le capital social se gère à travers la
solidarité témoignée aux habitants de l'avenue ou du
quartier à l'occasion de certains drames existentiels, notamment le
deuil. En effet, l'assistance à la famille éprouvée, quel
que soit son train de vie semble être la règle d'or. Toutes les
catégories sociales, les jeunes, les femmes et les hommes s'illustrent
mieux en cette matière. Dès que le décès est
annoncé, les jeunes se déploient dans le quartier pour collecter
l'aumône en faveur de la famille éprouvée. Ils courent dans
toutes les directions pour négocier et obtenir le catafalque, la
chapelle ardente, le cercueil, le corbillard, etc. d'autres se chargent de
creuser la tombe où sera enseveli le mort. Et le jour de l'inhumation,
ils portent le cercueil sur les épaules, font la procession pour
sublimer l'illustre disparu et l'accompagne jusqu'à sa dernière
demeure. Ils animent les veillées mortuaires. Les femmes viennent
compatir avec leur consoeur éprouvée et pleurent avec elle son
mort qui devient leur mort, s'activent à préparer le repas qui
sera servi à l'assistance. Les hommes eux viennent présenter
leurs condoléances le soir après les courses de survie. Quand la
nuit tombe, tout le monde la passe au lieu mortuaire. C'est cette chaleur
humaine qui caractérise la vie dans la Commune de Ngaba et lui donne un
sens dans une société où la misère côtoie la
majorité de la population.
Le réseau de relations n'est pas seulement profitable
aux seuls démunis mais aussi aux gens fortunés, surtout lorsque
ceux-ci ont leurs activités dans la Commune, comme l'a observé P.
Kapagama96(*). Parce que
l'économie informelle procède de la confiance et des liens
sociaux, la fidélisation de la clientèle passe par des bons
rapports qu'on entretient avec les gens de son quartier qui dorénavant
s'approvisionneront dans l'établissement d'une
« connaissance » et espérer bénéficier
à l'avenir des crédits. Ainsi, étant appelé
à exercer leurs activités dans le milieu pauvre, les nantis
entretiennent de relations avec leurs voisins et autres personnes pour
créer une bonne image d'eux-mêmes et maintenir la
clientèle.
Au delà des profits matériels que rapporte le
capital social, il sied de mentionner le profit symbolique qu'il procure (aux
gens fortunés) et qui semble motiver le maintien des contacts sociaux
avec les autres habitants du quartier. Ainsi, par ses contacts, ses
interventions ou implications dans la recherche des solutions aux
problèmes qui surviennent aux voisins (maladie, deuil, etc.), le nanti
qualifié de social ou cool, c'est-à-dire d'un abord
facile bénéficie d'un prestige social ou de la
considération dans le quartier. En passant pour un homme simple, comme
s'il niait son statut de nanti et se rapprochant de plus en plus des
démunis, il se distingue des autres nantis qui vivent repliés sur
eux-mêmes que les jeunes qualifient de « vieux
bombases », c'est-à-dire qui friment à cause de
leur avoir matériel.
En outre, le capital social participe aussi au
réconfort de la position social d'un individu. En effet, Certaines
personnes du fait de leurs relations avec des personnalités de la Ville
jouissent d'un prestige et considèrent qu'elles occupent une position
privilégiée par rapport aux habitants de leur quartier. Telle est
la situation de ceux qu'on appelle généralement les
« ndeko ya... », C'est-à-dire les
frères de... (telle personnalité), des conseillers ou amis des
ministres, des Pdg, Officier militaire, etc. Ils exploitent la position sociale
de cette personnalité pour s'attribuer une place dans la
hiérarchie des rangs. De manière générale, ils
distinguent par leur arrogance, triomphalisme et exhibitionnisme.
Terminons ce point par l'examen de la nature des rapports
entre les « gens fortunés » et les démunis.
Il nous est difficile d'affirmer la domination et d'exploitation politique,
économique et culturelle des « gens
fortunés » sur les démunis. Même si ceux-la
influencent négativement la vie de ces derniers du fait de leur
intervention sur les marchés des biens et des services, il s'observe que
les marginalisés font irruption sur ces marchés pour leur
contester le monopole. Comme l'écrit Janet MacGaffey, « The
rich and powerfull have superior access to resources and consolidate their
social position by participating in the second economy, but they have non
institutionalized means to monopolize its activities, many of witch are
accessible to the general population. » 97(*)
La domination des gens fortunés sur les démunis
tel que cela nous paraît, s'exerce sur le plan symbolique par la
détention et la manipulation exclusive des biens qui procure le prestige
social.
4.2.4. Reconnaissance et
acceptabilité de ces pouvoirs.
Nous avons, au point b de ce chapitre relatif à
l'inégale attribution statutaire, déduit des résultats de
nos enquêtes que la discrimination en matière de l'honneur social
était, d'une part, l'expression d'une affectation des individus à
des statuts ou rangs sociaux différents en fonction de certaines
ressources valorisées ayant cours légal dans le champ social et,
d'autre part, elle signifiait une croyance par tous ceux qui y opèrent
dans les principes de sa structuration. Cette croyance est vécue comme
un mode des relations stratégiques entre les individus ou groupes
d'individus qui mobilisent les ressources pour occuper la situation la plus
favorable possible. Comme l'écrivent Accardo et Corccuf,
« la réalité sociale est aussi un rapport de sens et
que toute domination sociale (celle d'un individu, d'un groupe, d'une classe,
d'une nation, etc. (....) doit être reconnue, acceptée comme
légitime, c'est-à-dire prendre un sens positif de
préférence, de sorte que les dominés eux-mêmes
adhèrent au principe de leur propre domination et se sentent solidaires
des dominants dans un même consensus sur l'ordre
établi ». 98(*)
En effet, à la question de savoir si
l'évaluation sociale sur base de l'avoir matériel était
accepté par les habitants de leurs quartiers, 75.5% des
enquêtés ont répondu par l'affirmative. Ce point de vue des
enquêtés dénotent de la reconnaissance du fondement
même de la domination à la fois par les dominants et les
dominés. La reconnaissance du fondement matérialiste de la
domination, dans le contexte de notre étude, transparaît dans le
sentiment que les uns et les autres ont de leur situation, sentiment qui
s'observe dans le complexe de supériorité et
d'infériorité que font montre les « gens
fortunés » et les démunis.
En effet, au cours de nos enquêtes, nous avons
constaté que la majorité des diplômés des instituts
supérieurs et d'universités, surtout ceux en chômage,
cultivent un complexe d'infériorité vis-à-vis de
« gens fortunés » et manifestaient le sentiment
d'être marginalisés, seulement parce qu'ils n'ont pas d'argent.
Ils jalousent les conditions de vie des « gens
fortunés » qu'ils qualifient de parvenus. Beaucoup d'entre eux
nous confiaient au cours de nos entretiens que «ils étaient
bouleversés par l'écart des conditions de vie qui s'est
créé entre eux (entendez les universitaires) et ces parvenus.
Dans un pays sérieux (organisé) nous devrions avoir un niveau de
vie convenable et supérieur à celui de ces parvenus qui n'ont pas
notre niveau de connaissance »
Mais la question importante que nous pouvons nous poser est
celle de savoir pourquoi nos enquêtés, qui, par ailleurs,
déclarent que les critères d'évaluation sociale en cours
dans leur milieu sont irrationnels, les acceptent-ils en tant que tels. C'est
ici qu'il convient de mentionner les effets des structures objectives sur la
subjectivité des individus. Nous avons, dans les pages
précédentes, relevé que, du fait du dénuement dans
lequel la majorité patauge depuis plusieurs années, ils ont fini
par développé la culture de pauvreté. Dans ce contexte,
les gens sont trop dépendants des satisfactions matérielles,
reflétant ainsi leur conscience de condition.
Sans affirmer que la croyance dans les principes de la
structuration du champ social signifie l'acceptation de la domination, disons
simplement qu'il s'agit là d'une résignation traduisant leur
incapacité ou impuissance d'agir sur l'ordre social qui les marginalise.
En effet, nombreux d'entre eux projettent mettre à profit la
première occasion pour modifier leur condition sociale.
Section 3. Jeu et enjeu des
discriminations sociales.
Les discriminations sociales, spécifiquement celles
relatives à l'inégale attribution de la considération
sociale, informent de manière plus explicite les modalités du
fonctionnement du champ social qu'expriment les interrelations quotidiennes
entre les habitants de la Commune de Ngaba. Rappelons ici, comme nous l'avons
mentionné dans la deuxième section du premier chapitre, que le
champ social est un espace de différenciation et de luttes autour de
certains enjeux spécifiques pour lesquels les agents sociaux
investissent des capitaux et élaborent des stratégies. Par
ailleurs, comme tout processus social, les discriminations sociales supposent
l'existence des acteurs, le déroulement du jeu et les enjeux.
4.3.1. Acteurs.
Par acteurs nous entendons à la fois des individus
producteurs et victimes des discriminations sociales. Les acteurs qui
s'impliquent dans le jeu discriminatoire varient en fonction de la nature
même de la discrimination. Ainsi, les discriminations fondées sur
l'avoir matériel peuvent mettre en lisse des acteurs autres que ceux
qu'opposent le niveau d'instruction ou la moralité.
Les résultats de nos enquêtes établissent
que les discriminations fondées sur l'avoir matériel, même
si elles relèvent de toutes les catégories sociales et de tous
les sexes, sont plus véhiculées par les femmes et les parvenus,
alors que celles reposant sur le niveau d'instruction sont répandus plus
par les hommes et les intellectuels. C'est ce qui ressort des questions de
savoir quels sont le sexe et la catégorie sociale les plus
impliqués dans les discriminations sociales ? (Voir tableaux XVII
et XVIII).
Ces acteurs mettent en avant plan les atouts qu'ils estiment
les élever socialement et relèguent au second ceux dont ils sont
dépourvus et qui réduiraient leur côte sociale. Ainsi en
est-il des femmes et des parvenus qui, selon nos enquêtés, mettent
plus l'accent sur l'avoir matériel parce qu'ils sont faiblement pourvus
en capital culturel. De leur côté, les intellectuels dont les
conditions matérielles frisent l'indigence plaident en faveur du capital
culturel comme critère d'évaluation sociale. Ceci est
corrélatif au point de vue de P. Bourdieu selon lequel le fondement du
principe de pertinence qui est mis en oeuvre par la perception du monde social
et qui définit l'ensemble des caractéristiques des choses ou des
personnes susceptibles d'être perçues, et perçues comme
intéressantes, positivement ou négativement, par l'ensemble de
ceux qui mettent en oeuvre ces schèmes, n'est autre chose que
l'intérêt que les individus ou les groupes
considérés ont à reconnaître ce trait et
l'appartenance de l'individu considéré à l'ensemble
défini par ce tarit : l'intérêt pour l'aspect
aperçu n'est jamais complètement indépendant de
l'intérêt à l'apercevoir. Cela se voit bien dans toutes
les classifications bâties autour d'un trait stigmatisé qui,
(...), isolent ce qui est intéressant de tout le reste, (...), ainsi
renvoyé à la grisaille de l'indifférent et de
l'indifférencié99(*).
Par ailleurs, il ressort de l'analyse des opinions des
enquêtés que cette mise à l'avant d'un critère
d'évaluation sociale par une catégorie donnée des
personnes constitue pour elles une réaction anticipée à
toute entreprise qui les inférioriserait en recourant à un autre
critère. Telle est, par exemple, la situation des parvenus,
c'est-à-dire des gens qui n'ont pas un profil scolaire imposant mais qui
ont un pouvoir économique remarquable. Reconnaissant leur
infériorité en capital culturel, ils l'évitent en le
stigmatisant et en exhibant leur avoir matériel comme seul
référence définitionnelle de leur identité sociale.
Il en découle que, comme l'écrit P. Bourdieu, l'identité
sociale est enjeu d'une lutte dans laquelle l'individu ou le groupe social et,
plus généralement, tout sujet social en tant qu'il est un objet
potentiel de catégorisation, ne peut riposter à la perception
partiale qui l'enferme dans une de ses propriétés qu'en mettant
en avant, pour se définir, la meilleure de ses propriétés
et, plus généralement, en luttant pour imposer le système
de classement le plus favorable à ses propriétés ou encore
pour donner au système de classement dominant le contenu le mieux fait
pour mettre en valeur ce qu'il a et ce qu'il est.100(*) Celui-ci amène
des individus à la recherche d'une distinction sociale devant
témoigner le rang social d'un individu.
4.3.2. Jeu : labelage ou
étiquetage.
L'assignation d'un individu à un rang social se fait
par un jeu de labelage. Celui-ci consiste en la qualification (par des
épithètes) d'un individu induisant, par ce fait même, la
définition de sa position dans le champ social. Le labelage
apparaît ainsi comme « le jugement d'attribution pratique par
lequel on assigne quelqu'un à un rang ou un status en s'adressant
à lui d'une certaine manière et en s'assignant du même coup
à un status. « Ces jugements d'attribution sont, en fait,
des actes d'accusation, des catégorèmes au sens originel, et qui,
comme l'injure, ne veulent connaître qu'une seule des
propriétés constitutives de l'identité sociale d'un
individu ou d'un groupe... »101(*) Sa finalité est l'octroi ou le déni
d'un prestige social.
Il existe deux types de labelage. Le premier vise à
situer directement une personne dans une catégorie sociale
donnée, quelle soit supérieure ou inférieure ; le
second à rappeler à l'ordre les usurpateurs des symboles des
rangs auxquelles ils n'appartiennent pas encore.
Dans le premier type nous retrouvons des syntagmes tels que
Boss, Muana Lunda, Mopao pour désigner des
« gens fortunés », qui ont la facilité de
manipuler l'argent. A leur côté, on rencontre les prezo
ou présidents, les mikilistes, les grands prêtres. Il
s'agit de ceux qui, du fait de leur profession, de leur séjour en
« Occident » ou de leur savoir faire dans n'importe quel
domaine jouissent d'un train de vie moyen. Ils ne vivent pas dans l'opulence
comme les premiers, mais disposent du minimum vital. C'est ce groupe, selon la
perception des enquêtés, qui coiffe la hiérarchie sociale.
Le deuxième groupe, dans la vision dichotomique de la
structure sociale qui domine la perception du champ social des
enquêtés, est celui des démunis que l'on étiquette
de plusieurs manières : Muyaka, mobola, ya ngwen, muvila,
mbokatier, mohuta, etc. ce sont des stéréotypes.
A propos du deuxième type, retenons les labels tels que
« Muyaka azui le 15 » et « mozui ou
Bomengo ya 17 heures ». Ces labels s'appliquent à des
nantis de fraîche date auxquels est dénié toute culture de
« haute classe ». Muyaka azui le 15 fait
référence à un comportement du type ouvrier dans les vieux
temps qui consistait pour un ouvrier, quelqu'un de moindre valeur sociale, qui
touchait sa quinzaine à le manifestait et montrer qu'il
était aussi capable, en engageant des folles dépenses. Ainsi
considère-t-on les parvenus des gens qui n'ont aucune trajectoire
sociale remarquable, mais qui par un concours de circonstances parviennent
à se faire l'argent et adoptent un comportement ostentatoire.
Bomengo ya 17 heures lui renvoie aux personnes qui pendant une bonne
partie de leur vie ont broyé la misère et sur qui la lueur du
bonheur n'est apparue qu'à l'âge trop avancé.
C'est à travers ce labelage que les rangs sociaux sont
attribués aux individus en fonction des ressources dont ils sont
détenteurs.
4.3.3. Enjeu des
discriminations sociales.
Le champ social avons-nous dit est un espace des rapports des
forces ou un lieu de lutte entre agents sociaux. Cette lutte, tantôt
manifeste tantôt latente, suppose un enjeu, c'est-à-dire ce pour
lequel les agents sociaux se sont engagés dans la lutte qu'ils doivent
absolument gagner et pour lequel ils investissent des ressources de
différentes natures.
De nos investigations, il résulte que des interactions
souvent orageuses que traduisent les discriminations sociales ont pour enjeu
majeur la quête de l'honneur social ou du prestige, c'est-à-dire
ce qui touche à l'honorabilité en signe d'ascension sociale et
qui appelle de la part des autres partenaires sociaux un comportement empreint
de respect et de déférence. Le prestige devient ainsi, un capital
symbolique mettant en lisse les agents sociaux.
Comme nous le verrons plus loin, le prestige prend
diverses significations suivant le niveau auquel se trouve le requérant,
c'est-à-dire l'individu en sa quête. Pour certains, il ne signifie
rien d'autre que la reconnaissance d'égalité par ceux qu'ils
estiment avoir un standing honorable; pour d'autres il signifie primordialement
la possibilité d'éviter ou d'échapper à la
qualification d'inférieur ; pour d'autres encore, il s'agit en
premier chef du souci majeur de conserver sa propre évaluation
supérieure. Dans un cas comme dans un autre, le prestige est un
processus de promotion ontologique visant à susciter chez les
autres des réactions assez favorables pour confirmer le
bien-fondé de notre auto-estimation en tant que être
valable. Promotion ontologique dans la mesure où l'humanité,
dans le contexte de la paupérisation en cascade, est supposée se
retrouver du côté de « ceux qui ont » et qui
jouissent de la dignité due à l'être humain.
Nous pouvons donc dire, à la suite de M. Tumin, que
« la recherche d'acceptation, d'estime et de prestige est en fait une
recherche de justification et d'identité menée en termes de
modes et de modèles soulignés et normalisés par
l'environnement culturel dans lequel la structure des status fonctionne.
L'importance des modèles culturels est déterminante, car il faut
jouer le jeu des status selon les règles en vigueur sous peine
d'échouer presque certainement. Ces règles prescrivent la
manière de défendre une évaluation donnée, d'en
poursuivre une plus élevée ou de réagir contre elle ;
les valeurs et les institutions sociales déterminent la quantité
et le type de considération qui seront accordés pour chaque
espèce de status à un nombre établi de
personnes »102(*).
En rapport avec cette remarque de M. Tumin, rappelons que
Ngaba est marquée par la culture de pauvreté engendrée par
la précarité matérielle dans laquelle vit la
quasi-totalité de la population. Cette culture de pauvreté fait
de cette population trop dépendante de la satisfaction
matérielle, au point que toute la vie semble se résumer dans la
« nécessité », c'est-à-dire à
ce qui est utile pour assurer la survie. Dans un tel environnement
socio-culturel, l'accès facile aux commodités matérielles
ne peut être perçu que comme signe d'ascension sociale. Ce qui
rejoint le point de vue de P. Bourdieu lorsqu'il
écrit « la valeur distinctive d'un bien tient à sa
rareté, c'est-à-dire le profit symbolique que procure
l'appropriation matérielle ou symbolique d'un bien (oeuvre d'art), se
mesure à la valeur distinctive que ce bien doit à la
rareté de la disposition et de la compétence qu'elle exige et qui
commande la forme de sa distribution entre les classes103(*).
Ce faisant, c'est sur le terrain de la consommation que les
habitants de la Commune de Ngaba vont chercher le prestige ou
l'honorabilité sociale, ainsi que le témoignent les
résultats de l'enquête. En se procurant des biens, même les
plus ordinaires, auxquels la moyenne des habitants du quartier ne peuvent
prétendre, ont fait savoir les enquêtés, que la plupart des
gens croient se hisser au sommet de la hiérarchie sociale. De
manière générale, le prestige se fait remarquer par la
recherche d'une distinction dans tout ce qui touche aux soins d'une personne,
notamment l'alimentation, l'habillement, la coiffure et la parure, sans omettre
l'acquisition de certains biens « valeureux ». C'est dans
cette perspective que s'inscrit l'opinion dominante de nos
enquêtés (71.5%) lors qu'ils affirment que dans leurs quartiers
respectifs, les gens sont friands des biens somptueux pour marquer leur
distinction sociale. En cette matière, le principe consiste à
arborer les emblèmes publics du niveau de la réussite sociale
atteint. Parmi ces emblèmes citons au premier titre, à la suite
de nos enquêtés, le chic dans l'habillement. Il est question ici
de se procurer les habits coûteux, qui portent « le
griffe », c'est-à-dire la marque de la maison de
fabrication par exemple yogi yamamoto, gianini, etc. et qui
sont à la mode pour le moment. Les femmes, celles mariées, se
lancent dans conquêtes des pagnes tels les super, et autres habits
faisant fureur dans leur univers. Les chaussures ne sont pas en reste.
Il faudra se procurer celles qui coûtent cher. Ici on n'achète pas
la qualité mais le prix. Vient ensuite le secteur de la parure. Dans ce
secteur, le port des bijoux en or, opposés à ce qu'on appelle
plaquage (or plaqué), et l'usage des produits cosmétiques et
dénoircissant passent pour le meilleur moyen d'illustrer son niveau de
vie. Tout se passe comme si le brunissement de la peau signifiait
l'élévation sociale et que l'être était
co-substantiel de paraître. Comme l'écrivent S. Shomba et G.
Kuyunsa, à propos de la mode (vestimentaire) dans le milieu
socio-culturel congolais : « ...être à la mode,
représente l'élévation sociale du statut social de
l'individu. Une dame peut être professeur d'université,
médecin... mais si son paraître n'est pas remarquable, elle ne
vaut pas grand-chose socialement parlant. La mode passe pour le
thermomètre ou le symbole du statut social et économique du
mari ». Par conséquent, « au Congo, la mode
affranchit l'individu. La lutte pour la mode vise l'actualisation du
désir d'acquérir prestige et notoriété. Elle se
veut être l'emblème d'une distinction singulière, ou
l'appartenance à un groupe prestigieux... »104(*)
Un autre secteur où l'on marque sa distinction est
celui de téléphone cellulaire. Etant donné la
socialisation quasi-totale de cet instrument de communication dans la ville de
Kinshasa en général, et à Ngaba en particulier, c'est le
téléphone le plus coûteux sur le marché qui doit
élever son propriétaire. A ce jour, la marque SamSung semble la
plus prisée par ceux qui n'acceptent pas se faire rattraper par le
commun de mortel.
Par ailleurs, la distinction sociale se réalise par le
biais de l'alimentation à travers laquelle il est attesté le
train de vie d'une personne. En effet, ce secteur constitue la
préoccupation permanente des habitants de Ngaba, comme vu dans le point
précédent. Tout commence par la régularité des
repas quotidiens. Pour montrer sa différence, on clame tout haut que
« epayi na ngai (na biso), moto épelaka mikolo nyonso,
tozalaka na délestage te. », (chez moi ou chez nous, le
feu s'allume tous les jours, c'est-à-dire chez nous, nous mangeons tous
les jours, nous ne connaissons pas d'interruption, bien entendu comme chez les
autres). Ceci montre que manger chaque jour est un motif de fierté et
raison d'être perçu comme « riche ». Ce
privilège de manger tous les jours élève socialement un
individu s'il est soutenu par consommation régulière de la viande
et principalement du poulet et la viande de boeuf. Certains
enquêtés nous ont confié que le repas fait de la viande est
souvent préparé à l'extérieur.
Lorsque la consistance de bourse le permet, la distinction
sociale se réalise dans l'acquisition d'une voiture, même modeste,
et par le déménagement vers quartiers résidentiels de la
Commune ou de la ville de Kinshasa, notamment Righini, salongo, Binza,
Macampagne, Limete, Lemba, etc.
Somme toute, tout ce qui sert de signe ou de trait distinctif
doit consacrer les écarts différentiels et exprimer, par ce fait
même, les différences sociales les plus fondamentales. Comme le
mentionne P. Bourdieu, l'univers de biens de luxe parait prédisposer
à exprimer les différences sociales (...) et que la relation de
distinction s'y trouve objectivement inscrite et se réactive dans chaque
acte de consommation105(*).
En somme, le prestige comme profit symbolique procuré
par cette marque de distinction, qui se fonde sur des objets
considérés naguère comme ordinaires, se centre sur la
recherche de tout ce qui frappe l'oeil, dans une sorte d'ostentation qui doit
prouver aux autres que celui ou ceux qui arbore(nt) les emblèmes publics
de distinction s'est (se sont) socialement distancé(s) ou
éloigné(s) du commun de mortels, entendez la misère.
Nos enquêtés, par ailleurs, ont fait mention de
la part combien considérable de la dimension esthétique
dans l'ostentation distinctive. Le luxe, le beau, l'éclatant, le frappe
l'oeil occupent une place de choix dans le marketing de l'image de soi. Cette
attitude ostentatoire, ont-ils affirmé, est trop marquée dans la
catégorie de ceux qu'on nomme « bana
lunda » et leurs épouses. Leur retour à la maison,
lorsque leurs poches sont garnies des « billets verts »
(dollars américains) est toujours sensationnel et s'apparente à
un véritable « duel des fringues ». Ils le
témoignent d'abord par des libéralités accordées
aux amis et frères, aux voisins (principalement la boisson); par
l'exhibition des dollars Us, l'acquisition des biens luxueux, le changement de
décor de la maison et l'appui aux fans-clubs. Cette ostentation
prend un relief particulier chez leurs femmes à travers la mode
vestimentaire. La recherche de distinction poussent certaines femmes à
se brunir la peau, à se vêtir ou se chausser de telle ou telle
façon, à s'encombrer de plusieurs bagues, chaînettes, et
gourmettes en or sur tous les doigts, au cou, au nez, aux bras et aux jambes,
etc.
Conscients de leur situation nouvelle, ces bana Lunda
font des efforts systématiques pour quitter leurs quartiers, modifier
leur façon de s'habiller, de se nourrir et même de parler, et tout
ce dont il est généralement tenu compte pour identifier le niveau
de prestige que l'on revendique. Ils imitent, ainsi que fait remarquer M. Tumin
le mode de vie de ceux qu'ils souhaitent se voir admis comme
égaux106(*).
Par ces ostentations ils espèrent et croient entretenir
leur domination symbolique sur les autres habitants du quartier.
La distinction par des valeurs culturelles notamment par
l'instruction, bien que partiellement masquée par la conjoncture de la
nécessité matérielle, constitue encore une arme ou un
argument dans la course pour le prestige social. Nous l'avons
déjà souligné lorsque nous évoquions la liesse
populaire subséquente aux publications des résultats des examens
d'Etat et à la collation des grades académiques dans les
universités et instituts supérieurs de la ville ainsi que les
sacrifices consentis par les parents pour scolariser leurs enfants. Ainsi, pour
ceux qui croient encore dans le capital scolaire, parler la langue
française est un signe de distinction par rapport à la
majorité d'incultes qui n'ont pas atteint ou franchi le seuil du
« rond point Ngaba ».107(*) Leurs enfants doivent s'exprimer en français
pour attester qu'ils sont la progéniture des intellectuels.
Mais cette marque de distinction subit à coup de massue
un processus de nivellement par le bas de la part de la majorité de ceux
qui sont dépourvus du capital scolaire. Ceux-ci se montrent d'abord
hostiles à la langue française et rappellent cyniquement à
l'ordre en leur faisant remarquer que « français eboma
mboka », c'est-à-dire le
français a détruit le pays.
Référence est faite ici à la conférence
nationale souveraine qui a vu défilé les intellectuels congolais
de grand renom, mais qui a non seulement piétiné et a
été la plus longue de l'Afrique post guerre froide à cause
leur perfidie, mais aussi a accouché d'une souris. Ils sont donc
jugés d'incapables de prendre en charge le devenir de la
collectivité nationale. Cette campagne
de dénigrement des intellectuels remonte aux premières heures de
l'indépendance à la suite de l'instabilité politique
provoquée par les politiciens qui avaient la prétention de
représenter l'intelligentsia congolaise. Cette instabilité
était interprétée par leurs détracteurs comme
expression de leur incapacité de gouverner et de transcender leurs
intérêts. Pendant la deuxième République, elle a
été renforcée par les échecs des politiques
gouvernementales de redressement économique et social auxquelles ont
participé beaucoup des professeurs d'université. C'est pourquoi,
on a même appelé le Zaïre du Maréchal Mobutu, une
République des professeurs.
Le prestige que procure le capital scolaire est
essentiellement érodé par la précarité
matérielle dans laquelle vivent la plupart des « je le
connais » (argot populaire pour désigner les intellectuels)
qui frise l'indigence. Ils sont l'objet de moquerie de la part de ceux qui
trouvent que les études pour lesquelles ils ont investi temps et
énergies ne leur ont rien n'apporté sur le plan matériel.
Ils sont qualifiés de « mibali ya projet »,
c'est-à-dire des hommes pleins de projets, qui ne font nourrir leurs
fiancées, épouses et enfants que des illusions futuristes en
termes de « quand je serai » ceci ou cela tout ira mieux
pour nous, au lieu de s'attaquer à la situation présente.
4.3.4. Réactions à
l'infériorité statutaire.
Les réactions à l'infériorité
statutaire sont multiples. Elles vont de l'acceptation à la contestation
en passant par la résignation et l'indifférence. Comme nous le
verrons, ces réactions dépendent de plusieurs facteurs, notamment
la représentation des positions sociales, les atouts dont sont
dotés les individus et des perspectives de mobilité ou d'inertie
qui se dessinent pour un agent dans le champ social.
Commençons par la contestation manifestée par la
majorité de nos enquêtés et qui prend plusieurs formes. A
la question de savoir si le critère d'évaluation sociale en cours
dans leurs quartiers respectifs était rationnel, la majorité
(51%) a répondu par la négative. Cette opposition de la
majorité des enquêté se dresse principalement contre la
penchant trop matérialiste de l'évaluation sociale qui
infériorise ou élève certaines personnes sur base de leur
avoir au détriment de l'être. Parmi les formes de contestations
notons :
1) Le rejet des critères d'évaluation sociale
appliqués, comme étant contraires à la raison ou
vulgaires. A ce propos, les enquêtés de conditions de vie modeste
et les moins instruits ont qualifié d'irrationnelle toute
évaluation sociale basée exclusivement sur l'avoir
matériel et l'instruction. Les uns estiment que l'être humain ne
peut être réduit aux choses qu'il possède. Ils
dénoncent ainsi cette réification de l'homme dans la civilisation
hédoniste qui marque le monde moderne. Pour eux, l'homme doit être
jugé par ses capacités et ce qu'il apporte comme contribution
à l'avancement de sa société. Les autres, par contre,
considèrent qu'au-delà de son avoir et de ses compétences
scolaires, l'homme dispose d'autres vertus qui le rendent utile à sa
société, notamment la sagesse, une bonne éducation, une
bonne moralité et une bonne conduite sociale. Aussi, renforcent-ils
leurs considérations en soulignant qu'au Congo, c'est plus un
problème de moralité qui se pose plutôt que de
compétence ou d'instruction.
2) Le rejet des critères selon lesquels on est
évalué et leur substituer des critères qui
répondent au profil des personnes infériorisées. C'est
dans ce registre qu'il convient de placer la majorité des opinions
exprimées à la question de savoir quel est, selon vous, le
critère qui devrait servir de base à la classification sociale
des individus. A cette question 62,5% des enquêtés ont
répondu en faveur de la profession comme critère qu'ils
considèrent comme rationnel et objectif de classification sociale alors
que 18% ont plaidé pour la moralité et la spiritualité.
Nous constatons que ces réponses sont corrélatives aux atouts,
autres que l'avoir matériel, dont disposent ces enquêtés.
S'auto-évaluant sur base des plusieurs critères auxquels ils
répondent de manière variable, ces enquêtés
insistent sur les critères auxquels ils satisfont pleinement au
détriment des autres. Ainsi, les enquêtés ayant fait des
études supérieures et universitaires mais dépourvus en
ressources matérielles insistent plus sur la profession, étant
entendu que dans des conditions normales leurs études leur assureraient
l'accès à des grandes responsabilités et donc
réconforteraient leur position sociale. D'autre part, les
enquêtés dépourvus à la fois du matériel et
de l'instruction mettent l'accent sur la spiritualité et la
moralité.
3) La troisième contestation prend la forme du
dénigrement de ceux qui nous jugent défavorablement, leur
contester cette qualité de juge tout en retenant les critères
qu'ils ont appliqués. Cette forme de contestation a été
enregistré au cours de nos entretiens avec certains
enquêtés. Ces derniers, au titre de réaction à
l'infériorité statutaire dont ils sont objet de la part de ceux
qui se considèrent comme socialement bien placés soit du fait
avoir soit du fait de leur instruction, manifestent une attitude de
mépris. Pour dénigrer ceux qui ont de l'avoir matériel,
ils allèguent que soit cet avoir a été acquis au prix des
sacrifices humains, soit de manière malhonnête, soit de
façon hasardeuse (songeons ici au parvenu, appelés muyaka
azui le 15). Vis-à-vis de ceux qui se font prévaloir de
leurs études, il est opposé les allégations telles que ces
diplômes sont sans valeur parce qu'ils ne procurent pas d'emploi
rémunérateur, soit parce qu'ils sont obtenus dans des conditions
trop peu régulières, soit, enfin, parce qu'obtenus dans des
institutions moins prestigieuses, les universités de la cité
comme on les dénomme.
4) La quatrième forme de contestation est
l'indifférence qui amène un agent social à se
désintéresser de son status en refusant les valeurs
« terrestres » pour n'accepter que celles
« célestes ». C'est dans cette catégorie que
nous situons tous ceux qui évoquent la vanité de tous les biens
terrestres et qui courent vers le profit céleste, notamment le salut
éternel. Cette catégorie d'enquêtés affirme ne pas
être préoccupée par la recherche d'une place importante sur
cette terre des hommes, l'essentiel pour elle c'est de savoir quelle place
occupera-t-elle dans le royaume de Dieu. C'est pourquoi, l'évaluation
sociale, selon eux, doit reposer sur les valeurs morales et spirituelles. Cette
attitude, comme le remarque Wingenga wi Ependo, résulte « des
insuccès répétés qu'ils récoltent le plus
souvent, (et par conséquent) ils développent des sentiments
d'anxiété, d'insatisfaction chronique, et plus grave, sur le plan
psychologique, ils développent un sentiment d'échec qui les
paralyse et bloque leur capacité d'imagination créatrice. Tout
compte fait, ils se résignent devant leur sort qu'ils assimilent ainsi
à la fatalité. »108(*)
L'infériorisation statutaire aussi bien sur le plan
matériel que sur le plan culturel ne rencontre pas que d'opposition,
certaines personnes y concèdent en acceptant non seulement le
critère leur appliqué mais aussi la place leur assignée.
Cette attitude se manifeste parmi quelques enquêtés qui ont
qualifié de rationnel le critère d'évaluation sociale en
vigueur dans leur quartier quelle que soit la position rétrograde dans
laquelle ils étaient placés. Cette reconnaissance de
l'infériorité statutaire s'avère dans l'effort permanent
pour l'acquisition des symboles statutaires. C'est dans ce but que certaines
personnes affament leurs enfants pour épargner l'argent devant leur
permettre de se procurer bijoux, habits et cosmétiques. D'autres par
contre, dépenses de sommes colossales pour les études de leurs
enfants afin de compenser leur faible niveau d'instruction.
Faisons remarquer que ces réactions ne sont pas
seulement l'apanage de ceux qui sont réellement
infériorisés du fait de manque effectif des ressources utiles
(argent et instruction). Elles sont également enregistrées parmi
ceux qui en sont pourvus mais dévalués par les autres membres de
la société pour diverses raisons. Généralement,
ceux-ci excellent dans l'exhibitionnisme pour confirmer contre vents et
marrées leurs rangs sociaux.
En outre, les réactions à
l'infériorité statutaire ne se résument pas seulement dans
l'acceptation ou la contestation de la place assignée à un
individu. Elles se cristallisent également dans la recherche de
mobilité sociale pour laquelle diverses stratégies sont
déployées, comme le constatent 78% des enquêtés
(voir tableau XXI relatif à l'engagement pour la mobilité
sociale).
Nos enquêtés ont indiqué un arsenal des
stratégies que mettent en place les habitants de leurs quartiers pour
assurer leur mobilité sociale et échapper ainsi à
l'infériorisation statutaire. Les stratégies
développées par les uns et les autres correspondent aux
critères d'attribution de la considération sociale. Parce que les
aspects matériels l'emportent dans la perception et l'évaluation
de l'autrui, les stratégies de leur acquisition se multiplient. Pour les
enquêtés (75%), la débrouille figure en bonne place parmi
ces stratégies. Elle comprend toutes les activités de la petite
économie marchande, la vente de parcelle, l'exploitation artisanale du
diamant dans la province angolaise de Lunda Nord, la migration vers
l' « Occident » pour aller casser la pierre
(Kobeta libanga), c'est-à-dire se débrouiller,etc.
Le niveau d'instruction invite ceux qui ont un bagage
intellectuel élevé à maintenir le cap et ceux qui en sont
dépourvus à améliorer leur situation à travers
leurs enfants, bien entendu avec espoir qu'un jour cela pourrait leur permettre
de prétendre à des responsabilités pourvoyeuses des biens
matériels.
L'analyse de ces stratégies dévoile leur
penchant individualiste face aux problèmes collectifs, ce qui met en mal
la lutte de classe dont ont rêvé les révolutionnaires ainsi
que leurs théoriciens. Le but ici, comme nous pouvons le constater, ne
pas de renverser l'ordre hiérarchique établi, mais plutôt
de s'y insérer en acquérant les atouts ou les ressources
nécessaires pour occuper une position favorable.
Section 4. Discriminations,
tensions et conflits de condition à Ngaba.
Après avoir, dans les sections
précédentes, circonscrit l'environnement social des
discriminations sociales, montré l'assignation statutaire qu'elles
impliquent et les enjeux autour desquels elles se réalisent, il nous
revient, dans la présente section, d'examiner leur impact sur les
rapports sociaux.
Nous avons, dans le point précédent,
montré que les rapports entre les différentes forces sociales se
tissent sur fond des plusieurs contradictions. Les unes fondées sur des
considérations matérielles, les autres sur les aspects culturels,
les autres encore sur les valeurs ethico-religieuses. De toutes ces
contradictions, celles fondées sur les considérations
matérielles paraissent être principales et opposent les
« nantis » et les démunis, mais l'aspect principal
de cette contradiction principal semble s'articuler entre le pouvoir
économique et le pouvoir culturel. L'essence spécifique de ces
contradictions se trouve dans la recherche du prestige social et non dans la
recherche de transformation de l'ordre social établi,
générateur des discriminations sociales. Cette nature
spécifique détermine celle des luttes dans le champ social et les
stratégies que les acteurs mettent sur pied pour se procurer des
positions favorables.
Les résultats de nos enquêtes sont explicites
à ce sujet, 89,5 % des enquêtés ont affirmé que
les discriminations génèrent les conflits sociaux dans leurs
quartiers. Ces conflits consistent en des affrontements (relation antagonique)
entre deux personnes (deux sujets se posant face à face comme des
identités distinctes) pour le monopole d'une situation donnée.
4.4.1. Fondement des
conflits.
Les réactions à l'infériorisation
statutaire enregistrées au point précédent
préludent (sont suggestives de) la conflictualité des rapports
entre les personnes valorisées ou qui se valorisent et celles
infériorisées. Les conflits dont question ici n'opposent pas des
groupes sociaux structurés, avec des idéologies opposées,
dont le terme est le changement de l'ordre social comme c'est le cas de la
lutte de classes. Ils opposent essentiellement des individus ou, à la
rigueur, deux familles qui s'affrontent dans une double logique d'humanisation
de soi et de déshumanisation de l'autre. Le noeud de ce type de conflit
réside dans la disparité des conditions d'existence qui
crée les frustrations dans le chef de ceux qui ne trouvent satisfaction
à leur besoin primaire que difficilement, et l'arrogance ou la
prétention chez ceux qui se tirent facilement de l'affaire. C'est ainsi
que certaines personnes, du fait de leur avoir matériel, cultivent un
complexe de supériorité et une arrogance qui, finalement,
narguent tous les voisins. Dans leur vécu quotidien, ils se distinguent
par un comportement ostensible qui doit témoigner de leur
réussite sociale. Ils doivent montrer qu'il n'y a que eux qui mangent
mieux (la viande), qui s'habillent bien, qui font étudier leurs enfants
dans des écoles renommées, etc. D'autres, par contre, du fait de
la misère dans laquelle ils vivent depuis des nombreuses années
(les démunis) finissent par développer un complexe
d'infériorité tel qu'ils trouvent dans la conduite de ceux qui
ont un train de vie, même moyen, un certain orgueil. Ces attitudes
antinomiques recèlent en soi les germes de conflictualité qui
n'attendent qu'un détonateur pour que le conflit éclate au grand
jour. Les disputes se focalisent sur ce que l'un manque ou sur ce que l'autre a
ou prétend avoir. C'est pourquoi nous les avons qualifiés de
conflits de condition. Ils s'expriment par des
violences qui brisent l'harmonie et la quiétude de la vie
quotidienne.
Avant d'en examiner les modalités de manifestation,
disons que ces conflits reposent sur deux fondements. D'abord, sur les
catégories (critères) de perception et d'évaluation mises
en oeuvre par les agents sociaux qui ne font pas toujours l'unanimité
parmi eux. Nous avons vu, dans le tableau XIV que les enquêtés ont
aligné trois critères d'évaluation sociale, à
savoir l'avoir matériel, le niveau d'instruction, la moralité et
la spiritualité. Il va de soi que des agents sociaux inclinent à
faire prévaloir, dans leur propre évaluation et dans celle des
autres, le critère auquel ils satisfont et rejeter ceux dont ils sont
dépourvus. Il apparaît déjà, à ce niveau, que
les propriétés pour mesurer la valeur sociale d'un individu sont
des armes et des enjeux de lutte entre les agents sociaux. Ainsi, nous avons
constaté au cours de nos investigations, que les personnes dotées
d'un capital culturel important (niveau d'étude élevé)
mais dépourvues du capital économique estimaient qu'une
évaluation sociale objective devrait reposer sur le niveau d'instruction
et non sur l'avoir matériel. Par contre, celles pourvues du capital
économique mais dépossédées en capital culturel
plaidaient en faveur de l'avoir matériel et récusaient le niveau
d'instruction comme critère d'évaluation sociale. Les personnes
pourvues à la fois en capital culturel et économique
balançaient selon le cas entre ces deux positions. En face de personnes
pourvues en capital culturel mais dépourvues en capital
économique, elles font prévaloir leur avoir matériel alors
qu'elles mettent en avant plan leur niveau d'instruction face aux personnes
moins instruites. Mais celles dépourvues à la fois du capital
économique et culturel s'inscrivent dans le critère de
moralité et de spiritualité, par conséquent, rejettent
l'avoir matériel et le niveau d'instruction comme critère
d'évaluation sociale. Il en résulte qu'appliquer à une
personne un critère d'évaluation auquel il ne répond que
médiocrement est une déclaration de guerre, et donc, une cause de
conflit. Comme nous pouvons le remarquer, l'enjeu majeur de la lutte à
ce niveau est, ainsi que le dit P. Bourdieu, la représentation
même du monde social et de la hiérarchie au sein du champ
social109(*).
Ensuite, assigner une place inférieure à un
individu par une évaluation négative de sa personne signifie pour
lui une marginalisation, une déshumanisation ou encore une humiliation
qui appelle de sa part une certaine agressivité au titre de
réhabilitation de son image sociale ternie par cette
infériorité statutaire.
Tout compte fait, au fond de ces conflits se trouve la
représentation que les uns et les autres ont de leur situation. Ceux qui
se considèrent ou sont considérés comme ayant
réussi socialement, c'est-à-dire « les gens
fortunés », exaltent leur bravoure grâce à
laquelle ils ont réussit à se tirer de la misère qui
lamine la masse des pauvres. Ils estiment que la situation de ceux-ci
s'explique par leur paresse ou leur incapacité d'entreprendre des
activités susceptibles de les sortir de la précarité. Ils
dénoncent généralement l'illusion de certains
diplômés des universités et instituts supérieurs en
chômage ou de certains agents des services publics d'espérer en
Etat qui ne leur procurera jamais un travail décent. Par contre, ceux-ci
expliquent leur propre situation par la désorganisation de la
société congolaise par l'élite politique qui empêche
la redistribution équitable des richesses nationales. Et souvent, ils
dénoncent, à leur tour, l'avoir mal acquis ou l'enrichissement
illicite (par voie de fraude, de détournement, de sacrifices humains, de
fétiches, etc.) dont se targuent ces « gens
fortunés ». C'est dans cette justification-contestation de la
condition sociale que se cristallisent la plupart des conflits vécus
à Ngaba. Le décor des conflits étant déjà
planté dans les dispositifs mentaux des uns et des autres, faits
essentiellement des préjugés, toute situation est susceptible de
les faire éclater De manière générale, ces conflits
sont entretenus et alimentés par la rumeur, le colportage et les
quolibets qui circulent entre les parties en crise.
4.4.2. Manifestation des
conflits.
1. Violence symbolique et langagière.
La violence symbolique et langagière se présente
comme le mode le plus expressif des conflits rencontrés à Ngaba.
La violence symbolique prend généralement la
forme de l'ostentation. Il s'agit ici de narguer les concurrents, les
prétendants, les démunis ou ceux qui sont
considérés comme tels par l'exhibition très ostentatoire
des biens matériels qui attestent la victoire que l'on a
remportée sur eux. Le langage souvent utilisé ici est
« ba kosentir ngai, ba koyeba, na komelisa bango pema ou
bakomela pema» (ils vont me sentir, ils vont s'en rendre compte, je
vais le fatiguer ou ils vont s'essouffler).
La violence symbolique se traduit également dans la
prétention qu'ont certaines personnes d'avoir le pouvoir sur le capital
détenu par les autres. C'est à ce titre qu'il convient de
percevoir l'attitude méprisante que développent les
détenteurs du capital économique vis-à-vis des
intellectuels dépossédés matériellement. Pour
humilier ces derniers, ceux qui détiennent l'argent les narguent
à tout moment en arguant qu'ils peuvent bien les employer à leur
service, une bonne façon de se moquer de leurs diplômes
universitaires. Ils estiment ainsi avoir le dessus sur le capital culturel
qu'ils peuvent exploiter pour le renforcement de leur pouvoir
économique.
La violence langagière consiste en des syntagmes
(injurieux et licencieux) dirigés contre des individus qui sont
relégués ou reléguables dans des status inférieurs.
Ces syntagmes sont légion, pleines d'images et de figures de styles
appartenant au champ des injures classificatoires. Leurs
répertoires infinis servent d' « armes de
guerre » à l'occasion des altercations entre parties en
conflit que chacune exploite jusqu'à l'épuisement de son
imagination.
Faisons remarquer ici que le labelage fonctionne dans le champ
social à la fois comme un processus de classification et comme une
violence symbolique et langagière. Comme violence symbolique et
langagière, le labelage, parce qu'il induit l'infériorité,
ainsi que le note Mabiala Mantuba Ngoma, conduit à la chosification ou
l'animalisation ou encore à la dévaluation, à la
disqualification de l'autre et à l'inverse à l'apologie de soi,
à la surestimation de soi, à la maximisation de la valeur de soi,
à la saillance ou à la remarquabilité de soi110(*). Il s'agit, en fait, d'une
logique d'imputation qui est omniprésente dans le processus de
labelage : les catégories négatives attribuées aux
autres ne sont en réalité qu'une affirmation de la
supériorité de soi. Le labelage apparaît alors comme un
processus d'exclusion ou de marginalisation sociale, et donc, une menace
réelle d'élimination d'une identité sociale d'un
individu.
C'est dans cette perspective qu'il convient d'inscrire des
syntagmes tels que Muyaka, ya ngwen, Muyaka azui le 15 ou mozui ya 17
heures. A côté de ce labelage, il sied d'ajouter toutes les
sortes d'injures qui touchent aux organes sexuels (surtout des parents), aux
infirmités corporelles, à la mauvaise éducation
présumée, à la précarité de la situation
familiale, à la stérilité ou infécondité,
à la sauvagerie ou la barbarie de l'ethnie, à la puissance
maléfique (sorcellerie), etc.
Tout commence, lorsque le conflit éclate, par le
dénigrement ou l'humiliation par des qualificatifs péjoratifs.
Celui qui est perçu ou se perçoit comme statutairement
inférieur (sur le plan matériel ou culturel) s'engage dans la
querelle par la détestation de l'avoir ou de l'instruction de son
adversaire en ces termes : «longua kuna, éloko nini ya
malonga oza na yango, ou bien, classe nini ya malonga
otanga ? » (Qu'as-tu de spécial (biens ou avoir) ou
qu'as-tu fait comme études sérieuses ?). Ceci pour remettre
quelqu'un à sa place (kotia mutu na place na ye) en lui
rappelant ce qu'il a été hier, ce qu'il est réellement ou
désillusionner celui qui prétend être grand. Il s'agit, en
quelque sorte, d'un rappel à l'ordre à des individus que l'on
considère comme ayant usurpé les attributs des status sociaux
auxquels ils n'appartiennent pas en réalité.
2. La violence physique.
Les disputes ou les querelles débouchent souvent sur
des bagarres. Les personnes lésées par ces labelages
rétorquent par la violence physique, la forme suprême de conflit.
Soit ce sont deux individus, soit deux familles qui s'affrontent, en se servant
de tous les instruments qui peuvent causer du tort à la partie adverse.
Ces affrontements prennent un relief particulier dans les milieux
juvéniles, singulièrement chez les jeunes
désoeuvrés. Ceux-ci, constitués en des
« clubs » des arts martiaux débaptisés
« dojos », s'illustrent par leur violence. Lorsqu'un d'eux
ou un membre de sa famille a été objet de discrimination
péjorative qui a dégénéré en conflit,
celui-ci mobilise ses amis du club pour molester toute la famille de
l'« audacieux » qui a osé le mépriser. Au
cours de ces rixes ils cassent tout sur leur passage et causent des
dégâts énormes.
Section 5 :
Discriminations et dégénérescence sociale.
Les discriminations sociales analysées dans cette
étude sont appréhendées à partir de labelage
(mélioratif ou péjoratif) en tant qu'un ensemble des
idées, des connaissances, des pensées et des croyances
populaires, bref des représentations sociales relatives à la
structuration du champ social. Ces représentations sociales, comme
souligné dans les paragraphes précédents, sont les
produits d'une conjoncture sociale déterminée brièvement
décrite dans la première section de ce chapitre. Notre effort
dans cette section est de montrer que ces idées, ces connaissances, ces
pensées et ces croyances ne sont pas que des reflets passifs de cette
conjoncture sociale. Elles agissent en retour sur elle, participent à sa
reproduction ou à son maintien et déterminent les
différentes formes de lutte qui prévalent dans le champ
social.
Comme nous le verrons dans cette section, les discriminations
sociales en faveur des uns ou en défaveur des autres appellent
des stratégies soit de maintien de la situation
privilégiée, soit de transformation ou de l'éradication de
la position dominée. Cela ne va sans heurts sur le plan social. A
observer la nature de ces stratégies, il ressort que la population de
Ngaba s'est engagée dans un processus de
dégénérescence sociale qui s'observe par les indicateurs
ci-après :
4.5.1. Le
Prétentionnisme
La logique de différenciation et les pratiques
culturelles de la population de Ngaba débouchent sur un habitus que nous
qualifions de « prétentionnisme ». Celui-ci est une
attitude ou, ce qui revient au même, une disposition mentale
prévalant parmi les habitants de Ngaba, singulièrement dans les
milieux juvéniles, qui consiste à une surestimation de soi qui
frise le narcissisme. Cette estime trop grande de
soi-même qui pousse à des ambitions et à des visées
trop excessives se manifeste par des postures corporelles,
l' « enfilage » ou le port d'habits, l'arrogance de
tout être, de tout et mieux connaître et d'être capable de
tout quand bien même en réalité on n'a pas de profil et,
par ce fait même, de nier aux autres ces mêmes attributs.
Des expressions comme « mobola
têtu », « pauvre
mais... », Illustrent bien cette attitude. Il s'agit pour une
personne démunie de singer le standing de vie de nantis en consacrant
l'essentiel se son avoir à l'obtention des signes extérieurs de
la noblesse, à savoir : produits dénoircissant, bijoux,
habillement coûteux, quel qu'en soit le prix à payer. Certaines
femmes, nous ont affirmé les enquêtés, privent de la
nourriture à leur enfants juste pour s'en procurer.
Le prétentionnisme s'affirme également dans
cette espèce d'ethnocentrisme kinois qui surévalue tout kinois et
barbarise tous les ressortissants des provinces quels qu'ils sont. De la
même manière que ceux qui reviennent de
l' « Occident » sont imbus de leur
supériorité culturelle pour avoir séjourné dans le
monde de civilisation (entendez l' « Occident »), le
Kinois de Ngaba s'estime civilisé par rapport au sauvage muvila,
mohuta, mbokatier, (villageois) infériorisé du fait
de son manque supposé de la civilisation (urbaine bien entendu).
Kinshasa étant la seule « vraie » ville du pays, les
autres villes comme Lubumbashi, Kisangani ou Mbuji-mayi sont
reléguées au rang de mboka (village). Les
ressortissants des provinces de Bandundu et du Bas-Congo qui arrivent par
véhicule à Ngaba sont conspués et étiquetés
de ya ngwen ou de ya mbala pour désigner
l'infériorité de leur rang social.
En conséquence, le
prétentionnisme, en assurant et garantissant une
supériorité fictive à son auteur, l'empêche de se
rendre compte de ses limites et d'entreprendre une activité pouvant
contribuer à sa promotion sociale.
4.5.2. L'auto-phagie sociale.
La promotion du paraître au détriment de
l'être comme stratégie de distinction sociale plonge la population
de Ngaba, ce qui, du reste, est vrai pour l'ensemble de la
société congolaise, dans un cannibalisme social singulier, dont
la proie est la société elle-même. Ce processus
d'auto-consumation consiste pour la société à
s'auto-détruire en détruisant toutes les valeurs cardinales sur
lesquelles reposent les sociétés éprises du
progrès. Cette autophagie se réalise par le biais de plusieurs
pratiques, à savoir :
1. La socialisation de l'anomie et de la déviance
sociale.
Nous avons vu que dans le contexte de pauvreté de
Ngaba, la majorité de la population accorde une importance capitale
à l'avoir matériel, et spécifiquement à la parure.
Cette recherche effrénée de l'avoir matériel et du
paraître engendre des conduites déviantes, enfreignant les normes
sociales. Les réactions à l'anomie et à la déviance
ainsi provoquées sont mitigées. Elles vont, de manière
générale, de la simple dénonciation, à
l'indifférence, à la tolérance en passant par la
plébiscite. C'est ainsi que la mégestion et le
détournement des biens publics pour l'enrichissement personnel
reçoivent les ovations dans la populations. Ils sont perçus comme
le signe de bravoure et de clairvoyance (miso makasi) de la part
même des victimes que sont les bénéficiaires. Par contre,
les gestionnaires assumant leur mandat public ou l'ayant achevé dans
l'honnêteté sans chercher à accumuler illicitement la
fortune sont criblés des réprimandes pour n'avoir pas pu
« profiter de leur temps ». La question qui revient, dans
ce cas, sur toutes les lèvres est celle de savoir si ces gestionnaires
« yuma », c'est-à-dire
insensés et nonchalants, croient, de par leur honnêteté,
redresser le pays qui a sombré dans le chaos depuis la nuit des temps.
Ainsi, la vertu, la probité loin de susciter l'admiration de la
communauté déclenche, par contre, un étonnement
(négatif bien entendu) et passent pour les anti-valeurs dans une
société d'obsession pour le confort matériel et le
paraître et du gain facile.
L'essentiel aux yeux de cette population c'est l'argent
et l'argent à tout prix, quelle que soit la voie par laquelle on
l'obtient. C'est dans cette même perspective qu'il convient d'inscrire
des pratiques rétrogrades telles la prostitution, l'escroquerie, etc.
qui sont tolérées par la plupart des parents, pour autant
qu'elles rapportent de l'argent.
L'hyper religiosité constaté dans cette
Commune, comme partout ailleurs dans la Ville de Kinshasa, ne rentre-t-elle pas
dans cette perspective de la recherche de l'avoir matériel et
d'enrichissement facile. Au lieu de s'investir dans le travail créateur
du bonheur, les responsables et fidèles des églises de
réveil passent le plus clair de leur temps dans les cultes et
veillées de prière et caressent le rêve et les illusions
des mapamboli (bénédictions
matérielles) que dispenserait Dieu, ce faiseur de miracle.
2. L'investissement improductif.
La promotion de paraître conduit ceux qui peuvent se
procurer de l'argent à l'investir dans l'ostentation. La plupart des
gens préfèrent placer leur argent dans ce qui peut
accroître leur prestige social, notamment dans l'habillement et les
bijoux coûteux, dans les femmes et dans les libéralités
ostentatoires et, si la bourse le permet, dans des voitures de luxe, la
réfection ou la construction des villas. Dans ce contexte, dès
qu'une personne, surtout dans le rang des bana Lunda, connaît
une promotion sociale, liant la distance à la distance spatiale, elle
quitte la Commune de Ngaba pour s'installer à Righini, à Salongo
ou à Macampagne pour y louer une maison coûteuse, digne de son
nouveau status, ou encore va loger dans des hôtels fuyant la
« crasse » de leurs habitations habituelles,
s'achète des habits avec « griffes », une voiture
Mercedes, etc. De manière générale, cette mobilité
sociale ascendante ne dure que l'espace d'un matin. En effet, ces
prétendus promus sociaux se maintiennent difficilement dans le nouveau
status acquis à cause notamment des exigences financières que
requiert le rang social qu'ils pensent avoir atteint et, par
conséquent, retombent dans leur situation antérieure et soldent
tous les emblèmes publics de distinction sociale qu'ils s'étaient
procurés. Ils liquident parcelles, voitures, équipements
ménagers, habits, etc. et retirent tous les enfants des écoles
prestigieuses où ils étaient inscrits à cause de
l'incapacité à continuer d'honorer les frais de scolarité.
Ainsi, se maintient et se renforce la spirale du développement du
sous-développement dans lequel est pris en étau la population de
Ngaba.
Ce déclassement social ne s'explique autrement dans
la population que par la source mystique dont on soupçonne l'avoir de la
plupart des « gens fortunés ». On estime, dans
l'imaginaire collectif, que les puissances occultes reprennent de la main
gauche ce qu'elles avaient donné de la main droite pour diverses
raisons, notamment la non observance des interdits. Et pourtant, les
éléments objectifs justifient bien ce déclassement,
à savoir la gabegie financière, l'invasion de la famille et le
mauvais placement de fonds dans des secteurs non rentables (maisons, mobiliers,
par exemple).
3. L'aliénation.
Nous avons indiqué ci-haut que l'avoir
matériel, particulièrement l'habillement et la parure constituent
les valeurs essentielles de notre univers d'enquête. Dans ce contexte, la
perception et l'évaluation d'un individu procède d'abord et
principalement de son avoir matériel. Les composantes culturelles de sa
personnalité telles l'éducation, l'instruction, la
moralité, son rôle social par le biais de sa profession,
relèvent d'un critérium de la seconde zone ou, à la
limite, ne sont pas pris en considération. Cette réification de
l'homme conduit la plupart des démunis à
s'auto-déprécier, à se sous-estimer, à
développer un complexe d'infériorité. Par
conséquent, ils se considèrent comme moins importants et ne
peuvent entreprendre quoi que ce soit pour la promotion sociale tant
d'eux-mêmes que de la collectivité. Par contre, elle survalorise
les « gens fortunés », même si eux-ci sont
d'une nullité culturelle avérée ou d'une moralité
publique douteuse.
La promotion du paraître trouve sa plus forte
expression dans l'exaltation et la fétichisation de tout ce qui est
importé de l' « Occident ». La fascination
qu'exercent les biens importés de
l' « Occident » sur l'imaginaire collectif des
habitants de Ngaba est si prégnante que leur acquisition est
perçue comme signe de distinction sociale. Des expressions telles que
« ewuta poto », etc. (ça vient de l'Europe)
suffisent pour convaincre toute personne, même la plus parcimonieuse ,
à débourser un montant colossal pour acheter un produit
même s'il est de moindre qualité.
L'aliénation se traduit par ce que S. Shomba
dénomme « mythe de l'Occident » comme voie royale de
promotion sociale ainsi que nous l'ont révélé les
enquêtés. Nombreux nous ont déclaré que dans leur
projet de mobilité sociale, de la même manière que pensent
la plupart de gens de leurs quartiers, voyager en
« Occident » serait l'unique moyen d'améliorer la
situation sociale. La pérennisation de la crise socio-économique
et son accentuation, constatent Claude Sumata, Théodore Trefon et Serge
Cogels, ont contribué à alimenter davantage l'imaginaire
collectif congolais en dépeignant les pays occidentaux comme une source
d'enrichissement sûre, facile et illimitée111(*). Le rêve de tout jeune
et toutes les familles de Ngaba est à ce jour d'aller ou d'avoir un
membre de famille en « Occident ». La seule présence
d'un membre de famille dans l'outre-mer (quoi qu'il fasse) est une
espèce d' « assurance-vie », un motif de
fierté et accroît le prestige social des ceux restés au
pays. C'est à ce titre que les familles qui tiennent d'avoir un
représentant en « Occident » consentent
d'énormes sacrifices jusqu'à se dépouiller de tous les
patrimoines (liquidation de parcelle, voiture équipements
ménagers, bijoux, etc.) laissant les autres membres dans une
insécurité totale. Leur espoir est que les transferts des fonds
qu'effectuera ce représentant une fois arrivé en
« Occident » aideront la famille à recouvrer le
patrimoine aliéné et à assurer la survie. Ainsi donc, la
famille qui a réussi à « pousser »
(kotindika) l'un des siens en « Occident »
l'évoque et le clame en toute circonstance pour montrer qu'elle est
différente des autres.
Ce mythe produit des comportements irrationnels, surtout dans
les milieux juvéniles. Il conduit certaines filles, et même
certaines femmes, à des illusions ou à la déviance
sociale. Il y a des filles qui brisent leurs fiançailles ou qui
rejettent les sollicitations locales parce que soit elles ont reçu les
promesses d'un nouveau amant qui est ou qui compte voyager en
« Occident », soit parce qu'elles attendent
indéfiniment un fiancé parti en « Occident »
sans écho. Et pourtant rares sont ces promesses de mariage qui
aboutissent.
Le rêve d'un « Occident prodigue »
engendre, par ailleurs, la fainéantise dans le chef de certains jeunes
de Ngaba. Espérant ou rassuré de s'envoler pour l'Occident qu'ils
appellent affectueusement Lola ou Mikili (Ciel ou monde), ils
renoncent à tout entreprendre localement et conjecturent déployer
leur savoir-faire, rien que quand il s'y seront rendus. Ils abandonnent
études, refusent de travailler, croisent le bras et excellent dans une
fanfaronnade oratoire les projetant dans ce monde où l'on mange les
pommes de terre (mbala) en lieu et place de l'indigène
« fufu ».
Ce mythe se fait également observer à
l'occasion d'un deuil d'un membre de famille dont le décès est
survenu en « Occident ». La famille éprouvée
se comporte comme si elle était honorée du fait d'accueillir le
corps du défunt venant de l'étranger. Et tout doit être mis
en place pour attester réellement que ce deuil est celui d'une personne
morte en « Occident ».
4. La négation de la méritocratie
La promotion de l'avoir et du paraître comme fondement
de l'évaluation sociale pose la problématique de l'instauration
d'une société méritocratique en RDC. Nous savons à
la suite de M. Tumin que tout système de stratification sociale
obéit à des valeurs qu'une société s'est
donnée à réaliser. Bien plus, la classification
hiérarchique des status sociaux est tributaire des conséquences
sociales ou des fonctions sociales du rôle attaché à chaque
status, du caractère simple ou complexe du rôle et des
compétences requises pour exécuter ce rôle. Ainsi, dans la
société américaine fondée sur le progrès
économique, M. Tumin observe que la qualification et les
réalisations (qui se constate plus par la profession exercée)
conditionne le rang social d'un individu et que l'acquis n'est qu'une
conséquence logique de ces deux premières. Ici, c'est la
profession exercée, évaluée en fonction de sa contribution
à l'avancement de la société, qui conditionne la position
d'une personne dans la hiérarchie des status. Et que ce sont les
qualifications personnelles ou les compétences acquises qui
déterminent l'entrée dans telle ou telle autre profession. Et
donc, la place occupée dans la hiérarchie des status est
corrélative au mérite d'un chacun.
Tel n'est pas le cas dans la Commune de Ngaba. Ici, comme
déjà dit ci-haut, l'avoir matériel n'est pas un indice du
status social mais le crée. Il suffit, quel que soit son profil social,
d'avoir de l'argent pour se voir attribuer un rang honorifique dans la
société. En être dépourvu, même si on
accomplit des tâches nobles dans la société, conduit au
déshonneur social. Ainsi est la condition des enseignants, des agents de
l'Etat, médecins, etc. qui sont la risée de la
société face aux « bana lunda », aux
« mikilistes » et aux autres malfrats qui
accumulent l'argent à la suite du détournement des deniers
publics. Dans ces conditions, le mérite dû à la
qualification et aux réalisations professionnelles ne peut peser dans la
balance d'estimation de la valeur sociale d'un individu.
Ceci est compréhensible dans le contexte congolais.
Dans ce pays où n'existent pas des valeurs cardinales qui pourraient
orienter la société dans son ensemble, les secteurs les plus
fondamentaux pour la vie d'un Etat moderne sont les plus négligés
et mal dotés en ressources tant humaines, matérielles que
financières. La spontanéité et l'intuitionnisme
étant les principaux socles de l'action des gouvernants, centrée
essentiellement sur l'enrichissement personnel au détriment de la
communauté nationale, il est tout à fait logique que le
mérite en termes de compétence, de performance, de
réalisation et d'apport au progrès de la société ne
soit pas célébré et reconnu comme mesure
d'évaluation sociale. Le déshonneur auquel sont contraints les
opérateurs des autres secteurs de la vie nationale, réduits au
rang de nécessiteux du fait des mauvais traitements subséquents
à la déconsidération de leurs métiers par
l'instance politique, justifie l'invasion du champ politique par leurs
rescapés au point que même ceux qui n'en ont pas l'habitus, les
capitaux indispensables pour jouer dans ce champ s'y déferlent dans le
seul but de gagner l'argent et autres profits matériels et ainsi
accroître leur prestige social.
La conséquence, c'est l'implosion dans laquelle se
trouve plongé le pays, aujourd'hui, du fait de l'inconséquence
des actions menées par une classe politique caractérisée
par un habitus de jouissance, de satisfaction des intérêts
individuels ou corporatistes, au détriment de ceux de la population,
comme le constate André Lubanza Mukendi112(*). A cause d'eux,
« l'Etat fonctionne aujourd'hui comme lieu d'émergence
d'hommes vides, d'affirmation d'une humanité gaspillée, de
consécration de l'absence d'obligation de montrer la
vérité, (dans ce contexte), alors l'autorité perd sa
noblesse et cesse d'être le siège de
l'humanité. »113(*)
Ainsi, les énergies sociales s'investissent non pas
dans ce qui peut promouvoir toute la société dans son
ensemble; mais dans ce qui peut permettre à chacun d'amasser la fortune
même contre ses enfants, ses frères, sa communauté et sa
nation. Cette recherche de la gloire personnelle n'est-elle pas aux racines du
chaos actuel du Congo qui fait suite à la trahison de certains de ses
fils qui se sont vendus aux étrangers juste pour avoir
l'argent ?
CONCLUSION
GENERALE
Depuis plus d'une décade, il s'observe, dans les
sciences sociales en générale et en sociologie en particulier,
une apathie vis-à-vis des études touchant aux
inégalités, particulièrement celles consacrées aux
classes sociales. Et pourtant, elles ont mobilisé des chercheurs de
divers horizons au cours de vingt années qui ont
précédé la décennie 90. La chute du mur de Berlin,
la « fin » de la guerre froide, le triomphe du
libéralisme ou de l'américanisation et le discours sur la
démocratie et les droits de l'homme semblent avoir sonné le glas
du marxisme et/ou du matérialisme historique qui ont servi de cadre
théorique général de leur analyse. On a dès lors
considéré que la société démocratique rend
superfétatoire l'étude des inégalités sociales dans
la mesure où son essence même en constitue non seulement une
négation mais aussi une lutte acerbe. Ce qui plaide en faveur de ce
mutisme. Mais la réalité vécue quotidiennement renseigne
que les inégalités persistent et constituent encore la toile de
fond des différents conflits et violences enregistrés sur
l'ensemble de la planète.
Nous avons voulu, à travers cette étude,
ressusciter ce débat qui demeure de tous les temps au centre des
préoccupations de la sociologie, notre discipline, et y participer.
Comme l'écrivait M.Tumin « l'étude des sources, des
modes et des conséquences des inégalités sociales est un
domaine privilégié de la recherche en sociologie. C'est un
domaine qui gardera toute son importance aussi longtemps que subsisteront les
inégalités sociales, dans la mesure tout au moins où
celles-ci influenceront les possibilités de réalisations et les
modèles de vie des diverses couches sociales qui constituent toute
société. »114(*)
Tout en nous situant dans le prolongement de nos
prédécesseurs, nous avons bifurqué en rompant avec le
cadre théorique général dans lequel ils ont
élaboré leurs travaux, à savoir le matérialisme
historique qui a fait ses preuves dans la saisie du fonctionnement des
systèmes sociaux, spécialement ceux générés
par le capitalisme. Cette rupture a résulté de la
nécessité de prise en compte du nouvel ordre des
phénomènes socio-économiques, à savoir
l'émergence du secteur informel qui porte par devers lui d'autres formes
d'inégalités ou de stratification sociale non saisissables par
l'orthodoxie marxiste. Elle a été, par ailleurs, imposée
par le nouveau regard que nous avons jeté sur la société
en tant qu'espace multidimensionnel, où circulent plusieurs capitaux
(économique, culturel, social et symbolique) que les tenants du marxisme
réduisaient à la seule dimension économique.
Cette rupture et le caractère exploratoire de notre
étude nous ont suggéré une approche nominaliste dans la
saisie des inégalités sociales. Cette approche, comme l'indique
E.D.O. Longandjo, cerne le social (socius), objet de la sociologie, à
partir des éléments de la conscience sociale115(*). Nous avons, pour ce faire,
accordé une importance capitale au décryptage que l'agent social
fait de la structure de la société dans laquelle il vit. Dans le
cas d'espèce de notre étude, cette conscience sociale est rendue
par les discriminations socio-économiques qui se formalisent par les
labelages aussi bien mélioratifs que péjoratifs en tant qu'un
système de classement des individus dans des catégories
sociales(supérieures ou inférieures). Il s'agit en fait, des
« classements que les agents eux-mêmes ne cessent de produire
dans l'existence ordinaire et par lesquels ils tentent de modifier leur
position dans les classements objectifs ou les principes mêmes selon
lesquels ces classements sont produits116(*).
Ainsi, l'hypothèse principale qui a sous-tendu cette
étude s'articule autour de l'affirmation selon laquelle les
discriminations sociales que charrient les labelages dans la Commune de Ngaba
induisait à la fois une stratification ou un classement des individus
dans les rangs sociaux et une lutte symbolique dont tout champ social est le
siège. Cette hypothèse fait suite à nos questions sur le
sens que revêtiraient ces labelages.
L'hypothèse ainsi formulée a été
confrontée aux données récoltées pendant nos
enquêtes dans la Commune de Ngaba à l'aide d'un questionnaire
administré à un échantillon de 200 unités extraites
d'une population mère de 204.449 habitants nationaux. Les
résultats obtenus au cours de ces enquêtes ont été
mis au crible de la méthode dialectique (à travers ses quatre
lois) sous les auspices de la théorie de champ social. La gestion de
l'intelligence de ces résultats nous a imposé une articulation de
l'ensemble du travail. C'est pourquoi, après avoir discuté des
travaux antérieurs ayant exploré notre domaine d'investigation et
esquissé notre modèle d'analyse, nous avons été
amené à situer notre univers d'enquête dans le tissu urbain
de Kinshasa, reflet de la stratification sociale induite par la colonisation.
Toutefois, il sied de mentionner que la logique ségrégationniste
à la base de l'agencement de ce tissu urbain a été, toute
proportion gardée, défaite à la suite de la
détérioration des conditions socio-économiques de la
majorité de la population habitant cette ville et à
l'inadéquation des infrastructures de cette dernière. Ainsi
constatons-nous une sorte de brassage des couches sociales au point qu'il est
difficile de leur attribuer de manière exclusive les quartiers. Ayant
ainsi situé notre terrain d'investigation, nous avons, par la suite,
présenté le cheminement des enquêtes, les
difficultés rencontrées ainsi que les résultats obtenus.
Ceux-ci ont été, en dernier lieu, discutés à la
lumière de la théorie de champ social pour en extraire toute la
substance.
Il résulte des nos enquêtes que la distribution
des positions sociales, mieux le classement social, est principalement
corrélative au confort matériel d'un individu et subsidiairement
de son niveau d'instruction traduisant son capital culturel. Le confort
matériel ou le capital économique se reflète, dans
l'optique de nos enquêtés, à partir du train de vie d'un
individu, principalement dans le domaine de l'alimentation, de l'habillement,
et de transport qui sont, en fait, les maillons forts de la chaîne des
problèmes vécus au quotidien. Ainsi, la différence des
trains de vie, comme l'ont affirmé nos enquêtés, induits la
différence des rangs sociaux appréhendés dans une logique
binaire ou dualiste. Ce faisant, l'espace social est découpé en
deux positions. D'une part les gens fortunés, c'est-à-dire qui
sont pourvus du capital économique et placés au sommet de la
hiérarchie sociale et, d'autre part les démunis occupant le bas
de l'échelle. Dans chacune de strates ainsi délimitées, le
capital culturel réconforte la position d'un individu par rapport aux
homologues de condition. Comme nous pouvons le constater, ces résultats
contrastent d'avec ce que P. Bourdieu avait remarqué dans sa
société où l'intelligentsia constitue la fraction
dominée de la classe dominante. Ici, par contre, les gens
fortunés pourvus du capital culturel jouissent d'un plus grand prestige
que les homologues de condition qui en sont dépourvus.
L'assignation d'un individu à un status dans les
interactions quotidiennes se réalise par une attribution
inégalitaire de la considération sociale qui, dans le cas
d'espèce, est en faveur des gens fortunés et en défaveur
des démunis. C'est pourquoi, la considération, l'honneur social
ou le prestige constitue un enjeu majeur à la conquête duquel les
agents sociaux déploient leurs capitaux. Il est, par conséquent,
le capital symbolique qui détermine la forme des luttes qui ont cours
dans le champ social. La distinction sociale pour jouir de ce capital
symbolique se réalise, comme nous l'ont affirmé les
enquêtés et tel qu'il ressort de nos observations quotidiennes,
dans l'ostentation esthétique qui permet d'assurer la
domination sur les autres habitants du quartier. Cette ostentation
esthétique prend généralement l'allure d'un
duel de fringue au cours duquel sont exhibés les beaux habits, les
bijoux, la parure et d'autres biens matériels tels que la voiture, le
téléphone, etc. Ce duel prend un relief particulier dans les
milieux féminins et chez les exploitants des diamants appelés
bana lunda. En définitive, en lieu et place d'indice d'un
status social, le confort matériel en constitue même l'essence. Il
s'agit là d'une attribution patrimoniale du status social.
Par ailleurs, c'est par la manipulation exclusive de certains
biens valeureux que les gens fortunés exercent (ou espèrent
exercer) leur domination sur les démunis. Cette domination symbolique
rencontre la résistance des autres habitants du quartier. Ce qui
génère des conflits qui marquent de leur empreinte la
quotidienneté dans la Commune de Ngaba. Nous avons souligné dans
ce travail que ces conflits épousent la nature de leur enjeu, le
prestige qui, rappelons-le, est le capital symbolique. Dans la plupart des cas,
les conflits s'expriment sous forme des violences symboliques et
langagières avant de déboucher sur la violence physique à
travers la bagarre. Nous les avons qualifiés des conflits de
condition étant donné qu'ils procèdent de la
conscience des différences des conditions de vie entre les habitants du
quartier.
Cette forme de lutte symbolique a été jusqu'ici
ignoré de la plupart des études congolaises des
inégalités sociales d'orientations objectivistes.
La recherche de la gloire, de l'honneur ou du prestige par le
confort matériel est à l'origine de ce que nous avons
nommé l'autophagie sociale, une sorte de cannibalisme social
dont la proie est la société elle-même. Par celle-ci, il
faut entendre toutes les pratiques par lesquelles la société
contribue à sa propre destruction en renonçant aux valeurs
fondatrices du progrès dans les autres sociétés. Il s'agit
de ce que d'aucuns appelleraient les antivaleurs, notamment la corruption, le
détournement des deniers publics , la prostitution, le vol, etc.
auxquels se livrent certaines personnes pour accroître son capital
économique, par ricochet, son prestige. La
dégénérescence actuelle du Congo n'est-elle pas
subséquente à cette pratique sociale ?
Notre prétention dans ce travail n'est pas d'avoir
réalisé une oeuvre achevée ni d'avoir inventé les
nouveaux faits moins encore des nouvelles théories. Nous pensons, c'est
là peut-être le mérite de ce travail, avoir, grâce
aux matériaux fournis par nos enquêtes, apporté un nouvel
éclairage aussi bien sur la problématique de la stratification
sociale, une matière trop dynamique, que sur les théories y
relatives. Ainsi, à travers cette étude, il se dégage que
contrairement aux marxistes qui n'accordent de l'importance qu'à
l'économique, la présente étude a
révélé qu'en toutes circonstances, il n'est pas
déterminant en dépit de sa prépondérance. Le
capital culturel et le capital social dans le contexte congolais jouent aussi
un rôle important dans le classement statutaire d'un individu.
D'autre part, les Catégories Sociaux Professionnelles
(CSP) qui ont servi des critères de découpage de la
société en différentes classes sociales ne sont pas
opérationnelles dans le contexte de notre univers d'enquête. Ici,
comme nus l'avons montré, le rang social d'individu est principalement
subordonné à son train de vie. Dire qu'on est médecin,
avocat, ouvrier n'est pas aussi révélateur du status social que
le standing de vie. Ceci tient de l'informalité qui marque de son sceau
toute la société congolaise.
Par ailleurs, C'est une autre contribution de cette
étude, la lutte dans le champ social, traduite par des conflits
analysés dans ce travail, ne s'articule pas autour des
intérêts matériels spécifiques et n'a pas pour
finalité la révolution ou la transformation de la
société globale, mais plutôt vise l'accumulation du capital
symbolique, à savoir le prestige ou l'honorabilité sociale.
Une telle perspective, fondée sur la promotion de
l'avoir au détriment de l'être, a comme incidence la
dégénérescence de toute une société
investissant dans l'irrationalité.
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TABLE DES MATIERES
DEDICACE..................................................................................................................I
AVANT
PROPOS.............................................................................................................II
INTRODUCTION GENERALE
2
1. Problématique
2
2. Hypothèse
5
3. Méthode
6
4. Techniques
8
4.1. L'observation directe
8
4.2. La technique documentaire.
8
4.3. Le questionnaire
8
4.4. L'entretien
9
4.5. L'échantillonnage.
9
5. Intérêt du travail
9
6. Contenu du travail
11
CHAPITRE I : TRAVAUX ANTERIEURS ET
ESQUISSE D'UN MODELE D'ANALYSE
12
SECTION 1 : REVUE DE LA LITTÉRATURE
12
1.1 Repères théoriques.
12
1.2. Etat des lieux des études
congolaises de classes sociales.
15
1.2.1. La constitution de la classe organique
à la colonisation
16
1.2.2. Classes sociales et émancipation
nationale
17
1.2.3. La sociologie de
l'impérialisme
19
1.2.4. Des études évaluatives
26
1.2.5. Des nouvelles perspectives.
29
SECTION 2. SITUATION DE CLASSE, CONDITION SOCIALE ET
HIÉRARCHIE SOCIALE À KINSHASA/NGABA
34
SECTION 3. ELABORATION DU MODÈLE
D'ANALYSE
35
1.3.1. Espace social comme lieu de
différenciation.
35
1.3.2. Propriétés
générales des champs sociaux.
40
SECTION 4. DES CONCEPTS
42
1.4.1. Stratification sociale.
43
1.4.2. Habitus.
46
1.4.3. Perception sociale
47
1.4.4. Conflits sociaux.
49
1.4.5. La ville
50
CHAPITRE II. KINSHASA. MORPHOLOGIE ET
CLIVAGES SOCIAUX
53
INTRODUCTION
53
SECTION 1 : QUELQUES CONSIDÉRATIONS
GÉO-DÉMOGRAPHIQUES SUR LA VILLE DE KINSHASA
54
2. 1. 1. Milieu physique
54
2.1.2. Données démographiques
55
SECTION 2 : ARCHITECTURE DE LA VILLE DE
KINSHASA
57
2.2.1. La ville et les quartiers
résidentiels.
58
2.2.2. Les premières cités
noires.
58
2.2.3. Les cités planifiées.
59
2.2.4. Les cités d'autoconstruction.
60
SECTION 3. QUELQUES PROBLÈMES DE LA VILLE DE
KINSHASA.
62
2.3.1. Emploi et chômage dans la ville de
Kinshasa
62
2.3.2. Problèmes d'équipement
sanitaire.
65
2.3.3. Problèmes d'accès à
l'éducation
67
2.3.4. Problèmes de transport.
68
2.3.5. L'insécurité
alimentaire.
73
CHAPITRE III : DE L'ORGANISATION DE LA
RECHERCHE ET DE LA PRESENTAION DES RESULTATS.
76
SECTION 1 : DU CADRE CONTEXTUEL.
76
3.1.1. Quelques aspects
géo-historiques.
76
3.1.2. Quelques caractéristiques
socio-économiques de la population de Ngaba.
76
3.1.3. Quelques aspects relatifs à
l'habitat
78
SECTION 2. ORGANISATION DE LA RECHERCHE
78
3.2.1. Univers d'enquête et
échantillon.
78
3.2.2. Collecte des données
83
3.2.3. Difficultés
rencontrées.
87
SECTION 3 : PRÉSENTATION DES
RÉSULTATS
89
3.3.1. Eléments d'identification des
enquêtés
89
CHAPITRE IV : INTERPRETATION DES
RESULTATS
116
SECTION1. DE LA CONJONCTURE SOCIALE DES
DISCRIMINATIONS SOCIALES À NGABA
117
4.1.1. Contraintes économiques et
restructuration du champ social.
119
4.1.2. Elites matérialistes et
ostentation distinctive.
121
SECTION 2. PERCEPTION ET ATTRIBUTION DES POSITIONS
DANS LE CHAMP SOCIAL.
123
4.2.1. Assignation de la condition sociale
à Ngaba
124
4.2.2. Assignation patrimoniale des status
sociaux.
126
4.2.3. Contraintes existentielles, capital
social et fluidité des frontières entre groupements sociaux.
133
4.2.4. Reconnaissance et acceptabilité de
ces pouvoirs.
137
SECTION 3. JEU ET ENJEU DES DISCRIMINATIONS
SOCIALES.
138
4.3.1. Acteurs.
139
4.3.2. Jeu : labelage ou
étiquetage.
140
4.3.3. Enjeu des discriminations
sociales.
142
4.3.4. Réactions à
l'infériorité statutaire.
147
SECTION 4. DISCRIMINATIONS, TENSIONS ET CONFLITS DE
CONDITION À NGABA.
151
4.4.1. Fondement des conflits.
152
4.4.2. Manifestation des conflits.
154
SECTION 5 : DISCRIMINATIONS ET
DÉGÉNÉRESCENCE SOCIALE.
157
4.5.1. Le Prétentionnisme
157
4.5.2. L'auto-phagie sociale.
158
CONCLUSION GENERALE
165
BIBLIOGRAPHIE
170
TABLE DES MATIERES
175
* 1 BOURDIEU, P.,
« Espace social et genèse des classes », in
Actes de la recherche en sciences sociales, n°
52-53 juin 1984, p.2
* 2 BALANDIER, G.,
cité par SHOMBA, K. S., Dynamique sociale et
culturelle, Notes de cours polycopiées destinées
aux étudiants de deuxième licence en Sociologie et Anthropologie,
UNIKIN,Kinshasa, 2003-2204.
* 3 LOUBET DEL BAYLE
cité par KUYUNSA, B., G. et SHOMBA, K., S., Initiation aux
méthodes de recherche en sciences sociales, PUZ,
Kinshasa, 1995 p.123
* 4 TUMIN, M.,
Stratification sociale, Duculot, Bruxelles, 1974, p.62
* 5 L'expression est d'ALAIN
TOURAINE dans Pour la Sociologie, éd. du
Seuil, Paris, 1974, p.43
* 6 DE COSTER, M.,
Introduction à la sociologie,
4ème édition, De Boeck université, Bruxelles,
1990, p.5
* 7 BOURDIEU, P., et
WACQUANT, J.D.L., Réponse. Pour une anthropologie
réflexive, Seuil, Paris, 1992, p.22
* 8 L'essentiel de cette
synthèse est extrait de l'article de CAZENEUVE, J., « Les
stratifications sociales. Les hiérarchies, les classes, les
castes », in Sociologie, Dictionnaires
Marabout université, tome 3, Paris 1972
* 9 TERRAY, E., Cité par
BIAYA, T.K et OMASOMBO, T. J., « Les classes sociales dans les
réalités zaïroises », in KANKWENDA, M.,
Le Zaïre vers quelle destinée ?,
Codesria, Dakar, 1992, p.105
* 10 A titre indicatif, on
peut retenir pour cette période les travaux ci-après :
- BERTIEAUX, A., "les classes moyennes au Congo belge,
développement d'une classe moyenne dans les pays tropicaux", in
Institut international des civilisations
différentes, Bruxelles, 1956.
- GHILAIN, J., "La naissance d'une classe moyenne noire dans
les centres extra-coutumiers au Congo-belge" in Institut Royal
colonial belge, Bulletin des séances, n°2,1952.
- WEISS, H., "L'évolution des élites,
comparaison entre la situation en Afrique occidentale francophone et au Congo
avant l'indépendance " in Etudes congolaises,
Vol.VIII,5, Septembre-
Octobre, Kinshasa, 1965.
* 11 Fedacol, Courrier
hebdomadaire, CRISP, n° 5, 3 juillet 1959, cité par Crawford
Young, Introduction à la politique
congolaise, éd. Universitaire du Congo, CRISP, Bruxelles,
1965, p.35
* 12 CEPSI cité par
Crawford, Y., op.cit, p.35.
* 13 Parmi ces
études, on peut citer :
- MULAMBU, M. F. "Le pré-nationalisme au Zaïre.
Révoltes paysannes avant la décolonisation", in
Cahiers zaïrois de la recherche et du
développement, n° 85 K, ONRD, spécial 1971.
- NZONGOLA, N. G., "Les classes sociales et révolution
anticoloniale au Congo-Kinshasa : le rôle de la bourgeoisie.", in
Cahiers Economiques et Sociaux, I.R.E.S., Vol.VIII,
n°3, Septembre 1970.
- DEMUNTER, P., "Structure de classes et luttes de classes
dans Congo colonial", in Contradictions, n°1,
1972.
* 14 * La révolte du
Kitawala a été menée par les ouvriers et les paysans de
Masisi-Lubutu durant la seconde guerre mondiale. Lire à ce
sujet :
- LOVENS, M., « La révolte de Masisi-Lubutu
(Congo Belge, janvier-mai 1944) », in Cahiers du
CEDAF, n° 3-4, 1974, 154 p.,
cartes, annexes.
-MWENE BATENDE, Mouvements messianiques et
protestation sociale, le cas du Kitawala chez les Kumu du Zaïre,
Faculté de Théologique catholique, Kinshasa, 1982.
* 15 La thématique
centrale de cette période est prise en charge par les travaux suivants
:
LONGANDJO, O, La paysannerie zaïroise et
la loi du développement inégal .Contribution à la
critique de la théorie de la dépendance,
thèse de doctorat en Sociologie, UNILU, Lubumbashi 1981.
KALELE, K, Capitalisme et sous
développement à Kabinda. Une étude des mécanismes
de
domination et
d'exploitation capitalistes, LABOSSA, Lubumbashi, SD.
GAMBEMBO, G, Multinationales et
prolétarisation au Zaïre. Le processus de paupérisation des
masses rurales au Kwilu par Unilever, thèse de doctorat en
Sociologie, UNILU, Lubumbashi, 1988.
KAZADI K, M, Capitalisme
périphérique et lutte de classes au zaïre. Contribution
à la critique de la sociologie de
l'impérialisme, thèse de doctorat en
Sociologie, FSSAP, UNILU, Lubumbashi, 1993.
* 16 KAZADI, K. M. ,
op.cit, p.16
* 17 KALELE, K.,
Fonds monétaire international et la situation sociale au
Zaïre. Basusu na bisengo, basusu na mawa, Labossa,
Lubumbashi, 1983.
* 18 La bourgeoisie d'Etat ou
la bourgeoisie compradore est sans base économique réelle,
c'est-à-dire qu'elle n'est pas détentrice des moyens de
production et des produits qui en résultent. La bourgeoisie locale de la
périphérie est maintenue en place en vue de la garantie et de la
protection des intérêts des véritables capitalistes qui
appartiennent aux formations sociales du centre.
* 19 MWABILA, M., C.,
Travail et travailleurs au Zaïre. Essai sur la conscience
ouvrière du prolétariat urbain de Lubumbashi,
PUZ, Kinshasa, 1979.
* 20 MWABILA, C. M.,
« Propos sur les classes sociales avec références
à l'Afrique et au Zaïre », in Cahiers
zaïrois d'études politiques et sociales, n°5,
Juin 1984, pp.3-5
* 21 CAZENEUVE, J.,
Art.-Cit, p.610.
* 22 COPANS, J.
Critiques et politiques, cité par KAZADI, K.,
Op-Cit, p.23.
* 23 MBAYA, M .,
STREIFFLER, F., Secteur informel au Congo-Kinshasa,
stratégie pour un développement endogène. Zamba epeli
moto, nyama iboyi kokima, éd. universitaires africaines,
Kinshasa, S.D., p.84.
* 24 MBAYA, M .,
Notes de cours de sociologie générale
destinées aux étudiants de premier Graduat psychologie et des
sciences de l'éducation, UNIKIN, Kinshasa, 2003-2004.
* 25 Lire à ce propos
OLELA, N. S. D., Le secteur informel à l'épreuve du
matérialisme historique. Contribution à la conceptualisation
d'un phénomène socio-économique,
Mémoire de D.E.S en Sociologie, UNIKIN, Kinshasa, 2002-2003.
* 26 Institut National pour
l'Etude et la Recherche Agronomique. Lire à ce propos, MPIANA TSHITENGE,
Faillite de l'Etat et paradoxe du fonctionnement des entreprises
publiques au Zaïre. Etude menée à l'INERA,
Mémoire de Licence en Sociologie, UNIKIN, Kinshasa, 1996.
* 27 KAZADI, K.,
Op-Cit, p.8.
* 28 L'expression est de MAX
WEBER. Elle désigne la chance caractéristique pour un individu
d'accéder aux biens.
* 29 Se rapporter à
BOURDIEU, P., La Distinction. Critique sociale du
jugement, éd. Minuits, Paris,
1979.
* 30 CAZENEUVE, J.,
Art.-Cit, p. 606.
* 31 « Le monde selon
Bourdieu », in Dossier, n°105, Mai
2000, p24.
* 32 K. MARX lui-même et
certains marxistes perspicaces reconnaissent aux différentes instances
d'une formation sociale une autonomie relative dans leur fonctionnement. Lire
MARTHA HARNECKER, Les concepts élémentaires du
matérialisme historique, Contradictions, Bruxelles,
1974.
* 33 BOURDIEU,
P., « Espace social et genèse des classes », in
Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°
52-53, juin 1984.
* 34 DE COSTER, M.,
Op-Cit, p. 194
* 35 Cette attitude
relativiste s'impose dans la sociologie moderne et a été
soulignée par Shomba Kinyamba dans l'explication de la dynamique
sociale en ces termes : « Dans la sociologie contemporaine, on
en est venu à adopter un point de vue relativiste, et cela d'une double
manière. Tout d'abord, même ceux qui continuent à mettre
l'accent sur un facteur particulier reconnaissent que le changement social est
toujours le produit d'une pluralité des facteurs qui agissent
simultanément et qui interagissent les uns sur les autres. Mais dans le
faisceau qu'ils forment, les facteurs n'ont pas tous le même poids,
certains pouvant exercer une influence plus marquée que d'autres. Mais
la recherche de cette pondération relative des facteurs se fait
aujourd'hui davantage en tenant compte de leur interinfluence. En second lieu,
beaucoup de sociologues considèrent qu'il n'est pas possible, du moins
dans l'état actuel des connaissances, de s'attacher à un
modèle général qui décrirait la pondération
des facteurs d'une manière absolue et universelle. La
pondération des facteurs serait plutôt un problème de
recherche empirique, qui demande à être résolu dans
l'analyse de chaque cas historique concret. Dans cette perspective, si on peut
encore parler d'un facteur dominant, ce ne peut être que par rapport
à un contexte particulier, une conjoncture spécifique, dans une
période donnée ». Shomba K.S., Dynamique
sociale et culturelle, notes de cours polycopiées
destinées aux étudiants de deuxième licence en Sociologie
et en Anthropologie, UNIKIN, Kinshasa, 2004, p.84
* 36 Accardo, A., Corcuff, P.,
La sociologie de Bourdieu, Le Mascaret, Bordeaux,
1986, pp 86-88
* 37 MACE, G.,
Guide d'élaboration d'un projet de recherche,
De Boeck Université, Bruxelles, 1991, pp19- 20 .
* 38 A titre indicatif, citons
l' ouvrage de TUMIN, M., Stratification sociale,
Op-Cit.
* 39 GOLFIN, J.,
Les 50 mots-clés de la sociologie, Privat,
Toulouse, 1972, p.135.
* 40 TUMIN, M.,
Op-Cit, p.42
* 41 MENDRAS, H.,
Eléments de Sociologie, Armand colin, Paris,
1975, p. 191.
* 42 BOURDIEU, P.,
Choses dites, éd. de Minuit, Paris, 1987, pp
155-161.
* 43 TOURAINE, A.,
« Conflits sociaux », in Encyclopaedia
Universalis, Vol.4, 8ème éd., Paris,
Novembre, 1974, pp 856-865.
* 44 GEORGES, P., cité
par TSHISHIMBI, K.E., Une ville et ses élites. Kananga
1960-1996, Thèse de doctorat en Sociologie, FSSAP,
UNIKIN, 1999, p .34
* 45 Ibidem.
* 46 DELRUELLE, V.N.,
Introduction à la sociologie
générale, 3ème tirage, Institut
de sociologie, éditions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles,
1992, pp 9-10.
* 47 HALBWACHS, M. ,
cité par DELRUELLE, V. N., Idem, p 9.
* 48 SHOMBA, K., S.,
Espaces, morphologie et modèles culturels du Congo
contemporains, Séminaire de D.E.S destiné aux
doctorands en Sociologie et Anthropologie, UNIKIN, Kinshasa, Octobre-Novembre,
2003.
* 49 Les données
relatives au milieu physique ont été tirées de PNUD/UNOPS,
Monographie de la ville de Kinshasa, Octobre
1998.
* 50 PNUD/UNOPS,
Op-cit, pp 15-17.
* 51 PAIN, M.,
Kinshasa. La ville et la cité, édition
ORSTOM, Paris, 1984, p213.
* 52 Nous adoptons la typologie
de MARC PAIN telle reprise dans son ouvrage précité.
* 53 Les Communes de Kinshasa,
Kalamu et Ngiri-Ngiri qui viennent à la tête de peloton, comptent
respectivement par Km2 25.761, 24.351, 24.207 habitants. Cfr. Monographie de
la Ville de Kinshasa.
* 54 PAIN, M.,
Op-Cit, p.220.
* 55 WINGENGA, W. E.,
Cours de Sociologie urbaine approfondie, L1
sociologie, inédit, Unikin, Kinshasa, 2000
* 56 Bureau d'Etudes pour
l'Aménagement et l'Urbanisme.
* 57 MBAYA, M. et STREIFFLER,
F., Op-Cit p.84.
* 58 PAIN, M.,
Op-Cit. p.27.
* 59 Nous tenons les
données relatives à la capacité d'accueil de ces
hôpitaux de MWANZA WA MWANZA,
Le transport urbain à Kinshasa, un noeud
gordien, L'Harmattan, Tervuren, 1997, p.81
* 60 MBAYA, M. et STREIFFLER,
F., Op-Cit,p. 79
* 61 UNICEF, Zaïre.
Quels défis pour l'an 2000 ? Bulletin
d'information n° 17, février 1997, p. 1, in Inswan
Promotion socio-économique de l'épouse et tensions
sociales à Kinshasa, Mémoire de D.E.S. en
Sociologie, Unikin, Kinshasa, 2002, p.51.
* 62 MBAYA, M .,
STREIFFLER, F., Op-Cit, pp 78-79.
* 63 MWANZA WA MWANZA,
Op-Cit, p.106.
* 64 PAIN, M.,
Op-Cit, p.172-173.
* 65PAIN, M.,
Op-Cit, p.174.
* 66 UNICEF,
Enquête nationale sur la situation des enfants et des femmes
MICS2, UNICEF-RDC, 2001, p.39
* 67 Ibidem.
* 68 KAPAGAMA, P. I.,
Pauvreté à Kinshasa : problématique di
développement du sous-développement, Mémoire
de D.E.S. en sociologie, UNIKIN, 2001, pp. 76-78.
* 69 LESBAUM, N. et
alii, « Professeur mène l'enquête », in
Rencontre pédagogique, n°16, INRP, Paris,
1987.
* 70 Service de population de
la Commune de Ngaba et Cabinet du Bourgmestre, Carte postale de la
Commune de Ngaba, Octobre 2002.
* 71 KUYUNSA, B. et SHOMBA, K.,
Initiation aux méthodes de recherche en sciences
sociales, PUK, Kinshasa, 1995, p.76.
* 72 GRAWITZ, M.,
Méthodes des sciences sociales,
11ème éd. Dalloz, Paris, 2001, p.542.
* 73 Se rapporter à ce
sujet à SHOMBA K. et TSHUND'OLELA, Méthodologie de
la recherche scientifique.
Etapes, contraintes et
perspectives, Kinshasa, M.E.S., 2004.
* 74 Il s'agit de : Kipopa
Omeonga, Ehota Mulenda, Solo Lola, Lufungula Etienabe, Mukendi Kadima,
Masangila Mondelengolo, Mbanza Kilembe et Lukengu que nous remercions pour le
bénévolat qu'ils ont consenti à notre
bénéfice.
* 75 Il s'agit de :
Kitampandi Luzau et Kialubi Ngavuka que nous remercions pour le
bénévolat qu'ils ont consenti à notre
bénéfice.
* 76 BEAUD, S. et Weber, F.,
Guide de l'enquête de terrain, La découverte, Paris
XIIIè, 2003, p. 9.
* 77 CORCUFF, P.,
Les nouvelles sociologies, Nathan, Paris,
1995 , p.16.
* 78 LONGANDJO, E.D.O.,
« Pour une sociologie des conflits », in
Conflits et identité, Op-Cit, p.79.
* 79 BOURDIEU, P.,
« Espace social et genèse des classes »,
Art.-Cit, pp3-4.
* 80 HARNECKER, M.,
Op-Cit, p.134.
* 81 NGOKWEY, N.,
Op-Cit., p.20.
* 82 OLOGOUDOU, E.,
« Les fondements économiques de l'Etat : La
stratification et les classes sociales en Afrique
indépendante », in Présence
africaine, 127/128, Décembre 1982, p 237.
* 83 MWABILA, M., cité
par NGOKWEY, Art-Cit., p.24.
* 84 LONGANDJO, O.
E.D., Praxis et pouvoir du peuple. Un schéma pour scruter
les illusions
démocratiques, Labossa,
Kinshasa, 1996, p.101.
* 85 KAHLDOUN, I., cité
par KAZADI K., Op-Cit., p.440.
* 86 GOLFIN, J.,
Op-Cit, p.135.
* 87 MACGAFFEY, J.,
« `On se débrouille' : Réflexion sur la
`deuxième économie' au Zaïre » in OMASOMBO, T. J,
(Sous dir. de) Le Zaïre à l'épreuve de
l'histoire immédiate, Karthala, Paris, 1993,
pp.143-144.
* 88 FANANGANI, M. P.,
«Paupérisation de familles petites bourgeoises et transformations
des valeurs en période de crise », in De VILLERS, G.,
JEWISIEWICKI, B., MONNIER, L., (Sous dir. de), Manières de
vivre. Economie de la « débrouille » dans les
villes du Congo/Zaïre, L'Harmattan, Paris, 2002, p.113.
* 89 DE VILLERS, G., et alii,
Manières de vivre,
Op-Cit, pp 12, 28.
* 90 MWABILA, M.,
Travail et travailleurs, Op-Cit,
pp.105-106.
* 91 CAZENEUVE, J.,
Art.-Cit, p.652.
* 92 HOUTART, F.,
Sociologie de l'institution religieuse, cours
inédit, Louvain-la-Neuve, 1977-1978, pp 301-302.
* 93 DE COSTER, M.,
Op-Cit , p. 189.
* 94 DRACHOUSSOF, L'Afrique
décolonisée, cité par NGOKWEY, N.,
« Réflexion sur la stratification sociale au
Zaïre », in Cahiers zaïrois d'études
politiques et sociales, n°5, Juin 1984, p.20.
* 95 SHOMBA, K., S.,
Espaces, morphologie et modèles culturels du Congo
contemporain, Op-Cit.
* 96 KAPAGAMA, I. P.,
Op-Cit, p. 135.
* 97 MACGAFFEY, J., cité
par DE VILLERS, G., Art.-Cit, p.21.
* 98 ACCARDO, A., et CORCCUF,
P., Op-Cit, p.54.
* 99 BOURDIEU, P.,
Distinction. Op-Cit, p.554.
* 100 Ibidem.
* 101 Idem, pp.150, 154.
* 102 TUMIN, M.,
Op-Cit., p. 166.
* 103 BOURDIEU, P.,
Distinction,Op-Cit, p. 253.
* 104 SHOMBA, K. S. et
KUYUNSA, B. G., Dynamique sociale et sous-développement en
République
Démocratique du Congo,
P.U.C., Kinshasa, 2000, p.94 - 95.
* 105 BOURDIEU, P.,
Distinction, Op-Cit, p.249.
* 106 TUMIN, M.,
Op-Cit, p.165.
* 107 Rond Point Ngaba est
un carrefour formé par le croisement des avenues de L'université
et By-pass et formant un point d'intersection des Communes de Lemba, Ngaba et
Makala au sud de la Ville de Kinshasa. C'est par ce carrefour qu'on
accède à l'Université de Kinshasa (UNIKIN) et à
l'Institut Pédagogique National (IPN). Ainsi, dans l'imaginaire
populaire de Ngaba, Rond point Ngaba représente le niveau
d'études moyen, c'est-à-dire le diplôme d'Etat, qui donne
accès aux études supérieures ou universitaires
incarnées par l'Unikin et l'IPN.
* 108 WINGENGA WI EPENDO,
« L'émergence de la culture de pauvreté dans les villes
du Congo-Kinshasa », in Mouvements et Enjeux
Sociaux, n°001, UNIKIN, Kinshasa, Septembre -Octobre 2001,
p11.
* 109 BOURDIEU, P.,
« Espace social et genèse des classes »,
Art-Cit, p. 3.
* 110 MABIALA, M. N.,
« Multiculturalisme et barbarisation au Zaïre », in
Conflits et identité. Actes des
journées philosophiques de Canisius, éd. Loyola, Kinshasa, Avril
1997, p.91.
* 111 SUMATA, C., TREFON,
T. ET COGELS, S., « Images et usages de l'argent de la diaspora
congolaise : les transferts comme vecteur d'entretien du quotidien
à Kinshasa », in TREFON, T., (Sous dir. de), Ordre
et désordre à Kinshasa. Réponses populaires à la
faillite de l'Etat, L'harmattan, Paris, 2004, p.137.
* 112 LUBANZA, M.,
« L a problématique du renouvellement de la classe politique
à l'épreuve de la crise de légitimité »,
in Perspective, les cahiers du Potentiel,
Vol.01/12/2002, janvier -Février 2003, p.20.
* 113 KAUMBA,
L., « Exister, c'est résister », in
Conflits et identité,
Op-Cit, p.176.
* 114 TUMIN, M.,
Op-Cit, p.30.
* 115 LONGANDJO, E.D.O. ,
« Pour une sociologie des conflits », in
Conflits et identité, Op-Cit, p.78.
* 116 BOURDIEU, P.,
« Espace social et genèse des classes sociales »,
Art-Cit, p.5.
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