Annexe 4 : cadre stratégique de réduction
de la pauvreté : Appréciation critique
La démarche des cadres stratégiques suscite de
nombreuses critiques, de doutes et de suspicions. Les critiques portent
à la fois sur des causes techniques, idéologiques et politiques.
Par rapport au cas haïtien nous voudrions mettre emphase sur les
procédures d'élaboration
du document national et sur le choix des politiques à
implémenter.
Le Processus de participation
Les procédures de participation à priori doivent
permettre l'intégration les revendications des pauvres dans la
formulation des stratégies et des politiques. Cette
intégration se fait par la mise en place de filets sociaux
pour contenir les effets de court terme des reformes économiques
et des politiques sociales ciblées sur les groupes identifiés
comme étant les plus vulnérables. Ainsi, la principale
avantage
de l'approche participative serait de faciliter une meilleure
compréhension de la nature pluridimensionnelle de la pauvreté et
d'inscrire son
analyse et les réponses à apporter dans une
perspective englobant les priorités des pauvres eux-mêmes.
Ensuite elle (1) favorise la diffusion des conclusions des chercheurs,
en leur donnant plus de poids dans les mesures prises en ouvrant le processus
de recherche à divers groupes (ONG, acteurs économiques,
société civile, groupe de base,...) ; et (2) aide au
renforcement des capacités d'analyse et de suivi de la pauvreté.
113
Toutefois, les raisons de ce processus de participation vont
au-delà de ces avantages. Vise-t-il dans ce cas à favoriser
l'efficacité des nouvelles stratégies ? Pour certains, cette
participation se fait dans l'unique but de légitimer une
stratégie à laquelle la société civile n'a pas
réellement participé. Pour d'autres, elle ne remet pas en cause
le programme macroéconomique du Fonds mais permet surtout aux ONG de
comprendre la nécessité des reformes proposées par les
IFI. A ce titre il est nécessaire de questionner les critères
d'invitations, le choix des participants et par-dessus tout le coordinateur et
ou promoteur des consultations : Des questions de ce type sont à poser :
Qui s'occupe des procédures d'organisation ? Pourquoi ? D'où
provient son autorité ? .
Ces questions sont importantes dans la mesure que la
coordination institutionnelle de la démarche pose problème au
niveau national. Lors des périodes d'ajustement le premier rôle
était essentiellement attribué au ministère de
l'économie et des Finances. De nos jours, dans certains pays, il
semble obliger de le partager avec le ministère de la
planification. En Haïti, le PNUD, en se positionnant comme
catalyseur de la démarche, semble dans les faits joue le rôle de
coordinateur.114 Il remplit un vide laissé par un Etat se
trouvant en pleine crise de légitimité. D'autant qu'à
l'instar de bon nombre de pays pauvres l'absence de démocratie est la
norme en Haïti où non seulement
les décisions sont toujours prises de manière
verticale mais aussi l'existence de contre-pouvoirs est mal vécue par
les autorités en place. Les organisations de la société
civile, quand elles ne sont pas contrôlées par les pouvoirs
publics, arrivent difficilement à s'exprimer et porter leurs
revendications pour des raisons liées aux contraintes techniques,
financières notamment. Au-delà des réserves que l'on peut
avoir sur la manière de consulter la société civile et les
mécanismes y afférents, la voie de la consultation est à
encourager et à prendre avec une certaine prudence. Etant donné
que les réalités diffèrent d'un pays à un autre, la
participation de la société civile devrait à priori suivre
aussi ces différences.
Les Politiques macro-économiques
L'autonomie des pays dans le choix et la conception des
politiques à implémenter est mise en avant pour démontrer
la responsabilité qui
est accordée à l'Etat. Ce qui sous-entend que leurs
politiques ne seront plus conçues de l'extérieur, par les
donateurs et les IBW, mais élaborées au niveau national par
l'ensemble des acteurs de la société. Vu sous cet angle, la
formule semble être parfaite. Mais se pose,
le problème du financement des stratégies
à mettre en place. Les pays pauvres, du fait de leur faible
capacité d'épargne et
d'investissement, sont obligés d'avoir recours au
financements externes et à l'aide internationale au
développement. Comme le dit un vieux proverbe : « Qui finance,
commande ».
Accéder au financement international, c'est une chose ;
répondre aux conditions d'obtention de ce financement, c'en est une
autre. Les pays demandeurs doivent donc pouvoir répondre aux
critères établis par les différents créanciers.
Ainsi les prêts et les aides des pays donateurs «[...] seront
essentiellement destinés aux pays qui poursuivent de bonnes
politiques de réduction de la pauvreté et qui
possèdent et qui possèdent de bons systèmes de
gouvernance pour formuler et mettre en oeuvre ces politiques [..].
Les donateurs coopéreront avec ces pays dans un esprit de partenariat
au service du développement »115.
113 ROBB, Caroline M., « Aider les pauvres
à entendre la voix des pauvres », Financement et
Développement, Décembre 2000, p. 23.
114 Sur ces trois dernières
années, la représentation locale du PNUD s'est
montré très entreprenant dans la conduite de
réflexion
intersectorielle, faisant appel à la participation
d'acteurs issus d'horizons différents, et qui a abouti à
des propositions de stratégies. Par exemple, le Bilan commun de pays
est élaboré en 1999
115 CNUCED, Rapport 2002..., p.225.
______________________________________________________________________________
Crises, réformes économiques et pauvreté
en Haïti KPP LUNDY/Memoire de DEA
82
L'une des trois conditions d'accès à
l'initiative PPTE (pays pauvres très endettés) n'est-elle pas la
poursuite continuelle d'une politique d'ajustement et de réformes. C'est
à juste titre que le FMI a changé sa Facilité d'ajustement
structurel renforcée (FASR) en Facilité pour la réduction
de la pauvreté et la croissance (FRPC). Loin d'etre
abandonnées les PAS sont dorénavant couplées
à la réduction de la pauvreté, tel qu'il peut
être observé dans les différents cadres intérimaires
et définitifs déjà élaborés. Ces
différentes versions reflètent les PAS quand on analyse les
différentes mesures envisagées pour atteindre la
croissance116. L'importance accordée au problème de
la pauvreté et aux autres problèmes sociaux ne remplace pas les
stratégies de développement mises en oeuvre dans le cadre des
PAS, mais les complète. Les principes fondamentaux restent les
mêmes : libéralisation, ouverture et intégration
rapide et étroite dans l'économie mondiale117.
Ainsi s'il y a autonomie, elle semble être plutôt
du coté de la conception des politiques et mesures sociales à
prendre. « L'acquisition d'une autonomie décisionnelle est
entravée par pénurie de capacités nationales clefs comme
la compréhension des relations complexes existant entre la
pauvreté, le développement et la mondialisation ainsi que la
traduction de ces liens dans des mesures concrètes
».118 Les pays seront-ils en mesure
à respecter les ratios d'équilibres macro-économiques tout
en mettant accent sur les dépenses sociales. N'est-il pas contradictoire
de lutter d'une main contre les conséquences négatives de
l'application des PAS et de mettre en oeuvre de l'autre ces mêmes
mesures au travers des cadres stratégiques de réduction de
pauvreté ?
Éléments de rupture avec les anciennes
pratiques?
Désormais, les programmes appuyés par les deux
institutions reposent sur une stratégie de réduction de la
pauvreté (SRP) menée par chaque pays, élaborée de
manière concertée avec la société civile et
résumée dans un document de stratégie. Malgré
l'accueil favorable dont ils ont bénéficié des pays et des
bailleurs bilatéraux, Le FMI reconnaît que la mécanique
n'est pas encore tout à fait établie et qu'il faut
procéder à des affinages progressifs. Ainsi les nouvelles
stratégies ne sont pas dénuées
d'ambiguïtés et d'incohérences119 et qui
nécessitent des améliorations. Pour le FMI, il s'agit d'un
coté, de mesures à prendre pour rendre les processus
participatifs plus ouverts et pour formuler et mettre en oeuvre les
politiques qui accélèrent la croissance économique. De
l'autre coté, d'adapter les concours des donateurs aux CSLP, de
simplifier et harmoniser leurs procédures et s'employer à
améliorer la prévisibilité des flux d'aides. Ces
correctifs semblent être très peu par rapport aux
insuffisances relevées par la CNUCED dans le contenu des CSLP
nationaux. A partir des observations de l'IDA, de l'OIT, de l'OCDE et
de l'OMS elle a noté ces éléments comme l'absence de
stratégie de croissance à long terme ; la faible
intégration des projets sectoriels ; l'accent mis sur une meilleure
gestion et une répartition favorable aux pauvres des dépenses
publiques au détriment de l'investissement privé et de la
création d'emplois.
Au-delà des critiques, pour la plupart
fondées, les nouvelles stratégies, par rapport aux
innovations apportées semblent marquer une certaine rupture avec les
pratiques passées. Au stade actuel, elles sont certes très
imparfaites, mais porteuses d'espoirs chez certains observateurs et suscitent
chez d'autres, des doutes quant aux difficultés de les traduire en
action sur le terrain. Il n'en demeure pas moins que les cadres
stratégiques devraient fournir l'opportunité de voir les
politiques publiques et l'aide internationale changer de nature, dans
un sens plus favorable au développement et faisant appel
à une plus grande participation citoyenne.
116 Voir Policies to Roll-back the State
and Privatize ? Poverty reduction Strategy Papers investigated,
WIDER, Discussion Paper No.
2001/120, November 2001
117 CNUCED, De l'ajustement à la
réduction de la pauvreté : Qu'y a-t-il de nouveau ? Nations
Unies, New York, Genève,
118 CNUCED, Les pays les moins
avancés. Rapport 2002. Nations Unies, New York,
Genève, p. XV.
119 CLING J.-P., RAZAFINDRAKOTO M., ROUBAUD F., dir.
(2002), La Banque mondiale et la lutte contre la pauvreté : tout
changer pour que tout reste pareil ? DIAL, Document de travail, DT
2002/09, Septembre 2002
______________________________________________________________________________
Crises, réformes économiques et pauvreté
en Haïti KPP LUNDY/Memoire de DEA
|