La grande pauvreté dans l'agglomération bordelaise en 2006: Etat des lieuxpar Maia MICHEL Université Bordeaux 2 - Master 2 Professionnel Chargé d'études sociologiques 2006 |
Première partie : DEMARCHE D'ENQUETEL'objectif de l'état des lieux est d'identifier les situations et les lieux de grande pauvreté existant dans l'agglomération bordelaise, en gardant le souci premier de ce que peuvent vivre des jeunes de 16 à 30 ans. Ce travail est un recueil de données principalement descriptif qui ne nécessite pas l'élaboration d'hypothèses. Cependant plusieurs questions se posent au début de l'enquête : · Qu'est-ce que la pauvreté, la précarité, la misère, l'exclusion sociale ? · Comment les mesurer localement, par rapport à quels critères ou indicateurs ? · Quelles sont les limites et les caractéristiques du territoire choisi pour l'étude ? Dans cette partie nous aborderons donc précisément ce qui fait l'objet de la recherche, en définissant les notions et les indicateurs qui seront utilisés et en présentant le territoire étudié (chapitre I). Ensuite nous décrirons les différentes étapes de la démarche d'enquête à Bordeaux, élaborée selon les indications d'ATD Quart Monde ; nous évoquerons aussi les moyens dont nous pourrons disposer pour réaliser cet état des lieux (chapitre II). I. CONSTRUCTION DE L'OBJET DE RECHERCHEA. Définition des notions et indicateurs :Nous avons évoqué jusqu'à maintenant le cas de personnes vivant en situation de grande pauvreté, de misère ou d'exclusion sociale. Ces trois notions peuvent passer pour synonymes alors qu'elles recouvrent des réalités différentes. Un premier travail théorique s'impose afin de clarifier les termes employés et délimiter le sujet. Ensuite, l'observation et la mesure des phénomènes que ces notions désignent n'est possible qu'à condition d'élaborer des indicateurs pertinents. 1. Pauvreté, misère, exclusion sociale :La pauvreté est une notion essentiellement normative et relative, donc difficile à définir. On peut rappeler en premier lieu la définition adoptée par le Conseil Economique et Social à l'occasion du rapport Wresinski, qui demeure une référence en la matière : « La précarité est l'absence d'une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l'emploi, permettant aux personnes et aux familles d'assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux. (...) Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle devient persistante, qu'elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible.» 3(*) La pauvreté est communément comprise, dans un sens monétaire, comme une insuffisance de ressources, définie par un seuil. En réalité c'est un phénomène multidimensionnel (matériel, culturel et social) qui touche plusieurs domaines de l'existence et se manifeste de différentes manières. Les facteurs de pauvreté peuvent être de divers ordres : · économique : faiblesse des revenus, chômage, surendettement, dépendance aux prestations sociales, perte de logement ; · sociopolitique et culturel : asile politique, échec scolaire, faible qualification professionnelle ; · familial et personnel : rupture familiale, violence conjugale, isolement social, délinquance, conduites addictives, problèmes de santé.4(*) On constate ainsi que les situations de pauvreté sont souvent consécutives à des phénomènes de rupture dans la vie des individus : licenciement, maladie, accident, séparation, deuil... Par ailleurs, il est fréquent de considérer que la misère ou les formes extrêmes de pauvreté résultent d'un cumul des désavantages ou handicaps sur l'ensemble de ces domaines. Un autre concept intéressant dans le cadre de cette enquête est celui de la «pauvreté présumée»5(*). Cette approche s'avère utile pour décrire et qualifier des situations observées, comme l'illustre cette citation : « l'aspect misérable de certaines habitations est une présomption forte de la pauvreté de leurs occupants »6(*). Dans cette optique on suppose a priori que la probabilité d'être pauvre est plus élevée sur un lieu identifié comme un site de pauvreté. Ceci revient à faire le postulat d'une correspondance globale entre les territoires et les situations sociales : à une segmentation des territoires serait associée une segmentation sociale des populations. Toutefois il ne faut pas oublier que d'autres formes de pauvreté plus profondes peuvent exister dans l'interstice des habitats, dans l'isolement et l'absence de tout regard, quel que soit le niveau de richesse des environs. C'est ce qui constitue justement le coeur des préoccupations d'ATD Quart Monde. Dans tous les cas, les phénomènes de pauvreté ou de misère évoquent des situations d'inégalité de fait. Au contraire, l'exclusion sociale désigne un processus s'inscrivant dans le temps de dégradation des conditions de vie et surtout de fragilisation du lien social7(*). Ce processus peut conduire à la rupture effective avec des formes essentielles des relations sociales et de l'échange économique telles que le travail, la famille, le voisinage, l'habitat, la participation au mode de vie matériel et culturel dominant. Les personnes concernées se trouvent dès lors privées des biens et services sociaux auxquels elles ont légitimement accès. Par conséquent les situations d'exclusion sociale constituent une atteinte majeure aux droits fondamentaux des personnes, explicitement énoncés dans les déclarations et conventions des Droits de l'Homme8(*). Dans le cadre de cet état des lieux, nous avons à évaluer et quantifier des phénomènes objectifs sur une courte durée, c'est pourquoi nous retiendrons avant tout le concept de pauvreté, laissant de côté l'étude diachronique des processus d'exclusion sociale. Nous avons vu que la pauvreté peut être appréhendée de différentes façons. Elle est directement dépendante des seuils fixés, en dessous desquels on estime une personne pauvre. Pour caractériser des situations de «grande pauvreté» au niveau des territoires de l'agglomération bordelaise, nous aurons besoin de nous appuyer sur des indicateurs statistiques, que nous allons maintenant définir. * 3 WRESINSKI J. (dir.), 1987, Grande pauvreté et précarité économique et sociale, Rapport au Conseil Economique et Social, 10 et 11 février 1987, La Documentation française [en ligne]. * 4 D'après ALIOUM Y., 2006, Les Services d'accueil de jour de Bordeaux : vers une meilleure réponse aux besoins des personnes en errance, Mémoire pour le concours d'Inspecteur de l'Action Sanitaire et Sociale, ENSP de Rennes. * 5 GILLES M-O. et LEGROS M., 1995, Politiques Sociales : l'épreuve de la pauvreté, Enquête réalisée par le CREDOC, Rapport au Conseil Economique et Social, la Documentation française [en ligne]. * 6 Ibid. * 7 JOIN-LAMBERT M-Th. (dir.), 1994, Politiques sociales, coéd. Dalloz/ Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, Coll. Amphithéâtre. * 8 Logement salubre, conditions de vie décentes ; santé et soins, protection sociale, bénéfice d'avantages sociaux ; éducation, scolarisation, formation professionnelle ; emploi, ressources économiques, biens et services publics ou commercialisés ; ressources culturelles et informationnelles, moyens de communication, médias ; équipements publics, transports, libre circulation ; participation à la vie sociale, culturelle, associative et sportive ; participation politique, libre exercice de la citoyenneté ; accès au droit et à la justice. |
|